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ecrit au pape que lui et son neveu ont vaine- ment cherche it devenir confreres du Temple. Si plus tard il poursuivit avec un tel acharne- ment les Templiers, c'est qu'il avait garde contre eux, en dehorsdes raisons politiques et financieres, un double ressentiment : ils lui avaient refuse l'affiliation et iis lui avaient donne une hospitalite protectrice quand il etait poursuivi par l'emeute. En I 118, sur la terre de Palestine, neuf che- valiers croises fran~ais, Hugues des Payens, Geoffroy de Saint-Audemar et sept autres cons- tituent I'ordre religieux et militaire des Tem- pliers qui se propose de protegeI' les pelerins allant en Terre Sainte. Le roi de Jerusalem leur donne l'investiture etles loge aupn!:s de l'em- placement ou s'elevait Ie Temple de Salomon. Esoteriquement, ils se donnaient mission de reconstruirc Ie Temple symbolique .. Les Francs- Ma~ons ne devaient-ils pas plus tard pretendre it pareille ~uvre? L'ordre des Templiers nalt dans la Croi- sade. Les Croisades aussi ont leur secret Elles cachaient autre choseque la conquete du Tom- beau. II fallait surexciter l'enthousiasme guer- rier des foules par un ideal it portee de leur c~ur. Les Croisades etaient necessaires pour sauver l'Europe de l'invasion. Deux civilis a- tions s'affrontaient,celle de la Croix et celle du Croissant. Deux racesse heurtaient. Trois siecles auparavant, c'etaient les Sarrazins qui envahissaient la France jusqu'au coup de mar- teaude Charles. Martel. Par les Croisades se satisfait ce besoin d'expansion it travers Ie monde qui a toujours obsede Ie genie celtique depuis l'antiquite, au cours de laquelle il essai- mait dans les divers continents des colonies r:econnaissables encore aujourd'hui, jllsqu'aux temps presents ou, obeissant ,'t l'impulsion ancestrale, la troisieme republique fran~aise a execute Ie. vieux plan druidique d\l11 empire africain. Si les Croisades ont retarde de plus d'un siecle Ie debordement des Turcs en Europe, elles ont confronte Ie genie europeen et Ie geniearabe dans ce grand mystere de la guerre oules adversaires s'etreignent et se dechirent, attires l'un vers l'autre par la haine passagere quiest la face horrible de l'amour eternel. On :\ dit de tous cotes que les Croises avaient rapporte en Occident diverses con- naissances et diverses coutumes empruntees it la civilisation musulmane. Et cela est vrai

Extrait de -Le Secret de La Chevalerie (Victor-Emile Michelet)

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ecrit au pape que lui et son neveu ont vaine-ment cherche it devenir confreres du Temple.Si plus tard il poursuivit avec un tel acharne-ment les Templiers, c'est qu'il avait gardecontre eux, en dehors des raisons politiques etfinancieres, un double ressentiment : ils luiavaient refuse l'affiliation et iis lui avaientdonne une hospitalite protectrice quand il etaitpoursuivi par l'emeute.

En I 118, sur la terre de Palestine, neuf che-valiers croises fran~ais, Hugues des Payens,Geoffroy de Saint-Audemar et sept autres cons-tituent I'ordre religieux et militaire des Tem-pliers qui se propose de protegeI' les pelerinsallant en Terre Sainte. Le roi de Jerusalem leurdonne l'investiture et les loge aupn!:s de l'em-placement ou s'elevait Ie Temple de Salomon.Esoteriquement, ils se donnaient mission dereconstruirc Ie Temple symbolique .. Les Francs-Ma~ons ne devaient-ils pas plus tard pretendreit pareille ~uvre?

L'ordre des Templiers nalt dans la Croi-sade. Les Croisades aussi ont leur secret Ellescachaient autre chose que la conquete du Tom-beau. II fallait surexciter l'enthousiasme guer-rier des foules par un ideal it portee de leur

c~ur. Les Croisades etaient necessaires poursauver l'Europe de l'invasion. Deux civilis a-tions s'affrontaient, celle de la Croix et celle duCroissant. Deux races se heurtaient. Troissiecles auparavant, c'etaient les Sarrazins quienvahissaient la France jusqu'au coup de mar-teau de Charles. Martel. Par les Croisades sesatisfait ce besoin d'expansion it travers Iemonde qui a toujours obsede Ie genie celtiquedepuis l'antiquite, au cours de laquelle il essai-mait dans les divers continents des coloniesr:econnaissables encore aujourd'hui, jllsqu'auxtemps presents ou, obeissant ,'t l'impulsionancestrale, la troisieme republique fran~aise aexecute Ie. vieux plan druidique d\l11 empireafricain. Si les Croisades ont retarde de plusd'un siecle Ie debordement des Turcs enEurope, elles ont confronte Ie genie europeenet Ie genie arabe dans ce grand mystere de laguerre ou les adversaires s'etreignent et sedechirent, attires l'un vers l'autre par la hainepassagere qui est la face horrible de l'amoureternel. On :\ dit de tous cotes que les Croisesavaient rapporte en Occident diverses con-naissances et diverses coutumes emprunteesit la civilisation musulmane. Et cela est vrai

