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Faim de vie : Le travail « de derrière ». Christine COSTE

Faim de viefaimdevie.fr/making-of.pdf · 2019-05-08 · Présentation du projet Les 4 et 5 mai sera présenté à la salle Francis Planté d’Orthez le spectacle « faim de vie,

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Faim de vie :

Le travail « de derrière ».

Christine COSTE

Présentation du projet

Les 4 et 5 mai sera présenté à la salle Francis Planté d’Orthez le spectacle « faim de vie,

osez vivre ses choix jusqu’au bout ». La fondation de France, la mairie d’Orthez et le centre

hospitalier d’Orthez sont les partenaires financiers de ce projet.

Le résumé indique qu’il s’agit de l’histoire de : "4 personnes, 4 vies, 4 instruments, 4

maladies : la démence, le cancer, la maladie de Charcot (SLA), l’AVC. Des soins,

symbolisés par la danse, vont être mis en place. Des traitements vont être proposés, des

décisions vont alors être nécessaires. Mais peut-on refuser une thérapeutique, une

hospitalisation ? Peut on prendre le risque de vivre ses choix, ses envies jusqu’au bout et

garder ainsi sa faim de vie ?"

Ce spectacle collaboratif sera joué 3 fois sur le week-end. Il mettra sur scène 27 acteurs de

5 à 80 ans, 50 musiciens, 28 danseurs et une dizaine de chanteurs.

Mais cette présentation ne met en lumière que la partie émergée de l’iceberg. Ce projet est

certes un spectacle mélangeant de la musique, du chant et de la danse, mais c’est surtout

une aventure humaine incroyable. La représentation ne sera que l’aboutissement d’un travail

collectif, d’un surpassement de soi pour certains, d’un immense défi pour d'autres.

Voici la relecture d’une année de réalisation et de production.

Je vous propose, si vous en avez la possibilité, de mettre en fond, la musique du canon de

Pachelbel … vous comprendrez pourquoi en lisant !

Le travail de derrière

Le 30 janvier 2018.

Mes rapports avec la direction de mon hôpital sont compliqués, et c'est avec de

l'appréhension que nous nous rendons avec 3 infirmières de l'équipe mobile de soins

palliatifs à la convocation du directeur. Nous sommes reçues avec les croissants !

- « La fondation de France lance un appel à projet sur le sujet : « oser vivre ses choix

jusqu’au bout de la vie ». L'hôpital voudrait participer, est ce que vous auriez une idée ? »

-« Avoir des postes supplémentaires en personnel ? »

-« Non »

-« Acheter une voiture pour nos déplacements au domicile ? »

-« Non. Il faut un projet original comme un forum qui permettrait à un grand nombre de gens

de comprendre ce que sont les soins palliatifs pour la personne âgée ! »

OK... Nous avons déjà fait ce genre de manifestation et je sais qu'un thème pareil ne fait pas

déplacer les foules. Me vient alors une idée. Le meilleur levier ce sont les enfants ! Si l'on

met des enfants sur scène, quel que soit le thème, les parents et grands-parents viendront.

-"On va faire un spectacle"

Regard amusé du directeur.

- "OK, la date de clôture des dossiers est le 3 mars !"

Nous sortons enthousiastes de la direction .... Le retour à la maison me ramène à la réalité,

mon mari est plus terre à terre, lui, ça ne l'amuse pas.

- "Tu es sûre de vouloir t'embarquer dans ce projet ? Rappelle-toi les autres spectacles : Tu

sais ce que c'est. Tu réalises bien tout le travail qu'il y a derrière !"

Oh oui je réalise ... ce travail de derrière ...

1. Être un producteur crédible, connu et reconnu face aux autorités

Les délais sont serrés, nous avons un mois pour ficeler un dossier très technique, avec

description d’une méthodologie, des partenaires impliqués, des bénéfices attendus, du

budget prévisionnel ... On part de rien. On a juste un concept : faire un spectacle.

J’ai fait dix ans de comédie musicale. J’aime travailler le mélange de musique, de danse et

de théâtre.

Très vite on prend rendez-vous avec la direction des Musicales : l'école de musique de la

ville. On commence par eux. Pourquoi ? Une intuition : les musiciens sont plus à l'écoute de

projets fous !

Mr Landarrabilco nous reçoit poliment :

- " Ecoutez, je vais être franc avec vous, ce genre de projet, je n'aime pas trop : le plus

important c'est que l'enfant ne soit pas déçu. Il n'y a rien de pire que de faire travailler les

jeunes et ensuite on ne va pas au bout. Vous êtes motivée, c'est bien mais je voudrais être

sûr que ça ne va pas capoter".

Être crédible ! Pas évident. Je suis médecin dans la "vrai vie" pas professionnelle du

spectacle. Je n'ai pas de diplôme pour rassurer. J’essaye de me vendre.

J'ai préparé mon « CV d'artiste » : mon parcours dans une troupe, les différents projets déjà

réalisés, mon statut d'étudiante au conservatoire … tout cela rassure.

- "OK : on va le faire ... mais à une condition : si vous n'obtenez pas les financements de la

Fondation de France, on le fait quand même ! ".

Je m’y engage : sur mes fonds personnels si besoin, à condition que l’on n’ait pas à payer la

salle.

L'urgence c'est alors la mairie d'Orthez : il nous faut la mise à disposition d'une salle sans

frais. Le monde est petit à Orthez, je connais un peu le responsable de la programmation à

la mairie. Je l’appelle : même réticence :

- "Les amateurs on n'aime pas trop travailler avec eux, ils sont pleins de bonne volonté mais

ils ne se rendent pas compte."

On parle technique, le sujet l'intéresse ... sans cette sympathie antérieure les portes ne se

seraient pas ouvertes. Je le sais : être producteur c’est avoir un réseau.

- "Faites une demande officielle à la mairie, mais considérez que c'est de l'ordre du

possible".

Une lettre est envoyée au maire. Le théâtre Francis Planté et les régisseurs seront

finalement mis à notre disposition.

Pour les danseurs, tout est plus simple. On a l'accord des Musicales et de la mairie : cela fait

un laisser-passer. Angéline Cruz, la responsable de l’école de danse des Capucins a été

mon professeur en comédie musicale. Là encore, le monde est petit et les connaissances

indispensables. Nous sommes en février 2018 : cela lui laisse du temps : elle nous donne un

accord de principe.

Reste les scolaires. Nous les contactons rapidement, il faut proposer le projet avant la fin de

l’année scolaire. Les directeurs des différents établissements contactés vont souvent être

intéressés, mais le sujet va faire peur aux enseignants. Que ce soit aux collèges (certains

ont un atelier théâtre au sein de l'établissement), aux lycées (dont un possède une option

théâtre au bac) et même en primaire, dans le privé ou le public ... A chaque fois, le

partenariat ne va pas être possible. L'éducation nationale est difficile à mobiliser. Ce sera

notre plus grand écueil.

