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L es matadors n’aiment pas affronter le premier toro à sortir du toril. Ils disent que le public est encore trop froid pour pouvoir s’enthousiasmer. Mais aujourd’hui, le nouveau direc- teur des arènes Jean-Baptiste Ja- labert tenait à ce que ce soit Sé- bastien Castella qui s’y colle. Et il a réussi à le convaincre. Le Biterrois donnera donc tou- te à l’heure les premières passes de la nouvelle ère qui s’est ouverte pour les arènes d’Arles. Un symbole parce qu’il est fran- çais, un geste fort parce que ses relations furent longtemps plus que froides avec Juan Bautista, et un événement puisque Castel- la a été élu meilleur matador de la saison 2015. Un torero au sommet de son art, qui semble avoir trouvé le supplément d’âme qui lui fai- sait défaut. Il a aéré des faenas qui avaient parfois tendance à étouffer le toro comme le pu- blic. Mais il a gardé ce courage froid, cette envie permanente et cette régularité sans faille qui ont toujours fait sa force. Une donnée témoigne de ce que représente aujourd’hui Sé- bastien Castella : il est program- mé pas moins de quatre fois dans les cartels de la prestigieu- se feria de Madrid, annoncés la semaine dernière. Aucun autre torero ne fera autant de paseos dans la capitale espagnole lors de la San Isidro 2016. Les mauvaises langues note- ront que c’est son apoderado qui gère les arènes de Las Ven- tas, mais cette quadruple pré- sence au paseo n’a rien d’illogique. Il suffit de regarder les images de sa prestation du 27 mai 2015 dans ces mêmes arènes pour s’en convaincre. Ce jour-là, le Français a offert une faena pleine d’à-propos, profon- de, sans excès, fleurie juste com- me il le faut. Résultat : deux oreilles, et le prix du triompha- teur de la feria de San Isidro et ses 31corridas. Une semaine avant d’ouvrir avec fracas la grande porte, Sébastien Castel- la avait signé sur le sable de Las Ventas une prestation en forme d’avertissement. Le lendemain, le journal El Mundo avait parlé d’une "explosion torera" et d’une "symbiose quasi parfaite" entre le matador français, son toro d’El Torero et le public. "Ja- mais il n’avait toréé aussi lente- ment à Madrid", pouvait-on li- re. En matière de lenteur et de temple, Sébastien Castella trou- vera à qui parler, cet après-mi- di. Car José Maria Manzanares est maître en la matière. Il a le secret du "bon goût enjoué du classicisme" et dessine des pas- ses qui évoquent "l’écoulement au ralenti du miel", décrit si jus- tement l’écrivain Jacques Du- rand. Son toreo est une savou- reuse alchimie entre cadence, douceur, précision et profon- deur. Un art qu’il distille de nou- veau vêtu d’or, après une saison 2015 où il a porté le costume noir du deuil, en mémoire de son père disparu. Cela ne l’avait pas empêché d’éblouir Arles il y a un an, avec une faena mémo- rable ponctuée d’un extraordi- naire coup d’épée. Mais paradoxalement, le tore- ro le plus attendu cet après-mi- di ne s’appelle ni Sébastien Cas- tella ni José Maria Manzanares, mais Alberto Lopez Simon. Et ce pour une seule et bonne rai- son: il y a quelques mois, per- sonne ne le connaissait et de- puis, il triomphe partout. Ma- drid, Istres, Pampelune, Nîmes et plus récemment Olivenza, Castellon et Valencia, ont tour à tour découvert la bouillante froi- deur de sa démarche, la pureté poignante de son toreo et ses prises de risques quasi suicidai- res. L’amphithéâtre arlésien, dont il n’a jamais foulé le sable en tant que matador, piaffe de le découvrir. Pour toutes ces rai- sons, La Provence a décidé de partir à sa rencontre, il y a un mois, en Espagne. La double pa- ge intérieure de ce numéro spé- cial est consacrée à cette rencon- tre. Aujourd’hui à 16 h, six toros de Garcigrande pour Sébastien Castella, J-M. Manzanares et Alberto Lopez Simon LA UNE Castella, Manzanares, Lopez Simon, des toreros en or PAGES 2 & 3 En Espagne, à la rencontre de Lopez Simon PAGE 4 Rudy Nazy, un maire à la baguette des arènes Un cartel trois étoiles Par Romain FAUVET Envoyé spécial en Espagne Castella a trouvé le supplément d’âme qui lui faisait défaut.

