34
A paraître dans Movement & Sport sciences Science & Motricité. FAIRE LEXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE : LE CAS DE LENSEIGNANT D’EPS. Matthieu QUIDU. Professeur agrégé d’EPS à l’Ecole normale supérieure de Lyon. Chercheur associé au Centre de recherche et d’innovation sur le sport (EA 647, Lyon) et au Laboratoire d’histoire des sciences et de philosophie (UMR 7117, CNRS-Nancy Université). REMERCIEMENTS : Je tiens à remercier chaleureusement Michel RECOPE et Jérôme VISIOLI, pour leur lecture critique du manuscrit. Je remercie également Richard NEMETH, mon collègue à l’ENS de Lyon, pour nos riches discussions pédagogiques. RESUME : L’enseignant d’EPS fait quotidiennement l’expérience de la pluralité , manifeste à trois niveaux : pluralité des préoccupations concurrentes qui émergent simultanément de la dynamique de l’action ; pluralité des dispositions stabilisées à l’occasion d’expériences diverses de socialisation professionnelle ; pluralité interindividuelle des sensibilités. Sont étudiés les modes de composition du professeur vis-à-vis de ces trois formes de pluralité et les vécus qui y sont associés. Classiquement, la littérature souligne que l’expérience de la pluralité génère des affects négatifs, mêlant angoisse, inconfort et frustration. Spontanément, les intervenants réduisent la pluralité en la rabattant sur une option exclusive. Nous démontrons, en contrepoint, que d’autres stratégies adaptatives face à la pluralité peuvent être déployées et débouchent sur un vécu moins désagréable producteur d’efficacité pédagogique. MOTS-CLES : dilemme, conflit intrapsychique, sensibilité, disposition théorique. INTRODUCTION Vivre dans et avec la pluralité est devenu notre quotidien voire notre condition. Si l’on définit la pluralité comme une situation où coexistent, de manière plus ou moins conflictuelle, deux (ou plusieurs) entités, options ou alternatives, de nature comparable, censées s’appliquer à un même ordre de phénomènes, mais non directement superposables ou compatibles et a priori irréductibles, force est de reconnaître la multiplicité des sources et des formes de pluralité. Les sciences sociales n’ont pas manqué de formaliser ce constat ordinaire. Ainsi Boltanski et Thevenot (1991) ont-ils décrit la coexistence d’une pluralité des principes de justice à la base de l’évaluation des individus et de la justificatio n de leurs actions ; cette

FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

  • Upload
    others

  • View
    6

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

FAIRE L’EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE : LE CAS DE L’ENSEIGNANT D’EPS.

Matthieu QUIDU.

Professeur agrégé d’EPS à l’Ecole normale supérieure de Lyon.

Chercheur associé au Centre de recherche et d’innovation sur le sport (EA 647, Lyon) et au

Laboratoire d’histoire des sciences et de philosophie (UMR 7117, CNRS-Nancy Université).

REMERCIEMENTS : Je tiens à remercier chaleureusement Michel RECOPE et Jérôme

VISIOLI, pour leur lecture critique du manuscrit. Je remercie également Richard NEMETH,

mon collègue à l’ENS de Lyon, pour nos riches discussions pédagogiques.

RESUME : L’enseignant d’EPS fait quotidiennement l’expérience de la pluralité, manifeste à

trois niveaux : pluralité des préoccupations concurrentes qui émergent simultanément de la

dynamique de l’action ; pluralité des dispositions stabilisées à l’occasion d’expériences

diverses de socialisation professionnelle ; pluralité interindividuelle des sensibilités. Sont

étudiés les modes de composition du professeur vis-à-vis de ces trois formes de pluralité et les

vécus qui y sont associés. Classiquement, la littérature souligne que l’expérience de la

pluralité génère des affects négatifs, mêlant angoisse, inconfort et frustration. Spontanément,

les intervenants réduisent la pluralité en la rabattant sur une option exclusive. Nous

démontrons, en contrepoint, que d’autres stratégies adaptatives face à la pluralité peuvent être

déployées et débouchent sur un vécu moins désagréable producteur d’efficacité pédagogique.

MOTS-CLES : dilemme, conflit intrapsychique, sensibilité, disposition théorique.

INTRODUCTION

Vivre dans et avec la pluralité est devenu notre quotidien voire notre condition. Si l’on

définit la pluralité comme une situation où coexistent, de manière plus ou moins conflictuelle,

deux (ou plusieurs) entités, options ou alternatives, de nature comparable, censées s’appliquer

à un même ordre de phénomènes, mais non directement superposables ou compatibles et a

priori irréductibles, force est de reconnaître la multiplicité des sources et des formes de

pluralité.

Les sciences sociales n’ont pas manqué de formaliser ce constat ordinaire. Ainsi

Boltanski et Thevenot (1991) ont-ils décrit la coexistence d’une pluralité des principes de

justice à la base de l’évaluation des individus et de la justification de leurs actions ; cette

Page 2: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

pluralité serait génératrice de « disputes » quant à la définition de ce que recouvre le bien

commun (Nachi, 2006). Dans le prolongement de ces travaux, Thévenot (2006) dégage une

« diversité de modes d’engagement dans le monde » au regard de leur inégale capacité de

mise en commun. La pluralité semble donc pouvoir affecter l’action (plurielle dans ses

logiques) ou l’interaction1, mais aussi l’acteur

2 (pluriel dans ses identités, ses rôles, ses

dispositions) et les « systèmes de connaissance ». Ainsi pour De Léséleuc (2006), l’hyper-

modernité marque la disparition d’une référence à un système unique de savoirs légitimes

supposé atteindre la réalité, la vérité au profit de l’émergence d’une multi-référentialité.

Coexistent désormais des références plurielles, potentiellement antagonistes à partir

desquelles chacun est sommé de se constituer sa propre vision. A l’opposé de l’unicité

moderne, il convient aujourd’hui d’effectuer « des choix dans la diversité des possibles » et de

les assumer, ce qui peut provoquer une « fatigue d’être soi » (Erhenberg, 2000).

La pluralité prolifère donc à de multiples niveaux3 mais, paradoxalement, et alors

même qu’elle tend à être érigée en valeur sociétale4, rares sont les travaux visant à

documenter empiriquement les stratégies mises en œuvre in actu par les acteurs pour gérer

cette pluralité et les expériences corporelles, intimes, teintées d’affects, associées au vécu de

cette pluralité5. Ce déficit scientifique d’attention est d’autant plus regrettable que c’est de « la

capacité de l’acteur à composer avec cette pluralité que dépendent l’intégrité de sa personne

aussi bien que son intégration dans une communauté » (Thévenot, 2006). La présente

contribution se propose d’étudier la pluralité depuis le point de vue du sujet qui en fait

l’expérience. Dans la dynamique de son action, à quels types de pluralité le sujet est-il

1 Voir Duret (2010) sur la pluralité des valeurs dans le couple. 2 Voir Lahire (1998) ou encore Kaufmann (2004). La psychologie clinique n’est pas en reste avec la thèse

lacanienne du « sujet clivé » : en effet, « le sujet de la psychanalyse est d’abord divisé par son inconscient, pris

en tension entre ses différentes instances » (Carnus & Terrisse, 2013). Il s’agit d’une « division constituante »

(Lacan, 1971). 3 Une interrogation subsiste : est-ce notre monde qui devient effectivement davantage pluriel ? Ou bien est-ce

notre sensibilité, scientifique, au repérage de cette pluralité qui s’aiguise ? Dans le premier cas, un ensemble de

conditions objectives (mondialisation de l’économie et des échanges culturels, accroissement de la mobilité au

travail, appartenances multiples…) fait proliférer des situations plurielles (Morin, 1991). Dans le second cas, la

pluralité tend à se constituer en « thêmata » (Holton, 1981), c'est-à-dire en principe ontologique fondateur,

auquel le savant est intimement lié et qui structure sa grille d’analyse du réel. 4 Voir Maffesoli (2007) pour une illustration typique et Hazan (2006) pour une lecture critique : « comment ne pas se laisser séduire par l’idée de pluralité culturelle ? Le multiculturalisme, c’est dire le partage mais faire

l’apartheid. Se féliciter de la diversité alors que l’uniformisation et l’inégalité progressent partout, telle est la

ruse de la Lingua Quintae Reipublicae ». Nous parlerons de « pluralisme » lorsque la pluralité est érigée en

valeur, promesse d’ouverture et d’émancipation. A l’opposé de l’incantation morale ou du discours politique,

nous conserverons le terme de « pluralité » pour décrire une situation concrète où coexistent, sur un même ordre

de phénomènes, des alternatives non directement superposables. 5 Lahire (1998) ébauche trois figures d’articulation de la pluralité des dispositions incorporées par l’acteur : le

clivage, le mélange, la séparation. De son côté, Nachi (2006) envisage trois modes de résolution des tensions

entre principes de grandeur : le compromis, l’arrangement, la relativisation.

Page 3: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

confronté ? Comment la vit-il affectivement ? Comment s’y prend-il pour y répondre, s’y

adapter voire la résoudre ? L’intuition de Thévenot suivant laquelle « toute situation de

pluralité occasionne des tensions et nécessite une composition » se vérifie-t-elle ? L’individu

confronté à une pluralité (la sienne propre, comme celle de la situation ou de l’interaction)

est-il condamné à l’« implosion subjective » (Kaufmann, 2004) ?

Nous proposons une étude de cas dans le domaine de l’enseignement de l’Education

physique et sportive. A quels types de pluralité le professeur d’EPS est-il quotidiennement

confronté dans sa situation de travail ? Quelle tonalité revêt son expérience vécue de ces

situations plurielles ? Quelles stratégies cet acteur déploie-t-il pour y faire face ? Pareilles

interrogations résultent, chez nous, d’un triple faisceau d’intérêts : intérêt du philosophe des

sciences ayant formalisé les stratégies d’articulation de la pluralité des paradigmes sur la

scène académique (Quidu, 2011b) et désireux de vérifier si celles-ci se retrouvent dans le

champ de l’intervention professionnelle ; intérêt de l’épistémologue attentif à l’expérience

corporelle de l’acteur et aux connaissances qu’elle produit, qu’il s’agisse du savant (Quidu,

2011a) ou de l’ingénieur comme ici ; intérêt du praticien réflexif (Schön, 1994), professeur

d’EPS de terrain6, non totalement débutant mais loin d’être expert

7, fréquemment confronté à

la pluralité dans le cadre de son action pédagogique.

QUELLES PLURALITES DANS L’ENSEIGNEMENT QUOTIDIEN DE L’EPS ?

La pluralité n’est pas une propriété évanescente, mais bien un substantif qui appelle un

complément du nom : toute pluralité l’est de quelque chose. Nous focaliserons notre attention

sur trois niveaux de pluralité caractéristiques du quotidien de l’enseignant d’EPS.

UNE PLURALITE DES PREOCCUPATIONS

Luc Ria (2001) s’intéresse, dans le cadre du programme du cours d’action et de

l’hypothèse de la pensée signe (Peirce, 1931), aux « préoccupations » des enseignants

débutants. Celles-ci sont définies comme les « modes d’engagement de l’acteur dans la

situation ». Les préoccupations constituent l’une des composantes du signe hexadique

(Theureau, 2009) ; elles correspondent aux « intérêts de l’acteur, saillants à l’instant t en

6 Nous occupons depuis septembre 2010 le poste de professeur agrégé d’EPS à l’Ecole normale supérieure de

Lyon. Notre service complet est consacré à des enseignements pratiques. 7 Visioli et Ria (2010), s’inspirant de Tochon (1991), synthétisent les critères délimitant l’expertise enseignante :

« l’expérience, approchée par le nombre d’années de pratique ; la connaissance didactique, approchée par le

niveau académique dans la discipline ; la connaissance pédagogique, approchée par le niveau du concours de

recrutement ; la pratique réflexive, approchée par la participation à des recherches action ou des innovations

pédagogiques ; la reconnaissance sociale de l’expertise, approchée par des critères de notoriété et de désignation

par les pairs ».

Page 4: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

fonction de ce qui fait signe pour lui ». Régulièrement, dans la dynamique de l’action de

l’enseignant d’EPS, vont émerger, de manière simultanée, des préoccupations plurielles et

concurrentielles. Ces attentes contradictoires sont potentiellement réalisables

indépendamment, mais ne le sont pas simultanément ; elles sont mutuellement exclusives.

Une telle incompatibilité de préoccupations a priori irréductibles va générer un « dilemme ».

Pour Ria, le dilemme fondamental de l’enseignant réside dans la tension : enseigner

des savoirs scolaires versus contrôler l’ordre en classe. Les missions d’instruction (transmettre

des contenus) et d’éducation (inculquer des valeurs) apparaissent souvent inconciliables pour

les professionnels de l’intervention. Plusieurs incompatibilités en découlent : « au niveau

relationnel, s’adresser à un individu singulier versus à un collectif hétérogène ; au niveau

organisationnel, occuper la classe versus procéder à l’installation pédagogique ; au niveau

curriculaire, matérialiser en exercices concrets les programmes disciplinaires versus

composer avec le temps scolaire disponible ».

