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FAMILLE ET SEXUALITÉ CHEZ MICHEL FOUCAULT Rémi Lenoir Publications de la Sorbonne | Sociétés & Représentations 2006/2 - n° 22 pages 189 à 214 ISSN 1262-2966 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2006-2-page-189.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Lenoir Rémi,« Famille et sexualité chez Michel Foucault », Sociétés & Représentations, 2006/2 n° 22, p. 189-214. DOI : 10.3917/sr.022.0189 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Publications de la Sorbonne. © Publications de la Sorbonne. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.163.236.151 - 24/03/2015 13h57. © Publications de la Sorbonne Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.163.236.151 - 24/03/2015 13h57. © Publications de la Sorbonne

Famille Et Sexualite en Foucault

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FAMILLE ET SEXUALITÉ CHEZ MICHEL FOUCAULT Rémi Lenoir Publications de la Sorbonne | Sociétés & Représentations 2006/2 - n° 22pages 189 à 214

ISSN 1262-2966

Article disponible en ligne à l'adresse:

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Lenoir Rémi,« Famille et sexualité chez Michel Foucault »,

Sociétés & Représentations, 2006/2 n° 22, p. 189-214. DOI : 10.3917/sr.022.0189

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Alors que de nombreux travaux sur la famille se réclament de Michel Foucault, cedernier semble n’y avoir porté qu’une attention furtive même si, dans ses derniersouvrages, notamment dans les trois tomes de son Histoire de la sexualité (Paris,Gallimard, 1984) et ses Cours du milieu des années Soixante-dix (Paris, Gallimard/LeSeuil, coll. « Hautes études », 1997-2004), elle est l’objet d’une réflexion croissante etapprofondie1. Ainsi l’index des quatre gros volumes de Dits et écrits (Paris, Gallimard,1984) qui réunit, en dehors de ses ouvrages, l’ensemble de ses textes et interventionsorales, n’a-t-il pas d’entrée « famille », et si cette entrée figure bien dans certains des Cours– la plupart sont parus à présent –, elle y apparaît cependant comme incidente tant surle plan conceptuel et théorique (« corps », « discipline », « dispositif », « gouvernemen-talité », « souveraineté », « norme », « sexualité ») que sur celui des objets d’analyse(« folie », « prison », « onanisme », « libéralisme »). D’ailleurs, aucun article ou interven-tion dans les nombreux colloques sur Foucault, et dont les actes ont été publiés, neconcerne la famille. Et, même lorsque Foucault prend apparemment la famille commeobjet ainsi que c’est le cas dans l’ouvrage qu’il a écrit avec Arlette Farge sur les lettres decachet (Le Désordre des familles, Paris, Gallimard, 1982), c’est pour étudier comment « lasouveraineté politique vient s’inscrire au niveau des plus élémentaires relations sociales;de sujet à sujet, entre les membres d’une même famille…2 ».

FAMILLE ET SEXUALITÉ CHEZ MICHEL FOUCAULT

Remi Lenoir

1. On connaît notamment les livres, parus pendant cette période, de Jacques Donzelot, La Police desfamilles (Paris, Minuit, 1977) et de Philippe Meyer, L’Enfant et la raison d’état (Paris, Le Seuil, 1977) ainsique le numéro Disciplines à domicile. L’édification de la famille de Recherches (n° 28, nov. 1977). Et, endehors de la stricte mouvance foucaldienne, voir par exemple, Claude Liscia, Familles hors la loi, Paris,Maspéro, 1978.2. Arlette Farge, Michel Foucault, Le Désordre des familles. Lettres de cachet des Archives de la Bastille, Paris,Gallimard/Julliard, 1982, p. 347.

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Aussi, la famille ne participe-t-elle pas à ce qu’Arnold Davidson nomme « l’espaceconceptuel » et le « style de raisonnement » de Foucault3. Pourtant celui-ci a écrit sur lafamille. La première série d’analyses qu’il lui a consacrée se trouve essentiellement dansun ouvrage, La Volonté de savoir (Paris, Gallimard, 1976) et dans ses cours au Collège deFrance au milieu des années Soixante-dix (notamment, Le Pouvoir psychiatrique, Paris,Gallimard/Le Seuil, coll. « Hautes études », 2003 et Les Anormaux, Paris, Gallimard/LeSeuil, coll. « Hautes études », 1999).

Voici comment Foucault présentait la série de ses travaux menés depuis le milieu desannées Soixante:

Comment ces comportements [sexuels] sont-ils devenus des objets du savoir? Par quelles voies etpour quelles raisons s’est organisé ce domaine de connaissance que l’on circonscrit par ce mot rela-tivement nouveau de ‘‘sexualité” ? […] La sexualité n’est ici qu’un exemple d’un problème généralque je poursuis depuis plus de quinze ans et qui me poursuit depuis plus de quinze ans. C’est leproblème qui détermine presque tous mes livres. Comment dans les sociétés occidentales, laproduction de discours chargés (au moins pour un temps déterminé) d’une valeur de vérité est-elle liée aux différents mécanismes et institutions du pouvoir?4

Ses analyses, on le sait, ont porté plus particulièrement sur les discours sur la sexua-lité. C’est en ces termes qu’il problématise la question de la sexualité par rapport àlaquelle il associe celle de la famille dans la dernière partie du son œuvre:

Naît vers le XVIIIe siècle une incitation politique, économique, technique à parler du sexe. Et nonpas tellement sous la forme d’une théorie générale de la sexualité, mais sous forme d’analyse, decomptabilité, de classification, de spécification, sous forme de recherche quantitative et de causes.[…] Le sexe, ça ne se juge pas seulement, ça s’administre5.

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3. Arnold I. Davidson, L’Émergence de la sexualité. Épistémologie et formation des concepts, Paris, AlbinMichel, 2005, p. 88.4. Michel Foucault, « Sexualité et vérité », in Michel Foucault, Der Will zum Wissen, Frankfurt, SuhrkampVerlag, 1977, p. 78, rééd. in Michel Foucault, Dits et écrits, 1954-1988, t. III, Paris, Gallimard, 1994,p. 137. De même, pour Foucault, les documents de l’affaire Rivière, qu’il publie en 1973, « doiventpermettre d’analyser la formation et le jeu d’un savoir (comme celui de la médecine, de la psychiatrie, dela psychopathologie) dans ses rapports avec des institutions et les rôles qui y sont prescrits (comme l’insti-tution judiciaire, avec l’expert, l’accusé, le fou criminel, etc.). Ils permettent de déchiffrer les relations depouvoir, de domination et de lutte, à l’intérieur desquelles des discours s’établissent et fonctionnent, ilspermettent donc une analyse du discours (et même des discours scientifiques) qui soit à la fois événemen-tielle et politique, donc stratégique », cf. Michel Foucault, « Moi, Pierre Rivière ayant égorgé ma mère, masœur et mon frère… un cas de parricide au XIXe siècle », Dits et écrits, t. III, op. cit., p. 18.5. Michel Foucault, La Volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, pp. 33-35.

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Bref:

C’est la première fois qu’au moins d’une manière constante, une société affirme que son avenir etsa fortune sont liés non seulement au nombre et à la vertu des citoyens, non seulement aux règlesde leurs mariages et à l’organisation des familles, mais à la manière dont chacun fait usage de sonsexe6.

L’autre série d’analyses de la famille porte sur la notion de conjugalité que Foucaultétudie à la fin de sa vie dans le cadre de ses études sur « l’armature fondamentale de lamorale sexuelle moderne7 » et, plus précisément, sur l’évolution des formes de rapportsà soi, qui déterminent, selon lui, les types de rapport à autrui, en particulier celui avec leconjoint (Le Souci de soi, Paris, Gallimard, 1984). Ces travaux, Foucault les a poursuivisen continuité avec ses analyses précédentes de la « gouvernementalité », celles du« gouvernement de soi » venant compléter celles du « gouvernement des autres ».

Le plus souvent, le philosophe fait référence à la famille en quelques pages, fulgu-rantes il est vrai, comme si les définitions (« famille-cellule », « famille relationnelle »,« famille conjugale », « famille parentale ») et les structures de la famille, topiques obligésdes travaux spécialisés (« famille restreinte », « famille patriarcale », « famille réseau »),allaient de soi. Mais Foucault, on l’a dit, ne se donne pas la famille comme objet, ellen’est appréhendée que comme un effet, au double sens d’« effet révélateur » et de produitde ce qu’il appelle les « mécanismes » de pouvoir. Aussi, est-ce principalement par rapportau pouvoir que Foucault parle de la famille: « modèle de souveraineté », d’un côté,« instrument disciplinaire », de l’autre, selon la dichotomie qu’il opère dans les annéesSoixante-dix, entre les deux formes historiques du pouvoir, le système de la « souverai-neté » et le système « disciplinaire ». La famille est avant tout pensée par Foucault commemodèle et comme instrument de pouvoir.

