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Extrait de la publication…signe et symbole de la progressive dépossession de soi, ce secret porte sur l'identité de l'inconnu qui doit lui ravir son trône. Enfoui en lui-même,il

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PREMIÈRE PARTIE

Une formule dramatiqueoriginale

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Que Gide se soit intéressé au théâtre plus qu'il ne l'alaissé croire ou qu'on a pu le dire, il serait difficile de lecontester. Qu'il ait eu des idées sur le théâtre, on ne peutle mettre en doute. N'oublions pas ce que Copeau disaitde lui qu'il en parlait « avec une intelligence souveraine,qui touche à l'essence de cet art». Certes, il n'a jamaisproposé une esthétique dramatique, une théorie drama-tique, même s'il s'est exprimé sur presque tous les aspectsinhérents au théâtre. Bien sûr, il est resté à travers ses

goûts, à travers ses réactions ou ses jugements dans laligne d'une tradition toute classique, refusant les expé-riences à ses yeux trop révolutionnaires et qui auraientécarté le théâtre de la littérature.

Mais Gide n'a pas seulement parlé du théâtre. Il a aussiécrit pour le théâtre, tantôt avec l'espoir d'être joué, tantôtne se préoccupant pas de la destination spécifique de l'oeuvreni de son sort futur. S'il existe des points de rencontreentre ses idées sur le théâtre et les œuvres dramatiquesqu'il a menées à bien, il est très difficile cependant derelever une corrélation systématique. Ces œuvres, il les a

1.Remarques intimes en marge d'un portrait d'André Gide », André Gide,Éditions du Capitole, p. 116; voir Cahiers André Gide 13, p. 575.

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écrites pour ainsi dire d'instinct, sans chercher à appliquerdes théories, sans s'appuyer sur les courants ou les formesdramatiques à la mode, sans se référer consciemment àdes modèles. Ainsi, Saül, Le Roi Candaule et Philoctète ont

été conçus avant qu'il ne rassemble quelques-unes de sesopinions dans « De l'évolution du théâtre » ou dans cer-taines « Lettres à Angèle »:

S'interrogeant sur l'esthétique de la création chez Gide,Daniel Moutote fait remarquer qu'<r on pourrait soutenirqu'il est, en tout écrivain, autant d'esthétiques que d'oeuvresou de groupes d'œuvres »; et de distinguer, dans l'œuvrede Gide, parmi d'autres esthétiques, l'esthétique tragiquede Saül, Le Roi Candaule, Œdipe La formule est inté-ressante mais restrictive. Le critique lui-même se rend biencompte des dangers de la classification qu'il propose dansla mesure où, explique-t-il, elle n'échappe pas à un incon-vénient « les chevauchements qu'elle provoque2 ». Il estclair que la résonance tragique n'accompagne pas seule-ment les trois drames qui sont cités et qu'il y a un tragiquelatent dans des récits comme L'Immoraliste, La Porte étroite

ou La Symphonie pastorale. Il est tout aussi clair que, siSaül, Le Roi Candaule et Œdipe représentent les trois grandsdrames de Gide et les plus connues de ses œuvres dra-matiques, on ne saurait se limiter à ceux-là seuls quandon parle de son théâtre. À chaque étape de sa carrièrelittéraire, Gide a cherché à donner à ses œuvres la forme

artistique qui lui paraissait la plus adéquate. Il est arrivéque ce soit la forme dramatique mais il l'a utilisée avecune grande souplesse, soit qu'il y ait recouru délibérément,soit qu'il ait voulu un dialogue dramatique moins orientévers la scène comme pour Philoctète ou Bethsabé, soit qu'ilait écrit ou tenté d'écrire des livrets d'opéra, soit encore

1. Daniel Moutote, Égotisme français moderne, p. 315.2. Ibid.

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que la forme théâtrale se soit imposée après coup, commeallant de soi, avec Le Retour de l'Enfant prodigue.

Du grand drame au petit traité, il y a là une réellediversité, garante d'une certaine originalité, d'un traite-ment personnel des formes dramatiques. Sans trop noussoucier pour l'instant des préoccupations dont Gide nourritsa production dramatique, des idées qu'il incarne dans despersonnages dramatiques nous voudrions repérer l'or-ganisation propre à ses œuvres théâtrales, dégager par làmême certaines caractéristiques qu'apporte le choix d'ungenre dramatique, que celui-ci soit plus ou moins avoué,nous demander si, par-delà la variété des œuvres, par-delàla diversité des formes et des tons, il ne se dégagerait pasune formule dramatique qui serait propre à Gide.

