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Programa de FORMATION HUMAINE, CHRÉTIENNE ET RELIGIEUSE DANS LES PREMIÈRES ÉTAPES DES MISSIONNAIRES DES SACRÉS CŒURS (MAJORQUE) 1909 – 2009 ÉDITÉ EN FRANÇAIS LANNÉE CENTENAIRE DU PÈRE JOAQUIM ROSSELLÓ I FERRÀ

FORMATION HUMAINE, CHRÉTIENNE ET RELIGIEUSE · de la gestion des biens. Cf Populorum progressio, 22: «T ous les autres droits, quels qu’ils soient, y compris ceux de propriété

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Programa de

FORMATION HUMAINE,CHRÉTIENNE ET RELIGIEUSE

DANS LES PREMIÈRES ÉTAPESDES MISSIONNAIRESDES SACRÉS CŒURS

(MAJORQUE)

1909 – 2009

ÉDITÉ EN FRANÇAIS L’ANNÉE CENTENAIRE DU

PÈRE JOAQUIM ROSSELLÓ I FERRÀ

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Maison Central des Missionnaires des Sacrés CoeursSecrétariat de Formation

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INDICE

I. Formation humaine

BIEN COMMUN, FONDEMENT DU POLITIQUE ...

DÉCLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DEL’HOMME ................................................................

QU’AS-TU FAIT DE TON FRÈRE? ..........................

LE VRAI PATRIOTISME ..........................................

L’ARGENT: UN OUTIL OU UN IDOLE ..................

LA FAMILLE, CELLULE DE BASE DE LACOMMUNAUTÉ HUMAINE ...................................

LA SIGNIFICATION DU MOT «CULTURE» ...........

LIRE ET ECOUTER AVEC L’ESPRIT CRITIQUE ....

LA CONSCIENCE, LES COMMANDEMENTS ET LALIBERTÉ ...................................................................

DIEU ET LA SCIENCE .............................................

LA COMPRÉHENSION ............................................

LA GÉNÉROSITÉ .....................................................

LA JUSTICE ..............................................................

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FORMATION HUMAINE, CHRÉTIENNE ET RELIGIEUSE

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LA PERSÉVÉRANCE..................................................

POINT DE VUE: EGLISE ET SEXUALITÉ ...............

LE SENS DE RESPONSABILITÉ .............................

L’ORDRE ..................................................................

PROFITER LE TEMPS .............................................

LES SIX VERTUS HUMAINES FONDAMENTALES

II. Formation chrétienne

AVEU POUR AVEU (JE SUIS CROYANT PASPRATIQUANT) .........................................................

REPENSER LA FOI ..................................................

L’IDENTITÉ CHRÉTIENNE À L’ÉPREUVE DE LAPLURALITÉ DES RELIGIONS .................................

CATHOLIQUES ET MUSULMANS: UN CHEMIN DEDIALOGUE ..............................................................

QU’EST-CE QUE L’ÉGLISE ANGLICANE? .............

LE SEIGNEUR NOUS INVITE À DEVENIR DESSAINTS .....................................................................

CÉLÉBRER ET PRIER .............................................

LA PRIÈRE… UN TÉLÉPHONE ..............................

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MISSIONNAIRES DES SACRÉS CŒURS

CE QUE NOS PRIÈRES DEVRAIENT CONTENIR ..

LITURGIE DES HEURES .........................................

LA MESSE, EN PARLER POUR MIEUX EN VIVRE

LE GESTE RITUEL ET LE CHANT ..........................

LE CHANT ...............................................................

QU’EST-CE QU’UN DIOCÈSE? ...............................

LA MISSION .............................................................

LA VOCATION .........................................................

LA PASTORALE DES VOCATIONS, UNE

URGENCE! ...............................................................

L’EGLISE ET INTERNET .........................................

LES RELATIONS DU PRÊTRE AVEC SA FAMILLE

ACQUERIR LA MATURITÉ .....................................

III. Formation religieuse

BRÈVE HISTOIRE DE LA VIE CONSACRÉE .........

L’IDENTITE DES RELIGIEUX AUJOURD’HUI .......

QUAND DIEU APELLE: QU’EST-CE QUE LAVOCATION? .............................................................

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L’IMPORTANCE DE REDIGER UNE EBAUCHE OUPROJET DE VIE .......................................................

LE SENS DES VOEUX .............................................

LA CHASTETÉ, UNE QUESTION DE CŒUR ........

Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée. LA VIEFRATERNELLE EN COMMUNAUTÉ ...............

CONSTRUIRE UN PROJET COMMUNAUTAIRE:LES OBJECTIFS .......................................................

LA DIRECTION SPIRITUELLE: À QUOI ÇA SERT?

LA SOLIDARITÉ DANS UN MONDED’EXCLUSION .........................................................

TEMOIGNAGE SUR DES RELIGIEUSES QUIVIVENT L’INSERTION ............................................

SENS D’APPARTENANCE À LA CONGREGATION

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MISSIONNAIRES DES SACRÉS CŒURS

AVERTISSEMENT

Concernant la formation, la première exigence de la Congrégationdes Missionnaires des Sacrés Cœurs est celle d’offrir aux candidats à laprofession et au sacerdoce tous les matériels qu’ils ont besoin. En fait ilsdoivent suivre les itinéraires dessinés par les Chapitres, AssembléesGénérales, «Juntas», et les successifs Réunions ou Conseils.

Mais ces matériels nécessaires n’étaient pas traduits en français.Donc les candidats en formation ils trouvaient des sérieuses difficultés pouraccéder aux livres de formation ou bien aux publications des pages webd’internet afin de se fournir des concepts et des notions dont ils avaientbesoin. Surtout parce que l’accès à internet n’était pas viable dans toutesles maisons de formation et parfois même s’ils en avaient la possibilité, lamanque d’électricité ou bien que les ordinateurs n’étaient pas en bonneétat cela rendait vain l’effort.

Devant cette situation, le Secrétariat de Formation a fait imprimertout un bloc d’articles qui peuvent bien servir pour le but proposé. Quoiqueles pages suivantes ne contemplent pas tout l’horizon de la formation, noussomme sûrs qu’elles constituent un grand progrès.

Le caractère de ces articles publiés est le suivant: ils sont brefs,pas compliqués, de contenu sûr et d’une mentalité ouverte en même temps.Parfois il n’y a pas de signature de l’article (on n’indique pas l’auteur).Cependant, les idées exposées sont du domaine commun et en tout cas lelivre est destiné à la formation, non pas à l’investigation. En plus, plusieursde ces articles ont été tirés des pages web d’internet où l’auteur ne figurepas.

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MISSIONNAIRES DES SACRÉS CŒURS

MISSIONNAIRES DES SACRÉS CŒURS

IFORMATION HUMAINE

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MISSIONNAIRES DES SACRÉS CŒURS

BIEN COMMUN, FONDEMENT DU POLITIQUE

Le bien commun est à la croisée des questions économiques etpolitiques. Il met en jeu des biens personnels et le pouvoir d’en disposerpour moi seul ou par les autres.

C’est à partir de la destination universelle des biens que se définit lapriorité du bien commun. Quitte à ce que la propriété privée en découle.

C’est en vue du bien commun, que l’on peut se voir confier une partde la gestion des biens. Cf Populorum progressio, 22: «Tous les autresdroits, quels qu’ils soient, y compris ceux de propriété et de libre commerce,y sont subordonnés: ils n’en doivent donc pas entraver, mais bien au contrairefaciliter la réalisation, et c’est un devoir social grave et urgent de les ramenerà leur finalité première».

Ce qui signifie que la visée de l’activité humaine et du travail estavant tout sociale. On ne peut dire cela que si l’on s’accorde sur la viséede l’aventure humaine comme étant une communauté de destin, commeétant la marche des pèlerins de cette histoire, vers Dieu. Notre travailpersonnel est lui-même une aventure communautaire qui ouvre sur le partageafin de permettre à tous de vivre.

Paul ajoutera «travaillez afin d’avoir de quoi partager» Ephésiens,4,28 b. Le travail humain concourt au bien commun; c’est sa finalité.

La question de la propriété privée se pose dès lors que la liberté estofferte à chaque homme en même temps que la terre et l’univers entier.Les deux sont offerts à l’état brut, l’homme lui-même est appelé a grandirdans la conscience qu’il a de ce qu’il est et ce qu’il est appelé à devenir: unpeuple de frères.

Par son travail, il acquiert la sagesse et le droit de prévoir l’avenir ;c’est le droit de capitaliser ce qu’il ne consomme pas immédiatement.C’est le droit de dire «ceci m’appartient», un droit de propriété des biensengrangés en vue des jours de repos, de maladie, de malheur.

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Mais au fil de l’histoire la société humaine prend le pas sur l’individuet le droit individuel ne prime pas sur le bien commun. Tant et si bien quel’on invente dans la Bible l’année Sabbatique.

Le principe étant que tous les 25 ans on remettait tout au potcommun.

Ceci touche la question du «surdéveloppement» ou du salaire maximaldécent, qui est l’antithèse de la destination universelle des biens: SollucitudoRei Socialis, n. 28: «... à côté des misères du sous-développement, qui nepeuvent être tolérées, nous nous trouvons devant une sorte de surdévelop-pement, également inadmissible [...] ce surdéveloppement, qui consistedans la disponibilité excessive de toutes sortes de biens matériels pourcertaines couches de la société, rend facilement les hommes esclaves de lapossession et de la jouissance immédiate, sans autre horizon que lamultiplication des choses ou le remplacement continuel de celles que l’onpossède déjà par d’autres encore plus perfectionnées».

Le bien commun a une dimension distributive. Dimension distributiveselon les «besoins de chacun», Actes 2, 42- 46. Redistribution orientéevers le bien intégral des personnes, pas uniquement de biens matériels.

Mais de la liberté, de l’éducation, du respect de la réputation, etc.Tous ces biens sont toujours supérieurs à l’intérêt privé.

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MISSIONNAIRES DES SACRÉS CŒURS

DÉCLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DEL’HOMME

ONU, San Francisco, le 12 décembre 1948

PREAMBULEConsiderant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous

les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénablesconstitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans lemonde,

Considerant que la méconnaissance et le mépris des droits del’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la consciencede l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres humains serontlibres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a étéproclamé comme la plus haute aspiration de l’homme,

Considerant qu’il est essentiel que les droits de l’homme soientprotégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint,en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression,

Considerant qu’il est essentiel d’encourager le développement derelations amicales entre nations,

Considerant que dans la Charte les peuples des Nations Unies ontproclamé à nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l’homme,dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité des droitsdes hommes et des femmes, et qu’ils se sont déclarés résolus à favoriser leprogrès social et à instaurer de meilleures conditions de vie dans une liber-té plus grande,

Considerant que les Etats Membres se sont engagés à assurer, encoopération avec l’Organisation des Nations Unies, le respect universel eteffectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales,

Considerant qu’une conception commune de ces droits et libertésest de la plus haute importance pour remplir pleinement cet engagement.

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L’ASSEMBLEE GENERALE PROCLAME

LA PRESENTE DECLARATION UNIVERSELLE DESDROITS DE L’HOMME comme l’idéal commun à atteindre par tous lespeuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organesde la société, ayant cette déclaration constamment à l’esprit, s’efforcent,par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droitset libertés et d’en assurer, par des mesures progressives d’ordre nationalet international, la reconnaissance et l’application universelles et effectives,tant parmi les populations des Etats Membres eux-mêmes que parmi cellesdes territoires placés sous leur juridiction.

Article 1Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits.

Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers lesautres dans un esprit de fraternité.

Article 2Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés

proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notammentde race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique oude toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, denaissance ou de toute autre situation. De plus, il ne serait fait aucunedistinction fondée sur le statut politique, juridique ou international du paysou du territoire dont une personne est ressortissante, que ce pays outerritoire soit indépendant, sous tutelle, non autonome ou soumis à unelimitation quelconque de souveraineté.

Article 3Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne.

Article 4Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l’esclavage et la traite

des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes.

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MISSIONNAIRES DES SACRÉS CŒURS

Article 5Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants.

Article 6Chacun a droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité

juridique.

Article 7Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale

protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toutediscrimination qui violerait la présente Déclaration et contre touteprovocation à une telle discrimination.

Article 8Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions

nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentauxqui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi.

Article 9Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé.

Article 10Toute personne a droit, à pleine égalité, à ce que sa cause soit

entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant etimpartial, qui décidera soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondéde toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

Article 111. Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée

innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au coursd’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense luiauront été assurées.

2. Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui, au

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moment où elles ont été commises, ne constituaient pas un acte délictueuxd’après le droit national ou international. De même, il ne sera infligé aucunepeine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’acte délictueuxa été commis.

Article 12Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa

famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteinte à son honneur età sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre detelles immixtions ou de telles atteintes.

Article 131. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa

résidence à l’intérieur d’un Etat.2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien,

et de revenir dans son pays.

Article 141. Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile

et de bénéficier de l’asile en d’autres pays.2. Ce droit ne peut être invoqué dans le cas de poursuites réellement

fondées sur un crime de droit commun ou sur des agissements contrairesaux buts et aux principes des Nations Unies.

Article 151. Tout individu a droit à une nationalité.2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité ni du droit

de changer de nationalité.

Article 161. A partir de l’âge nubile, l’homme et la femme, sans aucune

restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de semarier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard dumariage, durant le mariage et lors de sa dissolution.

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MISSIONNAIRES DES SACRÉS CŒURS

2. Le mariage ne peut être conclu qu’avec le libre et pleinconsentement des futurs époux.

3. La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et adroit à la protection de la société et de l’Etat.

Article 171. Toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la

propriété.2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété.

Article 18Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience ou de

religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de convictionainsi que la liberté de manifester sa religion, seul ou en commun, tant enpublic qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte etl’accomplissement des rites.

Article 19Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui

implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui dechercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières,les informations et les idées pour quelque moyen d’expression que ce soit.

Article 201. Toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association

pacifique.2. Nul ne peut être obligé de faire partie d’une association.

Article 211. Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires

publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire dereprésentants librement choisis.

2. Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d’égalité,

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aux fonctions publiques de son pays.3. La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs

publics; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doiventavoir lieu périodiquement au suffrage universel égal et au vote secret, ousuivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote.

Article 22Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité

sociale; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques,sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développementde sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale,compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays.

Article 231. Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à

des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contrele chômage.

2. Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pourun travail égal.

3. Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable etsatisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à ladignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens deprotection sociale.

4. Toute personne a le droit de fonder avec d’autres des syndicatspour la défense de ses intérêts.

Article 24Toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une

limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payéspériodiques.

Article 251. Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer

sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation,

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l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les servicessociaux nécessaires: elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie,d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de pertes deses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes desa volonté.

2. La maternité et l’enfance ont droit à une aide et à une assistancespéciale. Tous les enfants, qu’ils soient nés dans le mariage ou hors mariage,jouissent de la même protection sociale.

Article 261. Toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être

gratuite, au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire etfondamental. L’enseignement élémentaire est obligatoire. L’enseignementtechnique et professionnel doit être généralisé; l’accès aux étudessupérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leurmérite.

2. L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalitéhumaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertésfondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitiéentre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que ledéveloppement des activités des Nations Unies pour le maintien de lapaix.

3. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genred’éducation à donner à leurs enfants.

Article 271. Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie

culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrèsscientifique et aux bienfaits qui en résultent.

2. Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matérielsdécoulant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont ilest l’auteur.

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Article 28Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le

plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans laprésente Déclaration puissent y trouver plein effet.

Article 291. L’individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seul

le libre et plein développement de sa personnalité est possible.2. Dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés,

chacun n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi exclusivement envue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autruiet afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public etdu bien-être général dans une société démocratique.

3. Ces droits et libertés ne pourront, en aucun cas, s’exercercontrairement aux buts et aux principes des Nations Unies.

Article 30Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée

comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droitquelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à ladestruction des droits et libertés qui y sont énoncés.

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MISSIONNAIRES DES SACRÉS CŒURS

QU’AS-TU FAIT DE TON FRÈRE?

(Le suivant message de la Conférence des Évêques de Francefait allusion à des principes chrétiens liés au milieu politiquefrançais. Cependant ils dépassent la France. On peu lesappliquer à d’autres pays et circonstances. La reproduction ometles citations pour en faciliter la lecture).

SommaireINTRODUCTION1. Vivre ensemble demande que chacun sache prendre ses

propres responsabilités.2. Vivre ensemble suppose un État qui organise la vie commune.

· La recherche du bien commun.· L’unité nationale.· La nation française en Europe.

3. Les principaux chantiers de la fraternité.· La famille.· Le travail et l’emploi.· La mondialisation et l’immigration.

CONCLUSION

INTRODUCTIONCet appel de Dieu à la conscience de l’homme a traversé les âges.

À la veille d’échéances électorales importantes, présidentielles, législativeset municipales, nous voulons, comme évêques, membres du Conseil perma-nent de la Conférence des évêques de France, le faire retentir avec force.

C’est pourquoi nous adressons aux communautés catholiques, auxresponsables politiques et à l’opinion publique, ce message pour inviter àsoutenir la vie démocratique dans notre pays par la réflexion et l’action.

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L’Évangile qui inspire la doctrine sociale de l’Église constitue notreréférence. Il nous appelle à souligner ce qui nous semble l’essentiel pouraujourd’hui.

Qu’as-tu fait de ton frère? Beaucoup de Français, et parmi eux descatholiques, éprouvent un sentiment de malaise vis-à-vis du mondepolitique. Ils veulent un changement. Ils estiment même qu’il ne suffira pasde voter pour que l’espoir renaisse.

Les temps ne sont plus où beaucoup se reconnaissaient dans desidéologies ou dans des familles politiques qui, comme de l’extérieur d’eux-mêmes, les guidaient dans la vie et auxquelles ils faisaient confiance.Aujourd’hui, ils aspirent à trouver personnellement ce qui donne sens àleur vie et les invite à participer à l’action collective.

Notre société cherche à donner à chacun le plus d’autonomiepossible. Elle veut protéger contre les aléas de la vie mais conduit aussi,souvent, à une profonde solitude. Comment construire une société de li-berté qui soit plus fraternelle, luttant contre l’exclusion par des choixpolitiques mais appelant aussi chaque citoyen à la responsabilité et àl’engagement personnel?

Cette fraternité correspond aux exigences de notre foi. Nous nepouvons nous adresser à Dieu, chaque jour, en lui disant Notre Père sansprendre conscience qu’il est le Père de tous les hommes avec lesquels ilnous demande de dire «nous», en étant solidaires de chacun.

Construire une cité plus fraternelle, tel est le devoir d’un chrétien, telest aussi l’idéal républicain.

Qui ne voit que la liberté et l’égalité sans la fraternité deviennentlettre morte? La violence qui s’est déchaînée ici, la crainte de l’avenir quis’est manifestée là, le souci de garder le pouvoir et d’accumuler l’argentailleurs, montrent que les hommes ont du mal à vivre dans l’amitié et lerespect de l’autre.

Sans volonté de vivre ensemble, ni l’argent, ni la force, ni la sécuriténe peuvent construire un pays. Nous pensons que, comme chrétiens, nousdevons travailler à ce «vivre ensemble».

Qu’il n’y a pas de vie sociale possible si chacun ne cherche pas,autant que faire se peut, à être pleinement responsable de lui-même.

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MISSIONNAIRES DES SACRÉS CŒURS

Certes, chacun a besoin d’être reconnu dans ses droits et d’êtreaidé devant certaines difficultés. Mais la grandeur de l’homme est d’écouterla voix de la conscience, cette voix intérieure qui lui apprend qu’il estunique et qu’il a un rôle à jouer. La grandeur de l’homme est de s’assumeret d’être libre. Il ne peut avoir confiance en lui que s’il accepte à la foiscette grandeur et les limites de son humanité.

L’homme n’a pas tout pouvoir sur lui-même, il ne s’invente pas. Ilne se comprend lui même que s’il accepte ses racines, s’il relit son histoire,s’il essaie de comprendre le monde dans lequel il vit, s’il cherche la vérité,s’il connaît ses limites et fait face à sa mort.

L’homme n’est véritablement lui-même que s’il entend, en son cœur,Dieu l’interroger: «Qu’as-tu fait de ton frère?». Il est bon que l’hommeréponde librement à l’appel à aimer sa famille, sa cité et son pays.

Il n’est pas de citoyen du monde qui ne soit d’abord citoyen de sonpays. «De même que, selon saint Jean,

Celui qui prétend aimer Dieu qu’il ne voit pas et n’aime pointson prochain qu’il voit trompe et se trompe, ainsi j’ajouteraiqu’il trompe et se trompe celui qui prétend aimer les peupleslointains avec lesquels il ne vit pas et n’aime point son proprepays auquel il se frotte chaque jour».Aimer son pays ne consiste pas seulement à l’aimer virtuellement,

par à coup, ou lorsque tel ou tel événement suscite l’émotion. Beaucoupd’hommes et de femmes aujourd’hui, en France et dans le monde, sesentent blessés, exclus, mis sur le bord de la route pour des raisonspersonnelles, sociales, économiques, politiques, religieuses. Parce que nousvoulons mettre en œuvre le double commandement du Seigneur, nous,chrétiens français, entendons ces hommes et ces femmes nous interroger:Si je suis ton frère, vas-tu passer ton chemin?

La présence auprès du frère en difficulté, aussi nécessaire soit-elle,n’épuise pas les devoirs que suscite l’amour du Christ en nous: l’action,par le biais du politique, est une forme indispensable de l’amour du prochain.

Celui qui méprise le politique ne peut pas dire qu’il aime son prochainet répond à ses attentes. Celui qui méprise le politique méprise la justice.

L’Église ne peut ni ne doit prendre en main la bataille politique

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pour édifier une société la plus juste possible. Elle ne peut ni nedoit se mettre à la place de l’État. Mais elle ne peut ni ne doitnon plus rester à l’écart dans la lutte pour la justice. Elle doits’insérer en elle par la voie de l’argumentation rationnelle.

I. VIVRE ENSEMBLE DEMANDE QUE CHACUN SACHEPRENDRE SES PROPRES RESPONSABILITÉS

…et elle doit réveiller les forces spirituelles sans lesquelles lajustice, qui requiert aussi des renoncements, ne peut s’affirmerni se développer. La société juste ne peut être l’œuvre de l’Église,mais elle doit être réalisée par le politique. Toutefois,l’engagement pour la justice, travaillant à l’ouverture del’intelligence et de la volonté aux exigences du bien, intéresseprofondément l’Église.L’intérêt pour le politique ne concerne pas le seul moment du vote.

Une information sérieuse est nécessaire. Les hommes et les femmespolitiques sont conduits à se plier au fonctionnement des médias où leslogan masque souvent la complexité des analyses de situation, où lesintrusions dans la vie privée remplacent quelquefois l’énoncé d’unprogramme.

Le citoyen est en droit d’attendre des hommes et des femmespolitiques un effort de vérité devant les effets de la médiatisation.

Le débat, lui aussi, est essentiel. Beaucoup de chrétiens le craignentparce qu’ils ont peur de ne pas être «à la hauteur». La démocratie, pourvivre, a besoin que chacun puisse exprimer son avis et l’exprimeeffectivement. Le silence conduit à l’effacement, il nourrit la violence.

II. VIVRE ENSEMBLE SUPPOSE UN ÉTAT QUI ORGANISELA VIE COMMUNE

À la veille de voter, il nous semble particulièrement important, afind’éviter tout malentendu, de réfléchir ensemble à ce que nous demandonsaux responsables politiques.

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La recherche du bien communLa démocratie est une réalité fragile. Elle est instituée depuis

longtemps par la Constitution. Mais vivre ensemble, constituer un peuple,est sans cesse à reprendre au fil des évolutions de l’histoire. La démocratiereste toujours inachevée. Elle est à renforcer à chaque élection. D’où cetteexigence: voter, c’est participer à l’amélioration de la vie ensemble, ce quel’enseignement social de l’Église appelle le bien commun universel.

Au-delà des intérêts privés, le service du bien commun vise à faireprogresser la société. Cette œuvre de la raison humaine permet de réduireles fractures sociales.

L’organisation politique existe par et pour le bien commun,lequel est plus que la Somme des intérêts particuliers, individuelsou collectifs, souvent contradictoires entre eux. Il «comprendl’ensemble des conditions de vie sociale qui permettent auxhommes, aux familles et aux groupements de s’accomplir pluscomplètement et plus facilement». Aussi doit-il être l’objet d’unerecherche inlassable de ce qui sert au plus grand nombre, de cequi permet d’améliorer la condition des plus démunis et desplus faibles. Il se doit de prendre en compte non seulementl’intérêt des générations actuelles, mais également, dans laperspective d’un développement durable, celui des générationsfutures.À l’évidence, cette définition des buts de l’organisation politique

reste d’actualité. Les responsables politiques, en premier lieu le Présidentde la République, servent la France en permettant à un projet collectif devenir au jour, en l’explicitant et en donnant aux citoyens la possibilité d’yparticiper.

Ce projet ne naît pas de rien. Il n’est pas possible de créer unefraternité nationale sans s’appuyer sur l’histoire, avec ses heurs et sesmalheurs. Nier l’histoire, la passer sous silence, c’est supprimer toutepossibilité d’aboutir à la fraternité.

L’unité nationaleDe toute son histoire, marquée par de multiples processus de

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centralisation volontaire, la France a gardé l’exigence de l’unité nationale,mais elle redécouvre aussi ses particularités régionales et locales, d’autantplus que ces réalités ont leur place spécifique et reconnue dans l’espaceeuropéen.

Dans les années à venir, il est vraisemblable que nous aurons àprogresser dans ce réajustement entre l’État et la Nation, avec sa diversitéinterne. II ne peut s’agir d’une disparition de l’État au profit d’uneconstruction européenne qui risquerait alors de se réduire à des structuresbureaucratiques.

L’enjeu est ici profondément démocratique et citoyen. Il estprobablement plus ancré dans la tradition républicaine que certains ne lepensent. Il nous faut, par conséquent, nous familiariser avec un sensrenouvelé de l’État, garant de l’unité nationale, dans un espace circonscrità la fois par les régions et par l’Europe élargie.

L’État ne peut se désengager de ses responsabilités en matière desolidarité sociale. La prochaine présidence de la République aura à cetégard un rôle décisif.

La nation française en EuropeAu cours du siècle passé, la France a changé d’horizon et de cadre

de vie. Comme toutes les nations modernes, elle vit dans un environnementcommercial, social et politique plus large. Elle s’interroge aussi sur l’utilisationdes ressources naturelles, sur le développement durable et sur saresponsabilité à l’égard des générations futures.

L’élargissement de notre environnement commercial est celui de lamondialisation qui accélère et intensifie l’échange des marchandises et lacirculation monétaire.

L’espace politique s’est ouvert depuis plus de cinquante ans à desstructures d’alliance et de régulation internationales. Des transferts desouveraineté s’opèrent à l’intérieur d’ensembles plus vastes.

En bien des domaines, l’Europe est devenue la condition de la li-berté et de la prospérité de notre pays. Après le référendum de 2005, lesprochaines élections seront l’occasion de définir les meilleurs cheminspossibles pour la construction européenne. Il s’agira de faire face aux

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problèmes soulevés par la mondialisation, d’accroître les investissementsnécessaires au développement, d’avoir en commun des politiquesmigratoires, énergétiques et de défense, et de promouvoir une certaineharmonisation fiscale et sociale.

Nous pouvons d’autant moins ignorer ou mépriser ce nouveaucontexte politique que la tradition chrétienne a souvent inspiré, à leur ori-gine, beaucoup de ces évolutions.

Parmi bien d’autres, nous souhaitons attirer l’attention sur troischantiers essentiels.

La familleLa famille est la cellule de base de la communauté humaine. Elle

peut changer de aille, de visage, elle n’en demeure pas moins essentielle.L’homme et la femme ont besoin d’aimer, d’être reconnus et aimés

tels qu’ils sont. La famille est le premier lieu où les hommes et les femmesapprennent la confiance en eux mêmes et la confiance dans les autres.

La famille permet, en effet, de découvrir que chacun a sa place dansune histoire, dans un réseau, sans avoir à le mériter, dans le respect desdifférences particulières: âge, sexe, qualités ou faiblesses. La plupart desFrançais plébiscitent la famille et ont un projet familial; ils pensent quedans une société, souvent dure et concurrentielle, ils peuvent y trouverestime et confiance. Comment ne pas s’en réjouir? La crise de confianceque traverse la société a souvent pour origine une carence familiale.

Nous sommes conscients, comme chacun, des fragilités de la viefamiliale dans un monde épris d’épanouissement individuel et soumis à denombreuses sollicitations. Ces fragilités renforcent la nécessité depromouvoir l’institution familiale.

Nous aussi, nous sommes pour l’épanouissement de la personne,mais un épanouissement qui soit pleinement responsable, qui respecte ladignité humaine, la défense des faibles et permette l’instauration d’unesociété de confiance.

Comment construire la confiance si la société accepte l’exclusiondes plus faibles, depuis la pratique de l’avortement jusqu’à la tentation del’euthanasie?

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Comment construire la confiance s’il est des malheurs que l’on nepeut exprimer:

• par exemple, la difficulté pour une femme, dans certains cas, derefuser un avortement devant les pressions qui s’exercent sur elle;

• ou la difficulté pour des enfants d’exprimer leur souffrance faceau divorce de leurs parents;

• ou encore celle d’enfants qui ne peuvent exprimer leur désarroid’ignorer qui est leur père ou leur mère.

Et comment peut-on parler de ces traumatismes, sans tenir comptede leurs conséquences sur la vie sociale?

Il est normal que l’État se préoccupe des situations difficiles. L’Égliseest prête, à leur propos, à prendre part à un débat loyal où son avis neserait pas disqualifié au départ ou marginalisé.

III. LES PRINCIPAUX CHANTIERS DE LA FRATERNITÉ

Le message de l’Église veut s’adresser à la conscience de chacun: ilappelle à bâtir des familles stables, fondées sur des couples, unissant unhomme et une femme, qui prennent le temps de se préparer à leursresponsabilités d’époux et de parents. Soutenir la famille, c’est d’abordgarder au mariage son caractère unique d’union acceptée librement, ouverteà la procréation et institutionnellement reconnue.

Parmi les difficultés que rencontrent les familles, le logement estsûrement un problème majeur. Notre pays connaît aujourd’hui une criseprofonde du logement. Son coût conduit trop de familles à un éloignementde leurs lieux de travail, source d’épuisement et de déstructuration. L’accèsà la propriété reste souvent un rêve inaccessible.

Les logements sociaux sont trop peu nombreux, pas toujours habitéspar ceux qui y auraient droit ou alors isolés dans des quartiers sans mixitésociale. La séparation des couples et la recomposition des famillesaugmentent les besoins.

Au-delà des difficultés techniques considérables pour résoudre cettequestion, le logement doit être, pour l’État, une priorité politique essentielle.

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Le travail et l’emploiDepuis plus d’un siècle, l’Église propose sa «doctrine sociale». Elle

rappelle qu’il n’existe pas de bonne économie sans le respect des personnes.Si le lien social se fragilise dans notre pays, beaucoup pensent que c’estlargement à cause du chômage.

Le travail est un bien de l’homme –il est un bien de sonhumanité– car, par le travail, non seulement l’homme transfor-me la nature en l’adaptant à ses propres besoins, mais encore ilse réalise lui-même comme homme et même, en un certain sens,il devient plus homme. […] La caractéristique du travail estavant tout d’unir les hommes et c’est en cela que consiste saforce sociale: la force de construire une communauté.Travailler est un facteur d’intégration. Travailler est l’un des chemins

par lequel l’homme et la femme se réalisent et font société. La personne abesoin non seulement de gagner son pain mais aussi de se sentir utile.Travailler est une responsabilité essentielle. C’est un droit, mais c’est aussiun devoir.

La situation de l’emploi est, pour beaucoup aujourd’hui, une causede difficulté et de souffrance. Pour la majorité des Français, l’emploi estune cause nationale pour laquelle des choix et des efforts, personnels oucollectifs, doivent être consentis. Par exemple:

• choisir, pour les jeunes, une filière qui corresponde à la fois àleurs goûts, à leurs aptitudes et aussi aux besoins du pays;

• accepter, pour un salarié, de se syndiquer et de penser que lesentreprises ont besoin de ce partenariat pour continuer à s’adapter;

• oser fonder une entreprise ou prendre une responsabilité dansun monde économique souvent chaotique;

• permettre, pour le chef d’entreprise, que les salariés prennentpart aux décisions qui les concernent.

Bien des efforts sont aussi nécessaires pour embaucher, former,accepter des apprentis, valoriser le travail manuel. Efforts enfin de touspour soutenir les chômeurs dans leur recherche de travail. Mais constaterla somme de choix et d’efforts que demande l’intégration par le travailn’exonère pas l’État de ses responsabilités, directes ou indirectes. Il doit

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soutenir ces efforts et rendre les choix possibles. Il peut le faire en favorisantle dialogue, en permettant que la loi et la réglementation s’inspirent d’unevision politique réfléchie et travaillée avec les partenaires sociaux.

La mondialisation et l’immigrationLa France est impliquée dans le processus de mondialisation. Elle

en bénéficie largement. Il ne s’agit pas tant de s’en féliciter – pour ledéveloppement des échanges, la circulation de l’information, la découvertedes cultures –ou de s’en lamenter– pour les délocalisations, la non-maîtrisedes politiques économiques, la concurrence à outrance. Il faut plutôtaccepter de nous interroger sur nos comportements, personnels et collectifs,dans cette nouvelle donne.

L’interpénétration des cultures marque la société française. Beaucoupde gens voyagent, des jeunes étudient, travaillent à l’étranger, s’y marient…

Le marché se développe en usant des différences de coûts deproduction, mais aussi en diffusant un art de vivre qui suscite toujours ledésir de gagner davantage et de consommer plus. Nous ne pouvons pasdéfendre nos positions, exporter produits et services, sans accepter aussid’être rejoints par la concurrence de pays que l’on appelle «émergents».

Nous nous sommes habitués à la libre circulation de l’argent, desmarchandises, des informations, mais nous sommes plus réticents face à laliberté de circulation des personnes. Peut-on à la fois pratiquer la libertédu commerce, tout en barrant la route aux immigrés ou en les renvoyantchez eux?

C’est dans ce cadre général qu’il faut réfléchir la question de l’immi-gration. Pour les chrétiens, l’accueil des migrants est signe de l’importanceattachée à la fraternité. Le sujet est difficile et nous savons l’extrême sensibilitéde nos concitoyens en ce domaine.

Comment pourrions-nous nier les problèmes? Comment pourrions-nous nier qu’un pays comme le nôtre a des limites à sa capacité d’accueil?Cependant, il convient de prendre notre juste part à cet accueil. Et juste,ici, veut dire de façon généreuse.

Évêques, nous voyons nos communautés accueillir nombre de ceuxqu’on appelle des étrangers ou des migrants. Leur présence nous amène à

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formuler quelques convictions:• Nous estimons normal que notre pays définisse une politique de

l’immigration. Cela fait partie de la responsabilité gouvernementale et toutgouvernement doit faire face à cette question.

• Dans l’Église, cependant, il n’y a pas d’étranger: le baptême faitaccéder, où que l’on soit, à la «citoyenneté» chrétienne et l’Évangile nousappelle à une fraternité universelle. Dans bien des communautés, lesétrangers ont le souci de partager avec d’autres, nous en sommes témoins!

• La rencontre avec ces frères et sœurs venus d’ailleurs nous amèneà poser fortement, dans le débat public, la question de l’extraordinaireinégalité qui règne dans le monde. Sommes-nous attentifs aux choixpolitiques qui favorisent un développement solidaire? Sommes-nous prêtsà modifier notre mode de vie, afin de permettre un réel développementdes pays les plus pauvres, en particulier en Afrique? Sommes-nous prêts àpartager concrètement pour aider les pays les moins développés? N’est-il pas important de lancer cet appel aux Français?

• Parmi les migrants, beaucoup, pour s’établir en France, ont franchides difficultés considérables et certains ont risqué leur vie. Pourquoi nepas porter à leur crédit cette volonté de rejoindre notre pays et ne pas sefon-der sur elle pour leur trouver une place dans la société nationale?Certes, nous ne pouvons pas recevoir tout le monde, mais il nous est aussiimpossible de renvoyer tous les clandestins. Notre pays doit pouvoircontinuer à recevoir les réfugiés politiques et ceux qui risquent despersécutions, y compris religieuses, dans leur pays.

• Enfin, réguler l’immigration veut dire pourchasser les mafias etautres circuits d’immigration clandestine, employeurs véreux, marchandsde sommeil, etc.

CONCLUSIONQu’as-tu fait de ton frère? À la veille de cette période électorale,

nous invitons les catholiques de France et, à travers eux, tous les citoyensà prendre le temps de la réflexion et du dialogue sur les enjeux de cesélections, présidentielles, législatives puis municipales.

Nous avons voulu rappeler quelques éléments du rôle de l’État dans

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la recherche du bien commun. Un État qui a une mission essentielle maisqui ne peut pas tout.

Nous avons aussi voulu souligner la nécessité, pour notre pays, debâtir une communauté nationale fraternelle, expression de notre aspirationà une vie commune paisible.

Cette aspiration s’enracine dans notre histoire et notre culture etdépasse les enjeux politiques immédiats. La fraternité est un objectif quidonne sens à la vie sociale. (Le Conseil permanent de la Conférencedes évêques de France).

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LE VRAI PATRIOTISME

Le patriote reconnaît ce que son pays lui a donné et continue delui donner. Il lui rend l’honneur et le service qui lui sont dûs,défendant et renforçant les valeurs qu’il représente, tout enpartageant les nobles aspirations de tous les pays.

Avant d’aborder l’éducation proprement dite de cette vertu, il nousfaut expliquer les différents aspects de la définition ci-dessus. La patrieassure à l’individu les conditions indispensables à son développementintellectuel, moral, social et économique. C’est pourquoi ce dernier doitd’abord reconnaître ce qu’il a reçu d’elle et continue de recevoir, pourêtre en mesure d’agir en toute justice vis-à-vis d’elle. Au départ, lepatriotisme fait référence aux relations personnelles de chaque individuavec sa patrie. Ce n’est qu’ensuite que prennent tout leur sens la défenseet la promotion des valeurs qu’elle représente face aux influences extérieureshostiles. Il est intéressant de savoir que Saint Thomas inclut ce devoir de lapersonne envers sa patrie dans la vertu de piété, vertu qui régit égalementses rapports avec ses parents et, par extension, avec sa famille au senslarge. Il dit: «Après Dieu, les parents sont également principes de notreêtre et de notre gouvernement, puisqu’ils nous ont donné la vie et la patrie,dans laquelle nous avons été élevés. C’est pourquoi, après Dieu, c’est ànos parents et à la patrie que nous devons le plus».

Dans son sens le plus plénier, le concept de piété peut s’appliquerau respect et à l’amour que l’on voue à l’Eglise, comme mère et éducatricedes hommes et des peuples à la vie surnaturelle, et comme principe vitalde la société humaine. Il est curieux de noter que certains pays ont soutenupar leurs coutumes ce triple devoir - envers l’Eglise, la famille et la patrie -en orientant les enfants vers des professions ou des responsabilités quileurs sont liées. Notamment au XVIIIe siècle, l’ainé héritait des biens de lafamille et du devoir de les administrer pour le bien de la même famille. Les

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cadets, bien souvent, se consacraient à servir l’Eglise ou l’armée.Le patriotisme implique, d’une part, de reconnaître les bienfaits de

sa patrie. D’autre part, de lui rendre l’honneur et le service qui lui sont dûs,en défendant et en promouvant les valeurs qu’elle représente. Par rapportà ce dernier aspect du patriotisme, on trouve l’un des vices qui peut ledénaturer. Il s’agit du cosmopolitisme, qui suppose l’indifférence - affectiveou effective - pour ce qui touche à la patrie. En conséquence, l’individufinit par se désintéresser du bien commun et, simplement, chercher unesatisfaction personnelle aux dépens des autres.

D’autre part, le patriotisme fait référence au respect des autres pays.A ce sujet, le point 75 de Gaudium et spes de Vatican II dit: «Que lespeuples cultivent avec magnanimité et loyauté l’amour de la patrie, maissans étroitesse d’esprit, de façon à rechercher le bien de toute l’humanité».L’individu ne doit pas réduire ses devoirs en portant une attention exclusiveà sa propre patrie. Ce serait faire preuve d’un nationalisme exagéréconduisant au mépris des autres, en parole et en action. La vie nationaledoit être apolitique. «La vie nationale s’est transformée en principe dedécomposition de la communauté des peuples lorsqu’on a commencé àl’utiliser comme un moyen pour des fins politiques, c’est-à-dire, lorsque lepouvoir central organisé d’un Etat a fait de la vie nationale la base de sonexpansion et de sa soif de domination. Pour cette raison, nous considéronsla politique nationaliste comme un germe de rivalités et un foyer dediscordes».

A partir de ces éclaircissements, nous allons à présent centrer notreattention sur l’éducation du patriotisme.

Le sentiment patriotiqueLe patriotisme compris comme vertu suppose le développement de

la capacité intellectuelle d’agir avec justice en fonction de quelques valeursmorales reconnues et assimilées. Mais cette bonne habitude s’appuie surune base affective susceptible de croître toute la vie, quoique toutspécialement durant l’enfance. Le sentiment patriotique se forme à partird’une disposition d’attirance pour le lieu de naissance dans les premièresannées de la vie, qui s’étend progressivement aux structures plus amples

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et plus complexes: ville, province, région et pays. A cet égard, le devoirdes parents consiste à faire en sorte que l’enfant apprenne quelles sont lesvaleurs spécifiques de son entourage immédiat. Cela l’aidera à se sentiruni aux camarades qui partagent ses expériences -en montagne, au borddes rivières, sur les routes, etc.- au fil des saisons. Qui ne garde aucunsouvenir de ces moments de son enfance?

Ce sentiment d’unité, fruit d’expériences communes, doit aussis’ouvrir à la connaissance d’autres aspects culturels moins en rapport avecla nature: il s’agit d’expliquer quelques aspects de l’histoire locale, avecses héros, ses personnages célèbres, et d’enseigner des coutumes typiques,des danses, de telle sorte que les enfants se sentent intégrés dans unparcours historique commun. Mais il ne faut pas réduire le champ de cetintérêt à la seule ville, car d’autres valeurs valent la peine d’être partagéesavec des personnes de la même province, du même pays, voire du mon-de entier. L’objectif consiste à obtenir des enfants qu’ils se sentent très liésà leur entourage immédiat et, sans perdre ce lien, qu’ils s’ouvrent auxvaleurs communes à des secteurs géographiques plus vastes.

Peut-être trouvons-nous ici l’un des obstacles majeurs au dévelop-pement du patriotisme aujourd’hui. Existe-t-il réellement des valeurscommunes au niveau du pays, qui dirigent le destin de ses habitants, quidoivent être défendues et réclament la loyauté de ces derniers?

Nous avons parlé de la nécessité d’un sentiment patriotique pour ledéveloppement de la vertu. Cependant, réduit à ce sentiment, le patriotismeserait sans efficacité et sans valeur. Il s’agit de partager des valeurs avecdes concitoyens mus par la recherche d’une situation meilleure ou par ladéfense de biens acquis. Il est facile d’observer, en de nombreux pays, unpatriotisme très développé en période de guerre, quand les individuss’efforcent de défendre leurs droits et leurs idéaux. Mais comment, entemps de paix, réussir à partager des valeurs communes dans une nationpluraliste?

Défendre et renforcer des valeursLe terme de «bien commun» englobe toutes les valeurs que l’on

peut vivre au niveau national. Et ce «bien commun» demande à tous les

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membres de la société de travailler de façon responsable et efficace, des’efforcer de faire régner la justice, la paix et le respect de leur pays, avecses institutions, ses coutumes, son histoire et ses conquêtes.

Nous avons vu précédemment comment l’enfant peut apprendrede son pays à travers son histoire, sa langue, sa culture, etc. Le fait de sesentir intégré dans un patrimoine commun suppose d’abord de le connaître,puis de savoir l’expliquer pour pouvoir le transmettre aux autres. A cetégard, il est clair que la mission des parents consiste à chercher les moyensde faire connaître à l’enfant leur patrimoine commun en l’accompagnantdans des musées, en lui achetant les livres à sa portée, en lui parlant del’histoire de son pays, en soulignant ses gloires et ses erreurs, etc. Lesparents doivent aussi faire en sorte que les enfants soient capables detransmettre à leur tour ces connaissances. A l’échelle régionale, ils pourraientinviter les enfants à expliquer des aspects historiques à des personnes depassage chez eux et ne connaissant pas la région. A l’échelle nationale, ilfaudrait faire de même avec des étrangers.

D’autre part, on peut apprendre aux enfants à respecter l’ordre etla propreté de l’endroit où ils vivent, en évitant de jeter des papiers parterre ou d’écrire sur les murs. Cela s’appelle communément le civisme,mais, si l’enfant admet qu’il a le devoir de s’intéresser au bien commun detous, ce type de comportement peut être considéré comme faisant partiedu patriotisme. Certains, grâce à la formation adéquate, arrivent à travaillerau service de la défense de l’environnement, notamment dans la lutte contrela pollution. D’autres profitent de leur temps libre pour organiser desactivités visant à protéger le bien public. Cela peut être également considérécomme du patriotisme si la personne se sent responsable de ce qui appartientà tous les membres de son pays. Et l’on peut ainsi se sentir fier des succèsremportés par son pays ou, peut-être, prendre conscience de certaines deses lacunes et tâcher de les combler. Une personne qui se plaint de sonpays n’est pas un patriote. Un patriote peut se plaindre de certainsproblèmes mais il essayera en même temps d’y remédier.

Il faudrait en outre enseigner aux enfants les coutumes et institutionsde toute la nation, car en consacrant trop de temps à l’étude de la régionoù ils vivent, ils pourraient perdre de vue ce qu’est leur pays dans sa

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totalité, et ce serait cultiver le patriotisme avec exclusivisme, en omettantde leur faire prendre conscience des besoins de tous leurs concitoyens.

Il ne faut pas oublier que les enfants - comme les adultes - ontbesoin d’accomplir régulièrement des actes qui leur permettent de se sen-tir membres d’une même patrie. Cela pourrait être à l’occasion d’une fêtenationale, du succès d’un compatriote à l’étranger, d’un programme detélévision régional, d’un défilé militaire, d’un congrès national de spécialistes,etc. Il ne faut pas sous-estimer non plus les symboles fréquemment utiliséscomme l’hymne national que l’on écoute avec respect ou le drapeaunational. Si les parents écoutent avec respect l’hymne national, s’ils sontfiers de leur histoire et enseignent à leurs enfants différents aspects de leurpays, s’ils leur présentent son histoire, les enfants prendront consciencede leur héritage. Ils respecteront leur patrie et seront en mesure decontribuer personnellement à son bien.

Nous avons dit que le bien commun suppose que chacun travailleavec sens des responsabilités et œuvre pour une société plus juste oùrègne une paix propice à son développement. Dans la pratique, cela n’estpas si facile, car il semble que les gens soient divisés en factions, chacunecherchant son avantage aux dépens des autres. Une politique derevendication des droits tend à éparpiller plutôt qu’à unifier les efforts dela communauté. Il faudrait donc montrer aux enfants l’importance decontribuer personnellement au bien du pays. Nous avons, dans les chapitresprécédents, vanté les mérites de la justice et du travail bien fait, sans parlerde leurs rapports avec la vertu du patriotisme. Le travail des éducateurs, àcet égard, implique qu’ils devraient eux-mêmes remplir leurs devoirs àl’égard des autres, puis expliquer aux enfants la nécessité d’accomplir detels efforts.

Voici quelques points qu’il conviendrait d’approfondir avec lesenfants:

• Un pays ne peut atteindre un bon niveau économique que sichacun travaille en personne responsable, en pensant non seulement à sesdroits légitimes, mais également à ses devoirs et au bien commun.

• La justice exige que chacun se soumette aux lois - à conditionqu’elles soient justes - et, par conséquent, paye ses impôts, fasse son

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service militaire, exerce son droit de vote, etc.• La justice exige également que chacun utilise les moyens dispo-

nibles pour rendre la société plus juste à tous les niveaux. Afin de rendre lepays plus fort et plus uni, la personne devrait donc participer activement àdes associations de parents, de copropriétaires, au travail de sa municipalité,suivant ses aptitudes.

• La paix est le fruit de la charité pratiquée par les membres d’unesociété. Les gens devraient donc chercher le meilleur moyen de se montrercharitable envers leurs voisins et envers tout un chacun, dans le respect dela diversité des opinions, en joignant leurs forces pour plus de progrès, eten se protégeant contre toute forme de violence susceptible decompromettre la paix.

Partager les nobles aspirations de tous les paysNous avons plusieurs fois mis en garde le lecteur contre le danger

de s’intéresser exclusivement à sa propre région: cet intérêt constitue labase du sentiment patriotique, mais devrait s’élargir aux dimensionsnationales. Cela veut dire qu’il ne suffit pas d’éprouver un tel sentiment,mais qu’il s’agit d’apprécier intellectuellement la situation de son pays. Aprésent, on peut aller encore plus loin et montrer que le patriotisme nedevrait pas se limiter à un intérêt pour la seule patrie. Chaque homme etchaque femme ont une responsabilité envers leurs concitoyens et, parconséquent, envers tous, à l’échelle du monde. Cela signifie que chacundevrait connaître, autant que possible, quels sont les succès des autrespays: les valeurs qu’ils défendent. Pour les enfants, cela doit se traduirepar une saine curiosité pour tout ce qui concerne les autres peuples, afind’apprendre d’eux et de savoir ce qu’ils peuvent leur offrir.

Cette vertu du patriotisme, un chrétien peut particulièrement bien lacomprendre. Parmi les dons du Saint-Esprit qu’il reçoit au baptême figurele don de piété, qui éveille une affection filiale envers Dieu, considéré commeun Père, et un sens de la fraternité universelle pour tous les hommes en tantque frères et enfants du même Père.

Sur cette base, le patriotisme peut être le fondement d’une compré-hension universelle. «Etre «catholique», c’est aimer sa patrie, sans le céder

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à quiconque dans cet amour. Mais c’est aussi faire siennes les bellesaspirations de tous les pays. Que de gloires françaises sont aussi mesgloires! Et de même, bien des motifs de fierté des Allemands, des Italiens,des Anglais..., des Américains, des Asiatiques et des Africains sont aussima fierté!

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L’ARGENT: UN OUTIL OU UN IDOLE

Conseil pour les questions familiales et sociales.Dans la dynamique et les circonstances que nous vivons à présent,

il a semblé bon au Conseil National de la Solidarité et à la Commissionsociale des évêques de France, d’aider les communautés chrétiennes àréfléchir à leur attitude vis-à-vis de l’argent et des biens matériels en général.Nous n’avons pas l’intention d’écrire aujourd’hui un traité sur l’argent,encore moins sur l’économie, mais d’inviter chaque catholique à entendrel’appel à la conversion dans sa dimension financière et économique.

1. L’argent: un outil...Il existe une longue tradition de pensée religieuse sur la gestion des

biens. Elle commence dès la première page de la Bible: la terre appartientd’abord à Dieu, lequel l’a confiée à toute l’humanité. Rien de ce que nouspossédons ne nous appartient pleinement. Nous sommes, pour ainsi dire,mandatés par Dieu pour gérer argent et biens, pour leur faire produire dufruit au bénéfice de toute l’humanité.

L’argent est un moyen d’échange, un outil utile pour favoriser desrelations humanisantes entre les hommes. Il peut favoriser la croissanceéconomique et le développement des peuples.

Jésus condamne-t-il l’argent comme instrument d’échange? Non,puisqu’il paie l’impôt avec une pièce de monnaie. Il a, parmi ses proches,quelqu’un pour tenir la bourse du groupe. Il bénéficie d’amis - parmi lesquelsde nombreuses femmes - qui l’aident de leurs deniers. Il demande qu’onse serve de l’argent» pour se faire des amis dans les demeures éternelles»(Lc 16, 9), c’est-à-dire pour atteindre notre vrai bonheur.

2. ... qui peut devenir une idole.De l’ordre des moyens, l’argent peut devenir une fin, un instrument

de la volonté de puissance qui peut faire perdre la tête, un absolu qui sesubstitue au vrai Dieu: il peut devenir une idole. De bon serviteur, il peut

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devenir mauvais maître: fait pour servir, il peut asservir. La parole de Jésusest intransigeante: «Vous ne pouvez servir deux maîtres: Dieu et l’argent»(Lc 16,13).

L’Évangile de Luc, qui n’hésite pas à qualifier l’argent de «trompeur»(Lc 16,9), en dénonce les pièges:

2.1. L’aliénation de la personne dans l’avoir. Dans la parabole duriche insensé (Lc 12, 16-21) l’homme empile les excédents de ses récoltesdans ses greniers et se croit tranquille pour de nombreuses années. MaisDieu lui dit: «Insensé! cette nuit même on te demandera ton âme, et ce quetu as, à qui est-ce que cela ira?» (Lc 16, 20).

Cet homme a choisi l’avoir, il a perdu son âme. Il croyait posséderet il est possédé. En effet, la satisfaction qu’apporte l’argent est passagèreet provoque à vouloir toujours plus. L’argent n’étanche pas la soifd’accumulation, il l’attise sans cesse davantage: il rend insatiable. Iln’apporte ni la liberté ni la joie. «La tentation de l’avarice est la forme laplus évidente du sous-développement moral» (Paul VI dans Populorumprogressio, n° 19).

2.2. La rupture avec les autres. Telle est la leçon de la parabole deLazare et du riche (Lc 16, 19-31). La faute du riche n’est pas d’avoiracquis ses biens injustement mais d’avoir laissé se creuser une distanceentre sa table abondante et un ventre creux. Cette distance détruit lacommunauté humaine et même le ciel ne pourra l’abolir. C’est Abrahamqui dit au riche: «Entre vous et nous a été fixé un grand abîme» (Lc 16,26).

Le grand malheur de l’argent transformé en idole, c’est qu’il sépared’autrui. Plus on est riche, plus on risque de ne plus voir et entendre lesautres. Les biens de ce monde, qui devraient être un signe de commu-nication, de communion, deviennent un obstacle, un mur. Comme le faitremarquer Abraham au riche de la parabole qui lui demande d’avertir sesfrères: «Même si quelqu’un ressuscitait des morts, ils ne seraient pasconvaincus» (Lc 16, 31).

3. La parole libératrice de l’Évangile.Constamment, dans l’Évangile, la personne qui accueille le message

de Jésus change radicalement d’attitude face à l’argent. L’Évangile rend

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libre. Dès l’appel de Jésus, le publicain Matthieu quitte sa profession decollecteur d’impôts (Mt 9, 9-13). Le chef des publicains, Zachée, déclare:«Voici, Seigneur, je vais donner la moitié de mes biens aux pauvres et sij’ai extorqué quelque chose à quelqu’un, je lui rends le quadruple» (Lc19, 8).

La conversion évangélique prend deux formes principales:3.1. Le partage. La première communauté chrétienne s’est fondée,

dès les débuts, sur le partage: «La multitude de ceux qui étaient croyantsn’avaient qu’un cœur et qu’une âme et nul ne considérait comme sapropriété l’un quelconque de ses biens: au contraire, ils mettaient tout encommun... Nul parmi eux n’était indigent... Chacun recevait une part selonses besoins» (Ac 4, 32-35).

Le livre des Actes des Apôtres suggère aussi que l’agir chrétienpeut provoquer des séismes dans la vie économique de la société! Ananieet sa femme Saphire apprennent à leurs dépens qu’on ne triche pas avecl’Esprit (Ac 5, 1-11). Simon veut acheter la force de l’Esprit avec del’argent (Ac 8, 18-24). Les orfèvres Éphèse manifestent la perte sècheque leur occasionne la désaffection des nouveaux chrétiens pour leursstatuettes d’Artémis (Ac 19, 23-40).

Celui qui adhère à Jésus cesse de considérer que ce qu’il possèdelui appartient. Il découvre qu’il n’en est que l’intendant. Il comprend queses biens ont en même temps une «destination universelle» en ce sensqu’ils doivent contribuer à ce que personne, sur la terre, ne manque dunécessaire.

Parmi les nombreux Pères de l’Église qui ont traité de ce sujet,Saint Basile (329-379) interroge: «Que répondras-tu au souverain Juge,toi qui habilles les murs et n’habille pas ton semblable? Toi qui ornes teschevaux et n’as pas même un regard pour ton frère dans la détresse? Toiqui laisses pourrir ton blé et ne nourris pas ceux qui ont faim? Toi quienfouis ton or et ne viens pas en aide à l’opprimé?...

A qui ai-je fait tort, dis-tu, en gardant ce qui est à moi? Mais, dis-moi, qu’est-ce qui est à toi? De qui donc l’as-tu reçu pour le porter dansla vie? C’est exactement comme si quelqu’un, après avoir pris une placeau théâtre, en écartait ensuite ceux qui veulent entrer à leur tour et prétendait

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regarder comme sa propriété ce qui est pour l’usage de tous. Ainsi font lesriches. Parce qu’ils sont les premiers occupants d’un bien commun, ilss’estiment le droit de se l’approprier...» (Homélie n° 6, sur la richesse).

Cette «destination universelle des biens» a été fortement rappeléepar le Concile Vatican II. «Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contientà l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biensde la création doivent affluer entre les mains de tous...» (Gaudium et Spes,n° 69). La propriété n’est pas un absolu. Il y a toujours une limite au droitde propriété: l’indigence de l’autre. Aussi, poursuit le Concile Vatican II:«on est tenu d’aider les pauvres, et pas seulement au moyen de notresuperflu». En outre, «celui qui se trouve dans l’extrême nécessité a le droitde se procurer l’indispensable à partir des richesses d’autrui» (G.S., n°69, 1): dans une telle circonstance, prendre n’est pas voler.

3.2. «Tout quitter». C’est ce qu’ont fait les premiers moines et, àleur suite, François d’Assise et tant d’autres qui se sont voués à DamePauvreté pour suivre le Christ. Aujourd’hui encore des personnes, desinstituts religieux et des communautés diverses témoignent de l’appelprophétique de l’Évangile: «Ce que tu as, vends-le et donne-le aux pauvreset tu auras un trésor dans le ciel» (Mc 10, 21).

4. Différentes formes de solidarité aujourd’hui.Le partage existe déjà, heureusement, sous de multiples formes.

Les chrétiens savent manifester largement leur générosité dès que leursoutien est sollicité. Ils se laissent volontiers convaincre de la nécessité desecourir les personnes en situation difficile ou tragique. Ils ont contribué àsensibiliser nos sociétés au devoir de partager.

4.1. Les impôts sont une forme de partage. Il n’est pas questionici d’entrer dans le débat sur l’équité du système fiscal auquel nous sommessoumis, ni sur les réformes à accomplir. Mais il nous revient de rappelerque le principe même de l’impôt est un principe conforme à l’Évangile.«Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, dit Jésus(Lc 20, 25). «A qui l’impôt, l’impôt; à qui les taxes, les taxes» ajoute SaintPaul (Rm 13,7). Nos impôts contribuent pour une part à la redistributiondes richesses.

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Actuellement, en France, les deux tiers des prélèvements sont àdestination sociale. Alors, faisons-le de grand cœur, car» Dieu aime celuiqui donne avec joie» (2 Co 9,7). Un tel regard peut nous aider à vivrenotre relation aux impôts d’une manière positive. Agir pour améliorer lesystème: oui. Exiger que l’argent public serve l’intérêt commun, bien sûr.Par contre, chercher par tous les moyens à échapper à ce que nous devonsà la communauté en fonction de notre richesse n’est que malhonnêteté etvol. Nous le savons: ce ne sont pas les plus pauvres parmi nous qui ont leplus de moyens d’échapper à l’imposition! Dieu, «qui voit dans le secret»,n’est pas dupe de ces fraudes.

4.2. Notre participation aux collectes de l’Église est une autre for-me de partage, essentielle, souvent méconnue. Combien parmi nous seconsidèrent tenus en conscience de donner à l’Église les moyens de sonapostolat (Denier de l’Église) par une contribution substantielle enproportion de leurs biens? L’Église de France vit intégralement de lagénérosité de ses fidèles et de nombreux diocèses se trouvent,financièrement, dans une situation très précaire. Et que dire des Églisesdes pays pauvres qui ne sauraient subsister sans la solidarité de l’Égliseuniverselle?

4.3. Notre participation aux collectes de fonds des organisationshumanitaires et caritatives constitue également une belle forme de partage.Elle est nécessaire. Les besoins du monde dépassent de loin ce qui estrécolté, de manière admirable, par des bénévoles dont la contribution, entemps et en argent, se montre exemplaire.

5. Dîme... et plus encore...Ne serait-il pas profondément évangélique de considérer que la

somme des multiples collectes puisse atteindre le niveau de la dîme dont ilest question dans la Bible (10 % de nos revenus)?

Nous serions encore loin de nous hisser à la hauteur de la veuve del’Évangile: elle n’a pas donné de son superflu, mais de «ce qui lui étaitnécessaire pour vivre» (Lc 21, 1-4). Nous serions encore loin de répondreaux besoins criants des 2,8 milliards d’êtres humains qui n’ont pas deuxdollars par jour pour vivre.

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Mais nous serions sur la route de l’appel évangélique au partage.Les Pères de l’Église, au début du christianisme, donnaient ce point derepère: «la mesure du dépouillement doit être l’échelle de l’infortune deceux qui n’ont rien» (cité par Pierre Debergé, «L’argent dans la Bible»,Nouvelle Cité, Paris 1999, page 144).

«Lorsque tu auras achevé de prendre la dîme de tous tes revenus etque tu l’auras donnée au lévite, à l’étranger, à la veuve et à l’orphelin, etque l’ayant consommée dans tes villes, ils s’en seront rassasiés, tu diras enprésence de Yahvé ton Dieu: ‘J’ai retiré de ma maison ce qui était consacré‘»(Dt 26, 12-13).

Le partage ne peut se réduire à une contribution financière. Donnerde l’argent sans se donner soi-même est un mensonge. Partager veut dire,dans la mesure de ses moyens, donner de son temps, de son avoir, de sonpouvoir, de ses qualifications, des dons reçus. C’est aussi participer àl’une ou l’autre des associations de solidarité.

6. Balaie devant ta porte: et en Église, où en est-on?La bonne gérance de ce que l’on possède en vue du «bien commun»

n’est pas le privilège des personnes. Elle est le devoir de la société et detoutes les communautés ecclésiales. Combien de saints religieux pauvresdans une communauté riche? Combien de chrétiens généreuxindividuellement deviennent «chiches» lorsqu’ils gèrent les finances et lesbiens de la paroisse et du diocèse?

Aujourd’hui, jusqu’où va le partage entre les différentes Églises dansle monde... entre les diocèses dans notre pays... entre les paroisses, lescommunautés, les mouvements et les services d’Église dans notre diocèse?La Bible ne parle pas seulement des biens individuels. Certainescommunautés chrétiennes, certaines Églises locales ne savent commentutiliser leur argent, voire comment le placer pendant que des dizainesd’autres n’ont pas les moyens de faire vivre décemment leurs prêtres etleurs permanents pastoraux ni de s’engager dans des activités nécessairesà l’évangélisation.

Dès le début de l’Église, Paul organisait, dans les communautésqu’il avait fondées, des collectes à l’intention de la communauté de Jérusalem

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qui était dans le besoin, invitant à imiter la générosité de Notre SeigneurJésus-Christ qui, «de riche qu’il était, s’est fait pauvre, pour nous enrichirde sa pauvreté» (2 Co 8, 9).

Si les chrétiens souhaitent que l’État soit plus généreux envers lesexclus de notre société, envers les immigrés, envers les pays les plusendettés, il leur est urgent de montrer l’exemple non seulement au niveaupersonnel, mais aussi au plan collectif.

7. Tous responsables.Notre réflexion sur l’argent et nos biens nous rendra beaucoup plus

attentifs à la dimension sociale du Jubilé. Puisque la justice est toujours enretard sur la vie des personnes et la survie de beaucoup, le Jubilé nous estdonné comme un temps où «la remise des dettes, la restitution de la terreet la libération des esclaves» sont vécus comme une annonce prophétiquedu temps messianique, lorsque Dieu viendra lui-même achever la créationen la renouvelant de fond en comble.

Pour vivre pleinement le Jubilé, les catholiques peuvent-ils se désin-téresser des campagnes pour «l’annulation de la dette», pour un commerceplus équitable et plus solidaire, pour une moralisation plus sérieuse desflux financiers incontrôlés qui gravitent tout autour de notre planète?