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pour ce qui concerne les mceurs et les formesfamilieres de la vie pragmatique. Mais les fre-quentations et les ententes entre les hautsesprits de la chretiente et de !"Islam s'effec-tuerent de tous temps. Les erudits superficiels,inconscients des sources secretes ou s'abreuve lavie spirituelle du monde, s'obstinent it pretendre,au gre de leurs partis pris, que tel ou tel ordrede connaissances fut invente dans telle outelle nation qui Ie transmit aux autres. En rea-lite, les connaissances du ton superieur reposentdans toutes les traditions, variantes plus oumoins brill antes d'une tradition unique. II n'estpas dit vainement que tout fut revele it Adam.Un des corollaires de cette parole, dont il fautentendre les significations, c'est qu'un grandesprit donne sa preuve par son adhesion itI'unanimite de ses pairs. II y a une communiondes genies c.omme une communion des saints.

Si I'ordre des Templiers est cree entre lapremiere et la seconde croisade, un demi-siecleapres que Ie Vieux de la Montagne eutcree sonordre fameux, il apparait de toute evidence quel'ordre de chevalerie chretien et I'ordre de che-valerie musulman sont identiques et fraternels.Le grand sultan Saladin demande au croise

fran<;ais Hugues de Tabarie de Ie faire cheva-lier. Le genie du Tasse montre cette parentedes types chevaleresques d'Orient et d'Occi-dent. Aujourd'hui, si chez nous les lecteurss'enchantent des editions de nos anciens romansde chevalerie arranges ou deformes selon Iegout moderne, de meme les romans de la che-valerie musulmane, qu'on nomme les Ham-siades parce qu'ils racontent surtout les fabu-leuses aventures de l'Ismaelien Hamsa, emplis-sent les voix monotones des rhapsodes populairesturcs et arabes au milieu des graves auditoiresaccroupis devant les petites tasses de kaoua.

Entre tous les ordres de cheval erie, il en estdeux tres mysterieux, les Templiers et lesAssacis. Qu'il me soit permis de reprendre Ienom dont ces derniers sont designes par notrevieux Joinville, car Ie nom « Assassins II qu'onleur donne d'ordinaire, eut un filcheux des-tin! (I). Si les Assacis, plus eloignes de nous,

(1) Assassill est simplement une forme plurielle del'arabe assas, gardien. II y a des mots. " comme des gens,qui ant mal tounH~. Les Assacis etaient, comme les Tem-pliers, gardiens de la mystique Terre Sainte. Certainsamateurs d'etymologie font venir ce mot de haschich, a peupres com me ils font venir cheva./ de eqults.

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et de race differente, touchent moins notrememo ire que ces Templiers maniant en maitres!'Europe medievaIe, en revanche, ils pesent surnos imaginations de tout Ie poids de leuraureole sanglante et de leurs secrets enseyelis.L'histoire a-t-elle connu un personnage plusimpen~trable que leur premier grand maitre, IeVieux de la Montagne, cet Hassan Sabah qui,durant ses trente-cinq annees de regne, avaitagi sur les destins d'une partie du monde sansquitter une seule fois son chateau d' Alamontet n'etant sorti que deux fois de sa chambrepour aller sur sa terrasse (I) ? L'ordre musul-man des chevaliers Ismaeliens dits Assacis etl'ordre chr~tien des chevaliers johannites duTemple sont constitues exactement sur Ie meme

modele, et cela non parce que Ie second, creeap.res Ie premier, imite son predecesseur, maisparce que J'un et I'autre sont construits sur lesmemes doctrines secretes, sur un esoterismeunique et invariable qui sourd a travers Iemondc sous des voiles differents, comme lalumierc unique a travers Ie prisme se decom-pose en rayons multicolores.

En 1108, quand Hugues des Payens et seshuit compagnons fondent l'ordre du Temple,les chevaliers francs assurent difficilement lapaix. dans Ie royaume de Jerusalem. En Europe,Ies groupemcnts U:odaux se font entre eux Iaguerre, si bien que l'Eglise cherche a creer descorps de chevaliers « paissiers » charges d'im-poser Ia paix aux belligerants, de meme que,dans ces dernieres annees, certains des fonda-teurs de la Societe des Nations, tel Leon Bour-geois, imaginaient une sorte de vaste gendar-merie internationale destinee a reprimer lesvelleites belliqueuses des peuples d'ilUjour-d'hui. L'Eglise s'inquiete aussi des progresrapides d'un mouvement religieux parti de laGnose qui bient6t pourra dresser J'egliseCathare en face de l'Eglise romaine et qui don-nera naissance a des ordres aussi brillants que

(r) Villiers de l'lsle-Adam se proposait d'ecrire uneoeuvre sur Ie Vieux de la Montagne. 11 possedait it fondIe sujet dont il m'entretint plusieurs fois en d'ec1atantescauseries, malheureusenlent Qubliees. II me mantra nH~meune malic pleine, disait-il, de documents concernant samaison dont certains avaient trait it l'ordre des Hospita-liers que son ancetre Philippe de Villiers de l'lsle-Adam,Grand Maitre, etablit i !VIalte, en ISla, apres qu'il eut duceder Rhodes aux Turcs sept aus auparavant. " Ma mai-son, affirmait Villiers, est une des plus anciennes de France,

('est-a-dire du monde ". Et c'etait vrai.