Il me faut finir ce chapitre sur le rapport aux autorités, notamment celui avec la direction de

l'hôpital.

Si le projet pouvait les avoir amusés dans un premier temps, on sent bien que la proportion

que cela prend commence à inquiéter :

- "Ecoutez, j’aimerais que vous ne vous engagiez pas trop, tant que l'on n’est pas sûr que la

Fondation de France finance le projet".

Employée par cet établissement, je n'ai logiquement pas les mains libres pour avancer à

mon rythme. Pourtant j'ai besoin d'eux, de leur soutien, mais les contraintes du milieu du

spectacle, ils ne les connaissent pas.

La réponse est posée calmement :

- "Ecoutez monsieur, vous êtes et vous restez, mon supérieur hiérarchique dans mon travail

à l'hôpital, mais là pour ce projet je vous demande de ne plus être mon directeur mais un

collaborateur."

L'hôpital va quelque part subir les étapes de la construction du spectacle. Souvent bousculé

dans son fonctionnement (cf. la partie financière), le centre hospitalier va supporter, au sens

propre du terme, cette réalisation.

Le directeur me lâchera un jour :

- "vous êtes un véritable bulldozer ! "

Je l'ai pris comme un compliment.

2. Le financement : le nerf de la guerre

L'argent n'a jamais été pour les autres spectacles un problème. J’ai participé à l’élaboration

de 8 spectacles ces dix dernières années. La location des salles, qui représente le poste le

plus cher, étaient souvent des églises mises à disposition gracieusement.

De ces expériences je sais qu’un spectacle coûte environ 3000 - 4000 euros, si on enlève la

location de la salle. Les postes les plus onéreux sont les éclairages et le son, puis vient la

papeterie (avec les affiches, flyers et programmes), les décors et les costumes (budget dans

mon cas souvent réduit). A tout cela il ne faut pas négliger d’anticiper les « petites dépenses

oubliées ».

Les autres spectacles s'autofinançaient à chaque fois par « le chapeau », c'est à dire, la libre

participation proposée à la sortie : les 1000 à 1500 entrées correspondant à cette somme.

Pour la première fois il me faut faire un budget prévisionnel.

La salle est mise à disposition, avec surtout les régisseurs. C'est un soulagement énorme,

tant financier qu’organisationnel.

Reste que notre projet, pour être accepté par la fondation de France, doit répondre à

plusieurs critères, dont deux principaux :

- 1) Être financé par d’autres partenaires que la Fondation de France

- 2) Prouver qu'il n'est pas juste un événement ponctuel, mais une initiative qui va

perdurer dans le temps.

1) La première étape est donc de trouver d’autres partenaires :

L'hôpital est de facto un partenaire ... mais il présente un déficit financier tel, qu’il ne pourra

pas être un sponsor. Il va falloir faire preuve de stratégie pour le faire figurer dans le budget.

Il s'engage à me libérer du temps médical pour travailler sur ce projet (au tarif horaire

médical cela représente une certaine somme !). On fait figurer un congrès que je vais suivre,

sur le thème justement des désirs en soins palliatifs, et qui sera financé par un budget

formation.

Autre partenaire : la mairie. Elle sera extrêmement discrète sur le montant réel de la mise à

disposition de la salle et du personnel de la régie. Au total elle autorisera 2 jours de

répétitions (la veille et l'avant veille), en plus des 2 jours de représentation : c'est énorme

financièrement.

2) Deuxième aspect à respecter : inventer un projet avec une temporalité longue.

Il faut imaginer ce qu’on appellera un « after » et un « before ».

Très vite les idées fusent : faire un livre à partir des témoignages recueillis pour le scénario,

faire un film du spectacle que l'on pourra projeter dans les EHPAD, faire une exposition

photos sur les personnes âgées ... En fait, tout cela coûte cher !

Nous allons garder les idées, mais elles auront un prix.

Voici le budget prévisionnel soumis à la Fondation de France

BUDJET PREVISIONEL

du projet spectacle «Vivre ses choix, prendre des risques jusqu'au bout de la vie »

Cible temporalité Référent Partenaire possible

Budget Total par partenaire

Mise à disposition de la salle pour spectacle et

générale

En cours de négociation avec la mairie d'Orthez

Mr Canet référent culturel

et gestionnaire de la salle

F. Plantet

Ville d'Orthez

Environ 4000 €

+/- 4000 € Ville d'Orthez

(Négociation en cours)

Matériel éclairage et sono En cours de négociation avec la mairie d'Orthez

Mr Canet

Ville d'Orthez

Régisseurs mis à disposition pendant 48h

En cours de négociation avec la mairie d'Orthez

Mr Canet Ville d'Orthez

Décors

fin 2018 Fondation de France

500 €

3300 € Fondation de France

(Appel à projet en cours)

Costumes

Fin 2018 Fondation de France

500 €

Affiches Devis fait Hélioplan à Pau Fondation de France

192 €

Programme En cours de négociation Hélioplan ou Moulias Fondation de France

300 €

Intervention du soliste danseur

Pour une générale Enfant venant de Cannes Fondation de France

200 €

Frais de SACEM 2018 Suivant le choix des musiques

Fondation de France

400 €

Les 2 Temps du « Before » (Frais de traiteur)

A contacter en 2019 Fondation de France

200 €

Vidéo / confection du film qui servira de support pour

« After »

A contacter fin 2018

Contact avec professionnel des

spectacles précédents

Fondation de France

1000 €

Temps médical dégagé de mise en scène

2h /sem pendant 10 mois soit 0,08 ETP

Christine COSTE Hôpital d'Orthez 2500 €

3050 € Centre hospitalier

d'Orthez (Accord de principe)

Formation sur le thème des désirs en soins palliatif (support pour écriture)

Juin 2018 Congrès de la SFAP de Marseille pour

Ch COSTE

Hôpital d'Orthez 500 €

Support pour information des partenaires

Année 2018 Postage, papeterie, essence pour

déplacements ...

Hôpital d'Orthez 50 €

Pour illustrer ce chapitre financier, voici quelques unes des bonnes et des mauvaises

surprises financières qui ont sillonné notre parcours :

- Les frais de tournage : Dés septembre nous contactons une entreprise de confection de

film : pas de soucis ils peuvent nous faire un DVD qui rentre dans notre enveloppe de 1000

euros. On se rencontre, j'explique le scénario, on prend du temps ... fin janvier le devis

tombe : 2600 euros ! On renégocie tel des marchands de tapis. Mais visiblement faire un film

à bas coût ne les intéresse plus. Je relance la recherche d’autres sponsors, en particulier le

conseil départemental. Mais nous sommes alors en février 2019 et j’ai la crainte que la

réponse n’arrive jamais à temps. Je rage de ne pas avoir demandé assez sur le premier

devis.

