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fiche-declassement_vprof Page 1 sur 24 Aix-Marseille, nov. 2016 Fiche concept : Le déclassement Extrait du BO n°21 du 23 mai 2013 Programme de terminale, enseignement obligatoire Sociologie 1. Classes, stratification et mobilité sociale 1.2 Comment rendre compte de la mobilité sociale ? Mobilité intergénérationnelle/intra- générationnelle, mobilité observée, fluidité sociale, déclassement, capital culturel, paradoxe d'Anderson. Après avoir distingué la mobilité sociale intergénérationnelle d'autres formes de mobilité (géographique, professionnelle), on se posera le problème de sa mesure à partir de l'étude des tables de mobilité sociale dont on soulignera à la fois l'intérêt et les limites. On distinguera la mobilité observée et la fluidité sociale et on mettra en évidence l'existence de flux de mobilité verticale (ascendante et descendante) et horizontale. On étudiera différents déterminants de la mobilité et de la reproduction sociale : l'évolution de la structure socioprofessionnelle, le rôle de l'école et de la famille. Acquis de première : groupe d'appartenance, groupe de référence, socialisation anticipatrice, capital social. 1] Définitions du déclassement La définition initiale du déclassement est qu’une personne est considérée comme déclassée si son diplôme est supérieur au diplôme nécessaire à l’emploi qu’elle occupe. Elle émane des travaux de l’économiste nord-américain Georges Freeman (1971, 1975, 1976) qui est l’un des premiers à s’être interrogé sur le problème du surinvestissement éducatif dans l’enseignement supérieur dans « Overinvestment in college training ? » et « overeducateg american ». Si Freeman et les anglo-saxons utilisent plutôt la notion de sur éducation, en France, c’est la notion de déclassement (scolaire) qui est la plus prisée en sciences sociales. En France, ce thème est venu à la mode à la fin des années 90. On a utilisé la notion de déclassement pour désigner « la situation des personnes qui possèdent un niveau de formation supérieur à celui normalement requis pour l’emploi qu’elles occupent » (Y. Fondeur et C. Minni, Le déclassement à l'embauche des jeunes, rapport pour le Commissariat Général du Plan, 1999, IRES). Mais les travaux effectués sur ce thème ne se limitent pas à cette seule acceptation du terme. Le déclassement est utilisé pour caractériser de nombreuses situations individuelles ou collectives (pour un groupe social, une génération).

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Fiche concept : Le déclassement

Extrait du BO n°21 du 23 mai 2013

Programme de terminale, enseignement obligatoire

Sociologie 1. Classes, stratification et mobilité sociale

1.2 Comment

rendre

compte de la

mobilité

sociale ?

Mobilité intergénérationnelle/intra-

générationnelle, mobilité observée,

fluidité sociale, déclassement,

capital culturel, paradoxe

d'Anderson.

Après avoir distingué la mobilité sociale

intergénérationnelle d'autres formes de mobilité

(géographique, professionnelle), on se posera le

problème de sa mesure à partir de l'étude des

tables de mobilité sociale dont on soulignera à la

fois l'intérêt et les limites. On distinguera la

mobilité observée et la fluidité sociale et on

mettra en évidence l'existence de flux de mobilité

verticale (ascendante et descendante) et

horizontale. On étudiera différents déterminants

de la mobilité et de la reproduction sociale :

l'évolution de la structure socioprofessionnelle, le

rôle de l'école et de la famille.

Acquis de première : groupe d'appartenance,

groupe de référence, socialisation anticipatrice,

capital social.

1] Définitions du déclassement

La définition initiale du déclassement est qu’une personne est considérée comme déclassée

si son diplôme est supérieur au diplôme nécessaire à l’emploi qu’elle occupe.

Elle émane des travaux de l’économiste nord-américain Georges Freeman (1971, 1975, 1976)

qui est l’un des premiers à s’être interrogé sur le problème du surinvestissement éducatif dans

l’enseignement supérieur dans « Overinvestment in college training ? » et « overeducateg

american ».

Si Freeman et les anglo-saxons utilisent plutôt la notion de sur éducation, en France, c’est la

notion de déclassement (scolaire) qui est la plus prisée en sciences sociales.

En France, ce thème est venu à la mode à la fin des années 90. On a utilisé la notion de

déclassement pour désigner « la situation des personnes qui possèdent un niveau de

formation supérieur à celui normalement requis pour l’emploi qu’elles occupent » (Y.

Fondeur et C. Minni, Le déclassement à l'embauche des jeunes, rapport pour le Commissariat

Général du Plan, 1999, IRES).

Mais les travaux effectués sur ce thème ne se limitent pas à cette seule acceptation du terme.

Le déclassement est utilisé pour caractériser de nombreuses situations individuelles ou

collectives (pour un groupe social, une génération).

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Ainsi par exemple au niveau collectif et intergénérationnel, le déclassement caractérise le

fait pour une part des représentants d'une génération de ne pas parvenir à un emploi, une

position sociale, une qualification ou un salaire de même niveau que ceux des parents.

Dans ce cas le déclassement peut être assimilé à la mobilité sociale descendante ou

démotion sociale.

Camille Peugny, par exemple, considère « qu’est déclassé tout individu qui ne parvient pas à

maintenir la position sociale de ses parents. ».

Camille Peugny, Le déclassement, Grasset, 2009).

2] Relier la notion à un sur-ensemble et/ou la décomposer en sous-ensemble

« Depuis plusieurs années, le thème du déclassement a fait son apparition dans le débat

public pour caractériser la situation d’individus ou de groupes confrontés à une dégradation

de leurs conditions de vie. Au-delà des débats occasionnés pour partie par le caractère

polysémique du concept – le déclassement peut notamment se mesurer au cours du cycle de

vie ou impliquer une comparaison entre générations en rapportant le sort d’un individu à

celui de ses ascendants ».

Camille Peugny, Des classes moyennes déclassées ? Les limites d’une analyse globalisante, Les

Cahiers Français, N°378, Janvier-février 2014, Documentation Française.

2.1. Déclassement individuel ou collectif

Le déclassement peut être appréhendé pour un individu mais aussi pour un groupe social, une

génération, cohorte…

- Au niveau individuel, le déclassement correspond à la mobilité descendante d’un

individu.

- Au niveau collectif et intergénérationnel, le déclassement caractérise le fait pour une

part des représentants d'une génération de ne pas parvenir à un emploi, une position

sociale, une qualification ou un salaire de même niveau que ceux de la génération des

parents.

2.2. On peut distinguer le déclassement intergénérationnel de l’intra générationnel.

- Le déclassement (social) intergénérationnel est la mobilité intergénérationnelle

descendante ou la situation du fils qui occupe une position sociale inférieure à celle de

son père au même âge (en général vers 40 ans). On parle aussi de démotion sociale.

Avec l’étude de la mobilité observée, on constate une légère progression du déclassement

depuis le début des années 1980. De ce point de vue, le déclassement est un phénomène en

progression – la situation est plus fréquente que par le passé – mais minoritaire dans la mobilité.

- Le déclassement (social) intra générationnel est le fait pour une personne d'occuper

une position sociale de niveau inférieure à la fin de sa vie active à celle qu'elle occupait

au début de sa vie active. On peut l’assimiler alors à une mobilité sociale intra

générationnelle descendante.

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2.3. On peut distinguer plusieurs approches du déclassement :

- Le déclassement scolaire (over-education) : situation qui décrit la situation « de tout

individu dont le niveau de formation initiale dépasse celui normalement requis pour

l’emploi occupé » (Emmanuelle Nauze-Fichet et Magda Tomasini, « Diplôme et

insertions sur le marché du travail. Approches socioprofessionnelle et salariale du

déclassement » in Économie et Statistique, n° 354, INSEE, novembre 2002).

