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Christian Lévêque

faut-il•avoir peur

des INTRO­DUCTIONSd'espèces?

LesPetites Pommes

du Savoir

Le Pommier

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conception graphique:Atelier Daniel Leprince

relecture: Valérie Gautheron

Le Pommier, 2008Tous droits réservés

ISSN: 1625-1245ISBN 13 chiffres: 978-2-7465-0365-6

239, rue Saint-Jacques, 75005 Pariswww.editions-lepommier.fr

Collection développée avec le concours du ministère de laCulture et de la Communication (Centre national du livreet Cité des sciences et de l'industrie), dans le cadre du FondsJules-Verne.

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Introduction

Les espèces ne sont pas assignées à résidence.

Leur distribution géographique varie naturelle­

ment en fonction des changements du climat, de

la capacité intrinsèque des espèces à se déplacer

et de la capacité des écosystèmes à les accueillir.

Car le monde vivant est loin d'être statique:

les invasions biologiques ont toujours existé.

Cependant, les transferts d'espèces à l'intérieur

d'un même continent ou d'un continent à un

autre prennent à l'heure actuelle une nouvelle

dimension. La multiplication des moyens de

transport et la mondialisation des échanges

ont créé de nouvelles opportunités qui permet­

tent aux espèces de « voyager» également. On

s'interroge sur la légitimité des introductions

volontaires d'espèces et sur les moyens d'éviter

les transferts involontaires. On s'inquiète des

conséquences écologiques et économiques de

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Faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

ces introductions, ainsi que du rôle de l'homme

dans la transformation de la biosphère. Car

désormais, presque toutes les régions du globe

sont touchées par les introductions d'espèces qui

concernent tous les types d'organismes vivants

(virus, bactéries, champignons, végétaux, ani­

maux) et presque tous les milieux. Sans compter

que les changements climatiques en cours et

annoncés nous incitent à porter un regard nou­

veau sur les invasions biologiques « naturelles »,

résultant simplement du déplacement des aires

de distribution des espèces. En bref, nous som­

mes dans une période de changements, ce qui

suscite des interrogations légitimes sur notre

monde futur.

Cette PetitePomme vous invite à une réflexion

sans préjugés sur les introductions d'espèces, et

met tout autant l'accent sur les aspects positifs

que négatifs qui peuvent en résulter. Car le

développement durable, tel qu'il doit être com­

pris, n'est pas le maintien d'un statu quo mais

la recherche des meilleurs compromis entre les

besoins du développement et le maintien des

équilibres écologiques.

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Introduction

Un peu de sémantique

On parle d'introduction pour des espèces qui •

sont intentionnellement ou accidentellement

introduites par l'homme dans un milieu situé

en dehors de l'aire de distribution naturelle de

cette espèce. Les transferts correspondent quant •

à eux aux transports volontaires ou accidentels

d'individus d'une espèce dans d'autres localités

de l'aire de distribution naturelle de l'espèce. Les

espèces sont dites indigènes, natives, autochtones •

ou spontanées lorsqu'elles sont originaires de •

l'aire considérée. Elles sont introduites, exotiques, •

exogènes ou allochtones lorsqu'elles sont origi­

naires d'une autre aire de répartition.

L'acclimatation est l'adaptation d'un spé- •

cimen à des conditions nouvelles. Elle ne se

traduit pas automatiquement par l'installation

d'une population, car la reproduction n'est pas

pour autant assurée. On parle de naturalisation.

lorsqu'une espèce vit et se reproduit spontané­

ment dans la zone où elle a été introduite. Les

espèces présentes à l'état spontané mais qui ne

sont pas capables de se reproduire sont quali­

fiées de « fugaces ».

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Faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

Une espèce dite « invasive» est une espèce

exotique naturalisée qui se met à proliférer dans

son milieu d'accueil et à s'étendre géographi­

quement. Souvent, elle devient un agent de per­

turbation écologique et/ou économique dans la

mesure où elle cause des changements signifi­

catifs dans la composition, la structure et/ou le

fonctionnement des écosystèmes. Elle peut aussi

avoir un impact sur la santé publique ou sur les

plantes cultivées et les animaux domestiques et

sauvages.

• On distingue les invasions biologiques sponta-

nées, qui sont dues à des invasions « naturelles»

résultant de la dynamique des espèces. L'homme

n'est pas directement responsable des transferts

mais les modifications qu'il apporte au milieu

naturel peuvent favoriser l'implantation de nou-

• velles espèces. Les invasions biologiques acciden­

telles ou délibérées sont dues quant à elles à des

espèces introduites par l'homme via les moyens

de transport ou de manière délibérée.

• On définit une pullulation comme la proli-fération d'une espèce, d'apparence explosive. En

général, on y associe des conséquences négatives

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Introduction

sur l'environnement et les activités humaines,

comme pour les espèces invasives. Mais les plan­

tes et les animaux qui se mettent à se multiplier

inconsidérément ne sont pas nécessairement des

espèces invasives. Ce sont aussi (et peut-être

souvent) des espèces autochtones. C'est le cas en

particulier des explosions démographiques de

rongeurs ou d'insectes. On connaît les pullula­

tions de campagnols ou de lemmings ou celles

des criquets migrateurs, qui causent des ravages

considérables aux cultures. Et que dire des mouet­

tes qui se mettent à proliférer dans certaines villes

côtières, des pigeons dans les villes, etc. ?

Pour ou contre les introductionsd'espèces: un débat de société

La Société impériale zoologique d'acclimatation

fondée en 1854 par Isidore GeoffroySaint-Hilaire,

professeur au Muséum national d'histoire natu­

relle, se proposait de concourir à l'introduction, à

l'acclimatation et à la domestication des espèces

animales et végétales utiles à l'homme pour son

alimentation ou à titre d'ornement. Les scienti-

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Faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

fiques en charge de ces introductions d'espèces

n'avaient pas d'états d'âme: ils contribuaient

au développement de la richesse nationale en

diversifiant les produits utiles pour la société. Et

ils avaient l'impression de participer ainsi à une

grande cause humanitaire.

Depuis, la Société impériale est devenue

successivement la Société nationale

d'acclimatation puis, en 1960, la Société

nationale de protection de la nature (SNPN).

Simultanément, ses objectifs ont beaucoup

évolué. Après des siècles d'efforts pour acclimater

en Europe ou ailleurs des espèces venant d'autres

continents, la SNPN considère désormais que

les introductions d'espèces sont de réels dangers

pour la flore et la faune autochtones. Une attitude

partagée par de nombreuses ONG de protection

de la naturedont le discours est malheureusement

le plus souvent réducteur et alarmiste: les espèces

introduites sont la seconde cause d'érosion de

la biodiversité... il faut donc interdire toute

introduction! Certains scientifiques soutiennent

ces prises de positions. Ils sont ainsi en complète

opposition avec les savants du XIXe siècle qui

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Introduction

voyaient dans les introductions une source de

progrès pour l'humanité. Un point de vue qui est

toujours partagé d'ailleurs par une autre partie

des scientifiques.

Sans compter que notre société aime les

paradoxes. Alors que certains dénoncent les

introductions d'espèces, celles-ci se multiplient

à travers le monde. De fait, celui-ci est devenu

un vaste supermarché dans lequel animaux et

végétaux circulent en permanence. L'agriculture,

l'aquaculture, l'horticulture, le commerce des

animaux de compagnie, les collectionneurs, etc.,

sont à l'origine de très nombreux transferts, et

d'un marché très actif. Les mesures réglementaires

visant à limiter ces échanges ont certes le mérite

d'exister, mais leur application se révèle fort

aléatoire. Des espèces susceptibles de causer des

nuisances économiques ou environnementales,

sont toujours en vente dans les jardineries. Il en

est ainsi de la jacinthe d'eau, fort prisée pour sa

jolie fleur bleue.

Dans ce contexte, il faut savoir raison garder.

D'une part, introduction ne veut pas dire natu­

ralisation. Beaucoup d'organismes introduits

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faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

par l'homme, volontairement ou de manière

accidentelle, ne peuvent s'installer définitive­

ment dans le milieu d'accueil. Chez les plantes,

et d'après certaines estimations relativement

grossières qui ont néanmoins le mérite de fixer

les idées (la « règle des 3X 10 »), on estime que

pour mille espèces introduites, environ cent

pourront se reproduire occasionnellement sans

former de population stable, dix formeront des

populations pérennes, et une seulement causera

des préjudices écologiques, économiques et/ou

de santé publique. Cette règle n'est cependant

pas généralisable à l'ensemble des espèces intro­

duites, loin s'en faut.