Feria de Pâques : retrouvez notre supplément de samedi

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Feria de Pâques : retrouvez notre supplément de samedi

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Les matadors n’aiment pas affronter le premier toro à sortir du toril. Ils disent

que le public est encore trop f r o i d p o u r p o u v o i r s ’ e n t h o u s i a s m e r . M a i s aujourd’hui, le nouveau direc-teur des arènes Jean-Baptiste Ja-labert tenait à ce que ce soit Sé-bastien Castella qui s’y colle. Et il a réussi à le convaincre.

Le Biterrois donnera donc tou-te à l’heure les premières passes de la nouvelle ère qui s’est ouverte pour les arènes d’Arles. Un symbole parce qu’il est fran-çais, un geste fort parce que ses relations furent longtemps plus que froides avec Juan Bautista,

et un événement puisque Castel-la a été élu meilleur matador de la saison 2015.

Un torero au sommet de son art, qui semble avoir trouvé le supplément d’âme qui lui fai-sait défaut. Il a aéré des faenas qui avaient parfois tendance à étouffer le toro comme le pu-blic. Mais il a gardé ce courage froid, cette envie permanente et cette régularité sans faille qui ont toujours fait sa force.

Une donnée témoigne de ce que représente aujourd’hui Sé-bastien Castella : il est program-mé pas moins de quatre fois dans les cartels de la prestigieu-se feria de Madrid, annoncés la semaine dernière. Aucun autre torero ne fera autant de paseos dans la capitale espagnole lors

de la San Isidro 2016.Les mauvaises langues note-

ront que c’est son apoderado qui gère les arènes de Las Ven-tas, mais cette quadruple pré-s e n c e a u p a s e o n ’ a r i e n d’illogique. Il suffit de regarder les images de sa prestation du 27 mai 2015 dans ces mêmes arènes pour s’en convaincre. Ce jour-là, le Français a offert une faena pleine d’à-propos, profon-de, sans excès, fleurie juste com-me il le faut. Résultat : deux oreilles, et le prix du triompha-teur de la feria de San Isidro et ses 31corridas. Une semaine avant d’ouvrir avec fracas la grande porte, Sébastien Castel-la avait signé sur le sable de Las Ventas une prestation en forme d’avertissement. Le lendemain,

le journal El Mundo avait parlé d’une "explosion torera" et d’une "symbiose quasi parfaite" entre le matador français, son toro d’El Torero et le public. "Ja-mais il n’avait toréé aussi lente-ment à Madrid", pouvait-on li-re. En matière de lenteur et de temple, Sébastien Castella trou-vera à qui parler, cet après-mi-di. Car José Maria Manzanares est maître en la matière. Il a le secret du "bon goût enjoué du classicisme" et dessine des pas-ses qui évoquent "l’écoulement

au ralenti du miel", décrit si jus-tement l’écrivain Jacques Du-rand. Son toreo est une savou-reuse alchimie entre cadence, douceur, précision et profon-deur. Un art qu’il distille de nou-veau vêtu d’or, après une saison 2015 où il a porté le costume noir du deuil, en mémoire de son père disparu. Cela ne l’avait pas empêché d’éblouir Arles il y a un an, avec une faena mémo-rable ponctuée d’un extraordi-naire coup d’épée.

Mais paradoxalement, le tore-ro le plus attendu cet après-mi-di ne s’appelle ni Sébastien Cas-tella ni José Maria Manzanares, mais Alberto Lopez Simon. Et ce pour une seule et bonne rai-son: il y a quelques mois, per-sonne ne le connaissait et de-

puis, il triomphe partout. Ma-drid, Istres, Pampelune, Nîmes et plus récemment Olivenza, Castellon et Valencia, ont tour à tour découvert la bouillante froi-deur de sa démarche, la pureté poignante de son toreo et ses prises de risques quasi suicidai-res. L’amphithéâtre arlésien, dont il n’a jamais foulé le sable en tant que matador, piaffe de le découvrir. Pour toutes ces rai-sons, La Provence a décidé de partir à sa rencontre, il y a un mois, en Espagne. La double pa-ge intérieure de ce numéro spé-cial est consacrée à cette rencon-tre.