Forgeot et Gautié (1997) le caractérisent ainsi : « Pour un employé, le fait de posséder

un niveau de formation a priori supérieur à celui requis pour l’emploi qu’il occupe ».

- Le déclassement professionnel est utilisé de deux manières différentes, soit comme

synonyme de déclassement scolaire, soit comme synonyme de mobilité sociale intra

générationnelle descendante :

o Le déclassement professionnel peut caractériser la situation d’un jeune entrant

sur le marché du travail qui occupe une profession dont le statut social est

inférieur à celui auquel il pourrait en théorie prétendre du fait de son diplôme.

o Le déclassement professionnel peut aussi être employé pour un individu qui

passe d’un emploi classé à un rang supérieur à un autre moins valorisé. Par

exemple, la situation d'un individu qui, après une période de chômage, se trouve

dans la nécessité d'accepter un emploi moins prestigieux que celui qu'il occupait

auparavant.

- Le déclassement salarial : peut caractériser la situation des individus qui ont un salaire

inférieur à celui obtenu, en moyenne, par des individus ayant un diplôme inférieur ou

par la situation d’individus qui acceptent des emplois plus faiblement rémunérés que les

précédents lors de changement d’emplois.

- Le déclassement statutaire : passer d’un contrat à durée indéterminée à des formes

plus précaires d’emploi lors de changement d’emplois.

- Le déclassement résidentiel : lorsque le statut résidentiel n’est plus à la hauteur du

statut social. A relier à l’élévation du prix de l’immobilier qui rend l’accès au logement

dans certains quartiers de plus en plus réservés à des populations privilégiées.

Pour Louis Chauvel le déclassement résidentiel « prive les jeunes générations d’accès aux

territoires dynamiques en termes d’emploi ».

2.4. Le déclassement objectif et subjectif

- Le déclassement dans sa version objective est celui qui peut être mesuré

institutionnellement ou statistiquement.

- Le déclassement professionnel dans sa conception « subjective » correspond au

ressenti des individus. Il est mesuré lors d’enquête sur la perception qu’ont les personnes

de leur emploi. On demande par exemple à la personne interrogée si elle estime que son

niveau de compétences (savoir-faire, savoir être, savoir apprendre) est sous-utilisé dans

l’emploi qu’elle occupe. Le taux de déclassement subjectif est obtenu en comparant la

réponse et le niveau de diplôme effectivement obtenu.

- La peur du déclassement est un phénomène encore d'une autre nature, c'est la

perception du risque de déclassement. C'est une notion psychologique et sociale

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distincte de la réalité du déclassement proprement dit, notamment sur le plan

quantitatif... Sont concernés par la peur du déclassement des individus qui ne le subiront

peut-être pas.

3] Des mesures du déclassement (professionnel)

On utilise trois approches pour mesurer le déclassement professionnel.

- Dans l’approche normative on considère qu’il il existe une correspondance entre le

niveau du formation et l’emploi. Jusqu’à la fin des années 1990, des grilles de

correspondances entre emploi et diplômes étaient utilisées. Elles visaient à rapprocher

les contenus d’emplois et de formations, tels qu’ils sont établis par l’Éducation nationale

et au sein des accords interentreprises. Aujourd’hui encore, on considère qu’un titulaire

d’un niveau 5 est normalement ouvrier ou employé qualifié alors qu’un titulaire d’un

niveau 2 ou 1 est cadre. Ainsi, par exemple, les titulaires de BAC +5 devraient avoir un

emploi de cadres. S’ils sont employés à un niveau inférieur à celui de cadre, ils sont

déclassés. Mais ces grilles de correspondance sont représentatives d’une époque et

peuvent donc ne plus l’être à une autre.

Marie Duru-Bellat précise que « certaines situations autrefois atypiques, anormales d’un

point de vue statistique, deviennent alors « normales » au sens statistique. Si l’on établit un

indicateur de déclassement une année donnée à partir d’une table de correspondance d’une

année passée, on risque de surestimer l’ampleur du déclassement, alors qu’il apparaîtra

moins fort si on prend une table de correspondance plus récente. À l’évidence, en la

matière, la date de la période d’observation est capitale. » (OSC – Notes & Documents N°

2009-01 Marie Duru-Bellat – La question du déclassement (mesure, faits, interprétation)

…)

- Dans l’approche statistique, on considère que le niveau normalement requis pour

occuper un poste peut être défini par rapport au niveau de diplôme de la majorité de

personnes occupant ce type d’emploi. Donc une personne se rapprochant de cette

catégorie d’individus ne sera pas considéré comme déclassé. A l’inverse sera considéré

comme déclassé l’individu qui occupe un emploi que la majorité des individus occupent

avec moins de diplôme.

Il est aussi possible de s’intéresser à la correspondance entre le diplôme et le salaire pour

mesurer le déclassement salarial. C’est-à-dire que l’on définira comme déclassé les

individus qui ont un salaire inférieur à celui obtenu, en moyenne, par des individus ayant

un diplôme inférieur.

- L’approche subjective s’intéresse au sentiment du salarié à l’égard de son travail. Par

exemple, dans le cadre d’enquêtes, on interrogera un individu sur l’opinion qu’il a de

l’emploi qu’il occupe actuellement. Il sera considéré comme déclassé s’il se dit être

utilisé dans son emploi en dessous de son niveau de compétences. Il ne sera pas déclassé

s’il déclare être utilisé à son niveau de compétences ou au-dessus. Ce type de mesure

est très dépendant de la perception de l’individu de sa situation. La réponse peut-être

notamment dépendante, toutes choses égales par ailleurs : de l’origine sociale de la

personne (les fils de cadres s’estiment davantage déclassés que les fils d’ouvriers) ; les

hommes s’estiment plus déclassés que les femmes ; les actifs travaillant dans le secteur

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privé davantage que les fonctionnaires ; les titulaires de l’enseignement supérieur de

formation générale davantage que ceux ayant suivi une formation professionnelle.

Ces trois méthodes conduisent à des résultats différents au niveau des taux de déclassement

professionnel.

4] Distinguer le déclassement de notions proches

Dans « La mobilité sociale descendante : l’épreuve du déclassement », en 2007, Camille

Peugny écrivait : « Pour des raisons d’expression et pour ne pas lasser trop souvent

l’attention du lecteur, nous utiliserons indifféremment les expressions de « mobilité sociale

descendante », « mobilité intergénérationnelle descendante » ou « déclassement social »

dont sont victimes les « déclassés » ou les « mobiles descendants ».

Certaines notions que nous listerons ci-dessous peuvent donc être considérés comme des

synonymes de déclassement.

- La mobilité sociale désigne le changement de position sociale pour un individu ou un

groupe d’individus.

- La mobilité sociale verticale correspond au passage d’une position sociale à une autre,

ascendante (promotion sociale) ou descendante (démotion sociale).

- La mobilité sociale horizontale concerne le passage d’une position sociale à une autre

jugée équivalente.

- La mobilité intergénérationnelle désigne « l’écart entre la position des pères et celle

des enfants » (reproduction ou immobilité, déclassement, ascension ou élévation). Elle

peut-être :

o Descendante (démotion ou déclassement social) : l’individu occupe une position

sociale inférieure à celle de son père.

o Ascendante : l’individu occupe une position sociale inférieure à celle de son

père.

- La mobilité intra-générationnelle ou professionnelle se manifeste par le changement

de profession d’un même individu au cours de sa vie active (stagnation, régression ou

promotion).

- La mobilité observée (ou taux absolus de mobilité) est une mesure de la mobilité

sociale totale parmi une population. Cette mesure se fait à partir de tables de mobilité

qui croise la position d'un enquêté (le « fils ») avec celle de son père.