D'autre part, il faut éviter les généralisations

hâtives. Parmi les espèces introduites, certaines

se sont révélées très utiles à l'homme. C'est le

cas de la plupart des espèces que nous utilisons

en agriculture ou en aquaculture. D'autres, très

nombreuses, n'ont pas d'effet connu, bénéfi­

que ou négatif, vis-à-vis de l'environnement. Il

existe même de nombreux: exemples montrant

que des espèces introduites sont assimilées, au

bout d'un certain temps, au patrimoine natureL

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Introduction

Mais il est vrai également que certaines espèces

se sont révélées encombrantes, voire carrément

nuisibles au regard de nos intérêts économiques.

Ce sont elles, les espèces dites « invasives », qui

ont surtout retenu l'attention car elles causent

des dommages aux cultures ou modifient le

fonctionnement des écosystèmes, éliminant à

l'occasion les espèces indigènes. Sans oublier

que certaines d'entre elles présentent des risques

pour la santé. Et, même si nous portons un

regard amical sur la biodiversité, nous n'avons

pas d'affection particulière pour les vecteurs de

maladies!

Il

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Pour quelles raisonsintroduire

de nouvelles espèces ?

Les transferts d'espèceset l'essor de la production alimentaire _

Depuis longtemps les hommes ont cherché

à disposer de nouvelles espèces de plantes et

d'animaux pour améliorer leur alimentation.

Pendant longtemps, ils se sont contentés d'une

activité de chasse et de cueillette, diversifiant

selon les époques et les aires géographiques le

réservoir d'espèces comestibles. Avec la nais­

sance de l'agriculture au Proche-Orient, ils com­

mencent à domestiquer des espèces végétales et

animales. Ces pratiques se répandent et s'éten­

dent au bassin méditerranéen et à l'Europe du

Nord. La plupart des espèces cultivées au Pro­

che-Orient (orge, lentilles, pois et pois chiches,

vesces), ainsi que le mouton, la chèvre, le porc et

le bœuf furent ainsi progressivement transférées

vers l'Europe. La conquête de la Gaule et l'agri-

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Pour quelles raisons introduire de nouvelles espèces?

culture gallo-romaine vont permettre d'étendre

loin vers le nord les cultures méditerranéennes.

Les croisades, aux xne et XIIIe siècles, contribuè­

rent également à transférer vers l'occident le riz

et le sarrasin, ainsi que de nombreuses plantes

aromatiques.

En Europe, les XVIe et XVIIe siècles avaient été

une époque de famines et de disettes. La décou­

verte de nouveaux continents s'accompagna

d'une prospection systématique de la flore et

de la faune en vue d'identifier des espèces qui

pouvaient être utiles à la société. Les voyageurs

naturalistes accompagnant les grands voyages

d'exploration au XVIIe et au XVIIIe siècle, avaient

pour mission de ramener des espèces suscepti­

bles d'améliorer l'agriculture et l'élevage, ainsi

d'ailleurs que des plantes médicinales ou d'or­

nement. Les jardins du roi, puis les jardins

d'acclimatation, les zoos, les jardins botaniques

avaient pour vocation de recevoir, de conserver

et d'acclimater ces espèces.

La « découverte» de l'Amérique fut l'occa­

sion de découvrir l'agriculture amérindienne et

les Européens en tirèrent parti pour transférer

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Faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

dans le monde une vingtaine de plantes sud­

américaines : maïs, manioc, pomme de terre,

tomate, citrouille, tabac, fraise, piment, haricot,

etc. L'Europe bénéficiera plus tard également de

plantes venues d'Amérique du Nord telles que

le topinambour et le tournesol. La dinde et le

canard de Barbarie profiteront aussi à l'élevage

européen. Ces transferts seront à la base de la

plus grande révolution alimentaire de l'histoire.

De fait, le maïs et la pomme de terre jouèrent

un rôle important dans la dynamique agricole

de l'Europe et la mise en œuvre de la «nou­

velle agriculture» au début du XIXe siècle. Les

transferts intercontinentaux joueront également

un rôle dans la révolution industrielle (coton,

caoutchouc) et enrichiront le stock de produits

médicinaux (quinine).

Il est d'usage de penser que l'Europe fut

le principal bénéficiaire de la découverte de

l'Amérique du Sud et certains n'ont pas hésité

à parler de pillage des pays en développement.

Mais quand on y regarde de près, le transfert

d'espèces sud-américaines concerna également

l'Afrique et l'Asie: hévéa, coton, sisal, cacaoyer,

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Pour quelles raisons introduire de nouvelles espèces?

ainsi que les cultures vivrières qui contribueront

à réduire les risques de famine et de disette :

maïs, manioc, patate douce, arachide, etc. Réci­

proquement, l'agriculture américaine a bénéfi­

cié du transfert du cheval, du bœuf, du porc et

des volailles venus d'Europe, ainsi que du blé.

D'Afrique furent importés le café et l'igname, et

d'Asie le riz, la canne à sucre, le soja, le bananier,

les agrumes, le cocotier, etc. Le Nouveau Monde

ne fut donc pas le parent pauvre de ces échanges.

Des échanges qui ne sont pas achevés de toute

évidence, comme en témoigne l'introduction en

Europe du kiwi, originaire de Chine, il y a seule­

ment-quelques décennies.

Bien que l'on mette souvent l'accent sur

l'agriculture et les espèces terrestres, des situa­

tions similaires existent dans les milieux aqua­

tiques. L'introduction d'espèces pour améliorer

la production de la pêche en eau douce ou déve­

lopper la pisciculture est une pratique courante

dans de nombreux pays. Ainsi, le tilapia, sur­

nommé le « poulet aquatique », est un poisson

d'origine africaine qui a été introduit dans toute

la ceinture intertropicale. Il connaît un grand

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Faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

succès en pisciculture, notamment en Asie. Dans

le domaine marin, on peut regretter que l'huître

portugaise ait été décimée par des maladies et

remplacée par l'huître japonaise... Encore faut

il savoir que cette soit-disant huître portugaise,

dont le nom laisse penser qu'elle est autochtone,

n'est en réalité qu'une huître japonaise intro­

duite il y a quelques siècles et qui s'est acclimatée

sur nos côtes... On n'est jamais sûr de rien!

Les activités de loisir

Les transferts intercontinentaux d'espèces sont

actuellement en grande partie liés aux activités

de loisir ainsi qu'à l'existence d'un marché consi­

dérable en matière de plantes ornementales et

d'animaux de compagnie. Les animaux de com­

pagnie ne se limitent plus aux chats, aux chiens

et aux poissons rouges. Les animaux exotiques

ont du succès ! Les NAC (nouveaux animaux

de compagnie) sont aussi divers qu'inattendus:

iguanes, varans, pythons, mygales, singes, per­

roquets, furets, tortues, etc. Parmi toutes ces

espèces, plusieurs d'entre elles s'échappent acci-

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Pour queUes raisons introduire de nouvelles espèces?

dentellement ou sont relâchées volontairement

par leurs détenteurs. Et nombre d'entre elles

trouvent en Europe des conditions propices à

leur développement.

C'est le cas en particulier du tamia de Sibérie,

également connu sous le nom d'« écureuil de

Corée », qui est en passe de peupler toutes les

forêts d'Île-de-France. Des colonies de plusieurs

milliers d'individus y sont déjà présentes. On le

retrouve aussi dans les forêts autour de Bruxel­

les. On connaît les raisons de cette situation :

de nombreux citoyens ont acheté des tamias de

Sibérie comme animal de compagnie, puis les

ont relâchés dans la nature car ils devenaient trop

encombrants. Ce gentil animal brun-gris au dos

rayé, moins craintif que nos écureuils, met un

peu de vie dans les sous-bois si déserts! Un petit

bémol pourtant: le tamia serait plein de puces.

Or, celles-ci transmettent la maladie de Lyme,

une infection bactérienne qui suscite maux de

tête, douleurs articulaires et poussées de fièvre.