Aujourd’hui à 16 h, six toros de

Garcigrande pour Sébastien Castella,

J-M. Manzanares et Alberto Lopez Simon

LA UNE Castella, Manzanares, Lopez Simon, des toreros en orPAGES 2 & 3 En Espagne, à la rencontre de Lopez Simon PAGE 4 Rudy Nazy, un maire à la baguette des arènes

Un cartel trois étoiles

Par Romain FAUVET

Envoyé spécial en Espagne Castella a trouvéle supplément d’âme qui lui faisait défaut.

Ce 23 février, nous avons ren-dez-vous avec Alberto Lopez Si-mon dans le froid glacial d’un

gymnase, perdu à la sortie d’un village sans charme de la banlieue de Sala-manque. C’est là qu’il s’entraîne tous les matins. Le matador arrive avec un peu de retard et une excuse : sa jour-née de la veille. Il a toréé quatre vaches et un toros à Palencia, puis parcouru 350 kilomètres pour rejoindre Madrid où il avait rendez-vous pour parfaire un nouveau costume de lumières. Dans la foulée, il était attendu au casi-no de la capitale espagnole pour se fai-re remettre le prix de la révélation de la saison 2015. Une journée marathon à l’issue de laquelle il a repris la route pour rejoindre son domicile de Sala-manque. Couché à 4 heures du matin, il a dû se lever quelques heures plus tard pour une séance de physiothéra-pie. Arrivé au gymnase de Villares de la Reina, il saisit aussitôt une cape pour réciter ses gammes, à l’écart des élèves de l’école taurine locale, qu’il a pris le temps de saluer. Entre deux coups de téléphone, son apoderado Julian Guer-ra donne d’incessantes consignes. Et rugit de "Olé, olé y oléééééé" quand son poulain esquisse les gestes les plus aboutis. Après 25 minutes de cape, autant de muleta et quinze estocades devant le fronton de pelote basque du gymnase, Alberto Lopez Simon vient s’asseoir à côté de nous. Et se confie longuement, avant de nous inviter à le voir tuer un toro à une heure de là. Des moments précieux, avec un torero sin-cère et attachant.

z Entre les remises de prix et les en-traînements, vous avez un programme surchargé. La lassitude ne pointe ja-mais ?Ça arrive, mais cette période est très importante pour mettre la machine en route, aussi bien physiquement que moralement. Il faut vaincre ces mo-ments où tu te lèves et que tu sens que ton corps te dit non, car ce sont les en-traînements d’aujourd’hui qui me ser-viront toutes la saison dans l’arène, de-vant le toro.

z Votre préparation est-elle la même que lors de l’hiver dernier, alors que

vous n’aviez qu’une seule corrida de-vant vous ?Oui, exactement la même. La seule chose qui change, c’est que l’année derni ère, je n ’a vai s pas auta nt d’opportunités de tienter et de tuer des toros au campo. La proportion de toreo de salon a donc un peu baissé au profit du campo.

z On dit que la saison la plus compli-quée est toujours celle qui suit une gran-de année. Vous sentez que le plus dur vous attend?Je ne sais pas et je ne veux rien imagi-ner pour ne pas me tromper. Je préfère

me préparer au mieux, et ce que me ré-serve le destin sera bienvenu. Il faudra l’accepter. Après, je reconnais que j’ai plus de pression parce que j’ai plus d’engagements, dans des arènes im-portantes, et avec des compagnons de cartels qui sont au top, figuras pour la plupart. Mais il faut l’assumer car c’est aussi ce dont je rêve depuis tout petit.

z Après vos premiers triomphes de 2015, vous racontiez que vous aviez par-fois l’impression que quelqu’un allait vous réveiller en vous disant: "Eh Alber-to, ça fait six mois que tu dors, faut se réveiller maintenant…" Cette sensation

existe-t-elle toujours ?Moins. Je sais maintenant que ce qui m’arrive est bien réel parce que tous les matins, quand je prends ma dou-che, je vois les cicatrices sur mon corps et je vois la lutte, les sacrifices que j’ai faits pour en arriver là. Mais c’est vrai qu’il y a encore des fois où je me dis que c’est peut-être un rêve... Malgré tout les efforts et le sang que j’ai laissé sur le sable, c’est tellement beau tout ce qui m’arrive que, oui, j’ai peur que quelqu’un arrive et me ré-veille.