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celui des Chevaliers Faidits de la Colombe duParadet. Elle voit donc avec joie surgir desinitiatives aussi vigoureuses que celie de Huguesdes Payens et de ses huit compagnons Officiel-lement, Ie groupe qu'ils forment aura pourmission de proteger les pelerins qui se rendenten Terre Sainte, appuyant leurs pas fatigues surIe bourdon OU pendent les coquilles Saint-Jacques. Mais les buts sont secrets, et I'Abstraitqu'ils invoquent regira leur energie et donneraa leur action un dheloppement formidable,En dix ans, sous un souffle insoup~onne,I'ordre des neuf Templiers s'est accru d'unnombre imposant; il est maintenant une telleforce que Ie pape convoque a Troyes un concileou I'on semble ne s'occuper que des compa-gnons de Hugues des Payens. Ainsi, en I 118,il y a un pape. Comment se nomme-t-il?Pascal II, peuH~tre ; peu importe ! Ce n'est paslui qui commande a Ia chretiente. Non, c'estun jeune moine de vingt-sept ans dont I'acti-vite brulante et la dure volonte servent une ima-gination audacieuse et sure, un penetrant genie.C'est un de ces esprits exceptionnels pourlesquels I'autorite reguliere hesite entre I'ana-theme et la c:monisation. Et en effet ce Ber-

nard, s'il fut plus tard place au nombre desgrands saints, mourut bien a temps pour eviterI'excommunication. Quelles lumieres lointainesavait-il fixees de ses yeux ardents, ce conte111-plante eloquent et discret, pour que l'altissi1110poeta, Ie vertigineux genie affilie aux Fidelesd'Amour, Dante lui-meme, I'ait elu comme Ierevelateur qui lui commentera la supremevision paradisiaque ou « dans Ie jaune de larose sempiternelle » apparait « I'Amour quimeut Ie soleil et toutes les etoiles »! Confron-tation la plus grandiose du genie humain avecI'Infini!

C'est ce jeune moine d'imperieuse autorite quisuscite Ie Concile de Troyes et s'y fait conlier lamission de donner une constitution a I'ordreTemplier. Cette constitution a disparu. D'autresreglements ont survecu, sur lesquels de nalfs his-toriens se sont penches avec Ie fallacieux espoird'y decouvrir la de de l'enigme. C'est a peu prescomme si, possedant les vetements d'un mort,ils les retournaient pour y chercher les secrets deson ame. Ce concile de Troyes decide que lesguerriers du Temple porteront sur I'armure unmanteau blanc sur lequel, dix-huit ans plus tard,Ie pape Eugene III fixera une croix rouge. Le

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blanc, couleur lunaire, symbolise Ie reflet deI'absolu, Ie rouge symbolise Ie feu, la predomi-nance de I'esprit, l'activite martiale, la puissanceet I'apostolat. Pendant longtemps, seul I'ecu desprinces eut droit au champ de gueules. Seuls lesTempliers ont droit au manteau blanc. En 1210,

ils apprennent que les Chevaliers Teutoniques sepermettent de porter ce manteau blanc. lis leurcontestent cette usurpation. Le pape Innocent III,qui est des leurs, leur donne raison et interditaux Teutoniques cette atteinte au privilege desTempliers. Puerile chicane de costumes, disentcertains. Non : toutes ces formes exterieures,apparentes, cachent une signification. Les Che-valiers Teutoniques, dont l'Ordre est exclusive-ment national, ont droit a une croix pleine etalaisee de sable. Le noir (ou sable) est la couleur« des ombres cimmeriennes)) des tenebres de I'ins-tinct. ('est cette croix alaisee de sabk des Cheva-liers Teutoniques qui etait peinte sous l'aile desavions allemands venant bombarder Paris en1918.

Lors de son admission dans l'ordre, Ie cheva-lier du Temple doit ceindre ses reins d'une cor-delette qu'il re<;oit de son initiateur, et c'est Iesymbole de son initiation, la figure du cercle

magique dont il doit s'entourer pour se protegerdes puissances adverses.

Si I'on en croyait les apparences, il sembleraitque la mission des Templiers dut etre remplie enAsie. L:'t.,dans la Perse, dans l'Irak, dans la Syrie,retranches dans des chftteaux forts perches surles hauteurs, s'assemblent les membres de I'ordreIsmaelien des Assacis, qui sont vetus a peu prescomme leurs confreres chdtiens du Temple. Ilsportent sur une robe blanche une ceinture rouge.IIs sont coiffes de s;ebonnet rouge dit phrygien,la coiffure de Mithra, qui reparalt au cours de JaRevolution fran<;aise sur les tetes des sans-culot-tes et meme aujourd'hui sur les monnaies fran-<;aises, au front de cette fameuse « Semeuse »

de Roty, qui, par une ironie peut-etre imposeepar Ie symbole mithriaque, seme au vent de bout.Or les symboles ont une force interieure quiprend possession de ceux qui croient se les appro-prier.

Dans la constitution de l'ordre d'Europe et deJ'ordre d' Asie, tout est identique. Chacun d'euxcomporte une double hierarchie dont les deo-res

"correspondent exactement.

