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Ashley Ouvrier Faire de la recherche médicale en Afrique Ethnographie d'un village-laboratoire sénégalais MÉDECINES DU MONDE IRD - KARTHALA

Faire de la recherche médicale en Afrique

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Ashley Ouvrier

Fairede la recherchemédicale en AfriqueEthnographie d'un village-laboratoire sénégalais

MÉDECINES DU MONDE

IRD - KARTHALA

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FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE

EN AFRIQUE

IRD sur internet: www.ird.frKarthala sur internet: www.karthala.com

(paiement sécurisé)

Couverture: «Wax-gélule» : tissu chatoyant typique d'Afrique de l'Ouestsur lequel sont représentées ici des gélules bleues et rouges.

© ashley ouvrier 2007

© IRD et KARTHALA, 2015ISBN (IRD) : 978-2-7099-1910-4

ISBN (KARTHALA) : 978-2-8111-1371-1

Ashley Ouvrier

Faire de la recherche médicaleenAfriqueEthnographie

d'un village-laboratoire sénégalais

Préface de Wenzel GeisslerPostface d'Anne Marie Moulin

Deuxième édition revue et enrichie

IRD44, bd de Dunkerque

13000 Marseille

KARTHALA22-24, bd Arago

75013 Paris

À mon père et ma mère pour m'avoir appris à aimer la vie.

À mon frère pour m'avoir montré que « rêver grand»était possible.

À Fredpour me donner tous les jours le courage et la joied'y croire encore et toujours.

REMERCIEMENTS

Cinq années d'observation, de lecture et d'écriture, auSénégal et en France, ont été nécessaires pour mettre un terme àce travail. Celui-ci n'aurait jamais pu être ce qu'il estaujourd'hui sans la participation de précieuses personnes quiont accepté de se confier et de me conseiller sur le terrain etdans les moments d'écriture.

Dans la région de Niakhar, j'ai bénéficié de rencontresprofessionnelles et humaines inestimables. Je tiens à remercieren premier lieu tous les habitants de la région. J'espère ne pasm'être trop éloignée de leurs intentions et sentiments en analy­sant leurs discours dans ce livre. Ensuite, c'est évidemment àAïssatou Diouf que s'adresse ma profonde gratitude. Aïssatoum'a accompagnée et guidée avec professionnalisme et finessedans la traduction des énoncés de mes interlocuteurs sérères, cequi nous a évidemment conduites à échanger davantage que desmots. Certaines « réalités» de la recherche médicale me seraientrestées obscures si je n'avais pas pu échanger avec Moussa Sarr,Samba Diatte, Émile Ndiaye, Oussmane Faye, Adiouma Faye,Diaga Loum et Latyr Diome, enquêteurs de l'Institut de recherchepour le développement (IRD) à Niakhar. Paul Senghor a égale­ment été un excellent guide et un précieux conseiller.

Je suis particulièrement reconnaissante à Alice Desc1aux dem'avoir formée et accompagnée dans la réflexion avec BernardTaverne. Je les remercie tous les deux d'avoir soutenu le projetd'une anthropologie de la recherche médicale au sein de l'IRD,sans quoi ce travail n'aurait pu voir le jour. Grâce à PascalArduin et Cheikh Sokhna, j'ai pu discuter de mes analyses dansun dialogue pluridisciplinaire. La rencontre et la lecture destravaux de Wenzel Geissler et d'Anne Marie Moulin ontconstitué un jalon important dans le cheminement de ma

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réflexion. La lecture du manuscrit par Jean-Philippe Chippauxfut très instructive. Mes rattachements institutionnels au Groupede recherche cultures, santé, sociétés (GReCSS) de l'Universitéd'Aix-Marseille, à l'DMI 233 TransVIHMI et au Centre derecherche et de formation à la prise en charge clinique du VIH(CRCF) du CHU de Fann à Dakar ont également beaucoupenrichi mon travail. Enfin, j'ai pu, grâce à la Direction del'information et de la culture scientifique pour le Sud (DIC) del'IRD, mettre en place un projet de restitution des résultats demes recherches par le biais du théâtre participatif Ce fut unetrès belle expérience. Je remercie dans ce cadre tout particuliè­rement Marie-Lise Sabrié et Raphaële Nisin, ainsi queMamadou Diol et la troupe de Kaddù Yaraax à Dakar qui m'ontsoutenue dans cette aventure.

Ma gratitude s'adresse également aux multiples collègues etamis qui ont commenté les communications, textes et errancesde ce travail. Je remercie notamment Claire Beaudevin pour larichesse de nos échanges, sa patience et son amitié. Je remercieégalement Jessica Hackett, Juliette Sakoyan, Aline Sarradon,Charles Masson, Pascale Hancart-Petitet et Sandrine Musso pourleurs judicieux conseils et relectures. Je tiens aussi à remerciertous les collègues du projet MEREAF, notamment GuillaumeLachenal avec qui les échanges ont été aussi riches qu'agréables,Aïssatou Mbodj-Pouye pour avoir partagé l'expérience duterrain et de la réflexion sur Niakhar ces deux dernières annéesainsi que Noémi Tousignant pour ses éclairages historiques.

Ce livre est issu d'un doctorat d'anthropologie réalisé àl'université d'Aix-Marseille. Celui-ci a été réalisé grâce à unfinancement du ministère des Affaires étrangères, obtenu dansle cadre d'un volontariat civil international au sein de l'UMR 145(actuelle DMI 233) de l'IRD, à une bourse de l'Institut demédecine et d'épidémiologie appliquée (IMEA) et à une bourseSidaction. L'édition de l'ouvrage a été effectuée avec l'aide deNathalie Chevalier dans le cadre du programme de rechercheeuropéen MEREAF : Traces et lieux de mémoire de la recherchemédicale en Afrique.

NOTE À L'ATTENTION DU LECTEUR

Les propos, habitudes et événements décrits dans le présentouvrage renvoient à une étude ethnographique réalisée entre2006 et 2009. Les noms de tous les interlocuteurs cités dans celivre ont été anonymisés en attribuant à chacun d'entre eux unpseudonyme sous forme de prénom, sauf lorsqu'il est questionde personnes publiques ou lorsque certains interlocuteurs ontsouhaité rendre leur témoignage public.

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PRÉFACE

Le sens politique de la présenced'une anthropologue sur le terrain

La recherche médicale en Afrique passionne le publiceuropéen progressiste du xx' siècle, dès lors qu'elle évoquedomination, violence et exploitation, comme si elle concentraitnotre malaise collectif dans un monde de plus en plus fondé surl'expropriation, la lutte de classes et l'abandon de nombreusespopulations qui se voient refuser une vie meilleure et renvoyerà une politique de simple survie pour beaucoup, au mieux àquelques soins ciblés pour d'autres. L'excitation politique est àson comble lorsqu'il s'agit d'essais pharmaceutiques conduitspar des firmes à but lucratif. Rappelons-nous le succès du thrillerdes années 2000 : « La constance du jardinier »1 et l'échodonné à la nouvelle qu'un géant pharmaceutique nord-américainaurait commis des abus lors d'essais cliniques sur des enfantsen Afrique de l'Ouest. Il est évident qu'il faut être vigilantvis-à-vis de tels essais et dénoncer les mauvaises pratiques.Cependant il y a aussi lieu de se mobiliser lorsqu'il s'agitaujourd'hui de recherche en santé publique sur des maladiesd'intérêt public - une recherche financée par des fonds publicset évaluée par des organismes publics - du type de celle décritepar Ashley Ouvrier dans cet ouvrage.

1. John LE CARRÉ, The Constant Gardener, New York, Scribner Editions(USA), 2001.

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Dans ce contexte, les anthropologues de la médecine quiétudient la recherche en santé publique, y compris l'auteur decette préface, peuvent être tentés de se lancer dans de sombresrécits d'essais cliniques postcoloniaux sur des corps vulnérables,et de trouver l'inspiration à tout prix dans les « dystopies » oudéviations biotechnologiques à la fois horribles et attrayantesprésentes dans la littérature et le cinéma contemporain. Cecourant d'interprétation de la science du xxr siècle en Afriquese situe dans le droit fil de l'histoire de la médecine coloniale etde la violence de l'impérialisme, qui, dans les années 1970­1980, a modifié les idées du public sur l'exportation de labiomédecine. Il rejoint l'idiome de la « biopolitique », apparu àla fin du xx' siècle, qui a attiré l'attention sur les machinationsinsidieuses du pouvoir dans les relations entre savoir médical etcorps humain (et a suscité chez les historiens des doutes sur leseffets réels de la biopolitique européenne au XIX· siècle enAfrique).

Ces lectures critiques inextricablement liées ont jeté lalumière sur le panorama rapidement changeant de la médecine,de la science et de la « santé globale» en Afrique, et fourni uneposture claire, et jusqu'à un certain point politiquement signifi­cative, pour affronter le malaise ressenti en abordant les struc­tures et le dispositif de la santé globale en Afrique. Cependant,le choix de cette grille d'interprétation de la science contempo­raine africaine risque de faire perdre de vue les bénéfices poten­tiels de la médecine, mais aussi les intentions progressistes deses acteurs - avec toute l'ambivalence du terme - allant del'action médicale des missionnaires aux programmes de santéglobale, aux interventions humanitaires et même à la prévisiondes épidémies, en passant par les imaginaires coloniaux et lesrêves postcoloniaux de solidarité socialiste : les camps deréfugiés se mettent à ressembler à des camps de concentration,les campagnes de vaccination des enfants à des politiques destérilisation et la recherche de traitements contre le sida ou lepaludisme devient juste une autre façon pour notre NouveauMonde d'utiliser le corps des Africains.

Qui plus est, ce portrait ouvertement manichéen de lascience de la santé publique échoue à saisir la chronologie, lamultiplicité des contradictions et les inégalités de la production

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sociale de la médecine, pour ne retenir que les principalescontradictions ou une seule contradiction globale. Bourreaux etvictimes sont alors facilement identifiés, et l'anthropologue,indépendant par défaut, se tient quelque part toujours du boncôté. Cependant, Ulrich Këhler le montre bien dans son filmfranco-allemand « Sleeping Sickness » (La maladie dusommeil), qui a récemment remporté l'Ours d'argent' - où ilretrace à la manière de Joseph Conrad la descente aux enfersd'un chercheur allemand en médecine dans les années 1970 : lesfigures tropicales de l'ombre et de la lumière, de l'espoir et dela destruction, de la stupidité et de la souffrance, en perpétuelrenouvellement, sont mal rendues en noir et blanc. Pour passerd'une gesticulation critique à une action politique - si on admetdevoir s'y résoudre face à la destruction croissante del'humanité - il est nécessaire de recourir à un outil plus subtil.C'est une question de politique autant que de méthode, deman­dant une ethnographie précise qui ne se laisse pas découragerpar les accusations d'empirisme.

C'est là que réside la performance d'Ashley Ouvrier: elleaborde son matériau ethnographique, recueilli dans un desprincipaux sites africains de recherche postcoloniale enmédecine, en tirant parti de toutes les recherches liées àl'approche critique évoquées plus haut, mais en associant à lacritique un engagement politique et en adhérant à un ancienidéal de l'anthropologie sociale: combiner présence et partici­pation, au risque d'être mise en difficulté.

Un malaise inévitable

Dans son essai sur « l'insoutenable légèreté des expatriés »',le chercheur Peter Redfield étudie, avec une sympathie quin'exclut pas le sens critique, les contradictions inhérentes aux

2. Festival International du film de Berlin, 2011.3. P. REDFlELD, "The Unbearable Lightness of Ex-pats: Double Binds 'of

Humanitarian Mobility," Cultural Anthropology, 27, 2 (2012), pp. 358-382.

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admirables efforts humanitaires de Médecins Sans Frontières(MSF) en Afrique. Il révèle la « Double Bind » de GregoryBateson (double contrainte) ou le dilemme entre des valeursfondamentales dans le contexte de contradictions politico­économiques plus larges. Les sites et les organismes publics dela recherche médicale ressemblent à MSF en ce que leurs inten­tions sont nobles et les motivations de leurs agentsbienveillantes, parfois même louables, bien que variables et nialtruistes ni immatérielles, Il en est de même pour l'ensemblede la « communauté des essais cliniques », qui travaille dansdes sites de recherche médicale comme celui qu'étudie AshleyOuvrier. Les participants aux études, les scientifiques locaux etexpatriés, en médecine comme en sciences sociales, les visiteursextérieurs et les observateurs font par moments l'expérience deprofondes contradictions au sein des structures et des procé­dures, entre les valeurs d'égalité et de démocratie, d'une part, etles hiérarchies existantes, les injustices et les formes de domina­tion, d'autre part. Les contradictions qui consistent à essayer defaire le bien dans le mal « the right thing in the wrong » (selonl'expression d'Adorno, très en faveur auprès de la gauche dansles années 1970) sont au cœur de ces communautés, même sielles sont non dites ou indicibles.

Il est difficile d'imaginer qu'une personne travaillant sur cessites scientifiques ne soit pas consciente des tensions nées desdifférences économiques liées à la classe sociale, à la « race »,au genre et à la valeur scientifique. Seul un ivrogne solitairepourrait ignorer l'inconfort de cette situation - mais, dans cecas, pourquoi commence-t-il à boire? C'est une question desavoir qui évoque ces tensions et où; et c'est une autre questionde savoir si ces contradictions sont interprétées comme desleviers pour le changement, ou simplement comme des faux pasirritants sur la voie qui mène à un ordre fonctionnant impecca­blement. Aux yeux de certains, souvent les principaux acteurs,les contradictions d'une « bonne» santé publique - faute determe plus approprié - dans une Afrique violemment néolibé­rale, ne font surface qu'occasionnellement, car elles sont répri­mées dans le langage courant et en lien avec les engagements dechacun, ou ignorées en raison de la charge de travail. Cettestratégie du silence sur les tensions dans les interactions et les

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conversations de ceux qui habitent le site de recherche peutalors faire l'objet d'une étude ethnographique.

D'autres protagonistes du site de recherche sont plussensibles à ces contradictions en raison de leur position enmarge des hiérarchies liées à la « race» / l'âge / le genre / lerang universitaire ou de leurs penchants particuliers et de leurformation. L'anthropologue est l'un d'entre eux. Alors quechacun sur un site de recherche participe et observe à des degrésdivers, il est là dans ce seul but. Et tout comme sur n'importequel terrain de recherche, sa recherche ethnographique peut êtreguidée par des tensions et des moments de malaise, par desmalentendus et des faux-pas, par des silences éloquents et despostulats inavoués.

Le choix de l'ethnographe

Si une ethnographe de terrain comme Ashley Ouvriertravaille « au sein de » plutôt que « sur» une communauté, avecla volonté de faire partie d'un centre de recherche « en collabo­ration» - terme actuel pour désigner ce qui était « outre-mer»après avoir été « colonial » -, elle se situe entre le marteau etl'enclume. Elle va ressentir un certain malaise face à des inéga­lités flagrantes, surtout lorsque les différences de pouvoir, deressources et d'opportunités sont ignorées, sous couvert d'affir­mations de transparence, de partenariat et d'autonomie. Elle aalors le choix entre plusieurs options pour répondre à cemalaise. Elle peut s'intégrer à la recherche médicale et à sa viesociale, rejoindre sa « Realpolitik » en dépit de son expériencepersonnelle et de ses observations, avec tout loisir de les parta­ger en privé avec ses amis et collègues. Ce type d'anthropologieet de science sociale, parfois d'orientation « bioéthique »,contribue de façon subtile et efficace à l'amélioration de larecherche médicale en Afrique. Cependant, ce choix auraitlimité sa capacité critique en tant qu'anthropologue: les inter­ventions de collaborateurs scientifiques et de supérieurs hiérar­chiques (souvent des chercheurs expatriés), et l'habituelle

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autocensure auraient alors pu l'amener à éviter des questions« sensibles» ou « politiques» - comme on dit dans ce contexte.

Elle aurait aussi pu choisir de donner une réponse différente,très politique, au malaise social des communautés africaines desessais cliniques, en se détachant de ces dernières et en considé­rant que les contradictions des sciences médicales contempo­raines en Afrique ne sont pas son problème, évitant le « casse­tête» que représente la position privilégiée de l'anthropologueexpatrié. Elle aurait alors pu étudier le problème de la santéglobale et de la science transnationale en tant que tel, dans soncontexte néo libéral général. Ce choix plaît au lectorat desrevues spécialisées et aux étudiants, en raison de ses référencesradicales, intransigeantes et « théoriques » ; cela demandemoins d'efforts de parler aux scientifiques et aux médecinsimpliqués dans la recherche. Et cela évite de prendre positionpar rapport aux études en sciences sociales orientées versl'éthique.

Ce choix qui s'ouvre aux anthropologues dans les sites derecherche en collaboration implique des orientations déontolo­giques différentes : la première, piégée dans les contradictionsde la science globale du xxr siècle, l'amène à insérer ses écritsdans un discours sur l' « éthique » (développé en dehors de sa.discipline), qui vise à une meilleure recherche (sur un plan à lafois moral et scientifique) ; la seconde se concentre plutôt sur lapolitique ou l'économie politique de la science au sein d'unecritique large de l'économie politique - avec une revendicationde transformation radicale. Apparemment en contradiction l'uneavec l'autre, et mutuellement isolées dans le dialogue universi­taire, les deux positions anthropologiques sur la sciencemédicale outre-mer ont un prix. L'une risque de limiter seshorizons et de valider le statu quo, en proposant des ajustementstechniques mineurs - consentement, octroi de bénéfices, etc.L'autre reste fidèle aux tropes classiques de la critique éclairée,aux gestes iconoclastes et à la révélation de vérités cachées- sur les structures de domination et d'exploitation dans larecherche outre-mer, par exemple -, mais alors quels seront leseffets politiques de cette rupture supposée radicale? Les gestessont révolutionnaires, mais le discours radical et d'éventuellesactions politiques ne se rejoignent pas toujours.

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De plus, l'approche assurément « radicale» de l'ethnogra­phie de la science en contexte néolibéral risque d'ignorer sesracines: les multiples mécanismes du pouvoir, si souventsurprenants, les contradictions au sein des contradictions, et lesfluctuations idiosyncratiques des individus et les alliances entreeux. Ce n'est pas juste un problème d'analyse, faiblessesempiriques, résolution insuffisante des questions ou échec àembrasser la complexité - c'est un problème politique. Si l'undes objectifs de la recherche est de s'engager, c'est-à-dire dechanger le fonctionnement d'un ordre existant, alors, les proces­sus localement et historiquement contingents, aussi imprévus etsurprenants soient-ils, sont aussi importants que la cartographiede forces plus englobantes. Et la position de l'analyste faitégalement de toute évidence partie du tableau. C'est là quel'anthropologie peut apporter sa contribution.

Une ethnographie de la recherche médicale sénégalaise

L'ouvrage d'Ashley Ouvrier revendique une troisièmeposition, entre le chercheur « de l'intérieur» et celui « del'extérieur» : radicalement impliquée, partie prenante du projetpour une science progressiste, mais refusant le confort dans unordre inconfortable. L'histoire de Diégane au début de l'ouvragedonne une première impression de ce que l'on peut voir, depuiscette position inconfortable, et introduit aux relations socialesde la recherche médicale, à leurs péripéties surprenantes etinattendues.

La première partie étudie les représentations sociales deNiakhar, qui circulent parmi ses habitants et ses visiteurs, etrévèle une grande diversité de points de vue et d'interprétationspossibles, ce qui à son tour donne une idée des contradictionsau sein desquelles les acteurs évoluent lors de leur travail quoti­dien dans les essais. De toute évidence, ce n'est pas l'histoire dedeux camps, l'enquêteur et l'enquêté, l'expatrié et le local, leNord et le Sud, les profiteurs et le sous-prolétariat biologique.La deuxième partie élargit cette analyse subtile en s'attaquant à

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la question des « bénéfices » tirés de la recherche médicale- notamment la gratuité des soins et les emplois rémunérés - etles flux d'argent correspondants. À partir de son approcheethnographique de l'intérieur, Ashley Ouvrier peut dévoiler cequi ressemble à une évidence: des transactions qui impliquentdes matériaux et des données convertibles en espèces, commeles médicaments et les échantillons biologiques; il y a aussi desproblèmes de domination et d'autonomie, mais ni les uns ni lesautres ne se rattachent à un scénario prévisible.

Adoptant une approche similaire pour explorer un concepttrop familier, essentiel à notre compréhension de la recherchemédicale en Afrique, la troisième partie s'attaque au consente­ment éclairé et à la façon dont il fonctionne ou ne fonctionnepas dans les pratiques de recherche à Niakhar, ainsi que dans lesréflexions et discussions portant sur cette pierre angulaire de labioéthique du xx" siècle.

Le poids du temps

Le lecteur averti et attentif discernera un autre thème,presque invisible, parcourant l'ouvrage d'Ashley Ouvrier, quiaugmente sa valeur et promet une recherche passionnante àl'avenir: l'importance de l'histoire du site. Alors que ce thèmen'est jamais explicitement discuté, laissé pour une explorationultérieure, le lecteur ayant eu connaissance de l'histoire du sitesur le long terme ne peut s'empêcher de penser, au-delà dutexte, à l'impact que cette histoire - matérialisée par le site, sesstructures et ses circulations, ses souvenirs et les traces de sesformes passées, et par les biographies des individus et collecti­vités impliqués - pourrait avoir sur les observations ethnogra­phiques d'Ashley Ouvrier. Niakhar fut conçu comme un sitesentinelle de démographie et un terrain d'expérimentation pourune nation fière et indépendante au début d'une trajectoireascendante - bien qu'avec toutes les contradictions inhérentes àla participation d'ex-coloniaux progressistes à un tel projet. Cepassé particulier - loin de l'image de corps dociles d'Africains

PRÉFACE 17

dominés et exploités en vue de l'accumulation d'une plus valuepar l'industrie pharmaceutique - subsiste dans la longuemémoire des protagonistes, dans l'empilement des architecturesde la zone, dans la genèse des projets de recherche et la littéra­ture scientifique, et enfin dans des manières habituelles deparler de la recherche et de la société et de se parler les uns auxautres. Bien qu'Ashley Ouvrier ait sagement choisi de concen­trer son récit sur le présent, on ne peut s'empêcher de se deman­der si sa sensibilité à l'histoire (et à sa propre histoire avec lesite) et le poids de ce singulier héritage, ne lui permettent pas deporter non pas un regard bienveillant et détaché qui tendrait àignorer les problèmes et à éluder la souffrance, mais un regardqui plonge dans les yeux de ses interlocuteurs.

Voilà un point de vue sur la recherche médicale en Afriquequi sera précieux pour toutes sortes de lecteurs, en premier lieuceux qui vivent avec la production scientifique et les interven­tions en santé publique, et qui en vivent - chercheurs, etmédecins, responsables d'essais cliniques, qu'ils soientafricains ou expatriés. En raison de la capacité et de la volontéde l'auteur de s'adresser aux réseaux et aux communautésétablis par la recherche médicale transnationale, l'ouvraged'Ashley Ouvrier doit également être recommandé à l'anthro­pologue qui espère encore non seulement interpréter le mondede la recherche médicale en Afrique, mais le transformer.

Wenzel GeisslerProfesseur d'Anthropologie

Université d'Oslo

Prologue

L'histoire de Diégane

Nous sommes au début de la saison des pluies de l'année2007 dans le village de Ngayokhème au Sénégal. Adama apassé la journée à cultiver du mil et de l'arachide. Elle est sur lepoint de rentrer chez elle lorsque ses voisins lui apprennentqu'un nouveau projet de l'Institut de recherche pour le dévelop­pement (IRD) s'apprête à commencer. Comme tout un chacun,elle a entendu dire que cet organisme a beaucoup œuvré pouraméliorer la santé des gens de la région. Adama encouragedonc sans hésiter son fils de 19 ans qui lui fait part de sonsouhait d'y participer.

Quelques jours plus tard, Diégane devient l'un des 300participants à un essai clinique dont l'objectif est de mesurerl'efficacité d'un nouveau vaccin contre la méningite. L'étudeest réalisée par les agents de l'IRD - anciennement appeléOffice de la recherche scientifique et technique outre-mer(Orstom) - et en collaboration avec la Fondation Bill etMelinda Gates. Si le vaccin expérimenté s'avère plus efficaceque le précédent, il sera vendu à un prix accessible aux gouver­nements des différents pays de la ceinture de la méningite',

1. Zone géographique particulièrement touchée par les épidémies deméningite en Afrique. Celle-ci s'étend de l'Éthiopie au Sénégal et comprend25 pays.

20 FAIREDE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

Plusieurs semaines après l'inclusion et la vaccination dessujets d'étude, Diégane s'en va grimper dans les baobabs à lasortie de son village, comme le font souvent les jeunes de larégion. Alors qu'il s'attarde perché dans un arbre pour endérober les fruits', la branche sur laquelle il se tient casse et ilchute de plusieurs mètres. Aucune route goudronnée ne passantprès du lieu où il se trouve - pas plus que dans la plupart desvillages environnants - Diégane attend qu'une charrette lerepère pour être raccompagné. Arrivé chez lui, le chef duvillage est tenu au courant de son état. Il décide d'appelerSamba pour qu'il lui vienne en aide. Samba est enquêteur pourl'IRD depuis plus de 30 ans et ressortissant du village. Il dirigeà ce moment-là la station de recherche de l 'IRD située àplusieurs kilomètres de pistes dans l'agglomération de Niakhar,mais il ne peut intervenir tout seul rapidement. Samba décidedonc de contacter par téléphone un autre enquêteur, Pape, quisillonne justement les environs en véhicule tout-terrain. Pape,qui est infirmier de formation, se rend rapidement au chevet dujeune homme. Il l'examine, puis propose à ses parents deconduire Diégane à l'hôpital le plus proche. Son père refusedans un premier temps, car il préfère amener son fils chez unguérisseur, mais finit par accepter la proposition.

Pape conduit d'abord Diégane à l'hôpital de Kaolack - situé àenviron 70 kilomètres de Ngayokhème - mais constate qu'aucunsoin adapté ne pourra lui être fourni sur place. Il décide alors detransporter le jeune homme jusqu'à Dakar et parcourt200 kilomètres supplémentaires. Diégane y sera hospitalisé durantplusieurs semaines. Il perdra une partie de la mobilité de sesjambes dans l'accident, mais ressortira vivant. Les frais engagéspour son évacuation sanitaire et son hospitalisation seront défal­qués du budget de l'essai vaccinal, comme cela est souvent faitdans cette région du Sénégal où des équipes scientifiques cohabi­tent avec les habitants de la région depuis plusieurs décennies.

2. La chair blanche et sèche du fruit du baobab, appelé localement buy enwolof ou pain de singe en français, est consommée dans tout le Sénégalcomme friandise telle quelle, comme boisson diluée avec de l'eau et mélangéeavec du sucre ou encore comme traitement médicinal mélangé éventuellementavec d'autres plantes (DIOUF, 2003).

PROLOGUE 21

Lorsque je repasse deux semaines plus tard dans le quartierde Diégane, Cheikh, un voisin, m'explique ce qui s'est passé:

« Ce sont les gens de l'Orstom qui sont venus avec leurvoiture pour donner de grandes quantités de médicaments àDiégane et, le lendemain, ils sont venus pour l'amener àKaolack! Et de Kaolack on l'a amené directement à Dakar!On l'a amené à l'hôpital. On l'a soigné. On lui a fait un panse­ment. Actuellement, il est complètement guéri. [...] Je sais trèsbien que nous n'avions pas les moyens de mettre en œuvre toutcela et que seul l'Orstom pouvait le faire. C'est pour celaque ce que fait l'Orstom dans nos villages, seul Dieu peut le luirendre! C'est même pour cela que tous les gens de nos villagesveulent participer à ce projet maintenant. »

L'histoire de Diégane fut racontée par les habitants de larégion les jours et les mois qui suivirent son évacuation. Celle-ciest encore aujourd'hui spontanément évoquée lorsqu'onmentionne l'institution scientifique française que beaucoupd'habitants continuent d'appeler par son ancien acronyme,Orstom. Diégane lui-même valide en quelque sorte ce récitlorsque, sept ans plus tard, il me dit: « L'IRD est un exemple.Je ne peux pas les oublier. Ils ont sauvé ma vie. Si je n'avais pasété dans ce projet, cela aurait été très difficile pour moi... »

Introduction

Le récit de Diégane et la manière dont il est accueilli danscette région du Sénégal nous donnent accès à une réalité quicontraste à bien des égards avec les clichés qui circulent sur lapratique des essais cliniques en Afrique. En effet, souventréduite à des rapports de domination entre exploiteurs etvictimes, la recherche clinique dans les pays du Sud est essen­tiellement abordée dans l'espace public par le biais de sesscandales (SHAH, 2007). Elle est souvent considérée comme leseul fait des industriels du médicament, peu scrupuleuxd'abuser de populations pauvres et illettrées pour enrichir lemarché du médicament occidental. L'histoire de Diégane nousdonne accès à une réalité plus ambivalente et plus complexe dela recherche médicale. On découvre premièrement que celle-ci,telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui dans un village d'Afriquede l'Ouest, peut aussi être une recherche effectuée pour et parles acteurs du Sud. On aperçoit également le rôle inattendud'urgentistes médicaux que peuvent jouer les intermédiaireslocaux. Cette vignette ethnographique est cependant loin dedépeindre une situation idéale puisque l'enthousiasme localexprimé à l'issue du sauvetage de Diégane nous met devantl'inconfortable sentiment qu'un soin médical à destination deceux qui en sont régulièrement privés pourrait suffire à rendretoute intervention expérimentale légitime dans cette région.

C'est à ces zones floues, encore trop peu explorées, et à cescontradictions de la recherche médicale au Sud que ce livre

24 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

s'intéresse. Il sera ainsi question dans les pages qui suiventd'interroger les rôles, les motivations et les discours des indivi­dus qui construisent la recherche telle qu'elle est pratiquée danscette région du Sénégal. Ce qu'on appelle communément la zoned'étude de Niakhar est un territoire de 200 km' qui accueille desrecherches scientifiques dans le cadre des activités de l'IRDdepuis 196t. Situé à 135 kilomètres de Dakar, la zone, d'abordenvisagée comme un site de suivi démographique des popula­tions rurales du Sénégal, fut très vite mobilisée pour réaliser desrecherches en santé (études épidémiologiques, essais cliniques,etc.). Un demi-siècle plus tard, la région continue d'accueillir desessais cliniques auxquels les habitants acceptent de participer.

Comment un tel dispositif de recherche scientifique peut-ilfonctionner ? Comment se déroulent les interactions entre lespaysans et les scientifiques qui semblent appartenir à desmondes antinomiques? Quels sont les différents enjeux d'un teldispositif de recherche au niveau régional, national et global?

À travers cet ensemble d'interrogations, il sera question danscet ouvrage de mettre l'imaginaire de l'Afrique contemporaine,comme laboratoire in situ des firmes pharmaceutiques néolibé­rales, à l'épreuve de l'ethnographie de la recherche médicalecollaborative', c'est-à-dire d'une recherche politiquementinscrite dans la coopération scientifique et pratiquement réaliséepar des équipes composées de Français et de Sénégalais. Avantde partir à la recherche de ces réponses, je propose de revenirbrièvement sur l'histoire de l'institution française qui est àl'origine du site de Niakhar et des différentes études qui y ontété réalisées.

1. 1962 est la date officielle de création du site de Niakhar qui figure dansles publications de l' IRD, mais celle-ci pourrait tout aussi bien être 1964, carles deux premières années d'activités de recherche dans la région correspon­dent à un financement extérieur que Pierre Cantrelle avait obtenu avant qu'ilsoit embauché par l'Orstom.

2. Terme traduit de la notion de « Collaborative Medical Rescarch » utili­sée par certains anthropologues britanniques et explicitée dans l'ouvrage éditépar W. GEISSLER & C. MOLYNEUX, (eds.), Evidence. Ethos and Experiment.The Anthropology and His/OI)' of Medical Research in Africa, New York ­Oxford, Bergham Books, 2011, x-498 p.

De l'ORSe à l'IRD

INTRODUCTION 25

L'IRD est un organisme de recherche scientifique françaisqui s'est spécialisé, au fil des années, dans l'étude desproblèmes spécifiques des pays du Sud. Créé en 1943 sousl'acronyme ORSC (Organisme de la recherche scientifiquecoloniale), cette structure avait pour première mission de mettre.en place un réseau d'institutions et de laboratoires dans lescolonies françaises. Durant ses premières années d'existence,l'office s'est attaché à faire l'inventaire des systèmes tropicaux,à former des chercheurs et à développer des projets en articula­tion avec les stratégies de développement agricole, énergétiqueet minière coloniales (SABRIÉ, 1996). En 1953, l'ORSC devientl'Orstom. La structure de recherche est encore jeune et doit sefaire une place sur des territoires français déjà occupés par desorganismes scientifiques plus anciens, tels que les institutsPasteur outre-mer (IPOM) et le service de santé des armées. Leschercheurs de l'Orstom s'intéressent alors à des spécialitésencore peu investies comme l'entomologie et la parasitologie;ils développent une mobilité et une connaissance du terrain quideviennent progressivement leur marque de fabrique',

Après les indépendances, le ministère des Colonies devientle ministère de la Coopération et fait l'objet d'un investissementpolitique et financier important dont bénéficiera 1'Orstom. Il estdésormais question de travailler en partenariat avec les jeunesnations indépendantes dans le cadre de la coopération française.En mettant en avant la capacité de ses chercheurs à aller sur leterrain et à la rencontre des populations locales, l'Orstompostcolonial devient l'allié du mouvement tiers-mondiste(LEFEBVRE, 1996). L'office étend son champ d'interventiongéographique et crée de nouvelles infrastructures scientifiques.Plusieurs programmes de recherche se mettent en place sur desmaladies endémiques comme la trypanosomiase africaine,

3. Dans le cas des recherches sur les maladies vectorielles par exemple,l'identification et le classement des vecteurs se faisait par les orstomiens ­habitués donc à se déplacer sur le terrain - et l'analyse était conduite par lespasteuriens essentiellement établis dans les grandes capitales (LEFEBVRE, 1996).

26 FAIRE DE LA RECHERCHEMÉDICALE EN AFRIQUE

l'onchocercose ou encore le paludisme, la bilharziose et lamaladie de Chagas.

C'est à ce moment là que naît le site de Niakhar, plus exacte­ment en 1962, deux ans après l'indépendance du Sénégal. Il estalors simplement question de mener une étude démographiquede deux ans dans la région du Sine-Saloum. Pierre Cantrelle,démographe et médecin, est à la tête de ce projet, épaulé parplusieurs enquêteurs sénégalais issus notamment de la Division ,de la statistique. Deux localisations sont envisagées: l'une àPaos Koto, près de la frontière gambienne, et l'autre à Niakhar,plus près de la presqu'île du Cap-Vert. L'objectif est alors deconstituer un système de recensement capable de produire desdonnées démographiques plus fiables que les autres systèmes. Ilest également mentionné dans plusieurs écrits que le projet estenvisagé comme un moyen de fournir au nouveau gouverne- 'ment sénégalais des données de qualité qui pourraient permettred'ajuster sa politique de développement.

Mais si Niakhar est au départ un projet démographique, celan'empêche pas ce dernier d'être pensé en corrélation avec lesproblématiques et les intérêts de recherche d'autres disciplines.Des travaux en sociologie religieuse sur les Sérères, le groupe leplus représenté dans la région, ont ainsi accompagné le premiersuivi démographique (GRAVRAND, 1983, 1990 ; MARTIN, 1970).Dès les années 1970, ce sont également des travaux ethnolo­giques et anthropologiques qui sont menés. Réalisés en parallèledu suivi démographique, ils explorent le système de parentématrilinéaire sérère, le fonctionnement des rituels religieux, lesnosologies locales de la maladie - y compris les maladiesmentales - ainsi que les histoires orales (BECKER, MARTIN etMBODJ, 1987 ; COLLIGNON, 1976, 1979 ; DUPIRE, 1976, 1977).Très tôt, épidémiologistes et médecins s'intéressent à Niakharqui présente un f011 taux de mortalité infantile, dû à la rougeolenotamment (GARENNE et CANTRELLE, 1991). Des essaiscliniques sur deux vaccins prometteurs contre cette pathologiefurent ainsi réalisés dans les années suivantes en 1970 et 1980(REY, BAYLET et al., 1965'; GARENNE, LEROY et al., 1991).Durant ces années, l'Orstom est en pleine campagne de valori­sation de l'interdisciplinarité, qui sera rendue officielle dans larestructuration de l'office, en 1984. À Niakhar, cette dynamique

INTRODUCTION 27

de collaboration et d'échanges entre géographes, sociologues,démographes et médecins a toujours été présente.

Au début des années 1990, des recherches en vaccinologiepédiatrique sont à nouveau entreprises dans la région, mais cettefois-ci sur la coqueluche (SIMONDON, PRÉZI0S1 et al., 1996). Ils'agit de la deuxième collaboration des chercheurs de l'IRDavec l'OMS (Organisaton mondiale de la santé) à Niakhar. Cesdeux études s'alignent progressivement sur les normes éthiquesde recherche internationale et une réflexion est engagée sur lesspécificités et les limites du recueil du consentement éclairé enmilieu rural africain (PRÉZI0Sl, YAM et al., 1997). Alors que lacommunauté internationale commence à mesurer le potentielépidémique du VIH-sida en Afrique, Niakhar est brièvementenvisagé comme un site idéal pour documenter le possibledéveloppement d'une épidémie sénégalaise généralisée, quiheureusement n'arrivera jamais, puisque le taux de prévalencerestera plafonné à moins de 1% et que l'épidémie resteraconcentrée au sein de « populations vulnérables ». Un vasteprogramme de recherche interdisciplinaire sur les dynamiquesagraires et la mobilité des paysans sérères est également réaliséà cette époque (LERlCüLLAIS, 1999). Réémerge alors le thème dela migration, déjà abordé dans les années 1970 (LACOMBE,1970 ; LACOMBE, VAUGELADE et al., 1977), qui deviendracentral dans l'appréhension des problématiques contemporainesde la population de la zone (ADJAMAGBO et DELAUNAY, 1999).D'autres pathologies endémiques, comme la méningite ou lecholéra, feront également l'objet de recherches épidémiolo­giques ponctuelles (MBAYE, HANDSCHUMACHER et al., 2004 ;ROQUET, DIALLO et al., 1998).

Les années 1990 sont marquées par la poursuite de lapolitique de coopération de l 'Orstom avec les pays du Sud.L'office investit dans la mise en place de formations spéciali­sées en médecine tropicale, intégrant les récits de terrain et lacollaboration avec les chercheurs en sciences sociales, notam­ment les anthropologues. Des enseignements spécialisés sontétablis au Nord comme au Sud et participent à la formation desnouveaux acteurs du partenariat scientifique entre la France etles pays en voie de développement (LEFEBVRE, 1996). Desétudiants et chercheurs africains, sud-américains et d'Asie du

28 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

Sud-Est partent se former dans d'autres pays du Sud ou enFrance, tandis que des étudiants et scientifiques français décou­vrent les terrains et les problématiques du Sud. Niakhar sera aucœur de cette dynamique. Le site accueillera de nombreuxstagiaires et doctorants français et africains tout au long de sonhistoire, et dont certains deviendront des figures de la santépublique sénégalaise et internationale.

Dans les années 2000, des essais cliniques sont à nouveauréalisés dans la zone de Niakhar (paludisme et méningite) mais,cette fois-ci, sont pilotés par des chercheurs sénégalais (Ctsss,SOKHNA et al., 2006 ; Sow, OKOKO et al., 20 Il). Une nouvellegénération de chercheurs et d'enquêteurs partent à nouveau surle terrain. Entre-temps, l'Orstom est devenu l'IRD.

Le site de Niakhar, qui constitue à la fois l'objet et le cadrede ce livre, peut à certains égards être considéré comme lesymbole de cette recherche française pour le développement despays du Sud et, comme nous le verrons, il est aussi l'expressionde ses limites et de ses paradoxes.

Le site de Niakhar

La « zone de Niakhar » ou « Niakhar », comme l'appellentgénéralement les personnes qui y travaillent, était à l'origineconstituée des 65 villages formant l'arrondissement du mêmenom. Elle fut réduite en 1969 à 8 villages' pour être à nouveauétendue à 30 villages en 1987. Comme le souligne MichelGarenne qui a coordonné les activités de recherche dans la zoneà partir de 1982, le suivi de la population n'avait pas forcémentvocation à durer longtemps. Mais projet après projet, médecinset démographes, travaillant pour l'Orstom puis l'IRD, se sontinvestis dans la coordination d'études multidisciplinaires et sesont finalement établis dans la région. Au début, les chercheursvivaient chez l'habitant ou louaient des logements sur place.

4. Ngalagne Kop, Darou, Ngayokhème, Kalome, Ngane Fissel, Diokoul,Sass Ndialafadji, Sob.

INTRODUCTION 29

Dans le cadre de séjours de terrain sur le long cours, certainsont fait le choix de faire construire leur propre case. La stationde Niakhar est ainsi le fruit d'une de ces démarches de « brico­lage» de terrain à laquelle se sont ajoutées des structuresconnexes de plus en plus élaborées (parc photovoltaïque, parcautomobile, laboratoire climatisé, etc.).

De manière plus ou moins intensive, depuis les années 1960,il est progressivement admis que chercheurs, enquêteurs,ingénieurs, étudiants, stagiaires et techniciens occidentaux etafricains aillent à la rencontre des habitants de cette région pourles étudier. Ces rencontres sont relativement codées puisqu'ellesse font depuis les années 1990 dans le cadre du suivi démogra­phique de la population et généralement par l'intermédiaired'enquêteurs et de chauffeurs de l'IRD souvent originaires de larégion.

En 2007, ce dispositif de suivi démographique fonctionnepar le biais de deux pôles d'activités complémentaires, l'unsitué à Niakhar et l'autre à Dakar. Cinq enquêteurs recueillenttrois fois par an un ensemble d'indicateurs démographiques(naissances, décès, mariages, divorces, scolarisation, migra­tions, vaccinations, etc.) auprès des habitants de la région etactualisent ainsi la base de données de la zone. À Dakar, desagents de saisie, des informaticiens et des chercheurs assurent lagestion informatique et le traitement de la base de données,même si, depuis, cette articulation est devenue moins intensepuisque les enquêteurs sont passés des registres papier auxtablettes électroniques.

Comment, au-delà de ces aspects logistiques, se passent lesinteractions entre enquêteurs et enquêtés? Les habitants répon­dent-ils systématiquement aux questions du suivi démogra­phique ? N'envisagent-ils pas ces questionnaires répétitifscomme un acte intrusif? Comment les habitants de la zone deNiakhar appréhendent-ils l'articulation entre recherche clinique,suivi démographique et sciences sociales?

Le dispositif de suivi démographique de Niakhar permet dedisposer d'un ensemble de données actualisées concernant lazone. En 2012, la population totale de la zone est estimée à43 000 habitants. Le taux de scolarisation est faible puisqu'il estévalué à 50 % pour les hommes et à 75 % pour les femmes âgés

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Carte n? 1 : Emplacement du site de suiv i dém ographique (SSD) de Niakhar (Sénéga l)(source : IRD/US009 non daté )

INTRODUCTION 31

de 15 à 24 ans. L'émigration de longue et de courte durée,principalement vers la capitale dakaroise, est un phénomèneimportant. Elle constitue en effet un moyen de subsistance pourbeaucoup de familles dont les membres sont souvent dispersésentre la capitale et le village (DELAUNAY, DOUILLOT et al, 2013 ;ADJAMAGBO et DELAUNAY, 1999).

Située dans l'actuel département de Fatick, la zone deNiakhar est facilement accessible depuis Dakar, par une routegoudronnée jusqu'à la ville de Niakhar et par des véhiculestout-terrain à l'intérieur de la zone. La station de l'IRD,présente dans l'agglomération de Niakhar (localisée au nord-estde la zone d'étude - voir carte na 2), sert de point de chute etd'espace de travail aux chercheurs de passages. Les habitantssont pour la plupart agriculteurs et vivent dans des concessionsqui, regroupées, constituent les villages ou hameaux de larégion. Ces concessions réunissent de deux à dix cases en bancoet des constructions en ciment pour les plus nantis. Celles-ciappartiennent généralement aux différents membres d'un mêmelignage paternel. Les habitants se déplacent principalement àpied ou en charrette à cheval. L'absence de routes goudronnéeset l'inondation des pistes sableuses pendant la saison des pluiesconstituent autant un problème de santé publique qu'un enjeuéconomique. Cette situation rend en effet difficile, voire impos­sible, l'accès rapide aux centres de santé les plus proches etlimite les échanges commerciaux des habitants avec l'extérieur.Les principaux villages de Toucar, Ngayokhème et Diohine sontcependant moins touchés par cet enclavement. Ces villages sontparfois même considérés comme des espaces semi-urbains(DELAUNAY, DOUILLOT et al., 2013).

Rien ne différencie les paysages de la zone d'étude deNiakhar des autres régions sahéliennes d'Afrique de l'Ouest:une plaine clairsemée de baobabs et d'acacias. Celle-ci se pared'une végétation généreuse le temps de la saison des pluiestandis qu'elle se transforme en zone quasi désertique durant lasaison sèche. Autour des villages et le long des routes, leshabitants aménagent des champs de forme régulière, destinés àdeux cultures dominantes: le mil et l'arachide. La monoculturede cette dernière, encouragée par le gouvernement et conjuguéeaux épisodes de sécheresse, a appauvri les sols, de plus en plus

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Carte n" 2: Zone d'éludes de Niakhar, Sénégal, 2008(© A. LERlCOLLAlS - IRD/US 009)

INTRODUCTION 33

difficiles à exploiter pour les populations locales qui y consa­crent la plus grande partie de leur travail quotidien. La conduitedes recherches cliniques s'est donc toujours faite à Niakharauprès de familles d'agriculteurs pauvres et vivant dans unerégion relativement enclavée. Les premières recherches remon­tent aux années 1970. Elles relèvent d'une pratique scientifiqueissue à la fois de la médecine coloniale et de la médecine despreuves amorcée dans les années 1950 aux États Unis.

Les essais cliniques au Sud

Les recherches expérimentales en santé telles qu'elles se sontdéveloppées à Niakhar relèvent d'une méthode contemporainede la médecine, l'essai clinique, qui s'est développé depuis lesannées 1950 dans les pays du Nord et démultiplié depuis lesannées 1990 dans les pays du Sud (MARKS, 1999). L'essaiclinique randomisé en double aveugle constitue aujourd'hui laprocédure scientifique, médicale et juridique, considérée commela plus légitime et valide pour évaluer l'efficacité d'un médica-.ment avant qu'il soit recommandé, breveté ou mis sur le marché.La conduite d'essais cliniques est divisée en trois phases princi­pales qui correspondent à trois étapes de l'évolution du dévelop­pement d'un produit pharmaceutiques. Ces études peuventévaluer des substances ou des stratégies préventives (comme lesvaccins) ou curatives (comme les antibiotiques). Leurs princi­paux objectifs consistent à actualiser les recommandationsbiomédicales, à rendre accessibles de nouvelles techniques dediagnostic, des stratégies de traitement ou encore à favoriser lamise sur le marché de nouveaux médicaments. Ce mode

5. La première phase a pour objectif de mesurer l'innocuité du produitchez l'homme en bonne santé (dose maximale tolérée). La deuxième phaseconsiste à mesurer la tolérance chez l'homme malade (posologie utile). La .troisième phase évalue l'efficacité du produit chez l'homme malade (moded'emploi, utilisation chez la femme enceinte, l'enfant, contre-indications.)(CHIPPAUX, 2004, p. 26).

34 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

d'évaluation a vu sa légitimité et sa popularité augmenter enmême temps que l'émergence de l'Evidence Based Medicine"(CLARIDGE et FABIAN, 2005).

Aujourd'hui, le développement d'une économie de plus enplus libéralisée a conduit à ce que certains industriels spéciali­sés dans la production de médicaments aux États-Unis, puis enEurope, deviennent progressivement les principaux promoteursde ces essais devenus essentiels au développement de lamédecine. Ces acteurs contemporains de la santé jouent un rôledéterminant dans la production de médicaments dans le mondeet dans l'amplification ou la réduction des inégalités de santé.Les industriels du médicament décident en effet du type demédicaments qu'ils souhaitent commercialiser selon le prixpouvant être obtenu sur le marché local. Ils choisissent égale­ment, selon une logique de rentabilité, les molécules qu'ils vontdévelopper et proposer aux malades du Sud. La politiqued'accès des populations aux médicaments essentiels génériques7

ainsi que les grands programmes pour les maladies prioritaires(tels que le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculoseet le paludisme) visent à encourager plus d'équité, en élargissantl'accès à des médicaments de qualité à l'ensemble des popula­tions du Sud.

Si jusqu'à présent la plupart des essais cliniques étaientréalisés au Nord, on observe depuis une trentaine d'années, unenette augmentation dans lespays du Sud. Les firmes pharma­ceutiques financent désormais la réalisation de recherches dansles pays du Sud et les pays émergents. Ces études sont passéesde moins de 10 % en 1997 à plus de 40 % en 2005(LUSTGARDEN, 2005 ; JACK, 2008). Elles sont justifiées par leurspromoteurs pour des raisons sanitaires, scientifiques, écono­miques et parfois politiques (ÉGROT et TAVERNE, 2006). Leurcoût souvent moins élevé qu'au Nord, leur pertinence scienti­fique et plus généralement leur encadrement font régulièrementl'objet de critiques, voire de dénonciations par des acteurs de la

6. Médecine fondée sur les preuves.7. Cette politique est soutenue par des institutions internationales comme

l'OMS, des organisations non gouvernementales comme MSF et la plupartdes États. .

INTRODUCTION 35

société civile et des spécialistes de la recherche médicale et dumédicament (CHIPPAUX, 2005 ; PETRYNA, 2005, 2009 ; WEYZIGet SCHIPPER, 2006 ; SHAH, 2007 ; BOYCE, 2008).

