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EXTRAITS

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TOUT HOMÈRE 1

Pourquoi Tout Homère ?

Homère, c’est un nom. Un nom qui rassemble à la fois l’esprit d’un peuple, son histoire, ses héros, en un mot son âme. Un nom qui sonne comme la date de naissance de notre Histoire.

Homère, c’est un monde. Celui des Grecs au début de leur civilisation, de leurs guerriers méprisant la mort, de leurs marchands subtils et explora-teurs aventureux et de leurs dieux cruels et sublimes.

Homère, c’est un art. Celui de l’aède, père de la poésie, qui imagine l’au-delà de vieux récits.

Homère et ses disciples ont eu pour écouter leurs chants toute l’Hellade, puis tous les hommes de la Terre.

Alors pourquoi lire encore celui que tout le monde, partout, a lu, au moins un peu ?

Parce qu’Homère, c’est l’Iliade et l’Odyssée. Et que ces sommets de la poésie exigent des traducteurs d’exception pour les aff ronter. Ici, nous donnons la traduction nouvelle et magistrale de Pierre Judet de La Combe pour l’Iliade et celle fl amboyante de Victor Bérard qui fait autorité pour l’Odyssée.

Parce qu’Homère, ce sont aussi les Hymnes, les scholies, les écrits apo-cryphes, les Fragments et légendes du Cycle troyen et enfi n les Vies. Ces textes, en grande partie inédits en traduction, sont en intégralité dans ce volume. Ils sont le fruit du travail des meilleurs hellénistes européens et sont accompagnés des introductions et notes nécessaires.

Parce que, jusqu’à présent, il n’était pas possible de lire TOUT Homère.

C’est chose faite, pour la première fois au monde et pour TOUS.

Caroline Noirot, Présidente du directoire des Belles Lettres

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TOUT HOMÈRE2

Le moment Homère (extrait de l’Introduction)

Comme Pénélope, il faut ruser pour échapper au sentiment de familiarité, et se laisser porter par le souffl e de cet imaginaire ancien qui ne se présente pas à nous de manière linéaire : emprunter les détours, souvent désordonnés et contradictoires, qui off rent un début et une fi n à l’Iliade. Car sous l’éti-quette commode de poésie d’Homère réside en réalité un vaste ensemble de textes, de légendes, de morceaux épars qui, écrits avec le vers épique, l’hexa-mètre dactylique, évoquent un monde de héros, un monde révolu, celui des temps de l’eff ondrement de la civilisation mycénienne, autour de 1200 avant notre ère, celui de la guerre de Troie.

Les causes de cette guerre entre Grecs et Troyens, la description de la mort d’Achille, le héros central du poème, nous les apprenons d’autres récits épiques, plus ou moins contemporains d’Homère  : ceux du Cycle troyen, dont seuls quelques morceaux nous sont parvenus. Ces légendes de la geste troyenne, qui racontaient certains épisodes absents d’Homère, étaient connues dès la plus haute Antiquité et participaient de la même tradition  : le combat d’Achille avec Penthésilée, la reine des Amazones, alliée des Troyens, l’exécution brutale de Priam, le vieux roi de Troie, par Néoptolème, le fi ls d’Achille, le retour des Grecs dans leur patrie, etc. Rassemblée pour la première fois en un seul volume, à côté du texte d’Homère, cette collection de légendes off re à l’amateur de lit-térature ancienne, mais aussi, et surtout, à un public plus large que celui des spécialistes un ensemble qu’il n’a jamais approché dans son entier. […]

Comment ne pas constater qu’en 2019 ces vieux textes ne cessent d’atti-rer le grand public amateur de mythologie grecque, d’inspirer les créateurs contemporains – peintres, musiciens, dramaturges, écrivains, auteurs de bandes dessinées, cinéastes ? Est-ce parce que la colère d’Achille « est une révolte absolue, sociale, qui résonne avec notre histoire », comme le dit Pierre Judet de La Combe, qui propose dans cet ouvrage une nouvelle traduction de l’Iliade ? Est-ce parce qu’Ulysse est le premier déplacé, le premier migrant de l’histoire, celui qui cherche, malgré tous les naufrages qu’il subit, à retrouver son identité d’homme mortel ? Est-ce parce que notre époque retrouve dans l’épopée homérique la représentation de mondes en crise ?

Si éloigné que soit de nous Homère, nous pouvons nous transporter sans le moindre eff ort dans le monde qu’il décrit, comme si nous vivions au milieu des dieux et des héros, car l’héroïsme des fi gures de l’Iliade ou de l’Odyssée reste résolument humain, dans ses ambiguïtés précisément.

Hélène Monsacré

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SOMMAIRE 3

Sommaire

Introduction – Le moment Homère, par Hélène Monsacré ......................... 9Carte de la Grèce des poèmes homériques ............................................... 16

Première partieLes Œuvres

Les Poèmes ..................................................................................................... 21

Iliade – introduction, traduction et notes de Pierre Judet de La Combe ................................................................ 23

Odyssée – introduction d’Eva Cantarella, traduction de Victor Bérard, notes de Silvia Milanezi ......................................... 565

Hymnes homériques – introduction de Christine Hunzinger, traduction de Jean Humbert, notes de Silvia Milanezi..................... 873

Scholies et commentaire à l’Iliade, par Michel Casevitz ........................ 967

Divertissements homériques ....................................................................... 985

Margitès – traduction et notes de Pierre Judet de La Combe ............. 987Les Cercopes – traduction et notes de Xavier Gheerbrant ................... 996Les Grives – traduction et notes de Xavier Gheerbrant ....................... 997La Bataille de la belette et des souris – traduction et notes

de Xavier Gheerbrant .......................................................................... 999La Batrachomyomachie ou la Guerre des grenouilles contre les rats

– introduction, traduction et notes d’Adrian Faure ........................ 1002

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SOMMAIRE4

Deuxième partieFragments et légendes du Cycle troyen

Fragments ....................................................................................................... 1019

Introduction aux fragments du Cycle troyen, par Eva Cantarella ....... 1021Fragments – traduction de Christine Hunzinger, présentation

de Silvia Milanezi et Hélène Monsacré ............................................. 1025

