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Fin du peuple juif

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C O L L E C T I O N I D É E S

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Georges Friedmann

Fin du peuple j u i f ?

Gallimard

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Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays, y compris l' U. R. S. S.

© 1965, Éditions Gallimard.

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PRÉFACE

Ce petit livre, né de deux séjours en Israël au cours des années 1963 et 1964, est une réflexion sur l' expérience israélienne et, à travers elle, sur le passé, le présent et l'avenir des juifs : effort d'observation et aussi, par la nature du sujet, témoignage, prise de position à l'égard du judaïsme qui m'engage tout entier. Dans ces condi- tions, il faut d'abord situer cet essai sur un fond de décor personnel, expliquer brièvement comment et pourquoi il a été écrit.

En octobre 1940, je reçus un premier choc en décou- vrant l' importance bouleversante que pouvait avoir pour moi le fait d'être étiqueté juif. J'ai conservé le papier, à en-tête du secrétariat à i'Instruction publique de Vichy, m'informant que je relevais désormais de lois particulières. A moins, me suggérait-on, d'implorer la grâce d'un trai- tement de faveur, je ne pouvais continuer d'exercer mon métier de professeur.

J'avais été jusque-là un de ceux que les fidèles du judaïsme appellent juifs « marginaux » ou « périphériques ». Né à Paris dans une famille détachée des observances traditionnelles., où les mariages « mixtes » ne faisaient point problème, profondément intégré à la France, à ses styles de vie, à sa culture, à un milieu d'amis, de collègues où personne ne me posait de questions sur mes origines « ethniques » ou mes croyances religieuses, je n'avais

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jamais, bien que désigné comme juif par mon nom, souf- fert de l'antisémitisme, je ne m'étais jamais senti, même à l'école, discriminé dans la société française. Je n'avais jamais assisté à un office synagogal et, je crois bien, jamais rencontré un rabbin. Plusieurs séjours en Pologne entre 1932 et 1939 me révélèrent, à l' intérieur et hors des ghettos, des formes virulentes d'antisémitisme. Elles me révoltaient, mais pas davantage ni autrement que les sévices du Ku-Klux-Klan dans l'Alabama. Les révolu- tions prolétariennes, pensais-je alors (et mes voyages en U. R. S. S. me le laissaient encore espérer), résoudraient partout la « question juive ». Les juifs en lévites, barbes et papillotes, bardés de rites alimentaires et d'interdits religieux, me paraissaient si différents de « nous », juifs assimilés de France, juifs « perdus »! Les souvenirs de l'Affaire Dreyfus, dont m'avait parlé mon père, se rac- cordaient mal, dans mon esprit et dans ma sensibilité, avec l'image des foules juives à Varsovie ou à Lodz. Je ne me sentais pas en « interdépendance » avec ces hommes, ces femmes des ghettos polonais comme aujourd'hui, après de cruelles expériences et réflexions, avec la poignée de ceux d'entre eux qui ont survécu.

En octobre 1940, ce fut autre chose : chassé de ma profession, considéré comme indigne de l'exercer, mis au chômage en même temps que d'autres universitaires, membres de la communauté française avec qui je ne m'é- tais jamais senti lié en un groupe distinct, voué à un destin identique. C'était un coup à la tête, au cœur. Pen- dant quelques semaines, malgré la fraternité des amis, tout l'édifice de la personnalité vacillait, ses fondements eux-mêmes étaient ébranlés. Il fallut faire front en hâte, construire sur-le-champ des remparts neufs devant ce brutal assaut. Que signifiait-il ? Les nazis occupaient la France. Ils importaient le racisme dans mon pays à la semelle de leurs bottes. Ce n'était pas la France qui me chassait de ses écoles, qui m'outrageait : c'étaient Hitler, Gœbbels. La France n'y était pour rien. Je voulais la voir,

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je la voyais intacte, à travers mes amis (j'aimerais les nommer tous ici, les vivants et les disparus). Ne se condui- saient-ils pas avec moi comme si rien n'avait changé? Grâce à eux, grâce à mes maîtres, Lucien Febvre, Marc Bloch — symbole du Français juif qui refusa, jusqu'à en mourir, de se laisser exclure de la France —, je ne tardais pas à situer ces événements dans leur contexte historique. Je me forgeais à mon seul usage un bref slogan : civis gallicus sum, je suis un citoyen français. Je le suis et le demeurerai de plein droit, quoi qu'il arrive. N'ayant jamais caché mes origines dans une France indépendante, je me demandais, dans les ténèbres de l'hiver de 1940, ce que signifiait pour moi « être juif ». Je n'étais pas un croyant de la religion mosaïque et pas davantage un sioniste, affirmant l'existence d'une nation juive ; enfin je savais, bien sûr, que les travaux de l'anthropologie moderne avaient réduit à néant la notion d'une « race » juive.

Ces interrogations, qui m'avaient été imposées par les lois de Vichy, ne se poursuivirent pas longtemps. Dès janvier 1941, la participation à un réseau de la France libre me fit redécouvrir une communauté où toute discri- mination était balayée. Mes racines dans le terroir fran- çais se trouvaient, durant ces missions sans éclat, ren- forcées par un paradoxal effet de nos malheurs. « Gaston Fromentin » et quelques autres personnages de mêmes initiales connurent alors l'inoubliable expérience de la camaraderie côte à côte avec des hommes, des femmes venus de bien des provinces, de bien des métiers, qu 'associaierit, par-delà leurs différences, la volonté et l'espoir. Je leur dois, à travers les « années noires », quelques-unes des révé- lations les plus exaltantes de mon existence : noblesse, charité vraie, fraternité.

En somme, la France résistante me prouvait la validité du civis gallicus sum et le justifiait. C'est pourquoi, une fois l'occupant chassé, et avec lui ses lois infâmes, je confesse que le « problème juif » cessa, à nouveau, d'être

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pour moi vivant, présent : tant d'autres problèmes, dans la France à reconstruire, absorbaient nos énergies, mobi- lisaient nos espérances. Dès août 1944, sur ce sol de France que je n' avais pas quitté, je m'ébrouais avec joie dans sa liberté, dans nos libertés retrouvées.

Lorsqu'il y a vingt-deux mois je mis le pied pour la première fois sur la Terre des Promesses, j'étais peu pré- paré à vivre une expérience contemporaine du judaïsme. Depuis 1945, je m'étais intéressé, en France et à l' étranger, à des problèmes qui n'avaient rien de juif. Dans les Amé- riques comme en Europe, en deçà comme au-delà du « rideau de fer », mes enquêtes étaient orientées par les mêmes interrogations. Notre espèce est précipitée dans l'aventure de la technique à l'échelle de la planète, demain à celle du cosmos : l'humanité aux prises avec les produits de son génie. Quelles sont les nations qui, ayant compris son enjeu, pourront grâce à leurs institutions, grâce aussi aux qualités et traditions, à l'art de vivre de leurs habitants, en garder le contrôle et dans quelle mesure P Comment les sociétés économiquement les plus développées « s'en tirent- elles », affrontées aux stimulations infiniment multipliées, sans cesse renouvelées par le développement des sciences appliquées, bouleversant les travaux des hommes et leurs « loisirs », riches d'exaltantes promesses et de redoutables, de monstrueux dangers pour leurs libertés, leur équilibre psychique, leur bonheur, leur existence même? Quelques centaines de milliers de juifs, ayant vaincu leurs ennemis, fertilisé des terres immémoriàlement abandonnées à elles- mêmes, y avaient reconstitué un État, ouvert ses portes à tous ceux, juifs, qui voudraient et pourraient les rejoin- dre. Héritiers dune des plus vieilles sagesses, celle de Moïse et des prophètes, encore enrichie par leurs docteurs à travers les siècles, comment allaient-ils, eux, « s'en tirer », affrontés au progrès technique P Allaient-ils découvrir les

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moyens de le mettre pleinement au service de l'homme, corps et esprit, de l'asservir ? Ou seraient-ils, à leur tour, comme les autres, ceux des grandes cités et sociétés d'Occi- dent, menacés de lui être asservis ? Telles étaient les ques- tions que j'avais à l'esprit en quittant pour Jérusalem, au début de février 1963, l'aéroport de Lydda, dont les alen- tours étaient semés de tentes, transformés en pâturages par des tribus de Bédouins, leurs chèvres, leurs brebis, leurs chameaux, chassés du Néguev après des mois de sécheresse.

Ces questions me sont demeurées présentes durant mes séjours, mais ont été saisies et transformées dans un ensemble foisonnant de problèmes, dans un réseau où s'entremêlent, de manière parfois inextricable, des calculs économiques, d'épuisantes querelles politiques, des pro- grammes sociaux, des institutions pionnières, des préoc- cupations spirituelles, des inquiétudes religieuses. Venu en Israël pour observer le terrain particulier d'une expé- rience sociologique, j'y ai découvert bien autre chose et me suis trouvé personnellement impliqué d'une manière inat- tendue : par la prise de conscience du judaïsme, la discussion de son rôle et de la mission qu'il s'attribue dans le monde. Certes, l'apport possible des Israéliens à l'humanisation de la civilisation technicienne demettrait une préoccupation centrale. Mais sur elle venaient se greffer la mise en question du « peuple juif » et de la reli- gion juive, les rapports entre le messianisme juif et le progrès technique) entre l'avenir de l'État d'Israël et celui du tiers monde, entre le destin du judaïsme, inscrit dans une histoire trimillénaire, et l'universelle reconnais- sance de l'homme par l'homme.

Ma rencontre avec Israël a été, en fait, ma première rencontre avec le judaïsme. Elle a suscité un choc in- comparable, dans ses répercussions multiples, à celui d'oc- tobre 1940.

