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FÉLIX BENOIT FÉLIX BENOIT

L' HUMOUR

LYONNAIS

Préface Charles Exbrayat

ÉDITIONS HORVATH

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DU MEME AUTEUR :

— L'épuration à travers les âges, chez les hommes et les animaux, Editions Archat, 1945. Préface du Dr Locard.

— L'Almanach des Maires (préface d'Edouard Herriot), I.A.C. 1947.

— Poèmes unijambistes, Le Mille Pattes, 1955.

— Guide de la France Mystérieuse (Lyon), Tchou, 1964.

— L'Alphabet des Ignorants, Égé, 1967.

— Manuel de Savoir-Vivre, Egé, 1968.

— La Gastronomie de Fernand Point, Flamarion, 1969.

— Lyon-Secret (préfacé par Louis Pradel), 1971.

— Lyon sans masque, Solar, 1974.

— A la découverte du pot aux roses, Solar, 1980.

— 101 recettes de la table lyonnaise, Solar, 1980.

— En collaboration avec Henry Clos Jouve, chez Solar :

— La Cuisine Lyonnaise (Prix Dodin-Bouffant, 1972). — nouvelle formule 1975. — édition entièrement refondue 1980.

— Le Beaujolais Secret et gourmand, 1973.

— La Bourgogne insolite et gourmande, 1975.

— Drôme-Vercors insolites et gourmands, 1976.

— Le Dauphiné insolite et gourmand, 1977.

Direction de la publication Danièle ROBERT

Copyright Editions Horvath — Roanne I.S.B.N. 2.7171 - 0192 - 6 -

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EN GUISE DE PREFACE LETTRE DE CHARLES EXBRAYAT

A FELIX BENOIT

Tu m'infliges un drôle de pensum en me demandant d'écrire sur l'humour lyonnais ! La difficulté tient, d'abord, à ce que personne ne sait exactement ce qu'est l'humour, ensuite, au fait que je ne suis qu'un cousin ger- main de tes concitoyens. Il y a donc quelque impudence à parler de ce qui fait le charme si particulier du Lyonnais quand on n'est pas Lyonnais. On pourrait demander de quoi je me mêle, mais quoi ! L'amitié a ses exigences et nous nous connaissons depuis trop longtemps pour que j'invente des excuses et me défile.

Puisqu'il faut se jeter à l'eau, allons-y ! et tout de suite ! Cet écueil de taille : l'humour, qu'est-ce que c'est ? Natu- rellement chacun a sa définition pour laquelle d'ailleurs il ne se ferait pas tuer, tant vacille sa pseudo-certitude. Pour moi, l'humour (qu'il ne faut surtout pas confondre avec « le mot », spécialité éminemment française, et dont Sacha Guitry fut le représentant-type) c'est, avant tout, une preuve de sang-froid, et celui qui le professe doit, en quel- ques secondes, apprécier une situation pour en tourner les données et transformer, par une remarque sans outrance, une situation du premier moment dramatique, en un sim- ple incident fort drôle tout compte fait. En plus du sang- froid nécessaire, il faut à l'humoriste une grande vivacité d'esprit afin de saisir et de démonter rapidement les rouages d'un récit pour les remonter de façon différente. Cependant, l'humoriste ne doit rien changer au thème de l'histoire entendue, mais simplement en modifier l'éclai- rage. Parce que tout est dans tout. Les larmes peuvent de- venir rires, et l'angoisse jubilation. J'ajouterai que l'hu- mour de qualité exige la culture, à seule fin d'éviter la lourdeur, voire la vulgarité. L'humour doit ressembler à la mousse du champagne, pétillante et éphémère.

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Et l'humour lyonnais ? C'est une variété de cet humour auquel chaque famille d'esprits apporte sa note person- nelle ou en retranche ce qui est contraire à son tempéra- ment, à ses valeurs propres, à ses dévotions particulières et traditionnelles. Cela représente des différences impor- tantes et cela se comprend : comment pourrait-on croire, en effet, que le comportement intellectuel est identique chez le buveur de thé et l'assoiffé de beaujolais ? C'est la raison fondamentale qui, par exemple, sépare l'humour du cockney et celui du gone. Les juger frères est une de ces hérésies qui reviendrait à penser qu'une assiette de por- ridge vaut un saucisson brioché. Alors, de quelle façon ca- ractériser l'humour lyonnais ? d'abord, par son excellente santé, ensuite par son bon sens et ce merveilleux goût de la vie qui gîte au cœur du Lyonnais apparemment le plus froid, le plus sévère. L'humour des bords de la Saône met de l'ironie dans le sérieux afin de le rendre plus aimable. Pour se manifester, l'humour lyonnais a un besoin vital des petites rues sombres (qu'éclairent, par taches, les de- vantures éclatantes des charcutiers et des pâtissiers), où passent des silhouettes furtives et pressées de dames an- xieuses de retrouver le foyer conjugal où mijote le plat dont leurs imaginations ménagères hument à l'avance la roborative senteur, ou les silhouettes plus lasses de dames flâneuses en quête du gone qui, avant de la convier à d'au- tres jeux, lui paiera le canon de beaujolais ou de mâcon- village. Tout ceci pour affirmer que l'humour de la pre- mière capitale provinciale ne s'exporte guère, car plus que tout autre, il a besoin de cette atmosphère particulière que l'on respire au confluent de la Saône et du Rhône.

Comme à Lyon, on a toujours la passion du mystère, le goût des sociétés plus ou moins secrètes, on ne s'étonnera pas qu'on y ait élevé un temple de l'humour, situé dans la vieille ville, et qui abrite le très sélect Ordre du Clou dont les rites n'engendrent pas la mélancolie..

Et puis, entre nous, Félix, si tu tiens à savoir ce qu'est l'humour lyonnais, tu n'as qu'à relire les innombrables discours que tu as prononcés au terme de non moins in- nombrables festins ! Et si tu t'obstines à vouloir deviner à quoi ressemble un humoriste de qualité, tu n'as qu'à te re- garder dans une glace. Tu ne le regretteras pas.

Adieu, gone !

Charles EXBRAYAT

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Iere PARTIE

OUVERTURE SUR L'HUMOUR LYONNAIS

C'est u n g r a n d cas v o i r le M o n t P é l i o n

O u d ' a v o i r v u les r u i n e s de T r o y e ,

Mais q u i ne voi t l a v i l le de L y o n

A u c u n p l a i s i r à ses yeux il n ' oc t ro i e .

C l é m e n t M a r o t

Les g e n s désespérés s o n t les g e n s les m o i n s beaux ,

E t j ' e n sais d ' i m m o r t e l s q u i s o n t de p u r s s a l auds .

D ' a p r è s A l f r e d de M u s s e t

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Le Lyonna is en médi ta t ion. . . (Collage de Philibert-Charrin)

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I — LES ORIGINES LOINTAINES DE L'HUMOUR

LYONNAIS

En dehors de la représentation naïve du dieu Risus, voué au rire et modelé à de multiples exemplaires, on ignore les formes adoptées par l'humour chez nos ancêtres les Gau- lois (ou plus exactement chez les Ségusiaves en ce qui nous concerne).

Les Ségusiaves, en effet, implantés dans la mini-pres- qu'île de l'époque et sur les pentes de la future Croix- Rousse, n'étaient autres que de pacifiques pêcheurs, et leur besogneuse joie de vivre ne devait guère différer de celle des populations rustiques de ces temps reculés.

Ces braves gens, peu doués pour la guerre, s'étaient placés tout naturellement sous la protection des Eduens, garants à leurs yeux d'une relative indépendance par rap- port aux Arvernes et aux Allobroges (voisins trop turbu- lents à leur gré).

