Montevideo Ou La Nouvelle Troie

  • Upload
    beatriz

  • View
    238

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    1/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE(1850)

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    2/96

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    3/96

    ALEXANDRE DUMAS

    Montevideoou

    Une nouvelle Troie

    LE JOYEUX ROGER

    2013

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    4/96

    Cette dition a t tablie partir de celle de lImprimerie

    Centrale de Napolon Chaix et Cie, rue Bergre, 20, Paris, 1850.Nous en avons respect lorthographe et la ponctuation,

    quelques corrections prs.

    ISBN : 978-2-923981-57-4

    ditions Le Joyeux RogerMontral

    [email protected]

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    5/96

    Aux hroques dfenseurs

    de Montevideo.ALEXANDRE DUMAS

    Chapitre premier

    Lorsque le voyageur arrive dEurope sur un de ces vaisseauxque les premiers habitants du pays prirent pour des maisonsvolantes, ce quil aperoit dabord, aprs que le matelot en vigiea cri terre !ce sont deux montagnes : une montagne de briques,qui est la cathdrale, lglise-mre, la matriz, comme on dit l-bas ; et une montagne de pierre, marbre de quelque verdure etsurmonte dun fanal : cette montagne sappelle le Cerro.

    Puis, au fur et mesure quil approche, au dessous des toursde la cathdrale, dont les dmes de porcelaine scintillent ausoleil, la droite du fanal plac sur le monticule qui domine lavaste plaine, il distingue les miradoressans nombre et aux for-mes varies qui surmontent presque toutes les maisons ; puis cesmaisons elles-mmes, rouges et blanches, avec leurs terrasses,fraches stations du soir ; puis, au pied du Cerro, les saladeros,vastes difices o lon sale les viandes ; puis, enfin, au fond de la

    baie bordant la mer, les charmantes quintas, dlices et orgueil deshabitants, et qui font que, les jours de fte, on nentend que cesmots courant par les rues : Allons dans le miguelete !Allonsdans la aguada !Allons dans larroyo seco !

    Puis, si vous jetez lancre entre le Cerro et la ville, domine,de quelque point que vous la regardiez, par sa gigantesquecathdrale, Lviathan de brique qui semble fendre des flots demaisons ; si la yole vous emporte rapidement sous leffort de sessix rameurs vers la plage ; si, le jour, vous voyez sur la route deces belles quintas des groupes de femmes en amazones, de cava-

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    6/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE6

    liers en habit de cheval ; si, le soir, travers les fentres ouvertes

    et versant dans les rues des torrents de lumire et dharmonie,vous entendez les chants des pianos ou les plaintes de la harpe,les trilles ptillantes des quadrilles ou les notes plaintives desromances, cest que vous tes Montevideo, la vice-reine de cegrand fleuve dargent dont Bunos-Ayres prtend tre la reine, etqui se jette dans lAtlantique par une embouchure de quatre-vingts lieues.

    Ce fut Jean Diaz de Solis qui, le premier, vers le commen-

    cement de 1516, dcouvrit la cte et la rivire de la Plata. Lapremire chose quaperut la sentinelle en vigie fut le Cerro.Plein de joie, il scria en langue latine :Montem video !De l lenom de la ville dont nous allons rapidement esquisser la merveil-leuse histoire.

    Solis, dj fier davoir dcouvert, un an auparavant, Rio-Janeiro, ne jouit pas longtemps de sa nouvelle dcouverte : ayant

    laiss dans la baie deux de ses navires, et stant engag avec letroisime dans lembouchure du fleuve, il cda aux signes dami-ti que lui firent les Indiens, tomba dans une embuscade, fut tu,rti et mang sur les bords dun ruisseau qui, aujourdhui encore,en mmoire de cette terrible aventure, porte le nom de arroyo deSolis.

    Cette horde dIndiens anthropophages, trs braves, du reste,appartenait la tribu primitive des Charruas; elle tait matresse

    du pays, comme, lextrmit oppose du grand continent, lesHurons et les Sioux.

    Aussi rsista-t-elle aux Espagnols, qui furent obligs de btirMontevideo au milieu des combats de tous les jours et surtoutdattaques de toutes les nuits ; si bien que, grce cette rsistan-ce, Montevideo, qui compte peine cent ans de fondation, estune des villes les plus modernes du continent amricain.

    Enfin, vers la fin du dernier sicle, vint un homme qui fit cesmatres primitifs de la cte une guerre dextermination o ilsfurent anantis ; trois derniers combats, pendant lesquels, comme

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    7/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE 7

    les anciens Teutons, ils placrent au milieu deux femmes et

    enfants, et tombrent sans reculer dun pas, virent disparatreleurs derniers restes ; et monument de cette dfaite suprme le voyageur qui suit pas pas la civilisation, cette grande dessequi, pareille au soleil, marche dorient en occident, le voyageurpeut voir encore aujourdhui blanchir, au pied de la montagneAcegua, les ossements des derniers Charruas.

    Cet autre Marius, vainqueur de ces autres Teutons, ctait lecommandant de la campagne, Jorge Pacheco, pre du gnral

    Pacheco y Obes, en instance aujourdhui, au nom des Montevi-dens, prs du gouvernement franais.

    Mais les sauvages dtruits lguaient au commandant Pachecodes ennemis bien plus tenaces, bien plus dangereux, et surtoutbien plus inexterminables que les Indiens, attendu que ceux-ltaient soutenus, non par une croyance religieuses qui allait cha-que jour saffaiblissant, mais, au contraire, par un intrt matriel

    qui allait chaque jour saugmentant. Ces ennemis, ctaient lescontrebandiers du Brsil.Le systme prohibitif tait la base du commerce espagnol.

    Ctait donc une guerre acharne entre le commandant de la cam-pagne et les contrebandiers, qui, tantt par ruse, tantt par force,essayaient dintroduire, sur le territoire monteviden, leurs tof-fes et leur tabac.

    La lutte fut longue, acharne, mortelle. Don Jorge Pacheco,

    homme dune force herculenne, dune taille gigantesque, dunesurveillance inoue, en tait enfin arriv, il lesprait du moins,non pas anantir les contrebandiers, comme il avait fait desCharruas, ctait chose impossible, mais les loigner de la ville,lorsque tout coup ils reparurent, plus hardis, plus actifs etmieux rallis que jamais lentour dune volont unique, aussipuissante, aussi courageuse, et surtout aussi intelligente que pou-vait tre celle du commandant Pacheco.

    Le commandant de la campagne lana ses espions par lesplaines et sinforma des causes de cette recrudescence dhostilit.

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    8/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE8

    Tous revinrent avec un mme nom la bouche : Artigas !

    Ctait un jeune homme de vingt vingt-cinq ans, brave com-me un vieil Espagnol, subtil comme un Charrua, alerte commeun Gaucho. Il avait des trois races, sinon dans le sang, du moinsdans lesprit.

    Ce fut alors une lutte admirable de ruse et de force entre levieux commandant de la campagne et le jeune contrebandier.Mais lun tait jeune et croissant en force, lautre tait, non pasvieux, peut-tre, mais lass. Pendant quatre ou cinq ans, il pour-

    suivit Artigas, le battant partout o il le rencontrait ; mais Artigasbattu ntait point pris et reparaissait le lendemain. Lhomme dela ville se fatigua le premier de la lutte, et, comme un de cesanciens Romains qui sacrifiaient leur orgueil au bien du pays,Pacheco alla proposer au gouvernement espagnol de rsigner sespouvoirs, la condition quon ferait sa place Artigas chef de lacampagne, Artigas pouvant seul mettre fin luvre que lui ne

    pouvait accomplir, cest--dire lextermination des contre-bandiers.Le gouvernement accepta ; et, comme ces bandits romains qui

    font leur soumission au pape et qui se promnent vnrs dans lesvilles dont ils ont t la terreur, Artigas fit son entre triomphale Montevideo, et reprit luvre dextermination au point o ellestait chappe des mains de son prdcesseur.

    Au bout dun an, la contrebande tait, sinon anantie, du

    moins disparue.Cela se passait vers 1782 ou 1783. Artigas avait alors vingt-

    sept ou vingt-huit ans ; il en a aujourdhui quatre-vingt-treize, et,quoiquon ait annonc sa mort, il vit encore dans une petite quin-ta du prsident du Paraguay.

    Ctait un jeune homme beau, brave et fort, et qui reprsentaitune des trois puissances qui rgnrent tour tour sur Monte-video.

    Don Jorge Pacheco tait le type de la valeur chevaleresque duvieux monde, cette valeur chevaleresque qui a travers les mers

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    9/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE 9

    avec Colomb, Pizarre et Vasco de Gama.

    Artigas tait lhomme de la campagne ; il pouvait reprsenterce quon appelait l-bas le parti national, plac entre les Portugaiset les Espagnols, cest--dire entre les trangers la terre am-ricaine, rests Portugais et Espagnols par leur sjour dans desvilles o tout rappelait les murs espagnoles et portugaises.

    Puis restait un troisime type et mme une troisime puissancedont il faut bien que nous parlions, et qui est la fois le flau delhomme des villes et de lhomme de la campagne.

    Ce troisime type, cest le Gaucho.En France, nous appelons Gaucho tout ce qui vit dans ces

    vastes plaines, ces immenses steppes, dans ces pampas infinies,qui stendent du bord de la mer au versant oriental des Andes :nous nous trompons. Le capitaine Head, de la marine anglaise,mit le premier en vogue cette erreur de confondre le Gauchoaveclhabitant de la campagne, qui repousse non-seulement la simili-

    tude, mais encore la comparaison.Le Gaucho est le bohmien du nouveau monde. Sans biens,sans maison, sans famille, il a pour tout bien son poncho, soncheval, son couteau, son lasoet ses bolas. Son couteau, cest sonarme ; son laso et ses bolas, cest son industrie.

    Artigas demeura donc commandant de la campagne, lagrande satisfaction de tout le monde, lexception des contreban-diers ; et il se trouvait encore charg de cette importante fonction

    lorsquclata la rvolution de 1810, rvolution qui avait pour but,et qui eut en effet pour rsultat, danantir la domination espa-gnole dans le Nouveau-Monde.

    Elle comenna, en 1810, Bunos-Ayres, et sacheva en Boli-vie, la bataille dAyacucho, en 1824.

    Le gnral en chef des forces indpendantes tait alors legnral Antonio Jose de Sucre. Il avait 5,000 hommes sous sesordres.

    Le gnral en chef des troupes espagnoles tait Jose de Laser-na, le dernier vice-roi du Prou. Il commandait 11,000 hommes.

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    10/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE10

    Les patriotes navaient quun seul canon ; ils taient un contre

    deux, pas mme, comme on voit par les chiffres que nous venonsde poser. Ils manquaient de munitions et de provisions de bouche,de poudre et de pain : on navait qu attendre, ils se rendaient ;on attaqua, ils vainquirent.

    Ce fut le gnral patriote Alejo Cordova qui commena labataille ; il commandait quinze cents hommes.

    En avant ! cria-t-il en mettant son chapeau au bout de sonpe.