1. Ce sera, pour l'essentiel, l'objet de la partie suivante.

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I. LES FIGURES CENTRALES

C'est une banalité de constater que la plupart des œuvresdramatiques de Gide portent le nom du protagoniste,entendons le terme strictement au sens premier le per-sonnage jouant dans le drame le rôle principal Et pour-tant cette constatation a toute son importance puisque cha-cune des pièces est construite autour d'un personnage. Cene sont pas les situations dramatiques2 qui sont premières,ce sont les personnages dramatiques, plus précisément unefigure centrale. Le plus souvent, au théâtre, on a en facede soi des personnages placés dans une situation arbitraire,provisoire, engagés dans un rapport de forces en équilibreprécaire et dont la modification doit assurer la progressionde l'action. Rien de tel chez Gide. La donnée initiale n'est

pas arbitraire, à la fois parce qu'elle renvoie à une fableplus ou moins connue du spectateur, mythique, légendaire,ou à un récit biblique, et parce qu'elle est étroitementtributaire d'un problème à débattre, d'une réflexion quidoit s'incarner dans un personnage privilégié.

1. Exactement comme dans le théâtre grec le protagoniste était l'acteur jouantle rôle principal.

2. Au sens où l'entend par exemple Étienne Souriau, Les Deux cent millesituations dramatiques, p. 55 une figure structurale dessinée, dans un momentdonné de l'action, par un système de forces » c'est le critique qui souligne.

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Dès lors, la première question qui se pose est de savoirqui est cette figure centrale, comment elle se présente;question fondamentale s'il en est, dans la mesure où de laréponse découlent la plupart des caractéristiques de la for-mule dramatique de Gide.

On se souvient de ce que réclamait Gide pour une réellerénovation du théâtre « Qui dit drame, dit caractèrel »,

et qu'il souhaitait l'invention de caractères nouveaux« C'est pour le drame une condition sine qua non que la

formation de caractères nouveaux 2.Chacun des prota-gonistes de ses drames est un « caractère », non pas exac-tement une figure inédite procédant d'une totale invention,mais une figure empruntée à la Bible ou à l'Antiquité qu'ilrecrée à neuf, et qui, en tant que personnage dramatique,est soumise à des forces ou à des aspirations contradic-toires, à un conflit essentiellement intérieur.

Avec Saül, il se trouve que Gide a créé d'emblée, poursa première grande œuvre dramatique, un personnagecomplexe, qui revendique avec orgueil la complexité d'uneâme « incomparablement tourmentée 3»et qui, devant sonfils, affirme « Ma valeur est dans ma complication 4. »

Saül représente l'individu qui accueille sans discerne-ment ni retenue tous les désirs qui l'assaillent jusqu'à ladissolution de sa personnalité. Sa progressive déchéanceillustre le danger qu'il y a de succomber aux pièges dessens, les risques de l'abandon à une trop grande dispo-nibilité, « le danger, selon une formule de Gide lui-même,

1.De l'évolution du théâtre », Nouveaux prétextes, p. 151.2. Voir tome I, p. 359.3. Saill, III, 8, Théâtre, p. 105.4. Ibid., V, 3, p. 143.

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de l'accueil inconsidéré ». Sa puissance dramatique vientde ce qu'il est porteur de forces destructrices qui s'entre-choquent en lui et dont il n'a plus le contrôle.

Saül est tout entier dans le secret qui le hante. Posé dèsle début du drame, un peu, comme une énigme à résoudre,signe et symbole de la progressive dépossession de soi, cesecret porte sur l'identité de l'inconnu qui doit lui ravirson trône. Enfoui en lui-même, il lui sera peu à peu révélé.Ses ramifications installent au cœur même du personnagedes forces contradictoires d'où jaillissent des conflits sansissue, des tensions intérieures insoutenables.

Gide a fait de son Saül un despote, une sorte de tyran,mais un tyran faible qui n'a plus que les apparences dupouvoir. Enfermé en lui-même, son propre destin compteplus que le sort du peuple qu'il gouverne. On assiste à unelutte entre une volonté déjà chancelante et une faiblessequasi psychologique son incapacité d'agir l'emporte surles velléités d'action, précipitant la déchéance dans laquelleil est entraîné. Quand il sent le pouvoir lui échapper, ilveut affirmer sa toute-puissance, fût-ce dérisoirement, parun impossible dépassement de soi. Il veut être le seul àsavoir l'avenir, le seul à le chercher, espérant ainsi lechanger, agir sur lui « Quand je serai seul à savoir l'ave-nir, je crois que je pourrai le changer 2.»Il croit pouvoirassurer ainsi la maîtrise de son destin et écarter de lui la

menace de la dépossession. Ainsi s'explique l'un de sesgestes insensés faire supprimer tous les sorciers duroyaume, y compris la Sorcière d'Endor qu'il tue de sapropre main quiconque en sait plus que lui sur l'avenirdoit périr.