Quelles sont donc, pour Foucault, les relations entre les formes du pouvoir et lesstructures familiales? Les effets des structures de pouvoir n’étant pas les mêmes selon lesclasses sociales, quels sont les modes de contrôle exercés sur les familles selon cesdernières? Une des formes de l’exercice du pouvoir disciplinaire étant, selon Foucault, lamédicalisation de la société et la psychiatrisation, en quoi cette entreprise a-t-elle affectéla famille? Enfin, la famille ayant fait l’objet des réflexions de Foucault sur le pouvoirlorsque celui-ci orientât ses travaux vers ce qu’il appelait les « pratiques de soi », commentanalyse-t-il les conditions sociales de l’émergence de ce qu’il appelle « la conjugalisationde la famille »? Ce sont ces points qui seront développés ici. Si l’on se permet de citerabondamment Foucault, au risque d’évidentes et lassantes répétitions, c’est que ces textesdont certains sont très connus et d’autres qui le sont moins, sont dispersés et gagnent à

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6. Id., p. 37.7. Michel Foucault, L’Herméneutique du sujet. Cours au Collège de France. 1981-1982, Paris, Gallimard/LeSeuil, coll. « Hautes études », 2001, p. 4.

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être lus et interprétés les uns en rapport avec les autres, car leur objet, pourtant claire-ment et nettement circonscrit, s’efface parfois derrière des constructions intellectuelles àla fois plus vastes et plus ambitieuses (les pouvoirs de normalisation, les dispositifs de lasexualité, les relations entre sujet et vérité…).

Formes du pouvoir et structures familiales.

Dans son cours sur le pouvoir psychiatrique, en 1973, Foucault met l’accent, notam-ment par rapport à sa thèse sur L’Histoire de la folie à l’âge classique, publiée douze ansplus tôt (Folie et déraison, Paris, Gallimard, 1961), sur ce qu’il appelle « un dispositif depouvoir », c’est-à-dire un agencement de « techniques », de « stratégies », bref une combi-naison de tous les types d’assujettissements que le pouvoir met en place. La question qu’ilformule est alors la suivante:

Dans quelle mesure un dispositif de pouvoir peut-il être producteur d’un certain nombred’énoncés, de discours et, par conséquent, de toutes les formes de représentations qui peuvent parla suite en découler?8

La famille, selon le philosophe, est une des pièces maîtresses de ces dispositifs depouvoir et de normalisation. En effet, si dans la présentation résumée de son cours sur« le pouvoir psychiatrique », pourtant pour une part consacrée à la famille comme dispo-sitif du pouvoir psychiatrique, la famille n’apparaît pas9, en revanche, elle figure biendans celle de son cours sur les « anormaux », l’année suivante:

La croisade contre la masturbation, écrit-il, traduit l’aménagement de la famille restreinte(parents, enfants) comme un nouvel appareil de savoir-pouvoir. La mise en question de la sexua-lité de l’enfant et de toutes les anomalies dont elle serait responsable, a été l’un des procédés deconstitution de ce nouveau dispositif. La petite famille incestueuse qui caractérise nos sociétés, leminuscule espace familial sexuellement saturé où nous sommes élevés et où nous vivons s’estformé là10.

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8. Michel Foucault, Le Pouvoir psychiatrique, Cours au Collège de France. 1973-1974, Paris, Gallimard/LeSeuil, coll. « Hautes études », 2003, Leçon du 7 nov. 1973, p. 14. On rappelle à ce propos la définitionque Gilles Deleuze auquel Foucault avait emprunté la notion, donnait des « dispositifs »: « Les dispositifs[…] sont des machines à faire voir et à faire parler. […] Chaque dispositif a son régime de lumière, manièredont celle-ci tombe, s’estompe et se répand, distribuant le visible et l’invisible faisant naître ou disparaîtrel’objet qui n’existe pas sans elle ». Gilles Deleuze, « Qu’est-ce qu’un dispositif? », in Michel Foucault philo-sophe. Rencontre internationale, Paris, 9, 10, 11 janv. 1988, Paris, Le Seuil, 1989, p. 186.9. Michel Foucault, « Le pouvoir psychiatrique », in Annuaire du Collège de France, 74e année, Histoire dessystèmes de pensée, année 1973-1974, 1974, pp. 293-300, rééd. in Michel Foucault, Dits et écrits, t. II, op.cit., pp. 675-686.

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Telle est la thèse de Foucault concernant l’évolution de la structure et de l’évolutionde la famille. Mais la famille est, pour Foucault, plus encore: elle a été, par excellence,l’art de gouverner.

Foucault, en effet, identifie l’art de gouverner au gouvernement des enfants, de lamaison, d’une famille11. L’introduction de la notion de « gouvernementalité » quidevient dès le milieu des années Soixante-dix un des concepts essentiels de sa probléma-tique du pouvoir, lui permet de préciser celle de souveraineté qui, selon lui, trouve,jusqu’au XVIIIe siècle, dans le gouvernement de la famille sa forme concrète:

Comment faire, s’interroge-t-il, pour que celui qui gouverne puisse gouverner l’état aussi bien,d’une façon aussi précise, méticuleuse qu’on peut gouverner une famille?12

Telle est la question qu’il se pose à propos des dispositifs disciplinaires qui, dès cetteépoque, tendent de juxtaposer sans toujours s’y substituer aux formes précédentes degouvernementalité. Jusqu’à la parution du Prince, assure Foucault, les théories juridiquesde la souveraineté affirmaient la continuité de toutes les formes de gouvernement dontcelui du prince n’est perçu que comme une des modalités parmi d’autres au même titreque le « gouvernement de soi-même » (la morale), ou celui de la famille (l’économie). Et« dans cette continuité, précise-t-il, la pièce essentielle aussi bien dans la pédagogie [laformation du prince] que dans la police [la gestion de la famille], l’élément central, c’estle gouvernement de la famille, que l’on appelle justement l’‘‘économie’13. »

Selon Foucault, en effet, dans les systèmes où le pouvoir est du type de la souverai-neté, le gouvernement de l’État est assimilé à celui d’une famille:

c’est-à-dire qu’il lui revient de gérer comme il faut les individus, les biens, les richesses, comme onpeut le faire à l’intérieur d’une famille, comme peut le faire un bon père de famille qui sait dirigersa femme, ses enfants, ses domestiques, qui sait faire prospérer la fortune de la famille, qui saitménager pour elle les alliances qui conviennent14.

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10. Michel Foucault, « Les anormaux », in Annuaire du Collège de France, 75e année, Histoire des systèmesde pensée, année 1974-1975, 1975, pp. 335-339, rééd. in Dits et écrits, t. II, op. cit., p. 827.11. Michel Foucault, Les Anormaux, Cours au Collège de France. 1974-1975, Paris, Gallimard/Le Seuil,coll. « Hautes études », 1999, Leçon du 15 janv. 1975, p. 45, Sécurité, territoire, population, Cours auCollège de France, 1977-1978, Paris, Gallimard/Le Seuil, coll. « Hautes études », 2004, Leçon du 1er février1978, p. 96, Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France, 1978-1979, Paris, Gallimard/Le Seuil,coll. « Hautes études », Cours du 7 mars 1979, p. 192.12. Michel Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., Leçon du 1er février 1978, pp. 106-107.13. Id., p. 98.14. Ibid.

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Plus, dans ce système de pouvoir :

le père en tant que porteur du nom et en tant qu’il exerce le pouvoir sous son nom est, affirmel’auteur, le pôle le plus intense de l’individualisation, beaucoup plus intense que la femme et lesenfants. Donc, vous avez là une individualisation par le sommet qui rappelle et qui est le typemême du pouvoir de souveraineté, absolument inverse du pouvoir disciplinaire15.

Par cette homologie des structures familiales et politiques, le gouvernement de lafamille constitue ainsi une « espèce de modèle complet » de l’art de gouverner16.

Ainsi, la pratique des lettres de cachet permet-elle, selon Foucault, de faire voir lefonctionnement concret d’un mécanisme de pouvoir:

non pas bien sûr comme la manifestation d’un « pouvoir » anonyme, oppressif et mystérieux; maiscomme un tissu complexe de relations entre des partenaires multiples: une institution de contrôleet de sanction, qui a ses instruments, ses règles et sa technologie propre, est investie par destactiques diverses selon les objectifs de ceux qui s’en servent ou qui les subissent, leurs effets setransforment, les protagonistes se déplacent, des ajustements s’établissent, des oppositions serenforcent; certaines positions sont affermies, tandis que d’autres sont peu à peu minées. On peutcomprendre à partir de là l’acceptation de cet « arbitraire » de l’internement et le malaise qu’il aprovoqué17.

Au XVIIIe siècle, la famille commence à perdre ce statut de modèle de gouvernement.Elle cède la place à la « population » dont elle n’est plus qu’un « segment », un « instru-ment »18 :

Jusqu’à la problématique de la population, précise Foucault, l’art de gouverner ne pouvait sepenser qu’à partir du modèle de la famille, à partir de l’économie entendue comme gestion de lafamille. […] Elle n’est donc plus un modèle; elle est un segment, segment simplement privilégiéparce que, lorsqu’on voudra obtenir quelque chose de la population quant au comportementsexuel, quant à la démographie, au nombre d’enfants, quant à la consommation, c’est bien par lafamille qu’il faudra commencer. […] La famille, de modèle va devenir instrument. […] Et c’estbien, en effet, à partir du milieu du XVIIIe siècle, poursuit-il, que la famille apparaît dans cetteinstrumentalité par rapport à la population: ça va être les campagnes sur la mortalité, les

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15. Michel Foucault, Le Pouvoir psychiatrique, Paris, Gallimard/Le Seuil, coll. « Hautes études », 1973,p. 82.16. Michel Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 98.17. Arlette Farge et Michel Foucault, Le Désordre des familles, op. cit., pp. 347-348. Selon Foucault lesplacets de famille qui « en appellent au repentir devancent les grands projets philanthropiques du sièclesuivant », Id., p. 356.18. Michel Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., Leçon du 1er février 1978, pp. 106-109.