- La fluidité sociale est mesurée avec les taux relatifs de mobilité qui comparent les

chances relatives des fils d’accéder à une catégorie sociale en fonction de leur origine

sociale. La fluidité étudie la structure et de la force du lien entre origine et position

sociales lorsque cette association statistique est envisagée indépendamment de l'état de

la distribution socioprofessionnelle des pères et de celle des fils.

- Le paradoxe d'Anderson est un paradoxe empirique selon lequel le fait d’avoir un

diplôme supérieur à celui de son père ne lui assure pas, nécessairement, une position

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sociale plus élevée. Ce paradoxe a été mis en évidence par le sociologue américain

Charles Arnold Anderson en 1961 dans un article intitulé « A Skeptical Note on the

Relation of Vertical Mobility to Education » publié dans la revue American Journal of

Sociology. Pour lui, contre toute attente, les statistiques étudiées montrent qu’il y a à la

fois une corrélation forte entre le niveau d’instruction et le statut social des individus et

une corrélation faible entre l’élévation du taux de scolarisation et la mobilité sociale, ce

qui signifie au bout du compte que l’acquisition d’un diplôme scolaire supérieur à celui

de son père n’assure pas nécessairement au fils une position sociale plus élevée.

- Inflation scolaire (Duru-Bellat) : l'inflation des diplômes tend à réduire la valeur

marchande du diplôme. La structure de qualifications des emplois évoluant moins vite

que celle des flux de diplômés : les jeunes ont mécaniquement de plus en plus de mal à

trouver un emploi en rapport avec leur niveau de diplôme. Autrement dit il y a un

décalage entre la qualification des diplômes (la formation des individus) et la

qualification des emplois (les compétences requises pour l’occuper). Les qualifications

des emplois n’ont pas vu les qualifications requises pour les occuper augmenter autant

que les diplômes des personnes qui postulent.

- Capital social (selon Pierre Bourdieu) : « ensemble des ressources actuelles ou

potentielles, qui sont liées à la possession d’un réseau de relations durables, plus ou

moins institutionnalisées, d’interconnaissance et d’inter reconnaissance.. »

mobilisables.

- Capital culturel : ensemble des ressources culturelles détenues par un individu et qu'il

peut mobiliser.

Selon Pierre Bourdieu, le capital culturel peut existes sous trois formes :

- à « l’état incorporé », « sous la forme de dispositions durables de l’organisme »,

c'est-à-dire qu'il fait partie de l'individu lui- même en tant que dispositions apprises

lors du processus de socialisation et qui sont mises en œuvre

- à l’ « état objectivé » sous la forme de biens culturels, tableaux, livres, dictionnaires,

instruments…

- à l’ « état institutionnalisé » sous la forme de compétences culturelles attestées par

des titres scolaires (diplômes)

5] Le déclassement dans des sujets tombés au baccalauréat

Notion dans l’intitulé des sujets :

- Quelle relation peut-on établir entre déclassement et paradoxe d’Anderson ? (Nouvelle

Calédonie 2013)

- Montrez que le paradoxe d’Anderson peut de mettre en évidence une forme de

déclassement. (Amérique du Nord 2013)

Notion utile pour traiter les sujets :

De mobilisation de connaissances :

- Montrez qu’une partie de la mobilité sociale peut s’expliquer par l’évolution de la

structure socioprofessionnelle. (Septembre 2014)

- Comment peut-on expliquer le paradoxe d’Anderson ? (2013)

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De raisonnement :

- Vous montrerez que l’école ne parvient pas toujours à assurer une mobilité sociale.

(Polynésie, rattrapage 2014)

- Montrez la contribution de l’école (de la famille, de l’emploi) à la mobilité sociale.

(2013)

- Montrez les effets de l’évolution de la structure par catégories socioprofessionnelles sur

la mobilité sociale. (Étranger 2013)

De dissertation :

- Quel rôle joue l’école dans la mobilité sociale ? (Amérique du nord, 2016)

- Quel rôle joue la famille dans la mobilité sociale ? (Polynésie, 2014)

- L’école favorise-t-elle la mobilité sociale ? (Liban 2013)

6] Quelques sources

- Christian Baudelot et Roger Establet, Avoir 30 ans en 1968 et 1998, éd. du Seuil, février

2000

- Louis Chauvel, Les classes moyennes à la dérive, La République des idées, éd. du Seuil,

2006.

- Louis Chauvel, La Spirale du déclassement, Essai sur la société des illusions, éd. du

Seuil, septembre 2016

- Louis Chauvel, « Oui, les inégalités progressent en France ! », Le Monde, 18 octobre

2016,

(http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/10/17/oui-les-inegalites-progressent-en-

france_5014752_3232.html#hO3LWdavz3cUks7r.99)

- Marie Duru-Bellat, L'inflation scolaire, La République des idées, éd. du Seuil, 2006.

- Marie Duru-Bellat, La question du déclassement (mesure, faits, interprétation) …,

Notes & Documents, 2009-01, Paris, OSC, Sciences Po/CNRS.

(http://www.sciencespo.fr/osc/sites/sciencespo.fr.osc/files/nd_2009_01.pdf)

- Richard B. Freeman, Overinvestment in college training ?, The journal of human

ressources, vol. X, 3., 1975.

- Richard B. Freeman, The overeducatec american, Academic Press, New York, 1976

- Jean-François Giret, Emmanuelle Nauze-Fichet, Magda Tomasini, Le déclassement des

jeunes sur le marché du travail, Données sociales, La société française, 2006, INSEE.

(http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/donsoc06yi.pdf)

- Éric Maurin, La nouvelle question scolaire, Le Seuil, 2007.

- Éric Maurin, La peur du déclassement : une sociologie des récessions, éd. du Seuil,

2009.

- Dominique Goux, Eric Maurin, Les nouvelles classes moyennes, Seuil, coll. « La

république des idées », 2012.

- Camille Peugny, La mobilité sociale descendante : l’épreuve du déclassement, Sciences

de l’Homme et Société, ENSAE ParisTech, 2007. (https://pastel.archives-

ouvertes.fr/pastel-00003938/document)

- Camille Peugny, Le déclassement, Paris, Grasset, 2009.

- Camille Peugny, Des classes moyennes déclassées ? Les limites d’une analyse

globalisante, Les Cahiers Français, N°378, Janvier-février 2014, Documentation

Française.

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(http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/libris/3303330403785/33033304

03785_EX.pdf)

- Camille Peugny (sous la dir.), La montée du déclassement, Problèmes économiques et

sociaux, N°976, septembre 2010, La Documentation française

- Louis-André Vallet, Quarante années de mobilité sociale en France, L'évolution de la

fluidité sociale à la lumière de modèles récents, Revue française de sociologie, XL-1,

1999, 5-64. (http://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-

2969_1999_num_40_1_5146#rfsoc_0035-2969_1999_num_40_1_T1_0017_0000)

- La mesure du déclassement, Rapport du CEA, 2009, La Documentation française.

(http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/094000528.pdf)

- Le déclassement, entre mythe et réalité, Alternatives Économiques Poche, n° 059,

janvier 2013.

- Des jeunes de plus en plus souvent déclassés, Centre d’observation de la société, octobre

2016. (http://www.observationsociete.fr/des-jeunes-de-plus-en-plus-souvent-

d%C3%A9class%C3%A9s)

- Le sentiment de déclassement s'accroît, Centre d’observation de la société, octobre

2016, (http://www.observationsociete.fr/le-sentiment-de-d%C3%A9classement-

saccro%C3%AEt)

- Le déclassement, Formation et emploi, Them@doc, CNDP

(http://www.cndp.fr/entrepot/themadoc/formation-et-emploi/reperes/declassement-

scolaire.html)

- Rapport Lignes de faille, une société à réunifier, France Stratégie, 31 Octobre 2016,

www.strategie.gouv.fr

(http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/rapport-lignes-de-

faille-ok.pdf)

POUR ALLER PLUS LOIN

7] Le déclassement est une notion sujette à controverse

Le thème du déclassement scolaire (professionnel) a déjà été abordée dans les années 1960-70

même si le terme de déclassement n’était pas utilisé. C’est le cas notamment dans les travaux

de Raymond Boudon et Pierre Bourdieu. Ce thème est revenu d’actualité dans les années 1980

et n’a plus quitté depuis le devant de la scène.