Cette inquiétude devant l'avenir est liée à un autre tour-

1. Gide à Andrée Valette, 14 décembre 1935, lettre citée par Yvonne Davet,Autour des Nourritures terrestres, p. 206.

2. Saül, I, 2, Théâtre, p. 16.

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ment le silence de la divinitéSaül voudrait croire, il

veut prier; mais Dieu s'est tu, Dieu s'est retiré de lui. Toutetentative pour reconquérir sa confiance est vaine. La prièren'est même plus un refuge; elle n'apporte ni réconfort niconsolation. Cette déréliction est la source d'un conflit

Saül est enchaîné à son passé, à cette onction qu'il a reçuede Dieu; pourtant ce passé, il voudrait l'abolir pour neconnaître qu'un avenir dont il serait le maître. Il chercheà se rendre indépendant vis-à-vis de Dieu et de la religionmais il retombe dans une plus grande dépendance. Il vou-drait vivre, il croit vivre selon sa propre loi mais les décretsdivins ont tracé sa destinée.

Mais surtout, Saül est dominé par ses désirs, lesquelsfinissent par l'asservir puis le vaincre, alors même qu'ilcherche, pitoyablement certes, à les dominer.« Mes senssont ouverts au dehors », confesse-t-il dès son entrée en

scène, « et rien de doux ne passe inaperçu de moi 2.Il estattiré par tous les vices, terrassé par ses instincts jusqu'àune forme d'ivresse qui est le contraire de la ferveur exaltéedans Les Nourritures terrestres. Cette domination est ren-

due spectaculaire par la présence des démons 3 elle secristallise surtout dans l'attrait qu'exerce sur lui David, ledélicieux Daoud, par lequel il est d'emblée séduit et qui lerend comme possédé. Encore sur ce point ne faut-il pas seméprendre. Certes l'attirance de Saül pour David a cettecoloration violemment pédérastique qu'avait repérée Valéryà la première lecture du drame. Mais à l'analyse plutôtrestrictive qu'en donne Valéry « Toute la pièce pose, aufond, sur les amours immorales et antagonistes de mes-sieurs »; <r [.]la chose que tu voulais avant tout l'amour

1. Saùl est jalonné d'indications sur le silence de la divinité voir par exemple,ibid., p. 16, 61, 79, 93, 103. Elles suggèrent l'ampleur du désarroi causé par cesilence.

2. Ibid., I, 2, p. 16.3. Voir infra, p. 84-89.

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spécial qui préside dans ton drame », répondent les pro-testations agacées de Gide

[.]je crains que tu ne t'enfonces dans une interprétationqui diminue ma pièce à mes yeux en grossissant aux tiensl'importance de l'anecdote. [.]elle ne me plaît que parcequ'elle réduit au personnel strictement nécessaire une affairetrès générale et dont l'intérêt déborde de toutes parts cetriste scandale de cour 2.

Que l'argument soit quelque peu spécieux ne fait aucundoute :t.Mais ce qu'il faut retenir des explications que Gidedonne à Valéry, c'est, au-delà de l'anecdote, la dispositionà l'accueil qui caractérise son héros « Roi déplorablementdispos à l'accueil », lui dit la Sorcière d'Endor 4. Cette dis-position ne se réduit pas au seul amour estimé coupablepour David, mais à la satisfaction de tous ses désirs et detous ses instincts. Quand la Sorcière avertit Saül « Tout

ce qui t'est charmant t'est hostile 5 », David n'est pas seulconcerné mais aussi tout ce que représente le pexfple desdémons. De même, quand l'Ombre de Samuel met en gardele roi « Ce qui te meurtrit est accueilli par toi6 », c'estcertes à David qu'il est fait allusion, mais à David à lafois objet du désir amoureux de Saül et futur roi du royaumed'Israël qui doit le déposséder de son trône. En d'autrestermes, et même si les désirs de Saül se concentrent pro-gressivement sur David, l'attirance qu'il éprouve pour lejeune berger n'est qu'une des forces qui tendent à détruirele vieux roi, et non le sujet central du drame.