La médiatisation de plusieurs « affaires» concernant desétudes réalisées en Afrique et en Asie, ces dernières années, aeu tendance à réduire cette recherche médicale contemporaine àdes démarches de délocalisation mercantile. Le procès de l'Étatde Kano au Nigeria contre le géant américain Pfizer, après ledécès de plusieurs participants à un de ses essais cliniquespendant une épidémie de méningite, est probablement un desévénements les plus marquants dans ce domaine. L'affaire a nonseulement réduit la recherche médicale à une lutte inégale ­néanmoins réelle - entre le Nord et le Sud, mais elle a aussiincarné les méfaits du capitalisme en Afrique. En 2004 et 2005,la suspension de deux essais préventifs de la transmission duVIH au Cambodge et au Cameroun est également fortementmédiatisée (MILLS, RACHLIS et al., 2005). Les articles de pressequi documentent ces événements accusaient en grande partie lesindustriels du Nord de profiter de la vulnérabilité des popula­tions exposées au VIH au Sud, faisant ainsi alternativementresurgir le monstre du capitalisme ou du néocolonialisme(LABORDE-BALEM, 2007 ; BERNARD, 2007 ; MAMOU, 2007).

Si ces affaires, relayées par la presse locale comme interna­tionale, ont généralement permis de sensibiliser le grand publicaux intérêts financiers de l'industrie du médicament dans lespays du Sud, elles ont également réduit les relations entre scien­tifiques et sujets d'études à des rapports manichéens (SHAH,2007 ; ANGLARET et MSELLATI, 2003). Cette lecture restreint lesenjeux de la recherche médicale à des rapports binaires qui nerendent pas justice au caractère protéiforme de la recherche, à lacomplexité des problèmes scientifiques qu'elle pose, au rôle desorganes de régulation du marché du médicament ou même à larésolution des problèmes qui est engagée à l'issue de certainescontroverses (DALGALi\RRONDO, 2004 ; URFALINO, 2005). Laprofondeur historique dans laquelle s'inscrit le développementdes essais cliniques, les formes de partenariat public-privé quisous-tendent certaines recherches ainsi que la subtile combinai­son de jeux de pouvoirs microsociaux que ces études induisentlocalement sont également peu abordées. À Niakhar, ce ne sont

36 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

pas directement les industriels du médicament qui financent lesrecherches, mais des consortiums rassemblant instancespubliques et privées impliquées dans le développement destratégies de lutte contre les endémies des pays du Sud. Engagésdans une perspective de santé globale ou se soumettant à deschartes d'éthique internationales et aux avis des instanceséthiques nationales, ces consortiums développent parfois desaccords et partenariats économiques" qui leur permettent deproduire les médicaments à moindre coût afin de les rendreaccessibles aux marchés du Sud.

La légitimité scientifique et éthique des études dans lescontextes sociaux et économiques des pays du Sud n'efface paspour autant le fossé économique qui sépare les sujets d'étudedes promoteurs et investigateurs. Les pourvoyeurs et les investi­gateurs de recherche disposent de moyens financiers très impor­tants pour réaliser ces recherches, tandis que les destinataires deces études ne possèdent souvent même pas de quoi accéder àdes soins de santé primaire. Dans quelles conditions ces acteursse pensent-ils, sous quelles modalités ou accords implicites, etavec quels effets?

Au cœur de la recherche médicale

Ce travail se veut l'expression d'une anthropologie au cœurde la recherche médicale, c'est-à-dire d'une anthropologie quis'efforce de documenter la recherche de l'intérieur. L'intérieurréfère ici aussi bien au cœur de la zone d'étude de Niakharqu'au cœur de l'IRD auxquels j'ai pu accéder en tant qu'agentde l'institut pendant deux ans". Le monde social de 1'IRD toutcomme celui des habitants de la région de Niakhar, et pluslargement celui de la société sénégalaise, sont ainsi devenus

8. Avec, par exemple, les propriétaires des molécules qui peuvent être desindustriels européens ou nord-américains et les producteurs de médicamentsqui peuvent être situés dans des pays émergents comme l'Inde ou le Brésil.

9. En tant que volontaire civil international.

INTRODUCTION 37

mes objets d'investigation. Les pratiques et les discours de mescollègues scientifiques et administratifs de l 'IRD ont nourrimon travail au même titre que ceux des familles d'agriculteurset des leaders d'opinion sérères de la zone d'étude. Cetteposture de l'intérieur constitue une des originalités de cetravail. Elle permet à ce livre d'offrir une vision systémique dela recherche et de fournir une réflexion sur la base de deuxparties opposées : celle des expérimentateurs et celle desexpérimentés.

Comme on l'aura compris, la recherche médicale dont il seraquestion est une construction scientifique collaborative de longuehaleine, ancrée dans une histoire scientifique plus vaste qui a sespropres habitudes, ses propres normes et ses propres biais. Cetterecherche collaborative n'exclut pas les tensions, les conflitsd'intérêt et les rapports de pouvoir, mais ces derniers ne se situentpeut-être pas aux mêmes endroits que dans la « recherchemédicale délocalisée" ». Si, parfois, Niakhar peut prendre lesallures de nouveaux eldorados de l'industrie du médicament, celadonne généralement lieu à des débats au sein de l'institution. Cen'est d'ailleurs qu'au prix de questionnements réguliers, opposantdémographes, épidémiologistes et médecins, que le site deNiakhar est devenu progressivement un site idéal pour mener desessais cliniques transnationaux. Cette recherche médicale, réali­sée à Niakhar aujourd'hui pour le développement de la santé despatients du Sud, est en effet, comme nous le verrons, loin d'êtreexempte de critiques. Ses enjeux se logent là où se trouventcertaines de ses limites : à la frontière ténue entre recherche etdéveloppement, derrière les leviers du pouvoir qu'elle induit pourchacun des acteurs, ou encore dans la proximité, voire l'intimité,qui caractérisent parfois les relations entre enquêteurs, enquêtés,médecins et sujets d'études.

Il sera donc question dans ce livre de donner à voir et àcomprendre ce qui se joue au quotidien dans la recherche àNiakhar en s'intéressant aussi bien aux points de vue des parti­cipants qu'à ceux des chercheurs et de leurs multiples intermé-

JO. Par recherche médicale délocalisée, j'entends cette recherche menéepar des instances privées à but lucratif, qu'a notamment étudiée AdrianaPetryna en Amérique du Sud et en Europe de l'Est (PETRYNA, 2009).

38 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

diaires. Aussi scientifiquement déterminés soient-ils, les gestesde la médecine et des sciences sont aussi ancrés dans desrapports sociaux qui en déterminent la forme plus souventqu'on ne le croit.

Je propose ainsi une anthropologie au cœur de la recherchemédicale où la description du local aide à la compréhension duglobal (ApPADURAI, 1996). Cette posture rejoint à certainségards de récents travaux anthropologiques sur la recherchemédicale au Sud (GEISSLER et MOLYNEUX, 2011 ; FAIRHEAD,LEACH et al., 2006 ; GEISSLER, KELLY et al., 2008).

Retrouve-t-on à Niakhar les mêmes éléments que rapporte larécente littérature en anthropologie des essais cliniques? A-t-onaffaire à Niakhar aux mêmes limites du recueil du consentementéclairé que celles observées au Kenya ou en Gambie? Quellesformes prennent la résistance ou la contestation potentielle deshabitants?

Ce travail repose sur une centaine d'entretiens individuels etcollectifs réalisés entre 2006 et 2009 avec des scientifiques, desadministrateurs et des habitants de la région de Niakhar. J'aifavorisé la conduite d'entretiens en langue vernaculaire autantque possible, grâce à l'aide d'une interprète, Aïssatou Diouf,avec qui j'ai co-construit" une partie de ce travail. Évoluantconstamment dans des sphères sociales différentes entreNiakhar, Dakar et Paris, le terrain de cette recherche fut résolu­ment multi-sites. À Niakhar, je vivais sur place, appréhendais satopographie et son rythme de vie si différents des mégalopolesafricaines. J'allais à la rencontre des habitants des villages ethameaux de la zone en charrette, suivais les enquêteurs

11. Bien que les anthropologues aient régulièrement recours à des inter­prètes lorsqu'ils travaillent dans des sociétés dont ils ne maîtrisent pas suffi­samment la langue, les travaux explicitant cette méthode sont rares et assez peuvalorisés dans la discipline, et cela de façon suffisamment constante pour quecertains chercheurs y voient un tabou propre à l'anthropologie (BORCHGREVINK,2003). Une description plus détaillée de la manière. dont s'est organisé letravail de traduction et de collaboration avec Aïssatou Diouf - à la foisancienne « enquêtrice» de l'IRD et habitante de Niakhar - est accessible dansla thèse de M.-A. OUVRIER, Anthropologie de la recherche médicale en milieurural sénégalais, Université Paul Cézanne, Aix-Marseille III, Faculté de droitet de sciences politiques, thèse de doctorat en anthropologie, 2011, 20+306 p.

INTRODUCTION 39

démographiques dans leurs parcours pédestres et observais lesséances de recueil de consentement. À Dakar, le milieu del'expatriation m'était de facto ouvert. Il m'était ainsi donné àvoir les différentiels de niveaux de vie entre expatriés et locauxainsi que les multiples rapports de force et de négociationsquotidiens entre Français et Sénégalais. Enfin, plusieurs entre­tiens avec les autorités administratives de l'IRD ont été réalisésau siège de l'institution en France où se disent et se donnent àvoir des réalités du développement qu'on oublie lorsqu'on estsur le terrain.

Le livre est divisé en trois chapitres. Après cette introduc­tion, le premier chapitre sera consacré aux usages et aux repré­sentations de la recherche à Niakhar. Le second porte sur lamanière dont la recherche en santé vient induire une chaîne depouvoirs et de devoirs spécifiques dont les enquêteurs sont lemaillon essentiel. Le troisième chapitre plonge le lecteur dansles coulisses d'un essai vaccinal contre la méningite et l'invite àdécouvrir l'éthique telle qu'elle se pratique sur le terrain.

CHAPITRE l

Représentations et usagesde la recherche

Anthropologues et historiens des sciences et de la médecinen 'ont cessé de montrer que la recherche scientifique était uneactivité capable de nous parler autant de la science que ducontexte sociétal dans lequel elle était conduite et despersonnes qui en étaient les acteurs (DOZON, 1985 ; GEISSLER,

2005 ; LATOUR, 1984). Niakhar, en tant que site de recherche,ne fait pas exception à ce constat. Les études scientifiques réali­sées dans cette région rurale du Sénégal font l'objet de repré­sentations et d'usages variés qui dépassent le seul registrescientifique. À partir de l'analyse du discours et de l'attitudedes agents de l'IRD et des habitants de la zone d'étude deNiakhar, il sera question dans ce chapitre d'identifier le rôleque tiennent les recherches de l'IRD dans l'imaginaire et la viesociale de chacun. Nous essayerons ensuite d'identifier quelsusages sont plus particulièrement faits de la démographie et dela recherche médicale, deux disciplines cruciales dans lacréation et le fonctionnement du site de Niakhar.

L'IRD et les habitants de Niakhar

Deux années d'interactions avec des habitants de la zoned'étude de Niakhar m'ont permis de comprendre que la

42 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

majorité de mes interlocuteurs associait les pratiques derecherche de l'IRD à un nébuleux contenu sémantique mêlantun réseau de connaissances locales, l'accès à des soins biomédi­caux gratuits, des rumeurs de vol de sang et la possibilité demobiliser des véhicules tout-terrain. Dans les paragraphessuivants, je montrerai par quels processus sociaux les habitantsde cette région se représentent les pratiques de recherche del'IRD.

Le prestataire de soins

Lorsqu'ils évoquent les activités de l'IRD, les habitantsmettent systématiquement en avant les prestations sanitairesdont ils ont bénéficié antérieurement lors d'essais cliniques oud'études épidémiologiques. Ils évoquent cependant rarement ladémarche expérimentale et / ou scientifique qui les sous-tend.Ainsi, en les écoutant, un étranger de passage pounait facile­ment déduire que l'IRD est un prestataire de soins ou unorganisme d'aide humanitaire.

Si le fait que je sois une chercheuse à la peau blanche« estampillée IRD » a pu influencer les discours des habitantsde la région, il n'explique pas à lui seul ce constat. Comment,alors, des pratiques de recherche scientifique peuvent-elles êtreénoncées en termes de prestations sanitaires ? Pour répondre àcette question, voici des extraits d'entretiens dans lesquels des

. habitants de différents villages de la zone d'étude parlent derecherche clinique.

« L'Orstom a fait quelque chose de très bien dans le village.Il y a un des enfants de ma maison qui faisait partie desprogrammes de l'Orstom [00'] Pendant l'hivernage, les gensvenaient et ils donnaient des médicaments et des soins pour lesenfants. »

Habitante de Diohine, mars 2007.

Ces propos font très certainement référence à la réalisationd'essais thérapeutiques sur le paludisme. Ceux-ci sont générale­ment effectués pendant la période d'hivernage, notoirement

REPRÉSENTATIONS ET USAGES DE LA RECHERCHE 43

pathogène au Sénégal, parce que l'efficacité du traitement doitêtre mesurée en période de transmission maximale. Cettepériode étant celle où les parents peinent le plus dans l'accèsaux soins, la délivrance de traitements est instantanément inter­prétée en termes d'aide.

Par ailleurs, un prélèvement sanguin à l'extrémité du doigtest généralement réalisé sur les participants. Sur l'échantillonsanguin est pratiquée une technique de diagnostic du paludisme,appelée « goutte épaisse », qui permet de vérifier au microscopela présence de parasites dans le sang afin de pouvoir ensuitemesurer les effets du traitement qui fait l'objet de l'étude. Or,comme l'illustrent les deux extraits ci-dessous, cet examen peutêtre essentiellement interprété comme ayant un objectif dediagnostic :

« L'Orstom, ils te prenaient du sang sur le doigt et ilsamenaient cela jusqu'à Thiès pour vérifier si tu n'avais pas lepaludisme. »

Habitant de Toucar, août 2006.

« L'Orstom, ils venaient au dispensaire pour prendre lesang. Les médecins le mettaient sur des verres pour voir lamaladie. »

Habitant de Ngayokhème, avril 2007.

Cet examen constituait, il y a quelques années, une techniquede diagnostic de la maladie qui diversifiait et améliorait l'offrede soins locale. En effet, en l'absence de moyen de diagnostiquerle paludisme, une fièvre en période d'hivernage suffisait à cequ'un traitement contre le paludisme soit délivré sans plusd'examens. Ce type de diagnostic probabiliste conduisait cepen­dant à une surestimation des cas de paludisme et au développe­ment de résistances à l'égard des traitements utilisés.Actuellement, le test de diagnostic rapide (TOR) est censé êtreaccessible au niveau de l'offre de soins du secteur primaire.

De nombreux habitants de la zone d'étude de Niakharparlent de vaccination gratuite lorsqu'ils évoquent les essaisvaccinaux réalisés sur la rougeole ou la coqueluche. L'observa­tion et le suivi médical d'un enfant ayant participé à un essai

44 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

clinique sont souvent perçus comme des soins biomédicaux(gratuits), délivrés à titre caritatif et indépendamment de ladémarche expérimentale dont ils sont issus. C'est ce qu'expri­ment les propos de cette habitante:

« Tous les enfants que j'ai eus, c'est l'Orstom qui leur adonné des soins et les vaccins. Après les vaccins, ils deman­daient s'ils avaient le corps chaud ou s'ils pleuraient, ils tedonnaient des comprimés. Vraiment, ils nous ont bien aidésavec la santé de nos enfants. »

Habitante de Toucar, mars 2007.

Lorsqu'un essai clinique est réalisé dans la zone d'étude, desenquêteurs sont chargés de surveiller les effets secondaires etindésirables graves qui peuvent suivre la vaccination, en serendant directement au domicile des participants. À cet effet, ilsdemandent aux mères si leur enfant a de la fièvre (désignée par« corps chaud »). Les participants peuvent également recevoirun traitement symptomatique qui peut prendre la forme de« comprimés » dans le cadre du suivi médical obligatoire. Lessoins (ou care), selon certains auteurs, tiennent une place impor­tante dans les représentations des participants à la rechercheclinique, y compris dans les pays occidentaux (EAsTER,HENDERSON et al., 2006). À Niakhar, ils semblent présentéscomme un élément caractéristique de l'essai vaccinal, au-delàde la démarche expérimentale.

Enfin, lorsque cela s'avère nécessaire (notamment en casd'événements indésirables graves ou de choc anaphylactique),les participants des études cliniques peuvent être évacués versun des centres hospitaliers les plus proches qui disposent deplateaux techniques plus complets. Comme nous l'avons remar­qué dans le prologue, ces évacuations peuvent être réaliséespour résoudre des problèmes sanitaires qui ne sont pas directe­ment liés à l'essai clinique. Néanmoins, l'ensemble des frais dedéplacement (carburant, chauffeur) et des frais médicaux(hospitalisation, actes de soins) sont alors pris en charge par lespromoteurs de l'étude. Ainsi, les propos qui suivent correspon­dent, très probablement, à une évacuation sanitaire effectuée parune équipe de recherche de 1'IRD :

REPRÉSENTATIONS ET USAGES DE LA RECHERCHE 45

«Moi, j'avais un enfant dans un projet de l'Orstom qui étaitgravement malade. Ils l'ont amené jusqu'à Kaolack et je n'airien payé. »

Habitant de Ngayokhème, février 2007.

Ces extraits d'entretiens présentant la recherche cliniquecomme un ensemble d' « aides» illustrent la manière dontl'institution française est envisagée comme un prestataire, maisaussi comme un partenaire en matière de santé. Ces représenta­tions essentiellement positives de la recherche scientifique sontinfluencées par la réalisation - concomitante ou non - de presta­tions sanitaires gratuites pour des habitants de la zone d'étude,qui ne font pas forcément partie des recherches cliniques àproprement parler. En effet, en marge de la recherche clinique,des évacuations sanitaires, des soins et des diagnostics sontrégulièrement effectués par les infirmiers, médecins, enquêteurset chauffeurs de l'IRD. Ces prestations sont généralement réali­sées dans le cadre d'activités de soutien aux agents des postesde santé, mais elles peuvent également être effectuées à titrepersonnel, lorsqu'un médecin est sollicité en urgence par deshabitants de la région - par exemple lorsqu'il est de passagedans un village.

Par ailleurs, les promoteurs de recherche clinique rembour­sent l'ensemble des soins, quelles que soient les pathologiescontractées par les participants durant l'étude. Cette pratiques'est très tôt vue érigée en condition sine qua non de la réalisa­tion de recherches cliniques dans la zone d'étude de Niakhar.Ainsi, en application de cet accord tacite, les participantspeuvent se faire soigner gratuitement pendant toute la durée del'étude sur présentation d'une carte individuelle et anonymedans l'une des trois structures de soins de la région.

Enfin, depuis les premières études cliniques, les équipes derecherche de l 'IRD ont pris l 'habitude de transporter lespatients des dispensaires ne pouvant être soignés sur place versles centres hospitaliers les plus proches, créant un serviceambulancier particulièrement actif lorsque les équipes derecherche clinique travaillent sur le terrain et sont doncamenées à faire des aller-retour réguliers entre la zone deNiakhar et les agglomarations de Niakhar, Fatick et Dakar.

46 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

Les prestations officieuses que représentent le soutien auxdispensaires et les évacuations sanitaires ont fait l'objet denombreuses discussions au cours de l'histoire du site deNiakhar. Parfois décriées, mais la plupart du temps « accep­tées », aussi officieuses soient-elles, ces prestations de santéfont partie intégrante de l'éthique de la recherche à Niakhar.Ces pratiques brouillent cependant les représentations que leshabitants de la région ont de la recherche médicale. En effet,parce qu'elles répondent à d'immenses besoins en matière desanté qui n'attendent que d'être comblés, elles semblentconduire les habitants de Niakhar à méconnaître le caractèreexpérimental et le risque potentiel des études auxquelles ilsparticipent. De la recherche, il ne semble alors rester que lesentiment de bénéficier de soins extraordinaires.

Les voleurs de sang

Cependant, dans la zone, tout se passe comme si le discourspositif sur l 'IRD avait comme revers négatif l'irruption derumeurs de vol de sang. En effet, comme dans d'autres sites derecherche en santé en Afrique (FAIRHEAD, LEACH et al., 2006 ;GEISSLER, 2005), des rumeurs circulent à Niakhar, selonlesquelles les Blancs - les « toubabs » - voleraient le sang desvillageois pour le revendre ailleurs. Ces rumeurs, si elles font rirecertains, s'ancrent cependant dans une réalité toute spécifique àNiakhar dont elles ne peuvent être séparées : du sang est réguliè­rement prélevé aux habitants de la zone depuis 1962, car il est lespécimen biologique sur lequel se fondent la plupart des étudesépidémiologiques et cliniques. Ces prélèvements sont réalisésauprès d'une population qui, nous l'avons bien vu, a tendance àconsidérer l'IRD comme un prestataire de soins. Plusieurséléments propres au système symbolique sérère et au fonctionne­ment des recherches de l 'IRD dans la région nous aideront àmieux comprendre le sens de ces accusations de vol de sang.

Le sang et sa manipulation renvoient, dans la culture sérère- comme cela a été montré dans d'autres groupes sociaux enAfrique de l'Ouest (CROS, 1990) -, à un ensemble de significa­tions et de précautions rituelles constitutives de l'ordre social

REPRÉSENTATIONS ET USAGES DE LA RECHERCHE 47

(DUPIRE, ]976 ; GRAVRAND, 1983, 1990; KALIS, 1997). Dans larégion de Niakhar, comme dans de nombreuses autres sociétésdu continent africain (FAIRI-IEAD, LEACH et al., 2006), la quantitéde sang assure la force de l'individu. Tout prélèvement sanguindoit, par conséquent, être effectué avec parcimonie pour ne pasrisquer d'affaiblir l'individu ou rompre son équilibre vital. Unprélèvement régulier ou d'une quantité jugée importante peutalors être interprêté comme la cause d'une maladie, voire d'undécès. Cette représentation du sang comme agent de l'équilibrevital de l'individu est présente à Niakhar et sous-tend les proposde ces deux habitants interrogés sur leur expérience avec l'IRD :

« J'ai eu un problème avec un de mes enfants à cause del'Orstom. On lui a retiré beaucoup de sang comme ça [l'hommeindique le creux de son bras gauche] et pas juste sur le doigt[l'homme indique l'extrémité de son index]. Ils lui ont donnédes médicaments mais, pour moi, rien ne pouvait remplacer lesang qu'on lui avait pris. [... ] Je n'ai rien dit, mais je ne vaisplus faire en sorte qu'on retire du sang à mon enfant. »

Habitant de Diohine, février 2007.

« Jeudi passé, on est allé au dispensaire. Ils lui ont pris dusang et c'est depuis qu'elle est malade. C'est la deuxième foisque ça lui arrive. À chaque fois qu'on lui prend du sang, elletombe malade. Moi je pense que quand ils lui prennent du sangça lui retire sa force. Je ne vais plus l'emmener là-bas. »

Mère d'un participant à un essai clinique,hameau de Kalôme, octobre 2007.

Dans le premier cas, la diminution du volume sanguin,consécutive à la prise de sang, est considérée comme irréver­sible et induit donc la perception d'une perte du capital de forcede l'individu pour toute la durée de sa vie. Dans le second cas,« la maladie » observée chez l'enfant est considérée comme uneconséquence des prélèvements effectués quelques jours plus tôt.Ainsi, parce qu'ils dérogent aux représentations culturelles ducorps, les prélèvements sanguins effectués dans le cadre derecherches cliniques peuvent conduire les habitants de cetterégion à avoir le sentiment d'encourir un danger.

48 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

Le sang tient par ailleurs une place importante dans les faitsde sorcellerie. Dans la culture sérère, il constitue, à l'instar de lachair, une substance qui attire les sorciers dont les actes les plusredoutés sont les meurtres par ensorcellement et les actes decannibalisme. Les sorciers sont considérés comme des êtresayant la capacité de se dédoubler ou de se transformer la nuit enanimal afin de se prêter à des actes maléfiques, comme celui del'anthropophagie (BERNAULT et TONDA, 2000). Lorsqu'ils ontleur forme humaine, ils sont des êtres humains proches, parfoisapparentés aux victimes, de la même manière que dans descontextes de sorcellerie européenne (FAVRET-SAADA, 1977).

Si tous les habitants n'accordent pas le même crédit auxallégations de sorcellerie, les suspicions sont présentes, commeen témoignent le port d'amulettes de protection et la popularitédes xoys. Ainsi, toute personne agissant en secret, ou simple­ment dont les activités ne sont pas effectuées au vu et au su detous, est facilement suspectée de sorcellerie. L'impossibilitépour les habitants de la région d'observer le parcours du sangou la manière dont il est manipulé après les prélèvements tend àsusciter des suspicions relevant du registre sorcellaire. Le faitque certains habitants de la zone d'étude fassent partie deséquipes de recherche clinique peut même constituer un facteurde suspicion supplémentaire. En effet, les actes de sorcelleriesont suspectés chez les parents les plus proches. Dans cecontexte, la méfiance à l'égard des prélèvements provient d'unmode de pensée plus large dans la société où l'infortune estinterprétée comme le résultat d'un acte de sorcellerie(ZEMPLÉNI, 1985 ; LALLEMAND, 1988). Ainsi, même si lafonction de diagnostic du prélèvement sanguin est comprise parun tiers, la suspicion d'un acte sorcellaire ou malveillant nedisparaît pas pour autant. C'est ce qu'expriment les propos dece jeune homme, en apparence contradictoires:

« Au début, j'avais des doutes à propos de la prise de sang,parce qu'un de mes copains avait eu un problème. Après qu'onlui a fait une prise de sang, il avait des troubles comme ça.Parce qu'on lui avait retiré du sang au dispensaire, il avaitenvie de mourir.

REPRÉSENTATIONS ET USAGES DE LA RECHERCHE 49

Mais pour moi, je n'ai aucun problème avec les prélève­ments de sang. Je sais qu'on ne peut pas te soigner sans qu'onte prenne du sang pour voir ta maladie. Bon, parfois il y a desrumeurs comme quoi les gens de 1'Orstom ils nous trompent,parce qu'ils nous prennent du sang sans qu'on puisse voir cequ'ils en font. Mais pour moi ce sont des ignorants.

Mais bon, des fois j'ai quand même de l'inquiétude, car jene sais pas où est ce qu'ils amènent le sang qu'ils nousprennent. »

Farba, 20 ans, village de Toucar,participant à un essai clinique, octobre 2008.

Le sang symbolise par ailleurs le système hiérarchiquesocial sérère, qui divise la société en plusieurs castes ougroupes statutaires (gelwar, doomi buur, cédo, griot, etc.') :afin que ce système hérité des suites des conquêtes mandingues(GRAVRAND, 1990 ; LERICOLLAIS, 1999) perdure, les sangs nedoivent pas être mêlés. En effet, une majorité de Sérères semarient entre membres d'un même groupe hiérarchique, c'est­à-dire entre « gens du même sang» (par exemple, les griotsentre griots et les gelwars entre gelwars). Dans ce contexte, leprélèvement sanguin répété auprès de différents individus (enfonction de leur numéro d'enregistrement à une rechercheclinique par exemple) peut être considéré comme suspect. Eneffet, cet ordre -depassage ne laisse entrevoir aucune procédurede respect du système hiérarchique sérère, alors même qu'unesubstance hautement symbolique et potentiellement polluanteest manipulée.

Les prélèvements sanguins effectués dans la zone d'étude sontgénéralement transportés au laboratoire de la station de Niakharou à Dakar. Les habitants de la zone d'étude peuvent alors

1. Les gelwars constituent une classe aristocratique sérère d'originemandingue, fondatrice de la royauté des peuples sérère-sine. Les doomi buurssont des fils de roi. Les cedos sont des individus apparentés à la famille royaleet à leurs descendants, autrefois accaparés par la fonction militaire. Lesjaraafs sont des chefs ou représentants des paysans. Les griots sont desmusiciens et poètes détenteurs de savoirs généalogiques et rituels. Les lawbessont des travailleurs du bois. Lesfarbas sont des « captifs» ou représentantsde captifs, c'est-à-dire d'anciens esclaves (LERlCOLLAIS, 1999).

50 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

suspecter qu'au cours de cette période de transport et de manipu­lation, les sangs des différents groupes hiérarchiques sérères sontmélangés. C'est ce que suggèrent les propos suivants:

« L'Orstom, leur manière de faire, c'était qu'ils allaientdans une maison et ils prenaient du sang, puis ils allaient dansune autre et ils prenaient encore du sang. Ils mélangeaient ça,jusqu'à faire une grande quantité, puis ils amenaient ça. [... ]Mais ce n'était pas à tous les enfants qu'ils prenaient unegrande quantité. S'ils voyaient que tu avais beaucoup de sang,ils te prenaient beaucoup de sang. »

Habitant de Toucar,à propos des prélèvements effectués sur son fils, février 2007.

Dans cet extrait d'entretien, l'observation des allées etvenues des enquêteurs de 1'IRD impliqués dans des recherchescliniques est essentiellement associée à l'activité de collecte desang. Cet homme - au nom de famille noble - est particulière­ment inquiet de la possibilité que les sangs des différentsgroupes hiérarchiques de son village soient mêlés. Plus encore,il est inquiet que le sang de son fils, qu'il considère être en plusgrande quantité et peut-être de meilleure qualité, soit souillé parles autres sangs. Ce type de « mélanges présupposés» peutégalement nourrir des suspicions de manipulations occultes,susceptibles de nuire à la santé en raison de la rupture avec desprécautions rituelles autour du sang.

Les habitants de la zone d'étude de Niakhar sont certaine­ment d'autant plus attentifs aux modalités des prélèvementssanguins que les motivations et les explications données pourexpliquer leur réalisation sont souvent incomplètes ou du moinsimparfaites. Les professionnels de la recherche clinique sontconscients des craintes que suscitent les prélèvements sanguinsdans la zone d'étude, mais ils les réduisent souvent à uneréticence due au taux élevé d'illettrisme ou encore auxcoutumes locales jugées archaïques. A contrario, ils question- .nent rarement les limites avérées du consentement libre etéclairé (LEACH, HILTON et al., 1999 ; KODISH, EDER et al., 2004 ;MOLYNEUX, PESHUA et al., 2005 ; COUDERC, 2011 ; NEWTON etApPIAH-POKU, 2007 ; OUVRIER, 2008).

REPRÉSENTATIüNS ET USAGES DE LA RECHERCHE 51

Les médecins et professionnels de la recherche cliniqueexpliquent par conséquent régulièrement aux habitants de lazone d'étude de Niakhar que le prélèvement sanguin est le seulmoyen d'effectuer un diagnostic biomédical précis. Cependant,ce discours ne constitue qu'une réponse très partielle aux appré­hensions de ces derniers. Il ne donne par exemple pas d'infor­mations sur les raisons de la réalisation aussi fréquente de prélè­vements sanguins, ni pourquoi aucun résultat ne leur est trans­mis. Lorsque je me rendais dans la zone d'étude, il étaitfréquent qu'on m'interpelle en tant que « toubab de l'IRD »,pour me demander des résultats d'examens sanguins. « L'IROc'est bien, mais ils pourraient au moins nous donner notregroupe sanguin », m'expliquait ainsi un habitant deNgayokhème. Il faut donc peut-être aussi voir dans ces rumeursde vol de sang une question détournée concernant le fonctionne­ment de l'économie de la recherche médicale. « L'IRO, ilsdonnent beaucoup, mais on sait qu'ils prennent aussi », medisait ainsi un habitant de Oiohine pour me signifier qu'il nepartageait pas le discours univoque et élogieux d'autreshabitants. La question des habitants sous-jacente à ces chimèreset inquiétudes exprimées autour du sang pourrait ainsi être:quel est le lien entre les prestations de soins que nous percevonset le fait que nous donnions notre sang, sans que nos résultatsnous soient communiqués?

Cette possibilité d'envisager les rumeurs de vol de sangcomme l'expression contournée du malaise induit par la situa­tion de recherche médicale au Sud rejoint les analyses propo­sées par Wenzel Geissler à ce sujet (GEISSLER, 2005). À traverssa propre expérience en tant que chercheur blanc, accusé d'êtreun voleur de sang dans un site de recherche scientifique enmilieu rural kenyan, il propose de considérer ces accusationscomme un idiome qui vient catalyser les différentes tensions dela vie sociale et scientifique. Il considère les accusations de volde sang comme un moyen d'expression des tensions entrechercheurs étrangers et sujets d'étude qui ont été provoquéespar des situations passées et présentes. À Niakhar, ces rumeursviennent inévitablement dire quelque chose sur la manière dontles habitants acceptent ou non le caractère expérimental desrecherches conduites par l'IRD depuis 1962.

52 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

L'IRD et les professionnels de la recherche

Si les agents de l'IRD - les Irdiens' - ne peuvent se repré­senter les recherches menées à Niakhar de la même façon queles habitants de la région, ils ne les considèrent pas pour autantcomme de banales activités de recherche. Au cours de cetteétude, plusieurs chercheurs et administrateurs de l'institutionm'ont fait part de leur malaise concernant les activités deNiakhar, évoquant un dispositif de recherche dérangeant, unesituation délicate avec laquelle il était difficile d'avoir de ladistance. Ainsi, malgré l'usage d'un langage bureaucratique ettechnico-scientifique qui tend à normaliser les activités del'IRD dans la zone d'étude, les observations et discoursrecueillis montrent que la recherche n'y est pas seulementenvisagée par le biais de son contenu et de ses objectifs scienti­fiques. Certains agents ont développé des relations proches avecles « gens de la zone », qui ont ainsi intégré leur cercle familialou intime, alors que d'autres ont opté pour une relation distan­ciée. Dans les pages suivantes, je montrerai comment laprésence de l'IRD à Niakhar est capable de susciter desvocations caritatives tout en faisant ponctuellement resurgir lefantôme du colonialisme.

Les vocations caritatives

Comme cela a été signalé précédemment, la frontière entrerecherche et développement n'est pas clairement définie pourles habitants de la zone de Niakhar. Cette frontière ne semblepas toujours non plus bien claire au sein de l'institution.Comme me l'expliquait un des responsables de l'IRD auSénégal: « Si vous demandez à dix chercheurs ce qu'est la

2. Le terme « irdien » (prononcé I R dien) est utilisé dans le vocabulaireoral et certains documents écrits internes de l'IRD pour dénommer les agentsde l'IRD. Ce dénominatif permet d'insister sur la culture institutionnelle de larecherche que les agents partagent et incarnent. Lorsque l'IRD s'appelaitl'Orstom, on parlait alors des Orstomiens.

REPRÉSENTATIONS ET USAGES DE LA RECHERCHE 53

recherche pour le développement, vous aurez dix réponsesdifférentes. »

L'absence de définition consensuelle de la recherche pour ledéveloppement semble particulièrement problématiquelorsqu'on évoque la question des évacuations sanitaires effec­tuées à Niakhar depuis les années 1970. Dans le monde socialde la recherche à Dakar et à Niakhar, les évacuations vont de soiet sont intégrées aux activités de recherche.. presqu'au mêmetitre que les procédures de laboratoire. À Niakhar, on fait desévacuations sanitaires et on assure le suivi médical de la popula­tion ; c'est ce que tous les nouveaux médecins, infirmiers etchauffeurs arrivant dans la zone apprennent. Cette pratiqueofficieuse de la recherche est également validée au cours desannées 2000 par les bureaucrates de l'institution, puisqu'enl'absence de programmes de recherche clinique ou d'acquisitionde budgets à cet effet, ces prestations sanitaires sont tout demême effectuées, mais à moindre échelle. Les crédits sont alorsmobilisés sur le budget interne de l'IRD3

• Ainsi, lorsque lesévacuations sont exprimées en termes de « prise en chargemédicale» et d' « évacuations sanitaires », il s'opère un glisse­ment du rôle de la recherche vers celui du développement, voirede l'aide caritative.

D'autres aspects propres à la recherche peuvent égalementêtre envisagés comme relevant du registre caritatif. C'est le cas,notamment, de l'emploi préférentiel des habitants de la région.En effet, l'emploi d'habitants de la région est une règle impli­cite que tous les chercheurs et coordonnateurs de programmesqui souhaitent réaliser une étude dans cette région respectent.Cette habitude s'explique en partie par le fait que les habitantssont en mesure de traduire la langue sérère et qu'ils facilitent laréalisation des recherches grâce à leur connaissance du terrainet des gens de la zone. Ces emplois constituent également unmoyen de présenter la recherche scientifique comme un outil dedéveloppement économique local. En effet, l'emploi d'habitantsde la zone d'étude, nécessaire à la réalisation des recherches del'IRD, est parfois présenté comme une activité de développe-

3. Propos recueillis en 2007 au siège de l'IRD à Dakar.

54 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

ment aux visées altruiste et modernisatrice. Ces emplois nerelèvent pourtant pas uniquement d'une telle démarche car,exprimés en termes de capacity building, ils font partie del'agenda des chercheurs de l'IRD et de leur évaluation. Dans cecontexte où les intérêts des chercheurs rencontrent ceux deshabitants de la zone, il est aisé de glisser d'une représentationde l'institut comme organisme scientifique vers celle d'uneorganisation qui a pour but d'injecter des crédits et de créer desemplois.

Ces services apportés par les Irdiens à Niakhar - que l'onpeut qualifier de caritatifs, d'humanistes ou d'humanitaires ­ont des significations multiples. Ils peuvent être expliqués par ledésir conscient ou inconscient d'effectuer un contre-don auxpopulations pauvres de cette région qui participent à des étudesexpérimentales, en leur permettant d'accéder à une prise encharge médicale gratuite le temps de l'étude. Ils peuvent égale­ment constituer, pour certains chercheurs, une mesure incitativeà la participation des habitants de cette région aux futuresrecherches cliniques qui leur seront proposées. Enfin, pourbeaucoup d'agents de l'IRD dont les recherches reposent sur ladisponibilité des habitants pauvres de la zone, il s'agit certaine­ment d'un moyen de rendre l'économie de la recherche bilaté­rale moins inégale. En effet, les agents de l'IRD disposent desalaires beaucoup (beaucoup) plus importants que les habitantsde la zone pour réaliser des études à Niakhar, alors que leshabitants de cette région, qui manquent de ressources en tousgenres, ne sont jamais rémunérés pour leurs réponses. C'estdans ce complexe réseau de significations que doivent êtreabordées ces activités.

Cette vocation caritative de l'IRD a d'autant plus tendanceà passer inaperçue qu'elle fait écho à l'objectif affiché del'institut depuis 1998 d'œuvrer pour le développement des paysdu Sud. Un collègue de Niakhar, qui jouait de cette ambigüité,me disait souvent à propos de financements qu'il voulait acqué­rir pour développer des activités culturelles dans son village :« L'IRD, ce n'est pas que le développement de la recherche,c'est le développement des gens aussi. »

Enfin, si ce qui relève du développement de Niakhar ne faitpas toujours l'objet d'un consensus entre chercheurs, adminis-

REPRÉSENTATIONS ET USAGES DE LA RECHERCHE 55

trateurs, enquêteurs et habitants, l'urgence médicale des plusdémunis met en général tout le monde d'accord. En 1995, deséquipes de chercheurs de l'Orstom ont signalé une épidémie decholéra dans la zone. Ils ont mobilisé des fonds auprès de lacoopération française afin que les postes de santé de la régionpuissent assurer la prise en charge médicale, faute de pouvoir sereposer sur un dispositif national. Cet épisode, qui est restégravé dans les mémoires, conduit des professionnels de l'lRD etdes fonctionnaires de santé à considérer que le maintien de lasanté des habitants de la zone est une charge qui incombe autantà l'lRD qu'à l'État sénégalais., Dans un autre registre, mais toujours au sein de l'institution,

il est important de noter qu'un véritable dispositif caritatif a étémis en plus dans la zone de Niakhar depuis 2004-2005. Eneffet, les administrateurs de l'lRD en France font acheminerchaque année des médicaments, du matériel scolaire, ponctuel­lement des jouets ou encore des livres à l'intention deshabitants. La distribution du contenu de ces envois est déléguéeà un chercheur de l'lRD, qui habite dans la région. Ces trans­ferts de biens sont effectués par le biais de deux associations,indépendantes de l'lRD - l'une située à Montpellier et l'autre àParis" -, dans l'objectif affiché d'aider les habitants de larégion. Elles ont été créées par deux collectifs d'administrationsà la suite d'un voyage d'entreprise au Sénégal: voyage organisépar l'institut afin que ses agents de la métropole puissentprendre connaissance du contexte dans lequel travaillent leurscollègues locaux et expatriés. La visite de Niakhar constituesouvent le temps fort du voyage de ces professionnels qui réali­sent - parfois pour la première fois- les difficultés auxquellessont confrontés les habitants des pays en voie de développement(délabrement des structures de santé, accès difficile à l'eau et àl'éducation, pathologies endémiques mortelles, conditions detravail difficiles).

L'objectif et la genèse de l'une de ces associations sontexplicités dans un fascicule à l'attention du public de la manièresuivante:

4. Ces deux villes ont accueilli les deux principaux pôles de gestionadministrative de l'institution jusqu'en 2008.

56 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

« [L'association] est une association régie par la loi du1cr juillet 1901 et le décret du 16 août 1901. Elle a pour objet devenir en aide principalement aux dispensaires et écoles de lazone de Niakhar, Sénégal, en collaboration avec les respon­sables locaux des dispensaires et des écoles. L'association peutaussi intervenir dans d'autres zones du Sénégal sur étude dedossier. L'aide est surtout constituée d'envoi de colis, mais ellepeut être d'un autre ordre. »

« [L'association] est née de la volonté d'un grouped'hommes et de femmes de France ct du Sénégal désirant s'unirpour aider des enfants dans leur scolarité et permettre l'accèsaux soins aux personnes les plus démunies. »

Le terme de « zone de Niakhar » utilisé dans le fascicule deprésentation de cette association constitue un vocabulairepropre à la sous-culture professionnelle irdienne, qui ne corres­pond à aucun découpage géographique national. Il témoigne del'inextricable lien qui unit cette démarche associative et l'IRD.Pourtant, l'origine de cette association est présentée comme sicelle-ci était le fruit d'une rencontre entre des acteurs dont lesrapports seraient totalement dénués d'enjeux de pouvoir etd'influence et dans le seul souhait de s'entraider. Paradoxalement,comme l'illustrent les propos suivants, l'argument qui est misen avant pour légitimer l'envoi de colis est essentiellementlogistique:

« On travaille sur cette zone parce que ça nous permetd'avoir une sécurité sur l'acheminement. Le problème souventde cc genre d'association, c'est qu'ils ont des problèmesd'acheminement, c'est pour cela qu'on a choisi la zone d'étudede Niakhar. »

Présidente d'une des associations d'Irdiens pour Niakhar,février 2008, village de Niakhar.

Comme c'est le cas dans de nombreux organismes, le trans­fert de biens matériels identifiés comme des besoins (médica­ments, cahiers, stylos, livres) ne peut être envisagé que commeune bonne action. Ce sentiment d'être au-delà de tous soupçons,car œuvrant pour le bien des plus démunis, est probablement

REPRÉSENTATIONS ET USAGES DE LA RECHERCHE 57

accru du fait que les habitants de la région considèrent laplupart du temps ces transferts de biens comme « de bonneschoses ». En effet, pour la majorité des professionnels habitantou travaillant dans la zone d'étude, ces associations sont bienperçues, car elles répondent à des besoins auxquels ni legouvernement, ni les chefs de familles de ces villages, ni mêmeles programmes de recherche de l 'IRD ne sont en mesure derépondre directement. Cependant, si ces activités sont la plupartdu temps socialement appréciées, elles conduisent égalementcertains enquêteurs locaux et agents administratifs de Dakar àse questionner sur les raisons qui font que ces transferts debiens ne sont pas effectués plus régulièrement.

Dans ce contexte, il est légitime de se demander dans quellemesure, en encourageant la vocation caritative de l'institution,ces activités ne viennent pas nourrir une situation déjà bienambiguë, En effet, étant donné que ces associations exercentleur activité depuis la France, elles ont recours, pour acheminerleurs dons, à des personnes relais qui ne sont autres que desagents, enquêteurs ou chercheurs de l'IRD travaillant dans lazone d'étude. Ces associations conduisent ainsi les habitants decette région à recevoir des dons, en matière de santé ou dans ledomaine éducatif, des mains des personnes qui leur ont proposédans le passé ou leur proposeront dans l'avenir de participer àun essai clinique ou une étude épidémiologique. Ces associa­tions confortent certains agents de l'IRD comme les habitantsde la région dans l'idée que le rôle de l'institution estd' « aider» les indigents de la région.

Le fantôme du colonialisme

Si la démarche caritative de l'IRD à Niakhar conduit certainsà considérer l'institution française comme un substitut légitimede l'État en matière de santé, il n'est pas totalement incroyablede voir émerger à d'autres moments, par des processus delecture simplifiée des enjeux de la recherche, un discours faisantresurgir le fantôme du colonialisme. Les discours des agents de1'IRD, glanés au détour de conversations informelles ou àl'occasion de la visite annuelle du site par des agents adminis-

58 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

tratifs de l'institut, ont été les moments privilégiés de l'expres­sion de ce fantôme.

« Ce sont des cobayes. L'IRD a ses cobayes à Niakhar. Moije le dis ouvertement» : c'est par cette phrase franche etlaconique que commence un de mes premiers entretiens avec unagent de l'IRD sur le campus de Hann. Salif travaille depuisplus de dix ans pour l'institution française et s'est même renduune fois sur le site de Niakhar, mais cela ne l'a pas fait changerd'avis, au contraire. Il n'est aucunement en contradiction avecle discours de certains journalistes sénégalais qui, ponctuelle­ment, publient des articles sur Niakhar en qualifiant leshabitants de la région de cobayes.

Bien que le terme « cobaye » ne soit pas systématiquementconnoté péjorativement', l'utilisation banalisée de ce terme vientici exprimer une forme d'asservissement des habitants de larégion par l'institut français. Ce terme suggère que des hommes,au nom de la science et de la médecine, manipulent d'autreshommes au point de les considérer comme des animaux (delaboratoire). Il sous-entend également l'idée de mener des activi­tés de recherche l:\.U nom du progrès, sans considération éthique.

D'autres discours et rumeurs véhiculent l'image d'unerecherche irdienne asservissante à Niakhar. Ainsi, après avoir

. séjourné à Niakhar, cette responsable d'un service parisiensous-entendait qu'un chercheur de 1'IRD faisait passer sesintérêts scientifiques avant la santé des habitants de la région:

« II Y a des gens qui disaient que Jérôme (chercheur enpaludologie) ne voulait pas donner de moustiquaires auxhabitants de Niakhar pour pas que ça gène ses recherches[grimace venant exprimer son dégoût]. »

Aurélie, agent de l'IRD, mars 2008, Paris.

Dans cet extrait, la rumeur sans fondements qui est rapportéesuggère qu'un chercheur de l'IRD empêche les habitants de lazone de Niakhar d'accéder à un moyen de prévention de la

5. Communication personnelle, Aline SARRADON-EcK, août 20 10, à proposd'une étude réalisée en 2009 à Marseille sur les perceptions de la rechercheclinique sur le cancer.

REPRÉSENTATIüNS ET USAGES DE LA RECHERCHE 59

transmission du paludisme (les moustiquaires) - endémiquedans cette région - afin de garantir la bonne réalisation desrecherches cliniques qu'il coordonne. Cet agent de l'IRDassocie la réalisation d'essais préventifs sur le paludisme àNiakhar à la négligence d'un chercheur qui placerait ladémarche expérimentale avant le respect de la vie humaine. Cediscours renvoie à l'image du savant fou, diffusée en France demanière intensive entre 1880 et la Première Guerre mondialedans le théâtre satirique, dans lequel la médecine apparaîtcomme une « magie dangereuse »6. Pour le savant fou, lascience et / ou la médecine constitue(nt) un moyen de réaliserses désirs les plus absurdes sans que ceux-ci ne fassent J'objetde limitations. Ces propos peuvent également être rapprochésd'une image plus contemporaine de la médecine qui, au traversde l'industrie du médicament, est associée, comme l'a démontréPhilippe Urfalino, au « grand méchant loup» (URFALINO, 2005).Cette rumeur renvoie dans tous les cas à la question des limiteset du cadre dans lesquels doivent être réalisées les étudesexpérimentales sur l'homme, question qui a jalonné toutel'histoire de l'expérimentation en Europe (CHAMAYOU, 2011).

Lorsque les études cliniques ont pour objectif de mesurerl'efficacité d'un traitement préventif, les participants sont sélec­tionnés en raison de leur risque d'exposition à une pathologiegénéralement lié à leurs lieux et / ou modes de vie. La mesurede l'efficacité des traitements expérimentés nécessite donc queles participants soient exposés aux divers risques de transmis­sion afin que l'influence potentielle du traitement sur la trans­mission de la pathologie étudiée puisse être mesurée. La réalisa­tion de ce type de recherche a conduit à d'importantespolémiques dans le champ du VIH-sida (LABoRDE-BALEM,2007 ; MSELLATI, 2007). Parmi les questions éthiques qui ontété soulevées figurait celle de savoir quels sont, dans les essaiscliniques préventifs, les dispositifs qui permettent aux partici­pants de disposer des meilleures conditions pour ne pas risquerd'être contaminés, tout en permettant aux chercheurs demesurer le risque de transmission.

6. Communication personnelle, Anne Marie MOULIN, août 2010.

60 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

Qu'elles prennent la forme d'une déshumanisation (« anima­lisation ») de l'homme en cobaye ou celle d'une incarnation dumal (savant-fou ou organisme au service du « grand méchantloup» pharmaceutique), les représentations de certains irdienssemblent en filigrane parler d'une ancienne forme de subordina­tion : celle de l'assujettissement de l'homme noir par l'hommeblanc dans le cadre du projet colonial. La zone d'étude apparaîtalors à certaines occasions comme la résurgence ou larémanence du dispositif colonial.