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ChevaliersEcuyersFreres

RefikFedaviLassik

Telle est la hierarchie exoterique qui comprendIe gros de l'armee. Elle est commandee par unehierarchie esoterique dont seuls peut-etre lesgrands maitres connaissent les secrets des deuxOrdres.

Sheik el Djebal (ouVieux de la Montagne)

DaIsDallkebirs

Grands PrieursPrieurs

Tandis qu'en Asie les Assacis construisent surles hauteurs oflrant des points strategiques desforteresses puissantes, telles celles d' Alamont enPerse et de Masziat en Syrie, les Templiersauront bient6t empli I'Europe de leurs chateauxdominant les pays. Les touristes d'aujourd'huis'emerveillent de visiter les mines de ces forte-resses asiatiques. Ainsi est encore debout, presd'Alep, la forteresse colossale de Kalaat-el-Hoesn,

nommee aussi « Ie Krak des Chevaliers» quitient la ele du passage entre l'Oronte et la mer.Entre ces murs gigantesques qui abritaient lesHospitaliers, une de nos sous-prefectures tien-draid. l'aise.

C'est un chateau de ce genre, a la fois citadelleformidable et retraite feerique, qu'avait Mti poury vivre, invisible prisonnier de sa puissance im-mense, ce mysterieux Hassan Sabah qui fut Iepremier Sheik-el-Djebal, Ie premier Vieux de laMontagne. Il y vecut trente-cinq ans sans quit-ter sa chambre d'oD. il commandait a une partiedu monde. Deux fois seulement il alla sur laterrasse, sans daigner jeter un regard sur les jar~dins merveilleux qu'elle surplombait, voluptueuxcomme ceux d' Armide. Mais ces jardins eni-vraient de leurs parfums les « fedavis» et les« refiks », parfums emanant des fleurs profuses etdes fraiches fontaines dont les jets verticaux mon-taient et descendaient dans les vasques qu'on eutdit de turquoises. Lui, Ie tout-puissant Sidna ouSeigneur, il etait pale a force de pencher sa teteblanchi:;sante sur les manuscrits hennetiques queses disciples les plus severement choisis lui appor-taient de la magnifique bibliotheque du chateau,tresors de la philosophie et de toutes les connais-

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sances qu'il faisait venir de tous les coins dumonde, tn':sors de la Grece, de l'Egypte, de laPerse, de I'lnde, que devaient un jour bruler lesMongols de Gengis-Khan, comme les Croisesbrulerent la bibliotheque de Tripoli, COll1meOmarbrula la bibliotheque d' Alexandrie, comme lesAllemands bnilerent, en 1914, la bibliotheque deLouvain. Dne loi satanique veut que la massebestiale de l'humanite detruise les plus beaux te-moignages de I'enthousiaste elan de son elite versles cimes spirituelles.

Hassan Sabah avait d'abord consacre sa stu-dieuse jeunesse a suivre l'enseignement soufi deMuvaffik Ed Din, Ie grand maitre du Khorassan,cote a cote avec son intime ami Omar Khayam,ce lres savant poete dont les quatrains bachiquesvoilent un esoterisme que voulurent penetrer lescommentateurs dans tous les temps, plus nom-breux, il faut bien Ie reconnaitre, que ceux qui,en Occident, chercherent a savourer Ie bouquetenferme dans la dive bouteille de notre Rabelais.

Quelle amere indifference devait-il dominer enlui, ce dominateur de I'Asie, pour se resoudre itcommander du fond de sa chambre, ce Vieux dela Montagne qui avait passe par la premiere mortde I'adepte, la mort au monde profane! La

legende accreditee dans Ie vulgaire raconte q'u'ilsavait inspirer it ses subordonnes un devouementfanatique en envoyant leurs esprits, sur les vapeursdu haschich, hanter les jardins paradisiaques oules houris dispensent d'inefIables voluptes. Si Iesecret de sa puissance gisait dans l'usage d'uneuphore, il serait miserable, et meme impossible,car de tous temps Ie chanvre indien fut it la por-tee de tout Ie monde. Laissons de telles histo-riettes dans Ie bric-~l-brac des anecdotes de fan-taisie. D'ailleurs, comment admettre qu'un chefchoisirait pour enivrer ses soldats precisementla substance dont la vertu detruit I'energie et Iecourage! Pour imposer !'obeissance aveugle, IeSheik disposait de ll10yens moins puerils.

L'ordre des Assacis dure deux siecles, commel'ordre du Temple. Tous deux sont brises quandils ont atteint Ie faite de leur puissance. II sem-ble que la meme etoile luise sur leur communedestinee. Leur entente se prouve par des actes.En I I 18, Ie grand maitre du Temple qui vientde naitre, engage Baudouin II, roi de Jerusalem,it s'allier avec Ie grand maitre des Assacis, lequel,par un traite secret, s'engage it livrer aux Croi-ses, un vendredi, la ville de Damas. En revan-che, quand Ie grand maitre des Hospitaliers, qui

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sont les rivaux des Templiers, determine Ie roiAmaury it envahir l'Egypte, les Templiers refu-sent leur concours. Les Templiers d'Asie parlentcouramment I'arabe, L'ordre compte dans sonsein des chevaliers musulmans. S'il a parmi sesaffilies des papes, il a aussi des sultans, et il donneaux uns et aux autres la meme initiation, Lesecreta ire d'un des grands maitres est un musul-man.