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campagnes concernant le mariage, les vaccinations, les inoculations, etc. Ce qui fait que la popu-lation permet le déblocage de l’art de gouverner, c’est donc qu’elle élimine le modèle de lafamille19.

Selon Foucault, dans le second XVIIIe siècle, convergent « le développement de lascience du gouvernement, le recentrement de l’économie sur autre chose que la familleet, enfin le problème de la population »: « C’est grâce à la perception des problèmesspécifiques de la population et grâce à l’isolement de ce niveau de réalité qu’on appellel’économie, que le problème du gouvernement a pu enfin être pensé, réfléchi et calculéhors du cadre juridique de la souveraineté20 » (c’est-à-dire hors du modèle familial).L’auteur continue:

La perspective de la population, la réalité des phénomènes propres à la population vont permettred’écarter définitivement le modèle de la famille et de recentrer cette notion d’économie surquelque chose d’autre. En effet, cette statistique qui avait fonctionné jusque-là à l’intérieur descadres administratifs et, donc, du fonctionnement de la souveraineté, cette même statistiquedécouvre et montre peu à peu que la population comporte des effets propres à son agrégation etque ces phénomènes sont irréductibles à ceux de la famille: ça va être les grandes épidémies, lesexpansions endémiques, la spirale du travail et de la richesse. […] Sauf un certain nombre dethèmes résiduels, qui peuvent bien être des thèmes moraux et religieux, la famille comme modèledu gouvernement va disparaître21.

C’est donc une nouvelle problématique du pouvoir, à la fois politique et économique,qui se met en place entre le XVIe et le XVIIIe siècle en Europe occidentale. Foucault ladéfinit et la pose toujours par rapport à la « famille », celle du souverain dans une monar-chie « administrative » dont l’art de gouverner vise à augmenter les richesses, la puissanceet la gloire. Dans le système disciplinaire, la population fait place au souverain: gouvernervise à améliorer son sort, ses richesses, sa santé. À ce changement du sujet de l’art degouverner correspond la production de nouveaux savoirs qui ont la « population » pourobjet, ce que Foucault appelle « l’économie politique » et la « science politique », c’est-à-dire des « savoirs » qui, comme science et comme technique d’intervention, contribuent

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19. Dans la même logique, Foucault affirmait déjà en 1973, dans son cours sur le pouvoir psychiatrique:« Au XIXe siècle, la famille a beau continué à obéir à un modèle de souveraineté, on peut se demander si,à partir du milieu du XIXe siècle peut-être, il n’y a pas une sorte de disciplinarisation interne de la famille,c’est-à-dire un certain transfert, à l’intérieur même du jeu de souveraineté familiale, des formes, desschémas disciplinaires, de ces techniques de pouvoir que donnaient les disciplines ». Cf. Michel Foucault,Le Pouvoir psychiatrique, op. cit., Leçon du 5 déc. 1973, p. 116.20. Michel Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., Leçon du 1er fév.1978, p. 107.21. Ibid., pp. 107-108.

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à l’élaboration de nouvelles « tactiques » dont l’essentiel va consister en des « dispositifsde sécurité ». De même, les « mécanismes » de pouvoir sont bouleversés. En effet:

dans le système de la loi, de l’ordre symbolique et de la souveraineté, affirme Foucault, le prin-cipe: pouvoir tuer pour pouvoir vivre, qui soutenait la tactique des combats, est devenu principede stratégies entre États; mais l’existence en question, n’est plus celle, juridique, de la souverai-neté, c’est celle, biologique, d’une population. Si le génocide est bien le rêve des pouvoirsmodernes, ce n’est pas par un retour aujourd’hui du vieux droit de tuer, c’est parce que le pouvoirse situe et s’exerce au niveau de la vie, de l’espèce, de la race et des phénomènes massifs de popu-lation22.

Et Foucault de commenter cette évolution en ces termes:

Nous sommes centrés dans un type de société où le pouvoir de la loi est en train non pas derégresser, mais de s’intégrer à un pouvoir beaucoup plus général: en gros celui de la norme. […]Ce qui implique un système de surveillance, de contrôle tout autre. Une visibilité incessante, uneclassification permanente des individus, une hiérarchisation, une qualification, l’établissement deslimites, une mise en diagnostic. La norme devient le critère de partage des individus23.

La « famille » participe de cette « mécanique du pouvoir », notamment par les tech-niques disciplinaires dont elle est le lieu, notamment un des lieux où l’assujettissements’effectue par le corps24.

C’est à partir de l’opposition décelée entre les deux formes de pouvoir que Foucaultanalyse les nouvelles fonctions de la famille. Dans les systèmes où le pouvoir était du typede la souveraineté, la famille formait un des dispositifs par lesquels s’exerçait le pouvoir.D’où sa force qui tenait à l’homogénéité de ces dispositifs et à sa relative indétermina-tion. Par exemple, dans le Désordre des familles, Arlette Farge et Michel Foucaultmontrent les correspondances structurelles et fonctionnelles de la famille et de l’étatabsolutiste qui tient, selon eux, au fait que pouvoir souverain découle de la patria

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22. Michel Foucault, La Volonté de savoir, op. cit., p. 180.23. Michel Foucault, « L’extension sociale de la norme » (entretien avec Pierre Werner), Délier la folie,Politique Hebdo, n° 212, 10 mars 1976, pp. 14-16, rééd. in Michel Foucault, Dits et écrits, t. III, op. cit.,p. 75.24. En effet, « Dans toute société, souligne Foucault, le corps est pris à l’intérieur de pouvoirs très serrésqui lui imposent des contraintes, des interdits ou des obligations », cf. Michel Foucault, « Les rapports depouvoir passent à l’intérieur des corps », (entretien avec Lucette Finas), La Quinzaine Littéraire, n° 247,15 janv. 1977, p. 46, in Dits et écrits, t. III, op. cit., pp. 228-236. Cependant « à l’âge des disciplines, qu’ils’agisse de l’école, de l’atelier, de la caserne ou de la prison, les usages du corps sont intensifiés. Mais tandisque ces établissements disciplinaires se multiplient, leurs établissements ont une certaine tendance à sedésinstitutionaliser, à sortir des forteresses closes ou ils fonctionnaient. » Cf. Michel Foucault, Surveiller etpunir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, p. 212.

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potestas25. Il en est ainsi de l’affinité de l’honneur des familles et de l’ordre public pourl’administration:

L’honneur, pour les familles, et l’ordre public, pour l’administration, constituent, soulignent-ils,deux manières de viser le même résultat: établir une régulation permanente du comportement desindividus. […] L’internement s’obtient à l’intersection de ces deux exigences: l’honneur desfamilles est ainsi reconnu comme nécessité d’ordre public. Et le droit des parents, la famillecomme source d’autorité non judiciaire sur les enfants, fussent-ils majeurs, seront validés par lespouvoirs publics, pour autant que leur sentiment interne d’honneur viendra coïncider avec lesrègles de l’ordre collectif26.

En revanche, dans les sociétés où la « microphysique du pouvoir » est de type disci-plinaire, la famille est « concentrée, limitée, intensifiée ». Et Foucault de préciser à cepropos:

Grâce au Code civil, la famille a conservé les schémas de souveraineté: domination, appartenance,liens de suzeraineté, etc., mais elle les a limités aux rapports homme-femme et aux rapportsparents-enfants27.

Aussi, dès le début du XIXe siècle, en une période où se forme le prolétariat, à unmoment où les relations de famille tendent à se fragiliser et la structure familiale à sedécomposer, apparaît l’entreprise de ce que Foucault appelle la « refamilialisation de lasociété »: dans toutes les classes de la société, écrit-il:

les mécanismes disciplinaires ne pouvaient effectivement jouer, mordre avec le maximum d’in-tensité et d’efficacité que s’il y avait à côté d’eux, pour fixer les individus, cette cellule de souve-raineté que constitue la famille. […] Vous avez donc, précise-t-il, entre le panoptique disciplinaire– qui est, je crois, dans sa forme, entièrement différent de la cellule familiale – et la souveraineté

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25. « Longtemps, écrit Foucault, un des privilèges caractéristiques du pouvoir souverain, avait été le droitde vie et de mort. Sans doute dérivait-il formellement de la vieille patria potestas qui donnait au père defamille romain le droit de “disposer” de la vie de ses enfants comme de celles de ses esclaves », in MichelFoucault, La Volonté de savoir, op. cit., p. 177.26. Arlette Farge et Michel Foucault, Le Désordre des familles, op. cit., pp. 169-170.27. Michel Foucault, Le Pouvoir psychiatrique, op. cit., Cours du 28 nov. 1973, pp. 84-85. Dans sa leçondu 5 déc. 1973, Foucault précise à propos de la loi de 1838 : « Le pouvoir d’État ou, disons, un certainpouvoir technico-étatique entre en quelque sorte comme un coin dans le système large de la famille, s’em-pare, en son propre nom, d’un certain nombre de pouvoirs qui étaient ceux de la famille élargie, et prendappui, pour exercer ce pouvoir qu’il vient de s’approprier, sur une entité, je ne dis pas absolument nouvelle,mais une entité nouvellement découpée, renforcée, intensifiée et qui va être la petite cellule familiale », Id.,p. 99.

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familiale un jeu de renvois permanent. La famille, cellule de souveraineté, est perpétuellement, aucours du XIXe siècle, dans cette entreprise de refamilialisation, sécrétée à nouveau par le tissu disci-plinaire parce qu’elle est en fait – toute extérieure qu’elle soit au système disciplinaire, toute hété-rogène qu’elle soit parce qu’elle est hétérogène au système disciplinaire –, elle est un élément desolidité du système disciplinaire28.

