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FLIC DANS LA VILLE

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Alain VALLET

FLIC DANS LA VILLE

ÉDITIONS LES 7 VENTS

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© Éditions les 7 Vents 40, rue de Vergennes

78000 Versailles Tél. 39.51.86.73

ISBN 2-87716-015-7

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Je déteste ce que tu dis mais je me battrai pour que tu aies le droit de le dire.

Voltaire

Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m'est étranger.

Terence

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PRÉFACE

Flic dans la ville Tous les médecins vous le diront, le corps humain, le cer-

veau, le muscle cardiaque, les organes, les membres d'un flic, sont en tout point comparables à ceux du Prix Nobel de la Paix, ou du marginal le plus démuni.

Seules les circonstances font ce qu'il devient, générale- ment ni l'un ni l'autre, comme la grande majorité de nos semblables.

Il n'y a donc aucune raison physique, morale, ou statis- tique pour qu'il ne s'intègre pas pleinement à la société.

Homme de bonne volonté, il n'est pas votre ennemi. Si de nouveaux rapports confiants et clairs s'établissent, selon ses vœux, entre lui et vous, ce sera l'assurance de la démocratie, qu'il a mission première de défendre.

Ne l'en découragez pas. Ne l'en démotivez pas. Une telle erreur appellerait d'autres à le remplacer, et ceux-ci pour- raient justifier tous les clichés dont on l'a affublé. Son enfer deviendrait rapidement le vôtre.

La puissante Fédération Autonome des Syndicats de Police (par son nombre, par la diversité de ses composantes, par sa main tendue à tous sans exclusive, par son esprit républicain) s'est regroupée autour de deux idées mai- tresses :

1 - Tous les Hommes naissent libres et égaux en droit 2 - La garantie des Droits de l'Homme et du Citoyen

nécessite une force publique. Cette force est donc constituée pour l'avantage de tous et non pour l'utilité particulière de ceux à qui elle est confiée.

Il s'agit des articles 1 et 12 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du Citoyen.

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Le quartier était « à problèmes ».

Le commissariat comptait vingt-cinq fonctionnaires. C'était beaucoup pour un service de cette nature, mais le secteur était réputé selon les humeurs et les sensibilités « pourri » ou « difficile ».

Côté cohabitation, il n'y avait guère que cent cinquante sept ethnies recensées. Comme dans toutes les périphéries de Paris, une ceinture de logements H.L.M. faisait second mur anti-bruit entre les « Maréchaux » déjà pas si tristes et le « périf ». De grands travaux érigeaient des immeubles flam- bant neufs dont le quatre pièces se vendait neuf cent mille francs au bas mot, en lieu et place des constructions anciennes occupées par de petites gens et taxées de vétusté. Alors, les pépés et les mémés étaient priés d'aller se retraiter ailleurs que dans leur quartier d'origine, pour cause de rénovation.

Des zones entières d'[insalubrité] appelaient de leurs vœux des mesures drastiques de remise aux normes mini- males de décence. Dans cette attente, un logement vide était immédiatement occupé par une escouade de Zaïrois, Gha- néens, ou autres Africains, informés de toutes ces aubaines par des avocats peu scrupuleux qui leur indiquaient le mode d'emploi du squatt, moyennant finances, et sous couvert

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d'associations de circonstance : repérage d'un panneau « à vendre » ou « à louer » ; fracture de la serrure un vendredi soir, installation et clôture des lieux. Passé le délai de qua- rante-huit heures, une expulsion était impossible. Il restait à établir une fausse quittance de loyer, d'électricité, et de télé- phone et la récupération par le légitime propriétaire deve- nait la quadrature du cercle.

Ces mêmes squatts servaient de supports à divers trafics, et prioritairement, à celui de la drogue.

Il faut dire que l'O.F.P.R.A. (Office Français pour les Réfu- giés et Apatrides) délivrait à tous, sans discrimination, sans le moindre contrôle, des certificats de postulants réfugiés, avec lesquels ils se faisaient établir des récépissés qui don- naient droit à un séjour de six mois. Pis, les mêmes bénéfi- ciaient, pendant cette période probatoire (automatiquement prorogée d'un an), d'une allocation chômage prélevée sur les A.S.S.E.D.I.C. et par conséquent, sur les cotisations ouvrières !

Le Commissaire Principal Le Marquis, était un authen- tique aristocrate, avec un vrai titre, qui n'excluait pas des idées sociales avancées.

Loic avait fait sa connaissance, quelques années plus tôt, dans un autre commissariat, et il avait aimé travailler avec cet homme affable, toujours à l'écoute bienveillante d'autrui.

Il avait retrouvé aussi une vieille connaissance en la per- sonne de Jean Lanfranchi, ami de toujours, maintenant Ins- pecteur Principal.