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Étudier Israël, ce n'est pas seulement, pour un juif, l'observer. Devant ces efforts et ces obstacles, ces grandeurs et ces faiblesses, devant les réussites et les échecs (que je n'ai pas cachés) d'une collectivité où se mêlent des hommes de toutes couleurs, venus de cinq continents et de cent deux pays, asséchant les marais, irriguant les déserts, faisant surgir du roc et du sable des villes nouvelles, des ports modernes de pied en cap, des « grands ensembles » dont la laideur n'a trop souvent rien à envier à celle des nôtres, pourquoi ne suis-je pas simplement un observateur ? Pourquoi, dans l'autobus qui me porte de la pension de Rehavia aux collines de Beit Hakerem, mêlé à une foule détendue où domine une jeunesse libre et gaie, au regard assuré, d'allure sportive dans ses vêtements de couleur vive, pourquoi suis-je heureux comme si sa liberté, sa gaieté, son assurance étaient miennes? Ou encore comme si c'étaient quelques-uns de mes proches, ces garçons, ces filles allongés sur les pelouses fleuries du « campus » de l' Université hébraïque, des livres à leurs pieds, bavar- dant au soleil d'un printemps précoce ou parfois échan- geant dans leur regard le message d'une idylle naissante ?

Israël, c'est sûr, secoue tout juif, même périphérique et marginal : il peut l'ébranler en l'enthousiasmant ou l'irritant. Un séjour assez long, surtout s'il permet, grâce au travail en commun, des contacts approfondis, s'insère comme un coin dans l'esprit et le cœur du visiteur « assi- milé ». Il suscite des interrogations, des prises de cons- cience. Chez certains, il ne stimule que l'attention, la curiosité. Chez d'autres, il provoquera la « tentation d'Is- raël », la volonté de participer à cette expérience ou le regret d'être trop vieux pour s'y engager. Même si l'on n'est pas « centré sur Israël », même si l'on n'a pas envisagé l'Alyah, même si l'on n'est ni un mystique ni un simple croyant, on éprouve un sentiment d' « interdépen- dance » (analysé au cours de ce livre) avec le sort de tous ceux qui sont désignés comme juifs, de tous ceux considérés de par le monde comme les descendants d'une minorité de

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minorité qui, il y a près de vingt siècles, refusa de recon- naître en Jésus le Messie. C'est encore cette « interdépen- dance » qui donne un intérêt particulier au possible israé- lien d'une société « pas comme les autres », où l'esprit des kibboutzim ouvrirait une voie nouvelle au socialisme, ou encore à l 'aspiration vers un « Etat prophétique » répon- dant aux promesses des Livres sacrés, confirmant la voca- tion d 'un peuple élu de prêtres et de justes.

Israël, par ailleurs, oblige l'observateur juif, malgré ses réticences, à se demander ce qu' est la judaïcité et ce qu'elle signifie pour lui. La résurrection d 'un Etat, en Israël, prouve-t-elle l'éternité du peuple juif, de sa mis- sion, pierre angulaire de la foi pour les juifs croyants ? Ou bien le rassemblement de deux millions de juifs en Palestine crée-t-il aujourd 'hui une nationalité, un peuple nouveau doté de traits physiques et mentaux qui le dis- tinguent de plus en plus des juifs façonnés dans les com- munautés repliées et les ghettos de la Diaspora ? Dans quelle mesure les jeunes sabras nés en Israël s'identifient- i/s comme juifs et dans quelle mesure peut-on considérer qu'ils le sont encore P Sommes-nous réduits au choix entre une conception quasi mystique de la judaïcité et une autre, inspirée de l'histoire, de la sociologie et de la psy- chologie sociale ? Doit-on admettre que la survie des juifs, comme l'affirment des interprétations venues d'horizons très différents, s'explique en grande partie pa r l'antisé- mitisme ?

Le visiteur, en Israël, ne peut échapper à une médita- tion sur l'antisémitisme. Chaque jour ses rencontres l'y ramènent et, avant tout, celle de l'implacable monument de Y ad Vashem, élevé sur les flancs de Jérusalem à la mémoire des six millions de juifs exterminés par les nazis. Comment ce massacre a-t-il été possible, au cœur du X X siècle ? Le surgissement d 'un État indépendant, sur ce lambeau de Palestine conquis et encore âprement contesté, renvoie aux impératifs qui l'expliquent sans, pour d'autres, le justifier. Comment peut-il, ce visiteur, après quelques

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mois de séjour, ne pas déceler parmi des dirigeants poli- tiques, des enseignants, des croyants la paradoxale et grandissante anxiété de voir, avec le déclin de l'antisémi- tisme, disparaître les sources et la substance même de l'existence juive? Une réflexion sur l'antisémitisme ne pouvait être absente de ce livre, effort d'observation et de compréhension tenté par un juif agnostique qui, en abordant ces problèmes où se mêlent tant d'éléments affectifs, souhaite ne pas avoir blessé les croyants, qu'ils soient juifs ou chrétiens : livre, comme le soulignent les mots sur lesquels il s'achève, pétri d'une inquiétude à laquelle, en l'écrivant, j'ai senti tout ce que je dois et voulu payer, en partie, ma dette.

Vallangoujard, 1 décembre 1964.

Quelques notes complémentaires et un petit lexique de termes hébreux ont été placés en fin de volume.

Par ailleurs, nous avons réuni dans un appendice, qui malheureusement débordait le cadre de ce livre, des infor- mations statistiques, pour la plupart inédites en France, utiles pour comprendre divers aspects et problèmes ma- jeurs de la société israélienne. Ceux de nos lecteurs que cette documentation intéresse la trouveront, classée en une trentaine de tableaux commentés dans la Revue Fran- çaise de Sociologie, 1965, n° 3 (Juillet), Édit. du C. N. R. S., 15, Quai A.-France, Paris. Elle est désignée dans les notes de ce livre par : App.

Je regrette vivement de ne pouvoir nommer ici tous ceux qui, en Israël, m'ont aidé par leur accueil, leur science, leurs conseils. Je suis seul responsable des lacunes et des faiblesses qui subsistent dans ce travail. Je veux au moins exprimer ma gratitude à l' Université hébraïque de Jérusalem (et particulièrement à son secrétaire académi- que, E. Poznansky), qui m'a invité à deux reprises, ainsi

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qu'au Technion de Haifa ; aux professeurs Gershom Sholem, Jacob Katz, S. N. Eisenstadt, Louis Guttman, J. Ben David, S. N. Herman ; à Yonina Talmon, Rivka Bar-Josef, Judith Shuval ; à Claude Vigée ; à Menahem Rosner, Jochanan Omri, qui m'ont permis de vivre dans leurs communautés et de discuter, apec eux et les diri- geants des autres fédérations kibboutziques, de cette admi- rable expérience ; à Marc Jarblum et ses camarades de la Histadrouth ; à J. Rash, délégué de Hashomer Hatzair en France.

La Direction générale des affaires culturelles et techni- ques a bien voulu contribuer à l'organisation de mon premier voyage.

Doris Donath, attachée de recherches au Centre National de la Recherche Scientifique, qui travaille depuis plusieurs années en Israël à une importante étude sur les immigrants d'origine nord-africaine, fut, au cours de mes séjours, une assistante compétente et dévouée, Marie-Thérèse Basse a préparé avec moi l'Appendice statistique, et sa collaboration a été, une fois de plus, très efficace et pré- cieuse.

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I S R A Ë L D A N S L E P R O C H E - O R I E N T

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I

PREMIÈRE APPROCHE DES HOMMES

Israël est un État singulier à bien des égards. Et d'abord c'est, aujourd'hui encore, un creuset qui n'a pas son égal sur la planète. On verra par la suite que l'ex- pression de « creuset », appliquée à Israël, est discuta- ble. Evoquant le melting pot américain, elle doit être assortie de commentaires spécifiques et de réserves. Nous en usons, néanmoins, pour la description liminaire d'un phénomène qui frappe tout observateur : la force avec laquelle des populations, venues de cent deux pays diffé- rents, ont été physiquement et moralement saisies par un nouveau milieu où la nature, le travail, les hommes et les institutions exercent leurs influences quotidiennes, où climat, société, culture, valeurs, religion entre- mêlent leurs actions, forgeant un prodigieux instrument de transformation humaine 1

Sa puissance se manifeste de tous côtés. Les jeunes, qui occuperont demain les postes responsables dans l'administration, dans l'économie, dans l'armée, en offrent les preuves les plus évidentes. A l'Université hébraïque, parmi les étudiants, bien que la plupart

1. Il y a des réfractaires à cet te t ransformat ion : les immigrants qui, pour des raisons variées, r e tournen t vers leur pays d'origine ou vers une au t re expérience (App., tableau X) ; il y a aussi, en Israël même, dans la populat ion juive, quelques centaines d' irréductibles, les Natorei Karta , qui ne reconnaissent pas le nouvel É t a t et dont nous reparlerons.

