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25 juin 2022 Charly Gaul a exercé son métier de coureur cycliste professionnel de 1953 à 1965 ce qui explique qu’il n’a jamais été testé positif, notamment sur le Tour de France, puisque les contrôles antidopage ont commencé l’année suivant sa retraite. En revanche, des faits révélés par les douanes et plusieurs témoignages accréditent la consommation d’amphétamines par l’Ange de la Montagne. Régulièrement, afin d’expliquer les défaillances du Luxembourgeois, lui- même et la presse en général, invoquaient les fortes chaleurs. En réalité, Gaul ne supportait pas les doses massives d’amphétamines lorsqu’il faisait chaud alors qu’au contraire ces dernières, les ‘’amphets’’ le sublimaient lorsque la froidure s’abattait sur la course. En revanche, Jacques Goddet, l’emblématique patron du Tour, contemporain du Luxembourgeois qui, afin d’expliquer les défaillances brûlantes de ce dernier, y voyait, non pas une inaptitude physiologique d’origine mystérieuse, mais plutôt l’abus de doping associé aux coups de bambou du dieu Râ. Cet avis d’un homme rompu à l’observation des géants de la route – cinquante Tours de France dans les roues - nous semble le plus crédible même si l’adaptation aux températures extrêmes diffère légèrement chez les coureurs entraînés. Un coureur très complet En ce qui concerne le double vainqueur du Grand prix de la montagne 1955- 1956, sur sa biographie non autorisée par le milieu cycliste, il faut signaler trois idées reçues : catalogué grimpeur exclusif, il était en 1

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17 mai 2023

Charly Gaul a exercé son métier de coureur cycliste professionnel de 1953 à 1965 ce qui explique qu’il n’a jamais été testé positif, notamment sur le Tour de France, puisque les contrôles antidopage ont commencé l’année suivant sa retraite. En revanche, des faits révélés par les douanes et plusieurs témoignages accréditent la consommation d’amphétamines par l’Ange de la Montagne.Régulièrement, afin d’expliquer les défaillances du Luxembourgeois, lui-même et la presse en général, invoquaient les fortes chaleurs. En réalité, Gaul ne supportait pas les doses massives d’amphétamines lorsqu’il faisait chaud alors qu’au contraire ces dernières, les ‘’amphets’’ le sublimaient lorsque la froidure s’abattait sur la course.En revanche, Jacques Goddet, l’emblématique patron du Tour, contemporain du Luxembourgeois qui, afin d’expliquer les défaillances brûlantes de ce dernier, y voyait, non pas une inaptitude physiologique d’origine mystérieuse, mais plutôt l’abus de doping associé aux coups de bambou du dieu Râ.Cet avis d’un homme rompu à l’observation des géants de la route – cinquante Tours de France dans les roues - nous semble le plus crédible même si l’adaptation aux températures extrêmes diffère légèrement chez les coureurs entraînés.

Un coureur très completEn ce qui concerne le double vainqueur du Grand prix de la montagne 1955-1956, sur sa biographie non autorisée par le milieu cycliste, il faut signaler trois idées reçues : catalogué grimpeur exclusif, il était en réalité un coureur complet ; bien avant Greg LeMond, il n’avait qu’un seul objectif, le Tour de France et enfin, il résistait beaucoup mieux au froid non en raison d’aptitudes surnaturelles, mais parce qu’il était un gros consommateur d’amphétamines.Après les affaires du milieu des années 2000 qui ont secoué le Landerneau cycliste, et particulièrement celles des Américains Tyler Hamilton et Lance Armstrong, de l’Espagnol Roberto Heras, du Lituanien Raimondas Rumsas et du Français Laurent Roux (incarcéré huit mois pour trafic de pot belge), le décès de l’Ange de la Montagne le 06 décembre 2005 a permis à la famille cycliste de se refaire une santé en s’épanchant sur un sujet fédérateur : l’hommage à un géant du peloton bien sous tous rapports !