En bas, Madame Louise, la soixantaine alerte, officiait parmi les répertoires et les dossiers. Les hôtesses faisaient de leur mieux pour informer les administrés du quartier dont elles remplissaient au besoin les formulaires de Sécurité Sociale. Les inspecteurs du guichet guichetaient dans toute la mesure du possible, s'aidant à l'occasion pour être mieux compris du restaurateur kabyle d'en face, du Chinois mar- chand de vêtements d'à côté, ou d'un Africain ami connais- sant par le menu le Peuhl ou le Zimbabwe.

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Lorsque Loic avait pris son service en ces lieux, on lui avait demandé d'animer plus spécialement le noyau de voie publique.

Sa mission consistait à faire ce qu'il voulait pourvu qu'il en justifiât d'une activité intelligente. Les résultats se mesu- raient (avec prière de se faire une concurrence sauvage), avec les chiffres des gardés à vue et de la diminution des plaintes.

Loic avait pris le parti, comme son organisation syndicale y inclinait, de rendre visite à un maximum d'administrés. Son discours avait surpris :

- Je suis flic. Mes deux adjoints sont Dudrane et Arduy. Nous sommes vos employés puisque vous payez des impôts.

Il serait idiot de les payer en pure perte et de ne pas utili- ser le service public que vous financez.

Voici nos numéros. Nous sommes à votre disposition le cas échéant.

Ils avaient reçu une visite timide, puis deux, puis trois, et maintenant, ils croulaient sous la demande. Leurs résultats faisaient pâlir d'envie, bien qu'ils fussent justifiés par un sec- teur particulièrement giboyeux.

Comme d'habitude, Loic alla prendre son café chez Amar. Il y faisait en même temps sa revue de presse.

Du temps de la parution du Matin, il le lisait ainsi que le Quotidien et en tirait une sorte de moyenne pour appréhen- der les problèmes politiques qui le passionnaient. Mainte- nant qu'il ne pouvait plus comparer, pour cause de dispari- tion du premier, c'est Libération qui avait ses faveurs.

Le bar était peuplé de Kabyles, ouvriers du bâtiment ou des travaux publics pour la plupart. Juste au-dessus, Amar tenait aussi un hôtel. L'ambiance était toujours conviviale, et c'était bien le diable si on ne tendait pas à Loic une photo d'Algérie, montrant un petit dernier, une maison en construction ou une famille à l'occasion des vacances. En

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contrepartie, Libération passait de mains en mains pour les gros titres, puis revenait à son propriétaire vers les neuf heures.

C'était l'heure d'ouverture. Il saluait tout le monde au gui- chet, faisait la bise à Mémé Louise, consultait ses dossiers et grimpait au premier où le plus souvent, Dudrane et Arduy l'avaient précédé. C'étaient deux gaillards solidement taillés, qui se donnaient rendez-vous dès sept heures pour un foo- ting matinal de dix kilomètres.

Dudrane tendit une note à Loic : - Tiens, il faut que tu passes voir le Directeur de la B.N.P. - Qu'est-ce qu'il me veut? - Te dire des choses. - Au sujet de? - Il n'a pas précisé. Arduy l'interpella à son tour. - Le fils Gallois a encore fait des siennes. - Vol d'auto-radio comme d'habitude? - Gagné! - Ben voyons. Tu viens avec moi à la banque? - Si tu permets, je vais plutôt m'occuper du fils Gallois. Il

y a un dealer là-dessous. - C'est vrai que la dernière fois, il a écopé six mois. C'est

vache mais régulier comme on dit, à la troisième récidive en un an. T'as sûrement raison. Il y a un loup. Il n'est quand même pas si con!

Dudrane alla chercher les clés de la voiture. - Moi, je t'accompagne. - Si tu veux.

La banque se trouvait avenue Jean-Jaurès. On les introdui- sit auprès du Directeur qui serra chaleureusement la main de Loïc.

- Je vous remercie d'être venus, et j'aimerais vous entre- tenir d'un sujet délicat.

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Le banquier fit apporter trois cafés et un dossier. Il en extirpa un feuillet mécanographié.

- Nous avons une vieille et fidèle cliente de quatre vingt- huit ans. Madame Baloir. Sans être aisée, elle dispose d'une retraite très confortable, servie par la Caisse des Dépôts. Elle dépense peu, n'a pas d'amant que je sache, la pauvre vieille, et possédait jusque récemment un avoir de cent cinquante mille francs. Rien à faire pour qu'elle l'investisse sur un livret : elle n'a pas confiance du moment qu'il ne s'agit pas de son compte.

Le gestionnaire a attiré mon attention sur une anomalie de taille : elle est à découvert.

Je ne comprends pas. En deux mois elle aurait tout épongé. Curieux non?

- Comment est-elle ? Je veux dire, dans quel état de séni- lité ?

- Avancé, malheureusement. Mais pas au point de perdre la tête. Elle serait même plutôt regardante, et, je le répète, méfiante.

- Et les chèques tirés sont à quel ordre? - J'ai noté la liste. Un garage. Par conséquent, une voi-

ture. Des commerçants, qui ne se souviennent plus bien des circonstances des encaissements. Un artisan.

