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Filles et garçons en sciences et techniques, un enjeu européen et planétaire Colloque organisé au CRDP de Grenoble le 15/11/2008 par l’Association Femmes & Sciences, l’Association pour la Parité dans les Métiers Scientifiques et Techniques et la Mission pour la place des Femmes au CNRS Association Femmes & Sciences 9 rue Vésale, 75005 Paris Tél : 01 47 70 85 35 Mél : [email protected] http://www.femmesetsciences.fr Association pour la Parité dans les Métiers Scientifiques et Techniques (APMST) CNRS, BP 166, 38042 Grenoble cedex 9 http://parite-sciences.org

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Filles et garçons en sciences et techniques,

un enjeu européen et planétaire

Colloque organisé au CRDP de Grenoble le 15/11/2008

par l’Association Femmes & Sciences,

l’Association pour la Parité dans les Métiers Scientifiques

et Techniques

et la Mission pour la place des Femmes au CNRS

Association Femmes & Sciences 9 rue Vésale, 75005 Paris

Tél : 01 47 70 85 35 Mél : [email protected] http://www.femmesetsciences.fr

Association pour la Parité dans les Métiers Scientifiques et Techniques (APMST)

CNRS, BP 166, 38042 Grenoble cedex 9 http://parite-sciences.org

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SOMMAIRE INTRODUCTION Page 9 : Avant-propos, Claire Schlenker, professeure honoraire à l’Institut Polytechnique de Grenoble, présidente de l’Association pour la Parité dans les Métiers Scientifiques et Techniques (APMST). Pages 13 à 22 : Paroles de bienvenue, Noël Margerit (page 13), directeur du Service académique d’information et d’orientation, représentant le Recteur de l’académie de Grenoble. Younis Hermès (page 14), délégué régional de la circonscription Alpes du Centre National de la Recherche Scientifique. Morad Bachir-Cherif (page 17), conseiller municipal de Grenoble, délégué à la Culture scientifique et technique. Brigitte Périllié (page 18), conseillère générale de l’Isère en charge de l’Enfance-Famille et de l’Egalité entre les femmes et les hommes (représentée par Florence Bellagambi, chargée de mission Egalité des chances au Conseil général de l’Isère). Florence Durret (page 20), présidente de l’association Femmes & Sciences. LA DIVERSITE DANS LES METIERS SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES Page 25 : Un laboratoire de recherche, une communauté aux métiers divers, Eva Pébay-Peyroula, professeure à l’Université Joseph Fourier, directrice de l’Institut de Biologie Structurale de Grenoble, membre de l’Académie des Sciences. Page 31 : Les différences, un atout pour l’entreprise, comment les gérer, Véronique Bouhafs-Blanchard, directrice des sites internationaux de Hewlett-Packard en France, Grenoble.

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TABLE RONDE Page 39 : Questionnaire préparatoire à la table ronde Page 41 : Synthèse des réponses des lycéennes et lycéens au questionnaire, Claudine Hermann, professeure honoraire à l’Ecole Polytechnique, Palaiseau, physicienne, et présidente d’honneur de l’association Femmes & Sciences, et Claudine Kahane, astrophysicienne, professeure à l’Université Joseph Fourier, Grenoble et chargée de mission Sciences de l’académie de Grenoble. Page 51 : Témoignages de jeunes professionnel-le-s et discussion, Dominique Gilles, psychosociologue, Université Claude Bernard Lyon 1, et Claudine Kahane, astrophysicienne, professeure à l’Université Joseph Fourier, Grenoble et chargée de mission Sciences de l’académie de Grenoble. CHOIX D’ORIENTATION ET STEREOTYPES Page 63 : Filles et garçons sur le chemin de la parité, Frédérique Chanal et Marie-Françoise Guignard-Pétri, chargées de mission académiques à l’égalité filles-garçons des académies de Grenoble et Lyon. Page 71: Filles et garçons face à l’informatique, Marie-Paule Cani, professeure, Institut Polytechnique de Grenoble et Institut National de Recherche en Informatique et Automatique. Page 79 : Il était une fois le corps… La construction biologique du corps dans les encyclopédies pour enfants, Christine Détrez, maître de conférences en sociologie, Ecole Normale Supérieure – Lettres et Sciences Humaines, Lyon. FEMMES EN SCIENCES ET TECHNIQUES EN EUROPE Page 91 : Situation comparée des femmes en sciences et techniques dans l’Union européenne, Claudine Hermann, présidente d’honneur de l’association Femmes & Sciences.

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Page 99 : Formations scientifiques et techniques en Suisse : vers une politique institutionnelle de l’égalité ? Anne-Françoise Gilbert, sociologue et chargée de recherche, Centre interdisciplinaire de recherche sur le genre, Université de Berne. Page 109 : Parcours des femmes dans les sciences : l’expérience suédoise, Sara Brachet, démographe, Institut National d’Etudes Démographiques, Paris. Page 121 : GLOSSAIRE

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INTRODUCTION

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Claire SCHLENKER, professeure honoraire à l’Institut Polytechnique de Grenoble, présidente de l’Association pour la Parité dans les Métiers Scientifiques et Techniques (APMST) [email protected]

Avant-propos L’Association pour la Parité dans les Métiers Scientifiques et Techniques (APMST) a été créée en 2002 à Grenoble et a pour buts d’oeuvrer pour la parité entre les femmes et les hommes dans les métiers scientifiques et techniques, de favoriser un égal accès aux responsabilités professionnelles et sociales et d’encourager la production des savoirs par les femmes et leur diffusion. Elle mène dans la région grenobloise diverses actions de sensibilisation et formation à la question de la parité. Rappelons que Grenoble est la ville natale de Stendhal qui écrivait il y a presque deux siècles : « L’admission des femmes à l’égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation et elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain ». La création de l’association faisait suite à un colloque organisé les 8 et 9 mars 2002 par la ville de Grenoble à l’initiative de quelques femmes scientifiques. Ce colloque s’intitulait « Femmes & Sciences, construire d’autres savoirs avec les femmes » et avait une vocation européenne. Il contenait entre autres des interventions de plusieurs scientifiques européennes. A la demande de l’association Femmes & Sciences et de sa présidente d’honneur Claudine Hermann, et en concertation avec ses présidentes successives, Colette Guillopé puis Florence Durret, l’APMST a accepté de co-organiser le colloque annuel 2008 à Grenoble, en partenariat avec la Mission pour la place des femmes au CNRS et sa directrice Agnès Netter. Les thèmes retenus ont été les métiers scientifiques et techniques et les problèmes relatifs à l’attitude des jeunes vis-à-vis des études correspondantes, conditionnée en partie par de nombreux stéréotypes, ainsi que la situation des femmes en sciences et techniques en Europe, thème suggéré par l’environnement européen des grands instruments scientifiques implantés à Grenoble. La matinée s’adressait en priorité à des lycéens. L’accent a été mis sur les métiers de la recherche scientifique et sur ceux des entreprises de haute technologie. Une table ronde a présenté des témoignages de sept jeunes professionnel-le-s, appartenant aux

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secteurs de la recherche européenne, de la grande industrie, d’une PME et de l’Armée de l’air. Ce colloque a été organisé en étroite collaboration avec les Recteurs des académies de Grenoble et de Lyon, représentés lors du colloque par Noël Margerit, chef des services académiques d’information et d’orientation à Grenoble et Marie-Françoise Guignard-Pétri, chargée de mission académique à l’égalité filles-garçons à Lyon, que nous remercions vivement, ainsi que Frédérique Chanal, chargée de mission académique à l’égalité filles-garçons à Grenoble et Mireille Barral, inspectrice pédagogique régionale de sciences physiques et chimiques à Grenoble. Un questionnaire portant sur l’intérêt des lycéens pour les matières scientifiques et sur leurs critères pour le choix de leur carrière future avait au préalable été rempli par 420 élèves et dépouillé avant le colloque. La synthèse en avait été faite par Claudine Kahane, professeure à l’Université Joseph Fourier et chargée de mission sciences de l’académie de Grenoble. Un dépouillement « sexué » a été fait ultérieurement pour une partie des réponses par Claudine Hermann. Les synthèses de ces enquêtes sont présentées dans ces actes. Le jour du colloque, nous avons accueilli, le matin, un public de 280 personnes, dont huit classes de lycée des deux académies (lycée Marie Curie d’Échirolles, lycée Champollion, lycée Mounier, lycée Stendhal de Grenoble, lycée Pierre Béghin de Moirans, lycée Gaston Jaume de Pierrelatte et lycée Pierre Brossolette de Villeurbanne), ainsi qu’une classe du lycée d’altitude de Briançon venue à l’initiative d’un professeur particulièrement dynamique. Les lycéens ont vivement apprécié les deux exposés sur les métiers ainsi que la table ronde, préparée à l’aide des réponses au questionnaire et menée avec une grande maîtrise par Dominique Gilles (Université Claude Bernard de Lyon) et Claudine Kahane. Les exposés de l’après-midi sur les choix d’orientation des jeunes et les stéréotypes, puis sur la situation des femmes en sciences et techniques en Europe ont été suivis par un public attentif et nombreux. Nous remercions vivement toutes les conférencières pour leurs exposés de grande qualité, ainsi que les intervenants et les animatrices de la table ronde pour le débat vivant et pertinent. Nous avons bénéficié de la coopération du Centre de Culture Scientifique Technique et Industrielle de Grenoble, qui a rendu possible l’inscription de ce colloque parmi les manifestations de la Fête de la Science, et nous en remercions vivement son directeur Laurent Chicoineau et ses collaboratrices. Le colloque a aussi été retenu dans le cadre du Forum Science et Démocratie de Grenoble-Alpes Métropole ; ce forum a lieu depuis plusieurs années à l’automne et regroupe un certain nombre de manifestations sur un thème lié à la science, en

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2008 « Développement économique, développement humain, un modèle grenoblois ». Nous sommes très reconnaissant-e-s à « la Métro » pour le soutien financier qui nous été accordé à ce titre et plus particulièrement à son conseiller scientifique Daniel Bloch, ancien recteur. Nous remercions aussi vivement la Région Rhône-Alpes et son président Jean-Jack Queyranne qui nous a demandé d’excuser son absence au colloque, et la Ville de Grenoble, son député-maire Michel Destot, représenté lors du colloque par Morad Bachir-Chérif, conseiller municipal délégué à la culture scientifique et technique, ainsi que Geneviève Fioraso, députée de l’Isère et adjointe à l’économie, pour leur aide financière généreuse. Nos remerciements vont aussi au Conseil général de l’Isère, particulièrement à Brigitte Périllié, vice-présidente chargée de l’Egalité femmes-hommes et de la famille, pour son aide financière et pour le prêt de l’exposition « Femmes Prix Nobel », rendu possible par Florence Bellagambi. L’association Femmes & Sciences a reçu des soutiens financiers au niveau national de la Mission pour la place des femmes au CNRS et du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. La Rectrice Joëlle Le Morzellec, Chef de la Mission pour la parité de ce Ministère, s’est excusée de ne pouvoir être présente lors du colloque. La Société Française de Physique a souhaité nous aider financièrement et nous remercions sa Présidente, Michèle Leduc. Au niveau local l’APMST a été soutenue par des grands instruments européens implantés à Grenoble, l’ESRF (European Synchrotron Radiation Facility) et l’Institut Laue-Langevin, par le CEA Grenoble, l’Université Joseph Fourier, l’Institut Polytechnique de Grenoble et l’INRIA Rhône-Alpes. Un grand merci à toutes ces institutions. La Fondation d’entreprise EADS, la Fondation L’Oréal et SFR ont soutenu Femmes & Sciences pour ce colloque, nous leur en sommes très reconnaissant-e-s. Sur le plan local, nous avons été aussi aidé-e-s par les entreprises Air Liquide, Hewlett-Packard, Soitec et Ugimag et nous les remercions vivement. Nous sommes reconnaissant-e-s à la Délégation régionale Alpes du CNRS et à son Délégué Younis Hermès, à Pascale Natalini, chargée de communication ainsi qu’au Laboratoire National des Champs Magnétiques Intenses, qui accueille l’APMST, pour une aide matérielle importante. Ce colloque a aussi bénéficié d’autres partenariats : avec le Centre régional de documentation pédagogique de l’académie de Grenoble ; avec les IUFM de Grenoble et de Lyon pour la présentation d’un diaporama sur la formation au genre, grâce à Mireille Baurens et Daniel Lacroix, professeurs ; avec la Mission égalité femmes - hommes de l’Université Claude Bernard de Lyon pour le prêt de l’exposition « Les sciences font la différence », grâce à Christine Charretton, chargée de mission. L’exposition « L’autre moitié de la science » (Université de Naples et Commission européenne) nous a été prêtée par le rectorat de

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l’académie de Lyon grâce à Marie-Françoise Guignard-Pétri. Enfin les membres du bureau de l’Union des professeurs de physique et chimie (UdPPC, section académique de Grenoble) ont été d’une efficacité remarquable pour l’organisation matérielle du colloque et nous remercions tout particulièrement son président Gilles Baudrant et sa vice-présidente Stéphanie Larbaud. Ce colloque n’aurait pu avoir lieu sans les recommandations du comité de programme et sans l’aide des membres du comité d’organisation non cités ci-dessus, notamment Jean-Daniel Dubois, Florence Dumas, Rose-Marie Galéra, Florence Joussellin, Françoise Lapierre et Cécile Naud. Ajoutons que des intermèdes théâtraux « La science se met en scène » sur le thème de la chimie, présentés par Pierre Aldebert, ont été bien appréciés. Enfin je remercie Michel Schlenker pour son soutien et son aide constants avant, pendant et après le colloque. Les diaporamas des conférences d’Éva Pébay-Peyroula, de Frédérique Chanal et Marie-Françoise Guignard-Pétri, de Marie-Paule Cani, de Claudine Hermann et de Sara Brachet sont téléchargeables depuis les sites de l’APMST (http://parite-sciences.org) et de Femmes & Sciences (www.femmesetsciences.fr). Nous espérons que le colloque et ces actes contribueront à rendre plus attrayantes les études scientifiques et techniques, notamment en atténuant un certain nombre de stéréotypes, et inciteront de nombreux lycéennes et lycéens hésitants à s’engager dans ces études. Comité de programme : Christine Charretton, Bettina Debu, Mathilde Dubesset, Florence Durret, Colette Guillopé, Claudine Hermann, Françoise Lapierre, Mireille Lavagna, Agnès Netter, Claire Schlenker. Transcription des actes : Bettina Debu, Florence Dumas, Claudine Hermann, Claire Schlenker. Relecture : Marie-Blanche Mauhourat, Michel Schlenker. Mise en page : Gwendoline Petitjean. Photos : Serge Claisse (Institut Laue-Langevin), Michel Schlenker.

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Paroles de bienvenue Noël Margerit directeur du Service Académique d’Information et d’Orientation, représentant le Recteur de l’académie de Grenoble [email protected] Monsieur le Recteur de l'académie de Grenoble m'a demandé de le représenter, car il est aujourd'hui à Paris, accompagné par une délégation de lycéens, chez Xavier Darcos, ministre de l'Education nationale. C'est un plaisir pour moi de le représenter à l'ouverture de ce colloque organisé par l'association Femmes & Sciences, l'Association pour la parité dans les métiers scientifiques et techniques et par la Mission pour la place des femmes au CNRS. La question de la mixité des métiers et de l'accès d'un nombre beaucoup plus important de jeunes dans les formations et dans les métiers scientifiques et techniques est un enjeu européen et planétaire comme l'indique le titre de ce colloque. C'est pour cette raison que le projet de l'académie de Grenoble pour la période 2006-2010 en fait une de ses priorités : « L'information sur les métiers auxquels aboutissent les études scientifiques doit être renforcée afin de les rendre plus lisibles pour les élèves, les parents et les enseignants ». « Il faut apporter une attention particulière au cas des filles dans l'enseignement supérieur, minoritaires dans les sciences fondamentales et appliquées (40 %) et très minoritaires dans les formations technologiques (20 %). Alors que les filles sont meilleures élèves tant dans le secondaire que dans le supérieur, elles restent minoritaires dans les études scientifiques ». Cette volonté de promouvoir les sciences et techniques est une des constantes de la politique académique. Et l'on sait que pour atteindre cet objectif, il est indispensable de promouvoir une réelle diversification des choix d'orientation des filles et de construire ainsi une plus grande mixité des choix scolaires et professionnels.

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Cette volonté se traduit par des initiatives nombreuses : - manifestations académiques : colloque en novembre 2001, rencontres de l'égalité en 2004, - élaboration d'un recueil de bonnes pratiques : 40 expériences conduites dans les établissements de l'académie (document réalisé en 2005 et encore accessible sur le site de l'académie), - réalisation d'outils pédagogiques : outil multimédia "Vies croisées" par la Délégation régionale de l'ONISEP de Grenoble pour aider les équipes éducatives à travailler avec les élèves sur ce thème, - actions de formation d'enseignants, - organisation chaque année depuis près de 15 ans pour les élèves de fin de collège ou de lycée d'une tournée de spectacles de théâtre interactif sur le thème de la mixité et de l'égalité des chances avec la compagnie "Tenfor" (20 représentations en 2008, soit plus de 2500 spectateurs concernés), - intégration dans les programmes d'éducation à l'orientation de nombreux lycées, et depuis peu en collège, des interventions de l'Union régionale et des Unions départementales des ingénieurs et scientifiques, - participation au "Prix de la vocation scientifique et technique des filles", au prix "Egalité Rhône-Alpes dans l'apprentissage et l'enseignement professionnel"… Cette énumération n'est bien sûr pas exhaustive. J'ai simplement voulu illustrer les formes multiples que peut prendre sur le terrain la mise en œuvre d'une politique portée dans notre académie par une chargée de mission, Frédérique Chanal, directrice de Centre d’information et d’orientation (CIO). La réussite de cette mise en œuvre repose sur l'implication forte de tous les acteurs du système éducatif : personnels d'encadrement, personnels d'orientation et d'éducation et bien sûr enseignants dans leur classe. Elle repose aussi sur tous ceux qui, à l'extérieur de l'école, renforcent son action : individus, entreprises, organisations professionnelles, associations et naturellement les collectivités territoriales qui apportent leur soutien sous des formes diverses. On connait l'implication de la Région, des conseils généraux et des différents services de l'Etat. Je tiens à remercier au nom de monsieur le Recteur, tous ceux qui œuvrent pour améliorer les conditions d'orientation des jeunes et pour les inciter à choisir des formations les préparant à des métiers scientifiques et techniques et, plus largement, à construire une réelle égalité des chances entre les filles et les garçons.

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Younis Hermès délégué régional de la circonscription Alpes du Centre National de la Recherche Scientifique [email protected] Je suis heureux et fier de me retrouver parmi vous, aujourd’hui, pour l’ouverture du colloque « Filles et garçons en sciences et techniques, un enjeu européen et planétaire » et d’y représenter la Direction générale du CNRS. Ce colloque prend tout son sens, me semble-t-il, en ce jour de lancement de la Fête de la Science. Vous connaissez, comme moi, les enjeux dans les prochaines années ; les organismes publics et privés vont connaître les départs massifs en retraite de la génération née pendant le « baby boom ». Ils devront faire face, dans un monde ouvert et concurrentiel, à des besoins importants de main d’œuvre hautement qualifiée, y compris dans des métiers émergents. Vous connaissez également la désaffection des jeunes pour les sciences. Cette désaffection représente un défi économique et sociétal pour l’avenir, en France comme en Europe, et est l’objet de préoccupations constantes, comme le montre le récent rapport Rocard établi à l’initiative de la Commission européenne. Or cette désaffection touche plus encore les jeunes filles. Voici quelques chiffres qui illustrent la situation en France :

- Les jeunes filles réussissent mieux au baccalauréat toutes filières confondues (83,2% contre 80,2% pour les garçons). Bien que majoritaires parmi les lauréats des cursus de licence et master, elles sont minoritaires parmi les diplômés en STAPS et en sciences ; et elles ne sont 28% à s’engager dans un doctorat en sciences fondamentales et appliquées. Elles ne représentent qu’un quart des diplômés des écoles d’ingénieurs.

- En 2005, la France compte 138 000 femmes en activité dans le secteur Recherche - Développement, soit 28% de femmes. La France se situe dans la moyenne européenne, devançant les Pays-Bas, l’Autriche ou l’Allemagne qui comptent entre 21 et 27% de chercheuses. Notre pays est placé derrière des pays comme le Portugal, l’Espagne, la Pologne ou la Finlande qui comptent entre 35 et 50% de chercheuses. Comme dans les 2/3 des pays de l’OCDE, le taux de féminisation est plus important dans le secteur public que dans la recherche privée. Il est de 34% dans la recherche publique française, de 20% en entreprises.

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Le CNRS est étroitement dépendant, pour ses recrutements, du vivier existant. S’il s’honore d’avoir 42,7 % de femmes dans ses effectifs, les femmes ne représentent que 31,8 % des chercheurs ; 37,3% parmi les chargés de recherche, 23,7 % parmi les directeurs de recherche. Elles représentent seulement 16% des effectifs en mathématiques, 17% en physique, 20% en sciences de l’ingénieur et 19 % en électronique et informatique. Elles sont 31% en chimie, 39% en sciences du vivant et 43% en sciences humaines et sociales. L’organisme, que je représente ici, est conscient que l’innovation, la créativité et l’excellence, naissent de l’échange d’idées, de la mixité et de la diversité de ses laboratoires. Depuis plus d’une dizaine d’années, en particulier à travers les actions de la Mission pour la Place des Femmes créée en 2001, il œuvre résolument dans ce domaine :

- en encourageant les équipes travaillant sur le genre ; - en produisant des indicateurs sexués et des études permettant d’analyser

les freins au parcours professionnel des femmes ; - en étant membre des réseaux régionaux, nationaux et internationaux

travaillant sur le sujet ; - en développant des actions de sensibilisation des jeunes, et notamment

des jeunes filles, à la science et aux carrières scientifiques ; - en inscrivant la dimension du genre dans tous ses axes stratégiques dans le

cadre d’un plan d’action destiné à promouvoir l’égalité professionnelle en son sein.

Le colloque d’aujourd’hui participe de cette volonté et traduit cet effort commun et concerté de relever le défi de réconcilier les jeunes et la science, et de démontrer aux jeunes filles que les filières scientifiques leur sont ouvertes. Je tiens enfin à remercier chaleureusement tous les partenaires du colloque et en premier lieu les organisateurs, l’association Femmes & Sciences, l’Association pour la Parité dans les Métiers Scientifiques et Techniques (APMST) et la Mission pour la place des Femmes au CNRS. Je souhaite que ces partenariats puissent se poursuivre et se renforcer dans l’avenir, afin d’inciter de plus en plus de jeunes, garçons et filles, à s’engager dans des filières et des métiers scientifiques.

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Morad Bachir-Cherif

conseiller municipal de Grenoble, délégué à la Culture scientifique et technique. Au nom de la ville de Grenoble, je suis très heureux d’être présent à ce colloque sur le thème « Filles et garçons en sciences et techniques, un enjeu européen et planétaire ». L’Association pour la parité dans les métiers scientifiques et techniques comme l’association Femmes & Sciences ont pour but de renforcer la position des femmes engagées dans des carrières scientifiques et contribuent à inciter notamment les jeunes filles à s’engager dans les filières scientifiques et techniques.

Un certain nombre d’études montrent une désaffection des jeunes pour les études scientifiques et ce, au niveau européen. Par ailleurs, alors que les filles obtiennent globalement de bons résultats scolaires, on voit la différence se creuser au moment du choix du bac tout d’abord, et de celui du cursus d’études ensuite.

Si l’on veut diffuser la culture scientifique, technique et industrielle au plus grand nombre et plus particulièrement aux jeunes, il faut s’efforcer de tenir un langage plus accessible mais aussi de faire évoluer les représentations parfois trop stéréotypées.

Nayla Farouki, philosophe historienne des sciences, disait : « Les scientifiques ont une grande responsabilité, celle de nous séduire, et les enseignants ont une autre responsabilité, celle d’éveiller le plaisir des sciences, de la curiosité dans des programmes bien conçus et si possible en y associant l’expertise des Centres de Culture Scientifique, Technique et Industrielle (CCSTI) ».

Alors oui, le thème de la conférence est bien choisi, la diffusion de la culture scientifique et technique est un élément fondamental car les sciences sont très imbriquées dans la vie sociale et économique.

Susciter des vocations aux métiers de la recherche, qu’elle soit fondamentale ou appliquée, est primordial et nul doute que les initiatives comme celle de votre conférence y contribuent.

C’est tout naturellement que la ville de Grenoble a souhaité vous accompagner à travers sa participation financière pour la mise en place de cette journée.

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Brigitte Périllié conseillère générale de l’Isère en charge de l’Enfance-Famille et de l’Egalité entre les femmes et les hommes (représentée au colloque par Florence Bellagambi, chargée de mission Egalité des chances au Conseil général de l‘Isère). Monsieur le représentant du Recteur, Monsieur le Délégué régional du CNRS, Monsieur le représentant du Maire de Grenoble, Mesdames et Messieurs, Je tiens à féliciter Madame la Présidente de l’association Femmes & Sciences et Madame la Présidente de l’Association pour la parité dans les métiers scientifiques et techniques pour l’organisation de ce colloque. La présence dans cette salle de beaucoup de jeunes lycéens, filles et garçons, venant parfois de loin (Briançon, Villeurbanne) démontre que les questions que beaucoup se posent pour leur avenir sont nombreuses. Ces lycéens auront à choisir une orientation après un bac scientifique ou technique. Il faut beaucoup de motivation pour se projeter dans des études souvent longues à 16 ou 17 ans ; mais les sciences sont multiples et diversifiées. Nous n’apprenons plus un métier pour la vie entière, c’est pourquoi, il ne faut jamais baisser les bras et se décourager. Le Conseil général de l’Isère que je représente aujourd’hui soutient depuis 7 ans les initiatives telles que celle-ci, car il est de première importance qu’autant de filles que de garçons se partagent les métiers scientifiques et techniques, comme les responsabilités politiques et toutes autres activités. Dans tous les domaines, il n’y a pas assez de femmes et celles qui s’y trouvent ne sont pas ou peu au sommet de la hiérarchie. Malgré la loi sur la parité, au Conseil général de l’Isère, on ne compte que 5 femmes sur 58 conseillers. Je me souviens d’avoir participé et soutenu, en mars 2002, un colloque européen organisé par la Ville de Grenoble qui s’intitulait « Construire d’autres savoirs avec les femmes ». Beaucoup d’organisatrices de ce précédent colloque sont là aujourd’hui et je voudrais les féliciter pour leur ténacité. Depuis 2002, la Délégation aux droits des femmes que je conduis a continué le travail et a réalisé, entre autres, l’exposition qui se trouve aujourd’hui dans le hall du CRDP sur les femmes Prix Nobel. En effet, j’ai souhaité valoriser dans ma délégation, autant que possible, l’image des femmes, souvent oubliées tant dans l’actualité que dans l’histoire.