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s o i e n t d ' o r i g i n e a s h k e n a z e ( l e s j e u n e s « o r i e n t a u x » o n t

e n c o r e p e u d ' a c c è s à l ' e n s e i g n e m e n t s u p é r i e u r ) i l e s t

i m p o s s i b l e d e r e c o n n a î t r e d e s t y p e s m o r p h o l o g i q u e s

d o m i n a n t s p a r l a c o u l e u r d e s c h e v e u x , d e l a p e a u , d e s

y e u x , l a t a i l l e , l e s t r a i t d u v i s a g e . L e s b l o n d s a u x y e u x

b l e u s n ' y s o n t p a s r a r e s . M ê m e s o b s e r v a t i o n s d a n s l e s

u s i n e s , o ù p o u r t a n t l e m é l a n g e e s t p l u s c o m p l e t , p u i s -

q u ' o n r e n c o n t r e b e a u c o u p d e t r a v a i l l e u r s n o r d - a f r i c a i n s

( T u n i s i e n s , A l g é r i e n s , s u r t o u t M a r o c a i n s ) , d e s É g y p -

t i e n s , s o u v e n t o u v r i e r s q u a l i f i é s , c h e f s d ' é q u i p e o u c o n t r e m a î t r e s , m a i s a u s s i , e t e n n o m b r e , d e s I r a k i e n s ,

d e s I r a n i e n s , d e s Y é m é n i t e s . D a n s l e s k i b b o u t z i m , l e s

m a r i a g e s s o n t , e n p r o p o r t i o n , u n p e u p l u s n o m b r e u x

q u e d a n s l ' e n s e m b l e d e l a s o c i é t é i s r a é l i e n n e . E n d é c i -

d a n t d e s ' u n i r , l e s j e u n e s n ' y t i e n n e n t p a s c o m p t e — o u

t r è s p e u — d e c o n s i d é r a t i o n s é c o n o m i q u e s o u e t h n i q u e s

d o n t l ' i m p o r t a n c e d e m e u r e b i e n p l u s g r a n d e d a n s l e s

z o n e s u r b a i n e s , l e s m i l i e u x b o u r g e o i s e t m ê m e p a r m i

l e s i n t e l l e c t u e l s e t c e r t a i n s g r o u p e s o u v r i e r s . L e s m é l a n g e s

l e s p l u s i m p r é v u s y s o n t m o n n a i e c o u r a n t e . Q u e d e b e a u x e n f a n t s e n n a i s s e n t ! J e v o i s c e u x , à B . S . , d e

S a r a h , l a p e t i t e A m é r i c a i n e d e B r o o k l y n , e t d u s a b r a

U r i , d o n t l e s g r a n d s p a r e n t s s ' é v a d è r e n t d ' u n g h e t t o d e B u k o w i n e , o u , a u k i b b o u t z G . H . , c e u x d ' u n e

Y é m é n i t e ( b e a u c o u p d e f i l l e s d u Y é m e n s o n t d e s c r é a -

t u r e s s p l e n d i d e s ) e t d u f i l s d ' u n j u r i s t e a l l e m a n d v e n u

a v e c l a g r a n d e A l y a h d e 1 9 3 5 , o u e n c o r e , à R . , l e s d e u x

g a r ç o n n e t s d e l ' a g r o n o m e p o l o n a i s e t d e s a c o m p a g n e ,

j e u n e j u i v e m e x i c a i n e , f e m m e - e n f a n t q u i , v ê t u e d ' u n e

r o b e b a r i o l é e p o u r l a f ê t e d u P o r i m , s a f r i m o u s s e e t s e s y e u x n o i r s r a y o n n a n t s o u s l e s o m b r e r o , p a r a i s s a i t

é c h a p p é e d u b a l d ' u n p u e b l o . D a n s l ' a u t o b u s o u d a n s

l e s h e i r o u t h , s u r l e s p l a g e s d ' E i l a t h o u d ' A s h k e l o n , à

t r a v e r s l e s c h a m p s d e G a l i l é e e t l e s r u e s d e T e l - A v i v ,

d a n s l e s c h a n t i e r s d e D i m o n a e t d ' A r a d , p a r t o u t , l e

1. Cf. chap. VI, « Le second Israël », et App., tableau XXXII.

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v o y a g e u r e s t p l o n g é d a n s le m ê m e c h a u d r o n b io log ique . I l l ' e s t encore , d a n s les c h i k o u n i m , a u x p o u r t o u r s d ' H a i f a , d a n s c e u x d ' A f u l e h o u de B e i t h S h e a n , où les e n f a n t s d e s i m m i g r a n t s d e la d e r n i è r e v a g u e , mê lés p a r l eurs j e u x , r é a l i s e n t e n t r e e u x c e t t e « fu s ion des c o m m u n a u t é s » à l a q u e l l e l eu r s p a r e n t s , s o u v e n t , s o n t r é f r a c t a i r e s s u r les l i e u x d ' h a b i t a t e t de t r a v a i l . C o m m e n t oub l i e r l a

r e n c o n t r e , u n v e n d r e d i a p r è s - m i d i , s u r l a r o u t e d ' A s h d o d , d u M a r o c a i n à l o n g u e b a r b e grise, p a r é p o u r le s a b b a t d e sa p l u s be l l e k i p a h e t d e s o n g r a n d m a n t e a u de l a ine ? Il n e p a r l a i t q u e l ' a r a b e . N o u s l ' a v o n s f a i t m o n t e r d a n s la v o i t u r e , a i n s i q u e son fils, u n g a r ç o n d ' u n e d i za ine d ' a n n é e s , q u i l ' a c c o m p a g n a i t o u p l u t ô t le g u i d a i t (car il é t a i t d é j à h é b r a ï s é p a r l ' o u l p a n e t f o r t dé lu ré ) ve r s l a p r i è r e f ami l i a l e e t le v i n r i t u e l , chez les p a r e n t s de l a vi l le .

I s sue de b r a s s a g e s sans p r é c é d e n t , la p o p u l a t i o n d ' I s r a ë l s ' e s t a c c r u e à u n r y t h m e q u i es t , lui auss i , s ans égal . F a i t e s d ' « A l y o t h » success ives , elle a é té const i - t u é e , j u s q u ' à l a f o n d a t i o n d e l ' É t a t (14 m a i 1948), de s ix p r i n c i p a l e s v a g u e s q u i l ' a v a i e n t p o r t é e de 24 000 en 1882 à 170 000 e n 1930, 445 000 (à la su i t e de la V A l y a h s u s c i t é e p a r les p e r s é c u t i o n s h i t l é r i ennes ) en 1939, 629 000 e n d é c e m b r e 1947. D e p u i s la c r é a t i o n d e l ' É t a t e t l a p r o c l a m a t i o n d e la « Lo i de R e t o u r », a b o l i s s a n t t o u t e s r e s t r i c t i o n s à l ' i m m i g r a t i o n des ju i fs d u m o n d e e n t i e r e t les i n v i t a n t à v e n i r s ' é t a b l i r en Israël , le m o u - v e m e n t se p r é c i p i t e : 9 1 4 700 en j a n v i e r 1949, p lus d ' u n mi l l i on dès d é c e m b r e de la m ê m e a n n é e , 1 629 500 à l a fin d e 1952, 2 430 100 a u 1 j a n v i e r 1964. L a p o p u - l a t i o n i s r a é l i e n n e a d o u b l é en d i x a n s (1949-1959) , p r e s q u e q u a d r u p l é e n d i x - s e p t a n s (1947-1964) 1

Les A l y o t h a n t é r i e u r e s à l a f o n d a t i o n de l ' E t a t p r o v e - n a i e n t , en q u a s i - t o t a l i t é , d ' E u r o p e c e n t r a l e e t occ iden- t a l e , l a R u s s i e , l a P o l o g n e , l ' A l l e m a g n e , a s s u r a n t , se lon

1 App., tableau I

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les périodes, les principaux contingents. De janvier 1949 à janvier 1964, sur le territoire d'Israël limité par l'ar- mistice à un morceau de la Palestine grand comme deux départements français (20 700 k m environ 1 200 000 juifs ont immigré. Mais cette fois, les immigrants sont, en majorité, constitués par les populations juives d'Afrique ou d'Asie. L'opération « tapis volant » (1949) n'a pas laissé de juifs au Yémen. Les communautés de Libye (98 %), d'Irak (97 %), d'Égypte( 93 %), de Syrie (89 %) ont suivi le même mouvement. Celles du Maroc (60 %) et de Tunisie (70 %) n'ont pas encore achevé le leur. Les juifs d'Algérie ont, eux, pour la plupart, choisi de s'établir en France (80 %). Au début de 1964, la population d'Israël comprenait environ 192 200 musul- mans, 53 900 chrétiens (la plupart arabes convertis) et 27 000 Druses (aux frontières du Liban). Malgré l'im- portance des Alyoth récentes, les sabras, nés sur la terre palestinienne, formaient déjà 38,8 % des 2 155 500 juifs d'Israël. Par ailleurs, 28,7 % de ceux-ci étaient originaires d'Asie ou d'Afrique et 32,5 % d'Europe ou d'Amérique. Le déplacement du centre de gravité de l'immigration vers les pays dits « orientaux » a entraîné pour Israël, dans tous les domaines, d'immenses consé- quences, suscité de graves problèmes.

R E F A Ç O N N E R D E S A D U L T E S

Il est plus facile de former physiquement et morale- ment des enfants, les adapter aux progrès réalisés en quinze ans dans le domaine de l'hygiène de l'instruction du bien être, que de refaçonner des adultes. Beaucoup de ceux qui s'établirent en Palestine, au cours des pre- mières Alyoth et particulièrement les pionniers sionistes, les haloutzim idéalistes, constituaient une sélection. Nombreux étaient les étudiants en rupture d'Univer- sité, les ingénieurs, les médecins, avocats venus de

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milieux de petite ou moyenne bourgeoisie, parmi les fondateurs des premiers kibboutzim jetant les bases d'une expérience socialement et psychologiquement révolutionnaire. En même temps qu'ils asséchaient les marais, irriguaient des landes désertiques, ils naissaient eux-mêmes une seconde fois. Les premiers pionniers sont morts. Quelques survivants (autour de Ben Gou- rion) sont à la tête de l'Etat, mentors des partis, de la Knesseth, de la Histadrouth, des fédérations kibboutzi- ques. Mais on continue en Israël de rencontrer des hommes, des femmes, dans la force de l'âge, qui, de toute évidence, doivent le rayonnement de leur person- nalité à leur activité militante et créatrice. Sans doute était-ce là déjà de la bonne graine, qui a trouvé dans la lutte et l'espérance un magnifique terrain d'épanouisse- ment. L'idéologie officielle en U. R. S. S., attribuant les défaillances des citoyens et ci toyennes éduqués par l 'Etat soviétique aux « survivances du capitalisme », a long- temps affirmé que la société nouvelle créait un « homme nouveau ». Rien de semblable en Israël. Pourtant on y trouve à tous les niveaux, dans les écoles, les usines, sur les chantiers des « villes de développement », dans les coopératives des bourgs et des campagnes, dans les administrations et les syndicats, dans l'armée, une pro- portion peu commune d'êtres de qualité.

