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LA MACHINE

HUMAINE

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DU MÊME AUTEUR

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A LA MÉMOIRE D'UN ANGE

GABRIEL VERALDI

LA MACHINE

.1 HUMAINEroman

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GALLIMARD

5, rue Sébastien-Bottln. Paris VII,133' édition

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Il a été tiré de l'édition originale de cet ouvrage,quarante-trois exemplaires sur vélin pur f il Lafuma-Navarre, dont trente-cinq numérotés de 1 à 35, et huit

exemplaires, hors commerce, marqués de A à H.

Il a été tiré en outre sept cent cinquante exemplaires survélin labeur, reliés d'après la maquette de Mario Prassinos,dont sept cents numérotés de 36à735et cinquante, hors

commerce, numérotés de 736 à 785

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptationréservés pour tous les pays, y compris la Russie.

Copyright by Librairie Gallimard, 1954.

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A combien d'inventions d'aucuns sont contraints de

recourir, pour éloigner une certaine inquiétude inté-rieure qu'ils redoutent et dont ils ignorent l'origineHélas1 c'est parce qu'il y a en eux un esprit déchu, unfeu sombre et douloureux, qui n'a jamais connu sonsoulagement et se cherche, et crie au secours à chaquecessation de joie séculière.

William LAW.

ROMAN Œuvre d'imagination, récit en prose d'aven-tures imaginaires, inventées et combinées pour inté-resser le lecteur. Récit dénué de vraisemblance.

Chimère, utopie.Dictionnaire LAROUSSE.

Cette définition entraîne le corollaire que toute ren-contre de noms, de circonstances ou de caractères est

une coïncidence, dont je supplie qu'on veuille bien m'ex-cuser. Personnalités historiques, lieux, hypothèses ne sontutilisés ici que dans un but romanesque. Il faudraitd'ailleurs être bien pervers pour ne pas voir que lemonde où vivent mes personnages est manifestementimpossible.

G. V.

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CHAPITRE I

« Je suis resté au bureau avec Abel. »Vattier s'assit sur le bord du lit, l'air accablé.« Futur-Magazine nous donne un travailfou. » C'était un bon mensonge, sans détailsinutiles, soutenu par l'autorité du patron etpar l'impératif masculin des affaires.

« Mon pauvre chéri » Monique caressales cheveux de son mari. Il se prêta au gestematernel, en détournant les yeux en fait, ilavait passé la soirée au cinéma, incapable, aumoment où il arrivait devant l'immeuble, derentrer chez lui et de subir la présence de safemme. « Je parie que tu n'as pas dîné. »

« A vrai dire, nous n'y avons pas pensé.Tu connais Abel les affaires, rien que lesaffaires »

« Je vais te faire chauffer une soupe. »Vattier maintint sa femme d'un geste

ferme

« Merci, ma chérie. Je vais manger seul.J'ai encore besoin de réfléchir. Futur-Maga-

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zine sort la semaine prochaine et nous avonsmille détails à préciser. »

« Bon » Monique cacha avec effort sondésappointement. « Il y a du veau piqué, unesalade et du roquefort dans le frigidaire. »

Vattier se leva, exagérant un peu les mar-ques de la fatigue.

« As-tu de l'aspirine ? »« Je crois qu'il en reste dans la pharmacie.

Je vais voir. »Ne te dérange pas, ma chérie. Je trouve-

rai bien. A tout de suite. »

Il s'arrêta un instant près du berceau, sou-rit et referma sur lui la porte de la salle debains, soulagé d'avoir trompé Monique. Deuxcomprimés d'aspirine disparurent dans la vi-dange du lavabo, par luxe de précaution.Après tout, ce n'était pas un crime de passerdeux heures au cinéma. Combien de maris

pouvaient ne pas s'accuser de fautes plusgraves, après cinq ans de mariage ? Oui, com-bien ? La bonne conscience pharisienne d'Ed-mond Vattier tint jusqu'à la deuxième tranchede veau piqué. Mais l'acte machinal de se nour-rir lui laissait le temps de penser et le sens vraide son mensonge se présenta bientôt avec assezd'évidence pour qu'il fût plus raisonnable pourson repos de l'examiner que de le refouler dansle maquis de la conscience. Aux yeux de l'Opi-nion Publique, il était sans reproche, puisqu'ildonnait assez d'argent et de tendresse, puisqu'ilne touchait pas à d'autres femmes et que le