Dans les débats actuels concernant le pouvoir de l’argent, la bullefinancière, la Bourse sur Internet, le choix des investissements, les chrétiensne peuvent pas rester les bras croisés ni être absents du débat, laissant àd’autres le soin de prendre des initiatives pour que les pauvres ne soient niles victimes ni les otages d’un système sans alternative! La gestion de nosbiens personnels en fonction des exigences de l’Évangile nous rendra pluscréatifs dans notre participation à la gestion des biens collectifs...

Dans notre société, «tout s’achète et se vend et se pèse et s’emporte»(Péguy). Et pourtant l’argent n’est pas tout et ne peut pas tout.

Que de réalités capitales, dans la vie de l’homme, que le marché etl’argent ne sont pas en mesure d’accorder: la joie de comprendre et deconnaître, la joie d’admirer, la joie d’aimer et d’être aimé, le respect dugratuit et du contemplatif, de l’apparemment inefficace, le sens du partageet de la solidarité.

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LA FAMILLE,CELLULE DE BASE DE LA COMMUNAUTÉ HUMAINE

La famille est la cellule de base de la communauté humaine. Ellepeut changer de taille, de visage, elle n’en demeure pas moins essentielle.L’homme et la femme ont besoin d’aimer, d’être reconnus et aimés telsqu’ils sont.

La famille est le premier lieu où les hommes et les femmes apprennentla confiance en eux mêmes et la confiance dans les autres. La famille permet,en effet, de découvrir que chacun a sa place dans une histoire, dans unréseau, sans avoir à le mériter, dans le respect des différences particulières:âge, sexe, qualités ou faiblesses.

La plupart des Français plébiscitent la famille et ont un projet familial;ils pensent que dans une société, souvent dure et concurrentielle, ils peuventy trouver estime et confiance. Comment ne pas s’en réjouir? La crise deconfiance que traverse la société a souvent pour origine une carence familiale.

Les fragilités de la vie familialeNous sommes conscients, comme chacun, des fragilités de la vie

familiale dans un monde épris d’épanouissement individuel et soumis à denombreuses sollicitations. Ces fragilités renforcent la nécessité depromouvoir l’institution familiale.

Nous aussi, nous sommes pour l’épanouissement de la personne,mais un épanouissement qui soit pleinement responsable, qui respecte ladignité humaine, la défense des faibles et permette l’instauration d’unesociété de confiance.

Comment construire la confiance si la société accepte l’exclusiondes plus faibles, depuis la pratique de l’avortement jusqu’à la tentation del’euthanasie? Comment construire la confiance s’il est des malheurs quel’on ne peut exprimer:

• par exemple, la difficulté pour une femme, dans certains cas, derefuser un avortement devant les pressions qui s’exercent sur elle;

• ou la difficulté pour des enfants d’exprimer leur souffrance face

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au divorce de leurs parents;• ou encore celle d’enfants qui ne peuvent exprimer leur désarroi

d’ignorer qui est leur père ou leur mère.• Et comment peut-on parler de ces traumatismes, sans tenir

compte de leurs conséquences sur la vie sociale?

Soutenir la familleIl est normal que l’État se préoccupe des situations difficiles. L’Église

est prête, à leur propos, à prendre part à un débat loyal où son avis neserait pas disqualifié au départ ou marginalisé. Le message de l’Église veuts’adresser à la conscience de chacun: il appelle à bâtir des familles stables,fondées sur des couples, unissant un homme et une femme, qui prennent letemps de se préparer à leurs responsabilités d’époux et de parents.

Soutenir la famille, c’est d’abord garder au mariage son caractèreunique d’union acceptée librement, ouverte à la procréation etinstitutionnellement reconnue. Parmi les difficultés que rencontrent lesfamilles, le logement est sûrement un problème majeur. Notre pays connaîtaujourd’hui une crise profonde du logement. Son coût conduit trop defamilles à un éloignement de leurs lieux de travail, source d’épuisement etde déstructuration. L’accès à la propriété reste souvent un rêve inaccessible.

Les logements sociaux sont trop peu nombreux, pas toujours habitéspar ceux qui y auraient droit ou alors isolés dans des quartiers sans mixitésociale. La séparation des couples et la recomposition des famillesaugmentent les besoins. Au-delà des difficultés techniques considérablespour résoudre cette question, le logement doit être, pour l’État, une prioritépolitique essentielle.

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LA SIGNIFICATION DU MOT «CULTURE»

Le mot culture tend à désigner la totalité des pratiques succédant àla nature. Chez l’humain, la culture évolue dans le temps et dans les formu-les d’échanges. Elle se constitue en manières distinctes d’être, de penser,d’agir et de communiquer. Ainsi, pour une institution internationale commel’UNESCO: «La culture, dans son sens le plus large, est considérée commel’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels etaffectifs, qui caractérisent une société, un groupe social ou un individu.Subordonnée à la nature, elle englobe, outre l’environnement, les arts etles lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, lessystèmes de valeurs, les traditions, les croyances et les sciences» .

La notion de culture est au cœur d’un enjeu humain essentiel: celuide dire ce qu’est l’espèce (homo sapiens sapiens) à travers ce qu’il fait.C’est pourquoi l’on observe à la fois une tendance à couvrir -en tached’huile- des activités de plus en plus diverses et éloignées les unes desautres (culture générale, culture religieuse, culture traditionnelle, culturetechnique, culture d’entreprise, industries culturelles, ministère de la culture,cultures animales, etc.) et une propension à perdre toute significationphilosophique globale, précise ou tranchée.

On observe aussi que le sens du mot «culture» dépend étroitementde la stratégie de l’institution ou de l’acteur social qui l’utilise, en opposition(plus ou moins explicite) avec d’autres. Par exemple, pour ceux quisouhaitent défendre le domaine des arts et des lettres, le mot «culture»pourrait être opposé au néologisme «techno science», un peu commeautrefois on pouvait opposer «l’âme» et «la raison». Au contraire, pourceux qui veulent défendre le côté créateur de la recherche ou de l’innovation,le titre de culture doit pouvoir leur être appliqué sans discrimination. Dansle milieu éducatif institutionnel, la «culture» peut désigner un ensemble deconnaissances acquises, de savoirs et de savoirs-faire développés.

Pour les personnes qui, par profession ou intérêt, mettent l’accent

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sur les caractéristiques d’une communauté (linguistique, nationale, etc.), laculture représente l’ensemble de ses structures territoriales, de ses pratiquessociales, religieuses, politiques, commerciales, etc.

Pour ne pas trop trahir ces différences entre conceptions de la culture,on peut dessiner un «champ culturel» où elles se rencontrent et seconfrontent par grands types d’activité:

• Les pratiques de l’exercice de la parole est une réalisation per-manente et universelle, bien que réalisées entre personnes concrètes chezl’humain. Associées à des pensées et à des actes, elles représentent laculture dans ses spécificités et dans l’activité humaine.

• Les pratiques artistiques font le plus souvent émerger des pointsde vue singuliers qui sont ensuite partagés et échangés.

• Les pratiques d’organisation des pensées et des sentiments(philosophiques ou religieux) cherchent au contraire à rassembler de grandsgroupes par la conviction et la séduction (le vrai et le beau selon Platon).

• Les pratiques de régulation (grammaticale, juridique, économique,technique, etc) organisent les êtres humains selon des rapports prédé-terminés, mesurables et prévisibles.

Il est sans doute difficile -sinon impossible- d’empêcher que chacunde ces domaines prétende opposer sa propre conception de la culture auxautres.

Par ailleurs, chaque société humaine possède sa propre culture,cherche à la distinguer des autres et admet plus ou moins en son sein,l’existence de cultures différentes. Le multiculturalisme est une démarchequi insiste sur l’existence, dans un cadre politique souple et ouvert, d’unemultitude de cultures qui se rencontrent, s’opposent, se mélangent et,finalement, se transforment et évoluent. L’une des questions de cetteorientation, en phase avec le phénomène de la mondialisation, est qu’onne saurait dire si cette évolution va vers plus de diversité, vers de nouvellesdiversités, ou vers une standardisation plutôt appauvrissant

DéfinitionsLa culture humaine est, selon le sociologue québécois Guy Rocher,

«un ensemble lié de manières de penser, de sentir et d’agir plus ou moins

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formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes,servent, d’une manière à la fois objective et symbolique, à constituer cespersonnes en une collectivité particulière et distincte» (Guy Rocher, 1969,88).

EtymologieL’étymologie du mot culture, du mot latin colere («habiter», «cultiver»,

ou «honorer») suggère que la culture se réfère, en général, à l’activitéhumaine. Ce mot prend des significations notablement différentes, voirecontradictoires, selon ses utilisations.

Le terme (latin cultura) suggère l’action de cultiver, dans le domainede l’agriculture en particulier: cultiver des fleurs… Le terme de culture estégalement employé en éthologie. Cicéron fut le premier à appliquer le motcultura à l’être humain: Un champ si fertile soit-il ne peut être productifsans culture, et c’est la même chose pour l’humain sans enseignement.(Tusculanes, II, 13).

Dans l’Histoire, l’emploi du mot s’est progressivement élargi auxêtres humains. Le terme culte a une étymologie voisine (latin cultus), etqu’il est employé pour désigner l’hommage rendu à une divinité.

Culture individuelle et culture collectiveEn langue française, le mot culture désigne tout d’abord l’ensemble

des connaissances générales d’un individu. C’est la seule définition qu’endonne en 1862 le Dictionnaire national de Bescherelle. Les connaissancesscientifiques y sont présentées comme élément de premier plan. C’est ceque nous appelons aujourd’hui la «culture générale».

Après le milieu du xxe siècle, le terme prend une seconde signification.Par exemple, le Petit Larousse de 1980 donne, en plus de la conceptionindividuelle, une conception collective: ensemble des structures sociales,religieuses, etc., des manifestations intellectuelles, artistiques, etc., quicaractérisent une société. Le terme peut alors revêtir l’un ou l’autre sens,mais la proximité des domaines d’utilisation de chacun en fait une sourced’ambiguïté.

Il y a donc actuellement en français deux acceptions différentes pourle mot culture:

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• la culture individuelle de chacun, construction personnelle de sesconnaissances donnant la culture générale;

• la culture d’un peuple, l’identité culturelle de ce peuple, la culturecollective à laquelle on appartient.

• Ces deux acceptions diffèrent en premier lieu par leur composantedynamique:

• la culture individuelle comporte une dimension d’élaboration, deconstruction (le terme Bildung est généralement traduit en éducation), etdonc par définition évolutive et individuelle;

• la culture collective correspond à une unité fixatrice d’identités,un repère de valeurs relié à une histoire, un art parfaitement inséré dans lacollectivité; la culture collective n’évolue que très lentement, sa valeur estau contraire la stabilité figé dans le passé, le rappel à l’Histoire.

C’est dans cette dichotomie que ces deux significations peuvents’opposer:

La culture collective comporte une composante de rigidité pouvants’opposer au développement des cultures individuelles, ou pouvantconduire à des contrecultures, concept qui est inimaginable avec le sensindividuel, la connaissance ne pouvant être que positive.

La science, toujours en évolution, n’est de ce fait pas raccrochée auconcept de culture individuelle, dans les acceptions populaires, alors qu’elleen est une des composantes principales dans la teneur initiale du terme.

Mais c’est par l’art et l’histoire que les deux concepts se rejoignent.La culture individuelle inclut la connaissance des arts et des cultures, celledes différentes cultures humaines, mais bien évidemment celle affiliée à laculture (collective) à laquelle l’individu s’apparente.

C’est là le point d’amalgame entre les deux acceptions: la culture(individuelle) est comprise comme connaissance de la culture (collective)dont on dépend. Fusionnant ainsi deux acceptions différentes, le termeculture tend actuellement, en France, vers un compromis dans sonacception courante, où il désignerait essentiellement des connaissancesliées aux arts et à l’Histoire, plus ou moins liées à une identité ethnique.

Les deux sens doivent cependant être analysés distinctement: laculture collective et la culture individuelle se recoupent en réalité, non

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seulement par leur homonymie, mais aussi par la filiation de l’espèce et del’individu à une entité culturelle.

Types de composantsUne représentation de la culture consiste à la regarder comme formée

de quatre éléments qui sont «transmis de génération en génération enapprenant « 4:

• les valeurs;• les normes;• les institutions;• les artefacts.Julian Huxley donne une division légèrement différente, en mentifacts,

socifacts et artifacts, pour des sous-systèmes idéologiques, sociologiques,et technologiques respectivement. La socialisation, du point de Huxley,dépend du sous-système de croyance. Le sous-système sociologique orien-te l’interaction entre les gens. Les objets matériels et leur utilisation formentle sous-système technologique5.

En général, les archéologues se focalisent sur la culture matérielle,alors que l’anthropologie culturelle se focalise sur la culture symbolique,encore qu’en fine les deux groupes s’intéressent aux relations entre cesdeux dimensions. De plus, les anthropologues conçoivent le mot «culture»pour se référer non seulement à la consommation de biens, mais auprocessus général qui produit de tels biens et leur donne une signification,et aux relations et pratiques sociales dans lesquelles de tels objets etprocessus sont imbriqués.

Les valeursLes systèmes de valeurs comprennent des idées et des matériaux

qui semblent important dans la vie. Elles guident les croyances quicomposent la culture en partie

Il est possible de reconnaître des systèmes de valeur associés depréférence à des civilisations. Ainsi, dans ce qu’on appelle encorel’Occident, il semble que la conversation culturelle se préoccupe beaucoupde la question de la règle, de la mesure, de la loi physique ou sociale, alors

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qu’en Extrême-Orient, l’affaire la plus importante concerne l’identité dansle monde. Les valeurs des sociétés villageoises (comme en Afrique ou enAmérique latine) portent davantage sur l’équilibre entre l’homme et la nature,garanti par l’intercession des hommes-médecine. Les valeurs des sociétésnomades sont plutôt attachées à résoudre les problèmes des antagonismesinévitables entre groupes sur le territoire commun. A l’intérieur de la sphèreoccidentale, le point de vue anglo-saxon insiste encore davantage sur la loi(culture de la common law, et de la rule of law). Ceci correspond à unereligiosité inspirée des protestantismes préoccupés de l’usage rationnel dutemps personnel (comme le montrait Max Weber), ce qui permet l’autodis-cipline, libère un certain libéralisme et fait l’économie d’un contrôle parl’autorité collective.

En France, le plus «laïque» des pays occidentaux, - tradition quel’on pourrait faire remonter au gallicanisme de Philippe le Bel, à laPragmatique Sanction de Bourges, ou aux positions de Bossuet- on aplutôt affaire à une reprise administrative nationale de l’ancienne autoritécatholique, où se trouve préservé un principe d’arbitrage divin et royal,désormais déposé dans l’État laïque. La Révolution française introduit unstatut civil équivalent pour tous les citoyens, indépendamment des croyancesou appartenances religieuses, mais ne renie pas longtemps -avec Napoléon- le principe du pouvoir transcendant et paternaliste. Celui-ci subsisteaujourd’hui dans la trame culturelle de ce pays qui demeure de ce point devue de tradition catholique. Néanmoins, comme partout ailleurs en Europe,on y rencontre le débat avec les deux religions et cultures du «Livre» (laBible), qui forment les deux autres variantes de la culture occidentale ausens large: la tradition judaïque, qui insiste sur l’alliance entre Dieu et sonpeuple, au travers d’une loi interprétable; et la tradition musulmane, quiveut rétablir le principe de la liberté absolue de Dieu. On constate icicombien le monde des valeurs ne se développe pas au hasard, mais biencomme système logique de différences assumées. On observe aussi quece caractère de conversation entre les valeurs demeure le plus souventinconscient, caché par l’intransigeance de leurs partisans respectifs.

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Les normesLes normes sont constituées par les attentes sur la façon dont les

personnes doivent se comporter dans diverses situations. Chaque culturea des méthodes, appelées sanctions, pour imposer ses normes. Lessanctions varient avec l’importance de la norme; les normes qu’une sociétéimpose formellement ont le statut de lois.

On notera qu’en France, la langue française a le statut de langueofficielle, et qu’à ce titre, elle est la langue de l’administration et du droit.Aux États-Unis, il existe une tradition normative très importante en matièreindustrielle et financière. Les normes comptables en Europe sontactuellement assez largement inspirées des normes américaines.

Les institutionsLes institutions sont les structures de la société dans et par lesquelles

les valeurs et les normes sont transmises.On a vu que, dans le cas de la France, la défense de la langue fut

prise très tôt en charge par le souverain, François Ier pour le statut delangue officielle du français (1539), Richelieu pour l’Académie française.De là est née, en France et dans la plus grande partie de l’Europe, unetradition qui lie la culture avec les institutions publiques.

Aux États-Unis, il n’existe pas une emprise aussi importante de lapuissance publique sur la culture proprement dite. Ainsi, de nombreusesgrandes entreprises ont des collections d’œuvres d’art telles qu’elles ouvrentdes musées privés. Des hommes d’affaires et milliardaires n’hésitent pas àréaliser du mécénat et par leur philanthropie alimentent de grandesfondations (qui portent d’ailleurs souvent leur nom) et qui ont développédes actions dans le secteur de la culture, des arts et de l’enseignementartistique (des grands musées comme le Metropolitan ou Guggenheim àNew-York, les Fondations comme Ford, Carnegie, etc). Les industriesculturelles, mettant en œuvre les bases d’un véritable management culturel,se sont dès le départ développées sur un modèle d’entreprises privéesavec au fil des décennies un mouvement de forte concentration financièrefaisant des grands groupes américains du secteur les principaux protago-nistes d’un oligopole mondial des industries de l’entertainment et des médias

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(Time Warner, Disney, Fox,...). Ainsi, depuis les années 1950, l’industrieaméricaine du cinéma, concentrée à Hollywood, domine non seulementéconomiquement mais aussi symboliquement, la distribution des films àgrand succès et la consécration des grandes vedettes.

Culture et artLa culture est aussi indissociable du patrimoine artistique, dans le

sens où elle est un rattachement à des valeurs traditionnelles. Cet aspectde la culture est beaucoup plus marqué en Europe et en Asie, qu’enAmérique et surtout aux États-Unis, pour des raisons historiques évidentes.

Néanmoins, les États-Unis admirent le patrimoine culturel européen,car il s’agit de leurs racines culturelles: on le constate dans les acquisitionsdes œuvres d’art, dans leur présence dans les lieux artistiques (Paris,Bruges, Venise, Égypte…), dans les mécénats américains pour larestauration de quelques éléments symboliques du patrimoine européen(château de Versailles…), dans les échanges musicaux (chefsd’orchestre…), etc. Le respect des Américains pour l’histoire monarchiquede la France paraît surprenant au premier abord, mais il révèle cetattachement à un patrimoine historique qu’ils n’ont pas, et unereconnaissance au rôle joué par la France dans l’Histoire et dans la défensedes libertés aux États-Unis.

Lorsqu’on parle de patrimoine, on pense le plus souvent àl’architecture, mais c’est aussi la sculpture, la peinture, le vitrail, la musique,la littérature, le folklore, la langue…

En Asie et en Afrique du Nord, on trouve un patrimoine extraordi-nairement riche, dans les civilisations chinoise, indienne, arabe et berbèrepar exemple. Le patrimoine de l’Afrique noire est aussi redécouvert (artspremiers).

Culture et techniqueSciences et techniques sont en interaction permanente, puisque les

techniques sont les applications des sciences dans la société. Parler desmanifestations techniques de la culture revient donc à aborder ses relationsavec les sciences.

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On constate, depuis plus de trois siècles, une incompréhension en-tre les sciences (plus précisément les sciences «exactes») et la culture,voire à des conflits.

Jacques Ellul a notamment développé la thèse selon laquelle latechnique s’auto-accroît, imposant ses valeurs d’efficacité et de progrèstechnique, niant l’homme, ses besoins, et notamment sa culture.

Claude Allègre note, dans Un peu de science pour tout le monde:«Dans un monde que la rationalité façonne, l’irrationalité tend à

prendre le pouvoir, comme le montre l’essor sans précédent des astrologues,cartomanciens, et sectes de tout poil. La raison principale de cette dériveest qu’au nom d’une spécialisation nécessaire et toujours exigeante, lesscientifiques se sont isolés et ont laissé la science s’abstraire de la culturegénérale. Or, il n’y a pas d’avenir pour un savoir humain, quel qu’il soit, endehors de la culture, et il ne saurait être de culture dans le monded’aujourd’hui qui tienne la science à distance».

Le philosophe Hans Jonas montre en effet, dans le Principe responsa-bilité (1979), que l’homme tend à adopter, vis-à-vis de la science et surtoutde ses applications technologiques, un comportement prométhéen. Il prônele principe de précaution et se trouve à l’origine des principes philosophiquesdu développement durable.

L’astrophysicien Jean Audouze, ancien directeur de l’Institutd’astrophysique de Paris, dresse le même constat, et appelle de ses vœuxune réconciliation entre la science et la culture.

La culture par rapport à la natureBeaucoup de personnes aujourd’hui identifient souvent la culture

ou la «civilisation» à un état évolué de l’humanité, qui s’opposerait, seloneux, à l’état sauvage, la «nature» étant un état sauvage selon eux. Beaucoupde projets réalisés du xviiie siècle au début du xxe siècle, qui eurent lieudans le cadre de la révolution industrielle, s’orientèrent dans le sensprécédent.

Tel n’était pourtant pas le cas de beaucoup de philosophes desLumières, comme John Locke qui fonda la philosophie politique sur la loide la nature (law of nature), Robert Boyle, auteur d’ouvrages sur la méthode

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expérimentale (voir philosophie de la nature), Jean-Jacques Rousseau(rêveries d’un promeneur solitaire), Samuel von Pufendorf (qui inspirala constitution des États-Unis), ou de nombreux courants de peinture auxixe siècle (école de Barbizon, impressionnisme…).

Dans les dernières décennies, de nombreux philosophes se sontinquiétés des rapports avec la nature (René Dubos, Hans Jonas…).

Selon la philosophie moderne, et en particulier dans le sillage deClaude Lévi-Strauss, on considère que la culture est naturelle à l’homme,en tant que tous les hommes en ont une et qu’un quelconque «état denature» (état pré-culturel) ne serait que pure fiction. Pour ce thème, voirl’article Jean-Jacques Rousseau.

Des découvertes récentes tendent à démontrer que la nature, lebiologique, influence la culture. Par leurs recherches, Robert Stoller et sescollaborateurs ont montré que, dans des cas d’erreur sur la déterminationdu sexe à la naissance résultant d’une anomalie biologique non apparente,des forces de la nature agissent «sur les attitudes et comportements d’unenfant à travers ses jeux, son habillement, ses choix de partenaires de jeu,etc., autrement dit, que l’inné peut influencer l’acquis».

Voir aussi: état de nature, Philosophie de la nature, développementdurable.

Même si la culture physique était à l’origine cantonnée aux gymnases,le développement des activités sportives modernes tend à se rapprocherde la nature: alpinisme, ski (notamment le ski de fond), cyclisme, kayak,canyoning…

Culture générale d’un individuLa culture d’un individu, aussi appelée culture générale, correspond

à l’ensemble des connaissances qu’il a sur le monde.Elle est en partie construite par l’éducation et l’enseignement, mais

comprend de surcroît une part de construction active de la part de l’individu.Elle comprend aussi une dimension de structuration de l’esprit, vis-à-visde l’ensemble des connaissances: La culture est ce qui reste lorsque l’on atout oublié (attribué en général à Édouard Herriot). Cette structurationdonne au sujet cultivé la capacité de rattacher facilement un quelconque

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domaine d’étude à ses connaissances. C’est la culture générale.Ainsi, la culture générale peut inclure des connaissances aussi diverses

que l’Histoire, la musique, l’art, la littérature, les sciences, l’astronomie, lagéographie, la philosophie, le cinéma, le sport…

On voit cependant que cette conception de la culture, qui peutparaître élitiste, correspond en fait à la définition de la culture individuelle.Les cultures de différents groupes sociaux (culture populaire par exemple)peuvent comporter des formes de connaissances plus variées ou plusparticulières.

Par rapport à ces formes de culture, la culture générale est le fondde culture minimal que devrait posséder un individu pour pouvoir s’intégrerdans la société.

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LIRE ET ECOUTER AVEC L’ESPRIT CRITIQUE

L’esprit critique ne consiste pas à tout critiquer mais à tenir pourvrai uniquement ce que l’on a vérifié. Que ce soit à l’aide de la logique, dela statistique, des probabilités ou de l’argumentation.

Tout lecteur et auditeur de discours argumentatifs sera intéressé parce texte qui propose quelques moyens pour élaborer sa propre opinionsans se laisser abuser par des discours manipulateurs ou erronés.

Reconnaitre les textes volontairement absconsBeaucoup d’écrits argumentatifs, au cours de ces dernières

décennies, sont mal structurés (pas d’annonce du plan, pas de repèresdans le texte), contiennent des raisonnements erronés, un vocabulaireinutilement compliqué et regorgent de citations (alors qu’une référencesuffirait si l’auteur avait ses propres idées).

Certes, cela peut s’expliquer par le fait que le nombre d’écrivainsest très important comparé au nombre de questions traitées. Par ailleurs,les journalistes qui sont pressés par le temps (quotidien, hebdomadaire,journal télévisé...) cherchent d’abord à être les premiers à donner uneinformation et non à être clairs et objectifs.

De plus, notamment dans les sciences humaines, un certain courantde pensée: le relativisme, suppose que chaque opinion se vaut. Or, s’il estvrai que l’évolution de l’environnement socioculturel peut relativiser unethéorie portant sur l’être humain, il est faux de croire que tous les points devue se valent. À plus forte raison encore dans les sciences de la nature oumathématiques.

Afin de mieux repérer les textes inutilement compliqués, voiciquelques expressions devant éveiller votre esprit critique:

• Depuis la nuit des temps• Depuis toujours• Il est connu

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• Il y a longtemps qu’on le sait• Il est de notoriété publique• Tout le monde sait• On sait bien queEnsuite, pour y voir plus clair dans la multitude de textes que l’on

peut lire ou entendre voici quelques méthodes:Méthode de questionnementUne étude crédible doit répondre aux questions Quoi, Qui/Pour

Qui, Où/Quand/Comment et Pourquoi. Si elle ne répond pas à toutes cesquestions elle doit le dire explicitement.

Méthode de DescartesDécomposer un problème, progresser du plus simple au plus

complexe, tout vérifier et ne rien oublier.Méthode scientifiqueTout phénomène présenté comme véridique ou scientifique doit

répondre à ces critères:• la logique et la validité. Quelles sont les prémisses et les preuves?

Sont-elles valides? Les preuves apportées sont-elles suffisantes? Lestémoignages présentés sont-ils valides? La conclusion est-elle inéluctable?

• la falsifiabilité. Tout énoncé doit être falsifiable, c’est-à-dire qu’ildoit exister au moins une façon de prouver qu’il est faux. On doit doncpouvoir le tester.

• la réplicabilité. Peut-on reproduire le phénomène?• l’exhaustivité. Existe-t-il d’autres explications, notamment plus

simples? N’a-t-on oublié aucun cas?L’implication, symbolisée par =>, est source de confusion. Voici ce

que l’on peut déduire de A => B:

(A => B) <=> (non A => rien)(A => B) <=> (B => rien)(A => B) <=> (non B => non A)

On voit que seule la contraposée, non B => non A, est déductiblede l’implication A => B. Afin de vérifier qu’une implication n’est pas

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incohérente il est très utile de la transformer en sa contraposée pour voir larelation sous une autre forme qui n’en est pas moins équivalente.

Abordons maintenant les relations de cause à effet. En général, iln’y a pas de similitude entre la cause et l’effet qu’elle produit. Un lien decausalité implique une corrélation mais une corrélation n’implique pasforcément un lien de causalité. La méconnaissance de ces deux principesest souvent à l’origine d’une mauvaise compréhension des phénomènes.

Chaque fois que la cause et l’effet sont très rapprochés dans letemps, on doit se demander si l’effet renforce la cause ou si, au contraire,il la diminue: ce sont les deux évolutions possibles de la rétroaction positive.Des exemples sont l’inflation ou le succès.

Si le phénomène évolue vers la stabilité alors on a à faire à unerétroaction négative. Lorsque l’effet augmente il induit une diminution de lacause et inversement. Un exemple est la loi de l’offre et de la demande.

Bref, lorsqu’un texte parle d’un phénomène, ne confondez pas liensde causalité et corrélations et sachez reconnaitre les deux types derétroaction.

Déjouer le «parler correcte»Le «parler correct», aussi appelé «politiquement correct», est un

type de discours qui consiste à utiliser certains mots ou expressions dansle but général de désinformer afin d’empêcher toute réflexion ou débat surun sujet donné.

On distingue au moins trois types de mots ou expressions:• Les mots ou expressions consensuels.• Les abus d’euphémismes, d’oxymorons...• Les mots scientifiques inventés ou détournés.Quelques exemples du «parler correct»:1. Transparence, traçabilité.2. Non-entendant pour sourd, technicien de surface pour balayeur,

sans-papier pour clandestin; guerre propre (oxymoron).3. Trouble d’angoisse sociale pour timidité (expression inventée aux

États Unis afin de vendre un antidépresseur, le Paxil, ce qui a fonctionné...).Les mots ou expressions consensuels permettent de satisfaire tout

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le monde et ainsi n’ont plus aucun sens. On ne peut donc plus critiquer lemot puisqu’il n’a pas de sens précis.

Les abus d’euphémismes permettent de ne pas choquer les «bien-pensants» et de faire croire hypocritement que la société acceptel’anormalité. Toutes ces figures de style utilisées à des fins de manipulationont été employées depuis l’Antiquité grecque mais aujourd’hui seuls lespublicitaires, les journalistes et plus généralement les écrivains semblentles connaitre. Elles peuvent donc êtres très efficaces.

Enfin, les mots scientifiques inventés ou détournés augmententartificiellement leur crédibilité, ils permettent d’empêcher l’accès à lasignification du mot et de changer leurs définitions en fonction descirconstances. Ce dernier point est aussi valable pour les mots consensuels.

Sans être directement lié au parler correct, le manichéisme est uneattitude qui le complète très bien. Ainsi, dans les débats d’opinions, unedes erreurs les plus fréquentes consiste à être pour ou contre. Comme si lamajorité des problématiques ne permettaient que deux réponses possibles.Très souvent la question est mal posée ou les réponses proposées àl’avance. De toute manière il est important de prendre du recul par rapportau problème et d’étudier les principaux points de vue.

La valeur des statistiquesLes résultats des sondages doivent être pris avec beaucoup de

prudence. En effet, même si la technique d’échantillonnage semble au point,deux formulations différentes d’une même question peuvent donner desréponses contradictoires. Par ailleurs, beaucoup de résultats statistiquesn’ont pas de sens car la définition de l’objet de la mesure est imprécise oupire la grandeur considérée n’est pas mesurable. On n’oubliera pas, parexemple, que la plupart des comparaisons statistiques internationales nesont pas valables car les méthodologies sont différentes d’un pays à l’autre.

De plus, les personnes interrogées peuvent ne pas maitriser le sujetet donc leurs réponses ne refléteront pas leurs opinions puisqu’elles nepourront alors en avoir. C’est le choix de réponse classique «ne sais pas»qui est souvent trop peu utilisé par les interrogés. Si le pourcentage de cetteréponse dépasse 25% vous pouvez mettre en doute l’intérêt des réponses.

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Ces deux remarques entrainent qu’une grande partie des sondagessont erronés et donc inutilisables. Il est vrai, cependant, que les sondagespolitiques ou sur les achats futurs renseignent sur les croyances et les besoinsà court terme des sondés. À condition que ces derniers soient conservateursdans leurs habitudes et qu’une nouvelle mode n’apparaisse pas...

On peut surmonter le problème en posant les mêmes questions sousdes formulations différentes mais cela double ou triple l’échantillon depersonnes à interroger. Ensuite il faudrait aussi instruire les gens afin qu’ilscomprennent les conséquences de leur opinion. Au final, les statistiques nesont qu’une méthode qui permet d’obtenir un «instantané» d’opinions avectous les biais que cela peut entrainer.

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LA CONSCIENCE, LES COMMANDEMENTS ETLA LIBERTÉ

Comment, dans la vie concrète, la conscience parvient-elle àtirer son épingle du jeu, au milieu des impératifs moraux?

Rappelons d’abord un principe essentiel de la tradition éthique del’Église: on doit toujours suivre sa conscience morale, même si elle esterronée. Mais une conscience erronée n’excuse pas systématiquementl’auteur du mal qui a été commis, car il peut être responsable de l’erreurde sa conscience, faute de l’avoir sérieusement éclairée.... C’est un principetrès équilibré... car il tient les deux bouts de la chaîne: la conscience moraleest une instance essentielle de l’agir quotidien, et cependant elle peut êtrevictime d’errements. Aussi le devoir éthique le plus urgent est-il de l’éclairerauprès des exigences de la raison droite et, si l’on est chrétien, par l’écoutedes données de la Révélation.

Comment définissez-vous exactement la conscience morale?La langue française utilise le même mot conscience pour désigner

deux réalités distinctes et pourtant en interaction profonde. La consciencemarque d’abord le fait que je suis conscient de moi-même; à la différenced’une pierre qui n’a aucun recul par rapport à elle-même, l’homme saitqu’il pense. C’est la conscience psychologique ou réflexive. Celle-ci peutêtre très forte à certains moments où j’exerce activement ma lucidité, maiselle s’estompe si je m’assoupis et elle disparaît presque totalement si jeperds connaissance.

Qu’est-ce qui différencie la conscience morale de ce sentimentde lucidité sur soi?

Conscience morale et conscience psychologique sont apparentées,car il est indispensable de savoir que l’on pense pour faire des choix moraux.

La conscience morale n’est pas seulement lucidité, elle prescrit. C’est

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une instance qui me dit: «Deviens plus conforme à ce que tu es: un êtrehumain; ‹fais ton métier› d’homme ou de femme, c’est-à-dire fais le bien,recherche ce qui humanise»... L’expression ‹conscience morale› désigned’abord le sens éthique fondamental qui habite tout homme. L’exigenceéthique fondamentale [est] bien formulée par Emmanuel Kant: agis de tellefaçon que la maxime de ton action (ce qui l’inspire en profondeur) puissedevenir une loi universelle, c’est-à-dire une loi valable pour tout hommeplacé dans les mêmes conditions d’action.

Le tribunal devant lequel doit comparaître tout acte humain est donccelui de l’universalité. Avant d’agir, chacun doit s’interroger: si tous leshommes faisaient ce que je fais, aboutirait-on à la violence généralisée oubien à la promotion de chaque personne dans ce qu’elle a d’unique?

Comment la conscience morale va-t-elle procéder pourdébrouiller l’écheveau des exigences contradictoires?

Elle va d’abord se référer aux grands principes de l’éthique, commecelui-ci que Kant a formulé et qu’on appelle ‹impératif catégorique›: «Netraite jamais l’humanité, en ta personne ou en celle d’autrui, simplementcomme un moyen, mais toujours aussi comme une fin».

Ensuite ces grands principes devront être confrontés à des règlesconcrètes, appelées ‹normes d’agir› dans le jargon des moralistes...

Enfin, troisième élément à prendre en compte, la situation concrète,en ce qu’elle a de singulier. Prenons le cas du militant syndicaliste quienvisage de déclencher une grève. Il devra, en son âme et conscience,décider si cette grève-ci, va ou non, en ce moment et dans cette entreprise-là, dans le sens de la justice sociale et du respect des personnes.

Cette nécessité d’être attentif à la situation concrète n’estpas très souvent rappelée dans les textes magistériels.

Pourtant saint Thomas d’Aquin fait remarquer que le discernementmoral se termine toujours dans le singulier, c’est-à-dire dans ce qui estunique au monde. Par exemple, la médecine est une ‹science pratique›: lemédecin ne soigne pas l’homme avec un grand H mais cet homme-ci,avec ses problèmes particuliers de santé. Et il exercera mal son métier s’il

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ne prend pas au sérieux ce que ce patient a d’unique. La morale est égale-ment une ‹science pratique›, car elle débouche toujours sur l’examen d’unesituation singulière. Cette grève-ci (et non la grève en soi) est-elle confor-me aux exigences de la justice? Le recours de ce couple précis à telleméthode de régulation des naissances est-il réellement en accord avec lesexigences de l’amour évangélique? Le refus de cet homme de porter lesarmes, dans cette situation singulière, correspond-il à un véritable servicede la paix?

L’héroïsme auquel conduit un jour ou l’autre, momentanément, toutevie morale authentique, ne doit cependant jamais conduire à un héroïsmeinjustifié dû à un mauvais discernement opéré par la conscience. Il est bonde se rappeler à ce propos la parole du Christ: Mon joug est doux et monfardeau léger (Mt 11,30).

Y a-t-il des repères qui aident à faire face aux situationsdifficiles que la vie apporte?

Il existe notamment un repère, trop oublié, que l’Église a repris àson compte après l’avoir emprunté à Aristote: l’épikie, mot grec signifiantl’équité. Il s’applique d’abord aux lois humaines. Mais un géant de lathéologie morale, Alphonse de Liguori, affirmait que l’épikie pouvaits’appliquer aux préceptes de la loi naturelle.

L’épikie prend au sérieux la singularité d’une situation et reconnaîtque, parfois, pour mieux observer l’esprit de la loi, il faut en transgresser lalettre: cela afin de pouvoir sauvegarder des valeurs essentielles.

Donc le recours à l’épikie conduit à une décision de consciencequi, en raison de la complexité ou du tragique d’une situation singulière,estime que le législateur lui-même aurait reconnu que sa loi ne s’appliquaitpas dans ce cas-là.

Tout cela est trop peu connu des chrétiens!Oui, et il faudrait ajouter un principe comme celui dit ‹du double

effet›, qui permet de solutionner, au moins mal, des situations douloureuses,parfois tragiques. Ce principe permet d’éclairer les consciences dans lescas -ils sont nombreux- où une action produit simultanément un effet bon

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et un effet mauvais... Celui qui décide ne peut se réfugier de façon irres-ponsable derrière la lettre du principe. Il est obligé d’entrer dans un jugementde proportionnalité des maux, jugement qui a quelque chose d’angoissant,et qu’il faut opérer devant Dieu, et avec grâce.

Vos propos soulignent finalement que l’on ne peut dissocierla prise en compte de la loi morale et la responsabilité de la personnequi agit.

Exactement! Les meilleures sagesses séculières, et la Tradition del’Église, estiment que l’obéissance irréfléchie à la loi est contraire à l’éthique.On doit donc toujours choisir une obéissance s’inspirant de la loi, mais quitienne compte de la singularité des conflits de valeurs, et de la possibilitédes personnes d’assumer ou non, ici et maintenant, avec l’aide de Dieu,telle ou telle exigence. C’est l’honneur de la tradition casuistique d’avoirbien fait comprendre cela.

Ce n’est pas à l’heure où la société civile redécouvre l’importancede la casuistique en créant des comités de réflexion sur les sciencesbiomédicales, sur l’audiovisuel, sur les questions d’informatique et de li-berté, que l’Église doit oublier sa propre tradition. Il lui faut, au contraire,l’explorer de nouveau. (Xavier Thévenot).

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__________1. Sondage C.S.A. publié par l’Actualité Religieuse dans le Monde, mai

1994.2. Enquête réalisée par Le Nouvel Observateur, n°1311.

DIEU ET LA SCIENCE

Peut-on encore croire en DIEU dans un mode scientifique?

Les Français répondent:1

• 49% constatent effectivement que: «plus les connaissancesscientifiques progressent, plus il est difficile de croire en Dieu».

• Perplexes les Français, mais pas pour autant athées!• En effet, seulement 32% estiment que: «croire en Dieu n’est plus

nécessaire à notre époque».• Et 61% considèrent l’existence de Dieu certaine ou probable.

Les scientifiques répondent:2

• «La moitié des chercheurs du CNRS déclarent aujourd’hui avoirla foi ou quelque chose qui s’en approche».

• Et «70% d’entre eux s’accordent à penser que la science nepeut à ce jour exclure ou réhabiliter l’idée de Dieu».

• Ainsi, même si «on a longtemps pensé que la science allait chasserla fonction religieuse, c’était une erreur», comme le souligne l’astrophysicienHubert REEVES. Erreur, tout simplement parce que science et religionn’abordent pas les mêmes questions:

• La science décrit les phénomènes, les mécanismes, les principesauxquels nous sommes soumis, en un mot le «comment» de notre existence.Cependant, «notre soif de signification et d’espérance n’est pas prise encompte par la science car on ne sait pas l’introduire dans les équations!»(Pierre Karli, Académie des Sciences).

• La foi, de son coté, s’intéresse aux questions existentielles

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concernant le sens de notre vie ici-bas et dans l’au-delà, l’existence deDieu, notre relation avec Lui, en un mot le «pourquoi» de notre existence.

Les limites de la science«Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien? Pourquoi l’univers

est-il apparu? Aucune loi physique déduite de l’observation ne permet derépondre... Les physiciens peuvent remonter jusqu’à 10-43 seconde, maispas au-delà».3 Avant ce temps extrêmement faible, «c’est le mystère to-tal».4 La science, avec toutes ses lois, n’expliquera jamais comment on nepasse de rien à «quelque chose», ne fût-ce que le premier atome.

En revanche, on a découvert que toutes les forces et constantesphysiques qui régissent l’univers sont très minutieusement ajustées. A titred’exemple:

• Augmentez de 1% la force nucléaire, qui contrôle la cohésion dunoyau atomique, et nous n’aurons plus d’hydrogène, donc plus d’eau, nid’ADN, et pas conséquent plus de vie!

• Diminuez cette force de 1%, et vous rendrez impossible toutefusion nucléaire, donc plus d’étoiles, plus de soleil, et par conséquent plusde vie!

Ainsi, pour expliquer la fabuleuse précision du réglage, il faut postulerl’existence d’un principe créateur et organisateur. Telle est la conclusionde l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan. Il compare même la probabilité quenotre univers soit issu du hasard à celle d’un archer réussissant à planter saflèche au milieu d’une cible carrée de 1 cm de coté, et située à l’autre boutde l’univers.

Autant dire que cette probabilité est quasi nulle, et que «l’origine dela vie paraît tenir actuellement du miracle, tant il y a de conditions à réunirpour la mettre en œuvre» (Francis Crick, prix Nobel de biologie).

A ce stade, nous atteignons les limites de la science. L’étape suivanten’est pas de son ressort, mais de celui de la foi:

__________3. Dieu et la science, de Jean Guitton et les frères Bogdanov.4. Les passages cités sont extraits de la Bible.

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Par la foi, nous comprenons que l’univers a été harmo-nieusement organisé par la parole de Dieu, et qu’ainsi le monde visi-ble tire son origine de l’invisible.5

Un pas de foi, que nulle démonstration ne pourra remplacer... Unpas de foi, mais pas un saut dans le vide!

Osons donc les vraies questions: Dieu existe-t-il? S’il m’acréé, qu’attend-t-il de moi? Qu’y a-t-il après la mort?

Questions essentielles, déterminantes même dans une sociétémoderne... Et pourtant nous les négligeons! Pourquoi?

Est-ce par crainte de ne pas trouver de réponse?Et puis, direz-vous, encore faut-il savoir où et comment chercher la

vérité! Tant de voix se font entendre au nom de la vérité. Laquelle écouter?Le Dieu de la Bible ne veut pas nous laisser dans une angoisse

existentielle. Il nous fait cette promesse:Moi, le Seigneur, je vous le déclare: si vous me cherchez de tout

votre cœur, je me laisserai trouver par vous.6

Il certifie également:Je n’ai pas parlé en cachette, dans quelque endroit obscur. Et

je n’ai pas recommandé... de me chercher là où il n’y a rien. Moi, leSeigneur, je parle franchement, ce que j’annonce est clair et net.7

Dieu a effectivement «parlé franchement»: il nous a laissé une gran-de lettre, la Bible, qui affirme être inspirée de Dieu.8

Est-ce par appréhension de découvrir une vérité qui dérange?En réalité, ce sont vos torts qui dressent une barrière entre vous

et votre Dieu.9

__________5. Épître aux Hébreux, ch.11, v.3.6. Livre de Jérémie, ch.29, v.4.7. Livre d’Esaïe, ch. 45, v.19.8. Deuxième épître à Timothée, ch.3, v.16.9. Livre d’Esaïe, ch.59, v.2

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Nous avons tous quelque chose à nous reprocher, des fautescommises que notre conscience nous rappelle de temps à autre et plusparticulièrement quand nous pensons à Dieu. Dans ces moments, il paraîtplus facile de fuir la question de Dieu, quitte à présenter quelques arguments,et de garder notre culpabilité enfouie. Et pourtant, comme le montre cetémoignage, il existe une autre alternative:

Je t’ai avoué ma faute. Je ne t’ai pas caché mes torts. Je mesuis dit: je suis coupable devant le Seigneur. Et toi, tu m’as déchargéde ma faute.10

Est-ce par désir d’indépendance, par crainte de se soumettreà quelqu’un au-dessus de moi?

Si nous sommes issus du hasard, ou d’une coupe cosmique bienimpersonnelle, nous n’aurons de compte à rendre à personne, et nousresterons les petits maîtres de notre vie, comme l’exprimait Sartre: «Il n’ya rien au ciel, ni bien, ni mal, ni personne pour me donner d’ordres, car jesuis un homme, Jupiter, et chaque homme doit inventer son chemin!».

Si par contre nous sommes créés par Dieu, quelles seront lesimplications pour nos vies?

Peut-être est-ce pour d’autres raisons?Mais quoi qu’il en soit: «Tiens compte de ton créateur...»,11 de Celui

qui t’a donné la vie et te déclare: « Tu as du prix à mes yeux... Je t’aime».12

M.C.F.

__________10. Psaume 32, v.5.11. Livre de l’Ecclésiaste, ch.12, v.3.12. Livre d’Esaïe, ch.43, v.4.

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LA COMPRÉHENSION

La personne compréhensive reconnaît l’influence de diversfacteurs sur les sentiments ou le comportement, elle approfonditle sens de chacun de ces facteurs et leur interaction - et aide lesautres à faire de même - et elle en tient compte avant d’agir.

Nous allons maintenant traiter le thème de la compréhension dans lecadre des relations interpersonnelles. La définition ci-dessus n’évoque pasles conséquences d’une bonne compréhension. Mais il est clair que si l’onarrive à discerner les divers facteurs qui influent sur l’état d’âme ou lecomportement d’un autre, il sera plus facile de l’aider à s’améliorer ausens large. On peut même affirmer que le simple fait de se sentir comprispeut constituer une aide considérable à un moment donné.

Ainsi, une bonne raison de développer la vertu de compréhensionpeut être le désir d’aider autrui, en tenant compte de ses circonstances,ainsi que des facteurs les plus déterminants dans chaque cas.

Il faut se demander si cette vertu concerne aussi les petits, ouseulement les plus grands. Pour pouvoir répondre, nous devons avoir àl’esprit la motivation qui nous incite à comprendre les autres. Le désird’aider autrui selon ses besoins ne naît en principe pas avant le dévoilementde l’intimité, sauf dans certains cas, mais de façon plus superficielle. Je meréfère aux situations dans lesquelles les jeunes enfants se rendent comptede l’état d’âme de quelqu’un, ou découvre, au vu de son comportement,qu’il a besoin de quelque chose. Par exemple, si un enfant remarque quesa mère est très fatiguée, il se peut qu’il s’efforce de ne pas faire de bruitou qu’il l’aide dans des tâches domestiques. S’il remarque que l’un de sesfrères et sœurs est triste, il peut lui prêter ou lui offrir l’un de ses jouetspour lui rendre sa gaieté. Mais ces réactions sont généralement affectives,et découlent des sentiments que l’enfant éprouve pour la personne. Ils’efforce de remettre chaque chose à sa place: que sa mère se repose et

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que son frère soit content. Il «comprend», en effet, qu’il manque quelquechose pour que les relations soient comme elles devraient être. Il ne sepréoccupe guère des causes de la situation anormale. Il n’essaie pasd’approfondir.

A cet âge, la tâche des parents consiste raisonnablement en ceci:aider les enfants à reconnaître les caractéristiques de chacun des membresde la famille; à remarquer quels sont les moments les plus opportuns pourparler, poser une question, etc.; à se rendre compte des différents étatsd’âme des autres et à poser les questions suivantes: qu’est-il arrivé à l’autrepour qu’il se comporte ainsi? Qu’est-ce qui le rend si triste, ou si gai, etc.?De cette façon, l’enfant discerne peu à peu les facteurs pouvant influer surle comportement d’une personne; mais la compréhension, à un niveauplus profond, ne viendra qu’avec sa propre expérience des sentimentsmanifestés par les autres.

Et cela soulève une question importante: peut-on comprendre l’autresans avoir soi-même vécu ce qui lui arrive? Si «comprendre» signifie recon-naître les facteurs qui influent sur les sentiments ou sur le comportementd’une personne, la réponse est affirmative, car tout ce dont on a besoin,c’est de sa propre expérience, et d’avoir rencontré d’autres personnesdans la même situation ou dans une situation similaire. Du moins peut-onarriver à comprendre suffisamment la personne pour l’aider à surmontersa difficulté ou l’aider à progresser. De toutes façons, il faudrait tenir comptedu danger que suppose le transfert des propres sentiments et réactions surl’autre, simplement parce que ses circonstances paraissent semblables àcelles que l’on a connues. La compréhension n’est pas seulement le fait desentir avec l’autre, à savoir la sympathie, mais aussi essayer de voir leschoses de son point de vue: l’empathie. La compréhension ne se développeque si la personne saisit l’importance de cette vertu et de sa mission d’aiderles autres.

L’empathieIl paraît clair que les parents, pour l’éducation de leurs enfants,

devraient se poser les questions suivantes:• Comment aider les enfants à se trouver personnellement dans les

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meilleures conditions pour comprendre les autres?• Comment faire en sorte qu’ils apprennent à voir la personne avec

empathie, en sachant reconnaître les divers aspects qui influent sur sessentiments et son comportement?

• Comment leur apprendre à communiquer leur compréhensionpour pouvoir aider l’autre?

Conditions pour pouvoir être compréhensifL’observation de nos rapports avec les autres dans la vie quotidienne

peut révéler plusieurs vérités. La première a trait aux conditions requisespour que la personne puisse recevoir une information. Si l’on essaie de luicommuniquer un message alors qu’elle est préoccupée par un problèmepersonnel, le plus probable est qu’elle n’écoute pas ou, du moins,n’enregistre pas ce qu’on a à lui dire. Si, par exemple, un père donne unesérie d’instructions à son fils au moment où ce dernier veut raconter unaccident dont il a été témoin, il est probable que l’enfant n’écoutera passon père. C’est ce qui arrive également lorsqu’on essaie de comprendreles autres. En effet, si les enfants sont centrés sur leurs problèmes, il estlogique qu’ils ne s’ouvrent pas suffisamment pour se préoccuper des autres.La leçon est facile à comprendre, mais pas si facile à mettre en œuvre. Sinous voulons que nos enfants soient en mesure de comprendre les autres,il faudra les aider en premier lieu à oublier leurs propres problèmes. Maispeut-être le terme «oublier» est-il impropre. Il s’agit plutôt de les situer àleur juste place -importante ou secondaire- et de mettre les moyens pourles résoudre. L’expérience montre encore une fois que la tension intérieuredisparait en grande partie lorsque l’on met les moyens pour surmonter unedifficulté, c’est pourquoi les principaux obstacles à la compréhension sontceux qui semblent insolubles. Ils provoquent un état d’esprit où la personneressasse indéfiniment son problème, sans pouvoir ni trouver la lumière, nise tourner vers les autres.

Ainsi, nous verrons comment l’enfant qui a appris à s’appuyerraisonnablement sur ses propres forces, sur l’aide de ses parents et desautres et, pour certains, sur l’aide de Dieu, cet enfant est déjà en mesured’essayer de comprendre les autres.

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Par ailleurs, il faut aider les enfants à ne pas avoir de préjugés. Nousavons déjà traité de ce problème, mais il s’agit à présent d’en examiner lesaspects typiques chez l’enfant. Comprendre, c’est recevoir l’informationsans juger la personne. C’est pourquoi, si l’on rejette le comportement del’autre dès le départ, il sera difficile de prêter suffisamment attention auxfacteurs qui l’ont déclenché. Par exemple, un père peut se fâcher contreson fils parce que ce dernier l’a insulté. La seule chose qu’il perçoive estl’insulte, sans même chercher à comprendre l’enfant ni le pourquoi de cetacte. L’enfant voulait-il vraiment insulter et contrarier son père? Ou cetteinsulte exprime-t-elle une peine intérieure qu’il ne veut ou ne peutcommuniquer? Ce sont la sérénité, la confiance en soi, la souplesse et labonne humeur qui permettent d’avoir un comportement tourné vers lesautres.

L’éducation de l’empathieIl serait absurde de croire que ces quelques lignes vont livrer la

recette de l’empathie, alors que tant d’experts étudient depuis si longtempsle sujet sans être parvenus à des conclusions unanimes. Presque tous lespsychologues s’accordent pour dire que l’empathie, le jugement positif etla chaleur humaine sont indispensables aux relations interpersonnelles. Maiscomment vivre et comment enseigner à vivre l’empathie? Chez certains,elle est innée, chez d’autres non. Ce que nous voulons, ici, c’est aider lesparents à éduquer leurs enfants: non pas leur donner un programme, maisleur faire quelques suggestions pour qu’ils puissent mieux faire.

Pour commencer, voici quelques éclaircissements dont l’adolescentaura besoin:

• Nous ne sommes pas tous égaux. Chacun réagit différemmentaux mêmes stimuli. Il ne faut pas croire que l’autre va ressentir la mêmechose que nous dans une situation donnée. Même si certains adultespersistent à le croire. On entend, par exemple: «Cela ne me gêne pas,pourquoi cela le gênerait-il?».

• Ce que les gens disent ou font n’est pas nécessairement le refletexact de leurs intentions ou de leurs sentiments intimes. Avant de considérerquels sont les facteurs les plus déterminants dans une situation, il faut savoir

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quelle est la situation réelle et non ce que reflète le comportement apparent.• Il est très facile d’être simpliste et de croire qu’il n’existe qu’une

cause à un problème donné. Il y a normalement tout un ensemble de cau-ses. Il ne s’agit pas de prendre la première cause pour la seule véritable.

• Dans les situations courantes - non pas dans les cas particuliers -le plus important pour l’autre, c’est sans doute de savoir que quelqu’uns’intéresse à lui tout en respectant son intimité.

• En dernier lieu, il faut se garder de vouloir tout comprendre.Cela est impossible. Cette difficulté apparaît clairement dans la réponsed’un père à sa fille qui lui reprochait de ne pas la comprendre: «Ecoute,ma chérie, comment puis-je te comprendre si tu ne te comprends pas toi-même?».

Nous pourrions résumer en disant que la compréhension à laquellenous visons devrait consister en une aide permettant à l’autre de secomprendre suffisamment pour pouvoir surmonter sa difficulté ouentreprendre une lutte en vue de s’améliorer.

De toutes façons, il faut tenir compte des différents types de facteursayant pu influer sur les sentiments ou sur le comportement d’une personnepour mieux cerner le problème. A cet égard, la tentation est forte dedemander directement à l’autre: «qu’est-ce-qui ne va pas?» La réponsesera évidemment, dans la plupart des cas: - «Rien».

Plusieurs choses peuvent être à l’origine de la situation:• quelque chose que la personne a fait. Il peut exister un lien très

étroit entre, par exemple, un état de tristesse chez un enfant et le fait quecelui-ci ait copié lors d’une interrogation écrite;

• quelque chose que la personne n’a pas fait, comme ne pas avoirtravaillé pour un examen;

• quelque chose qu’un autre lui a fait, comme la punition donnéepar le professeur à l’élève qui a copié et que cette punition attriste;

• quelque chose qu’un autre ne lui a pas fait;• quelque chose que la personne a pensé, vu, senti ou écouté.Les quelques exemples que nous avons donnés soulignent à quel

point il est difficile d’arriver à découvrir la ou les causes réelles du problème.En remarquant par exemple la tristesse de l’enfant, on a pu lui demander

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directement quelle en était la cause. Peut-être a-t-il répondu que leprofesseur l’avait puni. Mais est-ce bien ce qui s’est passé? Peut-être leprofesseur l’a-t-il pris en train de copier, peut-être s’est-il rendu comptequ’il n’aurait pas dû copier, ou qu’il aurait dû travailler davantage, peut-être un camarade s’est-il moqué de lui parce qu’il avait copié, etc.

L’aide à apporter variera suivant le cas. Si l’enfant s’est rendu comptequ’il n’aurait pas dû copier, il faudra l’aider à surmonter son dépit et àtravailler davantage. Mais s’il est triste parce que le professeur l’a pris enflagrant délit, la compréhension ne devra pas porter sur ce sentiment. Lacompréhension ne conduit donc pas nécessairement à l’acceptation dusentiment ou du comportement de l’autre. Elle suppose d’avoir découvertce qu’il lui arrive réellement pour pouvoir ensuite, de son point de vue -enl’acceptant tel qu’il est- chercher une voie d’amélioration.

Comment éduquer cette capacité chez les enfants? En les aidant àreconnaître les différents sentiments et comportements chez les autres: enéduquant leur sensibilité. Dans la pratique, cette éducation impliquera toutune série de questions telles que: «t’es-tu rendu compte que ton frère étaittrès content, fâché, triste, satisfait, etc.? Pour quelle raison? En es-tu certain?Quelles autres raisons peut-il y avoir? Pourquoi ton frère a-t-il fait cela?De plus, il ne s’agit pas seulement d’aider les enfants à comprendre leursfrères et sœurs, mais également leurs camarades, leurs professeurs et leurspropres parents. On a beaucoup dit que les parents devaient comprendreleurs enfants. Mais la réciproque est aussi vraie. Et cela, c’est le rôle dechacun des parents: que le père aide les enfants à comprendre leur mère etvice versa.

Savoir montrer que l’on comprendSelon le type de problème rencontré chez autrui, il faudra: le

comprendre et lui manifester notre compréhension; le comprendre et nerien lui montrer; montrer que l’on s’intéresse à lui sans essayer de trop lecomprendre. Il est préférable de comprendre et ne rien manifester lorsquel’enfant est capable de surmonter la difficulté tout seul. Cela peut être lecas d’un enfant contrarié par une affaire sans importance et qui se rendcompte qu’il s’agit d’une futilité. Y prêter trop d’attention pourrait alors

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produire le contraire de l’effet escompté, car ce serait exagérer une affaireque l’enfant désire oublier rapidement. Dans d’autres cas, l’enfant peutrésoudre le problème, mais non sans un soutien affectif: il a besoin desavoir que l’on s’inquiète de lui. C’est pourquoi il ne faut pas se montrertrop réservé. On peut ainsi faire la distinction entre comprendre la personne,ses sentiments, son comportement, et comprendre ce dont il a besoin.

Nous allons à présent considérer le besoin de se sentir compris. Ilexiste de nombreuses études sur les techniques de communication, maisl’objectif n’est pas de faire de nos enfants des experts en orientation deleurs frères et sœurs et camarades. Nous préférons ici commenterbrièvement quelques unes des façons d’agir pouvant faciliter le processussans rechercher la perfection.

• Il s’agit de montrer que l’on a compris sans juger. Il faudra doncsoigner la façon même de s’exprimer, en évitant les expressions impliquantdes jugements de valeur et en s’efforçant d’utiliser un langage descriptif.L’être humain se sent compris lorsque son interlocuteur lui répète, parfoisavec ses propres mots, ce qu’il a expliqué ou raconté, mais sans juger lecontenu.

• Il s’agit d’aider l’autre à résoudre un problème. Il faudra doncéviter les approches fondées sur des principes préétablis et dire: «Voyonsce que l’on peut faire», au lieu de: «Voilà ce que tu dois faire».

• Pour montrer que l’on a compris, il faut aussi du temps et desconditions adéquates. Il faut manifester affection et attention, ce qui estimpossible à faire si l’on est sans cesse interrompu par des appelstéléphoniques ou autres. Si un ainé désire aider son frère cadet, il estpréférable qu’ils sortent faire un tour ou qu’ils choisissent un endroit horsde chez eux où ils ne seront pas dérangés.

• Enfin, il s’agit de montrer que l’on n’est pas «au-dessus» duproblème de l’autre, ce qui laisserait à penser que, tout en comprenant cequi lui arrive, cela ne pourrait jamais nous arriver à nous. Attitudecondescendante manifestant, entre autres choses, notre incapacité àcomprendre.

D’après tout ce que nous venons de dire, il apparait clairement quela vertu de compréhension est capitale pour les parents, mais également

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pour les enfants, surtout les adolescents. Car ceux-ci peuvent fournir uneaide très efficace aux parents dans leurs rapports avec les plus jeunes. Lesparents ont parfois bien du mal à comprendre ce qui arrive à leurs enfants.Ceux-ci, au contraire, se comprennent entre eux à merveille. Le reconnaîtreest aussi faire preuve de compréhension.

Pour comprendre les autres, il faut déjà se comprendre soi-même.Nous devons lutter pour vaincre nos propres préjugés, pour éviter lessentiments indignes ou inutiles qui font obstacle à notre progrès personnel.En reconnaissant nos propres faiblesses, il faut éviter les circonstances quiles provoquent ou, du moins, se disposer à ne pas retomber dans le mêmesentiment ou le même comportement. Autrement dit, savoir rectifier. Leterme de «rectifier» s’applique en général à des actes injustes réalisés faceaux autres, mais il faut aussi penser à se comprendre soi-même. Lorsquenous pouvons connaître les causes principales de nos états d’âme ou denos comportements, cette compréhension nous donne la force de chercherl’aide nécessaire et de recommencer. Cependant, nous n’arriverons jamaisà nous connaître ni à nous comprendre parfaitement -et les autres encoremoins- car l’être humain est mystérieux.

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LA GÉNÉROSITÉ

La personne généreuse agit de façon joyeuse et désintéresséeen faveur des autres, consciente de la valeur de ce qu’elle leurapporte, et même si cela coûte un effort.

La générosité est une vertu difficile à apprécier avec objectivité. Enjugeant des actes généreux, nous nous intéressons plus à l’aide apportéequ’à la générosité elle-même. Si quelqu’un d’aisé offre une somme impor-tante à un parent nécessiteux, nous le trouvons logiquement «généreux»,alors que ce don ne lui a probablement pas coûté. Quel est le motif de sonacte? La conscience d’un besoin chez ce parent? Un sentiment deculpabilité? Il y a différentes façons d’être généreux; mais la générositédépend à la fois de l’effort qu’elle implique et de l’intention qui la motive.

On peut agir en faveur d’autrui de bien des manières, comme donnerou prêter des choses, offrir de son temps, pardonner, écouter, saluer,recevoir; tous ces actes impliquent une décision. La générosité, c’est réaliserquelque chose de bien, volontairement; c’est décider librement de sesdons, non pas au hasard, ou pour se débarrasser.

Savoir apprécier ce que l’on aUne des principales facettes de la générosité est la capacité

d’attribuer une valeur ajoutée à ce que nous possédons. La générositéprésuppose une faculté d’appréciation, qui peut être amoindrie par unjugement superficiel, une mauvaise évaluation de ses biens ou de sespossibilités, que l’on retrouve dans des expressions du type: «je ne suispas capable...», «je n’ai pas le temps...», «je ne sais pas faire...», alorsque, bien souvent, ni la capacité, ni le temps, ni le savoir-faire, mais lemanque de confiance en soi ou une mauvaise appréciation de ses aptitu-des sont en cause. Par ailleurs, l’évaluation des biens est difficile: un jouetcoûteux a-t-il plus de valeur que deux heures de mon temps? La réponse

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à cette question demande une hiérarchie des valeurs. Si l’on prend commecritère «la joie de l’enfant», mes deux heures valent assurément plus.

La difficulté à évaluer des biens obligent à un examen plus approfondide leurs différents aspects. Les biens tangibles, argent et objets, peuvent,bien sûr, être donnés, offerts ou prêtés. Cependant, certains ont tendanceà donner ce qui leur est superflu, sans tenir compte des besoins réellementéprouvés. A l’inverse, il ne faut pas être généreux au point de ne pluspouvoir assurer dignement son propre entretien. Le père de famille estresponsable en priorité de son épouse et de ses enfants. Il ne doit subveniraux besoins des autres qu’en second lieu.

Un autre danger consiste à donner des biens matériels comme unmoindre mal, pour s’épargner l’effort d’un don plus exigeant. C’est le casdu père qui comble ses enfants de cadeaux pour compenser le peu detemps qu’il passe avec eux.