Début mars 2019 nouveau rebondissement. L'administration nous informe brutalement, qu'il

ne sera pas possible de faire une participation au chapeau !

- " L'hôpital ne peut pas recevoir de fonds en espèces."

Je rêve ! Plus de chapeau ! Cette lourdeur administrative est un cauchemar.

Il est trop tard pour mettre sur pied un plan B. Il nous manque 500 euros pour clôturer le

budget avec tout gratuit. Le conseil départemental ne donne pas signe de vie. J'attends le

dernier moment pour annuler la production du film (qui est LE problème onéreux).

Toute une action autour de ce support était prévue en aval avec des projections

dans les EHPAD !

500 euros sur les 10 000 que représente ce projet ! Je suis écœurée.

Je harcèle la direction à chaque sortie du self ! Ils prennent alors, une décision imprévue :

- " OK l'hôpital va avancer l'argent."

Symboliquement cette décision va être pour moi inestimable : nous avons notre hôpital avec

nous !

Finalement on tombera d'accord pour une libre participation à l'achat du livre... les dernières

factures seront payées par ce biais.

- La SACEM : Certains frais, comme la SACEM, sont imprévisibles, ils peuvent varier du

simple au triple sur des critères parfois obscurs. Cette société est un organisme compliqué à

contacter, il est préférable de se déplacer, de prendre ainsi le temps d'expliquer le projet, sa

spiritualité ... Je palabre et baratine : résultat notre spectacle va être étiqueté "spectacle à

but humanitaire" : frais de SACEM = zéro euros !

J’attends l’attestation avant de crier victoire … à ce jour je ne l’ai toujours pas reçue.

- Frais de déplacement : Un danseur surdoué (mon neveu !!) était prévu pour faire les solos

de danse. Un budget de déplacement lui était alloué. Mars 2018 mon frère m'appelle :

- "Il est pris à l'Opéra de Paris, c'est super, mais impossible pour lui de danser pour des

extérieurs".

C'est pour moi la douche froide ... il m'a servi de pierre angulaire pour créer le spectacle. Le

seul avantage est financier : cela coûtera moins cher !

Les problématiques financières ne concernent pas seulement les montants à payer, soit

« combien payer », mais pour ce projet, la difficulté va aussi être « comment payer ».

- L’hôpital payeur : L'hôpital s'est engagé à être le référent pour toutes les dépenses, c'est lui

qui doit avancer les frais. Mais un hôpital c'est la fonction publique ! Rien n'est simple. Il

travaille avec des partenaires. On me donne donc une liste d'entreprises locales avec qui il

est conventionné. Pas grand chose de compatible avec l'art du spectacle. J'ai l'habitude de

me fournir chez "Emmaüs", "C'est la fête" ou "Leroy merlin". Impossible de disposer d'argent

à la demande. Les relations se tendent. Je suis médecin, j'en profite, je m'impose chez le

directeur ! Il est le seul à pouvoir déroger à une réglementation très rigide. J’insiste, on

trouve un compromis ... Je vais pouvoir acheter sans contrainte : c'est ce qu'on appellera

une procédure hors norme !

-Frais d’imprimerie : Concernant l’avance de frais par l’hôpital, l’imprimeur va émettre des

réserves : il n’est pas ravi que l’agent payeur soit le centre hospitalier. Celui ci met parfois

plusieurs mois à payer ses factures. Je m’engage à ce que les factures soient payées

rapidement, je harcèle la directrice adjointe.

L’imprimeur était septique … il a eu raison.

En décembre on me laisse entendre que les factures sont payées. Je considère que ce

problème est réglé. Par acquis de conscience j’envoie un mail à l’imprimerie en février. Ils

attendent toujours le paiement. Je relance la direction et contacte directement la directrice

financière en personne. Cela fonctionne. Le fait que les affiches et flyers n’aient pas été

réglées rapidement n’engage rien de bon pour la suite, car il va me falloir y retourner pour

négocier l’impression des programmes et du livre des témoignages. A chaque jour suffit sa

peine !

Pour clôturer cet aspect financier, j’évoquerai le problème de la gratuité du spectacle.

Je tiens fermement à ce que ce ne soit pas payant. Le programmateur de la mairie m’avertit

- « Les gens vont penser que parce que c’est gratuit ce n’est pas pro ! ».

Les régisseurs de la salle imposent une billetterie : il faut des entrées nominatives (même si

c’est gratuit). Je tiens à l’entrée avec libre participation, les gens donneront au chapeau ce

qu’ils veulent.

D’un point de vue plus psychologique, la gratuité est une aide pour alléger la pression. Si

c’est payant je me dois à un certain « standing ». Alors que si c’est gratuit, je me dis: même

si ce n’est pas réussi le public ne pourra pas râler … il n’a rien déboursé !

3. Le choix du lieu : la base de tout

Je trouve intéressant d’analyser comment le choix du lieu va influencer la construction du

spectacle. L’inspiration pour imaginer un scénario ou une mise en scène, c’est comme faire

une sculpture dans un moulage préétabli.

L’écriture me vient toujours en fonction du lieu retenu.

Un lieu a une histoire. Il crée une ambiance. Il impose des contraintes comme l’acoustique,

le nombre de places assises, la disposition du public, la couleur des murs, la taille du

plateau, la présence de marches, d’un autel ou d’un ambon indéplaçable (en particulier dans

les églises). J’ai fait deux spectacles en extérieur. Dans ces cas, nous avons vécu avec

l’angoisse de la météo toujours compliquée en Béarn.

Se pose donc au début de l’aventure la question de la salle à retenir.

Le Zénith ? Le nombre de places est intéressant mais le prix est inaccessible. Pour être

franche, les régisseurs du Zénith de Pau ne m’ont jamais, malgré mes relances, donné de

devis : je n’étais pas professionnelle, donc pas crédible.

La mairie d’Orthez apparait comme un partenaire solide. Il nous faut donc réfléchir avec eux

pour trouver une salle sur Orthez. On élimine la salle de la Moutête, où l’acoustique est

rédhibitoire. On retient le théâtre Francis Planté.

Francis Planté est une salle de 350 places.

