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INNOCENTS

DE MARS

LES

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DU MÊME AUTEUR

m/'

FLEUR d'épine, roman, 1957.

UN HOMME DE trop, roman, 1958.

Chez d'autres éditeurs

LA DERNIÈRE cartouche, roman, 1953.

LE Bout-Galeux, roman, Prix Populiste 1956{épuisé)

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INNOCENTSDE MARS

JEAN-PIERRE CHABROL

LES

nrf 1

GALLIMARD

5. rue Sébastien-Bottin, Paris VIle

roman

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Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptationréservés pour tous pays, y compris la Russie.

@ 1959, Librairie Gallimard.

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à PouNE, matricule 47 124,

NANE, matricule 47 269,

JOTTE, matricule 47 170

et No, matricule 47 184,

les quatre « petites » de Neubrandenburg.

RIEN DE TOUT ÇA N'EST VRAI,

LA PREUVE EN EST QUE

ÇA N'EST MÊME PAS VRAISEMBLABLE.

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UN JOUR DU PRINTEMPS 1945

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CINQ HEURES DU MATIN

Une musique d'ailleurs avait glissé sur euxvers la fin de la nuit. Ils étaient quelques-unsàle prétendre, garçons au sommeil léger quis'interrogeaient sur elle.

Des panzerfaust étaient rangés dans une va-lise spéciale, en fer. Les panzerfaust y étaientcouchés tête-bêche comme des couteaux dans

l'écrin.

Drôles. d'outils, funérailles marmon-nait Funérailles, qu'on appelait aussi « Peu-chère », ou « Tartarin », mais surtout « Ma-riusse ». Il était de Martigues et seul le chefdu peloton, le sous-lieutenant d'Avéjan, se sou-venait de son vrai nom.

Vraiment, il faisait encore nuit. Mariusseétait. accroupi, « accaggassouné », comme ildisait, tassé en patate. Pour les copains, Ma-

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riusse, c'était une pomme de terre, une bonnegrosse patate familière. Ces tubes d'un mètreterminés par une sorte de poire métallique,il les connaissait bien, Mariusse. Ces belles va-lises de fer, les Allemands en abandonnaientun peu partout, maintenant. Ils n'avaient plusle courage de s'en servir. Vraiment, on ne pou-vait pas encore voir que la nuit finissait. Deschiens aboyaient, des gens passaient sur laroute, mais pas un coq ne chantait, pas uncoq ne chanterait même plus tard, même ausoleil, s'il faisait soleil. Des canons tonnaient,par moments, sans conviction, et si loin qu'ilsévoquaient une très vieille guerre. Il y avaitlargement quelques semaines que tous les coqsd'Allemagne étaient passés par la casserole.Excepté les coqs que les buses avaient ravis.Les buses, pas les aigles, parce qu'il n'y a pasd'aigles en Allemagne. Il n'y en a jamais eu.Les aigles, en Allemagne, c'est une légende.Il n'y a que des buses. Quelques busards, aussi,mais surtout des buses. Les civils passaient tou-jours sur la route. Toute la nuit ils étaientpassés, avec le clapotis de leurs semelles et lechuchotis.de leurs lèvres. Maintenant, montreen main, c'était sûr, sans en avoir l'air, la nuitfinissait.

Les tankistes s'ébrouaient dans la paille.L'un d'eux avait entonné solennellement le

Beau-Danube -Bleu la grange entière en rigo-lait. Un long tankiste sortait, les bras dans la

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nuque, comme un prisonnier, mais pour segratter entre les omoplates.

Hé Poète Comment que tu les appel-les, déjà, ces outils ?

Des, panzerfaust.

On l'appelait « Poète ». C'était le seul étu-diant de la bande. Il cachait quatre livres dansson barda. Il ne s'emballait guère sur le Bouf-fer, le Boire et le Baiser. Il avait même parfoisdes airs de penser à autre chose. Un poète,quoi. Et le sobriquet allait avec la noncha-lance de ce long garçon sans muscles et sansos apparents.

Tu poses le tube sur ton épaule, tu vises,tu tires, la charge part, le tube te reste dansles doigts, et le char saute. En somme, c'estun lance-rockett, leur bazooka à eux.

Un moteur de G.M.C. tournait déjà à l'au-tre bout du village. Les chiens aboyaient. Leclapotis s'atténuait sur la route l'espace étaitde plus en plus grand entre les groupes decivils. Dans ces creux, on entendait le réveil

des oiseaux. Un command-car passait en grin-çant. Le ciel noir bleuissait enfin. L'air étaittiède. La flûte lancinante d'un goumier effa-çait soudain le chant des oiseaux et le piétine-ment des civils. Les brêles lui répondaient enbraiments. L'odeur du café gagnait le village.

Un panzerfaust perce deux cents mil-limètres de blindage.