Pour faire bonne mesure, les perruches met­

tent maintenant quelques jolies taches de cou­

leur dans les arbres. La perruche à collier s'est

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Faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

bien installée en Île-de-France, à Bruxelles, à

Londres et à Marseille. Là aussi, il s'agit d'indi­

vidus échappés ou relâchés. Et d'autres espèces

de perruches sont venues la rejoindre. Une jolie

volière en perspective.

Il est difficile de faire l'inventaire des plantes

qui ont été introduites dans un but ornemental.

Certaines font parler d'elles. Ainsi, en France,

l'herbe de la pampa (Amérique du Sud), la

renouée du Japon (Asie), la berce du Caucase

(Caucase), la jussie à grandes fleurs (Amérique

du Nord) causent des nuisances à des degrés

divers. Et, dans les milieux tropicaux, la jacin­

the d'eau, qui est devenue un véritable fléau

modifiant profondément le fonctionnement des

milieux aquatiques, a d'abord été importée pour

agrémenter les bassins d'ornement. Mais qui se

plaint de l'arbre à papillons (le Buddleia origi­

naire de Chine) qui envahit les friches urbaines?

Et qui souhaite voir disparaître le mimosa?

Pourtant, cette plante originaire d'Australie,

cultivée sur la Côte d'Azur à partir de 1850, a

toutes les caractéristiques d'une plante inva­

sive!

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Pour quelles raisons introduire de nouvelles espèces?

Pour la petite histoire, il faut savoir que

l'une des raisons pour introduire des espèces

sur d'autres continents a été que les émigrés

s'entourent d'espèces familières dans leur pays

d'accueil. Ainsi, cent moineaux domestiques

ont été introduits à New York en 1851 pour que

les immigrés européens y retrouvent des oiseaux

de leur terre natale. La truite commune euro­

péenne (Salmo trutta) a quant à elle conquis le

monde pour une raison simple: permettre aux

émigrants européens de pratiquer, loin de chez

eux, leur pêche sportive favorite. Les premiers

transferts ont débuté au cours du XIXe siècle.

Inversement, et toujours pour le plaisir de la

pêche, le blackbass et la truite arc-en ciel ont

été introduits en Europe depuis l'Amérique du

Nord. Personne ne s'en plaint!

_______ La lutte biologique

Le contrôle de populations envahissantes par

l'utilisation d'ennemis naturels provenant de

l'aire d'origine de l'espèce est une méthode de

lutte connue sous le nom de « lutte biologique ».

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Faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

En quelque sorte, il s'agit de lutter contre un

envahisseur en faisant appeL .. à un autre enva­

hisseur! Sans aucun état d'âme, car c'est pour la

bonne cause (éviter l'usage de pesticides), on a

fait appel à ces « auxiliaires» pour lutter contre

des vecteurs de maladies ou des ravageurs de

cultures.

Ainsi, un petit poisson du Texas (la gambu­

sie) est utilisé dans la lutte contre les moustiques.

Les mangoustes ont été introduites contre les

rats et les serpents. Le micro-organisme Bacil­

lus thuringiensis est largement utilisé contre les

ravageurs des cultures. On lutte contre la pyrale

du maïs à l'aide de petits hyménoptères, etc.

Symbole de la lutte biologique contre les

« ennemis des cultures », la coccinelle asiatique

a été volontairement introduite un peu par­

tout dans l'hémisphère Nord. Elle s'est d'abord

montrée discrète. Mais, depuis quelques années,

elle s'est révélée invasive en Amérique du Nord

et en Europe. Résistante au froid, en l'absence

de prédateurs ou de parasites spécialisés, elle

cherche refuge, en groupes, à l'automne dans

les habitations pour y passer la mauvaise saison.

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Pour quelles raisons introduire de nouvelles espèces?

On dit aussi qu'elle pourrait menacer les races

de coccinelles locales avec lesquelles elle entre

en compétition. Quoi qu'il en soit, il faudra

faire avec car il sera maintenant bien difficile de

l'éradiquer.

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Activités humaineset transferts

d'espèces

Toutes les introductions ne sont pas volontaires,

loin de là. Les espèces ont des capacités de dépla­

cement variées. Quelques-unes peuvent parcou­

rir de longues distances: on peut ainsi retrouver

le pollen de certaines plantes transporté par

le vent à des milliers de kilomètres. D'autres,

au contraire, ne peuvent se déplacer que dans

certaines limites. Et certaines espèces utilisent

d'autres espèces plus mobiles pour se dépla­

cer. Les oiseaux migrateurs, par exemple, nous

apportent des virus de la grippe qui ont évolué

en Asie. Et, depuis quelques siècles, le dévelop­

pement des moyens de transport et des réseaux

de communication a été l'occasion pour certai­

nes espèces d'emprunter de nouveaux véhicules.

Et elles ne s'en sont pas privées!

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Activités humaines et transferts d'espèces

Profiter des nouveauxréseaux de communication

L'homme peut ouvrir des portes qui étaient

restées longtemps fermées. Ainsi, la mer Rouge

et la Méditerranée constituaient deux provinces

biogéographiques séparées depuis près de vingt

millions d'années. Le creusement du canal de

Suez en 1869 est à l'origine d'un important mou­

vement d'échanges. Près de trois cents espèces

de la mer Rouge et de l'océan Indien ont ainsi

pénétré en Méditerranée orientale et s'y sont ins­

tallées. On estime que 60 % de ces espèces ont été

introduites depuis 1970. Ceci constitue l'invasion

biologique la plus spectaculaire en milieu marin

dans le contexte biogéographique actueL Ce flux

a été presque exclusivement unidirectionnel, très

peu d'espèces ayant migré de Méditerranée vers la

mer Rouge. Les « migrants lessepsiens » (du nom

du promoteur du canal de Suez) représentent

maintenant environ 4% de la diversité spécifique

de la Méditerranée et 10% de la diversité sur la

côte levantine. La plupart des espèces impliquées

par ces échanges sont des algues, des mollusques,

des crustacés et des poissons.

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faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

En milieu aquatique continental, les canaux

mettent en relation des réseaux hydrographi­

ques qui étaient isolés depuis longtemps. Ainsi,

l'ouverture d'un canal entre le Danube et le Rhin

a ouvert la voie à nombre d'espèces danubiennes

qui se propagent maintenant vers l'ouest.

Les passagers clandestins _

Parmi les espèces qui ont été à l'origine de

dégâts écologiques considérables et d'épidémies

meurtrières, les rats occupent une place de

choix. Embarqués sur tous les bateaux et autres

caravelles dès l'époque des Grandes Découver­

tes, ils ont conquis tous les continents. Le rat

noir (Rattus rattus) est apparu en Europe au

XIIe siècle. Dans les îles, il est responsable de la

raréfaction ou de la disparition de nombreu­

ses espèces d'oiseaux. Le rat surmulot (Rattus

norvegicus) n'est arrivé en Europe qu'au XVIIIe

siècle. C'est le rat d'égout. Ces deux espèces sont

originaires d'Asie. On leur doit les épidémies de

peste, la transmission de la fièvre aphteuse, de la

leptospirose, de la toxoplasmose, etc.

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Activités humaines et transferts d'espèces

De nos jours, c'est le ballast des bateaux

qui est le vecteur principal des transferts en

milieu marin. Au début du XIXe siècle, il était

constitué de sable et de pierres, ce qui nécessi­

tait des manipulations importantes. L'utilisation

de l'eau comme ballast depuis les années 1880

est plus économique en main-d'œuvre. Ainsi,

lorsqu'ils partent à vide, les cargos remplissent

leurs ballasts avec de l'eau marine ou saumâ­

tre prélevée dans le port de départ. Cette eau

contient des organismes planctoniques. Une fois

arrivés à destination, qui peut être un port situé

sur un autre continent, l'eau des ballasts et les

organismes qu'elle contient sont rejetés en mer

ou en estuaire. C'est ainsi que voyagent de nom­

breux organismes marins et qu'ils franchissent

les océans.

Ainsi, en échantillonnant le ballast de 159

cargos en provenance du Japon dans la baie de

Coos (Oregon), on a trouvé 367 espèces iden­

tifiables appartenant à la plupart des groupes

marins. Tous les régimes alimentaires étaient

représentés. Toutes ces espèces ne se natura­

liseront pas mais, en fonction des circonstan-

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Faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

ces, certaines s'installeront dans de nouveaux

milieux. Il en résulte que beaucoup de baies,

d'estuaires, de lagunes et de lacs sont actuelle­

ment le siège d'apports répétés d'espèces dont

les facultés d'adaptation, ainsi que le rôle et

l'impact écologiques ne sont pas toujours prévi­

sibles. C'est ce que certains ont appelé la « rou­

lette écologique ».