Chrestomathie de Proclos – traduction d’Albert Severyns ........................ 1065

Posthomerica, par Giulio Guidorizzi.......................................................... 1077

Autres cycles légendaires ............................................................................. 1129

Troisième partieLes Vies d’Homère

Introduction aux Vies d’Homère, par Gérard Lambin ............................. 1139Les Vies d’Homère – traduction et présentation de Gérard Lambin ..... 1143

Postface – Homère, la poésie au carré, par Heinz Wismann ......................... 1183Lexique, par Manon Brouillet .................................................................... 1193Remerciements .............................................................................................. 1225Index – Iliade ................................................................................................. 1227Index – Odyssée .............................................................................................. 1267Index – Hymnes homériques ......................................................................... 1285Table des auteurs ........................................................................................... 1293

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EXTRAITS DE L’ILIADE 5

Introduction à l’Iliade, par Pierre Judet de La Combe

L’Iliade est un océan de mots, une houle gigantesque de près de 16 000 vers qui arrache à son passé lointain et porte en elle l’événement que toute société grecque ancienne considérait comme fondateur : la guerre eff rayante des Achéens et des Troyens. Ce fl ot charrie, transforme d’innombrables poèmes plus anciens ; il ne cesse de changer de cours, de refl uer, de surprendre, d’alter-ner presque à l’infi ni les victoires et les défaites de deux adversaires déchaînés dans une guerre quasi mondiale. Le déferlement emporte tout ce qui dans le monde pouvait off rir un refuge ou une forme stable, un espoir. L’univers bien réglé des dieux de l’Olympe se disloque dans une histoire qui attise les haines et fait pleurer les dieux ; les héros ne sont plus eux-mêmes, pris dans des sentiments, des douleurs ou des illusions extrêmes, jusqu’au jour où ils disparaissent ; la ville magnifi que de Troie, sorte d’âge d’or humain où se déploient richesses, fécondité et plaisirs, est vouée à sa perte, tandis qu’avant leur victoire fi nale les Grecs doivent subir massacre sur massacre.

Chant VI, Hector et Andromaque

440 Le grand Hector casqué de mille refl ets parla à son tour : « Tout cela m’inquiète aussi, femme. Mais, terriblement, j’ai honte face aux Troyens et aux Troyennes aux longues traînes de me replier loin du combat comme un homme mauvais. Mon cœur me l’interdit, car j’ai appris à être noble, 445 toujours, et à combattre avec les Troyens de devant pour la défense acharnée de la grande gloire de mon père et de moi. Je sais parfaitement dans ma poitrine et dans mon cœur qu’il y aura un jour où la sainte Ilion sera anéantie, avec Priam et les gens de Priam bien armé de frêne. 450 Mais je ne m’inquiète pas tant des douleurs à venir des Troyens, ou d’Hécube même, ou du seigneur Priam, de mes frères de sang, qui nombreux et nobles vont tomber dans la poussière sous les coups d’hommes haineux, que de la tienne quand un Achéen au manteau de bronze 455 t’emmènera en pleurs, parce qu’il t’aura pris le jour de ta liberté.

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[…] Cela dit, le lumineux Hector tendit la main vers son enfant qui, dans un recul, cria et se pencha vers le sein de la nourrice à la belle ceinture. La vue de son père l’eff rayait. Le bronze et les crins de cheval en panache lui faisaient peur, 470 terribles quand ils oscillaient au sommet du casque. Le père et la mère souveraine éclatèrent de rire. Le lumineux Hector enleva tout de suite le casque de sa tête et le déposa à terre, tout brillant. Puis il embrassa l’enfant chéri et le fi t sauter dans ses mains. 475 Il adressa une prière à Zeus et aux autres dieux : « Zeus, et vous les autres dieux, donnez à lui aussi, mon enfant, de devenir, comme je le suis, remarquable parmi les Troyens, brave d’une même force ! Faites qu’il règne fermement sur Ilion ! Et un jour on pourra dire : “Il est de beaucoup meilleur que son père”, 480 quand il reviendra du combat. Faites qu’il rapporte les dépouilles sanglantes d’un ennemi tué et que sa mère s’en réjouisse dans sa poitrine ! » Cela dit, il mit l’enfant dans les mains de son épouse bien-aimée. Elle le reçut sur son sein parfumé, en un rire qui pleurait. L’époux eut pitié à la voir. 485 Il la caressa de la main et lui dit, prononçant tous ses noms : « Infortunée, n’accable pas trop mon cœur, car personne ne me jettera dans l’Hadès avant le temps fi xé.

Chant XXI, Le combat contre le fl euve

Quand les Troyens atteignirent le passage du fl euve au superbe fl ot, le Xanthe tourbillonnant qu’engendra Zeus immortel, Achille les divisa. Il précipita les uns dans la plaine vers la ville, là même où, terrifi és, les Achéens s’enfuyaient 5 le jour d’avant, quand le lumineux Hector était fou furieux. Ils dévalaient en débâcle. Héra, devant eux, répandit une vapeur profonde pour les retenir. L’autre moitié fut emportée vers les fl ots profonds du fl euve et ses remous d’argent. Ils y tombèrent en grand fracas ; les fl ots abrupts grondaient ;

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10 les rives des deux côtés hurlaient. Vociférant, ils fl ottaient çà et là, dans les vrilles des remous. Comme sous l’attaque du feu voltigent les sauterelles qui fuient vers le fl euve – le feu sans fatigue les brûle ; il s’est levé en un instant ; elles se blottissent dans l’eau –, 15 de même, à cause d’Achille, le cours du Xanthe tournoyant en ses fonds se remplit du cri mêlé des chevaux et des hommes. Là, l’enfant de Zeus laissa sa lance sur la rive, posée contre des tamaris. Comme un démon, il se rua avec son glaive. Il concevait dans sa poitrine des actes mauvais, 20 frappait à la ronde. Se levait le gémissement aff reux des massacrés par l’épée. L’eau était rouge de sang. Comme, devant un dauphin gigantesque, les poissons emplissent dans leur fuite les fonds d’un port de bon mouillage, eff rayés – car il dévore volontiers qui il attrape –, 25 de même, les Troyens, le long des eaux du fl euve terrible, se blottissaient dans les trous. Quand ses mains se fatiguèrent de tuer, il regroupa hors du fl euve, vivants, douze jeunes gens pour qu’ils paient la mort de Patrocle fi ls de Ménécée. Il les fi t sortir, hébétés comme des biches, 30 leur lia les mains dans le dos avec les lanières bien découpées qu’eux-mêmes portaient sur leurs tuniques souples. Il les donna à ses compagnons, pour qu’ils les mènent aux bateaux creusés, puis, à nouveau, il s’élança, avide de trancher les chairs.

