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Formation en soins palliatifs : la fin de vie, mode d’emploi

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Page 1: Formation en soins palliatifs : la fin de vie, mode d’emploi

Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2014) 13, 207—211

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

SOINS PALLIATIFS ET PSYCHOLOGIE

Formation en soins palliatifs : la fin de vie,mode d’emploi�

Training in palliative care: End of life time, instructions

Marielle Le Floc’ha,∗, Patrice Poirierb

a Médecine interne, maladies infectieuses, centre hospitalier Bretagne Atlantique,20, boulevard Maurice-Guillaudot, 56017 Vannes cedex, Franceb EMSP, centre hospitalier Bretagne Atlantique, 20, boulevard Maurice-Guillaudot,56017 Vannes cedex, France

Recu le 21 decembre 2013 ; recu sous la forme révisée le 15 juin 2014 ; accepté le 17 juin 2014Disponible sur Internet le 10 September 2014

MOTS CLÉSSoins palliatifs ;Formation ;Psychanalyse ;Hypermodernité ;Homo consumericus ;Inconfort

Résumé Dans une société hypermoderne qui nourrit de l’Homo consumericus, la place dupsychologue orienté par la psychanalyse dans une formation en soins palliatifs mérite d’êtreinterrogée. Le discours contemporain contamine l’institution hospitalière et engendre deseffets sur les demandes de formation qui en émergent. Une quête de satisfaction s’y exprime.Sur la scène de la formation, les demandes sont néanmoins ambivalentes. En ne cautionnantpas la gadgétisation, l’orientation psychanalytique permet d’interroger la place de la véritédans les soins palliatifs, mais au prix de l’inconfort.© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSPalliative care;Training;

Summary In a society of hypermodernity that thrives Homo consumericus, the place of thepsychologist driven by psychoanalysis in palliative care training should be questioned. Contem-porary discourse contaminates the hospital institution and generates effects on training requests

Psychoanalysis;Hypermodernity;Homo consumericus;Discomfort

that emerge. A quest for satisfactheless ambivalent. By not suppquestion the place of the truth i© 2014 Elsevier Masson SAS. All r

� En référence à La Vie mode d’emploi de Georges Pérec.∗ Auteur correspondant.

Adresses e-mail : marielle.le [email protected] (M. Le

http://dx.doi.org/10.1016/j.medpal.2014.06.0061636-6522/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

tion is expressed. On the scene of training, requests are never-orting the gadgetry, the psychoanalytic orientation allows ton palliative care, but at the cost of discomfort.ights reserved.

Floc’h), [email protected] (P. Poirier).

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ntroduction

u fait de ses missions officielles [1], une équipe mobile deoins palliatifs (EMSP) est appelée à remplir une fonction deormation auprès du personnel hospitalier. Les psychologuesui font souvent partie des équipes mobiles participent àette formation.

Les deux cliniciens que nous sommes ont souhaité inter-oger le contexte et la mise en œuvre de cette missionncombant aux EMSP. La formation a soulevé pour nous desuestions de fond : quel lieu de formation en soins palliatifseut constituer un hôpital ? Est-il influencé par un discoursontemporain ? La formation en soins palliatifs prend-ellelors une forme spécifique ? Comment y participer en tantue psychologue orienté par la psychanalyse ?

Notre hypothèse de travail consiste à dire que’institution hospitalière est d’autant plus en peine pour for-er aux soins palliatifs qu’elle est influencée par le discours

ontemporain.En effet, du point de vue d’une psychanalyse qui

’intéresse à l’influence du discours courant sur le lienocial, une société imprime inévitablement un « style »orsqu’elle socialise, lorsqu’elle opère cette soumissionécessaire des corps au social, c’est-à-dire lorsqu’elle défi-it ce qu’est un rapport socialement acceptable entre sesujets et leurs objets de satisfaction. Les institutions quiomposent cette société en sont traversées.

Au regard de ces questions, quelle influence peut-onécrire, dans un premier temps, du discours contemporainoderniste sur l’hôpital comme lieu de formation ?

’hôpital et le lien social

’hôpital général comme institution

l va désormais de soi que l’hôpital général se spécifie’être l’institution qui se charge du corps. Celui-ci s’yrouve en tant qu’objet de soin mais aussi enjeu social. Il

est ainsi question du corps pulsionnel à soigner, nourrir, toiletter ». . . à commenter, décrire, parler. . ..