Prudents et avisés, ces Ségusiaves du bourg de Condate (mot celtique signifiant confluent) s'étaient opportuné- ment gardés de contrarier, dans l'orbite de leur village, le développement d'un super-marché gréco-asiate nullement préjudiciable à leurs intérêts. Soyons sérieux.

Le Rhône (qu'un aventurier de l'île de Rhodes aurait baptisé ainsi) permettait au demeurant depuis belle lurette des échanges fructueux dont nos autochtones tiraient béné- fice.

C'est ce qui explique qu'ils s'accommodèrent de l'arrivée massive des Romains chassés de Vienne après le soulève- ment des Allobroges...

Ainsi commença la fortune de la ville, tandis que Vienne était châtiée sévèrement et condamnée à un lourd tribut par le proconsul de César, un certain Munatius Plancus.

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Munatius, dit « Plancus » (parce qu'il avait les pieds plats) fut d'ailleurs le premier humoriste officiel recensé à Lugdunum !

On imagine ce bancane en train de tracer, de sa drôle de démarche en canard, le sillon symbolique délimitant la « nouvelle ville »...

Il n'y a qu'à se rendre au n° 8 de la rue Cléberg aux fins de méditer devant la stèle consacrée à la mémoire de ce singulier personnage. Car c'est là que le Romain aurait, le 10 octobre 43 avant Jésus-Christ, fixé le croisement du cardo et du decumanus de la colonie primitive embrassant l'actuel quartier des Minimes et une partie du plateau de la Sarra (sans prévoir qu'un jour un successeur y ajouterait une piste de ski du plus haut comique).

Les choses étant ce qu'elles sont, l'homme-aux-pieds- plats ne fit pas en l'occurrence un gros effort d'imagina- tion dans le choix du mot Lugdunum.

D'autant que les Ségusiaves l'avaient précédé dans ce do- maine réservé sur le support de deux racines celtiques : Lug (un dieu pouvant revêtir la forme de la lumière, voire celle du corbeau ?) et dunum (colline). Une sacrée colline : Fourvière.

En soulignant que le mot Fourvière ne fut forgé que plus tard, sur le latin forum vetus (le vieux forum).

Voici de juteuses étymologies, qui donnèrent lieu à de nombreux commentaires lors du bimillénaire de Lyon, en 1958... Un bimillénaire équivalent à un énorme canular historique, notre agglomération datant d'environ 3.000 ans !

Bref, Munatius Plancus, lorsqu'il suivit Antoine en Egypte, après son aventure lyonnaise, n'hésita pas si l'on en croit Pline l'Ancien, à danser tout nu pour faire rire Cléopâtre, le corps peint en vert et affublé d'une queue de léopard !

Curieux comportement, indiscutablement, de la part d'un notable ayant gagné à la force du poignet sa citoyen- neté lyonnaise. Mais il serait audacieux d'en tirer des en- seignements sur l'évolution de l'humour lyonnais aux échelons les plus élevés.

Ce qui n'empêche qu'à défaut d'humour, l'ambition ou le souci de la popularité furent souvent générateurs à Lyon de pittoresques pitreries.

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La cité des bons gones

Les gones, de toute façon, au niveau du bon sens mali- cieux du terroir, doivent leur sobriquet au mot grec gonos (enfant).

Un coup de chapeau s'impose alors à l'adresse des Grecs, importateurs à la fois de ce vocable à la vie dure et de la religion chrétienne grâce à saint Pothin.

Seulement voilà ! Le drame consiste à orthographier, chez les étrangers-qui-ne-sont-pas-d'ici, le mot gone avec un accent circonflexe sur le « o »... On ne saurait être plus stupide, et les Lyonnais de souche versent chaque fois des larmes de sang en constatant une pareille ineptie.

Une autre erreur consiste à confondre gonne (vieux mot servant à désigner la robe des clercs) et gone... à telle ensei- gne que si l'on emploie volontiers à Lyon l'expression être mal gonné (pour « mal habillé »), ce n'est pas une raison comme c'est le cas à Chalon-sur-Saône, pour assimiler gone à gonniot (le « gonniot » chalonnais étant un travesti du mardi gras, habillé d'oripeaux grotesques). Nuance.

Hélas, la gognandise (plaisante philosophie des gones) ne fut pas toujours exempte d'épines et les martyrs chré- tiens de l'an 177 sont là pour le prouver cruellement.

Antérieurement, Lyon avait vu naître l'empereur Claude et son médecin Scribonius Largus. Deux person- nages à facettes, particulièrement Scribonius Largus, spé- cialiste des maladies dentaires, auteur de cette expression, à propos de l'haleine de l'empereur : odor quem ut aiunt de bestiolae quidem ferre possunt (il émanait de lui une odeur susceptible de tuer les mouches à quinze pas).

Il est vrai que Scribonius préconisait l'obturation des caries à l'aide d'une mixture de foie de lézard assez nauséa- bonde.

Or Claude, n'en déplaise à ses interlocuteurs trop rap- prochés, fut l'auteur d'une œuvre de longue haleine (si l'on ose s'exprimer ainsi) intéressant le chapitre des libertés gauloises.

Les Tables Claudiennes (gravées dans le bronze et conservées au musée gallo-romain) nous rappellent cette décision de l'an 48, si heureuse pour notre épanouissement civique.

Quel humoriste aussi, ce Claude ! Et je renvoie ici à Montaigne qui, dans « De la force de l'imagination », cite

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un passage de Suétone relatif au bizarre édit rendu par l'empereur lyonnais : « Edictum quo veniam daret flatum crepitumque ventris in convivio emittendi » (un édit par le- quel il était déconseillé d'émettre des pets au cours des repas).

Claude, sur un autre front, adorait le violet ! Il se dra- pait donc de cette couleur discrète, tranchant sur la pour- pre impériale traditionnelle.

Ce souci d'effacement, prisé d'autorité par l'intelligent- sia lugdunienne, s'infiltra insidieusement dans les esprits et s'exprima finalement avec éclat, au sortir d'un sommeil apparemment interminable, par une décision des échevins lyonnais en date du 10 janvier 1577 !...

En ce jour d'apothéose, le violet, inspiré par les couleurs vestimentaires de Claude, fut solennellement adopté comme la couleur officielle de la ville, et bientôt étendu au costume d'apparat des consuls, à l'uniforme des arquebu- siers. et, par touches, en fonction des grades, à tous les ti- tulaires de postes municipaux.

Aussi, comment s'étonner, devant cet aveu d'un état d'âme irréversible, que la funèbre gravité de mine des têtes pensantes de la cité se soit si longtemps confondue avec cette fringale de volaille demi-deuil qui caractérisa tant de doctes générations ?

Les grands bouleversements

Le monstrueux empereur Caligula (un étranger, Dieu merci) se distingua malheureusement par des singeries sa- diques durant ses séjours à Lugdunum marqués par de tra- giques tournois d'éloquence qui contribuèrent à éloigner les Lyonnais des effets de tribune jusqu'à Edouard Herriot (natif de Troyes, qu'on le veuille ou non).

Et même si le peu fréquentable Antonius Bassianus, dit « Caracalla », naquit à Lyon en 188, considérons qu'il s'agit là de l'exception confirmant la règle...

Son surnom de « Caracalla », emprunté au manteau gau- lois qu'il mit à la mode, nous autorise pourtant à fermer les veux sur ses crimes (commis judicieusement en dehors de nos murs), car nous lui devons l'aimable « caraco » de nos grands-mères ! On a vu également dans la « caracalla » le prototype de la soutane ecclésiastique. De quoi être défi- nitivement rassuré, sans le moindre doute possible ?