z En piste comme dans la vie, vous dé-

gagez à la fois de l’assurance et de la fragilité…Je suis quelqu’un d’instable émotion-nellement. J’ai traversé pas mal de pé-riodes difficiles, et j’ai vu plusieurs psy-chologues. Oui, je me considère com-me quelqu’un de fragile, mais ce n’est pas quelque chose que je veux néces-sairement corriger, parce que cette fra-gilité émotionnelle t’apporte de la sen-sibilité pour créer. L’essence du toreo est là : mettre son âme à nu pour l’offrir au toro.

z Comment vivez-vous la peur qui pré-cède une corrida ?Bien, parce que la peur est un compa-gnon nécessaire pour le torero, sinon il ne serait pas humain. Quand la peur n’est pas là, ça me préoccupe, ça m’inquiète, parce que je me dis que mon corps trame quelque chose. Il faut être conscient de ce qui va être en jeu quand on met l’habit de lumières, à savoir sa vie.

z Mettre sa vie en jeu, n’est-ce pas dramatique pour un jeune homme de 25 ans ?Matador est une profession à risque maximal où le drame peut arriver à tout moment. Je l’ai décidé étant petit, puis j’ai beaucoup mûri cette décision. Personne ne m’a obligé et je le fais avec une liberté totale. Toréer, c’est ce qui me fait sentir vivant. J’ai besoin de cette recherche du toreo le plus pur, le plus éternel.

z C’est quoi, le toreo éternel ?J’en rêve, je l’imagine, mais je ne suis pas capable de le décrire. C’est très abs-trait. Quand je m’en approche, c’est une satisfaction telle, qui me fait sentir si heureux… C’est ce qui me pousse à m’entraîner tous les jours. (Il réfléchit) C’est très difficile à décrire exactement avec des mots. C’est une fusion entre l’animal, tes poignets et ton âme de to-rero. La technique n’existe plus. J’ai parfois réussi à m’en approcher un peu, mais j’ai peur de partir de ce mon-de sans avoir atteint ce toreo éternel, mais sa recherche est ce qui me main-tient debout.

z On vous compare régulièrement à José Tomas. Ça vous inspire quoi ?Ça ne peut pas me déranger qu’on me compare avec un torero d’époque, une légende vivante. Mais c’est une comparaison injuste pour lui, vu tout ce qu’il a obtenu, et je ne parle pas de grande porte, mais de ce qu’il a pu fai-re devant un toro. Il me reste beau-coup de chemin à parcourir pour en ar-river-là.

"C’est peut-être un rêve..."ALBERTO LOPEZ SIMON "La Provence" a suivi la révélation de la saison 2015 pendant sa préparation, à Salamanque

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Ce 23 février, comme chaque matin, Alberto Lopez Simon s’est entraîné dans le gymnase de Villares de la Reina, à côté de Salamanque, avant d’affronter un toro dans la ganaderia El Pilar. / PHOTOS V.F.

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"La Provence" a suivi Alberto Lopez Simon pendant une journée d’entraînement, ponctuée par une tienta chez El Pilar, à Salamanque. Depuis, il a triomphé à Castellon, Olivenza... / REPORTAGE PHOTO DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE À SALAMANQUE, VALÉRIE FARINE

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"L’essence du toreo est là : mettre son âme à nu pour l’offrir au toro."