Prêter attention aux préoccupations dans le moment même de leurs émergences

suppose de pénétrer le « monde propre » (au sens de Von Uexküll, 1984) d’un enseignant

singulier, c'est-à-dire « ce qui l’organise lorsqu’il agit », le « couplage subjectif qui le lie à

son environnement de travail ». Par ses focalisations, interprétations et cognitions, l’acteur

« construit, à partir d’un environnement objectif, une situation sensible et signifiante » ; celle-

ci délimite son champ de perceptions et d’actions, soit sa réalité propre.

UNE PLURALITE DES DISPOSITIONS

Dans le cadre d’une sociologie des dispositions à l’échelle intra-individuelle (Lahire,

2005), nous avons montré que les enseignants d’EPS ont stabilisé, sur la base de diverses

expériences de socialisation professionnelle, des « dispositions cognitives et pratiques »

plurielles (Quidu, 2013). Celles-ci constituent un ensemble hybride de références théoriques

(comprenant, entre autres, des savoirs scientifiques8 et technologiques), de croyances, de

valeurs et de démarches pédagogiques. Acquis en formations initiale et continue, ces modèles

peuvent remplir quatre fonctions dans l’intervention éducative9 (Terral & Collinet, 2007) :

description (l’enseignant formule des interprétations sur les processus sous-tendant les

comportements d’élèves) ; justification (il donne sens à ses choix) ; prescription (les savoirs

8 Il s’agit plus précisément de « savoirs scientifisés » (Collinet, 2006). 9 Sans remettre en cause l’efficacité des savoirs d’action, nous envisageons le « statut qu’ont les savoirs

d’origine scientifique comme ressources possibles pour l’intervention » (Terral & Collinet, 2007).

Page 5: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

fournissent des principes pour l’action) ; métacognition (ils structurent une démarche de

pensée).

A l’échelle intra-individuelle, les professeurs d’EPS sont partagés entre des

dispositions relevant respectivement des modèles de la « commande » versus de

« l’autonomie » (Durand & Arzel, 2002). Véritables « épistémologies pratiques », ces

modèles délimitent des conceptions contrastées de la connaissance, de l’action et de

l’apprentissage ; ils possèdent en outre des références paradigmatiques divergentes.

Schématiquement, le modèle de la commande s’appuie sur les approches

computationnelles du comportement. Cette vision prescriptive et hiérarchique conçoit l’action

comme l’exécution d’un programme préexistant, stocké sous forme de symboles. L’opérateur

construit une représentation du monde et agit à partir de celle-ci. L’apprentissage consiste à

acquérir des connaissances nouvelles en mémoire et à les organiser efficacement. De son côté,

l’enseignement est vu comme la procéduralisation et la spécification de connaissances

déclaratives et décontextualisées acquises en formation. Une place prépondérante est accordée

à la planification du professeur, minorant l’interaction ; les élèves n’apparaissent que comme

des exécutants secondaires des plans enseignants. Les enseignants d’EPS entretiennent un

rapport applicationniste aux modèles scientifiques qui prescrivent leur action. Cela se traduit

par exemple, à la suite de Famose (1991), par une manipulation progressive de la complexité

des situations pédagogiques. Plusieurs dispositifs au sein du champ STAPS-EPS concourent à

l’intériorisation de telles dispositions : prévalence du programme cognitiviste dans la

formation initiale, réalisation des stages en situation en fin de scolarité comme lieux de

procéduralisation des savoirs déclaratifs…

A l’inverse, le modèle de l'autonomie, qui puise son inspiration dans l’anthropologie

cognitive et l’énaction, reconnaît à l’agir des propriétés d’auto-organisation et de créativité.

L’action est première et fait émerger des connaissances. Les savoirs ne préexistent pas à

l’action mais en procèdent ; ils sont fortement incorporés et contextualisés. L’enseignement

est une interaction émergente n’excluant pas l’improvisation. Tout applicationnisme strict est

congédié au profit d’une reconnaissance de la spécificité, de la diversité et de la complexité

des situations comme des élèves. L’adaptabilité prévaut. L’acquisition de ce nouveau jeu de

dispositions est à rapporter aux renouvellements paradigmatiques (action située, psycho-

phénoménologie, approche écologique de la perception, théorie dynamique des

coordinations…) qui intègrent progressivement les maquettes de formation initiale et les

programmes des concours de recrutement.

Page 6: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

Au final, la socialisation professionnelle, de par sa diversité, a contribué à la

stabilisation, chez chaque enseignant, de deux systèmes de dispositions référés respectivement

aux modèles de la commande (applicationnisme) versus de l’autonomie (contextualisme).

Parce qu’elles recèlent des descriptions contrastées de l’acte moteur et débouchent sur des

stratégies d’enseignement divergentes, ces dispositions théorico-pratiques peuvent être

considérées comme irréductibles voire antinomiques.

UNE PLURALITE DES SENSIBILITES

Michel Récopé (2006), s’inspirant de la philosophie des normes de Canguilhem

(1966), soutient, à partir d’une approche d’éthologie phénoménologique, que l’action des

sportifs est mue par des « sensibilités » contrastées. Dans le cadre du volley-ball, il démontre

que certains pratiquants s’avèrent particulièrement sensibles à la « rupture de l’échange » ; ils

manifestent un engagement corporel total afin d’éviter que le ballon ne touche le sol :

orientation constante vers le ballon, attitude de garde préparatoire, engagement énergétique

intense, occupation d’un espace élargi. La rupture de l’échange constitue une menace pour

leur bien-être et oriente de manière globale leur activité. En cas de perte de l’échange, ils

manifestent une profonde frustration. D’autres pratiquants ne partagent pas cette sensibilité à

la rupture10

; ils se montrent, dans la même situation objective, indifférents à la chute du

ballon au sol ; cet évènement n’est pas considéré comme pertinent dans leur monde

phénoménal, il n’y existe pas (Rix, Récopé & Lièvre, 2005). Ils adoptent une attitude de

repos, attentistes ; leur zone d’intervention est restreinte.

D’un point de vue conceptuel, Récopé définit la sensibilité, en référence à Ribot

(1896), comme « une faculté de désirer ou tendre vers un objet », et par la suite d’éprouver du

plaisir ou de la douleur en fonction de l’atteinte ou non de la cible convoitée. Cette faculté de

tendre vers renvoie à un système de normes individuées et pose la référence personnelle du

bien-être. Ces valeurs propres instaurent la relation au monde, à ce qui y apparaît d’emblée

comme pertinent ou à l’inverse indifférent. Au final, tout pratiquant est appréhendé en tant

qu’organisme, unitaire et total, caractérisé par une sensibilité à propre, c’est-à-dire par un

« sens sensible qui mobilise son activité, aux plans qualitatif et intensif, et qui assure la

production de son milieu de pratique ».

La sensibilité de l’enseignant, pour rester dans le cas du volley-ball, peut différer de

celle de ses élèves : ce premier peut s’avérer sensible à l’enjeu de la rupture quand ses élèves,

10 Ils peuvent par exemple être mobilisés par la « qualité technique d’intervention sur le ballon » lorsque celui-ci

arrive à proximité de leur zone (Récopé, Fache, Boyer & Rix-Lièvre, 2013).

Page 7: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

ou tout du moins certains d’entre eux, s’y montreront indifférents. Intervient ici une pluralité

de type interindividuel : confrontés à une même tâche objective, deux acteurs adopteront,

suivant l’objet de leur sensibilité, des comportements distincts. Ils ne vivent pas la même

situation, ne perçoivent pas les mêmes choses car ils n’ont pas la même sensibilité ; autrement

dit, ils évoluent dans des mondes phénoménaux, d’action et de perception (ou umwelts),

disjoints, non superposables voire incommensurables11

.

VISIONS CLASSIQUES DE L’EXPERIENCE DE LA PLURALITE EN EPS

Soit ces trois niveaux de pluralité avec lesquels l’enseignant d’EPS doit composer

quotidiennement : pluralité des préoccupations, concurrentes et antagonistes, qui émergent

simultanément de la dynamique de l’action ; pluralité interne des dispositions à l’action

pédagogique stabilisées à l’occasion d’expériences diverses de socialisation ; pluralité

interindividuelle des objets de sensibilité entre enseignant et élèves. Quelles expériences

corporelles12

, quels vécus intimes (affectifs comme sensoriels) y sont associés ? Quelles

stratégies adaptatives ou modalités de traitement sont déployées, in actu, pour y faire face ?

Nous montrons que, classiquement dans la littérature, l’expérience de la pluralité est corrélée

à des ressentis désagréables, d’inconfort, de clivage ou de frustration. L’acteur y apparaît

comme précipité dans un milieu pluriel dont il se sent prisonnier.

FAIRE-FACE A LA PLURALITE DES PREOCCUPATIONS OU L’EXPERIENCE INCONFORTABLE DU

DILEMME

L’émergence simultanée, dans le cours d’action des enseignants débutants, de

préoccupations plurielles qui, de leur point de vue même, apparaissent comme concurrentes,

contradictoires et irréductibles, va générer un « dilemme ». Ria, Saury, Sève et Durand (2001)

démontrent que l’expérience qui y est associée s’avère particulièrement inconfortable et

désagréable. Le malaise vécu par l’enseignant tend à se résoudre par la suppression de l’une

des attentes incompatibles.

11 La référence à Canguilhem est explicite : « dans ce qui apparaît à l’homme comme un milieu unique, plusieurs vivants prélèvent de façon incomparable leur milieu spécifique et singulier (…). Le milieu propre de l’homme

c’est le monde de sa perception, c’est-à-dire le champ de son expérience pragmatique où ses actions, orientées et

réglées par des valeurs immanentes aux tendances, découpent des objets qualifiés, les situent les uns par rapport

aux autres et tous par rapport à lui ». 12 Andrieu et Richard (2012) considèrent que « nous sommes corporellement en contact direct avec le monde ».

Dans la suite du texte, nous adopterons une attitude phénoménologique (sans toutefois endosser les exigences

théoriques et méthodologiques d’un programme phénoménologique), c'est-à-dire ouverte sur le vécu incarné du

sujet, sa manière d’être relié au monde par le corps, de l’habiter et d’agir à travers lui. En attestent entre autres

nos références à l’anthropologie cognitive située de Ria ou à l’anthropologie phénoménologique de Récopé.

Page 8: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

Revenons tout d’abord sur ce que Ria qualifie de dilemme. Les préoccupations

plurielles qui émergent chez l’enseignant ne sont pas sui generis, en elles-mêmes,

objectivement contradictoires et mutuellement exclusives. Elles ne le deviennent que dans le

« monde significatif » pour l’acteur. Ce sont bien les sujets eux-mêmes qui produisent leur

propre enfermement dans cette aporie du dilemme insoluble13

. Pire, ils transforment, par leur

activité sémiotique, un dilemme initial en une « injonction paradoxale » (ou double bind).

D’un point de vue logique, un dilemme consiste en un choix difficile, problématique (les

alternatives en présence semblent également désirables) mais possible14

. L’injonction

paradoxale (Bateson, Jackson, Haley & Weakland, 1956) contient, à l’inverse, deux

contraintes qui s’opposent, l’obligation de chacune contenant une interdiction de l'autre, ce

qui rend la situation insoluble15

. L’acteur ne peut satisfaire un ordre qu’en violant l’autre.

S’ensuit un effet ressenti d’oppression. C’est donc par leur activité endogène et subjective de

construction de significations que les enseignants d’EPS vont précipiter une situation

originelle de dilemme (laquelle est logiquement soluble même si affectivement difficile) vers

une situation de double contrainte (qui, elle, ne peut l’être objectivement). Dit autrement,

l’acteur s’auto-enferme, s’accule de lui-même dans une situation sans issue possible16

. Il

creuse son propre piège et n’y retirera qu’inconfort17

.

Ainsi l’expérience d’une pluralité de préoccupations incompatibles est-elle vécue de

manière désagréable. Surgit une crise aigue emplie de déstabilisation, d'insatisfaction, voire

de désarroi. Insolubilité du dilemme et malaise intense s’alimentent mutuellement dans une

spirale infernale. Au moyen d’une utilisation combinée de l’« échelle d’estimation des états

affectifs »18

et de l’entretien d’auto-confrontation, Ria (2001) rapporte par exemple le malaise

ressenti par une enseignante confrontée à la tension « s’adresser à un élève singulier versus

gérer le groupe-classe » : « je vis dans cette classe un mal-être permanent, partagée entre les

13 La référence à Watzlawick (1996) et à l’école de Palo Alto est explicite. 14 Le dilemme est classiquement illustré par l’âne de Buridan qui doit choisir entre un sac d'avoine et un baquet

d'eau. 15 Dans le cas de Buridan, pour arriver à une situation de double contrainte, il faudrait que l'âne sache qu'il est

contraint à boire et à manger, mais qu'il sache aussi qu’il sera battu quand il boit parce qu’il ne mange pas, et

qu’il sera battu quand il mange parce qu’il ne boit pas. 16 Ria parle d’un « cercle vicieux », d’une « situation tragique et inéluctable », « sans solution possible ». Ces qualificatifs renvoient davantage à une configuration d’injonction paradoxale que de dilemme. 17 Bateson voit dans la double bind la cause première de la schizophrénie ; le clivage apparaît comme un

mécanisme de défense contre une situation impossible. 18 L’échelle EEA documente la dynamique fluctuante des affects vécus par les enseignants. Elle est constituée de

sept points, allant de +3 (très agréable et confortable) à -3 (très désagréable et inconfortable). Il s’agit d’une

estimation synthétique du caractère positif ou négatif de l’expérience en classe, immédiatement après la leçon,

durant le visionnage vidéo. D’un point de vue conceptuel, les états affectifs, proches des « émotions d’arrière-

plan » (Damasio, 2002), constituent le flux émotionnel continu et syncrétique lié à l'adaptation de l'acteur à son

environnement physique et social.