Ainsi, même par rapport aux sociétés disciplinaires, la famille joue-t-elle bien le« premier rôle »: si, « rien, dans le fonctionnement de la famille, affirme Foucault, nepermet de voir une continuité entre la famille et les institutions », c’est quand même ellequi « injecte les individus dans les appareils disciplinaires »29. En effet, « la famille n’estpas, selon Foucault, le résidu historique d’un système dans lequel la société était toutentière pénétrée par les dispositifs de souveraineté ».

Plus:

en tant qu’elle obéit à un schéma non disciplinaire, à un dispositif de souveraineté, [elle] est lacharnière, le point d’enclenchement absolument indispensable au fonctionnement même de tousles systèmes disciplinaires. […] C’est parce qu’il y a la famille, déclare Foucault, c’est parce quevous avez ce système de souveraineté qui joue dans la société sous la forme de la famille, que l’obli-gation scolaire joue30.

Et d’ajouter le service militaire, l’atelier, etc. Plus, la famille est devenue:

l’élément de sensibilité qui permet de déterminer quels sont les individus qui, inassimilables à toutsystème de discipline, ne peuvent passer de l’un à l’autre et doivent être finalement rejetés de lasociété pour entrer dans de nouveaux systèmes disciplinaires qui sont destinés à cela31.

Bref:

la famille, en tant qu’elle obéit à un schéma non disciplinaire, à un dispositif de souveraineté, estla charnière, le point d’enclenchement absolument indispensable au fonctionnement même detous les systèmes disciplinaires32.

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28. Ibid., p. 85. On remarquera que Foucault utilise à plusieurs reprises la métaphore traditionnelle de lacellule pour décrire la famille. Il écrit par exemple: « Il fallait cette alvéole intense, cette cellule forte », lafamille « cellule de souveraineté », « micro cellule des parents et des enfants », etc.29. Michel Foucault, Le Pouvoir psychiatrique, op. cit., Cours du 28 nov. 1973, p. 82. Et de préciser dansson cours du 5 déc; 1976 : « Je crois qu’on peut dire que la souveraineté familiale va se trouver à partir dessystèmes disciplinaires, assignée à l’obligation suivante: “Il faut nous trouver des fous, des débiles, desmauvaises têtes, des vicieux”… », Id., p. 116.30. Ibid., p. 82.31. Ibid., p. 83.32. Ibid., p. 82.

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Classes sociales et structures familiales

Dans son cours sur « les anormaux », Foucault tente d’établir une relation entre ledéveloppement des discours sur l’onanisme et la formation de ce qu’il appelle le « moimoderne ». La multiplication des discours sur la masturbation correspond, selon lui, auxchangements des formes d’exercice du pouvoir et à leurs causes (déclin de l’absolutisme,essor de la société civile, essor de la division du travail et différenciation sociale des popu-lations, création d’une sphère privée distincte de la sphère publique, sécularisation de lamorale…), passant de l’exercice du pouvoir souverain sur le corps des sujets au bio-pouvoir, c’est-à-dire au contrôle par des spécialistes des affaires intimes. La sexualité,notamment, devient depuis le milieu du XVIIIe siècle un sujet de connaissance pourtoutes sortes de professionnels. Et de conclure: « La vieille puissance de la mort où sesymbolisait le pouvoir souverain est maintenant recouverte soigneusement par l’admi-nistration des corps et la gestion calculatrice de la vie33 ».

Dans La Volonté de savoir, l’auteur dresse la chronologie de l’invention des techniqueset de la diffusion des « mécanismes de sexualisation », du « dispositif de ‘‘sexualité” » : àla fin du XVIIIe siècle, invention de l’onanisme; dans le premier tiers du XIXe siècle, « orga-nisation de la famille ‘‘canonique’ », la famille devenant un instrument de contrôle poli-tique et de régulation économique indispensable à l’assujettissement du prolétariaturbain (grande campagne pour la « moralisation des classes pauvres »); enfin, à la fin duXIXe siècle, invention des « technologies médicales du sexe », « contrôle judiciaire etmédical des perversions, au nom d’une protection générale de la société et de la race »34.Ainsi, « d’un côté le sexe relève des disciplines du corps: dressage, intensification et distri-bution des forces, ajustement et économie des énergies. De l’autre, il relève de la régula-tion des populations par tous les effets globaux qu’il induit35 ».

Aussi, dans les sociétés disciplinaires, la famille est-elle assimilée par le philosophe à« une instance de contrôle » dont les formes et les finalités varient selon les classessociales:

C’est dans la famille « bourgeoise » ou « aristocratique », écrit-il, que fut problématisée d’abord lasexualité des enfants ou des adolescents; en elle que fut médicalisée la sexualité féminine; elle quifut alertée d’abord sur la pathologie possible du sexe, l’urgence de la surveillance et la nécessitéd’inventer une technologie rationnelle de correction36.

Pour Foucault, les contrôles sexuels les plus rigoureux, « les disciplines du corps »n’ont, en effet, point porté sur les « classes pauvres », mais sur les « classes économique-

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33. Michel Foucault, La Volonté de savoir, op. cit., pp. 183-184.34. Id., pp. 162-163.35. Ibid., p. 192.36. Ibid., p. 159.

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ment privilégiées » et, dans ces dernières plus particulièrement, sur « la femme oisive »,aux limites du « monde » où elle devait toujours figurer comme valeur, et de la familleoù on lui assignait un lot nouveau d’obligations « conjugales et parentales », et surl’« adolescent », le « collégien », « l’enfant onaniste », « qui risquait de compromettremoins une force physique que des capacités intellectuelles, un devoir moral et l’obliga-tion de conserver à sa famille et à sa classe une descendance saine »37. C’est donc en réfé-rence à ce qu’il appelle un « dispositif de ‘‘sexualité” » qu’est ici analysée la famillebourgeoise et si, selon Foucault, les « couches populaires » ont été également soumises audispositif des « alliances, valorisation du mariage légitime et de la fécondité, exclusion desunions consanguines, prescriptions d’endogamie sociale et locale », « il est, selon lui, peuprobable que la technologie chrétienne de la chair ait jamais eu pour elles une grandeimportance »38.

L’auteur distingue, en effet, « deux processus de formation de la famille cellulaireautour du danger de la sexualité39 », l’un dans la famille bourgeoise, l’autre dans lafamille ouvrière: « deux modes de sexualisation de la famille ou deux modes de familia-lisation de la sexualité, deux espaces familiaux de la sexualité et de l’interdit sexuel40 ».Dans la famille bourgeoise, la sexualisation dangereuse est celle de la sexualité de l’enfantet exige l’« intervention de la médecine, et, plus précisément, de la psychanalyse, qui vaapparaître comme la technique de gestion de l’inceste infantile et de tous ses effetsperturbateurs dans l’espace familial41 ».

Toute l’existence de la folie, affirme-t-il, dans le monde qu’on lui prépare maintenant, se trouveenveloppée dans ce qu’on pourrait appeler, par anticipation, un « complexe parental ». Les pres-tiges du patriarcat revivent autour d’elle dans la famille bourgeoise. C’est cette sédimentationhistorique que la psychanalyse, plus tard, remettra à jour, lui prêtant par un nouveau mythe le sensd’un destin qui sillonnerait toute la culture occidentale et peut-être toute civilisation, alors qu’ellea été lentement déposée par elle, et qu’elle ne s’est solidifiée que tout récemment, dans cette finde siècle où la folie s’est trouvée deux fois aliénée dans la famille – par le mythe d’une désaliéna-tion dans la pureté patriarcale, et par la situation réellement aliénante dans un asile constitué surle mode familial. Désormais, et pour un temps dont il n’est pas encore possible de fixer le terme,les discours de la déraison seront indissociablement liés à la dialectique mi-réelle, mi-imaginaire,de la famille42.

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37. Ibid., p. 160.38. Ibid.39. Michel Foucault, Les Anormaux, op. cit., Cours du 5 mars 1975, p. 256.40. Id., p. 258.41. Ibid., p. 257.42. Michel Foucault, Le Pouvoir psychiatrique, op. cit., Leçon du 7 nov. 1973, p. 17.

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Dans la famille ouvrière, en revanche, ce qui est constitué comme dangereux est« l’appétit incestueux et dangereux des parents ou des aînés43 » et appelle, pour Foucault,l’intervention judiciaire, policière ou sociale. Donc, deux types d’incestes, selon qu’ils’agit de la famille bourgeoise ou de la famille ouvrière, l’une qui maintient l’enfant dansla famille et l’autre qui, au contraire, l’en fait sortir. La première présente l’inceste comme« fatalité du désir lié à la formation de l’enfant », l’autre « décrit l’interdiction de l’incestecomme nécessité sociale44 ».