Dans ce lien social tissé, autour et par le soin, il y a le soi-né et le soignant. Celui que l’on dit « soignant » s’y engageussi en tant que sujet, avec son désir à la tâche. Il y est à laois sujet de son temps et agent de l’institution hospitalière.

En ce qui le concerne, cet agent, la médecine du travailepère facilement que la recherche de satisfaction du côtéu « soin bien fait » peut être sans limite, menant parfoise corps soignant jusqu’à l’incandescence. Le fameux burn-ut l’illustre. L’institution hospitalière est prise dans cetteogique, quand bien même elle se veut soignante. Elle peutrganiser le travail de telle sorte qu’elle dénie les limites et,e faisant, exacerbe un élan déjà là, un élan qui pousse à seépasser, toujours plus. Nous parlons de ces cas-là où toutst possible, tout est réalisable, pourvu que l’on soit bienrganisé et bien pourvu ! Fantasme de la modernité, celui’une escalade de l’amélioration : l’enhancement !

’Homo consumericus

epuis de nombreuses années, le philosophe Gillesipovetsky analyse à travers ses écrits une société

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M. Le Floc’h, P. Poirier

postmoderne » [2—4] et campe un prototype humain deotre temps pris dans un système de subversion des valeurs.

Selon cet auteur, nous sommes dans l’ère de l’Hyper » ! « L’hyperconsommation », « l’hypermodernité », l’hypernarcissisme » où l’individualisme désavoue lesnstitutions dans leur fonction socialisante et augmente uneouissance sans modération !

L’hypermodernité se présente ainsi sous le signe de’excès. . .. La vie professionnelle autant que privée n’ychappe pas. G. Lipovetsky poursuit sa pensée jusqu’à unype anthropologique qui s’applique à tous les domaines :

un Homo consumericus de troisième type voit le jour, unespèce de turbo-consommateur décalé, mobile, flexible,argement affranchi des anciennes cultures de classe, impré-isible dans ses goûts et ses achats, à l’affût d’expériencesmotionnelles et de mieux-être, de qualité de vie et deanté, de marques et d’authenticité, d’immédiateté et deommunication. (. . ..) L’esprit de consommation a réussi à’infiltrer jusque dans le rapport à la famille et à la reli-ion, à la politique et au syndicalisme, à la culture [à laormation] et au temps disponible. Tout se passe commei, dorénavant, la consommation fonctionnait tel un empireans temps mort dont les contours sont infinis » [5]. Aussilarmant soit-il, ce message ouvre la question d’un expan-ionnisme du consumérisme dans tous les domaines, jusqueans celui de la formation en soins palliatifs.

Autant écrire qu’en termes de lien social, l’Homo consu-ericus convoite un rapport à l’objet qui serait direct et

ans limites. L’Homo consumericus de troisième type peut-l alors s’incarner chez le soignant ? À quoi fonctionne-t-illors quand il travaille et quand il se forme ?

Nous dirions volontiers que, lorsqu’il s’agit, comme enormation, d’investir la pensée, cet homme-là oriente saonsommation vers du prêt-à-porter. Il s’agirait d’un ready-ade apparenté à des objets de la modernité que lesychanalyste J. Lacan qualifiait de « gadgets ». Ces objetsacilitent illusoirement l’accès à la jouissance et font le jointntre fantasme et réalité ; autant dire qu’ils font fétiches !es « menus objets (. . .) que vous allez rencontrer en sor-ant, là sur le pavé à tous les coins de rue, derrière toutes lesitrines, dans ce foisonnement de ces objets faits pour cau-er votre désir, pour autant que c’est la science maintenantui le gouverne » [6]. Il en va ainsi du téléphone portable,ais aussi de divers objets de pensée, de ce type d’objetui trouve dans la formation en soins palliatifs son espace’expansion comme partout ailleurs.

ormation, consommation et manque àagner

ne institution « Hyper » : la formation enayon

l’instar de ce que disait Michel Foucault [7] à propos de laociété et de la folie, une institution aura les usagers qu’elleérite. Une institution qui pense dans une logique clienté-

iste recoit logiquement des consommateurs. Une institutionypermoderne qui forme éveille le penchant Homo consu-ericus en chacun, qu’il soit soigné mais aussi soignant,

ormateur ou stagiaire.

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Formation en soins palliatifs : la fin de vie, mode d’emploi

Comme nous le démontre nos sessions de formation, leursévaluations et la littérature dans le domaine, il ressort que,d’une part, former devient un acte valorisé s’il répond auxcritères d’un bon moment de consommation et que, d’autrepart, le fantasme d’un objet de satisfaction directementet immédiatement accessible y trouve les voies de sa réa-lisation. Mais pour ce qui concerne notre domaine de lapsychologie en soins palliatifs, l’inconvénient tient à ce quela formation touche aux questions sensibles pour tout sujet :son rapport au corps, la subjectivité, sa relation aux autres,au-delà de son besoin de consommation.