L'exemple des Grands Lacs d'Amérique du

Nord est également symptomatique. Au cours

du siècle dernier, le nombre d'espèces exotiques

s'y est accru considérablement. On estime que

depuis 1970, 75% d'entre elles environ pro­

viennent de l'eau contenue dans les ballasts des

bateaux transocéaniques provenant d'Eurasie qui

remontent le Saint-Laurent. Qui plus est, la majo­

rité de ces espèces est native de la région ponto­

caspienne (mers d'Azov, Caspienne, Noire). C'est

ainsi qu'on explique l'introduction de la moule

zébrée dans l'estuaire du Saint-Laurent.

Un inventaire des espèces marines invasives

sur les côtes françaises de la Manche a permis

de recenser plus d'une centaine d'espèces intro­

duites, dont 21 macro-algues, 8 algues planc-

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Activités humaines et transferts d'espèces

toniques, 4 végétaux supérieurs, 70 invertébrés.

Environ 60% des introductions sont postérieu­

res à 1960. Près de 60 % des espèces introduites

sont originaires du Pacifique. Treize d'entre elles

ont été introduites volontairement pour l'aqua­

culture. Les causes probables des introductions

accidentelles sont les activités liées à la navigation

(ballasts, salissures des coques des navires) et les

transferts d'huîtres.

Au XVIIe siècle, les bateaux transportant des

esclaves de l'Afrique vers les Caraïbes ont amené

le moustique Aedes aegypti, vecteur de la fièvre

jaune et de la dengue hémorragique, avec leurs

réserves d'eau douce. Les virus, quant à eux,

ont été introduits avec les esclaves déjà malades.

Une situation idéale pour que les pathogènes

puissent s'établir et réaliser leur cycle biologi­

que aux Caraïbes! Quant au moustique tigre,

Aedes albopictus, il a été introduit aux États-Unis

depuis le Japon à l'occasion de l'importation de

pneus usés destinés à des usines de retraitement

du caoutchouc. La larve a pu survivre dans la

gaine interne des pneus où subsistait un peu

d'eau de pluie. C'est de cette manière également

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Faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

qu'il est arrivé en Italie au début des années

1990 et il est en passe de conquérir l'Europe.

Redoutable vecteur de nombreux virus, il a été

reconnu responsable en 2007 de la transmission

du chikungunya en Italie.

Les espèces qui s'échappent...

Bien entendu, il y a de nombreux exemples

d'introductions « accidentelles », au sens où des

espèces destinées à être maintenues en captivité

ont échappé à la vigilance, une fois introduites

sur un nouveau continent. L'exemple embléma­

tique est celui des lapins introduits en Australie

et qui se sont échappés de leur enclos, causant

une grave crise agricole et écologique.

On peut avoir la surprise aujourd'hui, sur

les bords du golfe du Morbihan ou dans les

marais de Guérande, de voir passer un vol d'ibis

sacré (Threskiornis aethiopicus). Ces échassiers,

originaires de l'Afrique nord-tropicale et bien

connus des Égyptiens qui les momifiaient, se

sont échappés d'un parc animalier et sont main­

tenant « naturalisés» en France.

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Activités humaines et transferts d'espèces

On ne peut passer sous silence l'une des

invasions biologiques les plus médiatisées en

France: l'expansion de l'algue d'origine tropi­

cale Caulerpa taxifolia le long du littoral médi­

terranéen. Introduite accidentellement au large

de Monaco (elle se serait « échappée» de l'aqua­

rium), cette algue du Pacifique s'est rapidement

adaptée à son nouvel habitat. Elle s'y est même

développée à une vitesse inconnue dans son

milieu d'origine et a essaimé sur les côtes italien­

nes et françaises.

Nombreux sont également les exemples de

naturalisation d'espèces de poissons ou d'autres

espèces aquatiques introduites à des fins d'éle­

vage et qui se retrouvent « par accident » dans

le milieu naturel. Les esturgeons sibériens intro­

duits en Gironde pour produire du caviar ont

ainsi profité des tempêtes de décembre 1999

pour s'échapper des élevages. Allons-nous assis­

ter à leur naturalisation? Les scientifiques sui­

vent l'affaire.

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Portrait-robotd'une espèce

envahissante

On parle d'« invasion biologique» lorsqu'il

y a pullulation d'une espèce naturalisée dans

un milieu donné. Les espèces qui deviennent

envahissantes possèdent quelques caractéristi­

ques communes. Ce sont souvent des espèces

résistantes et qui ont une grande flexibilité en

matière d'utilisation des ressources. Elles ont

une croissance rapide, une fertilité importante

et de bonnes capacités de dispersion, ce qui leur

permet de coloniser très rapidement le milieu

d'accueil. C'est la raison pour laquelle on les a

qualifiées d'espèces « envahissantes» ou « inva­

SIves ».

Souvent, ces mêmes espèces ne posent pas

de problème dans leur milieu d'origine. Mais

elles ne retrouvent pas dans leur nouvel envi­

ronnement les concurrents ou les prédateurs

qui régulent naturellement leurs populations.

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Portrait-robot d'une espèce envahissante

Ce qui explique que l'on cherche souvent à lutter

contre ces espèces en introduisant un prédateur

ou un pathogène du milieu d'origine ...

La capacité d'invasion dépend également

des caractéristiques des écosystèmes d'accueil.

On admet en général que les milieux pertur-

bés par les interventions humaines (ballasts

routiers, eutrophisation des eaux, etc.) sont

plus propices à l'installation d'espèces exotiques

que les milieux non perturbés. La question se

pose alors de savoir si la disparition des espèces

résulte principalement des conséquences des

modifications du milieu ou des introductions

elles-mêmes. La réponse à cette question n'est

pas simple. Ainsi, la perche du Nil, introduite

dans le lac Victoria dans les années 1960, a été

diabolisée. Ce vorace prédateur est tenu pour

responsable de l'extinction de plusieurs cen­

taines d'espèces de poissons de la famille des

Cichlidés, endémiques du lac (qui n'existent que •

dans cet écosystème). Si l'accusation est facile à

porter, la réalité est bien plus complexe. En effet,

la perche du Nil est largement répandue dans

toute l'Afrique soudanienne où elle ne cause

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Faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

aucun dommage. Le véritable problème du lac

• Victoria est l'eutrophisation du lac, cette « mala­

die» de la sumutrition due à des apports de

plus en plus abondants d'azote et de phosphore

provenant des engrais et des déchets domesti­

ques. Dans ce milieu perturbé, peu favorable

à lui seul à la vie des Cichlidés endémiques, la

perche du Nil a trouvé des conditions de déve­

loppement très particulières, d'autant que les

proies « naïves» n'étaient pas adaptées à ce type

de prédateur. Dans ce cas, il y a probablement

eu synergie entre la transformation du milieu

et les introductions. Aux dernières nouvelles,

plusieurs espèces que l'on annonçait disparues

seraient toujours vivantes dans certaines régions

du lac Victoria!

Certains n'hésitent pas à considérer que

l'espèce humaine présente de nombreuses

caractéristiques de l'espèce invasive... Elle s'est

répandue de par le monde et elle crée, faut-il

le rappeler?, des modifications substantielles

de son environnement, éliminant des espèces

autochtones!

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Portrait-robot d'une espèce envahissante

Que reproche-t-onaux espèces envahissantes?

Les récriminations par rapport aux espèces

envahissantes sont de différentes natures:

- sur le plan écologique, leur prolifération modi­

fie le milieu dans lequel elles s'implantent. C'est

le cas de la jussie ou de la jacinthe d'eau qui for­

ment d'épais tapis végétaux sur les plans d'eau et

modifient profondément leur fonctionnement

écologique; elles peuvent également entrer en

concurrence avec les espèces autochtones (pré­

dation, concurrence pour l'accès aux ressources)

et provoquer la disparition de ces dernières;

- sur le plan économique, elles sont à l'origine

de dégâts en agriculture et/ou aux infrastructu­

res industrielles;

- sur le plan sanitaire, elles sont responsables

d'épidémies affectant aussi bien les hommes que

les espèces domestiques et les plantes cultivées.