- Il nous reste à aller visiter ces gens-là. - En ce qui concerne ma cliente, je n'ai pas osé lui annon-

cer la couleur. Imaginez qu'elle me fasse un infarctus! - Exact. A ce sujet, elle se soigne pour quelque chose? - Je pense. J'ai vu des Cartes Bleues au nom d'une phar-

macie. - Je crois qu'il faut commencer par là avant d'aborder

cette pauvre femme. Qui dit pharmacien dit médecin, et le mieux est que je lui en parle d'abord. Au fait, elle est assez moderne la mémé. Carte Bleue s'il vous plaît!

- Oh, elle n'a rien de sot. Elle était chef de Service ou quelque chose comme ça, mais depuis un an, elle a dû renoncer à ce mode de paiement. Exclusivement à cause de sa vue d'ailleurs. Bien entendu, je ne vous ai rien dit avant que vous ne me déposiez une réquisition.

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- Cela va de soi.

Ainsi, notre bonne vieille n'y voyait plus bien, et en jonglant sans doute avec les francs et les centimes, une main peu scrupeuleuse avait asséché son compte, à son insu.

Dans ces sortes d'affaires, la difficulté tient toujours au fait que les vieillards répugnent à déposer plainte contre le proche indélicat ou le voisin obligeant qui les a détroussés. Leur solitude, leur dépendance aussi, en a fait des intimes. Alors, ils sont plus enclins à croire en un mauvais concours de circonstances qu'en la duplicité du seul tiers qui leur porte de l'intérêt : qui empêche qui de recevoir des cadeaux? Qui empêche qui d'en faire?

Loïc y réfléchissait comme la voiture, pilotée avec audace par Dudrane les ramenait au service. Ce dernier, plus impul- sif, plus direct aussi, questionna :

- On identifie et on saute tous les titulaires des gros chèques ?

- On détermine d'abord par qui et dans quelles condi- tions ils ont été présentés, transmis, encaissés.

- Tu es d'un chiant! - Je sais. Mais si on se précipite, on ne prouvera rien et on

donnera l'éveil. De plus, les gens qui s'amusent à ce petit sport ne s'en tiennent pas à une victime.

Au commissariat, Arduy en avait terminé avec le fils Gal- lois. Assis en face de lui, il fumait sa cigarette et il fallait que la conversation eût été fructueuse, car l'inspecteur avait la fumée, non seulement la sienne, mais celle des autres, en horreur.

Arduy notait à toute vitesse et de la main gauche, les préci- sions apportées par le fils Gallois.

- Alors, c'est bien la chambre 12. Tu te présentes, on t'ouvre, et on te sert.

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- Certain!. Mais pour mon vol d'auto-radio, on fait quoi ? - On va demander au Chef. Cela paraît sans doute assez peu moral, mais il arrive ainsi

que l'on troque une liberté mal méritée contre une prise plus importante, selon le principe de la pêche au vif. Un vai- ron n'est intéressant qu'en quantité suffisante pour faire une friture. Alors, un de plus ou un de moins, c'est sans intérêt. Il est donc de bonne guerre de le crocheter à l'hameçon pour prendre un brochet.

- Il nous propose entre cinquante et cent grammes, à aller chercher au Foyer de la Commanderie, chambre 12.

- Il est sûr de son fait? - Apparemment. Loïc s'assit à son tour en face de Gallois. - Combien de mecs dans la piaule? - Ils sont toujours deux ou trois. C'est l'après-midi qu'ils

livrent. - Toujours dans la même chambre? - Toujours. - C'est pas très prudent! - Oh attention, c'est pas de la livraison sauvage dans le

style « coucou c'est moi, j'en voudrais et on m'a dit que vous en avez ». Il a fallu que j'en prenne à la rencontre dans la rue. Il a fallu que je sois livré régulièrement. Maintenant, je peux les acheter par cinq ou six, et directement là-haut. Ils ont confiance.

On fit descendre Gallois jusqu'à la cellule située au rez-de- chaussée, pour discuter plus à l'aise. Loïc appela le Parquet (ensemble des magistrats de l'accusation qui dirigent la Police Judiciaire, décident ou non des poursuites et requièrent à l'audience), et il tomba sur le Procureur Davas.

C'était un « gauchiste » du Syndicat de la Magistrature, cousin germain de l'organisation de Loïc. Lui non plus n'était pas né avec un couteau entre les dents, mais au contraire, avec de solides notions républicaines. Il n'était évidemment pas question que l'on agresse sa République ni

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d'une quelconque manière l'ordre public dont il avait la charge. Mais à l'inverse de quelques autres, qui se raréfiaient à mesure des départs en retraite, il ne voyait la délinquance que là où elle était vraiment, et ne faisait pas de l'enferme- ment systématique un catéchisme sans nuances.