Ainsi, loin d’être une nouvelle dimension de l’« ascétisme bourgeois », une nouvelleforme d’un renoncement au plaisir, une « disqualification de la chair », la « sexualisationde la société » est « une intensification du corps, une problématique de la santé et de sesconditions de fonctionnement ». Il s’agit de « nouvelles techniques pour maximaliser lavie », de « l’auto-affirmation d’une classe, plutôt que l’asservissement d’une autre: unedéfense, une protection, un renforcement, une exaltation, qui furent par la suite – au prixde différentes transformations – étendus aux autres comme moyen de contrôle écono-mique et de sujétion politique »45. Et Foucault de conclure:

Le sexe n’est pas cette partie du corps que la bourgeoisie a dû disqualifier ou annuler pour mettreau travail ceux qu’elle dominait. Il est cet élément d’elle-même qui l’a, plus que tout autre,inquiétée, préoccupée, qui a été sollicitée et obtenu ses soins et qu’elle cultive avec un mélange defrayeur, de curiosité, de délectation et de fièvre. […] Le « sang » de la bourgeoisie, fut son sexe.Et ce n’est pas là un jeu sur les mots; beaucoup des thèmes propres aux manières de caste de lanoblesse se retrouvent dans la bourgeoisie du XIXe siècle, mais sous les espèces de préceptes biolo-giques, médicaux ou eugéniques; le souci généalogique est devenu préoccupation de l’hérédité;dans les mariages, on a pris en compte non seulement des impératifs économiques et des règlesd’homogénéité sociales, non seulement des promesses de l’héritage mais les menaces de l’hérédité.[…] Mais, précise Foucault, dans ce souci du corps sexuel, il y avait plus que la transposition bour-geoise des thèmes de la noblesse à des fins d’affirmation de soi-même. Il s’agissait aussi d’un autreprojet: celui d’une expansion indéfinie de la force, de la vigueur, de la santé, de la vie. La valori-sation du corps est bien à lier avec le processus de croissance et l’établissement de l’hégémoniebourgeoise: non point cependant à cause de la valeur marchande prise par la force de travail, maisà cause de ce que pouvait représenter politiquement, économiquement, historiquement aussi pourle présent et pour l’avenir de la bourgeoisie, la « culture » de son propre corps46.

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43. Michel Foucault, Les Anormaux, op. cit., Cours du 5 mars 1975, p. 257.44. Id., p. 258.45. Michel Foucault, La Volonté de savoir, op. cit., pp. 162-163.46. Id., pp. 163-165.

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Dispositifs d’alliance et dispositifs de sexualité

Retraçant l’histoire de la famille, le philosophe s’interroge sur le respect de la « règledu mariage » et donc du dispositif d’alliance dont ont fait preuve les habitants tant descampagnes que des villes et même les populations pauvres. Après avoir évoqué lescontrôles ecclésiastique, social et judiciaire, il développe:

Vraisemblablement et plus fondamentalement, le mariage était lié à tout un système d’échange debiens, même chez les gens relativement pauvres. Il était lié, en tout cas, au maintien ou à la trans-formation des statuts sociaux. Il était lié aussi à la pression des formes de vie communautaire dansles villages, dans les paroisses, etc. Bref, le mariage n’était pas simplement la sanction religieuse oujuridique d’un rapport sexuel. C’était finalement, tout le personnage social, avec ses liens, qui setrouvait engagé47.

Avec la formation d’un prolétariat urbain, ces « raisons d’être du mariage, tous cesliens, toutes ces pesanteurs, qui donnaient au mariage sa solidité et sa nécessité, tous cesrapports du mariage deviennent inutiles48 ». C’est pourquoi, selon Foucault, lescampagnes en faveur du mariage ont visé non seulement à stabiliser la main-d’œuvre,mais aussi à ordonner les relations au sein de la famille, notamment en spécialisant l’es-pace de l’habitat, spécialisation qui, comme on le verra à propos de ce que Foucaultappelle « l’espace familial », participe des dispositifs disciplinaires49.

À cet égard, dans son cours sur le pouvoir psychiatrique, Michel Foucault critique ledernier chapitre de son livre Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge classique50 en cestermes:

Ce n’est pas vrai que ce soient le père et la mère, ce n’est pas vrai que ce soient les rapports carac-téristiques de la structure familiale que la pratique psychiatrique irait emprunter et viendraitplaquer sur la folie et la direction des aliénés. Le rapport à la famille, il va se produire dans l’his-toire de la psychiatrie, mais il se produira plus tard, et, autant que je puisse voir jusqu’à présent,c’est du côté de l’hystérie, qu’il faut saisir le moment où se fait la greffe d’un modèle familial surla pratique psychiatrique51.

R. Lenoir, « Famille et sexualité chez Michel Foucault », S. & R., n° 22, oct. 2006, pp. 189-214.

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47. Michel Foucault, Les Anormaux, op. cit., Cours du 5 mars 1975, p. 254.48. Ibid., pp. 254-255.49. Dans son analyse sur l’évolution de l’alliance matrimoniale à l’époque hellénistique, Foucault tientcompte également de la signification du mariage selon les classes sociales, cf. Michel Foucault, Le Souci desoi, Paris, Gallimard, 1984, pp. 92-93.50. Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972 (rééd.), p. 510.51. Michel Foucault, Le Pouvoir psychiatrique, op. cit., Leçon du 14 nov. 1973, p. 27.

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Comme pour les arts de gouverner, plutôt que de famille Foucault parle de « modèlefamilial », en l’occurrence de « l’image ou le personnage du père que le médecin tente deréactiver à l’intérieur de l’espèce asilaire »52. Et Foucault d’ajouter à la liste des notions insa-tisfaisantes, parce qu’elles sont « productrices d’un certain nombre d’énoncés qui se donnentcomme énoncés légitimes53 »: « modèle familial », « norme », « appareil d’État », « violence »,pour leur substituer d’autres concepts qui permettent de poser d’autres questions.

Plutôt, donc, que de parler d’institution, poursuit-il, j’aimerais mieux essayer de voir quelles sontles tactiques qui sont mises en œuvre dans ces forces qui s’affrontent; plutôt que de parler demodèle familial ou d’« appareil d’État », ce que je voudrais essayer de voir, c’est la stratégie de cesrapports de pouvoir et de ces affrontements qui se déroulent dans la pratique psychiatrique54.

L’analyse foucaldienne ne portera donc plus sur « l’édifice juridique de la souverai-neté », les « appareils d’état » et les « idéologies qui l’accompagnent »55, ce qu’il avait faitpour une bonne part dans Surveiller et punir 56, mais sur un ensemble hétéroclite allantdes « dispositifs de savoir », aux « dispositifs disciplinaires » en passant par les « disposi-tifs de sexualité »57.

Même si elle participe des « micro-pouvoirs », de ces « investissements beaucoup plusserrés sur les individus », ce qu’il appelle « le quadrillage des corps »58, la famille, pourFoucault, n’est pas une institution, comme le sont les écoles, les casernes, les prisons oules ateliers. « La famille, spécifie-t-il, est une sorte de cellule à l’intérieur de laquelle lepouvoir qui s’exerce n’est pas, comme on a l’habitude de le dire, disciplinaire, mais aucontraire est un pouvoir du type de la souveraineté »59. Et c’est parce que, restant un

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52. Ibid., Leçon du 7 novembre 1973, p. 17. « Il serait, je crois, tout aussi faux de dire comme on le ditsouvent que la pratique asilaire, le pouvoir psychiatrique ne font pas autre chose que reproduire la familleau profit de, ou sur la demande d’un certain contrôle étatique, organisé par un appareil d’État. Ce n’est nil’appareil d’État qui peut servir de fondement ni la famille qui peut servir de modèle dans ces rapports depouvoir que l’on peut repérer à l’intérieur de la pratique psychiatrique ».53. Ibid., p. 17.54. Ibid., p. 18.55. Michel Foucault, Il faut défendre la société, Cours du 14 janv. 1976, Gallimard/Le Seuil, coll. « Hautesétudes », 1997, pp. 21-36.56. Michel Foucault, Surveiller et punir, op. cit., passim.57. Un dispositif est « un ensemble résolument hétérogène comportant des discours, des institutions, desaménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, desénoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales, philanthropiques, bref: du dit aussi bienque du non dit […]. Le dispositif lui-même, c’est le réseau qu’on peut établir entre ces éléments », MichelFoucault, « Le jeu de Michel Foucault », Ornicar? Bulletin périodique du champ freudien, n° 10, juill. 1977,pp. 62-93, rééd. in Michel Foucault, Dits et écrits, t. III, op. cit., pp. 298-329.58. Michel Foucault, « Sur la sellette », Les Nouvelles littéraires, n° 2477, mars 1975, p. 3 rééd. in MichelFoucault, Dits et écrits, t. II, op. cit., pp. 720-725.59. Michel Foucault, Le Pouvoir psychiatrique, op. cit., Leçon du 28 nov. 1973, p. 81.

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pouvoir de ce type, elle participe du pouvoir disciplinaire. Et Foucault de préciser ce quidistingue la famille des dispositifs disciplinaires. Premièrement:

cet anonymat du pouvoir, ce ruban de pouvoir indifférencié qui se déroule indéfiniment dans unsystème panoptique, rien n’est plus étranger que cela à la constitution de la famille, où aucontraire, le père en tant que porteur du nom et en tant qu’il exerce le pouvoir sous son nom, estle pôle le plus intense de l’individualisation, beaucoup plus intense que la femme et les enfants.Donc, vous avez là une individualisation par le sommet qui rappelle, et qui est le type même dupouvoir de souveraineté, absolument inverse du pouvoir disciplinaire.

Deuxièmement: ce qui est constitutif de la famille est un ensemble de liens établisune fois pour toutes, « les mécanismes de la surveillance ne font que se greffer là-dessus »60.

Troisièmement:

dans la famille, vous avez tout cet enchevêtrement de rapports que l’on pourrait dire hétéroto-piques: enchevêtrement des liens sociaux, contractuels, des liens de propriété, des engagementspersonnels et collectifs, qui rappelle le pouvoir de souveraineté, et pas du tout la monotonie, l’iso-topie des systèmes disciplinaires61.