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Nonobstant, le destin fut contraire à Lugdunum à partir de 197 ! Les habitants avaient inconsidérément pris le parti d'Albin contre Sévère, et la ville fut pratiquement détruite après la défaite d'Albin.

Fini de rire au-delà de ce désastre, et l'on admet que ce fut pour nous le commencement d'un fuligineux tunnel où se succédèrent dévastations, misères, invasions barbares, pestes, etc. Les empreintes du comique demeurent malgré tout

indélébiles

En fouillant dans les ruines du passé, subsistent çà et là divers souvenirs réconfortants observés jusque sur les pierres tombales.

Lugdunum, cité fabuleusement opulente, carrefour de religions, capitale des Gaules, seuil du Midi latin et du Nord celtique, métropole cosmopolite ayant atteint 200.000 habitants dès la fin du premier siècle, ne pouvait certes pas mourir sans un clin d'œil aux archéologues...

Les documents lapidaires, porteurs de curieusés figures aux formes animales, nous remettent ainsi en mémoire que l'art de la caricature était florissant à Lugdunum.

Aristote, le père de la philosophie, l'avait constaté en ces termes aux âges héroïques et en d'autres lieux : « Quoi qu'il n'y ait nulle ressemblance entre l'homme et les animaux, il peut arriver néanmoins que certains traits du visage hu- main nous rappellent l'idée de quelque animal ».

Dans cet esprit, aux yeux des artistes gallo-romains, les hommes au nez rond passaient pour des êtres au grand cœur, et on leur donnait l'allure du lion ! Quant aux hommes à l'arête nasale étroite, ils étaient assimilés aux rats...

Les cheveux plats et souples indiquaient la douceur, et par conséquent ils évoquaient les animaux ayant le poil soyeux au toucher (d'où tant d'êtres représentés avec un profil de brebis ou de lièvre).

Adamantius, qui faisait autorité, prétendait de surcroît que les hommes singularisés par des fesses modérément charnues, voire ratatinées, étaient par destination intelli- gents, malicieux, et de la nature du... singe !

Personnellement, j'avoue avoir connu des individus aux rotondités des ischions d'une affligeante maigreur, qui se révélèrent au contraire de parfaits crétins... Mais comme

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ils étaient somme toute simiesques, je me refuse à contes- ter catégoriquement la thèse d'Adamantius (rapportée par Champfleury dans son « Histoire de la Caricature Anti- que »).

Autre détail : notre vénérable rue Romarin n'évoque-t- elle pas à sa façon le culte de Priape sur les premières pentes croix-roussiennes. Un dieu auquel il était d'usage d'offrir une branche de romarin après une copulation dé- sirée... Un humour au second degré s'est glissé dans cette affaire, le sexe de la femme aimée ayant la réputation, si l'on s'en réfère à de lyriques latins, de fleurer le romarin !

Troublante conjoncture, m'ayant conduit à cette angois- sante question : nos savants ont-ils suffisamment mesuré l'importance du sens de l'humour dans l'antiquité ? Au point que je forme le vœu qu'une nouvelle approche des trésors de nos collections gallo-romaines soit entreprise d'urgence.

De surcroît, combien de macarons « grotesques » repré- sentant par exemple un Gaulois tirant la langue, motif d'innombrables marteaux de portes ou de fixe-volets, ont- ils retenu l'attention ?

Les brocanteurs en ont bradé sans se douter qu'il s'agis- sait d'une reproduction sommaire du bouclier de Marius, et que les premiers modèles, produits en grande série, sor- tirent d'un atelier de Lugdunum...

Au XIX siècle, les fondeurs de la Loire s'en emparèrent et on put en acheter par milliers en quincaillerie.

Rien n'est donc nouveau, pas même la « nouvelle cui- sine » ! Et quelle leçon de modestie se dégage aussi de « L'Anthologie grecque », traduite en latin à Lugdunum, puis traduite en français en 1853, où le poète Edmond Ros- tand prit de la graine pour le portrait de son Cyrano de Bergerac en lisant cette épigramme sur le nez de Castor : « Le nez de Castor est une pioche, une trompette s'il ronfle, une serpette pour la vendange, une ancre de vaisseau, un socle de charrue, un hameçon pour la pêche, une four- chette de table, un biseau de charpentier, un marteau de porte... Ainsi Castor, qui porte un nez conforme à toutes sortes d'usages, a obtenu des dieux un instrument utile ».

Les bouches d'ombre de la littérature et les fosses inson-

dables de l'humour n'ont pas fini de nous révéler leurs se- crets ! Il suffit d'avoir du nez pour en tirer la substantifi- que moelle.

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II — LES MARCHES D'APPROCHE DE L'HUMOUR

LYONNAIS

Sidoine Apollinaire, né à Lyon le 5 novembre 430, et mort à Clermont le 21 août 488 dans la peau d'un évêque, laissa des écrits ne manquant pas d'humour...

L'arrivée des Burgondes à Lyon lui inspira ces lignes : « Comment voulez-vous que je pense à faire des vers de six pieds parmi ces hommes qui en ont plus de sept et qui sont devenus nos maîtres et nos seigneurs ? Pourrais-je faire quelque chose d'agréable et de soigné parmi des chasseurs à longs cheveux mal peignés et graissés de beurre ? Quel moyen de préluder sur la lyre au milieu d'ivrognes qui chantent jour et nuit, ou plutôt qui beuglent au cours de leurs débauches et de leurs orgies ».

Ce n'était pas de tout repos, on le conçoit, surtout quand on sait que les Burgondes se gorgaient d'ail, et que l'ail est d'une pratique aussi délicate que l'humour...

Ne dit-on pas aussi que lorsqu'on rêve d'ail il y a tou- jours une tête qui vous revient ? C'est, ajoute-t-on, le rêve obsédant des avocats généraux au lendemain d'une exécu- tion capitale !

Depuis, il y a eu Badin ter...

Les Burgondes firent de Lyon leur résidence royale ! Une ville où l'on devait rire jaune, les pillards s'étant em- parés des plombs des aqueducs, et la population, privée d'eau, ayant choisi de s'entasser sur la rive droite de la Saône, là où les sources permettaient de survivre...

A l'euphorie, réduite à la portion congrue, se substituè- rent la violence et la débauche ! De bonnes âmes en accusè-

rent le paganisme et tutti quanti. Toutefois, la conversion de Clovis au catholicisme ne

changea rien à cette situation déplorable, l'Eglise ne bril- lant pas par la vertu de ses pasteurs.

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Après l'annexion des conquêtes burgondes au royaume franc, la reine Brunehaut s'afficha même avec l'évêque de Lyon, Arige, dont la vie dissolue était notoire, et les lan- gues en firent des gorges chaudes.

Au cœur de cette nuit civique, le « pouvoir » mérovin- gien peaufina la licence des mœurs en tolérant l'implanta- tion de nombreux lupanars au bord des rivières (d'où l'ap- pellation de « bord'eau », puis de « bourdeau » et de « bordel » pour ces établissements à vocation initialement balnéaire).

Le libertinage marchant dans ces conditions beaucoup mieux que le commerce, Charlemagne frappa la prostitu- tion d'un impôt que devait payer chaque fille de joie pour la Saint-Martin. Une idée carolingienne à retenir, n'est-ce pas ?

Pauvre France, où si l'on n'avait pas de pétrole, on avait déjà des idées fiscales.

Une France balbutiante où le Lyonnais passa, en 1032, par dévolution successorale, dans le Saint Empire Romain Germanique.

Une suzeraineté symbolique car à Lyon, où le double jeu ne date pas d'aujourd'hui, le gouvernement réel était exercé par les archevêques.

Des hommes de guerre, essentiellement, ces archevê- ques, qui adoptèrent le lion pour emblème, et donnèrent enfin, par homonymie, son identité à Lyon !