Page 9: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

filles qui ne veulent rien faire et les garçons au comportement anarchique ». Ici, « tourner le

dos quelques instants à la classe pour aider une élève en difficulté est vécu comme une

situation professionnelle des plus inconfortables ». La conscience de l’incapacité à concrétiser

simultanément deux attentes crée le malaise.

Plusieurs facteurs peuvent renforcer ce vécu négatif. A mesure que les enseignants se

heurtent à l’impossibilité répétée de trouver une porte de sortie à leur dilemme, se forge

l’impression de « perdre du temps ». Or, le débutant est engagé dans une « course poursuite

permanente contre la montre » ; le « chronos » devient « maître ». De par une focalisation

exclusive sur un futur anticipé, le sujet « s’abstrait du présent » ; il « se coupe de ses

sensations ici et maintenant », instaure une « lutte contre soi-même » et finit par « se

dédoubler » (Gaillard, 2000). La projection compulsive vers un « à-venir » doit être rapportée

à une obsession du plan. Dans le cadre d’une expérience globalement « indéterminée », le

plan de séance remplit une fonction de réassurance pour des professionnels en manque de

repères stables. Ceux-ci se convainquent que la « réussite de leur leçon dépend du

déroulement conforme et exhaustif de leur plan de séance ». La persistance du dilemme est

perçue comme une entrave au déroulement prévu de la leçon ; elle produit de l’incertitude là

où il se serait agi de créer du prévisible. Au final, alors que le plan est censé réduire l’anxiété,

il la décuple dès qu’on s’en écarte.

L’anxiété sera, pour l’enseignant, d’autant plus pesante qu’il s’efforce de la dissimuler

aux yeux des élèves : l’enjeu est d’interdire à leur trouble intérieur de les trahir

publiquement19

. Il s’agit de faire « bonne figure », de donner à voir une image de soi

consistante en « trompe l’œil », pour ne pas « perdre la face » (Goffman, 1973), pour sauver

sa crédibilité. Ce faisant, les enseignants se condamnent à vivre leur malaise intérieurement et

de façon solitaire. Ils ressentent que la situation leur échappe mais doivent en donner,

impassibles, une illusion de maîtrise. Par cette activité de simulacre, les débutants se

rapprochent de l’expérience vécue par ceux qui « dissimulent un stigmate »20

. Les travaux

sociologiques (Goffman, 1975 ; Marcellini, 2005) ou psychologiques (Smart & Wegner,

2000) ont mis en lumière le « coût affectif et cognitif » de la dissimulation d’un « attribut

discréditable » et du repli dans un « enfer privé » : à un premier niveau, le contrôle constant

de l’information sociale est éprouvant voire épuisant21

. L’angoisse de voir son stigmate

19 Le mutisme est une réponse classique à une situation de double contrainte, qui a pour caractéristique de

bloquer la communication. 20 Nous sommes conscients du fait que l’inconfort constitue un stigmate bien minime, circonscrit, temporaire. 21 Goffman parle du « syndrome de Cendrillon ». Le « discréditable » peut être découvert à tout moment, ce qui

ne manquera pas de le déstabiliser.

Page 10: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

dévoilé croît d’autant plus que s’y ajoute un haut degré de mensonge à soi-même difficile à

assumer. Les sujets « expérimentent des problèmes d’identité » (Lacaze, 2006) ; cette lutte

interne (rendre visible versus invisible) renforce l’angoisse en même temps que l’intrusion de

pensées indésirables.

Comment se résout finalement ce dilemme ? Dans un premier temps, les enseignants

éprouvant des attentes concurrentielles vont tenter, en vain, de les concrétiser simultanément.

S’installe ainsi une spirale d’affects désagréables (inconfort, frustration, agacement,

déception, sentiment d’incompétence) qui somme l’acteur de réagir. Ce dernier se verra

contraint d’abandonner l’une de ses préoccupations en ne se focalisant désormais que sur celle

jugée prioritaire. La pluralité sera dite « réduite », ramenée à l’unicité par centration exclusive

sur un pôle de l’alternative. Il ne s’agit pas ici de produire une « réponse idéale » mais bien

d’atteindre une solution suffisamment viable, de « moindre mal » au regard des connaissances

et des interprétations mobilisées ; interviennent notamment les critères de dangerosité de la

situation et de maintien du plan de séance. Cette stratégie adaptative est vécue comme une

forme de sacrifice, de renoncement, générant remords et scrupules. Résoudre un dilemme est

un choix possible, qui intervient majoritairement à un niveau préréflexif, mais dans tous les

cas coûteux, forcé et imparfait22

. Même s’il irrite sur le moment, il produira un soulagement

relatif ; l’expérience redevient progressivement23

plus confortable, enfin supportable.

LA PLURALITE DES DISPOSITIONS SOURCE DE CLIVAGE DU MOI ET DE CONFLIT INTRAPSYCHIQUE

A l’échelle intra-individuelle, les enseignants d’EPS sont partagés entre des

dispositions - théoriques et pratiques - plurielles, relevant respectivement des modèles de la

commande (applicationnisme) versus de l’autonomie (contextualisme). Ces dispositions,

stabilisées à l’occasion d’expériences diverses de socialisation professionnelle, peuvent être

considérées comme irréductibles dans la mesure où, dans une même tâche, elles conduisent

l’intervenant à décrire, interpréter et agir sur le réel de façon divergente. A cet égard, Bonnet

et Bonnet (2008) ont démontré que les théories concurrentes de l’apprentissage moteur se

22 Pour compenser le caractère intrinsèquement insatisfaisant du choix forcé, l’acteur tend, littéralement, à « faire

disparaître », du moins temporairement, l’option abandonnée du « champ de sa conscience » (Ria, 2001) ou de sa « fenêtre attentionnelle » (Gouju, 2002). L’acteur se construit, pour suivre la théorie des émotions de Sartre

(1938), une sorte de « monde magique » annulant la pluralité et permettant de modifier sa conscience pour

résoudre un conflit intrapsychique. Pour Sartre, « l’émotion, produit de la conscience face à la difficulté qu’elle

perçoit du monde, transforme, grâce aux lois de la magie, la perception qu’a la conscience du monde pour

permettre à l’homme de poursuivre son action » (Javeau, 2010). L’émotion apparaît ici comme une « fuite du

monde rationnel », « une conduite d’évasion ». Certains objets sont anéantis, la structure du monde est

uniformisée. 23 Il convient d’insister sur cette dimension progressive. Le retour au confort n’est pas instantané ; intervient un

phénomène d’« hystérésis affective ».

Page 11: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

différencient quant à leurs prescriptions pratiques souvent antagonistes. Dès lors, comment

l’enseignant compose-t-il, in actu, avec cette pluralité interne des dispositions ? A quelles

expériences s’associent ces stratégies adaptatives ? Nous montrons que ces vécus sont

majoritairement présentés dans la littérature comme désagréables et inconfortables.

Chez Bourdieu (1994), la pluralité des dispositions est pensée sur le mode

schizophrénique du clivage, de la duplicité et de la haine de soi. Lorsqu’il évoque les habitus

pluriels, Bourdieu décrit des agents déchirés, « portant sous la forme de tensions et de

contradictions la trace des conditions de formation contradictoires dont ils sont le produit »

(Lahire, 1998). Plus précisément, la « traversée de l’espace social »24

produirait des « conflits

intrapsychiques » sous la forme de « clivage du moi ». Prévalent les images de « souffrances

identitaires », de tiraillements, de dédoublement voire de duplicité. L’illusion, chez l’acteur,

de l’unicité de soi est rompue. Sa cohérence psychique s’en trouve compromise. Les divers

habitudes et schèmes d’action ne sont décrits qu’en conflit : « lorsque chaque situation sociale

est perçue et appréciée à partir de deux points de vue opposés et concurrents, l’ambivalence

crée la souffrance » (Lahire, 1998). Du fait de ses habitudes discordantes, l’acteur vivrait

« constamment en décalage et dans la mauvaise conscience ». En définitive, Bourdieu érige ce

type de « pluralité douloureuse » en modèle général de la pluralité interne25

.

Dans le domaine de l’EPS, nous avons démontré que les enseignants pouvaient

éprouver un certain inconfort face à la pluralité de leurs dispositions cognitives (Quidu, 2013).

Constatant que leurs différentes références théoriques prescrivaient des interventions

pédagogiques contradictoires, certains professionnels, déçus voire résignés, ont préféré

renoncer à ancrer scientifiquement leurs actions (Sarremejane, 2004). En effet, si deux

théories contrastées débouchent sur des prescriptions antagonistes26

, à qui/quoi se fier ? Les

injonctions contraires seraient une source de paralysie pour la pratique. Or, le praticien,

orienté vers l’action, aurait besoin d’appuis solides et consistants, de repères stables pour

intervenir. L’équivocité des théories apparaît comme antinomique à l’exigence d’action, ce

24 Dans le cas des transfuges de classe notamment dont le trouble peut aller jusqu’à la névrose (De Gaulejac,

1987). 25 Ce que nous contesterons ci-après, en nous appuyant notamment sur Lahire (1998). Ce dernier considère que le modèle de la « pluralité douloureuse » ne constitue qu’un cas particulier d’acteur multiple : « l’acteur pluriel

n’est pas forcément un agent double ». La généralisation par Bourdieu du modèle de la pluralité douloureuse est

due à sa minimisation de « la logique des situations », Or, pour Lahire, « toute disposition désigne une propriété

relationnelle liée à la rencontre entre une socialisation passée et une situation présente dans laquelle le passé

incorporé s’actualise ou s’inhibe ». 26 Pour illustration, Delignières, Teulier et Nourrit (2006) écrivent : « on peut noter que, dans le cadre spécifique

des tâches de convergence, c’est paradoxalement en rendant la tâche plus exigeante que l’on facilite

l'apprentissage. Cette proposition nous semble particulièrement intéressante, en ce qu'elle contredit les principes

généralement retenus dans le cadre des approches cognitivistes de l'apprentissage ».

Page 12: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

qui conduirait à un détournement vis-à-vis des savoirs scientifiques27

. Ces cas d’indifférence

se retrouvent notamment chez les enseignants évoluant dans des environnements sensibles : la

résolution des problèmes d’animation, d’indiscipline et de gestion du groupe (Durand, 1996)

les accapare au point de reléguer au second plan les activités d’instruction. Dans ce contexte,

les ressources scientifiques sont considérées comme étant très faiblement opérationnelles ;

leurs dispositions cognitives plurielles s’en trouvent toutes inhibées.

Dans le cadre d’une anthropologie cognitive située, Bertone, Méard, Euzet, Gal-

Petitfaux et Durand (2002) ont étudié le déploiement de conflits de dispositions, qualifiés

d’« intrapsychiques » (Clot, 1999), dans la dynamique de l’action en classe d’EPS. Ils

rapportent l’expérience d’une enseignante chez qui émerge une concurrence d’actions

possibles au sein d’une même situation d’apprentissage : « le souhait de questionner les élèves

pour leur poser un problème versus le souhait de faire apprendre une solution par la

reproduction et la répétition ». Ces deux types d’intervention renvoient à des démarches

pédagogiques antagonistes, sous-tendues par des référents scientifiques contrastés. Elles

peuvent être rapprochées de l’opposition ci-avant explicitée des modèles de l’autonomie (où

domine la créativité de l’action) versus de la commande (où domine la prescription des

comportements). Bertone et al réfèrent ces diverses possibilités d’action éducative aux

multiples « expériences de formation28

constituant l’histoire du développement professionnel

de l’enseignant ». La difficulté affleure lorsque « ces diverses expériences débouchent sur des

moyens d’action possibles hétérogènes, qui sont concurrents voire incompatibles entre eux ».