Les questions centrales, qui suscitent des polémiques toujours vives, tournent autour :

- de l’ampleur et du contenu du phénomène du déclassement

- du rôle de la valeur des diplômes/qualifications et sur leur capacité à protéger du

déclassement

- du déclassement ressenti ou réel

- de la question des relations entre diplômes et emplois

- du déclin de la méritocratie

- des politiques d’éducation qui découlent de l’interprétation du déclassement

- …

7.1. Les travaux fondateurs sur la sur éducation

Les travaux de Richard B. Freeman sur la sur éducation (The overeducatec

american, Academic Press, New York, 1976)

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Richard B. Freeman constate durant la décennie 70, contrairement à la précédente, que les

salaires des diplômés baissent significativement et les déclassements sont de plus en plus

nombreux.  

Selon lui, cela s’explique par la combinaison de plusieurs phénomènes :

- D’une part, il existe un excès d’offre dû aux générations du baby-boom alors que la

demande d’emplois de cadres a ralenti et,

- D’autre part, il y a eu une diminution du taux de rendement des études supérieures par

l’augmentation du coût de ces études. Il formalise cette idée en 1971 par un « modèle

en toile d’araignée ».

Le Modèle de la toile d’araignée de Freeman

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Source : http://www.persee.fr/doc/ecop_0249-4744_1994_num_116_5_5703#ecop_0249-

4744_1994_num_116_5_T2_0141_0000

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- En France, en s’inspirant notamment des travaux de Freeman, les travaux de Forgeot

et Gautié, (1997) montrent un développement massif du déclassement à l’embauche,

c'est-à-dire que les compétences requises pour l’emploi occupé sont inférieures aux

diplômes ou qualifications demandés. Il est à noter que ces travaux s’intéressent

principalement au déclassement dans sa dimension individuelle.

7.2. La contestation de la thèse du déclassement

- La thèse de l’existence du déclassement a été remise en question par Éric Maurin

Éric Maurin, en 2007, dans « La nouvelle question scolaire », étudie l’impact de la hausse

du niveau de formation des jeunes actifs sur leur insertion sur le marché du travail. Il

considère que l’investissement en éducation contribue à réduire le chômage et la précarité

parmi les jeunes et contribue à la hausse relative des salaires des premiers cycles

universitaires. C’est le diplôme qui permet d'accéder en grande majorité au statut de cadre.

Ainsi, une personne non-diplômée concentre tous les risques de ne pas obtenir de statut.

Néanmoins, il montre que la démocratisation scolaire bénéficie surtout aux enfants

d'ouvriers et de professions intermédiaires. La peur d'échouer à l'école est donc plus forte

pour les classes supérieures qui peuvent perdre beaucoup. La démocratisation scolaire a,

donc selon lui, eu des effets positifs sur la situation professionnelle des générations qui se

sont succédé, même si les diplômes ont perdu de leur valeur. Si l’accès à l’enseignement

supérieur n’avait pas été amplifié, les conditions d’emploi des jeunes générations auraient

été plus difficiles.

En 2009 dans « La peur du déclassement : une sociologie des récessions », Éric Maurin

précise que l’investissement différentiel en capital humain segmente les nouvelles

générations. Il constate qu’en période de ralentissement de l’activité économique, les

diplômés de l’enseignement supérieur ont la possibilité de passer des concours de la

fonction publique de catégorie B, emplois moins qualifiés mais protégés, possibilité qui

n’est pas offerte aux personnes qui sont sorties du système scolaire à des niveaux plus

faibles. Par ce choix stratégique, ils relèguent les moins diplômés sur les segments les plus

instables du marché du travail, les condamnant à un déclassement subi.

- Par ailleurs Éric Maurin, dans « La nouvelle question scolaire » considère que le

phénomène saillant des années 70 est « la peur du déclassement » plus que le déclassement

lui-même. Il s’est particulièrement interrogé sur les liens entre le déclassement réel et sa

perception. La peur du déclassement qui inquiète un nombre croissant de Français, repose

sur la conviction que personne n'est plus protégé de la perte de son emploi, de son salaire,…

de son statut. La peur pose un problème spécifique dans le cadre de l'économie française

contemporaine, car être licencié entraîne une période de chômage de longue durée et la

perte d'un statut. Dès lors, la peur du déclassement est importante car elle a un coût élevé.

Elle induit un comportement protecteur de la part de ceux qui ont le plus à perdre (les

classes moyennes et les classes supérieures).

Extrait d’une interview d’Éric Maurin au Monde (2009)

Pourquoi le déclassement est-il devenu la préoccupation majeure en France ? Il faut distinguer le déclassement et la peur du déclassement. Le déclassement est une réalité

qui touche la société à la marge. Alors que nous traversons une des pires récessions de notre

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histoire, le nombre de salariés ayant perdu un emploi stable dans les 12 derniers mois est, par

exemple, de l'ordre de 300 000 personnes. Sur un plan personnel et familial, ces licenciements

représentent un drame, mais ils ne concernent cependant qu'une toute petite fraction de la

société, à peine 1 % de la population active totale. L'immense majorité des Français reste en

fait à l'abri de la déchéance sociale.

A l'inverse, la peur du déclassement est ressentie par l'ensemble de la société, y compris par les

classes moyennes et supérieures, celles qui ont le plus à perdre. Cette peur est la conséquence

de politiques publiques qui, depuis cinquante ans, ont systématiquement privilégié la protection

de ceux qui ont déjà un emploi plutôt que le soutien de ceux qui n'en ont pas. Progressivement

s'est constitué un rempart de droits sociaux entre les salariés à statut (CDI) et la précarité sociale.

L'aspect positif, c'est que les salariés en place ont été de mieux en mieux protégés. L'aspect

négatif, c'est que cette barrière est devenue de plus en plus difficile à franchir pour tous les

autres. Les salariés à statut en ont bien conscience qui craignent plus que tout de tomber de

l'autre côté de la barrière. Plus les statuts sont protégés, moins souvent on les perd, mais plus

on perd quand ils disparaissent. […]

L'angoisse scolaire n'a jamais été aussi forte. Pourquoi ? On fait un contresens total lorsqu'on avance que la valeur des diplômes se serait réduite. C'est

l'inverse : jamais les diplômes n'ont été aussi déterminants pour l'obtention de statuts au sein de

la société. En 2008, le chômage parmi les diplômés du supérieur est inférieur à 10%. Pour les

non diplômés, il monte à 50 %, soit un écart de 40 points. La différence n'était que de 10 points

au milieu des années 1970.

L'impératif de ne pas échouer à l'école est devenu écrasant. L'enjeu de la compétition scolaire

n'a jamais été aussi élevé, les diplômes ont pris une valeur exorbitante. C'est particulièrement

angoissant pour les familles. Source : Le Monde, 7 octobre 2009 ( http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/10/07/eric-maurin-

toute-reforme-sera-percue-comme-une-remise-en-cause-d-un-statut-

acquis_1250331_3224.html#lC733CsdLbRHcGXM.99)

- Dans Les nouvelles classes moyennes, Eric Maurin (et Dominique Goux), persistent

à contester les thèses du déclassement en s’intéressant plus particulièrement à celui

supposé des classes moyennes défendu par Louis Chauvel.