Plus question de Lugdunum ou de Rhodanusia, mais de Lyon, siège d'une principauté ecclésiastique où une bour- geoisie prospère se tailla progressivement la part du lion tout en taillant des croupières aux archevêques.

C'est ainsi que derrière le rideau des dévotions bour- geoises, le Lyonnais prit consistance (son caractère mar- chand devant l'emporter sur la piété de façade, alors que l'érotisation vénale de la ville ne faisait que croître et em- bellir).

Sur ce chapitre, le chroniqueur Hugues de Saint-Cher rapporte qu'après la visite du pape Innocent IV et le concile œcuménique de Lyon en 1245 : «... les bourdeaux s'étendaient de la porte orientale à la porte occidentale de la cité ».

Pourtant, le roi saint Louis avait banni les prostituées des villes ! Mais Lyon, ville libre, échappait aux édits

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royaux, et l'on observe sur un vitrail de la cathédrale Saint-Jean une courtisane (d'apparence respectable) repré- sentant la luxure.

L'humour était donc à la gandoiserie libertine en ce XIII siècle, et le « Roman de la Rose » (rédigé au XIII et imprimé à Lyon en 1485 par Jean Syber) mentionne ces vers ajoutés par quelque joyeux drille à l'adresse des femmes...

Toutes estes, serez ou fustes,

De fait ou de volonté putes. Et qui très bien vous chercherait Toutes putes vous trouverait !

Mais si je subodore de l'exagération dans ce quatrain in- solent, je me souviens aussi de cette réflexion de mon pro- fesseur de philosophie l'élégant Monsieur Cumin : « Quand les gens n'avaient pas l'électricité, ils n'avaient pas d'au- tres distractions que le vice et la religion ».

Au cours des siècles qui suivirent, et à l'exception de la période bleue et rose de la Renaissance marquée par l'ita- lianisme, l'austérité montra sa grise mine. Les tartuffes et les pisse-froid se multiplièrent ! Corollairement, le menu peuple, d'abord accablé, s'éveilla, s'insurgea et l'humour lyonnais se structura... Il en résulta un étrange mélange composé d'une forte dose de malice goguenarde, de deux cuillerées d'esprit contestataire, d'une pincée de sel rabe- laisien, avec en toile de fond une façon délibérée de se mo- quer du monde. Mais pas d'ironie systématique dans cette attitude, car l'ironie est méchanceté, et un bon Lyonnais ne saurait être méchant... Un tantinet malveillant, tout au plus. Je reviendrai sur ces problèmes, en toute humilité, au fil de mon dossier.

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Munatius Plancus et sa charrue (Dessin de Bospla)

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III — RABELAIS A LYON

Lyon, capitale française de l'imprimerie dès les pre- mières heures de la Renaissance, attira de nombreux écri- vains. Rabelais, notamment.

Rabelais, ce géant des lettres ! Le père de « Pantagruel », vénéré par Edouard Herriot, auteur d'une magistrale étude à son sujet dans la défunte revue « Reflets » (numéro spé- cial de novembre 1953), que dirigeait mon vieil ami Roger Andrieu, pionnier de l'Ordre du Clou.

« Pantagruel, c'est le crédo de la Renaissance, c'est 1 acte de foi d'un disciple enthousiaste d'Erasme. C'est la traduc- tion, dans l'ordre romanesque, de l'effort prodigieux réa- lisé par le célèbre humaniste qui, élève du collège Mon- taigu, avait conçu autant d'horreur pour le régime intellectuel que pour le régime alimentaire de cette mai- son ».

Ici, une parenthèse s'impose sur le collège Montaigu, fondé en 1314 à Paris, et baptisé du nom de l'évêque Pierre de Montaigu. Une terrible discipline par le fouet y sévis- sait, et les repas y étaient si maigres que les élèves avaient baptisé cette sinistre maison d'éducation « l'Hôtel des Ha- ricots ». Sous la Révolution, ce collège fut transformé en prison, et pour ceux qui en sortaient en direction de la guillotine, c'était « la fin des haricots ».

François Rabelais, de toute façon, avait bien choisi son moment pour s'installer à Lyon, où il fut attaché en qua- lité de médecin de notre grand hôpital de juin 1532 à 1536.

Quelle merveilleuse époque ! Le roi Louis XI avait porté le nombre des foires à quatre, et Lyon avait oublié ses an- nées de malheur pour devenir au XVI siècle l'authentique capitale de la France grâce aux guerres d'Italie qui en fi- rent un carrefour diplomatique et un centre militaire où se pressaient les ambassadeurs, les banquiers allemands et florentins, les poètes et les rois.

Les lumières de la Renaissance avaient dissipé les ténè-

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bres, et un voyageur italien parmi tant d'autres put s'écrier : « On trouve non seulement à Lyon l'abondance de toutes choses nécessaires à la vie ordinaire, mais encore le superflu. Et pour ce qui est de la table, il y a dans cette ville tous les raffinements et délicatesses que l'on peut dé- sirer ».

Clément Marot déclarait aussi que le séjour à Lyon était plus doux que cent pucelles ! Ce qui prouve qu'il restait des pucelles, n'en déplaise aux langues de vipère.

En 1530, quand parvint la nouvelle de la libération des deux fils de François 1 captifs en Espagne, le roi était présent à Lyon et ce fut du délire... Les riches tenaient ta- ble ouverte, et des bateleurs, installés sur des tréteaux au coin des rues, jetaient au peuple des dragées et des tarte- lettes.

La fête ne donnant pas de signe de fatigue, et les au- berges ne désemplissant pas, Rabelais puisa sur place l'ins- piration de « Pantagruel » et de « Gargantua ».

Pantagruel fut imprimé en novembre 1533 par Claude Nourry, dit « Le Prince » (en raison du noble personnage servant d'enseigne à sa boutique de la rue Raisin, près de Notre-Dame-de-Confort). Puis ce fut au tour de Gargantua de sortir des presses de François Juste, en octobre 1534.

Pantagruel fut condamné par la Sorbonne, mais cette péripétie n'empêcha pas Rabelais de continuer son œuvre tout en se gaussant des Parisiens : « Cabots, caffards, co- pistes, bullistes, dataires, chicaneurs, moines ermistes, hy- pocrites, chattemittes, chaffoureurs de parchemins, no- taires et rominagrobis ».

Ah oui, l'admirable époque, où Lyon pouvait impuné- ment faire la nique aux censeurs, et révéler à l'Europe éblouie une verve sans pareille !

Revenons maintenant aux considérations d'Edouard Herriot trop vite effacées sur les pages d'une publication périodique : « On a quelquefois, au cours de notre histoire, considéré Rabelais comme une sorte de patron des incré- dules. Tel n'est point son cas. C'est un ami, un défenseur des Evangélistes. Nous avons dit de « Pantagruel » qu'il en- fermait le crédo de la Renaissance. Nous nous croyons fondé également à déclarer que Gargantua est, à sa ma- nière, un plaidoyer pour la Réforme ou, tout au moins, une contribution à sa formation, dans ce moment si curieux de notre histoire nationale où tout le destin de notre pays eût

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les marchands de guimauve, les ménageries, etc., la bara- que où l'on pouvait, pour deux sous, contempler « la plus belle femme de France » (une beauté à laquelle les adultes, moyennant cinquante centimes de supplément, pouvaient mesurer les mollets)...