Les introductions entraînent-elles la disparition

des espèces autochtones?

Pour les conservationnistes, les invasions bio­

logiques sont une des causes principales de

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Faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

l'érosion de la biodiversité. C'est particulière­

ment vrai dans le cas de systèmes écologiques

isolés comme les îles, où les flores et les fau­

nes ont co-évolué en milieu clos et compor­

tent de nombreuses espèces endémiques. Sur

les îles n'hébergeant pas à l'origine de grands

prédateurs terrestres, les espèces indigènes ont

perdu leurs capacités à se défendre. Ainsi, de

nombreuses espèces d'oiseaux insulaires avaient

perdu l'aptitude au vol et n'avaient pas non plus

de comportement de fuite face à un danger. De

même, les plantes ayant évolué en l'absence de

mammifères herbivore, ne possèdent pas de

protections - telles qu'épines ou mauvais goût

- que l'on trouve chez les plantes continentales.

Lorsque l'homme est arrivé avec son cortège

d'espèces domestiques ou commensales (rats,

chats, chiens, cochons, chèvres pour n'en citer

que quelques-unes), l'impact a souvent été

désastreux. Les prédateurs introduits seraient

responsables d'environ la moitié des extinctions

d'oiseaux insulaires. Le cas du dodo de l'île

Maurice est le plus emblématique. C'est ce

• que l'on appelle parfois l'effet Frankenstein:

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Portrait-robot d'une espèce envahissante

des proies naïves, se trouvant démunies face

à de nouveaux prédateurs, sont rapidement

exterminées. On peut rapprocher ce processus

d'extinction de faunes et de flores naïves des

ravages occasionnés chez les populations

amérindiennes par les maladies introduites par

les Européens. La variole et la syphilis ont

décimé les peuples indigènes, dépourvus des

défenses immunitaires appropriées.

On a estimé que 90 % des espèces d'oiseaux

et de reptiles et 50 % des espèces de mammifères

et d'espèces végétales éteintes dans le monde

depuis le début du XVIIe siècle étaient d'origine

insulaire. Les rats sont maintenant présents sur

80 % des îles et s'attaquent aux plantes, insectes,

oiseaux et petits mammifères: ils sont impliqués

dans la disparition de près de la moitié des espè­

ces d'oiseaux et de reptiles.

Les sommets de montagnes isolés ou les

lacs sont assimilables à des milieux insulaires.

On peut donc s'attendre à ce que des espèces

introduites dans ces écosystèmes aient également

des effets significatifs sur la flore et la faune

autochtones.

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Faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

Dans les milieux plus ouverts, les extinctions

liées aux introductions sont plus rares. Et, le plus

souvent, les faits demandent à être établis de

manière objective car les causes des extinctions

d'espèces peuvent être nombreuses. D'autant

que l'on manque de recul sur cette question.

Certaines observations montrent qu'avec le

temps, le phénomène invasif s'estompe et que

l'envahisseur peut finir par trouver sa place dans

l'écosystème: des prédateurs ou des parasites

peuvent apparaître et réguler les populations,

les conditions environnementales du milieu

peuvent changer, les ressources disponibles

peuvent se raréfier, etc. De telle sorte qu'en fin

de compte, il peut y avoir coexistence d'espèces

introduites et autochtones, augmentant ainsi la

biodiversité locale. C'est le cas pour nos cours

d'eau, dans lesquels environ un tiers des espèces

de poissons ont été introduites.

En réalité, les conséquences des invasions

sur les espèces autochtones sont loin d'être aussi

prévisibles et inéluctables qu'on ne le dit. Des

études à long terme sont indispensables pour y

voir plus clair.

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Portrait-robot d'une espèce envahissante

Les conséquences économiques

Les espèces invasives sont également suscepti­

bles de provoquer des dégâts économiques. Le

ragondin par exemple creuse des galeries qui

fragilisent les berges des rivières et provoquent

leur effondrement. La moule zébrée bouche les

canalisations dans lesquelles elle se développe.

Les impacts économiques sont divers et

variés: diminution des rendements agricoles,

coûts liés à l'utilisation d'herbicides et de pes­

ticides, coûts liés à la détérioration des infras­

tructures, des voies navigables, coûts liés à la

lutte contre les envahisseurs et à la restauration

des écosystèmes, coûts liés aux: problèmes de

santé publique, etc. Rappelons que le phylloxéra,

minuscule puceron jaune introduit d'Amérique,

a détruit la quasi-totalité du vignoble français au

XIXe siècle et entraîné la ruine de très nombreux

petits viticulteurs.

Des évaluations des conséquences écono­

miques des introductions sont disponibles. Les

coûts représenteraient 5% de l'économie mon­

diale ... des chiffres à manier avec précaution. Des

millions de dollars sont dépensés actuellement

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Faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

pour lutter contre la moule zébrée ou la jacinthe

d'eau aux États-Unis. Certes, ces chiffres font

réfléchir. Mais, comme souvent, ces évaluations

économiques sont focalisées sur les dommages et

ne prennent pas en compte les « bénéfices ». Or ily en a, indubitablement, quand on considère l'en­

semble des introductions d'espèces. On aimerait

donc, dans une approche moins manichéenne,

voir traiter sur un même plan les avantages et

les inconvénients. Apparemment, ce n'est pas la

démarche adoptée jusqu'ici.

Les impacts sanitaires

Les lllvaSlOns biologiques de pathogènes

ou de leurs vecteurs ont marqué l'histoire

de l'humanité. Et à l'aube du XXIe siècle, les

maladies infectieuses restent la première cause de

mortalité au monde. L'un des risques majeurs des

transferts internationaux est d'introduire dans

un milieu récepteur des virus, des bactéries, des

champignons, des protozoaires et des parasites,

ainsi que leurs vecteurs ou leurs réservoirs

potentiels. Ainsi, le développement de la peste en

Europe, qui fit de véritables ravages au Moyen

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Portrait-robot d'une espèce envahissante

Âge, résulte de l'introduction de populations

exogènes de rats noirs et de leurs puces. Aux

XVIIIe et XIXe siècles, plusieurs épidémies ont fait

suite à l'introduction de la fièvre jaune et de son

vecteur, le moustique d'Égypte (Aedes aegypti),

par bateaux. Elles ont décimé plusieurs dizaines

de milliers d'êtres humains comme à Barcelone

où 20000 des 80000 habitants contaminés entre

1822 et 1824 succombèrent. De nos jours, le

virus de la grippe aviaire constitue une menace

potentielle. Les canards sauvages, qui se déplacent

sur de longues distances, sont le réservoir

naturel du virus qui provoque des épidémies

dévastatrices chez les volailles domestiques. Avec

la crainte de voir des virus mutants s'intéresser

aux hommes !

Certaines espèces végétales naturalisées, pas

nécessairement envahissantes, posent des pro­

blèmes de santé publique. Le pollen de l'ambroi­

sie, une herbacée d'origine nord-américaine,

provoque des allergies oculaires et respiratoires

en France. Mais les allergies peuvent être causées

également par des espèces dites ou supposées.

autochtones.

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Faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

Il n'y a pas que la santé humaine qui est en

cause. La santé des plantes est un~ préoccupation

constante de l'agriculture. Or, la menace de

voir apparaître de nouvelles maladies du fait

de l'introduction de parasites ou de prédateurs

reste vive. L'histoire récente offre en effet

quelques exemples qui ont donné à réfléchir. Il

en est ainsi du doryphore, un insecte originaire

des montagnes Rocheuses où il se nourrit d'une

espèce sauvage de plante voisine de la pomme

de terre. Au XIXe siècle, lorsque la culture de la

pomme de terre se développa aux États-Unis,

le doryphore trouva celle-ci fort à son goût. Au

point de se mettre à proliférer abondamment,

comme en témoignent des récits de l'époque.

Un exemple, s'il en est, de pullulation d'espèce

autochtone! Compte tenu des dégâts provoqués

par cet insecte, les pays européens interdirent les

importations de pommes de terre provenant des

États-Unis. Des mesures qui, bien évidemment,

ne furent pas suffisantes car le doryphore se

retrouva en Europe dès la fin du XIXe siècle.