Leurs figures se pressent dans ma mémoire. Celle de Moshe S., beau gaillard qu'on aurait pris pour un Sué- dois tanné par le soleil : en 1940 échappé de Galicie, seul parmi les siens (en Israël, beaucoup des bâtisseurs sont des miraculés, uniques survivants de familles exter- minées), ouvrier à Saratov puis à Tachkent, immigré en 1946, combattant de la Palmah, étudiant de l 'Univer- sité hébraïque à 35 ans ; devenu fouilleur de ruines qu'il me fait visiter, avec science et amour, à R. R., aux portes de Jérusalem, Moshe est parfaitement décontracté. Il s'ébat, très à son aise, dans l'archéologie et l 'histoire, propose des théories sur la date et l'identification des

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vestiges de Netofa, cité mentionnée par l'Ancien Testa- ment et dont il organise les fouilles sous la direction du professeur A... C'est un Israélien agnostique, hostile au judaïsme orthodoxe, à son emprise sur la vie publique et privée, et, bien entendu, réprouvant les extrémistes de Mea Shearim. « Les étudiants des yeskivoth hassidi- ques, les jeunes fanatiques Natorei Karta, il faudrait les obliger à faire le service militaire. Tout cela, conclut-il, les pères et les fils, ce n'est pas l'homme nouveau, c'est le vieil homme. » Miriam H... porte avec rondeur et gaieté cinquante ans bien sonnés. Elle était née dans une famille de bonne bourgeoisie juive de Bâle. Son mari, négociant, professait des opinions sionistes, mais se trouvait fort bien en Suisse où la petite communauté juive était peu motivée à partir en Alyah. Venue avec lui en Palestine, pour une visite, elle s'y est attardée, puis fixée, ayant laissé son mari retourner seul vers ses affaires et son confort. Après avoir fait divers métiers à Tel-Aviv, Haifa, Beersheba, elle occupe un poste res- ponsable dans une administration d'État. Par-delà l'as- pect superficiel, qu'elle a conservé, d'une bourgeoise suisse, replète et soignée, c'est une Israélienne cultivée, enthousiaste, participant à une dangereuse et passion- nante aventure. Demeurée en Suisse, où elle se rend chaque été pour revoir les siens, elle eût été, confie-t-elle, vouée sans rémission à la bonne petite vie, aux visites inexorablement faites et rendues, autour des tables à thé et petits fours, au rythme méthodique des vacances douillettes et vides. Ses fonctions l'amènent à voyager beaucoup, à se dépenser, à prendre des décisions.

Miriam représente un cas limite de transformation personnelle, un grand chemin parcouru du point de départ à l'arrivée. Naguère, en U. R. S. S., durant la période des premiers plans quinquennaux, j'ai souvent rencontré des hommes, des femmes qui s'épanouissaient et vibraient de cette manière. J'en connais aussi en

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France, mais davantage dans une perspective religieuse ou stoïque (servitude et grandeur...) et plus rares.

En Israël, de tels types foisonnent. Gideon F..., à 35 ans, pense et se bat pour la reconversion de moshavim imprudemment établis dans les rocailles des monts de Judée, où l'agriculture était vouée à l'échec (mais aux yeux de beaucoup de Pères fondateurs et de leurs disci- ples, l'agriculture était la panacée de la renaissance juive). Gideon rééduque leurs habitants, pour la plu- part des Nord-Africains, les transfère vers l'orfèvrerie en filigrane d'or ou d'argent et le travail du laiton. A ces hommes, passés par tant d'épreuves, auxquelles s'ajoute, en Israël même, la déception d'une expérience agricole manquée, il a insufflé sa foi. Je les observe à leur établi, dans l'atelier pauvrement équipé, je les écoute. Ils sont pleins d'ardeur, assurés d'être dans la bonne voie. Ces pièces de jeux d'échecs, en laiton, aux formes étudiées et sobres, ils en ont déjà reçu de nom- breuses commandes. Ces bijoux vont orner les vitrines d'une exposition, à Tel-Aviv. Gideon, ancien ajusteur- mécanicien, est à la fois un visionnaire et un réalisateur, comme Shmuel D., quinquagénaire râblé, militant de la Histadrouth, où il se bat sur tous les fronts, contre le flot montant du secteur privé, les nouveaux riches et les spéculateurs qui se gaussent au seul mot de socialisme, les jeunes technocrates pour qui les pionniers sont de vieilles barbes, les bureaucrates et les tièdes de son propre mouvement. Shmuel, rationaliste, athée, a conservé le punch messianique. Grâce à une poignée d'hommes comme lui, l'esprit prophétique habite en- core le « Kremlin blanc 1 », les valeurs incarnées par les fondateurs de la Histadrouth ne sont pas mortes.

Valeurs, vécues aussi, par le bon athlète Jonathan P..., secrétaire et animateur d'un kibboutz de Galilée, où il

1. C'est ainsi que l'on désigne parfois, à Tel-Aviv, avec une pointe d'humour, l'ensemble d'immeubles où sont installés la direction et les services centraux de la Histadrouth.

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les pratique, chaque jour, dans une inaltérable simpli- cité. Naturel et simplicité sont la matière même, en Israël, des hommes et des femmes « nouveaux ». Ils sont constitutifs de leur personne et de leurs actes. Les meilleurs des kibboutznikim mènent quotidiennement le combat pour la plus étonnante expérience de vie communautaire qui ait jamais été tentée. Jonathan est de ceux qui l'irriguent d'un sang frais, la défendent contre les embûches du dehors et du dedans, pensent dans leurs univers les problèmes de l'éducation et de la famille, du progrès technique, les exigences de l'inti- mité et du bonheur individuel, les fatalités de l'âge et du vieillissement, la réadaptation constante des valeurs collectives à une société où l'égoïsme, la jouissance, les appétits humains, très humains, de richesse et de puis- sance redressent aujourd'hui la tête. L'image de Jona- than et de sa femme Rivka peut, à des milliers de kilo- mètres, fouetter le courage de ceux qui ont vécu, ne serait-ce que quelques jours, avec eux. Non moins tonique est le souvenir de Sarah, la petite étudiante américaine venue de Brooklyn en vacances au kibboutz frontalier de B. S., près de la poche de Gaza, infestée de fidayim 1 et d' « infiltrants » affamés. Elle y est demeurée, me dit-elle, « parce qu'elle y avait rencontré de beaux gars », un, en tout cas, Uri, le responsable des vergers. On parle encore, à B. S., de la fête de leur ma- riage. Nous nous sommes entretenus avec eux, durant des heures, des difficultés économiques de leur jeune kibboutz, de l'aide apportée, sous forme de techniciens, de moniteurs, par un célèbre et riche kibboutz de la vallée de Jezreel, des nouvelles perspectives offertes par l'adjonction d'une petite usine de conserves. Quand je m'excuse de lui avoir pris trop de temps, elle réplique : « Il n 'y a pas de mal, le sujet nous passionne » (no harm, we love the subject). Que de rencontres inoubliables, que

1. « Volontaires de la mort. »

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de visages, jeunes et vieux, marqués par la fatigue et la sérénité conquise!

Pour tous ceux-là, le creuset israélien a exercé une action heureuse. Elle a été facilitée, certes, par une sélection des individus en période de lutte, de danger, dans le contexte d'institutions où l'idéalisme juif et l'énergie pionnière demeurent actifs, vivants. Mais elle s'explique aussi par la refonte physique et morale des immigrés dans un milieu neuf. Si l'on met à part une élite intellectuelle, dont nous avons parlé, beaucoup des juifs d'Europe centrale appartenaient à des commu- nautés fermées, traditionnellement restreintes au négoce, où petits commerçants, artisans, boutiquiers ne dédai- gnaient pas tous de « rouler le client » (Schwindel). D'autres étaient des Luftmenschen vivant de l'air du temps et de menus expédients. Le niveau d'honnêteté, en Israël, est-il plus élevé que naguère dans ces commu- nautés dont beaucoup de commerçants (ou leurs parents) sont originaires ? De bons observateurs du présent et du passé me l'ont affirmé. Il est très vraisemblable que la qualité morale des haloutzim a suscité vers d'autres milieux une bienfaisante contagion, et cela jusqu'à une date récente. Aujourd'hui, l'extension du secteur privé, les appels multipliés de l'abondance, le besoin de détente, une apparente psychologie d' « après guerre » semblent capables d'inverser le poids des valeurs et la direction des courants.

L E S J E U N E S S O N T - I L S E N C O R E D E S J U I F S ?

L'efficacité des nouvelles conditions sociales est mani- feste chez beaucoup d'adultes mais plus éclatante encore parmi les jeunes, les enfants. Les institutions du pays sont conçues pour façonner la jeunesse, l'intégrer à la conscience des problèmes, des luttes, des dangers, au patriotisme israélien. Le Nahal est l'une des plus impor-

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tantes. Théoriquement, c'est une formation des « Forces de Défense », c'est-à-dire de l'Armée, recrutée par volon- tariat, comme l'Aviation et la Marine. En fait, les mou- vements de jeunesse 1 constituent des noyaux de futurs membres du Nahal (garinim) dans les établissements d'enseignement secondaire et sur les lieux de travail, quelques années avant l'âge de la conscription. Lors- qu'ils l'atteignent, les soldats du Nahal ont déjà passé plusieurs semaines dans les coopératives agricoles et se sont familiarisés avec la vie du kibboutz. La prépara- tion militaire au Nahal est aussi, de 14 à 18 ans, un apprentissage à l'agriculture et à la vie pionnière, dont les ministères de l'Éducation nationale et de la Défense sont conjointement responsables. Les jeunes du Nahal sont des soldats-agriculteurs, garçons et filles vivent dans des baraquements séparés, mais sont entraînés dans les mêmes camps et se retrouvent aux heures des repas. Les responsables du Nahal se refusent à l'idéaliser : c'est, dit l'un d'eux, « une formation militaire comme les autres, ni meilleure ni pire ». Mais il n'est pas in- différent qu'elle soit postée sur les frontières, les in- terminables frontière de ce petit pays, et que les jeunes y passent plus de temps à défricher, à conduire des trac- teurs qu'à faire de longue marches. La frontière est sans cesse sous leurs yeux, dans leur esprit : inutile de les gaver de discours sur les problèmes et besoins de leur pays. Depuis quelque temps, le gouvernement s'est servi du Nahal comme d'un milieu de rééducation :

1. Les mouvements de jeunesse, dont la compétit ion dans les écoles avait été quelque temps interdite, ont eu récemment (1962) le droi t d ' y prat iquer à nouveau leur émulation. Ce revirement semble avoir été inspiré par la crise des valeurs dans la jeunesse, le souci de l 'encadrer, de combat t re une « anomie » croissante, dont la délinquance juvénile, naguère inexistante et de plus en plus fréquente dans les villes, est un des signes. Chacun des principaux partis a son mouvement de jeunesse, ainsi que la Histadrouth, qui dispose du plus impor tan t (Hanoar Ha 'oved Vehalomed). Il y a aussi une Fédérat ion scout, qui comprend une section non juive, destinée aux jeunes Arabes.