Le gadget qui vous simplifie la vie : l’objet duMoi

Désormais, l’objet de la formation en psychologie qui appor-tera satisfaction tend vers un savoir qui se présente commeun produit « moderne », innovant et facile à mettre enœuvre, un de ces objets qui prêtent au plaisir de laconsommation (un ready-made). Il doit donc promettre devous combler en vous simplifiant la vie, et non pas en lacomplexifiant. En psychologie, le choix de tels objets orientevers le développement personnel et ces « trucs et astuces »,vers le scientisme des théories de la cognition ainsi que versles neurosciences.

À vrai dire, on se tourne alors vers une psychologie d’unMoi fort et maîtrisé, une psychologie qui ne cesse de pro-mettre au sujet son renforcement par la conquête d’unsavoir à venir. Pourtant, ce Moi, c’est la partie du psychismegouvernée par l’illusion, celle de la maîtrise, une partie dontFreud disait dès 1916 : « le Moi n’est pas maître en sa propremaison » [8]. . . mais il n’en démord pas.

À titre d’exemple, à la question inaugurale que nousposons en début de formation : « Qu’attendez-vous de la for-mation ? » une réponse ne manque jamais : « Des recettes ! ».Plus spécialement auprès des psychologues, on vient acqué-rir de la technique relationnelle « experte » et prête à servir.Lorsque la formation est déjà un peu avancée, l’attentes’atténue mais prend alors sa forme dénégatrice : « Desformules, des clefs, même si ca n’existe pas, mais quandmême. . . ». Le savoir psychologique demandé persiste às’apparenter à un mode d’emploi de la relation. Les maîtres-mots de la demande tournent alors autour de la gestion :« Comment gérer l’angoisse ? », « Comment gérer la mort ? »,« Comment accompagner la fin de vie ? », Comment bien« relationner » ?

Se figeant parfois sur un plan comportemental, lesattentes sont alors tournées vers des conduites à tenir,dans l’espoir d’en trouver certaines qui soient universali-sables. Une « vignette » clinique avait ainsi pu être érigéeen système pour tous : lorsqu’un patient est angoissé, il fautgarder la porte ouverte. Dans cet abord, l’Homo consume-ricus se contenterait avec les théories comportementalesou éthologiques. Du côté du registre de la parole, les sta-giaires attendent des méthodes dont ils ont déjà entenduparler, équivalentes à des conduites comportementales àtenir, telles les techniques de la « reformulation » ou de la

« validation » [9,10]. Ce qui compte dans ces demandes plusou moins explicites est de se trouver confirmé dans l’idéequ’il existe des méthodes prêtes à l’emploi sur lesquelles leMoi puisse se reposer.

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’attente d’un « ready-made moderne »

ur le fond de ces attentes, le formateur en soins pallia-ifs aura un choix à faire, choix non dénué d’éthique. Selon’accueil qui sera réservé par le formateur aux demandeslus ou moins manifestes, les stagiaires seront plus ou moinsercés de douces illusions. Il est alors question de l’effetttendu par le formateur lui-même sur ses stagiaires : s’ilherche leur adhésion puis leur satisfaction, il aura beaueu de s’appuyer sur ces attentes ; s’il prend en considéra-ion le fantasme d’hypermodernité et la question du sujetn soins palliatifs, le formateur visera autre chose que laatisfaction des attentes.

La satisfaction doit-elle faire mot d’ordre, en formation ?oit-elle être au centre de l’évaluation d’une formation ?atisfaire le stagiaire ne revient-il pas à l’assimiler à l’Homoonsumericus ? Ne risque-t-on pas alors de s’égarer un peuans les rayons de supermarché ? Qu’un stagiaire demandeatisfaction est une chose, que l’offre et les modalités deormation fassent ce jeu en est une autre. Une simplenquête dite « de satisfaction » en fin de formation est unhoix en la matière. Si l’institution demande, à juste titre,e rendre compte de l’effet d’une formation. . . mesurer,ommenter et transmettre un niveau de satisfaction prendn autre sens.