En France, il serait arrivé par voie maritime en

1922, dans des bagages personnels ou des caisses

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Portrait-robot d'une espèce envahissante

de végétaux. Il est devenu dans les années 1940

une véritable calamité agricole, avant que les

pesticides ne mettent un terme provisoire à son

expansion... Car il est réputé développer des

résistances à ces produits!

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Des points de vuecontrastés

surlesintrodudûons

La question des introductions d'espèces demeure

une préoccupation marginale des citoyens par

rapport à bien d'autres problèmes. Les plus

concernés sont ceux qui s'intéressent à la conser­

vation de la nature. Pour eux, les introductions'

constituent l'une des principales menaces à la

biodiversité autochtone. En face, il y a la réalité

de l'économie et la logique des marchés, le souci

de nourrir la planète, la demande d'exotisme

d'autres citoyens... Et des scientifiques ou des

ingénieurs qui pensent que le risque écologique

lié aux introductions est un problème mineur

par rapport aux gains pour la société.

Le point de vue des conservationnistes__

Un argument souvent avancé par les adversai­

res des introductions d'espèces est que chaque

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Des points de vue contrastés [...]

continent possède une flore et une faune qui

lui sont caractéristiques. Il y a par exemple une

grande diversité de marsupiaux en Australie

alors que ces derniers ne sont pas représentés

dans les autres régions du monde. Pour expli­

quer une telle situation, il faut remonter dans

le lointain passé de la Terre et invoquer un phé­

nomène géologique: la dérive des continents. Il

y a deux cents millions d'années, il existait un

seul continent la Pangée. On peut supposer, sans

que cela soit vraiment démontré, que la Pangée

hébergeait une flore et une faune plus ou moins

homogènes. Ou du moins que les espèces qui

existaient alors avaient la possibilité de se disper­

ser sur l'ensemble du continent. La Pangée s'est

fragmentée par la suite pour donner naissance

aux divers continents que nous connaissons

actuellement. Sur chacun des continents qui

se sont isolés, la flore et la faune ont évolué de

manière indépendante puisque les populations

n'avaient plus la possibilité de se mélanger. Cet

isolement est à l'origine de la diversité des flores

et des faunes actuelles, même si d'autres évé­

nements, géologiques ou climatiques, ont joué

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Faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

également un rôle important, comme nous le

verrons plus loin. On retrouve encore à l'heure

actuelle des traces de cette lointaine origine

commune, parmi des groupes présents sur plu­

sieurs continents et dont on a pu montrer qu'ils

appartenaient à la même lignée évolutive. Ainsi

le poisson géant d'Amazonie, l'arapaima, a-t-il

un cousin en Afrique (l'heterotis) et des petits

cousins en Australie.

Pour les conservationnistes, cet héritage de

l'évolution tel que nous le connaissons actuel­

lement serait compromis par les transferts

intercontinentaux qui risquent de provoquer, à

terme, une « banalisation» des flores et des fau­

nes. Ce faisant, l'homme interfère avec le cours

de l'évolution. Ce point de vue de nature éthique

s'appuie sur une conception assez « fIxiste»

de l'écologie: il faut laisser les espèces évoluer

sur leurs continents d'origine sans susciter des

mélanges qui n'auraient pu se faire sans l'inter­

vention de l'homme. Globalement, ce courant

de pensée met l'accent sur les conséquences

catastrophiques des introductions sur la bio­

diversité et les écosystèmes et rejette toute vel-

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Des points de vue contrastés [...]

léité de promouvoir de nouvelles introductions.

Certains n'ont pas hésité à parler à ce propos de

« pollution biologique ».

____ Bienvenue aux envahisseurs !?

Ils sont là! Dans nos villes et nos campagnes.

Jusque dans nos maisons. Le plus souvent paisi­

bles et bien intégrés. Beaucoup d'entre eux sont

des compagnons de tous les jours. Ils éclairent

nos jardins, amusent nos enfants ou animent

nos maisons. Beaucoup d'introductions sont

accueillies avec joie, voire réclamées, par les jar­

diniers, les aquariophiles ou les collectionneurs.

Les particuliers eux-mêmes s'y mettent et n'hé­

sitent pas à ramener de leurs voyages des espèces

« curieuses ». Bienvenue aux immigrés ... ?

De fait, la société considère certains immigrés

comme partie intégrante de son patrimoine.

Elle ne voudrait surtout pas les voir disparaître.

Coquelicot et bleuet, espèces emblématiques de

nos campagnes, sont arrivés avec les agricul­

teurs néolithiques. La carpe commune de nos

plans d'eau? Un immigré! Le mimosa? Un

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Faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

immigré! La liste est longue... Et que penser du

platane commun, probablement un hybride (un

bâtard!) entre le platane d'Occident (Platanus

occidentalis), d'origine américaine, et le platane

d'Orient (Platanus orientalis), qui nous vient de

Grèce. De la pomme de terre à la tomate, de la

poule au mouton, de l'hortensia au géranium, les

espèces introduites font partie intégrante de nos

espèces familières, voire emblématiques.

Le flux de ces immigrés est intarissable,

qu'ils soient transportés par les hommes ou tout

simplement qu'ils se déplacent eux-mêmes. Il

est vrai que la police des frontières est plutôt

« laxiste ». Il n'est pas rare de trouver dans les

jardineries des espèces protégées dont l'expor­

tation est interdite. Mais il est vrai aussi que

peu de douaniers sont spécialisés dans l'iden­

tification des animaux et des plantes. Et que

n'importe quoi, ou presque, a la possibilité de

passer la douane. Il y a quelques années, j'avais

essayé d'obtenir des renseignements quantitatifs

sur les espèces de poissons introduites en France

pour les aquariophiles. Mission impossible. Seul

le tonnage des importations (le poids du contai-

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Des points de vue contrastés [...]

neur avec l'eau et les poissons... ) était disponi­

ble. En l'absence d'informations sur les espèces,

comment faire appliquer les réglementations?

Et qui se soucie du devenir de l'eau des contai­

neurs et de ce qu'elle contient?

Aujourd'hui, la colonisation de nos super­

marchés et de nos tables par des espèces exo­

gènes se poursuit à un rythme soutenu. Des

êtres étranges équipés de nageoires et aux yeux

bulbeux envahissent les étals des poissonniers.

Nous avons en effet épuisé les stocks de poissons

de nos mers côtières! On pêche toujours plus

loin, toujours plus profond...

Des perceptionset des jugements subjectifs

La sensibilité par rapport aux espèces introduites

est loin d'être exempte de jugements de valeur, y

compris de la part des scientifiques. Tout d'abord,

on évoque souvent le fait que les espèces intro­

duites sont à l'origine de « dysfonctionnements»

des écosystèmes. Ce qui sous-entend qu'il y a

un « bon», et donc de « mauvais» modes de

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Faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

fonctionnement. Une question très controver­

sée. Il est vrai que nos esprits de même que

l'écologie scientifique - bien qu'elle s'en défende

- sont encore marqués par l'idée d'équilibre de la

nature, celle créée par Dieu et donc immuable!

On ne peut s'empêcher de penser également,

compte tenu du vocabulaire utilisé, qu'il existe

une certaine analogie entre la « peur de l'étran­

ger », lorsqu'il s'agit des hommes, et la peur de

l'envahisseur, lorsqu'il s'agit des espèces végé­

tales et animales. Que leur reproche-t-on? De

prendre la place des espèces autochtones? De ne

pas pouvoir se prévaloir du droit du sol? Recon­

naissons qu'il y a une forme de xénophobie dans

notre attitude par rapport aux introductions

d'espèces. Une xénophobie latente qui tient

à la crainte de l'inconnu ou du changement.

D'ailleurs, le thème des invasions est souvent

marqué d'une forte charge émotionnelle. La

preuve en est l'usage de mots à connotation

négative «< envahisseurs », « pestes », « aliens »)

ou d'un langage très martial (<< bombardement

d'exotiques», «lutte», «combat», «bataille»,

etc.), y compris par des scientifiques. Ainsi, la

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Des points de we contrastés [...]

caulerpe, en mer Méditerranée, est souvent dési­

gnée comme 1'« algue tueuse». Ces métaphores

ont cependant eu l'avantage d'alerter les non­

spécialistes même si, en retour, l'image donnée,

forcément caricaturale, risque de décrédibiliser

le propos scientifique.