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mot tromper se limite à cet acte. Mais Vattiervoyait, avec quelle lassitude qu'un entraîne-ment de l'appétit serait moins grave que cettehorreur profonde de vivre avec Monique. Engestes et en paroles, il n'avait pas changé; seu-lement, tout ce qui en l'homme fait sa proprevolonté se révoltait contre cette attitude. Le

plaisir, par exemple, n'était plus que sexuelle simple fait d'avoir une femme comme ona une voiture ou un réfrigérateur. Elle n'étaitplus l'être unique entre tous, l'intermédiaireentre lui et l'absolu qui donne une raison devivre ou plus exactement empêche de se poserla question.

Pendant quelques mois, il l'avait détestée.C'était pénible, très pénible de haïr; mais, dumoins, un être détesté occupe le cœur à safaçon. Bien des couples vivent trente ans dansune sorte de guérilla conjugale. Si l'un meurt,l'autre manifeste un chagrin que les amis trou-vent extravagant et hypocrite. Il est réel,pourtant. On se marie pour le meilleur et lepire de la fortune; aussi pour le meilleur et lepire de la nature humaine, et les humainsaiment à haïr. L'épouse satisfait les désirs éveil-lés par d'autres femmes et les colères impossi-bles à exercer sur d'autres êtres, ou la simplemauvaise humeur qui, sans emploi, intoxique.Les scènes de ménage, les insultes sans consé-quences sont aussi saines que l'affection et leplaisir. Même si les réconciliations ne se fontpas avant le coucher du soleil, comme le veut

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la Bible, elles se font un peu plus tard et celareste efficace. Oui, mais Monique n'était plusun partenaire suffisant, même pour ce genred'union qui, autrefois, le faisait rire, où l'onprend parti d'un être pour le confort physi-que, émotif et social qu'il donne. A la curiositéd'elle, de ses habitudes, de ses goûts, de sesrêves, succédait celle de savoir comment ilavait pu en être curieux. De là une terriblelucidité qui s'étendait à toute sa vie. Et, au-delà, à tout ce qu'était le monde. Il découvraitque tous les humains vivent dans un demi-sommeil, drogués par la routine quotidienne,hebdomadaire, annuelle, dans une successionvertigineuse de cercles qui fuient à l'infini.Choisir entre une entrecôte et une choucroute

garnie, entre un costume marron ou un griscroisé, entre le cinéma et une promenade surles boulevards, le parti radical ou les indépen-dants, la Savoie ou la Bretagne, et la ration despasmes émotifs grâce aux magazines, aux cri-ses politiques et aux championnats de football.En escaladant les couches sociales, on remplacele cinéma par les ballets du Marquis de Cuevaset la Savoie par Venise, les bavardages chez lecrémier par les conversations chez les Untel.Mais, plus ou moins raffinée, la drogue restela même.

Vattier tirait bien quelque orgueil de cettelucidité, mais il n'était plus à l'âge où cela suf-fit. Il aurait préféré être heureux. Mais quellemédication énergique le rendrait au somnam-

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bulisme qui permet de voyager sans trop d'in-confort de la clinique au cimetière ? Aucunene convenait à son tempérament. L'alcool ? Ilavait le foie fragile. La débauche ? Il était troptimide, trop pénétré de petits soucis bourgeoisqu'il raillait en vain. La religion ? Dieu estmort. La conviction politique ? Vingt ans plustôt, les gens prenaient un intérêt illimité à selancer joyeusement à la figure des idées géné-reuses et, quand l'occasion se présentait, desinjures ou des chaises de jardin. Mais Vattier,comme la majorité des hommes de son âge, necroyait plus en les idoles civiles et militaires,après le ballet des alliances, les démentis caté-goriques confirmés le lendemain et les prin-cipes intransigeants qui transigeaient dans lesquarante-huit heures. On ne savait même plusquel était l'ennemi héréditaire, situation nou-velle et paradoxale. Pour la plupart des hu-mains, un jugement suspensif est non seule-ment difficile à comprendre, mais douloureuxà tolérer. Et quand toutes les conventions,toutes les illusions, tous les accommodementsavec le ciel et la terre en viennent à cette équi-voque intolérable. Quand tous les terriers sontobstrués, de la chaude cachette familiale aux la-byrinthes de la théologie et du nationalisme, oùdiable peut-on se réfugier pour dormir ?