Un trait curieux de ressemblance : les Assacissont des Ismaeliens; les Templiers sont desJohannites. Les Ismaeliens, pour lesquels Ismaelest Ie demier Khalife visible, et dont descen-dent, parait-il, ces Wahabites qui, depuis 1924,sont maitres de la Mecque, les Ismaeliensrepresentent, dans Ie monde islamique, ce querepresentent dans Ie monde chretien les Johan-nites. Les fideles du prophete de I'Apocalypse etd'un evangile qui passe pour plus mystique queles trois autres canoniques, sont les gardiens dela part reservee de la doctrine dont Pierre et sessuccesseurs dispensent les mysteres sous des sym-boles plus accessibles aux foules. La chroniquede Turpin prete a Charlemagne Ie projet d'etablirI'eglise chretienne sur un plan trinitaire : un.eeglise de Saint-Pierre a Rome, une eglise de

Saint- Jacques en Espagne. et une eglise de Saint-Jean a Ephese. Les trois chefs invoques sont lestrois ap6tres admis aux fulgurations du Thabor.Le pape Calixte II, protecteur - au protege-des Templiers, approuvant la chronique de Tur-pin, estime tout naturelle projet de Charlemagne.

Les Ismaeliens ne se cachaient pas pour decla-rer qu'ils n'acceptaient du Coran que ses signifi-cations symboliques. Bien que nes d'eux, lesAssacis avaient la prudence de crier tres haut :« Nous croyon~ tout ce que dit Ie Coran ). Mais,au milieu du treizieme siecle, l'imprudence dutroisieme Vieux de la Montagne, Hassan II, cau-sa la perte de son ordre. II osa proclamer que laconnaissance du sens symbolique dispense deI'observation du sens litteral. II alla meme jus-qu'it abolir les pratiques dll culte. Un vertige Iepoussa it laisser evaporer les secrets de son ordre.Ainsi Ie vouait-il it une fin qui ne se lit pas atten-dre: la quatrieme annee de son regne, il tom-bait sous Ie poignard de son beau-frere, et I'or-dre des lors declina, jusqu'a sa destruction.

Certes !'Islam, sachant que sa puissance residedans ses societes secretes, s'est toujours montretolerant it leur egard. Mais une auto rite religieusene peut evidemment laisser publier que Ie sens lit-

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teral de ses enseignements est negligeable. Seuleune petite elite d'esprits peut arriver a percevoirque toute religion etablie est une presentationsous forme symbolique des connaissances supe-rieures, des secrets de la Haute Science Maistoute religion est bien obligee d' exiger de sesfideles un acte de foi aveugle au sens litteral decette presentation. Mieux vaut que la foule ignorea jamais que resplendit ailleurs, derriere un murd'ombre salutaire, l'eblouissante beaute de cesens symbolique. (I) Elle n'en pourrait perce-voir que de troublantes deformations; commenty pourrait-elle acceder, puisque nous voyons, -avec quel etonnement ! -- une intelligencecomme celie d'un Pascal, obstinement fermee itcette beaute, se jeter dans la foi au sens litteralqu'elle estime absurde avec la decision hagarded'un joueur it pile ou face. Ah! Cet emouvantPascal est bien la preuve eclatante de l'angoisse

(r) A plus forte raison laissons sur leurs sommets " lesplus hauts sens », wmme Ie sens anagogique dont parlentegalement, avec tous les maitres de la Scholastique, deuxcelebres Franciscains d'expression bien differente, mais dememe initiation: Rabelais et saint Bonaventure. «Ideo, subcortice litterae apertae occultatur mystica et profunda intelli-gentia» (Breuiloquium, I).

ou se debat un esprit superieur, s'il n'a pas sus'evader des limbes agnostiques. Deux hommesont pressenti l'existence lointaine d'une certitude,Pascal et Nietzsche, et de desespoir de n'en pou-voir approcher, se sont jetes, l'un dans la renon-ciation it l'intelJigence, l'autre dans la folie. Onpeut leur dire ce que murmurait it soi-meme unesprit mieux eclaire, Gerard de Nerval : « Lesreligions et les fables, les saints et les poetes s'ac-cordaient it expliquer l'enigme fatale, et tu as malinterprete ... » (I)

Les compagnies secretes qui pesent sur lesevenel1lcnts du poids de leur volont~ ne peuventetre jugees qu',l t:ltons par I'histoire qui ne voitd'elles que des apparenceset qui leur attribuedes actes ou des plans au hasard de son humeur.Elle a peint autour du bonnet rouge des Assacisune aureole de terreur et de sang. Des Tem-pliers, elle ne sait que penseI'. Elle les range aunombre de ces enigmes dont elle desespered'avoir jamais la cleo Comment ne serait-elle pasdeconcertee par la rapidite avec laquelle les che-valiers au manteau blanc charge de la Croix rougedeviennent les arbitres de la chretiente ! Quel-