Dans la situation concrète considérée, l’enseignante oscille constamment entre deux

stratégies : tantôt elle demande à ses élèves de rechercher des réponses originales au problème

posé29

; tantôt elle leur communique d’emblée la solution, formelle, préconçue, préexistant à

l’activité des élèves, considérée comme optimale et leur demande de la reproduire. Rejetant

systématiquement les réponses inédites proposées par les élèves30

, l’enseignante glisse

progressivement vers la seconde stratégie ; elle dévoile explicitement la solution technico-

27 Un autre phénomène provoque un détournement d’attention vis-à-vis des savoirs scientifiques : parfois, deux théories rivales débouchent sur des prescriptions pratiques identiques. Dès lors, quel peut être l’intérêt d’entrer

dans le débat théorique ? La posture est ici radicalement pragmatique : pour Delalandre (2012), étudiant James,

« adopter une posture pragmatique revient à se demander ce qui change, en pratique, si l’on adopte telle ou telle

idée. Si rien ne change, c’est que le débat est stérile, ne mérite pas d’être posé ». 28 « Cours théoriques, observations ou conduites de leçons lors des stages en établissement, entretiens de conseil

pédagogique, visites de supervision et d’évaluation… ». 29 On parlera d’une « pédagogie de la médiation », favorisant, par le questionnement, l’émergence de solutions

originales chez les élèves dont on valorise les trouvailles singulières (Gaillard, 2001). 30 Y compris lorsque ces réponses s’avéraient efficaces du point de vue de la tâche à réaliser.

Page 13: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

tactique jugée efficace et la prescrit à tous, indépendamment de leurs spécificités et de leurs

réussites individuelles.

Au final, l’émergence concomitante chez l’enseignant d’actions concurremment

possibles, en lien avec des dispositions contrastées, s’est avérée problématique. Le processus

décisionnel est apparu comme hésitant voire conflictuel. Sommée de réagir, l’intervenante a

résolu la tension intrapsychique, en accordant progressivement le primat à une stratégie

prescriptive, évacuant la démarche alternative basée sur l’émergence et la résolution de

problèmes. L’inconfort originel causé par la pluralité des dispositions à agir se résout une

nouvelle fois par la réduction. Celle-ci a privilégié la démarche « commandée », notamment

car elle a été jugée plus à même de satisfaire simultanément une autre préoccupation saillante,

à savoir « le contrôle de l’ordre et de la participation des élèves dans la classe ».31

LA PLURALITE DES SENSIBILITES COMME CAUSE DE FRUSTRATION ET D’INCOMPREHENSION

Comment l’enseignant d’EPS compose-t-il avec le fait que sa propre sensibilité de

pratiquant (ou d’ancien pratiquant) dans une activité sportive puisse ne pas correspondre à

celle de ses élèves (ou tout du moins d’une partie de ses élèves) ? D’après Récopé (2006), les

divergences interindividuelles de sensibilité suscitent frustrations et incompréhensions.

Celles-ci affectent tout d’abord deux joueurs au sein d’une même équipe : en effet, un

volleyeur sensible à l’enjeu de la rupture de l’échange manifeste un profond agacement

« lorsqu’un partenaire, indifférent à la perte du point, s’avère régulièrement coupable

d’inactivité défensive ». Interrogé lors d’un entretien d’inspiration psycho-

phénoménologique, un pratiquant sensible reconnaît « éviter de jouer avec ceux qui ne

bougent pas ou qui ne font rien, parce que sinon je m’énerve » ; et de poursuivre : « c’est un

désavantage d’avoir quelqu’un qui ne bouge pas ». Il ne conçoit pas qu’on puisse ne pas être

mobile sur le terrain : « si toi tu te donnes à fond et que l’autre ne fait rien, ça ne va pas ; il

faut qu’il se donne aussi, sinon ça ne sert à rien de jouer » ». En affirmant sa désapprobation

au regard de l’indifférence du partenaire, il signifie en même temps ses normes et valeurs

propres : « ce qui m’énerve c’est que je ne comprends pas pourquoi les autres ne sont pas

comme moi ». Fondamentalement, ces deux pratiquants, sur la base de leur sensibilité

divergente, évoluent dans des mondes, de perceptions et d’actions, disjoints. Ils éprouvent une

incapacité à saisir la signification d’un comportement alternatif qui leur apparaît

complètement étranger.

31 Entre autres causes de son abandon, la pédagogie de la médiation est rapidement apparue chez cette

enseignante comme moyennement intégrée, d’une façon toute formelle.

Page 14: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

Une telle incompréhension existe également entre un enseignant sensible à la rupture

et ses élèves qui ne le sont pas forcément. En tant qu’ancien professeur d’EPS, pratiquant du

volley-ball, devenu chercheur en STAPS, Récopé justifie fréquemment ses propres travaux

académiques par une incompréhension originelle : « ce sont des insatisfactions persistantes

liées à l’intervention, issues d’observations empiriques, qui sont à l’origine du programme de

recherche » (Récopé, Rix, Fache & Lièvre, 2006). Plus précisément, « beaucoup de jeunes

joueurs, pratiquant volontairement dans le cadre fédéral, présentent tous les critères d’une

forte motivation à la pratique du volley-ball, mais s’avèrent peu mobilisés en situation de

pratique effective. Durant le cours du jeu, ils présentent une attitude de repos (immobiles, bras

ballants), ne se préparent jamais à intervenir, et réagissent tardivement lorsque le ballon arrive

à leur proximité immédiate. En outre, ils ne progressent pas de manière significative lors des

séquences d’enseignement ». A partir de ce « constat robuste d’une dissociation entre

motivation hors situation et mobilisation en situation », l’auteur va tenter de comprendre les

processus à l’origine d’une divergence des sensibilités. Dit autrement, pour un ancien

pratiquant particulièrement sensible à l’enjeu de la rupture32

, il s’agit de saisir comment un

pratiquant peut ne pas être sensible au même objet. Ainsi se justifie la tentative de

compréhension, par Récopé, de la « grande variété interindividuelle des sensibilités ».

Récopé considère la rupture de l’échange comme l’enjeu fondamental, voire l’essence,

du volley-ball. Les pratiquants y étant sensibles apparaissent comme les plus performants

dans l’action défensive33

et comme ceux progressant le plus au cours d’une séquence

d’apprentissage. Pour eux, les acquisitions techniques revêtent une importance cruciale, la

perte du point étant vécue comme une menace pour le bien-être et l’intégrité personnels. En

effet, « quand cet événement se produit, il est douloureusement vécu ». Ils développent alors

une intense activité réflexive « sur ce qu’il aurait fallu faire et ce qu’il faudrait faire pour s’en

prémunir ».

L’objectif pour le pédagogue consistera à insuffler, chez tous les pratiquants du volley-

ball, notamment chez ceux pour qui elle n’est pas spontanée, cette sensibilité à l’enjeu de la

rupture de l’échange : « une formation efficace devrait s’attacher à la fois à comprendre la

cohérence globale actuelle des pratiquant et à saisir les conditions permettant de favoriser

l’émergence de la cohérence globale de type sensibilité à la rupture de l’échange ». Tous les

élèves doivent intérioriser le volley-ball comme un « sport saturé par l’enjeu culturel

32 Discussion informelle. 33 Notamment de par leurs conduites d’anticipation : « anticiper, c’est pré-parer le risque d’être surpris, d’être

mal placé, d’être en retard, en difficulté dans le futur immédiat des situations » ; cette conduite, globale,

d’anticipation répond à une « urgente et inquiète nécessité ».

Page 15: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

d’opposition ». Au final, le pédagogue déploie, une nouvelle fois, une stratégie par réduction :

il rabat la pluralité interindividuelle des sensibilités sur une sensibilité unique, considérée

comme seule légitime et qui devrait être uniformément partagée par tous.

QUELLES EXPERIENCES ALTERNATIVES DE LA PLURALITE EN EPS ?

L’analyse qui précède tend à montrer que l’expérience de la pluralité est massivement

associée à des vécus négatifs et désagréables : inconfort découlant de préoccupations

plurielles dans le cours de l’action ; sentiments de clivage et de souffrance identitaire

inhérents à la pluralité des dispositions ; réactions de frustration et d’incompréhension face à

la divergence des sensibilités. Face à cette pluralité anxiogène, la stratégie adaptative la plus

répandue consiste à la réduire, c'est-à-dire à la rabattre vers l’unicité en se focalisant sur une

option exclusive. L’enseignant est-il condamné à vivre la pluralité dans le malaise ? Ne peut-il

faire l’expérience d’autres saveurs, nuances ou tonalités et inventer des stratégies plus

originales ?

VIVRE DES PREOCCUPATIONS PLURIELLES SANS INCONFORT ?

Réfléchir à la possibilité d’une autre expérience de la pluralité des préoccupations

suppose de reconnaître trois processus qui, combinés, amplifient l’inconfort et l’anxiété des

enseignants débutants : tout d’abord, nous avons vu que c’est l’activité sémiotique de l’acteur

qui précipite la bascule du dilemme initial (où la pluralité peut être gérée) à l’injonction

paradoxale (qui est, elle, logiquement insoluble). Cette dérive n’a rien de nécessaire et

d’irréversible ; un détour réflexif permet de s’extraire de cet enfer privé, en acceptant la

succession temporelle des préoccupations ou en les intégrant. Le malaise de l’enseignant est

ensuite renforcé par son obsession de concrétiser son plan de leçon et l’impression,

désagréable, de s’en écarter. Parce qu’il bascule du statut de ressource à celui de contrainte

(Suchman, 1990), le plan emprisonne ; tout ce qui l’entrave (notamment l’émergence

d’attentes concurrentes) sera vécu comme un obstacle à supprimer. L’acteur s’abstrait alors de

l’ici-et-maintenant par une focalisation exclusive sur le futur anticipé qui l’angoisse. Jugeant

inopportun de laisser transparaître ce malaise, l’enseignant va chercher à le dissimuler. Afin

de rester crédible aux yeux de son public scolaire, il se condamne à vivre de façon solitaire

son désagrément et à assumer la charge tant cognitive qu’affective du simulacre.

Qu’en est-il désormais des possibilités concrètes de modifier ce vécu négatif ? A

quelles conditions, au travers de quels gestes professionnels l’acteur peut-il faire une

expérience plus agréable de la pluralité des attentes ? Nous rapportons ici une situation, vécue

Page 16: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

en première personne, dans le cadre de notre emploi d’enseignant d’EPS à l’Ecole normale

supérieure de Lyon. Mentionnons quelques traits spécifiques de cet environnement éducatif :

au sein de cet établissement d’enseignement supérieur, les élèves ne sont soumis à aucune

obligation d’investissement sportif34

; les pratiquants sont systématiquement volontaires ; ils

ne sont évalués d’aucune façon et s’engagent de manière réversible dans l’activité sportive de

leur choix, sur un mode loisir ou compétitif35

; contrairement au second degré, notre action

n’est encadrée par aucun programme officiel. Dans ce contexte d’intervention, nous avons été

fréquemment confrontés au dilemme suivant : maintenir le plaisir des élèves versus préserver

des objectifs de progrès et de performance. Comment concilier recherche de plaisir et visée

d’apprentissage tout en fidélisant les étudiants ? Peut-on y parvenir sans malaise ou

inconfort ?

En premier lieu, une réflexion (semi-)théorique36

révèle, au-delà de son apparente

irréductibilité, le caractère non contradictoire de cette double préoccupation. Les travaux de

Delignières et Garsault (2004) nous permettent d’intégrer les deux visées dans une stratégie

pédagogique inclusive. Le raisonnement est le suivant : « si l'entrée en pratique peut être

motivée par des raisons diverses (effet de mode, souci de santé…), l'adhésion à long terme est

essentiellement liée à la satisfaction, au plaisir que les individus tirent de leur pratique (Perrin,

1993) ». Traditionnellement, « on considère que le plaisir est associé au jeu, à l'expérience de

sensations fortes ou à la satisfaction de besoins d'affiliation ». Or, « plusieurs travaux récents

(Deci & Ryan, 1985 ; Goudas & Biddle, 1994) ont montré que le plaisir éprouvé dans la

pratique sportive est essentiellement lié d'une part au sentiment d’auto-détermination37

et

d'autre part à l'accroissement du sentiment de compétence »38

. Ces résultats « bouleversent

complètement les représentations classiques du plaisir, notamment en montrant qu’un

déterminant central du plaisir renvoie aux progrès réalisés dans l'activité, c’est-à-dire à

l'apprentissage ». Il était courant en EPS d'opposer le jeu et le travail, c’est-à-dire le plaisir

d’un côté et l’apprentissage de l’autre. Alors que le plaisir n’était toléré que comme « support

motivationnel pour permettre l’apprentissage », ces propositions théoriques le font apparaître

34 Ils suivent par ailleurs une formation académique d’excellence et ce dans des disciplines totalement étrangères

aux STAPS ou Sciences du sport. La pratique sportive répond chez beaucoup à un souci d’équilibre voire de

décompression face à la pression académique subie. 35 Des équipes sont engagées dans les compétitions universitaires académiques. 36 Sa vocation est moins la validité scientifique que l’efficacité pragmatique. 37 C’est-à-dire le fait de pratiquer une activité de son propre gré. L’auto-détermination des étudiants de l’ENS de

Lyon dans la pratique sportive semble atteinte par le fait que leur choix de s’engager dans une activité ne relève

d’aucune obligation administrative ; elle est de leur propre ressort et s’avère à tout moment réversible. 38 Lié à la maîtrise des tâches.