Il connaissait « ses flics », c'est-à-dire, les Officiers de Police Judiciaire, (bras séculiers de la Justice, liens naturels entre l'ensemble de la Police et la Justice) sachant par cœur ceux qui « en rajoutent » et ceux qui disent juste. Il connais- sait aussi le clan des « angéliques » faisant dans le jusqu'au- boutisme béat de ce qu'ils croyaient être de bon ton démo- cratique. Si ces derniers étaient sympathiques, ils avaient totalement perdu de vue que la finalité de la force publique n'est pas d'être confondue avec l'assistanat social ou la médecine psychiatrique.

Dans son esprit logiquement ordonné, le primaire auteur de la simple agression bénigne contre les biens devait une fois pris, bénéficier de la présomption d'amendement, et ne pas être mélangé inconsidérément avec des aigrefins confir- més, le temps d'une peine.

Le récidiviste devait s'assumer dans ses choix, et puisqu'il n'avait pas compris, se voir appliquer le minimum de la peine prévue pour prendre conscience que rien n'est gratuit et que la société est équipée pour se défendre.

Les agressions violentes contre les personnes devaient dis- qualifier immédiatement leurs auteurs, avec toute la sévérité voulue. Encore fallait-il que les enquêtes le démontrent avec assez de rigueur et d'exactitude pour éviter deux types de tentations: la facilité (on ne prête qu'aux riches) ou les aveux obtenus par la force. Les coups, bien entendu, doivent être sanctionnés comme inadmissibles et indignes de l'état de policier. De ce point de vue, certains nostalgiques tenaient Davas pour un « sectaire » - Mais la violence peut être aussi dans la dictature de l'intelligence sur un esprit simple, ou le « gommage » des aspects d'une vérité favo- rables à un justiciable à tête de coupable.

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Ces principes qui faisaient globalement l'unanimité du flic et du magistrat, n'étaient autres que ceux insufflés par Robert Badinter, homme de cœur, mais aussi, homme lucide. Si des déviations, des outrances avaient pu être constatées en leur temps, ce n'était pas du fait du Garde des Sceaux, mais de certains, croyant de bon ton de faire dans le laxisme et pensant naïvement que se faire remarquer ainsi leur donnerait une image de marque payante.

On avait changé de Garde des Sceaux et les mêmes fayots s'étaient crus obligés de requérir lourdement, par carrié- risme, troquant le « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » pour « tout le monde il est vilain, tout le monde il est méchant ».

Davas avait vu avec hauteur ces carriéristes ajuster leurs convictions sur l'opportunité du moment : avant Badinter, pendant Badinter, après Badinter. Lui, Davas, magistrat hon- nête et honnêtement pénétré de son rôle, ne sacrifiait à aucune facilité, et ses convictions n'avaient pas varié d'un iota. Elles résultaient des codes, des lois, qu'il appliquait scrupuleusement depuis toujours et des jurisprudences met- tant dans le détail tout le monde à égalité devant la loi. Il n'y avait en effet aucune raison pour que telle disposition appli- quée à Pierre ne soit pas appliquée à Paul quelques semaines plus tard.

Loïc, que vingt ans de carrière n'avaient pas non plus fait fluctuer au gré des circonstances, prenait volontiers l'avis de Davas, qu'il respectait.

- Monsieur le Procureur, mes respects. Loïc François. - Vous allez bien ? - Merci. Deux choses m'amènent. Par ordre d'impor-

tance, mon « indic », le directeur d'une banque, me signale le cas d'une vieille dame économe ayant perdu en un mois quelque quinze unités. Comme elle ne joue pas aux courses, ne fume pas, ne boit pas, et n'a pas d'amant apparent, il paraît vraisemblable qu'elle est victime d'un escroc aux vieillards.

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- C'est l'espèce la plus haïssable qui soit. Mais il faut les traquer avec précision, car les mailles du filet sont lâches. On peut s'en sortir en invoquant le don généreux, la dette ancienne, s'invoquer un lien de droit. Ces gens-là sont inven- tifs et généralement, ils assurent leurs arrières.

Vous passerez me voir avec vos précisions, vos constata- tions, et je désignerai un juge pour vous chapeauter. Vous aurez ainsi les coudées plus franches.

- La seconde affaire est plus simple. Nous avons dans nos locaux un nommé Gilles Gallois.

- Oh, je vois. Je l'ai eu au moins dix-sept fois entre les pattes. Qu'est-ce qu'il a encore fait?

- Vol d'auto-radio. - Pas de problème, vous me le déférez et il passera en

jugement dans les quarante huit heures. Il commence à nous fatiguer celui-là.

- Comme vous voudrez Monsieur le Procureur, mais il faut quand même que je vous informe de la proposition qu'il nous a faite. Si les choses se passent bien pour lui, il nous donne un dealer. Son dealer.

Évidemment, il tient un discours à faire pleurer dans les chaumières sur sa dépendance à l'héroïne, qui le pousse à voler pour en avoir. On peut admettre que la pupille est dila- tée, les bras troués.

Mais ce qu'il raconte paraît cohérent. Le hic, c'est qu'il faudrait qu'il soit dehors pour acheter, et par conséquent, libre.

- Il a un domicile fixe? Autrefois, on exigeait aussi un emploi, mais ça ne veut plus dire grand chose.