MPar Romain FAUVETEnvoyé spécial à Salamanque

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Arles en Feria

Depuis ses triomphes à Madrid (à gauche sa troisième grande porte), Alberto Lopez Simon a fait un tabac partout où il est passé, notamment à Illescas (au centre) et Valencia, en mano a mano avec El Juli. / PHOTOS DR

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Une nuit, Alberto Lopez Simon a fait un cauchemar. Resté bloqué dans un ascenseur, il avait raté le

pa seo. Dep uis, i l prend toujou rs l’escalier à l’heure de partir pour les arè-nes. Même à Madrid, où il a l’habitude de se vêtir de lumière au 30e étage de l’hôtel Tower, un des bâtiments les plus hauts de la capitale espagnole. En 2015, il a descendu à trois reprises ses innom-brables marches en costume de torero. Et trois fois, il a conquis Madrid. Un ex-ploit historique, qui a marqué une sai-son où les succès se sont répétés à une cadence insolente, faisant de lui la nou-velle star du toreo. Difficile d’imaginer qu’un an plus tôt, Alberto Lopez Simon a failli tout arrêter.

Avant l’été 2014, deux ans après son alternative, sa carrière est au point mort. "J ’étais trop anxieux, expli-que-t-il. Il fallait que je parvienne à fai-

re dis pa ra ître cett e p res sion q ui m’empêchait de sortir, devant le toro, ce que j’avais en moi. Je cherchais à triom-pher avant de chercher à toréer. Et quand tu es obsédé par le triomphe, tu te dévies de ton chemin, tu t’éloignes de ce toreo pur, éternel." Le novillero promet-teur est devenu un matador au chôma-ge. Il flirte avec la dépression et se reti-re, seul, dans une maison de campa-gne. Il va jusqu’à faire une croix sur son seul contrat, à Madrid. "Je me sentais vi-de, confie Lopez Simon. Le toreo est un art où tu dois exprimer des sentiments, donc tu ne peux pas aller dans les plus grandes arènes du monde quand tu n’as rien à l’intérieur. J’étais sur une pente descendante, sans frein. L’envie de to-réer avait disparu. D’ailleurs, je n’avais plus envie de rien." Les amis, les livres, la t é lé , l es to r os … P lu s r ie n ne l’intéresse.

Son ami éleveur Antonio Palla finit par le convaincre de venir passer un sé-jour dans sa finca. Après un bon repas

et une bouteille de vin partagée avec le ganadero, Lopez Simon accepte de don-ner quelques passes devant une vieille vache de la maison. Julian Guerra, son actuel apoderado, souffle sur les brai-ses et, peu à peu, la flamme se ravive.

"Laisser la raison de côté""C’est alors que j’ai compris que la

phrase de José Tomas « Vivre sans to-réer, ce n’est pas vivre » était valable pour moi. J’en ai besoin. Le toreo est ma-gique parce qu’il peut te changer la vie en moins de temps qu’une faena. Cinq naturelles, seul au campo, peuvent suffi-re. Je n’ai jamais trouvé autre chose dans la vie qui me fasse ressentir quel-que chose d’aussi spécial."

À l’aube de la saison 2015, il a repris goût à la vie et à son métier. Mais n’a de nouveau qu’un seul contrat signé, à Ma-drid. "Je me suis entraîné comme si j’en avais 50, se souvient-il. Les gens me pre-naient pour un fou, mais moi, je savais qu’il pouvait se passer quelque chose."

La suite lui donne raison : il coupe deux oreilles malgré une cuisse transpercée par la corne de son premier toro qui l ’ob l ig e à qu it te r le s a r è nes via l’infirmerie. "Si je n’avais pas triomphé ce jour-là, j’aurais arrêté et j’aurais re-pris mes études", avoue le matador. Las Ventas veut le revoir trois semaines plus tard. Son ménisque cassé le lui in-terdit, mais il y retourne, triomphe en-core, et sort cette fois par la grande por-te. En octobre, nouveau triomphe, com-me souvent au prix de son sang. Les coups de cornes ? "C’est le tribut qu’il faut payer au toro en échange de tout ce qu’il nous donne, philosophe-t-il. Par-fois, dans la vie d’un torero, il faut sa-voir laisser la raison de côté et aller de l’avant. J’ai rendez-vous tous les jours avec la mort, mais la vie a toujours une excuse pour ne pas que je reste assis à sa table. Je ne me considère pas comme un héros, juste comme une personne qui se livre corps et âme à sa profession, quoi qu’il en coûte."