S’ils admettent l’existence d’une peur du déclassement chez les classes moyennes, ils

récusent la thèse de leur paupérisation. Selon eux, les déclassés dans les classes moyennes

sont minoritaires. Quant à un éventuel déclassement scolaire des enfants des classes

moyennes, ils le contestent et affirment même qu’ils ont eu tendance à rattraper leur retard

sur les enfants de cadres. Néanmoins, les difficultés pour accéder aux grandes écoles, et

donc à l’élite, restent fortes et sont à la source d’une frustration pouvant entre autres

expliquer ce sentiment de déclassement.

Plus globalement, Dominique Goux et Éric Maurin considèrent qu’il n’y a ni déclassement

salarial, ni résidentiel, ni scolaire, ni sur le marché du travail.

Extrait d’une interview, par Sylvain Bourmeau, d’Eric Maurin publié dans Libération le

12 janvier 2012 « Politiquement les classes moyennes ont un rôle d’arbitre qu’elles n’ont

jamais eu avant »

[…] Peut-on parler déclassement des classes moyennes ?

En termes de statut social, il est assez inexact de se représenter les classes moyennes

contemporaines comme peuplées de personnes ayant une position professionnelle inférieure à

celle de leurs parents et donc habitées par ce ressentiment particulier qu’éprouvent les déclassés

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à l’égard de la société. Au sein des classes moyennes, seule une petite minorité de personnes se

trouvent dans cette situation (de l’ordre de 15 %) et cette proportion est très stable dans le temps.

De même, il est faux de se représenter les enfants de classes moyennes comme en déclin scolaire

ou social par rapport aux enfants des autres milieux sociaux : à bien des égards c’est plutôt le

contraire qui s’est produit. Les enfants de classes moyennes ont par exemple plutôt progressé

dans les classements scolaires depuis trente ans. Chaque fois qu’une réforme scolaire a tendu à

égaliser les chances entre les classes populaires et les classes moyennes (le collège unique par

exemple), on a pu constater un surinvestissement énorme de la part des familles de classes

moyennes pour maintenir le rang scolaire de leurs enfants, en les poussant chaque fois un cran

plus loin dans leurs études. L’école est devenue l’une des sources majeures de statut social dans

notre société et elle représente pour les classes moyennes un enjeu et une angoisse essentielle.

Avec la hausse des prix, n’y a-t-il pas quand même un déclassement résidentiel des classes

moyennes ?

Depuis dix ans, les prix de l’immobilier ont beaucoup augmenté, plus vite que les revenus, mais

tout le monde souffre, pas seulement les classes moyennes. Quand on compare les voisinages

dans lesquels résident les classes moyennes, on ne constate aucun déclin, aucune dilution

sociale, aucun rapprochement avec les classes populaires. Il est indiscutable qu’une fraction

non négligeable des familles des classes moyennes est aujourd’hui comme prisonnière de

quartiers en voie d’appauvrissement qu’elles n’ont pas ou plus les moyens de quitter. Mais

c’était déjà le cas il y a dix ans et surtout une proportion tout aussi importante de classes

moyennes continue à fuir ces quartiers pour s’assurer une promotion territoriale. Les classes

moyennes n’ont pas lâché non plus en termes d’accession à la propriété, alors que les classes

populaires ont lourdement décroché, notamment chez les jeunes. Les inégalités entre classes

sociales devant la propriété du logement ont explosé au cours des quinze dernières années. […]

Source : http://www.liberation.fr/societe/2012/01/12/politiquement-les-classes-moyennes-ont-

un-role-d-arbitre-qu-elles-n-ont-jamais-eu-avant_787684

- Le rapport « Lignes de faille, une société à réunifier » d’octobre 2016, de France

stratégie note que « La menace du déclassement social est omniprésente, en décalage

avec les trajectoires mesurées »

Extrait du rapport Lignes de faille, une société à réunifier, France Stratégie, 31 Octobre

2016, www.strategie.gouv.fr

(http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/rapport-lignes-de-faille-

ok.pdf)

« 2.1. Le regard des Français : une crainte omniprésente de déclassement social

Trois Français sur quatre se positionnent dans la classe moyenne inférieure ou en dessous

Les Français s’identifient de moins en moins aux classes moyennes et davantage aux

classes populaires.

Le sentiment d’appartenir à la classe moyenne, qui rassemblait trois Français sur quatre en

2006, n’était plus partagé en 2013 que par deux Français sur trois. La classe moyenne, si elle

demeure le groupe d’appartenance le plus mentionné, est en recul.

Le sentiment d’appartenir aux classes populaires s’est accru depuis quinze ans. 59 % des

Français se sentaient appartenir aux classes moyennes inférieures, populaires et défavorisées en

1999 ; ils sont 74 % en 2015.

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Un peu plus de la moitié des Français ont une perception de leur niveau de vie relatif qui n’est

pas conforme à sa mesure objective : un tiers d’entre eux le sous-estiment et un cinquième le

surestiment. Un Français sur dix seulement se classe dans le tiers des plus aisés. Deux Français

sur trois se classent dans le tiers intermédiaire, dont le niveau de vie n’est ni le plus faible, ni le

plus élevé. […]

Un Français sur deux juge sa situation sociale moins bonne que celle de ses parents

La menace du déclassement social est omniprésente, en décalage avec les trajectoires mesurées.

Le sentiment d’un déclassement social intergénérationnel est désormais majoritaire : entre 2002

et 2015, la part des Français considérant que leur situation sociale est moins bonne que celle de

leurs parents au même âge est passée de 17 % à 54 %.

La situation sociale est un terme générique, qui peut recouvrir de nombreuses dimensions :

niveau de vie, mais aussi reconnaissance sociale, positionnement sur le marché du travail,

sentiment de sécurité économique, facilité à se loger et qualité du logement, etc. Le pessimisme

apparaît moins prégnant lorsqu’on interroge les Français plus précisément sur leur niveau de

vie. Il reste qu’un quart d’entre eux répondent en 2011 que leur niveau de vie est inférieur à

celui de leurs parents1.

Les Français jugent que leur pouvoir d’achat se dégrade

Sept Français sur dix ont le sentiment que leur pouvoir d’achat a régressé depuis cinq ans.

En 2014, deux Français sur trois déclaraient boucler le mois sans mettre d’argent de côté (38

%), vivre sur leurs réserves (21 %), ou prendre des crédits pour boucler leur budget (8 %). C’est

11 points de plus qu’en 20082. Quatre Français sur dix disaient avoir dû supprimer certaines

dépenses et se priver plus qu’avant.

2.2 Les chiffres

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Un niveau de vie qui stagne depuis la crise, mais une progression des niveaux de vie qui

demeure de parents à enfants

C’est un fait avéré : le niveau de vie des Français a cessé d’augmenter avec la crise financière.

Les différents indicateurs qui en rendent compte stagnent ou reculent légèrement entre 2008 et

2015 (niveaux de vie médian et moyen, pouvoir d’achat par unité de consommation, PIB par

habitant).

Pour autant, à âge donné, d’une génération à la suivante, la progression des niveaux de vie

demeure réelle. Cette progression a été plus forte pour les générations nées dans les années

1930 et 1940, puis pour celles nées dans les années 1960 et 1970. Certes, depuis la crise, compte

tenu de la stagnation, voire du recul des niveaux de vie, la progression s’est interrompue si l’on

compare deux générations proches, distantes l’une de l’autre de cinq ans (graphique 9).

Cependant, il est prématuré de conclure que cette interruption est durable : pour des générations

plus éloignées, c’est-à-dire de parents à enfants, la hausse des niveaux de vie demeure la règle.