Ce n’est pas assez à mes yeux : je prévois plus de 1000 entrées. Le choix de cette salle va

donc nous imposer une contrainte de planning : nous allons devoir jouer plusieurs fois sur un

même week-end, ce qui est très éprouvant physiquement. La direction de l’hôpital n’y croit

pas.

- « si vous remplissez la salle déjà une fois ce sera pas mal ».

Ils ne réalisent pas l’envergure du projet !

Fin janvier la moitié des places du samedi soir seront pré-réservées… on s’attend à jouer à

guichet fermé !

Autres contraintes de ce choix de salle : Francis Planté ne dispose pas de coulisses très

importantes, ça va être problématique pour « stocker » les 70 intervenants. J’imagine alors

une mise en scène avec les musiciens dans la salle, assis, qui monteront depuis les

premiers rangs pour leurs interventions.

Encore plus contraignant : il n’existe pas d’accès direct aux coulisses côté cour. Toutes les

entrées se font par jardin avec éventuellement la possibilité de faire le tour par le fond de la

scène. Je décide que les chanteurs seront disposés côté cour : ils n’en bougeront pas.

Autre obstacle : il y a trois marches pour accéder au plateau. Certains de nos acteurs sont

en fauteuils, il va donc falloir limiter leurs interventions : c’est dommage.

Certaines contraintes sont des avantages : la salle étant spécialement prévue pour les

spectacles, elle est équipée de perches au plafond et même de passerelles.

J’imagine de suite la possibilité de créer des décors suspendus.

Je vais passer plusieurs fois à Francis Planté avant d’écrire .

J’aime prendre le temps de mesurer le plateau, voir la visibilité des derniers rangs, sentir

comment le public est assis, imaginer les entrées depuis les coulisses ou depuis la salle …

commencer à créer.

Côté cour Seul passage d'entrée sur scène

Côté jardin

4. Tenir un calendrier c’est courir !

Un spectacle à monter c’est faire un marathon, une course de fond, avec une ligne de

départ : le 30 janvier 2018, et une d’arrivée : le 5 mai 2019 soit une distance d’un an et demi.

Cela parait énorme mais je sais que c’est extrêmement court. C’est une course contre le

temps qui commence, elle ne s’arrêtera plus.

Janvier 2018 : top départ

Le top départ est donné le 30/01/18, à la sortie du bureau du directeur, et de suite c’est le

sprint : En un mois il nous faut imaginer, mettre sur papier la faisabilité, écrire et ficeler le

dossier, puis l’envoyer à la fondation de France. Un mois !!!

La méthodologie : j’ai appris à rédiger ce genre document répondant à ces critères très

protocolisés.

"Méthodologie : L'idée est de se servir des enfants et des ados comme vecteur, de se servir

de leur énergie pour faire évoluer les idées préconçues.

Le projet est de faire un spectacle avec les enfants des écoles de musique, danse et classe

théâtre des collèges et lycées de la ville afin d'aborder ce sujet tabou sans austérité mais de

façon accessible via l'art…."

Les contacts avec les principaux intervenants, musiciens et danseurs sont pris.

Quelques devis sont faits. Les renseignements administratifs sont donnés.

Nous arrivons à envoyer le dossier dans les temps, c'est un premier exploit.

Nous sommes sûrs qu’il va être retenu : un pressentiment !

Sans même attendre la réponse prévue pour avril, il faut commencer.

Février - mars 2018 : les fondations

Au hasard des rencontres dans l’hôpital, on apprend qu’un cadre de santé est dans une

chorale, On lui propose de participer au projet : il va en parler à son chef de chœur. Ils sont

partants. On sent que quelque chose est en train de naître : c’est magique.

On lance le début du travail de partenariat avec les EHPAD (ou maisond de retraite).

On envoie les courriers pour leur proposer de participer à leur niveau au spectacle. Plusieurs

pistes leur sont proposées : nous aider pour la confection des décors, faire un recueil de

témoignages qui servira de base à l’écriture du scenario, participer à l’élaboration d’un tricot

qui servira de fil rouge. Suivant la sensibilité de chacun les équipes se mettent au travail : les

retours vont commencer à arriver.

Des bouts de tricots nous parviennent dès le mois de mars. On les coud bout à bout, et très

vite on obtient une longueur incroyable pour une simple écharpe.

Les témoignages seront secondairement cousus sur cette écharpe qui deviendra le fil rouge

du spectacle

Les témoignages de patients, de soignants et des familles vont durer pendant toute l’année.

Très vite on réalise que toute cette matière ne pourra pas être mise en intégralité dans le

script, il y en a trop, et en même temps il faut les mettre en valeur.

On décide alors qu’un livre sera écrit et vendu à l’issue du spectacle.

Ce temps de recueil qui durera de février à Noël (date limite fixée) va être pour moi très

émouvant. Beaucoup des patients qui ont témoigné nous ont aujourd’hui quittés. Déposer

leurs souvenirs, leurs émotions, leurs difficultés sur papier va être une thérapie. Ils se sont

sentis utiles malgré leurs faiblesses physiques.

- « Si ça peut vous aider à écrire le spectacle alors je veux bien participer ».

Avant d’être un spectacle, ce projet est d’abord une aventure humaine.

En mars je contacte par écrit puis par téléphone, les collèges et les lycées. Le projet initial

étant de mettre les jeunes sur scène en temps qu’acteurs. Les retours sont mitigés. La suite

sera plus négative.

Avril : nouveau départ

Le verdict tombe : on a brillamment réussi le premier tour de sélection !

C’est le soulagement … de courte durée : Il nous faut préparer un grand oral pour mi-avril

afin de finir de convaincre les représentants de notre principal mécène : la fondation de

France.

Pendant l’oral notre enthousiasme plait.

24h après notre passage je reçois un coup de téléphone du jury :

- « on vous suit ».

C’est l’euphorie qu’il sera bon de se remémorer quand viendront les moments plus

compliqués !

J’insiste pour que tout soit lancé avant les vacances d’été.

- « Mais c’est dans plus d’un an, on a encore le temps !! » me dit on, mais je sais que non.

L’objectif est d’avoir toutes les cartes en main fin juin pour finir l’écriture pendant les

vacances d’été et commencer les répétitions en septembre.

Je liste les choses à faire, on se distribue les rôles. Les procrastinateurs sont aussitôt

remplacés !

Avant les « vacances »

Début juin il faut décider qui sera sur scène. L’idée d’origine de faire évoluer des scolaires

tombe à l’eau. Aucun lycée ni collège ne désire mettre leurs élèves sur scène.

En juin, je prends la décision : Je vais monter une troupe pour l’occasion avec tous les

volontaires.

On prépare alors des affiches, on informe tout le personnel de l’hôpital et "des alentours".