L’histoire d’une résurrectionAvant d’exploser la saison dernière, le torero madrilène a failli arrêter sa carrière. Confessions d’un miraculé

"Si vous deviez garder une image, une seule, de votre exceptionnelle sai-son 2015, ce serait laquelle ?", a-t-on de-mandé à Alberto Lopez Simon. Ce der-nier n’a pas su choisir entre ses trois triomphes madrilènes. Pour La Proven-ce, il est revenu sur chacun d’entre eux.

w LE 2 MAI Oreill e et

oreille (deux graves coups de cornes au premier toro).

"Ce triom-phe a eu quel-que chose de magique par-ce que c’était le premier à Madrid, dans ma ville, dans les plus grandes arènes du monde. J’en rêvais depuis toujours, depuis que j’étais élève à l’école taurine de Madrid. Mais je ne pensais pas que ça pourrait arriver un jour. Après la corrida, je me suis réveillé plusieurs fois à l’hôpital en me disant : « J’ai réussi à sortir par la grande porte de Madrid. » C’était fou ."

w LE 24 MAIOreille et oreille. "Ce deuxième

triomphe a aussi une saveur spéciale puisque je devais confirmer ce qu’il s’était passé 20 jours plus tôt. Il y avait une attente du public et je ne pouvais pas décevoir. J’en garderai aussi un sou-venir particulier parce que c’était la pre-mière fois que je sortais vraiment en triomphe par la grande porte, puisque le 2 mai, j’avais dû me faire opérer à l’infirmerie."

w LE 2 OCTOBREOreille, oreille et silence (blessure

au premier toro). "Cette troisième corri-da était un pari risqué de ma part et je voulais prouver que j’avais raison de le tenter. Beaucoup de gens, y compris des amis, me disaient que j’étais fou de reve-nir à Madrid après la saison que j’avais faite, que j’avais beaucoup plus à per-dre qu’à gagner. Alors quand j’ai obte-nu ce troisième triomphe, c’était énor-me. À mes yeux, c’était une preuve que les deux premiers ne devaient rien au hasard."

Avant de se présenter aujourd’hui à Arles, Alberto Lopez Simon a fait cinq paseos en 2016. Et cinq fois, il est sorti par la grande porte (ici dans les arènes d’Olivenza).Des succès qui soufflent comme un vent de fraîcheur sur une tauromachie qui attendait depuis trop longtemps la relève des stars en place. / PHOTO COMMUNICATION LOPEZ SIMON

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MADRID

Trois triomphes qui ont tout changé

Par Romain FAUVETEnvoyé spécial à Salamanque

A en Feria

Dans les arènes, c’est lui qui est en charge de la partition tauromachi-

que. Dans l’arène politique, il préside aux destinées de sa com-mune gardoise, Meynes.

Rudy Nazy est un homme sur-prenant, passant aisément de son fauteuil de premier magis-trat à celui de chef d’orchestre de Chicuelo II, référence en la matière. Et il mène les deux à la baguette. Il faut dire que dans sa vie, il n’y a pas de place pour l’improvisation. Car en plus de ses deux casquettes, Rudy Nazy est également vice-président de la communauté de communes du Pont du Gard, trompettiste au théâtre de l’Odéon de Mar-seille et professeur au conserva-toire de musique d’Arles.

" T o u t e s t u n e q u e s t i o n d’organisation", sourit celui qui chaque matin se lève à quatre heures pour travailler ses dos-siers, avant d’aller en mairie. "Après, je suis sans cesse déran-gé, mais c’est ça aussi être maire d’un village. Les gens ont besoin de proximité et d’écoute. J’aime ça, c’est un côté agréable de ma fonction." Entouré d’une poi-gnée d’administratifs et de ses adjoints, il gère sa commune de 2570 habitants de façon "ultra méthodique et ultra rigoureu-se."

C’est Gérard Blanc, maire ho-n o r a i r e d e M e y n e s e t aujourd’hui conseiller général qui lui a mis le pied à l’étrier, voi-là 27 ans. "Auprès de lui, j’ai fait trois mandats de conseiller mu-nicipal puis un mandat en tant

qu’adjoint." Rudy Nazy est donc rôdé à l’exercice de la poli-tique, au sens noble du terme. "J’essaie d’être impartial, de ne favoriser personne mais unique-ment l’intérêt général", insiste monsieur le maire. Avec lui, on parle Plan local d’urbanisme, ré-s e a u x d ’ e a u e t d’assainissement, mise en atten-te de la fibre optique... et paso doble, clarines et faena. Avec un naturel déconcertant et une mê-me passion.