La France reste une société de classe moyenne

Définie comme l’ensemble des ménages dont le revenu avant impôts est compris entre deux

tiers et deux fois le revenu médian, la classe moyenne représente deux tiers de la population en

France contre une moitié seulement aux États-Unis. Qui plus est, l’érosion de la classe moyenne

américaine est un phénomène ancien et marqué là où, en France, le mouvement ne s’observe

que depuis 2009. En évolution, la classe moyenne perd 1,5 point de pourcentage en France entre

1996 et 2012, contre 3,6 points aux États-Unis1 (graphique 10).

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Sur les dix dernières années, la part des employés et des ouvriers diminue légèrement au sein

de la population active, même si elle reste majoritaire, tandis que la part des professions

intermédiaires, des cadres et des professions intellectuelles supérieures s’est accrue (graphique

11).

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Les trajectoires ascendantes sont plus fréquentes que les trajectoires descendantes sur l’échelle

des catégories socioprofessionnelles

Les trajectoires intergénérationnelles descendantes sur l’échelle des catégories

socioprofessionnelles restent beaucoup moins nombreuses que les trajectoires stables ou

ascendantes. 22 % des individus de 30 à 59 ans occupaient en 2003 une position sociale

inférieure à celle de leurs parents, tandis que 39 % s’étaient élevés au-dessus de la condition de

leurs parents. […]

La part des Français qui ont connu une mobilité sociale descendante au cours de leur carrière

augmente, mais elle reste faible : entre les périodes 1980-1985 et 19982003, la proportion de

trajectoires descendantes a plus que doublé, passant de 3,2 % à 7,4 % chez les hommes et de

3,1 % à 7,1 % chez les femmes. Dans le même temps, les trajectoires ascendantes ont augmenté

de 9,7 % à 13,2 % chez les hommes, et de 6,6 % à 9,7 % chez les femmes2.

Le fonctionnement de l’ascenseur social varie fortement selon le territoire

Les chances d’ascension sociale des individus d’origine populaire (soit les enfants d’ouvriers

et d’employés) varient du simple au double selon leur département de naissance. L’ascenseur

social fonctionne bien dans certaines régions – Île-deFrance, Bretagne, Midi-Pyrénées – et mal

dans d’autres – Poitou-Charentes, Picardie, Nord-Pas-de-Calais.

Pour les individus d’origine populaire, la mobilité ascendante apparaît faiblement liée au

dynamisme économique des territoires. Elle est en revanche fortement liée à l’éducation : les

territoires à forte mobilité sociale ascendante sont ceux où les taux de diplômés du supérieur –

en général et chez les classes populaires en particulier – sont les plus élevés. De ce point de

vue, la massification de l’enseignement supérieur depuis un quart de siècle a produit des effets

importants : une hausse de 10 points du taux de diplômés est associée sur le territoire à une

hausse de 6 points des chances d’ascension sociale, l’impact moyen étant le même que les

régions soient économiquement favorisées ou non.

Cependant, d’un département de naissance à l’autre, les taux de diplômés du supérieur varient

du simple au double parmi les enfants d’ouvriers et d’employés et aucun rattrapage des

disparités géographiques n’est observable : les taux de diplômés du supérieur n’ont pas

augmenté plus vite là où ils étaient historiquement faibles. Le rattrapage ne semble toujours pas

avoir lieu pour les générations nées entre 1980 et 1990, encore en formation initiale au moment

des enquêtes utilisées, avec des écarts de taux d’accès à l’enseignement supérieur de 15 points

entre départements extrêmes.

Les positions supérieures dans l’échelle sociale restent difficilement accessibles

Les filières scolaires d’excellence contribuent à la reproduction sociale : les enfants des familles

favorisées y sont les plus nombreux.

En 2014-2015, les enfants de cadres ou de professions intellectuelles supérieures représentaient

17 % des Français de 18 à 23 ans, mais 30 % de l’ensemble des étudiants français, 47 % des

étudiants en formation d’ingénieur, 50 % des élèves de classe préparatoire aux grandes écoles,

et 53 % des élèves des écoles normales supérieures1. Parmi les étudiants en cursus universitaire,

ils représentaient 28 % des étudiants en licence, 34 % des étudiants en master et 34 % des

étudiants en doctorat.

En 2015, 72 % des élèves de l’ENA avaient un père cadre, enseignant, dirigeant d’entreprise,

ou exerçant une profession libérale ou intellectuelle. Source : http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/rapport-lignes-de-faille-

ok.pdf

Le contenu de ce rapport a donné lieu à une critique de Louis Chauvel dans un article du

Monde du 18 octobre 2016 « Oui, les inégalités progressent en France ! », http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/10/17/oui-les-inegalites-progressent-en-

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france_5014752_3232.html#hO3LWdavz3cUks7r.99) auquel Jean Pisani-Ferry a répondu dans un

article du Monde « Les Français ont une propension à dépeindre systématiquement le gris en

noir » du 20 octobre 2016 http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/10/20/pourquoi-les-francais-

voient-tout-en-noir_5016819_3232.html#BzctG4xtwPJj6VGF.99)

Réponse de Jean Pisani-Ferry :

« […] Dans « Le Monde » du 18 octobre, le sociologue Louis Chauvel accusait le dernier

rapport de France Stratégie de nier le déclassement systémique dont la société française serait

victime. Jean Pisani-Ferry, le commissaire général de l’organisme, lui répond.

Louis Chauvel semble avoir fait sienne la maxime d’Oscar Wilde qui, pour ne pas se laisser

influencer, ne lisait jamais les livres dont il devait faire la critique.

Que dit en effet « Lignes de faille », le rapport qui suscite son animosité ? Certainement pas

que la France va bien ni que les Français devraient se contenter de leur sort. Une décennie ou

presque sans croissance du revenu par tête, cela ne s’était pas vu depuis soixante-dix ans. Un

pays où le patrimoine des 10 % les plus riches est huit fois supérieur au patrimoine médian ne

peut être qualifié d’égalitaire. Un taux de chômage de 50 % des jeunes non qualifiés, c’est un

désastre. Un écart de sept points, à qualification égale, entre le taux de chômage des descendants

d’immigrés et celui des natifs, c’est une insulte à l’égalité.

Tous ces faits, et bien d’autres, forment la base du rapport. Mais ce que nous relevons aussi,

c’est la propension des Français à dépeindre systématiquement le gris en noir. La pauvreté

atteint 14 % d’entre eux contre 22 % des Espagnols, mais la crainte de devenir pauvre est plus

répandue que chez notre voisin.

La classe moyenne rassemble deux Français sur trois contre un Américain sur deux, mais nous

nous représentons la société comme plus pyramidale qu’eux ; la France des territoires s’alarme

de son unité perdue, mais nous sommes le pays parmi les grands d’Europe où l’inégalité entre

régions reste la plus faible. Et ainsi de suite.

[…] Finalement, la société que décrit notre rapport est sans doute traversée de failles moins

profondes que celles que perçoivent nos concitoyens. Mais, parce que chacune d’entre elles met

en lumière une défaillance du contrat social, elles induisent davantage d’inquiétude que des

fractures qui seraient plus prononcées, mais susceptibles de solutions mieux repérées.

Si tel est bien le cas, le pessimisme des Français est une forme de lucidité, non pas tant sur le

constat de la situation que sur notre capacité à la transformer.

C’est d’une nouvelle grammaire de la vie en commun qu’ils sont aujourd’hui en attente. Cela

passe par la clarté des règles et l’universalité de leur application ; par la précision des missions

assignées aux institutions ; par la redéfinition du contrat social ; mais certainement pas par

l’hystérisation des divisions qui nous traversent. »

Source : Jean Pisani-Ferry « Les Français ont une propension à dépeindre systématiquement le gris en

noir », Le Monde, 20 octobre 2016 http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/10/20/pourquoi-les-

francais-voient-tout-en-noir_5016819_3232.html#BzctG4xtwPJj6VGF.99)

7.3. Les partisans de la thèse du déclassement sont nombreux

- La thèse de la dévalorisation des diplômes (Marie Duru-Bellat)

Marie Duru-Bellat ne partage pas la thèse d’Eric Maurin (et Dominique Groux).

