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10 natagora numéro 14 juillet-août 2006 en couverture en couverture Fleurs rouges, jaunes et bleues au milieu des blés… Ce n'est pas une vision quotidienne ! Et pourtant ce cliché a bien été effectué non loin de chez vous. Fleurs des champs, où êtes-vous ? La photo ci-dessus a été prise dans un champ de blé à proximité de Berzée (com- mune de Walcourt). Monsieur Ranwet, agriculteur, y a mis en place des bandes extensives de céréales. Voilà où l'on pourrait réaliser de beaux bouquets ! Convaincu de la nécessité de concilier son activité et le respect de la nature, Monsieur Ranwet a consacré 5 ha (8 %) de sa surface de production à des « amé- nagements agri-environnementaux ». Une des mesures qu'il a appliquée et pour laquelle il reçoit une compensation de la Région wallonne a pour but la conserva- tion des « fleurs messicoles ». Messicole ? Souvent appelées « mauvaises herbes » dans le monde agricole, « espèces messi- coles » dans le monde scientifique (du latin messis « moisson »), les fleurs des champs ont le même cycle de vie que les céréales. C'est pour cette raison qu'on les retrouve préférentiellement ou exclusivement dans les milieux soumis à la moisson. La plupart des espèces étaient jadis présentes partout dans nos cultures. Certaines sont cependant liées à des types de sol et/ou régions particulières. Ainsi, la Gaume et la Famenne se caractérisaient autrefois par une flore messicole très riche et ori- ginale, alors que l'Ardenne, peu céréalière, en présentait une moins diversifiée. Marie Etienne et Marie Legast Petit coquelicot (Papaver dubium) Trésors des champs Marie Etienne Pascal Colomb

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10 natagora numéro 14 juillet-août 2006

en couvertureen couverture

Fleurs rouges, jaunes et bleues au milieu des blés…

Ce n'est pas une vision quotidienne !

Et pourtant ce cliché a bien

été effectué non loin de chez vous.

Fleurs des champs, où êtes-vous ?

La photo ci-dessus a été prise dans un champ de blé à proximité de Berzée (com-mune de Walcourt). Monsieur Ranwet, agriculteur, y a mis en place des bandesextensives de céréales. Voilà où l'on pourrait réaliser de beaux bouquets !

Convaincu de la nécessité de concilier son activité et le respect de la nature,Monsieur Ranwet a consacré 5 ha (8 %) de sa surface de production à des « amé-nagements agri-environnementaux ». Une des mesures qu'il a appliquée et pourlaquelle il reçoit une compensation de la Région wallonne a pour but la conserva-tion des « fleurs messicoles ».

Messicole ?

Souvent appelées « mauvaises herbes » dans le monde agricole, « espèces messi-coles » dans le monde scientifique (du latin messis « moisson »), les fleurs deschamps ont le même cycle de vie que les céréales. C'est pour cette raison qu'on lesretrouve préférentiellement ou exclusivement dans les milieux soumis à la moisson.

La plupart des espèces étaient jadis présentes partout dans nos cultures. Certainessont cependant liées à des types de sol et/ou régions particulières. Ainsi, la Gaumeet la Famenne se caractérisaient autrefois par une flore messicole très riche et ori-ginale, alors que l'Ardenne, peu céréalière, en présentait une moins diversifiée.

Marie Etienne et Marie Legast

Petit coquelicot (Papaver dubium)

Trésors des champs

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Une origine lointaine…

On ne le dirait pas mais notre simplebleuet vient de loin… Les populationsde fleurs des champs se sontconstruites au fil du temps, du néoli-thique à nos jours. Elles ont suivi lecheminement des céréales avec les-quelles elles étaient cultivées, depuisl'Asie et le Moyen-Orient jusqu'àl'Europe.

À chaque étape, de nouvelles espècesse sont ajoutées et des populations sesont peu à peu différenciées jusqu'àêtre distinctes d'une région à uneautre. Cultivées par mégarde, les fleursmessicoles présentes chez nous sont lerésultat de plusieurs siècles d'adapta-tion à nos climats et à nos pratiquesagricoles.

Des causes de disparition bien connues

On imagine donc facilement les causes de la disparition de ces plantes considé-rées comme des « mauvaises herbes »… Anciennement, on luttait spécifiquementcontre certaines espèces par arrachage à la main ou par tri des semences. Parexemple, la nielle des blés, dont les semences sont vénéneuses, était systémati-quement arrachée dans les champs : « On envoyait les enfants aliéner les blés ».Les moyens de lutte contre certaines plantes parasites, comme les orobanches etles cuscutes, affaiblissant la culture, étaient décrits dans les flores ou anciens dic-tionnaires.

