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L’ombre de la colline

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Marius Tremblay

L’ombre de la colline

Éditions Mots en toile

Roman

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Dépôt légal Bibliothèque et Archives nationales du Québec — 2011Bibliothèque et Archives Canada — 2011ISBN : 978-2-923445-22-9Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés© Éditions Mots en toile 2011

Graphisme et mise en page : Jean BergeronCorrection : Jean-Pierre Rhéaume

Les Éditions Mots en toileTéléphone : 514 680-91861237, rue BeaudryMontréal, QC H2L 3E3Courriel : [email protected]

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Tremblay, Marius, 1946-

L'ombre de la Colline

ISBN 978-2-923445-22-9

I. Titre.

PS8639.R453O42 2011 C843'.6 C2011-942307-3PS9639.R453O42 2011

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L’auteur remercie Sylvia Benitez et

Annie-Claude Scholtès pour leur aide précieuse.

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À toutes celles qui par leur dévouement ont permis aux députés et aux sénateurs

de la Colline de bien jouer leur rôle dans les années 1980.

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Ce récit est une oeuvre de fiction. Toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

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Au Jack Daniel’s

Voilà deux heures que Jean-Pierre traîne au Centre Rideau, à Ottawa. Comme tous les jeunes de son âge, il porte un jeans patché et une veste du même

tissu, déchirée à quelques endroits pour faire plus in. Sa mère lui avait offert en cadeau une magnifique veste en toile de parachute jaune, mais il avait aussitôt fait l’échange de ce vêtement trop voyant avec une copine. Quand son père lui a demandé de montrer le cadeau de sa mère, il a prétendu se l’être fait voler. Peu importe, son paternel semble plutôt croire qu’il a donné sa veste neuve en paiement d’une dette de pot. Le jeune homme fait encore une fois les cent pas devant les portes rota-tives, les mains bien enfoncées dans les poches étroites de sa veste. Son regard d’adolescent triste observe avec attention les passagers qui descendent des autobus et se dissipent telle une vague dans les portes rotatives du cen-tre commercial. Pas encore, murmure-t-il en soupirant. À voir ses yeux, on dirait qu’il a envie de pleurer. La per-sonne qu’il attend n’est pas encore là.

Jean-Pierre se dirige alors vers un banc avec une démar-che inclinée par la lassitude, comme un vieillard ; il vient pourtant tout juste d’avoir dix-huit ans. Lorsqu’il marche, son pied gauche pointe vers l’intérieur, ce qui accentue son look de faux dur. Il se laisse tomber lourdement sur le banc, retire pour la centième fois les mains de ses poches, et pour la centième fois, il constate qu’elles sont vides.

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Ses yeux laissent transparaître une tristesse sans révolte, des cheveux longs d’une blondeur céleste s’étalent sur des épaules étroites, trop étroites pour porter tous les mal-heurs du monde. Malgré ses vêtements et ses allures de vagabond, on se rend bien compte qu’il n’est pas un itiné-rant, mais plutôt un de ces anges égarés, un de ces jeunes qui ont choisi de chercher dans les drogues douces leur paradis perdu.

Une voix féminine le sort de sa torpeur.

— Jean-Pierre, Jean-Pierre !

— Ah ! Te voilà enfin ! lui lance-t-il avec une certaine agressivité.

— Tu sais avec ma folle de mère, ce n’est pas toujours facile de partir. Il a fallu que je lui donne cent mille expli-cations. Finalement, je lui ai dit que j’allais avec toi voir ton père à l’hôpital. Elle m’a crue.

Elle éclate alors d’un rire qui ne va pas avec son appa-rence, un rire tout juste à la limite de la débilité.

Il est vraiment surprenant ce rire, à l’entendre on ne peut pas croire qu’il soit émis par une aussi jolie femme. Ce qu’elle est belle cette Nathalie ! Un vrai mannequin. Taille fine, petits seins pointus, longs cheveux roux, yeux de biche parfaitement maquillés, et des lèvres charnues d’un rouge provocant. Ça valait la peine d’attendre deux heures...

— Tu vas venir avec moi au Jack Daniel’s, lui dit-elle d’un ton autoritaire. Je vais y faire une demande d’em-ploi. J’ai un peu d’argent, après on ira souper. Viens ! lui ordonne-t-elle en lui tendant la main.