À l'occasion de la visite annuelle de la plateforme derecherche de Niakhar par une trentaine de professionnels del'administration venus de France en 2007, un désaccord entredeux agents de l'IRD sénégalais et français vient mettre desmots sur cet assujetissement singulier. Lors du déjeunerorganisé à la station, après la visite du village de Toucar, unagent sénégalais de l'IRD fait part de son indignation face àl'état de l'une des structures de santé et accuse l'institution dene pas investir suffisamment dans les structures de soinslocales. Un autre agent français de l'institution, travaillant danscette région depuis plusieurs années, lui coupe la parole et luirétorque que l'IRD a fait de nombreuses choses pour aider leshabitants de Niakhar, mais que ce n'est pas le rôle de l'institutde restaurer les structures publiques, mais celui de l'Étatsénégalais. Les propos de l'agent français sont immédiatementtaxés de « colonialistes », le déjeuner festif coupe court et ladélégation finit son séjour, outrée d'avoir vu et entendu de tellesatrocités.

Lors de la même visite par d'autres agents l'année suivante,réémerge le spectre du colonialisme. Un agent de l'institution,Aurélie, qui fait partie d'une des associations venant en aideaux habitants de la zone d'étude, décide, avec d'autrescollègues, de contourner les ordres du chercheur responsable dusite de Niakhar lorsqu'elle est sur place, afin de délivrer commeelle le souhaitait les jouets et les médicaments qu'elle avaitréunis avec ses collègues au préalable depuis Paris. Le respon­sable de la zone de Niakhar de l'époque ne souhaitait pas que

. des médicaments soient distribués à l'occasion de cette visite,pour éviter de nourrir l'amalgame entre les activités desassociations et celles de l'IRD. Mais, compte tenu de la charge

REPRÉSENTATIONS ET USAGES DE LA RECHERCHE 61

symbolique de Niakhar et peut-être de l'engouement collectif,son attitude est perçue comme une décision arbitraire, voireimmorale.

« Ils ne voulaient pas qu'on leur donne des médicaments,mais on avait des jouets et on a dû les donner en cachette parceque Marc [NDA : le directeur de l'unité] ne voulait pas qu'onle fasse. »

Aurélie, agent de l'IRD, Paris, mars 2008.

Pour certains professionnels de l'IRD qui pensent quel'institution ne fait pas assez pour les habitants de la zoned'étude de Niakhar, se voir refuser de donner est interprétécomme une preuve supplémentaire du positionnement injuste decertains chercheurs. Aurélie m'expliqua ainsi avoir été outréepar le comportement néocolonial des chercheurs de Niakhar.

Cette vision « néocolonialiste» de l'IRD dans la zone deNiakhar, soit parce que l'institution réalise des recherchescliniques sur ces habitants pauvres de la région de Niakhar, soitparce qu'elle ne soutient pas assez les structures de santé localesou encore parce qu'elle n'autorise pas les aides ponctuellesd'administrateurs de passage, peut aussi être interprétée commel'expression d'un conflit interne entre les administrateurs et leschercheurs de l'institution. En effet, c'est souvent l'autorité deschercheurs, dont les intentions ou choix sont taxés d'impéria­listes, qui est en réalité remise en question par les agentsadministratifs lorsqu'ils décident, malgré tout, de délivrer encachette de l'aide aux habitants.

Le fantôme colonial semble ici tenir le même rôle de cataly­seur social que les rumeurs de vol de sang décrites plus haut.En émergeant à l'occasion d'une rencontre entre Irdiens etNiakharois, l'analyse colonialiste des activités ou positions decertaines recherches à Niakhar vient ainsi mettre au cœur dudialogue un ensemble d'éléments propres à la vie d'entreprisede 1'IRD, à l'histoire coloniale franco-africaine et auxquestions éthiques et pratiques que pose la recherche pour ledéveloppement.

Les pages suivantes nous permettront d'approfondir lesreprésentations de la recherche à Niakhar. Nous nous intéresse-

62 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

ront aux usages et appréciations qui sont faits sur place de deuxdisciplines emblématiques de l'histoire du site : la recherchemédicale et la démographie.

Usages de la recherche et capital de développement

Dans une réflexion qu'il livre à l'Institut national de larecherche en agronomie (Inra) en 1997, Pierre Bourdieu expliqueque l'étude des usages sociaux de la science passe par celle duchamp scientifique qu'il définit comme « un univers dans lequelsont insérés les agents et les institutions qui produisent la science.Il s'agit d'un monde social comme les autres qui dispose d'undegré d'autonomie variable selon la discipline ou le typed'organisation scientifique auquel il réfère» (BOURDIEU, 1997).Le champ scientifique est aenvisagé comme l'utilisation quefont les mathématiciens, géographes, biologistes, etc. du« capital scientifique pur» et du « capital scientifique d'institu­tion ». Le capital scientifique « pur» est acquis grâce à la publi­cation d'articles dans des revues à comité de lecture, tandis quele capital scientifique d'institution est obtenu par des stratégiesau sein des institutions de la recherche (jurys, réunions,concours), les deux étant mobilisés de façons différentes selonles acteurs, les institutions et les domaines de recherched'appartenance (BOURDIEU, 1997, p. 30).

Je montrerai, dans les paragraphes suivants, que le « capitalde développement » est un concept pertinent pour analyser lesusages et les représentations plus spécifiques qui sont faits de larecherche à Niakhar. Le développement y sera défini comme lapossibilité de greffer des ressources et / ou des techniqueset / ou des savoirs dans un environnement donné (OLIVIER DE

SARDAN, 1995). Comme nous le verrons, le capital de dévelop­pement est un révélateur des jeux de légitimité scientifique etsociale, mais aussi de l'interdépendance qui caractérise lesrelations entre les essais cliniques et le suivi démographique.

REPRÉSENTATIONS ET USAGES DE LA RECHERCHE 63

Le poids de la recherche médicale

Pour chaque nouvelle étude clinique, il est de coutume que lespostes de santé locaux - qui servent de lieu d'enrôlement et deconsultation - soient rénovés. Dans la mesure du possible, toutesles structures de soins de santé primaire dans lesquelles se dérou­lent les recherches en santé de l'IRD sont donc réaménagées etéquipées. Ainsi, lorsque je me suis rendue pour la première fois àla station de Niakhar et dans les dispensaires de la région, laconstruction de chaque parcelle de bâtiment et l'installation dechaque outil technique m'ont été présentées en y associant systé­matiquement le nom du chercheur ou de l'étude clinique qui avaitinduit sa construction: « Le frigo, c'est le projet coqueluche, lapeinture, c'est le projet de tel chercheur, etc. »

La réalisation de recherches médicales en Europe comme enAfrique nécessite de mobiliser d'importantes sommes d'argentpour salarier les professionnels de la recherche et de la santé,pour éventuellement les former à des techniques spécifiques,pour acheter du matériel et, selon le contexte, pour aménagerdes plateaux techniques dans les structures de soins quiaccueillent ces études. À Niakhar, les moyens financiers mis àla disposition des individus sont particulièrement remarqués etappréciés du fait du contexte de pauvreté, mais aussi del'accumulation des biens et services obtenus à chaque nouvellerecherche (emplois locaux, rénovation du dispensaire, évacua­tions sanitaires, formations professionnelles diverses, etc.).Cette constance dans le flux de biens matériels et immatérielsde la recherche médicale rend celle-ci particulièrement visible.Cet aspect confère à la recherche médicale un capital dedéveloppement très aisément perceptible dans la zone deNiakhar.

Les emplois de techniciens créés par la recherche médicale- majoritairement recrutés dans la zone d'étude ou dans levillage de Niakhar depuis la fin des années 1980 - représententl'aspect le plus populaire du « capital de développement ».L'IRD fait l'objet de sollicitations permanentes à ce sujet. Leshabitants de la zone sont souvent prévenus d'un projet d'étudeavant même qu'il commence, tant les emplois qu'il peutgénérer sont convoités.

64 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

Il est d'ailleurs intéressant de remarquer que les souvenirsdes différents enquêteurs et chercheurs ayant travaillé pour desessais cliniques à Niakhar tournent autour des notions deprospérité et d'abondance, au-delà de l'aspect expérimental dela recherche. La recherche médicale est en effet souvent perçuepar les enquêteurs locaux comme une expérience de sécuritéinédite en matière de santé, un pan particulièrement probléma­tique de la vie sociale à Niakhar dont ils se trouvent momenta­nément déchargés autant que les populations. Les enquêteursévoquent aussi parfois les projets personnels qu'ils ont pu réali­ser ou financer grâce à leur travail dans la recherche (mariage,baptême, construction d'une case, émancipation des règlesfamiliales). Dans tous les cas, ces souvenirs sont fréquemmentassociés à des expériences d'opulence de moyens et de partageavec les habitants de la région.

Cette association de la recherche à une forme d'abondancene se focalise pas seulement sur la délivrance de soins de santé,mais s'étend à une dynamique sociale plus vaste. Les techni­ciens de la région se remémorent ainsi souvent, avec nostalgie,les nombreuses personnes qu'ils ont pu rencontrer lors de cesétudes ainsi que les grands repas collectifs et les « fêtes » quiétaient organisés. Des chercheurs de nationalités différentes,aussi bien africains qu'européens, ont souvent été amenés àcôtoyer les intermédiaires locaux et les habitants de la régionlors d'études cliniques à Niakhar. Le responsable d'un desgrands essais vaccinaux réalisés à Niakhar m'expliquait ainsique l'équipe qu'il coordonnait était composée d'une cinquan­taine de personnes, d'une équipe médicale africaine très jeune,de collègues européens. Il mentionnait avec amusement quel'ambiance était bonne et que deux membres de l'équipe avaientmême fini par se marier. Cet aspect cosmopolite est une desexpressions du capital de développement de la recherchemédicale qui permet de transformer les flux d'argent en flux debiens, de relations et de services. La transformation du capitalfinancier en capital social est ici très bien exprimée par unenquêteur de recherche à Niakhar, à propos de son expériencedans un essai clinique réalisé dans les années 1990 :

REPRÉSENTATIONS ET USAGES DE LA RECHERCHE 65

« Bon, quand on a commencé les essais cliniques, comme ily avait le médecin qui avait toujours son sac de médicamentsavec lui dans la voiture et que n'importe quel gosse qu'il voyaitdans la zone, il le traitait sans demander d'argent. Et vraimenttout le monde. C'était vraiment bon. Parce qu'ici chez nousvraiment, bon avec la pauvreté, les parents n'ont vraiment pasle temps d'amener les enfants au dispensaire. Mais quand ilsont vu vraiment le médecin traiter les gens gratuitement, bon,tout le monde voulait avoir de bonnes relations avec nous. [... ]Et puis, à la station, il y avait beaucoup plus de personnel,parce qu'il y avait les six médecins, chacun était véhiculé, onétait onze enquêteurs, deux superviseurs plus le chef de stationavec la cuisinière. Vraiment ici, il y avait l'animation! »

Modou, enquêteur de recherche,février 2007, village de Niakhar.

Les essais cliniques réalisés à Niakhar ont par ailleurspermis d'améliorer l'aménagement de la station qui sertaujourd'hui de base logistique aux équipes de recherche. Leparc automobile de la station, qui dispose de plusieurs véhiculestout-terrain et de motocyclettes, a été constitué en grande partiegrâce aux essais cliniques et continue de s'agrandir à chaquenouvelle étude. Ces apports matériels issus du champ de larecherche médicale ont fait de cette « station» une base logis­tique complète que les chercheurs de toutes disciplines peuventaujourd'hui utiliser pour réaliser des études dans la région.L'IRD reçoit également des promoteurs de la recherche unesomme d'argent - pour couvrir les frais administratifs dus àl'étude - qui peut ensuite servir pour partie à la réalisationd'autres activités. De manière plus générale, les crédits résiduelsde ces études sont utilisés pour financer des recherches dansd'autres domaines, comme la démographie.

Si l'abondance de moyens, d'emplois, de festivités etd'activités est aisément abordée avec enthousiasme par lesenquêteurs, chercheurs et agents de santé de la zone, cetteabondance est, a contrario, mentionnée avec plus de retenue parles administrateurs de la recherche et les professionnels issusd'autres domaines de recherche. En effet, bien que le champ dela recherche médicale tienne une place importante dans

66 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

l'histoire de la zone d'étude de Niakhar', c'est la recherchedémographique qui est « affichée» sur le site Internet consacréà la zone d'étude de Niakhar. C'est d'ailleurs le suivi démogra­phique que l'institution s'est attachée à soutenir financièrement.Il est en effet à la base des activités de recherche de Niakhar. Larecherche médicale est néanmoins valorisée par l'institut, carelle s'insère dans le projet politique de l'IRD dont l'un desobjectifs majeurs est de participer à la lutte contre les maladiesémergentes comme au développement économique, social etculturel des pays du Sud (IRD, 2010).

Le fort capital de développement de la recherche médicalesemble avoir marqué aussi bien les mémoires des gens de lazone que celles des enquêteurs. De leurs côtés, les chercheursengagés dans des essais cliniques savent très bien qu'ils bénéfi­cient de budgets supérieurs à ceux des autres disciplines et queleurs activités auront un impact économique et sanitaire impor­tant. Certains scientifiques considèrent d'ailleurs que l'apportéconomique des essais cliniques est aussi important quel'apport scientifique. Les études sont en effet parfois envisagéescomme des moyens de développer les structures sanitaireslocales et de fournir des soignants de qualité ou encore unservice ambulancier le temps de l'étude. Les figures de larecherche médicale, qui sont souvent des médecins ouest­africains, bénéficient d'ailleurs localement de réputations singu­lières. En effet, les médecins sont ceux dont on se souvient leplus. On parle de leurs exploits en mentionnant les maladiesrares qu'ils ont diagnostiquées ou la manière dont ils ont résoluune situation d'urgence. Ainsi, lors d'une séance d'informationdans un des villages, alors qu'une habitante de la zone venait defaire l'éloge d'un médecin connu de l'IRD qui dirige des étudescliniques dans la zone, un enquêteur issu de la région se moquagentiment d'elle en lui disant que tout le monde savait qu'elleprenait ce chercheur pour un Dieu ... La recherche médicale à

7. La majorité des publications scientifiques concernant cette régionprovient du champ de la recherche médicale. Sur les 533 articles que réperto­rie la base Horizon de l'IRD au moment de l'enquête, une majorité d'articlesconcerne des études épidémiologiques et cliniques et renvoie, plus générale­ment, à des questions de santé publique: http://horizon.documentation.ird.fr

REPRÉSENTATIONS ET USAGES DE LA RECHERCHE 67

Niakhar est cependant dépendante du suivi démographique quine dispose pourtant que d'un faible capital de développement.

Une compréhension insuffisante de la démographie

Le suivi démographique est l'activité de recherche àl'origine de la création de la zone d'étude de Niakhar. Il s'agitégalement de la seule activité qui est réalisée de manière conti­nue et ne fonctionne pas sur le mode « projet ». Le suividémographique consiste à interroger les habitants de la régionafin d'enregistrer différents événements les concernant(grossesses, naissances, mariages, décès, sevrages, migrations,vaccinations, etc.) qui sont par la suite saisis sur une base dedonnées informatique. Ce travail est aujourd'hui réalisé troisfois par an grâce à cinq enquêteurs spécialisés qui visitentannuellement les 2000 concessions de la zone d'étude. En 2007,l'unité de recherche spécialisée dans la démographie est cellequi est chargée de la gestion administrative et logistique de lastation de l'IRD dans la région.

L'association de la démographie et de la recherche médicalen'est pas un hasard à Niakhar. Le site de suivi démographiquede Niakhar, comme sa dizaine d'homologues répartis enAfrique et en Asie", présente de nombreux avantages pour lespromoteurs d'essais cliniques. Niakhar permet en premier lieuaux investigateurs d'études cliniques de mobiliser des popula­tions déjà référencées dans une base de données et habituées àinteragir avec d'autres scientifiques. La base de donnéesdémographiques, quant à elle, permet aux investigateurs de

8. Sur les 32 sites que répertorie le réseau IN-DEPTH (International Networkfor Demographie Evaluation of Populations and their Health), 22 sites se trouventen Afrique, tandis que les dix autres sont répartis entre l'Inde et l'Asie du Sud-Est.Pour des informations plus détaillées sur les différents sites existants:http://www.indepth-network.org/index. php?opti on=com_content& task=view&id=753&Itemid=635.

Niakhar est un des observatoires les plus anciens avec le site de Bal1agrahen Inde (1965) et celui de Matlab au Bengladesh (1966). D'autres sites ont étéétablis beaucoup plus récemment, comme celui de Kisumu au Kenya (2001)ou encore celui d'Iganga / Mayuge en Ouganda (2004).

68 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

savoir rapidement si la population ciblée par leur étude seramobilisable selon des critères précis d'âge, de santé ou dedisponibilité des habitants. Niakhar donne également accès à unpool d'enquêteurs et de techniciens compétents prêts às'engager rapidement sur le terrain. Enfin, la disponibilitéd'informations sanitaires (sur la couverture vaccinale, les tauxde mortalité et de natalité, les migrations saisonnières, lesmodes d'habitation, etc.) pennet aux chercheurs d'affiner leursrésultats et / ou de multiplier leurs analyses statistiques. Cetensemble d'avantages fait partie des raisons qui ont conduit à ceque la recherche médicale prenne une place de plus en plusimportante. Comme Niakhar, la plupart des sites de recherchequi accueillent des essais cliniques dans les pays du Sud ont été,dans un premier temps, des observatoires de population et sontensuite ou simultanément devenus des sites de recherche scien­tifique plus spécifiquement dédiés à la recherche en santé.

Aussi fondamentale soit-elle dans le fonctionnement du sitede Niakhar, la démographie ne bénéficie pas du même capitalde développement que la recherche médicale, ni de sa popula­rité. Si le suivi démographique dans la zone d'étude constituaitune activité innovante et financièrement soutenue dans lesannées 1960 et 1970, celui-ci est progressivement apparu moinspertinent au fur et à mesure des années et de l'émergenced'autres instances de production d'études démographiques.L'IRD a donc fait le choix d'investir des crédits dans lefonctionnement du suivi démographique en assurant le salariatdes professionnels chargés du suivi démographique et dufonctionnement logistique de la station (électricité, entretien,réparations, etc.).

Bien que les activités de recherche aient été réalisées demanière quasi continuel dans l'histoire de la recherche irdienneà Niakhar, la question de la fermeture de la station de Niakhar etdu suivi démographique a été plusieurs fois envisagée par ladirection. Ce souhait peut être lu à la lumière du coût-bénéficedu maintien d'une telle activité et du faible capital de dévelop­pement de celle-ci. La réputation fluctuante de la zone d'étudede Niakhar dans la communauté scientifique a pu égalementinfluencer la direction à certains moments. Il semble que lafermeture du site de Niakhar ait pu être évitée, au moins une

REPRÉSENTATIONS ET USAGES DE LA RECHERCHE 69

fois, grâce à l'utilisation de crédits résiduels ou excédentairesacquis dans le champ de la recherche médicale. En effet,comme l'illustrent les propos de cet ancien responsable desactivités de recherche à Niakhar, certaines études épidémiolo­giques ont été menées non seulement parce qu'elles étaientpertinentes d'un point de vue scientifique, mais également parcequ'elles permettaient de financer partiellement le suividémographique et, par conséquent, d'en garantir l'existence.

« Si on ne faisait pas d'épidémio [NDA : d'étudesépidémiologiques], on n'avait pas assez d'argent 'pour assurer lesuivi démographique. C'est grâce à l'épidémio qu'on a assuréla démographie à Niakhar à cette époque. »

Philippe, chercheur et ancien responsable du site de Niakhar,septembre 2008, Dakar.

Ce fonctionnement a permis d'autonomiser et de développerle champ de la démographie au sein de l'IRD. Les usages de labase de données produite par le suivi démographique s'en sonttrouvés diversifiés et étoffés, permettant aussi à desdémographes de s'engager dans des travaux épidémiologiquespar exemple. À travers l'utilisation de la base de données pourréaliser des études épidémiologiques complémentaires, larecherche à Niakhar s'est diversifiée et a élargi son champ depublication, et le suivi démographique est progressivementdevenu une activité importante pour la recherche médicale.

Malgré ce soutien et la diversification des activités, les entre­tiens avec les professionnels de l'IRD comme avec les habitantsde la zone d'étude de Niakhar montrent que la démographie estpeu valorisée. Le suivi est souvent décrit par les professionnelsqui en ont la charge comme une activité routinière peu stimu­lante, avec d'importants dysfonctionnements. En ce qui concernel'activité des enquêteurs, leur travail semble d'autant plus dévalo­risé que beaucoup ne le trouvent légitime qu'en contrepartie desétudes cliniques qui sont réalisées en parallèle. En effet, pour lesenquêteurs et les habitants de la région, comme le suivi démogra­phique n'apporte aucune forme d'aide directement visible auxpopulations de la zone d'étude de Niakhar, il est la plupart dutemps vécu comme une contrainte (MONDAIN, 2012).

70 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

Ainsi que l'expriment les deux extraits ci-dessous, leshabitants de la région considèrent souvent le suivi démogra­phique comme un service qu'ils rendent aux membres de l'IRDen échange des prestations sanitaires qu'ils perçoivent autravers des études cliniques. Ainsi, en l'absence de prestationssanitaires, les habitants de la zone d'étude de Niakhar ne consi­dèrent plus que répondre au suivi démographique soit dans leurintérêt. Cette logique est souvent partagée par les enquêteurschargés du suivi démographique qui, bien que ce ne soit pasleur champ d'appartenance, valorisent la recherche médicaleautant, sinon plus, que leur propre champ.

« Depuis qu'il n'y a plus d'essais cliniques, on a des diffi­cultés parce qu'il y a eu pas mal de chefs de concessions oud'autres personnes qui ne voyaient plus les médecins etpendant deux ans, nous, on repartait sur le terrain poser lesquestions pour le suivi. Bon, eh bien, il y a ceux qui en avaientmarre, car ils ne voyaient plus leur intérêt là-dessus. Du coup,tu es obligé de parler avec la personne pour la convaincre derépondre jusqu'au cas échéant et, sinon, on est obligé de laissercomme ça.»

Modou, enquêteur de recherche, février 2007,village de Niakhar.

« Ils viennent dans nos maisons et nous posent beaucoup dequestions, mais ils ne nous donnent rien. Ce n'est pas intéres­sant. »

Habitante de Diohinc, mars 2007.

Ces discours sur le suivi démographique, conditionné par laréalisation d'études cliniques, constituent l'expression du diffé­rentiel de capital de développement entre la démographie et larecherche médicale. Du fait de ce différentiel, la réalisationd'études cliniques dans la zone d'étude est plus valorisée parl'ensemble des acteurs de la recherche à Niakhar, y compris parles administrateurs de l'institut. Ces derniers apprécientd'autant plus la recherche médicale que son capital de dévelop­pement permet de faire faire des économies à l' IRD etaugmente les activités de recherche scientifique et les emplois

REPRÉSENTATIüNS ET USAGES DE LA RECHERCHE 71

locaux. Les acteurs de la recherche démographique se sentent,dans ce contexte, parfois mal considérés, car leur activité derecherche est vue comme le parent pauvre d'une recherchemédicale qui renvoie à l'opulence et la générosité.

Ce chapitre nous a permis de comprendre l'influence quepouvaient avoir les usages et les représentations de la recherchedans la vie sociale et scientifique de Niakhar. Des rumeurs devol de sang aux vocations caritatives, nous avons découvertqu'une approche manichéenne était sous-jacente aux images etaux stratégies des acteurs de terrain, bien que ses expressionssoient différentes selon qu'il s'agit des habitants de la région deNiakhar ou des agents de l'IRD. Scientifiques et agriculteursappréhendent, tous deux également, la recherche pour ledéveloppement de manière ambivalente, en l'utilisant fréquem­ment comme un moyen de capter des ressources pour fournirune aide locale. Qu'elle soit décriée, entretenue ou tolérée selonles circonstances, cette aide locale apparaît alors comme lesymptôme d'une recherche qui peine à être légitime sans sonpendant développementaliste, comme l'illustre bien le fonction­nement de la démographie et de la recherche médicale. Ondécouvre alors, en filigrane des discours et des stratégiesd'acteurs, le malaise que suscitent les transferts de biens desanté dans cette région pauvre d'Afrique de l'Ouest quiaccueille des recherches cliniques coordonnées par unorganisme étranger.

CHAPITRE II

Pouvoirs et devoirsde la recherche en santé

Les chercheurs de l'IRD produisent des connaissances àpartir des corps et des traits biologiques des habitants de cetterégion pauvre du Sénégal. Ce constat pourrait suffire à justifierune analyse du site de Niakhar en termes de biopouvoir'(FOUCAULT, 1976).

L'étude des formes de pouvoir à l' œuvre dans cette régionnous oblige cependant à nous éloigner de cette analyse atten­due de Niakhar. En effet, le pouvoir sur le vivant, tel que nousavons pu l'observer, est un pouvoir moins monolithique, plusempirique. À Niakhar, le pouvoir d'expérimenter devient, parle biais des hommes et des femmes qui s'en emparent, unpouvoir, mais aussi un devoir de soigner. Régulé et parfoisnégocié par les habitants de la zone comme par les chercheurset les enquêteurs de l'IRD, ce pouvoir n'est pas pour autantexempt de risques, d'abus et de dérives.

1. Cette notion, originellement développée par Michel Foucault, estutilisée aujourd'hui par de nombreux anthropologues pour analyser les enjeuxcontemporains de la santé (FASSIN, 2004 ; PETRYNA, 2005 ; RABINOW, 2005 ;FASSIN, 2006; KECK, 200S).

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La recherche clinique et le système de soins dans la zone deNiakhar

Si la plupart des auteurs de travaux en sciences sociales et ensanté publique insistent sur le fait que l'autonomie de décisiondes participants à des essais cliniques au Sud est limitée par lemanque d'accès aux soins et aux ressources de base (BENATAR,2002), peu de travaux descriptifs abordent la manière dont cesétudes s'insèrent concrètement dans ces systèmes de soins oùl'offre est limitée. Or, une telle description permet d'enrichirune réflexion qui autrement ne peut se faire qu'en confrontantde grands principes éthiques de manière décontextualisée', Lespages qui suivent ont pour objectif de donner un aperçu desavantages et inconvénients engendrés par la réalisation derecherches cliniques dans les structures de soins de Niakhar.

Un système de soins presque comme les autres

Selon le modèle d'Arthur Kleinman, le système de soins dela zone d'étude de Niakhar peut être décomposé en troissecteurs perméables - traditionnel, biomédical et populaire ­par lesquels la plupart des habitants de la région passent aucours de leur itinéraire thérapeutique (BENOIST, 1996 ;KLElNMAN,1999).

Le secteur traditionnel est important à Niakhar, comme dansla plupart des pays d'Afrique. Il comprend les consultationseffectuées par les maîtres du culte des ancêtres, les saltigués, lesmarabouts et les herboristes (FASSIN, 1992 ; KALIS, 1997; FAYE,

2. J. EZEKlEL, par exemple, aborde essentiellement la question de l'éthiquede la recherche clinique dans les pays du Sud sous l'angle de la bioéthiquesans prendre en compte les systèmes de soins dysfonctionnels dans lesquelsces études se déroulent et la pauvreté des participants. Les travaux d'AdrianaPetryna prennent en compte le contexte de pauvreté et le manque d'accès auxsoins des pays où se' déroulent ces études, mais le font principalement autravers d'une réflexion critique sur le rôle des organismes de promotion de larecherche clinique américaine (PETRYNA, 2005, 2009).

POUVOIRS ETDEVOIRS DELARECHERCHE ENsANTÉ 75

2005). Les maîtres du culte sont des personnes chargées dudialogue avec les ancêtres, appelé chez les Sérères le « culte despangols ». Ils diffèrent selon les lignages d'appartenance etinterviennent notamment si l'origine de la maladie est liée à unconflit avec un ancêtre ou avec le monde des morts. Les salti­gués sont des devins - qui se réunissent lors des cérémonies dexoy - et sont généralement mobilisés en cas de suspicion desorcellerie. Les marabouts sont des représentants de l'islam;leurs pratiques divinatoires sont généralement liées au Coran.Enfin, les herboristes sont des individus qui disposent d'uneconnaissance de la pharmacopée locale. La zone de Niakhar estsituée près du plus grand centre de médecine traditionnelle dupays: le centre Malango. Certains habitants de Niakhar s'yrendent ponctuellement, notamment lorsque les saltigués lesplus populaires du pays y énoncent leurs prédictions annuelles(retransmises à la télévision). Certains guérisseurs de Niakharmentionnent également y avoir suivi une formation.

Le secteur populaire comprend les nombreux recours etconseils que peut recevoir une personne malade ou son enfantde la part de sa « parentèle» avec laquelle elle interagit dans saconcession d'habitation. À cheval entre le secteur populaire etbiomédical, des médicaments dits communément « de la rue »sont également vendus dans des marchés hebdomadaires, desboutiques et par des marchands ambulants (BAXERRES et LEHESRAN, 2006).

Enfin, le secteur biomédical comprend les soins et médica­ments délivrés dans le cadre de la politique sénégalaise depromotion des soins de santé primaire. Cette organisation dessoins - qui prévaut à Niakhar comme dans la majorité des paysdu Sud - a été mise en œuvre sous l'impulsion d'une politiquede santé « top-down » qui défendait un accès à des soinsbiomédicaux de bonne qualité au plus bas de la pyramide dessoins. La place importante accordée aux postes de santés'inscrit également dans une dynamique de décentralisation etd'autonomisation des soins établie à partir de la conférenced'Alma-Ata en 1978. L'activité des postes de santé primaires ya été définie comme « des soins de santé essentiels fondés surdes méthodes et une technologie pratiques, scientifiquementviables, rendus universellement accessibles aux individus et

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aux familles par leur pleine participation et à un coût que lacommunauté et le pays puissent assumer à chaque stade de leurdéveloppement dans un esprit d'autoresponsabilité etd'autodétermination. Ils font partie intégrante du système desanté national» (OMS, 1978).

Trois structures de soins de santé primaires délivrent dessoins dans la zone d'étude de Niakhar, soit à Ngayokhème,Toucar et Diohine. Celles-ci prennent en charge les maladiesendémiques, l'éducation à la santé, les accouchements et lesvaccinations. À chaque consultation, les patients doivents'acquitter à la fois du prix du ticket' et du montant de laprescription (MINISTÈRE DE LA SANTÉ SÉNÉGALAIS, 2006).

Ces postes de santé primaires fonctionnent grâce à l'achatpar les patients de médicaments essentiels à moindre coût par lebiais de l'Initiative de Bamako". Les acteurs du système desoins de la région expliquent cependant que toutes les famillesqui se rendent dans leur structure ont des difficultés à payer lessoins qui leur sont prodigués. Cela ne contredit en rien lesconstats effectués en santé publique sur les limites del'Initiative de Bamako qui, notamment, empêchent les indigentsd'accéder aux soins de santé primaires. Ce dispositif est particu­lièrement inefficace en milieu rural où la pauvreté est structu­relIe (TIZIO et FLORl, 1998 ; WHITEHEAD, DALGREN elal., 2002 ;RIDDE et GIRARD, 2004 ; RIDDE, 2006). Dans la région deNiakhar, où les lois d'aînesse et les règles d'alliance sont essen­tielles à la bonne marche des relations sociales et économiques,le recouvrement semble d'autant plus complexe à obtenir queles soignants sont systématiquement sollicités par des« parents» pour payer leurs soins. C'est ce qu'exprime ainsi le

3. Le ticket est facturé ISO FCFA pour les adultes et 100 pourles enfantsdans les postes de santé publics et 500 FCFA pour les adultes et 200 FCFApour les enfants dans le dispensaire privé des religieuses infirmières.

4. L'initiative de Bamako (lB) est une réforme des systèmes de santéadoptée par les États africains à la suite d'une réunion de l'OMS dans lacapitale du Mali en 1987. L'objectif de l'lB était de rendre les services desoins de base accessibles au plus grand nombre d'individus; elle a cependanteu comme contrepartie la mise en place d'un système de recouvrement desfrais de santé par les patients qui obligèrent ces derniers à participer financiè­rement aux soins.

POUVOIRS ETDEVOIRS DELARECHERCHE ENSANTÉ 77

« pharmacien »' d'un des postes de santé de la région, à propos. d'une femme qui lui donne 700 FCFA pour une ordonnance

d'un montant de 900 FCFA:

« - Ici, le travail, c'est difficile parce que tu vois des gensque tu connais qui n'ont rien. - Et s'il ne te rend pas l'argent[NDA: les 200 FCFA] tu ne vas pas les chercher? - Non, tuvas même compléter avec ton argent. »

Aldiouma, mars 2007.

Dans ce contexte de pauvreté et d'interconnaissance, lesystème de recouvrement met à rude épreuve les soignants.Certains d'entre eux choisissent d'ailleurs de mobiliser desfonds par d'autres moyens que les circuits officiels, parfois parle biais de petits commerces parallèles, comme cela a étéobservé en d'autres lieux (JAFFRÉ et OLIVIER DE SARDAN, 2003).Qui plus est, mis à part l'infirmier chef de poste qui est un agentde l'État, le montant du salaire des personnes travaillant dansles postes de santé dépend du recouvrement des coûts des soinspar les habitants de la région". Ces salaires - souvent bas ­augmentent donc durant la période de l'hivernage lorsque lesconsultations sont plus nombreuses et au contraire redeviennentextrêmement faibles en période sèche. C'est ce qui pousse cetagent de santé de Toucar à affirmer : « Quand on est en périodemorte, y'a pas d'argent pour moi» [rires].

Enfin, dans la zone d'étude, comme dans de nombreusesrégions rurales du Sénégal, les postes de santé ne sont pastoujours dirigés par un infirmier, en raison de l'émigration impor­tante des professionnels de santé vers la capitale, au détriment desrégions (OMS, 2009). De nombreuses personnes exerçant une

5. Le terme de « pharmacienne » ou de « pharmacien» désigne à Niakhar,comme dans de nombreuses régions rurales désertées par les professionnels desanté, la personne responsable de l'acheminement et / ou de la délivrance desmédicaments: cela ne signifie pas pour autant que celle-ci dispose d'undiplôme de pharmacie,

6. Le revenu du personnel est calculé sur un pourcentage de la vente destickets et! ou des médicaments, mais le pourcentage semble varier d'un poste àl'autre et selon qu'il s'agit de la matrone, des dépositaires, des ASC (agents desanté conununautaires) et des lCP (infirmiers chefs de poste).

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activité dans les postes de santé n'ont ainsi pas de formationmédicale et travaillent fréquemment de façon bénévole (SY,SAGNA et al., 2006). En 2007, il n'y a pas d'infirmier en poste audispensaire de Ngayokhème et c'est donc l'agent de santécommunautaire' qui dirige le poste et effectue les consultations,bien qu'il ne dispose pas de la formation adéquate pour le faire.Par ailleurs, c'est une personne sans formation médicale ouparamédicale nommée par le comité de santé qui est chargée de lagestion de la pharmacie et qui, par conséquent, effectue lesconsultations au poste de santé lorsque l'ASC n'est pas là. Enfin,dans un autre poste de santé, un étudiant du village vient detemps en temps aider bénévolement au dispensaire.

À première vue, le secteur biomédical de la zone d'étudesemble caractérisé par les mêmes contraintes et dysfonctionne­ments que n'importe quelle autre région située en milieu ruralouest-africain. Or le fonctionnement de ces postes est aussiponctuellement influencé par la présence de l'IRD.

Un soutien biomédical ciblé

Comme je l'ai mentionné dans le chapitre précédent, lorsquedes essais cliniques ou des études épidémiologiques sont réali­sés dans la région, ceux-ci impliquent le don d'un ensemble debiens et services biomédicaux allant de l'évacuation sanitaire decertains habitants au remboursement des frais de santé des parti­cipants, et ce en collaboration avec les trois principales struc­tures de soins de santé primaires", Ces dons et services effectuésdans le cadre de recherches cliniques ont un impact sur lefonctionnement, la gestion et l'organisation du travail dans cesstructures de soins. Comme nous le verrons, ils influencent

7. Un agent de santé communautaire est une personne issue de la régionoùse situe le dispensaire. Il dispose d'une brève formation en-santé et sonactivité consiste officiellement à faire le lien entre la collectivité et le servicesanitaire biomédical local.

8. Contrairement aux autres platefonncs de recherche scientifique accueillantdes études cliniques, comme celle du Medical Research Council (MRC) enGambie, qui dispose de sa propre structure de soins, l'IRD a fait le choix deconduire ses recherches depuis les postes de santé du système de soins local.

POUVOIRS ETDEVOIRS DELARECHERCHE ENsANTÉ 79

également la manière dont les soignants de la région perçoiventles acteurs de l'IRD et interagissent avec eux.

Les soignants qui exercent dans les trois principales struc­tures de soins de la zone de Niakhar ont globalement une imagepositive de l'IRD qu'ils considèrent soit comme un prestataire desoins, soit comme un organisme caritatif. Les soignants de lazone sont en effet les premiers bénéficiaires des différents donset services que l'institution apporte dans la région. Ils considè­rent généralement les rumeurs de vol de sang anecdotiques et lesenvisagent comme l'expression de l'ignorance des personnes lesmoins éduquées. Infirmiers, agents de santé et responsables desdépôts pharmaceutiques associent généralement l'IRD auxétudes cliniques dont ils peuvent directement bénéficier. Ils neconsidèrent pas l'IRD comme un organisme « néocolonialmalveillant », étant donné qu'ils entretiennent des relationsétroites avec les acteurs de la recherche qui les « aident» à diffé­rents niveaux. En effet, les recherches cliniques permettent auxsoignants biomédicaux de la zone d'étude d'accéder à plusieurscatégories de biens et services qui facilitent leur activité quoti­dienne et améliorent leurs conditions de travail.

Le remboursement par l'IRD des soins délivrés aux partici­pants des recherches cliniques permet aux gestionnaires de cesstructures d'augmenter leurs bénéfices, puisque les recherchescliniques donnent un pouvoir financier à des indigents qui sanscela ne pourraient se soigner au poste de santé. Étant donné queles salaires de certains soignants dépendent des recettes dudispensaire, cette procédure permet ainsi de leur assurer unniveau de revenus plus respectable. Lorsqu'une rechercheclinique est réalisée depuis ces structures de soins primaires, lessoignants des dispensaires reçoivent également parfois une« motivation »9. La réalisation de recherches médicales est ainsid'autant plus appréciée par les soignants biomédicaux de larégion qu'elle permet au dispensaire de fonctionner. L'ensemblede ces micro-procédures constitue un dispositif de bricolage quipermet à certains soignants de rendre leur travail supportable,

9. À titre d'exemple, pour une étude épidémiologique d'un an qui mobili­sait un soignant un jour par mois, le montant mensuel de la motivation parsoignant était compris entre 10 000 et 15 000 FCFA.

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L'extrait d'entretien ci-dessous illustre parfaitement la manièredont la recherche médicale est capable de soulager une structurede soins de santé primaires au niveau précis où le recouvrement

. des coûts (RIDDE et GIRARD, 2004) pose problème, et commentcela va même jusqu'à améliorer la relation entre soignants etsoignés:

« Le projet [NDA : un essai clinique] augmentait le nombrede malades parce qu'il y en a qui financièrement n'ont pasd'assise mais qui, avec l'Orstom, étaient sûrs d'être traités. Lefait d'aller au dispensaire, tu ne paies rien, tu te fais soigner, onne peut pas avoir mieux que ça, c'est pas possible, donc neserait-ce que ça ! [ ... ] Et puis ça a donné un certain élan audispensaire parce que la fréquentation devenait de plus en plusimportante [... ] et après, ça a fait venir des gens même plussouvent qui ont connu le dispensaire un peu mieux, les gensrevenaient même s'ils payaient leurs soins. Quand même, nousavons senti le projet. Absolument nous j'avons senti parce quele flux était plus important que maintenant. »

Moustafa, Ngayokhème, mars 2007.

L'impact des recherches de l'IRD sur l'activité des postes desanté de la région est plus ou moins important selon que l'lRDenvisage de réaliser une étude épidémiologique", un suivi decohorte ou un essai clinique de phase Il ou IV II

. Dans tous lescas, il permet à des populations pour qui l'accès aux soinsprimaires est difficile - voire impossible - d'être soignées et

10. Les essais cliniques impliquent un suivi rapproché des participantspendant la durée de l'étude, alors que les études épidémiologiques ne le néces­sitent pas forcément et ne le proposent d'ailleurs pas forcément. Ainsi, uneétude épidémiologique sur la prévalence du paludisme pour une tranche depopulation précise entre la saison sèche et l'hivernage peut ne nécessiterqu'un prélèvement sanguin sur des populations ciblées, réalisé à deuxmoments précis de l'année. Dans ce cas, les participants à cette étude neverraient leurs frais de santé remboursés qu'à l'occasion de ces deux momentsprécis dans l'année.

Il. Les essais cliniques de phase II incluent quelques dizaines à quelquescentaines de participants, alors que les études de phase III et IV peuvent encomprendre plusieurs milliers (DIÈYE, 200?).

POUVOIRSET DEVOIRSDE LA RECHERCHEEN SANTÉ 81

d'injecter des crédits dans les dispensaires, ce qui facilite leurfonctionnement.

Lorsque des équipes de recherche clinique travaillent dansles structures de la région, celles-ci interviennent à différentsniveaux de leurs activités. Premièrement, les soignants desdispensaires sont ponctuellement accompagnés et / ou soulagésdans leur activité de consultation, car un accord impliciteconduit les médecins de recherche clinique à appuyer - généra­lement une journée par semaine - les postes de santé de larégion en assurant une consultation. Deuxièmement, commecela a été évoqué plus haut, les véhicules de l'IRD sontponctuellement utilisés pour évacuer des patients vers le centrehospitalier de la ville la plus proche et parfois jusqu'à Dakar.Ces activités sont celles qui ont le plus d'impact sur l'adhésiondes habitants de la région au secteur biomédical et aux activitésproposées par l'IRD. C'est ainsi que s'exprime une habitante dela région à ce propos :

« Depuis que l'Orstom n'est plus là [NDA : sous-entendudepuis qu'il n'y a plus d'équipe médicale régulièrementprésente], on a des problèmes. Pour ce qui est de l'accouche­ment ou de l'évacuation, tu es obligé de payer une charrette ouune voiture à un prix très très cher. 15 000 ou 20 000 francs[FCFA] pour le centre de santé, sinon ils ne vont pas t'amener.Vraiment je veux que l'Orstom revienne ici. S'ils veulent, onleur donne un terrain pour qu'ils mettent une maison. »

Awa, habitante de Toucar, février 2007.

Ainsi, les recherches que mène l'IRD en santé dans la régionpermettent aux soignants de la zone de Niakhar de soulager leurquotidien et d'améliorer leur activité de soins tout en permettantaux chercheurs impliqués dans ces études d'accéder aux partici­pants potentiels. Ce constat correspond, à un niveau microso­cial, à la notion de relation « gagnant-gagnant » utilisée parPhilippe Kourilsky pour décrire la collaboration scientifiquefranco-sénégalaise (dont le symbole est le laboratoire internatio­nalement reconnu de bactériologie dirigé par le professeurMboup) et mobilisée par Sébastien Dalgalarrondo pour évoquercertains types de partenariats établis dans le cadre de la

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recherche clinique sur les antirétroviraux (DALGALARRONDO,2004 ; KOURILSKY, 2006, p. 71). Pourtant, si les soignants de lazone d'étude de Niakhar se sentent soutenus par les profession­nels de la recherche et si ces derniers évoquent une bonne colla­boration avec le personnel des postes de santé « dans la zone »,certains soignants considèrent parfois leur implication commeobligatoire:

« Bon, moi j'ai accepté de travailler avec l'Orstom pourpouvoir remonter le dispensaire, mais je veux travailler dans lecalme, sans histoire. J'ai accepté parce que, si je refusais, lasituation allait être plus que catastrophique. J'étais vraimentobligé d'accepter pour l'avenir du dispensaire, pour relever unpeu le niveaude fréquentation. »

Daouda, soignantd'un des dispensaires de la zone,mai 2007.

En effet comme nous le verrons dans les prochainsparagraphes, l'impact de la recherche médicale dans la régionde Niakhar n'est pas que positif. Le soutien de l'IRD a aussi desconséquences négatives sur le système de soins local.

Un impact ambivalent

Lors d'un entretien avec un infirmier de la zone, celui-cim'avoua être épuisé par les relations qu'il entretenait avec lespopulations. Il mettait notamment en cause l'IRD, en raison de

. l'habitude qu'avaient pris les habitants du village de ne serendre au dispensaire que lorsqu'ils pouvaient espérer participerà un projet de l'IRD qui rembourserait leurs frais.

En effet, la gratuité des soins instaurée par les recherches del'IRD a parfois été intégrée dans les économies familiales.Ayant pris l 'habitude de ne pas payer leurs soins au dispensaire,certains habitants modifient leur date ou leur lieu de consulta­tion en fonction des rumeurs annonçant un « projet de l 'IRD »ou la venue d'un médecin de l'institut. Certains participants« tentent» également, lorsque les études sont achevées, deréclamer des prestations sanitaires gratuites dont ils bénéfi-

POUVOIRSET DEVOIRSDE LA RECHERCHEEN SANTÉ 83

ciaient auparavant. À l'issue d'un essai clinique, les profession­nels des postes de santé doivent parfois faire face à des popula­tions qui ont modifié leur rapport au secteur biomédical, ce quipeut constituer une entrave à la gestion des soins, commel'expriment les propos suivants :

« Ce que j'ai vu c'est qu'un enfant peut tomber maladeaujourd'hui, l'Orstorn prévoit de travailler jeudi ou vendredi.La maman va attendre jeudi ou vendredi pour venir et entre­temps l'enfant peut mourir, mais la maman ne prend pasconscience que c'est grave, elle préfère attendre l'Orstom. Unjour, ils faisaient ici la queue. On leur a dit que l'Orstom ne vapas venir et tout le monde s'est levé. »

Daouda, infirmier dans la zone d'étude de Niakhar, mai 2007.

Le caractère ponctuel- et circonscrit dans le temps de larecherche clinique, ainsi que le ciblage de tranches d'âge spéci­fiques, conduisent certains habitants de la zone d'étude deNiakhar à se sentir « oubliés» ou lésés quand ils ne peuvent pasaccéder à des prestations sanitaires gratuites. C'est ce qu'expri­ment les extraits d'entretiens suivants:

« Au moment de la rougeole et de la coqueluche, ilsvenaient soigner les enfants, mais maintenant l'enfant estmalade ct il y a rien, on peut même perdre l'enfant. »

Xalis, habitante de Toucar, mars 2007.

« Pourquoi ]'Orstom ne vient plus, c'est quelque chose demal que nous avons fait? »

Cheikh, habitante de Ngayokhèrne, février 2007.

« Pourquoi l'Orstom ne fait pas des programmes pour lesvieux? »

Mbaye, habitant de Diohine, février 2007.

La présence de l'IRD peut donc perturber le flux de patients,ceux-ci désertant une structure donnée pour se rendre dans uneautre parce qu'une rumeur court qu'un médecin de l'institut yaurait sa consultation. Dans une région où les consultations sontsouvent effectuées par des personnes sans formation médicaleofficielle ou complète, une rumeur de ce genre peut suffire à ce

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que certains habitants décident de prendre une charrette pour serendre au dispensaire de la communauté rurale voisine :

« Les rumeurs vont très vite dans les villages, c'estincroyable, y'a un projet de recherche le lundi, le mardi,mercredi et jeudi, tout le monde en parle dans les autresvillages, donc à partir du moment où on peut croire qu'y a ungros projet à tel endroit, c'est sûr que le poste va être investi lelendemain, »

Médecin chef de région, mars 2007.

Si la prise en charge des affections bénignes des habitantsenrôlés dans les essais cliniques passe par la réinjection decrédits par l'IRD vers le dispensaire, certains postes voientponctuellement leur organisation perturbée du fait de cefonctionnement. Les remboursements des frais de santé desparticipants aux trois dispensaires de la zone d'étude de Niakharsont établis de façon mensuelle, mais ne sont pas toujours systé­matiquement effectués en temps voulu. Or, pendant l'hivernage,les commandes doivent être effectuées de façon hebdomadairepour pouvoir répondre à l'importante demande des patients;mais en l'absence de remboursement de la part de l'IRD, ils nedisposent pas des ressources pour le faire. Cette situationconduit ainsi les gestionnaires des trois postes de santé à devoirdemander des avances financières au comité de santé dont ilsdépendent, lorsque des recherches cliniques sont réalisées parl'IRD.

Enfin, la réalisation de recherches cliniques nécessitesouvent de mobiliser des ressources humaines dans le champparamédical local, ce qui perturbe parfois le fonctionnement despostes de santé. Ainsi, dans une des structures de santé deNiakhar, un soignant m'expliqua qu'il obtint son poste lorsqueson prédécesseur fut recruté dans un programme de recherchede l'IRD. Ironie du sort, lorsque je quitte le Sénégal, c'est à sontour de quitter son activité de soignant parce qu'il a été engagédans un autre projet de recherche de l'IRD. Alors que cettestructure de soins peine à trouver un équilibre, on est en droit dese demander si la réalisation de recherches cliniques ne freinepas les potentialités de développement de cette structure de

POUVOIRS ETDEVOIRS DELARECHERCHE ENSAl\TTÉ 85

soins, en démobilisant régulièrement les soignants, et ce mêmesi ces choix relèvent de stratégies d'acteurs compréhensiblesd'un point de vue individuel. En effet, l'opportunité detravailler pour l'IRD permet, non seulement de percevoir unmeilleur salaire, mais également de monter dans l'échellesociale et de participer à une dynamique de travail et à desformations qui pourront être valorisées ensuite.