___ Un éclairage de la biogéographie

Sans prôner pour autant la « libéralisation»

des introductions d'espèces, un autre point de

vue considère que ces questions doivent être

abordées dans un contexte plus général. Il s'agit

notamment de considérer l'histoire des écosys­

tèmes et de la mise en place de leur flore et de

leur faune (la biogéographie). •

Ainsi, l'histoire de la Terre nous fournit des

exemples de mise en relation de faunes ayant

évolué isolément sur leurs continents respectifs.

C'est ce qui s'est passé lors de la réunification de

l'Amérique du Nord et de l'Amérique du Sud

il y a environ trois millions d'années, alors que

ces deux continents étaient restés isolés pendant

cinquante millions d'années. Poussées par un

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Faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

refroidissement du climat, les espèces nord­

américaines migrèrent vers le sud, traversèrent

l'isthme de Panama et colonisèrent les forêts tro­

picales, entrant en compétition avec les espèces

sud-américaines. D'après les archives fossiles, on

sait qui a gagné: ce sont les espèces nord-amé­

ricaines qui représentent maintenant plus de la

moitié des mammifères sud-américains. Pour­

quoi? On n'a pas de réponse à cette question.

Un peu de science-fiction. Les géologues

prévoient que, dans plusieurs millions d'années,

l'Australie entrera à son tour en collision avec.

l'Asie du Sud-Est. Si les marsupiaux ont survécu,

ils entreront alors en concurrence avec les mam­

mifères placentaires asiatiques. On s'interroge

sur les vainqueurs potentiels. Si l'homme existe

encore, quelle attitude va-t-il adopter? Inter­

viendra-t-il dans cet affrontement au nom de la

préservation du patrimoine?

Plus près de nous, l'essuie-glace des gla­

ciations, qui repasse tous les cent mille ans

environ dans l'hémisphère Nord, nous a laissé

une biodiversité très appauvrie par rapport aux

régions tropicales. Ces glaciations ont en effet

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Des points de vue contrastés [...]

décimé régulièrement les flores et les faunes en

place, comme en témoigne la disparition des

grands mammifères tels que le mammouth ou

le rhinocéros laineux. Durant les périodes inter­

glaciaires, l'Europe a donc été régulièrement

une terre de reconquête pour la biodiversité

décimée par les glaces. Certaines espèces ont été

plus aptes que d'autres à recoloniser rapidement

les terres libérées. D'autres ont suivi à pas plus

lents. En d'autres termes, la diversité biologique

des écosystèmes européens s'est reconstituée

de manière conjoncturelle et aléatoire après la

dernière glaciation grâce aux espèces qui avaient

survécu dans les zones refuges sud-européennes

ou qui campaient aux marges de l'Europe. En

outre, le temps a été trop court entre les périodes

glaciaires pour que l'évolution conduise à une

diversification importante de la faune et de la

flore.

Pour illustrer les différences pouvant exister

entre des écosystèmes ayant une histoire diffé­

rente, on peut prendre l'exemple des lacs Léman

et Tanganyika. Le premier, sous les glaces il y a

vingt mille ans, a été recolonisé, lors du réchauf-

SI

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Faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

fement, par des espèces qui ont pu l'atteindre

par hasard, en fonction des communications qui

ont pu s'établir entre les cours d'eau. La faune

du Léman est pauvre en espèces de poissons et

ne comporte pas d'endémiques. Incidemment,

elle comporte de nos jours une forte proportion

d'espèces introduites par l'homme. Le lac Tan­

ganyika, au contraire, a au moins dix millions

d'années d'existence. Il héberge une faune riche

et hautement endémique qui est le résultat

d'une longue coévolution entre le milieu et son

peuplement biologique. Deux mondes bien dif­

férents du point de vue écologique et que l'on ne

peut traiter de la même manière. Dans un cas,

il s'agit d'une collection limitée d'espèces qui

se trouve là par hasard; on peut imaginer que

les introductions sont un moyen d'enrichir la

diversité biologique du lac Léman. Dans l'autre,

on peut sérieusement se poser la question de

l'impact éventuel d'une nouvelle espèce sur des

peuplements qui se sont structurés et diversifiés

sur le long terme, surtout si cette espèce est un

prédateur.

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Peut-oncontrôler

les espèces introduites?

La convention sur la diversité biologique n'ex­

dut pas l'idée d'introduire de nouvelles espè­

ces. Elle reconnaît d'ailleurs l'énorme bénéfice

tiré de certaines d'entre elles. Elle recommande

néanmoins la prudence avec les espèces qui

pourraient se révéler envahissantes. Mais peut­

on prédire quelles sont les espèces qui pourront

poser problème? Les scientifiques qui essaient

de répondre à cette question sont perplexes. On

sait que l'introduction de grands prédateurs ou

de virus pouvant causer des épidémies peut avoir

des effets importants sur le milieu récepteur.

Mais dans de nombreux autres cas, le diagnostic

est difficile à établir, souvent parce qu'on ne dis­

pose pas de la connaissance et des informations

nécessaires. C'est cette situation d'incertitude

qui amène parfois à dire qu'il est préférable

d'interdire toute introduction. Une application

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Faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

paradoxale du principe de précaution.

Le principal problème avec les invasions bio­

logiques est que beaucoup sont irréversibles une

fois l'espèce installée. En matière de prévention,

le bon sens voudrait que les espèces introduites

volontairement soient mises en quarantaine à

leur arrivée. Ce qui n'est pas souvent le cas.

D'où l'intérêt de pouvoir réagir rapidement.

Les experts sont en effet d'accord sur ce point:

toute tentative de contrôle n'a de réelles chances

de succès que dans les premiers stades de l'in­

vasion. Pourtant, ce principe n'est pas souvent

appliqués. Dans le cas de la caulerpe, cette algue

marine envahissante en Méditerranée, les auto­

rités administratives, bien qu'averties, ne se sont

pas inquiétées (ou ne se sont pas senties concer­

nées) par sa découverte dans les années 1980.

Elles n'ont pas pris la mesure des conséquences

que sa naturalisation pouvait représenter, de telle

sorte que l'algue a eu tout le temps nécessaire

pour s'installer et que son éradication est main­

tenant impossible.

Dans le cas des plantes invasives, les moyens

de traitement vont de l'arrachage manuel ou

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Peut-on contrôler les espèces introduites?

mécanique à la lutte chimique. Dans certaines

conditions, on a utilisé la lutte biologique, en

recherchant des parasites ou des pathogènes de

l'espèce en cause. On est ainsi amené à lutter

contre une espèce introduite par l'introduction

d'une autre espèce...

Il existe quelques exemples, notamment sur

les ûes, sinon d'éradication entièrement réussie,

du moins de contrôle des populations invasives

permettant la restauration des milieux, c'est-à­

dire la réinstallation d'espèces autochtones que

l'espèce invasive avait évincées. Ainsi le contrôle

des populations de lapins sur des ûes subantarc­

tiques a-t-il permis une recolonisation par le

choux des Kerguelen.

Il faut dire aussi que l'éradication d'une

espèce, même introduite, ne va pas sans poser

des problèmes éthiques. Le cas de l'ibis sacré

illustre toute la complexité de la question. Cet

oiseau africain qui s'est échappé dans les années

1990 d'un parc ornithologique de la côte atlanti­

que s'est adapté au climat breton. Son effectif est

actuellement de quelques milliers d'individus. Si

l'on s'en tient aux principes de la conservation,

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Faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

on pourrait s'attendre à voir mener des campa­

gnes d'éradication de cet hôte indésirable. De

fait, des naturalistes ont demandé l'éradication

de l'ibis sacré en France, arguant qu'il mange

à l'occasion des poussins et des œufs d'espèces

d'oiseaux protégées. Mais au nom de l'éthique

(le droit de vivre pour toute espèce) ou de l'es­

thétique (on ne peut tuer un si bel oiseau), des

citoyens s'opposent aux actions d'éradication.

Un collectif s'est créé, baptisé « Collectif pour la

protection de l'ibis de Bretagne ». Un bel exem­

ple d'appropriation affective.

En réalité, la question des pullulations de

populations relève d'une problématique plus

large que celle des espèces envahissantes. C'est

probablement dans ce domaine du contrôle

des pullUlations, qui constitue un vaste sujet

de recherche appliquée, qu'il faut continuer à

améliorer les connaissances. Car les détermi­

nismes ne sont pas nécessairement différents,

qu'il s'agisse d'espèces autochtones ou d'espèces

introduites.