De même, dans le domaine du palliatif comme enout domaine de formation, les notions « mythiques » de

compétences » et « d’expertises » autorisent à penser que’on peut repartir avec « quelque chose en plus et pour deon ». Les évaluations classiques des formations qui font cehoix visent « l’acquis » et le « non-acquis », ravalant ainsi leavoir en soins palliatifs à un objet d’acquisition.

Pour répondre à la demande, les revues de pédagogieédicale [11] vont puiser dans le domaine de la psycho-

ogie de la motivation. Cette branche de notre disciplinenspire la psychologie du travail et la pratique de coaching.es revues rapportent dans le milieu hospitalier des notionse compétences relationnelles, voire émotionnelles [12].e succès des formations de formateur et l’engouementour des méthodes pédagogiques qui ferait passer aisément’acculturation palliative nous interrogent tout autant, pareur brillant moderniste.

Une sorte de savoir panacée émerge donc, apparenté àn objet rêvé qui vaudrait pour toute situation clinique : onarle alors de « savoir-faire » ou même de « savoir-être ».ette expression-ci fait florès, tant elle évoque une maîtriseotale de soi qui serait accessible par un « plus » de savoir.n fin de session, nos réflexes modernistes nous portent’ailleurs aussi à croire que le stagiaire aime à repartir avece « quelque chose », un « truc » que nous voulons le plusratique et concret possible.

Mais, cet objet rêvé s’avère n’être rien moins queoi-même, concu comme objet de pointe, hypermoderne,daptable à souhait. La modernité exacerbée traite en effete psychique comme un corps à bodybuilder [13] et réduitinsi le sujet à son objet du Moi.

Pour obtenir une adhésion, on en viendra donc à penseru’il vaut mieux des contenus pratiques (et non théoriques),

imples d’usage (et non complexes) et pourquoi pas mêmeudiques et attrayants (et non rébarbatifs).

L’idéal serait alors une formation au cours de laquelle on’aura rien perdu et tout gagné, dont chacun se sort plus

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ort, mieux équipé, presque « gadgétisé » soi-même. Uneuestion s’impose pourtant : est-ce bien réaliste en soinsalliatifs ?

ormation et manque à savoir

’institution bien pourvue

elon nous, la croyance en la modernité, dont’hypermodernité est le symptôme social, met à male sujet humain. Le sujet devient technicien accompli sansue toujours se pose la question de la finalité [14].

Ainsi l’agent hospitalier peut-il être pris dans cetteogique. Il est à ce titre perfectible, pour peu qu’on luijoute les compétences optionnelles. À ce constat s’ajoutee fait que le champ des soins palliatifs ne vient pas à’importe quelle place dans le monde médical. Il vient làù le curatif est confronté, sinon à l’impossible, du moins

sa limite, à ce point où précisément raison et techniqueevraient composer avec l’humain. La formation peut-ellet doit-elle apporter un « plus » de savoir ?

Remarquons d’emblée que si la pente institutionnellectuelle va d’elle-même du côté du complément, de’adaptation et de l’harmonie, pour chaque agent et pourhaque service, nous aurions peut-être à ramener duanque, du décalage, de la foncière inadéquation de l’objet

u besoin. Le clinicien qui se réclame d’orientation psy-hanalytique, dans l’institution où il travaille, lorsqu’il s’yssaie, joue souvent le rôle du « briseur de rêve », d’un rêve’une belle mécanique (institutionnelle) comme celle dansaquelle Charlie Chaplin, dans les Temps Modernes, est enasse d’être absorbé, tant il se fait plus grain de sable queouage.

Le style institutionnel que prend aujourd’hui l’hôpital neavoriserait-il pas l’appétit « vorace » de modernité plus quee lien social ?

Évoquant l’institution soignante, Francois Ansermet etaria-Grazia Sorrentino parlent « d’un fantasme fonda-ental [que] semblent nourrir patients et soignants dans

’institution. Échapper à toute perte. Rejoindre la complé-ude perdue, d’avant la naissance. Espérer des retrouvaillesvec une mère complète ». Ils remarquent que « l’institutionpparaît donc comme l’espace propice à l’emprise d’un fan-asme de complétude, ainsi que le lieu des prémices de saéalisation » [15].

Comme nous le constatons, les formations en soinsalliatifs, d’un certain abord, prétendraient compléter laanoplie d’un agent « moïque », paré à toute éventualité.es soins palliatifs-là participeraient de la santé totalitaireont parlent Roland Gori et Marie-José Del Volgo [16]. Aussies soins palliatifs s’acoquinent-ils parfois avec les mythese l’hypermodernité.