En l'absence d'une politique de santé publique articuléeavec les activités de recherches cliniques, il apparaît nonnal queles personnels locaux souhaitent quitter leur poste dans lesecteur public pour être employés par l'IRD. Par ailleurs, lapauvreté structurelle et l'absence de régulation transparentefavorisent le développement de liens de clientélisme. Dans cecontexte, certains Irdiens peuvent être amenés à jouer un rôle

1

d'entremetteur ou de courtier avec les habitants de la région enleur promettant un éventuel poste dans le futur et en attendanten retour de bonnes relations dans les projets de recherche.

Le devoir de soigner et les stratégies d'acteurs

Les études cliniques de la zone d'étude de Niakhar sontréalisées conformément aux réglementations internationales enmatière d'éthique et aux réflexions menées par les chercheursde l'IRD (CODE DE NUREMBERG, 1947 ; ASSOCIATION MÉDICALEMONDIALE, 1964 ; NATIONAL COMMISSION FOR THE PROTECTIONOF RUMAN SUBJECTS OF BIOMEDICAL AND BEHAVIORALRESEARCH, 1979). Ces études cliniques sont aussi marquées parla négociation de différents pouvoirs individuels, collectifs ouinstitutionnels qui s'articulent autour du pouvoir de délivrer dessoins biomédicaux.

86 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

Stratégies de soins et raisons humanitaires

Si l'IRD n'a jamais eu comme objectif affirmé de se substi­tuer au système de santé public sénégalais, les professionnels dela recherche impliqués dans la zone d'étude de Niakhar sonttout de même parfois amenés à le faire. Ainsi, comme l'illus­trent les propos de ce chercheur de l'IRD qui a coordonné desessais cliniques dans les années 1990, la réalisation d'étudesdans la région a provoqué un ensemble de stratégies de la partdes acteurs du système de soin biomédical local, qui les aconduits à adapter leur politique de collaboration:

« Faut pas se leurrer, hein, les chefs de poste, c'était unelutte permanente parce que, eux, ils en profitaient le jour où lemédecin passait. L'idée c'était par exemple, quand y'a unpatient qui vous pose problème, que c'est pas extrêmementurgent, vous leur dites de revenir le jour de la semaine où lemédecin passe. Ce jour-là, l'infirmier profitait pour partir fairece qu'il avait à faire dans la ville la plus proche, alors que,normalement, si le chef de poste n'était pas là, ils [NDA : lesmédecins de recherches cliniques] ne devaient pas consulter,mais c'est toujours des rapports de force. Et au niveau de larégion médicale, ils avaient une pénurie de personnels, donc ilsétaient tout à fait directs. Je me souviens, une fois, je meplaignais d'un chef de poste qui était complètement absent,voire même complètement incompétent, et euh ... et il m'arépondu, mais moi je le mets là parce que je sais que vous irezvoir [rires], c'est le jeu. Oui, donc finalement c'était pas forcé­ment facile toutes ces négociations. »

Jacques, chercheur, novembre 2006, Dakar.

Il n'est pas anodin que cet interlocuteur utilise les termes de« lutte» et de « rapports de force» pour évoquer les relationsque les acteurs de la recherche entretiennent avec ceux dusystème de soins public. En effet, les chefs de poste comme lemédecin chef de région, que mentionne Jacques, peuvent jouerdu devoir d'assistance des médecins de recherche clinique. Eneffet, en décidant de s'absenter le jour où les médecins derecherche clinique proposent de venir « appuyer» les consulta-

POUVOIRS ETDEVOIRS DELARECHERCHE ENSANTÉ 87

tions, les chefs de poste de santé mettent les médecins derecherche clinique dans l'obligation de soigner à leur place.Cette stratégie permet aux infirmiers chefs de poste de déléguerleur activité pour partir du poste de santé. Dans ce contexte, cesderniers peuvent aussi bien utiliser ce temps (qu'ils s'octroientsur le temps de travail des médecins de recherche clinique) pourrégler certains problèmes administratifs liés à la gestion dudispensaire, comme ils peuvent en faire une journée pourdévelopper une autre activité économique personnelle.

La stratégie des professionnels de la région médicale, souli­gnée par Jacques, s'insère, quant à elle, dans la gestion régio­nale des soins de santé primaires. En effet, en laissant un infir­mier « incompétent» dans la zone d'étude de Niakhar, cet agentde la région médicale fait le pari que les professionnels del'IRD décideront de soutenir ce professionnel ou de se substi­tuer à lui. S'il était placé dans un autre village, celui-ci nepourrait bénéficier d'aucun soutien, ce qui conduirait à ce qu'unsecteur entier de la région ne puisse bénéficier de soins de santéprimaires adéquats. En expliquant à Jacques que ce soignant aété placé dans un poste de santé de Niakhar, précisément enraison de la présence des équipes de l'IRD, cet agent est enmesure de gérer la pénurie de moyens à laquelle il doit faireface enjouant sur l'engagement de ses interlocuteurs.

Comme l'illustrent les propos de Jacques, les acteurs dusystème de soins public sénégalais ont en quelque sorte conduitles équipes de recherche clinique à assurer elles-mêmes l'accèsaux soins primaires. Les professionnels de l'IRD ont ainsi, dansle cadre d'un dispositif transnational et à partir de financementsthéoriquement alloués à la recherche, participé à assurer l'offrede soins publics et à en redéfinir les priorités selon leurs proprescritères. En effet, les évacuations sanitaires ne font pas partiedes soins habituellement prodigués dans les postes de santé, nide la politique nationale; elles constituent pourtant une partimportante de l'intervention de 1'IRD dans la région. Lesvaleurs qu'incarnent ces choix d'intervention semblent témoi­gner d'une éthique singulière de la part de l'IRD, orientée surl'utilisation du système. de soins local existant. Dans cecontexte, lorsqu'il existe des soins secondaires, il ne semble pasmoralement acceptable de laisser la personne sans évacuation.

88 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

Cependant, il n'est pas pour autant envisagé de prendre encharge l'évacuation sanitaire d'une personne malade de Niakharjusqu'en France ou encore la chirurgie reconstructrice d'uneautre dans un hôpital de Dakar.

L'utilisation de la recherche comme un moyen d'accéder àdes soins biomédicaux n'est cependant pas le seul fait desprofessionnels du système de soins public sénégalais. Desstratégies développées par des professionnels de la recherche ausein de l'IRD vont également dans ce sens. Ainsi, un nombrenon négligeable d'entre eux s'accordent à considérer que« soigner » les habitants de la zone d'étude de Niakhar est duressort de l'IRD. En effet, de nombreux chercheurs ou enquê­teurs développent des stratégies au sein de leur institution afinque l'IRD puisse assurer - à travers les crédits de rechercheclinique comme à travers des crédits propres à l'institution - unensemble de services médicaux de base. C'est dans ce cadre quecertains enquêteurs de recherche et certains chauffeurs peuventdemander d'augmenter leur budget de carburant auprès del'administration de l'IRD afin de pouvoir assurer un service desoins ou d'évacuation sanitaire ponctuel auprès des habitants deNiakhar. C'est le même principe qui conduit certains chercheursà favoriser la réalisation d'un essai clinique dans la région, surune pathologie qu'ils ont vu atteindre des populations sans quele système de soins public ne puisse réagir. C'est le cas pour laméningite bactérienne dont les équipes de recherche de l'IRDont assuré en partie la prise en charge dans les années 1990 etqui a donné lieu à un essai vaccinal en 2007, soutenu parplusieurs chercheurs de l'IRD ayant travaillé dans la région.

Certaines stratégies et positionnements des acteurs de l'IRDsont plus explicites encore et s'inscrivent dans le cadre de lapolitique plus générale de l'institution dans la région. Ainsi, lerecrutement en 1998 d'un médecin, auquel fut immédiatementattribué le « volet santé» de la zone d'étude de Niakhar, aofficialisé l'idée selon laquelle la santé des habitants de cetterégion pouvait relever d'un organisme étranger. Ce profil deposte n'est pas courant à l'IRD, car les médecins sont officielle­ment recrutés par l'institution dans l'objectif d'intégrer unchamp de recherche scientifique et non pour prendre directe­ment la responsabilité ou la coordination de soins d'une popula-

POUVOIRS ETDEVOIRS DELARECHERCHE ENSANTÉ 89

tion. Or, dans ce cas, le rôle de ce médecin est non seulementd'assurer la coordination des activités du système de santélocal, mais aussi d'en appréhender les besoins, à travers notam­ment la surveillance épidémiologique. Il veille au fonctionne­ment des postes de santé et à la répartition de différents outils etressources issus du ministère de la Santé et de l'IRD. Il estégalement chargé d'assurer éventuellement la gestion d' épidé­mies et la coordination avec la région médicale, son travail sefaisant de manière transversale à plusieurs projets.

Ce choix - initié par une unité de recherche et soutenu parl'institution - relève de ce que Didier Passin a appelé la « raisonhumanitaire» (fASSIN, 2000), dans le sens où les droits del'humain vivant sont placés au-dessus des droits du citoyen. Cerecrutement montre que l'IRD, à travers sa capacité à mobiliserdes ressources humaines et à créer des services sanitairessupplémentaires, est en mesure de compléter le pouvoir del'État mais aussi de le concurrencer. Ce recrutement a étéréalisé à l'issue de dix années consécutives durant lesquelles leshabitants de la zone d'étude de Niakhar avaient bénéficié d'uneprise en charge « palliative» de la part de l'IRD. Il semble quece recrutement corresponde à l'anticipation (ou à la réactionaprès coup) du bouleversement provoqué par le retour à unmode de prise en charge médicale et d'organisation des soins« ordinaires », L'arrêt de la supervision du Programme élargi devaccination" (PEV) par les équipes de recherche de l'IRD, à lafin des essais cliniques sur la rougeole et la coqueluche, associéà une rupture de stock d'antigènes, a en effet conduit à la chutedu taux de couverture vaccinale observée en 1998 dans toute lazone d'étude de Niakhar - chute que les chercheurs ont peut­être souhaité réguler (CHIPPAUX, 2005).

La politique de soins de l'IRD dans la région de Niakhar,qu'elle passe par le recrutement d'un médecin ou par ladélivrance « hors essai» d'un ensemble de prestations sanitaires,constitue une réalité sociale, mais aussi administrative. Les

12. Le Programme élargi de vaccination est une initiative del'Organisation mondiale de la santé, lancée en 1974, dont l'objectif est detrouver des moyens économiques, scientifiques et logistiques pour rendre lavaccination accessible à tous les enfants du monde.

90 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

modes de justification du coût de ces prestations sanitairesauprès de la direction de l'institut sont révélatrices des logiquesqui sous-tendent le rôle qui est attribué à l'IRD à Niakhar.

« Est-cc que l'IRD a vocation à se substituer au ministèrede la Santé à Niakhar ! On va dire: "Bah oui." Mais si on ne lefait pas, il n'y a rien. Ce qui est vrai aussi ... Bon alors, on nepeut pas non plus rester dans une position purement théorique.Mais c'est vrai que ça a un coût pour l'institut. Et les finance­ments ne sont pas prévus là-dessus, c'est tout. Et en termes delisibilité et de crédibilité scientifique, quand c'est vu de Paris,je ne suis pas du tout sûr que ce soit toujours très très biencompris. Et en même temps, je veux dire une femme qui vaaccoucher et qui a des problèmes, si on ne fait rien, elle vamourir, je veux dire, bon, eh bien, quand on est normalementconstitué, on fait des choses. Mais c'est tout ça. Ça plus ça,plus ça ct ben tout ça et bien ça chiffre. Voilà. »

Alain, administrateur,juin 2007, Dakar.

Dans cet extrait, Alain exprime clairement la situationdélicate dans laquelle le met son rôle de « porte-parole» deschoix établis par les équipes de recherche à Niakhar auprès dela direction de l'institution. C'est encore une fois la raisonhumanitaire qui est mobilisée pour justifier la mise en place desoins spécifiques dans la zone d'étude de Niakhar. En mention­nant le cas d'une femme sur le point d'accoucher, Alain montreque l'administration de Dakar adopte une éthique médicale duterrain fondée sur l'expérience des chercheurs, même si celle-cin'est pas toujours comprise par tous ces interlocuteurs.

Il est compréhensible, dans ce contexte où les frontièresentre recherche et soins sont brouillées, que les acteurs dusystème de soins biomédical public comme ceux de larecherche irdienne « oublient» parfois le caractère expérimentalet ponctuel des activités de l'IRD et s'attachent surtout à gérerle « pouvoir de soigner» qu'elles génèrent.

Les positionnements et stratégies développés pour que l'IRDse substitue au système de soins local doivent être compris à lalumière du contexte politique ouest-africain de plus en pluscaractérisé par un effacement - ces dernières années en particu-

POUVOIRS ETDEVOIRS DELARECHERCHE ENsANTÉ 91

lier - de la notion de bien public (Drop, 2003 ; BAYART, 2006 ;JABLONKA, 2009). En effet, c'est probablement en partie parceque, pour une majorité d'acteurs de terrain, il est difficilementconcevable que l'État investisse davantage dans le servicepublic qu'il apparaît « normal» qu'un autre organisme étrangerpuisse être considéré comme responsable de la santé d'unepopulation. Il n'est dans ce contexte pas contradictoire d'unpoint de vue social qu'un chercheur de l'IRD travaillant sur desenquêtes sanitaires à Niakhar m'explique faire de la santépublique dans son pays afin d'améliorer la couverture médicalelocale. Il n'est pas non plus étonnant, dans un autre registre, quecertains chercheurs ou ingénieurs interrogés en 2008 exprimentleur souhait que l'IRD s'engage davantage dans la prise encharge biomédicale des populations de la zone d'étude deNiakhar en construisant sa propre structure de soins et en enassurant la bonne marche.

Cette analyse montre que se forge sur le terrain, dans lespostes de santé et au niveau administratif, l'idée que l'IRD estdans le devoir de soigner les habitants de Niakhar. Ce devoir desoigner ne semble pas légitimé par un besoin de récompenser laparticipation des habitants de la région à des recherches, maisplutôt par un ensemble d'habitudes progressivement devenuesune forme de sociabilité propre à Niakhar. Comment cettesociabilité particulière est-elle interprétée par les habitants deNiakhar qui en bénéficient depuis 1962 ?

Lorsque la dette ne peut pas être remboursée

Dans la société sérère, énoncer ouvertement les dettes d'unindividu relève d'une grande impertinence. Dans ce contexte, ilest d'usage courant et normatif de garder secrètes et de nejamais révéler les dettes d'une tierce personne en public. Eneffet, comme dans la plupart des sociétés régies par un systèmed'économie symbolique (MAUSS, 1924-1925 ; GODBOUT etCAILLÉ, 2000), la dette tient une place fondamentale et elle estinvestie par un ensemble de précautions sociales particulières.Transmissible d'une génération à l'autre, elle représente généra­lement la solvabilité d'un lignage entier (puisque les dettes sont

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souvent partagées entre plusieurs membres) et son importanceest inversement proportionnelle à l'honneur de l'individu ou deson lignage". Dans le savoir populaire sérère, comme dans denombreux contextes africains, un homme accompli est trèssouvent perçu comme un homme étant capable de donner plusque de prendre, autrement dit d'honorer les dettes qu'il acontractées au cours de son existence et d'avoir donné de façonmatérielle (argent, biens) ou immatérielle (services, conseils).Or, à travers les diverses prestations sanitaires auxquelles leshabitants de la zone d'étude de Niakhar ont accès grâce auxrecherches scientifiques, ceux-ci font essentiellementl'expérience de l'endettement vis-à-vis de l'IRD. Cette detteini1ue-t-elle sur les représentations que les habitants de Niakhardéveloppent à l'égard des professionnels de la recherche?

L'extrait d'entretien ci-dessous, réalisé avec un voisin deDiégane - dont le récit a été transcrit dans l'introduction de celivre -, exprime de façon explicite la logique qui conduit leshabitants de la zone d'étude de Niakhar à se sentir endettés vis­à-vis de l'IRD :

« Ce sont les gens de 1'Orstom qui sont venus avec leurvoiture pour donner de grandes quantités de médicaments àDiégane et le lendemain, ils sont venus pour l'amener à

Kaolak ! Et de Laokdi on l'a amené directement à Dakar! Onl'a amené à l'hôpital. On l'a soigné. On lui a fait un pansement.Actuellement il est complètement guéri [... ] Je sais très bienque nous n'avions pas les moyens de mettre en œuvre tout celaet que seull'Orstom pouvait le faire. C'est pour cela que ce quefait l'Orstom dans nos villages, seul Dieu peut le lui rendre. »

Cheikh, habitant de Ngayokhème,juin 2007.

13. Dans la zone d'étude de Niakhar, comme dans de nombreux groupessociaux en Afrique de l'Ouest, les funérailles d'un homme accompli ethonorable correspondent à une longue cérémonie au cours de laquelle denombreuses personnes, proches ou moins proches du défunt, viennent luirendre hommage en s'acquittant auprès de sa famille des différentes dettes,symboliques ou matérielles, qu'ils ont contractées vis-à-vis du défunt, permet­tant aux membres de son lignage de faire de cet événement un festin quirendra hommage à l'ensemble des invités et des voisins.

POUVOIRS ETDEVOIRS DELARECHERCHE ENsANTÉ 93

Cet interlocuteur énonce les différents soins qui ont été réali­sés lors de l'évacuation sanitaire d'un jeune homme participantà un essai clinique suite à sa chute d'un baobab. Lorsqu'à la finde son propos Cheikh dit : « Ce que l'Orstom fait dans nosvillages seul Dieu peut le lui rendre », il sous-entend deuxchoses: premièrement que les « prestations sanitaires extraordi­naires » qu'est capable de délivrer l'IRD sont à la fois sicruciales et inaccessibles que seul leur Dieu est en mesure deleur rendre l'équivalent dans la relation de don/contre-don.Deuxièmement, cet énoncé suggère que ces prestationssanitaires endettent symboliquement les habitants de la régionenvers l'IRD, car seul Dieu, et non les habitants de Niakhar, esten mesure de rembourser cette dette.

En effet, aucun habitant de cette région ne se pense en mesurede fournir un contre-don (symbolique ou financier) à la hauteur dudon que représente une vie sauvée. Ce sentiment de dette d'unevie sauvée, préservée et / ou soignée est précisément ce quiconduit les habitants de la zone d'étude de Niakhar à considérerqu'il n'est pas envisageable de refuser de participer auxrecherches auxquelles les chercheurs de l'IRD leur proposent departiciper. Chaque habitant est endetté de manière différente : dansune famille, un enfant aura été évacué dans un centre de santépour être opéré en urgence ; dans une autre, c'est un médecin derecherche clinique qui aura prescrit une ordonnance à un père ou àun frère ; enfin dans une autre, ce sera un frère qui aura travaillépour l'IRD et aura pu soutenir différents membres de sa parentèlependant quelques années ou quelques mois. Ce sentiment de dettesusceptible d'influencer le choix de participation des habitants deNiakhar est probablement d'autant plus important qu'il estsouvent doublé de l'espoir de pouvoir bénéficier, de manièreimmédiate ou différée, d'autres avantages médicaux.

D'ailleurs, certains enquêteurs de recherche considèrent leconsentement actuel des habitants de la région comme « allantde soi ». En effet, comme l'illustre l'extrait d'entretien ci­dessous, le consentement est parfois perçu comme un acte de« politesse» que les habitants de la zone d'étude de Niakhar sedoivent de faire au nom de leur endettement (fait de l'accumula­tion des soins réalisés dans les villages de la région par leséquipes de recherche de l'IRD sur plusieurs générations). C'est

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sans aucune censure que cette enquêtrice de recherchem'explique comment elle fait prendre conscience à certainsparticipants potentiels à une recherche de l'IRD (des adoles­cents) de la place de cette dette dans leur histoire personnelle :

« Avant que je passe dans les maisons, il y a Farba etTonton Bass qui passaient dans les maisons pour leur [les parti­cipants potentiels] dire qu'il y a des enquêteurs qui doiventpasser et vous savez bien que l'Orstom connaît les gens decette concession avant leur naissance.

Aussi moi, quand je vois des adolescents qui me demandentpourquoi tu nous poses ces questions et si je n'arrive pas à lesconvaincre, je leur dis, l'IRD vous connaissait bien avant votrenaissance parce que vos mamans, là, c'est l'IRD qui faisait leurvisite prénatale. On mesurait leurs ventres alors que vousn'étiez même pas encore nés. Et puis c'est aussi l'TRD qui vousa vaccinés, il prenait votre poids, votre mesure et aujourd'huivous êtes adolescents, donc l'IRD vous connaît depuis laFrance avant même que vous soyez nés. Et après, si les enfantsont compris que l'IRD c'est lui qui les a éduqués et qu'il abesoin de leurs savoirs, c'est bon.

Une fois, il y en a qui étaient allés voir un enquêteur deNgayokhème qui leur a confirmé ce que j'ai rapporté en disant,ce que Coumba a dit est vrai c'est l'IRD qui vous connaît mieuxque votre père ou votre maman et si tu insistes à ce mot-là turéussiras à faire n'importe quelle enquête dans cette concession,mais avec respect, car nous les connaissons et nous sommesnatifs du village et nous savons que l'Orstom aime la politesse. »

Coumba, enquêtrice polyvalente, Diohine, mai 2007.

Cet extrait d'entretien montre sur quelle corde sensible joueune enquêtrice pour obtenir l'accord de participants potentiels.Il permet également de distinguer la place que peut prendrel'IRD dans la vie sociale des habitants de Niakhar et rendlisibles les mécanismes sociaux qui conduisent les habitants dela région à se sentir obligés de participer ou de collaborer auxrecherches de l'institut. En effet, c'est parce que des profession­nels de l'IRD ont délivré des soins (à travers des essais vacci­naux et le soutien des équipes locales au PEY : « C'est l'IRD

POUVOIRS ETDEVOIRS DELARECHERCHE ENSANTÉ 95

qui vous a vaccinés ») et disposent de connaissances précisessur chaque habitant, lignage et concession de la région (autravers du suivi démographique: « C'est l'IRD qui vous connaîtmieux que votre père ou votre maman ») qu'une doubleallégeance doit être exprimée envers les représentants de l'IRDlorsqu'ils viennent dans les concessions pour proposer de parti­ciper à une nouvelle recherche. Dans ce cas précis, la délivrancede prestations sanitaires par l'IRD, à l'attention de la mère etdes participants eux-mêmes, conduit ces derniers à être dansl'obligation de s'acquitter de leur dette envers un donateur. Lespropos de Coumba, mentionnant les divers soins prodigués par1'IRD aux habitants de Niakhar, expriment également la dimen­sion inattendue de « soins » à laquelle est parfois associée larecherche scientifique (EASTER, HENDERSON et al., 2006).

L'extrait laisse même penser que l'IRD peut être associé àune entité familiale. En effet, à travers l'usage d'un pronompersonnel « il » pour parler de l'IRD comme dans l'extrait:« L'IRD [... ], il prenait votre poids» ou encore « si les enfantsont compris que l'IRD, c'est lui qui les a éduqués », Coumbaexprime - outre ce qui peut apparaître comme une banale fautede français - la personnification dont fait parfois l'objet l'IRD(ou l'Orstom). Tout se passe comme si, à certains moments, enraison de la variété des activités menées par l'IRD et de sondegré de connaissance de la région et de ses habitants sur unetemporalité étendue, cela permettait que soit faite une analogieentre l'institution et une forme de proximité parentale. Lesparticipants aux recherches cliniques et parfois certains enquê­teurs de recherche évoquent en effet l'IRD avec reconnaissancecomme une entité pouvant ou ayant pu remplir le rôle de parent,en termes d'aide, d'attention, mais aussi de connaissance del'autre. Cette façon inattendue d'assimiler 1'IRD à une entitéparentale est probablement d'autant plus facilement envisagéeque de réels parents des habitants de la zone d'étude de N iakharet membres de la société sérère de cette région travaillent pourl'IRD. C'est ce qu'expriment les propos suivants:

« Les enquêteurs de l'Orstom, on ne peut pas les écarter,car ce sont nos parents. »

Habitant de Toucar.

96 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

« Quand on était des enfants, on partageait le même lit avecy oussou [NDA : Youssou est enquêteur de recherche pourl'IRD]. »

Habitant de Ngayokhème.

Enfin, en citant les prénoms d'enquêteurs de l'IRD, qui sontdes hommes « respectés» dans les villages, ou d'un aîné(reconnaissable par le titre de « tonton »), Coumba rappelle quela dette des habitants de Niakhar envers l'IRD constitue uncertain « patrimoine » historique des familles de la région deNiakhar que détiennent les aînés et qu'il peuvent transmettre·aux cadets. Ce processus de valorisation des recherchesirdiennes au travers de récits oraux peut également prendred'autres formes plus simples. C'est ainsi que des personnesâgées énumèrent, lorsqu'on leur demande de parler de l'Orstom,les divers membres de la concession, issus de différentesgénérations, qui ont participé aux recherches de l'IRD, faisantainsi des membres de leur famille l'incarnation vivante del'histoire de la recherche irdienne.

L'empirisme face au modèle biomédical de la recherche

Du fait de la présence de l'IRD, le modèlé biomédical estinhabituellement diffusé et rendu accessible dans la région. Ceconstat conduit-il pour autant à une plus grande adhésion deshabitants de la région au modèle biomédical et aux logiques dela recherche médicale?

La délivrance de prestations biomédicales par l'IRD dans lazone d'étude de Niakhar ne s'inscrit pas dans un contexte cultu­rel vierge d'autres modèles explicatifs de la santé et de lamaladie. En effet, dans la région, comme dans d'autrescontextes ouest-africains, un bon état de santé est considérécomme le résultat de la qualité relationnelle qu'un individuentretient avec les membres des mondes visible et invisible quil'entourent (AuGÉ, 1984 ; FASSIN, 1992 ; KALIS, 1997). Ainsi,quand bien même aucun habitant de la zone d'étude de Niakharne doute de la capacité de l' IRD à soigner et guérir des« maladies », cette reconnaissance ne suppose pas qu'ils renon-

POUVOIRS ET DEVOIRSDE LA RECHERCHEEN SANTÉ, 97

cent à leurs propres explications de la maladie et de la guérison.De nombreux accouchements continuent de se faire à domicileet le recours à la biomédecine est tributaire de logiquesfamiliales singulières qui permettent de déterminer l'origineparfois sorcellaire d'un événement pathologique, même pourdes maladies qui disposent de traitement accessible dans lespostes de santé.

Les entretiens réalisés avec les habitants de la zone d'étudede Niakhar montrent que les prestations sanitaires sont rarementexpliquées par la logique du protocole de recherche ou enfonction de critères épidémiologiques et / ou logistiques. Leshabitants associent généralement les prestations sanitaires àl'activité d'un organisme de recherche du Nord venu les«aider» (OUVRIER, 2008). Cependant, comme l'illustre cediscours extrait de l'observation d'une réunion collectived'information à propos d'un essai vaccinal, le fait que cesactivités soient réalisées dans un village précis, et pas dans unautre, peut conduire certains habitants à considérer la réalisationd'une étude clinique comme relevant d'une chance, voire d'unhonneur.

« L'IRD aurait pu venir dans plein d'endroits dans leSénégal et ils ont choisi Kalôme. »

Habitant de Kalôme, réunion d'informationsur l'essai méningite, juillet 2007.

Le fait de pouvoir bénéficier de prestations sanitairesgratuites au niveau individuel est parfois interprété comme uneforme de chance statistique, sans être davantage élaboré. Cesprestations sanitaires gratuites sont en effet intégrées à unelogique d'économie familiale de manière empirique, mais nevont pas forcément conduire à une adhésion particulière aumodèle biomédical, comme l'exprime l'extrait ci-dessous:

« Actuellement si on est malade, on va voir les sœurs audispensaire. De temps en temps, l'Orstom vient et alors c'estgratuit et tu ne paies rien. Si les gens de l'Orstom sont là etqu'ils te trouvent malade au dispensaire, c'est eux qui paierontla consultation et les médicaments. C'est ta chance. Une fois je

98 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

suis allée là-bas parce que mon enfant était malade et c'est cuxqui ont tout payé pour soigner l'enfant. »

Khady, habitante de Ngayokhème, mai 2007.

Enfin, des échanges verbaux à l'occasion d'une réuniond'information concernant l'essai vaccinal sur la méningite, quenous avons suivi en 2007, mettent en évidence les mécanismesdiscursifs par lesquels les habitants du village de Kalôme« négocient» les prestations sanitaires biomédicales de l'IRDlors de la réalisation d'études cliniques, tout en se gardantd'attribuer aux représentants de cette biomédecine l'entièreresponsabilité de ces prestations:

[NDA: L'investigateur principal d'une étude clinique, accompagnéde l'ensemble des membres de l'équipe investigatrice, vient d'énoncerpendant 20 minutes l'objectif et les critères d'inclusion d'un essaivaccinal qui commencera dans les semaines suivantes. Après desremerciements de convention, le chef du village prend la parole] :

« Les habitants du village qui ne font pas partie du projet pourront­ils quand même être soignés? »

L'investigateur répond:« Oui, vous n'aurez qu'à vous adresser aux médecins ici présents

qui seront dans les dispensaires. »À ce moment-là, le chef du village dit en regardant l'assemblée:« Que Dieu vous donne plus d'un an pour la durée de votre projet. »[NDA : plusieurs habitants posent des questions sur les critères

d'inclusion et les modalités précises du déroulement de l'étude.D'autres remercient pour les « services» rendus par l'IRD dans lepassé, puis un homme se lève, porte son chapelet à hauteur de sonbuste et dit] :

« Que Dieu fasse en sorte que le projet se déroule bien. »L'assemblée de 40 individus présents répond collectivement:«Amin", »

Kalôme, juillet 2007.

14. En prononçant la formule « Amin », qui termine habituellement lesprières musulmanes en Afrique de l'Ouest, un consentement collectif estexplicitement donné à ces considérations par l'ensemble de l'assemblée.

POUVOIRS ETDEVOIRS DELARECHERCHE ENSANTÉ 99

Dans cet extrait, lorsque le chef de village demande si leshabitants qui ne font pas partie du projet pourront être quandmême soignés, il incite les chercheurs de l'IRD à faire perdu­rer la disponibilité des médecins de recherche clinique àl'égard des malades de la région, qui a été établie de manièreinformelle dans le passé. En effet, dans un contexte où laparole fait souvent office d'engagement au même titre qu'unacte authentifié, l'intervention du chef de village - qui est undes rares représentants à m'avoir fait part de sa compréhen­sion des recherches cliniques en entretien individuel - peutêtre interprétée comme un moyen de « faire signer» àl'ensemble des Irdiens un document les engageant personnel­lement à rendre les soins biomédicaux accessibles dans sonvillage.

Par ailleurs, à travers les prières prononcées par le chef duvillage, un homme âgé de l'assemblée" et le consentement del'auditoire à travers la formule « amin», les habitants du villageannoncent qu'ils acceptent officiellement de recevoir ces presta­tions. Cependant, cette formule religieuse signifie aussi que, sile pouvoir de soigner dont disposent les membres de l'équipe de .professionnels de la recherche présents lors de cette réunion estgrand et ne peut être refusé, l'avenir restera toujours entre lesmains de Dieu et n'est donc ni du ressort des représentants de labiomédecine, ni même de l'IRD.

On le voit, les habitants de la zone d'étude de Niakharconstituent un groupe social à part, au sens où leur santé estdépendante des activités de recherche clinique de l 'IRD.Cependant, cette situation ne semble pas les conduire pourautant à adhérer plus qu'ailleurs au modèle biomédical, pas plusqu'elle ne semble conduire à une meilleure compréhension desessais cliniques et de la démarche scientifique. L'étude du rôleet des pratiques des enquêteurs de recherche - qui sont lesprincipaux intermédiaires entre chercheurs et habitants de lazone de Niakhar - permettra cependant de comprendrecomment les recherches de l'IRD et les «moyens» mis à dispo-

15. Cet âge avancé permet de conférer à cet homme la reconnaissanced'une certaine autorité sociale.

100 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

sition des habitants de la région sont présentés, réappropriés,redistribués et socialisés au quotidien.

L'intermédiaire de la recherche ou le métier d'enquêteur

Les enquêteurs constituent une figure à la fois majeure etincontournable de la recherche à Niakhar. Les premiers enquê­teurs étaient des techniciens de l'agence nationale de la statis­tique et ont accompagné les chercheurs français dans le bassinarachidier lors des premiers recensements dans les années 1960.Puis, à la fin des années 1980, un concours organisé dans laville de Niakhar a permis d'embaucher un pool d'enquêteursoriginaires de la région. Une majorité d'entre eux travaillentencore aujourd'hui pour l'IRD ou s'apprêtent à partir à laretraite, après avoir travaillé parfois durant plusieurs dizainesd'années pour l'institut français. Toujours en première ligne surle terrain mais souvent peu visibles dans les publications scien­tifiques, les enquêteurs ont exercé et continuent d'exercer uneinfluence importante sur la manière dont la recherche scienti­fique est réalisée, perçue et vécue à Niakhar.

Une profession et des modes d'accès singuliers

Les enquêteurs de Niakhar sont des professionnels de larecherche dont le rôle est de récolter des données primaires- matérielles ou informatives - auprès des habitants, suivant unprotocole de recherche établi par des chercheurs. Qui sont cesacteurs originaux et comment leur activité de récolte dedonnées s'insère-t-elle au' sein de l'institution et de la sociétésérère?

L'origine de l'usage du terme « enquêteur» et des diversestâches de récolte de données scientifiques n'est pas évidente. Cemétier est peut-être 1'héritier du rôle d'« enquêteur linguis­tique» et d' « éclaireurs» que tenaient certains Africains audébut du xx' siècle pour les ethnologues ou les « explorateurs

POUVOIRS ETDEVOIRS DELARECHERCHE ENSANTÉ 101

scientifiques », Ce terme désignait alors les personnes quiaccompagnaient les « scientifiques » dans leurs recherches ettraduisaient les propos de leurs interlocuteurs" (QUEMADA etPIERREL, 2004). Cette dénomination peut également avoir uneétymologie plus contemporaine et renvoyer au terme génériqued'enquêteur de recherche qui désigne les personnes qui ont lacharge de compléter des questionnaires. Il peut aussi constituerun glissement du terme « enquêteur démographique» vers tousles professionnels chargés de récolter des données primaires àNiakhar.

Deux catégories d' enquêteurs17 se distinguent à Niakhar : lesenquêteurs statutaires (disposant de contrats à durée indéterminéeet spécialisés dans la récolte de données démographiques généra­lement) et les enquêteurs polyvalents (ponctuellement salariéspar 1'IRD dans des domaines de recherche qui diffèrent enfonction des besoins).

À Niakhar, comme dans d'autres régions pauvres du pays,l'émigration et l'envoi desplus jeunes dans les pirogues pourl'Europe font malheureusement partie des options envisagéespar certaines familles pour subvenir à leurs besoins. L'obtentiond'un contrat de travail pour exercer le métier d'enquêteur estdonc extrêmement prisée. L'embauche dans un programme del'IRD représente non seulement un revenu régulier, mais aussila possibilité de rester auprès des siens. Les revenus générés parces emplois sont, comme tout revenu régulier, redistribués à lafamille ou à l'entourage de la personne salariée. Ils constituentpar ailleurs un moyen de côtoyer une petite élite locale, voired'y appartenir. De nombreux enquêteurs sont en effet investisdans des activités politiques, sanitaires ou encore des projets dedéveloppement dans leurs villages respectifs.

16. De nombreux enquêteurs de Niakhar ont, dans un premier temps ouponctuellement dans leur carrière, été embauchés en tant que traducteurs pourdes médecins, des démographes, des historiens ou encore des sociologues del'IRD.

17. Différents anthropologues anglo-saxons ayant travaillé sur des sites derecherche similaires à la zone d'étude de Niakhar, en particulier en Gambie,mentionnent le recours au terme fieldworker pour qualifier les enquêteurs derecherche (FAIRHEAD et al., 2005 ; GEISSLER, 2005).

102 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

Comme l'activité principale de l'IRD dans la zone d'étudeest la récolte de données primaires dans différents champs derecherche (démographie, recherche clinique, sciences sociales),la fonction d'enquêteur fait fréquemment l'objet de recrute­ments locaux. Les individus engagés sont, la plupart du temps,originaires de la région et apparentés aux habitants de Niakharavec lesquels ils entretiennent des relations sociales en dehorsde leur profession. Ils sont, à quelques exceptions près, toussérérophones. Par conséquent, ils sont les seuls professionnelsde la recherche à même de recueillir et de délivrer des informa­tions de façon précise" auprès des habitants de la région. Lesenquêteurs ont donc une place stratégique dans l'organisationde la recherche scientifique à Niakhar.

Divers moyens ont permis et permettent encore auxhabitants de la zone d'étude de Niakhar et des environsd'accéder au métier d'enquêteur: le concours, l'interconnais­sance et la filiation.

Issue d'une logique de recrutement par les compétences,l'introduction au métier d'enquêteur par concours est le modede recrutement le plus classique. C'est par ce biais qu'ont étérecrutés la plupart des enquêteurs de la promotion de 1987 etcertains enquêteùrs contractuels. Ceux qui sont passés par unconcours pour acquérir leur statut en sont généralement fiers. Ilsse rappellent leur classement, la personne qui les a ensuiteformés et les changements que cela a apportés dans leur vie.Pour les enquêteurs démographiques des années 1980, ce moded'introduction est aussi accompagné d'une véritable découvertedu monde de la recherche, car la majeure partie d'entre euxignoraient l'existence de la démographie. C'est ce dont témoi­gnent les propos suivants:

«Après mes études, je suis parti à Dakar. Par J'intermédiaired'un certain Mansour, il m'a parlé d'un programme qui semontait à Niakhar. Il m'a demandé d'aller voir le responsable

18. En effet, les habitants de la zone d'étude de Niakhar parlent essentiel­lement le sérère. Ils utilisent également des éléments de wolof, de façon plusou moins importante selon les lieux et.les familles, mais seule une informationexprimée et recueillie en sérère permet d'assurer une compréhension optimale.

POUVOIRS ET DEVOIRS DE LA RECHERCHE EN SANTÉ 103

en 1986. Je suis allé à Bel Air. Le responsable m'a demandé deme rendre au village de Niakhar parce qu'il y a des tests là-baslundi prochain. J'ai quitté de suite Dakar ct je suis arrivé àNiakhar. J'ai fait les tests et je suis arrivé premier. Il y avait 80candidats pour Il postes. Ce jour-là, je ne m'attendais pas à çadevant le questionnaire. Je m'attendais à des mathématiques ouune dictée, mais on a eu des questions ... hou ... mais certains onne savait pas ce que c'était que la démographie. Mais bon, moi,j'ai raisonné en terme de logique et ça a marché.

Saliou, enquêteur statutaire, novembre 2006.

Issue d'une logique de cooptation, l'introduction parintercon­naissance est la plus populaire et n'est pas exclusive des deuxautres. L'enquêteur est alors recruté sur recommandation(s). Ceprocessus encourage beaucoup d'habitants de la zone d'étude deNiakhar à solliciter les divers individus « estamplllés IRD »,qu'ils pensent susceptibles de leur procurer « des entrées» dansleur institution, comme cela avait été décrit par Jean-FrançoisWerner sur son terrain dakarois (WERNER, 1993). Cependant, cemode d'introduction conduit souvent à douter de la légitimité decelui qui a obtenu son statut ainsi, car des logiques de clienté­lisme ou de solidarité familiale peuvent l'emporter sur l'évalua­tion des compétences des enquêteurs ou d'autres technicienscooptés (cuisinières, chauffeurs, techniciens, etc.). Unchercheur ou un autre enquêteur peut très bien suggérer lerecrutement d'une personne parce qu'elle est un parent proche,qu'elle est en dette envers celui-ci ou qu'il souhaite la rendreredevable. Cela n'induit cependant pas nécessairement que lacooptation soit un processus de recrutement moins équitable oumoins efficace que le concours.

La cooptation peut toutefois avoir une influence sur l'originesocioculturelle des enquêteurs. Ainsi, très peu d'enquêteursappartiennent aux groupes sociaux considérés comme inférieursdans la société sérère, comme les castes de forgerons ou degriots. Si cette observation s'explique au moins en partie par lefait que les premiers groupes qui ont eu accès aux études ont étéles castes les plus « élevées », il est cependant égalementpossible qu'une fois ces postes d'enquêteur acquis par unecertaine « bourgeoisie locale», leurs détenteurs n'aient pas

104 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

souhaité partager cette niche professionnelle avec les membresde castes inférieures. En effet, certaines catégories profession­nelles de la capitale ont ainsi été accaparées par un uniquegroupe statutaire qui coopte ses membres à l'intérieur du mêmegroupe (BOCQUIER, 1996). Ce point de vue doit toutefois êtrenuancé étant donné que certains membres de castes inférieurespeuvent aussi être cooptés par des castes supérieures aveclesquelles ils entretiennent des rapports de droits et de devoirs.Un enquêteur issu d'une famille de la caste des griots de la zoned'étude de Niakhar m'expliquait ainsi, au cours d'un entretien,que c'est par sa voisine - issue d'un lignage noble et aveclaquelle sa famille entretient des liens de droits et de devoirsspécifiques - qu'il a été engagé. Dans ce cas, la cooptation d'unenquêteur griot est possible, car elle ne remet pas en question lerapport hiérarchique entre castes.

Issue d'une logique de transmission de patrimoine", l'intro­duction par la filiation constitue probablement l'accession aumétier d'enquêteur la plus légitime socialement. Comme lementionne Pierre Bourdieu, « parmi les avantages sociaux deceux qui sont nés dans un champ, il y a précisément le faitd'avoir, par une sorte de science infuse, la maîtrise des loisimmanentes du champ, lois non écrites qui sont inscrites dans laréalité» (BOURDIEU, 1997, p. 21). Ainsi, les enfants ou parentsproches de certains enquêteurs de la région, parce qu'ils ont« baigné» dans la recherche, non seulement ont des prédisposi­tions à exercer le métier d'enquêteur, mais sont égalementparfois perçus comme plus légitimes que les autres pour yprétendre. Le processus d'introduction par filiation renvoie à unmode de transmission du métier qui existe dans d'autres sphèresprofessionnelles des sociétés ouest-africaines (KAIL, 2003). Uneautre explication possible à ce mode d'accès réside peut-êtredans les liens de solidarité qui se sont progressivement établis àl'intérieur du groupe social des enquêteurs, conduisant lapremière génération d'enquêteurs à se considérer investie d'undevoir de transmission de leur statut à leur descendance. C'est

19. Le terme patrimoine est ici utilisé en son sens premier, c'est-à-direcomme l'ensemble des biens de famille privés appartenant eu paterfamtlias etnon au patrimoine public (QUEMADA et PIERREL, 2004 ; Dr MEO, 2008).

POUVOIRS ETDEVOIRS DE LA RECHERCHE EN SANTÉ 105

ainsi que Youssou, le fils d'un ancien enquêteur de Niakhar,travaille de manière contractuelle et malheureusement nonpermanente depuis qu'il a obtenu son bac scientifique. Ils'exprime en ces tenues à ce sujet:

« Les enquêteurs de Niakhar, ils m'ont vu comme leur fils.Tout le monde me regarde à l'image de mon père. Moi aussi, jeleur dois du respect et je m'ouvre aussi beaucoup à eux. Jediscute et ça me permet de comprendre la vie et ce que monpère a vécu avec eux. »

L'éthos du recueil des données

Qu'il s'agisse de données informatives ou matérielles,qu'elles concernent la santé, l'élevage ou les liens sociaux, larécolte de données par les enquêteurs de recherche de Niakharpasse obligatoirement par une interaction sociale entre au moinsdeux individus. Les entretiens réalisés avec 14 enquêteurs statu­taires et polyvalents, associés à des observations de leurspratiques, montrent que deux modes d'interaction caractérisentle processus de recueil de données des enquêteurs: la mobilisa­tion d'un capital social personnel et la mise en place de.relations de don / contre-don.

Le capital social a été défini par Pierre Bourdieu comme« l'ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sontliées à la possession d'un réseau durable de relations plus oumoins institutionnalisées d'interconnaissance et d'inter-recon­naissance» (BOURDIEU, 1980). Dans ce cas, le capital social desenquêteurs correspond au réseau de relations privilégiées qu'ilsont hérité de leur nom" et à celui qu'ils ont construit personnel-

20. Dans la zone d'étude de Niakhar, comme dans de nombreuses régionsd'Afrique, les individus héritent au travers du patronyme qu'ils portent desconsidérations et / ou attentions associées à l'ancêtre fondateur de leur groupe.Ces règles sociales transmises déterminent partiellement la manière dontchacun pourra interagir avec un autre acteur. Ainsi, une personne portant lepatronyme Diouf, qui correspond au nom de l'ancien roi du Sine CoumbaNdoffen Diouf, sera considérée comme noble et donc aura le devoir d'aider ungriot qui ne portera jamais ce patronyme.

106 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

lement avec les habitants de la zone d'étude de Niakhar. Celui­ci diffère d'un enquêteur à l'autre. Il peut être constitué derelations établies entre l'enquêteur et sa famille, si l'enquêteurest issu du village où il doit récolter des données. Ainsi, selon lechamp dans lequel se situe le travail de l'enquêteur, une tanteou un ami deviendront potentiellement des enquêtés ou desinterlocuteurs privilégiés. Ce capital social peut néanmoinsconstituer tout aussi bien un avantage qu'un inconvénient:

« Parfois aussi, je rentre dans une maison, je trouve là-basdes gens qui ont le même âge que mon frère. Leurs femmesm'appellent "mon mari" parce que je suis la sœur de leur mari.Dès que je rentre dans la maison, elles disent: "Ah aujourd'huije vais faire un bon repas mon mari est là, c'est elle qui va medonner la dépense", et là si j'ai un petit 100 F, je lui rajoutepour faciliter le travail. »

Coumba, enquêtrice polyvalente, Diohinc, mai 2007.

Dans ce cas, le fait que cette enquêtrice soit en relation avecdes membres de sa parentèle dans le cadre de son travail derécolte de données la conduit - comme de nombreux autresenquêteurs - à être sollicitée comme « soutien de famille ». Eneffet, par des jeux de rôle entre apparentés, qui diffèrent selonles situations et les acteurs de l'interaction, les enquêteurs et lesenquêtrices sont fréquemment conduits à être sollicités pour« aider » leurs parents. Ces demandes en sont d'autant plusfacilitées et considérées comme légitimes que les « parents­enquêteurs » entrent dans les concessions en expliquant qu'ilstravaillent pour l'IRD et que l'institut est considéré comme unorganisme riche et prestigieux.

Enfin, le capital social de l'enquêteur peut également êtrecomposé des relations qu'il a établies avec les habitants de larégion dans le cadre d'enquêtes précédentes. C'est ainsi qu'unenquêteur, alors en poste dans un essai clinique, m'expliquaitutiliser la reconnaissance et la confiance, acquises auprès de lapopulation de la région qu'il avait aidée en la soignant lorsd'une précédente étude, pour la convaincre de participer à denouveaux programmes:

POUVOIRS ETDEVOIRS DELARECHERCHE ENSANTÉ 107

« S'il y avait des refus dans les projets, moi je venais etm'adressais en faisant de sorte que les personnes acceptent.Elles acceptaient parce qu'elles me connaissaient. Je suis trèsconnu dans la zone. Elles me disaient: "Ah Modou, si c'étaitpas toi, on n'allait pas accepter."»

Diaga, enquêteurpolyvalent, Niakhar,mai 2007.

Parallèlement à l'usage de ce type de capital social, certainsenquêteurs entretiennent également des rapports de don etcontre-don avec les habitants de la zone d'étude. Ces donspeuvent être de nature et de valeur très variables, compris dansl'étude, négociés ou parfois provenant du salaire des enquêteurseux-mêmes.

Les pratiques de Pape - enquêteur originaire de Dakar ­illustrent l'ingéniosité dont font preuve certains enquêteurs pourfaire de la relation enquêteur-enquêté une activité « juste ».Pape explique que, lorsqu'il travaille dans la zone d'étude deNiakhar, il est toujours attentif à ce que l'échange ne soit pasdéfavorable aux habitants de la région. Ainsi, lorsqu'il n'y a pasde projet de recherche clinique qui permette aux habitants debénéficier de soins ou de consultations gratuites, il récupère despel' diem" que l'institution lui verse pour ses déplacements ouparce qu'il travaille le samedi et le dimanche et les utilise pouracheter de la cola et du tabac qu'il distribue aux « vieux» desvillages ou des concessions dans lesquelles il passe au cours deses enquêtes. Dans ce cas, ces dons s'apparentent plus à ungeste de politesse qu'à une stratégie de récolte de données. Lesbénéficiaires de ces dons ne sont pas nécessairement lespersonnes interrogées ou de la même concession. Ces petitsgestes sont cependant très appréciés par les habitants de larégion. Par ailleurs, Pape est également infirmier de formation.

21. Le ternie pel" diem signifie en latin « par jour ». Il s'agit d'une indem-,nité qui est versée par les institutions publiques ou privées aux personnes aveclesquelles elles collaboren, afin qu'elles puissent couvrir leur frais de déplace­ment, d'hébergement et de nourriture. Ce terme est fréquent dans le monde dudéveloppement et justifie le versement de sommes plus ou moins importantesaux différents acteurs aux titres d'agents de l'État, consultants extérieurs,médiateurs locaux, etc. Les pel" diem peuvent être délivrés en cash ou sousforme de versement bancaire.

108 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

À chaque fois qu'il le peut, il essaie donc de transporter avec luiune mallette contenant une petite trousse de secours, des lamespermettant de faire des gouttes épaisses et parfois des récipientsurinaires afin de détecter des cas de bilharziose. Ainsi, lorsqu'Iltravaille dans la région, Pape est en mesure de réaliser unensemble de soins et de diagnostics à l'attention des habitants.