Repères Charly Gaul

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ÉTAT « CIVIL » Né le 08 décembre 1932 à Luxembourg-Ville (Pfaffenthal) Décédé le 06 décembre 2005 à Luxembourg (embolie pulmonaire)

LONGÉVITÉ 72 ans et 363 jours

CARACTÉRISTIQUES MORPHO-PHYSIOLOGIQUES Taille : 1,72 m Poids : 63 kg (forme), 58 kg (TDF) – 72 kg (hiver), 104 kg (1993), 63 kg (1994) (?)

« Moi qui, pour 1,72 mètres ne pesais que 58 kilos quand j’ai gagné le Tour, j’étais devenu gros comme un cochon : 104 kilos. » 1

Capacité pulmonaire : 7,2 l (?) Fréquence cardiaque au repos : 40 par minute Tension artérielle : 13/9 (?) Sommeil : 12 heures

SURNOMS l’Ange de la Montagne (par le journaliste de L’Équipe, Pierre About) l’Ange de Chaubouret (col où il fut surnommé l'Ange de la Montagne) l’Ange des Rocheuses l’Aigle des Rocheuses l’Aiglon des Alpes Chéri Pipi (par Antoine Blondin : Tour d’Italie 1957) le Grand Douché (par Antoine Blondin : TDF 1958) Monsieur Pipi Luxembourgeois gentilhomme le Mec nageur (par Louison Bobet) Campionicimo le Bonhomme de pluie le Roitelet grand-ducal Séraphin de la bicyclette Chérubin de la montagne l’Ancien boucher de Bettembourg l’Archange de la montagne l’Arrampicatore (les Italiens)

PALMARES113 victoires dont 56 chez les professionnels

RAYON BIOGRAPHIES : quatreGaston Zangerlé. – Charly Gaul l’Ange de la Montagne et son époque. – Luxembourg (LUX), éd. Saint-Paul, 1988. – 128 p

Amnésie collective

1 Sport et Vie, 1997, hors série, n° 6, mai, pp 72-73 (p 72)

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Or, que ce soit dans les dépêches d’agence de presse ou les quotidiens, il n’a été fait mention nulle part que Charly Gaul « se soignait » comme Armstrong, Heras et compagnie. Belle amnésie collective. Une vision angélique serait de croire que le dopage organisé d’une équipe serait apparu en 1998 avec l‘affaire Festina et que les prédécesseurs d’Armstrong sur la plus haute marche des podiums du Tour de France étaient des adeptes des seules vitamines naturelles.Deux grands témoins sont là pour confirmer qu’il n’absorbait pas que de l’eau de source.

Tour de France 1957 : 2e étape Granville-CaenAbandon de Charly Gaul vaincu par la chaleur et La B….

[Miroir-Sprint, 21 juillet 1957, supplément au n° 581, pp 12-13]

C’est, par exemple, Jean Bobet, ancien cycliste professionnel contemporain du Luxembourgeois et sage parmi les sages, qui raconte dans un livre publié en 2004 2 : « Peu avant Varèse (Tour d’Italie 1957), Charly Gaul, émoustillé par le mauvais temps comme toujours, gesticule, se tortille, ne se tient plus. Je dis mon inquiétude à mon copain Marcel Ernzer, son équipier et confident, et le gentil Marcel me répond : « Tu sais, Jean, tout le monde en a pris aujourd’hui (des amphétamines) et Charly en prend plus que les autres quand c’est la guerre. »Autre témoignage à prendre en considération : celui de Jacques Goddet, le directeur du Tour qui, le 15 juillet 1958, le surlendemain de la victoire de l’Ange de la Montagne dans le contre-la-montre du Ventoux et le lendemain de sa défaillance dans l’étape Carpentras-Gap, écrivait dans L’Équipe 3 : « On constatait que Gaul ne parvient pas à récupérer après les gros efforts produits par la chaleur, ce qui laisse croire que l’homme use de produits stimulants qui, dans de telles conditions, ne passent pas… »