Plus récemment, la modification des pratiques culturales a eu un impact impor-tant : les engrais modifient les caractéristiques de certains milieux propices auxfleurs messicoles – les milieux calcaires et sols pauvres, par exemple – et les her-bicides non sélectifs provoquent la disparition directe de toutes les « mauvaisesherbes », sans distinction.

Le bleuet (Centaurea cyanus) vient de loin...

Pourquoi les préserver ?

Le constat est clair, sur les quelque 80espèces de messicoles recensées enWallonie, 30 ont complètement disparuet 25 ne subsistent apparemment quedans moins de 5 stations. Il s'agissaitpourtant d'espèces autrefois com-munes et abondantes.

Le premier intérêt de conserver cespopulations est donc de préserver ladiversité biologique. Les fleurs deschamps jouent également un rôleconsidérable dans l'équilibre des éco-systèmes agricoles. Certaines sont mel-lifères et attirent donc bourdons etabeilles, d'autres constituent par leurssemences une part de l'alimentationd'oiseaux comme la perdrix grise.

On peut aussi évoquer les aspectsrécréatifs, culturels, éthiques et esthé-tiques. Les fleurs des champs font par-tie de notre paysage rural depuis dessiècles et y conservent encore unegrande popularité. Les messicolesn’ont-elles pas inspiré des artistes ? Lescoquelicots ont été peints par Monet etchantés par Mouloudji, « Le bleu desbleuets » par Brassens…

Les semences toxiques de la nielle des blés(Agrostemma githago) lui ont valu une guerreacharnée

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12 natagora numéro 14 juillet-août 2006

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Dans la région de Hoegaerden etTirlemont, Natuurpunt (section Velpe-Mene), la grande sœur flamande deNatagora, gère actuellement 9 réservesagricoles (7 hectares au total).

L'histoire a commencé en 1996 avecune première parcelle de culture surdu limon caillouteux et riche en cal-caire, gérée afin d'y favoriser le retourdes plantes agricoles pionnières. Fin2002, le comité de gestion a décidéde semer du blé sur quelques par-celles et de le laisser sur pied pen-dant l'hiver afin d'aider la populationlocale de bruants. Les bruantsproyers, menacés dans tout leBenelux, restent dépendants desgraines jusqu'en avril.

Natuurpunt sème du blé d'hiver oudu blé de printemps, selon le poten-tiel botanique de l'endroit et la sen-sibilité de la parcelle aux chardons,dans un système d'alternance bi-annuelle (une année du blé, l'autre

Cet oiseau, hybride entre un bruantjaune et un bruant à calotteblanche, est par conséquent originaire de la zone de contactentre les deux espèces (Sibérieoccidentale). Il a été photographiépendant l'hiver 2003-2004 dans lesréserves agricoles de Natuurpunt,démontrant ainsi que leur attractivité dépasse le niveau local.

année en jachère). Le blé n’est biensûr pas traité.

Les 10 ans de gestion agricole sont cou-ronnés d'un très grand succès tant sur leplan floristique que faunistique. La ges-tion est assez intensive, coûteuse (achatdu grain, paiement de l'agriculteur quitraite les parcelles) et ne se prête pasfacilement au système de gestion qu'onconnaît ailleurs (où l'on a souventrecours aux bénévoles), mais les résul-tats sont là : des messicoles devenues

rares voire éteintes en Flandre, ontvite colonisé les champs agricoles oules parties laissées en jachère (linairebâtarde, euphorbe exiguë, petite spé-culaire…), des insectes rares et spé-cialisés (la fourmi Ponera coarctata,les carabes Ophonus nitidulus, Amaranitida...) y ont également été retrou-vés, et jusqu'à 700 bruants jaunes et250 bruants proyers y ont été dénom-brés en hiver (record belge) !

Contact : [email protected]

Une mesure au service des fleurs…

Le nouveau programme de mesures agri-environnementales en Région wallonne(en vigueur depuis janvier 2005) propose une mesure spécifique pour contribuerà la protection des fleurs des champs (la mesure 9d « Bande de messicoles »).

Elle prévoit le maintien, en bordure de cultures, de bandes de céréales extensives,où les traitements phytosanitaires et les apports de fumure sont supprimés. Dansune région où les fleurs des champs ont disparu depuis longtemps, un semis degraines de fleurs indigènes est envisagé. En compensation, l'agriculteur reçoit uneprime qui couvre la perte de revenu.