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faisant une entorse au principe du volontariat, il y introduit, çà et là, à petites doses, des jeunes récemment immigrés ou d'autres, venant de zones urbaines, sujets difficiles, asociaux. Ils sont bien accueillis par leurs cama- rades, traités comme des égaux. La plupart de ces expé- riences semblent avoir été réussies. Un certain nombre de ces agriculteurs-soldats décident de demeurer sur place, dans ces colonies qu'ils ont bâties, d'y faire leur vie.

Le Nahal constitue un corps d'élite, et son nom, qui signifie « Jeunesse combattante pionnière », sonne fière- ment. C'est aux frontières, là où se crée un nouveau centre de peuplement, kibboutz ou moshav 1 que sont envoyés les jeunes du Nahal. Ceux que j'ai vus, par exemple, à B. S., sur les bords du Gaza Strip, soumis à la discipline militaire, entraînés en commandos aux méthodes de guerre « moderne », recevaient aussi des spécialistes du kibboutz une formation agricole, tra- vaillant sous leur direction dans les vergers, les plan- tations de tabac. Ailleurs, aux confins de la Jordanie, de la pointe Sud de la mer Morte jusqu'à Beer Menucha et Yotvata, ce sont souvent des groupes du Nahal qui viennent renforcer les villages frontaliers ou en créer de nouveaux.

L'Armée tout entière est aussi importante par son rôle d'apprentissage civique que comme instrument de préparation militaire. C'est une rude école, où les longues marches dans le désert, la vie sous la tente, les travaux d'aménagement sur les frontières se conjuguent avec les cours d'éducation de base et de formation civique. C'est là que les jeunes immigrants, à peine « débrouil- lés » par les oulpanim, améliorent leur connaissance de l'hébreu. Après deux ans et demi de service militaire pour les garçons (entre 18 et 26 ans), deux ans pour

1. La colonisation des frontières, qui correspond à des exigences à la fois économiques et militaires, est placée sous la responsabilité d ' un organisme spécial : Keren Kayeme th Leisrael ou Fonds national juif.

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les femmes (non m a r i é e s ) leur « israélisation » a fait de grands progrès. Dans les usines, dans les kibboutzim et les moshavim, dans les Universités, je me suis entre- tenu avec des jeunes récemment émoulus du service militaire. D 'autres étaient encore sous l 'uniforme, telle Bathseba, sabra d'origine allemande, que nous avons ramenée des faubourgs de Tel-Aviv à Jérusalem où elle allait rejoindre sa famille. L'auto-stop, pra t iqué à large échelle du nord au sud d'Israël, parfois de la manière la plus insistante et téméraire, multiplie pour le voyageur les rencontres instructives. Cette jeune soldate est net te , élégante même dans la veste et le pantalon gris bleu bien ajustés, son profil pur, au nez droit, se dé tachant sous le calot et la torsade de cheveux noirs. Rien chez elle ne rappelle les t ra i ts physiques, les a t t i tudes , les intonations dont on constate la perma- nence chez beaucoup de juifs allemands, même après un long séjour dans le pays, rien qui permet te de re- connaître dans cette fille au te int mat , aux gestes aisés, sobres, à la parole discrète, la fille de commerçants d 'Augsbourg immigrés en 1935. Nous croisons, à la sortie de Ramla, une troupe de jeunes filles regagnant leur cantonnement, marchan t d 'un pas élastique, le buste moulé dans la chemisette kaki. Des « parachu- tistes », dit Bathseba. La p lupar t sont de belles plantes.

Parmi ces jeunes, certains sont des enfants de mira- culés, ou eux-mêmes rescapés par miracle des camps de la mort . D'autres sont venus d'Afrique du nord, d'Asie grâce à l 'Alyah des jeunes et, à R a m a t Hadassah 2 ont pour la première fois couché seuls dans un lit et mangé à

1. On admet en fait, des exemptions au service militaire, des cas d'« objection de conscience » pour les filles et garçons des milieux ultra- orthodoxes : ceux qui appar t iennent à des sectes hassidiques e t en par- ticulier aux Natorei Kar ta . Pa r ailleurs, beaucoup d 'é tudian ts des yeshivoth supérieures (sortes de Facultés de théologie), se des t inan t au rabbinat , bénéficient d 'une dispense.

2. Foyer d'accueil de l 'Alyah des jeunes en basse Galilée, près de K i r y a t Tiv'on.

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leur faim. Rejetons de juifs de la Diaspora, beaucoup ont derrière eux des générations, des siècles de tribula- tions où le repli des ghettos, le croupissement des mel- lahs alternent avec des persécutions, des angoisses, parfois des horreurs. Mais chaque année accroît la pro- portion de ceux qui ont vu le jour sur la terre d'Israël, libres des complexes et des anxiétés de leurs parents, saisis par l'ardeur d'une construction difficile, dans une expérience où tout est neuf, pour eux : la terre, la langue, les institutions, les espérances. C'est la naissance d'une collectivité. Tous ces jeunes rencontrés depuis mon arrivée dans les salles de cours, les autobus, les ateliers, les réfectoires des kibboutzim, que seront-ils ? Qui sont-ils? Sont-ils encore des « juifs » ? Ainsi vont mes pensées, pensées naïves des premiers jours, pendant que nous nous engageons sur la route étroite parcourue dans les deux sens d'une file continue de voitures et de poids lourds, véritable boulevard qui se prolonge à travers les défilés rocheux de la route de Jérusalem, bordé de carcasses de camions, vestiges et témoins des combats de la guerre d'Indépendance. Je pose la ques- tion à mon voisin, N. A., un Roumain, directeur d'une usine de la Histadrouth, type de pionnier de la première heure. Se penchant vers moi, il me répond, en français, à voix basse, pour n'être pas entendu de la jeune sol- date : « Ils ont perdu les défauts — mais aussi les quali- tés — de leurs parents. » Il me faudra des semaines, des mois pour explorer tout ce que contiennent ces quelques mots.

Les écoles, les mouvements de jeunesse, la Gadna 1 le Nahal, l'Armée saisissent garçons et filles dans une intense vie collective. Les lycéennes, dès leur quinzième année, partent dans les équipes de la Cadna faire des marches ou coucher sous la tente, les « soldates » qui

1. La Gadna est une organisation, inspirée du scoutisme, qui pré- pare les jeunes, garçons et filles de 14 à 18 ans, à la fois au service mili- taire e t aux activités pionnières de l 'agriculture.

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s e r v e n t d a n s l e s t r o i s a r m e s c o m m e n o n - c o m b a t t a n t e s

s o n t m ê l é e s a u x j e u n e s s o l d a t s d a n s l e s c a m p s , l e s p o s t e s

m i l i t a i r e s : g a r ç o n s e t f i l l e s « s e c o n n a i s s e n t » d e b o n n e h e u r e e t s o u v e n t , m ' a - t - o n d i t , a u s e n s b i b l i q u e d u t e r m e . C e s r e l a t i o n s s e m b l e n t c o n s i d é r é e s a v e c b e a u -

c o u p d e s i m p l i c i t é e t f a i r e p a r t i e , a u x y e u x d e l ' u n e t

l ' a u t r e s e x e , d e l a l i b r e e t n é c e s s a i r e e x p é r i e n c e d u

m o n d e . Il n ' e s t p a s r a r e q u ' e l l e s c o n d u i s e n t a s s e z v i t e

à d e s m a r i a g e s .