Page 17: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

comme une « conséquence directe de cet apprentissage ». Le plaisir ainsi défini39

se démarque

donc du simple amusement, du défoulement ponctuel ; il s'agit d'une « satisfaction plus

profonde, à l’égard de soi-même et de son activité, avec des retentissements plus durables,

notamment sur l’estime de soi ». Au final, un pratiquant aura tendance à persévérer dans une

activité sportive s’il éprouve le sentiment d’être compétent. De ce sentiment, naîtra la

satisfaction, qui relève d’un plaisir éprouvé à long terme. En s’engageant dans une telle

perspective pédagogique, nos intentions éducatives d’apparence contradictoire cessent de

l’être effectivement : « une didactique du plaisir » doit « favoriser l’apprentissage » en

autorisant « l’accès de chacun à un niveau significatif de compétence dans l’activité

sportive ». Toutefois, pour Delignières et Garsault, deux obstacles sont susceptibles de

contrarier cette didactique du plaisir par l’apprentissage : d’une part la « pluriactivité » qui

s’associe, notamment dans le second degré, à des cycles courts ; d’autre part le manque de

compétences des enseignants dans des disciplines qu’ils ne maîtrisent que superficiellement.

Ces entraves potentielles ne se retrouvent pas dans le contexte de l’ENS de Lyon : en effet,

l’enseignement de chaque activité sportive40

est étalé sur l’année entière (vingt-huit semaines

à raison d’un entraînement hebdomadaire) et pris en charge par un spécialiste de l’activité

(chaque enseignant d’EPS n’encadre, au maximum, que trois activités41

, dans lesquelles il a

un vécu de pratiquant et de praticien). Ces conditions doivent permettre à chaque pratiquant

de devenir, en fonction de son niveau de départ, un « expert » d’une activité sportive ou tout

du moins (ce qui est probablement plus déterminant) de développer le sentiment d’y avoir

atteint « un niveau significatif de compétence ». L’incompatibilité initialement perçue dans la

dynamique de notre action pédagogique entre objectifs de plaisir et d’apprentissage semble se

résoudre, à un niveau cognitif, par l’adoption d’une stratégie éducative qui intègre42

ces deux

finalités dans une démarche commune et unitaire. La stabilisation d’apprentissages techniques

et tactiques (mais aussi de progrès physiologiques) développe un sentiment de compétence43

39 Ce plaisir différé et à long-terme, basé sur la compétence, se rapproche de la « joie » chez Snyders (2008). 40 De façon ultra-majoritaire, un étudiant de l’ENS de Lyon ne s’engage que dans une activité sportive à l’année. 41 Nous enseignons pour notre part le handball, le football et la boxe pieds-poings. 42 Durand (1996) identifie trois stratégies développées par les enseignants pour faire-face à leurs dilemmes : 1) la

conservation du dilemme dans le temps, dans les limites des normes de tolérance et d'acceptabilité de chaque enseignant ; 2) l’abandon d'une des alternatives contradictoires du dilemme, les enseignants se résignant à

renoncer momentanément ou à plus long terme, à l’une de leurs exigences ; ici, il s'agit de supprimer la ligne de

tension en supprimant le dilemme ; 3) la recherche d’un compromis qui permet de négocier une solution

transitoire, certainement pas optimale mais provisoirement viable et relativement satisfaisante. Ria (2001)

démontre que les enseignants débutants, après être restés prisonniers un temps du dilemme (stratégie 1) en

viennent à le résoudre par focalisation exclusive sur une seule de ses alternatives (stratégie 2). La stratégie

intégrative que nous suggérons, en appui sur les travaux de Delignières, coïncide avec la solution 3) même s’il

s’agit davantage d’une inclusion que d’un compromis. 43 La compétence peut être associée à des buts d’accomplissement liés à la maîtrise et/ou à la performance.

Page 18: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

lequel génère de la satisfaction. Celle-ci entraîne une poursuite de l’activité qui favorise elle-

même les apprentissages44

.

Bien qu’incorporée et mise en œuvre, cette démarche ne fait pas disparaître de façon

magique la concurrence persistante des préoccupations de plaisir et d’apprentissage. Elle

n’aborde par exemple la question des plaisirs d’affiliation et des plaisirs sensoriels (Haye,

2007). D’autres référents théoriques devront alors être mobilisés. Par exemple, le plaisir

d’affiliation peut être poursuivi au moyen d’un engagement dans une équipe de sports

collectifs inscrite dans un championnat universitaire ou dans la constitution d’un groupe

d’entraînement de boxe préparant les championnats nationaux. Quant aux plaisirs sensoriels,

liés à l’expérience de sensations agréables, nouvelles et/ou intenses, nous pouvons également

les relier aux perspectives d’apprentissage en mobilisant la « théorie de la dissonance

cognitive » de Berlyne (1960). Plusieurs facteurs, comme la nouveauté, la surprise, la

complexité ou l’incertitude45

, sont susceptibles de créer un décalage entre le vécu du

pratiquant et ses attentes habituelles. S’ensuit l’expérience de sensations inédites qui

augmentent l’activation et a fortiori la motivation intrinsèque (Gouju, 1993).

Il n’est pas ici question de prolonger la dissertation théorique mais simplement de

souligner que, par un effort cognitif, l’acteur confronté à une pluralité d’attentes a priori

contradictoires possède des outils, entre autres scientifiques, pour révéler après-coup des

articulations possibles. D’une certaine façon, par un raisonnement théoriquement ancré,

l’enseignant se donne la possibilité de déconstruire l’invention d’une réalité contradictoire

qu’il avait lui-même bâtie. Son cadre théorique lui fournit une décentration, un « méta-point

de vue » (Morin, 1991) permettant de s’émanciper de sa propre perception du monde46

.

Malgré tout, le détour théorique ne constitue ni la panacée ni le remède miracle ; il doit être

complété par d’autres solutions adaptatives.

En effet, en dépit de notre stratégie pédagogique globale, certaines séances seront

marquées par un ressenti aigu et déstabilisant de nos visées contradictoires : par exemple,

dans une période d’examens, les étudiants se montreront récalcitrants à s’impliquer dans un

44 Lesquels dépendent sans conteste d’un volume important de pratique et de répétition. Sur la réévaluation des

temps nécessaires à l’acquisition d’habiletés motrices complexes, voir (Delignières et al, 1998 ; Nourrit, Lauriot, Deschamps, Caillou & Delignières, 2000 ; Zanone & Kelso, 1997). 45 Evoquons quelques situations pédagogiques susceptibles d’illustrer ces dimensions : en handball, réaliser une

série de shoots par-dessus un tapis vertical : le gardien est masqué et découvre la trajectoire de la balle au dernier

moment ; le tireur doit s’élever au dessus d’un obstacle massif ; en judo, combattre les yeux fermés sur des

randoris souples ; en boxe pieds-poings, réaliser une opposition contrainte où l’un des protagonistes ne peut

utiliser, pour la frappe, que ses poings et l’autre que ses jambes… Au-delà de l’afflux de sensations nouvelles,

l’enseignant poursuit à travers ces situations spécifiques des objectifs d’apprentissage identifiables. 46 Pour Watzlawick (1996), on ne sort d’une double contrainte que « par un recadrage, permettant une lecture de

la situation à un niveau nouveau ».

Page 19: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

travail technico-tactique fastidieux ou dans une séquence lourde de préparation physique.

Pourtant, la séance est prête, préparée de longue date, mais l’ambiance de classe47

y semble

peu propice. Le dilemme apparaît critique. Mais condamne-t-il pour autant à l’inconfort ? De

notre capacité à développer un rapport souple et ouvert au plan dépendra la saveur de notre

vécu. Parviendra-t-on à nous rendre disponibles à ce qui advient, dans l’ici-et-maintenant, à

accueillir ce qui émerge de l’interaction présente ? L’enseignant « tolèrera » d’autant plus le

manque, provisoire et réversible, d’entrain de ses élèves vis-à-vis des tâches fastidieuses, qu’il

saura identifier et contextualiser leurs envies48

. Il s’agira parfois d’accepter de différer

légèrement ses plans et de reconnaître qu’une séance peut être réussie même si elle s’écarte du

programme initial49

. Le fait de différer dans le temps certaines préoccupations ne doit être

perçu ni comme une résignation ni comme de la procrastination50

mais comme une faculté à

accueillir ce qui émerge, à s’y ouvrir lorsque cela émerge : que peut-on faire avec ce que vous

êtes disposés à faire ? Plutôt que de regretter l’absent, il s’agit ici de reconnaître l’existant tout

en ménageant la possibilité que du différent advienne. Ce geste mental, loin d’être anodin,

suppose de « suspendre », de « faire taire en soi » nos habitudes naturelles, notre obsession de

l’efficacité immédiate (Gaillard, 2008). Nombre de tensions que l’individu s’inflige résultent

d’une croyance en une hypothétique perfection. Cette croyance produit habituellement un

volontarisme forcené qui a pour conséquence néfaste de se couper de l’émergent. Au lieu

d’accueillir ce qui advient, le sujet s’entête à chercher à conquérir un idéal inaccessible. Ce

faisant, il se condamne fatalement à l’échec. Tout renoncement (même temporaire) à la

réalisation d’une préoccupation sera alors vécu comme un sacrifice inconcevable. La solution

que nous suggérons est loin d’être parfaite, mais elle peut s’avérer viable, suffisamment

bonne. En matière pédagogique aussi, « le mieux est parfois l’ennemi du bien » (Voltaire,

1772).

Enfin, l’enseignant vivra d’autant mieux sa concurrence des préoccupations qu’il

refusera de s’isoler dans un vécu solitaire du malaise. Là où les débutants cherchent à

dissimuler leur frustration, des professeurs plus expérimentés n’hésiteront pas à jouer avec

leurs affects négatifs, à prendre appui sur eux, à les « théâtraliser »51

(Visioli, Ria & Trohel,

47 L’enseignant y a accès par des indices ténus (comportements hors-tâches, lenteur d’installation…) forgés à

partir de « l’histoire affective de la classe » 48 Par exemple de décompression, de sensations ludiques suscitées par le jeu libre. 49 Cette possibilité doit être rapportée aux particularités du contexte d’enseignement à l’ENS de Lyon : l’activité

est enseignée sur vingt-huit séances, non soumise à programme officiel ni à évaluation… 50 « Tant pis pour aujourd’hui, on le fera plus tard ». 51 Visioli identifie plusieurs cas de figure quant aux rapports entre l’émotion ressentie et son expression,

notamment non verbale : le corps de l’enseignant le trahit en dévoilant son ressenti aux yeux des élèves ; le corps

masque le ressenti de l’enseignant par une attitude neutre ; le corps « théâtralisé » exprime une émotion ne

Page 20: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

2011), jusqu’à en faire des « artéfacts pédagogiques » (Visioli & Ria, 2007). Il s’agit ici de

rechercher un « impact émotionnel à des fins éducatives », de s’appuyer sur la dimension

expressive des affects pour « faire évoluer les valeurs et préférences des élèves ».

L’enseignant ne s’empêche pas ici de verbaliser52

ou d’exprimer corporellement53

sa

déception, son agacement, son insatisfaction, quitte à en forcer le trait. Ce faisant, il

responsabilise ses étudiants (en les mettant face à leurs comportements et leurs conséquences)

en même temps qu’il procède à un « dévoilement » de son propre « stigmate » (ici, un vécu

d’inconfort) ; ce qui ne manquera pas de l’« alléger » (Lacaze, 2006). D’une certaine façon, il

« distribue » sur l’ensemble du « système-classe » la charge affective qu’il aurait dû assumer

seul sans cette communication émotionnelle.

LA PLURALITE DES DISPOSITIONS COMME FACTEUR D’APPROFONDISSEMENT PEDAGOGIQUE ?

Les enseignants d’EPS, travaillés par une pluralité de dispositions théoriques et

pratiques relevant concurremment des modèles de la commande versus de l’autonomie,

peuvent-ils la vivre autrement que sur le mode du clivage, du conflit intrapsychique ou de

l’indifférence à toute théorie ? Au travers de quels gestes professionnels des dispositions

plurielles peuvent-elles se convertir en richesse éducative, en levier d’efficacité

pédagogique ?

A un niveau fondamental, Lahire (1998) trace une voie alternative possible : « tout

individu pluriel (i.e. du point de vue des dispositions) n’est pas un individu clivé ». Le type de

pluralité douloureuse, décrit par Bourdieu, ne constitue qu’un cas particulier d’acteur pluriel.