On peut aussi donner de son temps. En fait, la disponibilité pourraitse définir comme la «générosité de son temps». Etre généreux de sontemps signifie être disposé à sacrifier à autrui un temps que l’on s’étaitréservé, par exemple interrompre la lecture du journal pour écouter unenfant, s’organiser de façon à passer dans le calme un moment avec safemme, ou s’occuper d’un ami. La valeur du temps se mesure tropcommunément en termes de rentabilité, de résultats visibles à court-terme;c’est pourquoi les critères établis ont très peu de valeur intrinsèque. Eneffet, la valeur du temps se mesure souvent par l’argent qu’il rapporte oule nombre de contacts professionnels qu’il permet d’obtenir. Alors qu’untemps bien utilisé peut être celui au terme duquel on a obtenu le sourired’un enfant auparavant triste ou mécontent. On peut être généreux de sontemps en travaillant, ou en créant une ambiance propice aux sentiments desérénité, de tranquillité, de sécurité, d’unité propre à un véritable foyer. Ence sens, et tout spécialement dans ce cas, il faut citer la valeur de la présencedu père à la maison.

Est généreux celui qui, pour rendre la vie agréable aux autres, faitdes efforts pour être aimable et poli envers ceux qui l’ennuient.

Mais il ne s’agit pas seulement de donner. On peut manquer degénérosité en ne sachant pas recevoir, en empêchant les autres de se montrer

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généreux à notre égard. C’est ainsi que certaines mères se surpassent enattentions pour leurs enfants. Elles ne leur permettent pas de contribuer aubien de la famille et les axent uniquement sur leur succès personnel ou leurbien-être. Même s’il part d’une bonne intention, ce comportement estnéfaste car l’être humain est fait pour s’oublier, se donner aux autres. Certes,il est plus facile de faire le travail soi-même que d’inciter les enfants à lefaire. Mais ce faisant, on les prive d’occasions d’être généreux.

Jusqu’à présent, nous avons parlé des actes généreux des membresd’une famille et les efforts qu’ils impliquent. Mais il est un acte encore pluscoûteux, l’aptitude à «pardonner», qui présuppose une grande sécuritéintérieure et le désir de servir les autres. Pardonner ne signifie pas minimiserles actes d’autrui, ni être naïf, mais lui reconnaître le droit à notre amour, ànotre générosité (parce qu’il nous a offensé), en lui montrant qu’on ne l’apas pour autant rejeté. C’est lui faire comprendre que, malgré ce qu’ilnous a fait, nous l’accueillons, nous croyons en sa capacité d’amélioration.

Motifs de la générositéIl semble donc évident que, pour être généreux, il faut avoir des

occasions de s’y exercer. Cela fait appel à la volonté, éclairée par la raison.Considérons à présent d’autres aspects de la définition initiale. Nous avonsdit: «la personne généreuse agit de façon désintéressée en faveur desautres».

Chez les jeunes enfants, la générosité est habituellement peudéveloppée, car ils ne savent apprécier ni ce qu’ils ont, ni les besoinsd’autrui, et ne sont pas encore capables de fournir beaucoup d’efforts.C’est pourquoi ils se montrent souvent très possessifs et incapable departager. Ou, au contraire, ils sont complètement indifférents et distribuentleurs biens au hasard, sans tenir compte des besoins des autres. On peutidentifier trois situations typiques que l’on retrouve à tout âge:

• les actes «généreux» uniquement en faveur des personnes aimées;• les actes «généreux» dans l’espoir d’une contrepartie;• les actes «généreux» intéressés.Nous allons aborder chaque situation au cas pas cas.Il est bien plus facile d’agir en faveur d’une personne sympathique.

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Les enfants (ainsi que les plus grands) ont tendance à se montrer généreuxenvers un frère ou un ami. Par contre ils éprouvent des difficultés à l’égarddes autres. On rencontre ce type de comportement aussi bien chez lesenfants que chez les adolescents, même si les enfants voient plutôt leschoses en noir ou blanc. Ils trouvent les gens sympathiques ou antipathiques,sans nuance. Et leur générosité se porte tout naturellement vers les premiers.

Est donc généreux celui qui, en fonction d’une hiérarchie des valeurs,s’occupe de ceux qui ont en ont le plus besoin sans uniquement tenir comptede critères de sympathie.

L’enfant ne peut évidemment pas atteindre ce niveau de générosité.Il devra d’abord apprendre à faire des efforts envers ceux qui lui sontsympathiques, en cherchant à leur faire plaisir. C’est pourquoi l’une desvéritables motivations de la générosité est d’en voir les effets dans la viedes autres. En accueillant les petits efforts de leurs enfants par un sourireou un remerciement enthousiaste, les parents les motivent à persévérer et,plus tard, à se comporter de la même façon vis-à-vis des autres.

La seconde situation fait référence à «l’acte généreux dans l’espoird’une contrepartie». Un enfant prête volontiers à un camarade, tout ensachant que, si besoin était, l’autre serait obligé de lui rendre l’appareil. Lamotivation, dans ce cas, est la contrepartie elle-même, et il n’y a rien demal à cela. On ne peut leur demander plus que ce qu’ils peuvent donner.C’est pourquoi il faudra leur fournir de multiples occasions de faire desefforts, fussent elles futiles. Ils acquièrent ainsi l’habitude de donner, depardonner, et l’on pourra par la suite les encourager à pratiquer cettevertu pour de meilleurs motifs.

Une illustration peut nous aider à mieux comprendre. À la veille desfêtes de Noël, un enfant reçoit un paquet de bonbons. Le jour de Noël,ses parents reçoivent douze personnes, et sa mère lui dit: «Si tu offrais unbonbon à chacun?». Lui sait que la boîte en contient quinze et, par uncalcul rapide, s’aperçoit qu’il ne va lui en rester que trois. Aussi répond-ilà sa mère: «Je ne veux pas». La maman se fâche, prend les bonbonsqu’elle offre elle-même en disant à son fils: «Ainsi, tu apprendras à êtregénéreux». Évidemment, l’enfant pense intérieurement: «Si c’est ça lagénérosité, pas pour moi. C’est nul…».

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Dans ce cas, la mère aurait pu lui suggérer d’offrir uniquement unbonbon à ses cinq cousins. Si l’effort avait été encore trop grand pourl’enfant, elle aurait dû accepter la situation calmement et lui expliquer lesraisons pour lesquelles son geste aurait été apprécié, et attendre une autreoccasion de l’engager dans cette démarche.

Le don intéressé est bien différent. Il n’entraîne pas le développementde la générosité. La personne pense d’abord aux bénéfices qu’elle vapouvoir en tirer et, seulement ensuite, à autrui. Le don intéressé conduitplutôt à l’égoïsme. Par ailleurs, l’enfant a tendance à être égocentrique. Lemonde tourne autour de sa personne. L’égocentrisme n’est pas grave ensoi, à condition que, lorsque l’enfant découvre que les autres ont besoinde lui, il ne ramène pas tout à lui.

Le ressort de la générosité est donc souvent le désir de faire plaisirà quelqu’un qui nous est sympathique ou l’espoir d’une contrepartie.Cependant, les parents peuvent ouvrir de nouveaux horizons à leurs enfantsen leur suggérant des actions qui peuvent être de vraies preuves degénérosité, ou en leur expliquant le besoin dans lequel se trouve unepersonne, pour qu’ils se surpassent et développent l’habitude d’agir enfaveur des autres. Il sera alors beaucoup plus facile d’obtenir un progrès siles parents donnent l’exemple et si chacun participe et rend service enfamille. C’est la raison pour laquelle il très utile de donner aux enfants despetits travaux réguliers à faire à la maison. Les parents devraient aussiapprendre aux enfants la valeur de leurs biens: l’argent, les objets, lapossibilité de pardonner, le temps, etc.

Les enfants peuvent ainsi acquérir l’habitude de donner, habitudefondée sur la juste appréciation de ce qu’ils possèdent et de leur capacitéà aider les autres. Pour compléter le tout, ils doivent aussi comprendre ceque représentent «les besoins des autres».

Les besoins des autresLa générosité ne doit jamais conduire à satisfaire les caprices d’autrui.

C’est pourquoi il faut agir avec prudence. Il est clair que, sans la prudence,aucune vertu n’a de sens. Il s’agit en l’occurrence de rendre service, maisaprès avoir pris quelques précautions, ce qui suppose une appréciation

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correcte sur notre propre situation et sur celle de l’autre. Il faut connaîtrele but poursuivi, puis décider et agir de façon cohérente.

Centrons-nous sur les adolescents. Les jeunes de treize ans et plussavent, de leur propre expérience, comment agir en faveur des autres,même si les parents ne les ont jamais aidés de façon systématique.Cependant, leurs motifs peuvent être erronés ou superficiels.

La générosité des adolescents ne connaît pas de limites. Ils ont lesouci des autres, de ceux qui meurent de faim en Inde, mais ils ne saventpas faire le lien entre leurs propres possibilités et la réalité. Ils reconnaissentl’indigence des autres en général, de façon abstraite, mais ils ne se rendentpas compte que leurs parents et ceux qu’ils côtoient ont également besoind’eux. Comme nous l’avons dit, ils ont tendance à classifier et ne prêtentattention qu’à un cercle restreint, tout en parlant de servir un monde lointain.

D’autre part, l’adolescent a besoin de faire des expériences: il luifaut éprouver sa possibilité d’agir de façon autonome. Et si les parents neparviennent pas à canaliser leurs inquiétudes, il est possible que les jeunesdévient en rencontrant «la solution», notamment à travers la drogue ou lesexe.

C’est pourquoi il faut reconnaître que le travail principal des parentsconsiste à donner à leurs enfants une connaissance approfondie des critèresqui pourront gouverner pleinement leur vie, puis les laisser agir, au besoinen les orientant. En ce qui concerne la générosité, il faudra les encouragerle plus tôt possible pour qu’ils continuent d’agir, avec plus d’initiativepersonnelle, au service des autres. Pour cela, la générosité développée abesoin de la force: la capacité d’entreprendre et de lutter pour ce qui, onle sait, en vaut la peine.

Un autre problème est celui de la facilité avec laquelle les adolescentsconfondent besoins des autres et caprices personnels. En effet, ils arriventà repérer chez les autres des besoins qui coïncident avec leurs propresgoûts, tout en négligeant d’apporter une aide réelle aux personnes qui sontle plus en droit de la recevoir: leur famille et leurs camarades. Lesadolescents ont besoin de raisons, non sous la forme d’une argumentationexhaustive mais d’une information claire et concise. Si, comme nous l’avonsdit, le développement de cette vertu dépend de l’intensité qu’on y met et

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de la droiture d’intention qui la sous-tend, il est clair que la raison joue unrôle important.

Donner et se donnerIl est indispensable que les actes généreux ne soient pas isolés des

intentions. On trouve en effet une routine fondée sur des actessuperficiellement «généreux». On ne peut éviter cet écueil qu’en cherchantquotidiennement à s’améliorer. Mais cela ne suffit pas. Pour être en évolutionpermanente, la générosité doit se fonder sur la conviction profonde queles autres ont droit à notre aide et que Dieu nous a créés pour servir.

C’est pourquoi le concept de «se donner» prime sur celui de donner.On peut donner sans s’identifier avec la chose donnée, sans sympathiseravec l’autre. L’acte n’en est pas moins un signe visible pour les autres.Mais c’est, en même temps, un signe trompeur. Ce que nous voulons,c’est donner de façon inconditionnelle, c’est-à-dire «se donner». Maispour se donner, il faut se connaître et, dans une certaine mesure, se posséder.On confond souvent les deux concepts «se donner» et «s’abandonner». Ilne s’agit pas de donner n’importe quoi, à n’importe qui, n’importe quand.Cela serait s’abandonner, donner sans discernement ou encore gaspillernos biens sans les apprécier à leur juste valeur. Pour mieux comprendre,prenons l’exemple du corps. Si l’on ne saisit pas la valeur et la dignité ducorps, on peut arriver à l’abandonner et se justifier en disant: «ainsi, jedonne du plaisir à l’autre». Un professionnel ne céderait pas son emploispécialisé à un clochard, même pour lui faire plaisir. Il est d’autant plusraisonnable de réserver son corps pour pouvoir le donner avec générositédans une relation bénie par Dieu -le mariage- quand l’autre reconnaît etrespecte la grandeur de ce don.

La générosité et l’amourSans entrer à proprement parler dans l’éducation à l’amour, il ressort

qu’en parlant de générosité, nous parlons d’une manifestation de l’amour.On peut comprendre l’amour comme une vibration fondamentale de l’êtrevers le bien. Et comme le dit Hervada «s’il est certain qu’on observe desconstantes dans l’amour, l’amour est toujours différent. Il n’existe pas un

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même type d’amour applicable à tous les objets, car l’amour naît d’unerelation préexistante entre la personne et l’objet de son amour; des objetsde différentes valeurs et touchant différemment la personne présupposentdes relations distinctes et, par conséquent, différents types d’amour».

La générosité, en tant que vertu, permet de traduire la possibilitéfondamentale d’aimer dans des actes de service. Les motifs de l’amourdiffèrent à chaque fois mais, comme «Dieu est Amour», il est logique quele motif ultime soit l’amour de Dieu. Dans la vie quotidienne, nous-mêmeset nos enfants avons besoin d’aide pour agir de façon cohérente avec ceque nous savons être notre fin ultime. Ces aides nous permettent de retrouverla «vibration fondamentale de l’être vers le bien» et de la mettre en œuvre.

Eduquer à la générosité ne peut pas être une option. C’estfondamental pour que l’être humain parvienne à sa plénitude, pour qu’il sepossède et qu’il progresse dans le service de Dieu et des autres.

L’égoïsme forgé par la société de consommation, par la commoditéet par le laisser aller, doit être contrecarré par la force et par le don sansréserve de tous ceux qui veulent agir en enfants de Dieu responsables etgénéreux.

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LA JUSTICE

La personne juste s’efforce continuellement de donner auxautres ce qui leur est dû, de façon à ce qu’ils puissent faire faceà leurs devoirs et exercer leurs droits, en tant que personnes(droits à la vie, aux biens culturels et moraux, aux biensmatériels), en tant que parents, enfants, citoyens, professeursou dirigeants - et elle fait en sorte que les autres se comportentdans le même sens.

La justice est une vertu qu’il est à la fois facile et ardu de commenter.D’une part, c’est l’une des rares vertus dont on peut dire qu’elle est à lamode. D’autre part, par là même et par nature, c’est l’une des vertus lesplus difficiles à analyser.

La justice introduit l’ordre dans nos rapports avec Dieu et avec lesautres; elle permet que nous respections mutuellement nos droits respectifs;que nous remplissions nos devoirs; elle requiert simplicité, sincérité etgratitude. En un mot, si chacun cultivait cette vertu, la société jouirait d’unbien-être presque complet, de la paix, même si, selon les explications deSaint Thomas, la paix ne découle qu’indirectement de la justice, c’est-à-dire dans la mesure où la justice débarrasse la paix de ce qui lui fait obstacle.La paix découle de la charité, car cette vertu produit l’union des cœurs.

Autre problème posé par l’analyse de cette vertu: l’existence detoute une série de vertus annexes, dont chacune présente un intérêtparticulier pour les éducateurs. Je veux parler de l’obéissance, de la piété(qui concerne les devoirs des enfants envers leurs parents, ainsi que lesobligations envers la patrie), de la sincérité, de l’amitié et de la religion.Aussi faut-il préciser d’emblée que notre propos, ici, est d’étudier la justiceproprement dite, les vertus annexes étant traitées dans les chapitresultérieurs.

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Quelques précisions sur le concept de justiceAfin de ne pas confondre la justice avec d’autres vertus, il convient

d’avoir à l’esprit les trois aspects toujours présents dans un acte juste:l’altérité, le strict droit et l’égalité.

Altérité signifie que la justice ne se réalise que vis-à-vis d’autrespersonnes. Le fait qu’un enfant casse le jouet d’un autre est une injustices’il ne remédie pas à la situation en remplaçant le jouet ou en le réparant.Si c’est son propre jouet que l’enfant casse, il n’y a pas injustice, maisplutôt manque de pauvreté.

Strict droit signifie qu’il ne s’agit pas d’un cadeau mais d’un dû.C’est la raison pour laquelle la justice est fonction de la capacité de l’individuà reconnaître sa dette. Nous voyons, par ailleurs, que s’il s’agit de donnerexactement ce qui est dû, cela peut aller très loin. C’est pourquoi, enanalysant la justice, on ne pourra faire abstraction de la charité.

Egalité signifie correspondance exacte entre ce qui est dû et ce quiest donné. Il ne peut y avoir ni plus ni moins pour que l’acte soit juste.

Il faut également savoir que l’acte juste implique trois structures:1) les relations interpersonnelles,2) les relations de la société avec l’individu,3) les relations de l’individu avec la société.Pour désigner ces structures, on parle respectivement de justice

commutative, de justice distributive et de justice légale.Rappelons qu’être juste ne se ramène pas à agir ponctuellement de

façon juste, mais consiste à agir constamment selon les normes de la justice.Rappelons également que cette vertu réside dans la volonté et non dansl’intelligence. Elle ne régit pas des actes cognitifs comme le fait la vertu dela prudence, mais permet à la personne de bien agir.

Les relations entre les enfants et les autresPour savoir quels aspects de la justice les éducateurs doivent traiter,

il faut tenir compte de certaines caractéristiques des enfants: leur âge, leurniveau intellectuel et le type de relations qu’ils ont avec les autres.

Si l’on observe des enfants de diverses tranches d’âges, onremarquera facilement la propension des plus jeunes à l’injustice. Cela

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s’explique par le fait qu’ils n’éprouvent nullement le besoin de dissimulerun acte injuste qui ne l’est pas à leurs yeux. Un petit enfant peut désirerquelque chose qui ne lui appartient pas et, par le simple fait de le désirer,considérer qu’il a le droit de s’en emparer. En revanche, lorsqu’il auraatteint l’âge de raison et aura une idée plus claire de ce qui est raisonnabledans ce domaine, il préfèrera, dans un cas similaire, se cacher ou se justifier.

Selon les études réalisées par Piaget à propos de l’évolution de lanotion de justice chez les enfants (2), il semblerait que, pour l’enfant desept ou huit ans, le point de référence soit ce que disent les parents. Apartir de cet âge, il découvre le besoin d’être traité à pied d’égalité avecles autres et ce n’est qu’à partir de onze ans qu’il comprend que la justicene se traduit pas par l’égalitarisme, mais par un traitement équitable quitient compte des responsabilités et des circonstances de chacun. Au vu deces données, nous serions tentés de penser que le rôle des parents doitvarier suivant l’idée que se fait l’enfant de la justice.

Comme nous l’avons dit, il ne peut y avoir d’acte juste si l’individune reconnaît pas qu’il a des devoirs; et pas davantage si, une fois sesdevoirs reconnus, il ne parvient pas à tenir compte des circonstances. Etcela suppose que l’on fasse appel à son intelligence et à sa volonté.

La justice jusqu’à l’âge de neuf ansLe petit enfant peut difficilement agir consciemment avec justice,

mais il peut, avec l’aide de ses parents et de ses frères et sœurs ainés,apprendre à discerner «ce qui n’est pas bien», ce qui est injuste. Et cetapprentissage peut se faire dans le cadre de ses relations avec ses frères etsœurs de la même tranche d’âge, ainsi qu’avec ses camarades et amis.C’est le moment d’insister sur les règles du jeu. Les parents entament leprocessus, puis le groupe impose les règles. En fait, les parents aurontremarqué que les petits font souvent appel à eux pour résoudre desproblèmes de justice soulevés au hasard de leurs jeux. En revanche, àpartir de neuf ou dix ans environ, les enfants discutent les règles entre euxet ne font appel aux parents que s’ils perdent le contrôle de la situation. Ilspréfèrent même abandonner le jeu plutôt que d’accepter l’arbitrage desparents.

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Ces réflexions pourraient laisser à penser que, jusqu’à huit ou neufans, l’éducation de la justice s’appuie sur certaines règles du jeu et, enmême temps, consiste à préciser ce qui n’est pas juste. Cela ne se fait pasen cherchant à comprendre la motivation des enfants, mais plutôt en lesaidant à acquérir ces habitudes à force de tendresse, de compréhension etd’exigences. Concrètement, on pourrait se fixer les objectifs suivants:

• qu’ils apprennent à conclure un accord avec un frère, une sœurou un ami, et à s’y conformer;

• qu’ils acceptent les règles du jeu, une fois qu’ils en ont prisconnaissance;

• qu’ils disent la vérité, dans la mesure où ils la connaissent;• qu’ils respectent la propriété d’autrui: ne pas voler, ne pas casser,

etc.• qu’ils respectent les besoins et les droits des autres: la chambre

des frères et sœurs, le silence aux heures d’étude, l’intimité des autres(frapper avant d’entrer, ne pas interrompre une conversation).

Les enfants se préparent ainsi à comprendre qu’il existe des droitset des devoirs. Et ils en auront besoin toute la vie. La personne la plusjuste sera celle qui discernera quels sont ses propres droits et devoirs,quels sont ceux des autres, en fonction de leur appartenance à la mêmefamille ou à la même société, en tant que parents, citoyens, etc.

Cette affirmation peut nous indiquer la marche à suivre pour cultiverla vertu de la justice chez les enfants dont l’intelligence et la volonté sontplus développés.

De neuf à treize ansNous avons déjà fait allusion au moment où, dans sa vie, l’enfant

exige d’être traité comme les autres. Il ne conçoit pas que chacun doiveêtre traité suivant sa situation particulière et, de ce fait, ne fait pas dedistinction entre justice et égalitarisme. Nous examinerons les conséquencesde cette attitude lorsque nous aborderons la justice des parents. Lacompréhension des enfants au sujet de ce qui est juste naîtra, du moins enpartie, de la façon dont ils apprendront à utiliser les règles du jeu dans lesactivités qu’ils auront avec leurs frères et sœurs. Ce n’est que peu à peu

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qu’ils peuvent comprendre que ces règles, à l’instar des principes morauxen général, sont - pour être pragmatique - des mesures destinées à favoriserla bonne entente entre égaux. La justice se revêt alors d’un sens nouveaupour l’enfant. Elle rend possible et facilite la vie en société. Elle génèrel’ordre et le bien-être. Ils acquerront également le sens de ce qui est injusteen éprouvant un sentiment de révolte devant l’injustice, en remarquant quel’ordre reconnu a été détruit.

Cependant, le problème évoqué persiste. Les enfants désirent êtrejustes, mais ne savent pas ce qui est juste. Il pourrait sembler que la justiceest une vertu réservée aux plus grands. Mais il n’en est pas ainsi. Lacompréhension de ce qui est juste oriente correctement l’acte juste. Pourêtre juste, il faut avoir pris l’habitude d’agir justement, même si nos critèressont faux. C’est la raison pour laquelle la vertu de l’obéissance est si im-portante. En obéissant à leurs parents, les enfants agissent avec justice etapprennent à être justes envers leurs frères et sœurs et leurs amis. Sans cetentraînement, la vertu sera beaucoup plus pénible à acquérir.

Il ressort de ce que nous avons dit que, durant cette deuxième étape,l’attention des parents envers les enfants peut se centrer sur quatre aspects:

1) continuer à mettre l’accent sur les actions justes et expliquer cequi est injuste,

2) les aider à comprendre et à mieux vivre les raisons d’être juste,3) leur expliquer la différence entre les conditions et circonstances

de diverses personnes,4) leur apprendre à rectifier et, par conséquent, à réparer.On remarquera que les points 1) et 4) relèvent de la volonté; le

point 3) de l’intelligence et le point 2) des deux à la fois.Commençons par les points liés à la volonté. Quels actes de justice

les jeunes âgés de dix à treize ou quatorze ans peuvent-ils réaliser? Nouspouvons évidemment reprendre les exemples donnés pour les plus jeunes,mais nous avons ajouté les possibilités suivantes:

• Les aider à réfléchir sur l’opportunité d’une action, quand ilsvien-nent d’expérimenter une injustice de la part d’un autre. Diogène Laercioécrit: «Il existe trois choses qui présentent une difficulté particulière, à savoir:garder un secret, supporter l’outrage d’une injustice, et faire bon usage du

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temps dont nous disposons pour nos loisirs». Dans ce cas, le plus justeconsiste à informer une personne compétente de l’injustice afin de résoudrele problème, faire en sorte que la personne qui a commis l’injustice apporteune juste réparation, prendre des mesures compensatoires, ou même par-donner, parce que l’autre a besoin de ce pardon. De toutes façons, ils’agit d’éviter tout acte de vengeance, c’est-à-dire toute injustice en guisede représailles car, au fond, c’est à soi-même que l’injustice fait le plus detort.

• Parler des autres avec respect, en cherchant les aspects positifs.Montrer combien sont injustes la médisance, la calomnie et, le fait de «tenirdes propos diffamatoires à l’encontre de quelqu’un devant l’un de sesamis, ce qui représente une injustice particulièrement grave car on ne peutpas vivre sans amis».

• Rendre ce que l’on nous a prêté dans l’état dans lequel nousl’avons emprunté.

• Montrer aux enfants les possibilités qu’ont les autres d’accomplirune bonne action, de telle sorte qu’ils puissent les aider à agir de façonresponsable.

• Leur apprendre à obéir aux ordres exprès de leurs parents etdes autres autorités.

• Les aider à ne pas se rendre coupables de petits actes d’injusticequi semblent sans importance mais qui, s’ils se répètent, créent un climatoù il est difficile de poser des actes bons (prendre le bus sans ticket, allervoir un film sans avoir l’âge requis, raconter de «petits» mensonges pours’épargner des efforts, etc).

En ce qui concerne la capacité à rectifier, qui est une manière deréparer l’injustice commise, il est évidemment nécessaire de cultiverparallèlement la prudence afin que, justement de tels incidents ne serenouvellent pas trop souvent. Lorsqu’ils se présentent, il faut apprendreaux enfants à demander pardon et à réparer. Certains trouveront plus facilede demander pardon que de réparer, alors que pour d’autres, ce sera lecontraire. L’exemple des parents est fondamental, mais il conviendra aussid’expliquer à l’enfant les raisons qui justifient un effort aussi important.

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Les motivationsIl semblerait que, dès son plus jeune âge, l’enfant soit conscient de

l’existence de quelque chose que l’on pourrait appeler justice, bien qu’ilen ait une vision erronée. Piaget explique comment les enfants de sept àneuf ans croient à ce qu’ils appellent une justice immanente. C’est-à-direque la justice provient de l’acte même qui est accompli. A titre d’exemple,Piaget explique qu’il a raconté à de nombreux enfants de divers âges qu’unpetit garçon avait volé une pomme et qu’il était tombé malencontreusementà l’eau parce que le pont qu’il devait emprunter pour rentrer chez lui s’étaiteffondré. La plupart des auditeurs de moins de neuf ans considérèrent quele dénouement de l’histoire était la conséquence directe du vol. En revanche,le pourcentage des tenants de cette thèse était inversement proportionnelà l’âge des enfants. Cette conception de la justice signifie que, d’une certainemanière, le petit enfant reconnaît la nécessité d’un ordre naturel des choses,et la principale motivation que nous pouvons leur donner pour qu’ils soientjustes est la reconnaissance de cet ordre à chaque moment et du pourquoide son existence.

Par ailleurs, comme nous l’avons dit en maintes occasions, il nesuffit pas d’expliquer. Les parents doivent également apporter leur soutienaffectif, se montrer plus exigeants à certains moments, plus compréhensifsà d’autres. Les frères et sœurs doivent aussi participer. Quand l’enfantaura reconnu le bien-fondé de l’acte juste, il l’accomplira peut-être parcrainte des parents au début, puis par devoir, ou mû par le désir authentiqued’agir pour le bien d’autrui.

Etre juste envers chacun selon sa condition et sescirconstances

Rappelons que ce n’est que vers l’âge de onze ans que l’enfantcommence à comprendre que la justice signifie nécessairement donner lamême chose à chacun. Jusqu’à l’âge de treize ou quatorze ans, il se peutque l’on obtienne peu de progrès dans ce domaine, mais il faut préparer leterrain pour que, plus tard, alors dotés d’une plus grande capacitéintellectuelle, les enfants puissent réaliser des actes vraiment justes, dans lamesure du possible.

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A ces âges, il s’agit surtout de les aider à comprendre que noussommes tous différents, et cela suppose qu’ils apprennent à être plussensibles. Une personne n’est pas seulement quelqu’un qui fait des choses,elle a une âme, des sentiments, des pensées qui lui sont propres. Agir de lamême façon avec tout le monde serait donc insensé: cela n’aurait de sensque si les gens étaient des machines.

Aussi faut-il aider les enfants à établir une distinction entre:• les frères et sœurs d’âges différents;• les frères et sœurs ayant des besoins particuliers (besoin de

recevoir une aide quelconque, des indications concrètes, etc.);• les personnes suivant leur état d’âme. L’acte juste peut être réalisé

à un moment opportun ou non, etc.

Les plus grandsJusqu’à présent, nous nous sommes principalement intéressés à la

justice perçue dans le contexte familial, ainsi qu’aux activités liées auxpersonnes vivant dans ce groupe. On suppose que la volonté de l’adolescentest suffisamment forte pour lui permettre de réaliser des actes justes dansd’autres contextes, puisqu’il est plus à même de les comprendre.

Il faudra également tenir compte du fait que les adolescents, parnature, sont très idéalistes, recherchent de grandes solutions à desproblèmes «importants» et conçoivent la justice comme un idéal et nonpas comme une réalité vécue avec autrui.

L’adolescent doit apprendre quels sont ses devoirs de fils, de frère,de camarade, de citoyen, afin de maintenir un équilibre entre sespréoccupations et son activité quotidienne. Il n’a plus besoin qu’on exigede lui tel ou tel comportement mais qu’on l’aide à comprendre ce qui estjuste dans chaque circonstance.

A la suite des expériences de Piaget évoquées plus haut, plusieurspsychologues ont poursuivi l’étude des notions de justice et de moralitéchez les enfants et chez les jeunes. Dans l’une de ses études, Rest -ens’appuyant sur les travaux de Kohlberg- arrive à distinguer six étapesdans l’évolution du jugement moral. Les deux dernières étapes ne peuventêtre atteintes qu’à partir de l’âge de 20 ans, environ. Aussi les laisserons-

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nous de côté. Au cours de la première étape, l’enfant fait son apprentissageen obéissant aux adultes. Cela se traduit, dans une deuxième étape, par lefait qu’il comprenne la nécessité d’établir des accords avec les autres;qu’il puisse exister un devoir et une chose due de part et d’autre, maiscomme un simple échange. Il reconnaît ensuite que, pour vivre avec lesautres, il faut agir avec justice envers eux, et l’ébauche d’une mutuellecollaboration commence à voir le jour. Puis l’on passe à la quatrième étape,au cours de laquelle l’individu reconnaît la loi, ainsi que ses devoirs vis-à-vis de l’ordre social. Bien qu’aucune indication ne soit donnée quant auxrapports entre les étapes et les âges, il semblerait que la quatrième étapecoïncide avec l’adolescence.

Ces études nous confortent dans l’idée qu’il faut enseigner auxadolescents ce qu’est la loi. Mais j’ajouterai qu’il ne faut pas seulementleur parler de la loi civile mais aussi de la loi naturelle. Les enfants aurontbesoin de critères de jugement pour pouvoir prendre position sur lesinnombrables problèmes de justice qui se présentent tous les jours.

La justice des parentsL’un des doutes que rencontre le plus fréquemment un père de famille

est de savoir s’il a été juste envers ses enfants. Dans la Rome antique, lajustice était représentée par une femme aveugle cherchant à équilibrer unebalance. Il est évident que nous, parents, devons nous montrer aussi objectifsque possible dans nos rapports avec nos enfants. Cependant, il est parfoistrès difficile de vivre la justice, pour les uns comme pour les autres. Aussil’affection doit-elle être constamment présente. Les parents s’acquittentd’un rôle que l’on peut inclure dans ce que nous avons appelé la «justicedistributive». «Bien agir» suppose que l’on essaie de faire abstraction dela sympathie ou de l’antipathie que nous inspire chacun des enfants. Chacunest différent et requiert un traitement particulier, mais il s’agit d’harmonisernotre comportement en tenant compte de certaines règles en usage danstoute famille. Ces normes familiales doivent être établies selon des principesfondamentaux liés aux droits suivants:

• droit au respect des autres;• droit à l’aide des autres en vue d’atteindre une maturité naturelle

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et surnaturelle croissante;• droit de participer selon nos capacités;• droit de vivre en harmonie avec les autres, en respectant un certain

ordre;• droit à l’intimité.Evidemment, à chaque droit correspond un devoir. Mais

l’interprétation de ces droits et devoirs diffère suivant les caractéristiqueset les circonstances de chacun. C’est pourquoi il est nécessaire de fairepreuve d’une grande souplesse lorsqu’on exige d’un enfant et que l’onoriente son activité.

Lorsque les enfants ne remplissent pas leurs devoirs, les parents setrouvent confrontés au problème des punitions. Il est absurde de dire quel’on est pour ou contre car, en réalité, nous passons notre temps à sanctionnerles enfants, en leur souriant, en les écoutant - sanctions positives - ou, aucontraires, en les ignorant lorsque nous lisons le journal, en regardant notremontre alors qu’ils nous racontent quelque chose de très important poureux - sanctions négatives. Pour qu’elles permettent à l’enfant de progresser,les sanctions doivent être appropriées. Nous ne cherchons pas seulementà être justes, mais à nous montrer justes en vue d’obtenir l’améliorationpersonnelle de notre enfant. L’enfant et l’adolescent attendent de leursparents qu’ils se comportent avec justice à leur égard, et cela impliqueaussi que ces derniers les punissent quand il le faut.

Le jeune enfant pense en général que lorsqu’on a enfreint une règle,la punition doit être sévère, et qu’il faut chercher un moyen d’expiation. Etil ne change d’avis que lorsque les exigences et le contrôle directs desparents commencent à se poser en termes de coopération de tous lesmembres de la famille. L’enfant découvre alors que la punition la plusadéquate est d’exiger une réparation - si un enfant casse un carreau, il nes’agit pas le priver de télévision pendant une semaine mais de l’obliger àremplacer le carreau; c’est la solution la plus appropriée dans ce cas.

Considérations finalesIl est souhaitable que les enfants acquièrent la vertu de justice, non

seulement pour bien se comporter au sein de la famille, mais aussi avec

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leurs amis, et également en tant que citoyens responsables. Et, à cet égard,nous devons tenir compte du fait que, «s’opposer et critiquer a priori,censurer et blâmer aveuglément, sans procéder à aucune analyse préalable,constitue un acte d’injustice, un attentat à la justice distributive, seule vertuqui permette aux Etats d’exister et de maintenir l’ordre».

Ce que nous cherchons à développer, c’est le désir d’être juste,l’appréciation de ce qu’il est juste de faire dans chaque situation, en sachantque l’Ecriture fait plus de 800 fois référence à la notion de justice etd’«homme juste», expression que le langage biblique utilise pour désigner«l’homme bon», «le saint».

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LA PERSÉVÉRANCE

Une fois sa décision prise, la personne persévérante met enœuvre les moyens nécessaires pour atteindre le but poursuivi,en dépit des difficultés internes ou externes, et même si samotivation s’affaiblit au fil du temps.

Dans la large gamme des vertus humaines, un bon nombre ont perdude leur sens dans le langage courant. La persévérance, au contraire, faitpartie des vertus les mieux comprises et les plus appréciées. Deuxprécisions restent néanmoins nécessaires. La persévérance n’est pas com-patible avec l’obstination. Après avoir pris une décision, il ne s’agit pas depoursuivre à tout prix notre objectif si on s’aperçoit qu’on s’est trompésoit sur la fin, soit sur les moyens; si vient une série d’impondérables dictantà toute personne douée de sens commun qu’il serait imprudent de s’entêter.D’autre part, il ne faut pas confondre persévérance et routine. Il ne suffitpas d’adopter une conduite et de la maintenir sans raison en la justifiant,pour les besoins de la cause, par quelque noble fin.

Notre propos ici est d’étudier ce que signifie «atteindre le butpoursuivi» et de trouver des solutions aux difficultés éventuelles, de façonà pouvoir former nos enfants à cette vertu. Il faudra tout spécialement ytravailler dès l’âge de raison - environ 7 ans - jusqu’à l’adolescence, carson développement dépend en grande partie de la capacité des parents àexiger de leurs enfants, même si leur manière de les guider et de les motivera également son importance.

Au début de l’adolescence, les enfants sont habituellement peudisposés à recevoir des ordres de leurs parents. Tout au plus acceptent-ilsque ceux-ci les forcent à réfléchir. Or réfléchir avant d’agir est importantcar la constante pour exécuter une décision requiert des qualitésparticulières. Et là, les parents peuvent difficilement intervenir. Par ailleurs,ils peuvent guider leurs enfants dès que ceux-ci en ont besoin. Pour que

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les enfants aient recours à cette orientation, il leur faut reconnaître queleurs parents sont réellement en mesure de les aider et désireux de le faire.Les parents doivent donc se mettre au courant des centres intérêts et desprojets de leurs enfants, en leur montrant qu’ils sont disponibles.

Considérons cette vertu plus spécialement entre 7 et 13 ans.

Le développement des habitudesNous retrouvons ici les deux paramètres intervenant dans le

développement de toutes les vertus: l’intensité avec laquelle elles sontvécues et la droiture d’intention qu’on met à les exercer. Selon l’âge de lapersonne, les occasions ne manquent pas de pratiquer la persévérance. Ilnous suffit de penser qu’elle est nécessaire au développement de toutesles autres vertus. Bien souvent, les tout petits n’ont pas de motifs suffisantspour faire des efforts prolongés. Il est logique que, une fois fatigués, ilsabandonnent leur activité et passent à autre chose. En effet, les enfantsn’ont pas l’habitude de voir loin ni de se poser des problèmes à moyen oulong terme. C’est pourquoi le seul motif de leur persévérance est encorel’obéissance.

De toute évidence, avant l’âge de 7 ans, les parents peuvent, avecprudence, c’est-à-dire en étant très exigeants sur peu de choses, obtenirl’acquis d’habitudes liées à la persévérance. Par exemple terminer un jeucommencé, tenir ses promesses (à condition qu’elles soient raisonnables),finir son assiette, bien faire son travail, réaliser ponctuellement les tâchesqui ont été confiées dans la maison. Le but est finalement l’acquisition dequelques habitudes moyennant un effort. Ces habitudes peuvent être liéesà n’importe quelle vertu. A cet âge, ces habitudes n’ont guère de senspour l’enfant, mais les parents lui donneront les explications nécessairesen temps voulu.

Pour que ces habitudes revêtent peu à peu une signification, il estsouhaitable que l’enfant reconnaisse l’opportunité et l’utilité de ce qu’il esten train de faire. C’est pourquoi il faut toujours dire à l’enfant pourquoi ildoit faire des efforts. L’intériorisation du motif par l’enfant, l’aide etl’orientation fournie par les parents doivent être proportionnées àl’importance et à la difficulté de l’effort proposé. Considérons quelques

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difficultés inhérentes à l’acquisition de la persévérance, afin d’en tirer lesconclusions pour l’éducation des enfants.

L’effort prolongé dans le tempsLa persévérance à strictement parler concerne le fait de surmonter

les difficultés provenant d’une prolongation dans le temps, tandis que laconstance se réfère au fait de surmonter toutes les autres difficultés. Nousallons cependant nous intéresser au dépassement de toutes les difficultés,qu’elles soient ou non d’ordre temporel. Le fait qu’un projet s’étale surune longue période représente une difficulté réelle dans toutes les étapesde la vie, notamment lorsqu’il s’agit d’une activité qu’il est impossible delaisser de côté à certains moments pour la reprendre ensuite avec plusd’enthousiasme. Tel est le cas de la persévérance implicite dans ledéveloppement d’une vie de la foi. C’est précisément parce que le bienfinal n’arrive qu’à l’heure de la mort que nous avons besoin du don gratuitde la persévérance, auquel nous devons nous disposer en répondantquotidiennement à la grâce qui donne de «vouloir et d’agir» (Phil. 2. 13),en facilitant l’accomplissement du devoir.

De toute façon, l’être humain doit coopérer et, lorsqu’il pratiqueune vertu humaine, il favorise déjà le développement de sa vie de foi.

Si l’objectif - nous parlons ici à un niveau purement humain - estlointain et peu clair, notre effort va en subir les conséquences. Le manquede clarté suppose principalement qu’il est impossible de faire le lien entrece que nous sommes en train de faire et l’objectif poursuivi. Nous avonsvaguement l’impression que ce lien existe. De plus, l’absence d’expériencepersonnelle rend les choses encore plus difficiles. En effet, nous, les parents,savons qu’en posant une série d’actes, nous parvenons au but fixé; mais ledanger est de croire notre expérience suffisante pour motiver les enfants àdéployer les mêmes efforts que nous. La première fois qu’une personne,adulte ou enfant, doit fournir des efforts pour atteindre un objectif, il estsouhaitable qu’elle ait celui-ci très présent à l’esprit au moment del’accomplissement de chacun des efforts.

On peut aussi diviser un objectif à long terme, comme au sein d’uneentreprise, en plusieurs étapes interdépendantes. De cette façon, nous

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découpons la distance en plusieurs «bornes», obtenant ainsi une plus grandeproximité entre l’action actuelle et l’objectif, même partiel.

En troisième lieu, il faut reconnaître que le début de toute activité estmarqué par l’enthousiasme, à cause de l’objectif proposé. Cet enthousiasmedure plus ou moins, selon les circonstances. Puis viennent la fatigue et lemanque d’envie, et les choses semblent ne plus avancer, on ne voit plusque les difficultés. Finalement, l’objectif final réapparaît avec plus de nettetéau fur et à mesure qu’on s’en approche, et l’enthousiasme initial revient,avec plus de maturité car il inclut la satisfaction de l’effort.

Ces réflexions nous amènent à tirer certaines conclusions pour lesparents. En ce qui concerne le petit enfant, il faut le guider vers des objectifsà court terme. Il suffit de penser à l’inefficacité d’une motivation du type:«si tu as de bonnes notes, nous irons à la plage pendant les vacances» etcela, au début de l’année scolaire! Il serait plus adroit de proposer à l’enfantqu’il progresse dans la matière d’un examen suivant, puis de l’aider àmettre les moyens pour qu’il y parvienne, en s’intéressant toutparticulièrement à ce qu’a dit le professeur sur le sujet; en discutant avecce dernier pour bien cerner les difficultés de l’enfant et savoir ce qu’onattend de lui; en demandant à l’enfant s’il a bien compris les devoirs qu’ila à faire.

Cependant, une autre difficulté peut surgir: quels objectifs devons-nous fixer à l’enfant? Nous en avons déjà proposé quelques uns, commed’exiger que tout travail commencé soit achevé. Mais cela revient à savoirprofiter des situations, normalement pas d’une façon qui suppose un effortsoutenu.

Voici d’autres possibilités:1. On peut centrer l’attention de l’enfant sur l’objectif, sur le travail

ou sur la personne, sans ignorer les autres aspects. (Lui proposer dedévelopper un aspect d’une vertu pendant une durée déterminée, parexemple un mois. Centrer son attention sur l’accomplissement d’une tâcheparticulière, en précisant clairement ce qu’on attend de lui au bout ducompte. Centrer son attention sur une personne, de telle sorte qu’il fassequelque chose pour l’aider et, encore une fois, suggérer des résultatsconcrets).

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2. Il ne s’agit pas seulement de préciser l’objectif poursuivi, maisaussi de lui montrer le lien entre le travail demandé et cet objectif. Pourdévelopper la vertu de l’ordre, par exemple, il faudra expliquer ce quecela implique: ranger sa chambre avant de se coucher, arriver à l’heureaux repas, se lever à heure fixe, etc.

3. Dans la mesure du possible, trouver des objectifs, au moins dansun premier temps, qui présentent un réel intérêt pour l’enfant. Puis, êtreprêt à intervenir au cas où disparaîtrait la motivation initiale.

Nous avons déjà mentionné plusieurs types de motivations, maisl’intérêt que montrent les parents, accompagné de quelques suggestionspratiques, est sans doute la plus utile.

En dernier lieu, il faut s’assurer que l’enfant est capable de franchirles différentes étapes qui doivent le mener au but fixé et, si tel n’est pas lecas, lui apprendre à le faire, ou modifier l’objectif. C’est pourquoi il estfondamental que ces objectifs soient en rapport avec les capacités et lesqualités de l’enfant.

Autres difficultésLe vice principal qui s’oppose à la persévérance et à la constance,

en dehors de l’obstination, est l’inconstance. Celle-ci est causée par desfacteurs liés à la durée mais également, et plus essentiellement, par lanécessité de renoncer à d’autre activités, peut-être plus attrayantes, envue de s’en tenir à ce qu’on a décidé. On remarque ce manque de constancenotamment chez les personnes qui abandonnent un projet à la premièredifficulté ou changent facilement d’activité par goût du changement lui-même. Elles vont même jusqu’à justifier ce comportement en disant que ladernière chose est plus enrichissante, plus intéressante que la précédente.

Pour résoudre ces difficultés, il faut développer une certaine fiertéchez l’enfant, et en même temps faire en sorte qu’il arrive à expérimenter,à sentir l’importance de ce qu’il s’est proposé. Sans cette fierté qui supposele devoir d’aller de l’avant pour ne pas se trahir, il est possible qu’il finissepar se chercher des excuses. Et il y en a toujours. Ce qui est grave, c’estque ces excuses servent non seulement à tromper leurs parents mais à setromper eux-mêmes. Présenter l’objectif d’amélioration comme un défi

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peut aussi être utile, surtout si les parents font aussi des efforts sur un pointsimilaire. Arriver à vivre ce qu’on s’est fixé implique de l’avoir constammentprésent à l’esprit, et c’est à ce prix seulement que l’on parvient à surmontersa faiblesse, son inconstance, lorsque surgissent d’autres attraits.

De toute façon, il ne s’agit pas de faire peser quelque défaut sur laconscience de l’enfant. S’il échoue quelque part, il est souhaitable de luien parler, de préciser le pourquoi et de l’encourager à recommencer.

Cependant, les autres intérêts qu’il peut rencontrer ne sont pas lesseuls en cause: il y a également les obstacles objectifs qui se dressent surson chemin. La solution principale serait de les prévoir le plus possible. Siles obstacles prennent totalement au dépourvu, il peut en résulter unesensation de peur qui empêche de continuer, ou font chercher une solutionquelconque qui fasse perdre le chemin entrepris.

Pour être concrets, les parents peuvent apprendre aux enfants àprévoir les éventuels obstacles, en leur suggérant quelques exemples et enles incitant à en trouver d’autres. Si l’ennemi est connu, il est plus facile àvaincre. Ainsi les obstacles ne sont plus que des obstacles, au lieu deconstituer une barrière infranchissable susceptible de faire perdre à l’enfanttous ses moyens.

Dernière difficulté implicite: vouloir faire des efforts dans trop dedomaines à la fois.

Nous avons déjà dit que l’objectif doit être réaliste - accessible moyennantun effort; si ce n’est qu’un rêve, il restera inutile. Cependant, on ne peut luttersérieusement contre plusieurs adversaires. Tout au plus quelques escar-mouches, mais pas suffisamment pour gagner du terrain et obtenir unevictoire permanente. Il est bien plus utile qu’un enfant s’efforce beaucoupen peu de choses que peu en beaucoup, même si cela demande à prioriplus de patience de la part des parents. Et cela pour ne pas le distraire dece qu’il fait. Nous avons dit qu’il peut arriver à l’enfant de gas-piller sesénergies vainement, mais les parents ne sont pas à l’abri de cettemésaventure. Et lorsqu’ils en font autant, non seulement ils n’obtiennentaucune amélioration personnelle, mais ils entravent celle de leurs enfants.Pour surmonter les obstacles comme pour remédier à un écart, l’enfant abesoin de demander conseil, et de cette aide dépend l’acquisition de la persévérance.

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Aide nécessaire et aide superflueDans la plupart des cas, il arrive un moment où celui qui veut

persévérer doit demander de l’aide. Et s’il veut être prudent, il devraconsulter plusieurs personnes.

Les jeunes enfants ont normalement besoin d’être guidés par leursparents, mais dans la loi «toute aide superflue est une limitation pour celuiqui la reçoit», on peut distinguer trois niveaux d’action pour les parents:

1. Dire ce qu’il y à faire.2. Eclaircir la situation pour permettre à l’enfant de tirer ses propres

conclusions.3. Refuser d’aider l’enfant.Il faut refuser d’aider l’enfant si la demande est motivée par la paresse

ou la commodité. En revanche, si l’on remarque un réel besoin d’attention,il est souhaitable d’éclaircir la situation. Si, malgré nos explications, l’enfantne saisit pas les possibilités qu’il a de surmonter l’obstacle, il faudra lui direce qu’il doit faire. En ce qui concerne les plus jeunes, il est logique qu’ilsaient besoin qu’on leur dise tout, mais par la suite, au fur et à mesure deleur expérience, il faut les laisser faire en retirant progressivement notreaide.

Cette difficulté comporte deux autres aspects, car il ne suffit pas deprêter aux enfants l’attention adéquate mais de leur apprendre à demanderde l’aide à la personne qui convient. Un enfant désireux de progresserdans une matière, doit savoir que, pour résoudre des difficultés techniques,il doit consulter son professeur plutôt que ses parents; celui qui rencontredes obstacles d’ordre moral devrait avoir recours à son directeur spirituelet non pas à son ami.

La mission des parents comporte tout spécialement le devoird’apprendre aux enfants à discerner de quoi ils ont besoin exactement et àqui s’adresser. Il se peut qu’ils sachent le faire avec une efficacité tellequ’ils n’aient plus d’effort personnel à fournir et ne développent pas lavertu de persévérance. Certaines choses, dans la vie, peuvent êtreaccomplies par une personne quelconque et ne nécessitent pas d’y axerun effort personnel. Mais pour développer au maximum ma capacité deservir les autres le mieux possible, je devrai me fixer des objectifs

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d’amélioration que moi seul puisse réaliser.Il existe, à cet égard, un objectif absolument personnel et

intransmissible qui est de rendre gloire à Dieu. La persévérance et si im-portante dans la vie de la foi que plusieurs observations s’imposent pourconclure sur le sujet.

La persévérance dans le développement de la vie chrétienneComme nous l’avons dit auparavant, il existe deux difficultés dans

ce domaine. En premier lieu, l’objectif n’est jamais atteint ici-bas et duretoute la vie. On ne peut jamais dire: «Voilà qui est fait, je vais m’attaquer àautre chose». En second lieu, d’innombrables tentations me fontobjectivement dévier du chemin choisi. Cependant, le fin reste parfaitementclair -la sanctification personnelle et celle des autres- et nous pouvonscompter sur une aide abondante.

C’est pourquoi le problème vient de ne pas savoir profiter de cetteaide et de ne pas vouloir écarter les plaisirs transitoires en faveur d’unefinalité fixée par Dieu lui-même.

Nous avons parlé d’une aide abondante: pour en profiter, l’hommedoit en prendre l’initiative. Autrement, il ne serait pas libre. Aussi peut-ilrecourir aux sacrements pour augmenter en lui la grâce, recevoir une directionspirituelle, approfondir les vérités de foi par l’étude et, surtout, demanderconstamment de l’aide à Dieu.

Il ne s’agit pas de nous rendre forts seulement dans nos rapportsavec Dieu mais également pour faire face aux circonstances dans lesquellesnous vivons. «Dans les pays où une religion déterminée, au fil du temps,devient majoritaire, celle-ci court le grave risque, en l’absence de difficultés,d’être supplantée par un embourgeoisement spirituel, avec ses séquellesinévitables: manque de profondeur dans ses croyances et pratique religieuseritualiste dépourvue de contenu. Dans ce type de pays, lorsqu’unbouleversement se produit, comme c’est le cas aujourd’hui, il en résulteune véritable hécatombe d’ordre religieux et moral. Le manque de racinesconduit à une remise en question des croyances de toujours, que l’onestime dépassées dans un monde en évolution qui exige la mise à jour deprincipes sur lesquels reposent depuis toujours la foi et les coutumes».

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C’est pourquoi il s’agit de prévoir les difficultés rencontrées sur lechemin et de les accepter d’avance. Les obstacles que rencontre le chrétiensont nombreux et peuvent facilement le faire dévier de son objectif. Uneffort continuel suppose une grande maîtrise de soi, et la personne doitrester bien consciente de ses limites et savoir rectifier et recommencer.Les gênes et les obstacles rencontrés par le chrétien peuvent être affrontésd’un point de vue optimiste ou pessimiste. Le pessimiste s’attriste et poursuitsa route de façon mécanique, froide et rigide. L’optimiste répond par lagénérosité, il sait supporter, entreprendre, utiliser ces obstacles commemoyen de fortifier sa foi. Il le fait avec la grâce de Dieu; il le fait avec joie.

Les jeunes enfants devront lutter pour se dépasser dans leurs relationsavec Dieu. Il ne s’agit pas de trop leur faciliter la vie. Il ne faut pas non plusles aider inutilement. Si les enfants, dans le développement de lapersévérance - vertu qui soutient toutes les autres - parviennent à agir paramour de Dieu, ils le font pour le motif le plus élevé qui soit. La vertuatteint déjà son sens plénier et les enfants sont en mesure de recevoir cettegrâce spéciale de Dieu dont ils ont besoin pour développer efficacementtoutes les vertus humaines.

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POINT DE VUE: ÉGLISE ET SEXUALITÉ

La sexualité, don de DieuLa vision que l’on a du point de vue de l’église sur la sexualité est

marquée par un a priori très négatif, héritage de phénomène culturel(jansénisme...). Mais cette image ne correspond à la réalité.

La Bible, l’Ancien Testament sont très favorables à la sexualité. Dès laGenèse, la Bible commence par des noces... (Gn 2-24: «Ils quitteront pèreet mère et ne feront qu’une seule chair». «A l’image de Dieu, il les créa».

«Tu es l’os de mes os, la chair de ma chair» s’écrit Adam devantEve (Gn 2-23). Et devant tout ça, «Dieu vit que cela était bon» (Gn 1).Dieu a voulu cela.

Plus loin dans la Bible, Dieu fera référence à l’amour des conjoints,quand il voudra évoquer confiance, alliance, amour (cf. le livre d’Osée).Le mariage est pour Dieu la façon de faire comprendre ce qu’il est.

Le Cantique des Cantiques a des paroles qui sont à la fois une belleillustration de l’amour physique avec des métaphores qui sont parfois trèsparlantes «Ta taille ressemble au palmier, Et tes seins à des grappes. Je medis: Je monterai sur le palmier, J’en saisirai les rameaux!» (Cant 7:7-8) etcependant ce texte est considéré comme une très belle évocation de la viespirituelle et de l’amour de Dieu et de son Eglise.

L’Ancien Testament est d’ailleurs souvent très vindicatif sur le célibatconsidéré comme une désertion, une malédiction.

Célibat pour le royaumeLe Nouveau Testament introduira des notions différentes. Jésus en

effet, va faire problème. Son attitude va jouer un grand rôle. En effet, iln’est pas contre le célibat, il est pour. Lui même n’est pas marié, ce qui estétonnant dans la culture juive de l’époque. Et quand on lui posera la question,il détaillera les eunuques de naissance, les eunuques pour des raisonsculturelles mais il introduira surtout le célibat «pour le royaume de Dieu».

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De même, Jésus n’a pas peur des femmes, allant jusqu’à se laisserbaigner de larmes par elles.

Jésus est libre. Libre par rapport à la femme qui lui lave les pieds,libre avec son corps et pourtant pas marié. Il est libre pour le royaume. Safamille, ce n’est pas pour lui sa mère et ses frères mais les croyants. Il n’ad’autre amour que pour ceux qui sont croyants...

L’exemple de Jésus va inaugurer, dans le christianisme, une libérationpar rapport au mariage. Il n’est pas nécessaire d’être marié pour êtreréussi...

Cela aura un rôle important pour ceux qui ne peuvent pas s’engagerdans le mariage. On peut mener une vie humaine authentique...

Dans la Nouvelle Alliance, se marier, c’est d’abord des époux quis’aiment, à la différence de l’Ancien Testament où la stérilité entraînait ledivorce. Ce changement est profond. Tout un coup, les stériles, les couplessans enfants, sont de vrais mariés... (ce qui posera des problèmes à PhilippeAuguste, Henri VIII et Napoléon, l’église ne voulant pas accepter leurdivorce pour stérilité de l’épouse). L’enfant n’est pas indispensable aumariage...

Une question se posera cependant aux premiers chrétiens... Est-ceque le célibat n’est pas mieux? Saint Paul y répondra dans Corinthiens 7en disant notamment qu’il vaut mieux un mariage à une sexualitédésordonnée. Il y condamnera aussi la polygamie et dira que le corps dumari appartient à la femme et réciproquement...

Bref, le mariage est bon et l’église ira jusqu’à rejeter du sacerdoceceux qui s’engagent par mépris du mariage.

Amour, signe de l’AmourDans Ephésiens 5, Saint Paul ira plus loin en disant «Maris, aimez

vos femmes, comme le Christ a aimé son Eglise»... Tout homme quitterason père et sa mère pour s’attacher à sa femme... Le vrai mariage, pourPaul, c’est celui du Christ et de l’Eglise. Le Christ a quitté son père pourl’Eglise des hommes et ne fait plus qu’une seule chair avec elle. Dans cesens, l’Eucharistie est un mystère conjugal. Le Christ livre son corps pourne faire plus qu’une seule chair.

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Dans l’union sexuelle se vit quelque chose de l’alliance du Christ etde son Eglise. L’union sexuelle est signe, participation à l’union du Christet de l’Eglise. L’union sexuelle, mais plus globalement l’amour conjugalest donc sacrement. Le don du corps est tellement bon, que le Christn’hésite pas à faire don de son propre corps. Quand l’homme et la femmes’unissent, ils vivent quelque chose du mariage de Dieu et de l’humanité.

Donner son corpsL’église prend tellement au sérieux la sexualité qu’elle est malheureuse

quand on s’en sert de manière légère, car pour elle, elle est signe du dontotal à l’autre. Donner son corps, c’est le don suprême: «Les ayant aiméjusqu’au bout, il leur dit, voici mon corps livré...» Ainsi, l’Eglise souhaiteque le don du corps soit un aboutissement de l’amour. Donner son corps,ce n’est pas le prêter... c’est le signe que l’on arrive au bout de l’amour.

Pour l’Eglise, l’amour prématuré ou immature est un mensonge, unprêt et non un don. Pour elle, ce don engage à tout. L’acte sexuel estauthentique quand il est lié au don de l’amour. Ainsi, l’Eglise va faire del’union sexuelle, une composante importante du mariage. Tant qu’il n’apas débouché sur le don du corps, le mariage est ainsi dissoluble (onparlera de mariage «non consommé» cause d’annulation en temps de guerrepour les mariages «par procuration»). L’union relève du salut. La premièreunion après la parole donnée est décisive. C’est l’union qui va attacherdéfinitivement les époux. Dans un premier temps si l’homme et la femmene peuvent s’unir sexuellement, elle refusera le mariage.

Mais, si tout est bon, tout n’est pas profitable. L’union des corpsimplique pour l’église trois finalités intimement liées: La fécondité (ouvertureà la vie), la manifestation de l’amour des époux, le plaisir... Ces trois finalitéssont bonnes à condition qu’elles restent unies. Couper l’une des finalitésmérite pour le moins une interrogation de conscience.

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ANNEXE:LA SEXUALITÉ DE L’HOMME ET DE LA FEMME

La sexualité est très différente chez l’homme et chez la femme. A lapuberté, la sexualité du garçon se manifeste aussitôt par une tension liée aubesoin sexuel.

L’homme est symbolisé en médecine par un cercle avec une flècheorientée vers la droite ( ). Il est en effet comme une flèche, orientée versl’extérieur.

L’homme possède un organe sexuel, qui le domine: le désir peuts’emparer de lui sans que son cœur participe et à l’opposé son pénis peutle «laisser tomber», refuser de lui obéir à l’instant crucial. Lui qui aime toutorganiser reste dépendant de son membre viril qui a sa volonté propre.

La sexualité masculine est une activité. Le rapport sexuel est un desrapports qu’il entretient avec les autres. L’homme recherche l’activitésexuelle pour la seule satisfaction sexuelle. Ceci expliquerait que lapolygamie (avoir plusieurs femmes) est plus répandue que la polyandrie(avoir plusieurs hommes), et que les perversions sexuelles sont plusfréquentes chez les hommes.

L’acte d’amour, pour lui, est limité dans le temps: son désir, viteéveillé (surtout par la vue ou l’imagination), est vite satisfait, l’orgasme viteatteint. Comme une flèche, il va droit au but. On pourrait comparer sonexpérience sexuelle à un feu d’herbes bien sèches, qu’une étincelle suffit àallumer, et qui s’éteint vite.

La jeune fille, elle, à la puberté, ressent surtout un besoin diffus detendresse. Le symbole de la femme en médecine est un miroir, avec unepoignée en forme de croix ( ). Elle aime, et comme un miroir, réfléchitl’amour qu’elle a reçu.

La femme est ses organes sexuels, ils font partie d’elle, elle ne faitqu’un avec eux. Ils ne la trahissent jamais, elle peut avoir un rapport sexuelmême si elle n’éprouve ni désir ni plaisir.

La sexualité féminine est un état. Les actes sexuels isolés n’ont paspour elle beaucoup de valeur, et sa sexualité est très liée à l’affectivité et àla sensibilité. Un homme peut donner son amour pour obtenir le sexe,

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alors qu’une femme peut donner son sexe pour obtenir l’amour! Elle estplus stimulée sexuellement par un film romantique que par une vidéoérotique. La femme donne à sa sexualité un caractère plus complexe, plusspiritualisé, que le simple désir de libération d’une tension sexuelle, et c’estcela qui rend plus difficile son accession à la jouissance sexuelle.

Elle a besoin de davantage de temps pour que son désir prenne del’amplitude, et son plaisir n’est pas comparable à un sommet, mais plutôtà un haut plateau, d’où elle ne redescend que lentement et à regret. Pourelle, ce n’est pas un acte, avec un début et une fin, mais une atmosphèred’amour. Son expérience sexuelle pourrait se comparer à un feu de charbonde bois, long à allumer mais qui, même lorsque les flammes sont éteintes,continue encore longtemps à se consumer en braises chaudes.

On comprend aisément qu’une méconnaissance de ces différencesaboutisse à des malentendus, des frustrations et des ressentiments dans lecouple (Jacques et Claire Poujol)

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LE SENS DE RESPONSABILITÉ

La personne responsable assume les conséquences de ses actes,qu’ils soient délibérés -c’est-à-dire résultant d’une décision priseou acceptée - ou non, de telle manière que les autres enbénéficient au maximum ou, du moins, n’en souffrent pas. Enmême temps, elle fait en sorte que les autres se comportent dela même façon.

Les jeunes parlent beaucoup de liberté et très peu de responsabilité.Essayons de voir pourquoi, avant de nous concentrer sur l’éducation decette vertu. Etre responsable suppose d’assumer les conséquences de sesactes et en principe, il semble que les jeunes, même les moins responsa-bles, soient disposés à le faire. Assumer les conséquences de ses actessignifie pour eux supporter les critiques de leurs parents, abandonner lafacilité d’une vie confortable, etc.

Cependant, être responsable ne se limite pas à répondre de sesactes devant soi-même. «Responsabilité veut dire répondre à l’appel d’unautre. Cet autre peut être la conscience, un semblable, la société et,finalement, Dieu. Mais, pour pouvoir répondre, il faut avoir appris à entendreet à écouter. Les mots latin audire et oboedire - ouïr et obéir - sont liésétymologiquement». C’est précisément ce qui dérange l’adolescent. Etreresponsable veut dire avoir des comptes à rendre, et pas seulementsupporter les conséquences de ses actes.

De nos jours, la mode incite les jeunes à conduire leur vie en dehorsde tout engagement, à vivre pour se donner du bon temps. Or dès qu’unepersonne commence à se considérer comme son propre roi, elle cessed’être responsable. Etre responsable signifie obéir: obéir à sa conscience,aux autorités, à Dieu, en sachant que cette obéissance n’est pas un actepassif, servile, mais un acte positif d’engagement, de devoir.

Les raisons d’être responsable diffèrent selon les circonstances.Voyons quelques exemples.

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Quelle est la motivation principale d’un enfant de sept ans pourtravailler de façon responsable à l’école? Il peut avoir plusieurs raisons debien travailler: parce qu’il aime la matière; parce que le travail demandél’intéresse; parce que le professeur indique avec clarté ce qu’il faut faire.Mais il s’agit là de raisons de bien travailler, pas d’être responsable dansson travail. Pour cela, l’enfant doit être conscient d’avoir à répondre devantquelqu’un. L’instituteur va sans doute lui faire faire beaucoup de choseset, de ce fait, lui apprendre à être responsable de son travail, car il estforcé de répondre à son maître d’école. Si l’enfant était intégré dans untravail de groupe, ses raisons d’être responsable changeraient: il se sentiraitalors impliqué dans un travail collectif et reconnaîtrait que les autresattendent quelque chose de lui. Il répondrait alors par devoir envers sescamarades.