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ques annees apres que saint Bernard eut formuleleur regie exterieure, les Templiers, sortant deleur role initial de protecteurs des pelerins, ontbati des chateaux forts sur les principaux pointsstrategiques d'Europe. Les nations ne se ferontpas la gl1erre sans qu'ils jettent, s'ils Ie jl1gent apropos, leur epee dans la balance. lis sont les mal-tres de la finance. On murmure qu'ils disposentde richesses fabuleuses. Ils ont autant de banquesque de forteresses. D'ou tiendraient-ils, en si peude temps, de teUes quantites d' or, si, possesseurs,comme leurs aUies Assacis, des secrets de I'anti-que science sacerdotale, ils ne comptaient pasparmi leurs chefs des praticiens de I'art d'Her-mes? De ces choses, Philippe Ie Bel etait bieninforme. Mais il ne put obtenir d'eux des cadeauxtels que ses lointains successeurs Henri II etCharles IX en re<;urent de Nostradamus. LesTempliers ont, dans chaque pays, enlace les pro-vinces dans les reseaux que tracent leurs com-manderies, bfltiments puissants dont certains sontencore debout sur Ia terre de France. A Paris,Ie Temple est une forteresse qui donne asile ades proteges de to utes les classes sociales. Cen'est pas pour rien que ces chevaliers se nom-ment Templiers. Ils sont les heritiers des hiero-

phantes qui, dans la grande epoque d'une loin-taine antiquite, veillaient aux tresors des connais-sances enclos dans le Temple sur Ie modeleduquel est construit Ie Temple de Salomon. Fortsd'agir selon les principes reveles par les deposi-taires de I'unique sagesse, ils visent un but gran-diose : construire la cite terrestre, organiser unesociete ou toutes les classes des trois mondes :chretien, juif et musulman, seront hierarchique-ment emboitees pour la paix et la prosperite. Ilsy tendent avec une. maitrise extraordinaire. Ilstiennent en leurs mains la finance, creant lesBourses; ils tiennent I'industrie par la protectiondont ils entourent les corporations et Ie com-merce par les Hanses, vieille institution druidiquequ'ils reprennent pour englober les ports prin-cipaux de l'Europe. La Hanse de Paris deviendrasous saint Louis la municipalite dont ceUe d'au-jourd'hui est la suite. Supposons que la feodalitefinanciere et industrielle de notre temps, au lieude n'avoir pour but qu'elle-meme et de tendreson energie hagarde dans l'inquietude, entre lesIuttes intestines dont elle se dechire et la menacedeja sonore de ses esclaves, obeisse inconsciem-ment a une autorite spirituelle, par ailleurs mai-tresse du glaive, qui dirige ses efforts vers Ie bien

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commun du monde, et lui assigne sa place dansl'economie harmonieuse d'une civilisation veri-table. Nous percevrons ainsi un aspect de l'actiontempliere. Economie,'oikonomia, c'est Ie nom queles Peres de 1'Eglise donnent it la fonction duMessie.

Egares par la passion, les detracteurs et lesapologistes des Templiers n'ont pas suivi Ie tra-vail d'organisation sociale execute par les cheva-liers dont la Croix rouge est aujourd'hui arboreepar les institutions qui cherchent it attenuer leshorreurs de la guerre. Si Saint-Yves d' Alveydrepen;ut sur la question de plus vigoureuses clar-tes, c'est qu'il etait mieux arme pour penetrerles secrets de l'histoire, et ce missionnaire de laSynarchie n'a pas manque de montrer les Tem-pliers donnant i la France et i l'Europe uneconstitution etablie sur la connaissance hieropha-ne, et batissant les fondements du Temple surles plans veri tables du Grand Architecte, plansdont les Mac;ons d'aujourd'hui semblent toutignorer. II leur attribue 101fondation des Etats-Generaux dont la fonction reguliere eut evite it laFrance tant d'experiences desastreuses, si l'Etatpolitique ne les eut detruits parce qu'ils s'oppo-saient it son despotisme precaire. Si 1'0n veut

chercher dans Ie symbol isme de l'antiquite lacorrespondance de I'organisation du Cosmos etde celle de la cite terrestre soit de l'etat social, ,on ]a trouve dans Ie bouclier d'Achille. Si l'onveut instituer une Societe des Nations qui soitautre chose qu'une comedie sinistre, c'est dansll~s vel'S homeriques qu'il faut chercher lesprincipes sur lesquels l'etablir.

C'est vel'S les Templiers, alors i l'apogee deleur puissance, que se tourne ce vieux pape sidiversement juge, Boniface VIII, quand leschevaliers es-iois de Philippe Ie Bel viennentI'enfermer dans Anagni. I1s ne semblent pasavoir pris parti dans la querelle, et leur grandheritier spirituel, le Gibelin affilie de la SantaFede, Dante, jette pele-mele dans l'enfer eternelde ses tercets terribles ce pape et ce roi .