L'ensemble de ces dons qui accompagnent le processus derécolte de données de Pape fait partie d'un éthos de la récolte dedonnées que partagent de nombreux enquêteurs, mais égalementcertains ingénieurs de recherche et certains chercheurs. Ceséchanges et rapports de don/contre-don dans la relationd'enquête peuvent également être plus importants et différésdans le temps, comme l'explique cet enquêteur :

« À Diohine, comme c'est là que j'ai commencé, j'ai donnédes lits et des médicaments... J'ai reçu quatre conteneurs demédicaments, d'habits et de chaussures. [... ] J'ai donné des litsà Ngayokhème, à Diarère et à Diohine. J'avais 25 lits, j'aidonné cinq lits par poste. Comme ils m'ont aidé [NDA : dansson travail dans la zone], je veux les aider en retour.»

Diaga, enquêteur polyvalent, Niakhar, mai 2007.

Enfin, pour les enquêteurs qui n'ont pas de formationmédicale ou les moyens de mobiliser des dons importants, les« petits cadeaux» ou gestes symboliques tiennent une placeimportante dans leurs activités. Lorsque cela est possible, certainsnégocient auprès des chefs de projet le fait que des bonbons ousavons, selon les études, soient distribués avant ou après lerecueil de données. Certains enquêteurs, ne pouvant ou ne souhai­tant pas recueillir des données à travers ce mécanisme de don etde contre-don, utilisent généralement l'humour et / ou la parentéà plaisanterie pour introduire leur demande. Ainsi, un enquêteurportant un nom de famille noble arrivera en disant qu'il est lechef dans une concession de caste plus basse afin de « mettre lesgens à l'aise ». D'autres enquêteurs plaisanteront sur leur souhaitd'épouser des filles de la concession ou de prendre la femme duchef. Enfin, d'autres insisteront sur la nécessité de respecter leshabitants de la zone selon un ensemble de précautions et demesures de politesse spécifiques :

POUVOIRS ETDEVOIRS DELARECHERCHE ENSANTÉ 109

« C'est la façon dont tu te présentes dans la maison etcomment tu poses les questions qui est importante, paree quec'est un retard sur leurs activités qu'ils répondent à nosquestions. C'est pour ça que si tu fais le gros dos, tu luimontres, jc suis un étudiant, et toi tu es un paysan, tu n'es rienet je viens prendre du savoir ici. Tu n'auras pas de bonnesréponses. [... ]

Il faut faire en sorte que l'enquête devienne amusante. Là,je viens de faire une enquête où j'animais un groupe defemmes, c'était bien parce que je faisais rigoler les femmes etc'était comme si on était sous l'arbre à palabre. »

Coumba, enquêtrice polyvalente, Diohine, mai 2007.

Ces rapports à plaisanterie et relations de don / contre-don,qui permettent aux enquêteurs de réaliser leur travail, ne sontcependant pas appréciés de la même manière par tous lesacteurs de la recherche. En effet, pour certains professionnels,les relations que les enquêteurs entretiennent avec la populationdoivent rester strictement professionnelles. Certains enquêteurssont d'ailleurs opposés à ces pratiques de dons. Les pratiquesdécrites ne sont cependant pas en contradiction avec les troisgrands principes éthiques de la recherche : le respect de lapersonne, la bienfaisance et la justice (NATIONAL COMMISSIONFOR THE PROTECTION OF HUMAN SUBJECTS OF BIOMEDICAL ANDBEHAVIORAL RESEARCH, 1979). Dans un contexte de pauvretéstructurelle, ces valeurs peuvent cependant favoriser laconstruction de rapports de clientélisme. Certains enquêteurspolyvalents peuvent en effet - pour rester « concurrentiels » surle marché de l'emploi des enquêteurs - être tentés de monnayerleur capital relationnel, sans pour autant réfléchir à l'éthiquesous-jacente. Il m'a été possible d'entrevoir cette tendancelorsqu'un enquêteur de recherche clinique, se présentant à moiau milieu de mon travail ethnographique, me fit part de son.extrême facilité à réaliser des prélèvements sanguins sur desnourrissons en un temps record, tout en me signalant un peuplus tard au cours de l'entretien que, moyennant finance, ilserait en mesure de faire parler les habitants des villages lesplus réticents, si cela s'avérait nécessaire pour« mon étude ».

110 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

Les stratégies micro-sociales

L'absence d'employeurs locaux capables de proposer despostes aussi attrayants que l'IRD, associée au caractère « subal­terne» du métier d'enquêteur dans l'organisation sociale de larecherche, peut conduire à penser que les enquêteurs de Niakharsont en position de dépendance vis-à-vis de l'institutionfrançaise. Or les données recueillies sur le terrain donnent à voirune toute autre réalité. En effet, comme le rappellent MichelCrozier et Erhard Friedberg : « Même dans des situations dedépendance et de contrainte, non seulement les hommes nes'adaptent pas passivement aux circonstances, mais ils sontcapables de jouer sur elles et ils les utilisent beaucoup plus souventqu'on ne le croit de façon active» (CROZIER et FRIEDBERG, 1977,p. 43). L'objectif des paragraphes qui suivent est de présentercomment et à quel moment les enquêteurs de Nialchar dévelop­pent des stratégies singulières qui leur permettent de négocier des

.positions de force dans le champ de la recherche scientifique.Alors que j'évoquais un jour avec le responsable de la

station de l'IRD à Niakhar le fait que beaucoup des interlocu­teurs que je rencontrais dans la « zone» m'expliquaient vouloirtravailler pour l'IRD, celui-ci m'emmena paisiblement dans sonbureau d'où il sortit un amas poussiéreux de feuilles de papier

·d'au moins 15 cm de hauteur. Il me dit alors avec un largesourire: «Tout ça c'est des candidatures et des CV. »

Cette anecdote témoigne à elle seule de l'ampleur de la solli­citation de l'IRD par les habitants de la région. Mais si le dépôtde CV est la procédure officielle pour être candidat à un posted'enquêteur, elle est loin d'être la seule, comme ·signalé plushaut. Les stratégies développées par les habitants de la régionpour obtenir un emploi sont très souvent le fruit d'une grandeingéniosité. J'ai eu l'occasion d'observer et de comprendre lesjeux de pouvoir que deux ressortissants d'un village de la zoned'étude de Niakhar ont mis en œuvre en mars 2007, alors qu'ilsme pensaient en mesure de recruter des enquêteurs dans le cadred'un prochain projet de recherche de l'IRD.

Lorsque j'effectue un entretien qualitatif avec Astou, unehabitante d'un des trois villages priricipaux de la zone, celle-cidétourne assez rapidement le sujet de l'entretien et m'explique

POUVOffiS ETDEVOIRS DELARECHERCHE ENSANTÉ 111

avec insistance que l'étude sur la méningite sur laquellej'effectue un travail ethnographique doit absolument être réali­sée dans son village, car les habitants « ne posent pas deproblèmes comme dans les autres villages ». Elle me metcependant en garde et m'explique à plusieurs reprises, en refor­mulant son propos de façons différentes, que seules lespersonnes natives du village peuvent effectuer les enquêtes, carautrement les villageois refuseront de participer à l'étude, cequi, elle me le rappelle bien, risque de mettre en péri1le projet.Je m'entretiens, quelques jours plus tard, avec un hommeimpliqué dans les activités politiques du même village etdécouvre qu'il s'agit du mari d'Astou. Ayant lui aussi eu ventde ma présence, il m'explique, après avoir répondu à desquestions d'ordre plus général, qu'il trouverait tout à faitinacceptable que l'IRD ne recrute pas son épouse commeenquêtrice sur ce nouveau projet, étant donné « le nombred'années qu'elle a fait à l'IRD auparavant ». Au cours del'entretien, il me glisse, mine de rien, qu'étant un homme« écouté par la population» il lui serait très facile de faire« boycotter» l'étude sur la méningite en faisant savoir quel'IRD a introduit dans les médicaments qu'ils délivrent dessubstances qui « stérilisent» les femmes.

Ce récit montre comment l'accès à des espaces sociauxsinguliers - comme s'entretenir avec des chercheurs occiden­taux ou dakarois qui ont potentiellement une influence sur lerecrutement - constitue pour certains habitants de la région unmoyen de négocier auprès de ces derniers. L'argumentqu'avance Astou, selon lequel les enquêteurs qui ne sont pasissus du village d'enquête ne sont pas en mesure de récolter desdonnées, est une stratégie qui lui permet de réduire le nombred'enquêteurs en concurrence avec elle. La force de la menacelancée par son mari concerne le contrôle dont il dispose surl'adhésion des habitants de la région, du fait de sa positionsociale. Il n'est, par ailleurs, pas étonnant que plusieursmembres d'une même famille mettent en place différentesstratégies pour assurer le recrutement d'une même personne,étant donné que les revenus d'une personne servent générale­ment à subvenir aux besoins premiers d'un réseau familial plusvaste.

112 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

D'autres stratégies de recrutement, moins radicales quecelles développées par Astou et son mari, sont également àl'œuvre à Niakhar. Ainsi, étant donné que nombres d'enquê­teurs polyvalents ont des rapports privilégiés avec desingénieurs, chercheurs ou enquêteurs de l'IRD qui séjournent ettravaillent dans la région où ils vivent, ils sont très souvent aucourant de la mise en œuvre d'un projet dans la région avantmême que cela ne soit officiel. Ce genre d'informations netardant pas à être diffusé et l'accès aux téléphones portables nelimitant plus l'accès à la communication, certains profession­nels de la recherche peuvent être assaillis d'appels télépho­niques provenant de ressortissants de la zone d'étude deNiakhar qui souhaitent déposer une candidature avant mêmeque la procédure de recrutement ne soit ouverte.

Par ailleurs, lorsqu'ils sont employés dans une étude, lesenquêteurs ne sont pas pour autant contraints à un rôle d'exécu­tant. En effet, bien conscients de la nécessité pour leschercheurs et l'institut d'entretenir une relation de confianceavec les habitants de Niakhar, ils utilisent les moyens dont ilsdisposent pour renverser le pouvoir hiérarchique. Ainsi, étantdonné que le pouvoir des enquêteurs repose en partie sur leurrôle de « traducteurs» et de « représentants» de l'IRD auprèsdes habitants de la zone d'étude, ces derniers peuvent faireusage de ce statut à des fins personnelles ou dans l'intérêt dugroupe des enquêteurs. Cet extrait d'entretien illustre ainsi lepouvoir de négociation dont dispose le groupe des enquêteurs:

« Y en a qui étaient renvoyés, même on leur avait dit de neplus mettre les pieds à l'Orstom ! Ces hommes-là sont retour­nés à 1'Orstom parce que je faisais du chantage ... Ils [leschercheurs] ne pouvaient pas refuser, parce qu'ils avaient peur.Peur que, s'ils refusent de reprendre le garçon, je vais lui direavec les villageois qu'il ne fera plus rien ici, on te renvoie[rires]. Nonje dis la vérité,je ne l'ai jamais fait, mais c'est celaqu'ils avaient dans la tête. »

Ndofen, ancien enquêteur polyvalent, Niakhar,février 2007.

POUVOIRS ETDEVOIRS DELARECHERCHE ENSANTÉ 113

Ce qui fait l'objet d'une menace par cet enquêteur est l'accèsaux populations. La stratégie mise en place par Ndofen est parailleurs cette fois-ci mise au service des autres enquêteurs dansune logique de solidarité vis-à-vis de l'employeur, et non pourson intérêt propre. Les enquêteurs plus anciens peuvent égale­ment revendiquer, du fait de leur ancienneté, une présencesystématique aux réunions d'information concernant toutenouvelle étude clinique dans la région. Ces revendications sont,quant à elles, souvent motivées par un désir d'être respectés entant qu'« aînés de la recherche », mais aussi par le souhait deconnaître les projets proposés aux populations de la région quisont aussi « leurs parents ».

Enfin, lorsque les enquêteurs ne travaillent pas ou plus, ilspeuvent développer des stratégies pour capitaliser les ressourceset compétences qu'ils ont acquises au cours de leur activitéd'enquêteur. Les activités que réalise Modou en dehors de sonmétier d'enquêteur sont illustratives de l'élaboration et de ladimension que peut prendre le processus de capitalisation d'unancien enquêteur.

Modou est enquêteur de recherche polyvalent de l'IRD et aune formation d'infirmier. Mais c'est en tant que«gynécologue» qu'il se présente à moi. En effet, Modou consi­dère que son expérience, en tant qu'enquêteur dans desprogrammes de santé maternelle avec l 'IRD, ainsi qu'uneformation au Mali en médecine traditionnelle, lui ont permisd'acquérir une formation complète faisant de lui un spécialistede la santé maternelle, autrement dit un « gynécologue ». Iln'est dans ce contexte pas étonnant que Modou soit appelé« docteur» par certains habitants du village dans lequel jeréalise l'entretien. Il n'est pas non plus surprenant que celui-ciréalise des consultations médicales depuis son domicile, où ildispose d'un ensemble de matériel biomédical à cet effet.

La plupart des enquêteurs acquièrent, au cours de leurexpérience professionnelle au sein de l'IRD, des connaissanceset parfois des compétences techniques en matière de santé",

23. Étant donné que de nombreux enquêteurs ont travaillé dans desrecherches ayant trait à la santé dans le cadre d'essais cliniques ou d'étudesquantitatives ponctuelles à propos d'une pathologie spécifique.

114 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

Ainsi, le glissement du statut d'enquêteur vers celui de« docteur» par le biais d'une stratégie de capitalisation n'estpas exceptionnel. En effet, d'autres enquêteurs et certainschauffeurs engagés dans des programmes de l'IRD peuventopérer cette même capitalisation. Si cette activité peut parfoisêtre considérée comme un exercice illégal de la médecine,condamnable par la loi, elle doit cependant être contextualisée.Parfois ces activités se limitent à des dons de médicamentsantalgiques, en cas de douleur, ou à la recommandation decertains antipaludéens. Par ailleurs, comme le mentionnait unsociologue ayant travaillé dans la zone de Niakhar à l'occasiond'un séminaire, « pour les habitants de Niakhar, toutes lespersonnes qui travaillent pour l'IRD sont des docteurs. » C'esten effet sur la base d'une assignation par les habitants de lazone d'étude que ces derniers tissent progressivement des lienset qu'ils capitalisent potentiellement leur expérience. Ces straté­gies de capitalisation font aussi écho à de nombreux métiers« traditionnels» en Afrique de l'Ouest, dont l'apprentissagepasse essentiellement par l'observation (KAlL, 2003), par lestatut d'apprenti, puis par celui d'initié. Le terme «initiés de lasanté », qu'utilisait un ancien enquêteur pour parler des enquê­teurs de l'IRD, est illustratif de cette possible appropriation dusavoir médical ou paramédical comme une "initiation person­nelle. L'ouverture d'une « clinique psychiatrique» à Niakharpar un ancien assistant de recherche du professeur HenriCollornb" à l'hôpital Fann relève de cette même logique.

À la lumière de ces analyses, les enquêteurs de la zoned'étude de Niakhar apparaissent comme des individus dévelop­pant des stratégies individuelles ou collectives susceptiblesd'infléchir la manière dont la recherche scientifique est réaliséedans cette région du Sénégal.

24. Le professeur Henri Collomb est un psychiatre militaire français quifut chargé après l'indépendance du Sénégal d'assurer le service de neurologieet de psychiatrie du CHU de Fana, à Dakar. 11 y développa de nombreusesrecherches et activités de recherche en psychiatrie transculturelle et fut le chefde fil de ce qui fut appelé « l'École de Fann ».

POUVOIRS ETDEVOIRS DELARECHERCHE ENSANTÉ 115

Le pouvoir sur le vivant, tel que nous avons pu le décrire etessayer de le comprendre tout au long des pages précédentes,est un pouvoir partagé. Le pouvoir d'expérimenter est envisagédans une sociabilité singulière, où il est toujours accompagné decelui de soigner. Les soins médicaux sont ainsi négociés, nonseulement par les chercheurs de l'IRD, mais aussi par les agentsde santé locaux, les responsables de la santé de la région etcertains habitants.

CHAPITRE III

Recherche vaccinaleet éthique de terrain

En 2007, l'Organisation mondiale de la santé et laFondation Bill et Melinda Gates s'engagent à travers le ProjetVaccins Méningite! (PVM) dans le développement d'unnouveau vaccin capable de lutter contre les épidémies quisévissent dans la ceinture méningitique'. Niakhar semble êtreun site idéal pour réaliser les essais cliniques de ce projet, car larégion a, d'une part, accueilli des essais jusque dans les années1990 et, d'autre part, connu plusieurs épidémies qui ont étédocumentées par les chercheurs de l'IRD. Débute ainsi, dans lecourant de l'année 2007, une étude de phase II-III à Niakhardont l'objectif est de comparer l'efficacité de deux vaccinscontre la méningite à méningocoque',

1. http://www.meningvax.orglfr/index.php.2. La ceinture de la méningite est un espace géographique qui s'étend en

Afrique subsaharienne du Sénégal à l'ouest, jusqu'à l'Éthiopie à l'est, où l'onenregistre les taux les plus élevés de prévalence de cette maladie (OMS,2010).

3. L'objectif de cette étude est d'analyser la tolérance et l'Immunogénicité(capacité de l'antigène d'induire une réaction immunitaire) d'un vaccinconjugué monovalent A et d'un vaccin quadrivalent ACWY. Les sérogroupesA et W135 du méningocoque sont présents dans la ceinture de la méningite, leC est plutôt recensé dans les pays occidentaux et le sérogroupe Y, plus rare,est identifié en Amérique du Nord.

118 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

Le respect des grands principes éthiques ainsi que le bondéroulement de l'étude vont-ils de soi dans un contexte aussifavorable à la recherche médicale? Comment un tel projet est-ilaccueilli dans l'espace public et social sénégalais? Comment lacommunication avec les habitants de la région, les médias et lespolitiques locaux est-elle envisagée?

Dans les pages qui suivent, il sera question de montrer enquoi l'ethnographie de cet essai vaccinal peut nous faire mieuxappréhender les enjeux éthiques de la recherche au Sud. Desaccusations politico-journalistiques aux coulisses du consente­ment (qui fut recueilli auprès des 300 participants de l'étude),en passant par l'analyse des voix communautaires de larecherche, nous essayerons de situer les différents lieuxd'expression de l'éthique et la manière dont ses principespeuvent être manipulés et détournés à divers niveaux.

Les usages politiques et journalistiques de la recherchemédicale

Au début du mois de septembre 2007, alors que leschercheurs de l' IRD sont en train de vacciner le premiergroupe de participants dans le dispensaire de Toucar, lespromoteurs de l'essai apprennent qu'un député sénégalaisdemande que l'essai vaccinal réalisé à Niakhar soit suspendu.Plusieurs articles paraissent dans divers journaux locaux. Onprécise que le député a envoyé un courrier au président del'Assemblée nationale afin de lui demander de le renseignersur « les risques encourus» par les populations. Les journa­listes parlent d'un « test» sur un vaccin au stade « d'expéri­mentation ». Les sujets sénégalais sont envisagés comme des« populations cobayes » et on comprend. à la lecture de cesarticles que le politicien sénégalais légitime sa demande par lefait qu'aucune population européenne « n'a été choisie poursubir ce vaccin expérimental».

Ce sont paradoxalement les promoteurs du Projet VaccinsMéningite, situés aux États-Unis et 'en Europe, qui sont les

RECHERCHE VACCINALE ET ÉTHIQUE DE TERRAIN 119

premiers informés par une « alerte Google' ». Médecins, laboran­tins et enquêteurs de l'équipe sénégalaise sont coupés de toutecommunication avec la capitale, suite à la chute d'une antennerelais dans l'agglomération de Niakhar -et sont par ailleursoccupés à accueillir les premiers participants dans le dispensairede Toucar. Deux chercheurs de l'IRD, impliqués dans l'étude etprésents à Dakar à ce moment-là, se chargent donc de gérer« l'affaire du député» en urgence. Le département communica­tion de l'IRD est mobilisé ainsi que certains membres du Comiténational d'éthique du Sénégal' et des membres du ministère de laSanté. Au départ. tous sont d'accord pour renoncer à toute décla­ration publique afin d'éviter de donner trop d'importance auxpropos du député, jugés caricaturaux et inappropriés, mais relati­vement inoffensifs si on ne rentre pas dans la polémique. Unchercheur sénégalais m'explique alors que le député en questionest connu de la population pour ses dérapages et qu'il ne se faitaucun souci pour les citoyens sénégalais qui ne prêteront pasattention à ses propos. Le président du comité s'-apprête à écrireune note pour rassurer le président du Comité national d'éthiqueet le ministère de la Santé, mais les responsables du ProjetVaccins Méningite insistent pour que soit organisée une réunionpour parler de cet événement. Ils trouvent que ce scandale est lesignal d'alarme d'un manque de communication plus général surl'étude sénégalaise et décident d'insister pour organiser un « plande communication ». Bien que ce plan ne fasse l'unanimité, nipour le cabinet du ministre de la Santé ni pour l'IRD, les promo­teurs de l'étude (qu'un chercheur de l'IRD a contactés entre­temps)_décident de programmer l'organisation du« plan decommunication » conformément au dispositif prévu -en cas de« crise ». Celui-ci aura lieu deux mois plus tard.

4. Système d'alerte qui, en enregistrant plusieurs mots clés à partir dumoteur de recherche Internet Google, permet d'être averti, par un messagedans sa boîte mail, des dernières informations publiées sur Internet à cc sujet.

5. Le Comité national d'éthique évoqué dans la suite du texte a été créépar l'arrêté n° 1422 du 2 mars 2001, qui a été remplacé par l'arrêté n° 3224 du17 mars 2004. Il a porté le nom de « Conseil national de Recherche enSanté », en faisant office de Comité national d'Éthique. C'est le décretn° 2009-720, du 3 août 2009, qui l'a remplacé par le Comité nationald'Éthique pour la Recherche en Santé (CNERS).

120 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

Alors que « l'affaire du député» n'a plus rien de brûlantdans l'actualité sénégalaise, un atelier de trois jours est organiséau siège de la cellule de communication du ministère de laSanté à Dakar. Sont invités à la même table des responsables duProjet Vaccins Méningite venus du bureau régional Afrique del'OMS, des journalistes de plusieurs quotidiens nationauxsénégalais, des agents de l'IRD ainsi que l'investigateur del'étude à Niakhar, le président du Comité d'éthique du Sériégalet plusieurs agents du ministère de la Santé et de sa cellule decommunication. L'objectif de la réunion est de dresser un « plande communication» concernant l'essai vaccinal sur la ménin­gite qui est en cours à Niakhar. La première partie de l'atelierest consacrée à des présentations par les différents intervenantssur l'épidémiologie et la lutte contre la méningite dans lemonde, le programme de développement du vaccin en Afrique,le fonctionnement du Comité d'éthique du Sénégal et le dérou­lement détaillé de l'étude à Niakhar. La seconde partie del'atelier est organisée en groupes de discussion relativement peuanimés. Le tout doit aboutir à l'élaboration d'un plan de circula­tion de l'information au sein des diverses institutions publiquesimpliquées dans la recherche et la santé au niveau national etrégional. Comme il est coutume de le faire dans le monde dudéveloppement, à l'issue des trois jours, un per diem de20 000 FCFA est distribué aux personnes qui ont assisté auxcommunications.

Au bout de trois jours de réunion, je rentre chez moi, étonnéequ'à aucun moment les propos du député n'aient été mentionnéset que les ateliers aient suscité aussi peu de débats. Alors que jeramène dans mon véhicule deux journalistes qui ont participé àl'atelier, l'un d'eux m'éclaire sur une question à laquelle jen'avais que peu fait attention. Il dit à son collègue: «, Bon, ilsont fait leur communication comme ils voulaient (... ), tout lemonde a pris son pécule. Mais là, c'est petit 20 000 FCFA,d'habitude avec l'OMS, ça peut monter à 50 000. » Ce à quoison collègue répond, entre autres: « Heureusement qu'on a vuoù est-ce qu'on récupérait le per diem, sinon c'est sûr quec'étaient les gars du ministère qui allaient manger le reste. »

S'il est de notoriété publique que politiques et médias osentdes prises de position radicales vis-à-vis de l'industrie du

RECHERCHE VACCINALE ET ÉTHIQUE DE TERRAIN 121

médicament, peu de publications anthropologiques documen­tent ou analysent la manière dont sont construits et mis en motles scandales qui émergent dans les contextes des pays pauvres.Comment ces scandales et prises de position radicalesémergent-ils et comment sont-ils « gérés » par les acteurs deterrain? Il sera question dans les pages qui suivent d'évoquerles usages politiques et journalistiques de la recherche médicaleet de s'interroger sur leur sens dans le contexte africain.

Les dessous d'un petit scandale politico-médiatique

Examinons tout d'abord les usages que ce député fait del'essai vaccinal qui s'est déroulé à Niakhar. Le vocabulaireutilisé montre tout d'abord que celui-ci ne connaît ni lefonctionnement de la recherche clinique, ni ses instances derégulations internationales et nationales, ni le vocabulairetechnique de la recherche médicale. En effet, les termes « test»comme « expérimentation » sont rarement utilisés dans lechamp de la recherche médicale et prêtent par ailleurs à penserque l'étude vaccinale est réalisée de manière informelle ouillégale. Il aurait suffi à cet homme politique de contacter leprésident du Comité d'éthique du Sénégal pour savoir si cetteétude avait bien été validée par cette instance. En outre,lorsqu'il mentionne être étonné que ce vaccin n'ait pas été testéchez les « Européens », il présuppose que l'étude cliniqueconstitue une instrumentalisation des populations africaines auprofit d'intérêts occidentaux. Nous retrouvons ici, dans leurforme la plus caractéristique, les analyses manichéennes obser­vées chez des Irdiens et des habitants de Niakhar. Or, commenous l'avons mentionné auparavant, la recherche médicalemenée dans la zone de Niakhar est une recherche collaborativeou en partenariat. L'essai vaccinal sur la méningite s'inscritdans le prolongement de cette culture scientifique de rechercheen santé publique. Le Projet Vaccins Méningite a pour objectifde développer un produit pharmaceutique destiné aux pays duSud et non de profiter des insuffisances ou du laxisme desgouvernements des pays du Sud et émergents pour mener àfaible coût des études sur des médicaments destinés au Nord.

122 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

Les propos de ce député suggèrent par ailleurs que la patho­logie combattue concerne les populations du Nord qui seraientles bénéficiaires finaux - et peut-être les seuls bénéficiaires - decette étude. Or, le type de méningite que ce vaccin vise à préve­nir - la méningite à méningocoque du sérogroupe A - toucheessentiellement les populations africaines. Il n'existe donc pasde raisons scientifiques objectives justifiant la réalisation d'unessai vaccinal sur ce candidat-vaccin en Europe, comme lesous-entend le député. Cette étude est soutenue par un consor­tium d'ONG et d'instances internationales partenaires, ayantdéjà organisé et négocié le faible coût de production du vaccinen Inde, afin que les gouvernements des pays aux ressourceslimitées puissent aisément acheter ce nouveau produit pharma­ceutique lorsqu'il sera mis sur le marché.

Mais cette mise en perspective alarmiste de l'étude vaccinaleprésente des avantages politiques certains. En effet, cette décla­ration permet à ce politicien, qui s'est déjà porté candidat auxélections présidentielles, de se positionner en justicier face auxcitoyens de son pays alors projetés comme des victimesinnocentes. Il est évident que cette mise en scène est parlante, àbien des égards, pour les Sénégalais de cette année 2007.L'augmentation du prix des denrées de première nécessité n'apas du tout été appréciée et les coupures d'électricité pendant lasaison des pluies deviennent de moins en moins supportables.Le besoin de faire justice est fort.

Examinons maintenant l'attitude des journalistes sénégalaisde la presse écrite face aux propos accusateurs du député.L'examen de cinq articles parus à ce sujet témoigne générale­ment de l'absence de distance et / ou de contextualisation. Leterme « cobaye» utilisé dans l'un des titres de ces articles faitpartie de ces expressions qui retiennent facilement l'attention dulecteur. Ce terme a peut-être été choisi davantage pour sonpotentiel racoleur que pour son sens premier. Mais dans uncontexte où il n'existe pas de journalistes réellement spécialiséssur le sujet, il est difficile de dire si le journaliste a mobiliséintentionnellement un vocabulaire qui fait écho à l'idéed' « exploitation humaine» ou si ce terme est plus simplementl'expression de l'usage d'un vocabulaire « profane» parce qu'ilmaîtrise peu ce sujet. Cette analyse peut être appliquée à l'usage

RECHERCHE VACCINALE ET ÉTHIQUE DE TERRAIN 123

d'autres termes identifiés dans la sélection d'articles, comme« test », « expérimentation» ou encore « effets néfastes» qui nesont peut-être pas délibérément utilisés pour leurs sous-entendus.

Par ailleurs, les journaux africains comme européens sontsoumis à la « loi du chiffre », ce qui conduit certaines éditions àmettre en exergue des titres « vendeurs » et à utiliser des termes« chocs» pour accrocher le lecteur. La ligne éditoriale de certainsjournaux populaires du pays joue clairement sur cette articulationentre scandales politiques et faits divers « racoleurs ».

Pour autant, au Sénégal, le journalisme est intrinsèquementlié au principe de liberté d'expression qui renvoie au systèmedémocratique dont se réclame le pays. Et, à bien des égards, lesjournaux locaux, en portant la voix de l'opposition, ont parfois,payé cher ce droit à la liberté d'expression. La charte desjournalistes du Sénégal considère ainsi les journalistes commeles « garants» de cette démocratie et les défenseurs des droitsdes citoyens sénégalais à accéder à une « information exacte,pluraliste et impartiale »6. Conformément au Sc article de lacharte de Munich', les journalistes ont, entre autres, le devoir de« s'interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation, les accusa­tions sans fondement ainsi que de recevoir un quelconqueavantage en raison de la publication ou de la suppression d'uneinformation ».

Mais les réalités locales dans lesquelles évoluent les journa­listes sénégalais rendent souvent ces grands principes trèscomplexes à respecter. Ainsi, comme l'a montré une étude réali­sée au Sénégal et en Côte-d'Ivoire, la sollicitation de journa­listes de presse écrite par les instances internationales depromotion de la santé exige souvent une formation ou uneremise à niveau de ceux-ci afin qu'ils diffusent au mieux lemessage voulu. JI peut également arriver que ces organismesécrivent les articles de certains journalistes ou ne travaillentqu'avec certains professionnels spécialisés avec lesquels ils ont

6. La charte des journalistes du Sénégal, adoptée le 14 mars 2000, estaccessible sur: www.inforrnation-citoyenne.org.

7. La charte de Munich a été adoptée en 1971 à Munich et constitue letexte de référence pour encadrer l'activité des journalistes dans le monde. Elleest accessible sur : http://www.snj.cgLfr/deontologie/munich.html.

124 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

des rapports privilégiés (NDlOR et KADJlO, 2005). Le plan decommunication organisé par le Projet Vaccins Méningites'inscrivait clairement dans cette démarche. Or, comme on l'a vuci-dessus, cette formation fait aussi partie d'une sous-économiede la vie sociale des journalistes dakarois qui, en couvrant uneactualité sanitaire, peuvent accéder à des « compléments desalaire» qui biaisent leur regard. Ainsi, la pratique banaliséedans les ateliers de communication par certaines instances dedéveloppement de défrayer les journalistes peut parfois êtreinterprétée comme une forme de clientélisme, voire de techniqued'influence. En effet, l'argent que reçoivent les journalistes àl'occasion de ces ateliers visant à les « former » aux problèmeset aux enjeux de la santé peut conduire certains à se sentir« achetés» ou influencés. Le contenu informatif de l'atelier oude la conférence auquel' ils ont assisté peut en devenir objet desuspicion. Cette influence peut apparaître d'autant plus gênanteque le montant des défraiements est élevé. Ainsi, selon les diresd'un des journalistes recueillis après l'atelier, les sommesversées constituent parfois l'équivalent d'un salaire mensuels. Iln'est donc pas étonnant que ces ateliers ne remplissent pastoujours les objectifs escomptés, voire aient l'effet inverse.Ainsi, à l'issue de l'atelier de communication organisé lors dudéroulement de l'essai vaccinal sur la méningite, un journalistetitra le lendemain: «Les cobayes de Niakhar».

Les déclarations du député comme les messages délivrés parles journalistes révèlent un déficit de connaissances à propos dela recherche médicale. Cet événement montre en effet que lesmédias sont enclins à développer des articles dont les messagesapparaissent biaisés par le manque d'infonnation comme par lespratiques de délivrance de per diem. .Mais à y regarder de plusprès, il est certain que le petit scandale politico-médiatiqueengendré par les accusations du député sénégalais sert aussi uneéconomie locale symbolique et pécuniaire dont les acteurs deterrain savent s'approprier les avantages. Ainsi, au cours del'atelier de communication, la présence, à l'occasion d'une table

8. Le journaliste mentionne en effet que certaines institutions délivrentjusqu'à 50 000 FCFA par atelier d'information, alors que le salaire minimumlégal est compris entre 35000 et 40000 FCFA.

RECHERCHE VACCINALE ET ÉTHIQUE DE TERRAIN 125

ronde, des membres du Projet Vaccins Méningite et de leurspartenaires du Sud, fut l'occasion d'observer l'arène de pouvoirque créent les essais cliniques. À l'issue des trois jours d'atelier,un membre du comité a su habilement tirer avantage de la situa­tion. Ayant quelques mois auparavant appris que le site duMedical Research Council en Gambie, qui accueillait un essaivaccinal similaire à celui de Niakhar, s'était vu offrir la gratuitédes premières doses du vaccin par les promoteurs, il s'empressade le rappeler aux organisateurs de l'atelier au bon moment. Ilexpliqua ainsi devant l'assemblée de scientifiques et décideurspolitiques à la fin de l'atelier que, si les déclarations du députéet leur médiatisation conduisaient la population sénégalaise àdevenir « réticente» à la future vaccination contre la méningite,il serait « bienvenu» que les promoteurs envisagent de financerl'achat des premières doses du vaccin pour le Sénégal en guisede dédommagement. L'atelier se clôtura, grâce à ce judicieuxstratagème, sur le sentiment que l'État sénégalais et leshabitants de Niakhar s'étaient retrouvés renforcés par cedérapage médiatique. Nous sommes ici dans une configurationcomplètement inversée des représentations usuelles concernantla recherche médicale au Sud : ce sont les acteurs du Sud quisont en mesure de négocier des avantages auprès des promo­teurs de recherche. Ainsi, en proposant aux promoteurs definancer les futures campagnes de vaccination au cours del'atelier, cet intervenant montre qu'il existe des niches où lesacteurs du Sud peuvent faire valoir l'intérêt de leurs conci­toyens et se retrouver « dominants », dans. une situation où lesreprésentations usuelles les placent en « dominés ». Ce renver­sement est d'autant plus troublant que les promoteurs ne sontpas issus d'une firme pharmaceutique ou d'une ContractResearch Organization (CRO), mais d'un consortium d'institu­tions privées et publiques qui leur proposent de participer à unprojet de recherche clinique s'insérant dans l'agenda et l'écono­mie nationale des pays africains.

Un renversement des rapports dominants-dominés est-ilpossible à un autre niveau de communication? Peut-on avoiraffaire à des jeux similaires dans la relation qui conduit leséquipes de recherche à proposer aux habitants de Niakhar departiciper à l'étude vaccinale?

126 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

Les enjeux microsociaux du consentement éclairé

Conformément aux recommandations internationales (Codede Nuremberg, 1947 ; Association médicale mondiale, 1964),tous les participants à l'essai vaccinal sur la méningite devaientavoir décidé de le faire de manière libre et autonome, en ayantmesuré les risques et les bénéfices potentiels de leur choix.Différentes procédures et précautions ont ainsi été mises enplace par les promoteurs et les membres de l'équipe investiga­trice afin de respecter ce principe éthique fondamental de larecherche médicale, connu sous le nom de « consentement libreet éclairé des sujets ».

Dans un premier temps, un « consentement communau­taire» - issu d'une méthode initiée dans les années 1990(SIMONDON, PRÉZIOSI, et al., 1996) - a été obtenu dans les sixvillages sélectionnés comme sites de recrutement de l'étude.Puis, le consentement individuel de tous les participantsmajeurs et des parents des enfants mineurs a été recueilli,ainsi que l'assentiment des participants âgés de plus de 15ans. Toutes les personnes en capacité de lire et écrire ont dûsigner un formulaire de consentement. Un représentant lettrédevait être mobilisé pour signer les formulaires des personnesillettrées.

Malgré toutes ces procédures et précautions en matièred'éthique, les entretiens effectués auprès de 30 participants àcette étude et de leurs familles montrent que ces derniers ontrarement conscience du caractère expérimental de l'étude. Eneffet, comme cela a été montré dans d'autres contextes culturelset / ou épidémiologiques (HARTH et THONG, 1995 ; LEACH,HILTON et al., 1999 ; MOLYNEUX, PESHUA et al., 2004; HYDER etWALl, 2006 ; MARTIN et MARKER, 2007), les connaissances enmatière de recherche médicale des individus ou des parents desenfants participant à une recherche clinique sont souvent trèsparcellaires et le caractère expérimental de l'étude est rarementcompris. Un ensemble de raisons propres au fonctionnement dela zone d'étude de Niakhar, mais aussi à d'autres facteurs liés àl'influence du contexte culturel rural ouest-africain et desnormes de la recherche locale, peuvent l'expliquer.

RECHERCHE VACCINALE ET ÉTHIQUE DE TERRAIN 127

Je m'attacherai ici à le montrer, en confrontant les itiné­raires de participation" de trois participants à l'essai vaccinalsur la méningite avec les principes éthiques sous-jacents auconsentement libre et éclairé et leurs pratiques. En partie parceque ce travail ethnographique concerne un essai préventif, lespages qui suivent ne mettent pas en avant - contrairement à denombreux travaux en anthropologie de la santé - des discoursd'individus souffrant d'une même pathologie à partir desquelssont discutés les aspects symptomatiques, symboliques,sociaux ou politiques de la maladie. Les discours des partici­pants à l'essai vaccinal sur la méningite nous entraînent davan­tage vers l'exploration de stratégies de soins mises en place auquotidien pour lutter contre la maladie et l'infortune demanière générale".

Oulimata: des rôles sociaux de sexe à l'éthique par le bas

Nous sommes le 5 octobre 2007 dans la zone d'étude deNiakhar. Oulimata a 3 ans. Elle sort en pleurs du dispensaire du

9. La notion d' « itinéraire de participation» est inspirée de celled' « itinéraire thérapeutique ». Très utilisée en anthropologie de la santé, lanotion d'itinéraire thérapeutique est à la fois une méthode et un outil d'analysequi, au travers du récit du parcours de soins d'un individu depuis ses premierssymptômes jusqu'aux divers recours thérapeutiques utilisés, permet d'obser­ver la pluralité thérapeutique ainsi que les différentes dimensions de lamaladie. Dans un but comparable, la notion d' « itinéraire de participation»est à la fois une méthode et un outil d'analyse qui, au travers du récit duparcours de participation d'un individu à une recherche clinique - depuis lemoment où il prend connaissance de l'essai clinique jusqu'au moment où ildécide d'y participer - permet d'observer la variété des facteurs sociaux quientrent en jeu dans cette décision.

1O. Conune mentionné dans les pages suivantes, les participants ne saventparfois même pas que l'étude clinique à laquelle ils participent ou à laquelleparticipe leur enfant est liée à un traitement préventif de la méningite.Cependant, lorsqu'ils le savent, les représentations de la méningite influencentgénéralement leur décision, étant donné les souvenirs meurtris auxquelsrenvoie cette pathologie. Certains habitants de la région ont connu et / ouentendu parler de l'évolution épidémique et de ses conséquences sérieuses enmatière de santé (décès, surdité, handicap, etc.).

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village de Toucar, dans les bras de sa mère qui lui fait boire unFanta orange pour la réconforter. Oulimata a subi une prise desang par un infirmier, puis a reçu, sur le bras droit, un vaccinconjugué contre la méningite A ou un vaccin polyosidique anti­méningococcique ACWY. C'est la matrone du village, recon­vertie en « vaccinatrice» pour la durée de l'étude, qui s'estchargée de le lui faire. Ces gestes ont été effectués conformé­ment au protocole de recherche vaccinale dans lequel Oulimataa été inscrite un mois plus tôt, suite à la signature par son pèred'un formulaire de consentement éclairé.

Coumba, la mère de Oulimata, que je connaissais auparavant,est étrangement silencieuse lorsqu'elle me voit ce jour-là.Comme de nombreuses femmes de la région de Niakhar, elle estillettrée car, très tôt, elle a été mobilisée par sa famille pour« aider dans la maison» aux dépens de son instruction à l'écoleprimaire. Au cours d'un entretien, Coumba me fait savoir qu'ellene comprend du «projet» auquel sa fille participe que ce que sonmari lui en a dit, c'est-à-dire qu'il s'agit d'un « bon projet et qu'ilsoigne la méningite », Je saisis qu'elle n'a pas conscience ducaractère expérimental de l'étude, bien qu'elle accompagne safille au dispensaire et assiste à l'ensemble des examens médicauxque subit celle-ci". Coumba sait cependant que les soins biomédi­caux dont bénéficie Oulimata font partie d'un programme del'IRD et qu'ils sont en quelque sorte exceptionnels - mais pasplus exceptionnels que le serait tout autre soin délivré dans lecadre d'un « projet" » d'une ONG, comme il y en a ponctuelle­ment. Lorsque je m'intéresse à son appréciation personnelle dessoins médicaux prodigués à sa fille, comme lorsque je luidemande de me faire part d'éventuelles questions auxquelles jepourrais éventuellement répondre, elle reste silencieuse.

Il. C'est également le cas de plusieurs autres mères rencontrées lors desséances de vaccination organisées au dispensaire du village A. Cette mécon­naissance du contenu exact du projet auquel participe leur enfant, associée àl'observation répétée de prises de sang, participe probablement au développe­ment de rumeurs de vol de sang qui seront analysées plus loin dans ce chapitre.

12. Le terme « projet» utilisé par Coumba renvoie à la définition de Jean­Pierre Olivier de Sardan : « Un flux de ressources momentanées distribuéessous conditions par les Blancs» (OLIVIER DE SARDAN, 1995, p. 167).

RECHERCHE VACCINALE ET ÉTHIQUE DE TERRAIN 129

Quelques jours plus tard, je m'entretiens avec son mari,Samba, qui travaille dans l'équipe de recherche de l'essai vacci­nal. Celui-ci est, bien sûr, tout à fait conscient du caractèreexpérimental de l'étude : il a suivi des formations à propos dudéveloppement de ce vaccin à plusieurs reprises. 11 est égale­ment alerté sur l'importance du respect du principe de consente­ment libre et éclairé des parents des mineurs; en effet, il parti­cipe, dans le cadre de son travail, au recueil du consentementindividuel des personnes participant à cette étude. Cependant,lors de notre entretien, Samba m'explique qu'il n'a pas jugénécessaire d'expliquer l'objectif et les conditions de participa­tion de la recherche à sa femme. « Je lui ai seulement dit defaire participer l'enfant parce que c'était bon pour elle »,m'explique-t-il, confiant et souriant.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer le comportement deSamba et de Coumba concernant la participation de leur filleOulimata : les rôles sociaux attribués à l'époux et à l'épousedans la société sérère d'une part et une forme relationnelle etcontextuelle de l'éthique d'autre part (GEISSLER et al., 2008).Cette forme d'éthique peut également être qualifiée d'éthique« par le bas» qui contredirait dans certains cas les principes del'éthique « par le haut »,

Le comportement des parents d'Oulimata s'explique enpartie par le respect des rôles sociaux des époux dans la sociétésérère. Le père d'Oulimata, en prenant une décision pour sa filleet en écartant son épouse des raisons de son choix, agit confor­mément aux normes sociales qui suggèrent à 1'homme marié defaire autorité face à son épouse. Le comportement de Coumba,qui accepte la décision de son mari sans en connaître lesraisons, répond aux attentes sociales du comportement de la« bonne épouse» dans la société sérère. Par son silence,Coumba exprime en effet son respect de la décision de sonmari, mais aussi des membres du lignage de celui-ci, chez quielle habite - comme c'est souvent le cas dans la société sérèreoù la résidence est virilocale.

Les entretiens réalisés avec d'autres familles ayant un enfantmineur participant à cet essai vaccinal montrent que le primatde la parole masculine n'est pas un cas isolé. Sur l'ensembledes entretiens réalisés à propos de la participation de mineurs, le

130 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

père ou une autre figure masculine de la famille" sont souvent àl'origine de la décision. L'exploration de ce thème a étél'occasion de mesurer l'intrication des rôles sociaux de sexedans le processus de décision des parents à propos de la santéde leur enfant - comme l'illustrent le silence de Coumba etl'assurance de Samba.

Après avoir énoncé dans un premier temps qu'elle était satis­faite du « projet» auquel participe son fils de 5 ans, Marne(40 ans) s'exprime ainsi avec Aïssatou, avec qui je travaillaispour la traduction :

« Toi comme tu es ma sœur, je peux te parler, mais ça doitrester entre nous ... Tu sais comment ça se passe chez lesSérères... Moi je ne suis pas intéressée à ce que l'enfant parti­cipe au projet, mais comme je suis sérère, si je dis mon pointde vue, les gens vont dire que cette femme-là, elle vcutcommander, alors qu'ici ce n'est que l'homme qui a le droit dedécider. »

Dans la même concession, Moussa, le chef de famille me dit:

« De toutes les façons, si ma femme ne veut pas quel'enfant participe à ce projet et que moi je le veux, elle ne peutrien dire, »

Enfin, dans un hameau limitrophe de Diohine, Joséphine (45ans) m'explique à propos de son enfant de 8 ans que c'est sonmari qui a pris la décision qu'il participe au projet. Lorsque jelui demande son avis, elle me répond indirectement, de façon àne pas remettre en cause la décision de son époux:

« Les enfants appartiennent au père, Que tu le veuilles ouque hl ne le veuilles pas; c'est le père qui décide. »

13. La figure du père et deI'époux peut être remplacée par d'autresfigures de J'autorité masculine, comme le chef de concession ou bien un oncleou un grand-père.

RECHERCHE VACCINALE ET ÉTHlQUE DE TERRAIN 131

Qui plus est, parmi les tâches attribuées aux hommes, figuresouvent celle de fournir à leur femme les moyens financiers desoigner leurs enfants. Ils sont ainsi souvent sollicités pour« participer» (donner de l'argent) aux soins biomédicaux deleurs enfants, mais aussi à ceux de leur parentes, leurs sœursnotamment. Dans ce contexte, les hommes de la région deNiakhar se sentent peut-être d'autant plus impliqués dans leprocessus de décision concernant la participation de leur« enfant» que le remboursement des frais de santé des partici­pants, mentionné dans les réunions d'information collectives etau cours des séances d'information individuelles, leur permetd'envisager des économies dans les dépenses familiales. Cetargument n'est pas négligeable dans un contexte de pauvretéstructurelle.

Dans la société sérère, comme dans d'autres contextes cultu­rels européens ou nord-américains, la femme est souvent consi­dérée comme une « soignante naturelle» et détient à ce titre unecertaine autorité sur sa progéniture (Saillant, 1992). C'estd'autant plus le cas à Niakhar que le « dialogue auprèsdes mamans» a toujours été privilégié par les chercheursengagés dans la recherche médicale. Cependant, lorsqu'il estquestion de décider de la participation d'un enfant à un projet, ilsemble que les hommes gardent tout de même une place dans leprocessus de décision.

Dans la zone d'étude de Niakhar, il est assez fréquent quedes hommes lettrés" aient des épouses qui ne le soient pas; lesmères des enfants participants sont, dans ce cas, d'autant plusfacilement exclues du processus d'information. La majeurepartie d'entre elles est incapable de déchiffrer la notice d'infor­mation accompagnant le formulaire de consentement sur lequelest résumée l'étude. La délivrance du formulaire de consente­ment peut suffire pour que la mère - illettrée - se sente écartéedu processus de décision. C'est ce que dit l'une de mes interlo­cutrices qui découvrait avec moi le contenu de la note d'infor­mation dont elle avait gardé un exemplaire:

14. Dans ce chapitre, le terme « lettré» sera utilisé comme le contraire duterme « illettré» et non comme le fait d'une personne cultivée ou érudite.

132 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

« J'en veux à mes parents de ne pas avoir insisté pour queje reste à l'école, parce que, si je savais lire, j'aurais pucomprendre cela et je n'aurais pas signé. »

Les rapports entre « lettrés » et « illettrés » sont l'objet dejeux de pouvoir importants en milieu rural, au cours d'interac­tions tant commerciales que familiales. Les femmes peuventêtre particulièrement lésées dans ces jeux de pouvoir en raisonde leur faible taux d'alphabétisation. À l'occasion d'un entre­tien dans un autre village, une de mes interlocutrices vachercher la note d'information qu'elle avait conservée dans sacase. Elle me la montre et me dit avec frustration: « Je necomprends rien de ce qu'il y a dans ce papier! »

Ces observations rejoignent les travaux en anthropologie dela santé sur l'influence des rôles sociaux de sexe dans la prisede décision à participer à la recherche clinique en Afrique(FAIRHEAD, LEACH et al., 2005) et dans l'accès aux soins despays du Sud de manière plus générale (DESCLAUX, MSELLATI etal.,2009).

Une part de l'originalité du récit de l'itinéraire de participa­tion d'Oulimata réside dans le fait que son père - qui a pris ladécision qu'elle participe à l'étude - est lui-même enquêteurdans l'équipe de recherche de l'essai vaccinal. Cette situationcontraste avec les conditions de la recherche clinique au Nord.En effet, en raison de l'organisation des soins biomédicaux parpathologie et de la spécialisation des corps de métiers parlesquels les recherches médicales sont effectuées, la possibilitéqu'un professionnel de la recherche du Nord propose à unmembre de sa famille de participer à un essai clinique sur lequelil travaille est extrêmement faible. Cette situation est nettementplus fréquente dans des sites comme Niakhar où des habitantslocaux sont salariés pour intervenir en appui aux équipes decliniciens.