Saül, qui se croit ou se voudrait libre, est un être aliéné,

1. Valéry à Gide, Correspondance, p. 324 et 337.2. Gide à Valéry, ibid., p. 338-339. C'est Gide qui souligne.3. Sur l'importance du motif pédérastique, voir infra, p. 202-209.4. Saûl, III, 7, Théâtre, p. 99.5. Ibid., p. 100.6. Ibid., p. 93.

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prisonnier de son passé, de ses désirs, de ses sensations,voire de ses sentiments, l'orgueil par exemple ou la jalousie,car la dimension psychologique n'est pas négligée. Il estpris au piège de ses contradictions, de sa folie.

Avec ce héros, Gide a dessiné un caractère tiraillé en

tous sens par des forces contraires jusqu'à laisser croire àson incohérence, tant son comportement peut apparaîtrebizarre et imprévisible. Inquiétudes religieuses, préoccu-pations politiques, attrait amoureux refoulé, forces obs-cures du désir, pulsions irrationnelles, élans incontrôlés,l'articulation de ces diverses pressions qui déterminent letourment de Saül n'est pas évidente, parce que ces forcessont d'origine et de nature différentes. En ce sens, uneréplique dans la scène centrale du drame est significative.À la Sorcière qui demande « Est-ce le roi Saül qui parleainsi? », Saül répond Oui, c'est Saül. Non, ce n'est pasle roi Ces conflits qui agitent le héros comportent unecertaine indécision, un certain flou; ce ne sont pas desvaleurs franches qui s'affrontent en lui en un débat logiqueet ordonné, mais des aspirations mal définies dont l'âge etla folie émoussent encore les contours. Pourtant, un tel

caractère a sa logique interne tout, en lui, tend vers uneillustration, se résout en ce « drame intime dont Gide

entretenait Valéry 2, qui va jusqu'à la dissolution de lapersonnalité, jusqu'à la décomposition du moi, jusqu'aupathétique aveu du vieux roi, juste avant qu'il ne meure« Je suis complètement supprimé 3. »

Cette complexité donne au héros sa grandeur tragique4

1. Ibid., p. 90.2. Gide à Valéry, Correspondance, p. 339.3. Saûl, V, 5, Théâtre, p. 149.4. Voir les notes pour la représentation de Saûl, Jacques Copeau-Roger

Martin du Gard, Correspondance, p. 364 La décohésion de ce caractère neparaîtra tragique que si elle est progressive.» On sait que Gide aurait voulu quele rôle de Saül fût créé par de Max,un tragique, un tragédien qui n'a pas étéremplacé » Gide à Amrouche, in Éric Marty, André Gide, qui êtes-vous ?, p. 187.

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et Gide le voulait ((admirable », même dans la folieCe

réseau de forces complexes assure à la pièce « son côté graveet terribleque Gide se désolait de ne pas trouver dansl'interprétation de Copeau 2. Il aura toujours conscienced'avoir créé avec Saül non seulement une figure inédite,mais aussi un personnage sublime; il estimera toujours lerôle particulièrement difficile à jouer

Bien que Saül n'ait pas été représenté aussitôt écrit, Giden'a pas été sans mesurer le danger d'une trop grandecomplexité pour la figure centrale d'une œuvre théâtrale.« La complexité inextricable des émotions plus encore queleur multiplicitéempêchait André Walter d'écrire 4; cellede Saül, qui s'en rapproche même si elle n'est pas de mêmenature, contrarie son existence en tant que personnagedramatique. Gide semble l'avoir deviné, lui qui, avec Can-daule et Philoctète, est revenu à des caractères plus sché-matiques, pratiquant sévèrement « l'ébranchementdontplus tard il entretiendra Jean Amrouche à propos des per-sonnages de ses livres

Dire du Roi Candaule que le sujet en est « le drame dubonheur, qui ne peut être savouré, et à la lettre n'existe que

1. SaUl, IV, 2, Théâtre, p. 114, Gide note en didascalie «r admirable dans sonmanteau de fou».

2. Cahiers André Gide 4, Les Cahiers de la Petite Dame I, p. 125.3. À la fin de sa vie, il confie à Amrouche, in Eric Marty, op. cit., p. 189

Il faut un acteur que nous n'avons pas. [.]Je suis presque certain qu'ungrand acteur comme Laurence Olivier serait capable je l'ai vu dans LeRoi Lear d'interpréter Saûl.