Et il n'aimait plus Monique. Malheur anti-que et banal mais il était plus grave en 1954qu'autrefois de ne plus être amoureux. Ce n'estpas d'aujourd'hui que la sagesse chinoise com-

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pare le mariage à une forteresse assiégée ceuxqui sont dehors veulent entrer, ceux qui sontdedans veulent sortir. Mais, alors, il y avait auciel, sous la terre et dans la nuit marine desdieux cruels, des immortels jaloux, des puis-sances invisibles que l'on savait difformes etavides de sang, qu'il fallait remercier pour lemoindre bienfait. Nous autres, Occidentaux,nous avions changé tout cela et signifié à l'Or-dre des Choses que les hommes ont un droitimprescriptible au bonheur. Ce qui faisait quele pauvre amour se mourait d'épuisement,chargé à s'en briser les reins de tous les espoirsdes hommes, tandis qu'une bonne part de lagrande littérature et de la petite s'échinait àmettre la passion amoureuse, l'érotisme, toutce qui tient de loin ou de près à la fonctiongénitale en forme d'absolu. Vattier méditaitsombrement, bien que le roquefort fût à point,juste assez gras et discrètement veiné de moi-sissures vertes.

Monique avait toutes les qualités, seulementil ne l'avait pas épousée pour elle, mais contreKitty. Kitty, avec son long corps, ses silencesde Sphinx et son art professionnel de séduire.Leur liaison faite de nuits tumultueuses, devéritables orgasmes de vanité quand il la pro-menait à son bras, de scènes où la croûte froidede son éducation craquait dans un jaillissementde rage, quand elle avait rendez-vous avec unacheteur important, ou un de ces chroniqueursqui font la pluie et le beau temps dans le

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monde. Elle avait la politesse de lui mentir,sans prendre vraiment la peine d'être vraisem-blable, juste pour ménager son amour-propre,alors que Vattier souffrait d'une jalousie plusdouloureuse que la mort.

« Mais tu es si vieux jeu. Nous ne sommesplus en 1900, mon chéri. Et puis je veux faireune carrière, quoi Toutes les filles fontcomme moi. Ça n'empêche pas que je t'aime,toi seul. Et puis je ne te trompe pas, puisquetu le sais. » « Mais patiente un peu Tu asvingt-deux ans, ta vie n'est pas finie. Laisse-moi le temps de gagner de l'argent. Tu aurasbientôt tout ce que tu veux, et un rang social.Mais au fond, tu t'en fous. Ce n'est qu'un pré-texte. La vérité, c'est que tu es une hystérique,une nymphomane, une garce de naissance. »

Elle avait enfin saisi l'occasion d'une tour-

née de haute couture en Amérique du Sud pourpartir, à contre-cœur mais à bout de nerfs, lelaissant malade de passion. Il avait poursuiviune de ces longues convalescences où l'on sesent faible pour le reste de ses jours. Moniqueétait la seule dactylo des Editions Générales Pa-risiennes, fondées par trois amis avec la volontéde révolutionner l'édition et sauvées in extre-

mis de la faillite par l'intervention de Marou-zeau. Si fraîche, avec sa jupe plissée et ses jer-seys multicolores Si pure, si candide, uneenfant Elle croyait en tous les impératifs. Enson travail, au mariage, à la maternité. Cen'était pas pour elle des conventions néces-