Températures extrêmes : des chauds et des froids

Certains s'acclimatent plus ou moins bien face aux montées du mercure. Médicalement, rien ne permet de déceler l'aptitude au froid ou au chaud de tel ou tel coureur. C'est une question de tempérament. Seule l'expérience personnelle des intéressés leur permet de connaître leurs possibilités. L'organisme possède à la base du cerveau un véritable centre de thermorégulation à réglage différent selon les individus. De plus, l’origine géographique de chacun n’est pas sans influence sur l’adaptation aux températures extrêmes. Par exemple, un Luxembourgeois sera beaucoup plus à l’aise dans la froidure qu’un Sicilien. Sous le soleil, ce dernier sera beaucoup plus fringant que l’homme du Nord de l’Europe. Le psychisme joue naturellement un très grand rôle dans l'accentuation de ces dispositions organiques. Tel coursier sait qu'il s'adapte parfaitement au froid et se décourage plus vite s'il fait chaud ; à l'inverse, tel autre se sent stimulé par le soleil et anesthésié par le froid. Enfin, d'autres s'adaptent au chaud et froid. Mais les médicaments, chez tout

2 Jean Bobet J. .- Demain, on roule. – Paris, éd. La Table Ronde, 2004. – 237 p (p 183)3 L’Équipe, 15 juillet 1958

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un chacun, comme les drogues de la performance chez les sportifs, influencent considérablement les comportements au repos mais surtout à l’effort.

Pour conforter ces avis autorisés, rappelons que pendant le Tour 1959 : « Les douaniers de la frontière franco-suisse interceptent un colis destiné à l’un des deux meilleurs grimpeurs du Tour (NDLA : il s‘agit du Luxembourgeois Charly Gaul. D’autres témoignages confirment que c’est bien l’Ange de la Montagne qui est en cause dans cette intervention des douanes) qui contient des produits pharmaceutiques dynamiques au possible ».

Une motion est adressée à l’Union cycliste internationale (UCI)Selon le compte rendu de l’affaire publié dans l’hebdomadaire sportif Miroir-Sprint 4, les organisateurs du Tour ont, à Saint-Étienne, réunis les soigneurs pendant plus de deux heures afin d’attirer leur attention « sur les dangers présentés par de telles pratiques et sur l’immoralité de la chose ». Avec l’appui du médecin du Tour, une motion fut rédigée et adressée à l’Union cycliste internationale (UCI) pour demander une législation régissant la profession de masseur-soigneur et instaurant un contrôle antidopage. De même, une enquête fut « diligentée » à la fois par les douanes et les commissaires sportifs du Tour. Aujourd’hui – plus de cinq décennies plus tard - on en attend toujours les résultats….Admettons qu’il n’était pas le seul puisque, déjà à la même époque, dans le journal organisateur lors du Tour 1959, il était constaté que : « Désormais, le doping fait partie de l’arsenal courant du champion et même du second plan. On se dope pour une place de vingtième, on se dope pour la course contre la montre, on se dope pour escalader un col, on se dope pour éveiller les nerfs… on se dope encore mais à rebours, pour dormir, le soir ! »