Parmi les quatre professionnels de la recherche impliquésdans l'essai vaccinal sur la méningite et résidant dans la zoned'étude, tous avaient un parent proche et parfois plusieursparents par alliance qui participaient à l'étude. D'anciensenquêteurs de recherche clinique issus des environs de Niakharm'avaient signalé au cours d'entretiens qu'à l'époque où ils

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travaillaient sur un essai vaccinal, ils avaient également décidéde faire participer leurs enfants. Le cas d'Oulimata est donc uncas parmi d'autres dans l'histoire de la zone d'étude.Cependant, les conditions et facteurs qui conduisent ces profes­sionnels de la recherche à inclure des membres de leur familledans les programmes de recherche clinique pour lesquels ilstravaillent méritent d'être explicités. Ces situations sont notam­ment légitimées par une éthique relationnelle ou « par le bas »qui dépasse le modèle des grands principes verticaux.

Le père d'Oulimata, comme les autres professionnels de larecherche interrogés, considère tout à fait « normal » de faireparticiper ses parents à l'étude clinique pour laquelle il travaille.En effet, lui et ses collègues sont convaincus que l'étude neprésente aucun risque et soulignent avec insistance qu'elleimplique des avantages majeurs tels que la prise en chargemédicale du participant pendant un an. Des formulations tellesque « il n'y a que des bons côtés» ou encore « elle peut êtresoignée gratuitement pendant un an, tu peux pas mieux faireque ça » témoignent du point de vue paternel. Le pèred'Oulimata n'insiste pas forcément sur les valeurs de rationalitéet d'autonomie sous-jacentes au consentement éclairé, notam­ment lorsqu'il est question de transmettre l'information à desparents ou à des habitants de la région qu'il sait illettrés. Lesenquêteurs savent que le recueil du consentement a pour objec­tif de donner les moyens aux participants de prendre unedécision fondée sur l'évaluation objective des risques etbénéfices. Pourtant, dans l'interaction sociale, c'est la confiancedans la relation participant-enquêteur qu'ils mettent en avant.La perception des enquêteurs par les habitants de la régioncomme des « parents bienveillants» peut également lesconduire à se sentir légitimés à prendre une décision à leurplace, comme c'est fréquemment le cas dans la relationmédecin-malade. Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que,parmi les cinq parents de ces professionnels de la rechercherencontrés, aucun n'ait dit connaître le caractère expérimentalde l'étude. Certains pensaient que les vaccinations qu'ilsavaient reçues au centre de santé étaient des « piqûrescuratives» parce qu'ils étaient malades. Une autre interlocutricepensait participer à un projet sur le sida. Tous exprimaient

134 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

cependant le rapport de confiance, mais aussi de hiérarchiesociale, qui les liait au « parent» les ayant invités à participer àcette recherche : « C'est mon oncle, il ne me veut que du bien»ou encore « C'est mon mari qui a décidé. » Pour certainsmembres spécifiques de la famille, comme les enfants confiésou les parents par alliance, l'invitation à participer à cetterecherche par un parent travaillant dans l'étude peut mêmeconstituer un moyen de « faire plaisir », comme cela estmentionné dans une étude réalisée en Gambie (GEISSLER, KELLYet al., 2008).

Ainsi les observations réalisées dans la zone d'étude deNiakhar montrent que la décision des parents des enfants deNiakhar en matière de santé relève d'une rationalité contex­tuelle (FAINZANG, 2001) ; cette rationalité est culturellement etcontextuellement établie et ne correspond pas forcément à lalogique biomédicale ni aux principes éthiques qui la sous­tendent. L'attitude n'en est pas pour autant irrationnelle. Ainsi,le comportement des parents d'Oulimata déroge à une visionoccidentale de la parenté, considérant la famille comme unélément nucléaire restreint où l'autorité est pensée comme égaleet partagée entre le père et .la mère de l'enfant. Leur comporte­ment est également en contradiction avec une perception desprincipes du consentement éclairé fondée sur l'existence d'un« homo economicus » (SMITH, 2003). En effet, la procédure deconsentement éclairé suppose que les individus qui y accèdenteffectuent au préalable une évaluation « rationnelle» et indivi­duelle des risques et des bénéfices, sur la base d'un documentécrit par les promoteurs de l'étude dont ils reconnaissent enamont la valeur rationnelle et juridique. Ce modèle et leprincipe du consentement écrit, qui en est l'expression, sont peupris en compte par les professionnels de la recherche, comme entémoignent ces déclaration tenues aux populations lors d'uneréunion d'information collective: « le consentement c'est destrucs de toubabs, si c'était que nous, on ne vous demanderaitpas de signer. »

In fine, les rôles sociaux de sexe tels que nous les avons misen exergue dans l'histoire d'Oulimata apparaissent comme depuissantes normes sociales capables d'écarter en partie la mèredu processus de décision au profit du père, même si c'est

RECHERCHE VACCINALE ET ÉTHIQUE DE TERRAIN 135

habituellement elle qui est impliquée dans les soins. De par cesnormes, la figure paternelle reste importante dans le processusde décision et en cas de coûts ou de mesures exceptionnelsconcernant la santé de l'enfant. Le père et la mère sont cepen­dant loin d'être les seules personnes légitimes à intervenir dansles choix de vie des enfants de la région. D'autres acteurs, desexe masculin comme féminin, issus de la famille élargie del'enfant, exercent en effet une autorité sur les cadets. C'est cequej'essaierai de montrer au travers de l'itinéraire de participa­tion d'Ousseynou.

Ousseynou : du poids de la parentèle à l'économie de larecherche

Un griot à la vigueur de frappe affaiblie par son grand âgefin.it de battre le tama. Sous l'arbre à palabres d'un des villagesde la zone sont réunies une dizaine de personnes : les membresde l'équipe de l'essai vaccinal sur la méningite et des enquê­teurs de l'IRD ou habitués à travailler pour l'IRD et issus de larégion. En face d'eux se trouvent une trentaine d'hommes, defemmes et d'enfants du village.

Le chef de village prend la parole en premier et expliquequ'il est très facile pour lui de présenter ses invités à l'assem­blée étant donné que tout le monde connaît l'Orstom. Suite àces paroles, explicites pour qui connaît l'implication desrecherches de 1'IRD dans la vie des habitants de la zoned'étude, plusieurs personnes de l'IRD se relaient pour parler del'étude qui est sur le point d'être réalisée. Ils évoquent lesépidémies de méningite qui ont touché la région, le projet dedéveloppement d'un nouveau vaccin et la possibilité de bénéfi­cier de soins gratuits au dispensaire pendant la durée de l'étudepour les participants. Ils mentionnent les critères d'inclusion etles conditions de réalisation de l'étude et le fait que seuls cinqenfants par concession pourront participer à l'étude. Desplaisanteries sont faites sur les prélèvements sanguins dont les« Sérères ont peur» et il est annoncé que des enquêteursviendront dans les maisons pour faire signer un papier à ceuxqui souhaitent participer à ce « projet» dans les jours

136 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

prochains. Des compléments d'information sont donnés parl'investigateur principal et d'autres professionnels, cette fois-cien wolof.

Pour finir, un échange sous forme de questions-réponses alieu entre les membres de l'équipe de recherche et une dizained'habitants du village, qui 'ne laisse aucun doute sur l'enthou­siasme des membres de l'assemblée. La plupart des questionsposées concernent les détails de la participation et non l'étudeen tant que telle. Le fait que certains habitants du villagepuissent bénéficier de soins gratuits pendant un an et que desmédecins soient à la disposition des villageois est vérifié.

Trois mois plus tard, je mène un entretien avec CoumbaNdoffen, le chef de ce village, dans sa concession. Avant dedevoir interrompre notre entretien pour se rendre au baptêmed'un parent, il prend le temps de m'expliquer ce qu'il pense de1'IRD et des essais cliniques. Dans des formules qui lui sontpropres, il m'explique être tout à fait conscient, contrairement àd'autres dans la zone, que l'IRD ne fait pas que« donner », Àpropos des essais vaccinaux qui ont eu lieu dans les années1990 dans le village, il m'explique être au courant que cesétudes avaient pour objectif de mesurer l'efficacité de deuxvaccins différents, tout comme le projet méningite. Alors que jelui fais remarquer J'ignorance de cel1ains habitants, il me fait unsourire taquin et me dit qu'en effet certains habitants n'enétaient pas forcément conscients. Il me précise ensuite qu'il asouhaité que cinq enfants de sa concession participent au« projet méningite ». Il me montre, ainsi qu'à Aïssatou quim'accompagne comme à l'accoutumée, où se situe la case deGnilane, dont. le fils de 15 ans, Ousseynou, participe à l'essaivaccinal sur la méningite.

Lorsque je me présente à Gnilane et qu'Aïsssatou lui détailleles raisons de notre venue, celle-ci montre un certain enthou­siasme à partager avec nous son histoire avec J'Orstom.

Gnilane est veuve ; elle a souhaité, malgré cela, resterhabiter dans la famille de son époux où elle a élevé ses cinqenfants. Comme de nombreux interlocuteurs et interlocutricesrencontrés dans la zone d'étude de Niakhar, elle ne connaît pasle caractère expérimental de l'étude clinique à laquelle participeOusseynou, son fils de 15 ans. Elle a juste retenu qu'on devait

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lui prélever un peu de sang et qu'il pourrait bénéficier de soinsgratuits pendant la durée du projet. Comme la mère d'Oulimata,elle utilise le terme « projet» pour parler de l'essai vaccinal,mais elle ne l'associe à aucune pathologie spécifique. Malgré lepeu d'informations dont elle dispose, elle m'explique que c'estelle qui a personnellement conseillé à son fils d'y participer.L'analyse du discours de Gnilane montre cependant queplusieurs acteurs de sa parentèle ont joué un rôle important danssa prise de décision.

Gnilane a pris connaissance du projet de l'Orstom au coursd'une réunion qui rassemblait toutes les femmes de sa conces­sion d'habitation, c'est-à-dire les sœurs et les épouses dulignage de son défunt époux, et donc les mères classificatoiresd'Ousseynou (mère-tantes). À l'issue de cette réunion, celles-ciont conclu qu'étant donné que l'IRD avait fait de nombreuses« bonnes actions» pour les gens 'du village et de la famille, ilétait judicieux de lui faire confiance sur ce nouveau projet. À cetitre et étant donné qu'il avait été stipulé au cours de la réuniond'information collective que cinq enfants maximum par conces­sion pourraient participer à cette étude, elles ont décidé derépartir ces cinq participations parmi les différents enfants de lafamille comme on répartirait des biens précieux en quantitélimitée. À la suite de cette réunion, la sœur aînée du pèred'Ousseynou, qui, dans la tradition sérère, a un rapport privilé­gié avec les enfants de son frère, a conseillé expressément àGnilane de faire participer Ousseynou à ce projet.

Lorsque, les jours suivants, les enquêteurs de l'équipe derecherche de l'essai vaccinal viennent recueillir le consentementindividuel des participants, c'est le chef de concession qu'ilsinterpellent, car c'est lui qui était présent à la réunion collectived'information ; de plus, en tant que personne lettrée, il est enmesure de signer le formulaire de consentement. Avant la signa­ture, Gnilane conseille à Ousseynou de participer aux enquêteset, quelques minutes plus tard, il accepte de donner son assenti­ment oral.

Gnilane est sur le point de clore son récit lorsqu'elle décidede m'expliquer qu'elle se sent particulièrement à l'aise avec sonchoix car:

] 38 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFR1QUE

« Dans le passé, le fils aîné de ma fille avait une maladieque personne ne pouvait soigner et il a été soigné gratuitementdans un hôpital à Dakar grâce à un médecin de l'Orstom, ledocteur Cissé. C'était quelqu'un de très gentil. Il venaitsouvent nous saluer et jouer avec ma fille. »

Gnilane m'explique que depuis cet épisode, à chaque foisqu'un nouveau projet de l'Orstom arrive dans le village, ellesouhaite faire participer ses enfants, en remerciement de ce doninestimable. Tous ses enfants ont donc jusqu'à présent participéaux diverses recherches scientifiques coordonnées par l'IRDdans la région.

L'itinéraire de participation d'Ousseynou montre que lesprocédures de recueil de son assentiment et du consentement deses parents ont bien été mises en place. En effet, Ousseynou adonné son assentiment oral lors de la visite des enquêteurs danssa concession d'habitation; sa mère a donné son accord et lechef de famille - au titre de personne lettrée et de confiance - asigné son formulaire de consentement. Ces procédures n'ontcependant permis ni de garantir l'autonomie de décisiond'Ousseynou, ni de favoriser une évaluation des risques et desbénéfices sur la base des informations transmises au cours desséances de consentement individuel et collectif. Plusieursfacteurs peuvent expliquer ce fait: l'influence de l'avis de laparentèle, le statut social d' « enfant» d'Ousseynou et l'écono­mie symbolique de la recherche clinique dans laquelle il seretrouve impliqué.

Les avis des membres de la parentèle dOusseynou tiennentune place primordiale dans le processus qui le conduit à devenir« participant ». Le chef de famille, en exprimant son souhaitque cinq enfants de sa concession prennent part à l'étude, sestantes-mères - en se répartissant la participation de cinq enfantsdans la famille après avoir jugé approprié de faire confiance àl'Orstom pour ce nouveau projet - et sa mère - en luiconseillant directement d'entrer dans cette étude - ont conduitOusseynou à décider de participer à cette étude. Dans ce cas, ilest plus juste de parler de « décision familiale ». Cependant, cen'est pas parce qu'il s'agit d'une décision familiale qu'elle n'estpas dénuée d'enjeux de pouvoir, qu'elle est « éclairée» et que

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les conseils prodigués ont tenu compte de l'avis personneld'Ousseynou.

En effet, la parole du chef de concession - propriétaire dulieu d'habitation d 'Ousseynou et patriarche de son lignagepaternel - peut d'une part difficilement être contredite par lamère d'Ousseynou comme par Ousseynou lui-même. D'autrepart, la parole de ses mères-tantes, et notamment le conseil de lasœur aînée de son père, ne peuvent être considérés comme debanals conseils. Dans la société sérère comme dans d'autressociétés bi-linéaires, les tantes paternelles ont « traditionnelle­ment» une place primordiale dans la vie des enfants(RADCLIFFE-BROWN, 1968 ; DOUAIRE-MARSAUDON, 2010). Lamère d'Ousseynou, qui par ailleurs vit dans la concession de cesdernières alors que son époux est décédé, peut ainsi difficile­ment ignorer leurs avis et conseils. Enfin, en conseillant à sonfils de participer à cette étude, elle exerce son pouvoir de mèrequi rend sa parole irréfutable par ce dernier.

Chaque parent d'Ousseynou, pour des raisons diverses et autravers de l'autorité dont il dispose, a influencé sa participation- sans pour autant qu'il soit mis au courant des tenants et desaboutissants de l'étude ou que cela donne lieu à une quelconquediscussion.

D'autres itinéraires de participation à l'essai vaccinal sur laméningite montrent l'influence que peuvent avoir les membresde la famille élargie sur l'inclusion des enfants. Il est ainsirelativement fréquent que les grands-parents décident seuls dela participation de leur petit-fils ou petite-fille. C'est notammentle cas de Marême qui, lors du séjour de sa petite-fille de 10 ans,venue d'un village situé en dehors de la zone d'étude, décidequ'elle participera à l'essai vaccinal parce qu'elle est convain­cue que c'est une bonne chose pour la santé de la fillette.Comme l'aînesse permet aux personnes les plus âgées de lafamille de faire « traditionnellement» autorité, il n'est pasétonnant que Marême se soit sentie tout à fait le droit de prendreune décision pour sa petite-fille sans prévenir ses parents.

Je me souviens également d'un couple de parents ravis par mavisite, car elle leur avait permis de comprendre quels étaient lesobjectifs de l'étude dans laquelle étaient inscrits leurs deux filsâgés de 8 et Il ans. En effet, alors que les deux parents étaient aux

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champs, les grands-parents paternels des enfants avaient donnéleur aval pour que les enfants soient inclus dans l'étude. Le père etla mère des enfants n'avaient pas osé leur demander le contenu duprojet, de peur qu'ils interprètent leurs interrogations comme uneremise en question de leur bienveillance ou de leur autorité.

Les personnes âgées - en grande majorité illettrées etgénéralement très peu critiques à l'égard de l'IRD - dont lesenquêteurs acceptent parfois de reconnaître l'autorité sont plusenclines que d'autres acteurs sociaux de la zone d'étude àaccepter de faire participer leur « enfant» aux « projets del'Orstom ». Étant donné que les enquêteurs doivent inclure unnombre maximum de participants dans le temps limité de lapériode d'inclusion, leur reconnaissance de l'autorité despersonnes âgées dans le processus de consentement des mineurspeut constituer un moyen d'accélérer le processus d'inclusion.

Enfin, l'oncle ou le cousin peuvent également être amenés àprendre la décision pour un enfant. Comme l'absence d'activitéséconomiques de subsistance dans la zone d'étude induit unemigration saisonnière importante vers la ville, de nombreuxenfants de la région ne vivent pas forcément avec leurs parentsbiologiques, ce qui accentue le rôle accordé à la parentèle élargie.

Le second facteur important ayant influencé la participationd'Ousseynou est son statut social d'enfant-cadet. En effet, si les« parents» d'Ousseynou se sentent particulièrement à l'aise pourdécider pour lui de sa participation à l'essai vaccinal sur la ménin­gite, c'est aussi parce qu'ils sont ses aînés et que celui-ci est unenfant, mais aussi un cadet dans l' «organigramme familial ». Sonrôle d'enfant / cadet explique en partie qu'à aucun moment sonavis ne soit sollicité, étant donné que, pour l'ensemble desmembres de son entourage, Ousseynou est sous l'autorité de sesaînés. Comme dans de nombreux groupes sociaux en Afrique, lesrapports de hiérarchie entre « classes d'âge" » tiennent une placeimportante dans la vie sociale. Ce type de relations est renduvisible au Sénégal dans le fonctionnement des familles où laplupart des tâches (courses, services, corvées diverses) sont

15. Ce phénomène a tendance à diminuer, notamment du fait de l'urbani­sation (MARlE, 1997).

RECHERCHE VACCINALE ET ÉTHIQUE DE TERRA1N 141

exécutées par les cadets sur ordre des aînés; mais elles s'obser­vent également à l'échelle de la société".

Cette hiérarchisation des rapports sociaux se retrouve dans lecas des jeunes adultes évoquant leur rapport de confiance vis-à­vis de l'enquêteur qui leur a proposé de participer à l'étude. Eneffet, la loi d'aînesse ne s'applique pas qu'aux rapports parent­enfant. Elle peut également hiérarchiser les rapports entre lapersonne en charge de recueillir le consentement - générale­ment originaire du village voisin, sinon de celui même desparticipants - et le participant potentiel. Dans ce cadre, lesnormes de socialisation agissent littéralement contre l'autono­mie et le libre arbitre qu'est censé garantir le recueil du consen­tement. Cette influence de l'aînesse est exprimée dans lespropos de Diomaye (âgé de 21 ans) et de Malick (âgé de 26 ans)au sujet de leur participation:

« Comme Adama [NDA : enquêteur de l'essai vaccinal surla méningite] est mon grand-frère, il ne va pas me mettre dansde mauvaises choses. »

« Je n'ai compris qu'une partie du projet, mais de toutes lesfaçons, même si je ne comprenais rien du tout, c'est la mêmechose, car je sais que Samba [NDA : enquêteur de l'essaivaccinal sur la méningite] ne me ferait jamais rentrer dans demauvaises choses. »

À Niakhar comme dans de nombreux contextes culturels, ledialogue entre ascendants et descendants est marqué par lasoumission des derniers aux premiers, si bien que remettre encause une décision de sa mère ou de son père est très souventimpensable. En effet, dans de nombreuses sociétés ouest­africaines, les rapports qui lient un enfant à sa mère ou à sonpère sont marqués par l'autorité et cela même après sa majorité,lorsque celui-ci est marié, a des enfants et dispose de sespropres responsabilités familiales.

16. Il est par exemple courant à Dakar, pour un homme comme pour unefemme, de solliciter un jeune garçon ou une jeune fille pour un service (unecourse, par exemple), sans pour autant que l'enfant attende une rétribution.

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Ainsi, dans le cadre du recueil du consentement des sujetssur la base de la majorité légale et des droits individuels, lesnormes sociales locales entre ascendants et descendants peuventfaire d'une personne majeure en droit un « mineur social» vis­à-vis de son père qui prendra la décision à sa place. « Ici, tu asun père jusqu'à ta mort », me disait ainsi un collègue sérèred'une quarantaine d'années qui se devait d'aider un voisindurant un week-end qu'il aurait souhaité passer avec sa femme,parce que son père le lui avait demandé. En effet, les rapportsentre parents et enfants sont marqués par l'assignation de rôlesque l'on pourrait nommer « ordonnateur-bienveillant» et« exécutant-confiant », et les conseils d'un parent sont assezfréquemment interprétés comme des ordres pour l'enfant qui lesreçoit". Par conséquent, même si discussion il y a, l'assignationdes rôles sociaux des protagonistes de la discussion imposeraune hiérarchie implicite qui limitera de facto l'autonomie decelui qui est en position d'enfant.

En Europe, le fait de considérer l'enfant comme unepersonne, dotée de droits et d'une certaine autonomie vis-à-visde son corps, que ses parents doivent respecter, est un acquisque peu se risqueraient aujourd'hui à contester ouvertement.Cet acquis est cependant relativement récent. En France, parexemple, la douleur de l'enfant n'a été prise en compte qu'il y a30 ans, car le corps médical comme la société ne donnaient pasla parole à l'enfant. Les droits de l'enfant n'ont par ailleurs étéétablis par la charte de l'ONU qu'en 1959 (ONU, 1959). Lesmesures normatives de recueil du consentement et de l'assenti­ment des enfants, mises en œuvre dans l'essai vaccinal sur laméningite, sont fondées sur cette représentation contemporaineet occidentale de l'enfant et du rôle de ses parents,· considéréecomme universelle. Or, comme nous l'avons vu, ces représenta­tions et valeurs ne font pas forcément écho aux normes de socia-

17. Le refus par un enfant d'un ordre émis par son parent ou même laremise en cause de ce conseil figurent d'ailleurs parmi les signes d'impoli­tesse les plus remarqués. Lorsqu'un adulte mentionne la curiosité d'un enfant,il s'agit la plupart du temps d'une critique ou d'une réprimande car le compor­tement attendu d'un enfant ou d'un cadet vis-à-vis d'un aîné est le respect et lesilence, parfois même la soumission explicite.

RECHERCHE VACCINALE ET ÉTHIQUE DE TERRAIN 143

lisation au sein des familles de la zone d'étude de Niakhar. Lesprocédures de consentement éclairé des parents et d'assentimentdes enfants supposent un dialogue parent-enfant, une reconnais­sance de l'autonomie de décision de l'enfant et un rapport dedialogue entre les professionnels de la biomédecine et lespatients, autant de conditions qui sont loin d'être en vigueur dansla vie sociale et les services de santé en Afrique de l'Ouest(JAFFRÉ et OLIVIER DE SARDAN, 2003 ; JAFFRÉ, DIALLO et al.,2009). Ainsi, certains individus, enrôlés dans l'essai vaccinal surla méningite par le statut social d'enfant, acceptent d'y participersans pour autant connaître le contenu de l'étude et sans non plusposer de questions aux professionnels de la recherche.

COlline nous l'avons mentionné précédemment, du fait del'histoire singulière de Niakhar, il est relativement fréquent quedes enfants issus d'une même famille ou d'une même conces­sion aient participé à plusieurs études cliniques de 1'IRD,parfois sur plusieurs générations. C'est le cas de la familled'Ousseynou et, comme d'autres familles, cela peut influencerla manière dont est conçue la participation d'un enfant, chaqueparticipation étant associée à des interprétations en termes dedon et 1 ou contre-don vis-à-vis de l'IRD. Comme l'expliqueGnilane, la participation d'Ouesseynou constitue le contre-donde la santé retrouvée du fils aîné de la sœur de ce dernier (leneveu d'Ousseynou). Elle est vraisemblablement égalementmotivée par l'espoir qu'Ousseynou puisse bénéficier des mêmessoins de santé que son neveu en cas de problème. Ainsi, dupoint de vue de l'économie symbolique de la famille, enconseillant à son fils Ousseynou de participer à ce projet del'Orstom, Gnilane rembourse la dette que le matrilignage decelui-ci a contractée lorsque le neveu d'Ousseynou a été soignégratuitement lors d'une précédente recherche clinique. Faireparticiper Ousseynou à cette recherche clinique permet ainsi àGnilane d'établir un lien privilégié entre Ousseynou et sonneveu au travers d'un rapport symbolique indirect de don etcontre-don, tout en remerciant l'institution qui a permis desoigner son petit-fils et en espérant que son fils puisse êtresoigné en cas de problème dans le futur. Dans ce cas, larecherche clinique est intégrée dans le tissu social local etdevient un objet de don comme un autre (mariage, service,

144 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

enfant confié). On peut dans ce cas parler d'économie familialede la recherche clinique".

On remarquera la facilité avec laquelle le corps d'Ousseynouest approprié par les membres de sa famille élargie. Cetteappropriation est conditionnée par le peu de connaissances dontces derniers disposent en matière de recherche clinique, maisaussi par l'environnement culturel ouest-africain où les enfantsconstituent fréquemment des objets de transaction symbolique,comme dans le cadre de relations d'alliance et d'entraide. Ainsi,comme l'a décrit Suzanne Lallemand au Burkina Faso, unenfant peut être transféré à une autre famille dans le cadred'échanges d'épouses en raison d'une union stérile par exemple(LALLEMAND, 1993).

Dans la région agricole qu'est Niakhar, les enfants sontfréquemment considérés comme une main-d'œuvre au servicede l'économie familiale. Leurs relations avec leurs parentspeuvent ainsi se rapprocher de celles qui lient un patron à sonemployé, car les enfants peuvent être responsables de la produc­tion agricole ou de l'élevage familial. Ainsi, il est fréquent, dansla zone d'étude, de croiser de très jeunes enfants non scolarisésen charge de troupeaux de vaches. Lorsque les enfants sontscolarisés, ils sont la plupart du temps mobilisés pour travaillerau moins pendant la période d 'hivernage pour cultiver leschamps, aider à cuisiner ou apporter les plats aux champs. C'estdans ce contexte que l'on peut comprendre le cas de Latyr, cepère du village de Ngayokhème qui voulait absolument que sonfils - berger et responsable du troupeau familial - participe àl'étude sur la méningite. Latyr avait entendu dire que s'il faisaitparticiper son fils, celui-ci pourrait bénéficier de soins gratuitsau dispensaire pendant un an. Latyr souhaitait donc, en faisant

18. L'investissement de la participation d'Ousseynou par la dette de sonmatrilignage constitue peut-être une spécificité due au système de filiation dessociétés sérères de cette région. En effet, la décision de la mère d'Ousseynoune s'effectue pas qu'en fonction de l'avis du patrilignage de son fils, mais ellel'inclut aussi dans une logique de don et contre-don qui implique son matrili­gnage. Cet ancrage de l'enfant dans le lignage de sa mère aussi bien que dansle lignage de son père s'explique par le caractère bilinéaire de ces populationssérères pour qui l'héritage passe aussi bien par le père (statut, nom, etc.) quepar la mère (biens consommables).

RECHERCHE VACCINALE ET ÉTHIQUE DE TERRAIN 145

participer son fils, non seulement avoir l'opportunité que celui­ci soit soigné gratuitement, mais également avoir la garantieque celui-ci pourrait assurer l'élevage du troupeau familial etpar conséquent les revenus familiaux, pendant la mêmepériode.

Comme l'a rappelé le cas d'Ousseynou, la hiérarchisationdes rapports sociaux entre aînés et cadets, caractéristique dessociétés africaines (VILLE, 2008), influence la manière dont ladécision de participer à un essai clinique se met en place dans letissu social de Niakhar. Cependant, les rapports entre classesd'âge tendent à s'assouplir et à se modifier. Le niveau scolaireélevé d'un cadet ou encore le fait qu'il soit en mesure d'appor­ter des ressources vivrières à son foyer, car il a migré, estsusceptible de reéquilibrer les rapports de hiérarchie parent­enfant et aîné-cadet. C'est dans ce cadre que les jeunes filles dela zone d'étude de Niakhar, qui partent à Dakar pour travaillercomme « petites bonnes », peuvent être amenées à revendiquerune nouvelle forme d'autonomie lorsqu'elles reviennent auvillage. C'est, en partie, ce qu'illustre le cas d'Awa.

Awa : des stratégies de participation au processus d'individua­lisation

Nous sommes au mois d'octobre de l'année 2007. Comme àl'accoutumée, une vague de chaleur a succédé à la saison despluies", À cette période, il n'est possible d'avoir une activitéphysique continue à Niakhar qu'au prix d'une extrême fatigue.Quatre membres de l'équipe de l'essai vaccinal - un médecin,un enquêteur originaire de la région, le coordonnateur local de .l'étude et le chauffeur du véhicule - sillonnent le village deKalôme à pied. L'équipe est fatiguée. C'est bientôt la fin du

19. La saison des pluies, également appelée l'hivernage, est généralementconsidérée comme la période la plus chaude et la plus difficile de l'année auSénégal, mais on s'aperçoit que les chaleurs qui suivent l'hivernage aux moisde septembre et d'octobre sont parfois encore plus difficiles à supporter,notamment en milieu rural, car les températures y sont tout aussi élevées sanspour autant être rafraîchies par des averses.

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ramadan et la plupart d'entre eux jeûnent pendant toute lajournée, depuis déjà plusieurs semaines.

Les membres de l'équipe se déplacent en voiture pour lesgrandes distances et à pied lorsqu'ils doivent parcourir les diffé­rents quartiers des villages. Ils sont munis de la liste despersonnes présentes à la réunion d'information collective qui aeu lieu quelques semaines plus tôt sous l'arbre à palabres. Laphase d'inclusion est sur le point de s'achever et les enquêteurschargés du recueil du consentement des participants sont invitésà accélérer leur rythme pour respecter les délais établis dans leprotocole de recherche. Le quota de participants compris entre 2et 18 ans a d'ores et déjà été atteint. Ils doivent maintenantrecruter une trentaine de participants entre 18 et 29 ans, maisrencontrent des difficultés : beaucoup ont migré ou sont chezdes parents en dehors de la zone. Cet après-midi-là, les enquê­teurs se rendent dans onze concessions de personnes du villagede Kalôme, susceptibles de participer à l'essai vaccinal. Awafigure en neuvième position sur le planning.

Les quatre membres de l'équipe entrent dans la concessionet saluent les personnes présentes dans leur champ visuel avecles formules de politesse de rigueur en sérère ou en wolof. Laconcession est relativement petite. Elle est composée, commetoutes les concessions de la région, d'une palissade en tiges demil qui entoure plusieurs cases bâties sur de la terre battueautour d'un espace laissé volontairement vacant pour quel'ensemble des membres de la famille puissent se retrouver surune natte et de petits tabourets. Des femmes s'affairent, discrè­tement, mais rapidement, à apporter des chaises en plastiquepour chaque invité et à les leur tendre, avant qu'ils ne s'assoientsur les nattes ou les petits tabourets de bois, jugés moinshonorables.

Awa est en train de piler du mil avec une autre jeune fille. Lebruit du pilon qui frappe le fond du mortier en bois est à la foissourd et lent. Il monopolise assez rapidement l'attention desmembres de l'équipe dont la fatigue est grande. À voix basse,l'un des membres de l'équipe montre du regard les jeunes fillesà leur droite et dit: « Ces filles ont certainement l'âge des ciblesqu'il nous faut. » Assis sur son siège, l'un d'entre eux dit ensérère : « On cherche des personnes entre 18 et 29 ans pour la

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vaccination. » Awa répond en disant: « Je suis née en 1998. »L'enquêteur poursuit: « Est-ce que ce projet t'intéresse? ». Lajeune fille répond positivement par un claquement de la languetout en continuant de piler. « Alors appelle ta mère », lui ditl'enquêteur. Pendant que sa mère arrive et explique à un enquê­teur qu'elle a assisté à la réunion au village et qu'elle estd'accord pour que sa fille participe au projet de vaccination del'Orstom, Awa se fait examiner par le médecin de l'équipe.Étant donné que ni Awa ni sa mère ne savent lire et écrire, c'estune voisine qui est appellée pour signer le formulaire, Elle lefait sans dire mot. « Tu as rendez-vous dans deux jours audispensaire de Toucar, on viendra te chercher », explique un desmembres de l'équipe à Awa. L'ensemble de l'équipe quitte laconcession sur une série de remerciements et d'au revoirprolongés.

Quelques semaines plus tard, je décide d'aller à la rencontred'Awa avec Aïssatou. Celle-ci nous reconnaît. Elle s'est déjàrendue trois fois au dispensaire et accueille chaque semaine unenquêteur qui vérifie qu'elle ne présente pas de réactions parti­culières. L'entretien commence cependant de façon conflic­tuelle. En effet, Aïissatou lui demande si elle habite à Dakar.Awa répond non. Alors que nous ne l'avions pas vue, la mèred'Awa intervient en même temps qu'elle se prépare pour alleraux champs et dit en sérère : « Pourquoi ne dis-tu pas la véritéet que tu habites à Dakar? » Awa lui répond alors: « Ne rentrepas dans mes affaires personnelles. »

Au cours de notre entretien, nous apprenons avec Aïssatouqu'Awa est de passage au village, mais qu'elle vit la plupart del'année à Dakar où elle travaille comme bonne depuis plusieursannées. Elle n'a pas assisté à la réunion d'information collectivecomme sa mère, c'est pour cela que les enquêteurs se sontrendus chez elle. Néanmoins, la mère d' Awa ne lui a pas parléde cette réunion ni de son contenu. En effet, ce sont des voisinsqui ont parlé à Awa du projet. L'entretien avec cette dernièremontre qu'elle ne sait quasiment rien du contenu de l'étude,mais qu'elle est fermement convaincue de vouloir y participer.Elle m'explique le contexte dans lequel elle en a pris connais­sance:

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«En fait, c'est une affaire de politique parce que l'Orstom adit qu'ils allaient prendre cinq enfants par concession le jour dela réunion et les vieux assis sous l'arbre à palabres, ils en ontprofité pour inscrire leurs enfants, mais dans notre quartieraucun enfant ne participe au projet. Lorsque nous avonsdemandé à Adama [NDA : un enquêteur de l'essai vaccinaloriginaire d'un village voisin] pourquoi est-ce qu'aucun enfantdu quartier n'était inscrit dans le projet, il nous a dit que c'étaitparce que les médicaments étaient finis.

Les vieux, à chaque fois qu'il y a un projet, ils préfèrent legarder pour le "centre" [NDA : sous-entendu pour les quartiersdu centre du village où habitent les castes supérieures]. Ilsavaient dit lors de la réunion qu'ils allaient aller dans quatrevillages, le village de Toucar, le village de Ngayokhème et j'aioublié les autres ... pour recruter 400 personnes, mais s'ilsavaient respecté cela, notre quartier aurait participé. Ce sont lesvieux qui en ont profité pour faire vacciner leur propre familleparce qu'ils croyaient qu'il allait y avoir une épidémie. »

Lorsque « les gens de l'Orstom » sont venus dans la conces­sion proposer à Awa de participer au projet, elle a acceptéimmédiatement ce qu'elle a considéré comme une aubaine,pensant jusqu'alors que le projet était terminé. L'interaction quipermit à Awa de prendre sa décision fut extrêmement rapide.Elle ne dura pas plus de 10 minutes, salutations comprises. Celane rentre pas en contradiction avec les 29 séances de recueil deconsentement individuel observées, dont la durée moyenne estde 12 minutes.

Au moment où nous nous entretenons avec Awa, celle-cis'est rendue trois fois au dispensaire: on lui a prélevé du sanget elle a été vaccinée une première fois. Pour autant, elle nedispose pas de plus d'informations sur le projet dans lequel elleest engagée. Elle a même oublié la technique médicale quicaractérise le projet (vaccination), qui avait pourtant éténommée par les enquêteurs lors de la séance de consentementindividuel. Lorsqu'elle évoque la piqûre qu'on lui a faite, ellesuppose qu'on la lui a administrée car elle était malade.

Lorsque je m'entretiens plus tard avec sa mère, celle-cim'explique que c'est Awa qui a pris la décision de participer de

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son propre chef. Elle est relativement confiante, étant donnéqu'elle connaît quelques personnes qui travaillent pourl'Orstom et que certains de ses enfants ont été vaccinés parl' Orstom, mais elle mentionne cependant certaines craintes enme demandant, étonnée, ce que 1'Orstom pouvait aller« chercher dans la gorge des gens» ?

Si l'interaction entre l'équipe de recherche et Awa futrapide, c'est parce que l'équipe locale de l'IRD se devait derespecter le calendrier. du déroulement de l'étude. Il était néces­saire d'inclure un nombre défini de participants dans l'étude enun temps limité. Par ailleurs, les conditions de recueil duconsentement étaient à ce moment-là épuisantes à Niakhar (àpied, avec peu de jours de repos, pendant le ramadan, et aumois d'octobre). Cet ensemble d'éléments de contexte sembleavoir poussé une logique « du chiffre» à prendre le dessus surla logique de « délivrance d'informations ». Ainsi, lors duconsentement d'Awa, à aucun moment ne sont mentionnées lacomparaison entre les deux vaccins dans le projet auquel celle­ciaccepte de participer, ni même la pathologie qui fait l'objetde cette étude. Même si ces absences ne sont pas systéma­tiques, cet exemple illustre un fait récurrent : les propos desenquêteurs font souvent l'objet d'une simplification lorsqu'ilssont transmis à l'oral et l'information semble alors à la foisréduite et ambiguë.

Il est en effet fréquent de retrouver des termes comme« vaccination », « projet méningite », « projet Orstom » ouencore tout simplement « projet» lors des échanges oraux quiont trait à l'essai méningite. Ces termes sont illustratifs duphénomène de simplification des enjeux de la rechercheclinique observé sur le terrain. Ce vocabulaire est issu pluslargement du monde du développement et de l'échange oral. Onretrouve ainsi le terme problématique de « projet» chez lesparticipants et équipes de recherche d'Afrique de l'Est(MoLYNEUX, PESHUA et al., 2004).

Des expressions récurrentes, telles que « Amna ben projetOrstom bau baax [NDA : Il y a un projet de l'Orstom qui estbien] » ou encore « Amna ben affaire bau fiakk si dispensaire bi[NDA : Il y a une affaire de vaccination au dispensaire] » ou« dinaniu defprélèvements pharyngés [NDA: Nous allons faire

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des prélèvements pharyngés] », étaient fréquentes lors desséances d'information collectives et de recueil du consentementindividuel. Les deux premières expressions ont l'avantage d'êtrefacilement compréhensibles et d'inspirer confiance à la plupartdes gens, mais sont limitées dans leur capacité à exprimer lesenjeux de la recherche clinique. En effet, les termes « projet »,« affaire» ou « baax » [NDA : bon] sont extrêmement flous,voire polysémiques, et ne permettent à aucun moment auxhabitants de Niakhar de différencier une proposition de partici­pation à un essai vaccinal d'une proposition de participation à unprogramme d'aide alimentaire. Enfin la dernière formule« dinaniu de!prelèvements pharyngés» est énoncée partielle­ment en français car, en l'absence d'équivalent linguistique, elleimpose l'usage de périphrases beaucoup trop longues en wolofou en sérère. La locution en français est cependant incompréhen­sible pour la majorité des habitants de Niakhar.

Le recours à ces termes et à ces expressions polysémiques,ambiguës ou incompréhensibles, ne permet pas aux participantsde saisir la complexité des aspects de la recherche dans laquelleils s'engagent à prendre part. Tout se passe comme si le carac­tère expérimental de l'essai vaccinal ne pouvait être énoncé - etcomme si le mot lui-même d' « expérimentation» était proscrit.L'absence de termes explicites - tant à l'oral qu'à l'écrit ­exprimant le caractère expérimental de l'étude ou encorel'existence de deux vaccins différents ou substances ayant uneefficacité différente en est très évocatrice. Le terme« expérience» n'est d'ailleurs pas énoncé de manière explicitedans le formulaire de consentement individuel rédigé enfrançais. La seule fois où ce terme fut utilisé, ce fut lorsqu'unhabitant de Toucar intervint à l'occasion d'une séance d'infor­mation collective pour mettre en garde les habitants de ce« test» qu'organisait l'Orstom et qui avait pour objectifd' « asservir les vaillantes populations de la région ». Au regarddes réglementations en matière d'éthique, la présentation ducaractère expérimental est pourtant l'élément qui devrait êtreéliminé en dernier du discours de recueil du consentement, étantdonné que, conformément aux bonnes pratiques cliniques, tousles participants doivent avoir conscience de participer à uneétude clinique et aux enjeux spécifiques de celle-ci.

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En outre, dans le cas d'Awa, les enquêteurs demandentl'accord de sa mère alors qu'elle a 18 ans et bénéficie donc à cetitre d'une autonomie de décision en droit. Deux facteurssociaux peuvent expliquer ce fait.

Cette demande peut correspondre à une mesure de politesse.En effet, les enquêteurs ont très bien pu vouloir respecter lesrègles sociales selon lesquelles un enfant doit respecter l'avis deses parents, quel que soit son âge. Cette demande serait dans cecas reliée à une mesure de respect de l'aînesse ; un respectd'autant plus nécessaire que le recueil du consentement se faitdans la concession familiale d'Awa. La mère d'Awa n'auraitpeut-être pas été sollicitée si le consentement de sa fille avaitété recueilli au dispensaire. Cette demande peut aussi corres­pondre à une stratégie (consciente ou inconsciente) de recueildu consentement par les enquêteurs, pressés de finir l'inclusiondes derniers participants conformément au calendrier établidans le protocole. En demandant l'accord de la mère d'Awa- qui était présente à la réunion -, les enquêteurs partent duprésupposé qu'elle a transmis ou transmettra à sa fille lecontenu de l'information énoncée lors de cette réunion; ilsn'ont donc pas besoin de répéter le contenu détaillé. Cettedemande justifie en quelque sorte l'information sommairedélivrée par l'équipe. Cependant, Awa ne semble ni avoirbesoin de l'accord de sa mère ni du discours explicatif desenquêteurs pour décider de participer à l'essai vaccinal sur laméningite.

En effet, le recueil du discours d'Awa a permis de découvrirque le choix de participation de la jeune femme de 18 ans relèvedavantage d'un processus d'individualisation, voire d'émancipa­tion, que d'une réflexion propre au dispositif de l'essai clinique.

Comme l'illustre l'altercation entre Awa et sa mèrelorsqu'elle lui dit « Ne rentre pas dans mes affairespersonnelles », cette jeune participante de 18 ans revendique unespace individuel propre et une autonomie de décision, enpremier lieu vis-à-vis de sa mère. À ce titre, le choix d'Awaapparaît comme un mode d'expression de son individualité aumême titre que pourrait l'être n'importe quelle autre décisions'opposant à un certain ordre social. Le statut de soutien defamille d'Awa depuis qu'elle travaille à Dakar pour sa famille

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n'est certainement pas étranger au fait que son autonomie soitaussi clairement revendiquée. En effet, dans un contexte depauvreté familiale auquel remédient, de façon intermittente, lesmigrations saisonnières de certains membres de la familleélargie, l'autorité habituellement détenue par les aînés de lafamille est parfois remplacée par un pouvoir acquis par lescadets qui apportent l'argent nécessaire à la survie des autresmembres de la famille. C'est notamment le cas pour les jeunesfilles comme Awa qui, à travers leur travail de bonne dans lesfamilles dakaroises, subviennent en partie aux besoins de leurfamille restée au village.

L'individualité et l'autonomie de décision qu'Awa reven­dique fait écho à un processus d'individualisation des compor­tements en Afrique qui a été observé en milieu urbain dansdiverses sphères de la vie quotidienne (MARIE, 1997) et encontexte migratoire face à la santé (BONNET, 2000). Ce phéno­mène explique comment Awa est en mesure de revendiquer uneprise de décision individuelle et indépendante de ses aînéset / ou de ses parents dans un contexte où la jeune fille (céliba­taire sans enfant) devrait être soumise - tout commeOusseynou - à l'autorité de sa parenté élargie.

On peut parler dans le cas d'Awa de processus d'individuali­sation, car celle-ci ne s'arrête pas à la revendication d'uneautonomie vis-à-vis des membres de sa parentèle: elle s'opposeaux règles de la société elle-même. En effet, ce qui motive Awaà participer à l'essai vaccinal, c'est le désir d'accéder à unprojet susceptible d'améliorer sa condition, au même titre queles personnes plus âgées et les castes supérieures de son villagequi habitent « au centre ». Dans ce contexte, elle estime qu'ellea droit au même traitement que les membres du village qui ontaccédé plus rapidement qu'elle au projet. Derrière sa participa­tion se lit une volonté de s'opposer à une forme - réelle ousupposée - de népotisme local. Ainsi, le fait que l'enquêteur del'essai vaccinal lui explique que les enfants de son quartier neparticipent pas au « projet» parce qu'il n'y a plus de médica­ments apparaît comme la preuve que le projet fait l'objet d'unestratégie de captation par les aînés de la bourgeoisie locale.

Le récit d'Awa montre cependant que son choix de participerà l'essai vaccinal sur la méningite est motivé par un désir

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d'émancipation, peut-être au détriment de la volonté decomprendre le contenu du projet, si bien que, comme lamajorité des autres participants, elle dispose de connaissancesextrêmement limitées sur l'essai vaccinal. Enfin, si la situationd'Awa n'est pas fréquente chez les populations avec lesquellesje me suis entretenue (10 participants majeurs sur 15 ontexprimé avoir décidé de participer sur les dires ou conseils d'unparent proche ou d'un aîné en qui ils avaient confiance), ellen'est pas non plus inexistante. Deux autres études de cas ontpermis d'identifier un processus d'émancipation chez desjeunes participants vis-à-vis de leurs parents-aînés.

C'est le cas de Sadou, un participant de 19 ans, qui, lorsqueles professionnels de l'IRD sont venus recueillir son consente­ment dans sa concession et que sa mère lui a demandé de parti­ciper, refusa et s'en alla dans une concession voisine. Il avaitentendu dire que des prélèvements sanguins importants seraientfaits et ne souhaitait donc pas y participer. Ce jeune homme n'apas renoncé à son autonomie de décision au nom des normessociales et de politesse liées à l'aînesse selon lesquelles unenfant he contredit pas son parent, et encore moins devant unétranger. Son positionnement peut être interprété comme faisantpart d'un processus d'individualisation".

Enfin, les propos de Mansour (âgé de 20 ans) mettent enévidence cette fois-ci un phénomène d'individuation:

« Ce n'est pas parce que j'ai 18 ans que mes parents n'ontrien dit. C'est moi qui suis presque le propriétaire de la maison.Mon père est décédé et je vis avec ma mère et mes petits frèreset sœurs dans la maison de mon père. l'ai un grand frère, maispas de même sang, et c'est la maison de mon père. »

20. Alain Marie différencie l'individuation qu'il définit comme « la recon­naissance quotidienne de J'individualité des individus sous conditions (... ) quisavent rester à la place qui leur est assignée », de l'individualisation qu'ildéfinit comme « la prise de distance, objective et subjective, de la personnevis-à-vis de ses inscriptions et déterminations sociales, ce qui implique quel'on conçoive la possibilité matérielle de s'affranchir de l'appartenancecommunautaire et, par la suite, la possibilité intellectuelle et affective de semettre à distance (... ) des fondations éthiques qui sous-tendent les ressorts dela solidarité» (MARIE, 1997, p. 73).

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Du fait de sa configuration familiale, Mansour a repris lerôle social de son père, si bien qu'il dispose d'un statut qui luiconfère une autonomie de décision, quand bien même il n'a que18 ans et n'est pas marié. Dans une autre configurationfamiliale, la participation de Mansour aurait pu être orchestréepar les membres de sa parentèle. Étant donné que son autono­mie de décision ne remet pas explicitement en question l'ordresocial local, son positionnement s'insère dans un processusd'individuation et non d'individualisation.

Les cas d' Awa, de Sadou et de Mansour conduisent à relativi­ser les normes sociales en matière d'autorité de la parentèleénoncées précédemment. Ils nous poussent également àquestionner les procédures de recueil du consentement en milieurural qui peuvent avoir tendance à faire passer la norme avantl'individu, le « collectif» avant « l'individuel ». En effet, légiti­mées par le respect des « autorités traditionnelles» et par le fait« qu'en milieu rural il ne faut rien cacher, sinon c'est mal vu parles populations ». Les procédures de recueil du consentementpeuvent aussi favoriser le respect de normes sociales (contes­tées) au détriment des droits individuels. Or la participation àune recherche clinique est une décision qui s'inscrit dans lerespect des droits de l'homme et donc du respect des personnesdans leur individualité. Plus précisément, le recueil du consente­ment individuel au vu et au su de tous, comme dans les réunionsd'information collectives - parfois appelées « consentementcommunautaire » -, peuvent, sous couvert de vouloir respecterles autorités « traditionnelles », atténuer la possibilité que desindividus décident de participer de manière indépendante etautonome. Si l'autonomie de ces trois individus a été mise enexergue en raison de circonstances singulières (autonomie finan­cière, revendication de l'autonomie devant sa mère, décès d'unparent), les processus d'individuation et d'individualisationexistent de manière latente chez d'autres participants qui n'ontpas osé l'exprimer du fait de la présence de la parentèle. Àl'inverse, de jeunes adultes intéressés par l'étude n'ont probable­ment pas osé contredire le refus de leurs parents ou aînés, depeur de contredire leur parole mobilisée en premier lieu.