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Nous célébrons donc chaque année, le 8 mars, la Journée internationale des femmes, sur des thèmes différents : le sport, la culture, l’égalité professionnelle etc., afin de bien souligner les inégalités homme-femme toujours persistantes ici et ailleurs. Mais nous trouvons peu d’hommes pour intervenir sur les questions de genre! Au sein de mon service, nous traitons d’inégalités mais aussi de problèmes plus « graves » comme les violences conjugales et intra-familiales. Une exposition que certaines et certains ont pu voir dans les collèges a également été réalisée : « Dis non à ta violence ! ». Elle traite de la lutte contre les comportements sexistes et les violences sexuelles. Nous diffusons également de nombreux documents dans tous les lieux publics et auprès des infirmeries des établissements scolaires sur cette thématique. Il est vrai que c’est à l’adolescence qu’apparaissent des attitudes inadmissibles envers les femmes de la part de jeunes hommes sous couvert de virilité, mais aussi de la part de quelques jeunes filles qui s’approprient cette violence. La reconnaissance des valeurs de chacun et chacune passe par le respect mutuel aussi bien au niveau professionnel qu’au niveau personnel. Les scientifiques de grande renommée ici présentes auront valeur d’exemple pour les deux sexes. Parions que la nouvelle génération ne gaspillera plus ses talents et saura investir l’avenir européen et planétaire!

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Florence Durret

astrophysicienne, Institut d’Asrophysique, Paris, présidente de l’association Femmes & Sciences [email protected]

Je suis depuis avril 2008 présidente de l’association Femmes & Sciences. Je suis chercheuse en astrophysique à l’Institut d’Astrophysique de Paris et j’ai eu la chance d’être encouragée par mes parents dans la voie scientifique, même s’il n’y avait jamais eu de chercheur dans la famille. Nous n’étions que 6 filles en classe préparatoire aux Grandes écoles sur environ 35 élèves dans les années 1970, mais je n’ai jamais ressenti de discrimination sexiste à mon égard, que ce soit durant mes études ou plus tard dans l’exercice de mon métier. Pourtant, nous ne sommes que 20% de femmes environ en astrophysique en France, et quelque part je trouve cela anormal. Il est tout aussi anormal que le nombre de femmes directrices de laboratoires d’astrophysique puisse se compter sur les doigts d’une main. Ce sont ces chiffres qui m’ont poussée à m’intéresser à la question des femmes dans les sciences, d’autant plus que je sais que toutes les femmes n’ont pas eu ma chance. L'association Femmes & Sciences est une association loi de 1901 qui a été créée en 2000. Elle a pour buts de renforcer la position des femmes dans les métiers scientifiques et techniques, ainsi que d’inciter les jeunes, et en particulier les jeunes filles, à s’orienter vers ces carrières. Des membres de l’association interviennent, à la demande d’enseignants, dans les collèges et dans les lycées dans toute la France, principalement en Ile-de-France et en Alsace, pour témoigner du fait qu’il est possible, pour une femme comme pour un homme, de concilier un métier scientifique ou technique passionnant et une vie familiale et personnelle riche. L’association cherche aussi à favoriser la place des filles et des femmes dans les sciences et les techniques à tous les niveaux de postes. Notre association organise depuis 2001 un colloque annuel comme celui-ci, au cours duquel sont étudiés différents aspects de la relation entre l’éducation des filles et leur insertion équilibrée dans la société, ainsi que les blocages qui les empêchent de participer, en nombre et au plus haut niveau, aux postes à responsabilités. Le colloque se déroule alternativement à Paris et en région : ainsi en 2006 nous étions à Strasbourg et avons développé le thème

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« Articulation de la vie professionnelle et de la vie personnelle dans les métiers scientifiques », à Paris en 2007 nous avons traité de « Sciences et technologies, un avenir pour filles et garçons ! ». Cette année, notre colloque se tient en partenariat avec l’Association pour la parité dans les métiers scientifiques et techniques (APMST Grenoble), et avec la Mission pour la place des femmes au CNRS. A l’automne 2009 notre colloque aura lieu à nouveau à Paris, sur le thème « Carrières des femmes dans la recherche publique et en entreprises : quelles solutions pour les valoriser ? ». Tous les colloques de Femmes & Sciences depuis 2003 ont été organisés en collaboration avec d’autres associations ou institutions. En particulier, notre association entretient depuis de nombreuses années un partenariat avec la Mission pour la place des femmes du CNRS, et nous tenons à remercier ses directrices successives, Geneviève Hatet-Najar et maintenant Agnès Netter, qui nous fait l’honneur d’être présente aujourd’hui, pour leur soutien constant. L’association Femmes & Sciences a aussi bénéficié pour ce colloque du soutien de la Mission pour la Parité dans la recherche et l’enseignement supérieur du ministère de la recherche et, pour ce qui est des entreprises, de la Fondation d’entreprise EADS, de la Fondation L’Oréal, et de SFR, qui nous aident fidèlement depuis des années. Pourquoi avons-nous choisi le thème « Filles et garçons en sciences et techniques, un enjeu européen et planétaire »? Nous tenons à faire connaître les métiers scientifiques, et aussi à insister sur le fait que les métiers scientifiques n’exigent pas exclusivement des études à bac + 5 (ou bac +25 !), et que les techniciennes et techniciens formés à bac +2 ou 3 participent aussi à l’aventure des sciences et des techniques. C’est ce que nous avons cherché à mettre en évidence lors de notre colloque de l’an dernier, et nous reprenons ce thème important ici en insistant sur les nombreux métiers passionnants qui attendent les jeunes dans ces filières, dont l’avantage est d’offrir de nombreux débouchés. Je vous souhaite à tous une excellente journée, et en particulier aux 170 lycéens venus de l’académie de Grenoble, de Villeurbanne et de Briançon. Je tiens à remercier chaleureusement les nombreux membres du comité d’organisation local, dont ceux du conseil d’administration de l’APMST, de la section de Grenoble de l’Union des professeurs de physique et de chimie ainsi que les membres du comité de programme et surtout Claire Schlenker, présidente de l’APMST et membre du Conseil d’administration de l’association Femmes & Sciences. Mes remerciements vont également à Monsieur Morad Bachir-Cherif, délégué à la culture scientifique et technique du Conseil municipal de Grenoble, Madame Florence Bellagambi, représentant Madame Brigitte Périllié, vice-présidente du Conseil général de l’Isère, chargée de l’égalité homme-femme,

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Monsieur Younis Hermès, délégué régional de la circonscription Alpes du CNRS et Monsieur Noël Margerit, directeur du service académique d’information et d’orientation, représentant le recteur de l’académie de Grenoble, qui ont bien voulu participer à l’ouverture de ce colloque.

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LA DIVERSITE DANS LES METIERS

SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES

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Eva Pebay-Peyroula, professeure à l’Université Joseph Fourier, Institut de Biologie structurale, Grenoble [email protected]

Un laboratoire de recherche, une communauté aux métiers divers

Préambule Au cours de mon exposé, j’illustrerai la diversité des métiers de recherche dans le domaine de la biologie structurale à partir de trois exemples. Cette restriction à la biologie structurale me permet d’être plus concrète dans mes propos, mais la situation est assez comparable dans d’autres champs disciplinaires. Pour mieux comprendre certains aspects de la présentation, il convient de définir ce qu’est la biologie structurale. Il s’agit de comprendre le fonctionnement des molécules du vivant qui forment souvent des édifices moléculaires de grande taille (les protéines, l’ADN, les lipides, les sucres). Pour cela, il faut établir la structure tridimensionnelle de ces grosses molécules (c’est-à-dire déterminer la position de tous les atomes, il y en a souvent plusieurs milliers dans une protéine), et comprendre les déformations possibles de ces molécules (il peut s’agir de petites vibrations de groupements d’atomes, ou encore d’un mouvement global d’un domaine de la protéine par rapport à un autre). Les réactions que les protéines (ou plus généralement les macromolécules biologiques) seront capables de faire dépendront de la structure et de la déformation de la structure. Une question de physique, de chimie et de biologie Un travail de recherche vise à faire progresser le front de la connaissance. En comprenant mieux les phénomènes biologiques qui régissent le vivant, nous pouvons aussi espérer apporter des solutions pour résoudre les problèmes liés à la santé par exemple. Ces travaux reposent sur une observation des phénomènes, puis une réflexion qui conduit à différentes hypothèses. Ces hypothèses doivent être testées expérimentalement, et les résultats permettent de faire progresser la réflexion, d’écarter certaines hypothèses, de progresser sur d’autres et éventuellement d’aboutir à élucider la question posée au départ. Le travail de

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recherche repose donc sur des expériences, sur des mises au point d’instruments, des développements de méthodes et aussi sur des aspects plus théoriques. Les progrès en instrumentation, depuis l’invention du microscope jusqu’aux accélérateurs qui produisent du rayonnement synchrotron (sources de rayons X très puissantes), permettent le développement de méthodes très performantes pour analyser et comprendre des échantillons biologiques, des cellules vivantes ou même des organismes vivants entiers. L’expérimentation fait apparaître plusieurs facettes du métier : des personnes feront plutôt de l’instrumentation, d’autres seront pour les développements méthodologiques plus proches de la théorie, et les personnes qui utiliseront cette instrumentation auront besoin d’être compétentes en biochimie. Cette description est un peu exagérée, dans la réalité il y a une continuité entre les tâches et la même personne peut développer une instrumentation et les méthodes pour l’utiliser, ou développer des méthodes tout en les appliquant à des problèmes réels. Cela se fera suivant les compétences et le goût des personnes, mais aussi en fonction du problème posé. Dans cet exemple, les métiers de la recherche font donc apparaître la nécessité d’équipes multidisciplinaires. C’est particulièrement vrai en biologie structurale. La question posée est une question de biologie (par exemple : comment les cellules synthétisent-elles certains acides aminés ?). La biochimie permet de décortiquer le processus et d’identifier toutes les protéines responsables de la synthèse d’acides aminés. Les méthodes issues de la physique permettront de comprendre l’architecture fine de chacune des protéines et aussi des interactions entre elles. Chacune de ces protéines va catalyser une réaction chimique aboutissant à la synthèse d’acides aminés, il s’agit donc aussi de chimie. Sur la base des résultats expérimentaux, le fonctionnement de l’ensemble pourra être modélisé avec de l’informatique. Différentes formations, différents métiers

Direction : Directeur/ Adjoint/ Equipe administrative : gestion financière, personnel, sécurité

Services communs : informatique (réseau, messagerie), laverie, bibliothèque

Plusieurs laboratoires

Une ou plusieurs équipes par laboratoire

Fig. 1 : Exemple d’organigramme d’une unité de recherche en biologie structurale

(unité de plus de 200 personnes)

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Une unité de recherche, comme celle dans laquelle je travaille, comporte plusieurs laboratoires, soutenus par des services administratifs et des services communs. Les laboratoires sont eux-mêmes constitués d’une ou plusieurs équipes (Fig.1). En biologie structurale, les équipes sont composées d’environ 10 à 20 personnes au total. La taille des équipes est assez variable en fonction des domaines scientifiques, et va dépendre du type d’expérimentation (par exemple, pour aborder des problèmes en physique des particules, il faut un assemblage d’un grand nombre d’équipes car les expérimentations sont très lourdes, par contre en mathématiques ou en physique théorique une personne seule peut constituer une équipe !). Dans mon domaine, la composition typique d’une équipe est la suivante : le chercheur (ou enseignant-chercheur) menant l’équipe (en anglais, on l’appelle PI pour Principal Investigator), parfois un ou deux autres chercheurs (ou enseignants-chercheurs) contribuent aux travaux de l’équipe. Suivant la technicité des expériences à mener, l’équipe sera soutenue par un ingénieur de recherche dont le rôle peut être de s’occuper d’une instrumentation très complexe, ou de développer des protocoles expérimentaux nouveaux. L’équipe a aussi besoin d’un technicien dont la tâche sera de mettre en œuvre une partie des expériences et de les mener de façon fiable, de manière à ce qu’elles puissent être répétées facilement. La qualité des expériences est essentielle. Souvent elles sont même répétées plusieurs fois pour s’assurer qu’il n’y a pas d’éléments non contrôlés qui induiraient un résultat aléatoire. Dans une équipe il y a aussi des tâches collectives qui seront réparties. Le chercheur responsable de l’équipe consacrera du temps à chercher des financements supplémentaires pour l’équipe. Les ingénieurs et techniciens souvent s’occupent de la bonne marche de l’espace de laboratoire (entretien des instruments, aide et formation des nouveaux utilisateurs, en particulier les étudiants) et aussi de la gestion des stocks et des commandes (petit matériel et produits biologiques ou chimiques). Les personnes mentionnées ci-dessus ont généralement un contrat permanent (par l’université, le CNRS, le CEA, ou tout autre organisme de recherche). Typiquement, un chercheur est à bac +8 (3 ans de Licence, 2 ans de Master, 3 ans de Doctorat). Les thèses sont en train de s’allonger et le parcours tend vers bac +9. Un ingénieur peut avoir une thèse (ingénieur de recherche) ou est à bac +4 ou 5 (ingénieur d’études). Les techniciens de nos laboratoires sont très souvent à bac +2 (BTS ou IUT). Une équipe comprend aussi des personnes qui n’ont pas de contrat permanent. Il s’agit par exemple d’étudiants en thèse (contrat de 3 ans, « apprentis » chercheurs), ou d’étudiants en BTS en alternance (2 ans dans l’équipe en alternant des périodes de laboratoire et d’école). Les jeunes chercheurs juste après leur thèse doivent aussi faire leurs preuves avant de pouvoir postuler sur un poste permanent, ils travaillent donc sous contrat pendant 2 à 4 ans pour montrer leurs qualités de chercheur.

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Parmi les personnes non permanentes, les étudiants en thèse et les jeunes chercheurs post-doctoraux contribuent beaucoup à l’avancement des recherches. De plus, une équipe de recherche a aussi un rôle de formation et accueille donc des stagiaires de tout niveau, quelques fois de classe de 3ème ou pour des travaux TIPE (classes préparatoires), mais surtout des stagiaires de BTS (stage de fin d’études pour les filières BTS classiques), et licence (surtout L3, quelquefois L1 et L2) et master (M1 et M2). Pour bien fonctionner, la composition d’une équipe doit être équilibrée (en général moitié chercheurs permanents et moitié chercheurs non permanents). Égalité des chances filles/garçons dans les carrières scientifiques : mythe ou réalité ? Nous vivons une époque formidable : les lois ont beaucoup progressé, il n’y a plus de ségrégation officielle. Toutes les filières sont ouvertes aux filles et aux garçons. En théorie, il n’y a donc plus de barrières. Comment cette égalité se traduit-t-elle dans les unités de recherche ? C’est très variable suivant les secteurs. Dans les unités de recherche en biologie il y a souvent autant de femmes que d’hommes parmi le personnel. Ce n’est pas le cas d’autres domaines comme la physique ou les mathématiques pour lesquels la parité fait défaut dès le recrutement, du fait d’un déséquilibre important déjà au niveau des effectifs étudiants. Dans ce cas, la vraie question est de savoir si le recrutement ne fait que traduire le déséquilibre de départ ou s’il l’accentue. On peut également se demander si le recrutement peut corriger le déséquilibre au moins pour une période transitoire qui viserait à forcer la parité. Ces questions sont importantes, mais font l’objet d’un autre débat. Revenons à la biologie. En moyenne la parité existe. Néanmoins, lorsqu’on regarde en détail suivant la pyramide hiérarchique, la situation est déséquilibrée à tous les niveaux : beaucoup de femmes dans le bas de la pyramide et très peu en haut. Certaines mauvaises langues comparent la biochimie à la cuisine. C’est donc un métier de femmes, néanmoins les grands chefs cuisiniers sont des hommes ! Il y a donc des barrières qui empêchent une progression égalitaire. Ces barrières ne sont pas écrites et sont donc plus difficiles à définir. Le CNRS a réalisé une étude très complète et très intéressante montrant que les critères utilisés pour les promotions sont souvent plus favorables aux hommes. La parité est une réalité de notre monde, elle devrait être réalisée dans toutes les communautés y compris celles liées au travail. Entre les hommes et les femmes, il existe des différences sur les façons de travailler, ou d’aborder les problèmes. Dans l’absolu, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon, par contre la complémentarité est essentielle. Tout groupe de travail devrait être mixte. Ceci

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doit être vrai pour l’équipe de recherche qui est la brique de base de notre système de recherche. Ceci doit aussi être une réalité pour les responsables des laboratoires d’une même unité de recherche, et bien sûr à tous les niveaux au-dessus : parité au niveau des directeurs d’unité de recherche, etc. C’est vraiment un enjeu important pour les dix prochaines années. L’importance d’un projet, la notion d’exemples à suivre S’il existe des inégalités en début de carrière dans les filières de recherche scientifique, elles sont donc souvent dues aux idées préconçues et aux choix traditionnels. Les sciences, et en particulier les sciences dites dures, souvent ne sont pas des choix pour les filles. Différentes raisons sont évoquées parmi lesquelles : les filles ne sont pas attirées par les sciences abstraites (comme les mathématiques), ou une carrière de chercheur est presque un sacerdoce et n’est donc pas compatible avec une vie de famille construite autour de la mère qui reste malgré tout un élément important dans la famille. Je n’ai pas de réponses pour le premier point et je ne suis pas sûre qu’il soit vraiment fondé, mais à force d’énoncer ce genre d’affirmation, on finit par y croire. Pour le deuxième point, les exemples que j’ai abordés au cours de l’exposé montrent vraiment le contraire. La France est un des pays d’Europe les mieux organisés pour permettre le travail des femmes. Techniquement, c’est donc tout à fait possible. De plus, j’ai souvent ressenti comme très bénéfique le fait de mener en parallèle un métier de recherche et une vie de famille. Le métier de recherche est parfois ardu, les déceptions sont beaucoup plus faciles à surmonter grâce à cet équilibre. Il faut donc essayer de balayer tous les préjugés qui peuvent exister et se construire un projet dès le lycée. Le projet en lui-même n’est pas si important car son aboutissement peut être lointain, il peut s’avérer difficile à réaliser et il est amené à évoluer. Par contre, de réfléchir à un projet, de le présenter autour de soi, dans sa famille ou auprès des amis ou des enseignants, a l’avantage de démontrer une volonté de réussir et permet d’affiner cette volonté. Souvent, la réflexion est facilitée par un exemple que l’on aimerait suivre. Il y a bien sûr des femmes admirables qui ont été de grandes scientifiques, comme Marie Curie et sa fille Irène Joliot-Curie. Ces exemples, si beaux soient-ils, sont très lointains et peut-être trop idéalistes. Il me semble intéressant de regarder autour de nous pour rechercher des femmes qui font des métiers scientifiques attirants. Si l’environnement familial n’y est pas propice, alors le lycée et les enseignants ont un rôle important à jouer car ils peuvent conseiller sur les voies à suivre en considérant à la fois le projet de l’élève et ses compétences.

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Conclusion On trouve dans les laboratoires de nombreux exemples de carrières de femmes en recherche avec des métiers ou des parcours différents. Toutes ont aussi une vie en dehors du monde de travail, démontrant ainsi que ces métiers sont tout à fait compatibles avec des vies de famille. Le contexte en France est très favorable. L’augmentation du nombre de femmes dans les carrières scientifiques, dès le recrutement, va automatiquement faire évoluer toute la répartition hommes/femmes dans la hiérarchie. Il est donc important de passer outre les préjugés et de chercher la meilleure voie en adéquation avec ses goûts et ses possibilités. Questions de la salle Christine Charretton : Les recherches que vous faites sont-elles de nature purement fondamentale ou débouchent-elles sur des applications dans le domaine de la santé ? Eva Pébay-Peyroula : Nos recherches sont surtout fondamentales, mais elles donnent lieu aussi à des applications dans le domaine de la santé. Par exemple, l’une de nos chercheuses, Andrea, travaille sur des bactéries pathogènes et cela permet ensuite de trouver des médicaments. Alain Fontaine : Pouvez-vous préciser de quelle façon votre activité s’insère dans un contexte national et international ? Quelles sont les collaborations que vous avez en France et à l’étranger, les relations que vous entretenez avec les entreprises ? Eva Pébay-Peyroula : Notre recherche est financée par de nombreux contrats : par exemple des contrats européens permettant notamment le financement d’étudiants en thèse. La recherche menée par Andrea donne une image du travail international effectué (relations avec les Etats-Unis, le Brésil, d’autres laboratoires en France…). Le travail se fait dans le cadre de nombreuses collaborations, entre autres via des réseaux de laboratoires européens financés par l’Europe. Nous avons également des relations avec le monde industriel et on peut dire que certaines entreprises sont « sorties » de notre institut. De façon générale, les interactions jouent un rôle très important dans notre métier.

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Véronique Bouhafs-Blanchard, directrice des sites internationaux (Grenoble, Lyon, Sophia-Antipolis) et responsable des ressources humaines de Hewlett-Packard France, Grenoble [email protected]

Les différences, un atout pour l’entreprise,

comment les gérer. Je commence par quelques questions aux lycéens présents au colloque : « Qui parmi vous a une mère, une grand-mère qui travaille ? Une arrière grand-mère qui a travaillé ? ». Parmi les adolescents d’aujourd’hui, les trois quarts ont une mère qui travaille. Pour la génération de leurs grands-mères, seulement la moitié a travaillé, pour celles de leurs arrières grands-mères, ce n’était que le quart des femmes qui effectuait un travail salarié. Ces données fournissent un cadre à mon intervention sur les différences hommes/femmes dans le travail que les jeunes ne perçoivent pas toujours. Comme a coutume de le dire Aviva Wittenberg-Cox, consultante avec laquelle je travaille régulièrement, « les femmes dans l’entreprise sont des immigrées de la seconde génération ». Ceci signifie qu’elles évoluent dans un monde construit par d’autres qu’elles, auquel elles ont dû s’adapter. La première génération, féministe, s’est effectivement adaptée, cela a donné des modèles de femmes parfois masculines. La seconde génération demande aux organisations de faire un effort. C’est ce que je vais montrer ici à travers l’exemple de Hewlett-Packard (HP). Il s’agit de partager avec vous des pratiques et de donner quelques conseils aux lycéennes et aux lycéens, les filles en ont d’ailleurs davantage besoin. Commençons par quelques chiffres généraux au niveau européen : 80% des décisions d’achats liés à l’informatique sont prises par des femmes, 60% des jeunes diplômés sont des femmes, mais elles ne sont que 40% en mathématiques et en informatique (38% en France). Malgré cela, seulement 30 à 35% de femmes travaillent dans les entreprises, où elles représentent moins de 10% des membres des conseils d’administration. Il y a donc des différences dans les carrières, qui ne sont pas forcément perçues de la même manière par les femmes et les hommes. En effet l’enquête Grandes Ecoles au Féminin, qui interrogeait des diplômé-e-s de très grandes écoles d’ingénieurs et de gestion, posait la

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question : « Avez-vous constaté des différences entre parcours professionnels des femmes et des hommes diplômés des Grandes écoles ?». Deux tiers des hommes ont répondu non, mais deux tiers des femmes ont répondu oui ! Dans ce qui suit, je vais d’abord présenter brièvement HP et vous donner des repères sur les carrières dans cette entreprise, puis vous parler du programme « Diversité et inclusion », qui recouvre une problématique plus large que la question hommes/femmes, et terminer par quelques bonnes pratiques. Vous verrez, dans le cadre de la question de l’orientation des jeunes, qui nous rassemble aujourd’hui, que beaucoup d’options sont ouvertes dans l’entreprise et que l’important est la flexibilité dans les carrières L’entreprise Hewlett-Packard Elle a été fondée en 1939, son chiffre d’affaires mondial en 2007 était de 100 milliards de dollars. Elle a une mission au-delà de ses produits, puisqu’elle ambitionne d’être leader du marché professionnel et grand public dans son secteur. Son objectif est de simplifier l’expérience numérique à travers le monde. Elle emploie des personnels aux métiers techniques pointus, mais pas seulement : comme il s’agit de simplifier l’environnement technique pour les clients, on peut aussi évoluer dans un environnement technique sans être forcément focalisé-e sur un métier technique. Sur le site de Grenoble, HP emploie 2 000 personnes, dont 90% de cadres, de 50 nationalités. Les parcours et carrières dans l’entreprise sont très ouverts, en commençant comme technicien-ne, on peut évoluer vers un environnement de production, de R&D, de finances, de ressources humaines, de marketing. Il n’y a pas beaucoup de limites au développement de carrière, à part celles qu’on se fixe soi-même. Les choix d’aujourd’hui ne sont pas définitifs, on peut toujours évoluer. D’ailleurs une carrière se caractérise par de très nombreux changements, pas toujours voulus, dus à soi-même, à l’évolution de l’économie, à des décisions de l’entreprise.... Il faut constamment se remettre en question. Quel que soit le parcours, pour pouvoir évoluer dans l’entreprise, certaines compétences sont incontournables, qui sont presque plus fondamentales que les connaissances de contenus de l’école, ce sont : - la gestion de projet, pas toujours technique, - la gestion d’équipe : même si tout le monde ne deviendra pas manager, chaque personne est liée à une équipe, personne ne travaille seul-e ; à tous les niveaux de postes, on doit savoir piloter son travail par rapport à celui des autres, qu’on soit dans l’entreprise ou à l’extérieur, en France ou à l’étranger, - une bonne aisance dans un environnement multiculturel,