Miroir-Sprint, 1957, n° 578 A, 1er juillet, p 7

Lorsque les conditions climatiques sont exécrables

4 Miroir-Sprint, 1959, n° 684 B, 16 juillet, p 12

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En revanche, si l’on en croit plusieurs témoignages, dont celui déjà cité de son coéquipier luxembourgeois Marcel Ernzer : « Il en prend plus que les autres » et on peut ajouter, surtout lorsque les conditions climatiques sont exécrables (pluie, vent, froid). En effet, dès cette époque, on sait que les amphétamines (un stimulant), le dopant numéro un des années 1950, peut provoquer une hyperthermie maligne (une surchauffe) en réduisant la capacité de thermolyse (évacuation de la chaleur produite par la contraction musculaire). De nombreux cyclistes sont décédés en plein effort par des températures élevées alors qu’ils avaient « chargé la mule » avec des amphétamines. (Citons quelques exemples de décès par amphétamines et fortes chaleurs : le Français Jean-Claude Dielen au Championnat de France amateurs 1952, le Danois Knud Enemark Jensen aux Jeux de Rome en 1960, l’amateur suisse Paul Bigier en 1959, l’Anglais Tom Simpson sur le Tour de France en 1967,…)

Pas que les cyclistesMais pas que des cyclistes ! Rappelons qu’en février 2003, un joueur de baseball américain de vingt-trois ans, Steve Bechler, est mort pour cette raison. Il avait absorbé trois capsules d’éphédrine (un proche parent des amphétamines) avant l’entraînement. L’autopsie avait confirmé l’implication du stimulant dans l’insolation fatale. Dès la fin des années 1960 les cyclistes comprennent qu’il faut faire l’impasse sur les amphétamines lorsque la chaleur tutoie la barrière des trente degrés.

TÉMOIGNAGES À CHARGE1956 – Serge Lang (FRA), journaliste et quarante-neuf Tours de France ‘’au compteur’’   :

‘’   Des seringues dégoulinantes d’amphétamines ’’

Témoignage du journaliste Serge Lang qui a couvert de nombreux Giros et quarante-neuf Tours de France de 1950 à 1999 : « Charly Gaul gagne le Giro 1956 dans la tempête de neige qui fait rage dans les Dolomites en ce début du mois de juin. Sur la route du Monte Bondone, une dizaine de coureurs italiens se trouvent à tour de rôle en position de remporter le Giro. Les voitures s’arrêtent parfois. Les médecins se précipitent vers leurs coureurs, seringues dégoulinantes d’amphétamines pointées vers les muscles durcis par le froid glacial. Les photos font le tour du monde. Elles ne suscitent aucune réaction. »7

1957 – Marcel Ernzer (LUX), cycliste professionnel de 1949 à 1962   : «   Quand c’est la guerre, Gaul en prend plus que les autres   »

Témoignage de Jean Bobet, cycliste professionnel de 1951 à 1959 : « Peu avant Varèse (Tour d’Italie 1957), Charly Gaul, émoustillé par le mauvais temps comme toujours, gesticule, se tortille, ne se tient plus. Je dis mon inquiétude à mon copain Marcel Ernzer, son équipier et confident, et le gentil Marcel me répond : ‘’Tu sais, Jean, tout le monde en a pris aujourd’hui (des amphétamines) et Charly en prend plus que les autres quand c’est la guerre’’. » 8

1958 - Jacques Goddet (FRA), directeur du Tour de France de 1947 à 1987 : " Ce qui laisse croire que Gaul use de produits stimulants"

Texte du journaliste Pierre Naudin : « Le Tour 1958 montueux, aux étapes trop courtes, était conçu pour Gaul. Le Luxembourgeois gagna et M. Jacques Goddet, chaque jour, chanta ses louanges, ne voyant que lui dans le peloton. La défaillance du chouchou dans Carpentras-Gap, où Raphaël Géminiani le relégua à onze minutes, puis sa fulgurante remontée et sa victoire s'expliquent trop bien. Et ce n'est pas pour rien que le docteur Pierre Dumas protesta contre l'abus du doping.Le directeur de L'Équipe dut même écrire, le 15 juillet : "On constatait que Gaul ne parvient pas à récupérer après les gros efforts produits par la chaleur, ce qui laisse croire que l'homme use de produits stimulants qui, dans de telles conditions, ne passent pas’’ … » 9