Si l’enfant comprend que ses parents sont en partie responsablesde ses études, il se peut qu’il fasse davantage d’efforts par devoir et paramour envers ses parents. Si, par la suite, l’enfant comprend que le travailest un chemin de sanctification personnelle, il se peut qu’il fasse de mêmepar devoir et par amour de Dieu. Dans certaines occasions, l’enfant reçoitl’ordre extérieur d’obéir, mais, ensuite, c’est sa conscience qui doit luidicter la relation entre ses actes et ses engagements.

Les enfants ont de multiples raisons d’être responsables mais, del’autre côté de la barrière, il faut souligner que la mission principale desparents dans l’éducation de la responsabilité est d’exercer leur autorité defaçon adéquate. «L’autorité des parents est une influence positive quisoutient et augmente l’autonomie et la responsabilité de chaque enfant;c’est un service rendu à l’enfant dans son éducation, service impliquant lepouvoir de décider et de sanctionner; c’est une aide qui consiste à dirigerla participation des enfants dans la vie de famille et à orienter son autonomiecroissante, en les responsabilisant; c’est une composante essentielle del’amour envers les enfants qui se manifeste de diverses manières et dansdifférentes circonstances».

Nous allons préciser certains aspects de l’attitude des parents vis-à-vis des enfants dans l’éducation à la responsabilité, en prenant en compteles raisons qui peuvent les pousser à y répondre adéquatement.

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Responsabilité des actes délibérésCette vertu suppose que les enfants apprennent non seulement à se

rendre responsable des décisions des autres, mais également à prendreeux-mêmes des décisions. Il est cependant normal que les petits acquièrentle sens des responsabilités en faisant consciencieusement ce qu’on leur ditde faire: c’est le sens des «décisions prises ou acceptées» figurant dansnotre description initiale. Le jeune enfant peut obéir notamment par peurde la sanction, parce que ses parents le lui demandent avec affection oupar amour pour eux.

De toute évidence, il existe des motifs plus ou moins élevés. Toutefois,obéir est une chose, bien obéir en est une autre, et c’est là que la phrase«de telle sorte que les autres en bénéficient au maximum» revêt tout sonsens. En effet, si l’enfant obéit uniquement pour être débarrassé de cequ’il a à faire, il est probable qu’il obéisse mal.

Pour agir de façon vraiment responsable, l’enfant a besoin d’unemotivation, d’une relation avec une personne, par exemple son père, etcela à chaque fois qu’on lui demande quelque chose. Mais on peut sedemander s’il a agit selon l’intention de son père, ou s’il s’est contenté desuivre à la lettre les indications données. Par exemple, une mère dit à safille: «range tes vêtements dans l’armoire, s’il te plaît». Celle qui n’obéitqu’à la lettre mettra tout en vrac dans l’armoire. La fille responsablecherchera à saisir l’intention qui sous-tend la demande et rangera ses affairescomme sa mère le lui a appris. Elle peut aussi répondre face à sa conscience,face aux autres, etc. comme nous le verrons plus loin.

A ce sujet, il serait souhaitable de préciser aux enfants la différenceexistant entre avoir des responsabilités et être responsable. La personneresponsable considère l’intention et ne se confine pas au strict minimum,tandis qu’une autre ayant des responsabilités peut très bien agir parobligation, mais sans responsabilité réelle, sans rechercher le bien des autres.Dans le second cas, il ne s’agit pas de l’acceptation active d’une décisionou d’une indication venant d’un autre, mais d’une obéissance servile.

On trouve deux écueils encore plus importants dans le sens desresponsabilités, et qui nous renseignent sur le degré de responsabilité despersonnes. Je pense à la tendance habituelle à se justifier lorsqu’on a omis

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de suivre une indication, et à celle de ne jamais s’engager en rien à moinsd’être sûr que l’entreprise va réussir. On adhère à un projet dès que toutrisque d’échec est écarté et que les fondations sont posées.

La première caractéristique est fréquente chez les plus jeunes. Ilfaut leur expliquer qu’il est plus important d’assumer les conséquences deses fautes que d’essayer de tromper les autres et de se tromper soi-même.La personne a besoin de force pour développer sons sens desresponsabilité, car si elle accepte des décisions sans avoir la capacité deles exécuter, même si elle accepte la situation et cherche une solution pourque, au moins, personne ne soit lésé, elle a véritablement besoin de forcepour pouvoir accomplir son devoir le mieux possible, ce qui est la finalitéde la responsabilité.

Un exemple permettra sans doute de mieux comprendre ce quenous entendons par ne léser personne. Un groupe de jeunes adolescentsdoit faire un travail. Il le découpe en plusieurs parties, chacun étant res-ponsable d’une partie. L’un deux est distrait et se rend soudain comptequ’il n’aura pas le temps de le finir. Même s’il a manqué de responsabilitéet mal distribué son temps en fonction de ses différentes occupations, ilessaiera au moins de ne pas léser ses camarades et demandera de l’aide àd’autres pour pouvoir accomplir la part qui lui revenait.

Jusqu’à présent, nous n’avons évoqué que la responsabilité naissantde l’acceptation d’une décision prise par un autre, et nous pensons auxplus jeunes qui doivent plus souvent accepter les décisions plutôt que deles prendre. Pourtant, c’est tout au long de la vie qu’il nous faut accepterdes décisions extérieures, même si les adolescents croient qu’être libresignifie s’affranchir de cette nécessité. Ils croient qu’il s’agit uniquementde prendre des décisions, jamais de les accepter. Mais nous sommes desêtres limités, nous vivons en société, et nous devons répondre à l’appel dela finalité pour laquelle nous avons été créés, suivre notre vocation. C’estcela se rendre responsable de nos propres vies. Ce n’est pas un choix quenous faisons, mais plutôt une invitation que nous acceptons et à laquellenous répondons. De la même façon, l’homme est bien obligé de travailler,mais il peut le faire de façon responsable ou non. Les jeunes adolescentsdevront reconnaître la nécessité d’accepter des décisions prises par

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d’autres et de s’en rendre responsables.A strictement parler, la distinction entre décision prise et décision

acceptée est erronée, car il faut prendre la décision d’accepter une décisionpour pouvoir l’exécuter avec sens des responsabilités. Mais il nous fauttenir compte des conséquences de l’acceptation d’une décision prise parun autre. Si un enfant accepte en personne responsable une décision prisepar son père, cela veut dire qu’il ne reportera pas la faute sur lui si l’affaireéchoue; à chaque indication qui lui sera donnée, il ne se plaindra pas de ladifficulté, ni de la façon dont on lui a communiqué. Car il en assumepersonnellement les conséquences et il en répondra.

Responsabilité et prise de décisionsComme nous l’avons dit, il ne s’agit pas seulement d’accepter des

décisions, mais d’en prendre à l’intérieur de sa propre zone d’autonomie,afin de s’améliorer personnellement et d’aider les autres à le faire. Il estlogique que les enfants commencent à prendre des décisions personnellesdans un cadre où leurs parents sont présents pour pouvoir les guider, c’est-à-dire à la maison. En d’autres termes, il s’agit pour eux de participer. «Laparticipation est une sorte de disposition ou d’occasion de contribuerpersonnellement à une tâche commune, au niveau de l’information, auniveau de la décision ou à celui de l’action, en s’efforçant de le faire avecsens des responsabilités».

Ce sens des responsabilités suppose une décision préalable, carbien des choses que nous faisons ou disons n’ont pas été précédées d’unedécision formelle. Par exemple, les parents peuvent demander aux enfantsdes suggestions pour résoudre un problème familial. L’un d’eux pourrarépondre peu sérieusement, en prenant les choses à la légère. Un autreessaiera d’apporter une solution sensée, non parce qu’il a consciemmentdécidé de le faire, mais en vertu d’une résolution antérieure, plus ou moinsconsciente, d’aider ses parents et ses frères et sœurs. Une décision formellepeut donc être remplacée par une disposition à vivre les choses importan-tes avec profondeur.

On peut d’ailleurs remarquer que certains enfants possèdentnaturellement un sens des responsabilités très développé. Il s’agit d’enfants

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sérieux, obéissants, sans avoir décidé consciemment de l’être. C’estpourquoi les parents doivent connaître les caractéristiques de leurs enfantsdans ce domaine, sous peine d’exiger plus de responsabilité d’un enfantdéjà responsable, alors que son problème n’est pas là, mais plutôt dedépasser des limites telles que le manque de joie, de sociabilité ou d’espritd’initiative.

Il est bon que les enfants prennent des décisions, et si l’enfant estdéjà responsable dans l’accomplissement de ses petites charges, il doitaussi être encouragé à prendre des décisions personnelles, à l’instar deceux qui éprouvent plus de difficultés à faire simplement ce qu’on leurdemande.

Comment éduquer les enfants à prendre des décisions personnellesresponsables et à les mettre à exécution? Normalement, il ne sera pasnécessaire de créer des situations permettant aux plus jeunes de décider,mais de les rendre conscients des décisions qu’ils prennent continuellement.Et cela pour qu’ils apprennent à en assumer les conséquences person-nellement. Si un enfant reçoit de l’argent de poche chaque semaine, il peutapprendre à le gérer, en le faisant durer toute la semaine, et sans se fâchers’il s’aperçoit que son frère a acheté quelque chose qui lui aurait plu. Sil’on fête un anniversaire, il peut inviter des amis en fonction de ses proprescritères. Il peut décider quel jouet il va emporter en voyage, ou déciderquel cadeau il va acheter pour la fête des mères.

A chaque fois, les parents peuvent donner des indications aux enfantspour que leur choix soit plus judicieux, pour qu’ils disposent de critèresleur permettant de décider en toute objectivité. Par exemple, dans le casdu cadeau de fête des mères, il faudra leur dire d’acheter quelque chosesusceptible de plaire à la mère et non pas à eux-mêmes, au besoin en leursuggérant quelques idées; il faut qu’ils aient plusieurs possibilités afin depouvoir vraiment choisir.

Il s’agit par conséquent de leur faire accepter positivement une seulealternative, tout en choisissant parmi quelques unes. Le moment viendraensuite de décider parmi un éventail plus large, puis de trouver eux-mêmesles possibilités. De cette façon, ils finissent par prendre des décisions res-ponsables, à partir d’une information adéquate et en prévoyant les

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conséquences. Il faudra ensuite les aider à assumer les conséquences deleurs décisions sans se plaindre ni accuser quiconque; et, comme nousl’avons déjà dit, accompagner la responsabilité de la force et de lapersévérance, pour qu’ils agissent en faveur des autres et pas seulementen évitant de leur nuire.

Pour que leurs décisions ne soient pas d’un intérêt purementpersonnel, il serait souhaitable d’orienter leurs efforts au service des autres,développant ainsi par la même occasion la générosité, précisant notammentce qui offense Dieu et ce qui Lui plaît, pour qu’ils sachent ce que signifievivre en chrétien responsable. Il ne s’agit pas seulement d’éviter le péchémais également d’affiner sa conscience pour pouvoir agir de manière pluspositive.

Les parents peuvent toujours aider leurs enfants pour qu’ils prennentdes décisions justes et adéquates. Et s’ils jugent nécessaire de susciter desdécisions, ils sauront profiter des nombreuses occasions qui se présententspontanément. En revanche, s’ils s’aperçoivent de lacunes dans cedomaine, il serait souhaitable de donner priorité au sujet et de prévoir desoccasions pour que les enfants apprennent à prendre des décisionspersonnelles. Une fois ce point acquis, les parents doivent prendre gardeà ne pas assumer la responsabilité des évènements lorsque ceux-ci tournentmal. Par exemple, un enfant décide de remettre son travail à plus tard,pour pouvoir sortir avec ses amis. Pour une raison quelconque, il rentreplus tard que prévu. Assumer les conséquences de sa décision à sa placeconsisterait à lui dire d’aller se coucher et de faire ses devoirs à sa place;ou bien de les lui laisser faire bien après l’heure habituelle du coucher.Dans tous les cas, il faudra lui prêter un réveil pour qu’il se lève plus tôt.

A l’adolescence, il est utile de donner des indications précises surles décisions que les jeunes peuvent prendre sans en parler aux parents,celles qui nécessitent de les en informer, ou celles qui doivent se prendreuniquement avec leur accord. En principe, ils devraient consulter leursparents pour les décisions concernant leurs études - sauf s’il s’agit del’aspect technique ou de la réalisation de leur travail; pour les décisionspouvant influencer un autre membre de la famille, comme celle d’arriverhabituellement à une heure différente pour dîner; et pour toute décision à

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prendre à cause d’une situation nouvelle pour laquelle ils n’ont aucuneexpérience.

Les parents, quant à eux, ont deux obligations: la première, indiqueraux enfants dans quels domaines ils peuvent décider et comment ils le font;la seconde, donner les informations nécessaires et exiger d’eux qu’ilsréfléchissent pour pouvoir prendre une décision responsable.

Il existe un type de décision qui présente des problèmes particuliersen ce qui concerne la part de responsabilité qui revient aux enfants: il s’agitde la décision prise en groupe, qui tend à diluer la responsabilité personnelle.Dans ce cas, en effet, personne n’accepte la responsabilité de la décisionà cent pour cent. Ces circonstances ne sauraient donner des résultatspositifs. D’autre part, c’est se montrer très responsable que d’assumer àpart entière une décision de groupe au même titre qu’une décisionpersonnelle. Et les parents devraient l’avoir très présent à l’esprit lorsqu’ilssoumettent un problème à résoudre ou un but à atteindre à tous leursenfants réunis. Une fois la décision prise collectivement, il faudrait parleravec chacun d’eux pour qu’ils arrivent à reconnaître leur responsabilitépersonnelle et l’importance du sujet en question. Il ne peut y avoir deresponsabilité de groupe que si, au préalable, chaque membre a acquis unsens personnel des responsabilités.

Les actes involontairesComme nous l’avons dit, il ne s’agit pas seulement d’être responsa-

ble de ce que nous décidons, mais également de ce que nous faisons,intentionnellement ou non. Si un automobiliste accroche un piéton, acteévidemment involontaire, il ne peut pas pour autant adopter une attitudeirresponsable. Il doit en rendre compte aux autorités concernées et mettreles moyens pour réparer le préjudice causé - même s’il n’a pas la responsa-bilité morale de ce qui s’est passé.

Il en va de même pour les enfants, si l’un d’eux casse le jouet d’unautre sans le faire exprès, il doit pourtant en assumer la réparation ou leremplacement, par lui-même ou par ses parents, et demander pardon. Ilest évident que les parents peuvent l’expliquer aux enfants en ces termescar c’est une question de justice.

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Cependant, dans d’autres situations, il ne suffit pas toujoursd’accepter la responsabilité une fois le fait accompli. Il faut en effet prévoirles conséquences de nos actes. Un enfant qui joue au football dans lesalon et qui brise un bibelot n’est pas considéré comme responsablesimplement parce qu’il a ensuite présenté ses excuses. Une responsabilitéconfirmée l’aurait fait mesurer les conséquences de cet acte qu’il aurait puéviter. Cette approche concerne tout spécialement les adolescents qui setrouvent constamment dans de nouvelles situations et peuvent en pâtir.Tout d’abord, ils doivent apprendre à consulter leurs parents ou d’autrespersonnes en qui ils ont confiance avant de se lancer dans une nouvelleentreprise, pour connaître les difficultés et les dangers qu’elle présente.De plus, il leur faut comprendre qu’il peut être plus courageux et plusresponsable d’y renoncer.

Nous sommes responsables de tous nos actes, et plus encorelorsqu’ils supposent une intervention de la volonté, mais également lorsqu’ilsrésultent d’un manque de prévision. De toutes façons, il est logique qu’unjour ou l’autre nous agissions sans le vouloir de manière irresponsable;être responsable consistera alors à rectifier, réparer le dommage causé ets’efforcer de ne plus commettre la même erreur. Les parents peuventexpliquer aux enfants ces aspects de la responsabilité, si toutefois ils lescomprennent bien. Nous avons tendance à chercher des solutionscompliquées pour éduquer nos enfants, alors qu’il s’agit plutôt d’avoir lesidées claires, de donner l’exemple, de clarifier et d’expliquer les choses etd’agir en sachant exactement quel est le but recherché.

Le souci des autresNous avons dit, au début de ce chapitre, que la personne responsa-

ble «fait en sorte que les autres se conduisent aussi de manière responsa-ble». En d’autres termes, se comporter en parents responsables impliqued’obtenir que les enfants le soient aussi, d’où les indications concernantl’éducation à la responsabilité. Mais il faut aussi apprendre aux enfants àaider à leur tour leurs camarades, leurs frères et sœurs et leurs parents àdévelopper cette vertu. Les enfants, à cause d’une notion erronée du respectdes autres, croient qu’ils n’ont rien à exiger de leurs camarades à cet

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égard, ou bien se fâchent ou se plaignent sans essayer positivement destimuler la personne à reconnaître son devoir.

Nos enfants auront régulièrement des camarades irresponsables et,s’ils ne font rien pour les aider, il est possible qu’ils se laissent contaminerpar ce défaut car il est plus facile d’agir en fonction de l’état d’âme dumoment ou de ses envies. C’est pourquoi nous demandons à nos enfantsune responsabilité qui s’exerce dans leurs relations avec les autres. Celafait partie de la loyauté, vertu qui fera l’objet d’un autre chapitre.D’un point de vue humain, nous avons tous une responsabilité envers lesautres. Il faut évidemment respecter les autres, mais les respecter signifieles réveiller et se montrer exigeant dans le cadre de l’amitié qui nous lie.Nos enfants devraient non seulement se sentir et se rendre responsablesde leur propre vie, mais également prêter attention aux autres, humainementet, s’ils sont chrétiens, surnaturellement parlant.

La personne responsable assume les conséquences de ses propresactes, volontaires ou non, ainsi que ce qu’elle est: un enfant de Dieu.

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L’ORDRE

La personne ordonnée suit une procédure logique, nécessairepour atteindre les objectifs qu’elle se fixe, dans l’organisationde ses affaires, l’utilisation de son temps et la réalisation desactivités, de sa propre initiative, sans qu’il soit nécessaire qu’onle lui rappelle.

La vertu d’ordre, comme toutes les vertus, comporte deux aspects:l’intensité avec laquelle elle est vécue et la droiture des motifs pour lesquelselle est vécue. Il arrive parfois que l’ordre devienne une fin en soi, c’estpourquoi il nous faut préciser dès à présent que cette vertu doit êtregouvernée par la prudence.

Bien que notre description initiale indique où, quand et comment,l’ordre est impliqué, précisons toutefois un autre aspect de cette vertu. Jeveux parler de la hiérarchie des objectifs de progrès que l’on se propose.L’ordre conçu comme moyen de rendre agréable à tous la vie de familleest très différent de l’ordre imposé comme une nécessité par des parentsmaniaques. Le développement de l’ordre ne doit jamais être tel qu’il entravela spontanéité de l’amour. Il ne s’agit pas de structurer la vie dans tous sesaspects mais d’établir un minimum qui permette d’atteindre des objectifsélevés. C’est une question de prudence.

Pour pouvoir agir de façon ordonnée, il faut disposer d’une structurementale ordonnée. Cependant, les parents peuvent difficilement constaterl’existence de cet ordre mental chez leurs enfants. Il leur est plus pratiqued’en observer les résultats: comment ils organisent leurs affaires, réalisentet répartissent leurs tâches, et cela dans beaucoup de domaines différents.Nous pouvons les observer, par exemple, dans le travail, dans le jeu, dansleurs rapports avec les autres et avec Dieu. Et, si l’on veut approfondir,dans leur façon de s’exprimer par écrit et par oral, de se préparer poursortir, de rentrer à la maison, etc.

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L’observation permet aux parents de savoir ce qui arrive à leursenfants, mais ils ne doivent pas oublier de commencer par eux-mêmes.L’exemple est toujours utile, notamment en ce qui concerne la vertu del’ordre.

Le bon exempleCertains parents pensent ne pas pouvoir apprendre l’ordre à leurs

enfants car eux-mêmes ne sont pas ordonnés. Ils ont tort. En fait, les parentséduquent leurs enfants dans les domaines où eux-mêmes essaient de sedépasser pour maintenir un niveau correct. D’autre part, les parents d’unnaturel très ordonné ont du mal à comprendre que leur conjoint ou leursenfants ne le soient pas. Ils considèrent que l’ordre est inné et que s’il faitdéfaut chez une personne, c’est à cause de sa paresse et de sa commodité.Nous sommes tous différents et les parents doivent apprendre à accepterleurs enfants comme ils sont. Il s’agit ensuite de les stimuler dans leur luttepersonnelle.

L’exemple de l’ordre est bon à condition que les enfants comprennentle pourquoi des efforts de leurs parents, et que ces efforts aient réellementun sens. Nous l’avons dit, l’ordre pour l’ordre n’est pas justifiable et lesparents doivent se demander quel est le but recherché et quel degré d’ordreils veulent obtenir. Bien que l’exemple de nos efforts soit très éducatif, onne doit pas pour autant oublier les résultats déjà obtenus, c’est-à-direl’ordre établi dans la maison. Les enfants doivent remarquer l’ambianced’ordre qui règne sous le toit familial. L’ordre est très lié à la propreté, etsi les parents ne se soucient guère de faire le ménage, d’habiller proprementles enfants, il est peu probable que ceux-ci soient ordonnés. C’est pourquoila propreté personnelle est importante pour des raisons d’hygiène, certes,mais aussi pour disposer les personnes à s’intéresser à l’ordre.

L’ordre, s’il est gouverné par la prudence, devrait permettre auxparents de se débrouiller avec quelques règles logiques, sans faire de leurmaison une vitrine ni un musée. Nous voulons que nos enfants aient unstyle personnel, tout en respectant les autres et en sachant vivre avec eux.Il s’agit donc de développer la vertu de l’ordre sans excès, en spécifiantoù, quand et comment.

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L’organisation du tempsLa difficulté majeure que nous rencontrons dans l’utilisation de notre

temps est de savoir ce qui est important et ce qui est urgent, pour ne passacrifier l’un pour l’autre. Les parents savent à quel point il est nécessairede parler avec leurs enfants pour les connaître et leur montrer qu’ilss’intéressent à ce qu’ils font. Cependant, d’innombrables petits besoinssurgissent constamment, des urgences qui empêchent, en principe, cetteattention. Si c’est difficile pour les parents, ce le sera aussi pour les enfants.Il faut pourtant apprendre aux enfants à ordonner leurs activités dans letemps, pour qu’ils discernent ce qui est prioritaire à chaque instant.

Il s’agit notamment de concilier les activités routinières de chaquejour avec d’autres tâches spécifiques qui prennent un certain temps. Parexemple, tous les jours, les enfants doivent dîner. Il peut leur arriver d’êtreoccupés à un travail demandé par le professeur au moment où la mère lesappelle à table. Il existe alors deux critères possibles. Soit l’important estde dîner tout de suite pour faciliter la vie de famille et parce que la mère nepeut pas préparer un dîner échelonné selon les désirs de chacun. Soit cequi prime, c’est le travail de l’enfant.

Le sens commun nous oblige à établir des règles logiques pourconcilier les deux points de vue, règles établies d’après le type d’activité àréaliser.

1. On peut distinguer cinq types d’activités:2. Activités devant être réalisées à un moment spécifique et avec

régularité.3. Activités devant être réalisées sans interruption.4. Activités qui nécessitent un certain temps de réalisation, mais qui

peuvent être interrompues en cours de route.5. Activités de durée variable pouvant être placées à tout moment.6. Activités périodiques, mais peu fréquentes, ou activités

occasionnelles à réaliser à une date précise.Dans la vie de famille, on devrait en premier lieu informer les enfants

des activités qu’il faut réaliser à un moment déterminé, qui ne correspondpas forcément à une heure déterminée. Par exemple, les enfants peuventsavoir qu’ils doivent tout laisser pour aller dîner quand leur mère les appelle;

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qu’ils doivent ranger leurs jouets quand ils ont fini de jouer. On peut alorsobtenir un enchaînement d’actions très utile notamment pour les plus jeunes.Par exemple, en arrivant de l’école pour déjeuner, ils savent qu’ils doivent:1) Saluer leurs parents. 2) Ranger leur manteau. 3) Se laver les mains. 4)Se mettre à table. 5) Manger ce qu’on leur sert. On pourrait avoir un autreenchaînement à l’heure du coucher.

On peut établir une règle qui oblige à respecter ces moments, àcondition qu’aucune autre activité en cours ne soit, de ce fait, interrompue.Et que, dans la mesure du possible, on exige les mêmes choses plus oumoins à la même heure, tout en acceptant que cela ne soit pas toujoursréalisable, ce qui nous apprend à rester souples.

Pour le deuxième type d’activités, il faut prévoir le meilleur momentet le respecter. D’ailleurs, si l’on donne priorité à une chose, on est plussûr de l’accomplir. Il y a toujours des impondérables et ceux-ci ne sontpas compatibles avec les activités qui, une fois commencées, ne peuventêtre interrompues. C’est pourquoi dans l’éducation, il faut apprendre auxenfants à choisir le moment de réaliser ces activités. Toutes les mères ontvu leurs enfants commencer à ranger leurs affaires avec la meilleure volontélorsque, une demi-heure après, commence leur programme de télévisionpréféré. A moins d’avoir des parents très exigeants, ils laissent tout enplan. Il serait souhaitable de leur apprendre à prévoir le temps nécessaireà chaque activité. De cette façon, ils seront ordonnés.

Le troisième type d’activité requiert l’attention de l’enfant, ainsi quel’utilisation de sa mémoire, pour qu’il puisse reprendre le travail en cours àtout moment. Lire un livre suppose que l’enfant se souvienne qu’il a unlivre en cours et où il en est. L’ordre est ici très lié à la persévérance, carcertaines activités peuvent durer très longtemps.

Collectionner des timbres implique non seulement de savoir bien lesplacer dans l’album, mais également de trouver le temps de le faire.Apprendre à jouer de la guitare suppose de prévoir du temps pour répéter.

Les activités de durée variable et pouvant se caser à n’importe quelmoment présentent bien des difficultés. Ecrire une lettre, même si cela neprend que cinq minutes, peut nous préoccuper pendant des semaines.Pour que les enfants cirent leurs chaussures, si aucun moment particulier

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n’est prévu à cet effet, il faudra finalement que les parents sévissent. Nousavons l’habitude d’occuper le temps «libre» par le plus attrayant ou par leplus urgent. Et c’est souvent le plus attrayant qui l’emporte. C’est pourquoiil faut savoir que le développement de la vertu de l’ordre suppose dedonner priorité aux choses peut-être moins agréables, mais nécessaires.Sous peine de les «oublier» totalement.

En ce qui concerne les activités périodiques mais peu fréquentes,ou les activités occasionnelles à réaliser à une date précise, il est difficilede s’en souvenir à temps. Je pense notamment à: souhaiter un anniversaire,aller à un rendez-vous, remettre un travail, rendre visite à un ami. Peu degens ont une mémoire telle qu’ils se souviennent de tout sans aide. Lasolution la plus facile est d’utiliser un agenda. Je dis «facile» bien qu’il encoûte à certains de noter les choses et de consulter ensuite leur agenda.Comme pour toutes les habitudes, il est préférable de commencer jeune.Apprenons donc à nos enfants à utiliser un agenda.

Dans tout ce que nous avons dit concernant le profit du temps, lesparents peuvent instruire et stimuler leurs enfants. Dans un premier temps,les habitudes se forgent principalement sous les ordres. Pourtant, afind’obtenir des adolescents qu’ils poursuivent leurs efforts sans la pressiondes parents, il faut que les enfants comprennent qu’il importe d’organisernotre temps de façon raisonnable pour être efficace et ne pas déranger lesautres.

Il est vrai que, pour développer une vertu, nous pouvons profiter detoutes les tâches que nous réalisons spontanément. A certains moments, ilfaudra non seulement profiter des occasions mais prévoir et planifier desactivités qui devront s’intégrer en priorité dans notre horaire.

Ordre et rangementUn autre aspect de l’ordre est le rangement selon des règles logiques,

en l’occurrence selon la nature et la fonction de l’objet. Cet ordre com-porte deux finalités: bien ranger les affaires pour qu’elles ne s’abîment pas,et les ranger de façon sensée pour pouvoir les trouver quand on en abesoin et pour qu’elles se trouvent à leur place au moment de les utiliser.

Dans ce domaine, deux points sont à souligner. Les parents

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demandent aux enfants de remettre à leur place les objets utiles à tous etégalement de ranger raisonnablement leurs affaires bien que cela n’aitaucune influence sur les autres.Comment faire en sorte que les enfantsrangent leurs affaires sans être constamment derrière eux? En premier lieu,bien que cela semble une lapalissade, il faut que chaque chose ait sa place.Ensuite, il faudra se montrer très patient et persévérant pour exiger desenfants. Il n’y a pas de recette dans l’éducation et, dans ce domaine peuagréable, la seule solution est d’insister. Nous pouvons tout au plus suggérerquelques aides qui peuvent s’avérer utiles pour certains enfants, inefficacespour d’autres.

Nous avons dit que les enfants doivent connaître la place de chaquechose. Il faudra aussi leur préciser à quel moment ils doivent rendre l’objetemprunté. On leur dira normalement: «Quand tu as terminé, tu le rends».Le mot «terminer» n’est pas concret pour l’enfant. Il vaudrait mieux luidemander ce qu’il pense faire avec les ciseaux et ensuite lui dire par exemple:«Quand tu as fini de découper la figure, avant de la coller, tu les remets àleur place».

Autre possibilité: la sanction. Si l’enfant n’a pas remis pas les ciseauxà leur place, on ne lui permet pas de les utiliser la fois suivante. Cependant,cette arme est à double-tranchant, car il est possible que, sans elle, l’enfantne fasse jamais bien les choses.

Finalement, il semble que la meilleure solution soit de favoriser uneémulation au sein de la famille pour que chacun remette les choses à leurplace. Si chacun se sent responsable du rangement, même si ce n’est paslui qui a dérangé, nous sommes en train d’obtenir l’ordre à la maison et, enmême temps, le développement de la responsabilité de chaque enfant.Dans ce domaine, en effet, le système des charges attribuées à chacuns’avère peu utile: chaque enfant peut mettre beaucoup de soins à lesaccomplir parce qu’il s’agit de ses charges et non parce qu’il se sent res-ponsable de la famille. Il est donc préférable d’exiger une collaborationcontinuelle de tous. Ainsi, chacun peut se sentir responsable et aider lesautres à l’être. Chaque famille verra quelle solution lui convient le mieux.

En ce qui concerne le rangement des affaires personnelles, les enfantsdoivent apprendre à l’effectuer en tenant compte de la nature et de la

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fonction des choses. Habituellement, chez les plus jeunes, l’ordre consisteà tout mettre en vrac dans l’armoire et à fermer la porte. Lorsque la mèrel’ouvre, tout s’écroule. En fait, les enfants acquièrent progressivement unecertaine logique et l’on s’aperçoit un jour que les voitures et les poupéessont rangées par type de jouets, ou que les livres sont classés par ordre degrandeur. Il est préférable que les enfants apprennent à ranger selon descritères personnels, plutôt que d’imiter aveuglément ceux de leurs parents,même s’ils bénéficient de leur aide et sont, dans une certaine mesure,influencés par leur façon de faire. C’est pourquoi il faut exiger que nosenfants rangent leurs affaires, mais pas selon nos normes.

Pour leur apprendre à ranger, les parents peuvent leur demanderd’aider lorsqu’ils rangent la bibliothèque, nettoient et rangent les ustensilesde cuisine ou font une valise. En second lieu, on peut leur demander dechercher le pourquoi de leur propre «système»; cela peut susciter leurintérêt de trouver la place la plus adéquate pour ne pas endommager unjouet, pour pouvoir le trouver facilement et pour le trouver là où il est plusprobable qu’il soit!

La réalisation des activitésPour être ordonné, il ne suffit pas de bien ranger les affaires, mais

également de bien les utiliser. Un enfant qui fait exprès de briser un jouetn’est pas à proprement parler ordonné, même s’il conserve ensuite lesmorceaux. Il ne faut pas non plus tomber dans l’extrême inverse et exigerque l’enfant n’emploie un jouet qu’à la seule fin prévue par le fabricant, ouqu’il utilise un seul jouet à la fois.

Dans les activités ayant pour but de se distraire, même si elles sonten même temps éducatives, on ne peut se montrer rigide. Il s’agit plutôtd’éviter une mauvaise utilisation des jouets, sans empêcher l’enfant d’utiliserson imagination. C’est pourquoi prendre un parapluie pour un fusil n’estpas un désordre, mais l’utiliser pour ouvrir un tiroir coincé en est un carcela peut l’abîmer.

Les parents, pour développer chez leurs enfants la vertu de l’ordre,doivent distinguer entre les objets qui nécessitent une règle du jeu pourêtre utilisés convenablement et ceux qui, par leur nature même, permettent

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une interprétation plus large. Utiliser les choses avec ordre peut signifierque l’on apprenne aux enfants comment fonctionne une machine à écrire;comment téléphoner; comment coller des photos dans un album; commentutiliser des ciseaux; comment réparer une prise cassée, etc. Dans chaquecas il existe des règles qui permettront à l’enfant d’utiliser l’objet de façonappropriée. Si l’enfant ne les respecte pas, l’objet peut se rompre ou êtredangereux. Ce type d’éducation ne concerne pas seulement les chosesextérieures mais également la personne elle-même. En effet, il fautapprendre à bien utiliser son intelligence, son affectivité, son corps, enfonction de règles du jeu, de quelques principes sans lesquels on peut finirpar utiliser son intelligence pour détruire quelque chose de bon par exemple,ce qui équivaut à utiliser un jouet pour briser une fenêtre. Si nous ne prenonspas garde à ce que les enfants fassent un usage correct de leurs affaires,celles-ci peuvent s’altérer ou devenir dangereuses pour eux.

Nous avons dit qu’il faut différencier les objets qui font appel à unerègle du jeu, de ceux qui en ont moins besoin. Utiliser des livres pour faireun château peut paraître désordonné à certains et pas à d’autres: cesderniers préfèrent que l’enfant s’amuse avec des livres à condition qu’il neles abîme pas. Evidemment, nous trouvons là deux critères implicites: lerisque que le livre s’abîme et le danger qu’il puisse représenter pour l’enfantou les autres. Il faut pourtant tenir compte d’un troisième critère: le bénéficeque l’on peut tirer de l’objet.

Dans la vie quotidienne, les parents apprennent généralement à leursenfants à utiliser correctement les choses, surtout s’ils tiennent à ce quel’enfant vive la modération en tout. S’ils ne le font pas et s’ils n’en voientpas l’importance, sous prétexte qu’ils ont les moyens de tout remplacer encas de casse, il est logique que ni l’ordre ni la modération n’aient de senspour eux.

L’ordre que l’on exige des enfants pour leurs affaires est une bonnepréparation à l’apprentissage de leurs propres capacités et qualités enfonction de la finalité pour laquelle elles ont été crées. Sans ordre extérieur,la personne peut difficilement avoir un ordre intérieur. En fait, ceux quin’arrivent pas à vivre cet ordre sont parfois harcelés par leur consciencequi les avertit d’une inadéquation entre leur finalité et leur comportement.

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Pour conclureLorsque les enfants sont encore petits, les parents doivent leur

demander de vivre l’ordre par des actes concrets. Les enfants commencentpar obéir purement et simplement, puis ils comprennent peu à peu le sensde leurs actes si les parents les guident en fonction de la finalité recherchée.Pour obéir activement - et non parce qu’il n’y a pas moyen de faireautrement - les enfants ont besoin d’une information claire sur ce que l’onattend d’eux. Les parents doivent exiger l’obéissance, mais en même tempsdonner systématiquement toutes les explications nécessaires. En effet, desparents qui demandent aux enfants d’être ordonnés, d’une façondésordonnée, n’obtiendront sans doute que de piètres résultats.

Le danger pour les parents réside dans le désordre au momentd’exiger, mais également dans le fait d’exiger sur certains aspects et d’ennégliger d’autres. Nous avons tous nos domaines de passivité en ce quiconcerne l’ordre. On peut écrire une lettre logique et systématique, puisjeter ses vêtements par terre en se couchant; parler et raisonner avecprécision, sans jamais ranger son bureau; s’habiller avec recherche etélégance mais ne prendre aucun soin des livres. Il s’agit de s’améliorerdans tous les aspects de l’ordre, en admettant notre tendance à oublier,occulter ou justifier les manques d’ordre dus à la paresse. Les personnesordonnées, quant à elles, devront s’efforcer de comprendre que les autressont différents et de les accepter tels qu’ils sont. Il serait d’ailleurssouhaitable qu’elles réfléchissent sur la finalité de l’ordre.

L’ordre en tant qu’habitude doit être significatif, de telle sorte queles adolescents arrivent à vivre cette vertu en y mettant leur personnalité.Auparavant, les parents devaient rappeler continuellement aux enfants defaire l’indispensable. Puis il est logique que les parents se fatiguent. Si labataille de l’ordre n’est pas gagnée avant l’adolescence, les parentspourront difficilement donner de leur temps et de leur attention pour desproblèmes plus urgents et plus propres à cet âge. Ce n’est pas que l’ordresoit moins important pour l’adolescent. Au contraire, sans cette base, ledéveloppement des autres vertus sera bien plus difficile car manquera alorsà la détermination - nécessaire au développement de ces vertus - la basesystématique sans laquelle elles ne peuvent exister.

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PROFITER LE TEMPS

I. PLANIFIER, S’ORGANISER, AVOIR DES OBJECTIFS

Pourquoi planifier son travail?Un plan de travail devient vite une très bonne habitude. Quelques

minutes de réflexion par jour procurent de nombreux avantages.• Pour gagner beaucoup de temps.On travaille toujours plus efficacement lorsque le temps est limité.Fixer des limites précises à chaque travail (ex: décider de consacrer

2 ou 3 heures à la révision d’un devoir).• Pour éviter la fatigue.Éviter de travailler par à-coups.Équilibrer les périodes d’étude et de loisirs dans la journée ou dans

la semaine.Dégager l’esprit de tous les soucis liés aux retards, aux oublis.• Pour être efficace.Un planning donne envie de terminer ce qui est commencé et d’une

manière générale envie de travailler.Il indique les priorités.Il évite de perdre du temps à rêver avant de décider de ce que l’on

va entamer.• Pour se libérer.Planifier, c’est aussi gérer son temps de travail pour profiter davantage

de ses loisirs sans avoir mauvaise conscience.

Planifier en début d’année• Sachez ce que l’on attend de vous.Demandez à vos professeurs les règles du jeu (pour les contrôles et

pour l’examen).• N’attendez pas pour planifier votre travail.

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N’attendez pas février ou Pâques pour songer au passage dans laclasse supérieure ou pour préparer le bac par exemple.

Comblez vos retards dès les premières semaines de l’année, alorsque le rythme n’est pas encore trop soutenu.

Ne comptez pas sur le beau temps du mois de mai pour vousstimuler.

• Ne misez pas tout sur une ou deux disciplines uniquement!• Prenez l’habitude d’un travail régulier que vous organisez en

fonction de vos priorités.

Un but, des objectifs, des moyens• Un but.Par exemple, passer dans la classe supérieure ou avoir un bon livret

scolaire pour entrer dans une école après le bac.• Des objectifs:Obtenir la moyenne dans toutes les disciplines.Améliorer un groupe ou une matière.Combler une ou plusieurs lacunes. Les objectifs que vous allez vous

fixer devront être réalisables, chiffrés et datés; vous serez ainsi motivés.• Des moyens.Vos plages de temps libres dans la semaine.Vos points forts (dans quelle discipline vous travaillez plus vite).Vos outils (livres, CD ROM, etc.)Vos soutiens (professeurs, camarades...).

Un plan de travail efficace• Planifiez chaque semainePlanifier, sur votre agenda, votre travail en fin de semaine pour la

semaine suivante.Incluez vos périodes d’activités et de détente dans votre semaine.Consultez le programme de télévision de la semaine et notez dans

votre agenda ce qui vous intéresse vraiment. En procédant ainsi, vousvous obligez à ne pas rester rivé à votre poste.

• Travaillez aux meilleures heures de la journée Réservez les heures

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les plus favorables pour les travaux les plus difficiles.De 9 h à 12 h: bonne période de travail, avec performance la meilleure

vers 10 h.De17 h à 19 h: période favorable à la mémorisation à long terme

(l’apprentissage des leçons, les révisions).Avant de dormir: si vous êtes toujours en forme, période idéale

pour la mémorisation.• Restez efficaces au travailPrévoyez le temps nécessaireConsacrez le temps minimum à ce qui est facile.Réservez plus de temps pour ce qui est difficile ou pour ce qui vous

ennuie.Commencez votre journée d’abord par les travaux les plus ardus

ou les plus importants.Évitez si possible de quitter votre travail avant de l’avoir terminé,

sauf pour de courtes pauses.Prévoyez des moments de détenteEffectuez des pauses de 10 mn, toutes les heures et demie au

maximum.Variez le travailAlternez les disciplines (difficiles puis faciles).Variez les types d’activité, par exemple les séances de mémorisation

puis les exercices.Gardez l’esprit libre! Lorsque des idées vous viennent à l’esprit,

notez-les sur un petit carnet qui ne vous quitte pas.

Contrôler ses réalisationsUn plan n’est utile que s’il est suivi d’effets. Pour cela contrôlez

l’avancement de votre travail.Chaque soir:• Barrez ce qui est effectué.• Reportez ce qui reste sur les jours suivants.• Consultez votre programme du lendemain.Chaque fin de semaine:

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Consultez vos travaux et objectifs du mois.Barrez ce qui est effectué.Reportez ce qui reste sur la ou les semaines à venir.Sélectionnez vos loisirs de la nouvelle semaine.Répartissez, sur chaque jour de votre agenda, travaux et loisirs.

II. TROIS LOIS À CONNAÎTRE

Une loi biologique:en vingt quatre heures, l’activité humaine subit toutes sortes de

fluctuations et le rendement du travail varie à certaines heures de la journée:performances intellectuelles maximales jusqu’à midi, puis déclin

jusqu’à 16h environ et remontée ensuite, avec un nouveau maximum entre17 et 21h.

La loi de Parkinson:plus on dispose de temps pour accomplir un travail, plus ce travail

prend précisément du temps.Lorsqu’il n’y a pas de limite de temps, on a tendance à «traîner»,

voire même, parfois, à ne pas achever le travail en question. Au pire, on lebâcle.

Ce sont souvent les personnes qui n’ont rien à faire qui se noientfacilement dans un verre d’eau.

La loi de Cervantès:Par la rue «tout à l’heure» on arrive à la maison «jamais».Ce qui fatigue, ce n’est pas le travail, mais plutôt ce qu’on aurait dû

faire, qu’on n’a pas fait, et qui nous tourmente alors sous forme d’unevague et sourde inquiétude qui affaiblit notre énergie...

En d’autres termes: lorsque tu dois faire un devoir de mathématiqueset qu’en même temps tu te mets à penser à la dissertation pour laquelle tuas attendu la dernière minute, tu finis par gâcher le devoir et la dissertation!

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4 règles à observer:• Pour gagner du temps: Ne faire qu’une tâche à la fois et ne penser

à rien d’autre pendant son exécution.• Pour son emploi du temps: Ne pas quitter une tâche avant de

l’avoir terminée. (si on t’envoie chercher le pain alors que tu es en pleinerédaction, par exemple, ne réponds surtout pas: je finis ma phrase et j’yvais. Au contraire: arrête-toi en plein milieu de la phrase, tu verras avecquelle facilité tu retrouveras le fil de ton raisonnement).

• Pour du temps libre: ne jamais remettre à demain ce qu’on peutfaire le jour même et respecter scrupuleusement les temps qu’on s’estfixés pour chaque chose: si tu as décidé de faire une demi-heure d’histoire-géo et trois-quarts d’heure d’anglais, tu arrêtes d’apprendre ton histoireau bout d’une demi-heure même si tu n’as pas tout appris, mais tu continuesà faire de l’anglais même si tu as fini ta leçon au bout de vingt minutes.

• Journal du temps libre: Ne jamais perdre quelques minutes quise présentent sous prétexte que ce n’est pas la peine de commencer untravail qu’on n’aura pas le temps de finir.

Une conclusion logique: établir sa feuille de journée chaquesoir.

• Les matinées sont des moments privilégiés. Il faut donc lesréserver, si on n’a pas de cours, au travail créatif et créateur (dissertations,versions, problèmes de mathématiques, etc.).

• Les débuts d’après-midi sont des moments moins propices à laconcentration mentale; il faut les consacrer donc au sport ou à la «besogne»(rangement, classement, correspondance, mise au propre des notes,découpage des revues, etc.).

• Les fins d’après-midi sont à nouveau des moments privilégiés àréserver aux devoirs, à l’apprentissage des leçons, aux révisions...

• Après dîner ne pas entreprendre de travail difficile et,immédiatement avant le coucher, établir la feuille de journée du lendemain,préparer ses affaires et revoir ses leçons (le travail du subconscient lesfixera définitivement pendant votre sommeil, à votre insu).

• Les temps morts (battements d’une demi-heure, transports, etc.)

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peuvent représenter parfois plusieurs heures par jour. Ils seront donc utiliséspour des choses qui peuvent être interrompues (apprentissage duvocabulaire des langues vivantes, des dates en histoire, des théorèmes enmaths, etc).

• Les nuits sont réservées au sommeil, même et surtout avant lescontrôles ou les examens! Le travail nocturne n’est jamais efficace car ilintervient au moment où le sang est empoisonné par l’accumulation desdéchets d’assimilation de la journée. Le temps nécessaire à la «lessive» ouau renouvellement des neurones est de 10 heures jusqu’à 13 ans, 9 heuresde 14 à 17 ans, et de 8 heures au-delà. Il faut donc absolument fixerl’heure du coucher en fonction de celle du réveil plutôt qu’en fonction dela fin des émissions de télévision

III. GÉRER VOTRE TEMPS

Le temps du plaisir, le temps de travail...«Tempus Fugit» ou «Le temps passe». Voilà un dicton latin qui est

toujours très approprié et bien évident à notre époque moderne. Nouséprouvons tout le temps l’urgence des choses, les changements rapidesde notre environnement, la mobilité du travail et des personnes qui nousentourent.

Imaginez-vous au réveil, encore à moitié endormi après seulement5 heures de sommeil. Vous vous apprêtez à commencer votre journéeavec des tâches qui vous paraissent insurmontables: des factures à régler,des rapports à rendre avant midi, des coups de fil à passer, les coursespour la semaine à faire, l’organisation du barbecue du samedi soir, la réunioninterminable en fin de journée. Bref, il y a des temps, des temps et encoredes temps.

Vous êtes surbooké et vous vous sentez stressé. Votre «machine»n’en peut plus. Tout cela devient de plus en plus lourd pour vous.

Un jour vous comprendrez, que pour vous, être humain, temps etvie sont synonymes. Je manque de temps = il me manque de la vie, jeperds mon temps = je perds de ma vie.

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Votre pire ennemi n’est ni votre patron, ni le professeur de maths devos enfants mais le TEMPS, et surtout le MANQUE DE TEMPS. C’estce qui vous empêche de remplir vos fonctions et vos activités de la viequotidienne.

Ce manque de temps est particulièrement marqué dans les sociétésurbaines et industrielles.

Les gadgets et les outils modernes comme les téléphones portables,les fours à micro-ondes, les ordinateurs et autres appareils électroniquesportatifs simplifient nos vies et nous font gagner du temps.

La connectivité des personnes par la technologie mobile ainsi queles vastes et efficaces systèmes de transport aussi bien dans les paysdéveloppés que dans les pays en voie de développement, permettent decommuniquer plus rapidement et facilitent les relations sociales.

Ces changements nous révèlent l’importance de la gestion du tempsau quotidien et la nécessité de mener une vie plus organisée et plus pratique.Le temps est mesuré et contrôlé par ces nouvelles technologies, ainsi,nous devons nous adapter aux contraintes dictées par notre époque.

Pour vous, tous les jours, la mise en œuvre la plus pragmatique et laplus concrète de votre philosophie doit être votre emploi du temps, quiconcrétise l’emploi de votre vie.

Et quand certain disent qu’ils «n’ont pas la notion du temps» c’estqu’ils vivent uniquement dans la durée, ce qui trouble la perception objectivede déroulement des heures. Réconcilier la durée et le temps n’est pasfacile. La durée est le plaisir de vivre, alors que l’efficacité de l’enchaînementde nos actions quotidiennes se doit de respecter le temps.

Marc Aurèle, se demandait chaque soir: «ai-je fait un bon usage demon temps».

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LES SIX VERTUS HUMAINES FONDAMENTALES

Il semble que les variations d’humeur puissent être prédéterminéespar notre héritage génétique. Fluctuant autour d’une valeur moyenne (etdans une «gamme de températures»), l’humeur serait gouvernée par unesorte de thermostat interne qui règle les hauts et les bas. Ainsi, desévénements à portée immédiate tels que gagner le gros lot ou perdre unemploi pourraient nous donner de la chaleur et nous rendre plus heureuxou nous refroidir et nous rendre plus tristes. Mais, à l’exception des gran-des catastrophes comme la mort d’un enfant, il s’avère que les circonstancesn’ont relativement pas d’importance à long terme. Au bout d’une périodeapproximative de trois mois, nous retournons à notre état affectif naturel.

Ces observations ont conduit Martin Seligman, Ray Fowler et MihalyCsikszentmihalyi (fondateurs de la psychologie positive en 1998) à écarterles exposés trop optimistes sur la plasticité de l’être humain. Selon eux, ilexiste des limites réelles à notre capacité à agir sur notre humeur. Mais,Seligman et ses confrères sont persuadés qu’il y a beaucoup de chosesque nous pouvons faire pour «vivre dans les niveaux supérieurs de notreéchelle du bonheur» et éprouver davantage d’émotions positives ainsiqu’une «satisfaction abondante et authentique» durable.

La clé, selon eux, réside dans le «caractère». Selon Seligman, ceterme est passé de mode en en raison de sa trop forte connotation«victorienne» (forte propension à attribuer les maux dont souffrait l’humanitéaux seuls défauts moraux, ou défauts de caractère). Ce qui (en réaction) apoussé de nombreux penseurs à se tourner vers des idéologies quidéchargeaient les individus de toute responsabilité personnelle pour leurssouffrances. Le marxisme, le freudisme et le darwinisme social ont ainsi liéle destin de l’individu à des forces indépendantes de sa volonté telles quela lutte des classes, les motivations inconscientes ou la survie du plus apte.Cependant, pour Seligman, de telles idéologies ne sont plus valables depuislongtemps. «Il est temps de ressusciter le caractère en tant que concept de

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base de l’étude scientifique du comportement humain».Pour venir à bout de cette tâche, Martin Seligman a fait appel à

Christopher Peterson, professeur de psychologie clinique à l’université duMichigan. Avec l’aide d’une équipe de chercheurs, les deux hommes ontétabli une «taxinomie du bon caractère», équivalent positif de ce que l’ontrouve dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux(livre de référence sur la maladie mentale), à la différence que le but deSeligman et de Peterson était de mettre au point un système de classificationdes traits positifs - les forces mentales et les vertus - plutôt que des troublespsychiques. Ils ont abouti à une liste de vingt-quatre éléments, répartisdans six catégories générales: la sagesse, le courage, l’amour, la justice, latempérance et la spiritualité. Désireux d’éviter tout a priori culturel, Seligmanet son équipe ont complété leurs recherches cliniques par la lectured’ouvrages sur la sagesse provenant du monde entier. Ils se sont appuyéssur un large éventail de textes, allant d’Aristote et de saint Thomas d’Aquinaux Upanishad, au Talmud, au Coran et à Lao-tseu, en passant par BenFranklin, le manuel des boy-scouts et le code de l’honneur klingon [dansla série télévisée Star Trek].

Pour réaliser cette recherche axée sur la psychologie positive, nousavons conçu un questionnaire d’autoévaluation qui permet de mesurer cesvingt-quatre forces, le VIA-IS. À ce jour, plus d’un million de personnesdans le monde ont participé à cette évaluation de leurs forces, en répondantà ce questionnaire traduit en plusieurs langues et accessible gratuitementen ligne.

D’après cette étude, ces valeurs universelles seraient les suivantes:

SAGESSE ET CONNAISSANCEForces cognitives qui favorisent l’acquisition et l’usage de la

connaissance.• Créativité: trouver des manières originales et productives de faire

les choses. Cela comprend les réalisations artistiques, mais ne s’y limitepas.

• Curiosité: trouver un intérêt à toute expérience en cours;s’intéresser à tel ou tel sujet; explorer et découvrir.

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• Ouverture d’esprit: examiner les choses sous tous les angles; nepas tirer de conclusions hâtives; être capable de changer d’avis à la lumièrede nouvelles informations.

• Amour de l’apprentissage: acquérir de nouvelles compétenceset de nouveaux domaines de connaissance (en autodidacte ou non). Cetteforce est évidemment liée à la curiosité, mais s’en distingue par la tendanceà vouloir acquérir systématiquement de nouvelles connaissances.

• Sagesse: être capable de donner des conseils avisés; posséderune manière de voir le monde qui soit porteuse de sens, tant pour soi quepour les autres.

COURAGEForces émotionnelles qui impliquent l’exercice de la volonté

pour atteindre les buts que l’on s’est fixés, malgré les obstacles inter-nes et externes.

• Bravoure: ne pas reculer devant la menace, les difficultés ou ladouleur; défendre ce qui est juste envers et contre tous; agir selon sesconvictions, même si c’est impopulaire. Cela inclut le courage physique,mais ne s’y limite pas.

• Persévérance: finir ce qu’on a commencé; persister malgré lesdifficultés; aimer mener à bien un travail.

• Authenticité: dire la vérité, mais plus généralement se présenterde façon authentique; être sans prétention; assumer ses sentiments et sesactes.

• Vitalité: aborder la vie avec enthousiasme et énergie: ne pas faireles choses à moitié; vivre la vie comme une aventure; se sentir bien vivant.

HUMANITEForces interpersonnelles consistant à tendre vers les autres et à

leur venir en aide.• Amour: valoriser les relations étroites avec les autres,

particulièrement lorsque les sentiments (partage, affection) sont réciproques;être proche des gens.

• Gentillesse: rendre des services, faire de bonnes actions; aider

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les autres, prendre soin d’eux.• Intelligence sociale: être conscient des motivations et émotions

des autres (et des siennes propres); savoir faire ce qui convient dansdifférents contextes; comprendre les ressorts du comportement des gens.

JUSTICEForces qui sont à la base d’une vie sociale harmonieuse.• Travail en groupe: savoir travailler au sein d’un groupe ou d’une

équipe; avoir l’esprit d’équipe: accomplir sa part.• Sens de l’équité: traiter toute personne équitablement; ne pas se

laisser influencer par ses sentiments personnels dans les décisionsconcernant autrui; donner à chacun sa chance.

• Leadership: encourager le groupe dont on fait partie à réaliserdes choses, tout en s’efforçant de maintenir de bonnes relations en sonsein; organiser des activités collectives.

TEMPERANCEForces qui protègent contre les excès.• Pardon: pardonner à ceux qui ont mal agi; accepter les défauts

des autres; savoir donner une seconde chance; ne pas être animé par lavengeance.

• Modestie: laisser des réalisations parler d’elles-mêmes; ne passe mettre en avant; ne pas se prendre pour plus que ce que l’on est.Prudence: être prudent dans ses choix; ne pas prendre de risques inutiles;ne pas dire ou faire des choses que l’on pourrait regretter par la suite.

• Maîtrise de soi: rester maître de ses sentiments et de ses actes;être discipliné; maîtriser ses appétits et ses émotions.

TRANSCENDANCEForces qui favorisent l’ouverture à une dimension universelle

et donnent un sens à la vie.• Appréciation de la beauté et de l’excellence: remarquer et

apprécier la beauté, l’excellence et/ou la maîtrise technique dans lesdomaines les plus divers.

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• Gratitude: être conscient et reconnaissant des bonnes chosesqui arrivent; prendre le temps d’exprimer des remerciements.

• Optimisme: attendre le meilleur de l’avenir et œuvrer à saréalisation; penser qu’un avenir heureux est quelque chose que l’on peutprovoquer.

• Humour: aimer rire et taquiner; être souriant; voir le côté drôledes choses; faire des plaisanteries.

• Spiritualité: connaître sa place au sein de l’Univers; croire ausens de la vie, en tirer un réconfort et une ligne de conduite.

Selon Seligman, la psychologie positive n’a pas pour finalitéd’indiquer quelles sont les forces et les qualités que nous devons adopter,mais plutôt quelles sont les conséquences de nos choix.

Il conviendrait d’identifier parmi toutes ces vertus et ces forces cellesqui nous définissent le mieux et de les appliquer de manière délibérée dansles choses importantes de la vie.

Pour ne donner qu’un exemple, les statistiques montrent quel’optimisme prépare mieux l’individu à surmonter les échecs et à releverde nouveaux défis. Rien d’étonnant à ce qu’il s’agisse d’un trait de caractèrelargement partagé par ceux qui se disent heureux. De même, la gratitudeet le pardon nous libèrent de l’amertume et de notre ressentiment envers lepassé, ce qui permet d’être plus réceptif (en meilleure relation avec lemonde qui nous entoure), plus altruiste et finalement plus créatif.

Chacun d’entre nous possède son «niveau personnel de bonheur»,affirme Martin Seligman, tout en soulignant qu’une partie de notre aptitudeà développer des «pensées positives» pourrait être entravée par notrehéritage génétique. Pourtant, notre état de santé, qui demeure à nos yeuxla composante la plus importante de notre bonheur, n’aurait une influencedéterminante qu’en cas de maladie grave. La subjectivité qui déborde denos pensées et de nos émotions prend souvent le pas sur l’objectivitéquant à notre condition physique. Le fait de ne pas être malade est tellementperçu comme normal que personne ne pense à s’en réjouir.

Mihaly Csikszentmihalyi, a observé que le niveau de satisfaction del’individu s’élève lorsque celui-ci est engagé dans des actions où il met sonego de côté. En donnant de notre temps aux autres, nous nous oublions et

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oublions donc ce qui nous rendait soucieux. C’est ce que Csikszentmihalyi,appelle vivre une expérience optimale, une expérience autotélique ou leflow: «une situation dans laquelle l’attention est librement investie en vuede réaliser un but personnel parce qu’il n’y a pas de désordre qui dérangeou menace le soi» (p. 51). Ses principales caractéristiques sont les suivantes:«une adéquation entre les aptitudes de l’individu et les exigences du défirencontré, une action dirigée vers un but et encadrée par des règles, unerétroaction permettant de savoir comment progresse la performance, uneconcentration intense ne laissant place à aucune distraction, une absencede préoccupation à propos du soi et une perception altérée de la durée»(p. 79). «L’expérience optimale est une fin en soi; elle est recherchée pourelle-même et non pour d’autres raisons que l’intense satisfaction qu’elleprocure» (p. 79). C’est par l’action nous pouvons connaître le flow. Enétat de flow, les gens sont durablement concentrés sur l’objectif à atteindreils sont au maximum de leurs capacités, mobilisent toutes leurs compétenceset utilisent au mieux toutes ressources à leur disposition. Plus ils pensentqu’ils vont réussir, plus ils sont envahi par une émotion (ressentiephysiquement, souvent sous la forme d’un «frisson dans l’échine») qui lesporte, «comme s’ils étaient sur un petit nuage»: rien ne semble pouvoir lesarrêter!

La gratitude tient une place importante dans le cheminement vers lebonheur.

Tous les chercheurs ayant travaillé sur le sujet ont observé que semettre en situation de savourer le moindre plaisir nous enrichit et nousmène sur la voie du pardon. «C’est la reine de toutes les vertus, etprobablement la plus difficile à acquérir», (Peterson, cité par Hélias, 2002):l’accès au pardon nous propulse dans une vision altruiste de l’existencequi nous permet de devenir à la fois plus humbles et plus courageux.

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AVEU POUR AVEU (JE SUIS CROYANT PAS PRATIQUANT)

Je suis croyant, pas pratiquant...

Quel prêtre ou évêque n’a pas entendu cent fois, mille fois cet aveu,souvent suivi, chez les hommes, de quelques vieux souvenirs d’enfants dechœur, et d’histoires de burettes dans les sacristies.

Tout aveu doit être respecté. Mais il peut être réfléchi et mêmequestionné:

Respecté?Parce que chacun a son chemin. Parce que nul ne peut condamner

son frère. Parce que, Jésus l’a souvent remarqué, la foi la plus belle peutêtre celle de l’étranger païen qui ne vient jamais à l’assemblée de prière.

Réfléchi?Parce que, le plus souvent, ceux et celles qui ne pratiquent plus ont

été des fidèles du dimanche pendant de longues années. Ils ont sans douteleur part de responsabilités, mais nous avons aussi les nôtres, et ce sontcelles-là que nous avons à réfléchir: messes jugées ennuyeuses; lecturesmal proclamées; manque de collaborations entre les équipes liturgiques etles groupes divers de la paroisse qui pourraient prendre en charge, avecelles, l’animation dominicale (caté, scouts, aumôneries de jeunes, équipesd’action catholique, SOS, Coopération Missionnaire, CCFD, etc); absenced’accueil des nouveaux; regard de travers sur les personnes divorcéesremariées qui tiennent à participer à l’Eucharistie autant qu’elles le peuvent;homélies trop peu préparées; lieux tristes; assistance passive et dispersée.Sur tout cela, nous pouvons et devons progresser.

Questionné?En effet, l’expression «je suis croyant, pas pratiquant» peut être

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humblement questionnée. Je peux vous faire un aveu personnel: je suispratiquant parce que je ne suis pas assez croyant. Cela peut voussurprendre, mais c’est ainsi. Parce que toute messe ravive ma foi. Parceque toute messe, avec ou sans bonne homélie, me fait entendre la Parolede Dieu. Parce que toute messe, avec ou sans chants, me permet de rendregrâce à Dieu le Père pour le don plénier de son Fils Jésus. Parce que toutemesse, avec beaucoup ou peu de monde, me permet de me reconnaîtrepécheur devant mes frères. Parce que toute messe m’appelle à vivre del’Esprit ma vie de tous les jours.

Toute messe éveille, réveille, envoie… Sans elle, je me demandesouvent ce que je deviendrais… Aveu pour aveu!

ON NE NAÎT PAS CHRÉTIEN, ON LE DEVIENT

Si les chemins sont variés pour le devenir, celui des enfants est souventbalisé par la catéchèse. S’appuyant sur une expérience de terrain quelconstat pouvons-nous faire?

Aujourd’huiSi les familles, premiers éducateurs de leurs enfants sont moins

nombreuses qu’hier à proposer la foi, elles restent majoritairementconvaincues que l’enfant a besoin de grandir harmonieusement dans satête, dans son corps et dans son cœur. Le catéchisme va permettre cemûrissement, cette ouverture aux autres, à l’Autre: Dieu.

Pour d’autres familles, le choix est laissé à l’enfant. Il est libre de sepréparer aux sacrements mais se retrouve seul pour assumer sesengagements de chrétien: le voilà dans une impasse car on n’est paschrétien tout seul.

D’autres situations existent bien sûr, comme celles des famillesséparées, recomposées ou éprouvées. Elles doivent assumer cesbouleversements qui les touchent et sont parfois loin de reconnaître leChrist comme Celui qui vient nous rejoindre dans l’épaisseur de nos vieshumaines.

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Mais l’horizon des enfants ne se limite pas à leurs familles.Aujourd’hui plus qu’hier, les enfants évoluent dans un milieu

pluriculturel, pluri-religieux, enrichissant dans sa diversité mais où il n’estpas facile d’être chrétien. L’enfant s’interroge, est interrogé dans sa foipar son entourage. Ces confrontations sont autant de prises de consciencedu sens de sa vie.

Beaucoup de loisirs s’offrent aux enfants. Les emplois du tempss’en trouvent de plus en plus compliqués à gérer. Ils «zappent» d’uneactivité à l’autre et le caté est considéré comme une activité supplémentaire.

La réduction du temps de travail donnera-t-elle aux parents plus dedisponibilité pour le dialogue et pour l’éducation religieuse ou faut-il craindreune «RTC « (Réduction du Temps pour la Catéchèse), liée aux sollicitationstrop nombreuses et aux emplois du temps parfois différemment surchargés?

S’agit-il aujourd’hui de cultiver les loisirs, de donner des repèresculturels, des valeurs morales ou de transmettre la foi à la suite du Christ?

Pour accompagner les enfants à devenir chrétiens, les catéchistes -par catéchistes j’entends tous ceux qui jouent un rôle dans la transmissioncatéchétique: prêtres, laïcs, animateurs de terrain comme responsables -ont un rôle important à jouer auprès des familles et même au-delà, encomplément de celles-ci.