Si certaines publications s'accordent à mettre en évidence lemanque de compréhension des individus participant à des essais

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cliniques en Afrique (LEACH, HILTON et al., 1999 ; MOLYNEux,PESHUA et al., 2004 ; HrLL et TAWIAH-AoYEMAN, 2005 ;MOLYNEux, PESHUA et al., 2005 ; HYDER et WALl, 2006), le casd'Awa montre également qu'une décision autonome peut toutaussi bien conduire à une incompréhension du caractère expéri­mental de l'étude. Mais comme le rappelle Christophe Perrey,toute cette réflexion sur la complexité des problèmes rencontréspour recueillir le consentement des participants dans les pays duSud ne doit pas servir d'argument, au nom d'une sorted' « intégrisme de l'éthique» (PERREY et YMBA, 2009), pourlimiter l'accès des populations du Sud à des recherchescliniques qui peuvent permettre d'améliorer leur conditionsanitaire. Toute la difficulté réside dans le travail d'éclairagequ'il faut réussir à réaliser dans le recueil du consentement, enacceptant qu'il s'agit d'un outil imparfait, comme tant d'autres.

L'analyse des itinéraires de participation d 'Oulimata(3 ans), d'Ousseynou (15 ans) et d'Awa (18 ans) a permis demettre en lumière la diversité et la complexité des facteurssociaux qui entrent en jeu dans le processus de consentement àparticiper à un essai clinique. L'incompréhension des partici­pants à propos de l'essai vaccinal sur la méningite est loind'être l'unique fait d'un contexte de pauvreté ou encore d'une« illusion thérapeutique» telle que l'a définie Paul Appelbaum(ApPELBAUM, LITZ et al., 2004). Le cas d'Oulimata a montréqu'une éthique relationnelle pouvait se substituer à une éthiqueverticale, tandis que les rôles sociaux de sexe pouvaientconduire les femmes à accéder moins facilement aux informa­tions et aux décisions concernant la participation de leurenfant. Le cas d'Ousseynou a permis de mettre en évidence leslimites du recueil de l'assentiment, dans un contexte où laparentèle prend la décision pour un de ses membres et oùl'histoire des familles se mêle à l'histoire de la rechercheclinique. Enfin, le cas d'Awa a révélé que les normes sociales àNiakhar étaient labiles et que certaines procédures, comme leconsentement communautaire et l'usage d'un vocabulaire tropsimple, pouvaient constituer des entraves aux processusd'individuation ou d'individualisation.

Au-delà de ces parcours individuels, nexiste-t-il pas desmoyens collectifs pour que les habitants de la zone de Niakhar

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fassent entendre leur voix auprès des chercheurs de l 'IRD ?Depuis les années 1970, les habitants de la zone de Niakhar nese sont-ils pas fédérés de manière à construire un dialogue avecles Irdiens ?

Les formes sociales de la participation communautaire

L'application de règles internationales concernant larecherche médicale, associée à la culture mondialisée de la luttecontre le VIH/sida, a conduit à ce que les promoteurs d'essaiscliniques donnent de plus en plus d'importance à l'implicationde membres de la « société civile» (Cox, ROUFF et al., 1998 ;BASS, 2008 ; BLANC, 2008 ; MARSH, KAMUYA et al., 2008; Au,SUR et al., 2010). Cette implication à diverses étapes du proces­sus d'évaluation du médicament est communément appelée« participation communautaire ». Celle-ci est souvent symboli­sée par la création et l'activité des Community Advisory Boards(CABs), qui réunissent généralement, au titre de la sociétécivile, des représentants d'associations de patients ou encoredes participants à des essais cliniques. Dans le champ de lamédecine, le CAB correspond à un groupe de non-scientifiquesvolontaires qui représentent le lien entre les professionnels de larecherche médicale et une communauté", Ils ont pour fonctiond'impliquer les membres de « la société civile» ou d'une« communauté» particulière pour qu'ils discutent avec lesprofessionnels de la recherche à intervalles réguliers du contenude certains protocoles et de l'organisation d'études cliniques.Les CAB peuvent être associés à une institution ou à une étudeparticulière. Créés aux États-Unis dans les années] 980, dans lecadre de la lutte contre le VIH-sida (Cox, ROUFF et al., 1998),les CAB se développent aujourd'hui dans différents pays dumonde et sont en lien avec d'autres pathologies faisant l'objet

21. Cette définition est accessible sur le site de l'Institut national ducancer américain: www.cancer.gov/dictionary/?CdrlD=635469.

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d'études cliniques. Ils permettent d'aborder certaines difficultésdes participants, comme la prise en charge des frais de déplace­ment, dans le cas des recherches réalisées dans les pays du Sud,ou encore les problèmes de patients perdus de vue (WILLS etTVEKU, 2000).

Avant de revenir sur les voix communautaires de larecherche à Niakhar, examinons la manière dont le point de vuedes membres de la « communauté » est pris en compte à lamême période au Centre de recherche et de formation à la priseen charge clinique (CRCF), à Dakar.

Situé dans l'enceinte du service des maladies infectieuses auCentre hospitalier national universitaire de Fann, ce centreaccueille des recherches sur l'infection au VIH et les maladiesassociées. À ce titre, il reçoit des praticiens et des chercheurs,en particulier sénégalais et africains, pour les former à larecherche clinique, épidémiologique, en sciences sociales etsanté publique, évaluative et opérationnelle". Au CRCF, ce sontsurtout des réunions trimestrielles entre les professionnels de larecherche et les représentants des associations de personnesvivant avec le VIH (PvVIH) qui ont permis d'instaurer unedynamique de participation communautaire. Ces réunions ontprogressivement permis aux représentants associatifs et auxprofessionnels de la recherche de mieux se connaître et commu­niquer. Graduellement, divers dispositifs d'appui à la participa­tion communautaire ont été mis en place avec ces acteurs.L'Agence nationale (française) de recherches sur le sida et leshépatites virales (ANRS), qui est un promoteur d'essaiscliniques importants dans l'histoire du CRCF, a en partie actua­lisé sa « charte éthique de la recherche clinique dans les pays envoie de développement» sur la base d'ateliers de discussionavec des représentants d'associations de PvVIH le VIH auCRCF.

22. Les membres fondateurs du CRCF sont le Conseil national de luttecontre le sida (CNLS), l'IRD, l'Institut de médecine et d'épidémiologie appli­quée français (IMEA), le Centre hospitalier national universitaire (CHNU) deFann, la Division de la lutte contre le sida et les infections sexuellement trans­missibles du ministère de la Santé et de la prévention médicale (DLSI),l'Agence nationale française de recherches contre le sida et les hépatitesvirales (ANRS) et l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD).

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Par ailleurs, depuis 2009, un programme de soutien àl'éthique de la recherche financé par Sidaction permet auxreprésentants associatifs de mieux maîtriser le vocabulaire et lesenjeux de la recherche clinique sur le VIH-sida au CRCF grâceà des formations à l'éthique réalisées dans le cadre d'un parte­nariat Sud-Sud. Un CAB avait été créé en 2005 à l'occasion dela réalisation d'un essai clinique par un promoteur nord-améri­cain, mais l'activité de ce CAB n'a pas été pérennisée(COUDERC, 2011). L'expérience du CRCF semble montrer quela prise en compte du point de vue des membres de la sociétécivile ou des membres des associations de patients dans lesétudes cliniques peut aussi être réalisée de manière moinsnormative que par la mise en place d'un CAB.

Bien que des recherches cliniques soient menées à Niakhardepuis les années 1970, aucun dispositif n'a pour l'instant étémis en place pour permettre aux membres de la société civilelocale de prendre part aux réflexions concernant leur déroule­ment. Certes, des réunions dites « communautaires» sontorganisées, mais celles-ci sont circonstancielles et relatives à uneétude précise. Elles ont essentiellement pour objectif derecueillir le consentement à l'échelle dite « communautaire »,c'est-à-dire des autorités traditionnelles et religieuses locales.Elles ne sont pas renouvelées durant l'étude et ne permettent pasde construire une réflexion sur les justifications de la rechercheet encore moins d'évoquer des dysfonctionnements spécifiquesdurant l'étude. Par ailleurs, les seules associations relatives à lasanté dans la région sont celles qui ont été créées par des agentsde l'IRD sur un mode plus paternaliste que citoyen.

Ce décalage entre le site du CRCF et la plateforme derecherche de Niakhar s'explique probablement en partie par le faitque Niakhar ne bénéficie pas du rayonnement international de lalutte contre le VIH-sida qui a conduit depuis les années 1990 lesprofessionnels de la recherche et de la santé à favoriser la créationd'associations de malades et leur implication dans l'organisationdes soins. On observe ainsi une acception de la notion de commu­nauté « démocratique» au CRCF, dans la mesure où ses représen­tants sont élus et font partie de structures propres de la sociétécivile, et une acception « conservatrice» à Niakhar, dans lamesure où ses représentants sont les garants d'un ordre social local

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« traditionnel » en matière de pouvoir et de décision que lesprofessionnelsde la recherche s'engagent à respecter.

Cependant, une voix citoyenne critique existe à Niakhar,bien qu'elle n'ait pas été « accompagnée» par les responsablesde la recherche, comme c'est le cas au CRCF. En effet, parcequ'ils connaissent les « normes» de recherche clinique et parcequ'ils ont accès aux appréhensions de leurs « voisins» àl'égard de la recherche clinique et qu'ils en comprennent lesens, les enquêteurs de recherche de l' IRD originaires de lazone d'étude de Niakhar sont de précieux interlocuteurs dansce domaine. Ils exposent souvent de façon pertinente lesproblèmes que pose la réalisation d'études cliniques dans unerégion qu'ils connaissent très bien par expérience. Bien qu'ilssoient pris dans un conflit d'intérêt du fait d'être salariés parl'institut qui coordonne les études cliniques de la région,certains critiquent les modalités perfectibles ou contraignantesconstatées sur le terrain. Les enquêteurs disposant d'une stabi­lité de revenus - c'est-à-dire ceux engagés par un contrat àdurée indéterminée par exemple - sont généralement plus àmême d'énoncer ces critiques que les enquêteurs rémunéréssous forme de prestations de service, généralement plussoucieux de se faire « bien voir » par les professionnels de larecherche qui disposent du pouvoir de les recruter dans defuturs projets. C'est ainsi que s'exprime un enquêteur de l'IRDtravaillant dans la zone d'étude de Niakhar à propos desmotivations des habitants de la région à participer aux essaiscliniques coordonnés par l'IRD :

« Ils [NDA : Les habitants de Niakhar qui décident de parti­ciper à une étude clinique] visent leurs intérêts seulement, c'estpas seulement parce qu'ils n'ont pas compris. C'est pour laprise en charge qu'ils acceptent seulement. (...) il Y en a pleinqui ne comprennent rien aux essais cliniques. »

Dans cet extrait d'entretien, cet enquêteur explique que leshabitants de la région de Niakhar sont essentiellement stimuléspar l'espoir de bénéficier de soins gratuits et non par l'idée departiciper à un essai clinique susceptible de produire et derendre accessible un nouveau traitement pour une pathologie

160 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

endémique, parce qu'ils ne comprennent généralement pas lesenjeux de la recherche clinique à laquelle ils participent. Ilexpose ainsi un problème éthique qui pourrait faire l'objet dediscussions plus précises, voire de propositions d'améliorationdes procédures de communication.

Certains enquêteurs à Niakhar sont soucieux de mieux fairecomprendre les enjeux de la recherche aux populations de cetterégion, mais ils ne disposent pas forcément de toutes les infor­mations nécessaires en matière d'éthique ni du soutien deséquipes de recherche pour le faire, comme l'expriment lespropos de cet enquêteur :

« Moi, personnellement je ne peux rien dire sur les essaiscliniques lorsque les populations m'interrogent. Pourtant, nousdevrions être des relais. Quand je dis ')e ne sais pas" aux gens,ils se disent: "il sait mais il ne veut pas nous dire". »

D'autres acteurs sociaux de Niakhar, comme des représen­tants politiques locaux ou des professionnels de la santé, sontégalement sensibles à la question des droits des participants auxessais cliniques. Ils déplorent souvent ne pas avoir de« tribune» ou ne pas pouvoir exprimer leurs questions à proposdu fonctionnement de la recherche médicale.

Les initiatives d'appui à la participation communautaire auCRCF ne sont pas directement comparables à la situation deNiakhar, mais les deux sites sont confrontés aux contraintes

. importantes liées à la pauvreté et au faible niveau d'éducationde la population sénégalaise.

Au CRCF, les personnes impliquées dans des dynamiquessociales de participation communautaire sont - comme laplupart des Sénégalais - à la recherche d'un emploi pour vivreet faire vivre leur famille. L'implication de ces « représentantscommunautaires » au CRCF est financièrement soutenue pardes promoteurs de recherche clinique ou des fondations privées,qui assurent des per diems et des remboursements de frais departicipation aux réunions. Les membres de la société civile nesont donc pas financièrement autonomes et indépendants dansleur démarche. Cet aspect est sensible, car ces financements nesont pas forcément stables ni récurrents.

RECHERCHE VACCINALE ET ÉTHIQUE DE TERRAIN 16]

Par ailleurs, les réunions ou présentations, auxquelles lesacteurs de la société civile peuvent participer au CRCF afin demieux comprendre les enjeux de la recherche clinique, sont leplus souvent réalisées en français et parfois dans un vocabulairetechnique peu accessible aux non-spécialistes. Or une partieimportante de la société civile s'exprime en wolof et une partienon négligeable de la population n'a pas bénéficié d'une scola­rité complète. En l'absence d'un dispositif permettant de formerrégulièrement ces représentants communautaires et d'une atten­tion des professionnels de la recherche à cet égard", les possibi­lités qui leur sont offertes de comprendre et de critiquer ledéroulement des études cliniques restent limitées. Le modèle duCRCF n'est pas directement transférable à Niakhar car, enl'absence d'un contexte associatif comme celui lié au VIH,l'intégration de membres de la société civile de Niakhar, moinsformés et informés, pourrait apparaître comme un alibi.

Au-delà de l'investissement « activiste» et « associatif» dela société civile dans les essais cliniques, qui n'est certainementpas plus important à Niakhar qu'à Dakar, quelles formespeuvent prendre l'expression collective des participants?L'analyse de l'émergence à Niakhar de nouvelles rumeurs devol de sang à l'occasion de l'essai vaccinal sur la méningitepeut-elle être envisagée comme une manifestation non verbalede la participation communautaire?

Les manifestations en creux de la participation communautaire

Ce jour-là, Aïssatou Diouf et moi sillonnons à pied le villagede Kalôme et entrons dans la concession de Fama où nousavions observé la séance de consentement individuel deux moisplus tôt. Lorsque nous entrons chez elle, Fama nous accueillesans le moindre signe de désapprobation, en disposant des siègesdans l'espace central de la concession où elle habite. La majoritédes hommes et des femmes travaillent dans les champs à cette

23. Les initiatives développées au CRCF dans le cadre de son ProjetÉthique et la création du Réseau communautaire pour l'éthique de la rechercheet des soins au Sénégal (RECERS) sont postérieurs à 2009, date de l'enquête.

162 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

période de l'année. Seules trois femmes de la concession sontdonc présentes en plus de notre interlocutrice: deux de ses tanteset sa grand-mère qui semble souffrir d'une forme de démence etse trouve assise sur une natte à quelques mètres de nous.

Fama m'explique que c'est sa mère qui lui a conseillé departiciper au projet lorsque les enquêteurs sont entrés dans lamaison il y a deux mois, mais que c'est son père qui avait prisla décision en amont. Fama a 18 ans et étudie au collège. Ellesait donc lire, mais m'explique ne pas avoir bien compris lecontenu du papier" laissé par Adama, l'enquêteur. L'entretienmontre en effet qu'elle n'a pas conscience du caractère expéri­mental de l'étude à laquelle elle participe. Fama sait néanmoinsque le projet concerne la méningite et que d'autres membres desa famille ont déjà participé à des projets de l'Orstom dans lepassé, si bien qu'elle se dit confiante. Elle est en effet sûred'elle et ferme lorsqu'elle m'explique que le principal intérêt duprojet réside dans le fait qu'il lui permet d'être exonérée desfrais de santé durant un an lorsqu'elle se rendra au dispensaire.

À la fin de l'entretien, lorsque je demande à Fama si elle a étégênée par les prélèvements sanguins ou si elle a entendu parlerd'histoires liées au sang depuis sa participation, celle-ci me souritet me dit que non. Alors que je m'apprête à clore cet entretien etque je range mon carnet de notes, Fama me dit d'un ton sérieux,laissant tout de même percevoir un léger ton interrogatif:

« Il Y a des gens qui disaient que les toubabs volaient lesang pour le revendre, mais c'était dans le passé et ce sont desgens qui ne connaissent pas l'Orstom qui disaient cela. »

J'acquiesce silencieusement à sa phrase, laisse mon camet denotes, dans mon sac et mentionne que d'autres personnes partici­pant au « projet» m'ont néanmoins fait part de craintes qu'onleur «vole» leur sang. Fama marque un silence puis, alors que satante balaie le sol à plusieurs mètres de nous dans la cour princi­pale de la concession, elle la désigne d'un regard furtif et me dit àvoix basse tout en veillant à ne pas changer d'expression:

24. La note d'information inscrite sur le formulaire de consentement éclairé.

RECHERCHE VACCINALE ET ÉTHIQUE DE TERRAIN 163

« Les gens qui habitent ici, ils disent ça. »

Je fais un signe de tête à Fama lui indiquant que je prendsnote de ce qu'elle m'a dit et lui indique que je reviendrai la voirle lendemain pour lui expliquer le contenu du consentementéclairé.

Lorsque je m'entretiens le lendemain avec Fama, sa cousineNgossé - qui participe également à l'essai -l'a rejointe, car ellesouhaite écouter les explications que je vais lui transmettre sur lecontenu de l'étude et sur le papier qu'elles ont toutes deux signé.Alors que Fama est partie aider sa tante pour le repas du midi,Ngossé m'explique que Fama et elle étaient inquiètes après ladeuxième séance de vaccination. Alors qu'elles étaient dans levéhicule tout-terrain qui les ramenait dans leur village après leurdeuxième prélèvement, elles se demandaient si cela était mal oupas de retirer autant de sang. Ngossé me demande alors de luiexpliquer à quoi servent les prélèvements sanguins qu'elles ontsubis. Après avoir expliqué à Ngossé et à Fama - revenue entre­temps - qu'elles participent à une recherche expérimentale dontle but est de mesurer l'efficacité d'un nouveau vaccin contre laméningite par rapport à lm ancien et qu'on leur prélève du sangpour observer lequel des deux vaccins est le plus efficace, jedemande à Ngossé pourquoi elle n'a pas posé la question auxmédecins du projet lorsqu'elle s'est rendue au dispensaire.Ngossé me répond qu'elle et Fama avaient honte, car leshommes du projet étaient «comme des oncles ».

Comme plusieurs autres candidats à l'essai vaccinal, Fama etNgossé ont bien intégré le fait qu'elles participaient à un projetleur permettant de bénéficier d'une vaccination, ou du moins desoins contre la méningite. Elles ne comprennent cependant paspourquoi on leur prélève du sang à plusieurs reprises. Ceconstat vient très probablement du fait que les deux jeunesfemmes, comme la majorité des participants de cette étudevaccinale contre la méningite, n'ont pas conscience de prendrepart à un projet de recherche expérimental et / ou ne savent pasprécisément comment ces prélèvements s'insèrent dans leprocessus de recherche. On peut supposer que cette inquiétudedevient d'autant plus intense chez Fama qu'au sein même de saconcession familiale, elle entend une de ses tantes véhiculer une

164 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

rumeur, courante dans la zone de Niakhar, selon laquelle il fautse méfier des projets de l'ürstom, car « les toubabs volent lesang des gens du village pour le revendre ailleurs ». C'est avechésitation que Fama me fait part de cette information et elle neme dira pas directement avoir cru à ces rumeurs. Cependant,l'ensemble des discours et le contexte de l'entretien montrentbien que Fama et Ngossé ne comprennent pas ce qui justifie queleur sang soit prélevé et qu'elles en cherchent le sens dans leurenvironnement.

Le manque d'information sur le but des prélèvementssanguins et l'inquiétude que suscite leur réalisation ne sont paspropres à leur cas. Ainsi, lorsque je me rendais au dispensairependant les séances de vaccination, il était assez fréquent que jem'entretienne avec des parents alarmés ou exaspérés après avoirdécouvert, arrivés au dispensaire, que leur enfant devait subirun prélèvement sanguin. Quelques rares personnes exprimaientouvertement leur étonnement ou leur inquiétude aux profession­nels de santé. Les entretiens montraient la plupart du temps quece n'était pas les prélèvements en tant que tels qui posaientproblème, mais le manque d'information claire à propos del'ensemble du processus de recherche clinique, dont l'inquié­tude à l'égard des prélèvements sanguins ne constituait que lapartie émergée de l'iceberg. Certains me demandaient à quoiservaient les prélèvements oropharyngés, d'autres me deman­daient pourquoi les techniciens ne pouvaient pas prélever moinsde sang. D'autres me faisaient remarquer la naïveté de ceuxcapables de croire que des gens pouvaient venir donner dessoins sans rien prendre en retour.

La focalisation des appréhensions sur les prélèvementssanguins est cependant plus fréquente que sur d'autres aspectsde la recherche clinique. Téning, une participante de 27 ans deNgayokhème, comprend lors de sa première visite au dispen­saire que le projet auquel elle participe nécessite que son sangsoit prélevé. Elle s'en trouve particulièrement troublée et mal àl'aise, comme en témoignent les propos ci-dessous:

« Après la réunion au village, j'avais entendu qu'il y avaitdes soins gratuits et c'est ça qui m'a poussée à y participer,mais au moment où j'ai appris qu'il y avait des prélèvements

RECHERCHE VACCINALE ET ÉTHIQUE DE TERRAIN 165 .

de sang, je ne voulais plus participer (... ). J'avais signé parcequ'ils m'avaient dit qu'il y avait surtoutdes intérêts pour nous,mais pas pour eux.»

Le malaise de Téning ne vient pas seulement du fait qu'elleait dû subir des prélèvements sanguins de manière inattendue.Elle est également décontenancée parce qu'elle se retrouve ensituation de devoir donner (du sang), alors qu'elle s'attendait àrecevoir (des soins).

Il est fort probable que les participants ne disposant pas d'undegré de connaissance suffisant à propos du fonctionnement dela recherche clinique ., comme c'est le cas de Fama, Ngossé etTéning - soient plus prompts à développer un sentimentd'insécurité ou de trahison après s'être rendus au dispensaire.Par ailleurs, le 'silence et l'obéissance, qui constituent l'attitudeque la plupart des habitants de Niakhar adoptent face au corpsmédical et, a fortiori, des professionnels de la recherche, favori­sent très certainement la crédibilisation de ces rumeurs de vol desang. En effet, l'absence de connaissances suffisantes à proposdu fonctionnement de la recherche clinique associée au silencedes participants, et a fortiori, des professionnels, le prélèvementsanguin finit par être vécu comme un acte arbitraire, car aucunejustification médicale claire ne lui est explicitement associée.C'est ce que suggèrent les propos de ce participant qui suspecteles professionnels de la recherche de vouloir le piéger:

« La première fois, ils ont pris une petite quantité, maisactuellement, ils piègentparce qu'ils mettentun bout de papierpour cacherla quantité, mais en fait ils en prennent plus. »

Le paradoxe est que le petit bout de papier dont parle ceparticipant avait été ajouté par un enquêteur justement pourlimiter les craintes qu'il pensait occasionnées par la vue deleur sang couler dans un tube. Or il ne semble pas que lessuspicions de vol de sang des participants à l'essai cliniquepuissent s'expliquer seulement par une peur liée à la valeursymbolique du sang. Ces peurs qui se focalisent sur les prélè­vements sanguins ont une signification plus profonde quirelève du rapport des habitants de la zone de Niakhar à la

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médecine, à la science, mais aussi à l'État sénégalais et àl'État français.

Certains messages flous ou ambigus transmis par les profes­sionnels de la recherche aux habitants de la zone d'étude,concernant les prélèvements sanguins, contribuent sans aucundoute aussi à nourrir les appréhensions de certains. En effet, aucours des quatre réunions d'information collective et des60 séances de recueil de consentement individuel observées, lesprofessionnels de la recherche ont régulièrement défini lesprélèvements qui seraient effectués dans le cadre de l'essaiméningite comme des examens « classiques ». Ils les définis­saient aux habitants de la région comme des actes aujourd'huiréalisés dans tous Jes hôpitaux du pays afin que les « docteurs»puissent détecter les maladies pour les soigner. Ils précisaientparfois que ces prélèvements ne pouvaient pas rendre malade,qu'ils ne prélèveraient qu'une petite quantité qui serait instanta­nément remplacée par l'organisme. Or, s'il est compréhensiblede recourir à de telles explications pour rassurer des patientss'apprêtant à faire des examens sanguins en vue de confirmerou d'infirmer un diagnostic dans le cadre d'une consultation, ilest faux d'affirmer que les prélèvements réalisés dans le cadred'un essai clinique sont réalisés pour diagnostiquer et soignerune maladie. En effet, dans le cadre d'un essai préventif, lesprélèvements ne servent pas à soigner les participants, maisessentiellement à mesurer le taux d'anticorps développés par lesdifférents participants à des moments précis de l'étude, dans lebut de mesurer l'efficacité et le mode de fonctionnement duvaccin faisant l'objet de l'étude.

Ainsi," lorsque les participants comprennent que les prélève­ments sanguins ont pour objectif de diagnostiquer une maladie- ce qui est le cas d'une majorité d'entre eux - certains peuventtout de même suspecter que leur sang fasse l'objet d'un usagecaché. Sinon, comment expliquer qu'ils ne reçoivent pas lesrésultats de leurs analyses? L'incapacité du discours des profes­sionnels à rentrer en congruence avec le vécu des participantsest le creuset de multiples incompréhensions et suspicions de lapart des habitants de Niakhar. Dans le cas de l'essai vaccinal surla méningite, ce problème est d'autant plus complexe à résoudreque, même si les prélèvements sanguins pouvaient indiquer aux

RECHERCHE VACCINALE ET ÉTHIQUE DE TERRAIN 167

participants la présence ou non d'anticorps contre la méningite,les mesures de respect de l'anonymat des données de l'étudeempêcheraient que les résultats soient communiqués avant la finde l'étude.

Enfin, les suspicions des participants à l'égard des prélève­ments sanguins, voire les rumeurs de vol de sang, sont proba­blement accentuées par le fait qu'il n'existe quasiment aucuneprocédure de restitution des résultats des examens biologiquesaux habitants de la zone d'étude de Niakhar :

« L'Orstom, ils prennent les selles, les urines et le sang desvillageois, mais ils ne donnent jamais les résultats. »

C'est ainsi qu'un représentant politique local rencontré en2009 résumait la position parfois méfiante des habitants de sacommunauté rurale à l'égard de l'IRD. En effet, seules deuxséances de restitution documentées ont été organisées par l'JRDdepuis la création du site et elles ont été réalisées dans le villagede Niakhar et non dans la zone d'étude de Niakhar. Dans cecontexte de communication insuffisante, tronquée ou inadaptée,à propos des études cliniques et de l'absence de restitution desrésultats des examens biologiques ou des études cliniquesprécédentes, il est compréhensible que les participants dévelop­pent des modèles explicatifs propres pour combler les insuffi­sances de l'information qui leur est délivrée lors des séancesd'information.

Les suspicions de vol de sang telles qu'elles ont été décriteset contextualisées dans les paragraphes précédents peuvent êtreconsidérées comme un idiome, au sens de Wenzel Geissler.L'idiome des rumeurs de vol de sang viendrait ici signifier, pardétournement, à la fois une difficulté de la part des habitants dela région à saisir le sens des actes médicaux dont ils font l'objetdepuis plusieurs décennies et le besoin de trouver un senslogique au commerce étrange de la recherche médicale. Pourautant, cette interprétation est loin de convenir aux profession­nels de la recherche.

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Paternalisme et difficultés à dialoguer avec les professionnelsde la recherche

Je travaille depuis un an et demi sur la zone d'étude deNiakhar et depuis cinq mois sur l'essai vaccinal sur la ménin­gite, lorsque je décide d'organiser une présentation de mesrésultats préliminaires aux équipes de recherche présentes sur lesite. À ce moment-là, il me semble que ma démarche est unmoyen de leur offrir un regard extérieur et constructif sur leurpratique. Pensant que cette présentation pourra montrer l'utilitéd'un travail anthropologique dans le cadre d'une rechercheclinique, je décide de leur présenter des données sur les limitesdes techniques de recueil du consentement individuel.J'évoque, entre autres, les rumeurs de vol de sang.

Au cours de cette communication, je mentionne les princi­paux processus discursifs par lesquels se sont exprimées, chezles participants interrogés, des incompréhensions importantes àpropos de l'essai vaccinal sur la méningite. J'ancre mon proposdans une littérature anthropologique plus large faisant état desmêmes constats en Gambie et au Kenya. J'évoque le recoursfréquent de mes interlocuteurs au dénominatif flou et ambigu de« projet» ou « projet de santé» qui les conduit à concevoir larecherche clinique comme une prestation de service sanitaire,très peu différenciée d'un projet de développement. J'évoque lecas de participants à l'essai méningite ayant développé desreprésentations persécutrices des prélèvements sanguins.J'explique que certains discours montrent que les prélèvementssanguins, du fait d'extraire une substance qui constitue symboli­quement la force de l'individu, sont perçus comme une entraveà la santé. Je montre par ailleurs que d'autres propos indiquentque certains participants crédibilisent les rumeurs selonlesquelles « les gens de l'Orstom » ou « les toubabs » voleraientle sang.

Suite à cette présentation, trois catégories de commentairesme sont adressés par des médecins, laborantins et démographesde l'équipe de recherche.

Dans un premier temps, on me signifie que, contrairementaux études précédentes, les participants à l'essai méningiteétaient de « vrais volontaires ». Ils m'expliquent que ceux-ci

RECHERCHE VACCINALE ET ÉTHIQUE DE TERRAIN 169

n'ont pas été sélectionnés à partir de la base de données, mais àpartir de la liste de personnes présentes aux réunions collectives.

Dans un second temps, un soignant m'explique que lesrumeurs de vol de sang et les craintes des habitants de la régionà l'égard des prélèvements sanguins sont connues, mais relati­vement isolées et ont pour origine un essai vaccinal surl'hépatite B réalisé dans les années 1970 qui n'était « pas trèséthique» et au cours duquel des prélèvements fémoraux ont étéréalisés sur des enfants. Il précise ensuite, sous le sceau de laplaisanterie et à l'acquiescement général du public, que cesaccusations de vol de sang sont des choses anecdotiques" etsous-entend qu'elles se règlent par le biais de relations àplaisanterie. Il mentionne à ce propos le cas d'une femme quil'accusa de lui avoir volé son sang afin de s'acheter 'le véhicule4 x 4 qu'il conduisait et à laquelle il répondit que, de toutefaçon, en tant que membre d'une ancienne ethnie ennemie, maisaujourd'hui en paix, il n'aurait pas été intéressé par le sangsouillé d'un Sérère.

Dans un troisième temps, un des professionnels me demandecomment une analyse réalisée à partir de la participation de15 personnes pouvait être représentative du vécu de 300personnes. On me suggère alors d'élargir mon échantillond'enquête pour que mes résultats soient plus représentatifs.Enfin, un autre professionnel me met en garde sur le risque desurinterprétation qui a conduit un autre anthropologue, maiségalement certains journalistes dans le passé, à sur-interpréterles propos dépréciatifs de certains habitants de la zone d'étudede Niakhar à l'égard de la recherche clinique. Pour illustrer sonpropos, cet interlocuteur mentionne le cas récent du père d'unparticipant à l'essai méningite qui était foncièrement opposé àl'étude, mais qui, après des explications, a décidé de faire parti­ciper son fils.

Si la présence des professionnels de l'essai vaccinal sur laméningite à cette présentation de mes résultats témoigne d'unecertaine « ouverture» à l'égard d'une autre perspective que laleur sur la recherche clinique, leurs commentaires expriment

25. Certains enquêteurs en démographie présents lors de cette restitutiontémoignent néanmoins du contraire.

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quant à eux leur difficulté à envisager un possible lien de causa­lité entre leur pratique professionnelle et les rumeurs de vol desang ou les représentations floues ou erronées que développentles participants.

Le fait que ces professionnels considèrent des rumeurs de volde sang comme des discours anecdotiques qui se règlent par lebiais de relations à plaisanterie ne contredit pas le discoursd'autres professionnels qui, au cours d'entretiens individuels,expliquent la plupart du temps ces rumeurs par l'expression departicularités culturelles ou par l'illettrisme des participants. C'estce qu'expriment les propos ci-dessous de deux d'entre eux:

« Parce que c'est comme moi, chez les Peuls, le sang c'estsacré, tu peux tout faire, sauf faire couler le sang d'un Sérère,donc je comprends que c'est délicat. »

Pape, technicien de recherche clinique, septembre 2008.

« C'est tout à fait compréhensible que des populations quisont illettrées développent des peurs à l'égard de chosesqu'elles ne connaissent pas. »

Momodou, médecin de recherche clinique, juillet 2008.

Ces discours ne contredisent pas le point de vue des«fieldworkers » travaillant sur d'autres sites de recherche cliniqueen Afrique pour qui, finalement, les refus ne sont qu'une forme derésistance aux bienfaits de la recherche médicale ou encore lapreuve d'un manque de connaissance (FAIRHEAD, LEACH et al.,2005). En effet, parmi six professionnels interrogés, un seul aadmis que les rumeurs de vol de sang où les incompréhensions desparticipants pouvaient être liées au mode de communication dansl'étude. Par ailleurs, la plupart estiment que la recherche médicalene présente que des avantages pour les habitants de cette régionpauvre et à l'accès aux soins limité. Si il Ya des refus, ce ne peutêtre que parce que les habitants n'ont pas compris le but del'étude. En somme, rien ne justifie vraiment un refus.

Enfin, l'explication du chercheur qui intervient en mention­nant l'essai vaccinal contre l'hépatite B peut certes être partiel­lement valable, mais elle présente l'avantage d'exclure1'hypothèse que ces rumeurs puissent avoir un lien direct avec

RECHERCHE VACCINALE ET ÉTHIQUE DE TERRAIN 171

le déroulement de l'essai vaccinal sur la méningite ou leurpratiques. li est vrai 'que, dans l'étude sur l'hépatite B, lesprofessionnels prélevaient le sang des enfants au niveau del'artère fémorale, ce qui peut avoir laissé des traces dans lesmémoires. Cependant, c'est essentiellement parce que le vaccinqui avait fait l'objet de cette étude n'avait pas été rendu acces­sible aux populations du Sénégal, du fait de son coût trop élevé,au cours des années suivant l'essai, que cette étude est citéecomme exemple d'une démarche non éthique (CHIPPAUX 2004).Qui' plus est, plusieurs essais vaccinaux de l'IRD ont succédé àcette recherche sur plusieurs générations d'habitants de larégion, sans qu'ils soient mentionnés.

D'autres discours de professionnels à l'égard des rumeurs devol de sang peuvent également être interprétés comme desmoyens - conscients ou inconscients - de minimiser oud'exclure un lien de causalité avec leurs pratiques. Les profes­sionnels de la recherche justifient ainsi souvent le caractèresecondaire, voire insignifiant, de ces rumeurs par le fait qu'ellesne conduisent pas les participants à se retirer de l'étude.Toutefois, l'acceptation des prélèvements sanguins par les parti­cipants n'est pas obligatoirement une preuve de compréhensionni de légitimation; pas plus que cela ne signifie qu'ils renoncentà des représentations de la recherche en termes de commerce dusang. En effet, le fait que les participants acceptent que leur sangsoit prélevé tout au long d'une étude peut vouloir dire qu'ilsacceptent que leur sang soit revendu afin de pouvoir bénéficierdes traitements gratuits durant la durée de l'étude.

Pour les professionnels, reconnaître la crainte et la défianceexprimées par les participants à l'étude clinique sur laquelle ilstravaillent est difficile. Et cela l'est peut-être d'autant plus quenombre d'entre eux considèrent cette étude vaccinale ou leurtravail en tant que soignants dans la recherche médicale commefoncièrement bénéfiques. C'est particulièrement le cas dans cetessai clinique qui est réalisé avec un vaccin prometteur sur unepathologie endémique dont le coût a d'ores et déjà été négociéafin que les gouvernements africains puissent y accéder. Enfin,parce que les professionnels de la recherche sont souvent impli­qués dans des évacuations sanitaires ou dans le soutien auxconsultations dans les dispensaires, une majorité d'entre eux

172 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

considèrent cette étude clinique comme une forme de renforce­ment du soin - au sens de care - comme cela a été observé chezcertains professionnels de la recherche clinique engagés dansdes études sur la génomique aux États-Unis (EASTER,

HENDERSON et al., 2006).L'explication des rumeurs ou suspicions de vols de sang par

certains dysfonctionnements liés au système de communicationau sein de la recherche clinique est peut-être difficilementacceptée par les professionnels de la recherche, car elle lesoblige à remettre en question leur perception « bienveillante ~~

de la recherche. Ce renoncement est peut-être d'autant plusmalaisé que la bienveillance de la démarche s'inscrit parfoisdans un « contrat social » plus large, comme l'illustrent lespropos suivants de ce médecin impliqué dans l'essai vaccinal:

« J'ai fait toute ma formation dans le public, donc c'estavec l'argent des Sénégalais que j'ai fait ma formation. Enretour, je me sens un devoir envers cette population. Et jen'imagine pas une seule seconde donner un produit nuisible àla santé de mes semblables (... ). Le devoir du médecin, c'estde ne pas donner un produit nuisible à ses patients. »

Momodou, médecin de recherche clinique, juillet 2008.

Le discours de ce médecin de recherche clinique est cepen­dant ambigu, car si certaines études peuvent apparaître pluspertinentes que d'autres et si elles restent un moyen de trouverde nouveaux traitements ou stratégies thérapeutiques, elles n'enconstituent pas moins des procédures susceptibles de conduireles personnes qui y participent à éprouver des nuisances sousforme de réactions physiologiques" ou psychologiques (en

26. Dans le protocole sont distinguées les réactions post-vaccinaleslocales (douleur à la pression, induration), les réactions post-vaccinales systé­miques pour les sujets de 2 à 10 ans (température axillaire, léthargie, irritabi­lité, vomissements, diarrhée, perte de l'appétit), les réactions post-vaccinalessystémiques pour les sujets de 11 à 29 ans (température axillaire, maux detête, fatigue, myalgie, arthralgie, vomissements, diarrhée), les événementsindésirables décomposés en trois degrés d'intensité allant de l'inconfort sansperturbation des activités quotidiennes à la forte gêne avec affectation consi­dérable des activités quotidiennes. Enfin, sont également considérés les

RECHERCHE VACCINALE ET ÉTHIQUE DE TERRAIN 173

raison d'un manque d'information sur les gestes médicauxsusceptibles de crédibiliser les rumeurs de vol de sang parexemple).

Enfin, la forte normalisation du champ de la recherchemédicale - dont l'activité est régulée par le respect de procé­dures internationales comme les SOPs (Standard OperatingProcedures)" - semble influencer le discours des professionnelsimpliqués dans cet essai vaccinal. En effet, plusieurs d'entreeux avaient tendance à aborder la compréhension des partici­pants et le recueil du consentement éclairé en termes de réalisa­tion ou non de protocoles opérationnels, davantage qu'enmobilisant leur appréciation personnelle des situations. Ceconstat n'est pas étonnant dans la mesure où l'application deces protocoles opérationnels est centrale dans l'évaluation desessais cliniques et des performances des équipes investigatrices.En effet, si l'on suit cette logique, la réalisation d'une étudeclinique devient irrépréhensible si on applique scrupuleusementl'ensemble des SOPs. Dans le cadre de cet essai vaccinal, ladémarche qualité avait également été mobilisée.

Tout se passe comme si la sous-culture des essais cliniqueséloignait les équipes de cliniciens et de techniciens en lien avecles participants d'une pensée critique qui leur serait propre.Comme si, en contrôlant la subtile orchestration qui permet devalider un essai clinique, les SOPs pouvaient aussi se charger de

événements indésirables graves (ErG) qui définissent le décès, la menace dupronostic vital, une réaction provoquant une invalidité ou une incapacitépersistante, nécessitant une hospitalisation de longue durée.

27. Les SOPs sont utilisés aussi bien dans le champ de la recherchemédicale que dans celui de l'armée, du commerce et de la production indus­trielle. Chacun de ces protocoles opérationnels est associé à un objectif quidoit être atteint afin que l'étude soit menée correctement. Du lieu de range­ment des dossiers médicaux des participants au respect du recueil du consen­tement, en passant par les procédures de conservation des vaccins, chacunedes activités de l'étude a fait l'objet d'tm protocole opérationnel relié à une ouplusieurs personnes. Ainsi, dans cette logique, afin de répondre à l'objectifqu'aucune variation de chaleur n'affecte la qualité des vaccins, un protocoledétaillant la manière dont ces vaccins doivent être disposés dans un réfrigéra­teur, branché à une prise sécurisée et dont la température doit être relevéetoutes les 12 h, est rédigé et appliqué tout au long de l'étude afin de répondreà l'objectif initia!.

] 74 FAIRE DE LA RECHER"CHE MÉDICALE EN AFRTQUE

garantir le contrôle des questions éthiques et sociales. En effet,même s'ils sont conscients des difficultés que posent les prélè­vements sanguins, les soignants en minimisent généralementl'importance et les interprètent essentiellement en termes demanque de connaissance ou de résistance culturelle. Leursreprésentations de la recherche clinique et de sa bonne conduitene favorisent pas une vision critique de leurs pratiques, car lesréglementations internationales sur lesquelles ils se fondentréduisent souvent le consentement des sujets à un acte déter­miné à un moment donné, qui ne peut être remis en questionultérieurement.

Alors que l'activité des professionnels de la recherche"s'inscrit dans une médecine contemporaine pensée comme uneEvidence Based Medecine, soucieuse de respecter la qualité devie des patients, il apparaît étonnant qu'à aucun moment lesreprésentants de cette médecine n'aient pensé à interpréter lessuspicions de vol de sang en termes d'angoisse ou d'anxiétéliées au processus de recherche. Compte tenu de la fréquencedes rumeurs de vol de sang, il est encore plus étonnant que cesexplications n'aient pas été plus explorées par les personnesimpliquées de près ou de plus loin, comme les personnes encharge des audits extérieurs ou les professionnels de larecherche de la santé en Afrique".

Ce travail ethnographique et analytique sur les rumeurs devol de sang, comme expression « en creux» de la participationcommunautaire et de sa difficulté à être entendue par les profes­sionnels de la recherche, témoigne de la pertinence du recours àune approche « de l'intérieur» en complément d'une approchediachronique. Les suspicions de vol de sang à Niakhar apparais­sent alors comme l'expression d'un collectif de la région quipeine à mettre en mot ce qui le dérange ou qu'il ne comprendpas. De leur côté, chercheurs et techniciens semblent trop prisdans leurs modèles normatifs pour y voir autre chose qu'unterrible malentendu. Pourtant à Niakhar les faits sociaux autour

28. Wenzel Geissler et Rabet Pool expliquent ainsi que les rumeurs de volde sang et de vol d'organes qui leur sont associées ont été répertoriées enAfrique de l'Ouest, de l'Est, du Sud, à Madagascar, mais aussi en Amériquelatine (GEISSLER et POOL, 2006).

RECHERCHE VACCINALE ET ÉTHIQUE DE TERRAIN 175

du sang semblent surtout l'expression d'un malaise qui peine àêtre mis en mots.

À l'issue de ce périple ethnographique, l'éthique de larecherche apparaît comme un garde-fou que l'on aperçoit aussibien de manière furtive au détour d'un scandale médiatique quelors d'habitudes progressivement construites entre enquêtés. Onl'aura compris, la réflexion éthique dont il est question ici nepeut en aucun cas être réduite au sacro-saint consentementéclairé, qui lui-même apparaît dans son acception ethnocentrée,peu propice à donner une place aux bricolages sociaux qui lecaractérisent pourtant. Des jeux d'appropriation politique etjournalistique de la recherche aux parcours narratifs de ceux qui« consentent » à participer aux essais cliniques, en passant parla mise en mots (ou pas) par les « communautés » du statuta fortiori inconfortable d'expérimentés, l'éthique de terrainressemble à une interminable réflexion à laquelle s'adonnent lesacteurs avec plus ou moins de conscience et de bienveillance. Ilest ainsi parfois difficile de saisir, dans un contexte de pauvretéstructurelle et de fragilité politique, ce qui relève du jugementmoral, de la stratégie ou de 1'habitude. L'éthique apparaît in finecomme un dialogue continuel et volontariste qui n'a de sens quedans le contexte où elle prend place.

Conclusion

De l'implication à la réflexion éthique

Au mois d'août 2008, je participe à un atelier sur l'éthiquede la recherche anthropologique en Slovénie. J'y présente unecommunication sur l'incapacité du consentement éclairé àrépondre aux questions éthiques et politiques que pose larecherche médicale à Niakhar et partage mes réflexions avecd'autres anthropologues. Mes collègues travaillent auprès demigrants sans papiers en Europe, de minorités ethniques des« territoires protégés » d'Amérique du Sud et de personnesvivant avec Je VIH en Afrique subsaharienne. Nous expri­mons tous notre souhait de dépasser les diverses formesd'autorité sociale ou politique auxquelles nos interlocuteurssont soumis et évoquons nos difficultés à « faire lien » dansun tel contexte.

Alors que nous échangeons de manière collective, la discu­tante de l'atelier - une anthropologue d'une soixantained'années - intervient pour exprimer son étonnement devant« notre génération» qui cherche systématiquement à établir unerelation juste et équitable avec les « enquêtés », Poursuivantson propos, elle nous raconte qu'à son époque les anthropo­logues interagissaient avec des populations tout aussi pauvreset isolées que nos interlocuteurs. Elle et ses collègues n'étaientcependant pas animés à ce point par les questions « d'éthique »,Ils estimaient plus modestement qu'ils apportaient avant toutaux enquêtés une occasion de raconter des « histoires ». À leur

178 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

tour, les anthropologues se contentaient modestement derecueillir et de transmettre ces histoires.

Quelques mois plus tard, alors que je m'attelais à écrire cetravail, l'observation de cette chercheuse me permit de réaliserque celui-ci avait en effet en grande partie consisté à recueillirdes « histoires ». Mais les histoires des habitants et deschercheurs de Niakhar me semblent détenir un potentiel heuris­tique capable d'enrichir ce qu'il est convenu d'appeler laréflexion éthique sur l'expérimentation humaine. De fait, celales empêche de n'être que de simples histoires. En effet, parcequ'elles sont ancrées dans des relations humaines réelles,chargées d'implication, d'empathie mais aussi de violence et defrustration, ces histoires viennent témoigner de manière incar­née des enjeux éthiques de la santé globale. Insatisfaisantes etdérangeantes, ces histoires de paysans qui participent à desessais cliniques pour se soigner et de cliniciens qui s'arrangentpour donner des soins gratuits à leurs sujets nous parlent de larecherche en santé publique internationale dans le monded'aujourd'hui. Et si l'éthique ne peut panser le malaise queprovoquent ces inégalités sociales, inscrites au cœur de lapratique des chercheurs du Nord travaillant au Sud, elle peutcependant nous empêcher de les nier. En effet, la réflexionéthique inscrite en filigrane des histoires de ce livre constitue unmoyen d'objectiver et de penser autrement ces inégalités. Lesbricolages du quotidien sont lus à la lumière des grandsprincipes du code de Nuremberg et de la charte internationaledes droits de l 'homme qui encadrent la recherche. L'éthiquen'apparaît alors plus comme un principe obscur ou artificiel, pasplus qu'elle ne se réduit à un malaise que l'on ressasse. Leshistoires de Niakhar, en mettant en images et en mots les malaiseset les rêves que créent les sites comme Niakhar, nouspennettentd'identifier les questions à la fois sociales et politiques que ceslieux posent aux États et aux hommes qui les font vivre.

À l'issue de ce travail, il apparaît difficile de ne pas revenirsur cette réflexion éthique enchâssée dans la recherche. Aussi,je me propose, pour clore cet ouvrage, de montrer de quellemanière l'implication de l'anthropologue et l'objectivation deson expérience conduisent inévitablement à une réflexionéthique et politique.

CONCLUSION 179

Les habitants de la zone d'étude apparaissent à la lumière dece travail comme des participants idéaux de la recherche globa­lisée. Ils sont cependant dans un rapport de dépendance vis-à­vis de l'IRD, comme le serait n'importe quel habitant d'unerégion rurale du continent dépourvue d'infrastructurespremières vis-à-vis d'une ONG européenne s'y étant établie.Certes, l'institution a mis en œuvre une série d'actions« humanitaires » dans la région qui prêtent à penser que, dansun contexte de fortes inégalités de moyens et de pouvoirs, unlien de solidarité, voire de fraternité, s'est peu à peu construitau-delà des interactions nécessaires à la recherche. Mais cettefraternité n'est-elle pas le corollaire du rôle de sujet qui leur estpar ailleurs attribué à travers une sollicitation régulière depuis1962, témoignant finalement d'une forme relativementclassique de relations postcoloniales franco-africaines ? Eneffet, si l'IRD réalise des recherches à Niakhar pour le dévelop­pement de la santé des pays du Sud, elle reste une institution duNord qui œuvre au Sud avec tous les paradoxes que cela induit.L'institut coordonne en effet des recherches essentiellement surdes pathologies endémiques et les habitants de la région sontrégulièrement embauchés, mais le régime d'expatriation permetencore à certaines catégories de personnel de l'institut debénéficier de revenus jusqu'à cinq fois supérieurs (parfoismême plus) à ceux de leurshomologues du Sud'. Les logiques« humanistes» sous-jacentes à la recherche à Niakhar nepeuvent par ailleurs être séparées du fait que ces études légiti­ment la présence de l' IRD dans cette région et nourrissentl'économie des laboratoires de recherche publique sans laquellecet organisme ne pourrait fonctionner. Parce qu'elle est sociale­ment régulée, la recherche scientifique et médicale, telle qu'ellese pratique à Niakhar aujourd'hui, a-t-elle ainsi vocation à sepérenniser dans le temps et le pourra-t-elle?