Il reste qu’il semble difficile de nier toute réalité au déclassement, sauf par principe, comme le

fait par exemple récemment É. Maurin (2007). Dans La nouvelle question scolaire, celui-ci

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prétend en trois pages dénoncer ce qu’il appelle le « mythe de la dévalorisation des diplômes ».

La thèse est que les travaux actuels sur le déclassement comparent ce qui n’est pas comparable

: les bacheliers d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier, donc cela n’a pas de sens de comparer

leur devenir avec les bacheliers d’il y a vingt ans. En d’autres termes, puisqu’on a affaire à des

populations moins sélectionnées, « il n’existe à ma connaissance pas de moyens de déterminer

de combien réellement la valeur des diplômes a baissé ou augmenté ». Malgré cet agnosticisme,

il confronte une population moins étroite et un taux d’emploi plus élevé (sans aborder la

question de la nature de l’emploi obtenu à niveau d’éducation donné) et conclut « il semble

clair que les rendements des diplômes a plutôt augmenté ». On pourra ne pas être convaincu de

la portée générale de ce constat, notamment parce qu’il est établi sur une période de temps

limitée et spécifique. ».

[…] Dès lors que les relations entre formation et emploi évoluent, la reproduction sociale qui

se jouait par l’intermédiaire du diplôme possédé va à son tour évoluer, comme l’analysent des

travaux récents (Chauvel 1998 ; Peugny 2007). De fait, tous les paramètres du triangle qui lie

origine sociale/éducation/destinée professionnelle sont marqués par de profondes évolutions :

les diplômes sont moins « payants » tout en étant par ailleurs plus répandus et un peu moins

inégalitaires, et dans un contexte où les places « bougent » moins que dans les décennies

précédentes. Le constat majeur est la dégradation des chances d’ascension sociale, ce qui est

une évidence structurelle puisque des générations massivement mieux formées sont en

concurrence pour des places attractives qui ne sont pas plus nombreuses ; on conçoit aisément

que la mobilité sociale ascendante a plus de chances d’avenir quand 20 % d’une classe d’âge

(diplômée) vise des emplois qui correspondent à 15 % des places (comme c’était le cas au début

des années 1980) que lorsqu’ils sont 40 % à viser des places qui ne représentent guère que 18

à 20 % des emplois. Les études montrent par conséquent une élévation des « chances » de

descente sociale, et ce dans tous les milieux sociaux, et de manière progressive, pour les

individus nés après les années 1940. C’est ainsi qu’« à l’approche de la quarantaine, près d’un

fils de cadre sur quatre né au tournant des années 1960 occupe un emploi d’ouvrier ou

d’employé » (Peugny 2007).

Par conséquent et sans surprise, sauf à imaginer que les diplômes créent leurs propres

débouchés, on observe un amenuisement des relations entre formation et emploi.

Source : Marie Duru-Bellat. La question du déclassement (mesure, faits, interprétation) ...,

2009.

L’explication du déclassement de Marie Duru-Bellat est proche de celle notamment de

Raymond Boudon (1973) selon laquelle la dévaluation de la valeur des titres scolaires

s’explique par un problème de débouchés. D’une part, la part des emplois de haut niveau évolue

moins vite que celle des diplômes de haut niveau. D’autre part, le chômage persiste et touche

davantage les non-diplômés. L’individu n’a donc pas intérêt à arrêter ses études plus tôt pour

occuper un emploi. D’où une tendance à l’inflation de la demande de diplômes d’autant que le

rapport entre le nombre de diplômés et le volume des places à occuper ne correspond pas.

Elle note que, ce sont les catégories défavorisées qui en sont les premières victimes. Les

catégories supérieures ont une meilleure connaissance du rendement différentiel des diplômes,

elles ont aussi le capital économique pour poursuivre le plus longtemps les études et pour

valoriser les titres scolaires. À formation égale, les diplômés de l’enseignement supérieur

d’origine modeste font moins appel à leur entourage pour trouver un emploi et se concentrent

davantage dans le secteur public que les jeunes dont le père cadre leur facilite l’accès à une

palette plus variée d’emplois.

L’analyse faite par Marie Duru-Bellat la conduit à considérer que l’État devrait concentrer ses

efforts sur ceux qui sortent du système éducatif sans diplôme plutôt que sur l’objectif de 50 %

d’une classe d’âge dotés d’un diplôme de l’enseignement supérieur.

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- En 2000, dans « Avoir 30 ans en 1968 et 1998 », Christian Baudelot et Roger Establet

étudiaient la rentabilité des diplômes à l’âge de 30 ans, à 30 ans de distance.

Sur 30 années, ils ont mis en évidence trois tendances :

o Les fils de cadres et d’ouvriers sont davantage diplômés de l’enseignement

supérieur, ils sont davantage cadres mais cela ne compense pas la dévalorisation

de leur diplôme.

o Les filles de cadres et d’ouvriers sont les gagnantes de la progression du nombre

de diplômés et de postes de cadres.

o Les filles de cadres et d’ouvriers perdent davantage que leurs homologues

masculins en bas de la hiérarchie, même si l’amélioration de leur formation a pu

freiner la dégradation de leur situation sur le marché du travail (elles sont

souvent chômeuses, employées ou ouvrières). La prolétarisation concerne

davantage les enfants d’ouvriers que ceux de cadres.

En 30 années, le système éducatif a davantage produit de diplômés et réduit fortement les sans-

diplôme. Néanmoins le nombre de sans-diplômes reste supérieur au nombre d’emplois non

qualifiés, ce qui condamne cette population au chômage, d’autant plus qu’elle est concurrencée

par celle des diplômés qui peuvent occuper, faute de mieux, de tels emplois.

L’école est engagée dans la voie des rendements décroissants : renchérissement des scolarités

et sous-emploi de la main-d’œuvre formée.

- Dans son livre « Les classes moyennes à la dérive » en 2006, Louis Chauvel

considère que le rendement social des diplômes diminue car la structure sociale

évoluait plus lentement que celle des diplômés.

Mais toutes les cohortes ne sont pas touchées de manière identique pour trois raisons.

o Premièrement, lorsque les recruteurs n’ont pas anticipé une hausse du nombre

de diplômés et qu’ils recrutent encore selon les anciennes normes. C’est ainsi

que les bénéficiaires d’une expansion scolaire peuvent bénéficier quelque temps

de la rente de rareté de leurs prédécesseurs mais a contrario leurs successeurs

peuvent être moins nombreux donc plus sélectionnés et, pourtant, subir une

érosion de leurs titres.

o Le deuxième facteur qui peut contrecarrer la baisse tendancielle de la valeur des

diplômes est l’état de la conjoncture économique, elle dépend de l’état du

marché du travail : les employeurs se montrent plus ou moins exigeants selon

que l’offre de diplômés est excédentaire ou déficitaire.

o Le troisième facteur expliquant pourquoi la baisse du rendement social des

diplômes n’est pas linéaire est relatif au fonctionnement du marché du travail.

« Le déclassement des classes moyennes n’est pas un fantasme, c’est une réalité », Interview

de Louis Chauvel pour Capital publié le 08/02/2012

Les classes moyennes sont au cœur de la campagne présidentielle et leur situation fait débat au

sein des « experts ». Le sociologue Louis Chauvel*, démonte l’essai Les Nouvelles Classes

moyennes dans lequel les auteurs expliquent que le déclassement social est une fiction.