Ce roi Philippe Ie Bel osa ie plus grand coupd'etat connu de l'histoire, en cette nuit memora-ble du 12 au 13 octobre 1307 ou dans toute laFrance furent arretes les chefs des Templiers,dont I'illustre Grand Maitre Jacques de Molay, IeVisiteur de l'ordre, Grand Prieur de Normandie,Hugues de Perauld, Ie Grand Prieur d'Aquitaine,Guy Dauphin. Alors commence ce proces desept annees qui demeure une des enigmes les

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plus etranges de nos annales. Sur Ie terre-pleindu Pont Neuf, a la pointe aval de l'ile de la Cite,entre les deux bras de la Seine, un monumentexpiatoire devrait s'e!ever a la place ou, Ie 13mars 1314 (I) Ie Grand Maitre Jacques de Molay,du haut de son bucher deja flambant, assigna aI'accompagner dans la mort, et i comparaitreavec lui devant Ie tribunal eternel, Ie pape Cle-ment V dans les quarante jours, et Ie roi Phi-lippe Ie Bel avant la fin de I'annee. La statuedressee la, alerte sur son cheval de bronze, cen'est pas celie de Jacques de Molay, lllais par unecOIncidence curie use, c'est celie d'un roi qui futassassine parce qu'il se proposait d'executer " Iegrand dessein » que lui avait suggere, en 1606,un heritier de I'esprit templier, Ie mysterieuxRose-Croix Irenee Agnostus. Le fameux « granddessein " de Henri IV, qui consistait a etablir parla force l.esEtats-Unis d'Europe sous l'hegemolliede la France, allait etre realise... Quelle mainmit alors un couteau dans Ja main d'un maitred'ecole abruti. Ravaillac ? Durant toute I'anneequi Ie preceda, I'assassinat attendu etait un sujet

(I) Selon Ie ealendrier Julien. Ce serait done Ie 22 marsselon Ie ealendrier Gregorien.

de conversations dans certaines cours europeen-nes. Avant que ce premier Bourbon eut succedeau dernier Valois, ce meme « grand dessein "avait ete Ie couronnement d'un plan d'inspirationfranciscaine que devaiellt executer Louis et Henride Guise, I'un devenant pape et I'autre roi deFrance. Deux ou trois coups de dague dans lessalles du chateau de Blois egorgere nt Ie planignore des historiens.

Si Bertrand de Goth etait devenu Ie pape Cle-ment V de par I'autorite de Philippe Ie Bel, c'estqu'il etait tenu de donner, du haut de la chairede Pierre, Ie coup de grace aux chevaliers duTemple. II semble avoir cherche a se soustraireit ses tortueux engagements. En taus cas, si I"or-dre par lui fut supprime, il ne fut jamais con-damne. Dans Ie proces intente aux Templiers,six nations reconnurent leur innocence. Sansdoute il y eut dans Ie troupeau des brebis ga-leuses. Quelle bergerie n'en a pas? Mais auxchevaliers accuses les enqueteurs.attribuerent lesaveux qu'ils voulurent. Certes, certains symbolesblessaient leur ignorance. Ainsi Ie fameux Ba-phomet, \'idole pretendue des chevaliers, pourl'esprit grassier des inquisiteurs, ne pouvait etreque l'image du diable : or qu'etait done ce mys-

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(x) Saint Bonaventure, BreviJoquium, prologue, 4. Sur cesujet des « plus hauts sens » (cette expression est de Ra-belais), voir it la fin I'Appendice.

bel espoir de la cite terrestre. Mais l'Abstraitauquel bait enchalne leur effort poursuivit dansIes regions inconnues sa vie inaccessible nourriede leur sang devoue, et plus d'une fois, au coursdes temps, il Iaissa fiuer son inspiration en desesprits capables de l'accueillir .

Heureux ceux qu'une belle emotion saisitd'evoquer sur I'ecran imaginaire ou s'inscriventIes grandes figures du poeme et de 1'histoire,derriere 1'enchanteur Merlin elevant l'etendardblanc charge 4u Dragon d'Or, Ie martyr Jacquesde Molay dressant dans son poing brule la hampedll Baucean, ce celebre etendard portant, au-dessolls du contrepal d'argent et de sable, Ia de-vise: NOll nobis, Domim, 11011 nobis, sed Nomi11ituo da gloriam! Ce nom, dont nos petits-enfantsdemandent matin et soir l'expansion cosmiquedans Ia plus simple et Ia plus mysterieuse desprieres, c'est ceIui que forment Ies quatre hiero-grammes dont Ies cles etaient enfermees dans Iessanctuaires de Ia haute alltiquite, Ies quatre hie-rogrammes que Ie disciple d' Aristote, AlexandreIe Grand, fut autorise a proferer, sur Ie ton im-muabIe, devant Ie tabernacle d'lsraCl, et dontl'echo resonnait aux graves Mysteres des Baccha-nales : « lod ! Hevohe ! » Le but des Templiers

terieux Baphomet dout les lettres se retrouventdans Ia formule qui Ie designe : TEMpli Om-nium Haminum Pacis ABbas (lues cabalistique-ment de droite a gauche;? C'etait la figurationsculpturaIe d'un arcane, figure qui, sous desformes a peine variees, recouv're de ses gran desailes Ies fremissements interieurs de son secret.C'est Ie Kheroub d'Assyrie et d'IsraeI, Ie Kha-rouf arabe, Ie Sphinx de l'Egypte et de Ia Grece,c'est Ie pantacle fondant en une seule figure lesquatre animaux divins qui accompagnent Iesquatre evangelistes et qui supportent Ie trane duDieu de I'Apocalypse. Mai5 ni Ies epais magis-trats du roi politique, ni, apres eux, Ies petitshistoriens butes aux apparences, n'etaient aptesa chercher dans Ia statue monstrueuse Ies troissignifications superieures murmurees par sesformes, qu'il faut entendre selon la methodequ'ailleurs formuIe Ie Docteur Seraphique : scili-cet allegorice, moraliter et anagogice (I).