    Au pas acclr, ou au pas ordinaire ? demanda-t-on. Au pas de la victoire ! rpondit-il.Le soir, larme espagnole tout entire avait capitul et se

    trouvait prisonnire de ceux que le matin elle tenait prisonniers.Artigas, un des premiers, avait salu la rvolution comme une

    libratrice ; il stait mis la tte du mouvement dans la cam-pagne, et alors, il tait venu offrir Pacheco de rsigner entre ses

    mains le commandement, comme autrefois Pacheco avait faitpour lui.Cet change allait peut-tre soprer, lorsque Pacheco fut

    surpris dans sa maison de casa blanca, sur lUruguay, par desmarins espagnols.

    Artigas nen continua pas moins son uvre de dlivrance. Enpeu de temps il chassa les Espagnols de toute cette campagnedont il stait fait roi, et les rduisit la seule ville de Montevi-

    deo. Alors Montevideo pouvait prsenter une srieuse rsistance,car elle tait la seconde ville fortifie dAmrique : la premiretait San-Juan-dUlloa.

    Montevideo staient rfugis tous les partisans des Espa-gnols, appuys dune arme de quatre mille hommes. Artigas,soutenu de son ct par lalliance de Bunos-Ayres, mit le sigedevant la ville.

    Mais une arme portugaise vint en aide aux Espagnols, etdbloqua Montevideo.

    En 1812, nouveau sige de Montevideo. Le gnral Rondeau

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    11/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE 11

    pour Bunos-Ayres et Artigas pour les Montevidens ont runi

    leurs forces, et son revenus envelopper la ville.Le sige dura vingt-trois mois ; puis enfin une capitulationlivra la capitale de la future Rpublique orientale aux assigeants,commands alors par le gnral en chef Alvear.

    Comment ce gnral en chef tait-il Alvear et non Artigas ?nous allons le dire.

    Cest quau bout de vingt mois de sige, et aprs trois ans decontact entre les hommes de Bunos-Ayres et de Montevideo, les

    dissemblances dhabitudes, de murs, je dirai presque de races,qui avaient t dabord de simples causes de dissentiments,taient peu peu devenues des motifs de haine.

    Artigas, comme Achille, stait donc retir sous sa tente, ouplutt, emportant sa tente avec lui, il avait disparu dans ces pro-fondeurs de la plaine si bien connues sa jeunesse du temps quilfaisait le mtier de contrebandier.

    Le gnral Alvear lavait remplac, et se trouvait, lors de lareddition de Montevideo, gnral en chef des Porteos.Cest ainsi quon appelle dans le pays les hommes de Bunos-

    Ayres, tandis que, par opposition, on appelle les Montevidensdes Orientaux.

    Tchons de faire comprendre ici les diffrences nombreusesqui existent entre les Porteos et les Orientaux, cest--dire entreles hommes de Bunos-Ayres et ceux de Montevideo.

    Lhomme de Bunos-Ayres, fix dans le pays depuis troiscents ans dans la personne de son aeul, a perdu, ds la fin du pre-mier sicle, toutes les traditions de la mre patrie, cest--dire delEspagne ; ses intrts ressortant du sol, sa vie sy est attache :les habitants de Bunos-Ayres sont presque aussi Amricainsaujourdhui que ltaient autrefois les Indiens quils ont chasssdu pays quils occupent.

    Lhomme de Montevideo, au contraire, fix depuis un sicle peine dans le pays, toujours dans la personne de son aeul, bienentendu, lhomme de Montevideo na pas eu le temps doublier

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    12/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE12

    quil est fils, petit-fils ou arrire-petit-fils dEspagnol ; il a le

    sentiment de sa nationalit nouvelle, mais sans avoir oubli lestraditions de la vieille Europe, laquelle il tend par la civilisa-tion, tandis que lhomme de la campagne de Bunos-Ayres senloigne tous les jours, pour rentrer vers la barbarie.

    Le pays, non plus, nest pas sans influence sur ce mouvementrtrograde dun ct, progressif de lautre.

    La population de Bunos-Ayres, rpandue sur des landesimmenses, avec des habitations trs-loignes les unes des autres,

    dans un pays dpourvu deau, manquant de bois, triste daspect,habitant des chaumires mal construites, puise dans cet isole-ment, dans ces privations, dans ces distances, un caractresombre, insociable, querelleur ; ses tendances remontent verslIndien sauvage des frontires du pays, avec lequel elle faitcommerce de plumes dautruche, de manteaux pour le cheval etde bois de lances, toutes choses quils apportent du pays o la

    civilisation na point pntr, de contres inconnues des Euro-pens, et quils changent contre de leau-de-vie et du tabac,quils remportent vers ces grandes plaines des Pampas dont ilsont pris le nom, ou auxquelles peut-tre ils ont donn le leur.

    La population de Montevideo, tout au contraire, occupe unbeau pays, quarrosent des ruisseaux, que coupent des valles.Elle na point de grands bois ; elle ne possde pas de vastes fortscomme lAmrique du Nord, cest vrai ; mais au fond de chacune

    de ces valles que nous venons de dire, elle a des ruisseauxombrags par le Quebracho lcorce de fer, par lUbajaaufruit dor, par le Sauceaux riches rameaux. En outre, elle est bienloge, bien nourrie ; ses maisons, villas, fermes ou mtairies sontrapproches les unes des autres, et son caractre ouvert et hospi-talier est enclin cette civilisation dont le voisinage de la mer luiapporte incessamment le parfum sur les ailes du vent qui vientdEurope.

    Pour le Gaucho de Bunos-Ayres, le type de la perfection estlIndien cheval.

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    13/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE 13

    Pour lhomme de la campagne de Montevideo, le type de la

    perfection, cest lEuropen sangl dans son habit, ficel dans sacravate, emprisonn entre ses dessous-de-pieds et ses bretelles.Lhomme de Bunos-Ayres a la prtention dtre le premier

    de lAmrique en lgance. Il schauffe et sapaise facilement ;il a plus dimagination que son rival. Les premiers potes quelAmrique a connus sont ns Bunos-Ayres. Varela et Lafinur,Dominguez et Marmol sont des potes Porteos.

    Lhomme de Montevideo est moins potique, mais plus cal-

    me, plus ferme dans ses rsolutions, dans ses projets ; si son rivala la prtention dtre le premier en lgance, il a, lui, celle dtrele premier en courage. Parmi ses potes, on trouve les noms dHi-dalgo, de Berro, de Figueroa, de Juan-Carlos Gomez.

    De leur ct, les femmes de Bunos-Ayres ont la prtentiondtre les plus belles femmes de lAmrique mridionale, depuisle dtroit de Lemaire jusqu la rivire des Amazones. Voulez-

    vous savoir les noms de celles qui rclament le sceptre de labeaut de lautre ct de lAtlantique, insoucieuses Parisiennes,qui ne vous doutez pas quune femme puisse tre belle au-del dela barrire de Versailles ou de Fontainebleau ? Eh bien ! ce sont,pour Bunos-Ayres, les signoras Agustina Rosas, Pepa Lavalle etMartina Linche.

    Peut-tre, en effet, le visage des femmes de Montevideo est-ilmoins clatant que celui de leurs voisines ; mais leurs formes

    sont merveilleuses, mais leurs pieds, leurs mains et leurs tour-nures semblent tre empruntes directement Sville ou Grenade ; puis il y a cette varit qui, pour beaucoup, lemportesur la perfection, et Montevideo, la ville europenne, vousmontrera avec orgueil Matilde Stewart, Nazarea Rucker et Cl-mentina Batlle, cest--dire trois types ou plutt trois modles derace : race cossaise, race allemande, race catalane.

    Ainsi, entre les deux pays :Rivalit de courage et dlgance pour les hommes ;Rivalit de beaut, de grce et de tournure pour les femmes ;

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    14/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE14

    Rivalit de talents pour les potes, ces hermaphrodites de la

    socit, irritables comme des hommes, capricieux comme desfemmes, et, avec tout cela, nafs parfois comme des enfants.Il y avait, comme on voit, dans tout ce que nous venons de

    dire, des causes suffisantes de rupture entre Artigas et Alvear,entre les hommes de Montevideo et ceux de Bunos-Ayres.

    Ce fut donc non-seulement une sparation, mais une haine ;non-seulement une haine, mais une guerre.

    Tous les lments dantipathie furent soulevs contre les hom-

    mes de Bunos-Ayres par lancien chef de contrebandiers. Peu luiimporta dsormais les moyens, pourvu quil arrivt son but, etson but tait de chasser du pays les Porteos.

    Ce fut alors que Artigas, runissant tout ce que le pays luioffrait de ressources, se mit la tte de ces bohmiens de lAm-rique que lon appelle les Gauchos.

    Ctait la guerre sainte, en quelque sorte, que faisait Artigas :

    aussi rien ne put-il lui rsister, ni larme de Bunos-Ayres, ni leparti espagnol, qui comprenait que la rentre dArtigas Monte-video, ctait la substitution de la force brutale lintelligence.

    Ceux qui avaient prvu ce retour la barbarie ne staient pastromps. Pour la premire fois, des hommes vagabonds, incivi-liss, sans organisation, se voyaient runis en corps darme etavaient un gnral. Ainsi, avec Artigas dictateur commence unepriode qui a quelque analogie avec le sans-culottisme de 93.

    Montevideo va voir passer le rgne de lhomme aux pieds nus,aux casonsillosflottants, la chiripacossaise, auponchodchi-r recouvrant tout cela, et au chapeau pos sur loreille et assurpar le barbijo.

    Alors, Montevideo devint tmoin de scnes inoues, grotes-ques, quelquefois terribles. Souvent les premires classes de lasocit sont rduites limpuissance daction. Artigas, moins lacruaut et plus le courage, devint alors ce que Rosas est main-tenant.

    Si dsastreux quil ft, ce dictatoriat dArtigas eut cependant

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    15/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE 15

    son ct brillant et national. Ce ct, ce fut la lutte de Monte-

    video contre Bunos-Ayres, quArtigas battit sans cesse et dontil finit par repousser entirement linfluence, et sa rsistanceopinitre larme portugaise qui envahit le pays en 1815.

    Le prtexte de cette invasion fut les dsordres de ladminis-tration dArtigas et la ncessit de sauver les peuples voisins dedsordres pareils que pouvait faire natre en eux la contagion delexemple. Ces mmes dsordres avaient, au sein du pays mme,doubl lopposition que faisait le parti de la civilisation. Les clas-

    ses leves, surtout, appelaient de tous leurs vux une victoirequi substitut la domination portugaise cette dominationnationale qui entranait avec elle la licence et la brutale tyranniede la force matrielle. Cependant, malgr cette sourde conspira-tion lintrieur, malgr les attaques des Portugais et desPorteos, Artigas rsista quatre ans, donna trois batailles ranges larme ennemie, et, vaincu enfin, ou plutt cras en dtail, se

    retira dans lEntre-Rios, cest--dire de lautre ct de lUruguay.L, tout fugitif quil tait, Artigas reprsentait encore, sinon parses forces, du moins par son nom, une puissance redoutable,lorsque Ramirez, son lieutenant, se rvolta, souleva contre lui lestrois quarts des hommes qui lui restaient, le battit de faon luiter tout espoir de reconqurir sa position perdue, et le fora desortir de ce pays o, comme Ante, il semblait reprendre desforces chaque fois quil touchait la terre.