- « On vous propose de participer à un atelier de théâtre dès septembre : réunion

d’information fin juin ».

La proposition laisse les gens perplexes. Nous sommes dans un hôpital, qui plus est en crise

financière : difficile de s’autoriser ce genre de divertissement, sachant que pratiquement

personne n’a fait de théâtre. Certaines personnalités répondent présentes et initient le

mouvement : des médecins, un directeur, et surtout un pédiatre de ville : véritable mascotte

de la ville d’Orthez. La participation d’Henri Bouchet va avoir énormément de retombées.

C’est un gage de sérieux.

- « il parait qu’il y a même le docteur Bouchet qui participe ! ».

A posteriori certains manifesteront le regret de ne pas avoir osé faire le pas.

A la fin de ce mois de juin, au hasard des rencontres je croise une amie journaliste dont les

enfants ont participé à d’anciens spectacles : elle me demande si j’ai d’autres projets

théâtraux en cours.

Je lui raconte le projet, le thème l’intéresse... Et miracle ! Elle me propose spontanément

d’écrire le livre des témoignages. Nous nous verrons plusieurs fois pour préciser les

contraintes techniques (nombre de pages, iconographie, titre, présentation…). Une séance

photo dans le service de long séjour sera organisée mi mars 2019 pour illustrer ce recueil.

A ce jour je sais juste que le livre avance, mais je ne veux pas imposer mon point de vue …

ce sera une surprise.

C’est bientôt la fin de l’année scolaire. Je ne veux pas lâcher l’idée de faire participer les

scolaires. C’était l’essence même de ce projet : pouvoir faire réfléchir les jeunes sur ces

thèmes visiblement tabous, animer avec eux une réflexion autour de la vieillesse, du

handicap, de la fin de vie. Je n’accepte pas d’y renoncer.

On se dit qu’ils pourraient nous aider à l’élaboration des programmes. J’appelle le directeur

du collège de la ville, il est très enthousiaste. Il va en parler à la professeur de dessin, et il

nous recontactera à la rentrée. On tient le bon bout nous semble-t-il.

Nous déchanterons, car il apparaitra qu’aucun professeur ne souhaitera travailler sur ces

thèmes qui font peur… pourtant, un jour tout le monde y sera confronté.

Des bonnes surprises surviennent aussi en cette fin d’année scolaire.

La campagne de publicité doit débuter dés la rentrée. Il ne faut donc pas traîner. J’insiste

pour que les affiches puissent sortir en octobre. Il y a un congrès médical prévu à cette date :

il faut que l’on s’y fasse connaitre. Une stagiaire en psychologie est de passage à l’hôpital.

Elle est en reconversion professionnelle. Initialement elle est journaliste. Elle nous propose

de créer l’affiche : c’est inespéré.

Choisir un titre en équipe va être une étape importante.

La prise en photo de Paulette, résidente en long séjour qui sera notre égérie de l’affiche va

aussi être un grand moment.

Avant mes congés, l’élaboration des décors est lancée. Un des médecins de l’hôpital qui a

entendu parler du projet se propose de nous faire de la calligraphie.

Je reste encore aujourd’hui émerveillée par tous les dons cachés qui ont pu être mis en

lumière grâce à ce projet.

Je le dis souvent :

- « je ne sais pas si le spectacle sera bien, mais le contrat est rempli : il nous fait du bien ».

Mobilisation familiale en juillet

Coté entourage familial, ils ont l’habitude : Maman ne dort plus, elle écrit !

L’écriture se fait comme toujours sur un cahier où les idées qui surgissent souvent la nuit

s’empilent, se chevauchent. C’est la partie que je préfère !

Mon entourage s’amuse de me voir « ailleurs ».

Mais surtout ils vont comme d’habitude m’être d’une aide précieuse.

Les régisseurs de la salle veulent des inscriptions nominatives ?

Mon fils me propose de créer un site internet : en une après midi il me fait toute la trame,

mon mari insère une inscription en ligne. Le miracle de cette aventure est que je vais

apprendre quelques bases de codage informatique … moi qui suis si réfractaire à cette

technologie !

Finalement toute la famille va participer : mon deuxième fils, clarinettiste, va enregistrer

certaines bandes son. Ma fille me donne un enregistrement précieux : elle est

psychomotricienne et elle a fait travailler une patiente démente via le chant. L’enregistrement

est très émouvant : il m’inspire des chorégraphies à intégrer …

Une règle de vie s’applique parfaitement dans ces moments :

« Seul on va plus vite, à plusieurs on va plus loin »

Un été studieux

Je pars en vacances avec la matière.

J’ai à disposition des musiciens de tout pupitre, des danseurs, un chœur d’homme, un élève

des cours Florent de Bordeaux, une troupe de 17 adultes avec des enfants si besoin, des

témoignages de patients et de leurs familles qui arrivent doucement.

Je choisis alors une musique pour écrire : le canon de Pachelbel. J'ai dû le jouer pendant

l'hiver pour un mariage, il s’impose naturellement.

A chaque écriture d’un spectacle correspond une musique. Elle va me conduire dans une

même ambiance pendant toute l’écriture. Elle est la couleur de ce spectacle.

Plus tard, elle me permettra d’arriver à communiquer avec les musiciens.

Le canon de Pachelbel est une pièce qui commence calmement puis qui s’enrichit

progressivement pour finir sur quelque chose de dense, mais en gardant un fond calme, une

sérénité.

L’écriture en elle-même est rapide. Etant autodidacte, j’ai instauré seule l’habitude de

quadriller ma page en lignes et en colonnes.

L’histoire se divise en chapitres (en N°1, N°2 …), eux mêmes découpés en sous-chapitres

(N°1.1, N°1.2… ). Ce découpage permet de s’y retrouver facilement, en particulier lors des

répétitions avec l’équipe technique.

L’histoire avance : les lignes s’accumulent.

En parallèle, il faut remplir les colonnes à coté de l’histoire : la mise en scène, les

intervenants autres que les acteurs, la technique. C’est comme un film qu’il faut arriver à

mettre sur papier.

A chaque page de mon script correspond un plan de scène où tous les déplacements sont

écrits. Des schémas sont dessinés. Je sais que nous n’aurons que peu de répétition, et donc

pas vraiment de temps pour trouver les mouvements.

Fin août, je fais une première « représentation play mobile » à une personne de mon

entourage. Je raconte l’histoire, et je mime la mise en scène en miniature avec des play

mobile. Les décors sont en Lego. Je ne cherche pas à savoir si cela leur plait (en général

c’est le cas !). Il faut que je détecte lors de cette première, les moments où je perçois qu’ils

décrochent.

Tous mes spectacles sont souvent trop long. Ces moments-là seront à couper.