[…] Le fl euve attaqua dans une tempête de houle, 235 souleva, pêle-mêle, tous ses fl ots, précipita une foule de corps qui s’amassaient en lui, les morts d’Achille. Il les jeta dehors, beuglant comme un taureau, vers la terre. Les vivants, il les sauvait dans ses belles eaux, cachés par les grands tourbillons de ses profondeurs. 240 Eff rayante, il dressa autour d’Achille une vague confuse. Le fl ot, s’abattant sur le bouclier, le pressait. Ses pieds n’avaient pas d’appui. Il saisit de ses mains un orme qui avait bien poussé, grand. Chavirant depuis ses racines, l’arbre eff ondra toute la haute paroi, et bloqua les belles eaux 245 dans ses branches serrées. Il avait créé une digue dans le fl euve

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en y chavirant tout entier. Achille sortit vite du tourbillon et lança ses pieds rapides pour qu’ils volent dans la plaine. Il était eff rayé ; le grand dieu n’abandonnait pas, se ruait contre lui, noircissant ses crêtes pour arrêter le travail 250 du divin Achille et protéger les Troyens du désastre. Le fi ls de Pélée sauta loin, autant que s’échappe une lance, avec l’élan d’un aigle noir, l’oiseau chasseur, le plus fort et le plus rapide des êtres ailés. Pareil à lui, il se précipitait. Sur son torse, le bronze 255 retentissait terriblement. S’écartant de l’emprise du fl euve, il fuyait. Derrière, le fl ot suivait en grand vacarme. Comme quand le fontainier, depuis une source d’eau noire, dirige parmi plantes et jardins le cours de l’eau, la pioche à la main, délogeant du canal ce qui l’encombre – 260 quand le fl ot se répand, dessous, tous les cailloux sont bousculés et, vite, le déferlement gronde dans la pente ; il devance même celui qui le conduit –, ainsi, la houle du fl ot atteignait à chaque moment Achille, même s’il allait vite. Les dieux sont supérieurs aux hommes. 265 Chaque fois que le divin Achille confi ant dans sa course s’eff orçait de se mettre de face, en adversaire, pour savoir si tous les immortels le pourchassaient, tous ceux qui tiennent le vaste ciel, chaque fois une grande vague du fl euve tombé de Zeus d’en haut lui écrasait les épaules et lui, à coups de pied vers le haut, il sautait, 270 tourmenté dans son cœur. Mais le fl euve tenait ses genoux par un courant d’en bas, véhément, et minait le sable sous ses pieds.

Chant XXIV, Achille et Priam

Ils ne remarquèrent pas le grand Priam qui entrait. Arrêté, tout près, de ses mains il saisit les genoux d’Achille et embrassa les mains terrifi antes, tueuses d’hommes, qui lui massacrèrent tant de fi ls. 480 Comme quand une dense folie saisit un homme qui, dans sa patrie, a tué quelqu’un et s’en est allé dans une autre terre chez un homme opulent – la stupeur prend ceux qui le regardent –,

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de même, Achille fut stupéfait de voir Priam à l’apparence divine ; et les autres furent stupéfaits et se regardaient l’un l’autre. 485 Suppliant, Priam lui adressa ces mots : « Souviens-toi de ton père, Achille semblable aux dieux. Il est du même âge que moi, sur le seuil du néant de la vieillesse. Les gens de son voisinage, sans doute, le pressent de toute part et l’accablent, et personne n’est là pour écarter malheur et fl éau. 490 Mais, au moins, quand il entend parler de toi en vie il a la joie au cœur et espère chaque jour voir son fi ls aimé quand il reviendra de Troie. Mais moi, mon destin est achevé. J’ai engendré les meilleurs des fi ls dans la vaste Troie, et d’eux je dis qu’il ne m’en reste aucun. 495 J’en avais cinquante quand sont venus les fi ls des Achéens. J’en avais dix-neuf nés d’un même ventre ; les autres, les femmes me les ont mis au monde dans le palais. De beaucoup, l’impétueux Arès a dénoué les genoux. Celui qui m’était unique, qui protégeait la ville et les hommes, 500 tu viens juste de le tuer alors qu’il défendait sa patrie, Hector. Pour lui, je suis venu aux bateaux des Achéens, pour le délivrer d’auprès de toi, et j’apporte une rançon infi nie. Respecte les dieux, Achille, et de moi aie pitié en te souvenant de ton père. Digne de pitié, je le suis davantage, 505 et j’ai osé ce que n’a fait aucun des mortels qui vont sur la terre, tendre la main vers la bouche de l’homme qui a tué ses enfants. » Il dit cela et leva chez Achille le désir de pleurer sur son père. Lui touchant la main, avec douceur il écarta le vieil homme. Tous deux se souvenaient, l’un d’Hector tueur d’hommes, 510 et il pleurait continûment, roulé devant les pieds d’Achille, tandis qu’Achille pleurait son père, et à d’autres moments aussi Patrocle. Leurs gémissements s’étaient levés dans la maison. Quand le divin Achille se fut rassasié de plainte et que le désir en eut quitté sa poitrine et ses membres, 515 tout de suite, il se leva de son siège et, de la main, redressa le vieil homme […].