7 Biorama - Vélo-International, 1998, n°53, p 98 Jean Bobet. – Demain, on roule… .- Paris, éd. La Table Ronde, 2004. – 237 p (p 183)9 Pierre Naudin . - La foire au muscle .- Paris, Les Editeurs Français Réunis, 1961 .- 384 p (p 285)

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Jaques Goddet

1959 – René Dunan (FRA), journaliste à France-Soir et au Journal du Dimanche

« Le docteur Pierre Dumas a bien fait saisir l’autre année (NDLA : 1959), à Saint-Etienne, des médicaments délivrés sans ordonnance, venant de Suisse et destinés à l’équipe mixte de Charly Gaul. » 10

TÉMOIGNAGE DE SOUTIEN : à contre-courantRaphaël Géminiani, homme protée de la petite reine, tour à tour cycliste professionnel de 1946 à 1960, deux fois sur le podium du Tour de France en 1951 (2e) et 1958 (3e), directeur sportif notamment de Jacques Anquetil, Lucien Aimar et Eddy Merckx (en fin de carrière), chroniqueur des exploits des forçats de la route dans la presse nationale et régionale, a écrit plusieurs ouvrages où sa mauvaise foi légendaire 11 s’en donne à cœur joie. Dans son dernier opus « Mes quatre vérités » 12 écrit en collaboration avec Jean-Paul Vespini du quotidien La Provence, il va pour la première fois de sa longue carrière de raconteur d’histoires romancées, prendre la défense de Charly Gaul : « Je voudrais montrer avec quelle facilité on peut, malheureusement, se faire de fausses idées sur les performances des champions. Je pense à Charly Gaul et à la mauvaise campagne dont il a été victime. En effet, la plupart des coureurs étaient persuadés qu’il avait trouvé un produit miracle qui fonctionnait parfaitement par temps de pluie. Et, en fait, c’est vrai que ses plus belles performances, Charly les avaient accomplies sous le déluge. Il semblait glisser sur l’eau. Alors chacun y allait de son couplet «ses médicaments passent moins bien sous la chaleur’’ et Gaul, effectivement, souffrait dès que le mercure grimpait. Le raisonnement se tenait d’autant que l’on sait très bien que les produits sont mieux absorbés par temps de pluie que sous la canicule, le foie les supporte mal. Eh bien c’est faux ! Charly n’utilisait pas de produits spéciaux, sa faculté à pédaler sous la pluie provenait de la spécificité de… sa peau. Les docteurs s’en sont aperçus sur le tard. Il avait un épiderme spécial, épais, anormalement renforcé, qui le protégeait mieux que les autres du froid, donc de la pluie mais l’étouffait sous la forte chaleur. C’est surprenant, sa peau était imperméable et nous on pensait qu’il avait une pharmacie spéciale ! Comme quoi on ne doit pas juger trop vite. » 13

Ce texte devrait figurer dans l’anthologie des galéjades consacrée à la Grande Boucle. Déjà, sur la quatrième de couverture de ce livre, on appâte le lecteur en affirmant que le « professeur de médecine » Géminiani « dénonce les drames de Tom Simpson, Roger Rivière et Fausto Coppi, tous victimes d’erreurs médicales ». A quel titre, peut-il argumenter une erreur de diagnostic ou de traitement ? Et là, à propos de l’Ange de la Montagne, pour expliquer les aptitudes de ce dernier face au froid et à la pluie, il nous sort qu’il avait une peau de batracien !Rappelons au spécialiste des histoires grotesques que la peau et la transpiration servent à évacuer la chaleur provoquée par l’hyperthermie de l’effort. Si un sujet possède par une bizarrerie