Enfin:

elle [la famille] est l’échangeur, le point de jonction qui assure le passage d’un système discipli-naire à l’autre, d’un dispositif à l’autre. La meilleure preuve, c’est que lorsqu’un individu se trouverejeté hors d’un système disciplinaire comme anormal, où est-il renvoyé? à sa famille62.

Ainsi, selon le philosophe, la psychiatrie est sortie de l’asile pour prendre en chargeles « irrégularités familiales »:

Elle va être, précise-t-il, un des opérateurs internes qu’on va retrouver indifféremment ou commu-nément dans des dispositifs de pouvoir aussi différents que la famille et le système judiciaire, dansle rapport parents-enfants, ou encore dans le rapport État-individu, dans la gestion des conflitsintra familiaux comme dans le contrôle ou l’analyse des infractions aux interdits de la loi.Technologie générale des individus qu’on va retrouver finalement partout où il y a du pouvoir:famille, école, atelier, tribunal, prison, etc.63

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60. Id., p. 82.61. Ibid., p. 82.62. Ibid., p. 83.63. Michel Foucault, Les Anormaux, op. cit., Cours du 5 mars 1972, p. 260.

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La problématisation de l’enfant permet ainsi l’extension de l’emprise psychiatrique64.Comme l’écrit Guillaume Le Blanc, « La famille est le relais des disciplines dans lamesure où la surveillance qu’elle met en place, par l’intermédiaire du pouvoir médical,sur la sexualité des enfants apparaît comme un instrument privilégié de la défensesociale.65 »

Car, pour Foucault, dans les sociétés disciplinaires:

le père dans la famille n’est pas le « représentant » du souverain ou de l’État; et ceux-ci ne sontpoint les projections du père à une autre échelle. La famille ne reproduit pas la société; et celle-cien retour ne l’imite pas. Mais le dispositif familial, dans ce qu’il avait justement d’insulaire et d’hé-téromorphe aux autres mécanismes de pouvoir, a pu servir de support aux grandes « manœuvres »pour le contrôle malthusien de la natalité, pour les incitations populationnistes, pour la médica-lisation du sexe et la psychiatrisation de ses formes non génitales66.

Aux deux types de société correspondent ainsi des dispositifs familiaux différents:« Un dispositif d’alliance défini par un système de mariage, de fixation et de développe-ment des parentés, de transmission des noms et des biens ». Et « à mesure que lesprocessus économiques et que les structures politiques ne pouvaient plus trouver en luiun instrument adéquat ou un rapport suffisant », le « dispositif d’alliance » a laissé place,sans s’y substituer, à un « dispositif de sexualité ».

En effet:

le dispositif d’alliance, analyse Foucault, se charpente autour d’un système de règles définissant lepermis et le défendu, le prescrit et l’illicite; le dispositif de sexualité d’après des techniquesmobiles, polymorphes et conjoncturelles de pouvoir. Le dispositif d’alliance a, parmi ses objectifsprincipaux, de reproduire le jeu des relations et de maintenir la loi qui les régit; le dispositif desexualité engendre en revanche une extension permanente des domaines et des formes de contrôle.Pour le premier, ce qui est pertinent, c’est le lien entre des partenaires au statut défini; pour lesecond, ce sont des sensations du corps, la qualité du plaisir, la nature des impressions aussi ténuesou imperceptibles qu’elles soient. Enfin, si le dispositif d’alliance est fortement articulé sur l’éco-nomie à cause du rôle qu’il peut jouer dans la transmission ou la circulation de richesse, le dispo-sitif de la sexualité est liée à l’économie par des relais nombreux et subtils mais dont le principalest le corps – corps qui produit et qui consomme. D’un mot, le dispositif d’alliance et ordonnésans doute à une homéostasie du corps social qu’il a pour fonction de maintenir; de là son lienprivilégié avec le droit; de là aussi le fait que le temps fort, pour lui, c’est la « reproduction ». Ledispositif de sexualité a pour raison d’être non de se reproduire, mais de proliférer, d’innover, d’an-

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64. Id., Cours du 19 mars 1975, p. 289.65. Guillaume Le Blanc, La Pensée Foucault, Paris, Ellipse, 2006, p. 111.66. Michel Foucault, La Volonté de savoir, op. cit., p. 132.

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nexer, d’inventer, de pénétrer les corps de façon de plus en plus détaillée et de contrôler les popu-lations de manière de plus en plus globale67.

Ainsi continue-t-il:

La sexualité était en train de naître, de naître d’une technique de pouvoir qui avait été à l’originecentrée sur l’alliance. Depuis, elle n’a pas cessé de fonctionner par rapport à un système d’allianceet en prenant appui sur lui. La cellule familiale, telle qu’elle a été valorisée au cours du XVIIIe siècle,a permis que sur ces deux dimensions principales – l’axe mari-femme et l’axe parents-enfants – sedéveloppent les éléments principaux du dispositif de sexualité (le corps féminin, la précocitéinfantile, la régulation des naissances et, dans une moindre mesure sans doute, la spécification despervers). Il ne faut pas comprendre la famille sous sa forme contemporaine comme une structuresociale, économique et politique d’alliance qui exclut la sexualité ou du moins la bride, l’atténueautant qu’il est possible et n’en retient que les fonctions utiles. Elle a pour rôle au contraire del’ancrer et d’en constituer le support permanent. Elle assure la production d’une sexualité qui n’estpas homogène aux privilèges de l’alliance, toute en permettant que les systèmes de l’alliance soienttraversés de toute une nouvelle tactique de pouvoir qu’ils ignoraient. La famille est l’échangeur dela sexualité et de l’alliance: elle transporte la loi et la dimension juridique dans le dispositif desexualité; et elle transporte l’économie du plaisir et l’intensité des sensations dans le régime de l’al-liance68.

Du fait de cette articulation du dispositif d’alliance et du dispositif de sexualitédécoule nombre de conséquences qui caractérise, selon Foucault, la famille depuis leXVIIIe siècle: la famille est le « lieu obligatoire d’affects, de sentiments, d’amour »; « lasexualité a pour point privilégié d’éclosion la famille »69. Plus, parce que la famille parti-cipe de ces deux dispositifs, elle est, pour Foucault, le lieu d’une contradiction insup-portable: « [l’inceste] apparaît comme ce qui est hautement interdit dans la famille pourautant qu’elle joue comme dispositif d’alliance; mais il est aussi ce qui est continûmentrequis pour que la famille soit bien un foyer d’incitation de la sexualité » (à savoir « l’in-tensification affective de l’espace familial »)70. Foucault voit dans la multiplication desdiscours sur l’inceste et la place centrale qu’occupe l’inceste dans les discours sur la sexua-lité, la manifestation de cette hantise que ce dernier suscite: à la fois interdit et sollicité.D’où l’appel des parents aux médecins, aux pédagogues, plus tard, aux psychiatres, qui,en retour, vont « psychologiser » voir « psychiatriser » les rapports d’alliance.

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67. Id., pp. 140-141.68. Ibid., pp. 142-143.69. Ibid., p. 143.70. Ibid., pp. 143-144.

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Dans cet espace de jeu, précise-t-il, la psychanalyse est venue se loger, mais en modifiant consi-dérablement le régime des inquiétudes et des réassurances. […] Il n’y avait pas de risque que lasexualité apparaisse, par nature, étrangère à la loi, elle ne se constituait que par celle-ci.

Et Foucault de proclamer:

Parents, ne craignez pas de conduire vos enfants à l’analyse: elle leur apprendra que, de toutefaçon, c’est vous qu’ils aiment. Enfants, ne vous plaignez pas trop de n’être pas orphelins et deretrouver toujours au fond de vous-même votre Mère-objet ou le signe souverain du Père: c’estpar eux que vous accédez au désir. […] Dans la pastorale chrétienne, la loi de l’alliance codait cettechaire qu’on était en train de découvrir et elle lui imposait d’entrée de jeu une armature encorejuridique; avec la psychanalyse, c’est la sexualité qui donne corps et vie aux règles de l’alliance enles saturant de désir71.La famille du XIXe siècle est-elle bien une cellule monogamique et conjugale? […], se demandeFoucault, peut-être dans une certaine mesure. Mais elle est aussi un réseau de plaisirs-pouvoirsarticulés selon des points multiples et avec des relations transformables. La séparation des adulteset des enfants, la polarité établie entre la chambre des parents et celle des enfants (elle est devenuecanonique au cours du siècle quand on a entrepris de construire des logements populaires), laségrégation relative des garçons et des filles, les consignes strictes de soins à donner aux nourris-sons (allaitement maternel, hygiène), l’attention éveillée sur la sexualité infantile, les dangerssupposés de la masturbation, l’importance accordée à la puberté, les méthodes de surveillancesuggérées aux parents, les exhortations, les secrets et les peurs, la présence à la fois valorisée etredoutée, les domestiques, tout cela fait de la famille, même ramenée à ses plus petites dimensions,un réseau complexe, saturé de sexualités multiples, fragmentaires et multiples.

Et Foucault de conclure:

Les institutions scolaires ou psychiatriques, avec leur population nombreuse, leur hiérarchie, leursaménagements spatiaux, leur système de surveillance, constituent, à côté de la famille, une autrefaçon de distribuer le jeu des pouvoirs et des plaisirs; mais elles dessinent, elle aussi, des régionsde haute saturation sexuelle, avec des espaces ou des rites privilégiés comme la salle de classe, ledortoir, la visite ou la consultation. Les formes d’une sexualité non conjugale, non hétérosexuelle,non monogame y sont appelées et installées72.