Pourtant, la pudibonderie officielle sévissait... En 1824, le baron Rambaud, alors maire de Lyon, recevait cette let- tre du comte de Brosses, préfet du Rhône : « Monsieur le Maire, on prétend qu'au passage St-Côme, on voit, parmi les portraits qu'un peintre expose en montre, un tableau représentant une femme nue couchée ! Comme plusieurs jeunes gens des deux sexes s'arrêtent, dit-on, devant cette production, je vous prie de charger sans délai le commis- saire de police de l'arrondissement aux fins de vérifier le fait et, dans le cas de son exactitude, de procéder contre son auteur ainsi que le prescrit le Code pénal ».

Nous ignorons le nom du peintre assez audacieux pour s'être attiré ainsi les foudres administratives ? Mais en tout état de cause, une prompte réponse devait être adres- sée au préfet, gardien zélé de la pudeur au nom du roi Charles X (dont, ô ironie, l'impudeur avait été sans bornes).

Cette réponse fut rédigée en termes assez spirituels par le commissaire de police intéressé : « Monsieur le Baron, j'ai vu la femme nue couchée que l'on a représentée à M. le Préfet comme une production obscène. C'est tout simple- ment une académie représentant la Renommée, une pa- lette d'une main et une trompette de l'autre, qui fend l'air pour faire connaître à l'univers les talents du pinceau dont elle est sortie. Mais je n'ai rien vu d'obscène dans cette pro- duction. Signé : Paulin ».

Lyon passe, à tort, pour une ville triste et morose, une ville où l'on travaille beaucoup, où l'on prie beaucoup, mais où l'on ne rit ni ne chante guère ! La vérité est que, comme dans toutes les grandes villes modernes, soumises à la vapeur et à l'électricité, on ne trouve presque plus le temps de rire...

Gabriel Schyrr (1914)

Gabriel Schyrr s'insère dans cette galerie des chercheurs et des curieux dont le contact est savoureux. Il a effectué une longue carrière de typographe dans la presse lyon-

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naise, et continue à animer diverses publications, qu'il s'agisse de la promotion de la rose ou de la défense de la charcuterie régionale. Officier de l'Ordre du Clou, membre de l'Académie du Lapin, bibliophile, numismate, collection- neur d'almanachs, il médite un « Bréviaire des coquilles d'imprimerie du XVI siècle à nos jours », que l'on attend avec impatience.

Mes coquilles

Chacun connaît l'histoire de ce romancier, excédé de voir ses textes dénaturés par des coquilles (ces scories de la composition naguère typographique et désormais électro- nique), qui publia, dans l'intention de se justifier, un livre intitulé « Mes coquilles ».

L'ouvrage parut, mais le titre avait perdu sa troisième lettre !...

Des coquilles célèbres ? Tous les amoureux de la langue française en connaissent beaucoup ! Mais peut-être ne se souviennent-ils plus qu'un académicien louis-philippard avait pondu ces vers destinés à un général décédé :

Et la victoire coutumière L'accompagna jusqu'au tombeau...

Une belle envolée lyrique, qui se mua, dans la plaquette nécrologique, en cette joyeuseté :

Et Victoire, sa cuisinière, L'accompagna jusqu'au tombeau...

Demeurons maintenant dans la région lyonnaise avec une légende de photo, parue dans l'édition de Saône-et- Loire du « Progrès », représentant trois jeunes filles sou- riantes, des grappes aux oreilles, ainsi désignées : « Les ruines de Bourgogne » (au lieu des « reines de Bourgogne », bien sûr).

Il y eut des protestations, et le lendemain on pouvait lire : « Erratum — Dans notre édition d'hiver, représen- tant trois jeunes filles, ce n'est pas « Les ruines des crus de Bourgogne » qu'il fallait lire sous la photo par suite d'une fâcheuse coquille, mais plus précisément : « Les reines des culs de Bourgogne ».

L'indignation fut générale ! Toujours en Saône-et-Loire, à Montceau-les-Mines, il

existe une industrie métallurgique employant des femmes

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au taillage des limes, opération consistant à façonner ces outils.

Or. dans une annonce de mariage, la profession de la future épousée fut transformée en « tailleuse de plumes » !

Aucune protestation ne fut toutefois enregistrée, et l'on s'en étonne encore.

Pierre Seize (1896 - 1956)

Michel Piot, journaliste au Figaro, chroniqueur gastro- nomique faisant autorité et gazetier plein d'humour sous le pseudonyme de « Svmphorien Berchoux », n'est autre que le fils de Pierre Seize, grand reporter, qui avait troqué le label de Michel Piot (lui aussi) contre celui de « Pierre Seize » (emprunté à un quai de la rive droite de la Saône, à Lyon).

A cet endroit, en effet, Agrippa, gendre de l'empereur Auguste, fit scier la pierre (la petra incisa, ou « pierre seize») gênant la navigation sur la rivière... Bref, Pierre Seize (puisqu'il s'est immortalisé sous ce nom au point que certains croient que le quai en question lui a été attribué) contribua à la gloire du Beaujolais, milita pour Lyon et sa cuisine, pour mourir subitement, en reportage chez les bu- veurs d'eau, lors des Jeux Olympiques de Melbourne en 1956 ! Le cher Michel Piot a bien voulu m'autoriser à re- produire quelques lignes de son père en précisant malicieu- sement : « Pierre Seize était un Lyonnais gai de nature, donc tout le contraire d'un humoriste ! A tout hasard, je t'envoie cet exemplaire du « Plus bel ivrogne du quartier », roman paru chez Flammarion en 1926 »...

Méditations autour d'un pot

C'était un petit café, culotté comme une pipe, qui fleu- rait la futaille et la sciure de bois.

Derrière le comptoir, Mme Filhol trônait. Le chat ar- quait son dos d'une table à l'autre. L'horloge grignotait le temps. Son tic-tac suffisait à meubler le silence.

Boituzet, en entrant, renifla, humant ce calme. Sa voix grasse l'entama :

— Alors quoi ! patron ! On dort déjà ? Toutes les mouches s'envolèrent. Le chat fondit dans

l'ombre. Mme Filhol ouvrit un œil.

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Des profondeurs du sol montait le bruit d'un liquide gi- clant dans une cuve. Cela chanta souterrainement, puis se tut. Une portion du plancher se souleva lentement. Une pi- voine s'épanouit aux pieds de Boituzet.

Penché sur cette étrange floraison, il cria : — Je t'y prends encore à mettre de l'eau dans ton vin,

Coqueluche.

Filhol, dit « Coqueluche », eut un rire silencieux, puis :

— J'ai collé le blanc tantôt, dit-il. Viens voir un peu de quoi il retourne, fiston.

Un puissant arôme montait de la cave. Il se fortifiait à chaque marche descendue. L'âme odorante des tonnes, des barriques et des quarteaux flottait dans l'air. Les voussures fuyaient dans l'ombre qui embaumait la vendange. Deux bougies répandaient une fumeuse clarté.

Boituzet vit, tout de suite, qu'il n'était pas seul invité. Dans l'espace ménagé entre les murailles de tonneaux, il identifia deux silhouettes méditatives. Gobert, marchand de bois, et Philipon, secrétaire de préfecture, se tenaient graves, face à face. Quand l'un plongeait le nez dans sa tasse, l'autre l'observait. Cela faisait un double et très lent mouvement de pendule, qui cessa lorsque furent épuisés les éléments de la controverse.

Boituzet, sollicité, ne voulut rien avancer qu'il n'eût d'abord reniflé, miré, et enfin aspiré du bout des lèvres l'objet de la consultation. Ayant sucé congrument ses moustaches, il considéra le vin, rose dans la timbale d'ar- gent bosselée. Le silence pesa. L'expert s'enquit :

— Tu l'as collé au sang ? — Toujours ! convint Filhol, les mains croisées sous la

bavette du tablier bleu.

— Alors, il n'est pas assez reposé.