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EXTRAITS DE L’ODYSSÉE10

Introduction à l’Odyssée, par Eva Cantarella

Au travers des aventures d’Ulysse, que ce soit dans l’univers merveilleux et terrifi ant des voyages ou dans la réalité d’Ithaque, un autre monde se pro-fi le, un monde où l’individu commence lentement à croire à la possibilité de se diriger lui-même ou, tout au moins a l’intuition de cette possibilité. Ce qui ne veut pas dire, naturellement, qu’il ne croit plus à la puissance divine : il sait qu’il est diffi cile de se soustraire à la volonté des dieux ; que, s’il le fait, il encourra le courroux de la divinité off ensée et sera puni. Il a cependant le sentiment de pouvoir choisir sa voie, s’il le veut. Et, à ce stade, il a une intuition nouvelle : quand il s’égare, ce n’est pas toujours sous l’eff et d’une volonté divine. Il y a aussi l’erreur humaine, l’erreur dont les causes résident dans l’incapacité, l’insuffi sance et la faillibilité de l’homme. Et cet homme, c’est Ulysse.

Chant IX, L’identité dévoilée

C’est moi qui suis Ulysse, oui, ce fi ls de Laërte, de qui le monde entier chante toutes les ruses et porte aux nues la gloire. Ma demeure d’Ithaque est perchée comme une aire, sous le Nérite aux bois tremblants, au beau profi l. Des îles habitées se pressent tout autour, Doulichion, Samé, Zante la forestière ; mais, au fond du noroît, sur la mer, mon Ithaque apparaît la plus basse, laissant à l’est et au midi les autres îles. Elle n’est que rochers, mais nourrit de beaux gars : cette terre ! il n’est rien à mes yeux de plus doux.

Oui ! là-bas, Calypso, au creux de ses cavernes m’enfermait et brûlait, cette toute divine, de m’avoir pour époux ; au manoir d’Aiaié, la perfi de Circé voulait pareillement me garder pour époux ! Jamais, au fond de moi, mon cœur ne consentit. Oh ! non, rien n’est plus doux que patrie et parents ; dans l’exil, à quoi bon la plus riche demeure, parmi les étrangers et loin de ses parents ?

Mais puisque tu le veux, c’est aussi mon retour que je m’en vais vous dire, et toutes les angoisses, dont Zeus me poursuivit en revenant de Troie.

En partant d’Ilion, le vent qui nous portait nous mit sous l’Ismaros, au pays des Kikones. Là, je pillai la ville et tuai les guerriers et lorsque, sous les murs, on partagea les femmes et le tas des richesses, je fi s si bien les

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EXTRAITS DE L’ODYSSÉE 11

lots que personne en partant n’eut pour moi de reproches. Alors j’aurais voulu que nous songions à fuir du pied le plus rapide ; mais ces fous refu-sèrent. Le vin qui se but là ! et les moutons qu’on égorgea sur cette plage ! et les vaches cornues à la démarche torse ! cependant qu’à grands cris, nos Kikones couraient appeler leurs voisins. Ceux de l’intérieur, plus nombreux et plus braves, envoient leurs gens montés qui combattaient en selle ou, s’il fallait, à pied. Plus denses qu’au printemps les feuilles et les fl eurs, aussitôt ils arrivent : Zeus, pour notre malheur, nous mettait sous le coup du plus triste destin ; quelle charge de maux ! Ils se mettent en ligne et le combat s’engage sous le fl anc des croiseurs : on s’attaque à grands coups de javelots de bronze. Tant que dure l’aurore et que grandit le jour sacré, nous résis-tons, sans plier sous le nombre ; mais quand le jour penchant vient libérer les bœufs, les Kikones vainqueurs rompent mes Achéens, et six hommes guêtrés succombent sans pouvoir regagner leur navire ; nous autres, nous fuyons le trépas et le sort.

Nous reprenons la mer, l’âme navrée, contents d’échapper à la mort, mais pleurant les amis : sur les doubles gaillards, avant de démarrer, je fais héler trois fois chacun des malheureux tombés en cette plaine, victimes des Kikones…

Chant IX, Ulysse et le Cyclope

Sur mes compagnons s’élançant, mains ouvertes, il en prend deux ensemble et, comme petits chiens, il les rompt contre terre : leurs cervelles, coulant sur le sol, l’arrosaient ; puis, membre à membre, ayant déchiqueté leurs corps, il en fait son souper ; à le voir dévorer, on eût dit un lion, nour-risson des montagnes ; entrailles, viandes, moelle, os, il ne laisse rien. Nous autres, en pleurant, tendions les mains vers Zeus ! voir cette œuvre d’hor-reur ! se sentir désarmé !

Quand enfi n le Cyclope a la panse remplie de cette chair humaine et du lait non mouillé qu’il buvait par-dessus, il s’allonge au milieu de ses bêtes dans l’antre. Alors je prends conseil de mon cœur valeureux : vais-je, au long de ma cuisse, tirer mon glaive à pointe et, lui courant dessus, le lui plan-ter au ventre, juste au point où le foie pend sous le diaphragme ? Ma main saura tâter ! Une idée me retint : enfermés avec lui, nous périssions encore ;

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EXTRAITS DE L’ODYSSÉE12

la mort était sur nous, car l’énorme rocher dont le Cyclope avait bouché sa haute porte, jamais nos bras, à nous, n’auraient pu l’enlever.

[…]Il dit et, de nouveau, je lui remplis son auge de vin aux sombres feux ;

trois fois, j’apporte l’outre, et trois fois, comme un fol, il avale d’un trait ! Je vois bientôt le vin l’envahir jusqu’au cœur. Alors, pour l’aborder, j’essaie des plus doux mots :

« Tu veux savoir mon nom le plus connu, Cyclope ? je m’en vais te le dire ; mais tu me donneras le présent annoncé. C’est Personne, mon nom : oui ! mon père et ma mère et tous mes compagnons m’ont surnommé Personne. »

Je disais ; mais ce cœur sans pitié me répond :« Eh bien ! je mangerai Personne le dernier, après tous ses amis ; le reste

ira devant, et voilà le présent que je te fais, mon hôte ! »Il se renverse alors et tombe sur le dos… Bientôt nous le voyons ployer

son col énorme, et le sommeil le prend, invincible dompteur. Mais sa gorge rendait du vin, des chairs humaines, et il rotait, l’ivrogne ! J’avais saisi le pieu ; je l’avais mis chauff er sous le monceau des cendres ; je parlais à mes gens pour les encourager : si l’un d’eux, pris de peur, m’avait abandonné !