- Disons plutôt un certain domicile : chez sa mère, comme tous. Mais on peut le récupérer le cas échéant.

- Voilà ce que nous allons faire : vous dressez la procé- dure tout à fait normalement et vous me l'adressez. Faites- lui bien savoir qu'il sera jugé, compte-tenu aussi d'une toxi- comanie dont il veut se défaire. A cet égard, joignez-moi la procédure des stups, aboutie ou non.

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Dans l'immédiat, il est laissé libre aux charges d'usage. Bonne chance ! Et venez me voir pour votre grand-mère dès que vous aurez le temps.

Il était près de midi. Comme chaque jour, Dudrane en pro- fita pour faire son footing, Arduy alla avec les autres déjeu- ner dans un restaurant d'entreprise de la Ville de Paris, où les flics avaient accès. Lanfranchi vint chercher Loïc pour déjeuner en face chez Amar. Le Marquis les rejoignit et tous trois firent le point entre deux plats. Ce n'était ni succulent ni mauvais, mais honnête compte-tenu du rapport qualité- prix. Le Marquis payait ordinairement les cafés, parfois, les repas, lorsqu'une belle affaire était parvenue à maturation.

Loïc et Lanfranchi arrivés les premiers, se firent servir un kir en attendant le patron.

Lanfranchi avait réglé l'affaire de deux cambrioleurs dans la matinée. C'étaient deux Maghrébins. D'une table voisine lui parvint un commentaire sécuritaire. C'était Driss, vieil ouvrier peintre, intégré depuis maintenant une bonne qua- rantaine d'années - depuis son retour de Monte Cassino où il s'était illustré puisqu'il était titulaire de la Croix de la Valeur Militaire.

Driss maintenant faisait dans la peinture en bâtiment, et commandait des chantiers. Ceci, joint à sa pension d'ancien combattant, lui assurait une certaine aisance. Sa qualité de Français à part entière, chèrement acquise, chèrement défendue, explosait à tout venant contre les « nouveaux » qui, c'est vrai, n'en avaient pas mérité tant.

- Ces « bougnoules », à la mer il faut les mettre Chef! Moi, quand je suis invité quelque part, je crache pas sur la moquette, et je chie pas sur la table. Ou alors, le patron de la maison il me fout à la porte, et il a bien raison.

Renchérissant, Mustapha, son voisin de table manifesta. Il était plus jeune : trente-cinq ans. Il travaillait dans l'entre- prise de Driss.

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- Moi, Chef, vingt ans la France et jamais une histoire. Le père il nous aurait renvoyés là bas dans la famille, il nous aurait lâchés à Alger et il aurait dit : « Vas-y! Fais pareil et tu vas voir ». Mais les jeunes, aujourd'hui, ils comprennent rien. Chaque fois qu'un Arabe fait le con, c'est tous les autres qui sont traités de voleurs.

Le discours était simpliste. Loïc savait, pour avoir visité un commissariat algérien, reçu son homologue Mustapha Derg- ham, que la loi algérienne était parfaitement calquée sur la loi française, dont elle épousait les moindres méandres. Pour un jeune, l'Algérie n'était pas le bagne et sa police n'était pas excessive. Simplement, une plus grande rigueur des mœurs due à l'Islam pouvait paraître insupportable aux « francisés ». On ne fumait pas devant son père « par res- pect ». Boire de l'alcool était autorisé, mais mal vu des anciens. Et surtout, les filles dans leur immense majorité se gardaient pures pour le mariage. Avec le temps et les communications les différences s'abolissaient vite et bien- tôt, les deux pays seraient à peu près comparables.

Mais certains Algériens, Tunisiens, Marocains et autres Africains, se comportaient parfois à l'étranger comme en terrain conquis. Des Parisiens ont souvent aussi ce réflexe à la campagne, cueillant les fruits amoureusement récoltés par le paysan, qui vit exclusivement de leur vente. Une poire, deux poires, trois poires, cela ne tire pas à consé- quence, et il serait le premier à les donner, mais sept à huit cents fois une poire, c'est un manque à gagner pour quelqu'un qui ne vit que de cela, de sorte que les cartouches à sel ne sont pas loin avec leur potentiel de haine donnée et rendue :

- Salopiauds de Parisiens! - Cul-terreux de merde! Les deux inspecteurs étaient devenus silencieux, Lanfran-

chi méditait sur sa Corse ensoleillée où il ferait si bon vivre, mais qui ne se suffisait pas à elle-même, en sorte qu'il lui fal- lait venir régler en ce quartier gris et peu ragoûtant, des dif- férends ne le concernant que de très loin.

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Loic pensait à sa grand-mère maternelle, une belle Polo- naise dont le portrait figurait en bonne place dans son album de famille. Si la malchance avait voulu que Mémé Marie fût dans l'autre lignée, il se serait appelé Zelecznickar, ce qui eût été sans doute plus original mais difficile d'accès pour les fonctionnaires ayant à connaître de ses démarches courantes.