Une fois le script en place je m’attèle à l’écriture des conduites : elles reprennent les

différents chapitres sans décrire l’histoire, en spécifiant l’intervention de chacun.

Je fais en général plusieurs conduites : une conduite technique pour les régisseurs

(éclairage, son et envoi des musiques). Une conduite pour les acteurs : elle sera affichée en

grand dans toutes les coulisses pour se repérer pendant les représentations : une sorte

d’antisèche. Pour ce spectacle une conduite supplémentaire a été écrite spécialement pour

les enfants qui vont devoir gérer les changements de décors.

En parallèle je commence les fiches techniques pour chacun des intervenants. Il y a dedans

des détails très techniques (la durée d’un morceau ou d’une chorégraphie) mais aussi ce

que je cherche comme intention.

Il va falloir que chaque corps de métier ait une trame avec des instructions précises pour

créer.

Pour les techniciens, je fais des schémas des décors et très vite je leur soumets.

- « Est ce que c’est possible pour vous : car rien n’est ignifugé ! ».

Il n’y a pas de problème mais ils restent septiques sur la réalisation. J’achète donc les

matériaux et construit un prototype … ça fonctionne !

La rentrée des classes : c’est parti !

Septembre marque un nouveau départ.

Symboliquement le site internet est ouvert fin août, la première inscription est datée du 28

août ! C’est vraiment parti !

Côté théâtre

La réunion d’information rassemble une dizaine de personne. Je présente le spectacle

toujours avec mes play mobile. Tous sont partants jusqu’à ce que tombe le calendrier. Je l’ai

établi de façon très précise : il n’y aura pas de répétitions supplémentaires, car s'il y a bien

quelque chose qui m’irrite chez les théâtreux, c’est la nécessité de rajouter des répétitions au

dernier moment « car on est en retard ». J’ai eu l’été pour établir un planning :

- En octobre : deux ateliers théâtre d’une heure pour repérer les talents de chacun :

obligation de participer au moins à un.

- A partir d’octobre : répétition d’une heure les lundis par petit groupe et parfois tous

ensemble. Pour moi tous les lundi seront pris.

- Un samedi en mars toute la journée pour faire un filage avec les danseurs chanteurs

et musiciens

- Répétitions générales les deux soirées qui précèderont le jour J.

Ils n’avaient pas réalisé que cela demandait autant de répétitions ! Pour moi c’est déjà très

peu ! Au total je n’aurai que 3 moments avec tous les intervenants : 3 répétitions pour un

spectacle de ce type c’est un peu de la folie. Il va falloir être très organisé et très précis dans

la mise en scène.

Je commence à voir plus clair sur le nombre définitif d'acteurs : je réajuste le scénario en

fonction

Début Octobre :

Les répétitions commencent enfin.

Ce sont tous des novices ou presque. En regardant cette troupe éphémère répéter, je suis

émue, parfois émerveillée, parfois inquiète, mais jamais déçue. Ils sont tous heureux d’être

là. Spontanément tout le monde se tutoie, une troupe est en train de naitre.

- « Tu sais Christine, on est une famille maintenant ».

Certains groupes prennent l’initiative de se retrouver pour répéter dès qu’ils ont 2 min.

L’hôpital commence à vivre au rythme du spectacle. On prend l’habitude de ne plus

programmer les réunions le lundi après midi entre 14h et 15h.

Les musiciens

Mi-septembre on rencontre les professeurs de musique.

Je redoute ce moments. J’ai préparé des fiches pour chaque instrument. Est-ce qu’ils vont

être partants, ou est ce qu’ils vont le vivre comme une contrainte ? Je me méfie. J’ai tort.

Cette école de musique est extrêmement dynamique. Ils aiment les projets comme celui-là.

Le thème ne leur fait pas peur, les musiciens sont des personnes qui réfléchissent en

émotion.

- « Les cuivres j’aimerais que vous fassiez le cancer qui grossit de plus en plus, en rajoutant

les instruments progressivement. Mais j’aimerais qu’il n’y ait pas que de l’angoisse. Je

voudrais que l’on sente à la fin que j’arrive à vivre une vie encore belle malgré ce cancer ».

Je reprends la musique du canon de Pachelbel qui m’a guidée pendant l’écriture. .. Et ça leur

parle. De suite la professeur de flûte sort chercher des partitions, le violoniste a une idée de

musique irlandaise … Nous parlons la même langue. Pachelbel nous unit !

La rencontre des musiciens sera toujours un temps de ressourcement pour moi. De la même

façon, dans les moments de doute, la musique de Pachelbel restera une valeur sûre,

donnant du sens à tous ces efforts.

Je leur donne un même planning que pour les acteurs. J’ai besoin de leurs morceaux avant

janvier pour les faire passer aux danseurs. Ces derniers ont besoin des musiques pour créer

leurs chorégraphies. Les délais sont courts.

J’aurai finalement tous les morceaux fin janvier.

A noter cette journée magique : le premier février 2019, où je vais passer l’après midi aux

Musicales pour enregistrer l’ensemble des pupitres un par un. Le soir même je retravaille les

enregistrements et les envoie aux danseurs.

Les danseurs

J’ai rencontré la professeure des Capucins une première fois en septembre. Comme pour

les musiciens, je lui ai donné les fiches techniques de chaque chorégraphie.

Elle m’a expliqué qu’elle a déjà lu toute la pièce, qu’elle avait des idées mais qu’elle ne

commencera à travailler dessus qu’à partir de février. Je connais Angéline : comme je l’ai

déjà évoqué, elle a été mon professeur de danse de comédie musicale à l’époque. Je sais

que je peux lui faire confiance.

C’est cela le plus compliqué dans ce job de réalisateur/producteur : savoir qui est une valeur

sûre. De qui il faut se méfier malgré les bonnes volontés apparentes ! En qui avoir

confiance ? Personne n’avance à la même vitesse, il faut accepter ceux qui vont démarrer

doucement mais arriveront en temps et en heure… mais comment être sûre ?

Angéline va me donner des frissons mais jamais d’angoisses : je la connais ! Je sais que

« ça va le faire ». C’est la base : faire confiance… mais pas à n’importe qui !

Les chanteurs

Ils sont en autonomie. Ils ont reçu leurs fiches techniques. Ils m’ont fait passer leur CD. A ce

jour, je ne pense pas avoir le temps de participer à une de leur répétition. Ce sera la surprise

du 30 mars lors de la première générale. Ils m’ont promis qu’ils seront prêts !

La fin d’année épuisante.

La charge de travail en temps que médecin est très éprouvante en décembre et janvier, et le

spectacle apporte son lot de désappointement !