L ' I S R A É L I S A T I O N

L a s a n t é , l a b e a u t é d e s e n f a n t s i s r a é l i e n s s o n t i m -

p r e s s i o n n a n t e s . I l s s o n t e n v i r o n 6 0 0 0 0 0 , d a n s l e g r o u p e d ' â g e d e 3 a n s à 1 4 a n s : 4 2 5 0 0 0 j u i f s , l e s a u t r e s , A r a b e s

( c h r é t i e n s o u m u s u l m a n s ) o u D r u s e s . J e n ' o u b l i e r a i

p a s l e s f ê t e s e n f a n t i n e s d e P o u r i m d a n s u n k i b b o u t z d e l a v a l l é e d e Y l z r é e l , d a n s l e s c h i k o u n i m n o r d - a f r i -

c a i n s d e B e i t S h e a n e t d ' A f u l e h , l e s d é f i l é s d e c a r n a v a l d a n s l e s r u e s e m b o u t e i l l é e s d e T e l - A v i v . A H a d a r H a c a r -

m e l , a u t o u r d e m o n h ô t e l , d e t o u s c ô t é s , s e p r e s s e n t d e

b o n m a t i n , v e r s u n j o y e u x r e n d e z - v o u s à t r a v e r s l a p i n è d e e n s o l e i l l é e d o m i n a n t l a b a i e d e H a i f a , d e s t h é o -

r i e s d e p i e r r o t s , d e « g o m m e u x » e n f r a c , d e c o w - b o y s ,

d e s e i g n e u r s H e n r i I I I , d e g i t a n s e t d e g i t a n e s , d e C a r -

m e n s e t d e d e m o i s e l l e s e n c r i n o l i n e s a c c o m p a g n é e s d e

m o u s q u e t a i r e s , m a i s a u s s i d ' E s t h e r s c o u r o n n é e s d e c a r t o n e t d e M o ï s e s à l a b a r b e n e i g e u s e , p o r t e u r s d e

l o u r d e s g r a p p e s , s y m b o l e s d e l ' a r r i v é e d e s j u i f s e n

t e r r e d e C a n a a n . T r a v e s t i s a v e c g o û t ( H a d a r H a c a r m e l

e s t u n q u a r t i e r r é s i d e n t i e l a i s é ) , i l s s e h â t e n t v e r s l ' é c o l e o ù , c e v e n d r e d i m a t i n , a v a n t l e s a b b a t , l e u r s

m a î t r e s l e s a t t e n d e n t p o u r i n a u g u r e r l a g r a n d e f ê t e . A i l l e u r s , d a n s l e s q u a r t i e r s p e u p l é s d ' i m m i g r é s d e

f r a î c h e d a t e , d a n s l e s f a u b o u r g s d e T e l - A v i v p a r c o u r u s d ' u n e g r o u i l l a n t e A d l o y a d a , l e s c o s t u m e s s o n t p l u s s o m -

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m a i r e s , m a i s l a j o i e d e s e n f a n t s n ' e s t p a s m o i n s é c l a - t a n t e .

A R . , l e s e n f a n t s s o n t , c o m m e d a n s t o u s l e s k i b b o u t -

z i m , r é p a r t i s p a r c l a s s e d ' â g e , d a n s « l e u r s » m a i s o n s .

D e p u i s p l u s i e u r s s e m a i n e s , l e s p a r e n t s , a p r è s l e u r

t r a v a i l , o n t m i s a u p o i n t d e s n u m é r o s . A s s i s f a c e

a u p u b l i c , d e u x n a i n s b a r b u s à b u s t e é n o r m e a g i t e n t

l e u r s c o u r t e s j a m b e s , h a b i l e m e n t t r u q u é e s , a u r y t h m e

d ' u n e d i s p u t e e n d i a b l é e . L e s r o n d e s q u i e n t r a î n e n t

p a r e n t s e t e n f a n t s , t o u s d é g u i s é s , m ê l e n t d e s c o u p l e s o ù m a r i s e t f e m m e s v i e n n e n t s o u v e n t d e d e u x c o n t i -

n e n t s d i f f é r e n t s e t s o n t o r i g i n a i r e s d e v i n g t n a t i o n s .

L e s « g r a n d s », d e 1 3 à 1 6 a n s , o n t p r é p a r é s a n s a i d e

a u c u n e u n s p e c t a c l e c o m p l e t o ù l e s p a r e n t s s e r e n d e n t

a p r è s a v o i r q u i t t é l a m a i s o n d e s p e t i t s , c o n f i é s à l e u r s

é d u c a t r i c e s . V r a i m e n t , P o u r i m n e m ' a p a s l a i s s é c r o i r e q u e l e s j o i e s d e l a f a m i l l e p é r i c l i t e n t a u k i b b o u t z . A u

l i e u d ' ê t r e u n e f ê t e l i m i t é e à u n e c e l l u l e , r e p l i é e s u r

e l l e - m ê m e , r e s t r e i n t e à q u e l q u e s « p e t i t s a m i s » p a r c i - m o n i e u s e m e n t e t s o c i a l e m e n t s é l e c t i o n n é s , c o m m e l e v e u l e n t s o u v e n t l e s t r a d i t i o n s d e l ' i n d i v i d u a l i s m e b o u r -

g e o i s , il s ' a g i t i c i d ' u n e g r a n d e k e r m e s s e o ù j e u n e s e t

a d u l t e s s o n t m ê l é s d a n s l a d é t e n t e e t l a j o i e c o l l e c t i v e s .

L e l e n d e m a i n , j e r e t r o u v e r a i l e s u n s e t l e s a u t r e s , l e s

e n f a n t s p a r c o u r a n t l e u r j a r d i n , l e u r z o o o ù i l s o n t

c o n v i é l e s p a r e n t s à a d m i r e r u n c h a m o i s c a p t u r é d a n s

l e s m o n t s d e M o a b , u n p o n e y , d e s m o u t o n s , d e s p a o n s , d e s o i e s . L e s e n f a n t s , c o m p a r é s à l e u r s p a r e n t s , o n t

s o u v e n t l e s c h e v e u x e t l e t e i n t p l u s c l a i r s . L e « c r e u s e t »

a u r a , p a r m i s e s m u l t i p l e s e f f e t s , c e l u i d ' e f f a c e r d e s

d i s t i n c t i o n s p h y s i q u e s e n t r e a c h k e n a z e s e t s e p h a r d i t e s ,

a p p a r e n t e s e t i r r i t a n t e s , d e p a r t e t d ' a u t r e , a u x y e u x d e b e a u c o u p , e t h â t e r a a i n s i l a f u s i o n d e s c o m m u n a u t é s .

M a i s il r e n c o n t r e d e s c o r p s r é f r a c t a i r e s . L a f u s i o n d e s

c o m m u n a u t é s e s t u n e o p é r a t i o n d i f f i c i l e p o u r l a q u e l l e , o n l e v e r r a , t o u t e s l e s c o n d i t i o n s , a u j o u r d ' h u i e n c o r e ,

n e s o n t p a s r é u n i e s .

Page 33: Fin du peuple juif

P a r m i l e s é l é m e n t s f a v o r a b l e s à s o n a c t i o n , l ' A r m é e

e t l e m o n o p o l e l i n g u i s t i q u e d e l ' h é b r e u s o n t l e s p l u s

p u i s s a n t s . L a c o n n a i s s a n c e d e l ' h é b r e u e s t l a c o n d i t i o n n é c e s s a i r e e t , l o r s q u ' e l l e e s t a c q u i s e , l e s i g n e d e l ' i n t é -

g r a t i o n . L e s o u l p a n i m , c o u r s « i n t e n s i f s » d ' h é b r e u , d ' u n e

d u r é e d e q u a t r e à s i x m o i s , c o u v r e n t d e l e u r r é s e a u l e s

v i l l e s , l e s k i b b o u t z i m e t l e s m o s h a v i m . D e s i n s t r u c t e u r s v o l o n t a i r e s s e r e n d e n t a u d o m i c i l e d e n o u v e a u x i m m i -

g r a n t s , s o u v e n t a n a l p h a b è t e s . O n p u b l i e d e s j o u r n a u x , d e s m a g a z i n e s e n h é b r e u « d e b a s e », r e n d u p l u s f a c i l e

p a r l ' a d j o n c t i o n d e v o y e l l e s . L a r a d i o é m e t d e s p r o - g r a m m e s s p é c i a u x à l ' u s a g e d e s d é b u t a n t s . J ' a i c o n s t a t é

q u ' a u r e g a r d d e c e r t a i n s I s r a é l i e n s a s h k e n a z e s , c ' e s t u n e m a u v a i s e n o t e q u e d e n e p a s c o n n a î t r e l ' h é b r e u ;

i g n o r e r p a r s u r c r o î t l e y i d d i s h e s t u n e c i r c o n s t a n c e

a g g r a v a n t e , u n s i g n e i n q u i é t a n t c a p a b l e d e r e s t r e i n d r e

l ' h o s p i t a l i t é s i g é n é r e u s e m e n t e t c o u r a m m e n t p r a t i q u é e

d a n s l e p a y s . A E i l a t h v i e n n e n t s ' a s s e o i r à m a t a b l e d ' h ô t e l , d a n s

l a s a l l e à m a n g e r c o m b l e , d e u x I s r a é l i e n s , u n P o l o n a i s

é m i g r é e n 1 9 3 7 e t s o n c o m p a g n o n p l u s j e u n e , u n s a b r a

d o n t l e s p a r e n t s s o n t v e n u s d ' U k r a i n e . I l s s a v e n t u n p e u

l ' a n g l a i s e t n o u s p o u v o n s a i n s i c o m m u n i q u e r . M a i s i l s

m ' e n t e n d e n t c o n v e r s e r e n f r a n ç a i s a v e c l e s j e u n e s

s e r v e u s e s , l ' u n e M a r o c a i n e , l ' a u t r e E g y p t i e n n e ( q u i t o u t e s d e u x p a r l e n t l ' h é b r e u ) , e t e n s o n t v i s i b l e m e n t

a g a c é s . « I c i , p e r s o n n e n e s ' o c c u p e d ' o ù v i e n n e n t l e s

g e n s , m e l a n c e l e P o l o n a i s . I c i , il f a u t o u b l i e r s a l a n g u e d ' o r i g i n e ! »

E n I s r a ë l , d e t e l l e s r é a c t i o n s n e s o n t p a s e x c e p t i o n - n e l l e s . P o u r ê t r e u n b o n I s r a é l i e n , i l f a u t o u b l i e r s o n

p a y s n a t a l , t i r e r u n t r a i t s u r l u i , s u r s a l a n g u e p r e m i è r e .

Q u i c o n q u e d e m e u r e t r o p a t t a c h é à s a p a t r i e d e l a

G a l o u t h , q u e l l e q u ' e l l e s o i t , r i s q u e d e p a r a î t r e s u s p e c t ,

a u x y e u x d e c e r t a i n s p a t r i o t e s d u n o u v e l E t a t . S a n s

d o u t e c e s c o m p o r t e m e n t s j a l o u x s o n t - i l s n é c e s s a i r e s . I l s

Page 34: Fin du peuple juif

c o n s t i t u e n t u n d e s i n g r é d i e n t s d u c i m e n t c a p a b l e

d ' u n i r d e s é l é m e n t s a u s s i d i s p a r a t e s e t , t o u t d ' a b o r d , d ' a s s u r e r e n t r e e u x u n e c o m m u n i c a t i o n , d e l e s r e n d r e

a s s i m i l a b l e s . L a r u p t u r e a v e c l e s o r i g i n e s s ' a f f i r m e p a r

u n a u t r e s i g n e : l ' h é b r a ï s a t i o n d e s p a t r o n y m e s q u i p r e n d

l ' i m p o r t a n c e d ' u n v a s t e c o u r a n t . C e r t a i n s r e c h i g n e n t e t

c o n t i n u e n t d e s ' a p p e l e r N u s s b a u m o u A b r a m o v i t c h .