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71. Ibid., pp. 148-149.72. Michel Foucault, La Volonté de savoir, op. cit., pp. 63-64.

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Sexualité et médicalisation de la famille

C’est à propos du champ de l’anomalie et de la psychiatrie que Foucault déclarait:

Je ne serais pas tenté de dire que la sexualité pourchassée et interdite de l’enfant est en quelquesorte la conséquence de la formation de la famille restreinte, disons conjugale ou parentale, duXIXe siècle. Je dirais que, au contraire, elle en est un des éléments constituants73.

Cette thèse, Foucault la soutient tout particulièrement à propos de l’onanisme.En effet, l’invention de la masturbation est, selon Foucault, au principe ou plutôt

participe de la « dramaturgie familiale » dont le canevas est aux XIXe et XXe siècles cettesorte de « corps à corps », au double sens, entre parents et enfants74. Alors qu’avant lemilieu du XVIIIe siècle les interdits sexuels portaient sur les relations avec la parenté, ceux-ci concernent, à la fin de la « monarchie administrative », la sexualité de l’enfant, plusprécisément, « l’activité masturbation » que l’auteur associe au processus de transforma-tion de la famille bourgeoise:

Ce qui est en train de se constituer, détaille-t-il, c’est une sorte de noyau restreint, dur, substan-tiel, massif, corporel, affectif de la famille: la famille-cellule à la place de la famille relationnelle,la famille-cellule avec son espace corporel, avec son espace affectif, son espace sexuel, qui est entiè-rement saturé des rapports directs parents-enfants. […] C’est en faisant valoir la sexualité de l’en-fant, plus exactement l’activité masturbation de l’enfant, c’est en faisant valoir le corps de l’enfanten danger sexuel que l’on a donné aux parents la consigne impérative de réduire le grand espacepolymorphe et dangereux de la maisonnée, et de ne plus faire avec leurs enfants, avec leur progé-niture, qu’une sorte de corps unique, relié par le souci de la sexualité enfantine, par le souci del’auto-érotisme enfantin et de la masturbation75.

Et d’enchaîner:

La sexualité non relationnelle, l’auto-érotisme de l’enfant comme point d’accrochage, commepoint d’ancrage, pour les devoirs, la culpabilité, le pouvoir, le souci, la présence physique desparents, c’est cela qui a été un des facteurs de la constitution d’une famille solide et solidaire, d’unefamille corporelle et affective, d’une petite famille qui se développe au milieu, bien sûr, mais auxdépens aussi de la famille-réseau, et qui constitue la famille-cellule, avec son corps, sa substancephysico-affective, sa substance physico-sexuelle76.

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73. Id., p. 233.74. Michel Foucault, Les Anormaux, op. cit., Cours du 26 fév. 1975, pp. 232-233.75. Id. p. 233.76. Ibid., p. 234.

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Pour Foucault, la masturbation est une des trois figures qui forment le domaine del’anomalie, – qui est devenu le domaine d’ingérence légitime de la psychiatrie auXIXe siècle avec le monstre humain et l’individu à corriger77. Son champ d’apparition estla famille, plus particulièrement, la famille bourgeoise, et, plus précisément encore, l’es-pace familial de la bourgeoisie: « C’est la chambre, le lit, le corps; c’est les parents, lessurveillants immédiats, les frères et sœurs; c’est le médecin: toute une espèce de micro-cellule autour de l’individu et de son corps78 ». Elle est apparue (dans le savoir et les tech-niques pédagogiques) à la fin du XVIIIe siècle.

Ce qui est exigé, c’est au fond une nouvelle organisation, une nouvelle physique de l’espace fami-lial: élimination de tous les intermédiaires, suppression, si possible, des domestiques, en tout cassurveillance très précise des domestiques, la solution idéale étant précisément l’enfant seul, dansun espace familial sexuellement aseptique79.

Le nouvel « espace familial » est alors investi par la rationalité médicale au point oùFoucault parle de famille « médicalisée »80 :

Un engrenage médico-familial organise un champ à la fois éthique et pathologique, où lesconduites sexuelles sont données comme objet de contrôle, de coercition, d’examen, de jugement,d’intervention. Bref, l’instance de la famille fonctionne comme principe de normalisation. […]C’est la famille qui va être le principe de détermination, de discrimination de la sexualité et leprincipe également de redressement de l’anormal81.

Et, plus loin:

Au fond, on branche les parents sur cette tâche infinie de la possession et du contrôle d’une sexua-lité enfantine, qui de toute façon, leur échappera. Mais, grâce à cette prise de possession du corpssexuel, les parents lâcheront cet autre corps de l’enfant qui est son corps de performance ou d’ap-titude82.

L’« entreprise de refamilialisation » (de la société mais aussi de l’individu) est si forteque lorsque la famille n’existe pas ou n’existe plus, se mettent en place « toute une sériede dispositifs disciplinaires qui ont pour fonction de pallier la défaillance de la famille »et « de constituer une espèce de tissu disciplinaire qui va pouvoir se substituer à la famille,

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77. Michel Foucault, Les Anormaux, op. cit., Cours du 19 février 1975, p. 157.78. Id., Cours du 22 janv.1975, p. 54.79. Ibid., Cours du 5 mars 1975, p. 230.80. Ibid., p. 235.81. Ibid., p. 239.82. Ibid., p. 242.

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à la fois reconstituer la famille et permettre qu’on s’en passe »83. Les agents de cette entre-prise sont ceux que Foucault regroupe sous l’expression « la fonction Psy », qui, au débutdu XXe siècle, est « devenue à la fois le discours et le contrôle de tous les systèmes disci-plinaires »84. La fonction Psy « a pour référentiel constant la famille, la souveraineté fami-liale, et ceci dans la mesure même où elle est l’instance théorique de tout dispositifdisciplinaire85. » Dans la société disciplinaire, la « souveraineté familiale » [devient] l’ins-tance de vérité à partir de quoi on pourra décrire, définir tous les processus positifs ounégatifs, qui se passent dans les dispositifs disciplinaires86 ». Enfin, au moment de l’in-vention de l’hystérie, à la fin du XIXe siècle, l’asile, en tant que lieu de production de« discours de vérité », a pour « champ de référence, la famille, les personnages familiaux,les processus familiaux, etc.87 ».

Si Foucault insiste tant sur la famille dans son cours sur Le Pouvoir psychiatrique etconstruit à son propos sa théorie du pouvoir, c’est que, selon lui, « le discours qui naît del’exercice du pouvoir psychiatrique va pouvoir devenir le discours sur la famille, lediscours vrai de la famille, le discours vrai sur la famille88 ». C’est aussi parce que lafamille traverse le fonctionnement de la discipline psychiatrique, « familialise » le milieumédical et qu’elle est elle-même l’objet d’une entreprise de « disciplinarisation » avec sesformes, ses schémas disciplinaires, c’est-à-dire les techniques de pouvoir et de surveillanceque donnent les disciplines:

Vous avez, précise Foucault, d’un côté familialisation d’un milieu thérapeutique pour les maisonsde santé, et d’un autre côté disciplinarisation de la famille, qui va devenir à partir de ce moment-là l’instance d’anomalisation des individus89.

En effet, selon le philosophe, c’est à partir des années 1860-1880, que « la famille anon seulement pu devenir modèle dans le fonctionnement de la discipline psychiatrique,mais surtout a pu devenir horizon et objet de la pratique psychiatrique » et que « c’estbien de la famille qu’il a été question dans la pratique psychiatrique »90. Cette « articu-lation », cet « ajustement » est le résultat de deux processus qui se sont renforcés: « lesprofits d’anomalies, d’irrégularités » (« institutions de profit qui ont essentiellement pourbut de rendre coûteuses à la fois l’anomalie et la rectification de l’anomalie »), et « la miseen place à l’intérieur même de la famille, la mise en place à l’intérieur même de la péda-

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83. Michel Foucault, Le Pouvoir psychiatrique, op. cit., Leçon du 28 nov. 1973, pp. 85-86.84. Id., p. 87.85. Ibid., p. 87.86. Ibid., p. 88.87. Ibid., Leçon du 5 déc. 1973, pp. 95-96.88. Id., p. 96.89. Ibid., p. 115.90. Ibid., Leçon du 12 déc. 1973, p. 123.

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gogie familiale, de techniques psychiatriques » qu’on observe en particulier dans « lapsychologisation de l’enfant à l’intérieur même de la famille »91. Donc, « l’espace de ladiscipline asilaire » s’étend à la famille. Cette diffusion du pouvoir psychiatrique s’estfaite, selon Foucault, à partir de l’enfant92.

L’importance de la famille est telle qu’à partir de 1860-1880, « la famille est mêmedevenue un modèle dans le fonctionnement de la discipline psychiatrique, ainsi que l’ho-rizon et l’objet de la pratique psychiatrique ». Et Foucault de parler d’« œil familial »,devenu peu à peu « regard psychiatrique »93. Le psychiatre « se fait l’agent des dangersintra familiaux dans ce qu’ils peuvent avoir de plus quotidien94 »,

la psychiatrie ne [cherchant] plus essentiellement à guérir. [Celle-ci] peut proposer de fonctionnersimplement comme protection de la société contre les dangers définitifs dont elle peut être lavictime de la part des gens qui sont dans un état anormal95.