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- la rapidité d’apprentissage, l’« agilité », le mot à retenir étant celui de changement. « Diversité et inclusion » Nous sommes convaincus qu’il n’y a pas d’innovation sans différence. La diversité apporte la créativité et l’innovation. On cherche à recruter les employés les meilleurs, hommes et femmes, jeunes et seniors… Chez HP la notion de diversité est associée à celle d’inclusion. Il s’agit non seulement de recruter, de développer et de retenir des personnes différentes (hommes/femmes - d’ailleurs nous recrutons 40 à 50% de femmes -, jeunes/ vieux, handicapé-e-s, etc., ce sans aucun compromis sur la compétence), mais aussi et surtout de tirer parti de ces différences, de sorte que chaque personne puisse contribuer au succès de notre entreprise en y exprimant son potentiel maximum. Pour cela, chaque individu doit être considéré dans son ensemble, c’est un-e employé-e mais aussi un-e citoyen-ne : c’est l’idée d’inclusion qui permet qu’on se sente à l’aise dans son travail. La diversité, c’est aussi le panachage des profils : nous recrutons des ingénieurs et des universitaires, et ce à différents niveaux d’emplois. Ce discours n’est pas seulement philanthropique mais aussi fondé sur une motivation économique : la société est diverse, il s’agit, en accueillant dans l’entreprise des personnels divers, d’être en bonne adéquation avec les besoins des clients. Les décisions d’achats ne se font pas seulement sur des critères techniques mais aussi sur du « feeling ». La diversité chez HP correspond à un très gros programme qui a été mis en place à partir de 1994. Il s’agissait de maintenir le site de Grenoble dans la compétition internationale interne à notre groupe mondial : le nombre d’employés de nationalité étrangère a été multiplié par trois en quelques années. Par ailleurs, à l’époque il y avait moins de 10% de femmes dans la population des managers techniques. HP a travaillé avec Jacqueline Laufer, chercheuse au CNRS et enseignante à HEC, spécialiste du genre, sur les freins à l’évolution des carrières des femmes (le fameux « plafond de verre ») : les freins qu’elles se donnent elles-mêmes et les présupposés liés à l’entreprise. Nous avons mis en place beaucoup de choses : dans notre programme, nous travaillons sur un premier axe, les préjugés et la culture qu’il faudra des dizaines d’années pour modifier, par la formation, la sensibilisation des femmes, des managers, des seniors ; notre second axe concerne l’environnement de travail dans lequel les personnels doivent se sentir bien, où par exemple le poste de travail est adapté pour un handicapé, l’organisation du travail compatible avec la parentalité. Le

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troisième axe est lié à la carrière, et nous cherchons à augmenter le nombre de personnes modèles issues des catégories de personnels minoritaires. Chacun de ces axes de travail concourt à lever un des freins majeurs à la diversification du personnel : - l’éducation et la formation, pour faire évoluer les mentalités et combattre les préjugés, - le développement de la flexibilité dans l’environnement de travail, pour tenir compte des besoins variés des salariés selon leur situation et le moment de la vie, leurs capacités physiques, - le développement professionnel des « minorités » (au sens statistique), pour accroître le nombre de « modèles de réussite » (femmes managers par exemple), - le recrutement, pour continuer d’accroître le nombre de femmes, d’étrangers et de jeunes parmi le personnel. L’ensemble est animé et mis en cohérence par une vision claire, simple, partagée, adaptée à notre entreprise, sa culture et ses enjeux économiques. Les objectifs de recrutement sont revus tous les trimestres. Le maintien d’un programme « diversité » pendant les moments difficiles de la vie de l’entreprise, tels que les restructurations, requiert une réflexion particulière. Comment préserver dans ce contexte les résultats acquis après des années de travail sur le sujet ? Comment par exemple maintenir une diversité d’âges au sein de l’entreprise alors que salariés et partenaires sociaux réclament des mesures d’âge ? Sur quels préjugés et représentations mentales s’appuient ces demandes ? Comment les faire évoluer ? Bonnes pratiques Nous sommes réputés pour ce que nous mettons en œuvre sur l’organisation du travail, très importante dans le cycle de vie, certains personnels ayant à s’occuper d’enfants, d’autres de parents âgés, etc. Ces modes organisationnels sont totalement intégrés aujourd’hui, au point que la gestion comptable des effectifs prend maintenant en compte les temps partiels. Si le temps partiel volontaire, qui concerne près de 10 % de la population de HP en France (qui compte par ailleurs 85 % de cadres) reste très majoritairement féminin, il est désormais pratiqué par quelques hommes. De plus, plusieurs dizaines de binômes - principalement des femmes - en « job-sharing » fonctionnent à Grenoble et Lyon : deux salariés à temps partiel - travaillant généralement 3 jours par semaine - se partagent totalement une fonction, y compris à niveau très élevé. Il s’agit de binômes de cadres, parmi lesquels on trouve plusieurs fonctions de direction de très haut niveau. Cette formule, totalement transparente pour les clients et collègues, est, dans le temps, très appréciée par leur manager

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direct car elle est généralement source d’une performance accrue pour l’entreprise. Nous organisons de nombreuses sessions de formation, en particulier pour des jeunes femmes de moins de trente ans, pour les initier aux règles du jeu dans l’entreprise. Nous formons les femmes à ne pas attendre qu’on reconnaisse leurs mérites, mais plutôt à demander. Enfin, un réseau de femmes interne à HP, women@work in HP France, s’est créé spontanément : reconnu par l’entreprise, il constitue une solidarité entre femmes et leur donne confiance. Il bénéfice d’un budget qui lui permet notamment d’organiser divers événements (conférences, ateliers de développement professionnel, etc.), événements ouverts aux hommes et soutenus par la direction de l’entreprise. Il comprend actuellement plus de 260 personnes et est vu par ses co-fondatrices comme un outil supplémentaire favorisant l’évolution professionnelle des femmes dans l’entreprise. En conclusion, voici, pour vous les jeunes, lycéens et étudiants, quelques conseils : - demandez, en particulier les femmes, provoquez et poussez les choses, - tablez toujours sur le succès, le vôtre, tout en restant prêt-e à l’échec, - n’agissez pas en solitaire : dès qu’on constitue une minorité dans un groupe, on a tendance à se remettre en question individuellement, ce qui engendre une perte de confiance, - apprenez à dire NON, à mettre des limites, c’est rarement l’entreprise qui les pose, - apprenez à « lâcher », à déléguer, - (pour les bons élèves) dépassez le perfectionnisme, qui est un frein à l’évolution. Pour terminer, j’insisterai sur la notion de choix. Vous allez devoir en faire en termes d’orientation, mais les choix les plus fondamentaux, en particulier pour les femmes, seront : - d’abord celui de l’entreprise : avant de la choisir, renseignez-vous sur les conditions de travail, les pourcentages de femmes dans les postes de direction, etc. ; - ensuite celui de votre conjoint : nous avons parlé de parentalité, il est important que ce sujet soit bien clair entre vous car il engage vos options pour le futur ; - enfin n’ayez pas peur de voir grand ! Merci de votre écoute.

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Questions de la salle Joseph Comtes, élève du lycée Champollion : Manque-t-on d’ingénieurs en France ? Véronique Bouhafs-Blanchard : La vraie question est celle de l’emploi des ingénieurs sur le marché international. Il y a un déficit de femmes dans les emplois techniques. La tension sur le métier d’ingénieur n’est pas spécifique à la France, nous vivons une concurrence européenne. Cette tension va s’accroître en raison de l’arrivée des diplômés des pays d’Europe de l’Est et d’Asie.

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TABLE RONDE

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Association pour la Parité dans les Métiers Scientifiques et Techniques Association Femmes & Sciences

Mission pour la place des Femmes au CNRS

Colloque annuel « Femmes & Sciences » 2008 « Filles et garçons en Sciences et Techniques,

un enjeu européen et planétaire » Grenoble, 15 novembre 2008

QUESTIONNAIRE préparatoire

(répondre en cochant les cases �, par un mot ou par des phrases) Élève : � Terminale S � 1ère S � 2de / sexe : � F � M 1) Avez-vous une idée du type d’études que vous aimeriez faire après le bac ? - � études courtes (2 ou 3 ans) - � études longues (5 à 8 ans) - Ces études seront-elles à dominante scientifique ou technique ? …. Pourquoi ? … 2) Avez-vous aimé et aimez-vous à l’école primaire au collège au lycée les mathématiques la physique la chimie les S.V. T. Pourquoi ? … 3) Connaissez-vous quelqu’un qui suit ou qui a suivi des études supérieures scientifiques ? … Si oui, quelles questions lui avez-vous posées ou aimeriez-vous lui poser ? 4) Lors du colloque, quelles questions aimeriez-vous poser aux professionnels scientifiques qui participeront à la table ronde ? (difficultés des études, débouchés, être une fille en milieu scientifique, concilier vie professionnelle et vie personnelle , …. ).

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5) Voici une liste d’éléments importants dans l’exercice d’une profession : - � le salaire - � être indépendant - � être utile aux autres - � une insertion professionnelle facile - � un métier bien considéré - � le temps libre - � la sécurité de l’emploi - � la passion que l’on peut avoir pour l’exercice de son métier - � autre : - � la possibilité d’évoluer dans sa carrière Parmi ces valeurs, quelles sont celles que vous jugez essentielles ? Classez-les (n°1= valeur la plus importante → n° 10 : valeur de moindre importance). 6) A votre avis, quelles sont les qualités nécessaires à un bon scientifique ? 7) Selon vous, quel est, en France, le pourcentage de femmes parmi les - élèves–ingénieurs : � 10% - � 20% - � 30% - � 40% -� ≥ 50% ? - ingénieurs: � 10% - � 20% - � 30% - � 40% -� ≥ 50% ? - chercheurs en sciences :� 10% - � 20% - � 30% - � 40% - � ≥ 50% ? - enseignants en écoles d’ingénieurs et universités scientifiques :

� 10% - � 20% - � 30% - � 40% - � ≥50% ?

8) Citez une découverte scientifique récente qui vous paraît très importante. 9) Aimeriez-vous poursuivre vos études dans un autre pays européen ?

oui � non � Si oui, lequel ? 10) Souhaiteriez-vous travailler ultérieurement dans un autre pays européen ? oui � non � Si oui, lequel ? 11) Souhaiteriez-vous travailler ultérieurement dans un pays non européen du pourtour méditerranéen ? oui � non � Si oui, lequel ?

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Claudine Hermann professeure honoraire à l’Ecole Polytechnique, Palaiseau, physicienne, présidente d’honneur de l’association Femmes & Sciences [email protected] Claudine Kahane professeure à l’université Joseph Fourier, Grenoble, chargée de mission Sciences à l’académie de Grenoble [email protected]

Synthèse des réponses des lycéennes et lycéens au questionnaire

Des lycéen-ne-s de 12 lycées (Briançon, Échirolles, Grenoble, Moirans, Pierrelatte, Romans, Roussillon, Villeurbanne, Voiron) ont répondu à l’enquête, soit 420 élèves (42% de filles, 36% de garçons, 22% n’ont pas indiqué leur sexe sur le questionnaire) répartis en :

- 4 classes de 2nde (27%), - 6 classes de 1ère S (35%), - 7 classes de Terminale S (TS) (38%).

Dans chaque classe, un professeur a fait la synthèse des réponses de ses élèves. La synthèse globale a ensuite été réalisée par Claudine Kahane, qui l’a présentée au colloque. Après le colloque, une analyse sexuée a été faite sur les fiches de 5 lycées (Briançon, Moirans, Pierrelatte, Roussillon, Voiron) correspondant à un échantillon plus restreint de 156 élèves (78 filles et 78 garçons) répartis en :

- 1 classe de 2nde (12 filles et 21 garçons) de Roussillon - 3 classes de 1ère S (total de 37 filles et 31 garçons) de Moirans et Voiron - 3 classes de TS (total de 29 filles et 26 garçons) de Briançon, Voiron et

Pierrelatte

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Pour chaque question de l’enquête, on indique dans ce qui suit la réponse globale, puis les réponses par sexe. On notera que les pourcentages dans les réponses de l’ensemble (filles+garçons) de l’échantillon plus restreint de 78 filles et 78 garçons de l’analyse sexuée ne sont pas strictement identiques à ceux sur le groupe de 420 élèves. Etudes envisagées après le bac Sur les 420 élèves, 25% envisagent de faire des études supérieures courtes, 44% parmi les élèves de 2nde, 21% parmi ceux de 1° S, 17% parmi ceux de Terminale S. Au contraire, 63% des élèves souhaitent faire des études longues, le taux augmente de 53% en 2nde à 72% en 1ère S et en TS. Parmi les élèves de seconde, 45% envisagent une poursuite d’études de type scientifique et technique, c’est le cas de 67% d’élèves en 1°S et de seulement 57% d’élèves de TS. Les motifs du choix de ces études sont le projet de métier, le goût des sciences, les motifs du non-choix étant d’autres projets d’études, l’inintérêt pour ces matières ou leur difficulté présumée. Dans l’échantillon de l’étude sexuée, 21% de filles et 37% de garçons pensent faire des études courtes, soit 33% des filles et 67% des garçons de 2nde, 22% des filles et 26% des garçons de 1ère S, 16% des filles et 37% des garçons de TS. Plus les jeunes avancent de classe, plus ils/elles envisagent des études longues, les filles souvent plus que les garçons : c’est le cas de 50% des filles et 33% des garçons de 2nde, de 62% des filles et 68% des garçons de 1°S, de 84% des filles et de 73% des garçons de TS. Si davantage de garçons de 2nde envisagent de poursuivre en sciences ou techniques (42% de filles pour 52% de garçons), en Terminale S la tendance s’inverse puisque 72% de filles pensent poursuivre dans ces voies contre 62% de garçons. Goût pour les sciences et son évolution pendant les études Il s’agissait de préciser si la lycéenne ou le lycéen ont aimé ou aiment les matières scientifiques au primaire, au collège et au lycée. De très nombreux élèves ont répondu ne pas avoir étudié la physique et la chimie au primaire, et un certain nombre dit aussi ne pas y avoir étudié les sciences de la vie et de la terre (SVT). En fait, si ces élèves ont étudié des matières en primaire, c’était sous le nom de « science », à une époque où elle était enseignée à une très faible

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proportion d’élèves1 : leurs réponses pour le primaire reflètent probablement la réalité de leur vécu. Sur les 420 élèves, on trouve globalement deux fois plus de oui que de non à la question « aimez-vous au moins une discipline scientifique (mathématiques, physique, chimie ou SVT)? ». Le tableau ci-dessous présente l’évolution, entre primaire, collège et lycée, du goût des jeunes pour les matières scientifiques: FILLES ET GARCONS (420 ELEVES) primaire collège lycée maths 78% 77% 57% physique 33% 62% 59% chimie 34% 72% 72% SVT 55% 65% 62% Lecture : parmi les lycéennes et lycéens qui ont répondu au questionnaire, 77% déclarent avoir aimé les mathématiques quand elles ou ils étaient au collège, etc. Entre le collège et le lycée, on note une décroissance importante du goût des élèves pour les mathématiques et la physique, alors que la chimie et les SVT conservent leur score. Si les mathématiques étaient la discipline scientifique préférée au primaire, au lycée c’est la chimie qui occupe le premier rang. Les points qui font aimer les sciences sont d’abord la réflexion et la logique qui les caractérisent, en second lieu les professeurs qui en donnent le goût, puis la passion personnelle, le goût du concret, des expériences et l’utilité des sciences. Les points qui font ne pas les aimer sont leur difficulté, des professeurs peu intéressants, l’ennui dégagé par ces matières et leur approche pas assez concrète. Comparons les réponses des filles et des garçons, d’abord pour l’ensemble des classes, puis en 2nde et enfin en Terminale S

FILLES TOTAL GARCONS TOTAL primaire collège lycée primaire collège lycée maths 85% 81% 69% 80% 80% 66% physique 33% 57% 53% 33% 77% 46% chimie 37% 77% 72% 29% 83% 74% SVT 54% 66% 76% 47% 64% 65%

1 D’après Yves Quéré, lorsque l’opération La Main à la Pâte d’initiation des élèves de primaire et de maternelle aux sciences expérimentales a commencé en 1996, 3% des jeunes du primaire faisaient des sciences (Les cahiers rationalistes n°596, septembre-octobre 2008, p.6) ; maintenant on n’est qu’à 40% après la rénovation des sciences au primaire.

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Les réponses des filles et des garçons et leur évolution avec la classe sont analogues, si ce n’est que les filles aiment sensiblement plus les SVT que les garçons et moins la physique que les garçons, notamment au collège. Comparons maintenant les réponses des élèves de 2nde, qui ne deviendront pas tous scientifiques et celles des élèves de TS, qui sont dans une section scientifique.

2nde FILLES 2nde GARCONS primaire collège lycée primaire collège lycée

maths 58% 67% 67% 81% 76% 71% physique 25% 29% 33% 38% 81% 38% chimie 50% 50% 42% 43% 76% 67% SVT 42% 50% 46% 62% 60% 57%

En seconde générale, les garçons aiment davantage les matières scientifiques.

Terminale S FILLES Terminale S GARCONS primaire collège lycée primaire collège lycée maths 97% 88% 66% 92% 87% 60% physique 62% 76% 79% 46% 83% 38% chimie 59% 93% 76% 35% 94% 81% SVT 76% 72% 86% 54% 81% 75%

Dans les classes scientifiques 1°S et TS, le goût des sciences est -heureusement- plus élevé qu’en 2nde. La physique fait un score particulièrement mauvais au lycée chez les garçons de notre échantillon. Les filles apprécient les SVT plus que les garçons au lycée. Contact avec les études supérieures Sur les 420 élèves, 50% connaissent quelqu’un ayant déjà suivi des études supérieures scientifiques. C’est le cas de 37% des élèves de 2nde, de 54% des élèves de 1°S, de 57% de ceux de TS. Ces personnes étaient des membres de leur famille (34% des cas) ou des amis (10%). Les filles qui ont choisi la voie scientifiques ont été plus souvent en contact avec une telle personne que les garçons : si 33% des filles (43% des garçons) de seconde déclarent connaître quelqu’un qui a suivi des études scientifiques ou techniques, c’est le cas de 57% des filles de 1°S (48% des garçons) et de 62% des filles de TS (42% des garçons). Il est clair que de tels contacts sont

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essentiels pour le choix d’une filière, surtout pour les filles qui manquent particulièrement de modèles. Questions à poser aux professionnels scientifiques Pour les 420 élèves, la première question à poser est celle de la difficulté des études (pour 46% d’entre eux), suivie par celle des débouchés des études (26%), la compatibilité avec la vie de famille (18%) et le salaire (6%). Dans l’analyse sexuée, les deux premières questions des filles comme des garçons portent sur la difficulté des études, puis des débouchés des études. Les filles mettent en 3° rang la compatibilité avec la vie de famille, alors que les garçons indiquent le salaire. Eléments importants dans l’exercice d’une profession Pour les 420 élèves, viennent dans l’ordre : - la passion pour son métier, - le salaire, - l’évolution dans la carrière avec, en 4° rang ex-aequo, la sécurité dans l’emploi et le temps libre. Viennent ensuite : être utile aux autres, être indépendant-e, avoir une insertion professionnelle facile, un métier bien considéré. Dans l’analyse sexuée, pour l’ensemble des classes, les 3 premiers éléments sont les mêmes pour les filles et les garçons : passion, puis salaire, puis évolution de carrière. Les choix différent ensuite, surtout pour « être utile aux autres » : - pour les filles, être utile vient en 3° ex-aequo avec l’évolution de carrière, suivi par la sécurité de l’emploi et le temps libre ; - pour les garçons, le temps libre vient en 4° rang, puis l’utilité et la sécurité de l’emploi. En Terminale S, les filles et les garçons indiquent les ordres suivants :

rang FILLES GARCONS 1 passion passion 2 utilité salaire 3 salaire Evolution de carrière 4 Sécurité d’emploi Temps libre 5 Temps libre Sécurité d’emploi

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Qualités nécessaires à un bon scientifique Pour les 420 élèves, ces qualités sont d’abord la logique et la réflexion (24% des réponses), suivies par la précision et la rigueur (22%), la patience et la persévérance (16%), la passion et la motivation (15%), la curiosité (9%), l’énergie et le travail (6%), l’imagination (5%), l’autonomie (3%). Dans l’échantillon de l’analyse sexuée, les réponses des filles classent en premier la patience et la persévérance (33% des réponses), suivies de la logique et du bon raisonnement (23%), de la précision et de la rigueur (22%), de la curiosité (15%), de la passion (12%), du travail (10%)… Remarquons que la patience est une qualité supposée féminine ! Les réponses des garçons sont dans l’ordre : la logique et la réflexion (29%), puis la précision et la rigueur (20%), la patience et la persévérance ex-aequo avec la curiosité (16%), la passion et la motivation (14%), le travail (8%). Pourcentage de femmes dans les métiers scientifiques Les « bonnes réponses » sont :

- 27% parmi les élèves ingénieurs2, - 17,7% parmi les ingénieurs (en activité)3, - Dans les départements scientifiques du CNRS en 2006, 17% en

mathématiques, 18% en physique, 31% en chimie4, - 31,3% parmi les maîtres de conférences et 12,8% parmi les professeurs en

sciences des universités, qui représentent l’essentiel de l’effectif des enseignants en écoles d’ingénieurs et universités scientifiques5

L’ensemble des réponses des lycéens s’exprime commodément sous forme d’histogrammes.

2Portraits de femmes ingénieurs 2008, SciTechGirls, Women’s Forum for the Economy & Society, Building the future with women’s vision, p.7 http://www.femmes-ingenieurs.org/offres/file_inline_src/82/82_P_751_3.pdf 3Idem Référence 2 4Données de Michèle Crance, unité Indicateurs, Programmation, Allocations des Moyens, CNRS, citées par Anne Pépin, Status of Women in Physics in France, (CNRS, university and more), 2008 5Les personnels enseignants du supérieur, Note d’information 07-46, décembre 2007

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Réponses de l’ensemble des 420 lycéens, filles et garçons

Réponses des 420 élèves

0

20

40

60

80

100

120

140

160

10% 20% 30% 40% 50%

réponses

no

mb

re d

e r

ép

on

se

s

élèves-ingénieurs

ingénieurs

chercheurs sciences

enseignants

Réponses des 78 filles

Réponses lycéennes

0

5

10

15

20

25

30

35

10% 20% 30% 40% 50%

réponses

no

mb

re r

ép

on

se

s

élèves-ingénieurs

ingénieurs

chercheurs sciences

enseignants

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Réponses des 78 garçons

Réponses lycéens

0

5

10

15

20

25

30

35

10% 20% 30% 40% 50%

réponses

no

mb

re d

e r

ép

on

se

s

élèves-ingénieurs

ingénieurs

chercheurs sciences

enseignants

Les lycéens ont une vision plus optimiste que les lycéennes de la place des femmes dans les études et les métiers scientifiques. Etudes et travail à l’étranger Parmi les 420 lycéens, 36% envisagent de poursuivre des études en Europe (dans l’ordre décroissant des réponses : Angleterre, Espagne, Allemagne, Italie), 33% de travailler plus tard à l’étranger dans un pays européen, le choix des pays suivant le même ordre. Seuls 8% des élèves iraient travailler dans un pays méditerranéen non européen (Algérie, Maroc, Turquie et même Brésil ou Etats-Unis !). Sur l’échantillon sexué de 156 élèves, les pourcentages sont un peu plus élevés : 44% des filles (43% des garçons) souhaitent étudier en Europe, 31% des filles et 43% des garçons de travailler ultérieurement dans un pays européen hors de France, 15% des filles et 10% des garçons dans un pays méditerranéen non européen. Conclusion A l’occasion du colloque 2007 de l’association Femmes & Sciences, « Sciences et techniques, un avenir pour filles et garçons ! », une enquête préalable

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similaire au présent questionnaire avait été remplie par 230 lycéennes et lycéens de 2nde, 1°S et Terminale S, des lycées parisiens Camille Sée, Hélène Boucher, Jacquard, Janson de Sailly et Rodin. Les réponses étaient très analogues6, aussi bien pour le goût des matières scientifiques en primaire, au collège et au lycée, que dans la passion comme premier critère pour le choix d’un métier. Il serait intéressant d’approfondir cette enquête, sur une population plus large fréquentant des lycées de typologies variées.

6 Les actes du colloque Femmes & Sciences 2007 sont téléchargeables à l’adresse : http://www.femmesetsciences.fr/colloques/colloque07/actes07.pdf Le dépouillement de l’enquête citée se trouve à la page 8 du document.

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Dominique Gilles psychosociologue, Université Claude Bernard Lyon 1 [email protected] Claudine Kahane astrophysicienne, professeure à l’Université Joseph Fourier, Grenoble et chargée de mission Sciences de l’académie de Grenoble [email protected]

Table ronde

Témoignages de jeunes professionnel-le-s et discussion

Un questionnaire avait été envoyé au préalable à 17 classes de 2nde, 1ère et Terminale S (420 élèves) (voir p. 39-40). Six de ces classes étaient présentes au colloque. La synthèse des réponses des 420 élèves au questionnaire a été réalisée par Claudine Kahane. Claudine Hermann a analysé séparément les réponses des filles et des garçons pour 7 classes (156 élèves). Les résultats de ces synthèses se trouvent p. 41 à 49. Parmi les sept intervenant-e-s ayant participé activement à la table ronde, quatre travaillent dans des instituts de recherche, une dans l’armée et deux dans des entreprises privées. Chacun-e se présente. Puis Claudine Kahane donne la synthèse de l’enquête réalisée auprès des lycéens ici présents et de quelques autres classes de l’académie de Grenoble. Sur plusieurs thèmes, les professionnels invités donnent leur avis en racontant leur cursus et leur expérience professionnelle. La salle, très attentive, est invitée à poser des questions.