    Ce fut alors que, pareil une de ces trombes qui svaporentaprs avoir laiss la dsolation et les ruines sur son passage,Artigas disparut et senfona dans le Paraguay, o lun de nosamis nous assure lavoir vu il y a deux ans encore, g, commenous lavons dit, de 93 94 ans, jouissant de toutes ses facultsintellectuelles et presque de toutes ses forces.

    Artigas vaincu, rien ne fit plus obstacle la dominationportugaise. Elle stablit dans le pays, et le baron da Laguna,Franais dorigine, fut son reprsentant jusquen 1825. En 1825,Montevideo, comme toutes les possessions portugaises dAm-

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    16/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE16

    rique, fut cd au Brsil.

    Montevideo tait donc occup par une arme de 8,000 hom-mes, et tout semblait assurer sa possession lempereur, lors-quun Oriental, cest ainsi, on se le rappelle, que lon nomme lesMontevidens, lorsquun Oriental qui, proscrit, habitait Bunos-Ayres, runit trente-deux compagnons, proscrits comme lui, etdcida avec eux quils rendraient la libert la patrie ou quilsmourraient.

    Cette poigne de patriotes sembarqua sur deux canots, et mit

    pied terre lArenal-Grande.Le chef qui les commandait avait nom Juan Antonio

    Lavalleja.Au reste, Lavalleja avait davance nou des intelligences avec

    un propritaire du pays, qui devait, peine dbarqu, lui tenir deschevaux prts. Aussi peine eut-il pris terre quil envoya unmessage cet homme ; mais celui-ci fit rpondre que tout tait

    dcouvert, que les chevaux avaient t enlevs, et que, sil avaitun conseil donner Lavalleja et ses compagnons, ctait de serembarquer et de regagner au plus tt Bunos-Ayres.

    Mais Lavalleja rpondit quil tait parti dans lintentiondaller en avant, et non de retourner en arrire. En consquence,il donna lordre aux rameurs de regagner sans lui Bunos-Ayres,et, le 19 avril, il reprit possession, lui et ses trente hommes, aunom de la libert, du territoire de Montevideo.

    Le lendemain, la petite troupe, qui avait fait une razzia dechevaux, razzia laquelle au reste la plupart des propritairesavaient prt leur concours, le lendemain, la petite troupe, djen marche sur la capitale, fut rencontre par un dtachement dedeux cents cavaliers. Parmi ces deux cents cavaliers, quarantetaient Brsiliens et cent soixante Orientaux.

    Cette troupe tait commande par un ancien frre darmes deLavalleja, le colonel Julien Laguna. Lavalleja pouvait viter lecombat ; mais tout au contraire il marcha droit aux deux centscavaliers ; seulement, avant que den venir aux mains, Lavalleja

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    17/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE 17

    demanda une entrevue Laguna.

    Que voulez-vous, et que venez-vous faire dans le pays ?demanda Laguna. Je viens dlivrer Montevideo de la domination trangre,

    rpondit Lavalleja. Si vous tes pour moi, venez avec moi. Sivous tes contre moi, rendez-moi vos armes, ou prparez-vous combattre.

    Je ne sais pas ce que veut dire ce mot rendre ses armes,rpondit Laguna, et jespre que personne ne me lapprendra

    jamais. Alors, allez vous mettre la tte de vos hommes, et

    voyons pour quelle cause Dieu sera. Jy vais, rpondit Laguna.Et il partit au galop pour rejoindre ses soldats.Mais au mme moment Lavalleja dploya le drapeau aux cou-

    leurs nationales, bleu, blanc et rouge comme le ntre, et aussitt

    les cent soixante Orientaux passrent de son ct.Les Brsiliens furent faits prisonniers.La marche de Lavalleja sur Montevideo devint ds lors une

    marche triomphale, dont le rsultat fut que la Rpubliqueorientale, proclame par la volont et lenthousiasme de tout unpeuple, prit rang parmi les nations.

    Pendant ce temps grandissait un nom qui devait un jour trela terreur de la fdration argentine.

    Peu de temps aprs la rvolution de 1810, un jeune homme dequinze seize ans sortait de Bunos-Ayres, abandonnant la villeet gagnant la campagne ; il avait le visage troubl et le pas rapide.Ce jeune homme sappelait Juan Manuel Rosas.

    Pourquoi lui, presque enfant encore, abandonnait-il la maisonpaternelle ? Pourquoi, homme de la ville, allait-il demander unasile la campagne ? Cest que lui, qui devait un jour souffleterla patrie, venait de souffleter sa mre, et que la maldiction pater-nelle le poussait loin de la maison qui lavait vu natre.

    Cet vnement, sans importance dailleurs, se perdit bientt

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    18/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE18

    dans le bruit des vnements plus srieux qui saccomplissaient,

    et tandis que tous les anciens compagnons du fugitif se runis-saient sous ltendard de lindpendance pour combattre ladomination espagnole, lui se perdait dans les pampas, se donnait la vie du Gaucho, adoptait son costume et ses murs, devenaitun des meilleurs cavaliers et un des hommes les plus habiles deces immenses plaines dans le maniement du lasoet de la bola, desorte quen le voyant si adroit ces exercices sauvages, celui quine let pas connu let pris non plus pour un homme de la ville,

    mais pour un homme de la campagne ; non pour un pueblerofugitif, mais pour un vritable Gaucho.

    Rosas entra dabord commepondans une estancia ; puis ildevint capatas, puis mayordomo. Dans cette dernire qualit, ilrgissait les proprits de la puissante famille Anchorena : cestde l que commence dater sa fortune, comme propritaire.

    Comme notre intention est de faire connatre Rosas sous tous

    ses aspects, disons, au milieu des vnements qui saccomplis-sent, quelle tait la situation de son esprit.Rosas stait trouv Bunos-Ayres pendant les prodiges

    enfants par la rvolution contre lEspagne. Alors celui qui avaitle courage cherchait la clbrit sur les champs de bataille ; celuiqui avait le talent et linstruction la cherchait dans les conseils.Rosas tait ambitieux de la clbrit ; mais quelle clbritpouvait-il atteindre, quelle renomme pouvait-il acqurir, lui qui

    navait ni la bravoure du champ de bataille, ni les lumires duconseil ? chaque instant, il entendait rsonner quelque glorieuxnom ses oreilles : ctaient, comme ministres, les noms de Riva-davia, de Pasos, dAguero ; ctaient, comme guerriers, les nomsde San Martin, de Balcarce, de Rodriguez et de Las Heras. Ettous ces noms dont le bruit, venant de la ville, allaient veillerlcho des solitudes, tous ces noms veillaient en mme temps sahaine contre cette ville qui avait des triomphes pour tous, exceptpour lui.

    Mais dj cette poque Rosas rvait lavenir et le prparait.

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    19/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE 19

    Errant dans les pampas, confondu avec les Gauchos, il se faisait

    le compagnon de misre du pauvre, flattant les prjugs delhomme de la campagne, lexcitant contre lhomme des villes,lui rvlant sa force, lui dmontrant la supriorit du nombre ettchant de lui faire comprendre que, ds quelle le voudrait, lacampagne, son tour, serait matresse de la ville, qui si long-temps avait t sa reine.

    Cependant les annes scoulent, et lon arrive 1820. Cestalors que Rosas commence apparatre, appuy sur linfluence

    quil a conquise sur lhabitant des plaines.La milice de Bunos-Ayres sinsurge contre le gouverneur

    Rodriguez. Alors un rgiment des milices de la campagne, lescolorados de las Conchas (les rouges des Conchas)entrent dansla ville le 5 octobre 1820, ayant leur tte un colonel quiBunos-Ayres est connu, et qui est connu Bunos-Ayres ; cecolonel, cest Rosas.

    Le lendemain, les milices de la campagne et les milices de laville en vinrent aux mains ; seulement, ce jour-l, le colonelntait plus la tte de son rgiment.

    Un violent mal de dents, qui gurit aussitt le combat fini,lloignait, son grand regret, sans doute, de la mle.

    Cette entre Bunos-Ayres fut le seul exploit guerrier quecompte Rosas dans toute sa vie politique.

    Les insurgs de la ville furent vaincus.

    Cest alors que Rivadavia, nomm ministre de lintrieur, seplace la tte des affaires.

    Rivadavia tait un de ces hommes de gnie comme il en appa-rat, pendant les jours de tourmente, la surface des rvolutions.Longtemps il avait voyag en Europe ; il possdait une instruc-tion universelle, et tait anim du plus ardent et surtout du pluspur patriotisme. Seulement, la vue de cette civilisation europen-ne, quil avait tudie Paris et Londres, lui avait fausslesprit lendroit de son application sur un peuple qui ne mar-chait point au mme pas que nous ; il voulut hter la marche du

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    20/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE20

    temps, faire pour lAmrique ce que Pierre Ieravait voulu faire

    pour la Russie ; mais nayant pas les mmes moyens, o Pierrerussit, il choua.Peut-tre, au reste, avec un peu de dissimulation, Rivadavia

    et-il russi ; mais il blessa les hommes dans leurs habitudes :certaines habitudes sont une nationalit. Il railla le costumeamricain, manifesta sa rpugnance pour la chaquela, son mprispour la chiripa, la veste et la jupe de lhomme de la campagne, etcomme, en mme temps, il ne cachait point sa prfrence pour

    lhabit et la redingote, il se dpopularisa peu peu, et sentit lepouvoir lui chapper par les soupapes infrieures.

    Et cependant que de choses ne donne-t-il pas au pays enchange de ces deux vtements quil veut lui ter ? Son adminis-tration est la plus prospre que Bunos-Ayres ait jamais eue. Ilfonde des universits, il tablit des lyces, il introduit lenseigne-ment mutuel dans les coles. Sous son administration, des savants

    son appels dEurope ; les arts son protgs et se dveloppent ;enfin, Bunos-Ayres est appele, dans la terre de Colomb, lAth-nes de lAmrique du Sud.

    La guerre du Brsil survint en 1826. Pour soutenir cette guerretoute nationale, Bunos-Ayres fit des efforts gigantesques, puisases finances, et, par cet puisement, affaiblit les ressorts de lad-ministration.

    Les finances puises, les ressorts du gouvernement affaiblis,

    les rvolutions commencrent.Nous lavons dit, Bunos-Ayres comme Montevideo, les

    campagnes et la ville taient rarement en harmonie dopinions,ntant pas en harmonie dintrts.

    Bunos-Ayres fit une rvolution.Aussitt la campagne se leva en masse, se porta sur Bunos-

    Ayres, envahit la ville, et fit son chef elle, chef du gouverne-ment. Ce chef, ctait Rosas.

    En 1830, Rosas est lu gouverneur par linfluence de la cam-pagne, et malgr lopposition de la ville.