Jean-Pierre attrape la main de Nathalie puis ils se pré-cipitent ensemble dans la porte rotative qui, sous leur impulsion conjointe, s’emballe comme une toupie. Ils sont éjectés sur le trottoir. Reprenant aussitôt leur équilibre,

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ils se retournent en riant pour voir comment les autres personnes s’en tirent, celles que le hasard avait placées de l’autre côté de la porte. Une femme vêtue d’un long manteau mauve titube et un homme aux cheveux blancs reprend péniblement son équilibre dans un mouvement qui ressemble à celui de la lambada.

Jean-Pierre et Nathalie se félicitent de leur bon coup en se frappant la paume de la main comme des joueurs de hockey après un but. Ils reprennent vite leur sérieux. Nathalie hèle un taxi. Une auto jaune se colle au trottoir. Elle monte, Jean-Pierre la suit.

— Au Jack Daniel’s, rue Bank.

Le chauffeur de taxi les regarde et ne peut s’empêcher de leur dire :

— Vous êtes trop jeunes pour aller là...

— Ce n’est pas de tes affaires, lui dit très sèchement Nathalie. Avec un sourire provocateur, elle ajoute : nous travaillons là tous les deux, vous savez.

Le chauffeur de taxi en a le souffle coupé. Dans un gro-gnement qui indique son désaccord, il tourne la tête et fixe la route. Ce n’est pas ma fille qui traînerait dans ces endroits-là, pense-t-il. Il s’imagine alors la mère de ces enfants, sûrement à l’assistance sociale, sans conjoint. Le mari est parti ou peut-être est-il mort d’une cirrhose.

En dehors des heures de pointe, c’est une course d’envi-ron cinq minutes entre le Centre Rideau et la rue Bank. Le chauffeur a juste le temps de se remettre de ses émotions qu’ils sont déjà à la hauteur du Jack Daniel’s. Choqué d’amener ces deux jeunes au terme de cette course, il avait pour ainsi dire conduit sur le pilote automatique. Comme c’est l’habitude, le taxi s’arrête au milieu de la rue. Un conducteur impatient klaxonne à l’arrière. Le chauffeur de taxi fait un vague signe de la main et pour-

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suit son mouvement pour prendre le billet de dix dollars que lui tend Nathalie. Le compteur indique 7,85 $.

— Gardez tout, lui dit-elle, d’un ton hautain.

Arrivé devant la porte du club, Jean-Pierre, jusque-là silencieux, demande :

— Que vas-tu faire là ? Connais-tu quelqu’un ? Tu sais, c’est un club de danseuses.

Elle éclate de rire en voyant son air ahuri.

— Bien sûr que je le sais. C’est pour ça que nous sommes ici. Je vais offrir mes services comme danseuse, et tu es mon gérant.

Elle tire sur la lourde porte de métal.

— Allons, viens !

Comme un petit chien docile, Jean-Pierre la suit dans le long escalier sombre. On perçoit déjà dans les murs les vibrations des notes basses hyper amplifiées. L’odeur de cigarette prend à la gorge. Au sommet de l’escalier, il y a une autre porte sur laquelle est peinte une femme nue – aux appas disproportionnés – qui donne finale-ment accès au club. Un costaud entrouvre la porte et les examine de la tête aux pieds parce que ces deux-là ne s’apparentent pas aux clients habituels.

— Qu’est-ce que vous voulez ?

— J’ai rendez-vous avec Dan, répond Nathalie avec aplomb.

Sans répondre, le costaud pousse la porte et la retient, en prenant bien soin de placer son bras de telle sorte qu’il puisse lui effleurer la poitrine. Elle sursaute, mais se reprend aussitôt car elle ne veut pas perdre ses chances de devenir danseuse.

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Jean-Pierre et Nathalie entrent dans le club avec autant de respect que s’ils pénétraient dans une église. Au milieu de ce temple profane, il y a une scène étroite, entourée de tables rondes, c’est le lieu de la cérémonie. Les murs sont couverts de peintures représentant la plupart des fan-tasmes de tous les mâles... La belle adolescente jette un coup d’œil sur sa petite poitrine pointue, et la compare à la poitrine éléphantesque dessinée sur le mur. Son regard s’emplit de scepticisme. Elle soulève les épaules et se dit avec une moue enfantine : je suis bien plus belle qu’elle.