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Présentation des animatrices : Claudine Kahane : Je suis astrophysicienne au laboratoire de l’Observatoire astronomique de Grenoble, professeure de physique à l’Université Joseph Fourier. et chargée de mission académique pour les sciences (http://www.ac-grenoble.fr/missionsciences). Chaque professeur de classe de lycée avait analysé au préalable les questionnaires remplis par ses élèves et j’en ai effectué la synthèse pour les 16 classes. Dominique Gilles : Je suis psychosociologue et responsable des modules « projet de l’étudiant » de la licence de sciences et technologies à l’Université Claude Bernard - Lyon 1. Chaque invité-e va nous expliquer en quoi consiste son activité professionnelle. Présentation des intervenants Sakura Pascarelli : [email protected]

• Italienne, née à Tokyo (Japon) • 44 ans, mariée, 2 enfants (6 et 9 ans)

• Études scientifiques en Asie du Sud-Est et en Italie • Thèse de doctorat en Physique du solide, Grenoble (Université Joseph

Fourier)

• Métier : scientifique à l’European Synchrotron Radiation Facility (ESRF) • Domaines : matière en conditions extrêmes, instrumentation (rayons X)

Mon métier est d’être une scientifique au « synchrotron » de Grenoble, grand instrument européen qu’on appelle l’ESRF. Je suis responsable d’un groupe de personnes oeuvrant sur deux « lignes de lumière », c’est-à-dire des faisceaux de rayons X. Grâce à ces rayons X, j’étudie la structure atomique de matériaux. Mon activité est très variée : je participe à des séminaires ici et à l’étranger, j’entretiens des collaborations avec les Etats-Unis et le Japon. Edward Mitchell : [email protected]

• Britannique • 39 ans, marié

• Études scientifiques en Grande-Bretagne • Thèse de doctorat de Biophysique moléculaire à Oxford

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• Métier : scientifique à l’ESRF (préféré au secteur financier) • Domaines : structure et propriétés des protéines (études aux rayons X)

J’ai toujours voulu savoir comment la vie fonctionne. Je suis chercheur en sciences de la vie. A l’ESRF, je suis responsable de la préparation d’un projet de 300 millions d’euros pour la rénovation du synchrotron. Chaque année, 5000 visiteurs viennent à l’ESRF avec leurs échantillons pour les analyser, ce qui crée un environnement dynamique. Virginie Deslandes : [email protected]

• Française • 30 ans, mariée, 1 enfant

• Bac STI et DUT Génie mécanique et productique • École des sous-officiers de l'armée de l'air : formation militaire et

professionnelle

• Métier : mécanicienne cellule hydraulique • Domaines : hélicoptères (Mont-de Marsan) ; avions de chasse (base

d’Orange) J’entretiens les avions de l’armée de l’air : avions de transport, avions de chasse ou hélicoptères. Cela consiste à préparer le vol (contrôle des pleins, vérifications de l’état général, remplissage…), à dépanner l’aéronef ou à participer à un chantier de longue durée pour la maintenance préventive d’un avion : démontage, vérifications, puis remontage. Susana Teixeira : [email protected]

• Portugaise • 35 ans, célibataire

• Bac et Grande école en Génie chimique au Portugal • Thèse de doctorat en cristallographie en Angleterre

• Métier : scientifique à l’Institut Laue - Langevin (ILL) et maître de

conférences à l’Université de Keele (Grande-Bretagne) • Domaines : biologie structurale

J’enseigne la biologie structurale à l’université de Keele en Angleterre et je fais de la recherche à Grenoble à l’ILL, la plus puissante source de neutrons au

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monde. J’y utilise les neutrons pour étudier la structure des molécules et mieux comprendre leur rôle en biologie. Wilfried Vacher : [email protected]

• Français • 25 ans, union libre

• Études : Statistiques, traitement de données, marketing • Diplôme terminal : Licence Professionnelle

• Métier : chargé d’études dans un institut de sondage (TNS Media

Intelligence) • Domaines : études de marché, médias

Je suis chargé d’études dans un institut de sondage à Paris. Mon travail consiste à récolter des informations sur la consommation des loisirs et des médias des Français. J’analyse ces enquêtes pour établir des tendances qui intéressent les médias et les annonceurs publicitaires. Giuliana Manzin : [email protected]

• Italienne • 39 ans, mariée

• Études de physique en Italie (Turin), • Thèse de doctorat en physique, École Polytechnique de Milan

• Métier : ingénieure physicienne à l'ILL • Domaines : instrumentation, détecteur de particules (neutrons).

En tant qu’ingénieure physicienne, je construis un détecteur de particules à l’ILL, source de neutrons. Je gère une équipe de cinq personnes. Pascale Dauguet : [email protected]

• Française • 38 ans, 2 enfants

• Ingénieure de l’Institut National Polytechnique de Grenoble • Thèse de doctorat en physique (nanotechnologies)

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• Métier : ingénieure, responsable de projets, responsable de marchés (travail à temps partiel)

• Domaines : techniques de liquéfaction Experte technique en grand froid grâce à ma thèse, j’ai été embauchée comme ingénieure chez Air Liquide. J’ai mis au point des dispositifs vendus notamment au CERN. Ma fonction a évolué du domaine technique vers le commercial. Depuis un an, je suis à la direction commerciale, responsable d’une équipe de commerciaux dans le domaine technique du grand froid. Commentaires des intervenants sur la synthèse des réponses au questionnaire préparatoire au colloque : Qualités nécessaires à un bon scientifique Dominique Gilles : Quelles sont, selon vous, les qualités nécessaires à un bon scientifique ? Susana Teixeira : la motivation est plus importante que la rigueur. L’esprit d’équipe aussi. Le moteur de l’activité du scientifique, c’est la curiosité. Edward Mitchell : J’avais constaté que dans le monde de la finance, où j’allais m’engager, tout le monde est habillé de la même façon, pour faire les mêmes choses. Dès lors, la vie de financier m’est apparue trop « grise » et elle ne m’attirait plus. J’ai donc bifurqué de façon à pouvoir exercer ma curiosité sur le monde. Je suis très heureux de travailler à l’ESRF car j’y rencontre des gens très variés. Pour moi aussi, la curiosité est indispensable. Wilfried Vacher : Les lycéens ont classé la curiosité au 5ème rang. Cela ne m’étonne pas. J’ai mis du temps à m’apercevoir que la curiosité entraîne la passion et la motivation. Soyez patients. Vous verrez, votre premier atout, ce sera d’être passionné pour votre métier. Un professeur dans la salle : Si l’esprit d’équipe est relégué par les élèves en dernière position, c’est sans doute parce qu’il n’est pas développé en milieu scolaire où l’on privilégie le travail individuel, peut-être pour développer l’autonomie des jeunes. Dominique Gilles : Notez que les Travaux personnels encadrés (TPE) favorisent le travail en équipe. Sakura Pascarelli : La recherche est un travail d’équipe avec techniciens, ingénieurs, groupes d’autres laboratoires, etc. Chacun est responsable dans son

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champ de compétences, il doit gérer son interaction dans l’équipe, communiquer. C’est important de ne pas s’isoler. Pascale Dauguet : Il en est de même dans l’industrie : personne ne détient tout le savoir. Les membres d’une équipe sont complémentaires. Sur un projet technique complexe, chacun doit maîtriser son domaine de compétence et le chef de projet coordonne les diverses contributions de façon à ce que le projet aboutisse réellement et à temps. L’interdisciplinarité est importante, ainsi que les relations internationales. Difficultés des études après le baccalauréat Dominique Gilles : Que dites-vous de la difficulté de vos études après le baccalauréat? Virginie Deslandes : En fin de seconde, je voulais devenir architecte, mais l’entrée en 1ère S m’a été interdite à cause de mes résultats trop médiocres en physique ; je me suis donc orientée en section technique, pensant que ce serait difficile. De fait, j’étais la seule fille en 1ère puis Terminale STI sur 14 élèves. C’est ma curiosité qui a forgé ma motivation et ma passion pour la mécanique. Je me suis documentée sur les poursuites d’études et j’ai continué à l’IUT de Génie mécanique et productique : nous étions deux filles sur une centaine étudiants. Ce n’était pas facile car certains professeurs (hommes) nous délaissaient. Quand on est en situation difficile, si l’on constate qu’on n’est pas seule dans cette situation, il faut en parler à d’autres et ensemble se serrer les coudes.

Avec mon DUT en poche, j’ai passé le concours de l’Armée de l’air. Sur la base militaire de Mont-de-Marsan où j’ai d’abord été affectée, puis sur celle d’Orange, j’étais la seule fille. Aujourd’hui nous sommes 3 femmes sur un total de 25. Le travail est le même pour tous : nous, les femmes, sommes capables de faire la même chose que les hommes. Le travail nous a musclées, nous portons les mêmes charges que les hommes. Pascale Dauguet : Jusqu’à l’âge de 15 ans, je voulais être cosmonaute. Au lycée, j’étais bonne élève en tout, sauf en philo. En Terminale, j’adorais la géographie, la physique, la biologie, si bien que j’avais du mal à choisir mon orientation. J’ai poursuivi en classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE). Là, j’ai souffert pendant 2 ans, il fallait travailler encore davantage qu’en Terminale. J’ai intégré une école de l’Institut National Polytechnique de Grenoble et ce fut un bonheur : je me suis passionnée pour la technique, plus que pour la science théorique. J’ai beaucoup appris. J’ai continué par un doctorat en physique fondamentale sur les matériaux qui constituent les têtes d’enregistrement des

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disques durs d’ordinateurs. Pendant ma thèse, ce qui m’a le plus intéressée, c’était de développer une instrumentation.

En résumé, la difficulté que j’ai rencontrée dans mes études fut la CPGE. Je ne savais pas qu’il existait d’autres voies pour entrer dans une école d’ingénieurs. Dans l’industrie, je cultive toujours ma curiosité dans le domaine technique, de façon à rester compétente. Dominique Gilles : Ce que vous nous dites, c’est qu’on ne sait pas d’avance si on va réussir. Vous devez oser vous engager dans des études. En adaptant votre parcours au fur et à mesure que vous découvrez ce qui vous convient, vous finissez par faire ce qui vous plait. Pascale Dauguet : C’est important de se sentir libre dans ses choix d’orientation. Mon père ne s’était jamais opposé à mon désir d’être cosmonaute. Il m’a toujours dit : « Donne le meilleur de toi. Tout est possible à qui s’en donne la peine ». Giuliana Manzin : En Italie, le système éducatif est différent mais comme en France, à la sortie du bac, l’adaptation aux études universitaires est difficile : il faut s’organiser seule, persévérer dans l’effort, se forcer à être rigoureuse dans ses études. Pour ne pas faire comme ma sœur qui étudiait la chimie, j’ai choisi la physique. J’ai trouvé à l’université une physique différente de celle du lycée. J’ai bien aimé, mais pas tout. On rencontre toujours des difficultés. Il y a des sujets qui plaisent, d’autres non. Il faut persévérer jusqu’à faire ce qu’on aime. Tôt ou tard, on trouve sa voie, celle où on est le/la plus doué-e. On fait bien ce qu’on aime. Dominique Gilles : Un parcours d’études n’est pas linéaire. Par des choix successifs, vous l’adaptez à vos goûts, à vos aptitudes mais aussi aux débouchés. C’est ce que Wilfried va nous montrer en expliquant pourquoi il a choisi de faire une licence professionnelle. Wilfried Vacher : Après beaucoup d’hésitation, avec le bac ES en poche, je me suis inscrit en faculté de droit mais les études ne m’ont pas plu, si bien qu’au bout de 6 mois, je les ai abandonnées. J’ai fait un petit boulot et comme cette situation provisoire commençait à trop durer, j’ai décidé de reprendre des études courtes ; mais lesquelles ? Au CIO des Eaux Claires de Grenoble, j’ai passé des jours entiers à chercher ce qui m’avait plu au collège et au lycée, à déceler mes centres d’intérêt puis à m’intéresser aux débouchés de telles ou telles études. Finalement, je suis entré en IUT Statistiques, j’ai obtenu le DUT, qui est très recherché par les employeurs dans quasiment tous les secteurs d’activité (industrie, commerce, banque en particulier). Le marketing et les sondages me plaisaient particulièrement. Dans ce domaine, mon IUT proposait une poursuite

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d’étude en licence professionnelle. Après mûre réflexion, j’ai opté pour cette licence. Cela m’a ouvert des portes insoupçonnées.

Par conséquent, c’est en étudiant que j’ai développé ma motivation. En sortant du lycée, j’étais loin de penser que je deviendrai curieux de données et que je manierais les statistiques avec passion ! Voilà un conseil pour qui aime les mathématiques : étudiez les statistiques, les débouchés sont nombreux. Dominique Gilles : Puisque pendant les années de formation le marché du travail évolue, il y a un compromis entre choisir ce qui plaît et choisir ce qui a un débouché professionnel. Il faut aussi prendre le risque d’oser se croire capable. L’important, c’est de choisir parmi une grande diversité d’offres (à explorer). Et pour ne pas s’enliser dans une voie qui plaît peu, il faut réagir, envisager un autre chemin, changer d’orientation, être curieux/se, s’informer du marché du travail. Un professeur dans la salle : L’année du bac, saviez-vous quel métier vous vouliez faire ?

Virginie Deslandes : Le génie mécanique étudié au lycée me plaisait. Et j’avais envie de travailler dans l’armée. J’avais demandé mon intégration dans l’armée de l’air, mais comme j’ai été admise à entrer à l’IUT, ce n’est qu’après l’obtention du DUT que j’ai passé le concours de l’armée de l’air, j’avais ainsi de meilleures chances de le réussir. Susana Teixeira : Au lycée je pensais que je travaillerais dans la génétique. A l’université, cette matière m’a déçue, j’ai bifurqué en physique et finalement j’aime bien mon travail d’instrumentation. N’ayez pas peur de l’échec ! Vous êtes jeune, vous pouvez changer d’orientation. Rebondir, ça fait grandir. Sakura Pascarelli : Ni à 18 ans, ni pendant, ni après mes études universitaires, je ne savais ce que je deviendrais. Je voulais faire des études longues. J’ai choisi la physique, cela a été difficile. Même à la fin de mes études, je ne savais pas quel métier j’allais faire. J’ai saisi une opportunité d’embauche. Edward Mitchell : Moi aussi, je n’avais aucune idée de métier, même pendant mes études universitaires. Venir en France pendant deux ans, puis revenir dans le secteur bancaire anglais ? Finalement je suis resté à Grenoble. Dominique Gilles : Est-ce à dire que le projet d’orientation est inutile ? Non. Travailler à votre projet, c’est vous poser des questions, explorer les domaines d’activité susceptibles de vous intéresser, ajuster vos représentations concernant telles ou telles études et telle ou telle activité professionnelle. C’est un travail à poursuivre tout au long de votre formation. Votre projet n’est pas verrouillé :

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vous ne vous déterminez pas définitivement, car au cours de votre cursus, vos compétences et vos goûts évolueront. Vous ferez des choix, vous saisirez des opportunités. Articulation entre métier et vie de famille Dominique Gilles : Y a-t-il compatibilité entre votre responsabilité professionnelle et votre vie de famille? Pascale Dauguet : J’ai fait le choix de travailler à temps partiel (80%) à la naissance de mon deuxième enfant, pendant trois ans. J’avais eu des difficultés à convaincre mon chef, mais, en atteignant les objectifs qu’il m’avait fixés, j’ai gagné son plein accord. Comme une semaine par mois je suis en mission au loin, ce temps partiel me permet de compenser mon absence de la maison. Aujourd’hui, je travaille à 90% pour poursuivre mon évolution de carrière : je ne travaille pas un jour par quinzaine. C’est grâce au télé-travail que je peux assurer pleinement mon poste et mes missions : téléphone et ordinateur portables permettent de gérer les urgences depuis l’étranger ou, plus rarement, depuis la maison. Dominique Gilles : Les femmes doivent donc oser demander et négocier le temps partiel. Pascale Dauguet : Le temps partiel s’est développé grâce à la législation. Des hommes aussi demandent à travailler à temps partiel. Aujourd’hui, dans mon entreprise, toutes les demandes de temps partiel sont acceptées. Sakura Pascarelli : Je considère que ma réussite professionnelle dépend de ma mobilité et de ma situation familiale. En effet, le fait d’avoir étudié et vécu dans différents pays étrangers m’a rendue plus forte. Je suis en France depuis 15 ans. Je suis la seule femme responsable d’une ligne de lumière à l’ESRF (alors qu’il y a plus de 30 lignes !). Je dois être disponible et je ne peux pas travailler à temps partiel. Si je peux accorder autant de temps à mon travail, c’est que mes enfants ont la chance d’avoir un bon papa. Hélas, souvent les femmes arrêtent leur métier de scientifique quand elles ont des enfants. Dominique Gilles : Tout à l’heure, Véronique Bouhafs-Blanchard conseillait de choisir un mari susceptible d’être un père actif à la maison ! Virginie Deslandes : Oui, c’est important. Mon mari travaille dans le même escadron que moi. Nous avons des horaires décalés de façon à nous occuper tour à tour de notre enfant.

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Question de la salle à Virginie Deslandes : Une femme dans un milieu masculin fait-elle évoluer l’ambiance au travail? Virginie Deslandes : Quand on arrive, tout le monde est content, mais les plus anciens disent qu’« on les emmerde ». Pascale Dauguet : En présence d’une femme, le vocabulaire change. Aujourd’hui, mon milieu de travail compte 20% de femmes. Elles ont des postes à responsabilité. Mon chef est une femme. Au cours de mes déplacements dans certains pays, je perçois des a priori négatifs, nous les femmes sommes parfois mal reçues ; cependant la situation se retourne vite quand nous faisons preuve de compétence, les gens admettent alors que notre présence apporte un plus. Dominique Gilles : La relation avec les clients dans certains métiers peut être plus difficile pour une femme : en informatique-réseaux par exemple, certains clients s’étonnent qu’une femme soit compétente. Elle a alors besoin du soutien de sa hiérarchie pour les convaincre.

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CHOIX D’ORIENTATION ET STEREOTYPES

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Frédérique Chanal chargée de mission académique à l’égalité des chances filles - garçons, Grenoble [email protected] Marie-Françoise Guignard-Pétri chargée de mission académique à l’égalité des chances filles - garçons, Lyon [email protected]

Filles et garçons sur le chemin de la parité

Les données proviennent de l’enquête ADES (accès des bacheliers dans l’enseignement supérieur) réalisée, chaque année, par les Services académiques d’information et d’orientation des académies de Grenoble et Lyon. Une évolution de la population des bacheliers Les filles réussissent mieux à l’école. Elles représentent, en 2007, 56% des bacheliers. La population des bacheliers est en augmentation depuis 10 ans, on note une progression importante des bacs généraux : la série ES surtout, et la série S dans une moindre mesure, sont celles qui ont le plus progressé en effectifs. Les filles s’orientent plus en S qu’il y a 10 ans, l’écart entre les garçons et les filles dans cette série s’est donc resserré. Au baccalauréat S, 46,9% des admis sont des filles, elles sont majoritaires en S-SVT.

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Part des filles et des garçons dans les différents baccalauréats

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

S ES L STG STI STL ST2S

Garçons

Filles

Figure 1 : Sur l’ensemble des admis au bac 43,1% sont des garçons et 46,9% des filles. De gauche à droite : sciences (S), sciences économiques et sociales (ES), lettres (L), sciences

et technologies de gestion (STG), sciences et technologies industrielles (STI), sciences et technologies de laboratoire (STL), sciences et technologies de la santé et du social (ST2S).

Source ADES 2007 – Région Rhône-Alpes Certaines filières se "féminisent", comme le baccalauréat L (83% de filles) ou le baccalauréat technologique ST2S (Sciences et technologies de la santé et du social) (95% de filles) qui reste très majoritairement choisi par les jeunes filles (Fig. 1). Les choix des filles et des garçons : des différences notables On note des différences importantes entre les choix des filles et des garçons au sein même des spécialités dans une même filière. Dans les baccalauréats technologiques, les orientations des filles en STI (Sciences et technologies industrielles) restent marginales (8% de filles contre 92% de garçons présents dans cette filière), sauf en STI-Arts appliqués. La filière STI est fréquentée par 1,2% des filles contre 17% des garçons. En STL (Sciences et technologies de laboratoire), les filles sont concentrées dans les filières Biochimie (66%) et peu présentes dans la spécialité Physique (29,3%). En STG (Sciences et technologie de gestion), elles sont nettement minoritaires en Gestion des systèmes d’information (27%), mais majoritaires en Communication et gestion de ressources humaines (près de 80%).

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Dans les baccalauréats généraux, les filles se répartissent de façon assez homogène entre toutes les séries, à l’inverse des garçons qui désinvestissent le baccalauréat L (4,3% des garçons sont dans cette filière) et surinvestissent le baccalauréat S (42,9% des garçons cette filière) (Fig.2). Elles sont 26,8% à choisir la série ES contre 19% des garçons. C’est en S qu’elles vont majoritairement, elles y représentent 46,9% des effectifs de ces bacheliers, c'est-à-dire que presque une fille sur trois (29,6%) qui a choisi un bac général ou technologique est titulaire d’un baccalauréat S. Les filles sont essentiellement inscrites en S-SVT (Sciences de la vie et de la terre) (95,5% d’entre elles) et délaissent la filière S - SI : (Sciences de l’ingénieur) (3,3% des filles7 contre 21,6% des garçons). En Terminale S-SVT, elles choisissent beaucoup moins que les garçons les spécialités Mathématiques et Physique, préférant de loin la spécialité SVT.

Répartition des filles et des garçons dans les

différentes séries de baccalauréat

0%

10%

20%

30%

40%

50%

S ES L STG STI STL ST2S

Garçons

Filles

Figure 2 : Lecture : sur l’ensemble des garçons titulaires d’un baccalauréat, 42,9% sont en S.

Source ADES 2007 – Région Rhône - Alpes

Orientation post-baccalauréat S 59% des filles titulaires d’un baccalauréat S poursuit des études scientifiques, contre 68,8% des garçons (Fig.3). Elles privilégient plutôt les études longues aux filières technologiques courtes de type BTS et DUT. Elles sont très peu nombreuses à choisir une filière de DUT dans le domaine de la production (4,7% des bachelières S font ce choix contre 14,9% des garçons).

7 Il faut ajouter les élèves de Terminale S des lycées agricoles pour arriver à 100% de filles.

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Les bachelières S sont plus nombreuses que les garçons à poursuivre dans des études paramédicales. Les CPGE scientifiques et écoles d’ingénieurs sont encore peu investies par les jeunes filles (12,3% des filles contre 26,2% des garçons dans ce type de filière). Les bacheliers scientifiques s’orientent majoritairement vers l’université, les filles encore plus que les garçons. Davantage de filles que de garçons font le choix d’études littéraires mais aussi de sciences humaines et sociales, après avoir suivi un baccalauréat S avec ou sans spécialité Mathématiques ou Physique. Parmi les titulaires du baccalauréat S 39,7% des filles sont inscrites à l’université dans les filières scientifiques contre 24,6% des garçons.

Choix d'orientation post-baccalauréat S

0%

10%

20%

30%

40%

BTS ser

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BTS pro

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Figure 3 : Ensemble des choix d’orientation des bacheliers S garçons et filles.

Source ADES 2007 – Région Rhône-Alpes Lorsqu’elles poursuivent à l’université en sciences, les jeunes filles vont très majoritairement faire le choix de la médecine et de la biologie : sur 39,7% de filles choisissant les sciences à l’université, 3 filles sur 4 vont en médecine, alors que les garçons qui choisissent les sciences à l'université ne sont que un sur deux à poursuivre en médecine (Fig.4).

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Choix des bachelier-e-s S à l'université scientifique

6,5%

4,1%

14,0%

7,9%

3,7%

28,1%

0%

5%

10%

15%

20%

25%

30%

médecine biologie maths physique

informatique

Garçons

Filles

Figure 4 : Détail des choix des 39,7% des filles et 24,6% des garçons titulaires

d’un baccalauréat S s’orientant vers les universités scientifiques. Source ADES 2007 – Région Rhône-Alpes

Deux académies - des différences et des ressemblances Après le baccalauréat S, les filles vont un peu moins en médecine et plus en biologie à Grenoble qu’à Lyon. Les filles étaient un peu moins nombreuses en S dans l’académie de Grenoble (1 point d’écart) mais plus nombreuses en STG. Les arrêts d’études post-baccalauréat S dans les deux académies sont peu fréquents, que ce soit pour les filles ou les garçons (2,5% en moyenne). Un objectif à atteindre Un des objectifs fixé par la LOLF (Loi Organique relative aux Lois des Finances) est d’atteindre 45% de filles en terminale scientifique (S, STI et STL). En 2006, le taux national était de 39%. Pour l’académie de Lyon, il était de 41% et pour l’académie de Grenoble, il était de 38%. Cet objectif ne pourra être atteint qu’en incitant largement les jeunes filles à s’orienter plus largement en STI et STL, et donc en amont, au collège, à travailler sur la connaissance des filières technologiques et la diversité des parcours d’orientation.

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Questions de la salle Dans le public : Est-ce qu’on sait ce qui détermine ces choix, ce qui cristallise les souhaits des filles sur des filières plutôt SVT et ceux des garçons sur des filières plus techniques ? Dans le public : Je voulais continuer sur ce point : est-ce qu’on pourrait essayer de savoir quelles images les jeunes filles et les garçons ont des métiers scientifiques et techniques ? Qu’y a-t-il derrière les images qu’ils ont de la biologie, de la médecine, etc. ? Pourquoi ces choix? Marie-Françoise Guignard-Pétri : Beaucoup de chercheurs ont fait des études sur ce sujet. Dans la société française, nous avons une représentation particulière des filières de la biologie, de l’informatique, des mathématiques. Les chercheurs qui travaillent sur cette question en sciences de l’éducation ou en sociologie montrent qu’il y a dans la représentation du chercheur une vue plutôt masculine. Si on pose la question : « Qu’est-ce qu’un chercheur ? », c’est l’image d’un homme qui apparaît. Le chercheur est un homme habillé en blanc, barbu, avec des lunettes, etc... Ce n’est donc pas une femme. De plus il n’est généralement pas jeune. La représentation immédiate est certes masculine. Une chercheuse est plutôt quelqu’un qui ne retrouve pas ses clefs dans son sac.

Ensuite, on sait que dans notre société, et Christine Détrez va en parler, nous avons de toute façon hiérarchisé les domaines : il y a des domaines pour les filles, des domaines pour les garçons. C’est complètement arbitraire, culturel, mais cela nous imprègne tous. La première chose que nous voyons d’une personne, c’est son habillement, qui traduit son sexe, c’est un homme ou c’est une femme. Donc à partir du moment où on sait qu’on a affaire à un homme ou à une femme - et on n’a pas encore remarqué la couleur de sa peau le plus souvent -, on adapte son discours à la personne qu’on a en face de soi.

D’autre part, depuis notre enfance, nos parents ont un projet pour nous, qui risque de nous empêcher de faire certains choix. Par exemple une grande étude a été faite dans les écoles d’ingénieurs, il y a 20 ans, pour savoir quelle était la motivation des premières femmes qui étaient rentrées dans ces écoles. La plupart soit avaient eu des parents ingénieurs, soit une mère qui exerçait un métier technique ou scientifique, soit elles n’avaient pas de frère et un père ingénieur : les parents passaient le relais à la fille, puisqu’il n’y avait pas de garçon. Elles-mêmes, sans s’en rendre compte, se sentaient investies de cette mission. Il y a donc un aspect culturel.