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    21/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE 21

    Arriv ce poste minent, Rosas essaie de se rconcilier avec

    la civilisation. Il semble oublier les murs sauvages adoptes parlui jusque l. Le Gaucho cherche devenir lhomme de la ville,le serpent veut changer de peau. Mais la ville rsiste ses avan-ces, mais la civilisation refuse de gracier le tratre qui a passdans le camp de la barbarie. Rosas se montre-t-il habill en uni-forme militaire, les hommes dpe se demandent tout bas surquel champ de bataille Rosas a conquis ses paulettes. Parle-t-ildans une runion, lhomme de lettres demande lhomme de

    got o Rosas a pris un pareil style. Apparat-il dans une tertul-lia, les femmes se le montrent du doigt en disant : Voil leGaucho travesti. Et tout cela, qui lattaque par derrire et dect, lui revient en face avec la morsure poignante de lpigram-me anonyme pour laquelle les Porteos sont si renomms.

    Les trois annes de son gouvernement se passrent dans cettelutte, mortelle son orgueil, si bien que, lorsquil rsigna la

    pouvoir et descendit lescalier du palais, lme navre de haine,le cur tremp de fiel, comprenant que dsormais il ny avaitplus pour lui, avec la ville, dalliance possible, alors il sen allaretrouver ses fidles Gauchos, ses Estancias, dont il tait le sei-gneur, cette campagne dont il tait le roi ; mais tout cela aveclintention de rentrer un jour Bunos-Ayres en dictateur, com-me Sylla tait rentr dans Rome lpe dune main, la torche delautre.

    Pour arriver ce but, voil ce quil fit : il demanda au gou-vernement de lui donner un commandement dans larme quimarchait contre les Indiens sauvages. Le gouvernement, qui leredoutait, crut lloigner en lui accordant cette faveur. Il luidonna toutes les troupes dont il pouvait disposer, oubliant quilsaffaiblissait en donnant des forces Rosas.

    Rosas, une fois la tte de larme, suscita une rvolution Bunos-Ayres, se fit appeler au pouvoir, ne laccepta quavec lesconditions quil pouvait imposer, puisquil tenait la force armedu pays, et rentra dans Bunos-Ayres avec la dictature la plus

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    22/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE22

    absolue que lon et jamais connue, cest--dire avec toda la

    suma del poder publico; avec toute ltendue du pouvoir public.Le gouverneur quil fit tomber ou plutt quil prcipita taitle gnral Juan Ramon Balcarce, un des hommes qui avaient leplus fait dans la guerre de lindpendance, un des chefs du partifdral dont Rosas se proclamait le soutien. Balcarce tait unnoble cur ; sa croyance la patrie tait une religion. Il avait crudans Rosas, et avait beaucoup fait pour son lvation : Balcarcefut le premier que sacrifia Rosas ; Balcarce mourut proscrit, et

    lorsque son cadavre, protg par la mort, repassa la frontire,Rosas refusa la famille la permission de rendre Balcarce nonpas des honneurs publics dus un gouverneur, mais les simplesdevoirs funbres que lon rendrait un citoyen.

    Cest dont dater de 1833 que commence le vritable pouvoirde Rosas. Son premier gouvernement navait pas mis au jour sesinstincts de cruaut qui lui ont fait depuis une clbrit de sang.

    Cette priode, que nous avons vu accomplir, nest marque quepar la fusillade du major Montero et des prisonniers de Saint-Nicolas. Cependant noublions pas que cest cette poque quecorrespondent plusieurs morts sombres et inattendues, de cesmorts dont lhistoire inscrit, tout hasard, la date en lettres rou-gies sur le livre des nations.

    Ainsi disparaissent deux chefs de la campagne dont linfluen-ce pouvait faire ombrage Rosas. Ainsi cette date remontent les

    morts dArbolito et de Molina. Quelque chose de pareil arriva, cenous semble, aux deux consuls qui avaient accompagn Octave la bataille dActium.

    Peignons tout de suite Rosas, qui ne nous apparat encore quecomme dictateur, et qui cependant nest quau seuil du pouvoir,quil ne quittera plus.

    Vers 1833, Rosas a trente-cinq ans ; il a laspect europen, lescheveux blonds, le teint blanc, les yeux bleus, les favoris coups la hauteur de la bouche ; point de barbe ni aux moustaches niau menton. Son regard serait beau si on pouvait le juger, mais

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    23/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE 23

    Rosas sest habitu ne regarder en face ni ses amis ni ses enne-

    mis, parce quil sait que, dans ses amis, il a presque toujours unennemi dguis. Sa voix est douce, et quand il a besoin de plaire,sa conversation ne manque pas dattraits. Sa rputation de lchetest proverbiale, sa renomme de ruse est universelle. Il aime lesmystifications : ctait sa grande occupation avant quil soccuptdaffaires srieuses ; depuis, ce nest plus quune distraction.

    Ses mystifications taient brutales comme sa nature, qui alliela ruse la brutalit. Citons un ou deux exemples.

    Un soir quil devait souper en tte tte avec un de ses amis,il cacha le vin destin au souper, et laissa seulement dans lebuffet une bouteille de cette fameuse mdecine Leroy, la cl-brit de laquelle il ne manque que davoir t invente du tempsde Molire. Lami trouva la bouteille, y gota, lui trouva un gotassez agrable, et la vida tout en soupant. Rosas ne but lui que deleau, et partit pour son estancia aprs le souper.

    Pendant la nuit, lami pensa crever ; Rosas rit beaucoup. Silami tait mort, Rosas et sans doute ri davantage.Quand il recevait quelquepueblerodans une de ses estancias

    lui, il se plaisait lui faire monter les chevaux les plus maldresss ; et sa joie tait dautant plus grande que la chute ducavalier tait plus dangereuse.

    Au gouvernement il est toujours entour de fous et depaillasses, et au milieu des affaires les plus srieuses il garde ce

    singulier entourage. Quand il assigea Bunos-Ayres, en 1829, ilavait prs de lui quatre de ces pauvres diables ; il en avait fait desmoines, dont il stait, de son autorit prive, constitu le prieur.Il les appelaitfrayBiga,frayChaj,frayLechuza etfrayBisca-cha. Outre les paillasses et les bouffons, Rosas aimait fort aussiles confitures ; il en avait toujours de toutes les espces dans satente. Les confitures ntaient pas non plus dtestes des moines,et de temps en temps il en disparaissait quelques pots ; alorsRosas appelait frre Biga, frre Chaj, frre Lechuza et frreBiscacha en confession. Les moines savaient ce quil leur en co-

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    24/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE24

    terait de mentir ; le coupable avouait donc.

    linstant mme le coupable tait dpouill de ses habits etfustig par ses trois compagnons.Tout le monde connat Bunos-Ayres son multre Eusebio,

    et cela dautant mieux quun jour de rception publique, Rosaseut lide de faire pour lui ce que MmeDubarry faisait Luciennede son ngre Zamore. Eusebio, vtu de lhabit du gouverneur,reut les hommages des autorits au lieu et place de son matre.

    Nous le redisons donc, Eusebio doit tre connu Bunos-

    Ayres.Eh bien ! un jour il prit envie Rosas de faire une farceau

    pauvre multre, farce terrible comme celles quinvente Rosas. Ilfeignit quon venait de dcouvrir une conspiration dont Eusebiotait le chef ; il ne sagissait de rien moins que de le poignarder.Eusebio fut arrt malgr ses protestations de dvoment. Rosasavait des juges lui ; ils ne sinquitrent pas : Rosas accusait, ils

    jugrent et condamnrent le pauvre Eusebio la peine de mort.Eusebio subit tous les apprts du supplice, se confessa, futconduit sur le lieu de lexcution, y trouva le bourreau et sesaides ; puis, tout--coup, comme dune trappe anglaise, sortitRosas, qui annona Eusebio que sa fille Manuelita tant deve-nue amoureuse de lui et voulant lpouser, il lui faisait grce.

    Inutile de dire quEusebio, tout en ne mourant pas du suppli-ce, faillit mourir de peur.

    Nous avons prononc le nom de Manuelita ; nous avons ditque ctait la fille de Rosas ; disons nos lecteurs franais, quiil est permis de lignorer, ce que cest, comme femme, queManuelita.

    Manuelita doit avoir aujourdhui vingt-huit ou trente ans ; cenest pas une belle femme, cest mieux peut-tre : cest unecharmante personne, dune figure distingue, dun tact profond,coquette comme une Europenne, trs-proccupe surtout de lef-fet quelle produit sur les trangers.

    Manuelita a t fort calomnie. Ctait chose toute naturelle :

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    25/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE 25

    elle tait fille de Rosas. On laccusa davoir hrit des instincts

    cruels de son pre, et davoir, comme ces filles dempereursromains, oubli lamour filial dans un amour plus tendre et moinschrtien.

    Il nest rien de tout ceci. Manuelita est reste fille pour deuxraisons : dabord, parce que Rosas sent parfois le besoin dtreaim, et quil sait que le seul amour sur lequel il puisse compter,cest lamour de sa fille ; Manuelita est reste fille, parce quau-cune grande famille de Bunos-Ayres na tent de sallier au

    dictateur ; Manuelita est reste fille, enfin, parce que, dans sesrves de royaut, Rosas voit au fond de lavenir briller pourManuelita quelque alliance plus aristocratique que celles aux-quelles il a droit de prtendre en ce moment.

    Manuelita nest pas cruelle ; tout le monde au contraire sait l-bas, except ceux qui ne veulent pas le savoir, tout le monde saitque Manuelita est une digue ternelle qui arrte la colre de son

    pre ternellement prte dborder. Enfant, elle avait un trangemoyen dobtenir de Rosas les grces quelle demandait : ellemettait le multre Eusebio nu, ou peu prs ; elle le faisait selleret brider comme un cheval ; elle chaussait ses petits pieds anda-lous des perons de Gaucho ; Eusebio se mettait quatre pattes,Manuelita montait sur son dos, et lamazone trange venait fairecaracoler son Bucphale humain devant son pre, lequel riait cette plaisanterie trange, et, ayant ri, accordait Manuelita la

    grce quelle demandait.Aujourdhui quelle ne peut plus employer ce moyen, qui,

    dailleurs, sest us comme toutes les choses de ce monde,aujourdhui elle est sans cesse occupe faire prs de Rosasluvre dune sur de misricorde. Elle connat son pre mieuxque personne ; elle sait les vanits secrtes auxquelles il estaccessible. Elle temporise ; elle sollicite ; quelquefois elleobtient ; et si cette intimit quon lui reproche tait relle, nousoserions presque dire que son crime est non-seulement excusableaux yeux du Seigneur, mais lui sera peut-tre compt comme une

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    26/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE26

    vertu.

    Cest Manuelita qui est la fois la reine et lesclave du foyerdomestique ; elle gouverne la maison, soigne son pre, et, char-ge de toutes les relations diplomatiques, est le vritable ministredes affaires trangres de Bunos-Ayres.

    En effet, cest par la tertulliade Manuelita, devenue mainte-nant Manuela, mais laquelle son pre continue de donner sonpetit nom, que lagent tranger doit faire son entre diplomatiquechez Rosas. Dans sa tertullia, Manuela joue le rle dadmiratrice

    enthousiaste de son pre ; cest l quelle rpte, sans quon sendoute, la leon qui lui est faite pour le dictateur, et quavec sagrce de jeune femme et le peu dimportance politique quonaccorde dhabitude une bouche souriante et deux beaux yeux,elle enveloppe ltranger qui arrive dans un rseau do, si bondiplomate quil soit, il a parfois grandpeine se dbarrasser plustard.