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Notre pauvre Saturne, avec ses soixante-seize ^millimètres, peuchère

Le Barbu « organisait » le petit déjeuner.Le « Barbu », c'était le philosophe des trois« B », Becqueter, Biberonner, Besogner. Onl'appelait aussi le « Parigot », ou encore« Bougnat », parce que, comme tous les Pari-siens, il était Auvergnat, mais surtout le« Barbu », à cause de son collier, « Barbouze »ou « Paillasson », pour raffiner.

La manie des surnoms était née d'une néces-

sité dans une cantine où braillaient fantas-

sins, cavaliers et artilleurs d'une douzained'unités différentes, il valait mieux demander,les doigts au menton, « avez-vous vu leBarbu ? » que de s'enquérir de Paul Bourrard.

« Au titre des réparations », le Barbuétrennait son butin de la veille un bocal de

cinq litres de marmelade. Les cinq cavaliers dutank « Saturne » vivaient en famille. Ma-

riusse, le Poète, le Barbu, le « Polaque » et le« Miston ».

Le Polaque, dit aussi le « Vieux », un mi-neur, qui s'était porté volontaire dans la bri-gade polonaise en 1939, juste à temps pour êtrede l'expédition de Narvik, qui en était revenujuste à temps pour être dans le coup de Dun-kerque, qui avait réussi in extremis à gagnerl'Angleterre pour entrer dans les F.F.L. Ilétait toujours arrivé à temps partout Cyré-

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naïque, Tunisie, île d'Elbe, Italie, Provence,Bourgogne, Alsace, Rhin, Allemagne.

Le cinquième tankiste du Saturne était leMiston, autrement dit le « Bleu », un enfanttombé du dernier arrivage, Samuel Bloch, or-phelin comme son nom l'indiquait. Personnen'avait pensé à le surnommer le « Juif ».

Le jour n'était pas encore levé que l'équi-page du Saturne tapait dans la véritable mar-melade chleuh. De sucre ou de saccharine, de

fruits ou de rutabagas, ni solide ni liquide, vi-vante, bouleversée au moindre choc d'un four-millement d'animaux nocturnes, émettant deces bruits singuliers dont la légende a fait desvoix, de ces lueurs vagues, de ces ombres fugi-tives dont la légende a fait des spectres, laveodorante et fantastique, allemande, allemande,sang bleu de l'Allemagne, la marmelade fai-sait chleuh chleuh, en passant leurs lèvres, pois-sait leurs mains jusqu'au poignet, grumelaitdans le paillasson du Barbu. Ils en restaient surleur faim avec des haut-le-cceur.

Vous avez pas entendu comme des or-gues, dans la nuit ?

Le « Paysan » avait posé la question en ar-rivant, avec sa démarche pliée de faucheur, sonbazooka sur l'épaule. Orphelin d'un hameaumourant de la basse Lozère, il n'avait parlé quele patois jusqu'à l'âge de onze ans où il avaitété adopté par un vieux pasteur. Ses idées, sonvocabulaire sortaient de la Bible, tout raides.

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Il était contre la violence. Mais, pour les ba-zooka, il avait du génie au jugé, il plaçaitle premier rockett dans le mille. Chacun sesopinions, n'est-ce pas ? Le Paysan et le bri-gadier Jules montaient une jeep d'escorte duSaturne. La famille du tank les avait depuislongtemps annexés.

Il en a défilé, du populo, cette nuit Etdes civils qui viennent vers nous, c'est bien lepremier coup qu'on voit ça C'est drôle, tutrouves pas, Poète ?

Oui, c'est drôle.Des réfugiés à l'envers, quoiRéfugiés de mes deux, ouiJules, il est pas encore là ?Té En arrivant, hier, il s'est occupé de

la question « gretchen ».Moi, on m'a dit de chauffer le tank, j'y

vais, faut s'y prendre à l'avance, avec ce clou.Attends le Polaque Qu'on s'offre une

coupe et un cigare.Dans un entrepôt de Karlsruhe, ils avaient

récupéré deux cents caisses de champagne. Illeur en restait encore une bonne provisiontransvasée dans des jerricans et des bidons. ADonaueshinguen, sur une voie de garage, ilsétaient tombés sur quarante wagons de cigares.Pour en transporter le plus possible, ils enavaient bourré des enveloppes de matelas.

Comme tous les matins, Poète allait tournerautour du tank, un char moyen américain, un

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Sherman de trente tonnes armé d'un canon

de soixante-quinze et de deux mitrailleuses.D'autres tanks portaient des noms de villes, deprovinces, de batailles; lui, il s'appelait « Sa-turne ». Les lettres blanches s'estompaient sousla crasse de ses flancs vert-de-gris. La tourelleen avant, le Saturne tendait son canon comme

un éléphant de zoo mendiant une banane. Sesréveils étaient de plus en plus pénibles. Il éruc-tait, pétait, toussait, fumait, puait. Le Po-laque jurait. Sur le petit phare avant tremblo-tait, froissée, une fleurette de tir forain quele Barbu y maintenait pieusement. La guerrefinissante pétillait sur la langue, dans la sen-teur des cigares trop secs. Sous les appentis,d'autres cavaliers du peloton de reconnaissancetournaient autour de leurs véhicules, auto-