Ce dernier n’est pas voué à l’image de l’agent double. Il a certes incorporé plusieurs

répertoires de schèmes d’actions et d’habitudes, mais ceux-ci ne sont pas forcément

producteurs de souffrances. Ils peuvent coexister pacifiquement (voir ci-après). L’expérience

douloureuse du dédoublement n’intervient que pour celui dont « la pluralité des schèmes

d’action a fini par rendre impossible l’illusion identitaire de l’unicité de soi ». Seulement dans

ce cas, se pose à l’acteur un problème de cohérence psychique. Lahire met à jour deux

stratégies « non douloureuses » de composition avec la pluralité des dispositions, compatibles

avec le sentiment d’identité à soi-même : dans le code mixing, la réponse apportée par l’acteur

mêle, fait tenir ensemble, des éléments issus de ses divers répertoires d’habitudes ; dans le

correspondant pas au ressenti de l’enseignant ; le corps traduit de manière « sincère » l’expérience de

l’enseignant. 52 L’enseignant s’autorise, par exemple, à ironiser sur des conduites qui peuvent apparaître stupides. L’absurde,

et plus généralement l’humour et la spontanéité, constituent des remèdes pertinents aux injonctions paradoxales à

l’endroit même où, spontanément, on tendrait à se terrer dans le mutisme. 53 Par les gestes, les mimiques, les postures, la voix, traduisant les états affectifs du sujet.

Page 21: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

code switching, les schèmes d’action opposés s’expriment dans des contextes sociaux

distincts et cloisonnés. Ici, la logique de la situation joue un rôle central dans la réactivation

d’une partie des expériences passées incorporées (et l’inhibition des autres) : « la situation

présente réveille ou laisse en veille les habitudes incorporées par les acteurs ». L’enjeu

consiste alors à identifier, dans la situation, l’indicateur pertinent pour l’activation du schème

approprié.

Nous avons mené, dans le domaine de l’EPS, une étude des stratégies déployées in

actu par les enseignants pour composer avec la pluralité de leurs dispositions, notamment

théoriques (Quidu, 2013). Une première stratégie consiste à « spatialiser » ou

« territorialiser » la pluralité des dispositions : les champs de pertinence de chaque disposition

sont délimités de manière pragmatique ; chacune d’entre elles peut aboutir à des actions

efficaces mais dans des conditions différentes et disjointes. L’efficacité des diverses

dispositions fluctue notamment en fonction de l’activité sportive enseignée, du type d’habileté

motrice considéré, de l’étape d’apprentissage.54

Un enseignant interrogé déclare ainsi : « un

savoir n’est utile que dans certaines situations, moins dans d’autres. En sport collectif, il s’agit

d’identifier des alternatives décisionnelles (le cognitivisme nous aide et incite à une démarche

analytique) ; en activité artistique, j’utilise beaucoup la démonstration parce que certains

élèves fonctionnent bien dans cet apprentissage sociocognitif. Selon les moyens différents

d’apprendre des élèves, j’adapte mes propositions ». L’argumentaire est homologue chez deux

autres collègues : « je ne me sens engagé dans aucun champ théorique. Pour les activités ayant

une dimension tactique, je suis un professeur cognitiviste cherchant à faire réfléchir ses

élèves. Dans d’autres, je suis un professeur phénoménologique comme en natation où les

sensations sont importantes. Mais ça dépend aussi des caractéristiques des élèves, du moment

du cycle, de leur niveau. Dans la réalité, les modèles théoriques s’articulent d’eux-mêmes. La

réalité est trop complexe pour la compartimenter comme le font les chercheurs ». Quant au

second, « les cognitivistes sont intéressants lorsque l’on s’intéresse à l’étape fonctionnelle de

l’apprentissage ou dans les activités à dimension stratégique ; les perspectives écologiques et

dynamiques sont intéressantes quand on s’intéresse à la construction d’habiletés fines ».55

Dit

54 Nous rejoignons ici les résultats de Brière-Guenoun, Perez et Durey (2007) ou d’Altet (1994) : cette dernière

constate des changements de styles pédagogiques chez un même enseignant en fonction des tâches, des élèves ou

des contextes. La variabilité comportementale intra-individuelle serait même supérieure à la variabilité

interindividuelle. L’existence d’une telle démarche inclusive est corroborée par Bonnet et Bonnet (2012) : « dans

la pratique, sur le terrain, aucun enseignant ne possède les caractéristiques d’un seul courant. L'enseignement est

rarement monolithique ; se côtoient dans une séance différents types de situations éducatives mettant en jeu des

conceptions parfois très hétérogènes entre elles ». 55 Cette stratégie par territorialisation rejoint le code switching (Lahire, 1998) et la pédagogie conative de Bui-

Xuân (1993). Pour ce dernier, à chaque étape conative, correspond une démarche pédagogique appropriée (jeux

Page 22: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

autrement, ces enseignants « relativisent56

la portée des savoirs scientifiques selon les

contextes »57

. Suivant Fleurance et Cotteaux (1999), pareille flexibilité des démarches

pédagogiques se développerait avec l’accroissement de la maturité professionnelle.

Une seconde stratégie consiste à manipuler successivement les diverses dispositions

(et les référents théoriques qui les structurent) afin d’interpréter des conduites complexes

irréductibles à un cadre d’analyse simple : lorsqu’un premier paradigme s’avère inopérant

pour décrire, interpréter et résoudre les difficultés rencontrées par les élèves, il s’agit de

mobiliser une seconde grille de lecture. Ce sujet incarne cette stratégie articulatoire : « en

sport collectif, lorsqu’un élève ne fait pas les bons choix et perd souvent la balle en contre-

attaque, je me demande : s’agit-il d’un problème de prise d’information (cognitivisme)? De

préoccupations non fonctionnelles (action située) ? De problèmes sensori-moteurs (approche

dynamique)? ». La logique est identique chez un second sujet : « les sciences me servent à

remettre en cause certaines de mes pratiques. Parfois, je n’arrive pas à comprendre tel

phénomène via la théorie A, mais si je regarde avec la théorie B, ça va mieux ». Pour un

troisième, « la mobilisation de théories variées permet de rester ouvert, en recherchant

d’autres causes pour une même conséquence lorsque les interprétations précédentes étaient

infructueuses ». Au final, ces divers enseignants ont su transformer des théories qui leur

avaient été présentées comme incommensurables en autant de ressources complémentaires

pour interpréter finement un comportement. Leur démarche rejoint la proposition

technologique de Derrider (2006) qui suggère « d’utiliser des modèles pour l’intervention…

et d’en changer » : un problème pratique (un élève qui n’apprend pas) est progressivement

résolu en expérimentant diverses alternatives d’explication et d’intervention. L’enseignant

éprouve un certain plaisir, voire une impression de maîtrise, à mener cette activité stimulante

d’enquête à partir d’indices comportementaux ténus. Derrider parle d’un « jeu interprétatif ».

Au final, que les enseignants mobilisent leurs diverses dispositions successivement ou

dans des espaces différents, ils utilisent des concurrents paradigmatiques de façon

pragmatique et contextuelle. Cela leur permet d’affronter la diversité, la complexité et la

pour l’étape émotionnelle ; situations-problèmes pour l’étape fonctionnelle…). Cette différenciation des méthodes en fonction des étapes permet d’atteindre une consonance socio-conative et suscite le plaisir, du

professeur comme des élèves. 56 Les raisonnements développés par les enseignants sur le terrain sont « empiriques ». Ils rejoignent cependant

les efforts théoriques de chercheurs sur l’intervention, soucieux de délimiter expérimentalement les conditions

respectives d’efficacité des diverses méthodes pédagogiques. Ainsi, Laffont (2002) évalue-t-elle l’efficacité

différentielle de plusieurs modalités sociales d’acquisition suivant la nature des savoirs à acquérir, l’âge des

élèves, leur niveau de compétence... L’idée est d’aboutir à une « EPS pluri-procédures » pour répondre à des

« apprentissages pluri-processus ». 57 Ce qui témoigne d’une disposition métacognitive contextualiste (liée au modèle de l’autonomie).

Page 23: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

singularité des conduites motrices comme des environnements58

. La pluralité des dispositions

apparaît ici, non pas comme une source de tensions et de clivages conduisant à la paralysie,

mais comme une condition d’efficacité pédagogique, une ressource pour faire face à la

complexité des conditions d’enseignement ou une ouverture à la diversité des élèves. S’ensuit

une expérience de plaisir chez l’enseignant, liée à un sentiment de compétence et d’auto-

détermination.

S’OUVRIR A LA PLURALITE DES SENSIBILITES POUR GAGNER EN EFFICACITE ?

Récopé considère, dans le domaine de l’enseignement du volley-ball, qu’une seule

sensibilité (en l’occurrence à l’enjeu de la rupture de l’échange) s’avère fonctionnelle,

permettant tout à la fois des performances et des apprentissages maximaux. Tout doit être mis

en œuvre pédagogiquement afin que les élèves soient mobilisés par cette seule sensibilité (ils

vivront alors dans un monde homologue d’actions et de perceptions), laquelle correspond en

outre à celle de l’enseignant. Peut-on envisager un modèle pédagogique alternatif, sans

sacrifier l’ambition de performances sportives ? L’enseignant peut-il s’ouvrir à des

sensibilités plurielles et en retirer de la satisfaction, et non de l’incompréhension, de

l’agacement ou de la frustration comme décrits précédemment ? Nous démontrons, à partir

d’une expérience personnellement vécue dans l’enseignement du handball et tout en

demeurant dans le cadre de la démarche pédagogique proposée par Récopé (c'est-à-dire

attentive aux mobiles sensibles des pratiquants)59

qu’une ouverture à la pluralité des

sensibilités peut constituer pour le professeur une opportunité de transformation de ses

conceptions du jeu et d’optimisation de son efficacité pédagogique.

Récopé incite les professionnels de l’EPS à « identifier, dans chaque activité sportive,

l’objet de sensibilité qui doit prévaloir pour agir efficacement »60

. Dans le domaine du

handball, nous avons considéré que l’enjeu fondamental résidait, tant offensivement que

défensivement, dans la sensibilité à l’intervalle : sensibilité à la prise d’intervalle pour

l’attaque ; sensibilité à la fermeture d’intervalle en défense. Initialement convaincu, après

58 Ce souci de contextualisation des savoirs semble inhérent à toute pratique d’intervention : ainsi, pour Abraham

et Collins (1998), les entraîneurs spécifient, ajustent et paramétrisent les connaissances scientifiques générales en fonction des caractéristiques de leur contexte d’entraînement. Une telle tendance semble toutefois prendre de

l’ampleur avec la diffusion dans les cursus de formation initiale du paradigme de l’action située et des modèles

de la complexité. 59 Récopé préconise d’ancrer l’intervention sur le développement des raisons d’agir plutôt que sur l’acquisition

des savoir-faire. Sans contester que l’« agir » et le « faire » sont tous deux nécessaires à l’efficacité, l’auteur

suggère une entrée par les mobiles d’agir. Nous faisons nôtre cette entrée mais nous éloignerons de Récopé

quant au traitement suggéré des sensibilités plurielles. 60 Cette « sensibilité prévalente » rejoint l’idée d’« essence de l’activité » proposée par les technologues des

activités sportives.

Page 24: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

Récopé, que « l’enjeu premier de toute perspective de formation consiste à favoriser chez tous

les pratiquants l’avènement d’une sensibilité à l’essence », nous avons pédagogiquement

entrepris de développer chez l’ensemble de nos étudiants une sensibilité à la prise d’intervalle

en attaque. Précisons ici qu’en tant que joueur de handball, nous étions particulièrement

sensibles à la prise d’intervalle et au duel, cette thématique ayant notamment fait l’objet de

notre exposé lors de l’épreuve n°3 d’admission à l’agrégation externe d’EPS61

. Il s’agissait

donc de rabattre la diversité des sensibilités des joueurs en handball sur une seule sensibilité,

jugée la plus déterminante pour la performance et la progression, sensibilité qui

« accessoirement » se trouvait être celle qui nous structurait.

Le constat d’un décalage de sensibilité entre notre propre vécu et celui de plusieurs

élèves indifférents à la prise d’intervalle a tout d’abord suscité chez nous frustration et

incompréhension : comment pouvait-on pratiquer le handball sans être obsédé par la prise

d’intervalle ? Notre réflexe pédagogique a consisté à mettre en place plusieurs stratégies

convergeant vers l’ambition d’installer, uniformément chez tous les pratiquants, une telle

sensibilité jugée seule efficiente. Nous avons ainsi mis en place des situations pédagogiques

stimulant cette prise d’intervalle (deux fronts de joueurs se font face avec l’ambition de

perforer la ligne adverse), aménagé les contraintes réglementaires (possibilité de marcher

balle en main), proposé des échauffements de type rugby, abusé de métaphores suggestives

pour inciter à la « pénétration », à la « perforation », au « déchirement » de la ligne adverse…

Au niveau individuel, les résultats ont été probants : les pratiquants sont devenus, en

quelques mois, plus menaçants pour la ligne défensive adverse ; ils jouaient davantage de

duels ; leurs actions cessaient d’être stériles, passives, exclusivement horizontales. A un

niveau collectif, le jeu est devenu plus vertical. Constatant une certaine emprise pédagogique,

nous avons éprouvé de la satisfaction, celle d’avoir réduit la pluralité des sensibilités à

l’unicité de la seule jugée légitime. L’enseignant se sent alors confirmé dans ses convictions

sensibles par l’intermédiaire de l’évolution de ses élèves. Une telle valorisation narcissique,

plaisante à court-terme, ne nous a toutefois pas empêchés de faire très vite un nouveau

constat, moins agréable, sur l’évolution du jeu collectif de notre équipe : chaque joueur

évoluant désormais dans une obsession outrancière de la pénétration et de la prise d’intervalle,

la circulation du ballon a rapidement perdu en fluidité et en vitesse. Le ballon était moins

vivant, souvent enterré par les neutralisations adverses, l’espace de jeu effectif s’était restreint

61 La tendance à considérer sa propre sensibilité comme l’essence de l’activité implique des phénomènes

affectifs de réassurance narcissique et de projection. Comme le soulignent Andrieu et Richard (2012), « en EPS,

le corps à corps dans la classe engage l’éducation physique de l’enseignant et de l’enseigné » dont la

« compréhension nécessite une autoréflexivité et une modélisation de la pratique relationnelle ».