Ainsi disparurent les chevaliers du Templeavec leur secret dans l'ombre duqueI palpitait un

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etait frere de celui d' Alexandre, de celui deCharlemagne.

Le chevalier Ignace de Loyola, i son lit demort, demandait i Dieu, pour I'Ordre qu'il avaitfonde, la faveur d'avoir toujours des ennemis.Car il cannaissait Ie jeu des forces en conflitdans Ie monde. II peut advenir que les ennemissoient les plus forts. Ainsi en fut-il pour lesTempliers. Les historiens ont attribue leur chuteala cupidite ennemie excitee par leurs richesses.Non: il y avait une autre cause secrete. JulesMichelet, qui, par deli ses etroites preventions,a parfois des eclairs de vision, ecrit que c'est IiI'evenement Ie plus important du moyen age.En effet, c'est I'avortement d'un grand espoir.Philippe Ie Bel etait I'executeur suscite par Iemauvais genie de la terre. Napoleon jugeait« cette enigme insoluble». Elle I'avait preoc-cupe, lui qui savait ce qu'il devait aux societesSecretes. Pourquoi, en J 808, envoya-t-il, avecun notable empressement, une importante forcemilitaire au service que firent celebrer i la me-moire de Jacques de Malay, dans I'eglise Saint-Paul et Saint-Louis, ceux qui alors se vantaientde continuer les Templiers?

Car d'aucuns ont pretendu que si la succession

materiellc des Templiers avait ete attribuee ileurs ennemis les Hospitaliers, du moins leurtradition s'etait perpetuee en une suite d'espritsfideles. lIs assurent que la Iiste des grands mai-tres ne fut jamais interrompue jusqu'aux tempsmodernes, depuis Marc Larmenius, successeurdirect initie par Jacques de Molay, et Iedeuxieme successeur Theobald d' Alexandrie.Dans cette Iiste figureraient Duguesclin, de Cha-bot-Montmorency, Philippe-Ie-Regent, et troisBourbons immediats. Parmi les affilies sontnommes, i cote du calviniste Bochard (1663),Fenelon (1669), qui fut, camme on Ie sait,I'ami du Ma'fon Ramsay, et Massillon (1703),puis Ie roi de Prusse Frederic II, dont les sol-dats portaient sur I'uniforme de bien significa-tifs emblemes, Dupuis, I'auteur fameux de l'Ori-gine de taus Ies cultes (1), Dulaure, Ie duc de Sus-sex, La Bourdonnais, et d'autres.

Quoi qu'il en soit, Ie Baucean, bien long-temps apres l'abolition de rOrdre Templierfigura au sacre secret des rois de France (2), ar-

(1) Ce serait alors un Templier bien prima ire I(2) Parallelement au sacre public a Reims, ou Ie roi re-

nouveJait Ie pacte conclu entre Clovis et saint Remi au nomdes communes autonomes de GauIe, II yavait UII sacre se-

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bore par ces corporations qui s'intitulaient FreresCharbonniers, parce que la plus puissanted'entre elles etait celie des Charbonniers, dOll!Ie travail etait aussi indispensable a l'industriequ'aujourd'hui celui des mineurs. Leur nom iutrepris par les Carbonari dont I'influence agit for-tement au XIX" siecle, les Carbonari de Bazard,de Buchez et de Lafayette. Ce sont ces corpora-tions qui, d'accord avec les Franciscains, fraye-rent la voie it Jeanne d'Arc.

Est-il admissible de considher les Rose-Croixcomme procedant des Templiers? Le fabu-leux chevalier Christian Rosenkreutz serait nesoixante-dix ans apres Ie coup d'etat de PhilippeIe Bel, au dire de la legende d'origine germa-nique qui inventa ce personnage. En rcalite, lesRose-Croix n'ont jamais constitl1e un Ordre auxcadres rigides. Si certaines associations d'espritscurieux du secret royaume d'Hermes adopterentcette denomiHation, elles ne fment jamais que

temporairement liees a la tige de Ia grande Roseou s'inscrit Ia Croix symbolique: Les hommesqui lui sont attaches sont epars dans Ie temps etl'espace, nes dans des siecles distants, dans despatries separees, et Ie mysterieux Grand MaitreElias Artiste sait reconnaitre les siens.

II n'entre pas dans Ie plan de Ia presente etudede re.chercher si l'esprit de Ia chevalerie du Tem-ple s'est refugie dans Ie sein plus ou moinsessouffie de telle ou telle societe secrete. Maisquel esprit independant et clairvoyant ne depIo-rerait pas l'assassinat de cet Ordre dont Ies pro-jets grandioses se proposaient une synthetiqueconstruction de Ia chretiente sur Ies donnees deI'antique connaissance sacerdotale?

cret, ou Ie roi devait revctir un habillement symboliquefourni par les corporations. Cest en s'habillant " ce cere-monial que Ie roi Dagobert " a mis sa culotte it l'envers ".Peut-etre faut·il chercher it la chanson un sens autre que Ielittera!. II V.l sans dire qu'il s'agit d'un monarque beaucoupplus proche de nous que ce lointain merovingien.