La catéchèse est un acte ecclésial où l’ensemble de la communautéchrétienne doit contribuer à sa mise en place, son fonctionnement, sondevenir. Ainsi l’enfant catéchisé, pourra, au sein du peuple de Dieu, trouveret prendre sa place en célébrant avec les autres. L’enjeu actuel ducatéchisme n’est-il pas d’amener les enfants à une réelle expériencede Jésus dans leur vie?

Fini le temps où prêtres et religieuses «faisaient « seuls le catéchisme.Aujourd’hui les catéchistes sont des hommes et des femmes qui acceptentde témoigner de leur foi auprès des enfants. Ils sont appelés pour annoncerla Parole de Dieu à la suite des apôtres. C’est bien le Christ qu’il s’agitd’annoncer et de suivre. Même s’il n’est pas obligatoire de tout savoir,d’avoir réponse à tout, ils ne peuvent sur leur simple bonne volontétransmettre la foi et parler «de» Dieu si eux-mêmes ne parlent pas «à»Dieu dans la vie de foi qui les anime.

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Les enfants nous questionnent, nous bousculent, nous invitent àdonner comme eux, notre vrai visage de chercheur de Dieu, à la suite duChrist, animés par l’Esprit. Quelle richesse d’accompagner les enfantsmais aussi les adultes sur un chemin de foi! Ils nous donnent autant qu’ilsreçoivent.

Aujourd’hui la formation des catéchistes est un passage quasi-obligé pour permettre un apport biblique, théologique, spirituel, pastoralet s’enrichir ainsi des expériences de foi de chacun en préparant lesrencontres avec les enfants.

DemainForts de ces expériences, il nous faut envisager l’avenir. Nous pouvons

avoir confiance, mais il nous faut inventer. En effet, des innovationspastorales sont à apporter pour rencontrer l’autre dans sa quête parfoisbalbutiante de Dieu.

Au niveau du rythme des rencontres, inventons des temps decatéchèse où parents et enfants se retrouvent, pour découvrir le Christ.Ainsi certains parents pourront, à travers leur enfant, recommencer unchemin de foi, d’autres s’investiront davantage lors de rencontres, nonplus d’une heure hebdomadaire, mais pour des temps plus importants maismoins fréquents.

Soyons audacieux pour mettre en œuvre de nouvellespratiques. Pensons à déscolariser le catéchisme. Soyons attentifs àindividualiser les demandes de sacrements pour ouvrir un véritable cheminde foi pour la vie.

Ayons confiance en l’Esprit-Saint qui guide et accompagne lavie de tout être, sans oublier d’encourager et de soutenir les familles quifont la démarche aujourd’hui d’inscrire leur enfant au catéchisme.

Pour que la proposition de foi reste actuelle, n’hésitons pas à nousremettre en question, travaillons la Parole pour qu’elle nous travaille.

Prochainement, les évêques de France, réunis en assemblée plénièreà Lourdes, vont aborder le thème de la catéchèse. Puisse l’Esprit-Saintinspirer leurs réflexions afin de promouvoir une transmission vivante etactuelle de la foi de toujours.

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La variété des parcours catéchétiques est une richesse qui leur permetd’être en phase avec les enfants dans leurs diverses situations. Attentioncependant, car les parcours d’aujourd’hui, si bien adaptés soient-ils, serontvite des parcours d’hier…

Après-demainSans doute les nouvelles technologies se développeront-elles dans

la pastorale catéchétique pour servir utilement la transmission de la foi.Mais l’homme - et «tout homme est une histoire sacrée « -sera toujours levivant témoin du Christ.

Je crois à une catéchèse qui rend heureux, et donne sens à lavie. Le catéchiste doit être patient: il sème sans toujours voir les fruits,mais l’Esprit est à l’œuvre.

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REPENSER LA FOI

Remise en questionDes millions de cadavres hantaient les esprits au lendemain de la

seconde guerre mondiale et de la Shoa, empêchant quiconque de continuerà penser ou à croire comme auparavant. La raison et la religion venaientde faire pareillement naufrage dans ces tragédies. La littérature athée mitalors en scène un monde sans Dieu et absurde, dépourvu de toutesignification définie par avance, où seul l’homme pouvait donner du sens àce qui n’en avait pas en engageant sa liberté au service des autres. Dieuétait congédié, mais l’idée de Dieu restait si présente que le biologiste JeanRostand a pu dire: «Si seulement les croyants pensaient aussi souvent àDieu que nous qui n’y croyons pas!».

Dans les années 80, c’est un matérialisme pratique qui s’imposa,ignorant Dieu et considérant la foi comme une survivance anachronique.Tout en continuant à admettre l’existence de Dieu, beaucoup de gensvivaient comme s’ils n’y croyaient pas; et l’indifférence religieuse pénétrajusque dans les Eglises. Mais alors que semblait se confirmer le fameuxslogan «Dieu est mort», il y eut vers 1985 un «retour du religieux» aussiinattendu qu’exubérant - ou du moins une surprenante «recomposition»du champ religieux. Les Eglises connurent des poussées charismatiques etintégristes, et hors des institutions traditionnelles surgirent des attentesspirituelles inédites et se développa un marché du religieux foisonnant ethétéroclite. Certains sont allés jusqu’à parler d’une «revanche de Dieu»!

Au terme de cette évolution contrastée, la foi est aujourd’hui àrepenser. La critique de l’aliénation religieuse faite par l’athéisme gardetoute sa pertinence à l’heure où le désir de la satisfaction individuelle estprivilégié au détriment des responsabilités communautaires. De nouvellesformes de partage et de spiritualité se cherchent au-delà du matérialismeet du narcissisme de la société de consommation. La diversification del’offre religieuse pose de multiples problèmes, dont celui de la vérité des

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religions. Marginalisées et confrontées aux tentations identitaires, lesinstitutions ecclésiastiques ont à se redéfinir au service de Dieu et deshommes dans un environnement désormais laïc et pluraliste.

Les obstacles à la foiLe comportement passé et actuel des chrétiens et des Eglises

représente pour nombre de nos contemporains le principal obstacle à lafoi. Pour définir la spécificité de son mouvement, Jésus n’a pas parlé desacrements, de culte, d’orthodoxie ou de hiérarchie; il a simplement affirmé:«C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que le mondereconnaîtra que vous êtes mes disciples». Or l’histoire du christianisme estpleine de querelles, de déchirements et de crimes commis au nom de Dieu.Peut-être Jésus dirait-il aujourd’hui à Thomas: «Heureux ceux qui croirontmalgré ce qu’ils ont vu»...

Une autre difficulté pour la foi provient du scandale de la souffranceinjuste et du mal. Le spectacle des atrocités que subit le monde est-ilconciliable avec l’idée d’un Dieu tout-puissant qui serait un Dieu d’amour?Comme l’athée, le croyant doit admettre que le mal ne s’explique pas etpeut pas se justifier. La foi chrétienne éclaire cependant singulièrement laquestion du mal en confessant un Dieu qui a lui-même été victime du malsur la croix de Jésus-Christ. L’histoire des religions ne fournit aucun exemplecomparable à celui de ce Dieu vaincu qui a révélé, dans sa faiblesse et sadéfaite, que l’amour peut l’emporter sur le mal et la mort, et qu’il n’existepas d’autre toute-puissance que celle de l’amour. Aimer les hommes etcombattre les maux dont ils souffrent sont les seules réponses possibles auproblème du mal - pour les croyants comme pour les non-croyants.Beaucoup de gens refusent la foi pour ne pas devoir renoncer à l’espritcritique qu’ils considèrent à juste titre comme une prérogative essentiellede l’homme. De fait, les Églises ont doublement tort quand elles veulentimposer la foi comme s’il s’agissant d’un savoir assuré, et quand ellesculpabilisent les personnes qui doutent. D’abord parce que chaque croyantlucide est habité par des doutes et que l’agnosticisme doit être respecté entant que donnée incontournable de la condition humaine: on peut croireque Dieu existe ou croire le contraire, mais nul ne peut réellement savoir

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ce qu’il en est. Ensuite parce que la foi inclut le doute plus qu’elle ne s’yoppose, ne serait-ce que dans la mesure où le doute éprouve la foi etpermet de l’approfondir. C’est dans la tension entre la foi et le doutequ’intervient le choix de croire en dépit des raisons qui poussent à douter.«Croire, selon le théologien Paul Tillich, c’est embrasser la foi et le douteà son sujet».

Croire aujourd’huiCroire de nos jours comme il y a deux mille ans, au nom d’une

authenticité originelle, est non seulement impossible, mais serait contraireà la raison et à la foi. Cela reviendrait à nier que l’homme et Dieu lui-mêmese réalisent dans l’histoire, et à mépriser tout ce qui a pu être créé au coursdes deux millénaires écoulés. Pour être crédible, le discours de la foi doitêtre traduit dans la culture contemporaine façonnée par les progrès dessciences et des techniques. Au lieu de confondre l’évangile avec le mouledans lequel il s’est formé, il faut distinguer ce qui, dans les dires de Jésus etles récits qui les ont accompagnés, relevait des conceptions empiriques outhéoriques d’une époque, de ce qui a constitué l’essentiel du messageévangélique; puis le faut traduire ce message dans nos représentationsactuelles. C’est le sens qui compte, et non la lettre. Ainsi, les récits relatifsà la virginité de Marie n’ont de toute évidence pas eu pour objet de noustransmettre des détails d’ordre gynécologiques; ils devaient signifier demanière symbolique et forte que Jésus est venu de Dieu et a incarné saParole - ce qui es capital pour la foi. La vérité est toujours à redéfinir dansle présent: c’est l’interminable et modeste tâche de la théologie, qui incombeà tous les croyants.

Mais la foi ne se réduit pas à des abstractions. Croire, ce n’est pastant adhérer aux formules d’un credo qu’agir dans le quotidien avec Dieuau milieu des hommes. C’est seulement en se mettant au service des autres,en luttant pour la justice et la paix, qu’un homme peut découvrir ce quecroire veut dire et ce qu’il croit vraiment, et qu’il peut partager sa foi avecses contemporains. «Si tu veux croire en Jésus-Christ, commence parfaire quelque chose en son nom» disait Albert Schweitzer. La foi ne con-siste pas à commémorer des évènements d’autrefois pour restaurer les

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images d’un Dieu du passé et gagner le paradis; elle porte à faire advenirDieu concrètement parmi l’humanité d’aujourd’hui et de demain. Pourcela, une fraternelle et souveraine liberté est indispensable, et il n’y a pas às’embarrasser de préalables doctrinaux ou institutionnels: tous ceux qui sebattent pour humaniser le monde, qu’ils soient croyants ou athées, portenten eux une part de ciel.

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L’IDENTITÉ CHRÉTIENNE À L’ÉPREUVE DE LAPLURALITÉ DES RELIGIONS

INTRODUCTION

Trois remarques préliminaires:1. L’objectif de cette conférence est d’ouvrir notre année universitaire

en précisant à nouveau, à la faveur de sa nouvelle implantation au Centrediocésain «Le Mistral», les objectifs de notre Institut. Je rappelle quel’Institut de sciences et de théologie des religions (ISTR) de Marseille a vule jour dans la mouvance du synode de l’église catholique, célébré en1991, et qu’il travaille en relation privilégiée avec la Faculté de théologiede l’université catholique de Lyon, le Centre de La Baume-lès-Aix etl’Institut supérieur de théologie de Nice Sophia-Antipolis. Notre Institut adonc jailli de la vie même de notre église. Il a reçu mission de prendre encharge, théologiquement et avec le concours des sciences religieuses, lesquestions que posent à la foi chrétienne les diverses caractéristiques de lasociété dans laquelle cette foi a à être proposée, en particulier la pluralitédes religions, l’émergence de nouvelles formes de religieux, la présencedes sectes et la croissance de l’indifférence religieuse. Cette premièreremarque fait tout de suite comprendre ce qu’est la théologie que nousvoulons pratiquer ici: non pas une activité d’érudition intellectuelle pour lasatisfaction de quelques-uns, mais un service des communautés chrétiennes,par un long et minutieux travail d’écoute, de réflexion, de discernement etde recherche.

2. La deuxième remarque concerne la délimitation de la tâche quirevient à la théologie ainsi comprise comme service des communautéschrétiennes pour l’intelligence et la proposition de la foi, lorsqu’elleentreprend de considérer les questions que pose aux chrétiens l’expérienceconcrète de la pluralité des religions et des rencontres vécues avec descroyants cheminant sur d’autres voies religieuses. S’il est vrai que, depuis

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ses origines, le christianisme s’est maintes fois trouvé en position de relation,voire de conflit, avec d’autres religions, force est de reconnaître quel’époque contemporaine, plus que toute autre à ce jour, lui imposel’obligation d’avoir à préciser sa position, son attitude, son jugement, àl’égard, et même vis-à-vis des autres religions.

La tâche la plus décisive est alors, me semble-t-il, de chercher àbien comprendre l’identité et l’originalité de la foi chrétienne. En effet, onne peut pas prétendre œuvrer sérieusement en vue du dialogue interreligieuxsi l’on ne prend pas le temps d’une connaissance approfondie de ce quicaractérise la foi au nom de laquelle on entreprend ce dialogue. Certes,une connaissance des autres religions sera requise (et c’est l’un des secteursde l’activité de l’ISTR). Certes, une étude du phénomène religieux à l’aidedes diverses sciences humaines sera également utile et même nécessaire(et nous sommes heureux de pouvoir le proposer aussi, dans le cadre dudépartement d’études interreligieuses). Mais le plus important, si la théologien’est pas érudition mais service de la foi, est de s’attacher à biencomprendre, de l’intérieur même de notre foi, quelle en est la cohérence,enracinée dans l’écriture et développée dans la Tradition. Ce n’est qu’enétant pétri de cette cohérence et en ayant assumé l’héritage de sa propreTradition, considérée dans son entier et non pas de manière sélective, quel’on pourra discerner ce que la foi chrétienne a à dire, ce dont elle a àtémoigner, dans le monde d’aujourd’hui, et notamment vis-à-vis desreligions. C’est cela qui constitue le sens du travail de notre Institut, que cesoit dans le cadre du département d’études interreligieuses ou même pourcelui de la licence de théologie. Il s’agit de travailler à mieux comprendrel’identité chrétienne en la mettant à l’épreuve de la pluralité des religions.

3. Troisième remarque par laquelle je viens au titre même de maconférence: pour comprendre ce qui caractérise la foi chrétienne parmitoutes les croyances religieuses, et pour pouvoir proposer cette foi audébat et au dialogue, il faut réfléchir sur ce qu’est l’église elle-même, sur laconscience qu’elle a et l’interprétation qu’elle donne de son identité, de savocation, de sa mission. Car Dieu, personne ne l’a jamais vu (Jn 1,18). Ceque l’on voit, c’est l’église, ou plutôt ce que l’église donne à voir de ce quila fait vivre. Et là encore, force est de constater que nos contemporains

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ont souvent l’impression que l’église n’est qu’une institution avec unemultitude de règles, de lois, de prescriptions, indiquant ce qu’on doit croireet comment on doit vivre. Ils perdent de vue la substance vivante de cetteinstitution, substance qu’ils croient d’ailleurs pouvoir trouver, peut-êtremême de façon plus fraîche et plus vraie, dans d’autres lieux que l’égliseinstituée. Ces remises en question, qui ne sauraient être négligées, ne sontcependant pas nouvelles.

Déjà en 1938, dans son livre programmatique intitulé: Catholicisme,le futur cardinal Henri de Lubac, qui aimait à parler du «paradoxe « et du«Mystère « de l’église, soulevait l’interrogation: «Pourquoi cette église?Son rôle serait-il donc seulement de procurer un salut meilleur ou plusassuré à un petit nombre de privilégiés?».1 Pourquoi l’église? Qu’a-t-elledonc de spécifique? Que dit-elle de l’homme à partir de sa foi en Dieu?Quel est donc son message? Et comment se fait-il que, depuis ses origi-nes, elle se soit toujours «reconnu la charge du genre humain tout entier»,comme le remarquait le même H. de Lubac?2 Quelle est donc sa missionpropre, et comment pense-t-elle, à partir de là, sa relation et sa différencepar rapport aux grandes religions du monde?

C’est à ces questions que je voudrais réfléchir ici en trois étapes.Tout d’abord, je chercherai à préciser le fondement de notre foi, à

savoir l’engagement de Dieu en Jésus-Christ. J’ai choisi le mot«engagement», parce que ce mot dit bien ce qu’est, en christianisme, laRévélation: non pas une information que Dieu aurait, de loin, donnée surlui-même, pour que nous puissions croire en lui, mais une action, une parolequi est action (c’est le sens du mot hébreu davar), une parole qui estengagement, dans une vie humaine concrète, jusqu’à la mort sur la croix.Hans Urs von Balthasar, qui est l’auteur d’un livre intitulé précisémentL’engagement de Dieu,3 écrivait, dans un autre ouvrage: «Le dévoilement

__________1. Henri de Lubac, Catholicisme, Aspects sociaux du dogme, Paris, éd. du

Cerf, 1941 (2e éd.), p. 162.2. Ibid., p. 168.3. Hans Urs Von Balthasar, L’engagement de Dieu, Paris, éd. Desclée, 1971.

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du «cœur de Dieu», l’acte qui nous dit réellement qui il est, ne s’opère quedans le déroulement de son histoire avec les hommes».4

Je déduirai ensuite, dans un deuxième temps, plus bref, lescaractéristiques fondamentales de la mission de l’église, telles qu’ellesapparaissent à partir de l’engagement de Dieu et en fonction de la réalitédu monde d’aujourd’hui, avant d’analyser enfin, dans un troisième temps,la place particulière du dialogue interreligieux dans la mission de l’égliseainsi comprise et redéfinie.

1. L’ENGAGEMENT DE DIEU

Pour cette première étape, trois prises de conscience sontnécessaires. La première à propos de celui qui prend l’engagement, àsavoir Dieu, le mot «Dieu « ayant, en christianisme, un sens très précisqu’il faut apprendre à distinguer de celui que lui donnent les autres religions;la deuxième à propos de l’acte central et décisif de cet engagement, àsavoir la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ; la troisième à proposdu destinataire de cet engagement, qui n’est pas l’église mais le monde lui-même, c’est-à-dire non seulement l’humanité, dans la diversité de sescultures et de ses religions, humanité à laquelle est proposée une alliance,mais aussi le cosmos et toute la création.

1. Première prise de consciencePrenons tout d’abord conscience qu’il ne suffit pas de croire en

Dieu pour s’identifier comme chrétien, car il y a bien d’autres personnesqui croient en Dieu, d’une manière profonde, honnête et respectable, et

__________4. Hans Urs Von Balthasar, La Dramatique divine, t. II-1, Paris, éd.

Lethielleux, 1988, p. 10. Et ailleurs: «La révélation de Dieu n’est pas seulement unobjet à regarder: elle est son action dans et sur le monde, à laquelle le monde nepeut répondre (et qu’il ne peut comprendre) que par l’action» (Hans Urs VonBalthasar, La Dramatique divine, t. I, Paris, éd. Lethielleux, 1984, p. 10).

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qui n’en sont pas pour autant chrétiennes. On doit donc chercher à préciserquelle est la manière chrétienne de croire en Dieu. Qu’est-ce qui différencieles chrétiens parmi, d’une part, tous ceux qui croient aussi en Dieu, qu’ilssoient juifs ou musulmans, et, d’autre part, tous ceux qui pratiquent unesagesse, qu’ils soient hindous, bouddhistes, ou qu’ils suivent une autrevoie?5 Et même lorsque l’on parle de Dieu, parle-t-on vraiment du mêmeDieu?

Il faut nous souvenir que, pour les chrétiens, l’identité de Dieu estdéterminée par la relation que la foi professe entre Dieu et Jésus le Christ.En rigueur de termes, nous ne savons rien de Dieu qui ne nous ait étérévélé par et en Jésus-Christ, le Verbe incarné. Plus précisément, lasingularité et la personnalité de Dieu sont désignées par sa relation depaternité envers Jésus le Christ, son Fils, dans la communion de l’Esprit. Ilne faut donc pas trop vite identifier notre manière de concevoir Dieu aveccelle des croyants d’autres religions, sous peine de tenir cette relationtrinitaire pour inessentielle. Il faut donc résister à la tentation d’uneassimilation hâtive entre la compréhension chrétienne de Dieu et celle quiprévaut en d’autres religions. La foi chrétienne est réponse à un Dieu quis’est révélé dans un événement de salut, qui est un événement historique,singulier, I’ événement de la vie, de la mort et de la résurrection de JésusChrist. C’est à partir de cet événement que cette foi affirme que «Dieuveut que tous les hommes soient sauvés» (1 Tm 2, 4) et qu’»il n’y a qu’unseul médiateur de salut, un homme, Christ Jésus, qui s’est livré en rançonpour la multitude» (1 Tm 2, 5). Et c’est la raison pour laquelle cette fois’exprime avant tout dans la célébration eucharistique du mémorial de lapassion et de la résurrection de Jésus.

Lorsque les chrétiens affirment que Jésus-Christ est «à la fois lemédiateur et la plénitude de toute la révélation» (Dei Verbum, n° 2), ilsattestent qu’en l’homme Jésus, confessé comme le Christ, le Fils de Dieu

__________5. Voir Joseph Doré, Foi en Dieu et identité chrétienne. L’articulation

entre théologie et christologie, dans Joseph Doré (dir.), Sur l’identité chrétienne,Paris, éd. Desclée coll. «Relais-études « n° 8, 1990, p. 171-216.

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fait homme, a habité «corporellement toute la plénitude de la divinité» (Col2, 9). Même si cette affirmation pose à la raison humaine de redoutablesquestions, elle est cependant très importante pour comprendre la singularitédu christianisme parmi les religions. Cette singularité est fondée sur unecertaine idée de la révélation, qui diffère radicalement de celle que l’ontrouve dans d’autres traditions religieuses et dont il nous faut bien prendreconscience, car elle a d’importantes conséquences pour la compréhensiondes enjeux théologiques de la rencontre du christianisme avec les religions.

En effet, si la révélation n’était qu’un ensemble de vérités quitomberaient du ciel et auxquelles il faudrait adhérer, alors on pourrait sedemander s’il ne serait pas opportun de chercher à enrichir ces informationssur Dieu par d’autres vérités que Dieu aurait données ailleurs, notamment,ce qui semble logique, dans les religions, les vérités des uns étantcomplémentaires des vérités des autres. On en arriverait alors à concevoirune pluralité de voies de salut, qui au fond se vaudraient toutes. Voilàprécisément ce qu’est le relativisme que vise la récente déclaration de laCongrégation pour la doctrine de la foi, déclaration intitulée Dominus Iesus.

Car la révélation telle que la reçoit la foi chrétienne n’est pascommunication de vérités, si grandes et si subtiles soient-elles. Elle estautocommunication de Dieu (pour reprendre une expression chère à KarlRahner), de sa vie trinitaire, de son être divin, auto communication qui estprécisément un engagement, un don, une invitation de la part de Dieu,pour que tout homme et toute femme qui répondra librement à cetteinvitation puisse vivre de la vie même de Dieu et communier à la joie et à laliberté des enfants de Dieu. Certes, Dieu ne s’est pas fait connaître quedes chrétiens et la foi chrétienne ne prétend pas que l’on ne pourrait pasêtre sauvé en dehors d’elle. Mais elle affirme que l’Esprit qui est présent etagissant partout dans le monde est l’Esprit du Christ, l’Esprit de JésusChrist, et que dès lors, tout salut vient du Christ, quelle que soit la conscienceque l’on a de l’origine de ce salut. Comme l’affirme le concile Vatican II enparlant de l’offre du salut: «Et cela ne vaut pas seulement pour ceux quicroient au Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne volonté, dansle cœur desquels, invisiblement, agit la grâce. En effet, puisque le Christest mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement

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unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous,d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associés au mystèrepascal».6

Nous comprenons ainsi pourquoi le christianisme ne saurait sesatisfaire d’être dénommé «religion du livre». Car pour lui, c’est unepersonne, Jésus le Christ, et non un livre, fût-ce le Nouveau Testament,qui est la plénitude de la révélation.7 Et encore, ce n’est pas seulementJésus, mais Jésus crucifié8 (1 Co 2, 2) et ressuscité9 (1 Co 15,17) qui estau cœur de la foi des chrétiens. Tout ce que Dieu avait à nous dire, il nousl’a dit en cet homme-là, son Fils bien-aimé. Il faut bien mesurer l’audacede cette affirmation et son caractère quasi scandaleux pour la raisonhumaine. Dieu nous a tout donné de lui dans l’existence toute simple decet homme-là. «Et cela, écrit Balthasar, par une humble vie humaine querien d’extraordinaire ne distingue sinon l’amour ardent du Père et deshommes, une vie d’ouvrier et de prédicateur, qui veut s’achever dans lapauvreté et l’ignominie. Sa glorification après la mort n’est attestée quepar de rares témoins. Rien dont la grande histoire eût pris connaissance.Un homme seulement, le Fils de l’homme».10

Dans toute rencontre interreligieuse, il importe donc de se souvenirque lorsque les chrétiens parlent de Dieu, ils parlent de celui qui s’estcommuniqué lui même, qui s’est donné, qui s’est engagé, qui s’est livrépour nous (pro nobis) en Jésus-Christ, un Dieu trinitaire qui s’est révélé àtravers son action dans l’histoire des hommes et dont l’engagement culmi-ne en son Fils Jésus-Christ, notre Seigneur, mort et ressuscité, afin d’ouvrirà tout homme la Voie de la Vie et de la Vérité, l’invitant à communier à sa

__________6. Gaudium et spes, n° 22, §5.7. Voir Nostra aetate, n° 2.8. «Non, je n’ai rien voulu savoir parmi vous, sinon Jésus-Christ, et Jésus-

Christ crucifié».9. «Et si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi est vaine; vous êtes encore

dans vos péchés».10. Hans Urs Von Balthazar, La foi du Christ, Paris, Aubier, éd. Montaigne,

1968, p. 176-177.

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propre vie trinitaire et à coopérer à son œuvre de salut. Ce n’est qu’enprenant acte de cela que l’on pourra comprendre l’originalité de l’église etde sa mission.

En effet, aucune autre religion, à ma connaissance, ne confesse unetelle chose.11 Aucune autre ne prétend que son fondateur historique n’estpas seulement un homme, si parfait soit-il, mais Dieu lui même, Dieuréellement engagé et véritablement présent dans notre histoire. Il faut bienreconnaître que cette affirmation tient soit du scandale, soit de la folie. Etpourtant, c’est cela que l’église confesse, c’est de cet événement qu’ellese reçoit sans cesse dans la célébration eucharistique, et ce n’est pas enrelativisant cette foi que l’on facilitera le dialogue interreligieux. Bien aucontraire, ceux qui sont réellement engagés dans la rencontre interreligieusesavent qu’un vrai dialogue suppose le respect de la foi de chacun despartenaires, dans sa cohérence propre, fût elle difficilement compréhensibleà l’autre interlocuteur.

Il faut, dès lors, s’intéresser aux deux autres prises de conscience.

2. Deuxième prise de conscienceCelle concernant l’acte décisif et central de l’engagement de Dieu,

à savoir la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ. En effet, c’est lalogique de l’incarnation qui fonde la cohérence chrétienne et l’on ne sauraitréduire cette logique à une métaphore12 prétendant que le Verbe de Dieu,qui s’est incarné en Jésus, pourrait aussi bien s’incarner ailleurs, pourd’autres cultures et d’autres religions, Jésus n’étant le sauveur que deschrétiens, c’est-à-dire de la religion de la culture occidentale. De tellesmanières de penser nuisent gravement à ce qui constitue la foi chrétiennedans son originalité la plus profonde. Sur la croix, Dieu est pleinement

__________11. Je mets à part le judaïsme. Ce n’est pas, pour l’église, une religion comme

une autre. C’est «L’olivier franc «, Et tout ce que je viens de dire plonge ses racinesdans la foi d’lsraël.

12. Voir John Hick, The Metaphor of God Incarnate, Christology in aPluralistic Age, Kentucky, Westminster, John Knox Press, 1993.

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__________13. Joseph Doré, La présence du Christ dans les religions non chrétiennes,

Chemins de dialogue 9 (1997), p. 42.

engagé, totalement, sans retour, et pas «juste un peu», en «se gardant desréserves» pour d’autres révélations ou d’autres incarnations ou réincar-nations ailleurs! Comme l’écrit Joseph Doré dans un article publié dansChemins de dialogue: «Ce qui rend possible au Verbe-Fils de Dieu derejoindre effectivement l’universalité des hommes dans les conditions deleur histoire (à chaque fois particulière) est aussi ce qui l’inscrit, et jusqu’àun certain point le circonscrit, dans un point déterminé de cette histoire!De sorte que ce que la foi dit de la portée universelle du mystère du Christne tient qu’à condition qu’on tienne aussi: d’une part, que Jésus n’afinalement d’importance ici que parce qu’il est indissolublement lié au Christ,et d’autre part, que le Christ ne peut effectivement nous rejoindre quedans la mesure où il s’est véritablement lié, sans l’absorber en lui, à cethomme de notre histoire qu’est Jésus».13

Si l’effectivité du salut pour tous passe par la réalité de l’humanitédu Christ, alors plus Dieu s’incarne réellement, plus le salut est réellementuniversel. Donc, paradoxalement, c’est pour autant que j’affirme lasingularité historique de Jésus en tant que Verbe incarné, que j’affirmeégalement l’universalité du salut que sa vie, sa mort et sa résurrectionréalisent pour l’humanité tout entière.

On ne peut donc pas théologiquement limiter la signification et laportée de la croix du Christ en disant du christianisme qu’il est la religionde la culture occidentale, comme l’affirment aujourd’hui certains courantsrelativistes. Non pas que le christianisme soit la religion absolue ni même lameilleure des religions. Mais parce que le don que Dieu a fait de lui-mêmeen son Fils, don qui demande à être reçu dans la foi, concerne tout homme,toute culture, toute religion. C’est pour cela que l’église a reçu une missionuniverselle et que sa catholicité, toujours en devenir, la pousse à annoncerl’évangile à tous les peuples, sans pouvoir elle-même déterminer à l’avanceles fruits que l’évangile donnera lorsqu’il aura été authentiquement reçu etqu’il aura mûri en différentes cultures.

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3. Troisième prise de conscienceEnfin, troisième prise de conscience: c’est bien le monde qui est le

destinataire de cet engagement de Dieu et que l’église n’est que la servantede l’action de Dieu, appelée à coopérer à la mission de l’Esprit Saint. Leconcile Vatican II a fortement rappelé cette dimension de la foi et n’aenvisagé le problème spécifique de la rencontre des religions que sur labase de cet engagement de l’église appelée à emboîter le pas del’engagement de Dieu pour le monde. «Oui, Dieu a tant aimé le mondequ’il a donné son Fils unique pour que tout homme qui croit en lui nepérisse pas mais ait la vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dansle monde pour condamner le monde mais pour que le monde soit sauvépar lui» (Jn 3, 16-17). Comme l’exprimait le pape Paul VI dans sa premièreencyclique, Ecclesiam suam, en 1964: «Voilà, vénérables frères, l’originetranscendante du dialogue. Elle se trouve dans l’intention même de Dieu.[…] La révélation, qui est la relation surnaturelle que Dieu lui-même a prisl’initiative d’instaurer avec l’humanité, peut être représentée comme undialogue dans lequel le Verbe de Dieu s’exprime par l’incarnation et ensuitepar l’évangile. […] L’histoire du salut raconte précisément ce dialoguelong et divers qui part de Dieu et noue avec l’homme une conversationvariée et étonnante. […] Il faut que nous ayons toujours présent à l’espritcet ineffable et réel rapport de dialogue offert et établi avec nous par Dieule Père, par la médiation du Christ dans l’Esprit Saint, pour comprendrequel rapport nous, c’est-à-dire l’église, devons chercher à instaurer et àpromouvoir avec l’humanité».14

C’est en ce sens qu’il nous faut comprendre, à partir de l’engagementde Dieu, quelle est la mission de l’église. J’arrive ainsi à la deuxième étape,que j’ai annoncée plus brève, de mon exposé.

2. LA MISSION DE L’ÉGLISE

L’ardeur missionnaire de l’église a longtemps été soutenue par lacertitude de travailler au salut des peuples qui iraient irrémédiablement à la__________

14. Ecclesiam suam, n° 72-73.

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damnation s’ils ne connaissaient pas les principaux mystères du christianismeet ne bénéficiaient pas de ses sacrements. Nous avons davantageconscience aujourd’hui que Dieu ne veut la perte d’aucun homme qui lecherche avec droiture et pratique la justice et la charité. Il ne s’ensuitaucunement que la mission soit moins nécessaire ni son action moinssalutaire. Encore faut-il préciser le lien qui existe entre Jésus-Christ etl’église, entre l’unique médiateur du salut et la communauté de ceux etcelles qui sont ses disciples. Ce n’est qu’à ce prix que l’on comprendra lavaleur et le sens de l’engagement de l’église en faveur de la rencontre et dela coopération avec les religions. Je ferai à ce sujet trois remarques.

1. La foi chrétienne confesse, comme on vient de le voir, nonseulement que Jésus est l’unique médiateur du salut (1 Tm 2, 5), maisaussi que ce Jésus a voulu s’associer un peuple, qu’il a constitué une égliseappelée à se recevoir de lui comme son propre Corps, et qu’il a vouluassocier cette Eglise à l’œuvre du salut du monde, c’est-à-dire au dynamismede la communication au monde de la vie même de Dieu. C’est cela quel’église célèbre dans ses sacrements.

En conséquence, l’église se trouve associée, par pure grâce et nonpas en fonction de ses mérites, à l’acte par lequel Dieu a voulu sauver lemonde. Si elle est «nécessaire au salut»,15 c’est parce que le salut vient duChrist, non seulement en tant que tête, mais aussi par son corps qui estl’église.16 En conséquence, l’église ne se comprend pas comme étant unevoie de salut parmi d’autres. Elle a conscience d’avoir reçu mission d’être,dans le Christ, le sacrement universel du salut.17 Elle est appelée à être le

__________15. Henri de Lubac, Catholicisme, Aspects sociaux du dogme, Op. Cité., p.

l59.- Egalement Lumen gentium, n° 14.16. «Nous pouvons donc le conclure: juifs ou Gentils, de même qu’ayant

vécu avant la venue visible du Christ, ils doivent être dits cependant sauvés par leChrist et non pas seulement par le Verbe, ainsi, ayant vécu avant la venue del’église visible auprès d’eux, ce n’est pourtant pas par une appartenance purementspirituelle et intemporelle à 1’»âme» de l’église qu’ils sont sauvés, mais par l’effetd’un lien très réel, quoiqu’indirect et le plus souvent caché, à son «corps» (Ibid., p.179).

17. Voir Lumen Gentium, n° 5.

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__________18. Voir Lumen Gentium, n° 1 et 48.19. Hans Urs Von Balthasar, L’engagement de Dieu, op. cité p. 16.

signe du salut de la famille humaine, elle-même invitée à donner corps auChrist, à se laisser conformer au Christ, et l’église est le moyen par lequelle corps de l’humanité est façonné par le corps du Christ. Tel est le sens desa vie et de son apostolat. Il importe de remarquer que dans aucune autrereligion, à ma connaissance, on ne trouve un tel lien entre les disciples et lemaître, un lien tel que ceux qui le suivent participent à l’identité de celuiqu’ils suivent. Il n’est pas le «Christ total», pour parler comme saint Augustin,tant qu’ils ne vivent pas tous in Christo, pour parler comme saint Paul.

2. Un tel lien si étroit entre le Christ et l’église n’a jamais garantil’église contre la tentation de l’absoluité, c’est-à-dire contre le risque dese prendre elle même pour la source du salut et pour la religion absolue.L’histoire nous montre que la tentation est toujours renaissante. Or, I’ églisen’est pas la religion absolue, elle est le germe et le commencement duRoyaume de Dieu sur terre.18 A ce titre, elle est comparable au levain dansla pâte, à la fois indispensable puisque sans lui la pâte ne lève pas, etcependant provisoire puisque ce qui compte en définitive ce n’est pasqu’à la fin on retrouve le levain, mais plutôt que le pain soit cuit et prêt àêtre partagé. Comme l’écrit H.U. von Balthasar: «Le levain doit être enfouidans la pâte. Il doit s’y enfoncer et y disparaître pour manifester sa forceet transformer la pâte en pain. En lui-même il n’est rien; dans l’autre il esttout. […] [Et] qu’est-ce qui fait du chrétien le levain qui acquiert la forcede faire lever le monde? Qu’est-ce qui lui donne le caractère spécial, quine peut être remplacé par rien? Le mot «donner» indique déjà un pointdécisif: ce qui fait de l’homme un chrétien, l’homme ne peut pas le prendrelui-même. Cela doit lui être donné. C’est une grâce. Mais ce qui lui estdonné, il doit le recevoir et se l’approprier. Lui aussi, il est originellementsimple pâte qui doit se laisser pénétrer pour devenir levain».19

3. La mission de l’église ne se comprend que si elle est conçuecomme un service. Même si elle n’est pas, loin s’en faut, constituée detous, l’église est là pour tous. C’est là le sens de sa catholicité toujours endevenir: être au service du salut du monde, au service de la rencontre

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__________20. Voir Michel de Certeau, La conversion du missionnaire, Christus (1963),

p. 514-533.21. Pour une présentation de ces débats, je renvoie au dossier Jésus-Christ,

unique sauveur, Théophilyon 11-2, 1997, p. 237-408, et notamment à ma contribution,p. 321-357.

entre tout homme, toute femme, et le Verbe de vie. C’est la mission del’église que de favoriser la rencontre entre l’évangile et les cultures et c’estpour cela qu’elle s’intéresse avec respect aux religions qui animent cescultures et en lesquelles elle sait que sont déposées des semences du Verbe,qui ne demandent qu’à éclore davantage. Et l’église sait aussi qu’en vivantcette aventure de la rencontre, elle comprendra mieux elle-même ce qu’elleest chargée d’annoncer et qui s’éclairera davantage encore à la lumière dece que les autres cultures et religions contiennent de semences du Verbe.20

Lorsqu’elle travaille ainsi à la rencontre, l’église ne se situe pas dansla perspective d’une simple fécondation réciproque entre religionséquivalentes. Elle sait, même si elle est elle-même dans une position deminorité et de danger, qu’elle est «l’épouse du Verbe» (sponsa Verbi), etqu’elle coopère à la mission de l’Esprit Saint, qui souffle où il veut, maisqui est toujours l’Esprit du Christ, l’Esprit qui la constitue, elle, comme«église de Jésus-Christ».

Ces trois remarques nous permettent déjà non seulement decomprendre pour quelle raison l’église considère que le dialogueinterreligieux fait partie de sa mission, mais aussi de discerner à quellesconditions ce dialogue s’inscrit dans la continuité de l’engagement de Dieupour le monde et constitue réellement un «dialogue de salut», C’est cequ’il nous faut maintenant développer quelque peu, dans la troisième etdernière partie de notre réflexion.

3. LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX

La perspective du dialogue interreligieux suscite actuellement enthéologie chrétienne, aussi bien catholique que protestante et mêmeorthodoxe, de nombreux débats qu’il serait trop long d’évoquer ici.21 Je

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me contenterai de préciser la position du magistère catholique sur cettequestion,22 et d’énoncer quelques-unes des questions que la théologie sedoit de prendre en charge.

La position actuelle du magistère catholique sur les fondementsthéologiques de l’engagement de l’église dans le dialogue interreligieuxpeut être synthétisée en trois points.

1. La foi chrétienne reconnaît le rôle positif des autres religions, entant qu’institutions historico sociales,23 dans l’économie générale du salut.L’église affirme que les rites et les doctrines des autres religions peuventavoir une réelle efficacité pour le salut de leurs adeptes.24 Par là se trouveécartée une position exclusiviste qui, au nom d’un ecclésiocentrisme étroit,refuserait aux religions non chrétiennes toute valeur salvatrice et révélatrice,en s’appuyant sur une interprétation durcie, et donc faussée, de l’antiqueadage patristique: «hors de l’église, point de salut».25 Puisque Dieu veutque «tous les hommes soient sauvés» (1 Tm 2, 4), il est possible d’affirmerque se trouvent déposées, dans les religions elles-mêmes, des «semencesdu Verbe»,26 des «rayons de la vérité qui illumine tout homme»,27 et que«I’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilitéd’être associés au mystère pascal».28

__________22. On pourra utilement consulter le document produit en 1996 par la

Commission théologique internationale, Le christianisme et les religions, Paris,Cerf/Bayard éd. Centurion, 1997.

23. «La présence et l’activité de l’Esprit ne concernent pas seulement lesindividus, mais la société et l’histoire, les peuples, les cultures, les religions»(Redemptoris missio, n° 28). C’est la raison pour laquelle, à l’ancienne «théologiedu salut des infidèles», dont l’objet était les conditions du salut des personnesnon chrétiennes, doit succéder une «théologie des religions», qui s’interroge surle rôle des religions, en tant que réalités socio-historiques, pour le salut.

24. Nostra aetate n° 2.25. Sur cet adage et son utilisation dans le contexte interreligieux, voir

Jacques Dupuis, Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux, Paris, éd.du Cerf, coll. «Cogitatio fidei», n° 200,1997, chap. III, p. 131-166.

26. Redemptor hominis, n° 11.27. Nostra aetate, n° 2 (voir Jn 1, 9).28. Gaudium et spes, n° 22, § 5.

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2. A cette première affirmation s’ajoute une deuxième, que lemagistère entend tenir avec la même détermination, à savoir l’unicité etl’universalité de la médiation christique dans l’économie générale du salut.Jésus le Christ est «l’unique médiateur du salut» (1 Tm 2, 5) et «il n’y aaucun salut ailleurs qu’en lui, car il n’y a sous le ciel aucun autre nom offertaux hommes, qui soit nécessaire à notre salut» (Ac 4,11-12). Enconséquence, pour conjuguer les deux affirmations, on doit dire que cen’est que de leurs relations au Christ que les religions détiennent, aux yeuxdes chrétiens, leur valeur positive dans l’ordre du salut: «le concours demédiations de types et d’ordres divers n’est pas exclu, mais celles-ci tirentleur sens et leur valeur uniquement de celle du Christ et elles ne peuventêtre considérées comme parallèles ou complémentaires».29 Par là se trouvecette fois-ci écartée une position relativiste, qui tiendrait que toutes lesreligions peuvent conduire au salut d’une manière totalement indépendantede l’histoire concrète du salut accomplie en Jésus-Christ et, qu’au fond,tout se vaut. C’est là l’objectif principal de la déclaration Dominus Iesus.

Le problème christologique est donc, on le voit, au centre du débat,ce qui n’a rien d’étonnant étant donné la configuration générale de laconfession de foi chrétienne. La théologie doit tout d’abord montrercomment l’événement historique, particulier, concret, de l’incarnationsalvifique de Dieu en Jésus-Christ concerne de manière universellel’ensemble de l’humanité.30 Elle doit ensuite expliquer comment, selon lafoi des chrétiens, les autres religions possèdent également une valeursalvifique qui procède du Christ. C’est l’un des points les plus délicatsdans le dialogue du christianisme avec les deux autres grands monothéismes.Il y a là, en christologie, un chantier très important pour la réflexioncontemporaine. Je cite la déclaration Dominus Iesus: «Compte tenu decette donnée de foi, la théologie d’aujourd’hui, lorsqu’elle médite sur la

__________29. Redemptoris missio, n° 5.30. Dans cette perspective, voir Claude Geffré, La singularité du christia-

nisme à l’âge du pluralisme religieux, dans J. Doré, Christoph Theobald (dir.),Penser la foi, Mélanges offerts à Joseph Moingt, Pans, éd. du Cerf/Assas éd.,1993, 351-369.

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présence d’autres expériences religieuses et sur leur signification dans leplan salvifique de Dieu, est invitée à examiner les aspects et les élémentspositifs de ces religions: entrent-ils dans le plan divin de salut? Comment?La recherche théologique trouve dans cette réflexion un vaste champ detravail sous la direction du Magistère de l’église. […] Il faut élucider lecontenu de cette médiation participée, qui doit rester guidée par le principede l’unique médiation du Christ».31

3. Compte tenu des deux affirmations précédentes, le magistère del’église catholique affirme que la mission de l’église, en tant que «sacrementuniversel du salut « apporté par le Christ,32 a elle-même un fondementdialogal. C’est parce que Dieu, dans sa révélation, a pris l’initiative, commele disait Paul Vl, d’instaurer avec l’humanité un «dialogue»,33 que l’égliseest tenue d’engager avec tout homme, y compris mais pas exclusivement,avec les croyants d’autres religions, un authentique «dialogue de salut».34

Le dialogue interreligieux n’est en définitive que l’un des aspects de cedialogue de salut qui caractérise la mission évangélisatrice de l’église dansle monde. Néanmoins, et c’est cela surtout que la théologie se doitd’expliciter, l’église confesse que l’Esprit du Christ, qui l’anime et laconstitue en tant qu’église du Christ, est également présent et efficacedans les autres religions en tant qu’institutions socio-historiques, de sorteque ces religions peuvent être considérées par le chrétien comme ayantpart à l’unique médiation salvifique du Christ.

La théologie doit donc tenir à la fois deux choses. D’une part, l’Eglisea un rôle spécifique à jouer dans le plan divin. Elle, et elle seule, est «l’épousedu Verbe». Elle a donc avec lui un lien spécial et, de ce point de vue,toutes les religions ne se valent pas. D’autre part cependant, les autresreligions jouent un rôle positif dans l’histoire du salut. Elles préparent ellesaussi l’avènement de ce que les chrétiens appellent le «Royaume de Dieu».Elles aussi sont habitées, travaillées, et transformées par l’Esprit de Dieu.

__________31. Dominus lesus, n° 14.32. Lumen gentium 1,1; Il, 9; Vll, 48 et Gaudium et spes, n° 42, § 3.33. Ecclesiam suam, n° 72.34. Dialogue et annonce, n° 38.

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Ces deux affirmations ne sont pas contradictoires mais appellent à un longet exigeant travail de discernement (tout n’est pas «vrai» et «saint» danstoutes les religions et chacune d’elles doit être examinée selon le critère del’évangile qui doit, du reste, être appliqué avec la même exigence, à l’histoirede l’église elle-même et entraîner son propre effort de repentance) et surtoutà une conversion du regard.

En effet, le rôle spécifique de l’église ne consiste pas en un privilègequi devrait se traduire par une prétention hégémonique d’absoluité. Sonrôle spécifique, c’est d’être appelée à accompagner les pas de Jésus-Christ dans l’humanité, à le suivre dans sa kénose jusqu’à la croix, à partagerl’espérance de sa Résurrection, en scrutant dans les cultures et dans lesreligions les traces du Royaume en travail d’enfantement. L’église de Jésus-Christ est l’église des martyrs, selon le titre d’une belle conférence ducardinal Etchegaray.35 Sa seule universalité est donc celle du service, de ladiaconie, au nom de Jésus-Christ. Pour manifester la grâce qui lui a étéfaite d’être témoin de l’évangile du Christ, il lui faut en accomplir la tâche,au service de l’humanité, dans l’esprit à la fois paradoxal et passionnantdes Béatitudes.

On le voit, tout cela ouvre à la recherche théologique de vastes etpassionnants chantiers. C’est la vocation d’un Institut comme le nôtre quede contribuer à cette recherche. Mais l’on aura bien perçu l’esprit danslequel nous souhaitons travailler: à la fois une fidélité sans faille à la Traditionet une ouverture sans crainte à la rencontre et au dialogue, sachant que ledéfi de notre époque n’est pas seulement celui de la rencontre des religionsmais aussi celui de la sécularisation, de l’indifférence et de l’athéisme. Unethéologie des religions qui s’enfermerait dans la rencontre entre croyantsne serait plus tout à fait une théologie chrétienne, tant il est vrai que Dieun’est pas plus proche de l’homme religieux que de l’homme séculier etqu’un front commun des religions pour la défense de la religion contre lasécularisation est un programme tout aussi hasardeux que dangereux.

__________35. Voir Roger Etchegaray, Sommes-nous l’église des martyrs?, conférence

donnée à Lyon et à Vienne en 1977, dans J’avance comme un âne…, Paris, éd.Fayard, coll. «A temps et à contretemps «, 1984, p. 181-195.

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CONCLUSION

«Malheur à moi si je n’annonce pas l’évangile», s’écriait saint Paul.36

Telle est bien, aujourd’hui encore, la mission de l’église. Et le dialogueinterreligieux fait partie de cette mission. L’évangile, qui doit être annoncé,n’est pas d’abord un contenu doctrinal ni un programme d’action, commele faisait souvent remarquer le cardinal Coffy. Il est l’accueil d’une grandejoie (Lc 2,10): «Aujourd’hui vous est né un Sauveur». Et lorsqu’à la fin dumême évangile, Jésus apparaît aux disciples rassemblés à Jérusalem dansla crainte, Luc note que «dans leur joie, ils se refusaient à croire etdemeuraient ébahis» (Lc 24, 41). Et cette joie profonde, bien plus forteque l’engouement passager, devrait être la caractéristique de toute viechrétienne. Annoncer l’évangile, c’est partager cette joie et cette espérance,fût-ce dans les pires épreuves de la vie. Cette joie vient de ce que Dieu aaccepté d’être lui-même exposé à l’agression du monde et que son amourpatient et miséricordieux a triomphé de la haine et de la mort.

Que Dieu ait ouvert, en son Fils, un chemin de salut qui est aussi unchemin de croix et de résurrection, et que ce chemin soit ouvert à touthomme et à toute femme de bonne volonté, voilà la Bonne Nouvelle dusalut, voilà l’évangile que l’église est chargée d’annoncer, de proposer etsurtout de vivre elle-même. La rencontre avec des croyants d’autresreligions est l’une des modalités par lesquelles l’église, aujourd’hui, estappelée à vivre sa mission.

Puisse cette mission rester toujours pour elle une grande joie,considérant tous ceux que le Père lui confie comme des frères pour qui leChrist est mort et ressuscité, qu’ils le sachent ou non, qu’ils l’accueillentou qu’ils le refusent. Elle sait bien, elle, petit troupeau à la nuque raide, que«la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètrel’esprit avec autant de douceur que de puissance.37 Et puisse notre Institutêtre au service de cette vérité, pour aider les communautés chrétiennes à

__________36. 1 Co 9,16.37. Dignitatis humanae, n° 1.

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«rendre raison de l’espérance» (1 P 3, 8) qui est en elles, à scruter sansirénisme naïf l’action de l’Esprit du Christ dans les cultures et les religionsprésentes dans notre région, et à emboîter le pas de l’engagement de Dieupour le salut du monde.

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CATHOLIQUES ET MUSULMANS: UN CHEMINDE DIALOGUE

Avec les mouvements de population liés aux migrations économiqueset au développement des moyens de communication, la pluralité culturelleet religieuse est devenue une donnée essentielle des sociétés d’Europeoccidentale. Ce sont donc toutes les Eglises chrétiennes d’Europe qui sontappelées à se situer par rapport à ce phénomène.

En France, pays dont on a coutume de souligner la fortesécularisation, cette pluralité religieuse s’inscrit dans un contexte demutation sociale et de remise en cause de repères moraux. La recherchede Dieu s’exprime alors sous les formes les plus diverses et les plus insolites.Mais il existe un besoin de spiritualité authentique et fort en réponse à unmatérialisme déshumanisant et à l’emprise d’une technicité dont on necontrôle pas toujours les effets. Dans notre pays, dont la culture estprofondément marquée par la foi chrétienne, voici que sont désormaisreprésentées d’autres traditions religieuses. Parmi elles: l’Islam.

Une situation nouvelleSur le terrain, existent de nombreuses expériences de rencontres

entre catholiques et musulmans. Certaines sont parfois vécues dans uncontexte d’incompréhension mutuelle. D’autres au contraire font tomberles barrières et permettent de mieux se connaître. Depuis plus de cinquanteans, en effet, nombreux sont les catholiques, évêques, prêtres, diacres,laïcs, religieux et religieuses qui vivent avec des musulmans une relation devéritable compagnonnage

Mais, aujourd’hui, ce ne sont pas seulement des musulmans quenous rencontrons, c’est l’Islam avec ses organisations et la diversité deses courants qui prend place dans l’environnement social, culturel et religieuxde notre pays.

Désarçonnés par cette émergence de l’Islam dans notre société, un

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certain nombre de catholiques français sont soucieux devant la perspectivede voir surgir chez nous des édifices religieux et des rites étrangers à notreculture: ils voient un abandon de la Vérité et de la Mission dans une attituderessentie comme trop bienveillante à l’égard d’une religion longtempsconsidérée comme hostile.

L’Eglise catholique comprend les interrogations et les craintes denombreux fidèles. Elles ne sont pas sans fondement. Raison de plus pourque la rencontre repose sur des critères objectifs afin de ne pas aboutir àun syncrétisme simpliste. Il ne peut être question de remettre en cause cequi pour nous est essentiel: la Bonne Nouvelle de l’universalité du salut enJésus-Christ, Fils de Dieu.

D’autres éléments interfèrent dans la relation: l’appartenance à descultures différentes suscite souvent l’appréhension réciproque et contribueà rendre difficile la communication. Lorsque chrétiens et musulmans sontconfrontés aux mêmes difficultés sociales ou connaissent les mêmesconditions de vie, cette appréhension peut s’estomper et la rencontre de-venir possible, comme il peut y avoir aussi une attitude de rejet de la partdes «ayant-droit» les plus anciens à l’égard des «nouveaux venus».

Par ailleurs des associations musulmanes tentent d’inscrire l’Islamdans le champ d’une laïcité forgée par notre histoire nationale. Ce n’estpas sans provoquer une certaine fracture dans la société française entreceux qui craignent que la nation, oubliant ses sources historiques, perdeson identité, et ceux qui pensent que la pluralité des cultures et des religionspeut être un enrichissement pour la communauté nationale. Beaucoup denos concitoyens, pris dans cette alternative, connaissent un réel désarroiet sont troublés.

L’Eglise catholique à l’écouteL’église catholique en France se veut fidèle à sa mission d’écoute

fraternelle et d’échange avec tous, notamment avec les croyants de l’Islam.En effet, le concile Vatican II, en éclairant les situations nouvelles, met enlumière le rôle de l’Eglise: «Celle-ci, pour sa part, est dans le Christ commeun sacrement, ou, si l’on veut, un signe et un moyen d’opérer l’union inti-me avec Dieu et l’unité de tout le genre humain».

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Par la «Déclaration sur les relations de l’Eglise avec les religionsnon-chrétiennes». Le concile Vatican II affirme également: «Si, au coursdes siècles, de nombreuses dissensions se sont manifestées entre leschrétiens et les musulmans, le Concile les exhorte tous à oublier le passé età s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protégeret à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, lesvaleurs morales, la paix et la liberté».

Evêques de France, sensibles au témoignage de nombreuxcatholiques, en lien avec le «Conseil Pontifical pour le DialogueInterreligieux», et dans l’esprit de notre Lettre aux Catholiques de France,nous pensons devoir préciser comment l’Eglise catholique est appelée àpoursuivre sa rencontre avec les autres religions et singulièrement avecl’Islam. C’est pourquoi, nous engageons vivement les chrétiens à prendreen compte la présence musulmane à leurs côtés, à entrer dans une démarcheévangélique de rencontre, et chaque fois que cela est possible, de dialo-gue avec ces frères et sœurs croyants de l’islam. Nous voulons en précisermaintenant les perspectives et les conditions.

1. Rencontre de croyants

Les musulmans que nous rencontrons en France ne viennent pastous de pays arabes. Cependant, le contentieux historique entre les peuplesentourant la Méditerranée dont sont issus beaucoup de musulmans estencore lourd. On ne peut effacer en quelques années des siècles de conflitni ignorer les rancœurs provoquées par les déséquilibres économiquesactuels entre le Nord et le Sud. Il faut guérir la mémoire collective. Ce quisuppose d’assainir le regard que chacun porte sur l’autre, de rectifier lesimages dévalorisantes, d’assumer loyalement les racines historiques ducontentieux, et de savoir reconnaître les torts passés de sa communauté,son manque de fidélité aux exigences de son idéal. Il sera alors possible dedévelopper une confiance réciproque et de cicatriser des blessures encorevives. La confiance acquise sera à la hauteur des dispositions spirituellesdes croyants des deux communautés.

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Accepter la différenceLe discours de Jean-Paul II en 1985 aux jeunes musulmans

marocains et l’accueil qu’il a reçu sont significatifs: «La loyauté exige aussique nous reconnaissions et respections nos différences. La plus fondamentaleest évidemment le regard que nous portons sur la personne et l’œuvre deJésus de Nazareth».

Trop de rencontres sont manquées parce que les partenaires refusentd’accepter la différence: soit en l’ignorant, soit en l’occultant par syncrétisme,soit en cherchant à imposer sa pensée comme seule référence. Exiger unplein accord préalable ou l’attendre comme une conséquence nécessairedes échanges, conduit à briser tout effort de rencontre.

Les lieux privilégiés de rencontreCelles-ci sont vécues quotidiennement dans le quartier, le bourg, le

village, le monde de l’éducation, la vie professionnelle et associative. Leurimportance et leur profondeur ne sont pas toujours perçues. Descollaborations se déploient au service des autres, en vue du respect de lajustice, des valeurs morales et de la paix. Elles constituent des occasionsprivilégiées de partage entre croyants conscients de leur condition humainecommune. Lorsqu’ensemble des croyants cherchent à faire l’œuvre deDieu en servant leurs frères, les relations qui naissent de telles actions sontd’une manière ou d’une autre lieux de rencontre de Dieu et de conversiondu cœur.

Religions et sociétésLa rencontre entre croyants peut également avoir des conséquences

bénéfiques sur la cohérence harmonieuse et fraternelle de la société. C’esten apprenant à mieux se connaître mutuellement et en s’engageant dansdes relations fraternelles que les croyants donnent un témoignage précieuxpour notre monde. Ils contribuent ainsi à la paix et à la stabilité dans lasociété et font reculer les risques de violence, dont on considère parfoisque les religions sont la source. Les croyants chrétiens et musulmans ont àprouver dans leur conduite qu’ils sont susceptibles d’apporter des élémentsde concorde et d’humanisation dans notre société. C’est là un témoignage

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rendu à Dieu.Au moment où s’amorcent d’importantes mutations mal prévisibles,

les grandes religions peuvent également contribuer à promouvoir dans lasociété, à côté du patrimoine moral et civique, une dimension spirituelleessentielle. Pour nous, catholiques, «nous ne pouvons pas nous résigner àune totale privatisation de notre foi, comme si l’expérience chrétienne devaitrester enfouie dans le secret des cœurs sans prise sur le réel du monde etde la société». Nous reconnaissons aussi ce droit aux autres confessionsreligieuses dans la société française laïque: pour que la dimension spirituelleet morale de l’homme et de la société soit honorée dans l’espace public, ilest nécessaire que les communautés de croyants aient la possibilité detémoigner de leur foi et de leur attachement à des valeurs moralesessentielles, dans la conviction de servir ainsi la nation. Il convient, enmême temps de rester conscient que tout homme et tout groupe socialdoit tenir compte, dans l’exercice de ses droits, des droits d’autrui, de sesdevoirs envers les autres et du bien commun de tous.

2. De la rencontre au dialogue

Passer de la rencontre au dialogue ne va pas de soi, d’autant plusque le terme de «dialogue» n’a pas toujours la même signification pourtous.

Pourtant le principe du dialogue est vraiment inscrit dans l’histoiredu peuple de Dieu. Depuis les origines, cette conscience a été présentedans l’Eglise bien que les conditions sociopolitiques n’aient pas toujoursfavorisé cet état d’esprit. Même lorsque de très nombreux chrétiens onteu tendance à oublier ce chemin vers Dieu et vers l’autre, il s’est trouvédes hommes et des femmes pour témoigner d’une véritable attitudeévangélique dans la rencontre.

L’Eglise catholique tient pourtant à conserver ce terme de dialoguepour exprimer la relation qu’elle se doit de nouer avec les autres religions.Le dialogue, nous en avons conscience, est toujours une épreuve. Il estexigeant. Il ne saurait être un reniement de ses propres convictions et

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pourtant il est source d’échange, d’enrichissement réciproque et de paix.L’Eglise catholique considère que le dialogue avec les croyants des autresreligions fait partie des tâches qui lui sont confiées par le Christ et, à cetitre, même s’il n’est pas toujours réalisable concrètement, qu’il demeureun idéal à poursuivre et un objectif à atteindre.

Ce dialogue présente en effet des enjeux considérables pour lacompréhension du dessein de Dieu sur le monde, pour la fidélité de l’Egliseà sa mission aujourd’hui, et pour la vitalité évangélique de ses membres. Sile dialogue ne nie pas les différences doctrinales, il suppose l’accueil del’esprit agissant dans le cœur de tout homme sincère, selon les propos duPape Paul VI lors de sa rencontre avec les non-chrétiens à Bombay: «Nousne devons pas nous rencontrer comme de simples touristes, mais commedes pèlerins qui vont chercher Dieu non dans des édifices de pierre maisdans le cœur des hommes». Pour un chrétien, cette relation à Dieu sur lelieu même de la rencontre des hommes est la base d’un dialogue de salut.Cela nécessite une disponibilité évangélique, et une réelle profondeurspirituelle.

Un dialogue enraciné en Dieu TrinitéTout au long de l’Histoire des hommes, Dieu n’a cessé de proposer

son Alliance. Dès la Création, Dieu manifeste son amour et son desseind’instaurer l’alliance avec l’humanité, comme en témoignent déjà les écritsde l’Ancien Testament. «L’Eglise du Christ, en effet, reconnaît que lesprémices de sa foi et de son élection se trouvent, selon le mystère divin dusalut, dans les Patriarches, Moïse et les prophètes. Elle confesse que tousles fidèles du Christ, fils d’Abraham selon la foi, sont inclus dans la vocationde ce patriarche et que le salut de l’Eglise est mystérieusement préfigurédans la sortie du peuple élu hors de la terre de servitude». Cette alliancetrouve sa plénitude dans l’Incarnation du Fils de Dieu, et le mystère de saPâque où l’amour triomphe de la haine. Par sa mort et sa Résurrection, leChrist nous envoie l’Esprit du Père qui fait de nous des fils et des filles de Dieu.

Sur ce chemin, l’Eglise a conscience qu’elle est fidèle à sa nature ensa source la plus haute, le mystère ineffable de Dieu. Par les relationstrinitaires, le Dieu Unique, Père, Fils et Saint-Esprit, vit la communion

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d’amour parfaite et inégalable dans un dialogue qui dépasse toutentendement humain. «Ainsi, l’Eglise universelle apparaît comme un peuplequi tire son unité de l’unité du Père, du Fils et de l’Esprit-Saint».

Le dialogue est au cœur même de toute vie chrétienne, là où unchrétien, avec le Christ, entend Dieu lui dire: «Tu es mon fils», là où portépar l’Esprit, il répond: «Notre Père». En s’ouvrant au dialogue, commechaque chrétien est appelé à le faire avec Dieu, l’Eglise répond à la missionqu’elle a reçue de son Seigneur.

A la suite du Christ, fidèle à l’expérience spirituelle de l’alliance,l’Eglise doit donc prendre l’initiative de ce dialogue en vérité: «Le dialoguedu salut fut inauguré spontanément par l’initiative divine. C’est Lui, Dieu,qui nous a aimés le premier (I Jean 4/19); Il nous appartient de prendre ànotre tour l’initiative pour étendre ce dialogue sans attendre d’y êtreappelés».

Approfondissement de notre foiLes données fondamentales de la religion musulmane, telles que le

sens de Dieu, la nature et l’interprétation du Coran, le sens de l’Histoire, laplace de la prière et du jeûne, la conception de l’homme et de son agir,appellent les chrétiens à préciser leur manière de vivre et de dire leur foirévélée dans l’histoire du salut.

Il est donc nécessaire que la catéchèse et la formation permanentetiennent compte de ce nouveau contexte. Car si la prise de conscience desconvergences et des divergences peut être déstabilisante chez des chrétienspeu formés, elle peut aussi favoriser une meilleure compréhension de leurpropre foi. Ainsi, en situant mieux la spécificité de la Révélation qu’ils ontreçue, les chrétiens sont conduits à approfondir le mystère de la Trinité etla participation de l’homme au mystère pascal du Christ.

3. Des chemins à ouvrir

Dieu ne cesse de nous inviter à nouer et développer, avec l’assistancede l’Esprit-Saint, un dialogue interreligieux par lequel l’Eglise continue

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aujourd’hui la mission du Christ. C’est pourquoi nous attirons l’attentiondes catholiques de nos diocèses sur les points qui suivent.