Et Foucault d’élargir l’analyse:

Bref l’instance de la famille médicalisée fonctionne comme principe de normalisation. C’est cettefamille […] qui va pouvoir faire apparaître maintenant, à partir des premières décennies duXIXe siècle, le normal de l’anormal dans l’ordre sexuel96.

L’émergence de la conjugalité

Dans ses deux derniers ouvrages la question que se pose Foucault à propos de lafamille est la suivante:

Comment, sous quelle forme, et à partir de quoi les rapports sexuels entre mari et femme ont-ils,dans la pensée grecque, « fait problème »? Quelle raison avait-on de s’en soucier? Et surtout d’in-terroger le comportement du mari, de réfléchir sur sa nécessaire tempérance et d’en faire, danscette société si fortement marquée par la domination des « hommes libres », un thème de préoc-cupation morale?97

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91. Id., p. 124.92. Ibid., p. 199.93. Michel Foucault, Les Anormaux, op. cit., Cours du 5 fév. 1975, pp. 123-124.94. Id., Cours du 12 fév. 1975, p. 136.95. Ibid., Cours du 19 mars 1975, p. 298.96. Ibid., Cours du 5 mars 1975, p. 235.97. Michel Foucault, L’Usage des plaisirs, Paris, Gallimard, 1984, p. 159.

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Cette problématisation à laquelle on assiste à l’époque hellénistique et romaine, « necherche pas à lier la qualité du rapport conjugal à l’intensité du plaisir et à la diversité despartenaires, mais au contraire à dissocier, autant que faire se peut, la constance d’unrapport conjugal unique de la recherche du plaisir98 ».

Et de préciser:

Dans l’ancien système, être marié signifie ici avant tout être chef de famille, avoir une autorité,exercer un pouvoir qui a dans la « maison » son lieu d’application et y soutenir des obligations quiont leurs effets sur sa réputation de citoyen. C’est pourquoi, la réflexion sur le mariage et la bonneconduite du mari est régulièrement associée à une réflexion sur l’oikos (maison et maisonnée)99.

Dans l’éthique de la vie de mariage, la « fidélité » qui est recommandée au mari estdonc quelque chose de bien différent de l’exclusivité sexuelle que le mariage impose à lafemme, elle concerne le maintien du statut de l’épouse, de ses privilèges, de sa préémi-nence sur les autres femmes. […] La tempérance du mari relève d’un art de gouverner,de se gouverner et de gouverner une épouse qu’il faut tenir et respecter à la fois puis-qu’elle est, vis-à-vis de son mari, la maîtresse obéissante de la maison100.

Dans la dernière partie de son œuvre, consacrée à ce qu’il appelle la « stylistique del’existence » et, plus précisément, à la « stylistique de l’amour », Foucault étudie, dans lestraités stoïciens sur la vie matrimoniale, le « lien conjugal » ou la « dualité conjugale »,c’est-à-dire le rapport personnel entre l’homme et la femme comme principe d’un nouvel« art de l’existence »: « La vie de mariage doit aussi être l’art de constituer à deux uneunité nouvelle »101. Et de parler d’« individu conjugal dont la nature s’accomplit dans lapratique de la vie conjugale ». « L’art de la conjugalité, insiste-t-il, fait partie intégrantede la culture de soi102 ». Ce qui est un changement considérable des formes tradition-nelles des relations matrimoniales, puisque l’épouse y est fortement valorisée. C’est alorsqu’apparaît, selon Foucault, une « conjugalisation » des rapports sexuels: « Le mariage,conclut-il, comme lien d’affection et relation de respect, beaucoup plus que commestructure statutaire, appelle à lui toutes les activités sexuelles et condamne toutes cellesqui auraient lieu hors de lui »103.

Foucault dans ses travaux sur la problématisation du rapport à soi voit dans ces trans-formations du couple l’émergence d’une nouvelle morale familiale. « La ‘‘publicisation”progressive du mariage, annonce-t-il, accompagne bien d’autres transformations, dont

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98. Id., p. 160.99. Ibid., p. 167.100. Ibid., p. 183.101. Michel Foucault, Le Souci de soi, op. cit., p. 189.102. Id., p. 191.103. Ibid., p. 204.

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elle est à la fois l’effet, le relais et l’instrument104 ». D’affaire privée, le mariage devientpeu à peu une affaire publique, en tous les cas « publiquement » sanctionnée, une insti-tution civique, comme l’atteste la multiplication des mesures législatives. Comme lerappelle Foucault, dans sa forme antérieure, le mariage, bien qu’acte privé, avait des« effets de droit ou du moins de statut: transmission d’un nom, constitution d’héritiers,organisation d’un système d’alliances, jonction de fortunes105 ». Ces impératifs ontprogressivement perdu leur importance lorsque les classes privilégiées ont dû leur posi-tion à leur proximité du prince et au développement des fonctions publiques ou para-publiques, et non plus aux seules alliances entre groupes familiaux, comme c’était le caslorsqu’il s’agissait d’une aristocratie foncière, stricto sensu.

Le mariage a été alors ressenti, selon l’expression de Foucault, comme plus « libre »,comme une « union librement consentie entre deux partenaires »: « libre dans le choixde l’épouse, libre aussi dans la décision de se marier et dans les raisons personnelles de lefaire106. » Cette évolution résulte du fait que « la position de l’homme citoyen » a perduune part de son importance politique et du renforcement du rôle économique et de l’in-dépendance juridique de la femme, comme l’atteste la moindre autorité du père sur sesfilles: « Le mariage se conclut de plus en plus nettement comme un contrat voulu par lesdeux conjoints qui s’y engagent personnellement107 ». De sorte que:

Par mariage, il ne faut pas entendre seulement l’institution utile à la famille ou à la cité, ni l’acti-vité domestique qui se déroule dans le cadre et selon les règles d’une bonne maisonnée, mais bien« l’état » du mariage comme forme de vie, existence partagée, lien personnel et position respectivedes partenaires dans cette relation108.

Cette nouvelle attitude face au couple, suppose un nouveau mode de vie, un nouveaumode de relations entre deux partenaires qui ne tient pas seulement au fonctionnementde l’oikos:

Dans ce lien, précise Foucault, l’homme a à régler sa conduite, non seulement à partir d’un statut,de privilèges et de fonctions domestiques, mais aussi à partir d’un « rôle relationnel » à l’égard desa femme; […] ce rôle n’est pas seulement une fonction gouvernementale de formation, d’éduca-tion, de direction, mais il s’inscrit dans un jeu complexe de réciprocité affective et de dépendanceréciproque109.

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104. Ibid., p. 92.105. Ibid.106. Ibid., p. 93.107. Ibid., p. 94.108. Ibid., pp. 96-97.109. Ibid., p. 99.

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Les changements dans la « pratique » matrimoniale (elle n’est saisie qu’à travers destraités de vie matrimoniale, des extraits de correspondance, des biographies) correspon-dent, affirme Foucault, à des transformations dans le jeu politique et plus exactementdans l’ethos du citoyen110.

Foucault montre combien la transformation de l’état (liée à des changements destructures économiques) implique une transformation de la famille tant dans son instru-mentalité qu’en sa finalité111. Ce que souligne Foucault, en effet, c’est qu’on ne peutcomprendre ce qu’on appelle la famille que par ce qui lui est extérieur, et que cet exté-rieur s’est constitué avec le passage d’un état administratif à un état de gouvernement,qui contrôle par des dispositifs de sécurité et des savoirs instrumentalisés une population(et donc en ne s’imposant pas à elle en imposant sa loi et, par là, sa souveraineté): « passerhors de l’institution pour lui substituer le point de vue global de la technologie depouvoir112 ». Plus, ce passage à l’extérieur, l’est aussi par rapport aux fonctions attenduesde la famille: il convient de replacer la famille dans une économie générale, c’est-à-diredans les stratégies et les tactiques du pouvoir, bref, les disciplines. Cette démarcheconsiste, pour reprendre les formulations de Foucault, à « refuser de se donner un objettout fait », à « refuser de vouloir mesurer les institutions, les pratiques et les savoirs àl’aune et à la norme de cet objet tout donné » et à « essayer de replacer [l’étude] du pointde vue de la constitution des champs, domaines et objets de savoir »113.

Ce que Foucault tente de faire à propos de l’état, ne conviendrait- il pas de le faire àpropos de la famille elle-même, ce qu’il a lui-même esquissé? D’où la question: est-ce quel’on peut passer à l’extérieur de la famille? Quel est l’extérieur de la famille? Sans doute,selon Foucault, la famille n’est-elle qu’une institution « locale, régionale, ponctuelle » etla « généralité extra-institutionnelle, la généralité non fonctionnelle, la généralité nonobjective […] nous mettent en présence de l’institution totalisatrice de l’état114 ». PourFoucault, en effet, la « ‘‘gouvernementalité” serait à l’état ce que les techniques de ségré-gation étaient à la psychiatrie, ce que les techniques de disciplines étaient au systèmepénal, ce que la bio politique était aux institutions médicales115 ». De ce point de vue,l’extérieur de la famille ne serait-il pas l’ensemble des stratégies de reproduction et desinstruments qu’elles utilisent? ■

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110. Ibid., pp. 100-116.111. Michel Foucault, La Volonté de savoir, op. cit., p. 113.112. Michel Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., Cours du 8 février 1978, p. 121.113. Ibid., p. 122.114. Ibid., p. 123.115. Ibid., p. 124.

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