Son jugement rendu, Boituzet lampa d'un coup le contenu de la tasse. Et goguenard :

— Je le regoûterai demain, pour me rendre compte, dit-il.

Le propos fit rire Gobert, qui l'attendait, et tira de Phi- lipon une réflexion pointue sur les gens qui n'ont ni dis- crétion ni retenue.

Mais Boituzet n'entendait rien quand il était dans une cave. Lentement, il fit le tour du chai, s'arrêtant devant

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chaque tonneau : Artemare nouveau, rien à dire. Biollaz, au diable ! Vins savoyards bons pour la soupe d'une chèvre qui a mis bas...

Des noms plus illustres montaient à ses lèvres : Fleurie, Odenas, Juliénas...

Il fit mine de se découvrir :

— Villié-Morgon... Loué soit, mes amis, celui qui nous mit un trou entre le nez et le menton !

Et tourné vers Filhol :

— J'aime ta cave, Coqueluche. Elle sait se tenir à sa place. Oui, c'est une cave intelligente, et nous sommes di- gnes de la comprendre.

La nuit noire venue, les amis enfin assis, le ventre pous- sant la table de marbre autour d'un tapis vert, un agent survint.

— Faut fermer, que je vous dis !

Et comme Filhol lui proposait le breuvage corrupteur :

— Je ne bois jamais, dit l'agent. Puis il s'en fut dans la nuit.

— Bon Dieu ! souffla Filhol.

Tous se regardaient. Rien, ni la foudre éclatant à leurs pieds, ni la grêle sur une bonne côte, ni Pâques en juillet, ne les eût à ce point confondus ! Un gardien de la paix so- bre...

— C'est du joli, clama Philipon. La municipalité n'en fait jamais d'autres.

André Seveyrat (1940)

Spécialiste de l'ésotérisme à Lyon, gourou des cruciver- bistes, enquêteur aussi perspicace que Sherlock Holmes (dont il a épousé le pipier profil), André Seveyrat est en outre le journaliste de l'actualité criminelle que l'on sa- voure par excellence, à l'heure du café au lait, dans « Le Journal », quotidien Rhône-Alpes, où il fait souvent la « une »... Chroniqueur littéraire, d'autre part, écrivain spé- cialisé dans le sang et le mystère, ce bon ami est pa r consé- quent débordé en permanence ! Malgré tout, il a trouvé le temps, grâce à son humour, d'accéder à une chaire de l'Ins- titut des Sciences Clavologiques ! Il ne lui manque rien, sauf une dizaine de kilos, que je serais très heureux de lui offrir.

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A noter que dans « Le Journal » en question, les édito- riaux de M. Henri Amouroux, directeur, sont souvent ju- teux d'un esprit satirique fort apprécié des gourmets.

Gastronomie et sorcellerie

La sauce qui tue...

Il faut le dire tout net : il est des crimes que la morale réprouve ! Certes il en est d'autres qui firent de grosses fortunes mais, de ceux-ci, il n'est pas de bon ton de parler entre gens du monde. Il en est enfin qui, prescrits depuis bien des lustres, n'hésitent pas à entrer de plain-pied dans la petite histoire de notre doulce France !

Un exemple ? En notre cité « mystico-candarde » selon Léon Daudet, et où tout finit par des mâchons à en croire Félix Benoît, on ne saurait oublier « l'affaire Le Fou » qui égaya la chronique de l'an de grâce 1929...

Le Fou, né à Paris d'ascendance bretonne, s'était établi restaurateur rue Lanterne. Son rapide succès, disaient les jaloux, n'était pas dû à ses seuls talents culinaires. Les ja- loux n'ont pas toujours tort. Notre homme se livrait à un second commerce qu'ignorait délibérément sa raison so- ciale : celui des divers objets nécessaires à la pratique de la magie noire. Ainsi pouvait-on trouver chez lui parchemin vierge, eau forte pure, cuivre, miroirs concaves et convexes, noir de fumée, eau de rose, aiguilles, verges et glaives porteurs de noms diaboliques...

Qui, après de sérieuses recommandations, parvenait à mériter la confiance de ce maître-queux, pouvait aussi faire l'expérience de ses recettes-maison. A commencer par la suivante :

« Prenez un chat noir que vous aurez volé, et non un au- tre chat noir quelconque, après avoir eu la précaution de vous munir d'un pot neuf, d'un peu de charbon et d'un morceau d'amadou. Le chat une fois tué, vous le mettez dans le pot où vous aurez préparé un roux en y mélangeant de la fiente de lièvre, quelques brins d'orties, de l'alun pul- vérisé, du jus de joubarbe et de la gomme extraite du lau- rier avec du thym et du persil... Dès que le civet commen- cera de ronronner, saisissez-en un morceau et jetez-le par dessus l'épaule gauche en disant : Accipe quod tibi do et nihil ampilus. Recommencez l'opération trois fois, puis al- lez servir le civet à reculons... ».

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Ce plat de résistance pour clients avertis (plutôt deux fois qu'une !) valut quelques ennuis au restaurateur. On ne lui imputait rien de moins que la mort de trois de ses clients... d'un jour : un dessinateur sur tissus, une bottière et une étudiante.

Invités chez Le Fou par des amis qui leur voulaient... du mal, tous trois n'avaient-ils pas été envoyés ad patres par l'ingestion de ce qu'en ville on nommait déjà « la sauce qui tue » ? Le prévenu ne nia nullement avoir préparé le mets incriminé. Mais, eut-il beau jeu de répondre au juge d'ins- truction : « Y croiriez-vous donc, vous, à ces sornettes ? Il n'entre, que je sache, rien de foncièrement nocif dans ma recette ! » De fait, l'autopsie des victimes ne révéla la pré- sence d'aucune trace d'un poison quelconque. Il fallut relâ- cher les trois « amis » et le restaurateur...

Le Fou jugea plus sage d'émigrer derechef à Marseille. Ses affaires ne s'en portèrent pas plus mal. Tout au contraire même. D'où, de la part des moins oublieux, des allusions perfides qui le faisaient s'insurger :

- N'est-ce pas un juste retour des choses ? s'exclamait-il. J'ai eu tant de malheurs dans ma vie... J'ai commencé par perdre ma femme peu après mon arrivée à Lyon. Puis il y a eu cette absurde histoire de sauce-je-ne-sais-quoi. En- suite, à Marseille, je me suis remarié avec une Anglaise mais - la pauvre ! - elle est morte à son tour prématuré- ment. Qu'elle m'ait laissé quelques biens, c'est vrai, mais oseriez-vous prétendre que tout l'argent du monde pour- rait consoler de la perte d'un être cher ?

Qui dira encore que... l'humour (noir) ne paie pas ? Henri de Venel

(1897 - 1981)

Le vicomte Henri de Venel, naquit à Lyon à l'Hôtel du Gouverneur Militaire, lorsque celui-ci se trouvait encore rue Boissac (près de Bellecour). Son grand-père, le gouver- neur-général Zédé, lui enseigna les premiers rudiments d'un humour à l'emporte-pièce, puis les muses firent le reste. Gentleman - armer, mais surtout candidat perpétuel à l'Académie Française, Henri de Venel perdit, avec Mau- rice Genevoix, son plus fidèle électeur. Il se consola en mili- tant de plus belle dans l'Ordre du Clou. On trouvera ici de quoi sourire à propos de l'œuvre poétique de cet original à la fois tendre et pince-sans-rire...

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Le jour où...

Vous en souvenez-vous, ma charmante cousine, Du jour où, dans la salle-à-manger, sur un banc, Nous fabriquions, je crois, pour le dessert, un flan... Et que l'air embaumait la menthe et la résine ? Avec quelle souplesse exquise et féminine Vous saviez disposer ce qu'il fallait en rang. Votre corps se moulait dans un tablier blanc.