Lorsqu’on examine qui a inventé la machine à laver le linge, la machine à laver la vaisselle, le réfrigérateur, on constate que ce sont des femmes. Si elles les ont inventés, c’est bien parce qu’elles étaient des techniciennes et qu’elles en avaient besoin. Pourtant on donne une poupée à une petite fille et un jeu de

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Méccano à un petit garçon. Cependant les femmes peuvent être chercheuses, tout en ayant des conjoints et des enfants, donc être de vraies femmes. J.L. Coppéré, proviseur du lycée Champollion : Tout en étant évidemment d’accord avec vous sur les grands nombres, je voudrais nuancer ce que vous avez dit concernant les choix des filières. Je m’occupe beaucoup des classes préparatoires aux grandes écoles et je constate que les jeunes filles savent très bien choisir en fonction de leur intérêt et que, dans certaines classes, elles sont en train d’exclure, d’éliminer, de prendre la place des garçons. Il s’agit des classes préparatoires économiques et commerciales option scientifique, où elles sont maintenant dans mon lycée à égalité numérique et, en ce qui concerne les résultats, meilleures que beaucoup de leurs condisciples masculins. Il en est de même dans les classes qui s’appellent BCPST (biologie, chimie, physique, sciences de la Terre). Les garçons ont-ils déserté le terrain ou les filles ont-elles purement et simplement éliminé la concurrence masculine, parce qu’elles ont de meilleurs dossiers en Terminale ? A l’heure actuelle, ces classes sont devenues très féminisées, et il faut faire de la discrimination positive à rebours pour que des garçons qui ont envie d’être agronome ou vétérinaire aient leurs chances. Autrement dit, je nuance ce que vous avez dit, parce qu’il y a un dynamisme féminin dans certains secteurs qui peut déséquilibrer certaines professions. Frédérique Chanal : En effet, dans le diaporama concernant les classes préparatoires, on a intégré les classes préparatoires de type biologie. Si on les avait éliminées, le pourcentage de filles serait encore moindre, puisqu’elles vont peu vers les mathématiques et la physique. Mais on n’a pas tenu compte des classes préparatoires économiques. On n’a pris en compte que les classes préparatoires scientifiques au sens traditionnel.

Les élèves s’orientant vers des classes préparatoires non scientifiques sont beaucoup moins nombreux que ceux allant dans les classes scientifiques et ils/elles n’ont pas été pris en compte dans les données ci-dessus. Marie-Françoise Guignard-Pétri : En revanche, tout à l’heure nous avons vu que les filles s’orientent beaucoup vers la médecine ainsi que vers les classes préparatoires BCPST, parce qu’elles s’investissent dans les sciences de la vie. Elles souhaitent devenir infirmières, soignantes, mais elles seront aussi chercheuses, elles vont faire de la génétique, etc. Dans leur imaginaire, elles vont contribuer au progrès humain. En BCPST, beaucoup de femmes veulent devenir vétérinaire. Ceci pose un problème ensuite parce que peu de femmes veulent devenir vétérinaire de campagne : les femmes n’ont pas envie d’aller aider une vache qui vêle, ce qui est un travail physique et elles ne veulent pas non plus aller à n’importe quelle heure du jour et de la nuit se promener dans la montagne dans des conditions climatiques difficiles. Donc on aura créé un vrai problème si les écoles vétérinaires deviennent essentiellement féminines, car on

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n’aura plus de vétérinaires dans certaines branches. Il n’est pas question que les femmes remplacent complètement les hommes. Mais on souhaite la parité. Claudine Hermann : Des membres de l’Institut national agronomique Paris-Grignon (aujourd’hui « Agro ParisTech ») ont fait faire une enquête, il y a une dizaine d’années, pour comprendre cette forte présence des filles dans les écoles agronomiques. Il apparaît que faire un choix d’orientation vers un secteur déjà très féminisé n’est pas une transgression et il semble que la présence d’un certain nombre de filles dans ces secteurs en attire d’autres. Ces études montrent aussi que, parmi ces filles, quelques-unes auraient pu aller dans d’autres classes préparatoires, mais elles ont pensé qu’elles seraient mieux accueillies dans les classes de type biologie. Le problème est donc d’ordre sociologique.

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Marie-Paule Cani professeure, Institut Polytechnique de Grenoble, laboratoire Jean Kuntzmann, Grenoble universités, CNRS, INRIA [email protected]

Filles et garçons face à l’informatique

Introduction Les ordinateurs sont un élément indispensable de notre quotidien, probablement celui qui a le plus changé notre vie au cours des trente dernières années. L’informatique se cache partout, des objets de haute technologie où nous pensons la trouver (avion, satellite) à l’élément le plus banal (téléphone, lave-vaisselle, gestion d’une commande ou de notre compte bancaire). La conception et la maîtrise de ces technologies passent par une science relativement récente, l’informatique. Alors que sa maîtrise ne requiert pas de qualités paraissant faire défaut aux femmes (force physique…), ces dernières semblent cependant s’en exclure, au risque de se couper de tout un pan du monde moderne et d’un secteur d’activité professionnelle particulièrement porteur. En partant de mon expérience personnelle et de la situation globale actuelle, je tente d’identifier les raisons de la différence d’attitude des filles et des garçons face à l’informatique, puis d’amorcer une réflexion sur les moyens que nous pouvons mettre en oeuvre pour envisager la parité. Genre et informatique : la situation Ma carrière de professeure des universités en informatique est certainement atypique : j’ai eu la chance de trouver réunies un ensemble de conditions qui m’ont poussée vers les sciences. Je n’ai pris conscience que tardivement de la défection des filles en informatique, et de l’étendue du problème. Une expérience atypique J’ai montré toute jeune une vocation pour l’enseignement, sans savoir au départ à quelle discipline je souhaitais me consacrer. Seconde d’une famille nombreuse dont les aînées étaient des filles, j’ai été poussée vers les sciences par le choix

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littéraire de ma sœur aînée, le souhait de me démarquer, et peut-être par l’image plus scientifique de ma mère parmi mon couple de parents. Elève d’un collège et lycée de jeunes filles, je n’ai pris conscience du manque de parité qu’en classes préparatoires : nous étions cinq filles, soumises à une forte pression, sur une classe de cinquante-cinq élèves de Math Sup ; deux ont abandonné en cours d’année. Cette immersion dans un milieu très masculin a été pour moi de courte durée : en 1984, j’intégrais l’Ecole Normale Supérieure de Jeunes Filles, reposant sur une politique des quotas déjà jugée obsolète : deux ans plus tard, c’était la « fusion » avec Ulm pour former l’ « Ecole Normale Supérieure », mettant quasiment fin à l’entrée de filles en mathématiques : il y avait une vingtaine de places pour les filles, le double pour les garçons lors de mon intégration ; après la fusion, au maximum deux filles, parfois aucune, ont occupé l’une des soixante places mises au concours dans cette voie d’accès. Après avoir passé l’agrégation de mathématiques, je me suis engagée un peu par hasard dans une voie nouvelle, l’informatique. Cette discipline récente n’avait pas d’image particulièrement masculine, et nous étions presque une moitié de filles en DEA, à l’Université Paris 11 - Orsay. Vite spécialisée en informatique graphique, j’y ai trouvé, outre des bases mathématiques solides et un raisonnement logique rigoureux, la possibilité d’exprimer mon goût pour l’invention - par le choix des lois régissant les monde virtuels -, pour la création artistique (avec la synthèse de formes 3D, de mouvements et de déformations), et bien sûr pour la synthèse des idées, la communication et l’enseignement. Ma carrière a été rapide : agrégée-préparatrice puis maître de conférences à l’ENS en 1991, j’ai été nommée professeure des universités en 1997, quatre ans après ma mutation à Grenoble. Membre junior de l’Institut universitaire de France en 1999, j’ai créé ma propre équipe de recherche, le projet INRIA EVASION, en 2003, et eu l’occasion d’être directrice-adjointe d’un laboratoire de 200 personnes, GRAVIR (CNRS, Grenoble universités, INRIA), de 2003 à 2006. Notons que mon métier n’a été en aucune manière une entrave pour ma vie personnelle et familiale : salariée à dix-neuf ans grâce au système des ENS, je me suis mariée jeune et eu mes trois enfants rapidement (j’avais trente ans lorsque la dernière est née). Ce choix s’est révélé excellent en terme de carrière : mes enfants étaient assez grands pour que je puisse voyager à l’étranger et prendre des responsabilités internationales lorsque j’en ai eu besoin. Une situation alarmante Mon arrivée en 1993 dans le milieu de la recherche en informatique grenobloise (la seconde communauté en France) ne m’a pas alertée sur l’absence des

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femmes : au contraire, leur proportion était bonne parmi les enseignants de l’ENSIMAG (Ecole Nationale Supérieure d’Informatique et de Mathématiques Appliquées de Grenoble). Côté recherche, plusieurs collègues femmes étaient déjà engagées dans des carrières exceptionnelles de responsables d’équipe ou de laboratoire, une situation bien différente de celle de mon domaine de recherche, aux conférences internationales presque exclusivement masculines. Plus faible que celle des enseignantes, la proportion de filles parmi les élèves de l’ENSIMAG s’est réduite depuis la fin des années 80, de 20 à 10% environ pour les élèves françaises, la proportion d’étudiantes parmi les élèves étrangers restant plus importante. On peut également remarquer une attitude différente des jeunes filles face à l’apprentissage de la programmation : alors que la plupart des garçons auraient tendance à se lancer dans l’écriture de code sans réflexion préalable, les filles ne commencent généralement l’implémentation qu’une fois leur algorithme mis au point. Si cela les rend plus lentes au départ, cette attitude se révèle payante lorsque la complexité des problèmes à résoudre augmente, leur assurant le plus souvent une excellente réussite. Côté recherche, recruter des étudiantes s’est révélé difficile, du fait de leur quasi-absence dans les formations type DEA. Notons aussi que, lorsqu’elles choisissent un projet scientifique, les étudiantes ne se présentent pas avec autant d’assurance que leurs camarades, ce qui fait parfois mauvaise impression aux collègues masculins. En quinze ans à Grenoble, je n’ai eu l’occasion d’encadrer que trois étudiantes sur dix-sept thésards : elles se sont montrées particulièrement tenaces, organisées, et aptes à communiquer. Parmi les deux qui ont déjà soutenu leur thèse, l’une a obtenu le prix SPECIF 2006 de la meilleure thèse en informatique, et la seconde est enseignante-chercheuse à Madrid. Plus généralement, que disent les études récentes sur la place des femmes en informatique ? Les chiffres disponibles indiquent 15% d’informaticiennes, dont bien moins dans certains sous-domaines (4% de femmes parmi les développeurs de logiciels libres, presque aucune dans le jeu vidéo). Beaucoup d’informaticiennes sont ainsi confrontées aux problèmes des femmes dans des univers masculins : une certaine solitude, la difficulté à devoir gérer métier et famille au milieu de collègues plus disponibles pour leur travail, le manque de temps pour chercher seules des réponses dans la documentation et la crainte d’être suspectées d’incompétence si elles posent trop de questions. Plus grave, cette situation globale ne tend pas à s’améliorer : les formations en informatique - et plus encore à l’université qu’en école d’ingénieurs - voient une défection alarmante des jeunes filles (moins de 10%), et pas seulement en France. Les explications-types comme le manque de confiance, le refus de la

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compétition et les stéréotypes bien ancrés, ne suffisent pas à tout expliquer pour une discipline aussi jeune : il semble plutôt que rien ne vient pousser les filles dans cette voie. Comment, en l’espace de quelques décennies, l’informatique a-t-elle pu prendre une image aussi masculine ? Pourquoi presque aucune fille ne serait-elle attirée vers une science basée sur la logique, la structuration des informations, et l’ordonnancement des tâches, et qui permet d’innover dans des domaines très divers, de la théorie proche des mathématiques aux applications et aux aspects techniques ? Les causes : histoire d’une image Qui se souvient des femmes pionnières de l’informatique, d’Ada Lovelace, qui posa au 19ème siècle les règles de la programmation, à Grace Hoper, qui, dans l’armée américaine des années 50, inventa le premier compilateur, rendant ainsi les ordinateurs véritablement utilisables ? L’image de la femme face à l’informatique véhiculée par les médias actuels prend des formes très surprenantes : une belle jeune femme utilisée comme argument de vente - de même qu’elle pourrait l’être pour une voiture de luxe - dénote la cible exclusivement masculine de certaines campagnes publicitaires. Second type de femme mise en scène, la ménagère stupide, impuissante face à la technologie, sauvée par un homme compétent, un spécialiste. Enfin, la femme « hackeuse », aux attributs masculins incontestables (indépendance, violence), est certes sexy mais plutôt effrayante, à l’image du personnage de Trinity dans le film « Matrix ». D’où viennent ces images désastreuses ? Revenons sur l’évolution technologique rapide des vingt-cinq dernières années : aucune formation grand public, et presque aucune pour les professionnels, n’était disponible lors de la mise sur le marché des premiers ordinateurs personnels, dans les années 1980. L’apprentissage se faisait en autodidacte, ce qui demande du temps libre et une forte motivation, et semble moins rebuter les hommes que les femmes (56% des hommes disent préférer apprendre seuls, pour 35% des femmes). En entreprise, les premières publicités pour les PC « 5mn pour être un expert », destinées à convaincre les dirigeants de changer l’équipement de leur personnel administratif, se sont révélées très trompeuses. A la maison, les premiers ordinateurs familiaux (où l’on programmait en Basic) ont été pris en main par des adolescents désoeuvrés plus que par des mères de famille. Puis sont apparus les jeux vidéo, ciblant surtout un public masculin (sport, guerre), et ce bien avant l’essor de l’ordinateur comme outil de communication.

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De nos jours, ces adolescents des années 80-90 sont devenus pères de famille. Beaucoup de femmes ne sont que des utilisatrices épisodiques de l’ordinateur familial et manquent de confiance : le sentiment de maîtrise vient avec le temps pris pour configurer son compte, installer des logiciels ou des jeux. Ces derniers constituent encore 80% de l’utilisation des ordinateurs entre six et dix-sept ans. Ils sont pour la plupart encore ciblés pour les garçons (l’exception étant « les Sims », véritable maison de Barbie interactive, truffée de stéréotypes). Pour beaucoup d’adolescentes, passer son temps libre à jouer est un signe d’immaturité. Elles ont d’autres préoccupations, et voient le jeu comme une activité solitaire, asociale. La campagne « dessine-moi un informaticien » montre l’image d’un jeune homme négligé, un zombie parlant un jargon incompréhensible, à laquelle les filles sont incapables de s’identifier. Une étude réalisée en 2006 dans des collèges des Pays-Bas a permis d’identifier l’attitude différente des garçons et des filles lors d’une initiation à l’informatique : tandis que les garçons sont attirés par l’ordinateur en tant qu’objet, l’abordent avec confiance, aiment appuyer sur chaque bouton, et adoptent tout de suite le jargon technique pour vanter la puissance de leur machine, les filles ne semblent guère captivées par l’objet lui-même ; elles demandent plutôt à quoi cela sert, ne se vantent pas de savoir mais s’attribuent les problèmes éventuels et hésitent à faire des essais. Ainsi, si l’ordinateur semble entrer dans la catégorie des beaux jouets symboles de pouvoir pour les garçons (à l’image d’une arme ou d’une voiture puissante ?), l’ordinateur représente au plus un outil pour une fille et un outil plutôt compliqué, qu’elle craint de ne pas savoir maîtriser. Cette attitude différente face à l’ordinateur ne serait pas nécessairement un problème. Il le devient du fait de l’énorme méprise du grand public, qui confond ordinateur et informatique ! L’informatique est une science, basée sur la formalisation du raisonnement, la logique et l’ordonnancement des tâches. Il n’est pas besoin d’aimer l’ordinateur en tant qu’objet pour y réussir ! Pour le public, être informaticien semble au contraire consister à savoir brancher un ordinateur, installer et utiliser des logiciels, et c’est malheureusement l’impression qui est donnée par les initiations dites « à l’informatique » dans les écoles ! Quels moyens pour agir ? En premier lieu, la désaffection des femmes est-elle un problème ? L’électronique, le calcul numérique, les télécommunications étant partout, le risque est qu’elles deviennent de simples utilisatrices de techniques qu’elles ne maîtrisent pas. Dans ce cas, elles n’auront que peu d’influence sur les contenus et seront exclues d’un élément d’évolution majeure de notre société, tout en se

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fermant l’accès à un secteur porteur en terme d’emplois, et propice à concilier vie professionnelle et familiale. Du point de vue de la société, l’absence des femmes dans ce secteur conduit à une perte de talents et de diversité. Moins attirées par la pure technique, les femmes peuvent apporter une vision complémentaire à celles de leurs collègues, dans une branche où il s’agit aussi, comme partout, d’analyser les problèmes, d’organiser le travail d’équipe, de communiquer. Notons que certains états (comme l’Australie et la Nouvelle Zélande) ont lancé récemment des campagnes publicitaires pour attirer les filles vers l’informatique, peut-être moins par souci de la carrière de ces dernières que pour tenter de limiter la baisse alarmante du nombre d’étudiants. Quels moyens avons-nous pour rendre l’informatique plus attractive pour les filles ? Bien sûr, il s’agit d’abord de lutter contre les stéréotypes qui les écartent des sciences, à la maison, à l’école, à l’université. Ensuite, certaines mesures peuvent être prises en compte, compte tenu du déséquilibre actuel : encourager particulièrement celles qui veulent se lancer, leur offrir peut-être des tutrices féminines, servant de modèles, et avec lesquelles elles seraient en confiance pour parler de leurs problèmes (certains pays, comme l’Allemagne et le Royaume Uni, étudient carrément l’abandon de la mixité au niveau collège et lycée). Cependant, l’aspect le plus important concerne l’informatique elle-même : présentons-la pour ce qu’elle est ! L’ordinateur est parfois son objet d’étude (l’informatique théorique s’intéresse à ce qui est calculable), souvent son outil : il n’est pas nécessaire d’aimer ce dernier en tant qu’objet pour y réussir ! Ce qui est important est ce que cet outil permet de réaliser. De même qu’on ne devient pas créatrice de mode par amour de sa machine à coudre, ou dessinateur par amour de ses crayons, on ne devient pas informaticien par idolâtrie des mégahertz ou des gigaoctets, mais par ce que la maîtrise des outils nous permet de créer. Questions de la salle Alain Fontaine : Vous êtes entrée à l’Ecole Normale Supérieure en 84 et en 86 s’est produite la “catastrophe” liée à la disparition des concours d’entrée à l’ENS distincts pour les filles et les garçons et à la diminution du nombre de filles admises. Quelles réflexions cela vous suscite-t-il ? Vous avez aussi parlé de la politique des pays du nord de l’Europe.

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Marie-Paule Cani : Je me pose effectivement beaucoup de questions à ce sujet. En tant que femme, on n’aime pas beaucoup avoir réussi à cause de quotas. Cependant, on peut se demander pourquoi, parmi les 60 meilleurs des concours mixtes, il n’y a presque que des garçons, alors que dans les promotions mixtes avant la séparation des concours, les filles réussissaient aussi bien que les garçons. En particulier, elles avaient autant de succès à l’agrégation. Le blocage est donc au niveau du concours d’entrée. Moi-même, en tant qu’élève, je m’étais sentie très à l’aise pour passer un concours où nous étions en compétition entre filles. Il y a peut-être un effet psychologique, ou un effet lié au type d’épreuves, qui convient mieux aux garçons qu’aux filles. C’est un véritable problème. Quand on voit que des institutions comme Sciences Po ont mis en place des recrutements spécifiques pour les jeunes de banlieue, on peut se demander s’il ne pourrait pas y avoir un recrutement différent pour les filles et pour les garçons. Alain Fontaine : Comme le niveau de maturité des garçons et des filles n’est pas le même et comme les concours ont lieu à des âges où les garçons sont un peu moins mûrs, peut-être ont-ils plus de concentration pour faire ce genre d’exercice. Marie-Paule Cani : En tout cas, dans une carrière ultérieure, l’important c’est la ténacité, surtout dans les métiers de la recherche. En ce qui me concerne, j’ai remarqué que les filles sont souvent plus tenaces que les garçons. Isabelle Harmand : Je suis chargée de mission à l’égalité filles - garçons dans l’académie de Nancy/Metz. Il y a plusieurs points de votre exposé sur lesquels j’aimerais revenir.

- Je crois fortement à l’importance du modèle pour les jeunes filles. Vous vous interrogez sur les causes de la désertion par les jeunes filles des filières informatiques. Or qui connaît les femmes pionnières ? Je suis sûre que dans la salle très peu de gens les connaissaient.

- Vous avez dit que les filles manquent de confiance en elles. C’est vrai. Il faudrait peut-être s’interroger sur les causes de ce manque de confiance.

- Je crois qu’on ne peut pas dissocier non plus les questions d’orientation des jeunes filles du rôle de la femme dans la société, et notamment de l’éducation des petites filles. On en a parlé tout à l’heure, on n’éduque pas les petites filles comme les petits garçons, on n’offre pas les mêmes jouets. Je ne crois pas qu’un petit garçon soit plus attiré a priori par un ordinateur parce qu’il aurait un gène de l’ordinateur dans sa tête ! On n’apprend pas non plus assez aux filles à s’exprimer, et à être sûres d’elles.

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Marie-Paule Cani : En effet il y a le problème de l’image et je pense que l’image et le modèle se trouvent déjà au niveau familial. A mon avis, si les jeunes ici présents ont un ordinateur chez eux, leur père l’utilise probablement plus souvent que leur mère et installe plus fréquemment des logiciels. Pour la génération qui a connu les premiers ordinateurs, ce sont surtout les hommes qui les ont utilisés. Par conséquent, les femmes mères de famille sont souvent moins à l’aise quand l’ordinateur arrive à la maison parce qu’elles l’ont peu fréquenté quand elles étaient jeunes. Véronique Bouhafs-Blanchard : C’est plus un commentaire qu’une question. J’ai beaucoup apprécié votre exposé. Je vous en remercie. Je suis moins négative que vous sur l’image de l’ordinateur. Je l’ai dit ce matin, 80% des décisions d’achat en matière d’informatique sont faites par des femmes, ou sont influencées par des femmes. Marie-Paule Cani : Chez Hewlett-Packard ? Véronique Bouhafs-Blanchard : Non, pas seulement dans notre entreprise. C’est vrai pour tout le marché informatique. Je pense comme vous que la différence fondamentale est que pour les femmes ces produits sont des outils, des moyens et surtout des moyens de communication. Les femmes utilisent un ordinateur pour faire des achats sur Internet et pour envoyer du courrier électronique, donc pour maintenir des liens, tout comme auparavant les femmes écrivaient les cartes de vœux et les cartes postales en vacances. C’est rarement le père de famille qui écrit la carte postale ou la carte de vœux. C’est un peu la même chose pour le courrier électronique. Il est tout à fait fondamental de remarquer, à mon avis, que l’utilisation du produit est en train d’évoluer, mais cela ne résout pas le problème de l’ordinateur et de l’informatique, dont vous avez bien parlé. Pour conclure et parler spécifiquement de Hewlett-Packard, je l’ai vu très concrètement : nous avons eu beaucoup plus de femmes dans nos services en relation avec le grand public, parce que, quand nos produits sont devenus des produits grand public, les femmes ont été attirées. Alors que tant que les produits étaient destinés à des ingénieurs dans des entreprises, des hommes étaient principalement intéressés. J’ai noté ce comportement depuis dix ans.

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Christine Détrez Maître de conférences, Ecole Normale Supérieure de Lettres et Sciences Humaines, Lyon et Groupe de Recherches sur la Socialisation, Université de Lyon 2 [email protected]

Il était une fois le corps... La construction biologique du corps dans les encyclopédies pour enfants.

L’exemple des livres documentaires pour la jeunesse consacrés au thème du corps est un exemple particulièrement saisissant de la naturalisation, sous couvert de vérité scientifique, de distinctions socialement construites entre les hommes et les femmes. Ces livres documentaires ont cette spécificité qu’ils se présentent comme scientifiques, et sont lus aux enfants selon une volonté informative et d’apprentissage de connaissances. Les collections placent ainsi le livre dans le domaine du savoir : Ma première encyclopédie, Mes petites encyclopédies, Les clés de la connaissance. Les titres emploient soit la généralisation, comme principe de vérité (Le corps humain, Le corps), soit l’articulation, de façon plus explicite, à l’entreprise de connaissance (Le corps, pour le faire connaître aux enfants, Le corps, comment ça marche ? Connaître son corps...). Les quatrièmes de couverture insistent sur l’aspect « pédagogique » : « Avec Késaco ? les enfants découvrent la science en s’amusant. Ils peuvent ainsi mieux comprendre les phénomènes scientifiques dont ils observent les applications dans la vie quotidienne. » (Késaco ?), « une référence pour expliquer le corps aux enfants » (Il était une fois la vie). Il est d’ailleurs précisé en page de garde, pour certains ouvrages, qu’ils ont été rédigés avec l’aide de médecins. Or, le discours est loin d’être neutre, tant dans le texte que dans les illustrations qui l’accompagnent. C’est à une véritable construction biologique du corps que contribuent ces livres pour enfants. Ils inscrivent et réfractent dans les représentations du corps les représentations sociales, qui, inversement, se trouvent ainsi fondées en nature, car « theory about life affects life. We become

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what biology tells us is the truth about life. » (The Biology and Gender Study Group, in Tuana, 1989)8. « Un esprit sain dans un corps sain » : les muscles et le cerveau Le corps de la science est un corps dit « neutre ». Mais un corps dit « neutre », posé comme norme, est le produit d’un ensemble de choix : le modèle pour la science, qui sert à expliquer et comprendre tous les corps, est un corps d’homme blanc. Si la plupart des titres gardent un neutre généralisant (« le corps humain »), on trouve cependant « l’homme et son corps ». Deux tiers des livres étudiés ne présentent que des corps d’homme ou de garçon. Sept sont mixtes. Un seul (Kididoc) prend comme norme un corps de fille. Même dans les livres « mixtes », la répartition des organes n’est pas indifférenciée : le recours à l’organisme masculin ou féminin correspond à la naturalisation de valeurs sociales accordées à l’un et l’autre sexe. Les muscles sont ainsi du domaine du masculin. Les planches anatomiques ou les illustrations mettent ainsi en scène des hommes faisant des pompes (Clés 329), de nombreux haltérophiles (Il était une fois la vie 105, Piccolia 7, Mes petites encyclopédies 13, Ma première encyclopédie 34-35, Il était une fois la vie 95, 97, Cogito 19, Questions Réponses 38, Fleurus 22, sous le titre éloquent « forts et musclés » ou lutteurs comme dans Fleurus 73). Les garçons bandent leurs muscles, et jouent des biceps (FleurusB 13, Mes petites encyclopédies 8-9), tirent à la corde (Sorbier, 72 73). Les textes viennent renforcer les illustrations : « en bandant ses muscles, Pierrot constate la diversité de leurs formes et expérimente leur force » (Il était une fois la vie 100). De la même façon, Globine, qui tâte le biceps de Globus s’exclame : « Quelle force ! Admirative, Globine constate la dureté du biceps de Globus. Celui-ci fait beaucoup de sport et sa musculature est très puissante. » (Il était une fois la vie 98)10.