4. Les Cahiers d'André Walter, édition Claude Martin, p. 100.5. Voir Éric Marty, op. cit., p. 213

J'ai composé ce personnage d'Alissa comme j'ai composé les autrespersonnages de mes livres, par un système, puis-je dire, d'ébranchement,en enlevant tout ce qui était inutile.

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s'il s'expose à être détruit en se manifestant», c'est définirexactement le drame intime du protagoniste, tant est mani-feste cette caractéristique des œuvres théâtrales de Gide,que le sujet du drame se confond avec le drame de la figurecentrale.

Gide a voulu un personnage voluptueux et raffiné pourqui Ir toute émotion n'a d'exquis que sa surprise2 JI. Can-daule est un homme de culture, ce qu'avait bien vu Ghéon«r Candaule est au sommet de la culture culture sensuelle,

intellectuelle et morale Gide l'a voulu également richeau-delà de toute mesure 4. Il l'a surtout voulu heureux

jusqu'à être ivre de son bonheur

O plénitude de mon bonheur1Comment aurais-je assez de mes seuls sens pour l'épuiser 5?

Ce bonheur, il le célèbre avec des accents semblables à

ceux des Nourritures terrestres, liant l'excès de bonheur àl'excès de vie

[.]là où le. bonheur abonde,C'est où surabonde la vie

Enfin Gide a voulu Candaule généreux jusqu'à l'excès.Dès le prologue, Gygès l'appelle « le généreux Candaule»et parle de sa « donnante nature7 », a une sorte de générosité

1. Daniel Moutote, Le Journal de Gide et les problèmes du moi, p. 103.2. Le Roi Candaule, II, 1, Théâtre, p. 205.3. Ghéon,Notes sur une renaissance dramatique IV L'Ermitage, août 1901,

p. 114; repris dans Nos Directions, p. 74.4. Voir Le Roi Candaide, II, 1, Théâtre, p. 208, la description qu'il fait à

Gygès de son royaume et de ses inépuisables trésors, non sans quelque osten-tation.

5. Ibid., I, 2, p. 178.6. Ibid., I, 3, p. 196.7. Ibid., p. 179. A rapprocher de la formule de Nietzsche dans Ainsi parlait

Zarathoustra la donnante vertu ».

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indécise », dit encore Syphax, l'un des courtisans Dansla préface de la première édition du Roi Candaule, Gideapplique à son héros une formule de Nietzsche « généreuxjusqu'au vice2 .II, car il entre dans cet excès de générositéune absence de pudeur, une certaine hybris. Bien entendu,cette référence nietzschéenne n'est pas de la part de Gideune condamnation de son héros il s'est plu à soulignerla noblesse et la magnanimité de sa conduite. CependantCandaule n'a pas suivi le conseil de Nietzsche « On doitsavoir se garder; c'est la plus forte preuve d'indépen-dance :l. »

Car la générosité de Candaule se manifeste dans sa volontéde faire partager son bonheur. Il y a en lui une ivresse dela générosité comme il y a un vertige du bonheur. Cetteivresse est comme matérialisée par celle qu'il tient à pro-curer aux invités de ses festins, car dit-il

L'ivresse ne manifeste en nous

Que ce que nous portons en nous-mêmes 4.

Il entre de l'égoïsme dans cette préoccupation et c'est bienlà que commence le drame intime de Candaule. En rendantheureux les autres, il se rend heureux lui-même. Il y trouve

1. Ibid., I, 1, p. 174.2. Ibid., p. 158. Gide se réfère à un passage de Par-delà bien et mal, Œuvresphilosophiques complètes, tome VII, p. 58-59

Ne pas s'attacher à ses vertus et ne pas sacrifier son être total à uneparticularité quelconque, par exemple à son goût de« l'hospitalité », périlpar excellence des âmes nobles et riches qui sont prodigues et commeinsoucieuses d'elles-mêmes, et portent jusqu'au vice la vertu de la géné-rosité.

On a un écho de ce conseil de Nietzsche dans un passage qui figurait ennovembre 1899 dans L'Ermitage mais supprimé dans l'édition de 1901

simmias La générosité dont tu parlais tantôt n'est que vice.CANDAULE N'est-ce pas, Simmiasl Il faut cela

Pour y prendre tant de plaisir.3. Nietzsche, op. cit., p. 59. C'est Nietzsche qui souligne.4. Le Roi Candaule, I, 3, Théâtre, p. 185.

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