    En somme, de mme que Rosas est un tre part, qui netouche rien et ne se confond avec personne dans la socit,Manuelita est une crature non-seulement trange au milieu detous, mais mme trangre tous, qui passe solitaire en cemonde, loin de lamour des hommes, hors de la sympathie desfemmes.

    Hlas ! la pauvre enfant, seule, pourrait dire combien elle estmalheureuse, et quelles larmes elle verse lorsque Dieu lui deman-

    de compte de ses fautes, et quelle demande Dieu compte de sesdouleurs.

    Rosas a, en outre, un fils ; ce fils sappelle Juan, mais il necompte pour rien dans le systme politique de son pre. Cest ungros garon dune figure commune, plus jeune que Manuelitadun an ou deux, qui nest point connu encore, et qui probable-ment ne le sera jamais, si ce nest par ses murs perdues et sesgrossires amours.

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    27/96

    Chapitre deuxime

    Une fois arriv au pouvoir, le grand travail de Rosas futdanantir la fdration.

    Lopez, le fondateur de la fdration, tombe malade ; Rosas lefait venir Buenos-Ayres et le soigne chez lui.

    Lopez meurt empoisonn.

    Quiroga, le chef de la fdration, chappe vingt combatsplus meurtriers les uns que les autres. Son courage est pass enexemple ; son bonheur en proverbe.

    Quiroga meurt assassin.Cullen, le conseil de la fdration, devient gouverneur de

    Santa-F. Rosas lui improvise une rvolution. Cullen est livr Rosas par le gouverneur de Santiago.

    Cullen meurt fusill.

    Tout ce quil y a de marquant dans le parti fdral a le sort dece quil y avait de marquant en Italie sous les Borgia, et peu peuRosas, en employant les mmes moyens quAlexandre VI et sonfils Csar, parvient rgner sur la Rpublique argentine, qui,quoique rduite une parfaite unit, nen conserve pas moins letitre pompeux de fdration.

    Disons quelques mots des hommes que nous venons de nom-mer, et faisons un instant revivre leurs spectres accusateurs.

    Il y a dailleurs dans tous ces hommes une saveur de sauva-gerie primitive qui mrite dtre rapporte.

    Nous avons commenc par le gnral Lopez. Une seule anec-dote fera connatre non-seulement ce chef, mais encore leshommes auxquels il avait affaire.

    Lopez tait gouverneur de Santa-F. Il avait dans lEntre-Riosun ennemi personnel, le colonel Ovando. Ce dernier, la suite

    dune rvolte, fut conduit prisonnier au gnral Lopez.Le gnral djeunait. Il reut merveille Ovando, et linvita

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    28/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE28

    sasseoir sa table. La conversation sengagea comme entre

    deux convives auxquels une galit de condition et commandla plus parfaite et la plus gale courtoisie.Cependant, vers le milieu du repas, Lopez sinterrompit tout

    coup. Colonel, dit-il, si je fusse tomb en votre pouvoir comme

    vous tes tomb au mien, et cela au moment du repas, queussiez-vous fait ?

    Je vous eusse invit vous mettre table comme vous

    avez fait vous-mme. Oui, mais aprs le djeuner ? Je vous eusse fait fusiller. Je suis enchant que ce soit l lide qui vous soit venue,

    car cest aussi la mienne. Vous serez donc fusill en vous levantde table.

    Dois-je me lever tout de suite, ou achever de djeuner ?

    Oh ! achevez, colonel, achevez ; nous ne sommes paspresss.On continua donc ; on prit le caf et les liqueurs ; puis, caf

    et liqueurs pris : Je crois quil est temps, dit Ovando. Je vous remercie de ne point avoir attendu que je vous le

    rappelasse, rpondit Lopez.Puis, appelant son planton :

    Lescouade est-elle prte ? demanda-t-il. Oui, mon gnral, rpondit le planton.Alors, se retournant vers Ovando : Adieu, colonel, dit-il. Oh ! au revoir, rpondit celui-ci. On ne vit point long-

    temps dans des guerres pareilles celles que nous faisons.Et saluant Lopez, il sortit. Cinq minutes aprs, une fusillade

    retentissant sur le seuil mme de la porte de Lopez lui annonaitque le colonel Ovando avait cess dexister.

    Passons Quiroga.

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    29/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE 29

    Quiroga, lui aussi comme Rosas, tait un homme de la cam-

    pagne. Il avait servi autrefois, comme sergent, dans larme deligne contre les Espagnols. Retir dans son pays natal, la Rioja,il se mla aux partis internes, devint matre de son pays, et, unefois arriv au premier degr de puissance, il se jeta dans la luttedes diffrentes factions de la Rpublique, et, dans cette lutte, servla pour la premire fois lAmrique.

    Au bout dun an, Quiroga tait lpe du parti fdral. Jamaishomme na obtenu de pareils rsultats par la simple application

    de la valeur personnelle. Son nom en tait arriv avoir un pres-tige qui valait des armes. Sa grande tactique au milieu ducombat tait dappeler sur lui la plus forte somme de dangersquil pouvait runir, et lorsque, dans la mle, il jetait son cri deguerre, en faisant vibrer dans sa main cette longue lance qui taitson arme de prdilection, les plus braves curs faisaient alorsconnaissance avec la crainte.

    Quiroga tait cruel, ou plutt froce. Mais, dans sa frocit,il y avait toujours quelque chose de grand ou de gnreux. Ctaitla frocit du lion, et non celle du tigre.

    Ainsi, le Colonel Pringles, un de ses plus grands ennemis, estfait prisonnier et assassin aprs avoir t pris. Celui qui laassassin et qui sert sous les ordres de Quiroga se prsente lui,croyant avoir gagn une bonne rcompense.

    Quiroga lui laisse raconter son crime, et linstant mme le

    fait fusiller.Un autre jour, deux officiers appartenant au parti ennemi sont

    faits prisonniers par ses gens, qui se souviennent du supplice deleur compagnon, et qui cette fois les lui amnent vivants. Il leuroffre dabandonner leurs drapeaux et de servir sous les siens :lun refuse, lautre accepte.

    Cest bien, dit-il celui qui a accept. Montons chevalet allons voir fusiller votre camarade.

    Celui-ci, sans faire dobservations, sempresse dobir, causegament tout le long de la route avec Quiroga, dont il se croit dj

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    30/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE30

    laide-de-camp, tandis que le condamn, escort dun piquet aux

    armes charges, marche tranquillement la mort.Arriv sur le lieu de lexcution, Quiroga ordonne lofficierqui a refus de trahir son parti de se mettre genoux ; mais, aprsle commandement : En joue ! il sarrte.

    Allons, dit-il celui qui se croyait dj mort, vous tes unbrave ; prenez le cheval de monsieur et partez.

    Et il dsignait le cheval du rengat. Mais moi ? demanda celui-ci.

    Toi, rpondit Quiroga, tu nas pas besoin de cheval, car tuvas mourir.

    Et malgr les supplications de son camarade, si miraculeuse-ment rendu la vie, il le fait fusiller.

    Quiroga ne fut vaincu quune fois, et ce fut par le gnral Paz,le Fabius amricain, homme vertueux et pur sil en fut jamais.Deux fois il dtruisit les armes de Quiroga dans les batailles

    terribles de la Tablada et dOncativo. Ctait un beau spectaclepour ces jeunes rpubliques qui sortaient de terre que de voirlart, la tactique et la stratgie en lutte contre le courage indomp-table et la volont de fer de Quiroga. Mais, le gnral Paz faitprisonnier cent pas de son arme par un coup de bolas qui enve-loppa les jambes de son cheval, Quiroga fut invincible.

    La guerre une fois termine entre le parti unitaire et le partifdral, Quiroga entreprit un voyage dans les provinces de lint-

    rieur ; mais, en revenant de ce voyage, il fut assailli Barranca-Iaco par une trentaine dassassins, qui firent feu sur sa voiture.Quiroga, malade, sy tenait couch ; une balle qui traversa un despanneaux lui brisa la poitrine. Quoique bless mort, il se sou-leva, et ple, ensanglant, ouvrit la portire. En voyant le hrosdebout, quoique dj cadavre, les assassins prirent la fuite. MaisSantos-Perez, leur chef, marcha droit Quiroga, et comme celui-ci tait tomb sur son genou et le regardait en face, il lacheva.

    Alors les autres assassins revinrent et achevrent luvrecommence. Ce furent les frres Reinaf, qui gouvernaient Cor-

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    31/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE 31

    doue, qui dirigeaient cette expdition daccord avec Rosas. Mais

    Rosas avait eu le soin de se tenir dans un lointain si loign,quon ne laperut pas. Il put ds lors prendre le parti de celuiquil avait fait assassiner et poursuivre ses assassins.

    Ils furent arrts, jugs et fusills.Reste Cullen.Cullen, n en Espagne, stait tabli dans la ville de Santa-F,

    o il stait li avec Lopez, et o il tait devenu son ministre et ledirecteur de sa politique. Limmense influence que Lopez eut sur

    la Rpublique argentine, depuis 1820 jusqu sa mort, arrive en1833, fit de Cullen un personnage extrmement important. Lors-quau jour du malheur, Rosas, proscrit, migra Santa-F, ilreut de Cullen toute espce de services. Mais ces services ren-dus ne purent faire oublier au futur dictateur que Cullen tait undes hommes qui voulaient mettre fin au rgime de larbitrairedans la Rpublique argentine. Cependant il sut cacher son mau-

    vais vouloir sous les apparences de la plus grande amiti enversCullen. la mort de Lopez, Cullen fut nomm gouverneur de Santa-

    F, et se consacra tablir des amliorations dans la province. Enmme temps, au lieu de se montrer lennemi du blocus franais,Cullen ne cachait point ses sympathies pour la France, consi-drant que le pouvoir de celle-ci tait un grand appui pour sesides civilisatrices. Alors Rosas lui suscita une rvolution, quil

    appuya publiquement par un concours de troupes. Cullen, vaincu,se rfugia dans la province de Santiago del Estero, que comman-dait son ami le gouverneur Ibarra. Rosas, qui avait dj dclarCullen sauvage unitaire, entama des ngociations avec Ibarra,afin quon lui livrt la personne de Cullen.

    Pendant longtemps ces ngociations chourent, et Cullen, surles assurances de son ami Ibarra, qui jurait de ne jamais le livrer,se croyait sauv, lorsquun jour, au moment o il sy attendait lemoins, il fut arrt par des soldats dIbarra, et conduit Rosas.Mais celui-ci ayant appris quon lui amenait Cullen captif,

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    32/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE32

    envoya lordre de le fusiller moiti chemin, parce que, dit-il

    dans une lettre au gouverneur de Santa-F, qui avait succd Cullen, son procs tait fait par les crimes que tout le mondeconnaissait.

    Cullen tait un homme dune socit agrable et dun carac-tre humain. Son influence sur Lopez fut toujours employe viter toute espce de rigueur, et cest en raison de cette influenceque le gnral Lopez, malgr les supplications de Rosas, ne per-mit point de supplicier un seul des prisonniers faits pendant la

    campagne de 1831, qui mit en son pouvoir les chefs les plusimportants du parti unitaire.

    Au reste, Cullen avait tous les dehors de la civilisation ; maisson instruction tait superficielle, et ses talents mdiocres.