Que vous étiez jolie en faisant la cuisine ! Vous en souvenez-vous, ma charmante cousine ?

Dédicace à Claudel

Claudel, c'est le Saint-Esprit, Qui s'est trompé de volatile Et d'un gros dindon prit l'habit. Cette erreur nous désopile.

Epitaphe (préfabriquée)

Là repose Henri de Venel, Gros producteur, petit poète. De ces deux beaux métiers lequel A rempli le mieux son assiette ? Il vendit cochons, veaux et paons, Et pondit de petits vers bouffe ! Les premiers l'ont nourri cent ans Tandis que les seconds le bouffent.

Paul Vincent

(1915)

Paul Vincent est un collectionneur de prix littéraires. Il a également obtenu son poids en toutes sortes de choses : beaujolais, whisky, moutarde, merguez, nougat, hydromel,

fourrage, gruyère, etc. Lyonnais désormais retiré à Annecy après une longue séquence parisienne, il collabore au « Dauphiné Libéré », où ses billets sont toujours fort goûtés. Romancier, moraliste, poète, gastronome, humoriste, jardi- nier, apiculteur, etc., il sait que le bonheur est sur terre et qu'il importe de s'en accommoder...

On trouvera ci-dessous un extrait gastronomique de « Sensuella » (ouvrage paru aux éditions de la Pensée Mo- derne).

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Le repas de Léon Molandier

... Chez Léon Molandier, le gourmet était un seigneur du raffinement. Il était devenu le géographe de la gastrono- mie. Il allait savourer les spécialités sur place. Passionné de plats locaux, ce Lyonnais prenait l'avion pour retrouver un civet d'oie en Bavière, une selle de sanglier à la chou- croute en Slovénie, et il passait le tunnel du Mont Blanc pour une motzetta de chamois dans le val d'Aoste.

Molandier avait parcouru les Alpes comme un guide du fumet :

— Je voudrais fonder une confrérie de la fondue, di- sait-il.

Il avait inventé une façon de la réussir : il dessinait des 8 au-dessus du caquelon en faisant la danse du ventre. Un voluptueux. Pour qu'un reblochon fût parfait, il devait « être à la fois ferme et doux comme un ventre de jeune femme ». Outre une confrérie du taste-seins, digne pen- dant de la confrérie parisienne du taste-fesses, déjà exis- tante, Molandier envisageait, entre autres, une confrérie du « tablier de sapeur », un cercle de la tomme et un club international de la salade de pieds de mouton.

Pour les vins, il tenait à accompagner à la cave Fer- nande, la serveuse du « Chalet fleuri »...

Molandier avait, d'ailleurs, la volupté gourmande. Fer- nande n'avait qu'à se laisser faire. Il jouait au craquote- sein comme avec un hors-d'œuvre de radis, dégustait une entrée, la savourait comme une négresse en chemise.

Seulement, s'il ne mangeait pas solidement avant le gros œuvre, il faisait des complexes d'impuissance. Il se leva, ouvrit le réfrigérateur où l'attendait tout un orchestre de cochonnailles - violon de jambon et orgue de saucissons.

— L'exercice, ça creuse, dit Molandier.

Il engouffra un poulet comme un roi du Moyen Age et s'allongea sur le lit, en ébranlant la vie secrète du som- mier. La mangeaille l'essoufflait. Fernande sentait le cœur de l'homme battre fort et vite. C'était tout juste si elle n'at- tendait pas la sonnerie d'un minuteur culinaire annon- çant la cuisson.

En s'excusant à l'avance, Molandier eut le mouvement brusque d'un hoquet qui ressemble à un viol. Il en parut plus guilleret. Bonne fille, Fernande parvint à lui passer la terrine de lièvre :

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— Merci. Ca retape. J'avais l'estomac dans les talons. Mais Molandier avait mangé trop vite. Son estomac était

pesant comme un sac de matelot. Il se mit à chantonner sourdement : « Auprès de ma blonde, qu'il fait bon dor- mir... ».

— Il va finir par me roupiller dessus, fit Fernande. Brusquement, elle eut l'idée du salut : elle se mit à lui

murmurer à l'oreille des mots de secrets culinaires :

— Qu'est-ce que je te ferai demain soir ? — Un poulet aux cèpes, murmura Molandier. Il sembla s'agiter. Elle en profita pour lui révéler la re-

cette du civet de marmotte.

Molandier balbutia sa gratitude. Elle ne lui en voulut pas de grogner son contentement béat, en coulant comme un rôti au four.

Trancrède de Visan (1878 - 1945)

C'est sous ce féodal pseudonyme de Trancrède de Visan que ce distingué représentant de la famille Biétrix connut la notoriété dans les lettres régionales. Journaliste, roman- cier, observateur des mœurs de son temps, ouvert à l'hu- mour, il a laissé une œuvre intéressante. On trouvera ci- dessous un extrait de son ouvrage le plus connu : « Sous le signe du Lion » (éditions Denoël et Steele, 1936).

Un enterrement bien lyonnais

Ce fut, en effet, une stupeur de Perrache aux Brotteaux à la nouvelle du décès de Mme Chabreuil. La mort d'une personne de la société se connait tout de suite, même avant la chute d'un ministère ou l'élection d'un président de la République ! Pour la raison très simple que nos conci- toyens répugnent à toute politique, et que les gens « bien » ne lisent jamais de leur « Nouvelliste » que la page des avis mortuaires.

Mathilde était universellement aimée. Son mari, accou- cheur attitré de la bourgeoisie, ne se connaissait pas d'en- nemis en dehors de quelques confrères ; encore ceux-ci prenaient-ils garde de bien choisir leurs auditeurs avant de lancer ces pointes acérées dont chaque médecin lyon- nais tient en réserve une ample provision dans la musette de son esprit.

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L'enterrement fut fixé pour neuf heures, d'après l'avis deux fois répété dans les journaux. Cela parut du meilleur goût... Huit heures s'avère trop tôt pour des lendemains de bal et dix heures trop tard à cause de la matinée gâchée. Mais neuf heures, voilà un bon moment. Cela permet aux soyeux d'aller lever leur boîte, et aux notaires de courir s'assurer à l'étude que leur premier clerc, sur lequel ils se reposent du soin de travailler pour eux, se trouve à son poste.

On supputait la longueur de la cérémonie, on prévoyait un défilé interminable. Certains, après un premier salut à la maison mortuaire, quitteraient le convoi à la porte de Saint-Vincent, et pourraient remonter à leur bureau avant de revenir serrer encore une fois la main au mari sous le porche de l'église, l'absoute terminée. D'autres se propo- saient, selon une habitude louable, d'aller casser la croûte et de s'entonner quelques pots de beaujolais dans l'arrière boutique d'un marchand de vin réputé où l'on ne risque pas d'être vu...

Une dame, à l'annonce du décès, avait dit à son mari :

— Nous ne sommes pas tellement liés avec les Cha- breuil, mais tu me mèneras quand même à l'église. Tout Lyon sera là.

Cette insulaire de la rue de Castries raisonnait avec per- tinence. Oui, tout Lyon était là en cette matinée d'automne assise derrière un petit soleil tout blanc, sans cesse vapo- risé par de légers flux de brume venus de la Dombes. Tout Lyon était là, c'est-à-dire les deux mille trois cent per- sonnes qui comptent.

Quoi qu'on ait dit, Lyon demeure un grand village, parce qu'ici, plus que partout ailleurs, les classes sont tranchées, infusionnables, séparées par des cloisons étan- ches. Aucune idée sociale ou socialisante, aucune évolution dans les mœurs, aucun bouleversement des situations ne parviendront jamais à renverser les remparts d'un empire moral enclavé dans un empire géographique...