Les modalités d'implantation et de gestion (type de couvert, localisation de l'im-plantation, entretien…) de ces bandes sont définies avec un conseiller en agri-environnement. Par ses conseils, il contribue à améliorer l'efficacité de cesmesures ciblées, et répond à une demande de l'agriculteur.

Parmi les modalités, le maintien de céréales sur pied après la moisson. Cela attireen hiver de nombreuses espèces de notre avifaune en perte de vitesse, tels lesbruants, le moineau friquet…

Un suivi devrait permettre d'évaluer l'impact de ces aménagements sur ces dif-férentes espèces mais le bilan sera vraisemblablement positif si l'on en croit uneexpérience pilote menée dans la réserve du Bec du Feyi à Wibrin où 30 aresd'orge et d'avoine sont cultivés à l'usage exclusif des oiseaux. D'après HarryMardulyn, président de Natagora et gestionnaire du site, « depuis la mise enplace, les bruants jaunes sont présents dans la réserve en toute saison. Un autreintérêt est de voir se développer quantité de plantes messicoles devenues par-fois rares comme le chrysanthème des moissons. » Le chrysanthème des mois-sons, c’est cette fleur jaune que vous avez pu voir dans le champ de blé deMonsieur Ranwet.

Miroir de Vénus (Legousisa speculum-veneris)

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Vos observations nous intéressent !

Marie Legast ([email protected] -Laboratoire d'Ecologie - Passage desDéportés, 2 - 5030 Gembloux) collec-te les observations de messicoles enWallonie. Merci de lui communiquerlieu (coordonnées Lambert de préfé-rence), date et espèces observéesainsi que vos coordonnées. Lesespèces à prendre en compte sontreprises sur www.natagora.be/mae

XPour en savoir plus :Natagora, le magazine couleursnature n°7, pp. 28-30. www.natagora.be/maewww.velpe-mene.be/nbakkerreser-vaten.htm

Découvrir et agir…

En raison de la faible proportion demilieux cultivés protégés, les réservesnaturelles contribuent peu à la protec-tion des fleurs des moissons. C'est surl'ensemble du milieu agricole qu'il fautdonc agir. Cela demande une sensibili-sation du monde rural et une collabo-ration avec les agriculteurs pour lamise en place de mesures adéquates.

En 2005, 32 ha (16 km) de bandes decéréales extensives ont été mis enplace par des agriculteurs à travers laWallonie. La motivation des agricul-teurs est diverse : aspect paysager,image de l'agriculture, aspect financier,maintien de zones refuges pour le petitgibier et parfois la conservation desfleurs des champs…

C'est dans les champs où des fleurssont encore présentes que l'installationde bandes extensives est évidemmentprioritaire. Les naturalistes de terrainont leur rôle à jouer… En détectant cesfleurs et en nous communiquant vosobservations, vous participerez à lasauvegarde de ces espèces devenuessi rares.

Dans le cadre de son travail de find'études spécialisées en environne-ment, Nicolas Van Hove a dénombréen une quinzaine de jours 28 parcellesde Famenne présentant des fleurs deschamps... La recherche n'est donc pasvaine. Ouvrez l'œil !

Les MAE au service de nos réservesLes primes agri-environnementales (MAE) sont des compensations financièresqu’un exploitant agricole peut recevoir en échange d’un effort réalisé en faveurde l’environnement. L’engagement est pris sur base volontaire, pour une duréede 5 ans et va au-delà des bonnes pratiques agricoles.

Natagora est active au niveau du milieu agricole : Marie Etienne (081/830 336,[email protected]) est spécialement chargée de promouvoir lesmesures agri-environnementales et de conseiller agriculteurs et bénévoles del’association sur le sujet.

Ces mesures peuvent apporter un réel soutien pour la gestion de nos réservesnaturelles par les moyens financiers offerts aux agriculteurs et le renforcementde l’engagement de l’agriculteur dans la gestion. Des mesures sont particuliè-rement intéressantes à mettre en oeuvre dans ou en bordure des réserves,comme le maintien de bandes de prairies extensives en bordure de réserve natu-relle (zone tampon), la gestion extensive de praires, l’installation de bandesenherbées ou de couvert particulier favorable à l’avifaune…

La rare forme bleue du mouron (Anagallisarvensis) voisine ici avec la forme rouge

La discrète ombelle de la noix de terre(Bunium bulbocastanum) attire quantité

d’insectes

Mélampyre des champs (Melampyrumarvense) : une des espèces recherchées

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