    Ce fut ainsi que Rosas, le seul homme peut-tre qui netaucune gloire militaire parmi les chefs du parti fdral, se dbar-rassa des champions de ce parti ; ds lors, il demeura le seul

    homme important dans la Rpublique argentine, en mme tempsquil tait le matre absolu de Bunos-Ayres.Ce fut alors que Rosas, arriv la toute-puissance, commena

    sa vengeance contre les classes leves, qui lavaient si long-temps tenu en mpris. Au milieu des hommes les plus aristocrateset les plus lgants, il se montrait sans cesse vtu de la chaquetaou sans cravate. Il donnait des bals quil prsidait avec sa femmeet sa fille, et auxquels, lexclusion de tout ce quil y avait de

    distingu Bunos-Ayres, il invitait les charretiers, les bouchers,et jusquaux affranchis de la ville ; ainsi, une fois, il ouvrit le bal,lui dansant avec une esclave, et sa fille avec un Gaucho.

    Mais ce ne fut point de cette faon seulement quil punit lanoble cit. Il proclama ce terrible principe :

    Celui qui nest pas avec moi, est contre moi.Ds lors, tout homme lui dplaisant fut qualifi du nom de

    sauvage unitaire, et celui que Rosas avait une fois dsign sousce nom navait plus droit ni la libert, ni la proprit, ni lavie, ni lhonneur.

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    33/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE 33

    Alors, pour mettre en pratique les thories de Rosas, sorga-

    nisa, sous ses auspices, la fameuse socit deMas-horca, cest--dire Encore des potences. Cette socit tait compose de tousles hommes sans aveu, de tous les banqueroutiers, de tous lesassassins de la ville.

    cette socit de la Mas-horca taient affilis, par ordresuprieur, le chef de la police, les juges de paix, tous ceux enfinqui devaient veiller au maintien de lordre public ; de sorte quelorsque les membres de la socit foraient la maison dun

    citoyen, pour piller cette maison ou assassiner ce citoyen, celuidont la vie ou la proprit tait menace avait beau appeler sonaide, personne ntait l pour sopposer aux violences qui luitaient faites. Ces violences avaient lieu au milieu du jour commeen pleine nuit, et nul net pu indiquer un moyen de sy sous-traire.

    Veut-on quelques exemples ? Soit. Chez nous, on doit le

    remarquer, le fait suit toujours immdiatement laccusation.Les lgants de Bunos-Ayres avaient cette poque lhabi-tude de porter leurs favoris en collier ; mais sous le prtexte quela barbe taille ainsi formait la lettre U et voulait dire unitaire, laMas-horcasemparait de ces malheureux, et les rasait avec descouteaux mal affils, et la barbe tombait avec des lambeaux dechair ; aprs quoi on abandonnait la victime aux caprices de ladernire populace rassemble par la curiosit du spectacle, et qui

    parfois poussait la sanglante farce jusqu la mort.Les femmes du peuple commenaient alors porter dans leurs

    cheveux ce ruban rouge, connu sous le nom de moo. Un jour laMas-horcase posta la porte des principales glises, et alorstoutes les femmes qui entraient ou sortaient sans avoir le moosur la tte sen voyaient fixer un avec du goudron bouillant. Centait pas non plus une chose extraordinaire que de voir unefemme dpouille de ses habits et fouette au milieu de la rue ;et cela parce quelle portait un mouchoir, une robe ou une paruresur laquelle on distinguait la couleur bleue ou verte. Il en tait de

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    34/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE34

    mme pour les hommes de la plus haute distinction, et il suffisait,

    pour quils courussent les plus grands dangers, quils se fussenthasards en public avec un habit ou une cravate.En mme temps que les personnes dsignes sans doute par

    Rosas, et qui appartenaient ces classes suprieures de la socitque poursuivait sa vengeance, taient les victimes de ses violen-ces, on emprisonnait par centaines les citoyens dont les opinionsntaient point en harmonie, nous ne dirons pas avec celles dudictateur, mais avec les combinaisons encore inconnues de sa

    politique venir. Nul ne savait le crime pour lequel il tait arr-t ; ctait chose superflue, puisque Rosas le savait. De mme quele crime restait inconnu, le jugement tait dclar inutile, etchaque jour, pour faire place aux prisonniers des jours suivants,les prisons encombres se dbarrassaient du trop-plein de leurscaptifs laide de nombreuses fusillades. Ces fusillades avaientlieu dans lobscurit, et, tout coup, la ville se rveillait en tres-

    saillant au bruit de ces tonnerres nocturnes qui la dcimaient.Le matin on voyait les charretiers de la police recueillir tran-quillement dans les rues les corps des assassins, et aller prendre la prison les corps de ceux quon avait fusills ; puis, assassinset fusills, conduire tous ces cadavres anonymes un grand foss,o on les jetait ple-mle, sans quil ft mme permis aux famil-les des victimes de venir reconnatre les siens et de leur rendre lesdevoirs funbres.

    Les charretiers qui conduisaient ces restes dplorables annon-aient leur venue par datroces plaisanteries, qui faisaient fermerles portes et fuir la population. On les a vus dtacher les ttes descadavres, en emplir des paniers, et, du cri habituel aux marchandsde fruits de la campagne, les offrir aux passants effrays, encriant :

    Voil des pches unitaires ! qui veut des pches uni-taires ?

    Bientt le calcul se joignit la barbarie, la confiscation lamort.

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    35/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE 35

    Rosas comprenait que le moyen de se conserver au pouvoir

    tait de crer des intrts insparables des siens.Alors il montra une partie de la socit la fortune de lautre,en lui disant : Cela tappartient.

    partir de ce moment, la ruine des anciens propritaires deBunos-Ayres fut consomme, et lon vit slever ces fortunesrapides et scandaleuses qutalent aujourdhui les amis de Rosas.

    Ce que na os rver aucun tyran, ce qui nest venu lide nide Nron ni de Domitien, Rosas la excut. Aprs avoir tu le

    pre, il a dfendu au fils de porter le deuil. La loi qui contientcette prohibition fut proclame et affiche ; et il fallait bien lapublier et lafficher, car il ny et eu que des habits de deuil Bunos-Ayres.

    Les excs de ce despotisme frapprent les trangers et entreautres quelques Franais. Rosas, qui se croyait tout permis aveceux, lassa la patience du roi Louis-Philippe, patience bien con-

    nue, et amena la formation du premier blocus fait par la France.Mais les hautes classes de la socit ainsi maltraitescommencrent fuir Bunos-Ayres, et, pour trouver un refuge,jetrent leurs regards sur ltat oriental, o la plus grande partiede la ville proscrite vint chercher un asile.

    Ce fut en vain que la police de Rosas redoubla de vigilance ;ce fut en vain quune loi punit de mort lmigration ; ce fut envain qu cette mort on joignit des dtails atroces, car Rosas vit

    bientt que la mort ne suffisait pas. La terreur et la haine quin-spirait Rosas taient plus fortes que les moyens invents par lui.Lmigration allait croissant dheure en heure, de minute enminute. Pour raliser la fuite de toute une famille, il sagissaitseulement de trouver une barque. La barque trouve, pre, mre,enfants, frres, surs sy entassaient confusment, abandonnantmaisons, biens, fortune, et chaque jour on voyait arriver dansltat oriental quelques-unes de ces barques charges de passa-gers, qui navaient plus pour tout bien que les vtements quilsportaient sur eux.

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    36/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE36

    Et aucun de ces passagers neut se repentir de la confiance

    quil avait mise dans lhospitalit du peuple oriental. Cette hos-pitalit fut grande et gnreuse, comme let t celle dunerpublique antique, lhospitalit telle que devait lattendre le peu-ple argentin damis, ou plutt de frres, qui tant de fois avaientruni leur drapeau ses drapeaux pour combattre lAnglais,lEspagnol et le Brsilien, ennemis communs, ennemis trangers,moins dangereux cependant que cet ennemi qui tait n au milieudeux.

    Les Argentins arrivaient en foule et dbarquaient, et, sur leport, les habitants les attendaient, choisissant, mesure quilsmettaient pied terre, en raison de leurs ressources pcuniairesou de la grandeur des habitations, le nombre dmigrants quilspouvaient recueillir. Alors vivres, argent, habits, tout tait mis la disposition de ces malheureux, jusqu ce quils se fussent crquelques ressources ; ce quoi tout le monde les aidait. Et de leur

    ct, ceux-ci, reconnaissants, se mettaient aussitt au travail, afindallger le fardeau quils imposaient leurs htes, et de leurdonner ainsi le moyen daccueillir de nouveaux fugitifs. Pourarriver ce but, les personnes les plus habitues toutes lesjouissances du luxe travaillaient aux derniers mtiers, les enno-blissant dautant plus que ces mtiers taient en opposition avecleur tat social.

    Ce fut ainsi que les plus beaux noms de la Rpublique argen-

    tine figurrent dans lmigration.Lavalle, la plus brillante pe de son arme ; Florencio

    Varela, son plus beau talent ; Aguero, un de ses premiers hom-mes dtat ; Echaverria, le Lamartine de la Plata ; Vega, leBayard de larme des Andes ; Guttierez, lheureux chantre desgloires nationales ; Alsina, le grand avocat et lillustre citoyen,apparaissent au nombre des migrants, comme apparaissent aussiSaenz Valiente, Molino Torres, Ramos Megia, les grands pro-pritaires ; comme apparaissent encore Rodriguez, le vieuxgnral des armes de lindpendance et des armes unitaires ;

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    37/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE 37

    Olozabal, un des plus braves de cette arme des Andes dont nous

    avons dit que Vega tait le Bayard. Cest que Rosas poursuivaitgalement lunitaireet lefdral, ne se proccupant que dunechose, de se dbarrasser de tous ceux qui pouvaient tre un obsta-cle sa dictature.

    Cest cette hospitalit accorde aux hommes quil poursui-vait quil faut attribuer la haine que Rosas porte ltat oriental.

    lpoque que nous citons, la prsidence de la Rpubliquetait exerce par le gnral Fructuoso Rivera.

    Rivera, dont nous venons de prononcer le nom, est un hommede la campagne, comme est Rosas, comme tait Quirogaq. Seule-ment, tous ses instincts se portent la civilisation, ce qui le faittout loppos de Rosas. Comme homme de guerre, la bravoure deRivera na pas t surpasse ; comme homme de parti, sa gn-rosit na pas t atteinte. Depuis trente ans, il figure dans lesscnes politiques de son pays, et, depuis trente ans, on la vu sau-

    ter sur ses armes au moment o le mot : Guerre ltranger ! at prononc.Lorsque la rvolution contre lEspagne commena, il sacrifia

    sa fortune, car, pour lui, cest un besoin irrsistible de donner ; ilnest pas gnreux, il est prodigue.

    Et de mme que Rivera est prodigue envers les hommes, Dieufut prodigue envers lui. Cest un beau cavalier, dans le sens dumot espagnol qui comprend la fois le soldat et le gentilhomme,

    au teint brun, la taille leve, au regard perant, causant avecgrce, et entranant ses interlocuteurs dans le cercle fascinateurdun geste qui nappartient qu lui. Aussi a-t-il t lhomme leplus populaire de ltat oriental ; mais, il faut le dire, jamais enmme temps plus mauvais administrateur ne dsorganisa lesressources pcuniaires dun peuple. Il avait drang sa fortuneparticulire ; il drangea la fortune publique, non pour se recons-tituer une fortune, mais parce que, homme public, il avaitconserv toutes les faons princires de lhomme priv.