Il faut deux générations pour permettre d'oublier cer- taines origines. Non point du tout qu'on se méprenne sur les extractions de ceux occupant depuis cent ans le haut du pavé. On sait que le grand-père d'un tel est venu jadis en sabots ; la grand-mère de celui-là faisait des ménages... Les anciens ne l'oublient pas, mais le temps arrange tout. Les petit-fils, chatouilleux sur le chapitre des généalogies,

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constatent la qualité des alliances, des essaimages, songent aux étapes franchies « dans l'ordre », sans scandale, aux di- verses plates-formes sociales escaladées d'un honnête pas régulier. Alors le niveau s'établit. Parfois, dans un mo- ment de colère, ou pour donner libre cours à cette ironie mordante, latente chez tous les Lyonnais, l'on évoquera le trouble de certaines unions, le départ vulgaire de telle as- cendance ! Mais lorsque le droit de cité a été accordé une bonne fois et en connaissance de cause, il n'est plus repris.

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LISTE ALPHABETIQUE DES DESSINATEURS

HUMORISTES LYONNAIS MIS A CONTRIBUTION DANS

CET OUVRAGE... Avec mes chaleureux remerciements aux vivants et une

affectueuse pensée pour les disparus... — BERNARD ALDEBERT (1909-1974). Successive-

ment élève à l'Ecole des Beaux-Arts de Lyon, affichiste à Manufrance. puis humoriste d'une audience internatio- nale. Officier de l'Ordre du Clou.

— MICHEL BALME (1950). Après des études mathé- matiques qu'il prétend râtées, a bifurqué vers le dessin hu- moristique. Beaucoup de punch et tendance à l'humour noir.

— BOSPLA (1911). C'est sous ce pseudonyme que l'ex- cellent Henri Bosse-Platière s'est illustré dans le dessin hu- moristique. Fidèle supporter des Zumos et guignolisant notoire.

— JEAN-CLAUDE BUISSON (1937). Artiste peintre lyonnais et membre des Zumos (à vocation mystico-clavo- logique).

— JEAN-ALBERT CARLOTTI (1909). Peintre ré- puté. aux dons fantastiques et divers. S'est distingué no- tamment sur le chapitre de la femme dont il est un chan- tre enthousiaste. Pionnier des Humoristes lyonnais et des Compagnons de la Baleine.

— ANDRE CHAIX (1913). Graphiste apprécié, ce pi- lier des Zumos s'est retiré à Aramon (Gard), mais n'en poursuit pas moins les contacts avec Lyon et le Beaujolais.

— PHILIBERT CHARRIN (1920). Peintre de grand talent, immortalisé aussi par ses collages et ses « équivau- cluses ». Créateur infatigable, il se remet souvent en ques- tion. étant d une sévère exigence avec lui-même.

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— RIK CURSAT (1928). Humoriste à la verve causti- que. aux affinités volontiers surréalistes. Collaborateur at- titré de divers journaux, il a publié un remarquable ou- vrage aux Editions Egé, à Lyon, d'où j'ai extrait avec son consentement et la bénédiction de l'éditeur, un dessin ca- ractéristique de son talent.

— ROBERT DAUVERGNE (1927). Humoriste toni- que. vice-président des Humoristes lyonnais et dignitaire de l' Ordre du Clou. Lorsque sa moustache se hérisse, un chant bachique ne tarde pas à surgir de son puissant or- gane.

— Dr BOUILLON (1945). Alain Bouillon, dit «Du Bouillon H. fit ses premiers croquis chez les Zumos, puis il se tailla bientôt une solide réputation d'humoriste non conformiste grâce à un graphisme très personnel. A publié plusieurs albums.

— GAD (1905). Claude Gadout, dit « Gad », ce bon gone a fait une brillante carrière à Paris où il se distingue par son accent lyonnais qu'il s'est toujours efforcé de conser- ver.

— MAURICE HUGOT (1922). Graphiste et dessina- teur publicitaire, ce valeureux pionnier des Zumos assume en outre les délicates fonctions de chef de protocole de l'Ordre du Clou.

— DANIEL LESAGE (1945). Ancien élève de l'Ecole des Beaux-Arts de Lyon, graphiste, pamphlétaire, il a pu- blié un journal intitulé « Les Equevilles ». Membre des Zumos, son dessin humoristique ne doit rien à personne. Son goût de la mystification le rend en outre très atta- chant.

— ALBERT OBER (1915). Graphiste célèbre, son don pour la caricature permet de le considérer comme un des plus originaux dessinateurs d'humour de son temps. Mem- bre des Zumos.

— JEAN ROBERT (1871-1950). Dessinateur humo- riste. Présida l'Association des Humoristes lyonnais à ses débuts. Se retira à Nyons (Drôme), où il mourut.

— ROGER SAM (1920-1977). Roger Samard, dit « Sam », était le plus délicieux des amis. Son cœur d'or, sa fidélité, son talent, sa poésie, affleuraient en permanence dans sa conversation toujours infiniment spirituelle, ja- mais méchante. La vieille association que je préside a

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perdu avec lui un être d'exception. On trouvera ici un des- sin de cet inoubliable compagnon, extrait de son bel al- bum-souvenir. « Il était une fois Roger Sam » (Editions Egé, 1978).

— ALAIN SARRAILLON (1936). Graphiste, dessina- teur publicitaire, humoriste à part entière, il constitue un des maillons indispensables de la chaîne des Zumos. Di- gnitaire de l'Ordre du Clou et directeur des Editions de l'Institut clavologique.

— TEYVAR (1910). Jean Ravet, dit « Teyvar », est un caricaturiste-né, et il n'a pas son pareil pour saisir un cro- quis d'audience en correctionnelle ou aux assises. Collec- tionneur d'art nègre, artiste d'une grande culture, sa tru- culence est également fort goûtée des connaisseurs.

— Des compliments s'adressent encore à Mme Lou Le- maire, secrétaire générale de l'Association des Humoristes lyonnais (Les Zumos) et conservatrice en chef des archives de l'Institut des Sciences clavologiques.

J'ai réussi le code

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Achevé d'imprimer le 6 novembre 1981

par

R I R E B O U L I M P R I M E R I E t y p o o f f s e t p h o t o - c o m p o 4 2 0 0 0 S A I N T - E T I E N N E

Dépôt légal 4e Trimestre 1981

N° Imprimeur : 69

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Félix BENOIT, ciseleur de la petite histoire lyonnaise, gas- tronome militant, humoriste à part entière, braconnier du secret des choses, globe-trotter sans œillères, se situe en marge des marées culturelles à la mode. Son ambition consiste à persévérer dans la distillation de la gelée royale de la pensée contemporaine au sein de l'Ins- titut des Sciences Clavolo- giques dont il est le recteur.

Le maire Louis Pradel lui offrit

son poids de clous, Francisque Collomb lui décerna la médaille d'Or de la Ville de Lyon, le Groupe Paris-Lyon lui attribua son Grand Prix de l'Humour, et la commune de Juliénas son Prix Victor Peyret.

Libérateur de l'Ile Barbe, d'autre part, Félix Benoît, président breveté S.G.D.G., est encore lauréat de l'Académie des Pierres Dorées, Commandeur Exquis de l'O.G.G. du Collège de Pata- physique, collectionneur insatiable, criminalisticien, parémio- logiste, polygraphe et chroniqueur attitré dans diverses ga- zettes savantes ou piquantes.

Son dernier ouvrage vous dira donc tout (ou presque) sur le savoir-vivre lugdunien, ses secrets et son humour, des origines à nos jours. Ainsi soit-il.

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