Capital.fr : A en croire l’essai Les Nouvelles Classes moyennes, de Dominique Goux et Éric

Maurin, celles-ci ont certes peur du déclassement, mais elles n’ont pas été rétrogradées. Cette

thèse va à l’encontre de vos travaux…

Louis Chauvel : Nier ce déclassement est étonnant. Cela vient peut-être du prisme réduit de leur

étude, puisqu’ils ne s’intéressent qu’à une partie des classes moyennes : celle située au niveau

Page 23: Fiche concept : Le déclassement...fiche-declassement_vprof Page 2 sur 24 Aix-Marseille, nov. 2016 Ainsi par exemple au niveau collectif et intergénérationnel, le déclassement caractérise

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des professions intermédiaires en emploi. C’est-à-dire les instituteurs, techniciens, petits

ingénieurs, travailleurs sociaux. En ignorant tous ceux qui ont effectivement dévissé de ce

niveau, ils se concentrent sur les survivants du déclassement. L’autre biais considérable de cette

analyse est de ne pas se donner les moyens d’analyser la différence entre ceux qui bénéficient

de l’apport des parents ou d’un héritage reçu et ceux qui n’ont que leur travail pour se loger,

consommer, partir en vacances, améliorer les études de leurs enfants. Certes, comme le disent

Dominique Goux et Éric Maurin, le nombre de jeunes propriétaires a augmenté dans les années

2000-2005, mais au prix d'un « reste à vivre » après remboursement qui a fortement diminué,

comme le montre Fanny Bugeja dans ses travaux sur le logement et la consommation.

Aujourd’hui, à Paris et dans les grandes villes de France les ménages ne peuvent plus acheter

sans une aide massive directe de leur famille. Les autres, et ils sont légion, se mettent dans des

situations économiquement difficiles et doivent se rabattre sur des quartiers qu’ils auraient

évités dix ans plus tôt. Le logement est symptomatique du déclassement des classes moyennes

qui ne disposent que des fruits de leur travail : si vos parents ne sont pas riches et généreux,

vous allez devoir travailler deux fois plus longtemps qu’en 1995 pour le même logement, ou

perdre beaucoup de temps dans les transports, ou choisir pour vos enfants de mauvaises écoles.

Capital.fr : Ces auteurs feraient donc fausse route…

Louis Chauvel : Il suffit d’analyser le parcours des Français après l’obtention de leur diplôme

pour s’en convaincre. Il y a 25 ans le Bac était le ticket d’entrée dans les classes moyennes et

suffisait pour grimper dans l’échelle sociale. Aujourd’hui, le baccalauréat est le diplôme qui

mène droit aux couches populaires et les professeurs des écoles sont plus souvent des titulaires

d’un master qui n’ont pas trouvé de meilleure place. Un Bac + 2, qui permettait encore de

devenir ingénieur maison ou cadre il y a une dizaine d’années, est aujourd’hui relégué à des

fonctions subalternes. Le diplôme est devenu une condition de plus en plus nécessaire et de

moins en moins suffisante de l’obtention du statut de classe moyenne. Les classes moyennes

intermédiaires étudiées par Dominique Goux et Eric Maurin ne sont pas les gagnants de cette

guerre des diplômes. Le déclassement des classes moyennes n’est pas du ressenti, c’est une

réalité.

Capital.fr : Quand a débuté ce déclassement ?

Louis Chauvel : Les générations nées en 1960 en sont les premières victimes. Elles sont en effet

arrivées sur le marché du travail lorsque le chômage des jeunes commençait à flamber. Elles

ont donc dû faire des concessions salariales et de statut pour obtenir leur job : CDI à la chaîne,

stages, piges, intérim... Or les analyses sur la France montrent qu’une fois que l’on a accepté le

déclassement, il est ensuite très dur de rattraper le retard pris en début de carrière. L’histoire

sociale en France ne repasse pas les plats. C’est le début du toboggan social. Depuis ce

phénomène s’est amplifié, et l’intensification de la crise que nous vivons a peu de chances

d’arranger les choses. La situation des ménages qui se sont fortement endettés pour acquérir un

logement depuis 2005 est préoccupante. Ils sont en effet en train de rembourser un bien qui

pourrait perdre de la valeur dans les prochaines années, ce qui alimente leurs angoisses et risque

de les appauvrir. Et encore je ne parle pas des victimes du chômage ou d’une rupture familiale,

obligés de céder leur bien en situation de faiblesse dans la négociation. Au moins 250.000

ménages sont dans une situation à risque.

Capital.fr : Comment les jeunes peuvent-ils éviter ce déclassement annoncé ?

Louis Chauvel : L’exode économique est une solution. C’est terrible à dire mais l’herbe est

souvent plus verte ailleurs. Le Québec, le Canada, les États-Unis peuvent être une option. Pour

ceux dont les dons en langues sont plus acérés, Singapour ou la Chine continentale peuvent

offrir des carrières vraiment excitantes. Pour d’autres raisons - choc démographique et

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raréfaction des jeunes travailleurs - l’Allemagne et le nord de l’Italie vont offrir de nouvelles

opportunités à saisir. Les jeunes Français débrouillards, bons en langues et qui habitent dans les

régions frontalières pourraient en profiter. […]

Source : http://www.capital.fr/a-la-une/interviews/le-declassement-des-classes-moyennes-n-

est-pas-un-fantasme-c-est-une-realite-696354#

En septembre 2016, avec « La Spirale du déclassement, Essai sur la société des illusions »,

Louis Chauvel persiste à penser que les classes moyennes sont dans une spirale du

déclassement. À partir de données et de comparaisons internationales, il récuse les thèses selon

lesquelles le déclassement ne serait qu’une peur. Il considère que le déclassement est transféré

sur la génération suivante. Cette génération se retrouve avec un niveau de statut inférieur à celui

de ses parents. Elle subit aussi le déclassement scolaire, et le déclassement résidentiel…

Il décrit un monde « en déconstruction », sous l’effet d’une double rupture : la montée des

inégalités de classe et celle entre générations (la « paupérisation des jeunes », sacrifiés au profit

des retraités). Ces deux fractures, sociale et générationnelle, s’additionnent, se complètent, et

produisent finalement un « déclassement systémique ».

Les causes en sont le ralentissement de la croissance économique, la difficulté pour les jeunes

d’entrer sur le marché du travail, la dévaluation des diplômes, mais aussi l’accroissement des

inégalités de patrimoine, en particulier de patrimoine immobilier, entre ceux qui sont

propriétaires de leur logement et les autres.

Il précise qu’il ne s'agit pas de remplacer les inégalités de classes par celles de générations, mais

de montrer la complémentarité de leur dynamique : avec le creusement des inégalités

patrimoniales, les écarts au sein des nouvelles générations sont appelés à se renforcer entre

héritiers protégés par leurs "garanties" familiales et détenteurs de diplômes dévalorisés.

Louis Chauvel considère que nous sommes entrés dans une ère d’ « inégalité sidérale » dans

laquelle le phénomène de « repatrimonalisation » des richesses ne signifie pas seulement « un

handicap croissant pour ceux qui n’ont que leur salaire », mais aussi « le rétablissement de

modèles dynastiques de familles, où la gestion du patrimoine hérité est une dimension

structurante de la relation intergénérationnelle ». Le creusement des inégalités conduit ainsi «

une partie des classes moyennes et des générations nouvelles à suivre les classes populaires

sur la pente de l’appauvrissement, entraînant une spirale générale de déclassement ».

(Lire aussi un article de Louis Chauvel dans un article du Monde du 18 octobre 2016 « Oui,

les inégalités progressent en France ! », http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/10/17/oui-

les-inegalites-progressent-en-france_5014752_3232.html#hO3LWdavz3cUks7r.99)