Quand le pieu d’olivier est au point de fl amber – tout vert qu’il fût encore, on en voyait déjà la terrible lueur –, je le tire du feu ; je l’apporte en courant ; mes gens, debout, m’entourent : un dieu les animait d’une nou-velle audace. Ils soulèvent le pieu : dans le coin de son œil, ils en fi chent la pointe. Moi, je pèse d’en haut et je le fais tourner… Vous avez déjà vu percer à la tarière des poutres de navire, et les hommes tirer et rendre la courroie, et l’un peser d’en haut, et la mèche virer, toujours en même place ! C’est ainsi qu’en son œil, nous tenions et tournions notre pointe de feu, et le sang bouillonnait autour du pieu brûlant : paupière et sourcils n’étaient plus que vapeurs de la prunelle en fl ammes, tandis qu’en grésillant, les racines fl ambaient… Dans l’eau froide du bain qui trempe le métal, quand le maître bronzier plonge une grosse hache ou bien une doloire, le fer crie et gémit. C’est ainsi qu’en son œil, notre olivier siffl ait… Il eut un cri de fauve. La roche retentit. Mais nous, épouvantés, nous étions déjà loin.

Il s’arrache de l’œil le pieu trempé de sang. Il le rejette au loin, de ses mains en délire. Il appelle à grands cris ses voisins, les Cyclopes, qui, dans le vent de la falaise, ont leurs cavernes. Ils entendent son cri ; de partout, ils s’empressent. Ils étaient là, debout, tout autour de la grotte, voulant savoir sa peine :

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EXTRAITS DE L’ODYSSÉE 13

« Polyphème, pourquoi ces cris d’accablement ? pourquoi nous réveil-ler en pleine nuit divine ? Serait-ce ton troupeau qu’un mortel vient te prendre ? est-ce toi que l’on tue par la ruse ou la force ? »

De sa plus grosse voix, Polyphème criait du fond de la caverne :« La ruse, mes amis ! la ruse ! et non la force ! Et qui me tue ? Personne ! »Les autres de répondre avec ces mots ailés :« Personne ? contre toi, pas de force ? tout seul ? C’est alors quelque mal

qui te vient du grand Zeus, et nous n’y pouvons rien : invoque Poséidon, notre roi, notre père ! »

À ces mots, ils s’en vont, et je riais tout bas : c’est mon nom de Personne et mon perçant esprit qui l’avaient abusé !

Chant X, Chez Circé

Sous le porche de la déesse aux belles boucles, je m’arrête et je crie ; la déesse m’entend. Elle accourt à ma voix. Elle sort et, m’ouvrant sa porte reluisante, elle m’invite, et moi, je la suis en dépit du chagrin de mon cœur. Elle m’installe en un fauteuil aux clous d’argent, un beau meuble ouvragé avec un marchepied, et, dans la coupe d’or dont je vais me servir, elle fait son mélange : elle y verse la drogue, ah ! l’âme de traîtresse ! Elle me tend la coupe : d’un seul trait, je bois tout… Le charme est sans eff et, même après que, m’ayant frappé de sa baguette, elle dit et déclare :

« Maintenant, viens aux tects coucher près de tes gens ! »Elle disait ; mais moi, j’ai, du long de ma cuisse, tiré mon glaive à pointe ;

je lui saute dessus, fais mine de l’occire. Elle pousse un grand cri, s’eff ondre à mes genoux, les prend, me prie, me dit ces paroles ailées :

« Quel est ton nom, ton peuple, et ta ville et ta race ? Quel grand miracle ! quoi ! sans être ensorcelé, tu m’as bu cette drogue ! Jamais, au grand jamais, je n’avais vu un mortel résister à ce charme, dès qu’il en avait bu, dès que cette liqueur avait franchi ses dents : il faut qu’habite en toi un esprit invincible. C’est donc toi qui serais Ulysse aux mille tours ? Le dieu aux rayons clairs, à la baguette d’or, m’avait toujours prédit qu’avec son noir croiseur il viendrait, cet Ulysse, à son retour de Troie… Mais allons ! c’est assez : rentre au four-reau ton glaive et montons sur mon lit ; qu’unis sur cette couche et devenus amants, nous puissions désormais nous fi er l’un à l’autre ! »

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14 EXTRAITS DE L’ODYSSÉE

À ces mots de Circé, aussitôt je réponds :« Circé, comment peux-tu invoquer ma douceur ? toi qui, dans ce manoir,

fi s de mes gens des porcs et qui, m’ayant ici, ne veux que me trahir ! Quand tu me viens off rir et ta chambre et ton lit, c’est pour m’avoir sans armes ! c’est pour m’ôter ma force et ma virilité ! Non ! je n’accepterais de monter sur ta couche que si tu consentais, déesse, à me jurer le grand serment des dieux que tu n’as contre moi aucun autre dessein pour mon mal et ma perte. »

Je disais et, suivant mon ordre, elle jura. […]« Oh ! Circé, est-il homme, ayant quelque raison, qui pourrait s’en don-

ner de manger et de boire, sans avoir vu d’abord ses amis délivrés ? Ah ! si c’est de bon cœur que tu me viens off rir ces mets, cette boisson, délivre-moi mes braves et les montre à nos yeux ! »

Je disais, et Circé, sa baguette à la main, traverse la grand-salle et va ouvrir les tects. Elle en tire mes gens : sous leur graisse, on eût dit des porcs de neuf printemps… Ils se dressent debout, lui présentent la face ; elle passe en leurs rangs et les frotte, chacun, d’une drogue nouvelle : je vois se déta-cher, de leurs membres, les soies qui les avaient couverts, sitôt pris le poison de l’auguste déesse. De nouveau, les voilà redevenus des hommes, mais plus jeunes, plus beaux et de plus grande mine.