I l s s o n t d e p l u s e n p l u s r a r e s , s u r t o u t p a r m i l e s t e c h n i -

c i e n s , l e s c a d r e s d e s p r o f e s s i o n s l i b é r a l e s . B e a u c o u p

d e j u i f s o n t r e m p l a c é l e u r s n o m s à c o n s o n a n c e a l l e -

m a n d e , r u s s e , p o l o n a i s e p a r d ' a u t r e s , h é b r a ï q u e s .

B e n G o u r i o n a v a i t d e p u i s l o n g t e m p s d o n n é l ' e x e m p l e .

L e s p r é n o m s a s s o r t i s s o n t e m p r u n t é s a u x p e r s o n n a g e s i l l u s t r e s e t m ê m e o b s c u r s d e l ' A n c i e n T e s t a m e n t . E n

f e u i l l e t a n t u n a n n u a i r e d e s t é l é p h o n e s , o n v o i t d é f i l e r

l a p o s t é r i t é c o m p l è t e d ' A b r a h a m , é n u m é r é e d a n s l a

G e n è s e , e t l e s h é r o s d e l ' h i s t o i r e d u p e u p l e j u i f , d e

Y e h u d a j u s q u ' à B a r K o c h b a . L ' h é b r a ï s a t i o n a c c é l é r é e , m a n i f e s t é e , p a r t o u s c e s s i g n e s , a p a r f o i s p o u r r e v e r s

( o u p o u r i n é v i t a b l e c o m p a g n e ) u n e s o r t e d e c h a u v i -

n i s m e q u i c o n t r e d i t l ' u n i v e r s a l i t é j u i v e , p r i s e d a n s s o n

a c c e p t i o n r e l i g i e u s e o u s i m p l e m e n t l a ï q u e , h u m a n i s t e .

L ' h é b r a ï s a t i o n e s t l e l e v a i n p u i s s a n t q u i b r a s s e e t

f a b r i q u e c h a q u e j o u r l a n a t i o n i s r a é l i e n n e . L ' h é b r a ï s a t i o n

e s t a u s s i l e b u l l d o z e r q u i , s u r l e s r u i n e s d u c o s m o p o l i t i s m e e t d e l ' i n t e r n a t i o n a l i s m e j u i f s , a s s u r e l e s f o n d e m e n t s

d ' u n j e u n e E t a t , d ' u n e c u l t u r e à l a f o i s m i l l é n a i r e e t n o u v e l l e .

M a i s l e p a t r i o t i s m e i s r a é l i e n d o i t ê t r e , p a r a i l l e u r s ,

c o m p r i s , e x p l i q u é j u s q u e d a n s s e s m a n i f e s t a t i o n s p a r f o i s e x c e s s i v e s , c o m m e u n e r é a c t i o n d e d é f e n s e . C e t t e c o l l e c t i v i t é d e d e u x m i l l i o n s d ' h a b i t a n t s , é c a r t e -

l é e e n p a r t i s , d i v i s é e s u r l e s p r o b l è m e s d e s r a p p o r t s e n t r e l a r e l i g i o n e t l ' E t a t , s u r l e r ô l e d u c o l l e c t i v i s m e ,

d e s s y n d i c a t s , s u r l e u r p o l i t i q u e à l ' é g a r d d u m o n d e

a r a b e , c e s h o m m e s q u e j ' a i v u s p a r f o i s s ' a f f r o n t e r e n

d ' â p r e s q u e r e l l e s , s e l è v e r a i e n t , j e c r o i s , c o m m e u n s e u l ,

Page 35: Fin du peuple juif

e n c a s d e d a n g e r , p o u r d é f e n d r e l e u r t e r r e e t l e u r s l i b e r t é s . L e m o n d e a r a b e e s t d é s u n i , m a i s i l f i n i r a b i e n

p a r s ' u n i r . N a s s e r v e u t é c r a s e r I s r a ë l d a n s u n é t a u . A l a v e i l l e d e s o n s e i z i è m e a n n i v e r s a i r e 1 l e j e u n e E t a t

s e m b l e v o u é à d e d u r e s é p r e u v e s . C e s f i l l e s e t g a r ç o n s

h e u r e u x , c e t t e b e l l e j e u n e s s e s a u v é e d e s c a m p s d e l a

m o r t , l e u r e s t - e l l e m a i n t e n a n t p r o m i s e p a r u n e a t r o c e

r u s e d e l ' h i s t o i r e q u i l ' a c o n c e n t r é e , e x p o s é e , d a n s c e

R e f u g e ?

L ' i s r a é l i s a t i o n e s t - e l l e p a r t o u t e t t o u j o u r s é g a l e m e n t

e f f i c a c e ? N o n , b i e n s û r . M a i s e l l e e s t i m p é r i e u s e , f o r t i -

f i é e d e s e n t i m e n t s c o m m u n s , c r a i n t e s e t e s p o i r s , a u x -

q u e l s p r e s q u e t o u s p a r t i c i p e n t . J ' a i r e n c o n t r é d e s j u i f s d ' o r i g i n e a l l e m a n d e , é t a b l i s e n I s r a ë l d e p u i s t r e n t e a n s

e t q u i , d e p r i m e a b o r d , n e s e m b l a i e n t g u è r e d i f f é r e n t s d e c e r t a i n s d ' e n t r e e u x q u e j ' a v a i s c o n n u s d u r a n t m e s

s é j o u r s d a n s l ' A l l e m a g n e d ' a v a n t 1 9 3 3 : m ê m e s t y l e

d e v ê t e m e n t s , m ê m e s a t t i t u d e s , g e s t e s , i n t o n a t i o n s

v o c a l e s . C e t t e i m p r e s s i o n s u p e r f i c i e l l e e s t p a r t i c u l i è r e - m e n t f r a p p a n t e d a n s l e q u a r t i e r H a d a r H a c a r m e l ,

à H a i f a , o ù d e t o u s c ô t é s , d a n s l e s r u e s , l e s c a f é s ,

l e s m a g a s i n s , o n e n t e n d c o n v e r s e r e n a l l e m a n d . S ' a g i t - i l

d ' u n e r é s i s t a n c e a u « c r e u s e t » ? L a r é a l i t é e s t p l u s c o m p l e x e . D a n s c e d i s t r i c t r é s i d e n t i e l , s u r l e s p e n t e s

d u m o n t C a r m e l , v i v e n t b e a u c o u p d e g e n s , a y a n t

l a r g e m e n t d é p a s s é l a c i n q u a n t a i n e , q u i o n t b é n é f i c i é d e s

d o m m a g e s d e g u e r r e v e r s é s p a r l ' A l l e m a g n e f é d é r a l e

a u x v i c t i m e s d u n a z i s m e . I l s o n t c o n s e r v é l e u r g e n r e d e

v i e , d e s h a b i t u d e s q u i é t a i e n t c e l l e s d e l e u r f a m i l l e

d a n s l e u r p a y s d ' o r i g i n e , p a r l e n t a l l e m a n d e n t r e e u x e t

m ê m e p o u r c o m m u n i q u e r a v e c l e u r s p e t i t s - e n f a n t s , s o u v e n t c o n t r e l e g r é d e l a g é n é r a t i o n i n t e r m é d i a i r e ,

1. Ce chapitre a été écrit en avril 1964.

Page 36: Fin du peuple juif

p o u r q u i l ' h é b r e u e s t d e v e n u la l a n g u e c o u r a n t e e t d o m i n a n t e 1

Ces « r e t r a i t é s », v e n u s j o u i r d ' u n e f in d e v ie pa i s ib l e d a n s ce b e a u s i te , o n t , p o u r la p l u p a r t , d u r e m e n t t r a - va i l l é p e n d a n t p lu s d ' u n q u a r t de siècle, e t l eu rs pa t - te rns g e r m a n i q u e s n e s ign i f i en t p a s qu ' i l s s o i e n t m o i n s a t t a c h é s , m o i n s i n t é g r é s de c œ u r e t d ' e s p r i t à I s r aë l q u e d ' a u t r e s i m m i g r a n t s . W . T . . . en es t , d a n s les m i l i e u x i n t e l l e c t u e l s , u n e x e m p l e : q u i n e f e r a i t q u e l ' e n t r e v o i r le p r e n d r a i t p o u r u n s t é r é o t y p e d u H e r r P r o f essor des U n i v e r s i t é s a l l e m a n d e s de n a g u è r e , so l enne l e t u n p e u g u i n d é . Sous ces a p p a r e n c e s , ce b o n j u r i s t e e s t u n a r d e n t m i l i t a n t e t conse i l le r é c o u t é d ' u n e F é d é r a t i o n

k i b b o u t z i q u e , u n soc ia l i s t e b o n t e i n t , u n p a t r i o t e i s r a é l i e n d o n t l ' a r d e u r n ' e s t p a s t o u j o u r s t e m p é r é e d ' e s p r i t c r i t i q u e ; ses d e u x fils v i v e n t d a n s u n k i b b o u t z d e Gal i lée , o ù ils o n t f a i t souche . L a p l u p a r t des s a b r a s q u e j ' a i r e n c o n t r é s p a r m i les é t u d i a n t s , n é s d e p a r e n t s a l lemands ; s o n t a s s imi lés , p h y s i q u e m e n t e t m e n t a l e -

1. S. N. Eisenstadt, dans un livre classique, a fait une étude compa- rative de l'absorption des immigrants par le Yishouv et par l 'Etat d'Israël, au cours des premières années de son existence (The Absorp- tion of Immigrants, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1954). Il y explique le maintien, dans certains groupes d'immigrants, d'îlots de culture, manifestant une force d'inertie, une « apathie relative » devant les valeurs centrales, collectives du Yishouv — puis de l 'État d'Israël. La V Alyah avait été quasi totalement composée de juifs allemands, chassés d'Allemagne par le nazisme et venus en Palestine sans trace d'idéologie sioniste ou socialiste, simplement pour y trouver un refuge. Comme dans le cas des juifs orientaux, ces immigrants différaient des « anciens » du Yishouv par les motifs de leur migration et le degré de leur prédisposition au changement : celle-ci était moindre dans la sphère des valeurs collectivistes, dans celle de la culture. Il y avait chez eux une moindre identification avec le Yishouv et, par suite, maintie.n d'îlots de culture et de genres de vie, d'associations à base régionale, de Landsmannschaften, voire de journaux de langue allemande. Par contre, l'adaptation aux rôles techniques et professionnels était élevée et rapide (Eisenstadt, ouvr. cité, pp. 103-104). Ces remarques sur la période 1935-1948 expliquent certains des traits culturels, bien atténués déjà, que nous avons mentionnés.