- Alors Messieurs, on rêve! C'était Le Marquis qui s'installait auprès d'eux. Tous trois

passèrent commande après que Loic et Lanfranchi eurent terminé leur reliquat de kir attiédi.

Ils n'en proposèrent pas au patron, buveur exclusif d'eau plate.

Chacun rendit compte des événements de la matinée. Lanfranchi commença : - Moi, je défère deux petits casseurs. Ils prendront la cel-

lulaire de treize heures. - Moi, je remets Gallois en liberté sur accord de Monsieur

Davas. Le Marquis marqua de l'étonnement : - Allons bon ! Vous attendez qu'il arrose sa centième ce

mois-ci ? - Pas exactement. Il nous propose une affaire de stups et

c'est évidemment une cote mal taillée. - Dans ce cas, si le jeu en vaut la chandelle? - On peut penser que oui. Vers seize heures, il ira cher-

cher sa dose. On pénètre derrière lui et on interpelle. Per- quisition et aux résultats. L'ennui c'est que ces choses-là se passent au foyer Sonacotra de la Commanderie. Il y a Lan- franchi, Arduy et Dudrane et moi pour couvrir l'opération.

- Vous êtes suffisants? - Un de plus, ce n'aurait pas été mal. - Alors, je suis votre homme si vous ne me jugez pas trop

décati. - Ce sera un honneur, Patron. - C'est tout? A quelle heure le départ?

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- Seize heures. Ah, il faut aussi que je vous dise. Le Direc- teur de la B.N.P. nous a signalé le cas d'une vieille dame délestée de quinze briques en deux mois. Manifestement, il y a un petit malin dans le circuit.

- Oui, j'ai vu ça. Il m'a téléphoné pour me donner une petite précision.

- Laquelle? - Le dernier chèque de vingt mille francs, vous pouvez

l'éliminer de vos recherches. Le bénéficiaire était son neveu. Elle lui a prêté cette somme pour compléter un apport per- sonnel dans l'attente du déblocage d'un crédit. Le crédit est maintenant débloqué, et le neveu est venu immédiatement rembourser la banque, je veux dire, déposer son rembourse- ment certifié au crédit de sa tante.

Autrement dit, sans ce concours de circonstances, elle n'aurait jamais su l'état de son compte car elle classe ses relevés sans les vérifier. Elle serait probablement morte dans quelques années avec ce petit secret. C'est finement joué comme type d'escroquerie. « L'os dans le potage », pour reprendre une de vos expressions favorites, c'est justement ce découvert providentiel et accidentel.

Ils déjeunèrent rapidement. Le Marquis monta signer son courrier en attendant l'heure du départ. Loic et Lanfranchi firent un flipper, avant de rejoindre leurs bureaux respectifs. Au passage, dans la salle du bas, où ils prenaient toujours les dernières nouvelles après chaque absence, ils virent quatre solides gardiens de la paix et un petit bonhomme virulent.

- C'est pourquoi? - Outrage! Ces affaires-là les répugnaient par excellence. En P.J., et

notamment dans ces sortes de quartiers, un inspecteur est traité une bonne vingtaine de fois, chaque semaine, de « pédé » ou « enculé » qu'il s'agisse de détenus conjurant ainsi la prison prochaine, ou de plaignants, furieux de voir leur voleur déjà dehors, comme si les inspecteurs y pou- vaient quelque chose!

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Si on devait s'y arrêter et déclencher une procédure (par- faitement légale) à chacune de ces manifestations d'humeur, les prisons seraient pleines, y compris les futures privatisées.

Pour les gardiens de la paix, les choses sont un peu dif- férentes. Lorsqu'on porte une tenue et représente en modeste part l'État sur une place publique, on n'est plus maître de sa seule personne mais de ce qu'elle symbolise : l'autorité dont on est investi d'une parcelle. Si l'outrage est public, volontaire, manifeste, il ne peut évidemment rester sans sanction.

Lanfranchi consulta sa montre. Quatorze heures. L'outragé était un gardien antillais, l'outrageur un

commerçant suffisant, qui tenta immédiatement de s'impo- ser.

- Bon, Messieurs, je n'ai pas que ça à faire. Je travaille moi! Je paye des impôts, moi! Et tout ça pour nourrir ces bamboulas à ne rien foutre!

Il fut décidé que Loic entendrait le gardien et Lanfranchi l'auteur des faits.

Cette dernière audition s'avéra la plus pénible. Le « client » était imbuvable :

- Tout d'abord, je précise que je suis du dernier bien avec Monsieur le Maire.

Lanfranchi tapa in extenso sur sa machine. - Mais qu'est-ce que vous notez là? - Que vous êtes du dernier bien avec Monsieur le Maire. - Mais non, ceci c'est entre nous. - Vous signez, vous ne signez pas, c'est sans importance,

je suis là pour noter vos propos, un point c'est tout. Le téléphone sonna. Lanfranchi décrocha : - Mes respects, Monsieur le Maire... Oui, je suis chargé du

dossier de l'école Cambrai. Le terme de racket à la sortie parait exagéré. Nous avons interpellé des chenapans un peu trop turbulents, un peu trop véhéments, qui s'appropriaient de manière un peu musclée et indue, c'est vrai, des images de Goldorak et de Candie.