Cette passion-là, celle de la musique, est née très tôt. Rudy N a z y n ’ a v a i t q u e 1 3 a n s lorsqu’il est entré comme musi-ci en aux arènes d’Arles. A l’époque ce n’était pas les Chicuelo mais la Musique d’Eyragues qui officiait. A l’âge de 17 ans, il rentre comme clari-nes aux arènes de Nîmes, poste qu’il occupera jusqu’à ses 28 ans. "Je vais avoir 50 ans cette an-née, ça me fait donc 33 ans d’arènes !", lance celui qui il y a

quelques années, après la dispa-rition de Robert Marchand, a pris la direction de Chicuelo II.

Dans l’arène, Rudy Nazy a l’habitude de dire qu’il a trois yeux : "un sur les musiciens, un sur la présidence et un sur la pis-te." "La musique accompagne la faena mais elle ne doit pas pren-

dre le dessus." Rudy Nazy veille à ce que la

partition musicale soit en ac-cord avec ce qui se passe sur la piste. "Celui qui se joue la vie ici, c’est le torero et s’il est désarmé la musique doit immédiatement se taire. C’est pourquoi il faut toujours être vigilant."

Aranjuez, l’Hymne à l’amour... une tendance "made in" Chicuelo IIAu répertoire "corrida" de

Chicuelo II, pas moins de 140 morceaux. Parmi eux, des "clas-siques" mais aussi, et de plus en plus, des morceaux hors réper-toire taurin, comme Mission,

l’Hymne à l’amour, le concerto d’Aranjuez... "qui séduisent les toreros et ’in fine’ le public".

"Ce sont quelque part des chal-lenges, à jouer. A l’époque où Thomas Joubert m’a demandé le concerto d’Aranjuez, ça relevait de l’expérience, surtout le fait de le jouer dans un amphithéâtre

comme Arles. Je lui ai refusé plu-sieurs fois pensant que j’allais me prendre un carton dans l’arène. Puis je l’ai fait, et ça a sé-duit. Mais c’était un coup de po-ker, ou ça marchait ou c’était un fiasco. Et ça c’est ce qui s’est pas-sé l’année dernière dans les arè-nes d ’Ar le s av ec El J uli e t l’Hymne à l’amour. C’est pour ça qu’il faut toujours un plan B, au cas où le plan A ne colle pas avec le toro, et la faena du torero." Avec Rudy Nazy, il souffle com-me un vent nouveau sur les or-chestres taurins, même si la tra-dition perdure. Indispensable. "C’est vrai que nous sommes co-piés dans plusieurs arènes du Sud-Ouest et même d’Espagne. Si j’ai innové, et que nous som-mes sollicités, c’est que ça doit pas être mal", sourit le chef d’orchestre qui a une autre rai-son de se réjouir : la sortie du 10e

album de Chicuelo II, Sueño to-rino. L’occasion de retrouver des tubes de l’orchestre mythi-que du Sud-Est, des nouveautés et tant d’autres beaux mor-ceaux, interprétés par une tren-taine de musiciens amateurs ou professionnels, unis par deux p a s s i o n s : l a m u s i q u e e t l’aficion. Et réunis autour d’un homme aussi généreux derrière son bureau de maire que derriè-re son pupitre. Pardon, son Ipad ! "On se modernise !", rigole Rudy Nazy.

Julia RAZIL

Retrouvez plus d’informations sur l’album

dans notre édition d’Arles de La Provence

aujourd’hui.

Rudy Nazy, l’autre maestro de l’arène Le chef d’orchestre du mythique Chicuelo II est aussi professeur au conservatoire de musique d’Arles, trompettiste au théâtre de l’Odéon à Marseille et maire de Meynes (Gard). Une vie à 100 à l’heure où il n’y a pas de place pour l’impro

Rudy Nazy est un homme surprenant, passant aisément de son fauteuil de premier magistrat de Meynes à celui de chef d’orchestre de Chicuelo II. / PHOTO VALÉRIE FARINE

"Je vais avoir 50 ans cette année, ça me fait donc 33 ans d’arènes !"

Arles en Feria