8 « La théorie sur la vie influence la vie. Nous devenons ce que la biologie nous dit être la vérité sur la vie » 9 Le numéro après le titre indique la page. 10 Les exceptions n’en prennent que plus de valeur : trois livres présentent une petite fille montrant son biceps. Dans les trois cas, elles forment un couple avec un petit garçon, et le jeu sur le sexe est complété par un jeu sur la couleur de peau : l’un des deux est noir-e (Questions Réponses 6/9 ans, Késaco, Explore). Dans les trois cas, on trouve le dessin en couverture. Il est vrai qu’à l’intérieur du livre, on retrouve l’illustration classique d’un jeune homme au bras très musclé, pour situer les muscles et tendons, et d’un haltérophile (Questions Réponses 12,13) ou d’un athlète sur un cheval d’arçons (Késaco 8) ou d’une structure pyramidale où l’homme musclé domine (Explore).

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Est-ce à dire que les filles n’ont pas de muscles ? Certains livres se posent la question, et la résolvent, en dessinant un petit garçon jouant au foot (muscles des jambes) et une petite fille... berçant sa poupée (muscles des bras) (Fleurus 19), ou se reposant dans un hamac (Larousse 16-17). Si les filles ont des muscles, ce ne sont pas les mêmes ou, en tout cas, elles n’en font pas le même usage. Enfin, il n’est pas anodin de remarquer que, sur une même page, à côté d’un haltérophile aux biceps proéminents, le recours au féminin a lieu pour illustrer et situer le stapedius, muscle situé dans l’oreille, « le plus petit de nos muscles » (Piccolia 7), ou encore expliquer le fonctionnement, sur une double page, des muscles lisses pour la fille, versus les muscles à contraction volontaire pour le garçon : Pierrot et Kira sont ainsi tous deux représentés une pomme à la main. Mais les textes et schémas rétablissent la différence, renvoyant la fille au passif, au « lisse » (Héritier 1996, Bourdieu 1998) et le garçon à la volonté, dans un système binaire d’opposition des termes : « contraction volontaire » / « contraction involontaire », « biceps » / « muscles de l’oesophage », « muscles striés » / « muscles lisses », « pour manger sa pomme, Pierrot doit plier l’avant-bras. Son cerveau va envoyer l’ordre de se contracter aux muscles striés, et tout spécialement au biceps » alors que « lorsque Kira mange sa pomme, le bol alimentaire (petites quantités de nourriture humectée de salive) descend automatiquement dans l’oesophage grâce à la contraction des muscles lisses des parois » (Il était une fois la vie, 98-99)11. Car, on le voit dans l’exemple précédent, muscles et cerveau font bon ménage chez l’homme. Si l’homme est musclé, il est également le garant de la raison : c’est en tout cas au garçon qu’est attribuée, dans les cas de livres mixtes, la possession d’un cerveau. Les illustrations sont ainsi unanimes : le cerveau loge dans les têtes des garçons (Fleurus 48, Dokéo 7, Cles 43, Sorbier 54, Cogito 38, Connaissance 197, Ma première encyclopédie 40, Korrigan 28, Explore 15). La seule occurrence d’un corps féminin en rapport avec le cerveau dans un documentaire « mixte » illustre un chapitre intitulé « et si nous n’avions pas de cerveau ? » (Piccolia 20) : sur une plage, une petite fille, accompagnée d’une oie blanche12, renverse maladroitement un seau d’eau, tandis qu’en arrière-plan, un garçon, visiblement doté quant à lui d’un cerveau en parfait état de marche, saute allègrement et habilement un cours d’eau. Quant à la mastication des pommes, associée pour Pierrot à la volonté, elle relève, pour Kira, des réflexes : « ce mouvement réflexe des muscles, qui conduit l’aliment vers l’estomac, est appelé péristaltique ». La même répartition se retrouve à plusieurs reprises (Cogito 41, Korrigan 28-29, Explore 15) : une tête de garçon pour le cerveau et 11 Un autre exemple de sexuation se trouve dans l’expérience proposée pour expliquer le souffle : le garçon est invité à souffler sur ses voitures pour faire une course, tandis que la fille doit souffler sur son miroir pour voir la buée... (Grand livre du corps 15) 12 dont on peut bien se demander ce qu’elle fait sur une plage, si ce n’est en référence à l’expression associant fille et oie blanche...

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en vis à vis une jeune fille se brûlant (en cuisinant !) pour les réflexes. De même, « Du nerf! » titre un chapitre sur les réflexes, au dessus d’une petite fille endormie. (Clés 44) Le champ lexical développé à propos du cerveau est en effet sans équivoque : il « contrôle » (Fleurus 48, clés 43), « il commande » (Fleurus 49, Dokéo 6), c’est le « commandant de bord », « le grand chef de notre corps » (Késaco), il est le siège de la « volonté » (Dokéo 6), il « prend les décisions » (Clés 43) : si Globus est le cerveau, Globine, elle, est le cervelet : « Globine et Globus se donnent la main pour traverser. De même, le cervelet est en parfaite coordination avec le cerveau et l’aide à exécuter ses ordres » (Il était une fois la vie, 20). Quant à la femme, elle a également ses attributions privilégiées : le système digestif (Ma première encyclopédie 87, seule occurrence d’une femme, Fleurus 43 et 47, Clés 24 et 10), lymphatique, et surtout l’explication des systèmes hormonaux, sans bien entendu omettre de préciser que « les hormones sont fabriquées par des glandes qui sont elles-mêmes sous le contrôle du cerveau » (Dokéo 9). Poussée à l’extrême, cette répartition confine ainsi à l’absurde : c’est un corps de femme qui sert de support d’explication de la production de sperme (Dokéo 9). De la même façon que pour les muscles, quand homme et femme sont associés sur une double page (Sorbier), les hormones ne sont pas indifférenciées, ou en tout cas, les verbes employés ne sont pas neutres : pour la femme, l’épiphyse « produit » de la mélatonine, le pancréas « produit » l’insuline et le glucagon. Quant à l’adrénaline, « sa mission [est de] provoquer l’oxygénation des muscles qui seront fin prêts pour une fuite rapide ». Pour l’homme, l’hypophyse « contrôle » les autres glandes, la thyroïde « contrôle » le métabolisme, les glandes surrénales « influent sur l’activité du système nerveux », et les parathyroïdes « règlent la concentration de calcium. » Et le pas est vite franchi entre explications hormonales et essentialisation des comportements. Ainsi, dans une autre double page (Sorbier 70-71), un homme et une femme assistent à une bagarre entre un chat et un chien. Texte et illustrations convergent alors, puisque la femme, très angoissée, permet de localiser, telle une Saint Sébastien percée des flèches de la science, l’adrénaline et la noradrénaline, hormones de la peur. L’homme, très calme, garde son sang-froid : « s’il n’y a pas de peur mais qu’il faut de l’attention, ce sont les centres de l’attention du cerveau qui se mobilisent principalement ». Enfin, la contribution de l’illustration au texte est parfois extrêmement équivoque. Ainsi, toute une page de cette encyclopédie est consacrée aux interactions entre systèmes nerveux et endocrinien. Puisqu’il est question d’hormones, l’exemple sera évidemment féminin : « par exemple, certaines conditions psychologiques peuvent altérer le flux menstruel », « le cerveau

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stressé peut, en effet, influer sur la glande hypophyse, empêchant ainsi la production d’une hormone, dite gonadotrophine. L’absence de gonadotrophine affecte les ovaires, dont l’ovulation n’est pas provoquée. De ce fait, la menstruation ne se produit pas. » (Sorbier 38). Or, la situation illustrant ce texte met en scène une jeune fille au milieu de livres ! La conclusion est simple : faire des études met en péril le principe même de la féminité, le système menstruel, et par là même la reproduction. Entre cerveau et matrice, faire des études ou des enfants, il faut choisir, comme au plus beau temps des principes aristotéliciens (Héritier, 1996, 2002). La reproduction Le choix des mots et métaphores employés pour décrire le phénomène de la reproduction illustre les qualités spécifiquement associées au masculin et au féminin, transposées ici au spermatozoïde et à l’ovule. Le « récit de la vie » est ainsi, littéralement, l’odyssée du spermatozoïde. Dans les narrations décrivant la conception, l’action, la vitalité, le courage, la concurrence sont associés au spermatozoïde. C’est à lui que revient, comme pour le pneuma d’Aristote, le principe de vie, par la pénétration dans l’ovule : « un seul y pénétrera pour le féconder » (Fleurus 85), « celui qui atteint l’ovule rompt l’enveloppe et pénètre à l’intérieur » (Sorbier 106), « grâce à sa tête foreuse, il perce la peau de l’ovule et le pénètre. Avec sa queue, le flagelle, il se propulse dans l’utérus de la femme. Il doit donner 1000 coups de fouet pour avancer de 1 cm » (Dokéo), etc. L’ovule, quant à lui, « attend » (le verbe est récurrent) passivement, sorte de Belle au Bois Dormant ne se réveillant qu’une fois : « dès que la fécondation est faite, l’ovule se transforme » (Dokéo 22), « tous les mois, la femme émet une graine de vie, l’ovule, qui attend d’être fécondée par un des spermatozoïde produits par l’homme » (FleurusB 16). Or, d’une part, l’ovule se déplace, et d’autre part, il est reconnu maintenant que l’ovule a une part active dans la fécondation, et qu’il intervient chimiquement dans la pénétration du spermatozoïde. Rares sont les encyclopédies qui prennent en compte ces faits. La narration oscille entre récit d’aventure et bilan d’hécatombe. L’anthropomorphisation est en effet évidente, et provient du milieu d’origine : le spermatozoïde est masculin, l’ovule est féminin. Le spermatozoïde doit alors survivre à un milieu particulièrement hostile et mortifère, le vagin féminin : « les spermatozoïdes qui n’ont pu pénétrer dans l’ovule sont morts » (Fleurus 85), « dans le vagin, 90 millions de spermatozoïdes sont tués par des globules blancs. Des millions de spermatozoïdes sont bloqués par les microscopiques cils de l’utérus. Une centaine seulement de spermatozoïdes arrivent dans la trompe de Fallope où se trouve l’ovule. Ils auront dû donner 20 000 coups de fouets. 24

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heures pour réussir : un seul spermatozoïde entre dans l’ovule. » (Dokéo 22). Comme dans les tournois médiévaux, la récompense du chevalier le plus hardi, au milieu du champ de bataille jonché des adversaires malchanceux, est la belle, l’ovule. Les illustrations reproduisent cette réfraction du masculin et du féminin, et de leurs attributs sociaux, sur le spermatozoïde et l’ovule : le spermatozoïde offre des fleurs à l’ovule (Il était une fois la vie 221) ou est représenté comme un petit robot dans un univers hostile, désert hérissé de poils et parsemé de flaques rougeâtres… (Il était une fois la vie 216 et 220). La science est d’ailleurs supposée intéresser davantage les garçons. Le destinataire même de ces livres déclarés comme scientifiques est visiblement un garçon : le « tu » auquel s’adressent les textes accompagne des illustrations représentant un petit garçon (« quand tu regardes un papillon » Il était une fois la vie 41, « imagine un match de basket » idem 24, « comment fonctionne un pistolet à eau ? » Connaissance 34, etc.). Les règles mêmes de l’accord des adjectifs lèvent les ambiguïtés (« si tu es curieux de savoir » Milan 2, « Tu es grand », « quand tu es sorti... », « si tu es déjà tombé de vélo » Ton corps de la tête aux pieds, 4 et 26). Classées dans les documentaires, les encyclopédies destinées aux enfants construisent donc un corps fictionnel où la biologie réfracte les représentations sociales. En même temps, en un cercle dialectique, cet ancrage naturel des différences permet d’en justifier toutes les manifestations, tant dans les répartitions des qualités psychologiques, que dans les rôles dans la sphère privée ou publique. Car il ne s’agit pas seulement ici de la répartition de domaines réservés au féminin ou au masculin, mais d’une véritable essentialisation et naturalisation de ce que sont la féminité et la masculinité, aussi contraignante pour les filles que pour les garçons, dont on oublie parfois qu’ils n’ont pas forcément envie d’être forts et musclés13. En effet ces livres pour enfants ne sont pas une forme simplifiée, vulgarisée ou dévoyée des connaissances scientifiques par des auteurs qui les auraient « mal » comprises ou qui les adapteraient à un public d’enfants. Ils reflètent, sans le caricaturer, le façonnement des vérités scientifiques par les valeurs symboliques et sociales qui leur sont contemporaines. Or, la justification par la biologie, les arguments et argumentaires scientifiques de toute une grammaire symbolique ont des implications sociales et politiques et on ne peut qu’être inquiet de voir la

13 Ainsi, sous la vignette d’un homme qui pleure, trouve-t-on cette légende : « pourquoi les hommes seraient-ils privés de ce droit ? » (Question-réponses 62), même si la photo qui occupe toute la page d’à côté représente un jeune bonze « contrôlant ses émotions. »

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façon dont ils continuent à être diffusés dans l’éducation, dès le plus jeune âge, avec la caution du seul discours sur le corps communément reconnu comme légitime, celui de la science. Annexes : Titres des encyclopédies avec entre parenthèses la dénomination utilisée au cours de l’article. -L’imagerie du corps humain. (Fleurus) Conception : Emilie Beaumont/ Texte : P. Simon / Images : N. Soubrouillard, Fleurus enfants, 1993 -La grande imagerie. Le corps pour le faire connaître aux enfants. (FleurusB) Conception : Emilie Beaumont / Rédaction : Agnès Vandewielle / Images : Milan illustrations Agency, Fleurus enfants, 1994. -La petite imagerie. Le corps. (Fleurus C) Conception : Christophe Hublet / Texte : Emilie Beaumont / Images : Catherine Ferrier, Fleurus, 2004. -Dokéo Corps humain 9-12 ans. (Dokéo) Auteur : Isabelle Bouillot-Jangey / Illustrateurs : 15 noms, mixte, Nathan 2003. -Le corps humain. (Clés) Les clés de la connaissance, version originale Weldon Owen Pty Ltd. Auteur : Steve Parker / Illustrations : mixte (1998) / Adaptation : Véronique Dreyfus, Nathan 2003. -Il était une fois la vie, Le corps humain. Albert Barillé, Hachette jeunesse, 2003. -Le corps humain. (Milan) Marie-Christine Erlinger, Illustrations : Frédéric Pillot, Carnets de nature, Milan, 2002. -Le corps humain. (Sorbier) Edition originale : Italie / Texte original italien : Barbara Gallavotti / Illustrations : Studio Inklink, Le Sorbier, 1999.

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-Le corps, comment ça marche ? (Cogito) Brigitte Dutrieux / Illustration : Eric Héliot, collection Cogito, De la Martinière jeunesse, 2002. -Le corps humain. Ses merveilles, ses mystères. (Connaissance) Lionel Bender, traduit de Colour Library Book, Connaissance de l’univers, 1992. -L’homme et son corps. (QuestionsRéponses) Didier Pélaprat, Questions Réponses Junior, Nathan, 1990. -Le corps humain. (Korrigan) Steve Parker, Lorenz Books, 1996 / Editions du Korrigan, Maxilivres 2001. -Et si ? Le corps humain... (Piccolia) Steve Parker, Dominique Françoise, Aladdin Books London 1995 / Piccolia 1996. -Le corps. (Mes petites encyclopédies) Rédaction : Agnès Vandewiele, Michèle Lancina / Direction éditoriale : Françoise Vibert-Guigus / iIlustration : Alice Charbin, Mes petites encyclopédies, Larousse, 2002. -Le corps. (Ma première encyclopédie) Florence et Pierre Olivier Wessels. Responsabilité éditoriale : Véronique Herbold / Illustration : (4 noms) dirigées par Gérard Finel, Ma première encyclopédie, Larousse, 1993. -Le corps. (Kididoc) Texte : Michèle Longour / Illustrations : Lucie Durbiano et Guillaume Decaux, Kididoc, Nathan, 2002. -Le corps humain. (Questions-Réponses 6/9 ans) Brigit Avison, Kingfisher books, London, 1993, trad., Nathan, 1993. -Le corps humain. Késako ? (Késako ?) Textes : Charline Zeitoun / Illustrations : Peter Allen, Mango Jeunesse, 2003. -Le corps. (Larousse) L’encyclopédie Larousse 6/9 ans / Texte : Docteur Pascale Borensztein / Illustrations : Denis Horvath, Monique Gaudriault, Anne Wilsdorf, 2003.

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-Ton corps de la tête aux pieds. Núria Roca et Rosa Maria Curto, Ulisse Editions, Paris 2000 -Le corps humain. (Explore) Laurie Beckelman, Weldon Owen Pty Australie, Larousse Explore, 2000. -Mon grand livre du corps, Mélanie et Chris Rice, adaptation Patrick Pacques, Nathan, 1995. Bibliographie Bourdieu Pierre, 1998, La domination masculine, Seuil, Paris. Héritier Françoise, 1996, Masculin, Féminin. Tome 1 : La pensée de la différence, Odile Jacob, Paris. Héritier Françoise, 2002, Masculin, Féminin. Tome 2 : Résoudre la différence, Odile Jacob, Paris. Tuana Nancy (dir.), 1989, Feminism and Science14, Indiana University Press, Indiana.

14 « Le féminisme et la science »

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FEMMES EN SCIENCES ET TECHNIQUES

EN EUROPE

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Claudine Hermann, professeure honoraire à l’Ecole Polytechnique, Palaiseau, physicienne, présidente d’honneur de l’association Femmes & Sciences [email protected]

Situation comparée des femmes en sciences et techniques dans l’Union européenne

Après avoir présenté quelques femmes scientifiques du passé, originaires de plusieurs pays d’Europe, nous montrerons que, si le monde de la recherche moderne fonctionne sur un certain nombre de règles internationales, la situation des femmes scientifiques dépend du pays. Nous verrons que la Direction Générale Recherche de l’Union européenne a beaucoup agi depuis une décennie pour promouvoir les femmes scientifiques. Nous terminerons en citant quelques entreprises et associations françaises qui oeuvrent continûment sur cette question. Des femmes scientifiques du passé Depuis sa fondation en 1901 et jusqu’en 2008 compris, le Prix Nobel a été attribué à 789 personnes, dont 590 en sciences (physique, chimie, médecine et économie) parmi lesquelles 12 femmes. En Physique, les lauréates ont été : - Marie Sklodowska-Curie (1867-1934), lauréate (1903) avec son mari Pierre Curie (1859-1906) et Henri Becquerel (1852-1908), pour leur découverte de la radioactivité. Notons que Pierre Curie insista auprès du Comité Nobel pour qu’elle soit associée au Prix. A la mort accidentelle de son mari en 1906, elle reprit son cours et devint en 1908 la première femme professeure titulaire à la Sorbonne. Elle fut à nouveau lauréate, en Chimie en 1911, pour la découverte du radium et du polonium et de la nature des composés du radium. - En 1935, le prix Nobel de Physique fut décerné à Irène Joliot-Curie (1897-1956) et à son mari, Frédéric Joliot (1900-1958), pour la découverte de la radioactivité artificielle. Il est remarquable qu’Irène ait été Sous-secrétaire d’état à la Recherche du Front Populaire, à une époque où les femmes ne votaient pas en France.

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- En 1963 Maria Goeppert-Mayer (1906-1972, Allemagne, Etats-Unis) reçut le Prix Nobel de Physique, avec J. Hans D. Jensen pour leur modèle en couche de la structure des noyaux.

Deux femmes, proches collaboratrices de lauréats du Prix Nobel, auraient dû être associées à leur récompense : - Lise Meitner (1878-1968, Autriche, Allemagne, Suède), qui découvrit, avec Otto Hahn (prix Nobel de Chimie 1944) et Fritz Strassmann, le processus de fission nucléaire. Elle en fournit l’explication physique avec Otto Robert Frisch, son neveu. - Rosalind Franklin (1920-1958, Grande-Bretagne) fut responsable d’une grande partie du travail de recherche ayant permis de comprendre la structure de l’acide désoxyribonucléique (ADN). James Watson, Francis Crick et Maurice Wilkins reçurent le prix Nobel pour le modèle en double hélice de l’ADN en 1962, quatre ans après sa mort et passèrent sous silence la contribution de Rosalind. Précédemment, en Europe des femmes scientifiques ont fourni des apports importants ; quelques unes sont tirées aujourd’hui de l’oubli, comme : - Maria Gaetana Agnesi, (1718-1799, Italie), linguiste et mathématicienne, auteure des Propositiones Philosophicae (1738) qui traitent de logique, mécanique, hydraulique, attraction universelle, chimie et zoologie. Ses Instituzioni analitiche ad uso della gioventu italiana (1748) présentent la synthèse des mathématiques les plus avancées de son époque. Elle fut professeure de mathématiques à l’université de Bologne. - Gabrielle-Emilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet (1706-1749, France), membre de l’Institut des sciences de Bologne, dont l’oeuvre principale est la traduction en français des Principia de Newton, ouvrage fondateur de la mécanique classique. Elle y ajouta des Commentaires d’une clarté et d’une modernité remarquables15. Elle fut la maîtresse de Voltaire. - Marie Sibylle Merian (Francfort 1647 - Amsterdam 1717), naturaliste et entomologiste, se rendit à Surinam et publia Metamorphosis Insectarum Surinamensium (1705), ouvrage suivi après sa mort par Dissertatio de Generatione et Metamorphosibus Insectorum Surinamensium (1719). Ces livres sont illustrés par des planches splendides qu’elle avait dessinées elle-même. - Anna Maria van Schurman (1607-1678, Pays-Bas) est considérée comme la première étudiante des Pays-Bas car elle suivait les cours derrière un rideau à l’université d’Utrecht. Elle défendit l’amélioration de l’éducation des femmes et écrivit en 1640, « Tout ce qui remplit l’esprit humain de délices inhabituels et honnêtes convient à une femme. »16 15 Un extrait commenté des Commentaires d’Emilie du Châtelet se trouve à l’adresse : http://www.bibnum.education.fr/physique/exposition-abregee-du-systeme-du-monde# 16 Curious Careers - An Unexpected History of Women in Science and Technology, Mineke Bosch with assistance of Juulke Friesen, Helene Siebert and Carianne van Dorst, Editors

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Recherche d’aujourd’hui : points communs et différences entre pays européens Dans les pays européens et même occidentaux, la recherche suit des règles de fonctionnement similaires, inspirées par celles en vigueur aux Etats-Unis. L’excellence prévaut et le critère principal de jugement des (enseignant-e-s-) chercheurs/euses est la qualité de leur recherche : les autres activités indispensables au bon fonctionnement de l’enseignement supérieur (enseignement, administration, diffusion de la science…) sont rarement prises en compte. Quant aux femmes scientifiques, elles rencontrent dans chaque pays, à l’embauche ou lors de promotion, des problèmes similaires, liés à la difficulté de remplir les critères d’excellence tout en construisant une famille. Par ailleurs, plus on monte dans la hiérarchie, plus les femmes se font rares : c’est le phénomène de « tuyau percé » ou de « plafond de verre ». Ainsi on note un fort déséquilibre entre femmes et hommes dans les postes de décision de la recherche. Place des femmes scientifiques : des exemples nationaux Nous allons passer en revue quelques pays d’Europe occidentale (France, Allemagne, Portugal) dont les taux de femmes enseignantes dans les universités sont assez différents (Tableau 1) et regarder comment leur histoire et leur culture y influencent la situation des femmes scientifiques. France Vue de l’étranger, la situation des femmes françaises paraît enviable : le taux de fertilité est un des plus forts d’Europe, les possibilités de garde d’enfants sont plus importantes que dans d’autres pays. La loi sur la parité en politique est une spécificité française, de même que la conception universaliste de la société, qui fait que les quotas pour les femmes sont impopulaires. Une autre spécificité française, la dichotomie au niveau de l’enseignement supérieur entre Grandes écoles et universités, est difficile à comprendre pour des étrangers. Dans la recherche publique, les personnels sont des fonctionnaires, les chercheurs sont embauchés dans leur trentaine, soit plus jeunes que dans d’autres pays. En 2005 on y comptait 34 % de femmes parmi les chercheurs, ce pourcentage est en progrès lent mais continu à l’université, mais il reste

Mineke Bosch and Ruth Oldenziel, Foundation for the History of Technology, Eindhoven 2006, ISBN 10 : 90-73192-29-3 , ISBN-13: 978-90-73192-29-4

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désespérément stable au CNRS. Dans la recherche privée, 20% des chercheurs et 29% des techniciens étaient des femmes la même année17. Des structures publiques en faveur des femmes scientifiques ont été mise en place en 2001 : la Mission pour la parité dans la recherche et l’enseignement supérieur au ministère de la Recherche18, la Mission pour la place des femmes au CNRS19. En 2006 le Comité pour l’égalité professionnelle dans l’enseignement supérieur et la recherche a été installé pour trois ans. La création en 2006 de l’Institut Emilie du Châtelet par la région Ile-de-France s'inscrit parmi différentes initiatives visant à combler le retard de la France en matière d'études sur les relations hommes-femmes et la contrainte de genre.

Pays

Grade A (professeur ou équivalent))

Grade B (maître de conférences ou

équivalent) EU-25 15,3 32,2 Turquie 25,5 27,4 Finlande 21,2 46,6 Portugal 20,9 34,4 Espagne 17,6 36,1 Suisse 16,5 23,3 Italie 16,4 31,4

France 16,1 38,7 Suède 16,1 38,6

Royaume Uni 15,9 31,2 Norvège 15,7 28,2

Grèce 11,3 22,7 Danemark 10,9 24,4 Autriche 9,5 16,2 Pays Bas 9,4 14,2

Allemagne 9,2 16,1 Belgique 9 20,7

Tableau 1 : Pourcentages de femmes enseignantes dans les universités (toutes disciplines) de l’Europe des 25, pays classés selon les pourcentages décroissants en Grade A. (La Turquie

figure pour mémoire). Données de 2004 tirées de She Figures 200620.