— Qu’est-ce que vous prendrez ?

Nathalie sursaute et répond rapidement.

— Deux Miller’s légères.

C’est alors qu’elle se retourne et aperçoit Johanna, une grande noire portant une perruque platine, des faux cils et du rouge à lèvres couleur orange. Elle est vêtue d’une petite culotte en imitation de peau de léopard et d’un gaminet – ou t-shirt – coupé à mi-sein, sur lequel on peut lire : I love to fu... dont la suite a dû disparaître sous les coups de ciseaux. Jean-Pierre n’en finit plus d’admirer le corps plantureux ; elle s’en rend compte et, en soulevant son gaminet, elle lui lance :

— Tu n’en as pas vu souvent des beaux comme ça, hein mon jeune ?

En riant, elle se dandine, et soulevant un sein elle le fait rouler sous le nez de Jean-Pierre qui rougit jusqu’à la racine des cheveux. Alors, en lui caressant les cheveux, Johanna lui dit :

— You are such a cute guy, my young boy.

Puis, comme si elle était soudain mal à l’aise, elle s’éloi-gne en marmonnant :

— OK ! Je vas chercher ton bière.

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Johanna se rend au bar. En s’approchant, Nathalie mur-mure à son ami :

— Je n’en reviens pas comme tu pognes !

Jean-Pierre lève les yeux au ciel, prend une cigarette, l’allume lentement, tire une bouffée, et d’un ton altier déclare :

— C’est de famille, mon père est comme ça, je dois tenir de lui.

— Je comprends, ton père est tellement sexy, j’ai capoté sur lui pendant deux semaines, tu sais.

Une lueur de panique passe dans les yeux de Jean-Pierre.

— Voyons, reprend Nathalie, ne t’énerve pas comme ça. Il ne s’est rien passé, j’ai juste dit que dans ma tête, j’ai capoté sur lui.

Johanna revient en se dandinant. Quelques vieux, en chambranlant, s’installent à une table tout près de l’esca-lier qui donne accès à la scène. Ils auront ainsi la chance de sentir sur leurs vêtements l’odeur forte et poignante laissée par le frôlement des danseuses au passage. Une odeur musquée, lourde, où se mélangent en un cocktail explosif les effluves d’huiles aphrodisiaques, de désodori-sant bon marché, de sueurs et de fixatif à cheveux. Cette table près de l’escalier est un lieu privilégié, car on peut espérer en cours de spectacle recevoir, lancés par les dan-seuses, les petits dessous affriolants de la Super Candy, de la somptueuse Lolita ou de Cindy the Virgin Angel.

Le vol gracieux de ces petites culottes parfumées, qui se posent délicatement comme un papillon sur le visage ridé de ces vieillards, est l’unique douceur, la seule caresse qu’ils peuvent espérer recevoir. C’est que pour ces prison-niers des maisons de chambres à 25 $ la semaine, même les souvenirs du bonheur et de la beauté se sont estompés dans la grisaille et la misère quotidienne. Même le désir

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s’est éteint dans la noirceur de leur solitude, si bien que pour ces pauvres vieux le dernier rêve c’est qu’au ciel les anges du Bon Dieu ressemblent à ces danseuses. Ces filles légères sont pour la plupart de bonnes filles au grand cœur, qui comprennent et sont tendres avec ces hom-mes qui n’en sont plus… moyennant un petit dix, bien sûr. C’est pourquoi, par petites culottes et cache-seins inter-posés, elles donnent un tout petit avant-goût du paradis à ces vieux qui n’ont jamais rien reçu du Bon Dieu.

Peu à peu les tables se sont garnies d’hommes seuls. Les lumières s’éteignent dans la salle, un spot rouge éclaire la scène. Une voix caverneuse annonce :

— Bienvenue, mes dames et mes... sieurs au chic caba-ret Jack Daniel’s, l’endroit où vous pouvez admirer les plus belles femmes d’Ottawa. And now, et maintenant accueillons la très sensuelle Miss Lucy. Une bonne main d’applaudissements...