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Changementsclimatiques et

invasions tiiologiques

Tous les scientifiques sont unanimes pour dire

que les changements climatiques en cours vont

entraîner des modifications de la répartition

géographique des espèces. On a d'ailleurs mis

en évidence le fait que plusieurs espèces ont

entrepris de migrer vers le nord ou en altitude.

Des espèces d'oiseaux méditerranéens comme

le héron garde-bœufs ou le guêpier d'Europe

sont maintenant observées dans le nord du pays.

Plusieurs espèces de poissons marins tropicaux

sont fréquemment observées dans l'Atlantique

Nord.

Il est clair que de nombreuses espèces vont

profiter de ces changements pour étendre leur

territoire. Elles viendront des frontières du pays

ou des régions méditerranéennes. Et certaines

trouveront dans un avenir proche des condi­

tions favorables à leur naturalisation. Quelques

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Faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

espèces sans aucun doute, pourront être qua­

lifiées d'« invasives ». Nous devons nous y pré­

parer. Mais, simultanément, il est probable que

d'autres espèces que nous connaissons actuelle­

ment disparaissent.

Dans le passé récent, nous avons vu que

les changements climatiques ont joué un rôle

prépondérant sur la dynamique de la biodi­

versité de l'hémisphère Nord. Lors du dernier

maximum glaciaire, qui date de vingt mille ans

environ, tout le nord de l'Europe était sous les

glaces, ainsi que le massif alpin et les Pyrénées.

La France était alors couverte de steppes et de

toundras comparables à celles que l'on observe

aujourd'hui en Sibérie. Avec le réchauffement

qui a suivi, les espèces ont recolonisé progres­

sivement les zones libérées par les glaces. Et

heureusement qu'il y a eu des espèces invasives

pour reconquérir l'Europe du Nord! Surtout,

rien ne permet de penser que cette recolonisa­

tion soit arrivée à son terme! Il est même plus

que probable, avec ou sans le réchauffement en

cours, que d'autres espèces pourraient coloni­

ser l'Europe en l'absence de toute intervention

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Changements climatiques et invasions biologiques

humaine. Une question de temps et d'opportu­

nité tout simplement! Ainsi, il est symptomati­

que de constater que beaucoup d'espèces qui se

naturalisent aujourd'hui dans nos cours d'eau

sont originaires du Danube et des environs de

la Mer noire, la zone refuge, durant la dernière

période glaciaire, à partir de laquelle plusieurs

espèces ont recolonisé l'Ouest. Ce phénomène,

en l'occurrence, a été facilité par le réseau de

canaux, notamment celui qui relie le Danube au

Rhin depuis 1992.

Les invasions biologiques, tout comme les

extinctions d'espèces, font partie des processus

naturels qui ont façonné la composition de la

diversité biologique dans une région donnée. Les

changements climatiques ont souvent joué un

rôle prépondérant dans le passé. Dans ces condi­

tions, on peut s'étonner des discours catastro­

phistes selon lesquels la biodiversité est en danger

du fait des changements climatiques. Oui, elle va

changer, comme elle l'a toujours fait ... Difficile

d'accepter le changement?

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Vers une :perceptionplus amicale

des introductions

Il est vrai que l'homme exerce une emprise de

plus en plus grande sur la biosphère. Les espè­

ces introduites participent des changements

globaux. Toutes n'ont pas été introduites volon­

tairement, loin de là. Elles se sont déplacées

elles-mêmes, ou elles ont su profiter des moyens

de transport que l'homme mettait à leur dispo­

sition (avions, véhicules terrestres, bateaux, etc.)

pour circuler de par le monde et s'installer là où

les conditions d'existence leur convenaient.

Lorsqu'on parle d'introduction d'espèces

ou d'invasion biologique, on privilégie le plus

souvent l'aspect spectaculaire et dramatique.

Pourtant, beaucoup d'espèces introduites n'ont

guère posé de problèmes et se sont naturalisées.

Au point d'être considérées maintenant comme

des espèces autochtones, voire patrimoniales!

Certaines ont même largement contribué au

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Vers une perception plus amicale des introductions

développement de nos sociétés, constituant l'es­

sentiel de notre alimentation quotidienne. 11 est

difficile d'imaginer ce que l'on ferait sans elles ...

Mais il est vrai, cependant, que d'autres espèces

introduites nous créent quelques problèmes et

causent des dommages économiques et écolo­

giques. On les qualifie alors d'« invasives» ou

d'« envahissantes» parce qu'elles se mettent à

proliférer au détriment des espèces locales. Un tel

phénomène s'observe également chez les espèces

autochtones qui se mettent parfois à pulluler à

certaines époques et dans certains milieux. Les

causes et les conséquences de ces pullulations ne

sont pas fondamentalement différentes. Mais les

« immigrés» sont plus facilement dénoncés que

les autochtones comme fauteurs de troubles.

Dans les faits, le problème auquel nous

sommes confrontés est donc le contrôle des

pullulations, quelle qu'en soit l'origine. Les pré­

occupations de santé publique ou les problè­

mes phytosanitaires mobilisent, avec raison, des

moyens importants. On craint tout autant les

proliférations d'espèces autochtones nuisibles à

nos activités agricoles que celles d'espèces intro-

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Faut-il avoir peur des introductions d'espèces?

duites. Et on redoute les invasions de virus et

de bactéries pathogènes ou de leurs vecteurs. La

vigilance est de règle et les mesures de précau­

tion sont, sans aucun doute, à renforcer.

Dans le domaine écologique, on s'est surtout

focalisé sur l'étude des impacts négatifs des

espèces introduites. Il arrive pourtant, peut-être

plus souvent qu'on ne le dit, que ces espèces

constituent une nouvelle ressource qui pro­

fite aux espèces indigènes. Peut-on espérer des

regards moins « idéologiques» sur les introduc­

tions d'espèces? Contrairement à certaines idées

reçues, la nature n'a pas toujours bien fait les

choses. En Europe, où de nombreuses commu­

nautés biologiques sont de simples assemblages

d'espèces qui se sont constitués au hasard de

l'histoire, il y a place sans aucun doute pour un

regard plus « amical» sur le rôle des espèces

introduites dans les écosystèmes. Il faut pour

cela que l'écologie traditionnelle revisite ses

fondamentaux et inscrive délibérément la ques­

tion de la biodiversité dans une perspective de

dynamique à long terme. Le monde change, il se

modifie en permanence et la diversité biologique

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Vers une perception plus amicale des introductions

aussi. Le changement climatique en cours arrive

à point pour nous obliger à repenser les prati­

ques de conservation, trop longtemps impré­

gnées des notions d'équilibre et de stabilité. On

doit s'attendre à des transformations profondes

de la faune et de la flore. Nous devons nous y

préparer, car nous n'avons pas d'autre choix que

de nous adapter à ces changements.

Achevé d'imprimer sur rotative par l'imprimerie Darantiere

à Dijon-Quetigny en avril 2008

N° d'impression: 28-330

N° éditeur: 090365-01/1

Dépôt légal: avril 2008

Imprimé en France

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BibliOgraphie

M. Pascal, O. Loverlec et J.-D. Vigne, Invasions biologiques

et extinctions. Il 000 ans d'histoire des Vertébrés en France,

Belin, éditions Quae, 2006. Une synthèse des connaissances

sur l'évolution de la faune des Vertébrés, depuis la dernière

glaciation, en France.

C. Lévêque et J.-c. Mounolou, Biodiversité. Dynamique

biologique et conservation, Dunod, 2001. Un manuel à l'usage

des étudiants sur les origines, la dynamique et la conservation

de la biodiversité.

S. Muller, Plantes invasives en France. État des connaissances et

propositions d'actions, Muséum national d'histoire naturelle,

2004. Un état des connaissances relatives aux espèces végétales

invasives en France.

Table des matières

Introduction 3

Pour quelles raisons introduire de nouvelles espèces? 12

Activités humaines et transferts d'espèces 22

Portrait-robot d'une espèce envahissante 30

Des points de vue contrastés sur les introductions 42

Peut-on contrôler les espèces introduites? 53

Changements climatiques et invasions biologiques 57

Vers une perception plus amicale

des introductions d'espèces 60

Bibliographie 64

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