Chant XXIII, Ulysse et Pénélope réunis

Mais Ulysse, à ces mots, pris d’un plus vif besoin de sangloter, pleurait.Il tenait dans ses bras la femme de son cœur, sa fi dèle compagne !Elle est douce, la terre, aux vœux des naufragés, dont Poséidon en mer, sous

l’assaut de la vague et du vent, a brisé le solide navire : ils sont là, quelques-uns qui, nageant vers la terre, émergent de l’écume ; tout leur corps est plaqué de salure marine ; bonheur ! ils prennent pied ! ils ont fui le désastre ! La vue de son époux lui semblait aussi douce : ses bras blancs ne pouvaient s’arracher à son cou.

L’Aurore aux doigts de roses les eût trouvés pleurants, sans l’idée qu’Athéna, la déesse aux yeux pers, eut d’allonger la nuit qui recouvrait le monde : elle retint l’Aurore aux bords de l’Océan […].

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15EXTRAIT DE LA GUERRE DES GRENOUILLES CONTRE LES RATS

La Guerre des grenouilles contre les rats, traduit par Adrian Faure

Sur la voûte étoilée, Zeus convoqua les dieux ; il leur montra alors la foule belliqueuse, les vaillants combattants : ils étaient en grand nombre, ils étaient menaçants, et déjà ils armaient leurs longues javelines – c’est ainsi qu’au combat s’avancent tout hostiles et l’armée des Géants et celle des Centaures ! Zeus eut un léger sourire et demanda quels immortels apporte-raient leur secours aux grenouilles ou aux rats. Il s’adressa à Athéna :

« Ma fi lle, assisteras-tu donc les rats ? On les voit tous les jours sautil-ler dans ton temple ; la graisse de tes victimes, ils la savourent tous, et mille autres aliments qui te sont destinés. »

Ainsi parla le fi ls de Cronos, et Athéna lui répondit :« Mon père, jamais, non ! jamais je ne viendrai en aide aux rats, quand ils

seraient en grand danger ! Car ils m’ont causé bien des maux : ils ont endom-magé mes bandelettes sacrées et mes lampes pour en boire toute l’huile ! Ah ! Et ce qu’ils ont fait m’a crevé le cœur : ils ont rongé et percé de trous ma robe de fi ne laine ! J’avais mis tant de peine à la réaliser ! Je l’avais tissée d’une longue trame ! Mon couturier est venu me voir et il réclame ses intérêts. Ah ! Quel comble pour une immortelle ! Je m’étais endettée pour la fi ler, et je n’ai plus un sou à lui donner ! Mais je ne viendrai pas défendre les grenouilles pour autant ! Non ! Je refuse ! Elles non plus ne sont pas raisonnables. Je revenais il y a peu de temps du combat, complètement exténuée de fatigue, et je ne désirais qu’une chose : dormir. Eh bien ! Elles m’en ont empêchée avec tout leur vacarme ! Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, pas même une minute ! Je suis restée allongée sans dormir, ma tête me faisait horriblement mal, jusqu’à ce que le coq se mette à chanter. Mais allons ! Nous sommes des dieux, nous, cessons donc de secourir ces pauvres animaux. Vous ne voudriez pas que la pointe d’un javelot vous blesse ! Car ils combattent au corps-à-corps, un dieu ne pourrait rien faire ! Perchés sur la voûte céleste, observons tous ensemble cette querelle et prenons plaisir au spectacle ! »

Ainsi parla-t-elle ; les autres dieux s’étaient laissé convaincre. Et tous de se presser en un même lieu. Alors les moucherons fi rent résonner leurs lon-gues trompes, le tumulte guerrier retentit, déchirant. Dans la voûte céleste, Zeus le Cronide tonna, prodige terrifi ant du début de la guerre !

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16 EXTRAIT DES FRAGMENTS

Fragments

Alors que, dans l’Iliade, Achille et sa colère sont au cœur du poème, dans les Chants Cypriens, le poète donnait un rôle de premier plan à son fi ls, Néoptolème, dont il raconte les circonstances de la naissance ( fr . 19).

19. Scholie (D) à l’Iliade XIX, 326.Après l’enlèvement d’Hélène par Alexandre, Agamemnon et Ménélas

enrôlèrent les Grecs pour l’expédition contre Troie. Pélée, qui savait par avance que le destin d’Achille était de mourir à Troie, se présenta à Scyros chez le roi Lycomède et lui confia Achille. Le roi donna à ce dernier des vêtements féminins et le fit élever en compagnie de ses filles, comme une jeune fille. Mais un oracle avait annoncé qu’Ilion ne serait jamais prise sans Achille, et les Grecs envoyèrent Ulysse, Phœnix et Nestor chez Pélée qui nia que son fils se trouvât chez lui. Ils se rendirent alors à Scyros et, comme ils soupçonnaient qu’on élevait Achille avec les jeunes filles, sur une idée d’Ulysse, ils jetèrent devant l’appartement des jeunes filles des armes et des corbeilles avec du matériel pour tisser. Les jeunes filles se précipitèrent sur les corbeilles et leur contenu, mais Achille s’empara des armes : c’est ainsi qu’il se trahit et qu’il partit pour la guerre. Mais avant son départ, comme il vivait en promiscuité avec les jeunes filles, il avait séduit Déidamie, la fille de Lycomède, qui donna naissance à son fils, Pyrrhos, plus tard appelé Néoptolème ; c’est lui qui, tout jeune encore, rejoignit les Grecs à la guerre, après la mort de son père. Cette histoire se trouve chez les poètes du Cycle.

Pausanias 10.26.4.Les Chants Cypriens disent que Lycomède lui donne le nom de Pyrrhos,

et Phœnix celui de Néoptolème, parce qu’Achille était jeune (neos) encore quand il avait commencé à faire la guerre (polemein).