mitrailleuses, canons d'assaut, dodges et jeeps.Le chef du peloton, le sous-lieutenant Jacquesd'Avéjan, n'était pas encore de retour du P.C.de l'escadron. Le petit jour était farineux, grisde guerre, farine à pain noir. Quelques civilslongeaient encore la ferme avec, comme ungeste d'excuse, les narines froncées. Les vapeursd'essence et d'huile, c'étaient les odeurs in-times du réveil des blindés. Un seul chien

aboyait. Le Polaque essayait la tourelle et leSaturne faisait signe que non, de sa trompecalibre soixante-quinze. La flûte du goumierse maintenait sur les trois mêmes notes, re-prises dans le même ordre, et l'on savait qu'elle

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pouvait s'y maintenir des heures durant, desjournées durant, que le monde entier devien-drait fou, mais que la flûte du goumier semaintiendrait sagement sur ses trois notes, lesmêmes. L'avoine était distribuée les brêles

s'étaient tus.

Les gars, si on allait pisser dans le Beau-Danube-Bleu ?

La dernière véritable bataille s'était dérou-

lée à Donaueschingen, « Les Sources du Da-

nube ». Après le ramassage des blessés et desmorts, après la harassante fracture des blin-dages pour en extraire les tankistes carbonisés,la famille du Saturne était allée en promenade.Elle s'était rendue dans le parc du château desprinces de Fürstenberg. Sur la vasque de mar-bre entourée des statues de Diane et de ses

nymphes, sur ce berceau du Danube, elles'était penchée, la famille du Saturne. Lessept garçons s'étaient vainement recueillis surce filet d'eau. Après, ils avaient joué à cache-cache dans les immenses salles du château, sansun coup d'oeil pour les toiles de la Passion Grisede Holbein, sans s'arrêter au portrait de Wal-lenstein, le condottiere. Enfin, ils avaient des-cendu sur les fesses les rampes du grandescalier de marbre. Les jours suivants, parTuttlingen, Nendirîguen, Fridingen, Hausen,Inzigkofen, ils avaient suivi le même ruisseaudouteux, le Danube. A Sigmaringen, ilsavaient traîné en badauds autour du château

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perché, « berceau des Hohenzollern », dernièreretraite du maréchal Pétain et de ses fidèles.

Pendant que la Sécurité Militaire en épluchaitles poubelles, l'équipage du Saturne cherchaittoujours « delikatessen, schnaps et gretchen ».

Sur la route passaient encore quelques civils.La Forêt Noire était loin derrière. Les sa-

pins cédaient les collines aux houblonnières.Le petit jour farineux révélait à regret lescinq fermes basses de Sandersingen. A la lisièredes bocages, à l'abri des clôtures, s'agitaientdes fantômes. L'enfant de Mahomet, carré sur

ses trois notes, égales, opiniâtres, poursuivaitson aubade à faire grincer les dents.

Débraguettés, en ligne, les pieds dans le pis-senlit, les cavaliers du Saturne « se changeaientl'eau aux olives », selon l'expression de Ma-riusse.

Té Même qu'il va s'en payer un drôlede voyage, notre champagne

L'Allemagne, l'Autriche, la Hongrie, laTchécoslovaquie, la Yougoslavie, la Roumanie,la Bulgarie, puis le delta sur la mer Noire.

Sacré poète, vaDeux hommes, cinq femmes et un vieillard

les observaient. Ils avaient campé en borduredu sentier, sous une toile cirée imprimée d'edel-weiss. Rassurées, les femmes disposaient surdeux serviettes des couverts de pique-nique.

Ils ont presque pas de bagages,peu-chère

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Et ils sont pas pressés. On dirait qu'ilsattendent que ça passe.

La plus jeune des femmes avait tiré un bébéde dessous les edelweiss et lui donnait le sein,avec un sourire pour les tankistes.

Le dernier chien de garde de Sandersingens'était remis à hurler, au comble de l'indigna-tion. Les tankistes tiraient sur leurs cigares.Le Paysan n'en démordait pas il avait entendudes orgues. Derrière la frange des sapins, der-rière les collines, imperceptiblement, l'aube sedorait. Sur toute la largeur de la route, unedouzaine de messieurs en redingote, en hautde forme, avançait, le pas solennel. Le pre-mier marchait détaché, six pas en avant.C'était un grand vieillard, recourbé en arrièrecomme un sabre de uhlan, les moustaches blan-

ches en crocs, à la Kaiser.

Sprechen-sie deutsch, Bitte schoen ?Bitté de mes deux

Les six cavaliers gloussaient. Un mégot decigare, craché avec précision, atterrissait à lapointe des bottines. D'ici, le regard découvraitla route sur plus d'un kilomètre. Elle était videmaintenant.

Par plaisir, s'il plaît à vous, je voudraisparler moi au votre officier.

Il avait quitté son gibus, claqué les talons,s'était incliné.

Le lieutenant, té, il est pas encore ar-

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