Alors une musique tonitruante, à faire cailler la bière dans les verres, explose. Miss Lucy, tel un fauve, saute sur la scène et exécute une danse bien plus athlétique qu’éro-tique. La musique se tait un instant et le spot passe du rouge au bleu. Au fond de la scène, tout près de l’escalier, Miss Lucy enlève le haut de son survêtement et le laisse tomber sur la table. Les deux vieux mettent vite la main dessus, comme s’ils craignaient qu’il ne s’envole. Dans un accord langoureux de basse électrique, Miss Lucy retourne au centre de la scène et, en se cachant les seins avec les mains, se déhanche et se contorsionne sensuel-lement jusqu’à la dernière note où elle exécute une split parfaite. La musique étant couverte par des exclamations qui fusent de toutes parts, Miss Lucy ouvre les bras, dénu-dant sa poitrine parfaite et, tel le cygne du célèbre ballet de Tchaïkovski, elle s’incline délicatement en faisant un rond de bras très élégant sous les applaudissements timi-des.

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Johanna, qui dans l’obscurité s’était approchée de Nathalie et de Jean-Pierre, se penche et dit à l’oreille de la jeune femme :

— C’est toi, Nathalie ? Dan t’attend dans le bureau en arrière. Penses-y bien la petite, it’s a tough job. Don’t trust Dan.

Piquée au vif par cette compassion, Nathalie se rebiffe et, en se levant, lui lance :

— Tu parles comme ça parce que tu es jalouse... Viens avec moi, Jean-Pierre.

Poor baby, pense Johanna en ramassant les verres et les bouteilles sur la table.

Au fond de la salle, une porte fermée, une porte noire arborant un écriteau STAFF ONLY. À côté, assis sur une chaise droite, le colosse de l’entrée feuillette le journal Allô Police.

— Vous pouvez entrer, Dan vous attend.

Nathalie tourne la poignée et tire la grosse porte noire. La pièce est crûment éclairée, sur les murs une orgie de photos de femmes nues, au fond un gros pupitre en chêne sûrement acheté dans un magasin de surplus du gou-vernement. Daniel Lacourse discute au téléphone en se caressant le torse par l’ouverture de sa chemise verte, rehaussée d’un collet à pointes. Il semble très fier de sa toison dense et frisée dans laquelle s’emmêlent une chaî-nette en or et un pendentif du même métal précieux en forme de pénis. Sa chevelure décolorée supporte mal la permanente. En apercevant Nathalie et son copain, il bombe le torse, ce qui a pour effet de soulever le pénis d’or qui reste coincé dans les poils du poitrail dans une position de complète érection.

— Dix quatre, c’est compris, rodger. Je vais aller cher-cher les filles au terminus d’Ottawa à sept heures.

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Daniel Lacourse raccroche et fait signe aux deux jeu-nes de s’approcher. Il se cale dans son fauteuil qui grince et retient un rot dans sa gorge, le pénis d’or s’affaisse. En se frottant l’estomac par l’échancrure de sa chemise, Lacourse ajoute :

— Maudit smoked-meat, je devrais me dompter, je ne digère pas ça.

Un rot sonore le libère enfin de son malaise. Il se passe la main dans les cheveux et scrute le physique de Nathalie d’un œil connaisseur.

— T’es pas mal jeune. T’as des beaux cheveux longs, les clients aiment ça. Mais on ne peut pas dire que tu es bien tétonnée...

Il se lève, s’approche et lui passe la main sur la poitrine. Sans dire un mot, d’un air songeur, il se rassied...

— Si t’es capable de les faire bouger, ça pourrait aller. Ouais... Ouais...

Il continue de réfléchir, tout en fixant Jean-Pierre...

— Toi le jeune, t’es-tu ben bâti, tu sais ce que je veux dire ? Es-tu ben emmanché ? J’y pense, vous feriez un beau couple érotique... Tu t’appelles Nathalie ? Non ! non ! Tu devrais t’appeler Mona.

Dan lève la tête, étend la main et, comme un prêcheur, déclare solennellement :

— Mesdames et messieurs ! Accueillons la merveilleuse Mona, Mona Lysa et son sensuel partenaire... Il hésite... An... gello. Mona Lysa et Angello.

Daniel Lacourse sourit de plénitude, voire de béatitude devant l’étendue de sa culture. Il est d’autant plus satis-fait qu’il sera le premier gérant de club à avoir un couple érotique dans la région. C’est le grand boss Mike qui va être content, pense-t-il.