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17EXTRAIT DE POSTHOMERICA

La chute de Troie. Amazones et Éthiopiens défendent Troie

À la suite de Penthésilée, un autre guerrier formidable arrive à Troie, Memnon, l’Éthiopien, fi ls d’Aurore, qui, comme Achille, possède des armes fabriquées par Héphaïstos. Son histoire était racontée dans l’Éthiopide. Lui aussi se lance avec une fougue ardente dans le combat, tue de nombreux Grecs, et met en déroute leur armée. Parmi ses victimes, Antiloque, le jeune fi ls de Nestor qui, après la mort de Patrocle, était devenu l’ami le plus cher d’Achille. L’histoire de l’Iliade se répète : furieux, Achille aff ronte Memnon et le tue. Cette fois-ci le duel est moins déséquilibré que le combat qui a opposé Achille à l’Amazone ; l’Éthiopien, en eff et, est le fi ls d’une déesse, Aurore. Et cette déesse ne permet pas qu’Achille fasse subir au corps de Memnon les outrages qu’il a infl igés à Hector. Après avoir supplié Zeus, Aurore obtient que son fi ls soit transporté dans les îles des Bienheureux. Selon d’autres récits, Aurore n’obtint pour Memnon qu’un semblant d’immortalité : de la fumée de son bûcher naquit une nouvelle race d’oi-seaux qui furent nommés Memnonides. Chaque année, le jour de la mort du héros, ces oiseaux se divisaient en groupes et se battaient violemment. Nombreux étaient ceux qui tombaient morts sur le tombeau de leur maître, comme une off rande funèbre éternellement renouvelée.

Autre version encore : Aurore, en proie à une douleur inextinguible, transporte les cendres de son enfant unique en Éthiopie. Chaque matin, quand les premiers rayons d’Aurore commençaient à illuminer les terres du Sud, une plainte pitoyable s’élevait des statues du héros qui, à Th èbes d’Égypte, se dressaient, isolées, dans la plaine et que l’on nommait « les colosses de Memnon » (en réalité, elles représentaient le pharaon Ramsès II). La plainte s’entendait seulement à cette heure de la journée : le prodige est rapporté par de nombreux auteurs antiques ainsi que par une série d’épigrammes gravées dans la pierre de ces statues par les visiteurs qui, dans l’Antiquité, accouraient du monde entier pour entendre la plainte éternelle de la déesse.

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18 EXTRAIT DE LA POSTFACE D’HEINZ WISMANN

Homère, la poésie au carré, par Heinz Wismann

Chez Homère, il ne s’agit pas d’épuiser toutes les virtualités de signifi ca-tions en mettant tout le monde d’accord, une fois pour toutes. Le propre de l’entreprise poétique exemplaire qu’est Homère, c’est le geste poétique en tant que tel – et c’est pour cela qu’on ne peut aller au bout d’Homère : il exerce sur le lecteur une attraction qui fait que l’on peut inclure et trouver chez lui mille et une choses. L’Iliade, étrangement, est un tout qui ne se tient pas.

On voit bien que la poésie homérique fait vivre des oppositions sous toutes leurs formes : entre hommes et femmes, entre dieux, entre héros, entre Grecs et Troyens. Mais ce qu’il y a de plus profond, ce sont les oppositions qui existent à l’intérieur même de ce qui en principe domine ce confl it de la guerre de Troie : que Zeus ne soit pas d’accord avec lui-même est peut-être la cellule germinale de ce poème dont l’auteur lui-même ne veut pas être d’accord avec lui-même. Je dirais que Zeus et l’auteur, c’est la même chose. Vu à travers les yeux de la postérité, cet auteur s’est, d’une certaine manière, privé du privilège de s’affi cher à travers une chose qu’il aurait voulue ; il est dans l’attitude de celui qui reçoit de la Muse quelque chose qui existait avant lui et dont les éléments préexistent eff ectivement dans la tradition épique. Mais il accueille tout cela avec cette ambition très étrange qui consiste à déjouer toutes les cohérences autres que celles que possède un récit qui va vers un terme.

Le meilleur exemple est Achille. On sait depuis le début qu’il va mourir, il le sait même avant nous, sa mort est annoncée tout au long du poème, par sa mère, par Patrocle, son double, dont la mort est une anticipation de la sienne, par lui-même. Et, de nouveau, une contradiction terrible s’ins-talle, parce que le héros cherche la mort héroïque pour vivre éternellement dans la mémoire des peuples. Et ce même héros, une fois qu’il est devenu ombre dans l’Hadès, dit, dans l’Odyssée, qu’il préférerait ne pas être héros et vivre sur terre comme un garçon de ferme. Ces contradictions ne sont pas résolues. De ces contre-points, de ces tensions surgit une vérité qui ne s’épuise pas dans la cohérence systématique d’un raisonnement. En ce sens, cet ouvrage imposant, ce Tout Homère, témoigne même matériellement, par le caractère presque vorace qu’il présente, avec les multiples légendes qu’il réunit, de ce champ de gravitation qui attrape absolument tout pour le mettre sous le signe d’une non-coïncidence avec soi-même.

Propos recueillis par Hélène Monsacré

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19TABLE DES AUTEURS

Table des auteurs

Victor Bérard (1864-1931) : Helléniste, ancien élève de l’École Normale Supérieure de Paris, agrégé d’Histoire et docteur ès lettres, diplomate et sénateur (1920-1931), il fut membre de l’École française d’Athènes (1887-1890), professeur de géographie à l’École supérieure de Marine, directeur d’études grecques à l’École des hautes études. Outre sa très célèbre traduction de l’Odyssée et son Introduction à l’Odyssée en trois volumes, il est aussi l’auteur de quatre volumes sur Les Navigations d’Ulysse (1927-1929).

Manon Brouillet : Maîtresse de conférences à l’Université de Picardie Jules-Verne, Manon Brouillet est helléniste, agrégée de Lettres classiques. Spécialiste d’Homère, elle propose une lecture anthropologique du polythéisme grec et des performances épiques. Sa thèse de doctorat, soutenue à l’Ehess sous la direction de Pierre Judet de La Combe (2016), est en cours de publication aux Éditions de la Sorbonne.