1. On ne retrouve pas dans les contrats locaux établis au sein de l'institu­tion d'équivalence des fonctions de « chargé de recherche» (CR) ou de« directeur de recherche» (DR). Les indemnités de résidence du personnelexpatrié peuvent par ailleurs être équivalentes au sataire, voire correspondreau double selon les configurations. Celles-ci sont généralement alignées surcelles du personnel du ministère des Affaires étrangères.

180 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

Le devenir de Niakhar et des autres sites similaires ne peut,quoi qu'il arrive, être seulement discuté à la lumière de cesseules considérations sur les inégalités que produit ou reproduitl'aide au développement. Parce que, justement, les recherchesqui sont réalisées à Niakhar ont un impact sur le vivant, qu'elles« sauvent des vies )) localement et a posteriori', la légitimité etla question du devenir des sites de recherche scientifiquecomme Niakhar sont complexes. Dans une société comme celledu Sénégal, qui reste dépendante d'un certain « bricolage » pourassurer un accès aux soins de santé primaires à nombre de sesconcitoyens, une forme de tolérance de la part des instancesdécisionnelles sénégalaises s'est progressivement établie àl'égard de la situation de Niakhar. Comme nous l'avons vu, lesavantages secondaires de la recherche clinique à Niakhar sontparfois rudement défendus par les chercheurs et technicienslocaux. Ce partenariat ambigu qui réunit acteurs du Nord et duSud - souvent de manière tendue - autour d'une appropriationdes usages sociaux de la science est peut-être ce qui caractérisela recherche pour le développement, loin des idéaux politiquesde la coopération. Dans un contexte où les pays aux ressourceslimitées semblent de plus en plus intéressants pour l'industrie

. du médicament (PETRYNA, 2009), les choix que feront conjoin­tement l'IRD et le Comité d'éthique du Sénégal sur le type derecherches qui seront menées à Niakhar dans les prochainesannées seront déterminants.

Dans ce travail, nous avons à la fois identifié et relativisél'impact des analyses manichéennes de la recherche clinique auSud, en mettant en avant la manière dont s'établissaient desstratégies de contre-pouvoir et de contre-don au sein même despratiques de recherche. Mais nous avons aussi remarqué que lesrumeurs de vol de sang réémergeaient à l'occasion d'une étudeen 2007. L'hypothèse évoquée, selon laquelle ces rumeursconstitueraient, en sus d'une contestation détournée de larecherche, l'expression d'une forme d'anxiété provoquée par larecherche clinique elle-même, mériterait d'être discutée demanière plus approfondie. La plupart des publications anthropo-

2. Lorsque de nouveaux médicaments sont ensuite rendus accessibles auxcitoyens du Sud.

CONCLUSION 181

logiques qui répertorient ces rumeurs le font à partir d'ethnogra­phies réalisées sur des sites similaires à celui de Niakhar, c'est­à-dire où se sédimentent des couches de recherches ancréesdans une histoire plus ou moins ancienne liée à la culturedéveloppementaliste postcoloniale et à la médecine coloniale.Ces rumeurs semblent peu répertoriées dans les études réaliséesen milieu urbain africain (PERREY et YMBA, 2009 ; COUDERC,2011). Des recherches documentant cet écart permettraientd'évaluer si ces rumeurs appartiennent surtout à l'histoire dessites de recherche scientifique. La complexité des facteursentrant en jeu dans leur crédibilisation mériterait dans tous lescas d'être enseignée aux professionnels de la recherche et auxspécialistes de l'éthique, afin que les voix détournées deshabitants d'espaces comme Niakhar ne soient pas réduites à desimples histoires de brousse.

Bien que Niakhar ait accueilli un nombre exceptionnel derecherches pour une petite bourgade d'Afrique de l'Ouest, trèspeu d'individus de la zone d'étude rencontrés au cours de cetravail se sont vus restituer les résultats de ces études. Ceconstat soulève la question de la place des résultats de larecherche scientifique dans la société civile. Depuis la naissancedu site de Niakhar en 1962, seules deux initiatives de restitutionspécifiques ont été organisées: l'une à l'université Cheikh AntaDiop de Dakar en 2002, l'autre dans le village de Niakhar en2003. Ces interventions ont porté sur l'ensemble des recherchesréalisées. Même si ces initiatives se multiplient à Niakhar, ladiscrétion des professionnels de la recherche médicale au sujetdes résultats, mais aussi des échecs et nuisances potentiels,observée au cours de ce travail, pose problème. Il était en effetfréquent d'observer, à l'occasion des prises de parole deschercheurs à Niakhar, le recours à un vocabulaire techniqueobscur pour les profanes, couplé à une mise en avant desbénéfices des recherches. Ce constat pourrait dénoter une diffi­culté plus générale de la part des chercheurs, du corps médical,mais aussi des industriels du médicament et des institutions derecherche, à donner une place sociale au risque et / ou à l'échecdes recherches médicales qu'ils portent, ce qui est pourtant trèsclairement envisagé dans les protocoles de recherche soumisaux comités d'éthique. Les résultats d'un essai vaccinal sur la

182 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDiCALE EN AFRIQUE

rougeole réalisé dans la zone d'étude de Niakhar, qui avaientdémontré que le vaccin expérimenté était moins efficace que leprécédent, ne semblent ainsi avoir laissé aucune trace explicitedans la mémoire des habitants et des enquêteurs de la région.Cette étude, dont l'échec est pourtant clairement énoncé par leschercheurs qui y ont participé, interroge ainsi sur ce qui a ététransmis ou a été possible de transmettre et de dire dans ce lieuoù la recherche est une « affaire» quotidienne et transgénéra­tionnelle. Face au manque d'information et aux importantesincompréhensions des habitants de la région, la multiplicationdes démarches de restitution et de communication concernantles études scientifiques, y compris et peut-être surtout en casd'échec, ne peut être qu'encouragée, tout comme leur prise encompte dans l'évaluation des chercheurs. Les effets del'extrême protocolisation de la recherche médicale ainsi que lasous-évaluation de l'investissement nécessaire au dialogue entrechercheurs et participants doivent également être pris en consi­dération par les promoteurs et investigateurs de recherchescliniques au Sud. La prise en compte de ces deux aspectssemble en effet nécessaire pour que le partenariat de larecherche avec le Sud puisse fonctionner.

Enfin, les analyses présentées dans ce livre ont permis demettre en évidence la profondeur historique et la complexité desenjeux qui conduisent les habitants de la zone d'étude deNiakhar à consentir à participer à une étude expérimentale.Comme nous l'avons vu, non seulement la décision de partici­per à un essai vaccinal s'inscrit dans une forme de sociabiliténormative locale, mais elle se combine également à des proces­sus d'individuation et à des histoires familiales singulières.Cette étude a ainsi montré que certains choix relatifs à larecherche médicale - aussi bien du côté des participants que desprofessionnels - se font dans un rapport de don / contre-dondont les logiques s'inscrivent dans une éthique « d'en bas» etnon une éthique imposée « d'en haut» par les normes interna­tionales. À Niakhar, la recherche a ainsi parfois la particularitéde passer par le biais d'un jeu avec la dette transgénérationnelledont se sentent investis les habitants de cette région vis-à-visdes services rendus par l'IRD, toujours appelé « Orstom »presque 20 ans après le changement de sa dénomination. La

CONCLUSION 183

description de cette dette montre que l'acte de consentementdépasse de loin les seuls enjeux décrits dans un protocole derecherche rendu accessible aux futurs participants et qu'ilimplique une histoire locale et politique de la région quis'inscrit sur plusieurs générations.

Le recueil du consentement éclairé apparaît, à l'épreuve decette ethnographie, comme une procédure conçue au Nord,c'est-à-dire à partir d'une vision de la personne inscrite dans lesnormes et les valeurs idéales de la famille nucléaire occidentaleet à partir d'une valorisation et d'une habitude de la contractua­lisation écrite dans les engagements quotidiens. La difficulté àrecueillir le consentement individuel des participants (ou celuides parents dans le cas d'un mineur) dans cette région ruraled'Afrique renvoie aux obstacles de la prise de décision indivi­duelle, tout autant qu'à la brièveté de la période de recrutementqui réduit le temps accordé à la procédure du consentement.Nous avons également découvert que la valorisation culturelle,par .1' ensemble des acteurs de la procédure - participantscomme professionnels de la recherche - desrègles de l'aînesse,de la hiérarchie familiale ou maritale, pouvait agir commeinhibiteur du dialogue au profit de rapports de « confiance» etde « politesse ». L'écart entre les recommandations et lapratique du consentement a ainsi mis en exergue le caractèreethnocentré de cet outil extrêmement valorisé par lesorganismes d'encadrement de la recherche médicale. Cetteanalyse ne doit cependant pas conduire, au nom d'une critiquede certaines procédures relatives à l'application des règleséthiques, à tomber dans un relativisme excessif et à considérerqu'il existerait, comme cela a été une fois mentionné lors d'unséminaire consacré à l'éthique et tenu à Dakar, une « éthiqueafricaine» différente d'une « éthique occidentale ». En effet, larecherche clinique est effectuée, partout dans le monde, enfonction d'un ensemble de règles éthiques verticales fondamen­tales qui sont inscrites en droit et reflètent la défense des droitsde l'homme auxquels le Sénégal se rattache, comme tous lespays signataires de la charte des droits de l'homme et conformé­ment aux réglementations internationales en matière derecherche clinique. Le recueil du consentement mériteraitcependant, comme l'explique Oonagh Corrigan à propos

184 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

d'études cliniques réalisées au Nord, d'être conçu davantagecomme un processus dynamique que comme un événementponctuel. Les professionnels de la recherche médicale sedoivent d'être continuellement attentifs à la succession desétapes du consentement et à ne pas le considérer comme achevéune fois le formulaire signé (CORRIGAN, 2003). Ces considéra­tions sur le consentement éclairé mettent en relief la questionplus générale de l'éthique de la recherche. En effet, si l'éthiqueformalisée est relativisée dans ce travail, la garantie de ladécision libre et éclairée des individus nous semble resterprimordiale. Et l'est tout autant celle de disposer d'organismesindépendants fonctionnels capables de désigner en amontquelles études sont pertinentes et acceptables. Il nous semblenotamment essentiel que soient discutées la validité scientifiqued'études aussi différentes qu'un essai de phase II sur un produitpharmaceutique, qui ne pourra pas être commercialisé au Sud,et une étude de stratégie thérapeutique de prévention dupaludisme utilisant des médicaments dont la distribution ne serapas limitée par des brevets. Dans un contexte de surabondanced'outils normatifs, de régulations protocolaires, mais aussid'instances décisionnelles, une réflexion éthique ne peut que

.s'enrichir de travaux documentant la recherche « del'intérieur ». Au cours de ce périple dans les coulisses de larecherche à Niakhar, l'éthique ne peut apparaître que comme undialogue avec les acteurs de terrain et doit le rester pour exister,aussi difficile soit-il. Cette démarche permet, dans un contextepropice à l'analyse manichéenne et au besoin de « fairejustice », d'éviter que l'Autre - qu'il s'agisse de l'expérimenta­teur comme de l'expérimenté - soit réduit à un ennemi parcequ'on ne dispose pas des éléments pour le comprendre. Alorss'ouvre la possibilité de saisir ce qui, dans ce qui fait lien ousystème, est éventuellement critiquable, vraisemblablementmodifiable, possiblement injuste.

Postface

Un laboratoire d'un autre type

« Donnez-moi un laboratoire, et je soulèverai le" monde »,fait dire le philosophe Bruno Latour à Louis Pasteur'. Il nes'agissait pourtant que d'un petit laboratoire, initialement unesoupente où on « ne pouvait entrer qu'en se mettant à genoux »,rappelle la plaque de l'École normale à Paris. Avec des stationsde recherche comme celle de l'IRD à Niakhar, au Sénégal,objet du livre, le laboratoire se dilate aux dimensions d'un terri­toire entier, d'une région d'observation et d'expérimentation.

Partie de Marseille et de Dakar, Ashley Ouvrier s'est miseen route pour explorer ce laboratoire d'un nouveau genre, faitd'une trentaine de villages, de routes et de chemins poussiéreuxparcourus par d'enviables pickups, des taxis de brousse et desvéhicules en tous genres, de vastes concessions et de cases,dans une société de paysans sérères s'accrochant à sa terreappauvrie, mais participant aussi depuis longtemps à uneéconomie de marché et même à une économie globale. Aveccette plongée au cœur de la recherche médicale, l'auteur nousentraîne dans une région qui s'étend à l'ouest de la ville deNiakhar, à quatre heures de route de Dakar, qui ne figure suraucune carte officielle. Un carré de quinze kilomètres surquinze, où elle a conduit des recherches anthropologiques,

1. LATOUR Bruno, Les Microbes. Guerre et Paix, Métailié, Paris 1984.

186 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

suivant des méthodes de terrain éprouvées : elle a recueilli lestémoignages et les souvenirs des héros ordinaires de larecherche, sujets d'observations répétées dans ce qu'il y a deplus quotidien et de plus intime: naissance, vie et mort, migra­tions, alimentation et maladies. Elle a aussi enquêté auprès desglaneurs saisonniers de données, des agents tabulateurs destatistiques, des théoriciens en quête de validation de leurshypothèses et des administrateurs veillant, de près et de loin, aubon fonctionnement de l'organisation.

À la fin des années 1970, la sociologie des sciences avaitinvesti les laboratoires en Occident et exploré leur vie secrète.D'abord, à l'éveil des lieux, quand les travailleurs du ménageinvestissent l'espace', puis quand les chercheurs entrent dans ladanse avec leurs dispositifs expérimentaux, avec la verrerie, lahigh tech et tout le tralala, et de plus en plus d'ordinateurs; puisà la nuit, quand tout se transforme en « papiers» munis d'uncoefficient de visibilité, dont dépendront les carrières dans levaste monde',

Trente ans plus tard, dans le laboratoire en vraie grandeur enAfrique que constitue la zone de Niakhar, Ashley Ouvrier, de latribu des anthropologues, se lance à son tour. S'efforçant de sedémarquer de l'organisation (IRD) qui opère sur le territoire etconsciente d'être cependant un artefact vivant, elle a su patiem­ment tisser du lien avec les habitants de ces lieux et entrepris dedéchiffrer la trace laissée par la science dans les corps, lesesprits et les cœurs, bref ce qui ne filtre qu'à doses infinitési­males dans la production scientifique. Elle s'est donné pourtâche de faire parler les interlocuteurs muets de la science.

2. June GOODFIELD, Ail Imagined World. A Story ofScientific Discovery,Ann Arbor, Harper and Row, 1981.

3. Valérie DELAUNAY, Adama MARRA, Pierre LÉVI et Jean-FrançoisETARD, Population, santé et survie dans les pays en développement, volume 1,Population et santé dans les sites de réseau INDEPTH, Ottawa, Centre derecherche pour le développement international, 2003, pp. 312-322.

POSTFACE

Entendre les silences de la recherche

187

La zone de Niakhar a d'abord été conçue, en 1962, commeune zone d'observation démographique et sanitaire", Un telréseau de surveillance n'est pas propre à Niakhar. Il en existeaujourd 'hui un peu partout', y compris dans les pays ditsavancés, comme le réseau des GROG à propos de la grippe enFrance. Dans la Gambie toute proche, le site de Farafenni, lié auMedical Research Council (MRC) anglais, qui fonctionnaitdepuis 1981, a été « remis » par le MRC à l'État gambien en2010. Au Sénégal même, deux autres sites existent, à Mlomp età Bandafassi, en Casamance. Ces réseaux sont faits pourenregistrer les événements démographiques et épidémiques,mais aussi pour mieux organiser sur cette base la prévention,voire prévenir les catastrophes (preparedness).

Un réseau de surveillance se présente ainsi comme uneabstraction, un circuit de messages et d'informations régulière­ment compilées et stockées dans un espace virtuel, en respectantdes règles de confidentialité et de sécurisation des données.Mais il est aussi un réseau de chair et de sang, d'agents, dechercheurs et d'administrateurs, qui conversent sur le Net, etaussi de paysans et de commerçants, d'hommes et de femmes,qui reçoivent les enquêteurs, vaquent à leurs occupations etsuivent leurs itinéraires thérapeutiques personnels, Le réseau deNiakhar, ce n'est pas seulement une base presque immatérielled'observations, c'est un arsenal de mesures et de prélèvementsdéployés sur le terrain. Toise, balance, mètre. Intrusion desvisiteurs venant inspecter les écuelles, les marmites, les condi­ments que toute ménagère thésaurise pour améliorer les repas.Batteries de seringues et d'aiguilles. Autopsies verbales d'unpetit corps qui n'est déjà plus là, qui mettent les larmes auxyeux. Essais d'enregistrement de la vie qui vient et s'en va.

C'est ainsi que l'IRD connaît tous les êtres humains de lazone, avant même qu'ils naissent. L'institut a mesuré le ventre

4. Recensement des sites de surveillance démographique (SSD) dansPopulation, sali té et survie dans les pays en développement, op. cit.

5. Groupes régionaux d'observation de la grippe, www.grog.org.

188 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

de leur mère alors qu'ils ne remuaient pas encore dans l'utérus'.Quel pouvoir quasi divin s'est ainsi adjugé cette ancienne insti­tution coloniale! L'étude passionnante d'Ashley Ouvrierdétaille l'enracinement de l'observation et de la surveillanceépidémiologique dans les corps des habitants, les corps menuset fragiles des bébés, les corps glorieux ou exténués des femmesengagées dans des maternités itératives, les corps chenus desanciens.

L'observation, par elle-même indiscrète, s'est accompagnéed'interventions plus directes. Au début de la bactériologie, lamédecine « pastorienne» avait mis l'accent sur l'importancedes modèles animaux comme substituts de l'impossible expéri­mentation humaine. Mais tout le monde sait que, mêmelorsqu'il existe des modèles animaux convaincants, il faut unjour passer à l'homme. « On n'expérimente, c'est-à-dire on nesoigne, qu'en tremblant », disait Georges Canguilhem'. Etquand il s'agit de décisions de santé publique, il faut s'adresseraux populations, avec un changement d'échelle. Concordantavec l'avènement de la médecine « reposant sur les preuves »,les essais cliniques des vaccins et des nouveaux traitements sontdevenus la pierre angulaire du progrès, d'autant que la standar­disation des protocoles permettait à une science désormaisglobale d'opérer des comparaisons transnationales. L'ouvraged'Ashley Ouvrier tire sa profondeur de l'arrière-plan que consti­tue la longue histoire de l'expérimentation médicales.

Les traces dans les corps et les esprits

Avec sa base de données, la zone de Niakhar a ainsi fourni uncadre commode aux essais cliniques et en particulier aux essais

6. OUVRIER Ashley, Faire de la recherche médicale en Afrique ­Ethnographie d'un village-laboratoire, p. 94.

7. Etudes d'histoire et de philosophie des sciences, Vrin, 1983.8. BONAH Christian, L'Expérimentation humaine. Discours et pratiques en

France, 1900-1940, Paris, Les Belles Lettres, 2007.

POSTFACE 189

vaccinaux, les vaccinations étant devenues un des outils majeursde la santé publique dans les pays en développement, après laconférence d'Alma Ata (1978). Dans le passé, sur les corps, lescicatrices des premiers vaccins étaient très visibles, marquesindélébiles laissées par le système de santé, assimilables à destatouages identitaires. Il était très facile de repérer celle, disgra­cieuse mais socialement tolérée, de la vaccination antivarioliquesur l'avant-bras, ou celle du BCG. Aujourd'hui, la cicatricemanque souvent et, pour connaître le statut vaccinal, il fauts'adresser aux documents, cartes plus ou moins sauvegardées parles familles (déménagements, bestioles), ou registres tenus parl'agent communautaire, objets de vérifications méticuleuses enaval. Mais si la cicatrice n'est plus susceptible d'être exhibée,elle subsiste dans les mémoires. Les vaccins constituent toujoursun rituel d'inscription dans la chair du système immunitaire",inclus dans le cérémonial initiatique de la santé, un ritueléminemment ambivalent, suscitant à la fois adhésion et défiance.

La trace est aussi mentale, dans la mémoire de ceux qui serappellent, en les confondant parfois, le déroulement descampagnes de vaccination et des essais. Celle d'un rituel deprélèvement de substances corporelles qui peuvent faire pardéfinition l'objet de contrebande et de trafics. Les villageoispour la plupart répugnent à la prise de sang, soustraction d'uneprécieuse substance hautement symbolique, qui risque de fairel'objet de mélanges inavouables. Même s'ils ignorent le poolingdes échantillons impliqué dans le drame du sang contaminé parle VIH dans les années 1980, ils redoutent des manipulationsqui perturberaient à la fois l'ordre naturel et social", Ils admet­tent pourtant que les prélèvements de sang sont indissociablesde la science".

9. Anne Marie MOULIN, Le nouveau langage de la médecine. Histoire del'immunologie, de Pasteur au Sida, pur, Paris 1991.

10. H. GRAVRAi'lD, La civilisation sereer. Pangool. Le génie religieux sereer,Les Nouvelles Éditions africaines du Sénégal, Dakar, 1990. André LERICOLLAIS,Paysans sereer.Dynamiques agraireset mobilitésau Sénégal,Paris, IRD, 1999.

II. Wenzel P. GEISSLER, Ann KELLY, Babatunde IMOUKHUEDE, RobertPOOL, "He is Now Like a Brother, 1 Can even Give hirn Sorne Blood :Relational Ethics and Material Exchanges in a Malaria Vaccine "TrialCornrnunity" in The Garnbia", Social Science and Medicine, 2008,67, p. 700.

190 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

« Au cœur de la recherche médicale », l'enquête d'AshleyOuvrier résonne avec le titre de Joseph Conrad, In The Heart ofDarkness. Va-t-on plonger dans quelques ténèbres? N'a-t-onpas accusé les campagnes vaccinales contre la polio au Zaïred'avoir été l'officine dont seraient sortis les virus du VIH ?12Dans son tapageur Darkness in El D01'ado 13

, le journalistePatrick Tierney a présenté les vaccins comme un fermentd'épidémies, une mise à l'épreuve eugéniste, et Dieu sait quoiencore. Même si ces accusations planétaires ont fait long feu etont été réfutées à plusieurs reprises", il subsiste un malaisenotable. Le continent africain qui a eu sa part de violences et desouffrances est balayé par une vague de soupçons d'empoison­nement et de stérilisation forcée", à l'égard de manipulationsdont il se sent l'objet",

Ashley Ouvrier n'a découvert ni enfer ni eldorado, ni reprisl'antienne d'un continent malade; elle s'est située au cœur d'unmonde réel, peuplé de villageois et de chercheurs ordinaires,qui, au long des jours, se rencontrent et négocient couramment,les uns comme les autres, les éléments de leur survie, l'échangede biens jugés désirables, suivant une logique qui serait au fonduniverselle.

La transaction a toujours été présente dans les relations entreles populations et les chercheurs, quelle que soit la nature del'or que ces derniers prospectent. Henry Stanley et les explora­teurs du XIX· siècle utilisaient alcool, armes et verroterie ; leschercheurs d'il y a trente ans Ge m'en souviens) se munissaient

12. Edward HOOPER, The River. A Journey to the Source of HIV andAIDS, Little, Brown, Boston 1999. S. A. PLOTKIN, J.-F. MODLlN, CHAT OralPolio Vaccine Was not the Source ofHuman Immunodeficiency Virus Type 1Group M for Humans, "Clinicat Infectious Diseases", 2001, 32, 7. pp. 1068­1084.

13. Patrick TIERNEY, Darkness in El Dorado, How Scientists andJournalists devastated the Amazon, Norton, New York, 2000.

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16. Luise WHITE, Speaking with Vampires. Rumors and History inColonial Africa, University of California Press, 2000.

POSTFACE 191

de savon et de vêtements pour les familles, de tabac pour leshommes. L'éthique est mal à l'aise avec le commerce, enoubliant que le commerce peut aussi désigner une sociabilité. 11est incontestable que l'accès à des soins de santé et à desconsultations pour les femmes enceintes, le recours auxhôpitaux en cas d'accident, etc., que ne garantit pas l'État, sontdes biens désirables échangés tacitement contre des informa­tions aux enquêteurs. L'existence de cette transaction est enquelque sorte niée par l'appellation de « volontaires» pour lessujets d'un essai clinique, ce qui peut être une façon d'enterrerle problème". C'est ce langage réel de la transaction, détectabledans l'analyse wittgensteinienne de l'usage ordinaire des mots",que nous révèle Ashley Ouvrier. .

En allant au cœur des choses, et en prêtant attention au détaildu vécu et des mots pour le dire, Ashley Ouvrier tient son paride se situer effectivement au cœur de la recherche. Elle auraitpu parler des échecs, à propos d'essais tentés qui finalementn'ont pas eu lieu, ce qui aurait permis de revenir sur les difficul­tés de concevoir et de mener à bien la recherche dans les paysdu Sud, entre partenariat privé-public (PPP), contraintes etimpératifs économiques de la globalisation et visées scienti­fiques. De telles analyses des échecs patentés passés aident àconstruire et fortifier la science. La philosophie de l'histoirecélèbre la dialectique ou le « travail du négatif» dans la durée,qui prépare les révolutions et peut donc anticiper sur les ...innovations. Mais Ashley Ouvrier instruit les processus defabrication de la science d'une autre manière.

17. W. P. GEISSLER et al., op. cit., p. 705.18. Ludwig WITTGENSTEIN, Cahier bleu, Le Cahier bleu et le Cahier brun,

traduction de M. Goldberg et J. Sackur, Gallimard, Paris, 1996. SandraLAUGIER, Du réel à l'ordinaire: quelle philosophie du langage aujourd'hui ?,Paris, Vrin, 1999.

192 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

Les sciences sociales au cœur de la science

Avant d'être testés, les vaccins ne peuvent prétendre à unstatut validé, ce sont des objets non encore qualifiés, et la sagades anciens vaccins" compte bien des prototypes naufragésparmi lesquels certains seuls ont été retenus et améliorés"..

La scène de Niakhar a été témoin de plusieurs controversesentre chercheurs sur des sujets scientifiques importants, commecelui des effets non spécifiques des vaccins (en dehors de laprotection contre telle ou telle maladie), sur la morbidité et lamortalité des enfants. Un débat plus large que la seule recherched'effets secondaires indésirables. Le débat, qui a commencédans les années 1990 et dure toujours aujourd'hui, a amené lesexperts successifs à s'interroger sur le détail de la productiondes connaissances et en particulier sur la façon dont les enquê­teurs collectent et transmettent les données, et sur leur significa­tion réelle. L'enquête anthropologique suggère des questionshors protocole sur la façon, par exemple, dont les mèrespourraient modifier leur comportement à l'occasion des visitesde santé, bref la façon dont le local s'invite dans les intersticesdes protocoles. Le débat n'est pas tranché aujourd'hui sur tousles biais possibles qui interrogent évidemment sur la commen­surabilité des essais se déroulant dans des contextes différentsqu'il convient à la science elle-même, Science as Culture et inCulture, de prendre en compte et d'examiner soigneusement.

À cet égard, l'anthropologie des sites de recherche peutdéboucher sur une nouvelle épistémê de la recherche scienti­fique, en post-scriptum à l'ère de l'essai randomisé exclusif etde l'Evidence Based Medicine. Jusqu'à présent, les guideliness'efforçaient sans relâche de réduire les biais et d'assurer

19. Jacob HELLER, The Vaccine Narrative, NashviIle, VanderbiltUniversity Press, 2008.

20. Voir, par exemple, pour un historique des vaccins cellulaires et acellu­laires contre la coqueluche: François SIMONDON, Efficacité vaccinale, défini­tion, mesure et interprétation. Exemple des vaccinations contre la coqueluche,thèse de doctorat en sciences biologiques, université de Bordeaux 2, 1988,pp. 47-54.

POSTFACE 193

toujours davantage leur capture du réel en affinant les proto­coles. Mais peut-on éluder la façon dont la biologie" est inflé­chie et modulée par les conditions de vie locale ? Et ne sont-cepas, par exemple, la différence des programmes de santépublique ou les imperfections de la standardisation despolitiques de vaccination, d'un pays à l'autre, qui amènent àdiscuter la possibilitéd'effets positifs ou négatifs en fonctiondes vaccins utilisés, ainsi que de la composition et de la chrono­logie (ordre de succession) du calendrier vaccinal?

Les guidelines de guidelines amorcent une vertigineusespirale de régression ad infinitum des guides de guides. Il seraitsouhaitable que s'amorce un mouvement inverse de remontéedes expériences, des discussions qui ont eu lieu pendant ledéroulement de l'essai et au tenne de celui-ci, au moment de larestitution, obligeant les chercheurs à remettre leurs hypothèsessur le métier et à argumenter leurs conclusions. Le travail denature anthropologique contribue au doute et à la critique, indis­sociables de la science.

Et après? La trace dans les cœurs

Le maintien d'une station de recherche comme Niakhar, dela fin de la période coloniale à nos jours, est en soi un faitimportant. Il suggère une forme durable de collaboration pour le« développement », mais soulève de multiples questions, enparticulier politiques et éthiques, concernant le statut despersonnes, la nature du consentement éclairé et de ses critères,les bénéfices réels et imaginaires de l'insertion des individusdans un paysage de recherche, les rumeurs et croyancesenvironnant investigations et prélèvements.

L'ouvrage d'Ashley Ouvrier aborde de front toutes cesquestions, en tenant compte de l'évolution historique, au coursdes dernières années, dans les pays du Sud, des codes de

21. Margaret LOCK, Vinh-Kim NGUYEN, An Anthropology ofBiomedicine,Wiley, 2010.

194 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

conduite et des exigences éthiques de la recherche. Elle lesaborde sans esquive avec une grande délicatesse, mais aussi ungrand souci de rigueur et d'approfondissement, dans l'esprit deguider l'avenir dans cette région, en Afrique de l'Ouest et au­delà.

L'ouvrage s'adresse à un large public. Bien sûr aux spécia­listes des sciences sociales, en premier lieu les anthropologues,mais aussi, beaucoup plus largement, à tous ceux qui sont impli­qués dans la recherche sur des terrains et à des postes variés :experts, administrateurs, responsables d'association trouverontà la fois des repères utiles sur la science biomédicale en train dese faire et des suggestions concrètes pour des pratiques éthiquesde recherche, qui soient à l'écoute et finalement avant tout auservice des populations. Il pourra aussi constituer un outilprécieux pour les comités d'éthique, fonctionnant un peupartout en Afrique.

Confrontée, au cours des dernières pages, au témoignaged'une anthropologue de la génération précédente, prônant lamodestie, Ashley Ouvrier, avec son timbre très personnel,reconnaît que, comme ses prédécesseurs, elle a tout simplementraconté « des histoires », mais ajoute aussitôt que « ceshistoires» pourraient préluder à une nouvelle stratégied'échange entre enquêteurs et enquêtés, qui ne suivrait pasforcément le modèle dominants / dominés, chasseurs / chassés :

« Ce matin, un lapinA tué un chasseur...», pour le dire en chanson.

Le design d'un nouveau mode d'interaction et d'échangen'est pas utopique. Les chercheurs de l'IRD ont souvent été unpeu anthropologues. Les populations aussi, face aux étrangesmanières des toubabs avec lesquelles elles se sont familiarisées.Avec des conséquences pour l'horloge de la recherche, tentée des'emballer. Le temps de la recherche ne peut être réduit à celuid'un projet, il met en œuvre une convivialité et une hospitalitéqui, longues à bâtir et fragiles par essence, impliquent des droitset des devoirs de tous côtés.

Les villageois ont au cours du temps tissé des liens deparenté symbolique avec leurs enquêteurs et les chercheurs. Ce

POSTFACE 195

lien est transgénérationnel et transfrontalier. Il transcende aussiles biens réels, objet des invisibles transactions évoquées plushaut. La passation de pouvoirs dans l'avenir ne peut se fairequ'en tenant compte à la fois de l'évolution des esprits et del'adhésion du cœur qui crée des dettes ineffaçables. L'anthropo­logue Ashley Ouvrier plaide pour un après qui doit encoretrouver sa formule. Ma postface, comme la conclusion del'ouvrage, pointe dans la direction d'un post-scriptum de larecherche dont il reste à écrire et à réaliser la charte.

Aime Marie MoulinMédecin et philosophe des Sciences

Directrice de recherche émérite au CNRSPrésidente du comité consultatifde déontologie

et d'éthique de l'IRD

Glossaire

Affaire bu iiakkExpression associant le terme wolof îïakk (qui signifie

vaccination) et le terme français « affaire », qui peut être traduitpar « affaire de vaccination ». Il s'agit d'une dénominationrécurrente utilisée par les habitants de la zone d'étude deNiakhar pour parler d'un essai vaccinal.

Affaire bu wer gu yaramExpression associant le terme wolof de wer gu yaram (qui

signifie santé) et le terme français « affaire », que l'on peuttraduire par « affaire de santé », Il s'agit d'une des dénomina­tions récurrentes utilisées par les habitants de la zone d'étudede Niakhar pour parler des essais cliniques et des études épidé­miologiques.

AssentimentAccord oral ou formalisé par une signature d'un mineur qui

n'a pas la valeur juridique de consentement éclairé, mais unevaleur éthique. Il s'agit d'une mesure consultative visant àrespecter l'avis de l'enfant dans le cadre de recherchesmédicales pédiatriques.

BancoMot d'origine nigérienne qui désigne un matériel de

construction traditionnel en Afrique subsaharienne, fait de terreargileuse et de paille séchée. Les cases de la « zone de.Niakhar » sont traditionnellement construites avec ce matériau.

198 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

Consentement éclairé/informéAccord, généralement formalisé par la signature d'un fonnu­

laire, de toute personne participant à une étude clinique. Cetaccord a une valeur juridique.

EnquêteurTerme émique qui désigne les professionnels de la recherche

à Niakhar dont le travail consiste à récolter des informations (parobservations ou questionnaires) ou des échantillons biologiquesutlisés à des fins de recherches scientifiques. Ces professionnelssont généralement issus de la société dans laquelle ils travaillentet sont sous l'autorité des chercheurs et des ingénieurs derecherche.

Essai vaccinalÉtude clinique dont l'objectif est de mesurer l'innocuité puis

l'efficacité d'un nouveau vaccin en vue de sa mise sur lemarché. Le vaccin faisant l'objet de l'étude est appelé candidat­vaccin.

Essai vaccinal sur la méningiteExpression utilisée dans le livre afin de définir l'étude de

phase II/III sur un candidat vaccin contre la méningite qui a faitl'objet d'un travail ethnographique.

HivernageTerme utilisé en Afrique de l'Ouest pour définir la période

de l'année qui s'étend du mois de juillet au mois d'octobre.Celle-ci se caractérise par une hausse de la température et del' hygrométrie. D'une manière générale, l'hivernage fai tréférence à un ralentissement des activités humaines lié à desconditions climatiques difficiles, mais ce terme définit aussi enmilieu rural une période intense d'activité agricole.

HomonymeMot français qui en Afrique de l'Ouest renvoie à la tradition

qui veut que la dation du prénom d'un nouveau-né se fasse àpartir du prénom d'une personne de l'entourage familial ouamical des parents de l'enfant. Cela implique un lien privilégié

· GLOSSAIRE 199

entre l'enfant et la personne adulte dont il porte le nom. Les deuxindividus sont appelés des homonymes, parfois des « homos »,

Irdicn/neQualificatif utilisé dans le livre pour signifier les profession­

nels, les services ou les structures relatifs à l'IRD.

Méningite à méningocoqueForme de méningite bactérienne, une grave infection des

fines membranes qui englobent le cerveau et la moelle épinière.

OrstomOrstom est l'acronyme d'Office de la recherche scientifique et

technique outre-Mer (ORSTOM). Il est utilisé par les habitants deNiakhar pour définir les activités de recherche scientifiques quemène l 'IRD dans la région depuis plus de 40 ans. L'Orstom achangé de nom en 1998 et est devenu l'Institut de recherche pourle développement (IRD), mais la plupart des habitants de cetterégion continuent d'utiliser l'ancienne dénomination.

Parenté à plaisanterie / cousinageMode de sociabilité en Afrique de l'Ouest qui conduit les

membres d'un même lignage ou de groupes ethniques différents,généralement au nom d'un passé commun marqué par des liensd'allégeance et parfois d'anciennes relations d'esclavage, àplaisanter, voire à s'insulter, au vu et au su de tous, sans que celane conduise à des vexations. Ces relations ont souvent été inter­prétées comme une manière de désamorcer des tensions sociales.

Peul ou HalpulaarDeuxième plus important groupe ethnique du Sénégal,

vivant majoritairement dans le nord du pays. Dans ce travail, ceterme est utilisé pour définir le groupe ethnique, l'individu,mais aussi la langue.

Projet bi/oléTerme qui allie le mot français « projet» et l'article wolof

« hi »ou sérère « olé ». Il s'agit d'une des dénominationsrécurrentes utilisées par les habitants de la zone d'étude de

200 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

Niakhar pour parler d'une étude clinique. L'utilisation de ceterme flou et polysémique conduit à questionner la compréhen­sion des enjeux de la recherche par ceux qui y ont recours.

Récolte de donnéesTerme émique utilisé par les professionnels de la recherche

de la zone d'étude de Niakhar pour décrire les processussociaux et discursifs par lesquels ils obtiennent des informationsauprès des habitants qui serviront par la suite à la productiond'analyses scientifiques. Ce terme peut désigner le travail desenquêteurs chargés de recueillir du matériel verbal comme desspécimens biologiques.

Recueil du consentementTerme émique définissant la procédure, généralement réali­

sée par un médecin, qui consiste à lire, puis à faire signer unformulaire de consentement par le participant potentiel à uneétude clinique, et qui atteste de son« consentement» à partici­per. Le formulaire signé est ensuite archivé afin de prouverjuridiquement le consentement.

Sa/tiguéMot d'origine sérère qui signifie devin. 11 sert à nommer les

personnes qui communiquent avec le monde invisible dans lasociété sérère.

Site de NiakharTerme émique utilisé par les chercheurs pour nommer le

plateau technique (bâtiments et véhicules) et le dispositif logis­tique (suivi démographique, base de données informatisée,agents de saisie) qui permettent aux agents de l'IRD de menerdes recherches dans la région de Niakhar.

StationTerme émique qui désigne l'ensemble de bâtiments

(logements, latrines, cuisines, laboratoires et espaces de travail)construits dans l'aglomération de Niakhar et permettant auxagents de l'IRD de séjourner et de mener des activités derecherche dans la zone d'étude.

GLOSSAIRE 201

Sérère

Groupe ethnique minoritaire du Sénégal vivant majoritaire­ment dans la région de Fatick (anciennement le Sine), de lapetite côte (et de l'ancien Saloum). Dans ce travail, ce terme estutilisé pour définir le groupe ethnique, l'individu, mais aussi lalangue sérère.

TaillaPetit tambour à deux membranes qui se tient sous l'aisselle

et que l'on retrouve aussi bien dans les cérémonies tradition­nelles que dans des musiques populaires comme le mba/ax.

ToubabTerme d'origine arabe utilisé au Sénégal pour définir l'étran­

ger et plus spécifiquement l'Européen et le « Blanc ». Parextension, il sert aussi à définir les Africains ou Africainesayant adopté le mode de vie européen. Il peut être utilisé demanière descriptive comme dépréciative.

WolofGroupe ethnique majoritaire au Sénégal et langue vernaculaire

du pays. Dans ce travail, ce terme est utilisé pour défmir le groupeethnique, l'individu, mais aussi la langue wolof. Il est conjuguéselon les principes grammaticaux de la langue française.

XoyTerme sérère signifiant « réunion» ou « rassemblement ». Il

définit les rassemblements de devins sérères (sa/tigués) qui ontgénéralement lieu au début de l'hivernage et au cours desquelsils présentent leurs prédictions et leurs visions dans lesdomaines de l'agriculture (abondance des pluies, qualités desrécoltes) et de la protection des personnes (existence d'êtresorcellaire, activité anthropophagique, etc.). Ce terme est utilisépour ceux organisés à l'échelle d'un village, comme à l'échellenationale (dans la ville de Fatick par exemple).

Zone d'étude de NiakharEspace géographique créé en 1962 par des chercheurs de

l'IRD (anciennement appelé Orstom) et comprenant 30 villages

202 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

répartis entre les communautés rurales de Ngayokhème (18) etde Diarère (12), dans la région de Fatick au Sénégal. Leshabitants de cette « zone d'étude» participent depuis lors àdiverses recherches scientifiques - dont des essais cliniques ­dans le cadre des activités de l'IRD. Le terme zone d'étudesuccède la plupart du temps au nom de Niakhar, car la stationutilisée par les professionnels de la recherche qui y travaillentest située dans l'agglomération de Niakhar.

Ce glossaire a été réalisé notamment à l'aide du Dictionnairewolof-français etfrançais-wolofde Jean-Léopold Diouf (DIOUF,2003), du Grand Robert de la Langue française dirigé parAlain Rey (REY, 2001) et d'ouvrages spécialisés cités dans labibliographie.

ADPIC

CNLS

DLSI

AMM

ARV

CDI

CHNU

CRCF

Sigles

Aspects des droits de propriété intellectuelle quitouchent au commerce

Autorisation de mise sur le marché

Médicaments anti-rétroviraux

Contrat à durée indéterminée

Centre hospitalier national universitaire

Centre régional de recherche et de formation à laprise en charge clinique de Fann, Dakar

Conseil national de lutte contre le sida

Division de la lutte contre le sida et les maladiessexuellement transmises du ministère de la Santé etde la Prévention médicale

GAVI Global Alliance for Vaccine and Immunisation

GSK GlaxoSmith Kline

ICP Infirmier chef de poste

IMEA Institut de médecine et d'épidémiologie appliquée

H"DEPTII International Network of Demographie Evaluationof Population and Their Health in DevelopingCountries

IPOM Instituts Pasteur d'outremer

PEV

PVD

PYM

SMlT

SOP

TDR

204 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

IRD Institut de recherche pour le développement

ISAARV Initiative sénégalaise d'accès aux antirétroviraux

KEMRI Kenyan Medical Research Institute

OMC Organisation mondiale du commerce

OMS Organisation mondiale de la santé

ORSlDM Office de la recherche scientifique et techniqueoutre-mer

Programme élargi de vaccination

Pays en voie de développement

Projet Vaccins Méningite

Service des maladies infectieuses et tropicales

Standard Operating Procedures

Test de diagnostic rapide

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Table des matières

PréfaceUn malaise inévitable IlLe choix de l'ethnographe 13Une ethnographie de la recherche médicale sénégalaise 15Le poids du temps .16

PrologueL'histoire de Diégane , 19

Introduction 23De l'ORSC à l'IRD 25Le site de Niakhar 28Les essais cliniques au Sud 33Au cœur de la recherche médicale 36

CHAPITRE 1

Représentations et usages de la recherche 41L'IRD et les habitants de Niakhar 41L'IRD et les professionnels de la recherche 52Usages de la recherche et capital de développement 62

CHAPITRE II

Pouvoirs et devoirs de la recherche en santé 73La recherche clinique et le système de soinsdans la zone de Niakhar 74Le devoir de soigner et les stratégies d'acteurs 85L'intermédiaire de la recherche ou le métier d'enquêteur 100

224 FAIRE DE LA RECHERCHE MÉDICALE EN AFRIQUE

CHAPITRE III

Recherche vaccinale et éthique de terrain 117Les usages politiques et journalistiques de la recherchemédicale 118Les enjeux microsociaux du consentement éclairé 126Les formes sociales de la participation communautaire .. 156

ConclusionDe l'implication à la réflexion éthique 177

PostfaceUn laboratoire d'un autre type 185

Glossaire 197

Sigles 203

Bibliographie 205

ÉDITIONS KARTHALA

Collection La santé à Karthala

Afflictions. L'Afrique du Sud, de l'apartheid au sida, F'assin D.Anthropologie et santé publique en pays dogon, Berche Th.Contraetualisation dans les systèmes de santé (La), Perrot J

et De Rootenbeke E. (dir.)Dictionnaire peul du corps ct de la santé (Diamaré, Cameroun),

Tourneux H.Enjeux politiques de la santé, Fassin D.Épidémie du sida en Afrique subsaharienne. Regards historiens,

Denis Ph. et Becker Ch. (dir.)Eugène Jamot, 1879-1937. Le médecin de la maladie du sommeil ou

trypanosomiase, Bado J.-P.Faire de la recherche médicale en Afrique, Ouvrier A.Financement de la santé dans les pays d'Afrique ct d'Asie à faible

revenu (Le), Audibert M, Mathonnat J et De Rootenbeke E.Guadeloupéens en Île-de-France. Identité, sexualité, santé,

Pourette D.Islam et révolutions médicales, Moulin A.-MLutte contre les moustiques nuisants et vecteurs de maladies (La),

Darriet Fr.Médecine inhospitalière (Une). Les difficiles relations entre

soignants ct soignés dans cinq capitales d'Afrique de l'Ouest,Jaffre Y. et Olivier de Sardan J.-P. (dir.)

Mères, pouvoirs et santé en Haïti, Tremblay JParler du sida au Nord-Cameroun, Tourneux H. et Métangmo­

Tatou L.Pauvreté des ménages et accès aux soins de santé en Afrique de

l'Ouest, Kouassi B., Akoete A.E., Asante F. et Assenso-OkyerePratiques de santé dans un monde globalisé (Les), Gobatto 1.Premiers secours en milieu africain (Les), Binam F.Prise en charge des urgences (La). Un modèle d'organisation pour

les pays en développement, Binam F.Rirualités, santé ct sida en Afrique, Vidal L.Santé et médecine populaire en Bolivie, Valdez E.Une politique publique de santé et ses contradictions. La gratuité des

soins au Burkina Faso, au Mali et au Niger, Olivier de Sardan J­P. et Ridde V

Vivre avec le sida après l'apartheid. Afrique du Sud, Le Mards Fr.

Collection Questions d'enfances

dirigée par Nicole Duniau

Accouchement anonyme et adoption plénière, Michel CahenAdolescents noirs en France (Les), Ferdinand ÉzémbéLe bébé secoué. Le traumatisme crânien du nourrisson, D. RenierComment protéger l'enfant?, Gilbert DelagrangeÉduquer dans la rue en Amérique latine, Agathe de ChasseyEnfants des rues en Chine, Daniel StoecklinEnfants placés en Ukraine, Olha Mykytyn-GazzieroL'enfance entre école et travail au Pérou, Robin CavagnoudL'enfance maltraitée. Du silence à la communication, AFIREML'enfant africain et ses univers, Ferdinand ÉzémbéL'enfant en Centrafrique, Unicef-BanguiLes enfants aussi ont une histoire, Philippe Denis (dir.)États des savoirs sur la maltraitance, AFIREMLa famille africaine, Aderanti AdepojuHistoires d'enfances et de résilience, Sophie LaunoisLangages et cultures des enfants de la rue, Stéphane Tessier (dir.)Le harcèlement au collège, Dominique-Manuela PestanaL'hôpital face à l'enfance mal traitée. Une passerelle entre coups et

réparation, François Hochart et Annick RousselMineurs migrants non accompagnés (Les), Michel Peraldi (éd.)Naissances et abandons en Algérie, Badra Moutassem-MimouniParenté ct famille dans les cultures africaines, Camille Kuyu MwissaLa prise en charge de la maltraitance, AFlRElvIRegards d'Afrique sur la maltraitance, Thérèse Agossou (éd.)Secret maintenu, secret dévoilé. A propoS de la maltraitanee, AFlREMTemps et rites de passage, Yolande GovindamaVivre et survivre à Mexico, Ruth Pérez Lapez

Achevé d'imprimer en janvier 2015sur les presses de la Nouvelle Imprimerie Laballery

58500 ClamecyDépôt légal : février 2014

Numéro d'impression: 501175

Imprimé en France

La Nouvelle lmprimerie Laballery est titulaire de la marque lmprim'Vert'

De la recherche médicale en Afrique, on ne connaîtgénéralement que les affaires les plus scandaleuses.

Les controverses qui en résultent réduisent souvent lesdébats scientifiques et éthiques à un combat entre Davidet Goliath, à l'image clu procès du géant américain pfizerau Nigeria.

Une recherche anthropologique de deux ans dans le " vil­lage-laboratoire " de Niakhar, situé à 150 km de Dakarau Sénégal, nous montre que les enjeux de la recherchemédicale en Afrique sont loin d'être aussi tranchés. Lesleviers du pouvoir se situent souvent à la frontière ténueentre recherche et développement, et les intermédiaireslocaux sont généralement plus puissants qu'il n'y paraît.

Dans cet espace de 200 krn-, où sont coordonnés depuisles années 1960 des essais cliniques sur des pathologiesendémiques, chercheurs, enquêteurs et sujets d'études(Français et Sénégalais) ont développé une éthique deterrain qui va au-delà de la signature du consentementdes participants. Le " pouvoir de guérir" engendré parla présence d'équipes médicales est progressivementdevenu clans la région un " devoir de soigner ", parallèle­ment aux études cliniques. Cet accord tacite, soutenu parles instances de recherche et les collectifs villageois, n'estcependant pas exempt de dérives ct de critiques.

En abordant la 'recherche médicale à Niakhar par le biaisd'études cie cas et d'observations concrètes, cet ouvrageintéressera aussi bien les anthropologues de la santé et del'Afrique que les professionnels médicaux et les membresdes comités d'éthique.

Ashley Ouvrier est anthropologue à l'Université Paris 7. Elletravaille sur la recherche médicale e11 Afrique depuis 2006.Ses derniers travaux sefocalisent sur les traces et la mémoirede la science en Afrique de l'Ouest.

Collection Médecines du MondeAnthropologie comparée de la maladie

dirigée par Alice Desclaux

1 19782811 113711 ISl3N : 978-2-8111-1371-1