Une situation en évolutionLes établissements scolaires catholiques accueillent de plus en plus

de jeunes musulmans. Certains mouvements éducatifs et apostoliques ainsique certaines aumôneries sont en contact suivi avec eux. La pastorale dela santé, les aumôneries de prisons sont aussi concernées et de façon pluslarge, la catéchèse. La présence de musulmans aux préparations etcélébrations d’obsèques, de baptêmes, de mariages, comme aussi lecatéchuménat et l’accueil au sein des communautés chrétiennes de nouveauxbaptisés issus de l’islam, supposent de la part des pasteurs et descommunautés une adaptation à cette situation nouvelle. Notre pastoraledoit tenir compte de cet environnement. A cet effet, les acteurs pastorauxsont vivement invités à mieux connaître et utiliser les documents proposés.Mais surtout il nous faut acquérir le nouveau regard que le concile VaticanII et les autres documents du Magistère ont voulu porter sur les religions etnotamment sur l’Islam: «L’Eglise regarde aussi avec estime les musulmansqui adorent le Dieu Un, Vivant et Subsistant, Miséricordieux et Tout-Puissant, Créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes».

Un autre regardSans nier le comportement extrémiste de quelques groupes

minoritaires, qui s’efforcent de légitimer leur action par le recours à certainsdocuments traditionnels justifiant la violence, il importe d’aider l’opinion àne pas attribuer à tous les musulmans cette dérive intégriste. Dans notrepays, les communautés musulmanes dans leur ensemble, ne demandentqu’à s’insérer dans notre société. Ceux et celles qui sont animés par lesouci de l’intériorité souhaitent habituellement que cette insertion se fasseen fidélité aux valeurs de leur culture et de leur religion telles qu’ils les ontreçues de leurs parents. Dans cette recherche, les catholiques sont invitésà être présents aux côtés de leurs concitoyens musulmans, sans se substituerà leur propre responsabilité ni fournir des modèles ou des directives. Ilconvient de respecter le cheminement spirituel, intellectuel et communautaire

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spécifique à chaque tradition et à chaque personne.

Des jeunes en dialogueDes groupes de jeunes musulmans de plus en plus fréquemment

réunis en associations redécouvrent la foi islamique sans qu’elle soit reçuepar héritage. Ils en élaborent une expression renouvelée, adaptée auxconditions dans lesquelles ils baignent depuis leur naissance sur notre sol,dans la mouvance culturelle de l’enseignement scolaire reçu en France.Cette expression à frais nouveaux est aussi très marquée par leur propreexpérience spirituelle. Sans réduire l’ensemble des musulmans que nousrencontrons à ce modèle encore naissant, il nous faut être très attentifs àcelui-là. Il est porteur de virtualités pour le dialogue. En particulier, on aurale souci de favoriser entre jeunes musulmans et jeunes chrétiens desrencontres qui répondent à leur attente spirituelle, intellectuelle et sociale.

Une dimension œcuméniqueLa rencontre avec des croyants musulmans met les diverses

confessions chrétiennes en situation de réflexion commune, et les invite àune action concertée déjà amorcée entre leurs instances spécialisées. Ilest souhaitable que se développe un travail commun sur le terrain entredisciples du Christ, pour «rendre compte de l’espérance» qui nous habite.La rencontre avec l’Islam fait davantage prendre conscience de l’urgencede l’Unité chrétienne.

Des chrétiens sur le terrainDes chrétiens et des musulmans vivent ensemble dans des quartiers

difficiles. Nous n’ignorons pas les problèmes qui se posent à eux dans lavie quotidienne, notamment pour l’éducation des enfants.

Dans ce contexte économique et social qui exacerbe souvent lesdifférences culturelles et les transforme parfois en occasion de conflit,chrétiens et musulmans œuvrent avec d’autres, notamment dans lesassociations, à transformer un voisinage imposé en une véritable rencontre.Il naît ainsi un compagnonnage en vue de rejeter la fatalité de l’exclusion etdu mépris. Il nous faut soutenir le travail de ces chrétiens engagés en leur

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permettant d’acquérir la formation nécessaire et en les accompagnant pouréclairer leur action à la lumière de l’Evangile.

Des groupes islamo-chrétiensLes groupes islamo-chrétiens existent en France, divers par leur

importance, leur profil et les objectifs qu’ils poursuivent. Certains sontbien équipés pour mener avec pertinence une démarche sérieuse etdocumentée sur les plans historique, philosophique et théologique, avecles apports fournis par les sciences humaines. L’évidente générosité etl’implication motivée ne suffisent pas. La demande fréquente d’uneinformation, puis d’une formation permet de ne pas en rester aux «bonssentiments» et d’éviter le piège de la superficialité et des généralités. Celasuppose l’effort des diocèses et des congrégations pour consacrer à cettespécialisation des clercs et des laïcs susceptibles d’acquérir la compétencethéologique, philosophique, pastorale, culturelle et linguistique nécessairesà ce service urgent et dont l’importance va croissant.

Des couples islamo-chrétiensLe mariage entre catholiques et musulmans, notamment en raison

des différences de conception du statut du couple, des relations homme-femme et de la famille, peut engendrer des situations difficiles. Certainspeuvent être tentés par l’indifférence religieuse, un syncrétisme stérile, ouencore par la négation de l’une des deux religions. Les mêmes attitudespeuvent se retrouver dans le rapport du couple aux familles des conjoints.

Cependant, des couples islamo-chrétiens manifestent une réellequalité humaine et spirituelle. En assumant leurs différences, ils deviennentcapables de vivre une expérience religieuse riche de leur tradition respective.

Des amis chrétiens pourront les aider dans un cheminement parfoisdifficile, tout en respectant leur liberté intérieure et leur recherche spirituelle.

Les questions posées par l’éducation, notamment religieuse, de leursenfants doivent aussi faire l’objet d’une réflexion, d’un dialogue avec euxet d’un accompagnement personnalisé, adapté à leur situation spirituelle etculturelle.

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La réflexion philosophique et théologiqueLes Instituts de Science et Théologie des Religions (ISTR)

diversement reliés aux universités catholiques stimulent la réflexioninterreligieuse et précisent les conditions d’un dialogue en vérité. Le sujetcommence à être pris en considération dans la formation des futurs prêtres,des futur(es) religieux(ses) et des agents pastoraux. Des ouvrages, souventde grande qualité, spécialisée ou d’excellente vulgarisation, mettent à laportée de tous une information de plus en plus indispensable. Ces effortsde connaissance et de recherche philosophique et théologique doivent êtreencouragés et soutenus sur le plan du personnel et des finances, car ilsrépondent aux attentes de beaucoup de chrétiens mal équipés devant laprésence de l’Islam.

Un responsable diocésainAfin de mieux baliser les chemins que nous proposons d’ouvrir, il

est souhaitable, là où la communauté musulmane est importante, que soitnommé un délégué épiscopal pour les relations avec l’Islam avec, si possible,une équipe compétente.

Ce délégué de l’Evêque a une mission de représentation, deformation, d’accompagnement et de conseil. Il sera en lien avec le Secré-tariat pour les relations avec l’Islam (S.R.I.), service national de l’Episcopatqui a la charge de promouvoir le dialogue islamo-chrétien en France.

Dans l’espace socialDans notre contexte social sensible, même s’il y a hésitation sur la

coloration religieuse ou politique d’une communauté musulmane, il impor-te, avec la prudence requise, de favoriser, chaque fois qu’il est possible,l’établissement de relations régulières entre communautés musulmanes etcommunautés chrétiennes à l’échelon local.

Par ailleurs, des demandes à divers niveaux de la société se fontjour en direction de l’Eglise. Au titre de son expérience de relations entrereligion et Etat, tout comme en raison de sa pratique du fait religieux dansun contexte de laïcité, elle est sollicitée pour contribuer à résoudre desquestions diverses soulevées par la présence des musulmans et par leurs

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attentes envers les pouvoirs publics: lieux de culte, cimetières, lieuxd’abattages rituels, questions juridiques. C’est là un service important quel’Eglise catholique est invitée à rendre au nom de l’Evangile et qui peutfavoriser une plus grande ouverture de la pratique française de la laïcité, etsusciter aussi de la part des musulmans, une réflexion sur leur propresituation. L’enjeu d’une reconnaissance de la dimension publique et socialede la foi, rappelée par notre «Lettre aux catholiques de France «, et sonrôle dans l’inspiration des valeurs civiques qui cimentent la nation, sont icides éléments fondamentaux pour le présent et l’avenir.

Une collaboration entre chrétiens et musulmans pour la promotionde la dignité de la personne et de la justice sociale, permet de s’ouvrirensemble à une société plus humaine. L’effort pour le développement despays en difficulté requiert d’unir nos forces. Ce travail en commun effaceles traces de la méfiance et inaugure de nouvelles relations pour la défensede la liberté et des droits de l’Homme.

Pour la liberté religieuseNous sommes très sensibles aux souffrances de nos frères chrétiens

et de ceux qui voudraient le devenir, en certains pays où ils se trouventmarginalisés comme citoyens ou comme croyants. Avec les responsablesdes communautés musulmanes nous devons progresser dans lacompréhension et le respect des droits de l’homme, et particulièrement dudroit à la liberté religieuse qui est un principe fondamental du droitinternational. Sans doute une liberté ne se monnaye pas, mais ce qui garantitla dignité des musulmans quand ils sont minoritaires doit assurer aussi celledes chrétiens là où ils le sont également. Nous souhaitons que les musulmansqui vivent chez nous se fassent avec nous, et avec tous les citoyens attachésà l’Etat de droit, les ardents défenseurs de la liberté religieuse dans lespays où elle n’est pas respectée.

Une volonté tenaceLe dialogue n’est pas facile. Le contexte culturel, le langage employé,

la situation de minoritaires, toujours difficile à assumer, le choix etl’identification d’interlocuteurs représentatifs, constituent autant d’obstacles

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à une rencontre qui puisse devenir dialogue. Parfois même, celui-ci s’avèreimpossible. C’est le temps de la patience et de la prière. Souvent aussi, ledécouragement survient devant ce qui peut apparaître comme une absencede réciprocité, des malentendus, voire même l’impression d’être «utilisés»pour obtenir des résultats qui ne concernent que de loin le domaine spirituel.

Mais quand il s’établit en vérité, le dialogue peut porter surl’expérience religieuse elle-même, telle que la vivent, chacun à sa manière,des catholiques et des musulmans. Il peut même devenir un chemind’émulation spirituelle. Chacun pressent alors que Dieu est l’hôte de chaquecroyant authentique et qu’Il est en train de nous préparer une place à saTable. Cette dimension contemplative suppose évidemment la prière etl’accueil de l’Esprit dans la conviction de sa présence et de son action aucœur de tous les hommes.

Dialogue et témoignageDans la proposition de la foi à laquelle invite la «lettre aux Catholiques

de France» (1997), le dialogue interreligieux en général et islamo-chrétienen particulier a un rôle de tout premier plan. Il se situe dans la lumière del’invitation adressée à toute l’Eglise, par le concile Vatican II, dans la«Déclaration sur les relations de l’Eglise avec les religions»: «L’Eglisecatholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elleconsidère avec un respect sincère ces manières de vivre et d’agir et cesdoctrines qui, quoiqu’elles diffèrent en beaucoup de points de ce qu’elle-même tient et propose, cependant apportent souvent un rayon de la Véritéqui illumine tous les hommes. Toutefois, elle annonce, et elle est tenued’annoncer sans cesse le Christ qui est «la Voie, La Vérité et la Vie» (Jean14/6), dans lequel les hommes doivent trouver la plénitude de la vie religieuseet dans lequel Dieu s’est réconcilié toutes choses».

Le dialogue est un lieu privilégié pour offrir à «toute créature sous leciel» mais aussi recevoir de l’autre, le témoignage rendu à la Vérité deDieu, Vérité que tout croyant accueille et propose dans l’authenticité desa recherche spirituelle et de sa vie. Le chrétien quant à lui, ne sauraitoublier qu’il est le disciple de Celui qui a dit: «Je ne suis né, je ne suis venudans le monde que pour rendre témoignage à la Vérité» (Jean 18/37).

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QU’EST-CE QUE L’ÉGLISE ANGLICANE?

L’Église anglicane est une église chrétienne, catholique et réformée.Elle est chrétienne car elle est fondée sur le Christ et ses enseignements.Elle est catholique, donc universelle. Et elle est réformée, car sa structure,constituée de laïcs, de diacres, de prêtres et d’évêques, a été rajeunie auXVIe siècle.

La doctrine de l’Église anglicane

L’Église anglicane proclame la foi catholique et apostolique. Sadoctrine et ses enseignements sont fondés sur les Écritures, la tradition etla raison.

Les ÉcrituresLa Bible est le livre qui présente la parole de Dieu. On y retrouve

«tous les éléments essentiels au salut « (Lambeth 1888). C’est elle quirégit la foi et en établit les balises.

Les 39 livres de l’Ancien Testament présentent l’œuvre de lacréation divine ainsi que le récit de l’histoire du peuple de Dieu. On yretrouve le récit de sa révélation graduelle au peuple d’Israël: les lois qu’iltransmit à son peuple, la façon dont il l’a connu tout au long des péripétiesavec les peuples voisins. Le Nouveau Testament (27 livres) couvre lapériode qui s’étend de la naissance du Christ au ministère des premiersapôtres. Les quatre premiers livres du Nouveau Testament, les évangiles,présentent la vie, les réalisations, les enseignements du Christ, de mêmeque sa mort et sa résurrection tels que racontés par ses apôtres. Le livredes Actes des apôtres témoigne des premiers balbutiements de l’Égliseaprès la mort de Jésus. Enfin, les épîtres, des lettres écrites par les apôtres,relatent leur expérience missionnaire aux quatre coins de l’empire romain.

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Étant à la base de notre foi, la Bible est très présente dans la liturgiedominicale, puisque quatre passages de la Bible sont lus lors du service.De plus, de nombreux passages du Livre de la prière commune, du Bookof Alternative Services et du livre des liturgies contemporaines sonttirés de la Bible.

La Bible est tout aussi présente dans les autres liturgies, qu’il s’agissede la prière du matin, de la prière du soir ou des liturgies sacramentelles.

La traditionNous ne vivons pas isolés, car nous appartenons à une Église dont

la foi vibre depuis 2000 ans. La tradition est le résultat de deux millénairesde vie chrétienne, de 2000 années d’expérience en tant que Chrétiensdans le monde. La tradition s’exprime particulièrement par la Bible, lesCredo (des professions de foi écrites au cours des premiers siècles del’Église), les sacrements (surtout la dernière Cène [l’eucharistie] et lebaptême) et le ministère clérical que le Christ a transmis à son Église.

La tradition s’exprime de mille et une façons: dans une variété destyles liturgiques, de langues, de cultures, de styles architecturaux et demusique. D’ailleurs, la tradition cultive cette diversité. Nous cherchons àdonner de la valeur à la vie et au vécu que tout individu peut faire partagerà sa communauté de foi. Car n’oublions pas que l’offrande de chacuns’imbrique à la vie de l’ensemble de la communauté et contribue à l’enrichiret à l’embellir.

La raisonChacun de nous doit décider avec l’aide de Dieu comment appliquer

la tradition et les Écritures dans notre vie. La relation individuelle que nousavons avec Dieu nous permet de réaliser pleinement notre vie. Juxtaposéeaux Écritures et à la tradition, la raison nous pousse à chercher les réponsesà nos propres interrogations et à grandir spirituellement. Le fait de participerà une communauté de foi nous renforcit afin que nous puissions apporternotre foi dans le monde. En reliant les Écritures, la tradition et la raison,nous renforcissions notre foi et grandissons comme enfants de Dieu.

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Seigneur Dieu, tu nous bénis en nous donnant les Écritures, latradition et la raison, et avec elles, tu nous permets, en tant qu’enfantsde Dieu, de nous rapprocher de toi. Sois présent auprès de tous lesgens qui cherchent à mieux te connaître et à appartenir à tacommunauté de foi et transmets partout dans ce monde ton messaged’amour et de paix, nous te le demandons par Jésus le Christ notreSeigneur.Amen.

Le développement de la communion anglicane

Le Christianisme s’est graduellement étendu à l’ensemble de l’empireromain et s’est implanté en Angleterre durant l’occupation romaine. Commedans toutes les autres pays d’Europe, l’Église anglaise était en communionavec l’Église de Rome jusqu’à la fin du Moyen-âge.

Au cours du XVIe siècle, les Églises de plusieurs pays d’Europe sesont penchées sur le sens profond du Christianisme et ont réévalué sur leurlien avec Rome. Du fruit de cette réflexion est née la Réforme. Au risquede trop simplifier, l’Église avait évolué différemment dans chaque pays,car les communications étaient difficiles au Moyen-âge. À la Renaissance,on note l’invention de l’imprimerie et la reprise des communications. Romesouhaite alors plus d’unité dans l’Église; elle souhaite également récupérercertaines sommes d’argent qu’elle estime lui être dues. Certains paysobtempèrent, d’autres non. C’est ainsi que de grands érudits religieuxcomme Luther, Calvin et Cranmer protestent contre les dictats romains etétablissent —souvent contre leur gré— les bases de nouvelles Églises.

La Communion anglicane s’est développée en trois phases. Lapremière fut le schisme entre l’Église d’Angleterre et celle de Rome. Leschisme s’est officialisé en 1534 lorsque le roi Henri VIII a rejetéofficiellement la juridiction du Pape sur l’Angleterre. Soulignons que mêmesi la petite histoire retient les motivations personnelles du roi, les théologiensanglais avaient moult justifications religieuses pour appuyer cette séparation.À la mort d’Henri VIII, l’Angleterre fit un bref retour sous le giron romainavant de s’en écarter de nouveau au tout début du XVIIe siècle.

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S’il fut officiellement réalisé dans la seconde moitié du XVIe siècleet définitivement scellé au début du XVIIe siècle, on constate généralementen étudiant l’histoire de l’Église que ce schisme est le fruit d’une évolutiondivergente de nombreuses Églises «nationales» au cours du Moyen-âge,une époque au cours de laquelle les communications étaient difficiles.

La seconde phase résulta de la colonisation britannique des États-Unis, du Canada, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et d’Afrique duSud. Suite à cette expansion qui survint essentiellement entre le XVIIe etle début du XIXe siècle, l’Anglicanisme était présent aux quatre coins dumonde, mais essentiellement en milieu anglophone.

Enfin, la troisième phase de développement de la Communionanglicane débuta vers la fin du XVIIIe siècle. Les Églises d’Angleterre,d’Irlande, d’Écosse et du pays de Galles ainsi que les jeunes Églises desnouveaux pays envoyèrent des missionnaires aux quatre coins du mondepour y établir des paroisses anglicanes.

Aujourd’hui, grâce essentiellement à l’œuvre missionnaire, l’Égliseanglicane est présente dans toutes les régions du monde. S’il est difficilede tracer un portrait physique de l’anglican ou de l’anglicane type, on peuttout de même affirmer qu’il y a de fortes chances pour qu’il s’agisse d’unepersonne au teint basané qui ne parle pas l’anglais. En effet, la communions’exprime dans plus de cent langues différentes, et sur les quelque 70millions d’Anglicans, quelque 3,5 millions sont d’expression française.

De plus, l’Église anglicane a une forte coloration locale. Chaquenation vit et célèbre sa foi selon ses coutumes.

Mais quel que soit le pays et quelle que soit la langue, les Églisesanglicanes affirment et proclament la foi catholique et apostolique établieselon les saintes Écritures et interprétée à la lumière de la tradition et de laraison. Conformément aux enseignements de Jésus-Christ, les Églises seconsacrent à proclamer la bonne nouvelle de l’Évangile à la création toutentière. La foi, l’organisation religieuse et la pratique sont exprimées pardes liturgies communes comme le Livre de la prière commune, ainsi quepar certains documents de principes généralement discutés par l’ensembledes évêques — notamment lors de la Conférence de Lambeth.

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Quelques questions à propos de l’Église anglicane

Qui dirige l’Église Anglicane?Les Églises de chaque pays sont autonomes. Ainsi, au Canada, le

«représentant en chef « de l’Église est le primat. Le synode général estl’organisme législatif de l’Église anglicane du Canada; il se réunit aux troisans pour discuter des affaires de l’Église et en édicter les lois et les canons.Ce synode est composé de l’assemblée des évêques ainsi que del’assemblée des prêtres et des laïcs élus dans chacun des diocèses. Touterésolution présentée au synode doit être approuvé à la double majorité.

L’Église anglicane du Canada est divisée géographiquement enprovinces puis en diocèses. Par exemple, le diocèse de Montréalregroupe toutes les paroisses anglicanes de l’île de Montréal et des régionslimitrophes de la Montérégie, du Sud-ouest du Québec, de l’Outaouais,des Laurentides et de Lanaudière (soit approximativement un rayon de 80km autour de Montréal).

Le diocèse est dirigé par un évêque et gouverné par le synodediocésain dont le fonctionnement s’apparente à celui du synode général.L’évêque a juridiction épiscopale sur son diocèse, et particulièrementsur les prêtres qui y exercent le sacerdoce. C’est notamment lui qui attribueles permis d’exercice aux prêtres et aux personnes qui se consacrent àd’autres ministères (les catéchistes, par exemple).

L’église locale est l’unité de base — et c’est aussi l’élément le plusvisible pour l’ensemble des fidèles. Depuis les années 1960, la notion deparoisse territoriale a graduellement été remplacée par une notion decommunauté chrétienne où se rassemblent des hommes et des femmes quilouent Dieu et tissent graduellement des liens entre eux. Au niveau local,l’église est dirigée par un conseil de fabrique formé du curé, d’unmarguillier nommé par celui-ci ainsi que d’un autre élu par les paroissienslors de l’assemblée générale annuelle.

Soulignons ici qu’il n’y a pas d’autorité au-dessus de celle de l’Églisenationale. Néanmoins, la communion anglicane assure sa cohésion en seréunissant aux dix ans en Conférence de Lambeth et à l’occasion enformant des comités internationaux ad hoc. L’archevêque de Canterburry

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est le chef de la Communion anglicane et le symbole de cette unité. Mais iln’a aucune autorité directe sur les Églises nationales.

Quelle est la perspective de l’Église anglicane sur le mariage,la famille et le sacerdoce?

La mission première de toute vie chrétienne est d’aimer. Cet amourtrouve sa manifestation classique dans la famille et les valeurs qu’ellevéhicule. Dans cette perspective, la vie de couple doit refléter cette missionet non un simple désir de procréation. En vertu de ce principe, la planificationdes naissances devient une obligation de la famille chrétienne. Le choix dela méthode est laissé à la discrétion du couple.

Le mariage est un engagement à vie et l’Église en affirme lapérennité. Cependant, par égard pour ses fidèles divorcés, elle permet lacélébration d’un mariage subséquent dans certains cas.

Suivant la foi de l’Église primitive et comme dans les Églisesorthodoxes et catholiques orientales, le prêtre anglican peut choisir de semarier s’il le veut. Cette possibilité est une grande richesse car elle permetune meilleure compréhension de tous les aspects de la vie chrétienne. Deplus, hommes et femmes ont accès au sacerdoce. Le clergé enrichit doncsa spiritualité par la présence des femmes.

Nous tenons aussi à souligner qu’il existe d’autres façons de vivrel’amour de l’Église et les communautés religieuses en sont un bon exemple.

Les sacrements sont-ils célébrés dans l’Église anglicane?L’Église anglicane célèbre les deux grands sacrements du baptême

et de l’eucharistie, ainsi que les cinq autres rites sacramentaux: laconfirmation, le mariage, l’onction de guérison, la confession et l’ordinationsacerdotale.

Le dimanche (et à d’autres moments en semaine), on célèbrel’eucharistie. La liturgie eucharistique comprend la liturgie de la parole(trois lectures de la Bible, un Psaume et le sermon) puis le repaseucharistique. Selon la tradition de l’Église primitive, les fidèles communientsous les deux espèces.

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Quel est l’enseignement de l’Église anglicane sur la ViergeMarie?

Nous croyons que Jésus est né de Marie, enfantée par l’Esprit,grâce à sa parfaite soumission à la volonté de Dieu. Nous reconnaissonsdonc à la Vierge la place privilégiée que lui donnent les saintes Écritures.Plusieurs fêtes du calendrier liturgique lui sont dédiées.

Les saints sont-ils célébrés dans l’Église anglicane?L’Église anglicane est fondée sur les Écritures, la tradition et la raison.

Or, les saints sont un élément important de la tradition. Dans le calendrierliturgique, on célèbre donc la fête des grands saints qui ont marqué l’histoirede l’Église.

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LE SEIGNEUR NOUS INVITE À DEVENIR DES SAINTS

Les saints sont des gens qui ont accepté une bonne fois d’êtretoujours déroutés: c’est devenu leur pain quotidien. Si tout est trop bienplanifié, si nous avons tout organisé, si nous nous sentons en sécurité parceque, dans notre volonté, tout est bien décidé et bien en place, disons-lefranchement, ce n’est pas la route de la sainteté. La personne qui a desidées ne doit pas s’y cramponner. Quand on regarde les choses spirituellesd’une manière humaine, cela veut dire qu’on ne les prend pas au sérieux.Le thème de la sainteté pourrait se résumer en peu de mots: Laissons-nous faire, ce qui veut dire «soyons petits». Ce n’est pas si difficile à pratiquer;mais c’est très difficile à comprendre. «Se laisser faire par Dieu», accepterde regarder le Christ, ce n’est pas banal du tout. Nous ne pouvons pasnon plus éviter de nous tromper de temps en temps. Le problème n’estpas d’éviter de dérailler mais d’être toujours assez souples pour que Dieunous remette sur les rails en «nous laissant faire» bien entendu. Nous nousentêtons souvent et c’est la mort. Pourquoi cela arrive-t-il? Il est dit dansla Parole de Dieu, c’est dû à l’endurcissement de votre cœur. Le cheminétroit qui mène à la «vraie vie», à la sainteté n’est pas si difficile à gravir; ilest difficile à trouver.

Présentons-nous au Christ comme des enfants, des «tout-petits»,qui ne savent rien: qui ont tout à apprendre et à comprendre. Laissons-leouvrir nos yeux à la vraie lumière en nous laissant conduire par l’Esprit-Saint. Dans l’Évangile, il y a des secrets de sainteté; quelque chose que leshommes n’osent pas creuser et que le Christ présente clairement. Cessecrets sont: les Béatitudes, le Royaume des Cieux et la porte étroite.Voilà des secrets qui donnent tout un programme de vie, de vraie vie!Dommage, il n’y en a pas d’autre! L’Évangile est pour «le peuple» et nonpour les intellectuels et c’est en acceptant d’être «peuple» qu’on peutavec la grâce, se laisser toucher. Si quelqu’un lit l’Évangile sans êtrebouleversé par le Christ, c’est qu’il n’a pas compris. Il est intellectuel et

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non «peuple». Vous savez, on ne peut rien faire pour expliquer l’Évangilequi mène à coup sûr à la sainteté si l’on n’éprouve rien. Il faut d’abordvibrer, être remué, secoué, attendri, gagné au Christ. Le secret de l’Évangileest «pour les petits» qui accueillent, qui veulent et qui se laissent faire. «LeRoyaume des Cieux est pour les petits», dit Jésus.

Les apôtres furent enseignés par le Christ, les saints et nous-mêmes,par l’Église, ce qui est exactement la même chose. Tout l’enseignement duChrist repose sur son grand commandement: aimer. Aimer, c’est d’abordêtre attiré, séduit, captivé. Il faut céder de tout de cœur à cette séduction,à cet attrait, «se laisser faire» pour que s’épanouisse notre bonheur enDieu à travers le Béatitudes, chemin de sainteté, l’idéal de cette réaliténous est laissé par le Christ lui-même: «Je veux que vous ayez la joie enplénitude». Examinons notre cœur pour voir que souvent nous perdons lajoie, la joie intérieure. Si nous la perdons, c’est que nous retournons ànous-mêmes, à nos misères au lieu de rester le regard fixé sur le Christ quipermet ces événements pour nous grandir et nous épanouir dans la foi.C’est le combat spirituel vers la sainteté. Encore une fois, il faut «laisserfaire» la grâce qui est une puissance extraordinaire qui pousse à se donnerà Dieu. Et ce qui nous attend ce n’est pas l’immortalité, c’est l’éternité.Quel mot plein d’espérance! Oui l’éternité! Qu’est-ce que Dieu demandeen fait? Pas grand chose, sinon de croire à l’éternité bienheureuse, à lapromesse éternelle. Ce qui arrive souvent , c’est que notre pensée seheurte à la pensée de Dieu et elle ne veut pas céder. Que nous manque-t-il alors? Il faut se convertir, «se laisser faire» par Dieu.

Pourtant le Saint-Esprit nous attire, nous travaille et nous retourneavant même que la Trinité «les trois» puisse venir en nous pour y établir sademeure. Un jour, peut-être, quand nous donnerons notre accord, la racinequi alimente notre inquiétude et notre volonté obstinée mourra et nousserons libres.

Les saints sont de vrais nageurs et non des apprentis. Ils ont unebouée de sécurité: Dieu, le maître-nageur. C’est à lui seul qu’ils fontconfiance, jamais à eux-mêmes. Au début, les saints cherchaient par eux-mêmes à aimer Dieu; au terme - ils comprennent qu’il suffit de se laisseraimer par lui tout doucement en se «laissant faire». Quand on dit franchement

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«Dieu y pourvoira» on peut dire qu’on commence à être de vrais chrétiensconvaincus. On est dans la barque et on se laisse glisser au fil des eauxsans craindre. On abandonne le gouvernail, on ne décide plus rien par soi-même, sinon ce qui est inspiré de l’Esprit. Il est très facile de toucher lecœur d’un saint, mais il est impossible de le troubler vraiment. Sa paixdemeure inaccessible, il est appuyé sur du solide. Vous voyez: il n’y a pasd’autre sainteté possible: nous avons en nous le vieil homme et il faut qu’ilmeure. C’est cela la conversion, c’est cela «se laisser faire». «Celui quiaccueille un saint comme un saint recevra une récompense de «saint»,disait sainte Jeanne d’Arc». Les saints seront toujours des signes decontradiction qui révèlent le secret des cœurs.

Voyons où nous en sommes, nous qui sommes un peu tous engagésdans la foi. Le véritable engagé ne parle pas de son engagement commequelque chose de lourd, il parle de son trésor, c’est-à-dire ce qui fait sonbonheur. Si nous aimons vraiment Jésus-Christ, nous nous réjouirons qu’iln’y ait pas de solution en-dehors de lui, le Sauveur; donc c’est être assezpetit pour dépendre uniquement de lui. La seule et unique collaborationque nous puissions apporter à Dieu, c’est de dire «oui» à une action quin’est pas la nôtre, dire notre «Fiat» comme Marie, et comme elle «selaisser faire» par l’Esprit de Dieu. Il s’agit en somme de cultiver cettesouplesse qui nous remet entre les mains de Dieu; pour cela, il faut résisterà l’orgueil quand il se présente déguisé sous des dehors de bien-être, depassion du cœur, d’amour de posséder des choses souvent même nuisiblesà notre liberté. Vous savez, il est plus facile de renier un péché honteuxqu’un péché glorieux. L’Église doit toujours être pour nous le refuge, nonpas d’abord une exigence, mais une protection. L’Église nous tient dansl’Amour de Dieu à travers les sacrements. Elle nous enseigne par la paroleque s’exercer à l’amour, s’exercer à mourir à nous-mêmes ou s’exercer àla confiance, c’est la même chose. Pour avoir confiance, il faut craindred’offenser Dieu, c’est à lui qu’on se donne et c’est lui qui nous fera désirerla sainteté en le suivant dans ce que l’Église nous enseigne. Dieu a beaufaire, il ne peut sauver quelqu’un, encore moins l’amener à la sainteté, s’iln’a pas confiance. Toutes les fois que nous nous appuyons sur autre choseque sur lui, nous lui retirons notre confiance. Tant qu’à espérer notre salut,

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autant espérer la sainteté. Il n’est pas plus facile d’être sauvé que d’être unsaint.

Disons pour terminer qu’il est bien vrai que si chacun de nous étaitmeilleur, le monde entier serait meilleur. Le pire des péchés, c’est de vouloirse mettre à part du péché et ne pas croire que nous sommes de pauvrespécheurs. Alors, abandonnons-nous à la miséricorde pour ne jamaisamoindrir l’Évangile. Ceux qui cherchent à atténuer, à adoucir le scandalede l’Évangile doivent par le fait même évacuer la croix. Pas de saintetésans croix, pas de croix sans être au cœur de l’Évangile.

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CÉLÉBRER ET PRIER

Certains des fidèles qui ont une tâche particulière d’animation àassurer dans une célébration expriment un regret: tout en acceptant ceservice, le fait de l’accomplir les empêche de prier: «une messe où j’animeles chants est une messe où je ne peux pas prier!»

On comprend tout à fait ce que signifie cette remarque, mais elleappelle cependant une mise au point. Dissiper les malentendus

Si prier n’était qu’un discours privé adressé à Dieu dans uneméditation recueillie et libre, alors, en effet, il y aurait peu de momentsaccordés à la prière en liturgie. Il y en a cependant: le silence entre «Prionsle Seigneur» et la proclamation de l’oraison par le prêtre; le temps de lapréparation des dons; le silence après la communion…

Réduire la prière à cette définition nuirait gravement à la participationdes fidèles à la liturgie. Prier n’est pas que cela.

En liturgie, prier c’est aussi: écouter (ou faire) une lecture, entendre(ou faire) une homélie, recevoir des intentions à la Prière universelle, faireune procession d’entrée ou des dons. En effet, toutes ces actions, avec lesprières explicitement formulées qui les accompagnent, constituent la «prièrede l’église» à laquelle chacun participe.

Ensuite, dans la liturgie, les actes de prière sont fort différents lesuns des autres. Par exemple prier en chantant un Kyrie ou un Gloria n’estpas le même acte que prier durant la Prière eucharistique ou prier en récitantle Notre-Père.

Enfin, en rigueur de terme, si la Prière eucharistique est bien uneprière, tout entière adressée à Dieu qui fait grâce en donnant son Fils, elleest en même temps une action, «Faisant mémoire… nous offrons… pourrendre grâce…», et accomplir cette action n’est pas du même ordre quese concentrer (peut être en fermant les yeux) sur des pensées individuellesque l’on veut adresser librement à Dieu (ou au Christ, ou à la SainteVierge…).

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La prière liturgiqueLa prière liturgique ne s’oppose pas à la prière privée, mais elle

s’en différencie.Célébrer, c’est entrer dans une action précise dont le déroulement

et le contenu sont définis par l’église (c’est ce que signifie le urgie de liturgie,qui vient du grec ergon = travail, action, fonction).

En tant qu’elle est une action de l’église, la liturgie n’est donc pasune action privée où l’on serait libre de faire ou de dire ce que l’on veut(voir Constitution sur la Sainte Liturgie, no. 26). Il y a, dans la liturgie,quelque chose qui est de l’ordre de la fonction publique, c’est-à-dire d’unedélégation (le baptême) par l’autorité (l’église) pour accomplir une tâcheau service du peuple (la liturgie): «Les fidèles incorporés à l’église par lebaptême ont reçu un caractère qui les délègue pour le culte religieuxchrétien» (Constitution dogmatique sur l’église, no. 11). La conséquencesur la prière est bien exprimée par le préambule de la Présentation généraledu Missel romain (no. V): «La vocation (du peuple de Dieu) est de fairemonter vers Dieu les prières de toute la famille humaine».

La liturgie est donc la prière de l’église. Les actions particulièresque nous avons à réaliser sont au service de cette prière et cela jusqu’àaccepter d’être quasiment dépossédé d’une certaine tranquillité derecueillement.

Favoriser la prièreIl va de soi que tout sera fait, par ailleurs, pour favoriser

l’indispensable part de recueillement de chacun des membres del’assemblée. Quelques exemples:

La propreté et le bon aménagement des lieux créeront un espacefavorable.

Le respect des temps de silence (déjà signalés dans ce chapitre)permettra aux fidèles de s’associer personnellement à la prière commu-nautaire.

Il en va de même des ministres, animateurs, servants de messeagissant ou se déplaçant avec calme.

La bonne diction, précise et calme, des prières présidentielles ou

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des lectures laissera aux fidèles le temps de les recevoir pour les faireleurs.

Les chants et les musiques instrumentales seront choisis pour leurcapacité (texte et musique) à exprimer la prière célébrant et à susciter sonintériorisation.

Certains détails peuvent paraître sans importance, mais la célébrationest un tout. Beaucoup de fidèles ayant une vie chargée et parfois agitéedurant toute la semaine, réclament que la célébration dominicale leurpermette de prier. C’est l’art de célébrer des ministres et des différentsanimateurs qui répondra à leur demande.

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LA PRIÈRE… UN TÉLÉPHONE

Le numéro que vous demandez n’est pas attribué actuellement.Veuillez renouveler votre appel.

Sans doute nous arrive-t-il d’entendre au téléphone une voixanonyme nous indiquer qu’il y a dû avoir une erreur de notre part (mêmesi parfois il peut s’agir d’un dysfonctionnement du central téléphonique).Nous n’avons plus alors qu’à recommencer.

Quand nous voulons entrer en communication avec Dieu et quenous essayons sans succès de le joindre, pareille mésaventure peut semblernous arriver. Peut-être tentons-nous de nouvelles fois d’établir lacommunication. Mais si aucune réponse, aucun signe de vie ne nousparvient, nous dirions parfois que Dieu est aux abonnés absents ou qu’illaisse sonner sans décrocher.

Certains en concluent alors qu’il n’y a pas moyen de communiqueravec Dieu. Dieu se tairait... obstinément. Il ne répondrait qu’aux autres,voire à certains privilégiés. C’est peut-être l’occasion de nous demanderce qu’une telle communication pourrait bien requérir de nous. Car larévélation biblique nous présente le visage d’un Dieu à la recherche del’homme, désireux de se dire, de faire en quelque sorte des confidencespour nouer une vraie relation avec chacun.

Notre expérience nous fait dire que pour communiquer avecquelqu’un, nous avons besoin de nous mettre l’un et l’autre sur une mêmelongueur d’onde. Besoin aussi de prêter vraiment attention à ce que l’autrepeut nous dire, comme nous souhaitons nous-mêmes qu’il reçoive ce quenous désirons partager. Sans une véritable écoute, sans une vraiedisponibilité à l’autre, nous pouvons parler, échanger des mots mais nousn’aurons pas vraiment communiqué avec l’autre.

En effet dans une vraie communication, il est nécessaire que lemessage envoyé à l’autre soit reçu le mieux possible. Mais de notre côté

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nous avons à être le plus exact possible, le plus vrai possible dans notremanière de faire connaître les choses à l’autre. Il y a là une exigence devérité, d’objectivité, qui suppose de notre part une réelle désappropriation.C’est ainsi que la communication peut se faire dans les meilleures conditions.

Dieu parle... sans cesse. C’est peut-être nous qui sommes parfois(souvent?) aux abonnés absents. Dieu a soif de communiquer avec chacunde nous. Et si son apparent silence avait pour but de nous inviter à nousrendre disponible au moindre appel de sa part, à ne pas nous centrer surnous-mêmes. Mais à entrer dans le jeu d’une vraie relation où chacun esthumblement à l’écoute de l’autre, sûr que l’autre entend et accueille etsaura répondre. Même si cette réponse semble se faire attendre ou ne pascorrespondre à ce que nous en attendrions.

Nous ne serons sûrement jamais reliés à Dieu par je ne sais queltéléphone rouge. Mais nous laisser interroger sur notre manière decommuniquer, c’est peut-être bien avoir la chance de rendre plus réelle etvraie notre condition de femme et d’homme, faits pour l’échange, le partage.Chance de pouvoir tisser des liens plus authentiques avec Dieu et avec lesautres.

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CE QUE NOS PRIÈRES DEVRAIENT CONTENIR

Quand j’ai commencé à me passionner pour la prière –communion avec le Dieu de l’univers – je priais en général pour Luidemander des choses. J’ai appris plus tard que, bien que «demander»fasse partie de notre relation avec Dieu, il existe aussi d’autres élémentsdans la prière que nous allons vouloir inclure au fur et à mesure de lacroissance de notre relation avec le Seigneur.

Le catéchisme de Westminster pose la question suivante: «Quelleest la raison principale de l’existence de l’être humain?» et la réponse est:«De glorifier Dieu et d’être avec Lui pour l’éternité».

Eh bien, j’ai souvent traité Dieu comme un «distributeur d’exaucementde prières» plutôt que comme une personne avec laquelle j’avais unerelation d’amour.

Bien que notre communion avec Dieu dépende de l’attitude de notrecœur, voici quatre aspects de la prière qui permettent d’avoir uneconversation saine avec Dieu.

• Adoration. Adorer dieu, cela veut dire Le vénérer, Le louer,L’honorer et L’élever. En d’autres termes, Le respecter, L’admirer, direSes merveilles. Les psaumes 103 et 145 sont de bons exemples d’adorationdu Seigneur.

• Confession. Quand on commence à admettre combien Dieuest grand, parfait et admirable, cela nous pousse à reconnaître nos faiblesseset nos péchés. Dans la démarche de prier, il est vital d’admettre et deconfesser ses péchés (1Jean 1:9) et de savoir qu’Il nous a pardonné nospéchés passés, présents et futurs. Parce que Dieu est un Dieu Saint, ilnous faut venir devant Lui avec un cœur lavé. «Si j’avais conçu l’iniquitédans mon cœur, le Seigneur ne m’aurait pas exaucé» (Psaume 66:18).

• Action de grâces. Remercier est une expression de foi et la foiplait à Dieu. Dans Hébreux 11:6, nous lisons «Or, sans la foi, il estimpossible de Lui être agréable». I Thessaloniciens 5: 18 nous dit: «Ren-

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dez grâces en toutes choses, car c’est à notre égard la volonté de Dieu enJésus-Christ». Nous n’avons pas besoin de remercier pour les circons-tances, mais remercions pour Sa provision totale pendant les bonnes –etpénibles– circonstances.

• Supplique. Demander semble si naturel aux enfants! En tantqu’enfants de Dieu, nous pouvons Lui parler librement et Lui demanderpour toutes choses. Et, tout comme un parent attentionné, Il va répondre«Oui» à certaines de nos requêtes, «Non» quelque fois et parfois Il nousdira: «Attends».

Pour vous souvenir de ce plan de prière, vous pouvez par exempleutiliser l’acronyme ACAS – Adoration, Confession, Action de grâces etSupplique. Chacune de ces parties est nécessaire pour rendre les prièresefficaces. Il existe encore bien d’autres aspects de la prière dont je vousparlerai une autre fois. Mais si prier est nouveau pour vous, je vousrecommande de commencer à inclure ces quatre éléments dans vos prières.

«Père éternel, je suis en admiration devant le fait que parmi les 6billions de gens sur la terre, Tu m’entends et même que Tu prends plaisir àécouter mes prières. Merci infiniment. Tu sais comme je suis portée àpéché dans mes actes et dans mes comportements. Merci de me pardonner.S’il te plait, fais de moi la personne que tu veux que je sois. Amen».

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LITURGIE DES HEURES

La liturgie des Heures ou office divin vise à sanctifier le jour et la,nuit. Le cycle quotidien est le rythme fondamental de la vie humaine: ilconstitue le cadre naturel de nos rencontres avec Dieu. Yahvé n’avait-ilpas l’habitude, dans le paradis, de venir retrouver ses amis humains «à labrise du jour» (Gn 3, 8)? Les Psaumes sont des prières du matin (Ps5.16.56), du milieu du jour (Ps 54, 18), du soir (Ps 4.133.140) et dumilieu de la nuit (Ps 62, 7; 118, 62). Daniel, «trois fois par jour, se mettaità genoux, priant et confessant Dieu: c’est ainsi qu’il avait toujours fait» (6,11; cf. Ps 54, 18). Après l’Ascension de Jésus, les apôtres «étaientconstamment dans le Temple à louer Dieu» (Lc 24, 53; Ac 2, 46), et l’onvoit Pierre et Jean «monter au Temple pour la prière de la neuvième heure»(Ac 3, 1).

L’Eucharistie est assurément le centre de gravité du cycle quotidiende la liturgie, mais loin d’épuiser toute la louange de l’Eglise, elle la suscite.Il n’est pas normal de multiplier les messes au cours d’une même journée— hormis le cas de nécessités pastorales (voir Biner); par contre, il estnaturel de sanctifier les moments principaux de la journée, en préparant ouen prolongeant la célébration du sacrifice eucharistique. Le sacrifice delouange (Ps 49, 14.23) présente la même structure que toute la liturgie,telle qu’elle apparaît en toute clarté dans l’Eucharistie: primauté de l’Œuvredivine à laquelle est associée l’Œuvre de la communauté rassemblée parDieu. Les Psaumes constituent la substance de la liturgie des Heures: a-t-on assez remarqué qu’ils sont indissolublement Parole de Dieu et parolehumaine, une prière que nous recevons de Dieu avant de la lui adresser?

La prière du temps présent, la prière des Heures, c’est «la voix del’Épouse elle-même qui s’adresse à son Époux; et mieux encore, c’est laprière du Christ que celui-ci, avec son Corps, présente au Père» (VaticanII, Constitution sur la sainte Liturgie, 84). Le même Esprit qui nous faitcrier: «Viens, Seigneur Jésus!» (Ap 22, 20), nous apprend à prononcer,

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avec Jésus, le nom du Père (Rm 8, 15). La célébration des Heures est,autour de l’Eucharistie et des sacrements, une initiation à la vie trinitaire:tous les Psaumes et les Cantiques ne s’achèvent-ils pas dans un «Gloire auPère et au Fils et au Saint-Esprit» (voir Gloire)? A chaque Heure de l’office,nous vivons le dialogue du Fils avec le Père, tel que les évangiles (Lc 3,21; 5, 16; 6, 12; etc.) le rapportent.

Les Heures principales sont celles du matin (Laudes) et du soir(Vêpres); un office est prévu pour le Milieu du jour, à moins que l’onveuille célébrer les trois petites Heures traditionnelles de Tierce, Sexte etNone. L’office des lectures peut être dit au moment le plus favorable.Complies achève la journée. Dans l’office monastique, la première Heurese situe vers la fin de la nuit (Matines ou Vigiles): elle correspond à l’officedes lectures du Bréviaire romain; certains monastères célèbrent les Vigilesau milieu de la nuit. L’ordre des offices est donc le suivant: Vigiles (ouMatines), Laudes, Tierce, Sexte, None, Vêpres et Complies.

Le principe de la vérité des Heures est important: tout le mondecomprend qu’il n’y a pas grand sens à dire Complies au cours de la matinée.Quand la célébration de la messe coïncide avec une Heure de l’office, ilest possible d’intégrer cette Heure dans la messe: la psalmodie est alorschantée après la salutation du célébrant; une telle façon de faire évite lesrépétitions qu’entraîne une célébration consécutive d’une Heure, puis dela messe (ou vice-versa), et surtout assure l’unité de ces deux actesliturgiques.

La structure habituelle d’une Heure liturgique est la suivante: aprèsle verset d’introduction vient l’hymne qui donne la tonalité de l’Heure; puisla psalmodie, encadrée par l’antienne et constituant la substance de l’office;la lecture de la Parole de Dieu, prolongée dans l’office des lectures, brèveaux autres offices; enfin, la prière finale: l’oraison du jour, précédée parl’intercession et le Pater à Laudes et à Vêpres. Noter que dans l’officemonastique de la Règle de saint Benoît, les hymnes de Laudes, de Vêpreset de Complies se situent après la psalmodie.

BréviaireDu latin breviarium: «abrégé», «résumé». Le chant de l’office divin

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nécessite l’utilisation de plusieurs livres de chœur: antiphonaire, psautier,responsorial, processionnal, sacramentaire ou recueil d’oraisons, lection-naire, hymnaire, homiliaire, etc. Dès le IXe siècle apparaissent des«bréviaires», ou abrégés des Heures canoniales, pour l’usage des laïcs.Sans doute aussi procurait-on aux moines qui ne pouvaient être présentsau chœur l’avantage de quelque recueil contenant les éléments essentielsde l’office.

Le chapitre 50 de la Règle de saint Benoît est ainsi rédigé: «LesFrères qui sont occupés au travail à une distance considérable et ne peuventse rendre à l’oratoire pour l’heure assignée, l’Abbé ayant reconnu qu’il enest ainsi, accompliront l’Œuvre de Dieu au lieu même de leur travail, pleinsdu respect divin et fléchissant les genoux. Pareillement, ceux qui sont envoyage ne laisseront point passer les Heures prescrites, mais ils lesaccompliront en leur particulier comme ils pourront, et ne négligeront pasde s’acquitter de cette tâche de leur service».

Le bréviaire, au sens où nous l’entendons, ne fait guère son apparitionavant l’obligation faite aux clercs de dire l’office (XIe-XIIe s.); il se généraliseavec l’extension des Ordres mendiants au XIIe siècle. Amenés souvent àcourir les routes, Dominicains et Franciscains doivent se munir des textesde l’office divin qu’il leur faut réciter. Le bréviaire devient alors le volumeoù sont réunis tous les éléments de la prière des Heures, sans aucunenotation musicale. Il s’ensuivit, au cours des siècles, une perte du sensintégral de l’office, fait pour être chanté en communauté religieuse ouparoissiale.

La plupart des prêtres et des religieux en viendront à s’acquitter deleur obligation de chanter la louange de Dieu, sous la forme d’une récitationindividuelle dans un «bréviaire». Les Jésuites n’ont-ils pas été dispensés,dès leur origine, de toute célébration chorale de l’office? Seules, lescathédrales avec leur chapitre, les collégiales et les monastères continuerontà célébrer les Heures de façon publique, en donnant au chant sa partconvenable. La réforme liturgique issue du deuxième Concile du Vaticaninvite à respecter la vérité des Heures —c’est-à-dire à ne plus réciter lebréviaire d’un trait— et à les célébrer autant que possible de façon commu-nautaire, en y associant les fidèles. Il est heureux de constater que l’on

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parle moins de «bréviaire « que de «Liturgie des Heures» ou de «Prière dutemps présent».

Laudes et VêpresDu latin laudes: «louanges». L’office de Laudes est celui du matin: il

doit ce nom à la tonalité laudative qui le caractérise, face au renouveauquotidien des bienfaits de la création. Le premier Psaume est un Psaumedu matin, tandis que le dernier est un Psaume de louange; dans l’officeprévu par la Règle de saint Benoît, le dernier élément de la psalmodie estconstitué chaque jour par les trois derniers Psaumes du Psautier qui nesont que pure louange: ces Laudes (Ps 148, 149, 150) ont contribué àdonner son nom à l’office matinal.

Avant le ou les Psaumes de louange, on psalmodie un Cantique del’Ancien Testament. Le sommet de Laudes est le chant du Cantiqueévangélique de Zacharie, le Benedictus: on le chante debout. La prièred’intercession qui suit est marquée par l’offrande et la louange pour lajournée qui commence. Quand Laudes est le premier office du jour, onchante d’abord le Psaume invitatoire.

Du latin vesper: «soir», issu du grec espéros: «soir». L’office deVêpres constitue l’Heure solennelle du soir; il fait pendant à l’office deLaudes. A la fin de la journée, l’Église qui, depuis Lau des, n’a cessé derester en contact avec Dieu, grâce à l’office du Milieu du jour ou auxoffices de Tierce, Sexte et None, retrouve son intimité, de façon plusprolongée.

Elle remercie pour les merveilles de la création, pour l’activité qu’ellea pu mener, et se complaît dans la présence de son Seigneur, comme lesapôtres le soir de Pâques (cf. Jn 20, 19), tout en attendant son retourdéfinitif. L’office de Vêpres comprend, après l’introduction, une hymne,deux Psaumes, un Cantique du Nouveau Testament (voir Cantique), unelecture brève, un répons bref, le chant du Magnificat, et les prièresd’intercession et de conclusion.

Le sommet de Vêpres est le chant du Cantique évangélique deMarie, le Magnificat, au cours duquel il est bon, au moins à certains jours,de faire à l’autel l’offrande de l’encens en «sacrifice du soir» (cf. Ps 140,

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2). Voir Lucernaire. Les Solennités et tous les dimanches commencent laveille au soir, par la célébration des premières Vêpres. Cette coutume estreprise aux Juifs, pour qui les jours allaient du soir au soir. QuelquesSolennités majeures ont une messe de vigile qui doit être célébrée le soir,intégrant ou non la psalmodie de Vêpres.

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LA MESSE, EN PARLER POUR MIEUX EN VIVRE

La fraction du pain, c’est le nom que donnèrent les premierschrétiens à l’assemblée dominicale (Actes 2,42). Cette expression centraitsur ce que le Christ a voulu: un repas partagé dans une ambiance fraternelle,à la lumière de l’Evangile et en ayant conscience de la présence de Jésusau milieu de nous. Il est dommage qu’elle ait été peu à peu abandonnéecar, pour la majorité de nos contemporains, le mot «messe» n’évoque plusqu’une vague cérémonie, reliée à la foi chrétienne de façon très distante etnullement «vitale».

Pourtant, aujourd’hui, les «pratiquants» se posent davantage dequestions à son sujet: comment percevoir ce temps fort de la semaine,comment en profiter au maximum, comment assumer les variationsliturgiques qui ont marqué vingt siècles de notre histoire...? La réponsequ’appellent ces interrogations est essentielle, particulièrement pour leslaïcs qui sont amenés de plus en plus à prendre leurs responsabilités faceau manque de prêtres. Il leur faut assurer intelligemment la vie descommunautés dont ils font partie et cette activité dépasse désormais lesquestions matérielles de la paroisse; l’animation des messes s’intègre àleur mission et se révèle primordiale pour maintenir le ravitaillement deleurs frères chrétiens auprès du Christ. Sans leur engagement, la foi dépériraet finira par disparaître.

Pour ne pas nous contenter d’une réponse évasive ou purementthéorique et pour bien maîtriser le «fonctionnement» voulu par Jésus, ilnous faut remonter à la source: l’Evangile. L’épisode «des pèlerinsd’Emmaüs» (Luc 24,13) se propose comme un texte privilégié, il permetde mieux cerner le schéma qu’adoptaient les premiers chrétiens et deréfléchir aux éléments nécessaires pour revivre chaque dimanche unerencontre de même intensité. Car, le Christ nous accompagne, nous-aussi,et nul doute qu’il cherche à nous rejoindre de manière aussi délicate, aussi

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humaine et aussi stimulante, alors qu’une semaine vient de s’écouler etqu’une autre commence..

Nous aimerions partager avec vous les différents éclairages que nousa apportés ce texte, particulièrement sur trois points qui sont familiers àtous, puisqu’ils se retrouvent dans «l’organisation» actuelle de la messe:

1°) le regard sur les événements concrets qui affectent nos vies;2°) le ressourcement de pensée à la lumière de l’Evangile;3°) le signe très dense du pain que Jésus désire partager avec nous.

Première partie de la messe: regard sur les événements concretsRelisons les premiers versets de Luc. Dans un premier temps, deux disciples cheminent en réfléchissant

sur les événements qui viennent de se dérouler et ont bouleversé leursvies... Ils parlaient entre eux de tout ce qui était arrivé. La manièrenégative dont ils perçoivent ces événements, les font s’égarer... ilss’éloignent de Jérusalem. Elle les empêche de voir l’essentiel: Jésusprésent à leurs côtés...leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.

C’est pourtant cette recherche personnelle qui permet à Jésusd’amorcer le dialogue avec les disciples... quels sont ces propos quevous échangiez en marchant? Ceux-ci commencent par éluder cettequestion en renvoyant à l’anonymat collectif... tu es bien le seul habitantde Jérusalem à ignorer ce qui y est arrivé ces jours-ci. Pourtant Jésusinsiste. Il est évident qu’il connaît les événements qui sont arrivés; s’il insistece n’est donc pas pour lui-même, mais pour engager les disciples à uneréflexion plus profonde; il tient à les arracher au pessimisme qui risque, àlongue échéance, de tourner en fausse culpabilisation.

La spontanéité de leur réponse répond pleinement à l’initiative deJésus. Nous y trouvons, mêlés, tous les sentiments qui sont les nôtreslorsque nous nous trouvons engagés dans les perturbations habituelles del’existence... admiration et foi, c’était un prophète puissant en œuvreset en paroles... espérances, nous espérions, nous, qu’il allait délivrerIsraël... déceptions. Nos grands prêtres et nos chefs l’ont crucifié...apports de la communauté, des femmes de notre groupe nous ontétonnées, quelques-uns des nôtres sont allés au tombeau...

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En obligeant ses disciples à s’ouvrir plutôt qu’à se renfermer surleurs problèmes, Jésus applique une loi psychologique élémentaire, àsavoir la nécessité «naturelle» de s’arrêter, de prendre un peu de hauteurvis-à-vis de l’immédiat, en un mot de «respirer». C’est sur elle que Jésuss’appuie pour orienter ses amis vers plus d’optimisme et surtout vers lareconnaissance de sa présence à leurs côtés.

Peu de chrétiens mesurent l’importance pédagogique de la premièrepartie de la messe. Il est vrai que la liturgie y passe très rapidement etl’oriente fréquemment dans un sens de culpabilisation. Est-ce bien le sensque suggère le récit d’Emmaüs en cohérence avec le style habituel duChrist au long de l’Evangile?

La plupart des textes d’évangile qui se rapportent à la messesoulignent le lien avec une activité antérieure... Les scènes de partage despains se déroulent après le compte-rendu de mission des apôtres (Lc 9,10)et mettent en valeur le symbolisme des pains et des poissons que ceux-ciapportent à la demande de Jésus... Au repas du Jeudi-saint, deux disciplessont envoyés pour assurer les préparatifs (Lc 22,8)... et, après larésurrection, Pierre doit tirer à terre le filet rempli de toutes sortes depoissons avant que Jésus n’invite ses amis à venir déjeuner (Jn 21/12).

Jésus n’a pas voulu nous donner de recettes toutes faites. Il nousprend au sérieux et nous demande de nous prendre au sérieux avecintelligence et réalisme. Il nous invite à vivre notre existence de manièrepersonnelle; mais, pour cela, il nous faut d’abord la «réfléchir» par nous-mêmes c’est toute la symbolique de la scène du «lavement des pieds» (Jn13,5): certes, nous croyons que le Christ nous accompagne dans notremarche et qu’il la soutient...symbolisme des pieds... mais nous noussouvenons qu’en refusant la demande de Pierre au sujet des mains et dela tête, il a signifié la liberté qu’il laisse à nos actions et à notre intelligence...

Il importe donc de revaloriser ce premier temps de la messe.Bien entendu, il est nécessaire de tenir compte de la diversité de nosassemblées quant aux professions, aux activités familiales, aux engagementspratiques, aux responsabilités variées. C’est pourquoi, il semble que ladiscrétion et le silence soient préférables aux grandes considérationscommunes anonymes qui ne favorisent ni la communication avec le Seigneur,

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ni la rencontre avec nous-mêmes.A chaque communauté de trouver l’ambiance la plus favorable à un

«regard» non complexé qui soit aussi une «respiration», conditionnant etorientant la suite du parcours.

Deuxième partie de la messe: ressourcement de pensée à lalumière de l’Evangile

Le deuxième temps arrive alors tout naturellement. Comme dansl’épisode de Marthe et Marie (Lc 10/38) nous abordons la meilleurepart... Grâce à un dialogue ouvert, le Christ peut poursuivre sa route avecnous en s’exprimant pleinement, et en éclairant nos vies par sa Parole

Une première exigence s’impose pour une bonne «écoute»: il nousfaut hiérarchiser les différentes lectures. Il est normal de recevoir lesdeux premières au titre d’une connaissance des Ecritures; l’Ancientestament et les écrits apostoliques sont à la source de notre foi et nousfont partager un travail de réflexion qu’il nous revient de poursuivre ennotre temps. Mais il est essentiel de centrer notre attention et notre réflexionsur l’Evangile.

Les récits de la «Transfiguration» soulignent cette priorité: Moïse etles prophètes dialoguent avec Jésus, pourtant c’est Jésus seul, qui resteavec ses amis et descend de la montagne pour s’engager -et les engager-dans le drame de la passion-résurrection. Les disciples d’Emmaüs sont,eux-aussi, invités à la même progression: Jésus commence par Moïse etparcourt les prophètes pour arriver à l’essentiel, ce qui le concernait.C’est bien ainsi que nous voulons que l’Evangile demeure avec nous etnous nourrisse.

Bien évidemment, il s’avère impossible de trouver le passaged’évangile qui correspondrait à l’attente de chacun, en éclairage de lasituation qui est la sienne à ce moment.

Une grande liberté d’esprit doit donc marquer l’accueil de texteschoisis pour tous. Ils doivent être reçus comme répondant «globalement»à l’ensemble de la communauté, sans pour autant contraindre à leur seuleréférence. Il n’y a pas «distraction» si nous revient en mémoire un autrepassage qui correspond mieux à notre attente intérieure... Les versets

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proposés par la liturgie nous rappellent simplement le champ très vastedont nous disposons. L’essentiel est de laisser le Christ nous parler... parl’attention à cet extrait ou le souvenir d’autres extraits.

La formation qu’ont reçue nombre de chrétiens dans le cadre deleur catéchisme, ne les a pas préparés à une bonne «écoute» d’un texteévangélique. Il est donc nécessaire de rappeler que, dans le cadre de lamesse, il nous faut dépasser une «approche morale» ou la recherche d’un«enseignement»... Nous sommes appelés à vivre une communiond’engagement; l’Evangile nous rend présente une activité humaine degrande densité, celle qu’a vécue Jésus et qui éclaire les multiples facettesde toute existence. Nous y puisons les éléments de réflexion, et les pistesd’engagement qui sont susceptibles de nourrir la réalité concrète qui estnôtre et que la première partie a rendu présente à notre esprit. «En mêmetemps et dans la même mesure» où nous réfléchissons personnellement,nous sentons que le Christ cautionne notre engagement et nous y confirmesa présence tout autant que son soutien.

L’utilité de cet échange est évidente. Malgré la monotonie desoccupations habituelles, chaque nouvelle semaine nous met en présencede personnes ou d’événements différents, parfois elle nous affronte à desvents contraires. Comme les disciples au milieu de la mer de Galilée, nousrisquons alors de ramer inutilement (Jn 6,18)... Jésus est venu à eux ets’est fait reconnaître par sa parole pour qu’ils puissent atteindre leur but, àsavoir l’autre rive sur laquelle il les invitait à le devancer. (Mt 14/22)...C’est ainsi qu’en assimilant la Parole, s’ouvrent de nouveaux horizons ets’estompent de nombreuses impasses ou risques d’égarement.

Troisième partie de la messe: pain et vin signes du lien vitalentre Jésus et nous

Sur la route d’Emmaüs, ce troisième temps bénéficie d’uneprésentation soignée; il est amorcé par un «désir» des disciples: reste avecnous, car le soir tombe et le jour déjà touche à son terme... la «réponse»de Jésus se présente d’abord comme une acceptation: il entra pour resteravec eux... elle intensifie ensuite le partage amical qui vivifiait la rencontredepuis le début: et, comme il était à table avec eux, il prit le pain...

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enfin elle libère de nouvelles énergies et lance vers de nouveaux horizons:ils le reconnurent... à cette heure-même, ils partirent et s’en retournèrentà Jérusalem...

Il en est de même dans le cadre de la messe... Ce troisième tempsprend place tout naturellement dans le mouvement qui a été amorcé parnotre regard sur la vie et qui s’est poursuivi dans notre réflexion sur letexte d’Evangile.

Malheureusement la structure actuelle rend assez confuse cettecontinuité; les prières qui sont regroupées en cette troisième partie sollicitentles fidèles en des directions différentes. Certes les unes soulignent et réalisentla simplicité d’une présence, mais d’autres déstabilisent cette proximité etentraînent vers un «en-haut» dont le «mystère» est, par ailleurs, expriméen un vocabulaire très abstrait.

Il est donc nécessaire, là-aussi, de bien «hiérarchiser» ce qui estproposé. La spontanéité que requiert une participation active ne peut sedispenser de percevoir le «fil conducteur» de l’ensemble à travers sonorganisation

«Organisation» de la troisième partie de la messeTrois temps forts la construisent et en «rythment» le déroulement.

Précisons-les d’emblée; car, au cours de l’assemblée, ce sont eux quidoivent retenir prioritairement notre attention.

• Un premier temps - encore appelé offertoire - invite à faire dupain et du vin les signes de nos vies.

• Un deuxième temps -encore appelé consécration- «institue» cepain et ce vin en signes du Christ, selon la volonté qu’il exprima au soir dujeudi-saint.

• Un troisième temps -encore appelé communion- conjugue lesdeux premières dynamiques; le pain et le vin réalisent alors une intérioritévitale et permanente avec Jésus

Au service de ces temps forts, les autres «ensembles» assumentune mission relative. Nous devons garder conscience de l’apport différenciéde chacun et, pour ce faire, nous pouvons rapidement le faire ressortir.