Eva Cantarella : Spécialiste de l’Antiquité à la renommée internationale et auteur d’une œuvre considérable, elle a enseigné le droit grec et le droit romain à l’Univer-sité de Milan. On lui doit notamment, en français, Selon la nature, l’usage et la loi. La bisexualité dans le monde antique (La Découverte), et chez Albin Michel, Les Peines de mort en Grèce et à Rome (2000), Pompéi, les visages de l’amour (2000), Ithaque. De la vengeance d’Ulysse à la naissance du droit (2003) ; Le Cheese-cake de Caton, et autres his-toires romaines (2016) ; Les plus belles histoires d’amour de l’Antiquité (2019).

Michel Casevitz : Docteur d’État ès lettres, professeur émérite à Paris Nanterre, spécialiste de philologie grecque. Il est l’auteur, notamment, du Vocabulaire de la colo-nisation en grec ancien (Klincksieck, 1985), d’éditions critiques de Diodore de Sicile, Pausanias, Plutarque, Libanios, aux Belles Lettres (Collection des Universités de France), et de nombreux articles de sémantique grecque. Un choix de ses articles par J. Auberger et J. du Bouchet a paru aux Belles Lettres en 2019, intitulé Mots croisés, lit-térature et philologie grecques.

Adrian Faure : Agrégé de Lettres classiques, ayant étudié le latin de la Renaissance, il enseigne au lycée les lettres et le grec ancien.

Xavier Gheerbrant : Professeur associé de Philosophie ancienne à l’Université du Sichuan (République populaire de Chine), il a obtenu en 2014 un doctorat de langue et littérature grecques de l’Université de Lille (UMR 8163). Ses recherches portent sur la relation entre la pensée philosophique et le véhicule de son expression, aux débuts de la philosophie grecque. Il est l’auteur d’Empédocle, une poétique philosophique (Classiques Garnier, 2017).

Giulio Guidorizzi : Codirecteur de la revue des Studi Italiani di Filologia Classica, professeur de Littérature grecque et d’Anthropologie du monde antique à l’Université

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TABLE DES AUTEURS20

de Turin, il est l’auteur d’ouvrages sur le mythe (dont, en français, Le Mythe d’Œdipe, chez Belin, 2010) et de nombreux essais. Grand traducteur du grec, en prose et en poé-sie, il est aussi spécialiste du théâtre et de la dramaturgie de l’Antiquité, et a traduit et édité nombre de pièces de théâtre grecques.

Jean Humbert (1901-1980) : Grammairien, ancien élève de l’École Normale Supérieure de Paris, agrégé de Lettres, docteur ès lettres, il fut professeur de philologie grecque à l’Université de Lille et à la Sorbonne. Sa Syntaxe grecque, publiée en 1945, est toujours familière aux étudiants, et reste un instrument de travail de référence.

Christine Hunzinger : Ancienne élève de l’École Normale Supérieure de Paris, agré-gée de Lettres classiques et docteur ès lettres, elle est maître de conférences de langue et littérature grecques à la Faculté des Lettres de Sorbonne-Université et a publié des articles sur la représentation de l’étonnant et du merveilleux dans la littérature grecque archaïque et classique, et sur divers auteurs (Homère, Hésiode, les Hymnes homériques, Hérodote).

Pierre Judet de La Combe : Membre de l’Ehess et du Cnrs, il travaille principale-ment sur la poésie grecque ancienne. Avec Jean Bollack, il a commenté l’Agamemnon d’Eschyle (1981-2001). Les tragédies grecques sont-elles tragiques ? (2010) expose son interprétation de la tragédie grecque et de l’histoire du concept de tragique. Traducteur de plusieurs pièces pour le théâtre, seul ou avec Myrto Gondicas, il a publié, chez Albin Michel, L’Avenir des Anciens. Oser lire les Grecs et les Latins (2015). Dans Homère (2017), il analyse le mythe d’Homère et son rapport à la poésie homérique, dont il pré-sente pour la jeunesse les deux fi gures essentielles dans Être Achille ou Ulysse ? (2017).

Gérard Lambin : Professeur de langue et littérature grecques à l’Université de Rennes 2 pendant de nombreuses années, il a publié, outre Le Roman d’Homère. Comment naît un poète (2011), Homère le Compagnon (1995) et L’Épopée. Genèse d’un genre littéraire en Grèce (1999), ainsi qu’une édition critique et annotée des Conjectures académiques, ou Dissertation sur l’Iliade de l’abbé d’Aubignac (2010).

Silvia Milanezi : Professeur d’Histoire grecque à l’Université de Paris-Est-Créteil (UPEC), membre du Centre de recherche en histoire européenne comparée (CRHEC), elle est spécialiste de la comédie grecque et de l’histoire des concours dra-matiques à Athènes (ve-iiie siècles av. J.-C.).  

Heinz Wismann : Philosophe franco-allemand, helléniste et philologue, directeur d’études émérite à l’Ehess. C’est l’une des grandes fi gures de la pensée européenne, un passeur entre les diff érentes traditions ; il a fondé, au Cerf, la collection « Passages » qu’il a dirigée de 1986 à 2007. Il est l’auteur, entre autres, de Penser entre les langues (Albin Michel, 2012) et de L’Avenir des langues. Repenser les humanités (avec Pierre Judet de La Combe, Le Cerf, 2004).

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Ne vois-tu pas comme je suis, beau et grand ?Fils d’un homme de valeur, une déesse m’a engendré. Mais devant moi sont la mort et la Moire puissante.

Iliade, XXI, 108-110.

C’est moi qui suis Ulysse, oui, ce fils de Laërte, de qui le monde entier chante toutes les ruses et porte aux nues la gloire.

Odyssée, IX, 19-20.

160 x 235 mm, 1296 pages, 35 €

Berlin, Staatliche Museen © Bridgeman Images ; Paris, musée du Louvre © Photo Josse / Leemage ; Londres, British Museum © Luisa Ricciarini / Leemage ; © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN-Grand Palais /image of the MMA ; © Staatliche Antikensammlungen und Glyptothek München, photographie de Renate Kühling ; Serge Oboukhoff © BnF-CNRS-Maison Archéologie & Ethnologie, René-Ginouvès.Bande : © Granger / Bridgeman Images