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Mike, le très puissant et mystérieux patron du trafic de drogue. Personne ne le connaît, pas même la police qui, malgré ses efforts, n’a pas réussi à l’identifier. Lorsqu’on croit l’arrêter, on est en présence d’un prête-nom, lui-même faisant affaire avec un autre prête-nom. Impos-sible de remonter la filière. Mais la seule mention de son nom fait trembler tout le milieu criminel. Comme Mike arrive à rester dans l’anonymat depuis tant d’années, il est certain pour la police qu’il est beaucoup plus qu’un propriétaire de bar et un trafiquant de drogue, sûrement quelqu’un de très puissant dans la société civile.

Un frisson parcourt la nuque de Jean-Pierre. Il est bien coincé, il n’était là que pour accompagner Nathalie, pas pour devenir danseur. Il touche Nathalie du bout des doigts, elle qui avait déjà compris son désarroi.

— Il n’est pas question qu’on fasse de la danse en cou-ple, mon frère pis moé. J’ai toujours dansé seule et je ne veux pas danser avec lui. C’est clair, c’est moé qui veux danser. J’fais-tu l’affaire ?

Nathalie s’efforce de mal parler et avoir l’air d’une vraie petite tough. Dan est désappointé. Il s’appuie les coudes sur le pupitre et, faisant une moue de déplaisir, il demande :

— T’as un costume ? OK ! À six heures, j’ai un trou dans l’horaire. Les filles soupent avant que commence le quart de sept heures. Tu me feras une démonstration, après on verra.

Nathalie est tout excitée. Comme une petite fille qui vient de recevoir une récompense, elle se jette au cou de Dan et lui donne un gros bec sur la joue. L’homme la repousse délicatement et, en replaçant d’un geste de la main ses cheveux et les poils de sa toison, il répète machi-nalement :

— C’est bon, c’est bon.

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homme, dans un « pick-up » équipé d’une radio mobile, lui fait signe qu’il appelle les services d’urgence. La police, les pompiers et l’ambulance sont bientôt sur les lieux. Déjà la foule des curieux bloque la circulation. Il faut uti-liser les pinces de décarcération pour sortir la victime de la voiture, qui est transportée à l’ambulance au pas de course. Le véhicule couleur lime quitte la scène immé-diatement en hurlant et file à vive allure vers l’hôpital de Hull. Le policier qui examine le véhicule remarque une déformation suspecte du parechoc arrière de la voiture. Son effarement est à son comble lorsqu’il reconnaît le numéro de la plaque d’immatriculation : un collègue était au volant. Un autre policier est près de lui, il lui demande de regarder le numéro de plaque.

— Mais, c’est une de nos voitures banalisées. Je vais pré-venir la centrale. Il se précipite vers son auto-patrouille.

En fin d’après-midi, les responsables de la police se ren-dent chez Gilles Côté pour l’informer de la nouvelle. Sur le coup, il ne réagit pas, il ne fait que répéter : « Nous devons nous marier Josée et moi dans trois jours. »

— Aimeriez-vous qu’on appelle quelqu’un ? lui demande le policier. Vous ne devez pas rester seul.

Gilles répète : « Nous devons nous marier samedi… »

Le deuxième policier invite Gilles à s’asseoir. L’homme en loques se laisse tomber sur le sofa et se met à pleurer sur l’épaule de l’agent.

Le téléphone sonne. Le lieutenant répond. Après un moment d’hésitation, une voix féminine demande :

— Allô ! Je suis bien chez Gilles Côté ? Je suis Rita Cyr, est-ce que je pourrais parler à Gilles ?

— Non ! madame. Monsieur Côté n’est pas en état de vous parler. Dites-moi, madame, ici le lieutenant Perron, êtes-vous proche de monsieur Côté ?

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— Mon mari et moi sommes presque de la famille. C’est nous qui organisons le mariage de samedi, comme si Josée et Gilles étaient nos enfants.

— Dans ce cas, madame, pourriez-vous venir ici avec votre mari ? Nous vous attendons.

— Mais... bafouille-t-elle avec anxiété.

— Quelque chose de grave est arrivé, madame. Venez vite.

Rita raccroche et appelle Roland.

— Roland, prépare-toi, je viens te chercher. Il faut aller chez Gilles au plus vite.

En conduisant sur le boulevard qui longe la rivière des Outaouais, Rita sent l’ombre de la Colline peser de nou-veau sur son cœur.

FIN

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