Page 37: Fin du peuple juif

m e n t is raél isés , c o m m e l ' é t a i t B a t h s e b a , la j e u n e sol- d a t e . D a n s les vi l les e t m ê m e d a n s c e r t a i n s k i b b o u t z i m

s u b s i s t e n t des g r o u p e s , u n i s p a r des l iens d ' o r i g i n e , o ù gens de R i g a , de L w o w , de Vi lna , de B u c a r e s t , de F r a n c - f o r t se r e n c o n t r e n t , e t e n t r e t i e n n e n t des « s u b c u l t u r e s »

d é c l i n a n t e s . Ces g r o u p e s m o u r r o n t a v e c l eu r s m e m b r e s ac tue l s . A m o i n s d ' u n e c a t a s t r o p h e , d ' u n n o u v e l E x o d e c o n d u i s a n t à u n e n o u v e l l e D i a s p o r a , l ' i s raé l i - s a t i o n es t i r r éve r s ib l e .

V I L L E S N O U V E L L E S D A N S L E D É S E R T

Ce pays, grand comme la moitié de la Suisse, actuel- lement moitié moins peuplé qu'elle, est un microcosme où coexistent et s'affrontent des hommes et des valeurs qui semblent empruntés aux périodes les plus diverses d'une même histoire, le judaïsme des origines, les ghet- tos d'Europe centrale, le marxisme, la technique la plus moderne, la coopération humaine audacieuse- ment jetée vers l'avenir, le réalisme des technocrates, mais aussi les renouveaux de la ferveur pionnière, les kibboutzim-bastions sur les frontières, le bouillonne- ment de forces jeunes, le surgissement des villes nou- velles.

J'en ai visité quelques-unes. Elles sont fondées à la fois par la nécessité d'exploiter toutes les ressources du pays et celle d'absorber les immigrants. Ashdod, le nouveau port, se construit de toutes pièces sur une côte déserte, entre Palmahim et Ashkelon. Muni des équi- pements les plus récents, il dépassera en importance le trafic de H a i f a Dès maintenant s'y dressent des immeubles modernes peuplés en grande partie de Marocains qui n'avaient jamais connu que des taudis.

1. On prévoit que la construction du port d'Ashdod sera terminée en avril 1965. A ce moment, celui de Haifa sera transformé en port de pêche et de plaisance.

Page 38: Fin du peuple juif

Kiryat Gat est implantée au centre du district de Lakhish, qui comprend une soixantaine de villages, surtout des moshavim, d'importantes usines de textiles (coton) et des sucreries. Ce complexe rural-urbain, inauguré en 1955, comptait déjà en 1961 plus de 30 000 habitants 1 Kiryat Gat est déjà une vieille « ville nouvelle », solide- ment enracinée, modèle pour d'autres, comme Arad, qui en sont à la période des tâtonnements méthodiques et de la planification urbaine.

Le 1 mars 1963, la route qui relie Beersheba à Arad par Omer et se prolongera jusqu'à Sodome (Sdom) venait d'être inaugurée, longue piste d'asphalte lisse à travers le désert. Arad n'était dans les dunes qu'une rangée de quelques bâtiments administratifs formant l'« Advance Camp », à la fois camp préliminaire et noyau de la ville future, où collaborent architectes, ingénieurs, sociologues, où des ouvriers du bâtiment, la plupart amenés chaque jour de Beersheba, construi- sent des immeubles d'habitation (par contre, la zone « industrielle », préparée par les bulldozers, demeure une plage vide), où un townplanner américain entouré de spécialistes israéliens, élabore des plans pour les futures vagues d'immigrants, dont il faut prévoir — ce n'est pas facile — la composition et l'ampleur. Les pion- niers de l'Advance Camp sont fiers de leurs quelques palmiers, des parkinsonias et des arbustes (clérodendrons) plantés par Zvi Aharoni, l'homme qui a égayé de verdure et d'arbres la région de Kiryat Gat. Pour chaque plante, il faut creuser avec un foret pneumatique un trou de 60 centimètres de diamètre et de profondeur. Pour chaque plante, chaque arbuste, il faut chercher la terre dans des affleurements de lœss à des kilomètres de distance et faire venir le terreau de Tel-Aviv. On veut

1. Sur lesquels 16 000 dans les villages. Le distr ict est peuplé d 'une minorité de vatikim, fo rmant les premiers cadres (15 %), mais sur- t o u t de Polonais et Roumains (40 %) et d ' immigrants récents, Nord- Africains, la p lupa r t Marocains (40 %).

Page 39: Fin du peuple juif

é v i t e r l e s d i f f i c u l t é s , l e s é c h e c s q u ' o n t c o n n u s d ' a u t r e s

v i l l e s n o u v e l l e s : « g h e t t o s » o ù s ' e n f e r m e n t l e s n o u v e a u x

i m m i g r a n t s o u f r i c t i o n s a v e c l e s a n c i e n s . I c i , c ' e s t u n

n o y a u d ' a n c i e n s q u i d o i t , p r o g r e s s i v e m e n t , a b s o r b e r l e s n o u v e a u x . A r a d , v i l l e d u d é s e r t , v i c t o i r e s u r l ' i s o l e -

m e n t , l a f a i m , l a s o i f , e s p è r e r é a l i s e r u n e s o r t e d e

s y m b i o s e d e s a n c i e n n e s e t d e s n o u v e l l e s A l y o t h . J e u n e a u s s i , m a i s e n c o m p a r a i s o n d ' A r a d d é j à

é p a n o u i e e t f l o r i s s a n t e , l a v i l l e d ' E i l a t h d o i t , s i o n v e u t

l a c o m p r e n d r e , ê t r e a t t e i n t e n o n p a r a v i o n m a i s à

t r a v e r s le N é g u e v p a r l a r o u t e , p a r c o u r u e d e v é r i t a b l e s

t r a i n s d e c a m i o n s p r o l o n g é s d e m o n s t r u e u s e s r e m o r q u e s , a l l a n t e t v e n a n t d e l a M é d i t e r r a n é e à l a m e r R o u g e . I l

f a u t , a p r è s l a v i s i t e d e s m i n e s d e c u i v r e d u r o i S a l o m o n , à T i m n a , a v o i r v u , a u - d e l à d e B e e r O r a , s e r é t r é c i r l a

t e r r e d ' I s r a ë l , c o i n c é e e n t r e l e s f r o n t i è r e s e s c a r p é e s d e

J o r d a n i e e t d ' E g y p t e , j u s q u ' à c e t t e p o i n t e , c e p e t i t

l a m b e a u d e g o l f e , c e m i n u s c u l e é c r i n d ' i n d i g o s c i n t i l -

l a n t : E i l a t h , p o u m o n d ' I s r a ë l o u v e r t s u r l ' A f r i q u e

e t p a r l ' o c é a n I n d i e n s u r l ' A s i e . L e p e t i t p o r t , m o d e s t e -

m e n t é q u i p é , e s t p r o p r e e t b i e n g a r d é . N e l e v i s i t e p a s

q u i v e u t ! B i e n t ô t il s e r v i r a d e p o r t d e p ê c h e l o r s q u e d e

g r a n d s d o c k s m o d e r n e s , à q u e l q u e s k i l o m è t r e s v e r s

l ' o u e s t , s e r o n t c o n s t r u i t s . E i l a t h d e m e u r e r a q u e l q u e t e m p s e n c o r e u n e v i l l e p i o n n i è r e o ù v i e n n e n t d e s h o m m e s

e n t r e p r e n a n t s c o m m e G . , m o n c a m a r a d e a l g é r i e n , p o u r

g a g n e r d e l ' a r g e n t , f a i r e a v a n c e r l e u r f a m i l l e v e r s l e

b i e n - ê t r e e t l a p r o m o t i o n s o c i a l e , e t o ù a f f l u e n t , a t t i r é s

p a r s o n c l i m a t s e c , s o n a z u r i n c o r r u p t i b l e , s e s h ô t e l s à

a i r c o n d i t i o n n é , s e s p l a g e s q u i s ' o r g a n i s e n t , d e s t o u -

r i s t e s c h a q u e a n n é e p l u s n o m b r e u x . E n a t t e n d a n t q u ' i l s l a b a n a l i s e n t , l a g â c h e n t , E i l a t h o ù , d e l a f e n ê t r e d e m o n h ô t e l , à l a l i m i t e d u d e r n i e r - n é d e s c h i k o u n i m ,

j e v o i s c o m m e n c e r l ' é t e n d u e d e s s a b l e s , l e d é s e r t

j u s q u ' a u x m o n t s d ' É g y p t e , e s t a u j o u r d ' h u i e n c o r e l e F a r S o u t h d ' I s r a ë l .