Les scolaires finissent par refuser de participer, il nous faut trouver un plan B pour faire les

programmes. On va finalement les faire nous même. Je m'attaque à la maquette, fais relire à

l'équipe, corrige, rien n'est long mais tout prend du temps !

L’appel à trouver des nouveaux sponsors pour filmer le spectacle tombe pendant ce premier

mois de l’année. C’est encore une charge supplémentaire.

Il manque des papiers concernant les assurances : il faut relancer l’administration.

Les absences aux répétitions sont compliquées à gérer. Il me faut remplacer ceux qui sont

malades, en vacances, en réunions …

Il faut activer la campagne de publicité. Deux articles dans Sud Ouest sont déjà parus sans

que nous ne les sollicitions. A chaque fois les inscriptions sur le net décollent. Nous

contactons donc France Bleu qui est partant, mais rapidement la radio ne donne plus signe

de vie. Concernant la télévision, la personne chargée de contacter France 3 n’arrive pas à

les joindre. Je rappelle :

- " On note ... on verra suivant l'actualité du jour "

Ces difficultés liées à la production sont pénibles, j’aimerais tellement pouvoir me concentrer

seulement sur la réalisation.

Mais il faut regarder toutes les actions qui avancent à grands pas.

La page facebook est confié à une infirmière qui va s’investir sans flancher. A chacune de

ses mises à jour, les inscriptions en ligne arrivent. Cette même infirmière commence à

préparer la billetterie. Elle se charge de répondre à chaque nouvelle inscription, et prépare

les billets au fur et à mesure. C’est pour moi très reposant de ne pas avoir à me préoccuper

de cette partie… faire confiance !

Les décors sont pris en charge par deux infirmières. En novembre et décembre, elles ont

déjà recueilli des dizaines de maisons en papier faites par les résidents des maisons de

retraite. Elles s’attaquent en janvier au paysage de montagne fait avec des centaines de

gommettes. Chaque gommette est signée individuellement. Nous faisons donc le tour des

EHPAD pour faire participer les personnes âgées. Dans l'hôpital on nous voit nous promener

la journée avec un paquet de gommettes dans la poche et, au hasard des rencontres, nous

proposons à tous les agents de mettre leurs initiales sur une gommette. L’hôpital au départ

perplexe devant ce projet est emporté malgré lui.

Tout le monde participe avec ses qualités : une psychologue va faire de la couture, une autre

infirmière va construire les marionnettes en carton, les élèves de l’école d’infirmière

produisent un clip vidéo : il va être mis sur le site dès janvier 2019 comme teaser.

Le photographe de la ville a accepté de faire une exposition sur le thème de la personne

âgée. Cela nous fera de la publicité. J’ai eu beaucoup de difficulté à faire accepter son

exposition au sein des structures de l’hôpital… mais lors de notre dernière rencontre il

semble que cela avance... affaire à suivre !

En parallèle des adultes, j’ai eu besoin d’un ou deux enfants sur scène. Tous ceux contactés

étaient motivés. Finalement ils seront 8. Ils sont extraordinaires. Avec 3 répétitions (soit une

par mois) ils sont en février au point… ou presque !

Les répétitions avec le conteur avancent. Etant au cours Florent à Bordeaux il ne verra

jamais les autres acteurs avant le filage du 30 mars. Je suis donc la seule à avoir une idée

de ce que donnera ce projet.

C’est un puzzle dont chacun n’a que quelques pièces, et moi une vague photo finale.

Février : un équilibre entre prendre et donner

Le mois de février avec ses vacances scolaires est très court voir inexistant.

Les congés arrivent avec un sentiment de lassitude.

Je dors mal pendant ces périodes de répétition : une heure de répétition c’est deux heures

de préparation… minimum ! Je n’arrive plus à m’imposer cette rigueur de préparation.

Je repousse les deux dernières répétitions d’instrument à superviser (les percussions et les

guitares).

Je retarde l’organisation d’une rencontre avec les danseurs…. Je n’ai plus de carburant.

Quand on fait une course, le plus important c’est de la finir !

Je pars en vacances en Guadeloupe voir ma fille.

Je ne prends pas le spectacle dans mes bagages. La seule chose que j’embarque est ce

travail de making of.

Etant étudiante à l’université de Pau, il m'a été demandé comme aux autres étudiants un

travail à la maison sur la construction d’un spectacle. Je choisis de raconter celui en cours.

J’ai l’impression d’être un grand reporter relatant sa propre vie … un peu mégalo comme

exercice !

En fait cela me permet de faire un travail de relecture sur l’année passée. Prendre

conscience du travail déjà réalisé et l’avancée du chantier. Ca fait du bien de regarder en

arrière.

Ce temps me permet aussi de réfléchir sur des questions plus existentielles.

- Quel est le plus important pour diriger cette équipe d’acteurs amateurs ? Je réalise

combien il est important d’avoir un regard bienveillant pendant les répétitions face à des

personnes qui se surpassent et se mettent réellement en danger.

- Comment garder actif ce bouillonnement d’idées qui me sert à créer ? Je ne sais pas

comment font certains artistes pour passer leur temps à DONNER des concerts, et ne plus

PRENDRE le temps. L’inspiration, la création, les idées ne se nourrissent pourtant que de

ces moments perdus.

Et doucement en fin de séjour les idées me reviennent.

Mi-mars tout s'accélère.

Le groupe des acteurs commence à sentir la proximité de l'échéance, on attaque les

premiers filages. Tous découvrent alors le travail des autres petits groupes : c'est magique !

Je sens le stress monter doucement pour tout le monde.

Le 15 mars : je rencontre Angéline et elle me montre l'avancée des chorégraphies. Elle a

filmé les répétitions. On les visionne ensemble.

- "C'est juste un début, on n'est pas encore au point "

C'est fantastique. Elle a réussi, à faire ressortir toutes les émotions que j'avais en tête. Elle

me demande de corriger, de modifier ...

- "Dis mois si c'est que tu avais imaginé ?"

Non ... je n'avais pas imaginé qu'il pût y avoir autant de force dans sa danse. Je suis très

émue.

Les stress à venir

Depuis le retour de Guadeloupe, les insomnies ont réapparues ; pendant les nuits, les

manques et oublis se dévoilent.

Avoir le souci de penser aux petits détails de production est un travail éreintant.

Il faut :

- Faire le point toutes les semaines sur les réservations en ligne avec la personne qui

prépare la billetterie : il me faudra penser à bloquer les réservations à 300 personnes par

séance.

- Trouver des personnes pour tenir la billetterie, la surveillance des portes, la distribution des

programmes le jour J.

- Finir les programmes et les envoyer à l’imprimerie.