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saires, mais des valeurs bonnes en soi et pourl'éternité. Vattier continuait à se faire minu-

tieusement souffrir (ma bien-aimée a pris lechemin de Buenos-Aires), tout en observantsa dactylo. Il croyait toujours voir Kitty àchaque coin de rue, mais les heures où il souf-frait s'amenuisaient comme le jour en automne.Le matin, après le sommeil où l'organisme tra-vaille à réparer les idioties de la veille, il se sen-tait pris dans un heureux engourdissement,jusqu'à ce que le moi retrouve le registre de sesfantaisies douloureuses. Monique était là, lenez un peu rougi par le froid (c'était l'été enArgentine), avec son col claudine et ses yeuxpurs. La garçonnière que Vattier partageaitavec un ami était un champ de bataille, lutteinégale de deux célibataires contre les forcesde l'ordre, représentées par la concierge quivenait trois heures chaque jour. En rentrantdu bureau, il regardait les fenêtres éclairées,un coin de plafond, une lumière chaude, l'om-bre d'une femme ou d'une petite fille, une es-sence de bonheur simple et d'intimité. Lesrationalisations étaient mûres Edmond avait

vingt-cinq ans, les idées de son père, juge enprovince, ne lui semblaient plus si sottes. Sarévolte romantique au nom de l'union libre etdu non-conformisme s'enlisait dans un chemin

mort et il n'était pas homme à explorer uneterre inconnue. A distance, la maison qu'ilavait honni selon les meilleures traditions gi-diennes ne paraissait plus si infernale. Le vague

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désir, que lui donnait le malheur sentimental,d'aller se réfugier vers maman se traduisait enenvie de reproduire à son usage la paix, la tié-deur, la sécurité d'un foyer. Un petit chatavait servi de catalyseur. Monique l'avait ap-porté un matin, pour le sauver de la noyade,en bégayant qu'il y avait certainement dessouris. ou même des rats, et que. elle avaitpensé. naturellement, si elle avait tort. Vat-tier avait ri, avait joué avec la bestiole. Lesmains s'étaient rencontrées sur la minuscule

fourrure, un baiser, plusieurs rendez-vous,confidences, fiançailles et enregistrement de-vant les autorités compétentes.

Maintenant, Bagheera était un gros matou àl'ceil jaune, qui leur avait donné du soucipendant les premiers mois de Claude, car ilaimait le bébé et voulait se coucher dans le ber-ceau, au risque d'étouffer l'enfant. Mais iln'était pas question de se débarrasser du chat,pas question de se débarrasser de Monique. Leschoses établies dans un moment extraordinaire

demeuraient, avec tout le poids de leur inertie,dans les circonstances ordinaires. Moniquel'ennuyait à mourir, mais il en était le premierresponsable elle avait une personnalité, autre-fois. Certes pas une personnalité de luxe, maisune bonne originalité de série. Il avait insistépour qu'elle ne rencontre plus ses parents, desgens très respectables, mais dont le métier etles habitudes choquaient Vattier, pourvu detout l'intense snobisme de la petite bourgeoisie

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qui doute à juste titre de ses privilèges. Il avaitguidé les goûts, les lectures, les opinions de safemme, belle revanche après s'être cassé lesdents contre le caractère tenace de Kitty. Mo-nique s'était soumise avec enthousiasme à ceremodelage, car son amour allait au-delàd'avoir un mari; obscurément, elle voulait êtrece mari, effacer jusqu'aux limites de l'impossi-ble la distinction entre elle et lui. Elle en avait

presque oublié ses souvenirs d'enfance, commesi elle était née dans le petit bureau des Edi-tions Générales Parisiennes.

Et maintenant Edmond Vattier contemplaitavec horreur un décalque de lui-même, dont ilsavait tout ce qui peut se savoir et le reste. UneNémésis subtile avait accordé ce qu'on dési-rait, avec une générosité féroce il avait vouluune femme absolument fidèle, soumise, lecontraire de Kitty, pour ne plus jamais, ja-mais souffrir. Monique était absolument fidèle,soumise et il souhaitait presque qu'elle le trom-pât. Non seulement pour avoir un motif rai-sonnable de détester sa femme, mais pour neplus être suivi et imité comme par une ombre.Il avait eu un retour de tendresse le jour où,feuilletant par hasard un magazine de mode,il était tombé sur deux portraits de Kitty pré-sentant les robes d'un couturier. L'un était

orné de moustaches et de sourcils. L'autre, plusfinement cruel, marqué des rides qui vien-draient dans trente ans sur ce charmant visage;Monique avait dessiné avec passion, avec, aussi,

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