Après notre réflexion d’Evangile, il est naturel de faire le lien avec la

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Parole; c’est ce qu’exprime la préface; elle nous rappelle que le Seigneurs’est engagé dans notre histoire humaine et que nous sommes intégrésdans un vaste projet de salut qu’il poursuit pour nous, en nous et par nous.

La mission qui découle naturellement de notre rencontre avec leChrist présente un double secteur d’engagement: la prière universelle,certains passages des prières eucharistiques, et le «Notre Père» nousrappellent son activité de rayonnement extérieur...

La prière de communauté nous rappelle son autre dimension;comme les disciples d’Emmaüs, nous ne sommes pas seuls sur la route;notre expérience de rencontre enrichit le groupe, tout comme l’expériencedes autres nous enrichit. Le geste de paix traduit le lien avec la communautéprésente, il se veut engagement à partir de l’écoute de la Parole et de laconscience de la présence de Jésus en nous. Le lien avec la communautépassée s’exprime dans la mention des saints et le souvenir des défuntsdes prières eucharistiques.

Les signes du pain et du vinNul ne peut douter de l’importance que Jésus a voulu donner à ces

signes. Pour traduire le lien vital qu’il tenait à avoir avec nous, il n’a pasaménagé une cérémonie de la liturgie juive, il n’a pas emprunté à une autrereligion déjà existante; il a créé quelque chose de tout à fait original. Cen’est pas par hasard qu’il a fait le choix du pain et du vin, il tenait à ce quenous percevions une profonde cohésion entre leur symbolisme et le «style»qu’il donnait à son engagement.

Nous ne devons jamais l’oublier: lorsque nous communions, nousprenons d’abord du pain et du vin, et nous devons d’abord discerner leurcaractère de pain et de vin, si nous voulons qu’ils soient «signes sensibles».C’est donc en nous arrêtant sur ces deux signes, en percevant ce qu’ils«éclairent» naturellement, que nous pouvons «remonter» à la pensée deJésus et «approcher» ce qu’ils «éclairent» spirituellement.

Le painC’est la nourriture fondamentale, toute vie humaine s’y trouve

concentrée selon l’expression «gagner son pain», adoptée en ce sens par

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de nombreuses civilisations... Il est don de Dieu puisque la récolte dépenddes conditions climatiques, mais il appelle l’activité de l’homme puisque leblé doit être ensuite travaillé... Il est également signe de communauté entreconvives, on le rompt en vue du partage...

Jésus lui a volontairement associé une référence à «son corps»; cemot doit être pris dans son sens araméen, beaucoup plus vaste que le sensgrec, il désigne l’activité, le rayonnement d’une personne hors d’elle-même...Avec encore plus de netteté, il a ajouté «pour vous», marquant son activitécomme nourriture selon un mode semblable à celui des lois habituelles desnourritures ordinaires...

(précision: l’expression «corps livré» ne figure dans aucun destextes du Nouveau Testament relatifs au jeudi-saint; le plusancien, celui de Paul en 1Cor.11/24, établit un lien direct: «moncorps pour vous»; en ajoutant «livré», le risque est grand delimiter la portée du mot corps en la restreignant à la mort deJésus alors qu’il faut lui donner une amplitude bien plus vaste)

Le vinLe vin soutient l’effort, d’où son lien avec ce que la vie a d’agréable:

l’amitié, l’amour. Il porte en lui son dynamisme, c’est le vin nouveau quifermente et exige de nouvelles outres. Mais il faut en user avec sobriété, ilen appelle donc à la responsabilité personnelle. Il est issu de la vigne auterme d’un travail permanent et attentif de l’homme qui doit harmoniserses efforts au rythme des saisons.

Le lien entre vin et sang se retrouve en de nombreuses civilisations...sans doute sa couleur et son caractère d’essence de la plante ont-ils suscitéce rapprochement, exprimant ensuite un symbolisme de vie. Mais lesparoles que Jésus a attachées à ce second signe ouvrent des horizons plusvastes qu’un simple souvenir de sa mort-sacrifice...

Il est d’abord parlé du partage d’une coupe, ce qui évoque lacommunion entre convives. Nous pouvons noter ensuite que le mot«alliance» se retrouve sous la plume de tous les évangélistes: ceci est monsang de l’alliance (Marc et Matthieu) ou ceci est la nouvelle alliance

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en mon sang (Paul et Luc). Or ce mot implique l’idée d’un Dieu proche,ami des hommes et s’engageant dans leur histoire; les évangélistes ne lecitent qu’à cette place mais il est évident qu’il résume toute l’aventure deJésus-Emmanuel, Dieu avec nous (Mt 1/23).

Nous pouvons aussi remarquer qu’aucun texte du jeudi-saintn’emploie le mot «vin», tous parlent du «fruit de la vigne», nous faisantsouvenir des paraboles qui exprimaient la générosité du maître pour lesouvriers de la dernière heure (Mt 20/1) et l’appel à de nouveaux vigneronsconstruisant sur la pierre angulaire (Mt 21/41).

Enfin nous ne pouvons ignorer le caractère sacré que les anciensreconnaissaient au sang; leur raisonnement était simple: le sang, c’est la vieet tout ce qui touche à la vie est en rapport avec Dieu, maitre de la vie.C’est lui qui donne à l’homme son «souffle» pour animer la chair, cettechair dans laquelle le sang véhicule la vie.

La conjugaison des deux signes, pain et vin, exprime doncparfaitement la nature permanente de l’activité du Christ -son corps-animée de son influx de vie -son sang-. Et elle nous relie tout naturellementau moment historique le plus expressif de son engagement en humanité, àsavoir sa mort-résurrection.

Les temps forts de la troisième partie de la messeIl nous est facile maintenant de bien comprendre l’esprit des trois

étapes majeures que nous discernions précédemment:1° Il est essentiel de valoriser le pain et le vin comme signes de

nos vies concrètes; l’écoute de la Parole les a éclairées, enrichies depossibilités, et Jésus tient à en soutenir le dynamisme comme la nourrituresoutient nos activités. Il y a là plus qu’une présentation des dons, il s’agitd’une symbolique de l’ensemble de nos engagements: le pain en traduitl’ordinaire, le vin en traduit l’élan, la vitalité.

2° Le récit du jeudi-saint est à entendre comme un événementprésent, réactualisé de messe en messe. Le pain et le vin ont été chargésde notre nouvelle semaine, c’est en tant que tels qu’ils sont désignés etassumés par le Christ dans le «ceci»... est mon corps... est mon sang...».

Autrefois, les paroles prononcées par Jésus ont fait comprendre à

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ses amis le sens qu’il avait donné à sa vie avec eux, jusqu’au bout....Aujourd’hui, de par sa volonté, nous les redisons parce que, invisiblement,nous vivons la même réalité; Jésus continue de vivre avec nous, pour nous,en nous. C’est plus qu’un exemple, c’est l’expression du lien profond quereconnaît la foi chrétienne, lorsqu’il est parlé de «demeurer en lui et lui ennous» (Jn 15/4).

3° La communion se situe en démarche «logique» qui exprimenotre acceptation de cette simplicité et notre engagement pour y adhéreren nos activités. Elle réalise et intensifie de la façon la plus «naturelle» lemouvement voulu par Jésus: intériorité et permanence de sa présence ennous... apport de sa force et de sa vitalité en un «organisme» capable deles assimiler par lui-même... identification à nous pour que se poursuiveune même mission de témoignage et de service...

Pour les premières communautés chrétiennes, il était inconcevablede ne pas communier: les catéchumènes, qui n’avaient pas une connaissancesuffisante de l’Ecriture, quittaient l’assemblée après la proclamation de laParole. Ainsi se conservait sans altération ce qui apparaît comme la volontéexplicite de Jésus selon tous les évangélistes: le partage du pain exige qu’onle mange...sinon ce n’est plus un partage.

Nous sentons alors l’intensité d’une triple présence: un Père heureuxde voir s’épanouir sa création en nous et par nous... un Fils heureux denous voir saisir les valeurs de son témoignage et de lui permettre de libérerla vitalité de sa présence... un Esprit vivant une intime collaboration avecnous dans l’intelligence de ce qui a été dit par Jésus (Jn 14/26) et dans laconstruction des choses à venir (Jn 16/13)...

Ultime éclairageL’évangéliste Jean ne parle pas du signe du pain et du vin lors du

repas du Jeudi saint. Pourtant il vaut la peine d’ajouter à notre réflexionl’éclairage qu’apporte le chapitre 6 de son évangile. Nous en avons retenutrois idées intéressantes.

• Sa présentation de Jésus-pain de vie confirme la réflexion quenous venons de préciser; il en exprime même les conclusions de façonencore plus «réaliste» et plus radicale... si vous ne mangez pas la chair

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du Fils de l’homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pasla vie en vous... qui mange ma chair et boit mon sang, demeure enmoi et moi en lui (Jn 6,53... 56).

• En situant la promesse du pain de vie dans une ambiance deconfusion et de crise, il est amené à aborder des problèmes forts semblablesà ceux que nous affrontons aujourd’hui relativement à la Messe. Il dénonceen premier les ambiguïtés qui affectent certaines recherches, particulièrementcelle des foules, incapables de dépasser l’utilité immédiate et avides d’une«manne» tombée du ciel sans effort d’assimilation. Mais il ne craint pas depoursuivre, en parlant de défections dans le groupe des disciples, certainsétant choqués par une incarnation qui va aussi loin dans l’intimité avec leshommes.

• Cette situation pousse l’évangéliste à réfléchir sur le lien entre lamesse et la foi, ce que nous pourrions appeler «le filtre de la foi»; ce n’estpas n’importe quelle foi qui conduit à reconnaître et accueillir Jésus proposanten nourriture sa chair, son humanité. Si Jésus se présente comme un pain,croire consiste à prendre face à lui une attitude qui s’inspire de celle quenous prenons face à tout aliment... relation proche, permanente et efficace.

Il ne peut donc s’agir d’une adhésion verbale ou sentimentale qui secontente d’admettre quelques «définitions» doctrinales. Il s’agit d’unecommunion à la personne «totale» de Jésus, à son mystère, à sa Parole, àson activité de salut autrefois et aujourd’hui. Pour l’évangéliste, seule, unefoi de cette nature prépare l’eucharistie, tout en la protégeant contre toutedéformation.

ConclusionAvant de clore notre réflexion, nous voudrions rappeler une autre

dimension de la messe. Nous ne devons pas l’oublier, nos assembléesdominicales ne sont pas des parenthèses que l’on referme, elles doiventstimuler le dynamisme chrétien de ceux qui s’y intègrent: Notre cœur n’était-il pas brûlant lorsqu’il nous pariait» et même parfois le réorienter «llsretournèrent à Jérusalem (Lc 24,32l33).

C’est ce que nous pourrions appeler le quatrième temps: laMission. La messe nous relie étroitement au sacrifice du Christ, elle nous

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situe donc en continuité avec le combat qui fut le sien et dans lequel noussommes engagés, lui donnant son actualité et son incarnation... Commeles serviteurs à Cana (Jn 2,8) nous sommes appelés à puiser pour permettreau Christ de se manifester au travers de nos actions; ainsi chaque dimanche,en pensant à la semaine écoulée, nous pourrons dire: «Nous sommes desimples serviteurs, nous avons fait ce que nous devions faire» (Lc 17,10),alors le Christ nous répondra: «Je ne vous appelle plus serviteurs, maisamis» (Jn 15,15)

Ite Missa est: la messe est finieDu latin missa: «action de laisser aller», «renvoi» (de mittere:

«envoyer», «renvoyer»), «congé». La missa signifie l’acte de congédierles fidèles au terme de la liturgie eucharistique; la formule Ite, missa estveut dire: «Allez, le congé vous est donné». A la fin de la liturgie de laParole, les catéchumènes étaient jadis renvoyés par une missa: non encorebaptisés, ils n’étaient pas admis au sacrifice eucharistique et on lescongédiait après l’homélie.

A partir du Ive siècle, le mot missa vint à désigner, non le simplerenvoi, mais tout l’office qui le précède: c’est ainsi que la liturgie de laParole est devenue la «messe « des catéchumènes, et que l’ensemble dela liturgie eucharistique est devenue la «messe «. Ce dernier sens s’estimposé en Occident à partir du VIe siècle. L’appellation originelle de lacélébration de la messe est: «Repas du Seigneur» (1 Co 11, 20.33),«Fraction du pain» (Ac 2, 42.46; 20, 7), «Eucharistie». Les Orientauxparlent de la «Liturgie», là où nous parlons de la «messe».

Tandis que le mot «Eucharistie» signifie surtout le mystère célébré,en sa plus grande profondeur, le mot «messe» désigne plutôt l’ensembledes rites par lesquels on le célèbre. Il n’y a qu’une Eucharistie, mais ilexiste de nombreuses façons de célébrer la messe, dans l’espace et dansle temps, suivant les familles liturgiques: messe romaine, messe gallicane,messe ambrosienne, messe dominicaine, etc. (voir Liturgies).

L’Eucharistie n’est pas susceptible de changement, car son mystèreest d’institution divine, mais l’Ordo missae, ou manière de célébrer lamesse, est réformable. Les rites essentiels de la messe romaine actuelle

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(Ordo missae de Paul VI) sont les suivants:Chant d’entrée (voir Introït), salut du célébrant, acte pénitentiel,

Kyrie, Gloria, Collecte, première lecture (Ancien Testament), Psaume ouGraduel, deuxième lecture (le plus souvent empruntée à saint Paul), Alléluia,évangile, homélie, Credo, Prière universelle, préparation des dons, Prièresur les offrandes, Prière Eucharistique, Pater et son embolisme, prière etrite de la paix, fraction du pain, communion, Prière après la communion,bénédiction et Renvoi de l’assemblée.

Cette liste vaut pour les dimanches, les Solennités et les Fêtes; lesmesses des Mémoires et des Féries omettent le Gloria et le Credo; ellesn’ont qu’une lecture (Ancien Testament ou Nouveau Testament) avantl’évangile. Voir Missel. Pour les messes votives, voir Votif.

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LE GESTE RITUEL ET LE CHANT

Beaucoup pensent qu’il est dans l’esprit de la réforme liturgiqueque les gestes de la liturgie soient naturels. Or, ce n’est pas le naturel queréclame la Constitution sur la sainte liturgie, mais la simplicité, et même une«noble simplicité» (no. 34). Et ce n’est pas la même chose.

Porter la main au front pour s’éponger est un geste naturel. Porter lamain à son front pour commencer à se marquer du signe de la croix n’estpas un geste naturel, mais un geste rituel, c’est-à-dire codé, inutile (ausens de non utilitaire), gratuit et pour tout dire symbolique.

L’Eglise d’ailleurs, n’a pas la propriété des gestes rituels. Dans ledomaine profane, la vie de relation en est remplie (trinquer, faire le salutmilitaire, offrir des fleurs…). On parle même de codes de politesse.

CodéLe geste codé est celui dont la signification ne peut être perçue que

par des initiés. Un Asiatique non chrétien qui visiterait pour la premièrefois une église à l’heure d’une messe verrait des hommes et des femmesentrer dans le bâtiment, s’arrêter devant un récipient en pierre contenantde l’eau, y plonger la main droite et faire sur leur corps un geste en formede croix, mais il ignorerait que ce geste est un rappel du mystère pascald’un certain Jésus.

Le code ici n’est pas une «chasse gardée», mais la marque spécifiqued’un groupe particulier ou d’une relation particulière. Dans la vie profane,les embrassades, par exemple, sont aussi hautement codées. On n’embrassepas sa mère comme sa femme, ni ses amis comme sa fiancée…

Inutile (non utilitaire)Que le geste rituel soit non utilitaire ne signifie pas qu’il ne sert à

rien, mais que l’on peut s’en passer. On ne peut pas se passer de manger,mais on peut parfaitement se passer de manger l’hostie; tous les non-

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pratiquants le prouvent. C’est seulement au plan spirituel et même théo-logal que le croyant estime que manger ce tout petit morceau de paineucharistie est indispensable à sa vie de foi, même s’il ne calmera jamaissa faim physique. Gratuit

Le geste rituel n’est pas matériellement rentable il peut même êtreconsidéré par certains comme une perte de temps. Pourquoi passer par lefond de l’Eglise pour aller au chœur alors que l’autel n’est qu’à trois mètresde la porte de la sacristie?

Le geste rituel n’a sa raison d’être ni dans l’utilité, ni dans la rentabilité,mais dans la gratuité de ce que signifie sa mise en acte. Faire une processiond’entrée amplifie gratuitement un déplacement et lui donne une significationqui dépasse le fait de se rendre d’un endroit à un autre. Faire une processiondes dons augmente gratuitement le temps requis pour apporter le pain et levin sur l’autel: il est le signe de la participation des fidèles à l’actioneucharistique.

SymboliqueOn sait que le terme qui signifie symbole implique toujours le

rassemblement de deux moitiés.Un geste utilitaire a sa signification en lui-même: on allume une bougie

parce qu’il y a une panne d’électricité. Un geste symbolique a sa significationailleurs qu’en lui-même: on allume le cierge pascal dans une église très bienéclairée pour évoquer la vraie lumière qu’est pour nous le Christ ressuscité.

Tel est, en liturgie, le travail qu’accomplit le symbole: il met en jeuune partie du corps (la vue, l’ouïe, les gestes…) pour rassembler (c’est lesens du verbe grec sumbaleïn) l’esprit de l’homme (sa foi) et ce qui échappeà ses sens (Dieu invisible; voir Jn 1,18).

Conséquences pratiquesLe geste rituel n’est donc pas un geste spontané comme ceux que

l’on a constamment dans la vie courante. En tant qu’il est symbolique, ilest chargé de sens. Il faut lui laisser le temps d’être signe, c’est-à-dire defaire un travail de rassemblement en suscitant chez ceux qui le font ou levoient faire, le sens qu’il porte. Il n’a pas à être cérémonieux, mais une

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certaine lenteur lui va bien et lui est nécessaire, à condition qu’elle ne soitni maniérée ni onctueuse. Si le geste est trop empressé, il élimine la dis-tance indispensable pour que son sens advienne.

Le geste rituel fonctionne toujours au second degré. Son but n’estpas dans l’efficacité immédiate. Outre qu’il doit prendre son temps, il doitêtre beau: simple, mais noble comme dit la Constitution citée plus haut.Mais qu’est-ce que la beauté d’un geste? On le sait chez le danseur, chezl’instrumentiste, chez la mère qui berce son enfant… Mais le prêtre, lelecteur et l’animateur de chants ne sont rien de tout cela! Pourrait-on direque ce qui définit le mieux la beauté d’un geste rituel, c’est la justesse etl’harmonie. Un prêtre (ou un fidèle) qui lève les mains en priant le NotrePère a-t-il le geste juste qui signifie vraiment la prière à celui «qui est auxcieux» (et non une réaction à «Haut les mains»)? A-t-il le geste harmonieux,fait avec calme (sans tension ni précipitation), dans une bonne posture detout le corps et avec une bonne position des bras et des mains?

Le geste rituel réclame que ceux qui le font le contrôlent réguliè-rement.

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LE CHANT

En latin cantus. Dans l’ordre de l’expression humaine, le chantconstitue un registre supérieur, une sorte de «plus-value» du dire. Il procu-re aux paroles, dont il part, leur épanouissement expressif: quand la parolea été prononcée, le chant peut continuer et donner à tous les sentimentshumains leur véritable dimension. La prière, surtout commune, aspontanément recours au chant: «Qui bien chante, deux fois prie», déclaresaint Augustin. Chanter ensemble, à l’unisson ou en polyphonie, manifesteet favorise l’unité des cœurs. Si la liturgie est l’acte total qui coordonneformellement l’activité humaine communautaire à la vie de Dieu, unecélébration complète doit faire sa place au chant, expression privilégiée del’âme humaine. La célébration-type est l’office solennel, où gestes et chantspeuvent prendre toute leur dimension: le meilleur de l’humain est offert enhommage à Dieu.

«Qui aime, chante», dit encore saint Augustin. Le Peuple de Dieuqui, dans la liturgie, se laisse insérer dans la vie divine, vibre et tressaille detout son être. L’Épouse dit la joie, le désir ou la douleur de son amour, enreprenant avec prédilection les accents des Psaumes, ces chants inspirésqui livrent tout l’humain à Dieu. Enraciné dans la prière psalmique, le Chantgrégorien (voir Grégorien) reste «le chant propre de la liturgie romaine»(Vatican II, Constitution sur la sainte Liturgie, n° 116), celui qui estconnaturel à la civilisation occidentale et que l’on redécouvre à nouveau.Le chant polyphonique oriental connaît une faveur importante, car il estassez facile de l’exécuter, mais il n’a pas chez nous les mêmes racines.Tous les chants liturgiques sont recevables, pourvu qu’ils fassent prier surde la beauté, comme disait saint Pie X, et que tous les fidèles puissent s’yassocier d’une manière ou d’une autre. Voir Musique, Art.

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QU’EST-CE QU’UN DIOCÈSE?

Un rassemblement diocésain est une bonne occasion de sedemander: qu’est-ce qu’un diocèse? Le mot «diocèse» vient du mot grec«diokesis», qui signifie «conduite des affaires de la maison», administration.C’est un terme qui désignait des circonscriptions administratives de l’empireromain: il y avait par exemple le diocèse d’Aquitaine. Quand on sait queNapoléon a imposé, par le Concordat, qu’il y eut en France autant dediocèses que de départements, comme le prévoyait la Constitution civiledu clergé, on comprend que beaucoup de gens s’imaginent qu’un diocèseest une circonscription administrative de l’Eglise, ayant à sa tête un évêque,qui représente le pape, tout comme le département est une circonscriptionadministrative de la République, ayant à sa tête un préfet, qui représente legouvernement. Il n’en est rien!

Le concile Vatican II a redéfini le diocèse comme étant une «Egliseparticulière», comme au temps où l’on parlait de l’Eglise de Corinthe oude l’Eglise d’Antioche. Cette manière de parler a perduré chez nos frèresorthodoxes qui ont toujours parlé d’Eglises au pluriel, même si ces Eglisessont plus des entités nationales que diocésaines.

On sait que le concile Vatican II a défini l’Eglise comme Peuple deDieu, Corps du Christ et Temple de l’Esprit. Voilà pourquoi le diocèse estd’abord «une portion du peuple de Dieu»: un diocèse, ce n’est pas d’abordun territoire, des structures, une circonscription, une organisation, c’estd’abord un peuple, le peuple des baptisés, le peuple des disciples de Jésusqui vit dans un lieu donné.

Vatican II a également défini l’Eglise comme «sacrement du salut»pour le monde: l’Eglise est le signe visible du rassemblement de l’humanitéen Christ dans la communion de l’Esprit de Dieu. Puisque le diocèse estune Eglise, il est bon que l’Eglise diocésaine puisse se rassembler de tempsen temps pour rendre socialement visible le rassemblement qui anticipe lerassemblement de tous les peuples dans le Royaume de Dieu. C’est

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particulièrement vrai pour un diocèse comme le nôtre qui rassemble desbaptisés venus de tous les peuples de la terre!

Dire que le diocèse est une Eglise, c’est dire qu’elle reçoit du Christtout ce qui lui est nécessaire pour être Eglise du Christ, en particulier ledon de l’Esprit-Saint et les trois structures ecclésiales fondamentales: lesEvangiles, l’Eucharistie et l’Episcopat. Toutes les Eglises particulières (tousles diocèses) ont en commun d’être rassemblées dans l’Esprit-Saint parun pasteur, qu’on appelle l’évêque, qui préside cette Eglise «au nom duChrist Pasteur»,

• avec l’aide de son «presbyterium», c’est-à-dire le collège desprêtres (presbytres) qui partagent son ministère pastoral,

• mais aussi avec l’aide d’autres ministres, ordonnés (comme lesdiacres) ou non (comme les laïcs chargés de mission ecclésiale),

• avec l’aide aussi de différents «conseils «, et donc de différents«conseillers «: conseil épiscopal, conseil presbytéral, conseil pastoral (quin’existe pas encore dans notre diocèse), conseil de la vie économique,conseil diocésain de la mission ouvrière, conseil de la vie religieuse, etc.…

• avec l’aide enfin de tous les services diocésains qui coordonnent,stimulent, animent les différentes dimensions de la mission de l’Eglise(catéchèse, liturgie, vie spirituelle etc.-) et des différents mouvements quele laïcat se donne pour vivre sa mission dans les différents secteurs de lavie sociale.

L’évêque est le premier responsable de la communion et de la missionde son Eglise. Responsable de la communion interne, grâce à l’Evangileannoncé et à l’Eucharistie célébrée, il est aussi responsable de la communionde son Eglise avec les autres Eglises particulières (les autres diocèses) ettout particulièrement avec l’Eglise de Rome qui préside à la communionentre toutes les Eglises particulières, parce qu’elle fut fondée par les apôtresPierre et Paul, qui y vécurent le martyr à la suite du Christ. L’évêque, eneffet, participe au collège épiscopal, présidé par l’évêque de Rome, lequelcollège épiscopal assure la succession du collège apostolique. Dans cecollège, chaque évêque représente son Eglise.

Si chaque diocèse est vraiment une Eglise particulière dans laquellel’Eglise du Christ est pleinement présente et agissante, l’Eglise universelle

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est faite de la communion mutuelle de toutes les Eglises particulières.Mais l’évêque ne doit pas se contenter de veiller sur la communion,

il est le premier responsable de la mission de l’Eglise dans son diocèse.Parmi les trois fonctions de l’évêque (gouverner, évangéliser, sanctifier),c’est l’annonce de l’Evangile qui est première. Cela signifie que c’est aussila première mission du diocèse, car les trois fonctions de l’évêquecorrespondent aux trois missions confiées par le Christ à toute son Eglise:rassembler les enfants de Dieu, annoncer l’Evangile, célébrer les sacrementsdu salut. La première mission d’une Eglise particulière, d’un diocèse, c’estdonc l’annonce de l’Evangile aux hommes et aux femmes qui vivent sur unlieu déterminé. Toute la vie de l’Eglise particulière, y compris lesrassemblements, doit être orientée par cette mission.

Mais qu’est-ce qui fait la particularité d’une Eglise dite particulière?C’est son rapport au monde. L’Eglise en soi n’existe pas. Toute Eglise estparticulière parce qu’elle est l’Eglise qui vit dans tel lieu, à tel moment del’histoire. C’est l’inculturation de l’Eglise dans une société particulière quifait d’elle une Eglise différente des autres Eglises. C’est là qu’il faut parlerde territoire: le diocèse, c’est une portion du peuple de Dieu qui vit sur unterritoire donné qui, le plus souvent, comme chez nous, correspond à undépartement: le Val de Marne, pour ce qui nous concerne. Notre Eglise sedéfinit donc par son rapport à la population qui vit sur le Val de Marne:une population dont on dira qu’elle est nombreuse, ouvrière, multiculturelle.C’est une Eglise de banlieues- Notre Eglise particulière est solidaire d’unepopulation dont elle partage les joies et les espoirs. Mais alors, pourquoine l’appelle-t-on pas l’Eglise du Val de Marne?

On dit «le diocèse de Créteil» et on parlera donc de «l’Eglise deCréteil», alors que le diocèse correspond à un département dont Créteiln’est que le chef-lieu. En effet, aux origines, le Christianisme a d’abord étéun phénomène urbain: ce sont dans les villes que les premières communautésse sont fondées et il fallut plusieurs siècles pour évangéliser les campagnes(paysan et païen ont la même racine!). Dès le II° siècle, on vit apparaître leprincipe: à chaque ville, un épiscope. Evidemment, cela ne veut pas diregrand chose dans nos banlieues, mais les premières Eglises chrétiennesétaient contemporaines des grandes cités du monde grec. Pensons aux

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Eglises destinataires des lettres de Paul: Corinthe, Thessalonique, Ephèse-ou aux sept Eglises d’Asie Mineure dont parle l’Apocalypse. Voilà pourquoiles diocèses portent le nom de la ville où réside l’évêque, où il a sa«cathédrale», c’est-à-dire l’église où se trouve la cathèdre, c’est-à-dire lesiège épiscopal. Le plus souvent, cela correspond au chef lieu d’undépartement, mais ce n’est pas toujours le cas: il y a un diocèse de Bayonne(et non de Pau); le diocèse de Bourges comprend deux départements et ledépartement du Nord comprend deux diocèses (Lille et Cambrai)!

Puisse ce rassemblement Pentecôte 2000 nous rappeler que lediocèse, c’est d’abord l’Eglise du Christ, c’est-à-dire le peuple desbaptisés, dans la diversité de ses communautés et de ses ministères, envoyéen mission auprès de la population du Val de Marne pour lui annoncer laBonne Nouvelle de l’amour de Dieu.

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LA MISSION

ENVOYES EN MISSION

Pour certains le mot «mission» évoque l’image du missionnaire«blanc-civilisé» évangélisant le «païen-noir». D’autres associent automa-tiquement mission et aumône. L’image de la statuette du «nègre qui ditmerci» quand on lui donne une pièce, est gravée dans nos mémoires. Pourd’autres encore, la mission: c’est dépassé! Devant les problèmes de l’heure:sous-développement, terrorisme, lutte des peuples opprimés contre leursoppresseurs...., la mission semble appartenir à un autre siècle. Qu’en est-il?

UN ORDRE INCONTOURNABLE

Conformément à l’ordre du Seigneur, l’Eglise doit être missionnaire.Cet ordre est clair: «Allez, faites de toutes les nations des disciples...»(Matthieu 28, 19-20). Dès la Pentecôte, l’Eglise devient missionnaire. Ainsipar exemple, Luc nous montre comment la bonne nouvelle (ou Evangile)se répand de Nazareth à Jérusalem (Evangile selon Luc), puis de Jérusalemà Rome (Actes des Apôtres). Paul joue un rôle important dans l’annoncede la mort et de la résurrection de Jésus-Christ aux païens. Ses quatre grandsvoyages en témoignent. L’ordre d’évangéliser est donc incontournable.

Mais qu’est-ce, être missionnaire, et quelle est cette bonne nouvelle?Dans le Nouveau Testament, le mot «apôtre» signifie «envoyé». Lesdisciples sont envoyés, deux à deux (Luc, 10) pour «proclamer le Royaumede Dieu» et annoncer la bonne nouvelle que Dieu a donné son fils uniquepour sauver les hommes; désormais l’homme est pardonné et libéré despuissances du mal et de la peur de la mort car Jésus en a triomphé une foispour toutes. Ce message libérateur ne se garde pas, il doit être communiqué.L’Eglise ne vit pas pour elle-même: elle est missionnaire. Ayant accueilli le

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Christ et son enseignement, elle veut que d’autres l’accueillent à leur tour;elle leur envoie des serviteurs pour l’annoncer (Actes 13,2). Pour leNouveau Testament Eglise et mission ne font qu’un.

L’EGLISE MISSIONNAIRE

Au cours des premiers siècles I’ Évangile se répand en Europe etdans une partie de l’Afrique. L’un des plus grands théologiens chrétiens,Saint-Augustin (354-43o) est Nord-Africain. Très vite on trouve des tra-ces du christianisme jusqu’aux Indes et en Chine.

Au XVe et XVIe siècles la découverte des nouveaux mondesentraîne une forte prise de conscience missionnaire des chrétiens d’Europe.Dès 1493, soit un an après la découverte de l’Amérique par ChristopheColomb, l’exploration de l’Amérique du Sud est suivie de l’envoi demissionnaires espagnols.

Au début, les Eglises de la Réforme ne s’occupent guère de missionvers des pays lointains. II faut signaler cependant l’évangélisation des Antilleset du Labrador par les Frères Moraves. Au XIXe siècle, l’Europe connaîtun réveil religieux. Plusieurs «sociétés de missions» sont créées: LondonMissionary Society (1795), Société Biblique de Bâle (1815) et la Sociétédes Missions Evangélique de Paris (1822). Il faut noter le rôle joué par lesmissionnaires dans la fixation des langues et des cultures par la traductionde la Bible, l’élaboration de grammaires et de dictionnaires ainsi que lesnombreuses études d’ordre ethnologique. Partout ont été créés des écoleset des dispensaires, mêlant, il est vrai, évangélisation et apport massif de laculture occidentale. Dès sa création en 1948, le Conseil Œcuménique desEglises (COE) se préoccupe de mission. Regroupant plus de 3oo Eglisesréparties dans le monde entier, le COE a créé une section spéciale «mission-évangélisation».

Et aujourd’hui?En 1971, en France, la Société des Missions de Paris cède sa place

à la Communauté Evangélique d’Action Apostolique (CEVAA) quirassemble une quarantaine d’Eglises d’Afrique, de Madagascar, d’Europe

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(France, Suisse, Italie), du Pacifique et d’Amérique du Sud. A l’origine dela CEVAA, une nouvelle conception de la mission: chaque Eglise estmissionnaire dans son pays ou sa région, chaque Eglise a à donner et àrecevoir. Echange de personnes, mise en commun des ressources et partagedes préoccupations, ces trois objectifs sont résumés dans une déclarationdu Conseil de la CEVAA à Torre Pellice - Italie en 1973: les Eglisesmembres de la CEVAA veulent mener ensemble leur action missionnaire,s’entraider dans leur ministère d’édification de l’Eglise universelle, allerensemble vers d’autres hommes pour leur permettre de rencontrer le Christ,contribuer à ce qu’ils puissent vivre responsables, libres dans la justice etla paix: Cinq Eglises protestantes de France: l’Eglise Réformée de France,l’Eglise Réformée Evangélique Indépendante, l’Eglise Luthérienne deFrance, l’Eglise de la Confession d’Augsbourg et l’Eglise Réforméed’Alsace et de Lorraine constituent le Département Evangélique Françaisd’Action Apostolique (DEFAP). Ces deux dernières Églises, tout en étantconstitutives du DEFAP signent également des conventions d’intégrationavec chacun des organismes missionnaires présents dans la région: MissionsLuthériennes, Action Chrétienne en Orient, Mission de Bâle et Sociétédes Missions d’Extrême Orient.

L’ANNONCE DE L’ÉVANGILE DE PARTOUT VERSPARTOUT

L’annonce de l’Évangile n’est ni seulement ni d’abord l’affaire desÉglises d’Occident. Après avoir longtemps méconnu ou nié l’existence etla richesse d’autres cultures, les Églises d’Occident prennent conscienceque leur «ancienneté» ne leur confère ni privilège, ni immunité particulière.Bien au contraire, elles sont elles-mêmes confrontées à des problèmesnouveaux: déchristianisation, baisse de la pratique traditionnelle, montéede l’Islam, nouvelles religions etc... A leur tour, elles ont besoin d’autresÉglises. Toutes ensemble, elles forment l’Église universelle, corps du Christ.

Chaque communauté locale, implantée dans sa région ou son paysa certes sa spécificité et ses traditions. Elle s’adresse aux hommes dansleur langue et avec les méthodes qu’elle juge adéquates. Mais l’Église

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locale ne doit pas vivre repliée sur elle-même, au risque d’étouffer. Elle abesoin de l’ouverture et de la vision d’ensemble que lui donne l’Égliseuniverselle. L’Église universelle s’adresse à tout homme quel qu’il soit etoù qu’il habite sur cette terre: le bénéfice de la croix et de la résurrectiondu Christ, le message de pardon et d’espérance est destiné à tous. Maiscette bonne nouvelle est aussi destinée à tout l’homme. Intelligence, culture,conscience politique et professionnelle, éthique personnelle et familiale,notre personne toute entière est concernée par l’Évangile.

Si la géographie, l’économie et la politique distinguent clairement leNord et le Sud, l’Est et l’Ouest, la mission quant à elle est sans frontièreset l’exigence missionnaire la même partout. La mission est l’affaire de chaquechrétien, où qu’il se trouve.

MISSION OU AIDE AU DEVELOPPEMENT

Les problèmes concernant le sous-développement et la faim dansle monde sont tels que l’on ne peut les ignorer. La réalité, largement diffuséepar tous les médias et notamment la télévision, est révoltante. Si les Égliseslocales ont conscience d’appartenir à un seul et même corps - «l’Égliseuniverselle corps du Christ»- alors la responsabilité des membres «nantis»de ce corps est grande vis-à-vis des membres moins privilégiés. L’aide audéveloppement fait partie intégrante de la mission. Déjà dans l’AncienTestament, partager son pain avec celui qui a faim, c’est obéir à la Loi deDieu (Baie 58,7). Jésus n’a pas refusé de nourrir 5ooo hommes (Luc 9)!On ne peut évangéliser sans se préoccuper également des conditions danslesquelles vivent les hommes à qui l’on s’ adresse: la foi ne se dit passeulement, elle se vit quotidiennement!

Mais les différentes Églises concernées doivent aussi poser clairementla question de la finalité du développement: n’y a-t-il de développementqu’économique? Toutes les relations entre les hommes des divers continentsdoivent-elles obligatoirement passer par l’économique? Et surtout: n’avons-nous rien d’autre à donner et à recevoir que l’argent? Au sein de l’Égliseuniverselle il y a d’autres richesses (et d’autres pauvretés!) à partager quecelles des comptes en banque.

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UNE EXIGENCE MAIS AUSSI UNE PROMESSE

L’Eglise est missionnaire... ou démissionnaire. Or la mission n’estjamais achevée et la tentation est grande de la confier à des «organismes»et des «spécialistes». Cependant c’est bien chaque chrétien qui est placedevant cette exigence: annoncer l’Évangile aux autres (inutile d’aller trèsloin, ce peut être le voisin...) non dans une attitude impérialiste mais dansun esprit d’humilité et de service. L’ampleur de la tâche peut faire peur.Mais il ne faut pas oublier qu’au moment où Jésus donne à ses disciplescet ordre: «Allez, faites de toutes les nations des disciples» il leur donneaussi cette promesse: «Voici je suis avec vous tous les jours jusqu’à la findu monde» (Matthieu 28, 19-20). Assurés de cette promesse de Dieu,riches de cette bonne nouvelle à partager, nous pouvons accomplir dans lajoie notre vocation missionnaire.

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LA VOCATION

Un appelLe mot «vocation» vient d’un mot latin signifiant «appel». Dans le

langage courant, il évoque une attirance, une disposition, un goût particulierpour une profession, un métier, un état. Ainsi, on dit de quelqu’un qu’il aune vocation d’enseignant, de médecin, de musicien, ou encore decélibataire, de père ou de mère de famille... Dans le langage chrétien, il aun sens différent et plus précis: il désigne l’appel de Dieu s’adressant à unepersonne ou à un peuple à qui il propose d’accomplir une missionparticulière.

pour tousNous sommes tous appelés car tous aimés par Dieu notre Père.

Tous les hommes ont une vocation. Créés homme et femme «à l’image deDieu», tous sont appelés à vivre en enfants de Dieu.

Tout comme la sainteté s’adresse à tous les baptisés en Jésus-Christ,de même il existe une vocation spécifique pour tout vivant. Et, de mêmeque la première est enracinée dans le Baptême, la seconde est liée ausimple fait d’exister.

La vocation est la pensée providentielle du Créateur sur chaquecréature, elle est son idée-projet, comme un rêve qui tient à cœur àDieu parce que la créature lui tient à cœur. Dieu le Père veut qu’ellesoit différente et spécifique pour chaque vivant.

L’être humain, en effet, est «appelé» à la vie et, quand il vient àla vie, il porte et retrouve en lui l’image de Celui qui l’a appelé.

La vocation est la proposition divine pour se réaliser selon cetteimage; elle est unique et singulière précisément parce que cette imageest inépuisable. Chaque créature dit et est appelée à exprimer unaspect particulier de la pensée de Dieu. C’est là qu’elle trouve sonnom et son identité, qu’elle affirme et qu’elle met en sécurité sa liber-

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té et son originalité.«De nouvelles vocations pour une nouvelle Europe», Document fi-

nal du Congrès européen sur les vocations au sacerdoce et à la vieconsacrée en Europe, 13a.

personnelIl n’y a pas deux vocations pareilles. Aucune vocation n’a la même

histoire. Certains sont très précoces, d’autres tardives. Chacune est uncheminement, une aventure personnelle.

dans la duréeToute vocation suppose la durée. C’est un engagement définitif qui

donne un sens à toute la vie. Chacun découvre, redécouvre sans cesse savocation, au fil des années. Dix ans, vingt ans, trente ans après le choixdécisif, la vocation initiale se confirme à travers les choix multiples de la viequotidienne.

La vocation n’est pas une proposition qui est faite une seulefois dans la vie (à l’enseigne du «à prendre ou à laisser») et qui estretirée, dans la pratique, après un refus de la part du destinataire.Elle doit être, au contraire, comme une sollicitation continuelle, faitede différentes façons, à chaque étape de la vie.

«De nouvelles vocations pour une nouvelle Europe», 26e.

au service des autresLa vocation n’est jamais une aventure purement personnelle et

intérieure. Elle a toujours une dimension sociale et collective car, dans lacité comme dans l’Eglise, c’est toujours, directement ou indirectement, unappel à mettre ses dons au service des autres.

un don de DieuLa vocation est un don, une grâce que l’on reçoit. Dieu, qui la donne,

est toujours discret: aujourd’hui comme hier, il parle par l’intermédiaired’événements, de rencontres, de paroles lues ou entendues qui sont autantde relais de sa Parole.

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La vocation dans la BibleDans l’Ancien TestamentLes scènes de vocation sont fréquentes dans la Bible et souvent

impressionnantes, qu’il s’agisse de Moïse au buisson ardent (Ex 3), d’Isaïeau Temple (Is 6), ou du dialogue entre Dieu et le jeune Jérémie (Jr 1).Lorsque Dieu appelle un homme ou un peuple, c’est toujours pour l’envoyer,lui confier une mission: «Va!», lui dit-il.

Dieu attend une réponse à son appel: pas un accord de principe,mais une adhésion profonde et définitive. Cette réponse est parfoisinstantanée (Gn 12,4; Is 6,8), mais souvent elle tarde à venir, car l’hommeest pris de peur, doute de ses forces ou tente de se dérober (Ex 4,10; Jr1,6). Et puis la vocation est exigeante, elle «met à part» et fait de l’appeléun étranger parmi les siens (Gn 12,1; Is 8,11; Jr 12,6).

Dans le Nouveau TestamentDans l’Evangile, Jésus multiple les appels à le suivre, non seulement

aux Douze (Mc 3,13), mais à d’autres (Mc 10,21; Lc 9,59-62). Saprédication est comme un appel continuel à marcher avec lui dans unevoie nouvelle dont il possède le secret (Mt 16,24; Jn 16, 17).

L’Eglise naissante a tout de suite perçu la condition chrétienne commeune vocation. En témoignent notamment la première prédication de Pierre(Ac 2,40) et celle de Paul, « ‘Apôtre par vocation» (Rm 1,1), qui renvoiesans cesse les chrétiens à l’ «appel» qu’ils ont reçu (1 Co 1,26; 7,24

Les vocations dans l’EgliseDans l’Eglise et pour l’Eglise«Allez donc! De toutes les nations faites des disciples» (Marc 16,

15). L’Eglise a une vocation fondamentale qui lui a été confiée par le Christ:annoncer l’Evangile à tous les hommes. Telle est sa mission essentielle.

Être laïc, marié, prêtre, diacre, religieux, laïc consacré, missionnaire,ne peut bien se comprendre qu’à l’intérieur du mystère de l’Eglise. Toutepersonne qui se dit «appelée» doit se référer à cette vocation fondamentalede l’Eglise.

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Une vocation commune«Car tous nous avons été baptisés dans un seul Esprit» (1Co 12,

13). Il y a dans l’Eglise de nombreuses vocations; toutes se greffent sur lavocation commune à tous: la vocation baptismale. Plongé dans la mort etla Résurrection du Christ, le catéchumène ou le petit enfant devient, par lebaptême, fils ou fille de Dieu, «une créature nouvelle» dans le Christ. Arrachéau péché, rené de l’eau et de l’Esprit, le baptisé est appelé à mener une vieconforme au don qui lui est fait. Incorporé au Christ, il devient membre deson corps qui est -l’Eglise et appartient désormais au Peuple de Dieu.Ainsi, tous les baptisés sont égaux en droits et en dignité, quelle que soitleur fonction ou leur condition.

C’est au cœur d’une vie de baptisé que surgit l’appel à une vocationspécifique. Tout accompagnement et tout discernement seront d’abord unapprofondissement de la vie chrétienne et de la participation à la vie del’Eglise.

et des vocations diverses«C’est le seul et même Esprit qui distribue à chacun ses dons» (1Co

12,11). Pour que l’Eglise puisse vivre et assurer sa mission dans le monde,l’Esprit fait surgir les charismes et les ministères dont elle a besoin. Il donneau peuple de Dieu la richesse d’une grande diversité de dons. Chaquevocation est une manière de vivre l’Evangile, de suivre le Christ, de vivrela mission laissée par Jésus à son Eglise. Cette diversité est œuvre del’Esprit: «Il y a diversité de dons, mais c’est le même Esprit; diversité deministères, mais c’est le même Seigneur; divers modes d’actions, maisc’est le même Dieu qui produit tout en tous». (1Co 12,4-6)

Des vocations complémentairesLes vocations sont différentes, mais pas concurrentes. Au contraire,

elles se complètent, elles sont au service les unes des autres et «se fontsigne» entre elles.

• Les laïcs rappellent aux ministres et aux consacrés que c’est biendans le monde qu’advient la Création nouvelle.

• Les ministres ordonnés rappellent aux autres que l’initiative de

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Dieu est première, que l’Eglise ne tient son existence et sa croissance quedu Christ.

• Les consacrés rappellent que l’avenir du monde, c’est Jésusressuscité, son véritable horizon, c’est le Royaume qui vient.

• Les personnes mariées rappellent aux célibataires la joie du dontotal de soi, en signifiant l’union du Christ à son Eglise.

C’est dans cette communion - qui n’est pas confusion - que l’Egliseprend forme, «réalise sa propre croissance pour se construire dansl’amour» (Eph 4, 15-16).

Ainsi comprises, les vocations appellent une attitude très humble derecherche, de prière, de docilité et de disponibilité. Elles sont données àl’Eglise et s’enracinent dans la vocation de l’Eglise qui témoigne de sonSeigneur au milieu du monde.

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LA PASTORALE DES VOCATIONS, UNE URGENCE!

À plusieurs reprises, le récent voyage de Benoît XVI à Paris etLourdes a mis un coup de projecteur sur une question pastorale et ecclésialeparticulièrement brûlante en France: celle des vocations, particulièrementsacerdotales, puisque dans notre pays, on compte un prêtre ordonné pourplus de dix prêtres qui décèdent. Chacun sait que la situation va devenirchaque année plus difficile au plan pastoral mais aussi vraiment douloureuseau plan spirituel pour l’église, pour chacun de nous, baptisés si conscientsde l’apport incomparable des prêtres. L’église depuis ses origines ne peutrésolument concevoir sa vie et sa croissance sans le ministère ordonné quien est comme l’épine dorsale, si indispensable pour de multiples raisonssacramentelles, ecclésiales et spirituelles.

Nos pasteurs n’ont en rien oublié le commandement du Seigneur:«Priez le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers, car la moisson estabondante, et les ouvriers peu nombreux». Face à la situation, nous sommesconvaincus que tous nos évêques et avec eux le peuple de Dieu, prientintensément pour que ce lève cette nouvelle génération de prêtres dontl’église a besoin, et beaucoup agissent en ce sens; leurs appels en vue dusacerdoce se font donc de plus en plus pressants afin que des jeunesouvrent leur cœur à l’appel du Christ: au travers d’exhortations durant lesrassemblements de jeunes, de lettres pastorales, de journées ou de veilléesde prière consacrées aux vocations, de la mobilisation de leurs équipes etde leurs services, cet appel se démultiplie et s’intensifie à nouveau depuisquelques années. Pourtant, hormis quelques diocèses très particuliers, cetterelance insistante porte bien peu de fruits, les nouveaux séminaristes chaqueannée restent très insuffisants pour répondre aux défis à venir. Cette mobili-sation, si elle reste stérile, ne risque-t-elle pas finalement d’accentuer encorel’inquiétude, voire le défaitisme des pasteurs et du peuple de Dieu? Nerisque-telle pas de rejoindre les appels vains et pourtant répétés qu’ontprodigué nombre d évêques dans ce sens depuis les années de crise del’après 68?

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Aborder la question autrementSans prodiguer aucunement de leçons et humblement, ne serait-il

pas temps de prendre davantage conscience en vérité qu’il est peut êtreopportun d’aborder autrement cette question si délicate, de réviser uneapproche pastorale qui a sans doute trop peu évolué, et qui en devientmême parfois contre-productive? Les faits sont là pour nous le rappeler,on ne peut se voiler la face, même sil faut parfois du courage pour leconstater lucidement: des pans entiers de notre Église hexagonale ou denos diocèses ne drainent plus de vocations sacerdotales depuis des années,malgré les appels continus de leurs pasteurs, des services et des moyensqui y ont été dédiés. Par contre, le scoutisme maintient un certain courant(dorénavant, essentiellement drainé par les Scouts d’Europe) tandis quele relais provient majoritairement aujourd’hui (certes de manière encoreinsuffisante) de l’apport direct ou indirect des cercles et groupescharismatiques, des nouveaux mouvements et nouvelles communautés. Nefaut-il pas en tirer des enseignements pour réviser la pastorale des vocations,afin quelle porte des fruits bien plus abondants?

Laissons-nous pour cela interpeller davantage par le Seigneur lui-même: la grâce de Dieu est présente, son Esprit-Saint assiste en permanenceson Église, nous le croyons, nous le savons, et ne nous la-t-il pas promit:«Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde?» Alors que se passe-t-il? Sinous repartions de l’évangile, notamment celui de Jean (chapitre 21): lesdisciples décident daller pêcher avec Pierre, mais de toute la nuit, ils neprirent «rien «; au petit matin, sur l’invitation de Jésus et malgré leurs doutes,ils obéirent à son injonction: «Jetez les filets à droite de la barque et voustrouverez» et les filets débordèrent

Et si nous n’en faisions qu’à nos têtes, sans vraiment écouter ce que«l’Esprit dit aux Églises?» Même si nous doutons, même si cela dérangenos habitudes, nos schémas, nos manières de faire et de penser, ne faut-ilpas agir vraiment autrement à la demande du Christ, réviser notre approche,non seulement méthodologique, mais parfois même théologique etspirituelle? Laissons-nous donc interpeller par ce signe majeur et surprenantdu Printemps de l’Esprit dans l’église dont parlait Jean-Paul II, par cetteParole de Dieu puissante et agissante aujourd’hui illustrée par ces multiples

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expériences fructueuses et encourageantes du grand «signe d’espérancepour le bien de l’église et des hommes» [1] que sont les communautésnouvelles, ces nouveaux groupes et mouvements ecclésiaux: ils «repré-sentent aujourd’hui le signe lumineux de la beauté du Christ et de l’Église»(Benoît XVI). [2]

Nouvelles réalitésAu sein de ces nouvelles réalités, au-delà de la diversité extrême de

leurs origines et de leurs charismes, ce qui émerge très clairement sur cettequestion des «vocations», est justement l’absence d’insistance sur telle outelle voie, sur tel ou tel ministère: tout est centré et orienté prioritairementpour chacun des membres ou des nouveaux accueillis vers la rencontrepersonnelle du Christ, et la croissance de la vie dans l’Esprit-Saint; ellesseules permettent de goûter une vie résolument nouvelle, dans ce sensquelle prend alors une saveur incomparable. Cette conviction, cette prioritéest ancrée dans une juste vision du baptême qui porte en lui cet appeluniversel à connaître le Christ, à L’aimer et à Le choisir, et ce pour le plusgrand des bonheurs.

Quelle que soit la diversité de leurs approches pédagogiques,l’intuition pastorale de ces mouvements et communautés est finalementsimilaire: elle est avant tout baptismale le Salut nous est personnellementdonné, «ce qui change toute ma vie» et charismatique l’Esprit est répanduen nos cœurs et vient y déposer ses dons puissants de vie et d’amour.Cette pédagogie conduit tôt ou tard chacun à poser explicitement (ou àrefuser pour certains) un acte vital et fondateur: «Christ, je te reconnaiscomme le Fils du Dieu vivant et mon Sauveur, je t’accueille aujourd’huicomme mon Maître et mon Seigneur, je te choisis comme la Pierre d’anglede ma vie. Conduis-moi vers la Vie!», Ainsi, leur approche des vocationsauprès des jeunes est avant tout assise sur la découverte de la vraie viebaptismale, distinguant ainsi clairement deux étapes: celle de LA vocationchrétienne qui est l’accueil et le choix central du Christ pour qui on veutdonner sa vie; celle de telle ou telle voie liée à des états ou choix de vie, àdes spiritualités, à des ministères correspondant à des appels différents.

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Pendant toutes ces années où nous avons eu la joie d’accompagnernos propres enfants et de nombreux jeunes dans leur cheminement, nousavons vu les fruits dune pédagogie pastorale qui conduit à distinguer dansle temps l’étape du don de sa vie au Seigneur, et celle du discernementpuis du choix de telle ou telle voie «d’incarnation» pourrait-on dire decette vocation. À trop lier directement vocation et célibat, vocation etsacerdoce, on conduit souvent nombre de jeunes à redouter a priori telleou telle voie, à se décourager ou à se détourner d’authentiques appels àmûrir l’appel du Christ (et parfois même, cela conduit à de graves erreursde discernement). Pour un jeune, l’étape première et essentielle au-delàde laquelle il est important de ne surtout pas se projeter avant quelle naitété franchie est de réveiller en lui les dons de la foi et de la vie spirituelle,de lui permettre de découvrir en jeune adulte l’incomparable puissance detransformation et de vie pour qui «renaît de l’eau et de l’Esprit», [3] larichesse infinie pour qui aime et se donne au Christ: une telle pastoraleconduit ainsi nombre de jeunes baptisés à poser tôt ou tard cet acte libreet fondateur du choix premier du Christ quoiqu’il arrive.

La seconde caractéristique pastorale de ces nouvelles communautésou mouvements est leur reconnaissance théologique et spirituelle (et leurmise en pratique concrète) que «tout donner au Christ» peut vraiment seréaliser de bien diverses manières, sans renoncer à la radicalité du «Oui auSeigneur», même si la nature des appels est différente: mariage ou laïcatconsacré, vie religieuse ou monastique, sacerdoce.

Là encore, on peut parler à propos de ces nouvelles réalités dunevraie «Génération Jean-Paul II»: dans la ligne impulsée par Vatican II, sonenseignement a été nouveau par sa très grande clarté, puisque pour lui, iln’existe vraiment entre ces vocations aucune concurrence, aucune subtilehiérarchie, mais des réponses diverses à des appels, et de multiples synergieset charismes complémentaires pour que se construise le Corps du Christqu’est l’Église. Jean Paul II a sans doute été le plus grand «recruteur» deséminaristes de l’histoire contemporaine, et il a pourtant, comme aucunautre pape avant lui, défendu et valorisé la diversité et la richesse desvocations et des ministères dont aucun n’est au rabais aux yeux de Dieu.Les jeunes le sentaient, ils percevaient sa liberté et la liberté qu’il leur

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donnait en vérité, et non par simple tactique: en cela, il ne les a jamais nitrompés, ni manipulés, ni utilisés.

L’appel de Benoît XVIBenoît XVI en France a relayé ce message à l’adresse directe des

jeunes:«Tous, vous cherchez la vérité et vous voulez en vivre! Cette vérité,

ceste le Christ. Il est le seul Chemin, l’unique Vérité et la vraie Vie. Suivrele Christ signifie véritablement prendre le large, comme le disent à plusieursreprises les Psaumes. La route de la Vérité est en même temps une etmultiple, selon les divers charismes de chacun, tout comme la Vérité estune et à la fois dune richesse inépuisable». [4]

«À votre tour, chers jeunes, n’ayez pas peur de dire oui aux appelsdu Seigneur, lorsqu’Il vous invite à marcher à sa suite. Répondezgénéreusement au Seigneur! Lui seul peut combler les aspirations les plusprofondes de votre cœur. [...] Que Marie aide ceux qui sont appelés aumariage à découvrir la beauté d’un amour véritable et profond, vécu commedon réciproque et fidèle! À ceux, parmi vous, que le Seigneur appelle à sasuite dans la vocation sacerdotale ou religieuse, je voudrais redire tout lebonheur qu’il y a à donner totalement sa vie pour le service de Dieu et deshommes. Que les familles et les communautés chrétiennes soient des lieuxoù puissent naître et s’épanouir de solides vocations au service de l’Égliseet du monde». [5]

L’Église en France et ailleurs a ainsi besoin pour sa mission que lesbaptisés appelés au mariage forment des couples qui consacrent leur amouret leur vie au Christ afin de témoigner de l’amour trinitaire, de la fidélité etde la fécondité de Dieu, de l’accueil de la vie; l’Église manque tout autantde la radicalité des religieux et des moines qui ont tout quitté pour le Christet l’Évangile, afin de se livrer dans la prière, d’intercéder pour le monde,de se donner entièrement dans la charité et de former des communautésoù déjà rayonne le Royaume des Cieux; naturellement, l’Église a aussi unbesoin vital de prêtres séculiers et réguliers pour révéler le Christ à cemonde, pour construire, nourrir et conduire nos communautés chrétiennes.L’Église, pour résumer, a besoin avant tout de sainteté: comme «par

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surcroît», vocations et ministères naissent de ce seul terreau, il est bon dele rappeler!

L’appel baptismalNotre expérience depuis vingt-cinq ans, dans des cadres divers de

mouvements, de communautés, de diocèses, de paroisses, d’écoles devie spirituelle et missionnaire nous a démontré combien l’émergence desvocations authentiques s’ancre avant tout dans l’appel baptismal, accueillipeu à peu dans son enthousiasmante radicalité et fécondité.

Alors, comme grandissent puis mûrissent les fruits dans les vergers,les vocations se précisent dans leur diversité au cœur de l’Église: laïc,marié, religieux, moine, prêtre. Convaincus que le Seigneur veut pourchacun le plus grand bonheur, beaucoup de jeunes ainsi préparés prennentde plus en plus le temps de discerner leur appel devant chaque «option»,en saisissant toute la beauté et la particularité de chacune; [6] l’appelpersonnel s’épanouit progressivement et comme «naturellement» au regarddes personnalités, des situations diverses, des rencontres mais aussi desbesoins de l’Église (sachant toutefois que Dieu écrit droit avec des lignescourbes!). Dans ces groupes structurés autour de telles pédagogies decroissance de la vie baptismale et spirituelle, c’est souvent une part nonnégligeable des jeunes (10, 20% voire plus) qui s’orientent vers le célibatconsacré: sacerdoce, vie religieuse ou monastique. Nous connaissons mêmedes groupes où certains «candidats» au mariage s’inquiètent (!) devant lesnombreuses vocations au célibat consacré qui en émergent!

Ainsi, au regard de la situation de l’Église de France, qui reste certescomplexe, il est sans doute opportun de mieux discerner afin de tenir comptebien davantage de l’expérience très instructive de ces nouveaux groupes,mouvements et communautés dont les vocations sont en croissance,quoique certainement insuffisantes au regard des besoins. Il est aussi trèsutile de relire également les écrits de Jean-Paul II aux jeunes sur sonapproche résolument équilibrée et renouvelée des questions relatives auxvocations.

À quand dans nos diocèses, des «journées des vocations» quiprésentent tous les états de vie et ministères consacrés au Seigneur? À

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quand le développement (aux côtés des propédeutiques de séminaire) devraies «écoles de vie baptismale « diocésaines ou interdiocésaines pourjeunes adultes, garçons et filles, [7] véritables incubateurs et pépinières devocations chrétiennes dans toute leur merveilleuse diversité? À quand unnouveau foisonnement d’initiatives courageuses et innovantes qui portenten germe les vocations de demain, afin de relayer l’appel même de BenoîtXVI dans ce sens à Lourdes:

«Informé des initiatives qui sont prises avec foi en ce domaine, jetiens à apporter tout mon soutien à ceux qui n’ont pas peur, tel le Christ,d’inviter jeunes ou moins jeunes à se mettre au service du Maître qui est làet qui appelle (cf. Jn 11, 28), [et à] remercier chaleureusement et encouragertoutes les familles, toutes les paroisses, toutes les communautés chrétienneset tous les mouvements d’Église qui sont la bonne terre qui donne le bonfruit (cf. Mt 13, 8) des vocations». [8].

Ancrons beaucoup plus fondamentalement la pastorale des jeuneset des vocations dans celle du renouveau profond de la vie baptismale, etle Seigneur donnera en abondance, et «par surcroît», comme Il saitaujourd’hui nous le prouver en de si diverses manières.

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L’EGLISE ET INTERNET

I. INTRODUCTION

1. L’intérêt de l’Eglise pour Internet est une expression particulièrede son intérêt de longue date pour les moyens de communication sociale.Les considérant comme un résultat du processus historique à travers lequell’humanité progresse «toujours davantage dans la découverte des ressourceset des valeurs incluses dans l’ensemble du monde créé , l’Eglise a souventexprimé sa conviction selon laquelle les médias sont, à travers les parolesdu Concile Vatican II, «de merveilleuses découvertes techniques» qui fontdéjà beaucoup pour répondre aux besoins humains et qui peuvent faireencore plus.

C’est pourquoi l’Eglise a adopté une approche fondamentalementpositive à l’égard des médias. Même lorsqu’ils ont condamné de gravesabus, les documents de ce Conseil pontifical pour les communicationssociales ont fait clairement remarquer qu’»une attitude purement restrictiveou de censure de la part de l’Eglise vis-vis des médias n’est ni suffisante, niappropriée».

En citant la Lettre encyclique du Pape Pie XII Miranda prorsus,datant de 1957, l’Instruction pastorale sur les moyens de communicationsociale Communio et progressio, publiée en 1971, a souligné ce point:«l’Eglise considère ces moyens de communication comme des «dons deDieu». Selon l’intention de la Providence, ils doivent engendrer entre leshommes des rapports fraternels, susceptibles de favoriser son dessein desalut». Cela demeure notre opinion, et c’est l’opinion que nous avonsd’Internet.

2. L’Eglise considère que l’histoire de la communication humaineest comme un long voyage, qui conduit l’humanité «depuis les projetsorgueilleux de Babel, la chute dans la confusion et l’incompréhension

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mutuelle qui en découlèrent (Gn 11, 1-9), jusqu’à la Pentecôte et le dondes langues: le rétablissement de la communication, centrée sur Jésus, àtravers l’action de l’Esprit Saint». Dans la vie, la mort et la résurrection duChrist, «le fondement et le prototype de l’union entre les hommes se trouventen Dieu, qui, en Jésus-Christ, s’est fait notre Frère humain».

Les moyens de communication sociale modernes représentent desfacteurs culturels qui jouent un rôle important dans cette histoire. Commele souligne le Concile Vatican II, «s’il faut soigneusement distinguer leprogrès terrestre de la croissance du règne du Christ, ce progrès a toutefoisbeaucoup d’importance pour le royaume de Dieu, dans la mesure où ilpeut contribuer à une meilleure organisation de la société humaine».Considérés sous cette lumière, nous voyons que les moyens decommunication sociale «contribuent d’une manière efficace au délassementet à la culture de l’esprit, ainsi qu’à l’extension et à l’affermissement durègne de Dieu».

Aujourd’hui, cela s’applique de façon particulière à Internet, quicontribue à apporter des changements révolutionnaires dans le commerce,l’éducation, la politique, le journalisme, les relations entre nations et entrecultures, des changements qui ne concernent pas seulement la façon dontles personnes communiquent, mais la façon dont elles conçoivent leur vie.Dans un document annexe, nous abordons ces thèmes sous leur dimensionéthique. Ici, nous considérons les implications d’Internet pour la religion eten particulier pour l’Eglise catholique.

3. L’Eglise a un double objectif en ce qui concerne les médias.D’une part elle désire encourager leur correct développement et leurcorrecte utilisation pour le bien du développement humain, de la justice etde la paix — pour l’édification de la société au niveau local, national etdes communautés à la lumière du bien commun dans un esprit de solidarité.Considérant l’importance vitale des communications sociales, l’Egliserecherche «un dialogue honnête et respectueux avec les responsables desmédias» — un dialogue qui concerne avant tout l’élaboration des politiquesdes médias. «Ce dialogue implique que l’Eglise s’efforce de comprendreles média—leurs objectifs, leurs méthodes et les différents aspects de leurs

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règles de travail, leurs structures internes et leurs modalités — et qu’ellesoutienne et encourage ceux qui y travaillent. En se fondant sur cettecompréhension et ce soutien, il devient possible de faire des propositionssignificatives en vue d’écarter les obstacles qui s’opposent au progrèshumain et à la proclamation de l’Evangile».

Mais la préoccupation de l’Eglise concerne également la commu-nication dans et par l’Eglise elle-même. Cette communication «trouve sonpoint de départ dans la communion d’amour entre les Personnes divineset leur communication avec nous» et dans la prise de conscience que lacommunication trinitaire «s’étend à l’humanité: le Fils est le Verbe,éternellement «parlé» par le Père et, en Jésus-Christ et par lui, Fils etVerbe fait chair, Dieu se communique, ainsi que son salut, aux hommes etaux femmes».