    Mais lpoque o nous sommes arrivs, cette ruine ne se

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    38/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE38

    faisait pas encore sentir. Rivera commenait sa prsidence, et sa

    prsidence tait entoure des hommes les plus capables du pays ;Obes, Herrera, Vasquez, Alvarez, Ellauri, Luiz, Edouard Pereztaient vritablement sinon ses ministres, du moins les directeursde son gouvernement ; et avec ces hommes, tout ce qui tait pro-grs, libert et prosprit tait assur ce beau pays.

    Obes, le premier des amis de Rivera, tait un homme de carac-tre antique ; son patriotisme, sa grandeur, ses talents minents,son instruction profonde le mettent au nombre des grands hom-

    mes de lAmrique. Il est mort dans la proscription, une despremires victimes du systme de Rosas dans ltat oriental.

    Louis-Edouard Perez tait lAristide de ltat oriental. Rpu-blicain svre, patriote exalt, il consacra sa longue existence la vertu, la libert et son pays.

    Vasquez, homme de talent et dinstruction, commena sespremiers services au pays au sige de Montevideo, dans la guerre

    contre lEspagne, et finit sa carrire pendant le sige actuel, ayanttoujours, et dans toutes les occasions, pendant ce long espace detemps, bien mrit du pays.

    Herrera Alvarez et Ellauri, beaux-frres de Obes, ne sont pointrests en arrire de ceux que nous venons de nommer ; ils appar-tiennent non-seulement ltat oriental, comme dfenseursdvous, mais encore la cause amricaine tout entire.

    Aussi leurs noms seront-ils toujours sacrs cette vaste terre

    de Colomb, qui stend du cap Horn au dtroit de Barrow.Un gouvernement compos de tels hommes dut naturellement

    se mettre la tte de llan national, lorsque lheure de lutter face face contre le systme de Rosas fut arrive pour la Rpubliqueorientale.

    Aussi, quand le peuple compatissait aux malheurs que nousavons raconts, le gouvernement recherchait-il les plus illustresparmi les malheureux, au nom de la nation, tandis que les par-ticuliers accueillaient les autres en leur nom. Le trsor faisait despensions aux guerriers argentins dclars tratres par Rosas, et les

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    39/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE 39

    chefs du gouvernement eux-mmes les enveloppaient de toute

    espce de respect et de considration.Ajoutez cela que la presse, ntant pas billonne dans ltatoriental, comme elle ltait Buenos-Ayres, racontait au reste dela terre les crimes de Rosas, et livrait son nom lexcrationuniverselle.

    Ds-lors, on le comprend bien, la vengeance de Rosas dutmenacer, comme la tte la plus haute entre celle de ses ennemis,Rivera, son administration et le pays sur lequel elle stendait.

    Cependant, assez fort pour nourrir cette vengeance, Rosas taittrop faible encore pour la laisser clater. Il se borna faire augouvernement de sourdes hostilits. Il appuya par tous lesmoyens possibles la rvolution qui, en 1832, clata contre Rivera,et, cette rvolution touffe, ne se tenant pas pour battu, il enorganisa de nouvelles.

    La prsidence de Rivera prit fin en 1834. Le gnral Manuel

    Oribe lui succda par linfluence de Rivera lui-mme, qui comp-tait avoir en lui un ami et un continuateur de son systme. Eneffet, Manuel Oribe avait t cr gnral par Rivera, et avait faitpartie de la prcdente administration, comme ministre de laguerre.

    Oribe appartient aux premires familles du pays. Aprs 1811,il combattit pour sa dfense, et sest toujours distingu par sabravoure personnelle. Son esprit est faible, son intelligence troi-

    te ; cela explique son alliance avec Rosas, alliance laquelle ilsest donn tout entier, quoiquelle entrane avec elle la ruine decette mme indpendance pour laquelle Oribe a combattu tant defois.

    Comme gnral, son incapacit est complte ; ses passions ontla violence des organisations nerveuses, et le portent la cruaut.Comme particulier, cest un honnte homme.

    Comme administrateur, il fut plus conome que Rivera, et lonne peut lui reprocher davoir augment le dficit du trsor public.Et cependant, cest lui quappartient toute la responsabilit de

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    40/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE40

    la ruine de ltat oriental. Oubliant que, pour tre chef de parti,

    ce nest point assez de le vouloir, il refusa de rester li au grandparti national qui avait Rivera pour chef ; il voulut se former unparti, excita les mfiances du pays, et, effray de sa faiblesse, sejeta un jour dans les bras de Rosas. Le pays connut cette alliancepar les sourdes hostilits du gouvernement contre lmigrationargentine, et comme rien ntait plus oppos lopinion du paysque le systme de Rosas, le pays sunit au gnral Rivera, dumoment o celui-ci se mit la tte dune rvolution contre Oribe

    en 1836.Malgr cette presque unanimit qui le menaait, Oribe rsista

    jusquen 1838. Oribe rsista parce que larme resta fidle audrapeau, parce quil disposait de tous les moyens de gouverne-ment, et parce que surtout il tait soutenu de Rosas.

    Relevons ici une erreur trs-rpandue sur cette rvolution. Onsuppose gnralement que linfluence des Franais a fait tomber

    Oribe, tandis que nous pouvons affirmer que celui-ci na tcombattu que par les Orientaux. Son pouvoir fut dtruit labataille de Palmar, o il ne se trouva pas un seul tranger dans lesrangs de ses ennemis, tandis que lui, au contraire, tomba appuysur les trangers ; et la preuve en est que, lors de la capitulationde la ville de Paysandu, il se trouvait dans cette ville un bataillonargentin tout entier. Or, les Argtentins sont aussi trangers ltat oriental que le sont les Chiliens ou les Anglais.

    Oribe descendit de la prsidence par une renonciation faiteofficiellement devant les chambres, et il sortit du pays ayantdemand la permission ces mmes chambres de se retirer.

    Puis, sorti du pays, Rosas lobligea de protester contre cetterenonciation, et, ce qui jamais ne stait vu en Amrique, il lereconnut pour le chef du gouvernement dun pays dans lequel lui-mme navait pu rester. Ctait quelque chose comme si Louis-Philippe en exil et nomm un vice-roi la Rpublique franaise.

    On commena par rire Montevideo de cette excentricit dudictateur, mais lui se prpara, pendant ce temps, changer le rire

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    41/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE 41

    en larmes.

    La consquence naturelle de cette conduite de Rosas tait laguerre entre les deux nations, guerre commence en 1838 et quidure encore.

    Une fois rtabli la tte du gouvernement, Rivera appuya detoutes ses forces le blocus de la France, en mme temps quilrecevait du gouvernement franais des secours dhommes et dar-gent contre lennemi commun, et lon peut croire que cet appuide Rivera embarrassait fort Rosas, et peut-tre allait le rendre

    docile aux exigences europennes, lorsque lamiral de Mackauarriva, en 1840, et conclut le trait qui porte son nom ; trait quireleva le pouvoir de Rosas prt tomber, et laissa la Rpubliqueorientale seule engage dans la lutte.

    Cette lutte se prolongea avec des chances diverses jusquen1842, jusquau moment o larme orientale fut battue la batail-le dArroyo-Grande.

    Dans cet intervalle, une grande partie de la Rpublique argen-tine, confiante dans le pouvoir de la France, avait lev ltendardcontre Rosas, et lui avait fait une guerre o tout ce quon peutconcevoir de grand et dhroque avait t ralis. Mais cetteguerre, si ingale au point de vue des ressources, navait contri-bu qu augmenter le martyrologe des patriotes argentins surlimmense catalogue des cruauts de Rosas.

    Cependant, la bataille de lArroyo-Grande perdue, larme de

    Rosas, forte de 14,000 hommes, envahit ltat oriental.Pour sopposer ce torrent, il ny avait dans la campagne que

    600 soldats aux ordres du gnral Medina, et 1,200 recrues auxordres du gnral Pacheco y Obes, alors colonel.

    Ces deux dtachements se runirent sous le feu de lavant-garde ennemie. Le gnral Rivera se mit linstant leur tte, et4 ou 5,000 volontaires accoururent sous le drapeau national.

    Alors on vit un admirable spectacle : 6,000 hommes dsorga-niss, presque sans armes, disputrent le pays pas pas larmede Rosas. La marche des dfenseurs du pays se faisait au milieu

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    42/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE42

    des contres incendies par lennemi, et, protges par ces 6,000

    braves, marchaient au milieu deux toutes les familles fugitivesdont, au risque des prils quelles faisaient courir leurs dfen-seurs, on protgea ainsi la retraite jusqu Montevideo.

    L se rfugia presque toute la population de la campagne. Le1er fvrier 1843, larme orientale, forme sur les hauteurs deMontevideo, vit paratre larme ennemie ; mais, au lieu de cher-cher un refuge derrires les murailles, elle se contenta dedemander des armes et des munitions, et ayant confi la ville la

    population quelle protgeait, elle prit la campagne pour manu-vrer, et dit la ville :

    Dfends-toi, et compte sur nous !

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    43/96

    Chapitre troisime

    Lorsque Wright, lauteur du Sige de Montevideo, expose lasituation o se trouva la Rpublique orientale aprs la bataille delArroyo-Grande, il clt ce rcit par ces sombres paroles :

    Le soleil de dcembre, en noyant ses rayons dans lOcan,nous laissa :

    Battus lextrieur,Sans arme,Sans soldats mme lintrieur,Sans matriel de guerre,Sans argent,Sans revenus,Sans crdit.Ce tableau ntait point exagr.

    Le gnral Rivera tait le chef de la Rpublique.En portant un jugement impartial sur lui comme sur tous les

    hommes que nous avons essay de peindre, jugement qui seracelui de la postrit, car, dans les jugements politiques et litt-raires, la distance quivaut au temps, et fait le prsent impartialcomme lavenir, nous avons dit ltat de dtresse quil avaitapport dans les finances du pays.

    Quant larme, elle se ressentait des ides fausses quavaitsur la guerre le gnral Rivera.

    Disons lorigine de ces ides.Rivera avait fait ses premires armes sous Artigas. Artigas

    ntait point un gnral, mais un chef de partisans. Ses batailles, lui, taient des surprises et des coups de main. lve de ce ma-tre, Rivera traitait la guerre comme lui, et cependant les chosesavaient chang de face, les hommes daspect.

    Quelques officiers, patriotes intelligents, essayrent de fairechanger de systme Rivera, en supposant que sa manire de

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    44/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE44

    combattre ft un systme et non une routine ; mais, quelque

    influence quils pussent prendre sur lui, ils durent se contenterdintroduire grandpeine quelques-unes de ces amliorationsisoles qui font dautant mieux voir la dfectuosit du fond.

    Larme resta donc ce que son chef voulait quelle ft, cest--dire une arme sans discipline, sans ordre, sans unit, vritablearme de partisans, telle quelle tait enfin sous Artigas, moinsArtigas.