10 René Dunan. – Le sport et ses secrets. – Paris, éd. Hachette, 1960.- 228 p (p 142)11 C’est Géminiani qui accusa le Dr Pierre Dumas, médecin chef du Tour de France, d’avoir par manque de soins appropriés tué Tom Simpson sur les pentes du Mont Ventoux le 13 juillet 1967. C’est toujours le Grand Fusil, surnommé également le Grand C… par Louison Bobet, qui brocarda le même Dumas d’avoir fait une erreur de diagnostic en laissant tomber un poil de sa barbe sur les radiographies de la rotule du cycliste Albert Bouvet et d’avoir conclu à une fracture entraînant le retrait du Breton de l’équipe de l’Ouest au départ du Tour 1956. On pourrait écrire un gros livre des fausses histoires de « Gem » !12 Raphaël Géminiani. – Mes quatre vérités (avec la collaboration de Jean-Paul Vespini). – Paris, éd. Jacob-Duvernet, 2010. – 251 p 13 Ibid, pp 82-83

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de la nature une peau ‘’imperméable’’, le cyclisme de compétition s’avère impossible sans s’exposer au bout de quelques kilomètres à une hyperthermie maligne.Rappelons au spécialiste de la médecine de comptoir du café des sports que la température du corps augmente à l’effort. Cette augmentation est due aux grandes quantités d’énergie nécessaires pour faire actionner les muscles. En effet, l’énergie est libérée par la dégradation du glucose (sucre) et des lipides (graisses). Cette dégradation produit de la chaleur tout en augmentant la température du corps, une production de cinquante kilocalories (Kcal) suffit pour provoquer une élévation de un degré environ. Pour un effort d’une heure à allure soutenue, un cycliste professionnel consomme environ neuf cents kilocalories (variable bien sûr avec le poids du sujet, la vitesse du vent, le pourcentage de la pente, etc.) Dans cet exemple, la température du corps passerait, s’il n’existait aucun moyen de refroidissement, de 37° C à 55° C. La peau de ‘’batracien’’ n’est pas le meilleur moyen de lutter contre la surchauffe de l’effort, notamment dans les ascensions. Afin d’entretenir et de magnifier la légende des cycles, une certaine presse cycliste est toujours prête à se faire la complice du mythe. Or, Géminiani, qui est un bon client comme on dit dans les rédactions, sans se faire prier ne demande que ça.

Raphaël Géminiani (à gauche) et Charly Gaul ‘’l’homme à la peau de batracien’’

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Libres-échanges« Ne marche pas quand il fait chaud »

L’effort physique, suivant la température ambiante, provoque obligatoirement une augmentation de la chaleur corporelle de 1 à 2,5 degrés. C’est physiologique.Donc le corps d’un professionnel de la pédale est adapté grâce aux entraînements et aux compétitions successives à lutter contre la surchauffe. Dans certaines régions du globe particulièrement exposées aux rayons solaires, il peut s’avérer nécessaire de s’y rendre une semaine avant les épreuves afin de s’acclimater à cette contrainte inhabituelle. Donc affirmer que l’on ne supporte pas la chaleur alors que l’on est sportif de compétition en pleine force de l’âge démontre sa méforme (convalescent, après un arrêt pour blessure, surpoids, etc.) ou que l’on prend des médicaments qui agissent sur le thermostat central (régulateur de la température corporelle situé dans le cerveau.Les quelques citations regroupées ici illustrent cette dualité.

Pierre Barbotin (FRA), cycliste professionnel de 1948 à 1959 : « Quand il faisait orageux et lourd, je ne marchais pas. » [Coups de Pédales, 1990, n° 17, janvier-février, p 15]

Louison Bobet (FRA), cycliste professionnel de 1947 à 1961 : « Je comptais me distinguer dans la 8e étape Grenoble-Briançon du Tour 1947. Je l’aurais peut-être fait sans les cascades d’eau fraîche dégoulinant le long de la montagne… et qui remplissaient un peu trop souvent mon bidon. Le Galibier me vit passer, ramper plutôt, loin, si loin de Fermo Camellini, le vainqueur. » [in Bobet L.. – Mes vélos et moi. – Paris, éd. du Lys, 1951. – 211 p (p 77)]