17 http://media.education.gouv.fr/file/80/7/20807.pdf 18 http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid20161/mission-parite.html 19 http://www.cnrs.fr/mpdf 20 « Données sur les femmes » http://ec.europa.eu/research/science-society/pdf/she_figures_2006_en.pdf

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Allemagne Bien que le taux d’activité des Allemandes soit un peu supérieur à celui des Françaises21, le poids de l’histoire fait qu’encore aujourd’hui, pour une mère de jeunes enfants, il est difficile et généralement mal considéré d’y travailler ! Le chancelier Bismarck prônait « les 3K : Kinder, Küche, Kirche » (les enfants, la cuisine et l’église) pour les femmes ; le Troisième Reich a renvoyé les intellectuelles dans leurs foyers. Avant la réunification, en Allemagne fédérale la situation était comparable à celle d’aujourd’hui (système de garde d’enfants très insuffisant, écoles primaires ne fonctionnant pas l’après-midi), alors que des crèches existaient en Allemagne démocratique où les mères de famille travaillaient. Actuellement, le taux de fertilité en Allemagne est particulièrement bas. Le gouvernement d’Angela Merkel a mis en place en 2007 des congés parentaux améliorés pour la mère et le père de l’enfant, mesure contestée par les milieux traditionalistes. Le fonctionnement du monde scientifique n’est pas non plus favorable aux femmes : le doctorat est soutenu plus tard qu’en France, on n’accède à des postes fixes qu’après l’habilitation22. La mobilité géographique est obligatoire auparavant, c'est-à-dire pendant la période où les femmes scientifiques se trouvent fréquemment devant le dilemme de privilégier leur carrière ou de fonder une famille. Dans les universités allemandes, les femmes représentent aujourd’hui 29% des chercheurs. Ceci est le résultat d’actions législatives et financières engagées depuis le début des années 1990 : des déléguées à l’égalité assistent aux comités de recrutement des universités ; des centres, comme le « Centre for Excellence Women in Science »23 , mettent en place les actions en faveur des femmes scientifiques ; un Label Egalité24, mis en place il y a plus de 10 ans, a été attribué à 100 institutions ou entreprises du secteur public ou privé. Portugal Dans ce pays, il existe peu de gardes d’enfants, il faut recourir à des solutions familiales. On trouve 43% de femmes dans la recherche universitaire et 20%

21 Voir par exemple http://www.insee.fr/fr/INSEE_REGIONS/PICARDIE/publi/ipd33%20femmes%20et%20hommes%20dans%20l%20UE.pdf 22 Bien que l’habilitation ne soit plus légalement indispensable pour accéder à un poste de professeur, ce diplôme conserve une grande importance. 23 www.cews.org 24 http://www.cews.org/total-e-quality/index-e.html

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parmi les professeurs d’université. Mais les chercheuses portugaises ne sont pas satisfaites de la stagnation relative de leur carrière.25

L’Union européenne et les femmes scientifiques Depuis 1998, la Direction Générale (DG) Recherche de la Commission européenne s’est saisie de la question de la place des femmes en sciences et technologie. Les actions au niveau européen ont stimulé de nombreuses initiatives nationales en faveur des femmes scientifiques. La DG Recherche a créé l’unité « Femmes et sciences », maintenant intégrée dans « Culture scientifique et questions de genre », elle a produit des travaux fondamentaux26 (voir Graphique 1), financé des recherches sur le genre et suscité le recueil de statistiques, des données européennes unifiées étant maintenant publiées tous les trois ans dans un fascicule She Figures (voir note 20).

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

100

étudiants doctorants assistants maîtres de

conférences

professeurs

Belgique

France

Allemagne

Pays-Bas

Espagne

Royaume-UniHommes

Femmes

%

Graphique 1 : « Diagramme en ciseaux ». Pourcentages de femmes et d’hommes aux divers

échelons de la carrière universitaire en 1997-1998. Le pourcentage de femmes diminue aux échelons plus élevés, cette décroissance est liée

à la stabilité comparée des postes (en France les maîtres de conférences occupent des postes permanents, ce qui n’est pas le cas en Allemagne).

D’après le Rapport ETAN27 sur la place des femmes scientifiques en Europe occidentale.

25 Amonet, l’association des femmes scientifiques portugaises a pour site http://www.amonet.org/ 26 http://ec.europa.eu/research/science-society/index.cfm?fuseaction=public.topic&id=27&lang=1&CFID=910066&CFTOKEN=4b897bb61339df53-3FE401AA-E8DB-AFAF-64F91EF1EB9D2F4C 27 http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid20966/rapport-etan-2001.html

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Il apparaît clairement qu’un pays comme la Suisse, qui a mis en place une politique dynamique et des moyens financiers importants pour la promotion des femmes scientifiques28, a progressé de manière remarquable (Tableau 2). Pays 1998 2004 Allemagne 5,9% 9,2% France 13,8% 16,1% Suisse 5,7% 16,5%

Tableau 2 : Pourcentage de femmes parmi les professeurs d’université (toutes disciplines). Les données de 1998 sont tirées du Rapport ETAN (note 27), celles de 2004 du Tableau 1.

Pour améliorer la place des femmes en sciences et en techniques, la Commission européenne préconise l’intégration du genre («gender mainstreaming») dans toutes les actions, plutôt que l’égalité de traitement, qui ne tient pas compte des handicaps des femmes liés en particulier à leurs charges familiales, ou la discrimination positive, à laquelle on peut opposer des arguments juridiques. La Plateforme européenne des femmes scientifiques (European Platform of Women Scientists29) a été créée par un contrat de la DG Recherche, elle fédère les associations et réseaux de femmes scientifiques et représente actuellement 11 000 femmes. Elle a pour buts d’« apporter une valeur ajoutée européenne en assurant que les besoins, intérêts et aspirations des femmes scientifiques sont pris en considération lors de l’établissement des programmes de recherche européens » et de « promouvoir la compréhension et l’inclusion de la question du genre dans les politiques scientifiques ». Promotion des études scientifiques et techniques pour les femmes en France Certaines entreprises (des transports par exemple) ou groupements professionnels (Union des Industries et Métiers de la Métallurgie, Fédération du bâtiment…) cherchent à recruter davantage de femmes et font des campagnes auprès des lycéennes.

28 Voir la présentation suivante d’Anne-Françoise Gilbert. 29 www.epws.org

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Des associations30, dont Femmes & Sciences et l’Association pour la parité dans les métiers scientifiques et techniques (APMST), femmes et mathématiques, Femmes Ingénieurs, Elles bougent ! s’intéressent à la fois aux jeunes et aux femmes déjà professionnelles. Femmes & Sciences a pour buts de « promouvoir l’image des sciences chez les femmes et l’image des femmes dans les sciences, renforcer la position des femmes exerçant des carrières scientifiques et techniques dans les secteurs publics et privés, inciter les jeunes filles à s’engager dans les carrières scientifiques et techniques ». Conclusion Ce panorama montre que les femmes ont toujours été présentes dans la science européenne, hier et aujourd’hui, mais en trop faibles nombres. Si l’Union européenne veut atteindre les objectifs de compétitivité qu’elle s’est fixés en s’adjoignant des femmes en sciences et en technologie, l’exemple suisse montre que ceci est réalisable, à condition de faire preuve d’une réelle volonté politique et d’y consacrer des moyens suffisants. Il s’agit de l’avenir des jeunes, filles et garçons, qui sont venus assister au colloque d’aujourd’hui. Questions de la salle Dans le public : Sur la photo de l’exposé montrant le réglage d’un moteur automobile, figurent trois hommes, pas une seule femme. D’où proviennent les photos ? Claudine Hermann : Les photos montrent la réalité de l’industrie. Celle que j’ai projetée provient de la photothèque du constructeur automobile Renault. Dans la partie sur les métiers de l’automobile du diaporama complet, cinq images sur dix montrent des femmes ; dans celle sur les métiers de l’aéronautique, plusieurs femmes sont présentes, dont une mécanicienne réparant un moteur d’avion. Christine Charretton : D’autres associations agissent dans le même sens que Femmes & Sciences, comme femmes et mathématiques ou Femmes Ingénieurs. Elles ont collaboré à la production de documents mis à la disposition du public. 30 www.femmesetsciences.fr http://parite-sciences.org www.femmes-et-maths.fr www.femmes-ingenieurs.org www.ellesbougent.com

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Anne-Françoise Gilbert sociologue, chargée de recherche, Centre interdisciplinaire de recherche sur le genre, Université de Berne

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Formations scientifiques et techniques en Suisse : vers une politique institutionnelle de l'égalité?

L'objectif de cette contribution est de vous donner un aperçu sur la situation des femmes dans les formations scientifiques et techniques en Suisse, de présenter les mesures qui ont été prises ces dernières années pour accéder à la parité dans ce domaine et, finalement, de procéder à un bilan de ces interventions.31 La situation actuelle en Suisse Commençons par quelques données chiffrées sur l'évolution des effectifs dans les formations scientifiques et techniques en Suisse ces dernières années. Globalement, toutes filières confondues, les femmes représentent actuellement 50% des étudiant-e-s dans les hautes écoles universitaires en Suisse. La ségrégation horizontale selon les domaines d'études continue toutefois à être marquée, puisque elles sont 65% en sciences humaines et sociales, mais qu'elles ne sont que 37% en sciences exactes et naturelles et ne représentent que 26% des effectifs en sciences techniques.32 Cependant, il est intéressant de nuancer le tableau pour le domaine des formations scientifiques et techniques qui nous intéresse plus spécialement ici. En effet, il apparaît alors que, parmi les sciences exactes et naturelles, les filières largement masculines sont la physique et l'informatique, tandis que les femmes sont en majorité en biologie. Le tableau se diversifie également pour les sciences techniques, où la prédominance masculine persiste notamment dans les filières 31 Cette présentation se base en partie sur les résultats du projet « Promotion des femmes dans les formations supérieures techniques et scientifiques » mené à l'Observatoire Science, Politique et Société. Le rapport de recherche est disponible sous http://www.unil.ch/osps. 32 Source : Office fédéral de la statistique/ Système d'information universitaire suisse, Etudiants et examens finaux des hautes écoles suisses.

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du génie électrique ou mécanique, tandis que la parité des sexes est atteinte en architecture ou en agronomie. Ces données entraînent un double constat : d'abord, il n'est guère possible de parler de la situation des femmes dans les formations scientifiques et techniques en général. Du point de vue de la parité des sexes, ce sont certains domaines qui posent problèmes. Ensuite, il s'impose d'analyser la diversité des situations selon les disciplines (Gilbert et al., 2006), de s'interroger sur les mécanismes à l'oeuvre et le type de mesures à prendre pour favoriser le changement dans les domaines où les femmes restent minoritaires. Les mesures prises dans les hautes écoles universitaires Quelles sont les mesures qui ont été prises en Suisse ces dernières années pour évoluer vers la parité des sexes dans les formations scientifiques et techniques ? Au niveau national, le principal instrument mis en place est le Programme fédéral Egalité des chances entre femmes et hommes dans les universités, initié en 2000 par la Conférence Universitaire Suisse et reconduit deux fois depuis. Ce programme a joué un rôle déterminant pour la mise en place de structures et d'une politique de l'égalité des chances dans les hautes écoles universitaires suisses. Il comprend trois volets visant les objectifs suivants : Augmenter le nombre de femmes professeures Le programme prévoit des primes d'incitation pour la nomination de femmes professeures. L'objectif du programme de doubler la proportion des professeures, en la faisant passer de 7% (en 1998) à 14 % (en 2006), a été atteint sur le plan national.33 Promouvoir la relève scientifique féminine Le programme finance des projets de mentoring mis en place dans les hautes écoles universitaires suisses pour soutenir les femmes dans la poursuite de leur carrière. Dans le cadre de ce volet, certains projets axés plus particulièrement sur le domaine des mathématiques et des sciences ont également été financés.

33 En 2006, la Suisse se situait en-dessous de la moyenne de 15% de femmes professeures dans les pays de l'OCDE (European Commission, 2006). Pour 2012, l'objectif a été fixé à 25%.

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Faciliter la conciliation entre carrière académique et famille Des structures d'encadrement pour les enfants, notamment des projets de crèches, ont été financées dans toutes les hautes écoles universitaires suisses ces dernières années. Au niveau des universités plus particulièrement, différentes mesures ont été développées pour augmenter le nombre de femmes dans les formations et les carrières techniques et scientifiques. Une partie importante de ces mesures a d'ailleurs été financée par le second volet du Programme fédéral. Si l'on passe en revue les mesures prises dans les universités suisses à ce jour, il est pertinent de distinguer trois types d'activités selon leur niveau d'intervention : l'information, les espaces d'appropriation et l'instrument du mentoring. L'information Ce premier type d'intervention s'adresse aux collégiennes et lycéennes dans le but de les encourager à entreprendre des études techniques ou scientifiques. Ces initiatives cherchent à intéresser les jeunes femmes et à améliorer leur niveau d'information. Je citerai une exposition itinérante, réalisée par l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) dans les lycées, présentant des portraits de femmes ingénieures ; ou encore des journées Portes ouvertes, s'adressant exclusivement aux lycéennes, à la faculté des sciences de l'Université de Berne ainsi qu'à l'Ecole polytechnique fédérale (EPF) de Zurich. Cette démarche part de l'idée que les jeunes femmes, de par leur socialisation, n'ont pas été amenées à s'intéresser à ces domaines traditionnellement réservés aux hommes et qu'il est donc nécessaire de leur proposer des modèles féminins. Les espaces d'appropriation Certaines institutions ne se contentent plus de proposer une visite des lieux de formation, elles offrent aux étudiantes potentielles des espaces d'appropriation du domaine technique ou scientifique. Dans le cadre du projet WINS (Women in Science and Technology), la faculté des sciences de l'Université de Fribourg propose des journées-stages permettant aux lycéennes de participer activement, et en petit groupe, à une expérience scientifique dans une discipline de leur choix.34 À l’EPF de Zurich, le département d'informatique propose plusieurs fois par an une semaine de stage aux lycéennes : cela leur permet de s'initier pratiquement et théoriquement aux études d'informatique ainsi que d'établir des contacts avec des étudiantes et des assistant-e-s du département. Enfin, le bureau

34 Pour plus d'information consulter http://www.unifr.ch/wins/

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de l'égalité des chances de l'EPF de Lausanne a récemment mis sur pied un programme d'ateliers (Internet pour les filles, Maths en jeu), ainsi que des semaines scientifiques pour les filles de moins de 13 ans.35 Ce second type d'initiatives privilégie l'acquisition d'expérience pratique et l'interaction personnelle avec des professionnel-le-s du domaine, et ceci dans un cadre monoéducatif.36 Deux hypothèses sous-tendent cette démarche : les filles n'ont pas eu l'occasion de développer un intérêt pratique pour la technique au cours de leur socialisation ; de plus, ce domaine étant fortement dominé par les hommes, un contexte monoéducatif en favorise l'appropriation par les jeunes femmes. L'instrument du mentoring Un troisième type d'intervention, le mentoring, vise à créer des structures de soutien pour les femmes qui s'engagent dans les formations et les carrières scientifiques et techniques. D’une part, cet instrument a été utilisé pour la promotion de la relève scientifique. Les EPF ont mis sur pied notamment un programme de soutien à la carrière appelé Fix the leaky pipeline.37 L'EPF de Zurich participe également à un programme international de développement de carrière Tandemplus, financé par l'Union Européenne.38 Ces programmes intègrent le mentoring, la formation et la mise en réseau des participantes.39 D'autre part, l'instrument du mentoring a été utilisé pour attirer et retenir plus d'étudiantes dans les disciplines très masculines. Citons l'exemple d'un projet mis sur pied à l'Université de Bâle dans le but de promouvoir les femmes en physique. Ce projet a permis de mettre en réseau des lycéennes intéressées et des physiciennes, mais n'a malheureusement pas été reconduit par l'université. Le mentoring est un système de soutien pour les femmes face aux difficultés qu'elles peuvent rencontrer dans le contexte institutionnel actuel. Cet instrument prend en compte l'élément structurel de discrimination qui touche les femmes, cependant, le contexte institutionnel même n'est pas remis en cause par cette mesure.

35 Pour plus d'information consulter http://egalite.epfl.ch/ 36 Le terme de monoéducation s'oppose à celui de coéducation ou mixité et désigne un espace de formation réservé à l'un ou l'autre sexe. 37 « Réparer le tuyau qui fuit ». Pour plus d'information consulter http://www.fix-the-leaky-pipeline.ch/ 38 Pour plus d'information consulter http ://www.idealeague.org/tandemplus 39 Le manuel de mentoring du réseau européen Eument-Net (Eument-Net, 2008) peut être téléchargé sous http://eument-net.gendercampus.ch/Documents/eumentnetManualWeb.pdf

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Un bilan intermédiaire Toutes ces actions témoignent d'une sensibilité accrue des milieux concernés pour la problématique de la parité en sciences et techniques. Plus généralement, elles s'inscrivent parmi les efforts déployés dans beaucoup de pays européens pour attirer plus de jeunes, femmes et hommes, dans ces formations. S'il est difficile de mesurer l'impact de ces interventions à ce jour, il est cependant possible d'en faire une analyse en partant d'un point de vue « genre ». À cet effet, je vais esquisser brièvement deux approches de la problématique, l'approche libérale et l'approche constructiviste. L'approche libérale Les trois types d'intervention esquissés plus haut visent à améliorer l'accès des femmes aux formations et carrières scientifiques et techniques. Les conceptions qui sous-tendent implicitement ces interventions identifient le déficit à combler du côté des femmes (un manque d'information, un déficit pratique ou encore un manque de soutien). Il s'agit ici de stratégies compensatoires. Les contextes institutionnels, par contre, sont considérés comme objectifs ou neutres et ne font pas l'objet de réflexion ni d'intervention. Cependant, comme Flis Henwood l'a montré pour la Grande-Bretagne, cette approche libérale reste très limitée dans la compréhension des mécanismes qui continuent à reproduire la ségrégation horizontale des domaines selon le sexe (Henwood, 1996).40 L'approche constructiviste Cette approche, développée ces dernières années dans le cadre des études des sciences et des techniques (STS), met l'accent sur le fait que les sciences et les techniques mêmes sont loin d'être neutres, au contraire, elles sont associées à la construction du féminin ou du masculin (Chabaud-Rychter & Gardey, 2002). Les questions qui se posent alors sont les suivantes : Pourquoi certaines sciences ou techniques sont-elles associées au masculin et d'autres non ? Comment le rapport à la technologie intervient-il dans la définition des identités de genre ? L'approche constructiviste part de l'idée que le genre et les techniques se constituent mutuellement (Wajcman, 2002). Dans cette optique, pour prendre un exemple, si la construction du masculin est intimement liée à la compétence technique, l'affluence des femmes dans certains domaines peut être vécue comme menace à l'identité masculine. Le masculin et le féminin se constituent à

40 Henwood (1996) se réfère à la campagne Women into Science and Engineering menée en Grande-Bretagne dès 1984 et analyse le succès limité de ces actions.

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travers le rapport de genre, il n'est donc pas possible de transformer un pôle de ce rapport sans modifier l'autre. Si l'on adopte une approche constructiviste pour réfléchir à la question de la parité dans les sciences et les techniques, le problème n'est plus si simple, il ne s'agit plus seulement de motiver les jeunes femmes à entreprendre des études techniques ou scientifiques. Mais il s'agit également de prendre en compte les institutions de formations. Dans ce cadre, le champ des interventions possibles s'élargit nettement. Vers une politique institutionnelle de l'égalité Dans la dernière partie de cette contribution, je vais donc esquisser deux axes d'interventions visant à transformer les contextes institutionnels et pédagogiques pour accéder à la parité dans les sciences et les techniques : la politique du gender mainstreaming41 et la réforme de l'enseignement scientifique et technique dans les hautes écoles (Gilbert, 2005). Le gender mainstreaming Le premier axe d'intervention vise à intégrer la politique du gender mainstreaming, principe adopté par la Commission Européenne (European Commission, 2000), dans la gestion des institutions de formation. Dans le cadre de cette politique, les hautes écoles sont amenées à définir des objectifs chiffrés d'égalité et, surtout, à intégrer le contrôle de ces objectifs dans leurs procédures d'assurance qualité. Pour atteindre ces objectifs, les institutions doivent développer des mesures adéquates à différents niveaux et les financer à long terme (par exemple systématiser les programmes de mentoring). Cela suppose, bien sûr, un engagement pour la parité au plus haut niveau politique et institutionnel. Un tel engagement entraîne un processus de réflexion et donc de changement de culture dans les institutions. La réforme de l'enseignement Le deuxième axe d'une politique institutionnelle de l'égalité concerne la réforme de l'enseignement technique et scientifique dans le but de rendre ces filières plus attractives pour tous. Des études et des projets pilotes menés dans différents pays convergent pour souligner l'importance des aspects suivants pour renouveler l'enseignement des sciences et des techniques :

41 « intégration du genre »

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- intégrer des approches interdisciplinaires dans les plans d’études, - créer des espaces de réflexivité de la pratique scientifique et technique,

par exemple des cours d'histoire, de sociologie et d'épistémologie des sciences,

- favoriser des formes d'enseignement interactives, - diversifier les compétences à acquérir dans les formations techniques

et scientifiques, par exemple en intégrant des compétences de communication et le travail en équipe,

- sensibiliser le personnel enseignant à la problématique de genre. En visant la transformation des contextes institutionnels et pédagogiques, ce type d'actions, qui n'a pu être que brièvement esquissé ici, va plus loin que les mesures qui s'adressent en premier lieu aux femmes. La nécessité d'une politique institutionnelle de l'égalité commence à être reconnue, en Suisse comme dans l'Union européenne, mais elle se heurte encore à beaucoup de résistances. Toutefois, la concurrence accrue au niveau international et les problèmes de relève que rencontrent les pays européens dans les formations techniques et scientifiques pourraient les inciter à innover dans ce domaine.

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Bibliographie Chabaud-Rychter, D. & Gardey, D. (2002), "La neutralité des techniques à l'épreuve de la critique", in Chabaud-Rychter, D. & Gardey, D. (Eds.), L'engendrement des choses. Des hommes, des femmes et des techniques, Paris : Archives Contemporaines, 9-48. European Commission (2000), Science policies in European Union. Promoting excellence through mainstreaming gender equality.42, Brussels, Research Directorate-General. European Commission (2006), She Figures 2006. Women and Science Statistics and Indicators, 43 Brussels, Directorate-General for Research. Gilbert, A.-F. (2005), "Formations techniques et scientifiques: de la promotion des femmes à une politique institutionnelle de l'égalité?" Nouvelles Questions Féministes, 24 (1), 106-113. Gilbert, A.-F., Crettaz Von Roten, F. & Alvarez, E. (2006), "Le poids des cultures disciplinaires sur le choix d'une formation supérieure technique ou scientifique: une perspective genre", Revue suisse de sociologie, 32 (1), 121-141. Henwood, F. (1996), "WISE Choices? Understanding Occupational Decision-Making in a Climate of Equal Opportunities for Women in Science and Technology", Gender and Education, 8 (2), 199-214. Wajcman, J. (2002), "La construction mutuelle des techniques et du genre. L'état des recherches en sociologie", in Chabaud-Rychter, D. & Gardey, D. (Eds.), L'engendrement des choses. Des hommes, des femmes et des techniques, Paris : Archives Contemporaines, 51-70.

42 Version en français : « Politiques scientifiques dans l’Union européenne. Intégrer la dimension du genre, un facteur d’excellence » : rapport dit « rapport ETAN », cité dans la contribution de Claudine Hermann, lien internet en note 27 43 « Statistiques sur les femmes 2006. Statistiques et indicateurs sur les femmes et les sciences », lien internet en note 20.

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Questions de la salle Dans le public : Quel est le montant de la prime accordée pour augmenter le nombre de femmes professeures ? Anne-Françoise Gilbert : Le programme fédéral Égalité des chances dispose d'un budget total de 16 millions de francs suisses sur 4 ans. Le module consacré à l'incitation à recruter des femmes professeures est doté de 3,2 millions, soit 800.000 francs par an. Cette somme est divisée par le nombre de femmes professeures recrutées dans les universités suisses sur une année, la prime varie donc d'une année à l'autre. Pour vous donner un exemple, l'Université de Genève se trouvait en tête du classement avec 11 nominations de professeures pour l'année 2007/2008 et percevait une somme de 240.000 francs. Les universités sont libres quant à l'utilisation de ces fonds. En général, ils sont réinvestis dans des projets pour promouvoir l'égalité. Mathilde Dubesset : Je suis historienne à l'Institut d'Études Politiques (IEP) de Grenoble. Nous avons des étudiantes qui étaient d'excellentes élèves en lycée, ont un bagage scientifique et ont choisi de faire les sciences politiques parce qu'elles voulaient pouvoir réfléchir sur d’autres sujets importants. Elles regrettent de ne plus faire de sciences, mais elles apprécient la formation interdisciplinaire à l'IEP. Il y là un vrai problème, car les filles, plus que les garçons semble-t-il, souffrent d'une formation scientifique uniquement en sciences dites « dures », sans un minimum d'éléments de réflexion à caractère historique ou philosophique. L'université française ne devrait-elle pas prendre en compte cette exigence des filles à avoir un spectre plus large tout en étant intéressées par le champ scientifique ? Anne-Françoise Gilbert : En effet, il me semble important d'intégrer des possibilités de réflexion historique, sociologique et philosophique dans les cursus scientifiques et techniques. Mais il ne s'agit pas uniquement d'ajouter des cours de sciences humaines et sociales à l'enseignement des sciences, chose qui se fait en Suisse44. Il s'agit également de mener une réflexion sur la pratique des disciplines scientifiques et techniques : d'une part, dans le but de déconstruire, jusqu'à un certain point, le modèle du génie masculin, du chercheur ; d'autre part, dans le but d'établir des passerelles entre les sciences dites « dures » et une approche relevant des sciences sociales. Cet élément de réflexivité ouvre un espace qui permet à des personnes venant d'horizons différents, pas seulement aux femmes, mais à une diversité dans un sens plus large, de se situer par rapport aux sciences, de s'approprier le domaine scientifique.

44 En Suisse, les Écoles polytechniques fédérales proposent un programme d'enseignement en sciences humaines et sociales qui est partie intégrante de la formation de tous les étudiants.