’appel à l’Autre

ais s’il peut parfois se simplifier la vie en se complaisantans ces mythes, le formateur en soins palliatifs ne tardera

as à être bousculé.

Les soignants en formation sont traversés par lesroyances hypermodernes souvent portées par l’institutionais ils sont aussi sujets divisés. Avec une formation en

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M. Le Floc’h, P. Poirier

oins palliatifs en son sein, l’institution hospitalière offren quelque sorte à son personnel le lieu et le momentour interroger la toute-puissance à laquelle peut rêver unomo consumericus. En ce lieu se questionnent les pseudo-olutions technoscientifiques, les ready-made, les gadgetse la relation et les prétentions à la toute-puissance, devantesquels le sujet est pris d’ambivalence.

Sur cette scène ouverte des sessions de formation,’expriment alors régulièrement ces appels à l’Autre, cetteère toute-puissante, appels qui se spécifient d’être ainsiarqués par le sceau de l’ambivalence.Ainsi, un stagiaire réclame : « Face à un patient qui

ous dit ‘‘est-ce que je vais mourir ?’’ — Qu’est-ce queous répondez ? ». Au-delà d’une demande de recettes duraticien-formateur, le stagiaire interroge la prétention dea formation et de son agent (ci-devant un psychologue) àépondre de tout. Le formateur est ainsi appelé à occu-er une place d’expert au sens où il serait détenteur d’unavoir-faire transmissible qui complèterait la panoplie. Leormateur peut s’en tenir à ca et croire que c’est cela quiui est demandé.

Praticien de l’institution lui-même, délégué par celle-ciomme expert, le formateur est attendu pourtant un peuu-delà : il incarne, le temps d’une formation, cet Autre quist à la fois appelé et refusé, celui susceptible de complé-ude, qui garantirait contre le manque mais qui, en mêmeemps, pourrait bien ignorer le désir et exaspérer par sesrétentions à la maîtrise.

Comme nous l’avons décrit plus haut, le stagiaire hyper-oderne se satisfait plus ou moins de gadgets, mais pour peuue le formateur se prenne au jeu, le résultat n’est pas tou-ours celui escompté. Le formateur sera-t-il dupe ou non deette place à laquelle il est convoqué ? Prétendra-t-il l’avoiru sera-t-il sans l’avoir, ce savoir ?

Une question en session de formation s’en suit : « Est-ceue je lui réponds : ‘‘oui, bien-sûr, vous allez mourir. . .’’ ».es moments d’échanges lors de la formation rendentompte de l’enjeu central du soin palliatif. La saynète rela-ée par le stagiaire a quelque chose de « fantasmatique »,u sens de paradigmatique : non pas qu’elle n’ait jamais étéécue par l’un ou l’autre des agents (bien au contraire), maisette scène représente surtout ce qu’il y a pour eux de pire

vivre. Nous pourrions la dire à notre facon : comment êtrevec quelqu’un qui demanderait la vérité ?

Il s’agirait d’interroger la manière dont chacun fait aveca vérité.

Fondamentalement défini par la question du voile, palliatif » signifie étymologiquement « couvrir d’un man-eau » (du latin palliare). . . Parce qu’après tout, la questione la vérité est au cœur de cette pratique palliative !ans doute s’agit-il souvent de couvrir, de voiler, et ainsi’épargner le patient. Mais le soignant aussi a besoin de serotéger et demande logiquement à être abrité de l’effroiroduit par la rencontre avec la plus implacable des réali-és : le réel de la mort !

n pas de côté

n ce sens, la formation ne se réduit pas à un lieu de trans-ission d’objets plus ou moins satisfaisants, plus ou moins

adgets, mais elle apparaît comme un temps de jeu avec ceui fait voile, avec le semblant.

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Formation en soins palliatifs : la fin de vie, mode d’emploi

Il s’agirait donc d’une part de ne pas nier ce qui s’imposecomme la prise au dépourvu du soignant et d’autre part,d’être en décalage pour éviter de s’enferrer du côté dufantasme d’une vérité toute.

Être en décalage n’est pas contester mais faire un « pas »de côté pour repérer ce qui est à l’œuvre, comme le noteJacques Lacan [17]. Ce pas de côté ouvre alors pour chaquesoignant à un « savoir troué », c’est-à-dire qui prend encompte les semblants.

Le savoir troué renvoie en effet à ce savoir qui se dégagede l’universel, qui ne se collective pas, qui ne s’enseignepas non plus, mais s’éprouve.