Thierry Bourguignon (FRA), cycliste professionnel de 1990 à 2000 : « Les jours de forte chaleur, il m’arrivait de terminer l’épreuve avec des vertiges, dans les nuages. J’estime qu’il n’était pas anormal que je fusse en droit de laisser un médecin soigner ma fatigue, comme on soigne une maladie. N’est ce pas ne rien faire qui aurait été dangereux ? » [in « Bourgui, tours et détours ». – Paris, éd. Botega, 2000. – 193 (p 102]

Thierry Bourguignon

Robert Chapatte (FRA), cycliste professionnel de 1944 à 1954 : « En général, il semble que lorsqu’il fait froid, on puisse tout prendre [NDLA : dans la boîte à pharmacie spéciale performance]. Par temps chaud, cela devient très délicat. »[« Ce que je sais du dopage ». – VSD, n° 513, 02.07.1987]

Fausto Coppi (ITA), cycliste professionnel de 1939 à 1942 et 1945 à 1959 : « La trop grosse chaleur me fatigue » [NDLA : le Campionissimo était un consommateur régulier de ‘’La Bomba’’. Ses aveux datent de 1952 à la RAI : ‘’J’en prends pratiquement tout le temps] [But et Club, 1949, n° 202, 03 octobre, p 14]

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Fausto Coppi

Dr Pierre Dumas (FRA), médecin chef du Tour de France de 1955 à 1967 : « La chaleur sera terrible aujourd’hui (13 juillet 1967). Si les gars plongent le nez dans la topette (le dopage) nous risquons d’avoir un mort sur les bras... » [NDLA : rappelons que l’Anglais Tom Simpson, lors de l’ascension du mont Ventoux, est mort ce jour-là] [Télé 7 Jours, 04.08.1984]

Charly Gaul (LUX), cycliste professionnel de 1953 à 1965 :1. Propos recueillis par le journaliste René de Latour : Estimez-vous être toujours

vulnérable (comme en 1957) en cas de très fortes chaleurs ?

« Je les redouterai encore cette année, parce que je sais que, dans ces conditions, je marche moins bien, que je ne suis pas moi-même. Et je m’en fais un monde à l’avance. » [Le Miroir des Sports, 1959, n° 724, 12 janvier, p 4]

2. « En ce qui me concerne, mon abandon dans le Tour 1957 ne m’a pas desservi, bien au contraire. J’ai depuis appris à combattre la chaleur et je suis persuadé que, dans des circonstances identiques, je n’en serai plus victime. » [Le Miroir des Sports, 1959, n° 750, 02 juillet, p 36]

3. « Le Ventoux ! Ce n’est pas de l’air que l’on respire là-bas, mais du feu. Tout autour, cette chaleur atroce est rejetée par les rochers et les pierres. Et, tout là-haut, cette étoile (sic) qui brille et assèche le corps. [NDLR : il voulait parler du soleil]. En 1958, tellement j’avais soif, j’ai bu du vin rouge pour pouvoir terminer l’ascension. » [L’ É quipe , 03.07.1990]

Charly Gaul dans l’ascension du mont Ventoux

4. « Je n’aimais jamais la chaleur. Elle me fait souffrir. Je la supportais pendant une ou deux heures mais après, je ne pouvais plus faire de grands efforts sous le soleil. » [in « Charly Gaul l’Ange qui remontait le temps » par Louis-Dominique Simian. – Vélo légende, 1997, n° 2, nov.-déc.-janv., pp 13-15 (p 14)]

René de Latour (FRA), journaliste sportif, a suivi 38 Tours de France de 1928 à 1972 : « Heureusement, les coureurs, dans leur ensemble, commencent à être au courant de ces

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questions (incompatibilité chaleur/doping) grâce aux persévérants efforts de médecins sportifs tels le docteur Pierre Dumas. » [Le Miroir des Sports, 1959, n° 746, 15 juin, p 27]

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