- Faire le point régulièrement avec l’équipe qui travaille sur les décors.

- Lister et récupérer les costumes. Un grand merci, à ce propos, aux pompiers d'Orthez qui

vont nous mettre à disposition des tuniques toutes neuves !.

- Acheminer les accessoires et costumes à l’école de danse pour qu’ils puissent répéter en

condition.

- Envoyer les dernières conduites techniques aux régisseurs pour qu’ils commencent à

travailler les éclairages et la sonorisation.

A ces tracas de production se rajoute ceux de réalisation.

La répétition générale du 30 mars avance à grand pas. Je sais que cela va être terrible !

Je ne vais avoir que deux fois deux heures (de 10H à midi et de 14h à 16h) pour mettre au

point ce premier filage. Il n’aura pas lieu dans le théâtre Francis Planté, impossible de le

libérer. Les Musicales nous prêteront leur salle de spectacle.

Ces premières générales sont, je le sais, plus éprouvantes que la représentation en elle-

même. Rien ne va marcher comme il faut, tout le monde va me solliciter car perdu.

Je passe le mois de mars à me préparer. Je concocte des dossiers individuels pour chacun

avec conduite, plan de leurs mouvements, description des interventions...

Je refais le point avec chaque groupe un par un : les professeurs de musique, les danseurs,

les acteurs adultes, les acteurs enfants ...

Je me prépare en refaisant en boucle la journée minute par minute.

- Prévoir la semaine d’avant un mail de rappel pour tous les intervenants.

- La veille il me faudra acheminer la plupart des décors, faire le marquage au sol des lieux.

- Arriver en avance le jour J pour donner les instructions au fur et à mesure des arrivées.

- Veiller à commencer bien à l’heure et à tenir le timing.

- Commencer par mettre au point les deux scènes collectives où les 120 intervenants seront

sur scène : l’introduction et le salut final

- Répéter sans s’énerver quand les problèmes vont survenir … en gardant toujours en tête

de garder un esprit bienveillant.

- Faire un débriefing avec les différents responsables : chanteurs, musiciens et danseurs.

- Tout ranger le soir.

Ensuite viendra le mois d’avril, lui aussi amputé par les vacances scolaires. Arrivera alors la

peur de ne pas y arriver, l’impression que l’on ne sera jamais prêt à temps.

En rentrant des congés de printemps, le mois de mai commencera et débutera alors le

compte à rebours :

J-2 et J-1 avec les deux répétitions générales en condition, dans le théâtre Francis Planté,

avec les vrais décors, avec les éclairages et les micros ...

Puis enfin ... le jour J… la délivrance !

Carnet de bord

30 mars 2019

Ca y est, la générale a eu lieu.

J'avais demandé à mon mari de venir car je savais que ce serait la plus dure des

journées. Pour la première fois les musiciens, les danseurs, le conteur, les

acteurs adultes et le groupe des enfants allaient se retrouver.

Normalement cela devait être le bazar et rien ne devait fonctionner.

Et là : un miracle.

Je donne les départs : tout le monde suit.

Je découvre les chorégraphies : elles sont magnifiques. Les musiciens sont super

réceptifs aux moindres instructions... je n'en reviens pas.

Mon mari me confie : "c'est la première fois que tu as une générale comme ça !".

L'après-midi, les chanteurs se rajoutent ... tous ont compris le déroulé ... et ça

fonctionne.

On se quitte à 16h : tous les professeurs voient ce qu'ils vont devoir travailler.

On se donne rendez-vous dans un mois ... sereins !

25 avril 2019

Je suis en vacances, en montagne.

Je dors comme un bébé... je n'en reviens pas : je ne pense pas au spectacle.

J'en profite !

29 avril 2019

C'est le retour de vacances pour tout le monde. C'est parti je ne dors plus !

Personne n'est vraiment stressé.

La générale s'étant bien passée, il plane une certaine sérénité !

La dernière répétition des acteurs sur l'hôpital est cool : on revoit surtout les

mouvements de groupe.

Je relance tous les acteurs, danseurs, chanteur par mail.

Je récupère tous les décors et accessoires et centralise tout à la maison.

Je ne gère pas grand-chose au travail !!! Mon collègue assure : c'est une perle.

1er mai 2019

Mon mari et mon fils sont partis passé des oraux pour son orientation après le

bac (il voudrait faire ingénieur du son ... comme par hasard ! ).

Je reconstruis les décors, vérifie les accessoires : ça me prend la journée.

Ça m'apaise d'avoir tout sous la main et pouvoir tout vérifier.

Demain c'est le top départ.

Jeudi 2 mai 2019

C'est la journée catastrophe !

La matinée c'est bien passée : on a monté tous les décors : tout fonctionne.

A 17h j'apprends que mon fils est recalé à son école : ça n'a rien a voir avec le

spectacle mais je culpabilise de vivre mes délires pour mon petit plaisir et de ne

pas assez m'occuper de ma famille !

A 18h30 la répétition commence en condition réelle : dans le noir des coulisses,

avec les projecteurs qui éblouissent, et surtout après un mois de vacances !

Et voilà ce que je redoutais ! la répétition catastrophe.

Les départs ne se font pas, les musiciens sont perdus, les danseuses pas ensembles,

les chanteurs ont un problème de justesse ... et un des décors se décrochent en

cours de représentation : le scotch se liquéfiant au contact de la chaleur des

projecteurs !

Un papa qui a vu la générale me confie : "je ne reconnais pas le spectacle !"

J'imagine ce que doivent penser les régisseurs : un spectacle d'amateurs !!

Je rassure tout le monde : "On a vécu le pire, c'est parfait, comme ça on sait ce

qu'il faut revoir" ... puis je rentre chez moi ... en pleur !

3 mai 2019

Je n'ai pas dormi de la nuit. J'ai la nausée en permanence. J'ai parfois hâte que

ça se termine : ce spectacle est l'un des plus dur physiquement.

Les régisseurs me conseillent : ils sont professionnels je suis toutes leurs

propositions. On va mettre tout le monde dans une autre salle avec vidéo

projection pour libérer les coulisses. On coud les décors avec du fils de pêche.

Les musicales font une répétition entre midi et deux.

Les capucins arrivent dès 16h pour revoir les chorégraphies.

La billetterie explose de demande ... les filles gèrent comme des chefs !

18h 30 : Dernière répétition... et ça fonctionne ! C'est magique.

Il y a quelques spectateurs dans la salle ... en larme (???)

5 mai 2019 18h

Voilà c'est fini.

Je suis épuisée mais tellement heureuse : ça a été magique.

Ils ont tous été grandioses.

Je vais pouvoir dormir... enfin.