    Elle se composait de deux petits bataillons dinfanterie, for-

    ms entirement de ngres et de quelques milliers de cavaliers,qui, laissant les cadres vides, mme dans les campements militai-res, ne venaient se ranger sous les drapeaux que les jours dudanger.

    On comptait un matriel dartillerie lgre assez considrable,mais le personnel de cette arme tait dans le mme cas que celuide la cavalerie. Le service de ltat-major et tous les autres servi-

    ces de larme taient presque nuls, et il se trouvait, mme parmiles chefs suprieurs, des hommes qui eussent t embarrasss decommander une manuvre.

    La campagne, divise en dpartements, confie des com-mandants gnraux, navait, elle non plus, aucune organisationmilitaire. On et cherch en vain un arsenal de guerre sur tout leterritoire de la Rpublique. Et comme il ntait venu personnelide que cette rpublique pt tre frappe dune dfaite, en cas

    de dfaite rien ntait prpar.Quant Montevideo, il y avait longtemps que ce ntait plus

    une ville de guerre. Ses murailles avaient t rases ds 1833. Legouvernement qui y avait tabli sa rsidence tait composdhommes faibles, capables de faire leur devoir dans les circon-stances ordinaires, mais incapables de mesures dans une situationdsespre.

    Or, la situation de Montevideo tait dsespre.Aussi la nouvelle de la perte de la bataille dArroyo-Grande

    tomba-t-elle comme la foudre au milieu de la population ; aussi,

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    45/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE 45

    au bruit de cette nouvelle, tous les patriotes courbrent-ils la tte,

    tandis que les amis dOribe, cest--dire les partisans de ltran-ger, se montraient pleins desprances, et conspiraient ouver-tement pour se rendre Rosas, et par consquent pour tuer laRpublique orientale.

    Alors quelques hommes de patriotisme et daction qui setrouvaient Montevideo poussrent le gouvernement prendrednergiques mesures pour la dfense de la ville.

    Sur leurs instances, on dcrta donc la cration dune arme

    de rserve. On nomma son commandement le gnral Paz, quise trouvait rfugi Montevideo ; on appela aux armes les hom-mes de 14 50 ans ; on affranchit les esclaves pour en faire dessoldats. Mais toutes ces mesures avaient un caractre de faiblessequi les dpouillait de leur autorit. Elles taient dictes non pasavec cette foi sincre dans la possibilit de la dfense, foi qui etfait leur force, mais visiblement pour sauver la responsabilit de

    ceux qui les dictaient, et qui substituaient ainsi le mouvement lactivit, la fivre lnergie.Ds lors, les ressources de lautorit furent puises, et le

    gouvernement se vit mal obi, parce quil tait mal respect.Ce fut du milieu de la campagne que sleva le premier cri de

    guerre contre larme ennemie. Ce cri fut pouss par le com-mandant-gnral du dpartement de Mercds, par le colonelPacheco y Obes.

    Une fois que le dsastre dArroyo-Grande fut connu, le colo-nel Pacheco y Obes, ne recevant conseil que de son patriotisme,prit linstant les mesures les plus nergiques pour organiser uneforce militaire. Avant mme le gouvernement, il avait, lui, de sonautorit prive, proclam la libert des esclaves, tranchant dunseul trait de plume cette grande question qui se dbat depuis unsicle en Europe, et devant laquelle recule depuis soixante ans legouvernement des tats-Unis.

    Le gouvernement de Mercds comprenait trois petites villesde 2 3,000 habitants chacune. Il fit une leve en masse dans tout

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    46/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE46

    son district, enrgimenta les citoyens, les arma, les disciplina,

    cra des ateliers qui improvisrent des armes et, sans autresressources que celles quil sut trouver dans le patriotisme du paysauquel il fit un instant appel, vingt jours aprs la batailledArroyo-Grande, il se prsenta son tour au combat avec 1,200hommes arms et quips, qui eurent lhonneur dchanger avecles soldats de Rosas les premiers coups de fusil qui furent tirspour la dfense sacre du pays.

    Ses proclamations pleines dnergie, sa foi dans le triomphe

    de la cause nationale ramenrent lenthousiasme teint, et commeil tait vident quun homme qui faisait de pareilles choses esp-rait, tout le monde espra.

    Voici, au reste, comment sexprime le journal officiel deMontevideo du 31 dcembre 1842, en parlant des oprations ducolonel Pacheco y Obes :

    Nous savons que nous offensons la modestie du brave chef

    qui commande le district de Mercds ; mais comment garder lesilence, lorsque chaque jour brille nos yeux une nouvelle preu-ve de son incessante activit, de sa noble constance et de sa hautecapacit ? Le colonel Pacheco y Obes nous prouve que nousavons tout la fois des hommes daction, de rsolution et dadmi-nistration capables de sauver la patrie.

    Ctait aussi lopinion de tous les patriotes de ltat oriental.Partout ces patriotes demandaient un changement de gouverne-

    ment, et lopinion publique appelait prendre part au pouvoir lecolonel Pacheco y Obes.

    Le gnral Rivera cda aux exigences universelles, et, avantde partir pour larme, il organisa un nouveau ministre danslequel taient Pacheco y Obes pour la guerre et la marine, San-tiago Vasquez pour lintrieur et les affaires trangres, etFrancisco Muoz pour les finances.

    Le 3 fvrier 1843, le nouveau ministre entra en fonctions. Ilfut appel le ministre Pacheco y Obes, et ce fut la vigueur desmesures quil prit ds les premiers jours de son existence quest

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    47/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE 47

    due cette dfense incroyable de Montevideo.

    Ce ministre fonctionnait sous la direction du prsident dusnat, exerant la prsidence de la rpublique en labsence dugnral Rivera.

    Le nom de ce magistrat tait Juaquin Suarez ; cest un desplus riches propritaires de ltat oriental, un des hommes lesplus honorables de ce peuple auquel il a consacr toute sonexistence. Il est aujourdhui prsident en titre, ayant succd Rivera, dont le temps lgal du pouvoir avait expir le 1ermars

    1843.Le 16 fvrier de cette mme anne, larme ennemie, com-

    mande par Oribe, se prsentait devant Montevideo, o ellecomptait entrer sans coup frir, ou tout au moins lemporter duncoup de main. Mais pendant le peu de jours couls depuis soninstallation, le nouveau gouvernement avait fait de Montevideoune place de guerre capable darrter les vainqueurs de lArroyo-

    Grande.Tout homme apte porter les armes avait t enrgiment,sans quaucune espce de considration ft admise pour le dis-penser manquer son devoir.

    Pas une seule exemption ne fut tolre.Le ministre de la guerre dictait les dcrets et se chargeait lui-

    mme de les faire excuter. Et chacun savait que, dans cette ex-cution, rien ne saurait branler sa volont de fer.

    Cest alors que furent rorganiss les bataillons de gardesnationaux qui, depuis sept ans, rendent de si grands services laville assige. Cest alors quil fit choix pour commander cescohortes improvises de ces chefs trangers jusque-l la guerre,et qui depuis sont devenus des hros, et quon nomme :

    Lorenzo Battle, Francisco Tage, Jos Maria Muos, JosSolsona, Juan Andres Gelly y Obes et Francisco Muos.

    Tous taient ngociants ou avocats au dbut du sige. Toussont aujourdhui colonels, et certes jamais les nobles insignes dece grade nont t plus noblement ports.

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    48/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE48

    Francisco Muos est mort. Les autres vivent encore, mais par

    miracle, car chacun des jours de ce long sige les a vus payer deleur personne et provoquer la mort qui les respecte.Les corps de ligne, la tte desquels figuraient aussi des

    hommes nouveaux, furent rorganiss et mis sous les ordres deMarcelino Sosa, lHector de cette nouvelle Troie, de Csar Diaz,de Manuel Pacheco y Obes, de Juan Antonio Lezica.

    Tous les noms que nous venons de citer sont dj des nomshistoriques, et seraient des noms immortels sil y avait un autre

    Homre pour cette autre Troie.Sosa est mort, et nous raconterons et sa mort de gant, et

    quelques-uns des exploits qui, en le rendant la terreur de larmeennemie, lui ont conquis ladmiration de la ville assige.

    Le colonel Csar Diaz commande aujourdhui larme.Cest un homme dune grande instruction, et il a la rputation

    non conteste dtre le meilleur tacticien dinfanterie qui se trou-

    ve dans les deux armes.Le colonel Battle, ministre actuel de la guerre et des finances,est un homme de 30 ans peu prs. Pour lui la nature a t plusque prodigue ; elle la fait beau, brave, spirituel, plein de talents ;elle la fait enfin un de ces hommes dont lavenir est destin resplendir dans la future histoire de lAmrique.

    Ce fut lui qui, avec une poigne de fantassins, en 1846, surpritles forces qui assigeaient La Colonia, les battit compltement et

    leur fit lever le sige.Cest que cette arme improvise sest forme sous un des

    meilleurs matres en lart de la guerre, puisque le gnral JosMaria Paz la commandait.

    Il est vrai quau milieu delle se trouvaient les proscrits argen-tins qui, rfugis Montevideo, formrent une lgion et contri-burent de toutes leurs forces et de tout leur sang la dfense dupays qui leur avait donn lhospitalit.

    Plusieurs chefs, venus de nations trangres, furent aussi lus.Ctaient en quelque sorte les reprsentants des ides de libert

  • 7/26/2019 Montevideo Ou La Nouvelle Troie

    49/96

    MONTEVIDEO OU UNE NOUVELLE TROIE 49

    et de progrs qui flottent encore dans le monde, sans avoir trouv

    la nation qui sera assez intelligente pour les adopter et les faireprosprer.Au milieu de ces chefs qui concoururent la dfense de

    Montevideo, et qui seront rcompenss de leur dvouement parla reconnaissance non-seulement dune ville, mais encore dunenation, citons avant tout Jos Garibaldi.

    Jos Garibaldi, proscrit en Italie, o il avait combattu pour lalibert ; proscrit en France, pour avoir voulu combattre pour la

    mme cause ; proscrit Rio-Grande, pour avoir concouru lafondation dune rpublique, vint offrir ses services Montevideo.

    Essayons de faire connatre nos contemporains, sous le rap-port physique et moral, un homme si puissant quon na pulattaquer quen le calomniant.

    Au physique, Garibaldi est un homme de 38 ans, taille moyen-ne, convenablement bien proportionn, avec des cheveux blonds,

    des yeux bleus, le nez, le front et le menton grecs, cest--dire serapprochant autant que possible du vrai type de la beaut. Il portela barbe longue. Son habillement ordinaire est une redingoteserre au corps, sans aucun insigne militaire. Ses mouvementssont gracieux. Sa voix, dune douceur infinie, ressemble unchant. Dans ltat ordinaire de la vie, il est plutt distrait quat-tentif, et semble plutt un homme de calcul que dimagination ;mais prononcez devant lui les mots dindpendance et dItalie,

    alors il se rveille comme un volcan, jette sa flamme et rpand salave.

    Jamais, except au combat, on na vu Garibaldi porteur dunearme ; au moment dagir, il tire la premire pe venue du four-reau, jette le fourreau et marche lennemi.

    Nomm commandant