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Ce n'est pas très normal mais nous sommes loin des vols d'argent, de bijoux, et des propositions de drogue annoncés par la pétition que vous avez reçue.

Quoiqu'il en soit, les noms des « coupables » ont été pris, et le directeur de leur école leur fera une leçon de morale. C'est un homme à poigne et craint de ses élèves.

Au fait, j'ai justement ici un de vos amis d'ailleurs signa- taire si ma mémoire est bonne : Monsieur Lapierre. Vous ne connaissez pas ? Ah bon, je pensais.

Après avoir raccroché sur les civilités d'usage, il reprit son audition :

- Alors, vous auriez dit au gardien qui vous sanctionnait pour stationnement abusif gênant la circulation :

« Moi, je travaille espèce de mal-lavé. Je ne suis pas là pour faire chier le monde ! »

Le gardien précise qu'à quelques mètres, des emplace- ments de stationnement étaient disponibles, mais vous aviez pris le parti de rester en pleine rue, occasionnant un embou- teillage se répercutant au carrefour le plus proche.

- Oh, j'avais à décharger. Je ne vais pas aller à pétaouch- nock et faire la navette non ?

- On ne vous le demande pas, mais tout de même, le paquet que vous avez déchargé contenait trois montres. On ne peut pas dire que ce soit un travail de force, et que cinq mètres de plus à faire auraient été bien pénibles.

- Bon, eh bien on n'en parle plus et je m'en vais. J'ai à faire moi!

- C'est vrai qu'on ne parlera pas ici de la contravention. Ce n'est pas mon domaine. Restons-en aux injures : d'abord il y a outrage, ensuite, vous avez ajouté :

« C'est pas un négro qui va me commander dans mon pays ».

Or, Monsieur Thine est tout autant que vous dans son propre pays dont il est, qui plus est, fonctionnaire d'autorité. Ce type d'injure raciste est inadmissible.

L'homme regarda méchamment Lanfranchi.

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- On en crève de tous ces métèques. D'abord un négro qui fait la loi dans la rue. Au commissariat, c'est un Corse, mélange de rital et de bougnoule. Elle est belle la France!

Sans s'émouvoir, Lanfranchi relut à l'homme sa déposi- tion.

- Vous signez? - Torchez-vous le cul avec ! Vous verrez de quel bois je

me chauffe. Je connais du monde moi! Loïc vint déposer son audition sur le bureau de son col-

lègue. - T'as besoin du gardien pour une confrontation? - Pas la peine. Monsieur non seulement avoue, mais il en

rajoute. Ils libérèrent l'excité, sans prendre la peine d'en référer

étant donné la banalité des faits. Le client avait été ramassé en pleine rue par un car. Il avait été conduit manu militari au commissariat, sous les yeux du voisinage. Dans un mois ou deux, il serait convoqué au Tribunal où une amende de deux ou trois mille francs lui serait infligée ainsi qu'une peine de prison avec sursis. Huit jours peut-être. Il prendrait un avocat qui lui coûterait environ le double de l'amende. Il sortirait du Tribunal de Police en hurlant à la Justice « pour- rie », renforcé dans des convictions que même un excava- teur n'aurait pas pu extraire de son cerveau.

Il était l'heure des stups!

La 104 de l'Administration fut pilotée par Dudrane, Loïc, « Chef de bord » en place passager avant, comme le voulait la coutume.

En place arrière, Arduy et le fils Gallois. Le Marquis, prenant Lanfranchi en croupe, préféra sa

Kawasaki. Il trouvait du dernier chic de se déplacer en moto, et gagnait ainsi un temps précieux, ignorant les embouteillages. Loïc l'aurait bien imité mais le prix des assurances moto l'en avait toujours dissuadé.

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Après les dernières recommandations : - Tu ne nous joues pas de tour de con sinon ça va être ta

fête! (il fallait parler simple!) le fils Gallois fut débarqué Porte de la Villette devant chez Darty.

De là, on voyait distinctement l'entrée du foyer. Un car de police, prévu par Le Marquis était stationné au bas de la tour Pariferic. Il était convenu qu'il suivrait la moto du Marquis.

Pour l'heure, il affectait une discussion tranquille avec Loïc, les autres feignant un intérêt sans partage pour les vitrines.

Au loin, le fils Gallois fut abordé par un magnifique Ban- tou en boubou traditionnel. Eut lieu une courte discussion, sans doute concluante. En effet, le Bantou pénétra le pre- mier dans l'immeuble. Gallois, comme convenu, se gratta la tête.