Page 25: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

à la zone directement adjacente au porteur de balle. Nos attaques ont perdu en effet de

surprise, l’enchaînement des prises d’intervalle par chacun de nos joueurs devenant

systématique. Nous avons été contraints de reconnaître que notre effort compulsif pour faire

intégrer à chaque joueur, individuellement, la sensibilité à la prise d’intervalle s’était soldé par

une détérioration de la circulation collective du ballon.

Notre conception du jeu (et a fortiori de l’action pédagogique) a été contrainte

d’évoluer, notamment quant au traitement de la pluralité des sensibilités : nous sommes peu à

peu devenus convaincus que l’organisation collective de l’attaque en handball nécessitait la

combinaison d’actions animées par la sensibilité à la prise d’intervalle et par une sensibilité

alternative, en l’occurrence à la « circulation fluide du ballon », à sa transmission rapide, à

l’élargissement de la zone d’attaque. Une bonne séquence d’attaque doit combiner ces deux

propriétés, la perforation et la circulation. Nous aurions pu être tentés de figer chaque joueur

dans un rôle immuable, conformément à sa sensibilité originelle : nous aurions alors eu des

pratiquants qui auraient été des « perforateurs systématiques » quand d’autres auraient été des

« relayeurs systématiques ». Nous avons opté pour une autre conception : développer chez

chaque joueur une double sensibilité, à la prise d’intervalle et à la circulation fluide de la

balle. Suivant les séquences offensives annoncées, chaque joueur devra être capable

d’occuper, temporairement, un rôle de relayeur ou de perforateur. Dès lors, chaque

enclenchement débouchera sur une répartition équilibrée des tâches : le danger sera apporté

par les fonctions de perforation et la vitesse de circulation par les fonctions de relai. Il serait

naïf de notre part de penser que chaque joueur puisse être, de façon absolument équilibrée,

aussi efficace dans les deux rôles. Plus modestement, nous nous efforçons de faire en sorte

qu’ils puissent être capables d’y évoluer alternativement, même si dans des proportions

différentes. Cette possibilité d’évoluer dans les deux rôles, conformément à une double

sensibilité, crée à l’échelle du match et de l’enchaînement des différents enclenchements une

incertitude maximale chez l’adversaire et préviendra l’effet d’habituation, lequel aurait été

probable si les joueurs relayeurs et les joueurs performateurs avaient pu être rapidement

identifiés et canalisés.

Au final, ce récit d’expérience personnelle témoigne d’une évolution possible quant au

traitement de la pluralité interindividuelle des sensibilités. D’une posture réductrice originelle

(où il convenait de rabattre tous les joueurs sur une sensibilité unique), nous nous sommes

progressivement ouverts à la diversité des sensibilités et à l’efficacité de leur combinaison au

service de la dynamique collective de l’équipe. Cette reconnaissance a permis, à notre sens,

d’enrichir notre conception du jeu dans le sens d’un plus grand équilibre collectif entre jeux

Page 26: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

vertical et horizontal, entre menace et continuité. Un sentiment d’efficacité pédagogique peut

ainsi naître de l’ouverture à la pluralité des sensibilités.

CONCLUSION

Après avoir caractérisé trois niveaux de pluralité auxquels pouvait être

quotidiennement confronté l’enseignant d’EPS, nous avons présenté les expériences

corporelles qui y étaient classiquement associées et les stratégies adaptatives mises en œuvre

pour y faire face. Les vécus corrélés aux situations de pluralité des préoccupations, des

dispositions cognitives et des sensibilités sont fréquemment présentés dans la littérature

comme désagréables, inconfortables, frustrants et anxiogènes. Emprisonné par ses affects

négatifs, l’acteur est sommé de résorber la pluralité et y procède majoritairement par

focalisation exclusive sur un pôle du dilemme et mise en sourdine de l’alternative. A cette

vision négative de l’expérience de la pluralité, vouée à être réduite, nous avons voulu ajouter

un visage inédit : d’autres modalités de composition avec la pluralité peuvent émerger des

affects positifs, une ouverture des perspectives et un gain d’efficacité dans l’action

pédagogique. Dit autrement, agir dans la pluralité ne condamne pas mécaniquement à la

souffrance. Il nous faut élargir le modèle de l’acteur pluriel au-delà de la vision d’une

pluralité douloureuse.

Cette voie ouverte mérite d’être approfondie, tout à la fois par des analyses empiriques

en troisième personne et des récits d’expérience éducative en première personne. Cette

confrontation devrait permettre de révéler de nouveaux vécus de la pluralité, de nouvelles

solutions adaptatives. D’éventuelles régularités inter comme intra-individuelles dans la

gestion de la pluralité pourront être mises à jour. Dans ce second cas, un acteur donné

manifeste-t-il des tendances régulières quant à sa façon spécifique de composer avec divers

ordres de pluralité ?

Nous émettons l’hypothèse suivant laquelle la pluralité représente une arme à double

tranchant, et ce dans une gamme potentiellement étendue de niveaux de pluralité62

. La

question devient : à quelles conditions une expérience de la pluralité peut-elle être associée à

un vécu positif ? En découle une seconde interrogation : peut-on faire l’apprentissage de la

pluralité, de son traitement ? Cette possibilité interroge d’autant plus que les situations de

pluralité, quels que soient les niveaux considérés, prolifèrent dans les situations de travail

62 Il peut en aller par exemple dans le domaine des conduites décisionnelles. La pluralité des sources d’influence

dans l’acte décisionnel peut générer aussi bien de l’inconfort voire une paralysie (Renault & Hauw, 2007) que de

l’efficacité et de la robustesse (Mouchet, 2005).

Page 27: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

comme dans la vie quotidienne. Se résigner à n’en retirer que des affects négatifs ne peut

satisfaire dans l’optique d’une « psychologie positive » attentive à la qualité de vie et au bien-

être au travail (Csikszentmihalyi, 2006) mais également dans le but d’une optimisation de

l’efficacité tant individuelle que collective.

Ria (2001) discute cette possibilité dans la perspective du développement des

compétences professionnelles : l’enseignant débutant peut-il apprendre à mieux gérer ses

dilemmes ? L’auteur suggère qu’il est possible d’aider le praticien à sortir de son « enfer

privé », de sa « prison phénoménale » par l’entremise de plusieurs dispositifs : d’une part la

réalisation d’entretiens d’auto-confrontation permettant la conscientisation de ses

préoccupations et de ses dynamiques affectives et autorisant a fortiori « l’élargissement du

champ de la conscience » ; d’autre part l’instauration d’une réflexion collégiale sur les

conditions d’émergence des préoccupations concurrentes, leur résolution mais également leur

prévention. Le dilemme est déconstruit, collectivement et a posteriori : un regard extrinsèque

peut permettre de « relativiser leur dilemme », de « mettre à plat les lignes de tension vécues

de façon conflictuelle » et de « faire prendre conscience aux enseignants que leur perception

de la situation peut constituer pour eux-mêmes un piège ou un cercle vicieux ». En instaurant

un rapport d’extériorité vis-à-vis de sa propre pratique, l’acteur s’autorise une « sortie de soi »

qui l’incitera à reconstruire une « nouvelle réalité ». Il découvre également l’inadaptation de

certains dispositifs pédagogiques, de certaines organisations spatio-temporelles des

apprentissages. Il s’enrichit « d’autres repères, d’autres points de vue ». Ainsi réfléchie et

partagée, l’expérience de la pluralité des préoccupations apparaît comme une source de

connaissances et de compétences professionnelles. L’enjeu n’est pas la disparition de tous les

dilemmes, mais bien la suppression de ceux qui apparaissent comme évitables et la réduction

de l’inconfort occasionné par ceux qui le sont moins.

Quid toutefois de la possibilité pour l’enseignant solitaire, ayant achevé sa formation

initiale et ne disposant plus de ressources comme le conseil pédagogique, l’inspection ou la

formation continue, de progresser suivant cette même logique ? A un premier niveau,

l’enseignant isolé n’est pas totalement seul ; la collectivisation des expériences peut s’opérer

de façon indirecte, par exemple lorsque l’enseignant esseulé prend connaissance des travaux

de Ria et des expériences relatées vécues par les pairs. A un second niveau, l’enseignant peut

mener une activité réflexive qui, sans revêtir la portée réflechissante permise par l’auto-

confrontation médiée, par un tiers, peut autoriser certaines prises de conscience et remises en

Page 28: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

question critiques63

. Cette activité réflexive basée sur les allers-retours entre problématiques

issues du terrain, détours théoriques, expérimentations pédagogiques, évaluations et

identification de nouveaux dysfonctionnements nous a, à titre individuel, permis une

ouverture sur la fécondité de la pluralité des sensibilités en dépassant une vision réductrice de

l’efficacité sportive centrée sur la projection de notre propre sensibilité.

Finalement, apprendre à gérer la pluralité, inter comme intra-individuelle64

apparaît,

non seulement comme un gage de qualité de vie et d’efficacité, mais comme un enjeu sociétal

majeur dans un monde où le pluriel prolifère sans que ne soient parallèlement acquis les

moyens de l’affronter. Il en va ainsi des relations entre cultures (Audet, 2011), entre religions

(Pothin, Sous presse), entre valeurs (Duret, 2010) ou entre langues (Saint-Pierre, 1976), mais

aussi entre paradigmes dans l’espace académique (Quidu, 2011b ; Quidu, 2012).

L’apprentissage de la pluralité devient un impératif voire un défi éthique. Nul ne peut se

contenter des formules vides de contenus, que représentent les incantations politiques au

pluralisme, faisant la preuve de leur échec dans la massification des communautarismes. Dans

une société mondialisée, apprendre à gérer la pluralité devient une condition indispensable du

vivre-ensemble et le meilleur rempart contre le clivage ou le repli. Notre interrogation sur la

pluralité, à partir de l’expérience vécue de l’enseignant d’EPS, n’a donc rien à voir avec un

prosélytisme fasciné mais traduit plutôt l’inquiétant constat du développement des situations

plurielles sans outils pour y faire face. Si la pluralité n’est pas nécessairement une contrainte,

elle n’est pas, symétriquement, forcément une richesse65

. Elle est avant tout un possible. Si

l’on ne peut s’y enfermer comme contrainte, on doit s’y ouvrir comme ressource ; mais ce

processus de renversement s’acquiert, s’exerce, se réfléchit.

Au final, nous ne pouvons que rejoindre Berthelot (2008) pour qui la pluralité est

triplement un fait, une énigme et un danger : un fait que l’on constate car, de façon toute

descriptive, elle est permanente et prolifère ; une énigme car son irréductibilité perdure et

questionne ; son traitement est non aisé, non fluide ; pourquoi est-il si ardu de composer avec

63 Sans garantie pour autant de recul suffisant sur la pertinence des transformations opérées. 64 Morin (1994) fournit dans son autobiographie une illustration d’un cheminement vers l’acceptation de sa

pluralité interne : « j’ai à la fois le sens de l’irréductibilité des contradictions et de la complémentarité des

contraires ; c’est une singularité que j’ai vécue d’abord, subie puis assumée et enfin intégrée dans le concept de dialogique ». 65 Dans le domaine académique, nous avons questionné : « la pluralité théorique est-elle nécessaire au progrès

scientifique ? » (Quidu, 2011). Les positions de Kuhn (1983) et de Feyerabend (1979) s’opposent fortement

quant aux réponses fournies : le premier considère que le conformisme mono-théorique s’est montré

particulièrement efficace et que la nouveauté n’émerge qu’après-coup comme conséquence de cette focalisation

paradigmatique originelle ; le second considère la prolifération d’alternatives paradigmatiques comme une

nécessité, seule garantie des progrès empiriques ; chaque paradigme permet, par contraste et effet de

décentration, de mettre à jour les failles de l’alternative, ce qui n’aurait pu avoir lieu dans un contexte mono-

théorique.

Page 29: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

la pluralité ? ; un danger car une pluralité traitée de façon aveugle peut déboucher sur le

relativisme, c'est-à-dire la négation même de la recherche du bien, du vrai, du juste.

BIBLIOGRAPHIE

Abraham, A., & Collins, D. (1998) Examining and extending research in coach development.

Quest, 50, 59-79.

Andrieu, B., & Richard, G. (2012). Quelle expérience corporelle en STAPS ? STAPS, 98, 7-

22.

Altet, M. (1994). La formation professionnelle des enseignants. Paris : Presses universitaires

de France.