Bien sûr, s’avancer vers le soignant pour ne former qu’aumanque et ne transmettre qu’un « trou » dans le savoir pro-duit de l’inconfort. Mais il nous semble qu’une formation auxsoins palliatifs, pour qu’elle porte ses effets, ne peut guèrese passer de la frustration et de son cortège d’inconfort etde conflit. Le psychologue-formateur se dégagera de cettequestion du « plus » ou du « moins » attendu par les stagiairesau prix d’une position inconfortable mais nécessaire.

Si l’offre « mode d’emploi » est une fausse bonne réponseà un vrai problème, la prendre en compte dans la formationconsiste à y introduire un décalage, sachant que faire ce pasde côté crée de l’inconfort : pour parler de soins palliatifs,il s’agirait de faire entendre face aux soins dits de confort,le discours de l’inconfort !

Autrement dit, la formation ne vaut donc pas tant parson contenu que par l’effet produit, effet non chiffrable,non prévisible. En tant que formateurs orientés par la psy-chanalyse, nous avons à soutenir ce nécessaire inconfort,loin d’une belle mécanique et signe du dégagement de laquête de satisfaction de l’Homo consumericus.

Conclusion

L’hôpital, comme institution chargée de renouveler lesconditions de la prise du corps dans le langage, n’estpas exempt de l’influence du discours contemporain. Enréférence à Gilles Lipovetsky, nous retrouvons une pentehypermoderne sur la scène des formations en soins palliatifs.Parfois soutenus par l’institution hospitalière elle-même,parfois par les professionnels de soins palliatifs, les soignantsattendent les gadgets du Moi et les modes d’emploi de la

relation pour affronter l’inquiétude inhérente à la confron-tation à la mort.

Sur la scène de la formation, lorsque l’on s’autorise àlaisser tomber ces menus objets « fétichisés », le formateur

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t le stagiaire peuvent s’engager dans un échange sur leanque d’objets, d’outils. Ce manque n’est rien de moinsue ce qui cause le désir du soignant. Il ne s’agit donc pas dee placer en hypomoderne ou anti-technoscience, mais belt bien de se décaler des productions d’une société fascinéear le modernisme. Il s’agirait donc de faire avec le rien delus, un rien de moins !

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

éférences

[1] Sante.gouv.fr (page consultée le 4/11/2013). Soins palliatifs.http://www.sante.gouv.fr/soins-palliatifs,13285.html

[2] Lipovetsky G. L’ère du vide, essais sur l’individualisme contem-porain (1983). Paris: Folio essais; 2009.

[3] Lipovetsky G. Le bonheur paradoxal, essai sur la sociétéd’hyperconsommation (2006). Paris: Folio essais; 2011.

[4] Lipovetsky G. L’empire de l’éphémère (1987). Paris: Folioessais; 2010.

[5] Lipovetsky G. Le bonheur paradoxal, essai sur la sociétéd’hyperconsommation. Paris: Gallimard; 2011. p. 12—3.

[6] Lacan J. Le séminaire livre XVII, l’envers de la psychanalyse.Paris: Le Seuil; 1991. p. 188—9.

[7] La folie n’existe que dans une société, entretien avec WeberJ.-P. Le Monde 22 juillet 1961:9.

[8] Freud S. Introduction à la psychanalyse (1916). Paris: Payot;1982. p. 266.

[9] Rogers C, Botteman A. Psychothérapie et relations humaines,théorie de la thérapie centrée sur la personne. Paris: ESF; 2009.

10] Feil N. Validation : la méthode de Naomi Feil. Rueil-Malmaison:Édition Lamarre; 2005.

11] Pédagogie Médicale 2012;13:155—7 [183—201].12] Goleman D. L’intelligence émotionnelle : comment transfor-

mer ses émotions en intelligence. Paris: R. Laffont; 1997.13] Gori R, Le Coz P. L’empire des coachs, une nouvelle forme de

contrôle social. Paris: Albin Michel; 2006.14] Malherbe J-P. Ne pas nuire à autrui, est-ce suffisant pour vivre

ensemble ? Actes de la conférence du Groupe de RéflexionÉthique et Clinique du Morbihan. 2013.

15] Ansermet F, Sorrentino M-G. Malaise dans l’institution, le soi-gnant et son désir. Paris: Anthropos-economica; 1991. p. 27—8.

16] Gori R, Del Volgo M-J. La santé totalitaire, essai sur la médica-lisation de l’existence. Paris: Flammarion; 2009.

17] Lacan J. Le séminaire livre XVII, l’envers de la psychanalyse.Paris: Le Seuil; 1991.