Le Marquis commenta l'événement d'une voix égale : - Eh bien, je crois que c'est parfait Monsieur François. - On y va. La voiture vint stationner au pied du foyer. Seuls Dudrane et Loïc étaient restés à bord. Vêtu de façon

moins conventionnelle Arduy, l'oreille ornée d'une boucle d'oreille, le parka de combat équipé de l'autocollant « touche pas à mon pote » se trouvait déjà dans la place.

Le Marquis et Lanfranchi débarquèrent de leur machine, et rejoignirent les deux premiers dans l'ascenseur maintenu ouvert à leur intention. Au premier étage, Arduy l'oreille collée à la porte de la chambre 12, leur fit signe, pouce levé, que « c'était bon », puis, le chiffre IV, ce qui signifiait quatre hommes à interpeller.

Il se rangea de côté, dégainant son arme à toutes fins utiles. Le Marquis se planta devant la porte, flanqué de Loïc et Lanfranchi.

Il est ainsi d'usage, en Police Judiciaire, que le plus gradé assume prioritairement les risques d'une intervention. Celui qui agirait autrement se disqualifierait définitivement aux yeux de ses troupes, et la nouvelle se répandrait de service en service jusque dans les allées du 36 quai des Orfèvres.

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La porte du 12 fut ouverte par le fils Gallois qui prenait congé de ses hôtes. Cinq diables, l'arme à la main, s'engouf- frèrent dans la chambre, criant des formules aussi originales que : « les mains en l'air - on ne bouge plus ».

Les occupants feignirent la surprise : - Qu'est-ce qu'il y a chef? Qu'est-ce qu'on a fait? Pour toute réponse, ils furent menottés dans le dos et priés

de s'aligner face au mur. Gallois remit à Loïc dix doses d'héroïne qu'il venait de

négocier. Il ajouta : - Je vais te montrer où est le reste. Avant le départ, Loïc et Le Marquis avaient imaginé mille

solutions pour permettre à Gallois de prendre la fuite, faus- sement poursuivi par les inspecteurs, et bien entendu, jetant sa drogue. Mais l'autre était non seulement déterminé à dénoncer son dealer mais à témoigner contre lui, par pro- cès-verbal, par confrontation si besoin était.

Une conclusion s'imposait : ces gens-là étaient tout sauf dangereux, puisqu'ils n'étaient pas susceptibles de se livrer à des représailles. En quelque sorte, ils trouvaient le commerce de la drogue anodin, facile d'accès, sans consé- quences prévisibles sur leur devenir.

Ils étaient l'échelon bas d'un réseau avec des vrais et gros fournisseurs, habiles à exploiter l'indigence, la naïveté rela- tive, l'appât d'un gain rapide, peu éprouvant physiquement.

Menée sur les indications de Gallois, la perquisition per- mit de découvrir cent cinquante grammes d'héroïne, soit une substance jaunâtre appelée « chinoise » conditionnnée en sachets pliés, confectionnés à partir d'un bloc-notes qui fut également saisi. De même, on récupéra aiguilles, seringues, citrons, montrant que non seulement on servait à domicile, mais que l'on pratiquait aussi les injections aux débutants.

Deux jeunes lycéennes, âgées l'une de quinze ans et l'autre de treize, furent interpellées comme elles frappaient à la porte. On leur fit remonter leurs manches : la première avait

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Post-face

Les syndicats ont obtenu que les mutations pour la pro- vince obéissent à la loi commune de la fonction publique : à l'ancienneté et non plus au piston. Alors, tous les anciens, à quelques exceptions près, ont choisi. Même ceux des bri- gades dites « nobles » et que l'on croyait là pour l'éternité tenaient un raisonnement extrêmement simple :

« A Paris, il y a le choix entre trois heures de transport par jour et un loyer de cinq mille francs. La femme travaille exclusivement pour le propriétaire, et le percepteur, qui n'en tient pas compte, frappe par priorité les couples de salariés puisqu'eux seuls ont des revenus déclarés et sans échappatoire. En province, la différence d'impôts résultant de la femme au foyer, et la différence de loyer permettent de bénéficier de la qualité de la vie pour un même prix. »

Le plan de modernisation de la police, réactivé, verra une évolution souhaitable dans les prochaines années :

Le projet révolutionnaire voyait un recrutement unique et partant de la base avec un Deug minimum (que ce soit pour les policiers en tenue ou les policiers en civil). On progresse- rait au moyen d'unités de valeur, universitaires, techniques, ou professionnelles (services exposés, arrestations diffi- ciles). Dans ce système, les meilleurs, les plus doués, les plus courageux, ou les plus diplomés deviendraient le sommet de la pyramide.

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Les structures commencent à se mettre en place, l'infor- matique envahit peu à peu toutes les unités, la psychologie et les recyclages remplacent les formules musclées par l'intelligence. La qualité des recrues est toujours plus perfor- mante.

Cet ouvrage a été réalisé sur Système Cameron

p a r la SOCIÉTÉ NOUVELLE FIRMIN-DIDOT Mesnil-sur-l'Estrée

pour le compte des Éditions 7 Vents le 17 août 1989

Imprimé en France Dépôt légal : 1989 N° d'impression : 12703