Audet, G. (2011). L’interculturel en classe : pour une prise en compte de la spécificité

culturelle dans l’intervention. McGill Journal of Education, 46 (3), 443-458.

Bateson, G., Jackson, D., Haley, J., & Weakland, J. (1956). Toward a theory of schizophrenia,

Behavioral Science, 1(4), 251-254.

Berlyne, D. E. (1960). Conflict, Arousal and Curiosity. New-York : Mc Graw-Hill.

Berthelot, J-M. (2008). Plaidoyer pour un pluralisme sous contraintes. Revue européenne des

sciences sociales, 140, 35-49.

Bertone, S., Méard, J., Euzet, J-P., Gal-Petitfaux, N., & Durand, M. (2002). Les conflits

intrapsychiques vécus par un enseignant novice en classe d’éducation physique et sportive,

Avante, 8, 1.

Boltanski, L., & Thévenot, L. (1991). De la justification. Paris : Gallimard.

Bonnet, J-P., & Bonnet, C. (2008). Théories de l’apprentissage moteur : étude comparée.

Paris : Actio.

Bonnet, J-P., & Bonnet, C. (2012). La didactique sportive : entre permanences et innovations.

In M. Quidu (Ed.). Les sciences du sport en mouvement. Innovations et traditions théoriques

en STAPS. Paris : L’Harmattan.

Bourdieu, P. (1994). Raisons pratiques. Paris : Seuil.

Brière-Guenoun, F., Perez, S., & Durey, A. (2007). Étude exploratoire des connaissances

mécaniques mobilisées par les enseignants d’EPS. Science et Motricité, 61, 9-23.

Bui-Xuân, G. (1993). Une modélisation du procès pédagogique. In G. Bui-Xuân & J. Gleyse

(Eds.). Enseigner l’EPS. Clermont-Ferrand : AFRAPS.

Canguilhem, G. (1966/1988). Le normal et le pathologique. Paris : Presses universitaires de

France.

Page 30: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

Carnus, M-F., & Terrisse, A. (2013). Didactique clinique de l’EPS. Le sujet enseignant en

question. Paris : Editions Revue EPS.

Clot, Y. (1999). La fonction psychologique du travail. Paris : Presses universitaires de France.

Collinet, C. (2006). Une analyse sociologique des savoirs scientifiques comme ressources

possibles de l’action d’enseignants d’EPS et d’entraîneurs. STAPS, 71, 115-133.

Csikszentmihalyi, M. (2006). La psychologie du bonheur. Paris : Pocket.

Damasio, A. (2002). Le Sentiment même de soi : corps, émotions, conscience. Paris : Odile

Jacob.

Delalandre, M. (2012). La sociologie pragmatique au sein des STAPS. In M. Quidu (Ed.). Les

sciences du sport en mouvement. Innovations et traditions théoriques en STAPS. Paris :

L’Harmattan.

Delignières, D., Nourrit, D., Sioud, R., Leroyer, P., Zattara, M., & Micaleff, J.P. (1998).

Preferred coordination modes in the first steps of the learning of a complex gymnastics skill.

Human Movement Science, 17, 221-241.

Delignières, D., & Garsault, C. (2004). Libres propos sur l’Education physique. Paris :

Editions revue EPS.

Delignières, D., Teulier, C., & Nourrit, D. (2006). Approche dynamique de l’apprentissage

des coordinations motrices : un point sur les recherches actuelles. Revue EPS, 322, 5-12.

Derrider, M. (2006). A l’épreuve du réel : des modèles scientifiques aux modèles pour

l’intervention. Les Cahiers pédagogiques, 441. http://www.cahiers-pedagogiques.com/A-l-

epreuve-du-reel-des-modeles-scientifiques-aux-modeles-pour-l-intervention

Durand, M. (1996). L’enseignement en milieu scolaire. Paris : Presses universitaires de

France.

Durand, M., & Arzel, G. (2002). Commande et autonomie dans la conception des

apprentissages scolaires, de l'enseignement et de la formation des enseignants. In M.

Carbonneau & M. Tardif, M. (Eds.). Les réformes en éducation, leurs impacts sur l'école.

Sherbrooke: Ed. du CRP.

Duret, P. (2010) S’aimer quand on n’a pas les mêmes valeurs. Paris : Armand Colin.

Erhenberg, A. (2000). La fatigue d’être soi : dépression et société. Paris : Odile Jacob.

Famose, J-P. (Ed.) (1991). L'apprentissage moteur : rôle des représentations. Paris : Editions

revue EPS.

Feyerabend, P. (1979). Contre la méthode : esquisse d’une théorie anarchiste de la

connaissance. Paris : Seuil.

Page 31: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

Fleurance, P., & Cotteaux, V. (1999). Construction de l’expertise chez les entraîneurs sportifs

d’athlètes de haut-niveau français. Avante, 2, 54-68.

Gaillard, J. (2000). Du sens des sensations dans les apprentissages corporels. Expliciter, 35.

Gaillard, J. (2001). Faciliter les apprentissages par la médiation ; exemple en natation. Hyper,

215, 13-19.

Gaillard, J. (2008). Vivre dans le respect de soi. Aubagne : Quintessence.

Gaulejac, De, V. (1987). La névrose de classe ; trajectoire sociale et conflits d’identité.

Paris : Hommes et groupes éditeurs.

Goffman, E. (1973). La mise en scène de la vie quotidienne ; 1 La présentation de soi. Paris :

Editions de minuit.

Goffman, E. (1975). Stigmates. Les usages sociaux du handicap. Paris : Editions de minuit.

Gouju, J-L. (1993). Course d’endurance, didactique et motivation. Revue EPS, 241.

Gouju, J-L. (2002). L’action comme fenêtre attentionnelle. Expliciter, 44, 1-9.

Haye, G. (2007). Les singuliers plaisirs pluriels de l’EPS. In P. Gagnaire & F. Lavie (Eds.).

Le plaisir des élèves en EPS : futilité ou nécessité. Paris : AFRAPS.

Hazan, E. (2006). LQR : la propagande du quotidien. Paris : Liber.

Holton, G. (1981). L’imagination scientifique. Paris : Gallimard.

Javeau, C. (2010) Sartre et sa théorie des émotions : une confrontation avec Erving Goffman.

SociologieS. http://sociologies.revues.org/3169

Kaufmann, J-C. (2004). L’invention de soi : une théorie de l’identité. Paris : Armand Collin.

Kuhn, T. (1983). La structure des révolutions scientifiques. Paris : Champs Flammarion.

Lacaze, L. (2006). Le stigmate au miroir de l’estime de soi : le cas du désordre mental face à

l’étiquetage psychiatrique. Université Lyon II, Thèse de doctorat en psychologie sociale.

Laffont, L. (2002). Efficacité comparée de la démonstration explicitée et de l’imitation-

modélisation interactive pour l’acquisition d’une séquence dansée chez des adolescentes de 12

à 15 ans. STAPS, 58, 69-79.

Lahire, B. (1998). L’homme pluriel. Paris : Nathan.

Lahire, B. (2005). L’esprit sociologique. Paris : Editions La découverte.

Léséleuc, De, E. (2006). Del macro al micro; del analisis de la postmodernidad al de la

reflexividad. Revista Internacional de Sociologia, CESIC, 253-257.

Maffesoli, M. (2007). Considérations épistémologiques sur la fractalité. Sociétés, 98, 15-22.

Marcellini, A. (2005). Des vies en fauteuil : usages du sport dans le processus de

déstigmatisation et d’intégration sociale. Paris : CTNERHI.

Morin, E. (1991). La méthode tome 4 : les idées. Paris : Seuil.

Page 32: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

Morin, E. (1994). Mes démons. Paris : Le Seuil.

Mouchet, A. (2005). Modélisation de la complexité des décisions tactiques en rugby. Ejrieps,

7, 3-19.

Nachi, M. (2006). Introduction à la sociologie pragmatique : vers un nouveau style

sociologique ? Paris : Armand Colin.

Nourrit, D., Lauriot, B., Deschamps, T., Caillou, N., & Delignières, D. (2000). The effects of

required amplitude and practice on frequency stability and efficiency in a cyclical task.

Journal of Sport Sciences, 18, 1-12.

Pothin, V. (Sous presse). Le couple interreligieux à l’île de la Réunion. Université de la

réunion, Thèse de doctorat.

Quidu, M. (2011a). L’aventure du corps dans l’épistémologie au 20ème

siècle. In B. Andrieu

(Ed.). Le corps du chercheur : une méthodologie immersive. Nancy : Presses universitaires de

Nancy.

Quidu, M. (2011b). Les STAPS face à la pluralité épistémique. Université Nancy II, Thèse de

doctorat.

Quidu, M. (2012). Traiter la pluralité en science et en société : quelles homologies ? Congrès

de la Société de philosophie des sciences. Montréal, 1-3 juin 2012.

Quidu, M. (2013). Approches pragmatique et dispositionnaliste du rapport aux savoirs

scientifiques des enseignants d’Education physique, agrégés et normaliens. Revue des

sciences de l’éducation, 38 (1).

Récopé, M. (2006). Normativité et sensibilité : une perspective généalogique d’étude du

mouvement et de l’action. Université de Clermont, Habilitation à diriger les recherches.

Récopé, M., Rix, G., Fache, H., & Lièvre, P. (2006). Sensibilité et mobilisation. Ejrieps, 9,

51-66.

Récopé, M., Fache, H., Boyer, S., & Rix-Lièvre, G. (2013). Unité et pluralité du vécu corporel

en situation motrice. Movement & Sport sciences.

Renault, G., & Hauw, D. (2007). Agir en situation incertaine : une approche située de

l’activité du joueur en basket-ball. Journées de la société française de psychologie du sport.

Ria, L. (2001). Les préoccupations des enseignants débutants en EPS : étude de l’expérience

professionnelle et conception d’aides à la formation. Université de Montpellier, Thèse de

doctorat.

Ria, L., Saury, J., Sève, C., & Durand, M. (2001). Les dilemmes des enseignants débutants :

études lors des premières expériences de classe en Education physique. Science & Motricité,

42, 47-58.

Page 33: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

Ribot, T. (1896). La psychologie des sentiments. Paris : Alcan.

Rix, G. Récopé, M. & Lièvre, P. (2005). Etude anthropologique des pratiques des expéditeurs

polaires à ski : une approche du corps agissant et vécu. In G. Boëtsch (Ed.), Le corps de

l’alpin : perceptions, représentations, modifications. Gap : Editions des Hautes Alpes.

Saint-Pierre, M. (1976). Bilinguisme et diglossie dans la région montréalaise. Cahier de

linguistique, 6, 179-198.

Sarremejane, P. (2004). L’EPS depuis 1945. Paris : Vuibert.

Sartre, J-P. (1938). Esquisse d’une théorie des émotions. Paris : Hermann.

Schön, D. (1994). Le praticien réflexif. Québec : Logiques.

Smart, L., & Wegner, D. (2000). The hidden costs of hidden stigma. In F. Todd, R. Kleck, M.

Hebl & J. Hull (Eds.). The social psychology of stigma. New York : Guilford.

Snyders, G. (2008). J'ai voulu qu'apprendre soit une joie. Paris : Sylepse.

Suchman, L. (1990). Plans d’action. Raisons pratiques, 1.

Terral, P., & Collinet, C. (2007). L’utilisation des savoirs scientifiques par les enseignants

d’EPS : entre description, prescription, justification et méta-cognition. Terrains et Travaux,

12, 118-137.

Theureau, J. (2009). Le cours d’action : méthode réfléchie. Toulouse : Octarès.

Thévenot, L. (2006). L’action au pluriel : sociologie des régimes d’engagement. Paris : La

découverte.

Tochon, F. (1991). Les critères d’expertise dans la recherche sur les enseignants. Mesure et

évaluation en éducation. 14 (2), 57–81.

Visioli, J., & Ria, L. (2007). Les émotions des enseignants experts comme artéfacts

pédagogiques. Colloque Analyse des pratiques en EPS : expériences marquantes et gestes

professionnels, Clermont-Ferrand.

Visioli, J., & Ria, L. (2010). L’expertise des enseignants d’EPS : quelle prise en compte du

contexte et des émotions ? Science & Motricité, 71, 3-20.

Visioli, J., Ria, L., & Trohel, J. (2011). Corps et théâtralité dans l’activité des enseignants

d’EPS lors de leurs interactions avec les élèves : apports d’une analyse conjointe du cours

d’action et d’une analyse proxémique. Colloque international INRP.

Voltaire. (1772). La begueule. Nabu Press.

Von Uexküll, J. (1984). Mondes animaux et mondes humains. Paris: Denoël.

Watzlawick, P. (1996). L’invention de la réalité. Paris : Seuil.

Page 34: FAIRE L EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE LE CAS DE …poincare.univ-lorraine.fr/sites/poincare.univ... · A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité

A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.

Zanone, P-G., & Kelso, S. (1997). The coordination dynamics of learning and transfer :

Collective and component levels. Journal of Experimental Psychology: Human Perception

and Performance, 23(5), 1454-1480.