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Sara Brachet démographe, Institut National d’Études Démographiques, Paris [email protected]

Parcours des femmes dans les sciences : l’expérience suédoise

En 1995, l’ONU désignait la Suède comme le « pays le plus égalitaire au monde » (Persson et Wadensjö 2000). Une parité politique presque parfaite et des inégalités de tout genre bien moindres qu’ailleurs justifient cette première place au niveau international, même si, au niveau national, beaucoup reste à faire. La volonté et les efforts pour promouvoir l’égalité entre hommes et femmes dans tous les domaines de la vie ne manquent pas. Comme le souligne Anne-Marie Daune-Richard (2001, p. 162), la Suède se distingue par « la place que tient, depuis plusieurs décennies, l’égalité des sexes dans le débat social et politique ». Si certains indicateurs liés à l’activité professionnelle des femmes illustrent une situation tout à fait enviable pour la plupart des pays européens, les chiffres relatifs à la place et aux parcours des femmes suédoises dans les sciences reflètent une tout autre réalité. Afin de mieux cerner les spécificités suédoises nous proposons dans un premier temps un bref descriptif de la politique d’égalité des sexes, puis, dans un deuxième temps, nous évoquerons rapidement la situation générale des femmes et des hommes sur le marché du travail. Nous terminerons ensuite par une analyse des parcours scientifiques des femmes en proposant quelques éléments explicatifs. Une politique d’égalité ambitieuse En Suède, une politique d’égalité des sexes, affirmée et novatrice, se développe dès les années 1970, et se traduit entre autres par la mise en place d’un ensemble de dispositifs formant un outil efficace dans la lutte contre toutes sortes d’inégalités entre hommes et femmes. L’organisation formelle pour traiter les questions d’égalité des sexes au sein du gouvernement remonte à 1972 : le gouvernement met alors en place une délégation pour l’Egalité entre hommes et femmes. Une unité pour l’Egalité des sexes est instaurée en 1982, et à cette date apparaît aussi l’appellation de

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ministre des Questions d’égalité des sexes. Depuis lors, il y a toujours eu un ministre ou un responsable chargé des questions relatives à l’égalité des sexes, exerçant cette fonction conjointement avec d’autres responsabilités ministérielles. La première loi sur l’égalité des sexes sur le marché du travail est entrée en vigueur le 1er juillet 1980. Cette loi devait promouvoir l’égalité de droit des hommes et des femmes dans le domaine du travail, de ses conditions et de ses possibilités d’évolution. Si la formulation de la loi est neutre, il était évident qu’elle devait servir à améliorer la position des femmes sur le marché du travail (Törnell 1998). Trois moyens sont définis pour atteindre cette égalité : l’interdiction pour les employeurs de défavoriser un employé en raison de son sexe, le devoir de l’employeur d’établir un plan pour promouvoir l’égalité et la création de l’Ombudsman à l’égalité des sexes45, JämO, nommé par le gouvernement, et tenu à faire respecter la loi sur l’égalité des sexes sur le marché du travail. Le gouvernement suédois joue également un rôle central dans la recherche scientifique sur les questions d’égalité des sexes, en tant que commanditaire et financeur des Commissions d’enquête. Effectivement, dans la vie politique suédoise, ces Commissions de spécialistes constituent un outil de prédilection ; lorsque le gouvernement doit trancher sur une question, il nomme une Commission qui réalise une enquête publique. Le gouvernement formule les directives à suivre pour la Commission, qui travaille ensuite de façon autonome, la plupart du temps en recourant aux chercheurs extérieurs. Chaque année plus d’une centaine de rapports de Commissions (dans la série SOU46) sont ainsi publiés, par autant de Commissions de spécialistes, dans tous les domaines de la vie politique. Depuis les années 1970, un grand nombre de ces Commissions a eu pour tâche d’enquêter sur les questions relatives à l’égalité des sexes. Par exemple, deux grandes Commissions ont été constituées dans les années 1980. La première concerne la représentation des femmes dans les directions du service public. Cette enquête (SOU 1987, 19) a mis en évidence non seulement la réalité statistique, c’est-à-dire une flagrante sous-représentation des femmes dans les diverses directions du secteur public, mais aussi la nécessité de rompre avec la politique d’égalité des sexes « traditionnelle », qui, selon Gertrude Åström (1998), consistait à traiter les questions d’égalité des sexes à part, séparément des autres thèmes politiques, et d’une façon beaucoup trop générale. La deuxième Commission, appelée L’enquête sur les ressources et le pouvoir (SOU 1990 : 44) a contribué à élargir les domaines d’application d’une approche 45 On rencontre souvent la traduction française « l’Ombudsman à l’égalité des chances ». Nous avons opté pour une traduction plus fidèle du terme jämställdhet (= égalité des sexes), qui a l’avantage de faire la distinction entre « égalité de classes » et « égalité des sexes ». 46 SOU (Statens Offentliga Utredningar, « Enquêtes publiques de l’Etat »).

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de genre, notamment dans les débats. Après avoir été un sujet spécifique pour la recherche, les questions de genre font désormais partie intégrante du débat sur la démocratie et le pouvoir. Le système entre les sexes est appréhendé comme un système de pouvoir, et le concept système de genre apparaît pour la première fois dans ce rapport (Hirdman 1990). Une troisième Commission publique, d’une envergure exceptionnelle, est nommée en 1994, sur le thème de la répartition du pouvoir (non politique) et des ressources économiques entre hommes et femmes. Le travail qui commence en 1995 mobilise une centaine de chercheurs et aboutit à la publication de 13 rapports entre 1997 et 199847. En 1994 le gouvernement (de droite) rend publique sa proposition sur le travail politique en faveur de l’égalité, intitulée Pouvoir partagé, responsabilité partagée (Prop 1994/94, 147), contenant les objectifs nationaux, qui sont encore valables aujourd’hui :

- une répartition équilibrée des ressources et des pouvoirs entre hommes et femmes,

- les mêmes possibilités pour les hommes et pour les femmes d’acquérir une autonomie financière,

- les mêmes conditions et les mêmes possibilités pour les hommes et les femmes sur le marché du travail,

- le même accès à l’éducation, les mêmes possibilités de développer ses aspirations, ses centres d’intérêts et ses talents,

- les mêmes responsabilités pour les hommes et pour les femmes dans le domaine des charges domestiques et parentales,

- la lutte contre toute forme de violence sexuée. Ce plan de travail en faveur de l’égalité des sexes est réaffirmé par le gouvernement chaque année. Au niveau central trois mesures spécifiques ont été prises pour intégrer l’aspect genre dans tous les domaines de la politique : premièrement, toutes les statistiques officielles doivent être présentées avec la variable sexe. Ensuite, tous les ministres, attachés de presse, conseillers politiques et hauts fonctionnaires doivent suivre des stages d’égalité des sexes. Et finalement, toutes les commissions d’enquête officielles doivent inclure l’approche de genre dans leurs travaux, en mesurant l’impact des propositions de lois sur les hommes et sur les femmes (Institut Suédois 2000). Peu de pays sont aussi soucieux de promouvoir l’égalité des sexes que la Suède. Or, en dépit des ambitions politiques et des nombreux dispositifs légaux pour favoriser l’égalité, des inégalités flagrantes persistent. L’égalité formelle, obtenue grâce à une législation égalitaire, bien que nécessaire, s’est révélée

47 Certains de ces rapports sont publiés, sous forme d’articles, dans Les Cahiers du Genre, « Suède : l’égalité des sexes en question », n° 27, L’Harmattan, 2000.

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insuffisante. Comme le dit le ministre de l’égalité des sexes de 1993 à 1994, Bengt Westerberg, « On est aussi gouverné par des lois informelles, qu’il faut comprendre pour atteindre l’égalité réelle ». (Westerberg 1998, p. 27). Le monde du travail L’image quelque peu idéalisée dont jouit la Suède, tout au moins de la part d’un public international, est souvent appuyée sur des taux d’activité féminine élevés, comparables à celui des hommes, sur le plus faible écart de salaires entre hommes et femmes et sur la parité politique presque parfaite. Ces trois aspects de l’égalité entre les sexes sont effectivement presque atteints : le taux d’activité des femmes âgées de 20 à 64 ans s’élève en 2007 à 81%, celui des hommes à 87%, le salaire moyen féminin en pourcentage du salaire masculin est de l’ordre de 92% et les femmes représentent 48% des députés en 2008 (SCB 2008). Toutefois des taux d’activité professionnelle similaires entre hommes et femmes cachent d’autres inégalités. Malgré la volonté politique et des réformes ambitieuses dans ce domaine, comme la loi sur l’égalité des sexes dans la vie professionnelle, le marché de l’emploi reste un exemple d’inégalités. Effectivement, le monde du travail en Suède est caractérisé par la concentration des femmes dans des professions dites « féminines ». Le cloisonnement entre emplois féminins et masculins n’a pas été atténué par l’augmentation des taux d’activité des femmes. Ainsi, les femmes, en 2007, sont aussi nombreuses dans le secteur privé (50%) que dans le secteur public, alors que les hommes sont nettement plus nombreux à travailler dans le secteur privé (81%). L’augmentation de la proportion des femmes dans le secteur privé s’explique par la privatisation de grandes entreprises publiques dans les années 1990, mais aussi par des réductions de personnel qu’a subies le secteur public durant les années 1990. Plus précisément, 31% des femmes travaillent dans le domaine hospitalier, des soins aux enfants, aux personnes âgées ou autres personnes dépendantes, contre 6% des hommes. Un autre chiffre significatif de cette ségrégation est que les 10 métiers les plus fréquents de 20 à 64 ans regroupent 42% des femmes, tandis que seulement 37% des hommes exercent un de ces métiers. Sur les 30 métiers les plus fréquents, on trouve 56% des femmes contre 36% des hommes (SCB 2008). La ségrégation verticale est également assez marquée. Les positions de chefs sont, dans l’ensemble des secteurs et pour l’année 2006, exercées à 71% par des hommes. Les femmes chefs sont majoritaires dans les communes, où elles représentent 62% des chefs, tandis que dans le privé seulement 23% de ces postes sont occupés par des femmes (SCB 2008). Une Commission d’enquête montre que la domination masculine dans les postes à responsabilités est particulièrement forte dans les grandes entreprises privées. Globalement, cette

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ségrégation verticale tend à s’atténuer ailleurs ; les femmes accèdent petit à petit à des postes de responsabilité (SOU 2003, 16). Ainsi, avec 48 % des femmes parlementaires et 10 ministres femmes sur 21, la parité politique presque parfaite est encore loin d’avoir son équivalent dans le monde du travail. Le monde universitaire Pour comprendre les parcours féminins dans la science, il faut s’interroger sur le système scolaire, sur l’enseignement supérieur et sur le cursus qui mène jusqu’à la recherche, c’est-à-dire les études doctorales puis l’insertion professionnelle qui s’ensuit. D’un point de vue général, la proportion d’individus en Suède ayant fait des études supérieures est élevée : en 2007 et chez les 25 à 44 ans, 49% des femmes ont un niveau d’études supérieures et 38% des hommes. Tout comme en France et dans la plupart des pays européens, les suédoises réussissent mieux à l’école que leurs homologues masculins et sont plus nombreuses à étudier à l’université. Elles représentent effectivement plus de la moitié (57%) des effectifs inscrits dans des filières universitaires de bases (équivalent Licence et Master), et ce, depuis maintenant plus de 30 ans. Parmi les diplômés de l’enseignement supérieur en 2006/2007, 66% sont des femmes et 34% des hommes (SCB 2008). Il faut ici mentionner que certains métiers à dominance féminine, comme infirmière et professeur des écoles, requièrent une formation intégrée dans l’enseignement supérieur, ce qui, en partie, explique que les femmes soient majoritaires à l’université. On vient de voir le cloisonnement dans le monde du travail entre métiers féminins et métiers masculins. Comme on peut s’en douter, il en est de même à l’université : les femmes et les hommes étudiants ne choisissent pas les mêmes études. Voici la répartition par sexe, selon les diplômes universitaires délivrés en 2007 :

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Répartition par sexe dans les différentes discipines

84

80

78

76

64

62

26

16

20

22

24

36

38

74

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%

Santé et soins

Enseignement

Sciences Humaines et

Théologie

Médecine

Sciences Naturelles

Droit et Sciences Sociales

Technique

Proportion de femmes

Proportion d'hommes

Source: SCB, Pa tal om kvinnor och män. En lathund om jämställdhet, 2008. Comme le montre ce graphique, l’enseignement supérieur en Suède est marqué par une forte ségrégation entre les différentes disciplines. Les femmes choisissent les filières qui mènent aux métiers typiquement féminins, dans la santé, les soins et l’enseignement, ou dans les sciences humaines et sociales, tandis que les hommes dominent dans la filière technique. Plusieurs initiatives publiques ont été mises en œuvre ces dernières années pour modifier cette situation, notamment sous la forme de campagnes d’information et de sensibilisation auprès des lycéens et des conseillers d’orientation dans le secondaire. Une autre stratégie plus directe pour changer la répartition sexuée dans les différentes disciplines a consisté à modifier le contenu de certains programmes universitaires, rendant par exemple la filière technique un peu moins technique, en ajoutant des cours en sciences humaines. Or les effets de cette stratégie se sont révélés relativement limités, elle a tout au plus permis d’augmenter quelque peu le nombre de femmes candidates à ces programmes à dominance masculine (Ahlqvist 2006). Après l’obtention du diplôme de base (équivalent au master français), l’étape suivante qui mène vers la recherche est de poursuivre une formation doctorale. A cette étape, les femmes ne sont plus majoritaires. Elles représentent 49% des

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nouveaux doctorants inscrits en 2007. Et parmi les nouveaux docteurs, c’est-à-dire les doctorants ayant terminé et soutenu leur thèse, 48% sont des femmes. Ceci signifie qu’elles sont moins nombreuses que les hommes à poursuivre les études supérieures, quel que soit le niveau. On a vu que beaucoup de femmes choisissent l’enseignement. L’école est donc un milieu très féminin : à l’école primaire, 75% des enseignants sont des femmes. Puis, au niveau secondaire (lycée) la répartition par sexe des enseignants s’équilibre, avec 50% des femmes. Par contre, à l’université, seulement 18% des professeurs sont des femmes ! Ce phénomène est d’autant plus paradoxal que les femmes sont majoritaires à l’université depuis plus de trente ans. Quelques éléments d’interprétation L’égalité des sexes peut être définie de manière quantitative, signifiant alors la répartition équilibrée entre hommes et femmes dans tous les domaines de la vie (formation, métier, loisirs et position de pouvoir). Si par exemple un métier compte plus de 60% des femmes, on parle de dominance féminine. L’égalité qualitative signifie que les connaissances, les expériences et les valeurs des femmes et des hommes sont mobilisées et enrichissent le développement et l’évolution dans tous les domaines. Cette question d’égalité des sexes n’est donc pas seulement pertinente d’un point de vue d’équité. Comme le souligne Joakim Palme (2006) le fait que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à faire des études supérieures, sans pour autant atteindre les positions les plus élevées dans la société dans les mêmes proportions, signifie que l’on ne mobilise pas toutes les compétences et que l’on ne bénéficie pas des apports des personnes les plus qualifiées dans tous les domaines, ce qui, bien entendu, est préjudiciable à la science. Les quelques données présentées ci-dessus nous montrent qu’une présence féminine numérique importante à l’université ne conduit pas automatiquement à l’égalité au sommet de l’institution universitaire. Etant donné que les hommes dominent encore les positions les plus élevées dans la hiérarchie universitaire, on est en droit de se demander pourquoi. Y aurait-il de la discrimination au sein de l’université ? Ou bien quels sont les mécanismes qui contribuent à maintenir les femmes diplômées à l’écart ? La sociologue Liisa Husu (2006) s’est interrogée sur la structure universitaire elle-même et sur les obstacles que rencontrent les femmes dans leur parcours. Elle constate que les instances qui financent les projets de recherche et qui recrutent sont dominées par des hommes. Ses recherches montrent que les

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hommes ont tendance à favoriser les hommes. Pour les femmes ayant obtenu le grade de docteur, ce qui se passe est alors que rien ne se passe, en quelque sorte : dans ce monde masculin, elles sont moins lues, moins souvent citées, moins souvent invitées aux séminaires et aux colloques que leurs homologues masculins. Liisa Husu parle d’un « trou noir » après la soutenance, spécifique aux femmes (Husu 2006). Par ailleurs, l’obtention d’un poste dans la recherche passe par diverses étapes, notamment par des contrats à durée déterminée, des remplacements, etc., qui sont souvent attribués sans annonce officielle, au sein d’un groupe d’hommes. De la même façon, des profils de poste informels peuvent coexister avec un profil officiel plus neutre. Le manque d’objectivité et de transparence dans le recrutement défavorise les femmes. Une autre façon, plus générale, d’interpréter les inégalités qui persistent, voire les discriminations à l’encontre des femmes qui choisissent un parcours scientifique, pourrait être de les relier à la répartition du travail domestique, majoritairement assumé par les femmes. Effectivement, les femmes sont en moyenne plus âgées que les hommes au moment de la soutenance (du fait qu’elles sont plus nombreuses dans les filières des sciences humaines et sociales où les étudiants sont en moyenne plus âgés qu’en technique par exemple), ce qui fait que cette époque coïncide souvent avec la formation de la famille. L’arrivée d’un enfant en Suède signifie effectivement recours au congé parental pour une durée minimum d’un an (les structures d’accueil n’offrent pas de place aux enfants de moins d’un an) et ce congé parental continue à être très majoritairement utilisé par les femmes. Elles connaissent donc de longues interruptions de carrière, à chaque naissance, souvent suivies d’une réduction de temps de travail (Brachet 2007). Pour conclure, contrairement à ce que l’on pourrait attendre, la Suède ne se distingue pas des autres pays européens en ce qui concerne la position des femmes dans le monde scientifique. Et dans ce monde, exclusivement masculin pendant des siècles, il n’est pas facile de changer les structures. La discrimination implicite ne peut être atteinte à travers la législation. Ceci ne signifie pas que la situation ne peut pas changer, et d’ailleurs, l’évolution est effectivement positive depuis quelques décennies. Mais, pour un changement de fond, des recherches supplémentaires sur les mécanismes structurels inhérents au système universitaire semblent nécessaires.

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Bibliographie Ahlqvist Therese, « Kalla fakta om högskolan », in Framtidsfokus, Kvinnor, vetenskap, karriär, Institutet för Framtidsstudier, 2006.

Astrom Gertrude 1998, Kommuner med känsla för jämställdhet, in Baude Annika et al. (coord), Genus i pratiken – pa hans eller hennes villkor ? Jämställdhetsarbetares förening.

Brachet Sara, « Les résistances des hommes à la double émancipation : pratiques autour du congé parental », Sociétés Contemporaines, n° 65, 2007.

Daune-Richard Anne-Marie, 2001. – Travail et égalité des sexes : à propos de l’expérience suédoise, Cahiers du Genre, n° 27.

Hirdman Yvonne 1990, « Genussystemet », in SOU 1990 : 44, Demokrati och makt i Sverige, Stockholm, Maktutredningens huvudrapport, Allmänna Förlaget.

Husu Liisa, « Europa behöver fler kvinnliga forskare », in Framtidsfokus, Kvinnor, vetenskap, karriär, Institutet för Framtidsstudier, 2006.

Institut Suédois 2000b, « L’égalité entre femmes et hommes », Feuillet de documentation sur la Suède.

Person Inga, Wadensjö Eskil 2000, « A la recherche de l’égalité. Disparité salariale et division sexuelle du travail en Suède », Cahiers du Genre n° 27, Suède : l’égalité des sexes en question, p. 69-94.

Proposition 1993/1994 : 147, Delad makt delat ansvar.

SCB, Pa tal om kvinnor och män. En lathund om jämställdhet, 2008.

SOU 1987 : 19, Varannan damernas ; Slutbetänkande fran utredningen av kvinnorepresentation, Stockholm, Allmänna förlaget.

SOU 1990 : 44, Demokrati och makt i Sverige. Maktutredningens huvudrapport, Allmänna Förlaget, Stockholm.

SOU 2003 : 16, Ty makten är din…

Törnell Inga-Britt 1998, « Att arbeta för jämställdhet », in BAUDE Annika et al. (éd.), Genus i pratiken – pa hans eller hennes villkor ? Jämställdhetsarbetares förening.

Westerberg Bengt 1998, « Informell makt bromsar jämställdhetsarbete », in Baude Annika et al. (éd.), Genus i pratiken – pa hans eller hennes villkor ? Jämställdhetsarbetares förening.

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Questions de la salle Claudine Hermann : Un scandale avait éclaté en Suède, dans le milieu des années 1990, quand il s’était avéré que deux chercheures suédoises biologistes n’avaient pas reçu la bourse à laquelle elles pouvaient prétendre. Elles avaient pu accéder aux dossiers de leurs concurrents et avaient constaté que les hommes recrutés avaient 2,6 fois moins de publications qu’elles, toutes choses égales par ailleurs. Suite à cela, le ménage a été fait. Quel commentaire vous suggère cet événement ? Sara Brachet : La transparence est totale dans tous les domaines, en particulier pour les personnalités politiques, mais il reste beaucoup à faire, notamment à l’université où les procédures sont moins transparentes qu’ailleurs. L’obtention de la transparence est indispensable pour résoudre les problèmes, sans quoi la commission d’enquête ne peut pas faire son travail. La volonté politique existe en Suède, mais elle ne peut pas tout atteindre. Colette Guillopé : Que signifie : « la discrimination implicite ne peut pas être réglée par la législation »? Sara Brachet : Depuis 1970, l’obligation de la parité hommes-femmes à tous les niveaux n’empêche pas l’apparition d’une discrimination implicite. Celle-ci est très difficile à contrer par la législation. Dans la salle : La législation suédoise permet-elle le congé parental ? Sara Brachet : Oui. Le congé parental n’est pas obligatoire dans la loi, mais il l’est dans les faits, car aucune crèche et aucune nounou n’accepte un enfant de moins d’un an. Dans la société suédoise, il est inconcevable de mettre son nourrisson en garde. En pratique, la mère suédoise prend un congé parental d’au moins 12 mois, en moyenne 18 mois. Les hommes prennent 1 ou 2 mois, c’est-à-dire 20% de la durée du congé parental. Toutes les femmes et 60% des hommes ont recours à ce congé, lequel est rémunéré à 80% du salaire. Mathilde Dubesset : On observe actuellement un effet de génération en France, au moins en histoire et en sciences humaines : nos jeunes collègues arrivent à devenir professeures en s’étant plus vite adaptées au système que nous. Elles se mobilisent entre 20 à 35 ans pour faire carrière, en utilisant leurs réseaux de connaissances, ce que nous ne savions pas ou n’osions pas faire. On peut s’interroger sur leur comportement et leurs stratégies pour leurs promotions et leurs carrières.

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Claudine Kahane : Faut-il souhaiter qu’un plus grand nombre de femmes accèdent à tous les métiers dans les conditions de travail actuelles, imposées par les hommes (longues journées, réunions en fin de journée, etc.) ou plutôt que les conditions de travail deviennent compatibles avec la vie familiale, ce qui profiterait aussi aux hommes ? Sara Brachet : Je m’étonne qu’un homme ne trouve pas préjudiciable de retarder le retour d’une femme chez elle. En Suède, les travaux domestiques et la garde des enfants sont bien partagés entre père et mère. Les conditions du travail professionnel, pour les hommes comme pour les femmes, sont en général bien adaptées à la vie familiale. C’est une grosse différence entre la France et la Suède. La journée de travail finit en général à 16 h 30 pour tout le monde. Il est mal vu de retarder le départ du personnel par une réunion le soir. Monique Lezziero : Ma spécialité est l’expertise en genre. En France, nombre de secteurs de l’activité économique sont déséquilibrés en genre dans un sens ou dans l’autre. C’est pourquoi il y a quelques années, une campagne avait été menée sur le thème « C’est technique, c’est pour elle ! ». Lors du bilan, on s’était aperçu que la campagne aurait gagné en efficacité si elle avait assuré un rééquilibrage en adjoignant un second slogan : « Les métiers de l’éducation et des soins, c’est pour lui ! ». Qu’en pensez-vous ? Sara Brachet : En Suède les femmes accèdent à un nombre de plus en plus grand de métiers. Il est difficile d’attirer les hommes vers des métiers dits « féminins ». Les garçons restent limités dans leurs choix. Par exemple, en France comme en Suède, il est plus facile d’attirer une petite fille vers le judo qu’un petit garçon vers la danse.

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GLOSSAIRE

ADES : accès des bacheliers dans l’enseignement supérieur (enquête des services académiques d’information et d’orientation des académies de Grenoble et Lyon) APMST : Association pour la promotion des métiers scientifiques et techniques BPCST : classe préparatoire aux grandes écoles, de type biologie, physique, chimie et sciences de la Terre BTS : brevet de technicien supérieur CCSTI : centre de culture scientifique, technique et industrielle CEA : Commissariat à l’énergie atomique CERN : Centre européen pour la recherche nucléaire CIO : centre d’information et d’orientation CNRS : Centre national de la recherche scientifique CPGE : classe préparatoire aux grandes écoles CRDP : centre régional de documentation pédagogique DEA : diplôme d’études approfondies DG : direction générale DUT : diplôme universitaire de technologie ENS : Ecole normale supérieure ENSIMAG : Ecole nationale supérieure d’informatique et de mathématiques appliquées de Grenoble EPF : Ecole polytechnique fédérale EPFL : Ecole polytechnique fédérale de Lausanne ES : filière sciences économiques et sociales ESRF : European Synchrotron Research Facility (installation européenne de rayonnement synchrotron, Grenoble) HEC : Ecole des hautes études commerciales IEP : Institut d’études politiques ILL : Institut Laue - Langevin INRIA : Institut national de la recherche en informatique et en automatique IUFM : institut universitaire de formation des maîtres IUT : institut universitaire de technologie L : lettres L1, L2, L3 : respectivement première, deuxième et troisième année de licence dans le cadre de la réforme LMD LMD (licence, master, doctorat) : réforme des études universitaires en Europe mise en place à partir de 2002 LOLF : loi organique relative aux lois de finances M1 : master 1ère année

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M2 : master 2ème année OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques R&D : recherche et développement S : filière sciences S-SI : filière sciences, option sciences de l’ingénieur S-SVT : filière sciences, option sciences de la vie et de la Terre SAIO : service académique d’information et d’orientation STAPS : sciences et techniques des activités physiques et sportives ST2S : sciences et technologies de la santé et du social STG : sciences et technologies de gestion STI : sciences et technologies industrielles STL : sciences et technologies de laboratoire SVT : sciences de la vie et de la Terre TIPE : travaux d’initiative personnelle encadrés (en classes préparatoires) TPE : travaux personnels encadrés (au lycée) UdPPC : Union des professeurs de physique et de chimie

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Conception graphique de la couverture : CNRS Alpes - service communication

et Philippe Caillol, www.kerozen-concept.com

Crédit photo couverture : ESSON, Université Joseph Fourier, Grenoble

Impression : Montparnasse Expression, 116 rue de Vaugirard, 75006 Paris