Dieu continue de communiquer avec l’humanité à travers l’Eglise,dépositaire et gardienne de sa révélation, dont il a confié au seul magistèrevivant la charge d’interpréter de façon authentique sa parole. De plus,l’Eglise elle-même est une communio, une communion de personnes et decommunautés eucharistiques issues de la Trinité et reflétant sa communion;la communication est donc de l’essence de l’Eglise. Cela, plus que touteautre, est la raison pour laquelle «la pratique de la communication devraitêtre exemplaire dans l’Eglise et refléter les modèles les plus élevés devérité, de responsabilité, de sensibilité aux droits humains, ainsi que d’autresprincipes et normes importants».

4. Il y a trente ans, Communio et progressio a souligné que «lesmédias d’aujourd’hui ouvrent aux hommes de nouvelles voies pour larencontre du message évangélique». Le Pape Paul VI a dit que l’Eglise«se sentirait coupable devant le Seigneur» si elle n’utilisait pas les médiaspour l’évangélisation. Le Pape Jean-Paul II a qualifié les médias de «premieraréopage des temps modernes» et a déclaré qu’»il ne suffit pas de les [lesmédias] utiliser pour assurer la diffusion du message chrétien et del’enseignement de l’Eglise, mais il faut intégrer le message dans cette«nouvelle culture» créée par les moyens de communication modernes».Cela est d’autant plus important aujourd’hui, car non seulement les médias

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influencent fortement la conception que les personnes ont de la vie, maiségalement dans une large mesure «l’expérience humaine comme telle estdevenue une expérience médiatique».

Tout cela s’applique à Internet. Et bien que le monde descommunications sociales «peut parfois sembler étranger au messagechrétien, il offre aussi des occasions uniques pour proclamer la véritésalvifique du Christ à la famille humaine tout entière. Il suffit de considérer[...] les capacités positives d’Internet pour diffuser l’information etl’enseignement religieux au-delà de toutes les barrières et frontières. Uneaudience aussi large aurait dépassé l’imagination la plus audacieuse deceux qui ont prêché l’Evangile avant nous [...] Les catholiques ne devraientpas avoir peur d’ouvrir toutes grandes les portes des communications so-ciales au Christ, afin que la Bonne Nouvelle puisse être proclamée du hautdes toits du monde!».

II. OPPORTUNITÉS ET DÉFIS

5. «La communication qui s’opère dans l’Eglise et par l’Eglise con-siste essentiellement dans l’annonce de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ.C’est la proclamation de l’Evangile comme parole prophétique et libératriceadressée aux hommes et aux femmes de notre temps; c’est le témoignagerendu, face à une sécularisation radicale, à la vérité divine et à la destinéetranscendante de la personne humaine; c’est, face aux conflits et auxdivisions, le parti pris de la justice, en solidarité avec tous les croyants, auservice de la communion entre les peuples, les nations et les cultures».

Etant donné que l’annonce de la Bonne Nouvelle à des personnesformées par une culture des médias exige de prendre en compteattentivement les caractéristiques particulières des médias eux-mêmes,l’Eglise a maintenant besoin de comprendre Internet. Cela est nécessaireafin de communiquer de façon efficace avec les personnes —en particulierles jeunes— que l’expérience de cette nouvelle technologie a modelés etégalement afin de bien l’utiliser.

Les médias offrent d’importants bénéfices et avantages d’un pointde vue religieux: «Ils transmettent des informations sur les événements, les

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idées et les personnalités religieuses. Ils sont des vecteurs d’évangélisationet de catéchèse. Tous les jours, ils fournissent une inspiration, unencouragement et des occasions de prière aux personnes contraintes derester chez elles ou dans des instituts». Mais il existe d’autres bénéfices,qui, en plus de ceux-ci, sont plus ou moins spécifiques à Internet. Internetoffre aux personnes un accès direct et immédiat à d’importantes sourcesreligieuses et spirituelles — des bibliothèques, musées et lieux de culteprestigieux, des documents du Magistère, des écrits des Pères et desDocteurs de l’Eglise et la sagesse religieuse des différentes époques. Internetpossède une capacité remarquable à dépasser les distances et l’isolement,en mettant les personnes en contact avec d’autres personnes de bonnevolonté, animées des mêmes sentiments, qui adhèrent à des communautésde foi virtuelles afin de s’encourager et de se soutenir mutuellement.

Internet est approprié pour de nombreuses activités et programmesde l’Eglise — l’évangélisation, comprenant la réévangélisation, la nouvelleévangélisation et la traditionnelle tâche missionnaire ad gentes, la catéchèseet d’autres types d’éducation, l’information, l’apologétique, le gouver-nement et l’administration et certaines formes de direction pastorale etspirituelle. Bien que la réalité virtuelle de l’espace cybernétique ne peutremplacer la communauté interpersonnelle réelle, la réalité incarnée dessacrements et de la liturgie, ou la proclamation immédiate et directe del’Evangile, elle peut les compléter, attirer les personnes vers une expérienceplus pleine de la vie de foi et enrichir la vie religieuse des usagers. Elle offreégalement à l’Eglise un moyen de communiquer avec des groupesparticuliers, — jeunes, jeunes adultes, personnes âgées ou contraintes degarder la maison, personnes habitant dans des régions éloignées, membresd’autres organismes religieux — qu’il serait autrement difficile d’atteindre.

Un nombre croissant de paroisses, de diocèses, de congrégationsreligieuses et d’institutions, d’organisations et programmes ecclésiaux detout genre, font maintenant un usage efficace d’Internet dans ces buts etde nombreux autres. Des projets créatifs promus par l’Eglise ont lieu encertains endroits au niveau national et régional. Le Saint-Siège est actifdans ce domaine depuis de nombreuses années et continue d’étendre etde développer sa présence sur Internet. Les groupes ecclésiaux qui n’ont

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pas encore pris de mesures pour entrer dans l’espace cybernétique, sontencouragés à étudier l’éventualité de le faire au plus tôt. Nous recom-mandons fortement un échange d’idées et d’informations sur Internet en-tre ceux qui ont une expérience dans ce domaine et les néophytes.

6. L’Eglise a également besoin de comprendre et d’utiliser Internetcomme outil de communication interne. Cela exige de tenir clairementcompte de son caractère particulier de moyen direct, immédiat, interactifet de participation.

L’interactivité à double sens d’Internet est déjà en train d’estomperla traditionnelle distinction entre ceux qui offrent et ceux qui sont desti-nataires de la communication et de créer une situation dans laquelle, dumoins potentiellement, chacun peut faire les deux. Il ne s’agit plus decommunication à sens unique, du haut vers le bas, du passé. Alors que deplus en plus de personnes se familiarisent avec cette caractéristiqued’Internet dans d’autres domaines de leur vie, on peut s’attendre à cequ’elles la recherchent également en ce qui concerne la religion et l’Eglise.

La technologie est nouvelle, mais pas l’idée. Le Concile Vatican II adit que les membres de l’Eglise devraient dévoiler à leurs pasteurs «leursbesoins et leurs vœux avec toute la liberté et la confiance qui conviennentà des fils de Dieu et à des frères dans le Christ»; en effet, dans la mesurede leurs connaissances, de leurs compétences, ou de leur rang, les fidèles«ont la faculté et même parfois le devoir de manifester leur sentiment en cequi concerne le bien de l’Eglise». Communio et progressio a remarquéque, en tant que «corps vivant» du Christ, l’Eglise «a besoin d’une opinionpublique pour alimenter le dialogue entre ses membres». Bien que les véritésde la foi «ne peuvent en aucun cas être laissées à l’interprétation arbitraire»,la Constitution pastorale a souligné qu’»un champ immense s’offre à l’Eglisepour le dialogue interne».

Des idées semblables sont exprimées dans le Code de droit cano-nique, ainsi que dans des documents plus récents du Conseil pontificalpour les communications sociales. Aetatis novae qualifie l’échange decommunication et l’opinion publique comme «moyen de réaliser concrè-tement le caractère de communio de l’Eglise». Ethique dans les commu-

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nications sociales dit: «Un échange d’informations et d’opinions entre lespasteurs et les fidèles, une liberté d’expression sensible au bien-être de lacommunauté et au rôle du Magistère dans la promotion de ce bien-être,ainsi qu’une opinion publique responsable sont autant d’expressions im-portantes du «droit fondamental de dialogue et d’information au sein del’Eglise». «Internet fournit un moyen technologique efficace de réalisercette vision.

Voilà donc un instrument qui peut être utilisé de façon créative dansdifférents domaines de l’administration et de la gestion. Outre l’ouverturede nouveaux canaux pour l’expression de l’opinion publique, nous pensonspar exemple à la consultation d’experts, à la préparation de réunions, à lacollaboration avec les Eglises particulières et les instituts religieux au niveaulocal, national et international.

7. L’éducation et la formation représentent un autre domained’opportunité et de besoin. «Aujourd’hui, tout le monde a besoin d’uneforme continue d’éducation aux médias, que ce soit à travers l’étudepersonnelle ou en participant à un programme organisé, ou les deux. Plusque d’enseigner uniquement des techniques, l’éducation aux médias aideà éveiller chez les gens le bon goût et un jugement moral authentique. Ils’agit d’une sorte de formation des consciences. À travers ses écoles etses programmes de formation, l’Eglise devrait donner en matière de médiasune éducation de ce genre».

L’éducation et la formation à Internet devrait faire partie deprogrammes complets d’éducation aux médias accessibles aux membresde l’Eglise. Dans la mesure du possible, le plan pastoral des commu-nications sociales devrait prendre en compte cette préparation dans laformation des séminaristes, des prêtres, des religieux et du personnel pas-toral laïc, ainsi que des enseignants, des parents et des étudiants.

Il faudrait en particulier enseigner aux jeunes «non seulement à secomporter en chrétiens en tant qu’usagers, mais encore à utiliser activementtoutes les possibilités d’expression qu’offrent les médias [...] S’il en estainsi, les jeunes seront les vrais citoyens de cet âge des communicationssociales dont nous entrevoyons les débuts» — un âge dans lequel les médias

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sont considérés comme «faisant partir d’une culture encore inachevée dontles pleines implications sont encore imparfaitement discernées».L’enseignement en ce qui concerne Internet et la nouvelle technologie com-porte donc bien plus que des techniques d’enseignement; les jeunes doiventapprendre à bien s’intégrer dans le monde de l’espace cybernétique, àémettre des jugements judicieux, selon des critères moraux solides, sur cequ’ils y trouvent, et à utiliser cette nouvelle technologie pour leurdéveloppement intégral et au bénéfice des autres.

8. Internet présente également certains problèmes particuliers pourl’Eglise, en dehors de ceux de nature générale traités dans Ethique enInternet, le document annexe. Tout en soulignant ce qu’Internet offre depositif, il est important d’être clair sur ce qui ne l’est pas.

En un sens très profond, «le monde des médias peut parfois paraîtreindifférent, et même hostile, à la foi et à la morale chrétienne. C’est enpartie parce que la culture médiatique est profondément imprégnée par unsens typiquement postmoderne qui affirme que la seule vérité absolue estqu’il n’existe pas de vérités absolues ou que, s’il y en avait, elles seraientinaccessibles à la raison humaine et par conséquent hors de propos».

Parmi les problèmes spécifiques soulevés par Internet, figure laprésence de sites incitant à la haine, attachés à diffamer et à attaquer desgroupes religieux et ethniques. Certains de ceux-ci visent l’Eglise catholique.Comme la pornographie et la violence dans les médias, les sites incitant àla haine sur Internet «expriment la dimension la plus sombre de la naturehumaine blessée par le péché». Et tandis que le respect pour la libertéd’expression peut exiger de tolérer jusqu’à un certain point même desmessages de haine, l’autorégulation de l’industrie — et, lorsque cela estnécessaire, l’intervention des autorités publiques — devrait établir etappliquer des limites raisonnables à ce qui peut être dit.

La prolifération de sites en Internet qui se proclament catholiques,soulève un problème d’une nature différente. Comme nous l’avons dit, lesgroupes ecclésiaux devraient être présents de façon créative sur Internet,et des personnes bien intentionnées et bien informées, ainsi que des groupesnon-officiels agissant de leur propre initiative, ont le droit d’être présents

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également. Mais il est pour le moins déroutant de ne pas pouvoir faire ladistinction entre des interprétations doctrinales excentriques, des pratiquesde piété particulières, des plaidoyers idéologiques affichant un label«catholique», et les positions authentiques de l’Eglise. Nous suggérons ci-dessous une approche à ce problème.

9. Certains autres points exigent encore une réflexion approfondie.En ce qui les concerne, nous invitons à une recherche et à une étude per-manente, comportant le développement d’«une anthropologie et unevéritable théologie de la communication» — incluant aujourd’hui uneréférence spécifique à Internet. Certes, outre l’étude et la recherche, unprogramme pastoral positif pour l’utilisation d’Internet peut et doitpoursuivre.

L’un des domaines de recherche concerne la suggestion selon laquellela vaste gamme de choix en ce qui concerne les produits de consommationet les services disponibles sur Internet ont un effet de débordement sur lareligion et encouragent une approche «de consommation» à l’égard de lafoi. Les informations suggèrent que certains visiteurs de sites internetreligieux sont en proie à une sorte de folie de consommation, sélectionnantet choisissant des éléments d’«offres forfaitaires» religieuses sur mesure,pouvant convenir à leurs goûts personnels. La «tendance chez certainscatholiques à être sélectifs dans leur adhésion» à l’enseignement de l’Egliseest un problème reconnu dans d’autres contextes; une informationsupplémentaire est nécessaire pour savoir si oui, et dans quelle mesure, leproblème est exacerbé par Internet.

De même, comme nous l’avons remarqué ci-dessus, la réalité virtuellede l’espace cybernétique revêt des implications préoccupantes pour lareligion ainsi que pour d’autres domaines de la vie. La réalité virtuelle neremplace pas la Présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, la réalitésacramentelle des autres sacrements, et la participation au culte dans unecommunauté humaine faite de chair et de sang. Il n’y a pas de sacrementssur Internet; et même les expériences religieuses qui y sont possibles par lagrâce de Dieu ne suffisent pas si elles sont séparées de l’interaction dans lemonde réel avec d’autres personnes de foi. Voilà un autre aspect d’Internet

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qui exige une étude et une réflexion. De même, le programme pastoraldevrait considérer la façon de faire passer les personnes de l’espacecybernétique à la communauté réelle, et la façon dont, à traversl’enseignement et la catéchèse, Internet peut par la suite servir à les souteniret les enrichir dans leur engagement chrétien.

III. RECOMMANDATIONS ET CONCLUSION

10. Les croyants, en tant que personnes concernées faisant partiede la vaste audience d’Internet, et ayant des intérêts personnels spécifiqueset légitimes, veulent participer au processus qui guide le développementfutur de ce nouveau moyen. Bien sûr, cela les obligera parfois à adapterleur façon de penser et leur pratique.

Il est également important qu’à tous les niveaux de l’Eglise, Internetsoit utilisé de façon créative pour répondre aux propres responsabilités etaccomplir l’œuvre de l’Eglise. Rester timidement en arrière par peur de latechnologie ou pour d’autres raisons n’est pas acceptable, étant donné lesinnombrables possibilités positives qu’offre Internet. «Les méthodes quifacilitent la communication et le dialogue entre ses propres membres peutrenforcer les liens d’unité entre eux. L’accès immédiat à l’information permetà l’Eglise d’approfondir son dialogue avec le monde contemporain [...]L’Eglise a la possibilité d’informer le monde de façon plus immédiate ausujet de ses propres croyances et d’expliquer les raisons de sa positionsur n’importe quel sujet ou événement donné. Elle peut entendre plusclairement la voix de l’opinion publique et entrer dans une discussion continueavec le monde qui l’entoure, en s’engageant elle-même plus immédiatementdans la recherche commune de solutions pour les nombreux problèmesurgents de l’humanité».

11. En conclusion de ces réflexions, nous offrons donc des parolesd’encouragement aux nombreux groupes, en particulier aux dirigeants del’Eglise, aux équipes pastorales, aux éducateurs, aux parents, et en particulieraux jeunes.

Aux responsables ecclésiaux: les animateurs pastoraux dans tous

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les secteurs de l’Eglise doivent apprendre à connaître les médias et appliquercette connaissance à l’élaboration de plans pastoraux pour les communi-cations sociales, ainsi que de politiques et programmes concrets dans cedomaine, et faire un usage approprié des médias. Si nécessaire, ils devraienteux-mêmes recevoir une formation en matière de médias; en effet, «l’Egliseserait mieux servie si les personnes accomplissant des fonctions et desrôles en son nom recevaient une formation en communication».

Cela s’applique à Internet ainsi qu’aux formes plus anciennes demédias. Les responsables ecclésiaux sont obligés d’utiliser «les potentialitésde l’«ère informatique» [...] au service de la vocation humaine ettranscendante de chaque personne, afin de glorifier ainsi le Père, qui est àl’origine de tout bien. Ils devraient employer cette remarquable technologiedans de nombreux aspects de la mission de l’Eglise, tout en explorantégalement des opportunités de coopération œcuménique et interreligieuseen ce qui concerne son utilisation.

Un aspect particulier d’Internet, comme nous l’avons vu, concernela prolifération parfois déroutante de sites non-officiels portant l’étiquette«catholique «. Un système de certification volontaire au niveau local etnational, sous le contrôle de représentants du Magistère, pourrait être utileen ce qui concerne le matériel de nature spécifiquement doctrinal oucatéchétique. L’idée n’est pas d’imposer une censure, mais d’offrir auxusagers d’Internet des orientations fiables sur la position authentique del’Eglise.

Aux équipes pastorales: les prêtres, les diacres, les religieux, et lesagents laïcs de la pastorale devraient rechercher une formation en matièrede médias, afin d’approfondir leur compréhension de l’impact descommunications sociales sur les personnes et la société, et de les aider àacquérir un mode de communication qui réponde aux sensibilités et auxintérêts des personnes dans une culture médiatisée. Aujourd’hui, cela inclutbien évidemment une formation en matière d’Internet, y compris commentl’utiliser dans leur travail. Ils peuvent également profiter des sites offrantdes mises à jour théologiques et des suggestions pastorales.

Quant au personnel ecclésial directement engagé dans les médias, ilva sans dire qu’il doit recevoir une formation professionnelle, mais il a

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également besoin d’une formation doctrinale et spirituelle, car «pourproclamer le Christ, il est nécessaire de le rencontrer soi-même et depromouvoir une relation personnelle avec lui à travers la prière, l’Eucharistieet la réconciliation sacramentelle, la lecture et la réflexion de la Parole deDieu, l’étude de la doctrine chrétienne, et le service aux autres».

Aux éducateurs et aux catéchistes: L’Instruction pastorale Communioet progressio a parlé de la «tâche urgente» des écoles catholiques de formerles communicateurs et les destinataires des communications sociales auxprincipes chrétiens appropriés. Le même message a été répété denombreuses fois. À l’époque d’Internet, avec son immense portée et impact,ce besoin est plus urgent que jamais.

Les universités, collèges et écoles catholiques, ainsi que lesprogrammes éducatifs à tous les niveaux devraient mettre en place descours pour divers groupes — «des séminaristes, des prêtres, des religieuxet religieuses ou des animateurs laïcs [...] des enseignants, des parents etdes étudiants» — ainsi qu’une formation plus avancée dans le domaine dela technologie de communication, la gestion, l’éthique et les politiques decommunication pour les personnes se préparant à une spécialisation dansles médias ou à des fonctions au niveau décisionnel, y compris ceux quitravaillent dans les communications sociales de l’Eglise. De plus, nousrecommandons que les questions susmentionnées fassent l’objet d’unapprofondissement ultérieur à l’attention des spécialistes et des chercheursconcernant ces disciplines appropriées dans les institutions catholiquesd’éducation supérieure.

Aux parents: Pour le bien de leurs enfants, ainsi que pour leur proprebien, les parents doivent «acquérir et mettre en pratique des talents despectateurs, d’auditeurs et de lecteurs avisés, jouant le rôle de modèlesd’utilisation informée des médias à la maison». En ce qui concerne Internet,les enfants et les jeunes sont souvent plus familiarisés avec cet outil queleurs parents; mais les parents sont toutefois obligés de guider et de contrôlerleurs enfants en ce qui concerne son utilisation. Si cela signifie apprendre àconnaître davantage Internet que ce qu’ils en savent jusqu’à présent, cesera d’autant plus bénéfique.

Le contrôle parental devrait s’assurer qu’une technique de filtrage

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est utilisée sur les ordinateurs accessibles aux enfants afin de les protégerle plus possible des dangers de la pornographie, des prédateurs sexuels etd’autres menaces. Un accès non contrôlé à Internet ne devrait pas êtrepermis. Les parents et les enfants devraient discuter ensemble de ce queces derniers voient et expérimentent dans l’espace cybernétique; partagerles expériences avec d’autres familles ayant les mêmes valeurs etpréoccupations sera également utile. La tâche parentale fondamentaleconsiste ici à aider les enfants à devenir des usagers informés et responsa-bles d’Internet.

Aux enfants et aux jeunes: Internet est une porte qui ouvre sur unmonde séduisant et fascinant, exerçant une forte influence sur leur formation;mais, de l’autre côté de cette porte, tout n’est pas sain, sûr et vrai. «Lesenfants et les jeunes devraient être acheminés vers la formation en ce quiconcerne les médias, en évitant d’emprunter la voie facile de la passivitéprivée de critique, de la pression de leurs camarades et de l’exploitationcommerciale». Les jeunes se doivent — et ils le doivent également à leursparents, leurs familles, leurs amis, leurs pasteurs et leurs enseignants, etenfin à Dieu — de faire un bon usage d’Internet.

Internet met à la portée des jeunes, à un âge inhabituellement bas,l’immense capacité à faire le bien et à faire le mal, à eux-mêmes et auxautres. Il peut enrichir leurs vies au-delà des rêves des générationsprécédentes et leur permettre d’enrichir à leur tour la vie des autres. Ilpeut également les plonger dans la consommation, l’imaginationpornographique et violente, et l’isolement pathologique.

Les enfants, comme on l’a souvent dit, représentent l’avenir de lasociété et de l’Eglise. Une correcte utilisation d’Internet peut contribuer àles préparer à leurs responsabilités dans ces deux milieux. Mais ce ne serapas automatiquement le cas. Internet n’est pas seulement un outil dedivertissement, ni de gratification liée à la consommation. C’est un outilpour accomplir un travail utile, et les jeunes doivent apprendre à leconsidérer et à l’utiliser comme tel. Dans l’espace cybernétique, du moinsautant qu’ailleurs, les jeunes peuvent être appelés à aller à contre-courant,à pratiquer la contre-culture, et même a subir une sorte de martyre au nomde ce qui est vrai et bon.

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12. À toutes les personnes de bonne volonté. Enfin, nous désironssuggérer certaines vertus devant être cultivées par quiconque voulant faireun bon usage d’Internet; leur exercice devrait être fondé et guidé par uneévaluation réaliste de son contenu. La prudence est nécessaire, afin devoir clairement les implications — le potentiel de bien et de mal — dans cenouveau moyen et de répondre de façon créative à ses défis et à sesopportunités.

La justice est nécessaire, en particulier la justice dans la tâche deresserrer l’écart qui existe entre ceux qui possèdent les informations etceux qui ne les ont pas dans le monde d’aujourd’hui. Cela exige unengagement au bien commun international, ainsi qu’un sens de «solidaritéinternationale».

La force et le courage sont nécessaires. Cela signifie défendre lavérité face au relativisme religieux et moral; l’altruisme et la générosité faceà la mentalité de consommation individualiste; la décence face à la sensualitéet au péché.

La modération est nécessaire — une approche auto-disciplinée dece remarquable instrument qu’est Internet; afin de l’utiliser sagement etuniquement pour le bien.

En nous penchant sur Internet, ainsi que sur tous les autres moyensde communication sociale, nous rappelons que le Christ est le «parfaitcommunicateur» — la norme et le modèle de l’approche que l’Eglise a dela communication, ainsi que le contenu que l’Eglise doit communiquer.«Puissent les catholiques engagés dans le monde des communications so-ciales prêcher avec audace et joie la vérité de Jésus du haut des toits, afinque tous les hommes et toutes les femmes connaissent l’amour qui est lecœur de l’autocommunication de Dieu en Jésus-Christ, le même hier, etaujourd’hui, à jamais».

Cité du Vatican, le 22 février 2002, en la fête de la Chaire de SaintPierre Apôtre.

John P. Foley Président - Pierfranco Pastore Secrétaire

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LES RELATIONS DU PRÊTRE AVEC SA FAMILLE

Dans le nouveau testament, le Christ donne des élémentsfondamentaux concernant la relation des prêtres avec leur famille. Ils sontchargés de guider, de former et de sanctifier les familles qui leur sont confiéesdans l’Eglise, mais la famille dans laquelle ils sont nés et ont grandi reste unlieu d’importance fondamentale. Les liens qui existaient dans la familles’élargissent dans l’Eglise. Le Christ dit en effet dans l’Evangile: «quiconquefait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là m’est un frère et unesœur et une mère» (Mt 12, 50).

Il dit aussi clairement que celui «qui aime son père où sa mère plusque Lui n’est pas digne de Lui» (Mt10, 37). Ceci ne signifie pas que ledevoir envers le père et la mère est supprimé; il est au contraire renforcédans la Loi Nouvelle. Voici ce que Jésus dit aux scribes et aux pharisiens:«En effet, Moïse a dit honore ton père et ta mère, et que celui qui mauditson père ou sa mère soit puni de mort. Mais vous, vous dites: si un hommedit à son père ou à sa mère: je déclare ‘korbân’ (c’est à dire ‘offrandesacrée’) les biens dont j’aurais pu t’assister, vous ne le laissez plus rienfaire pour son père ou sa mère et vous annulez ainsi la parole de Dieu parla tradition que vous vous êtes transmise» (Mc 7, 10-13).

La grâce construit sur la nature et, par conséquent, l’institution de lafamille humaine reste attachée au prêtre. Le prêtre reçoit souvent de safamille sa première formation à la foi, de même que les premières semencesde sa vocation. Je me souviens encore quand mon père m’a appris à prierle «Notre Père» pour la première fois, lorsque j’étais enfant. Voici ce qu’aécrit le Pape Jean-Paul II à ce sujet: «combien parmi nous doivent égalementà leur mère leur vocation au sacerdoce! L’expérience enseigne que trèssouvent c’est la mère qui nourrit dans son cœur durant de longues annéesle désir de la vocation sacerdotale de son fils et l’obtient en priant avecune confiance insistante et une profonde humilité. Ainsi, sans imposer savolonté, elle favorise, avec l’efficacité caractéristique de la foi,

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l’épanouissement de l’aspiration au Sacerdoce dans l’âme de son fils,aspiration qui portera son fruit au moment opportun» (Jean-Paul II, Lettreaux prêtres).

C’est ainsi que sont préparés et soutenus les premiers pas du prêtredans son cheminement vers le Sacerdoce. Le prêtre doit souvent beaucoupà sa famille, aussi bien sur le plan spirituel que sur le plan matériel. Il peut,d’une certaine manière, rembourser cette dette en priant pour les membresde sa famille, et spécialement à travers le Sacrifice de la Messe offert detemps en temps aux intentions des membres de sa famille. C’est beaud’offrir la Messe pour un membre de sa famille, le jour de son anniversaire,de sa fête, de son anniversaire de mariage, etc. Les baptêmes, les mariagesou autres sacrements célébrés par le prêtre pour sa famille sont toujoursdes moments qui marquent profondément.

Le prêtre peut aussi contribuer beaucoup à conserver ou rétablir lapaix dans sa famille en consolant ceux qui sont affligés par la vie et enredonnant l’espérance à ceux qui sont découragés. Il ne doit pas se souveniruniquement des membres de sa famille qui sont en vie mais aussi des défuntsqui partagent avec nous la communion de la charité entre l’Eglise terrestreet l’Eglise du purgatoire. Le ministère sacerdotal inclut de manière spécialeles membres de la famille du prêtre qui, même s’il ne les connaît pas,comptent sur ses prières et sur ses messes.

Grâce à son célibat, le prêtre a davantage le temps pour s’occuperdu peuple de Dieu et consacrer une place spéciale aux membres de safamille qu’ils soient célibataires, mariés ou veufs. Dans ces situations,l’amour doit aller bien au-delà de l’obligation.

Par ailleurs, la relation que le prêtre a avec sa famille lui donne unmodèle pour ses relations avec les personnes qu’il rencontre dans l’Eglise:

«Pour vivre dans le célibat dune façon mûrie et sereine, il semblequ’il soit particulièrement important que le prêtre cultive profondément enlui l’image de la femme comme sœur. Dans le Christ, hommes et femmessont frères et sœurs, indépendamment de leur lien de parenté. Il s’agitd’un lien universel, grâce auquel le prêtre peut s’ouvrir à tout milieu nouveau,même le plus éloigné du point de vue ethnique ou culturel, dans la consciencequ’il doit exercer à l’égard des hommes et des femmes vers lesquels il est

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envoyé un ministère de paternité spirituel authentique qui lui donne des filset des filles dans le Seigneur» (Jean-Paul II, Lettre aux prêtres).

Ainsi, le prêtre qui aime sa famille, au-delà des difficultés et desdifférences de personnalité et d’opinion, pourra transmettre ce vrai sensde la famille qu’il a reçu, dans la famille plus ample qui est l’Eglise, luiapportant un authentique sens de paternité spirituel. Le prêtre doit sesouvenir que pour le Christ, Marie, sa mère, fut une priorité même aucœur de l’agonie de la croix. «Jésus voyant sa mère et, se tenant prèsd’elle, le disciple qu’il aimait, dit à sa mère: Femme, voici ton fils. Puis, ildit au disciple: voici ta mère. Dès cette heure-là, le disciple l’accueillit chezlui» (Jn 19, 26-27).

Grâce à l’amour du Christ pour sa mère, nous avons, nous, en tantqu’Eglise, reçu une Mère universelle, qui intercède pour nous et qui estMédiatrice de toute grâce. Elle nous rappelle ainsi, avec force, à nous lesprêtres, l’importance de nos propres familles.

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ACQUERIR LA MATURITÉ

1. Attitudes et sentiments vers la maturitéUn jour on demanda à Freud quand on pourrait se considérer mature

et psychologiquement adulte. Il a répondu: l’homme et la femme quisont matures aiment et travaillent en liberté. En effet, il y a deux centresqui configurent la vie humaine: l’amour (ou la qualité de ses relationsinterpersonnelles) et le travail. C’est à dire: la relation entre les gens del’environnement et les relations avec le monde extérieur. On pourrait ledire d’une autre façon: la personne a deux versants: intimité et tâche, familleet travail, procréation et subsistance. Du point de vie du domaine religieux:action et contemplation.

Pourtant, il ne suffit pas d’avoir un monde affectif, comme il ne suffitpas de travailler avec efficacité. L’amour et le travail doivent jaillir de laliberté. Liberté qui n’est pas seulement l’absence de forces externes (libertéde), mais l’élection consciente de ce que je fais (liberté pour). Ce genrede liberté va outre l’exercice des bonnes coutumes acquises afin d’agirselon des principes assimilés. La personne qui ne se construit pas d’unerelation du dehors ni de l’intérieur (travail et foyer) -et tous deux en pleineliberté- il n’est pas un être mature.

L’homme ou la femme matures savent combiner l’estime d’euxmêmes et en même temps la limitation. La confiance en eux mêmes leurpermet d’affronter la vie, la joie et la souffrance. Mais la personne maturedoit avoir surmonté la confusion entre l’idéal du moi et le moi réel (lenarcissisme enfantin les confond). Lorsque la chimère du désir ou lamégalomanie de l’image d’elle même dominent, alors la conscience definitude devient souvent malade, incapable de jouir des petites choses dela vie. Alors surviennent les obsessions et les délires de grandeur.

La maturité ne consiste pas seulement à ne pas acquérir les habitudespositives et saines, mais à apprendre à agir à partir du centre de la personne.Il ne consiste pas à faire des bonnes actions, mais à les faire jaillir du

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dedans parce que, auparavant, on a atteint l’unité de vie. Pendantl’adolescence l’identité est liée à des modèles d’identification: une causeattirante, des valeurs pures, des idéals de paix... Mais pour devenir matureces choses doivent être assimilées personnellement.

La personne mature a ce que nous pouvons appeler une cosmovision.Elle a appris les valeurs en famille, à l’école, dans la société et dans l’Eglise,mais surtout les a élaborées, assimilées et pratiquées à travers les décisionspersonnelles. Elle se développe de son intérieur et avec cohérence. Unecohérence pas rigide, puisque elle sait équilibrer le cœur et la tête, l’affectivitéet la raison. En fin, les deux boussoles dont nous disposons pour bouger etnous orienter dans ce monde.

La personne mature se montre telle qu’elle est. Elle n’a pas besoinde cacher ce qu’elle pense ou projette, non plus ces petites misères. Elleest en ordre avec elle même. Cette attitude n’est pas facile, parce que lescoups reçus nous amènent à ne nous exposer, à vivre armés avec unecuirasse. Il faut mieux prévenir que guérir, c’est la consigne. Par contre, lapersonne immature ne réussit pas à cacher une image déformée d’ellemême.

La personne mature ne vit pas sa sexualité comme si elle était unadversaire, ni en faisant des simagrées, mais avec naturalité et comme s’ils’agissait d’une copine pour la vie. On ne se reproche pas par ses pulsions,mais il est à son aise avec son propre corps. On sait relativiser les chosesquand il le faut. Il ne sépare pas le corps de l’esprit, ni tous deux del’amour.

Le croyant mature a assimilé spirituellement la cosmovisionchrétienne. Elle ne la vit déjà plus comme une idéologie, ni comme unemode, ni comme une norme. Elle n’a plus besoin de s’attacher à un leaderou à une autorité avec anxiété pour découvrir sa dimension et se nourrird’expériences qui constituent les fondements qu’elle a vécu et qui lamaintient debout.

Un autre signe clair de maturité consiste à mettre en relation, enthéorie et en pratique, l’étroite union qui existe entre l’amour de Dieu etl’amour du prochain. C’est St. Jean qui dit qu’on ne peut pas aimer Dieu,à qui on ne voit pas, si on n’aime pas le prochain qui est bien visible. On ne

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vie pas avec dualité et, surtout, on ne pense pas qu’on aime Dieu parcequ’on n’aime personne.

2. La maturité et ses versantsMaturité est un mot et un concept élastique. Il a à voir avec l’âge,

l’époque dans laquelle on vit, les idées de la société, etc. La maturité nousprend par la main pour chercher ce qui constitue l’essence ou la valeursuprême du vivre humain. La maturité a à voir avec le plaisir, le bonheur, latranscendance, l’intelligence, l’action, le service...

La maturité, est un processus, plutôt qu’un but. On ne peut pasfacilement certifier qu’un homme ou une femme sont matures. En tout cason peut constater que leur vies s’écoulent avec maturité à travers desréponses qu’ils donnent aux stimules de leur entourage et à leur équilibrequ’ils réussissent entre leur monde intérieur et leur monde extérieur.

Il y a beaucoup de concepts de maturité impliqués mutuellement etqui ne permettent de qualifier globalement ce qu’est la maturité.

Maturité intellectuelle: développement des habilités mentales,lectures, analyses de la réalité, capacité de donner des réponsesconvenables aux stimules que l’on éprouve...

• Maturité psychologique et affective: effort et intérêt pour seconnaître lui même, pour intégrer ses propres pulsions, passions etsentiments. Elle implique aussi l’acquisition de l’intelligence émotionnelle,l’expression des sentiments, la communication affective saine, sanscomplexes, etc.

• Maturité sexuelle: identité claire, communication saine avec l’autre,acceptation des pulsions, équilibre qui est équidistant de l’obsession et dela répression.

• Maturité sociale: adaptation, habilité pour vivre avec les autres,ouverture aux autres, flexibilité, capacité d’écouter, sens d’appartenance.

• Maturité dans le domaine du travail: des habilités et capacités ence qui concerne le travail professionnel, compétence, responsabilité,formation permanente.

• Maturité de la foi: acquisition d’un sens clair de la vie, sensd’équilibre juste entre la transcendance et l’immanence, cosmovision

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unitaire, rapport entre contemplation et action.• Maturité sociopolitique: participation aux tâches et intérêts

communes, engagement, disposition démocratique, solidarité en ce quiconcerne le domaine communautaire et sociale. La maturité politiqueimplique aussi s’intéresser par les tendances qui émergent dans la société,dans le propre pays et dans le monde.

(Manuel Soler Palà, msscc)

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BRÈVE HISTOIRE DE LA VIE CONSACRÉE

On peut dire, de manière très résumée, que l’histoire de la vieconsacrée comprend quatre périodes différentes.

La première période va principalement des origines chrétiennes auIVe siècle. C’est le temps de la découverte et de la mise en place de la vieconsacrée. Rappelons d’abord que, dans l’Antiquité grecque et romaine,le don absolu d’une femme à Dieu dans le célibat est considéré commeanormal et incompréhensible. Il y a bien sûr le cas des vestales romaines,mais c’est plutôt un contre-exemple dans la mesure où elles sont maintenuespar la force dans cet état jusqu’à l’âge de quarante ans. Dans le mondejuif, ce qu’on demande à une femme, c’est d’être mariée et d’avoir desenfants, spécialement des garçons, afin de perpétuer la famille. Il est im-pensable qu’une femme demeure célibataire et, pour une femme mariée,ne pas avoir d’enfant est considéré non seulement comme un déshonneur,mais comme une malédiction de Dieu.

Tout change avec le Christ et la Vierge Marie. Jésus est demeurécélibataire dans un don absolu au Père d’une part et aux hommes d’autrepart. Sa mère, Marie, dès avant l’Annonciation, a reçu un appel de Dieu àse consacrer à lui dans la virginité. C’est la raison pour laquelle, quandl’ange lui apparaît et lui annonce qu’elle mettra au monde le Sauveur, ellelui fait cette objection: «Comment cela se fera-t-il puisque je suis vierge?»Cela sous-entend que Marie souhaite le rester, puisque cette demande luia été faite antérieurement par Dieu. La virginité est comme constitutive deMarie, elle est la manifestation de son don complet au Seigneur.

Or, dès la première génération chrétienne, comme nous le voyonsdans saint Paul, des jeunes filles désirent vivre cet état de virginité. Elles lefont certes parce qu’elles attendent, au début, la venue imminente duRoyaume, mais aussi parce que l’exemple du don de Marie les encourage.Et c’est ainsi que naît la virginité consacrée dans la primitive Église. Celle-ci est aussitôt reconnue par l’Église. On la protège, on la met à l’honneur,

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par exemple en lui donnant une place d’honneur dans les cérémoniesliturgiques; on lui consacre des traités, dont les plus connus sont ceux deTertullien et de saint Ambroise. Des hommes, appelés les «continents»,vivent rapidement le même charisme. Leur exemple inspirera plus tard lecélibat sacerdotal.

Pour bien comprendre l’importance de la virginité (et plus largementde la chasteté) consacrée, il faut ici faire une remarque. Dieu utilise à certainsmoments, pour faire avancer les hommes, tel ou tel type de sainteté. C’estcomme une locomotive qui tracte le reste du train. Aux origines chrétiennes,les grands modèles sont les saints martyrs, les saints évêques, les viergesconsacrées. Ils ont comme une valeur prophétique. Il est certain que lavirginité consacrée est tellement inattendue dans le monde antique, tellementéloignée de la sexualité environnante, qu’elle a une force de provocation.Qu’une jeune fille accepte de rester vierge, le désire même de tout soncœur, c’est incompréhensible pour les païens. Alors une question se poseà eux: si ces femmes sont heureuses comme cela, quelle est la source deleur bonheur? Vivre avec Jésus, «épouser le Christ», peut donc donner unsens si fort à la vie? Le Christ serait-il vraiment vivant? Par leur seuleexistence, les vierges consacrées ont donc joué un rôle très fort dans letémoignage et dans l’évangélisation du monde antique.

Au IVe siècle commence une deuxième période: la périodemonastique. Au cours de ce siècle, le monde romain se convertit auchristianisme. Les mœurs chrétiennes sont de plus en plus acceptées par lasociété. La pureté est mise en valeur. Dès lors, vivre célibataire dans lemonde perd, en quelque sorte, de sa force exemplaire, de son rôle de«provocation». Ceux qui veulent vivre une vie différente quittent alors lasociété normale et se réfugient dans les déserts. C’est la naissance dumonachisme, avec saint Antoine et saint Pacôme, en Égypte.

Très vite, des femmes vivent le même idéal. Quand, plus tard, saintBenoît fonde au Mont Cassin un monastère d’hommes, sa sœur sainteScholastique établit parallèlement un monastère de femmes. C’est l’originedes milliers de maisons contemplatives de femmes qui couvriront la planète.Le charisme de fondation est alors «la vie parfaite» par la fuite du monde.On vit sous d’autres lois synthétisées par la pratique des trois vœux de

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chasteté, pauvreté et obéissance. Cette opposition monde-vie parfaite serasystématisée par différents auteurs, comme saint Bernard. L’évangélisationse fait indirectement. Les moines sont une référence, un exemple, mais, enprincipe, ils ne s’attaquent pas directement à la conversion des gens.

Pour les hommes, il faudrait introduire mille nuances dans cetteaffirmation, mais elle est valable davantage pour les femmes. Quand, auxXIIe et XIIIe siècles, on commence à créer des ordres destinésspécifiquement à l’évangélisation, comme les Prémontrés, puis lesMendiants (Dominicains, Franciscains, etc.), leurs branches fémininesrestent cloîtrées. Les hommes prêchent, les femmes prient.

Aux XVIe et XVIIe siècles commence une troisième période: celledes «congrégations», c’est-à-dire des communautés de femmes de vieactive, d’évangélisation «directe».

Avec sainte Angèle de Mérici, fondatrice des Ursulines, puis saintVincent de Paul, fondateur des Filles de la Charité, on affirme que lesfemmes peuvent vivre chastement dans le monde, et non plus seulementdans les cloîtres, en menant à la fois une vie de sainteté et de service. Lavie monastique se rapproche ainsi de la société et se transforme.

On garde les trois vœux, mais on les adapte. C’est l’origine descentaines de congrégations de vie active qui ont chacune, en principe, unrôle spécifique: catéchèse, action auprès des malades, enseignement, etc.Il continue à s’en fonder aujourd’hui: un bon exemple est constitué par lesMissionnaires de la charité de Mère Teresa.

La quatrième période commence après la Seconde Guerre Mondiale.Depuis l’entre-deux guerres, on s’apercevait que le catholicisme et la sociétécivile s’éloignaient l’un de l’autre. La question était donc: commentévangéliser de nouveau cette société? On estima alors qu’il fallaitrapprocher la vie religieuse des hommes. Ce fut la raison de la naissancedes Instituts séculiers, après 1945, dont Notre-Dame de Vie est un exempleen France. Mais, après le Concile de Vatican II, une nouvelle étape futfranchie en plusieurs lieux du monde en même temps, sans aucunecoordination humaine. Ce fut la naissance des communautés nouvelles,comportant des hommes et des femmes vivant une vie consacrée dans lemonde, avec le soutien de leur communauté.

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En somme, cette évolution est logique. Nous nous trouvons devantun monde redevenu largement païen. Dieu ne peut pas abandonner cemonde ni démissionner devant son évolution. Pour le réévangéliser, ilredonne à son Église les grâces mêmes des origines chrétiennes, commeon peut les voir vivre par exemple dans le Renouveau charismatique.

Aujourd’hui, quand une fille ou un garçon se consacre dans le célibat,ils sont de nouveau pour les hommes un signe très fort qui retrouve savaleur de «provocation», d’interrogation. S’ils vivent joyeusement cettevie d’union avec Dieu, ils manifestent aux hommes la présence du Christau centre même de leur existence.

Les nouvelles formes de vie consacrée sont donc une marque de lamiséricorde de Dieu pour le monde qui est le nôtre. Plus le monde s’éloignede Dieu, plus il se perd dans des voies sans issue, plus Dieu veut le sauver.Mais Dieu ne sauve pas les hommes sans les hommes eux-mêmes. C’estpourquoi, plus que jamais, l’appel de Dieu retentit pour les communautésanciennes et les communautés nouvelles, demandant à des garçons et àdes filles: «Veux-tu me suivre en me donnant tout, dans un célibat consacrépour la manifestation du Royaume de Dieu et l’évangélisation du monde?»

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L’IDENTITE DES RELIGIEUX AUJOURD’HUI

Chers frères et sœurs en saint Dominique, Il y a bien des années, je m’en souviens, je m’étais rendu pour la

première fois à l’Assemblée des supérieurs majeurs d’Angleterre et dupays de Galles. Un peu nerveux, j’endossai mon habit religieux et descendisaffronter la foule. Et voilà que, sur le palier, je fus stoppé par une religieuseà l’aspect revêche que je n’avais jamais rencontrée auparavant. Elle medévisagea d’un œil torve et me dit: «Il faut vraiment que vous soyez bienpeu sûr de vous pour que vous vous mettiez ça sur le dos!»

Où sont parties toutes les vocations?Il y a belle lurette que nous, religieux, nous nous interrogeons sur

notre identité. Qui sommes-nous? Comment nous insérons-nous dans letissu et la structure de l’Église? Sommes-nous des clercs, des laïcs ou deshybrides à part?

Il me semble que nous n’obtiendrons aucune réponse valable si nousne partons pas du fait que nous partageons avec la plupart des hommes denotre époque une crise d’identité. Qu’est-ce qui nous différencie? Eh bien,certainement pas l’absence de crise d’identité. Tel est le lot commun quenous partageons avec les autres. Cette crise ne vaut la peine qu’on yréfléchisse que dans la mesure où elle nous aide à vivre la Bonne Nouvellepour toutes ces âmes inquiètes, hantées par la même question: qui suis-je?Veuillez me pardonner si je partage avec vous quelques observationsdes plus simplistes sur la question suivante: pour quelle raison le problèmede l’identité est-il une obsession de la modernité? En ce siècle, et toutparticulièrement depuis 1945, nous avons été les témoins d’une profondetransformation sociale. En Europe - et aussi sans doute aux États-Unis -,nous avons assisté à l’affaiblissement de toutes les formes d’institutionsqui donnaient une identité, définissaient une profession, un rôle, unevocation. Les universités, les professions médicales ou juridiques, les

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syndicats, les Églises, la presse, les différents métiers, toutes ces institutionsne fournissaient pas seulement des moyens pour gagner sa vie, un métier àexercer, mais aussi une manière d’être un homme, un sentiment de vocation.Être musicien, avocat, enseignant, infirmière, charpentier, plombier,agriculteur, prêtre, etc., ce n’était pas seulement avoir une profession; c’étaitêtre quelqu’un. On appartenait à une corporation dotée d’institutions quidéfinissaient un comportement approprié, on partageait une sagesse, unehistoire, une solidarité.

Ce que nous avons pu constater au cours de ces dernières années,c’est l’aspect corrosif d’un modèle nouveau, plus simple, de société. Eneffet, nous nous sommes tous trouvé membres du marché global, achetantet vendant, achetés et vendus. Les institutions fondamentales de la sociétécivile qui soutenaient les professions ou les vocations ont beaucoup perdude leur autorité et de leur indépendance. Comme tout le reste, elles doiventcourber la tête devant les impératifs du marché.

Quel choix faire de sa propre vie? Cela est devenu de moins enmoins clair au fil des années. Il fallait répondre aux exigences de l’offre etde la demande. Ce n’était pas seulement nous, religieux, qui perdions lesens de la vocation c’était l’idée même de vocation qui posait problème.Nicholas Boyle, philosophe anglais, a écrit: «Il n’y a plus de vocationspour qui que ce soit; la société n’est pas constituée de gens qui engagentleur vie de telle ou telle manière, mais de fonctions qui doivent être rempliesdans la mesure où il y a un désir à satisfaire» (Understanding Thatcherism,New Blackfriars, p. 320).

Toutes ces professions, ces métiers, ces savoir-faire, étaient commede petits écosystèmes qui offraient des manières différentes d’être un êtrehumain. Ces écosystèmes se sont affaiblis, se sont écroulés, comme lesfragiles habitats des crapauds ou des escargots. La société est en voied’homogénéisation. Tout ce qui subsiste, c’est l’individu et l’État, voire laconsommation et le marché. C’est plus simple, mais plus solitaire, plusvulnérable.

Dans l’Église, je le crains, nous avons reçu de plein fouet ce mêmevent glacé, qui nous a laissés avec une communauté plus simple, mais aussimoins sûre d’elle-même. L’Église, en effet, fait partie de la société civile.

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Nous avons été les témoins d’une société complexe avec toutes sortesd’institutions qui nous procuraient une identité. Nous aussi, nous avionsdes universités, des écoles, des professions et, par-dessus tout, des ordresreligieux qui proposaient aux gens des vocations, des identités respectéeset honorées.

L’Église avait toutes sortes de hiérarchies et de structures qui secontrebalançaient les unes les autres. Une mère supérieure ou une directriced’école catholique, c’était une personne avec laquelle il fallait compter.Les prêtres tremblaient lorsqu’ils sonnaient à leur porte. Mais, d’une certainefaçon, notre Église a subi la même transformation que le reste de la société.Ce qui nous est resté, ce n’est pas le consommateur individuel, l’État ou lemarché, mais le croyant individuel et la hiérarchie. Nous avons perduconfiance dans les autres identités. Et c’est là sans doute l’une des raisonspour laquelle le problème du sacerdoce et de l’aspirant à la prêtrise estune question si grave pour nous. Pour la raison que, si vous ne pouvez pasmettre un pied sur cette échelle, vous ne pouvez devenir une personne dequelque importance.

Nous, religieux, qui sommes-nous? Comment nous insérons-nousdans le tissu et la structure de l’Église? Souvent, nous tentons d’y répondreen nous situant par rapport à la hiérarchie. Sommes-nous des laïcs ou desclercs, ou bien nous insérons-nous quelque part entre les deux? Ou biennous pouvons répondre en nous plaçant face à la hiérarchie, comme desindividus serrant les poings contre «l’Église institutionnelle». Mais ce n’estpas la carte qui convient. C’est comme si on cherchait les montagnesRocheuses sur une carte qui donne les frontières des États américains.Sont-elles dans le Colorado ou dans le Wyoming? Pourquoi ne pouvons-nous voir les montagnes?

Cette carte de l’Église qu’est la hiérarchie est bonne et valable.Nous y figurons tous d’une manière ou d’une autre. Certains religieux sontdes laïcs, certains sont prêtres, et certains sont même évêques! Mais nousne pouvons recourir à cette carte pour situer la vie religieuse. Elle ne montrepas qui nous sommes vraiment, tout comme les Rocheuses ne figurent passur une carte qui présente les frontières des États. Et on ne peut même pasy trouver d’indices sur leur emplacement. Là où il n’y a pas de villes, il

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pourrait y avoir aussi des montagnes. Il faut donc un autre genre de cartessi on veut voir clairement les montagnes.

Bien souvent, les gens se plaignent de la cléricalisation de l’Église. Ilsemble paradoxal qu’à Vatican II nous ayons proclamé une autre théologiede l’Eglise. Nous avions découvert une nouvelle théologie du laïcat: nousétions tous membres du peuple de Dieu en pèlerinage vers le Royaume.Mais, en fait, l’Église a donné l’impression de devenir de plus en pluscléricale.

Au lieu d’attribuer ce phénomène à un sinistre complot, il faut, mesemble-t-il, le mettre au compte de la profonde transformation de la cultureoccidentale. Dans un monde de marché global, il n’y a pas de véritableplace pour des gens qui ont une vocation, qu’il s’agisse d’enseignants,d’infirmières ou de religieux. Un emploi n’est qu’une réponse à la deman-de. Et lorsque l’Église catholique est entrée à grand fracas dans le mondemoderne, quand Jean XXIII a ouvert toutes grandes les fenêtres, un ventfroid a balayé, dans l’Église aussi, toutes les formes d’identités fragiles desvocations.

Face à la cléricalisation de l’Église, il y a bien sûr des mesures quipeuvent être prises pour assurer des postes d’influence aux laïcs et auxfemmes, desserrer la prédominance d’une caste cléricale. Mais c’est là lesujet d’une autre conférence. Ce que je voudrais dire ici, c’est ceci: ceserait une erreur de penser que la réponse à notre crise d’identité seraitd’abolir toute hiérarchie et de préconiser une Église qui ressembleraitdavantage à notre société libérale, individualiste. Cela ne nous donneraitpas ce que nous recherchons. Ce que nous pouvons voir dans notre propresociété, dans les rues de nos grandes cités sauvages, c’est que cetindividualisme est cruel. Il crée des déserts urbains où bien peu de genspeuvent s’épanouir.

Une anthropologue, Mary Douglas, affirme même que la situationdes femmes, par exemple, serait encore pire dans une société plusindividualiste. «Les processus de l’individualisme, écrit-elle, écrasent ceuxqui échouent sur le plan économique et ne peuvent que créer des laissés-pour-compte ou des mendiants. Les membres de la culture individualisten’ont pas conscience de leur comportement d’exclusion. La situation des

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personnes exclues de manière non intentionnelle, par exemple des clochardsdormant dans les rues, choque les visiteurs provenant d’autres cultures»(In the Wilderness: The Doctrine of Defilement in the Book of Numbers,Sheffield, 1993, p. 46.)

Selon Mary Douglas, une société saine est une société dotée detoutes sortes de structures et d’institutions qui se contrebalancent, donnantla parole aux différents groupes, de telle sorte qu’aucune manière d’êtrehomme ne domine et qu’aucune carte unique ne vienne nous dire commentsont les choses. Ce dont nous avons peut-être besoin, c’est de ne pasreproduire le désert homogénéisé du monde de la consommation, maisd’être plus semblables à une forêt tropicale possédant de multiples nichesécologiques pour les manières différentes d’être un homme.

En ce sens, nous avons besoin, non pas de moins de hiérarchie,mais de plus de hiérarchie. Il nous faut des tas d’institutions et de structuresqui donnent voix et autorité aux différentes manières d’être membres dupeuple de Dieu comme femmes, couples mariés, universitaires, médecins,religieux. Au Moyen Âge, il en était davantage ainsi. L’empereur et lanoblesse, les grandes abbayes de femmes et d’hommes, les universités etles ordres religieux, tout cela fournissait des foyers alternatifs de pouvoiret d’identité. On disposait de cartes plus nombreuses où les gens pouvaientse retrouver.

J’ai lu autrefois chez le cardinal Newman -mais je n’ai pas puretrouver le passage- que l’Église est florissante quand nous reconnaissonsdifférentes formes d’autorité. Il nomme spécifiquement la tradition, la raisonet l’expérience. Chacune d’entre elles exige le respect et a besoind’institutions et de structures pour la soutenir: la tradition est sauvegardéepar les évêques, la raison par l’Université, et l’expérience par tous lestypes d’institution, depuis les ordres religieux jusqu’à la vie conjugale, làoù les gens entendent la Parole et y réfléchissent dans leur vie.

Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas de l’individualisme du déserturbain moderne, mais de quelque chose qui ressemble davantage à uneforêt tropicale avec toutes sortes de niches écologiques pour des animauxétranges qui peuvent prospérer, se multiplier et louer Dieu dans des centainesde voies différentes.

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Nous, religieux, qui sommes-nous et quelle est notre vocation dansl’Église? La réponse à cette question est d’importance. Mais non passeulement parce qu’elle pourrait nous donner la confiance pour aller del’avant ou même attirer de nouvelles vocations. Elle est importante parceque, pour l’aborder, nous devons réfléchir à cette crise d’identité qui affligela plupart des gens aujourd’hui. Nul n’est créé par Dieu pour êtreuniquement un consommateur ou un travailleur, pour être acheté et vendusur la place du marché comme un esclave. Si nous pouvons retrouverconfiance en notre vocation, alors nous serons peut-être capables demanifester quelque chose de la vocation humaine. Le problème que nousdevons affronter concerne la signification même de l’être humain.

J’ai lu l’autre jour l’histoire d’un jeune Américain appelé Jimmy, quia connu des ennuis parce que sa famille et lui-même insistaient sur sondroit à porter des boucles d’oreilles dans son école. Et ils se fondaient surle principe que «toute personne a le droit de choisir qui il est». Bien entendu,en un sens, on voudrait dire bravo à ce Jimmy. Oui, en un sens, il a raison.

C’est à lui qu’il revient d’être quelqu’un, d’avoir une identité, defaire des choix qui ont un sens et de dire: «C’est moi. Je veux porter cesboucles d’oreilles». Mais on ne peut choisir d’être absolument n’importequi. Si je décidais de porter des boucles d’oreilles, un blouson de cuir etde circuler sur une moto à Rome, j’ai l’impression que mes frères élèveraientdes objections et diraient: «Timothy, mais ce n’est pas vous!». Du moins,j’espère qu’ils réagiraient ainsi. Je ne puis décider de devenir un punk, pasplus que je ne puis décider d’être Thomas d’Aquin.

Être quelqu’un, c’est être capable de prendre des décisionsd’importance au sujet de sa propre vie. Mais ces décisions doivent tenirensemble, constituer un récit. Avoir une identité, c’est, pour les choix quechacun fait tout au long de sa vie, avoir une direction, une unité narratives(Voir Alasdair MACINTYRE, After Yirtue: A Study of Moral Theory,Londres, 1981, chap. 15). Ce que je fais aujourd’hui doit prendre sens àla lumière de ce que j’ai fait auparavant. L’une des raisons pour lesquellesles professions et les métiers étaient si importants pour l’identité humaine,c’est le fait qu’ils procuraient une structure à de larges segments de la vied’une personne. Être un musicien, un homme de loi ou un charpentier, ce

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n’est pas seulement ce que l’on fait; c’est une vie, de la jeunesse à lavieillesse, avec la détente et le travail, dans la maladie et la bonne santé.

Mais notre vocation de religieux met en lumière la structure narrativela plus profonde de tout être humain. Lors de mon premier cours aunoviciat, le maître des novices avait tracé un grand cercle au tableau ennous disant: «Eh bien, mes amis, voilà toute la théologie que vous avezbesoin de savoir. Tout vient de Dieu et tout va vers Dieu.» La réalité s’estavérée quelque peu plus complexe! Mais l’affirmation de notre foi est quetoute vie humaine est la réponse à la demande de Dieu de partager la viede la Trinité. Tel est, en profondeur, le sens de toute vie humaine. Je découvrequi je suis en répondant à cet appel.

Ce qu’il a dit à Isaïe, il me le dit, à moi: «Avant ma naissance, leSeigneur m’a appelé; dès le sein de ma mère, il m’a donné un nom». Unnom, ce n’est pas une étiquette commode, c’est une invitation. Êtrequelqu’un, ce n’est pas choisir une identité sur un rayon de supermarché(Hell’s Angel, pop star, franciscain). C’est répondre à celui qui me convo-que à la vie: «Samuel, Samuel!» dit la voix dans la nuit. Et Samuel répond:«Parle, Seigneur, ton serviteur écoute».

Jimmy - j’espère qu’il porte maintenant ses boucles d’oreilles - a enpartie raison. L’identité consiste à faire des choix. Mais ce n’est passeulement une question de choisir celui que vous voulez être, comme l’onchoisit la couleur de ses chaussettes. Le choix consiste à répondre à cettevoix qui appelle à la vie. L’identité est un don et l’histoire de ma vie estfaite de tous les choix que je fais d’accepter ou de refuser ce don.

Paul écrit aux Corinthiens: «Il est fidèle, le Dieu qui vous a appelésà la communion de son Fils, Jésus-Christ notre Seigneur» (1 Co 1, 9). Ceque je voudrais vous suggérer ce matin, c’est que la vie religieuse est unemanière particulière et radicale de dire oui à cet appel. D’une manière trèsforte et nue, elle met en évidence la texture de toute vie humaine, qui estréponse à un appel. Dans notre bizarre manière de vivre, nous explicitonsle drame de toute recherche humaine d’identité, car tout être humain essaiede capter l’écho de la voix de Dieu l’appelant par son nom. D’autresvocations chrétiennes, comme le mariage, le font aussi, mais de manièredifférente, comme je le montrerai plus loin.

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Tout laisserLorsque nous, religieux, discutons de notre identité, vous pouvez

être pratiquement sûrs qu’avant longtemps l’adjectif «prophétique» viendrasur le tapis. Nos vœux sont en contradiction tellement directe avec lesvaleurs de notre société, qu’il est approprié d’en parler comme d’uneprophétie du Royaume. L’exhortation apostolique Vita consecrata emploiece terme. Je suis aux anges quand d’autres personnes recourent à cetadjectif à notre sujet, mais je suis réticent quand j’entends les religieux lerevendiquer pour eux-mêmes. Cela pourrait être teinté d’arrogance: «Lesprophètes, c’est nous!». Souvent, nous ne le savons pas. Et j’ai l’impressionque les vrais prophètes hésiteraient à s’approprier ce titre.

Comme Amos, ils tendent à rejeter une telle prétention et disent: «Jene suis ni prophète, ni fils de prophète.» Je préfère penser que nous sommesceux qui laissent derrière eux les signes habituels de l’identité.

Le jeune homme riche demande à Jésus: «Que me reste-t-il à faire?»Jésus lui dit: «Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes,donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. Et puis viens, etsuis-moi. «Entendant cela, le jeune homme s’en alla tout triste, car il avaitde grands biens» (Mt 19, 20-22).

En premier lieu, notre vocation montre quelque chose sur la vocationde l’homme en raison de ce que nous laissons derrière nous. Nousabandonnons bien des choses qui donnent une identité aux êtres humainsdans notre monde argent, statut, partenaire dans le mariage, carrière. Dansune société où l’identité est si fragile, si mal assurée, nous laissons derrièrenous tout ce en quoi les hommes recherchent la sécurité, les soutiens denotre inquiète interrogation sur ce que nous sommes. Sans cesse, nousposons la question qui sommes-nous? Mais nous sommes des gens quirefusons les balises habituelles de l’identité. Voilà ce que nous sommes. Iln’est pas étonnant que nous ayons des problèmes! Nous le faisons demanière à mettre en lumière la vraie identité et la vraie vocation de toutêtre humain. Tout d’abord, nous montrons que toute identité humaine estun don. Nulle identité auto créée n’est jamais au niveau de ce que noussommes. Toute petite identité que nous pouvons nous forger dans cettesociété est vraiment trop petite. Ensuite, nous montrons que l’identité

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humaine, en définitive, n’est pas donnée maintenant. C’est l’histoire entièrede nos vies, du début jusqu’à la fin et au-delà, qui nous montre qui noussommes.

Saint Jean écrit: «Bien-aimés, dès maintenant nous sommes enfantsde Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Noussavons que, lors de cette manifestation, nous serons semblables à Lui parceque nous Le verrons tel qu’Il est» (1 Jn 3, 2). Rejeter loin de nous toutsoutien, c’est un signe que toute identité humaine est une surprise, un donet une aventure.

Permettez-moi de concrétiser cela à travers quelques exemples. Ilva de soi qu’il ne saurait aucunement être question d’un traité complet dethéologie sur les vœux; il s’agit simplement de quelques suggestions sur lamanière dont ils touchent à la question de l’identité humaine.

L’obéissanceDans l’Ordre dominicain, lorsqu’on fait profession, on met ses mains

entre celles de son supérieur, et l’on promet obéissance. Je crois bien que,dans toutes nos congrégations, d’une manière ou d’une autre, le pincementau cœur se produit lorsqu’on se met entre les mains de ses frères et de sessœurs, et que l’on dit: «Me voici; envoyez-moi où vous voulez».

Erik Erikson définit ainsi la perception de l’identité: «Le sentimentde savoir où l’on va, et la reconnaissance, intérieurement anticipée, de lapart de ceux qui comptent.» (Cité par Theodore ZELDIN, An IntimateHistory of Humanity, Londres, 1955, p. 380). Eh bien, l’obéissance effacecarrément ce sentiment de savoir où l’on va. On nous donne la splendideliberté de ne pas savoir où l’on nous dirige. Le religieux est une personnelibérée du fardeau d’avoir une carrière.

La carrière est l’une des façons par lesquelles l’être humain trace lalongue histoire de sa vie et, ce faisant, entrevoit ce qu’il est. La carrière, dumoins pour ceux qui sont assez heureux pour en avoir une, assure séquenceet structure aux étapes de la vie d’une personne, à mesure qu’elle grimpeles barreaux de l’échelle, qu’il s’agisse d’une université, de l’armée ou dela banque. Lorsque j’ai fait ma profession, le 29 septembre 1966, macarrière a pris fin. Je suis religieux et ne pourrai jamais être autre chose.

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On m’a dit qu’il existe en France un document juridique qui englobe dansla liste des «sans-profession» prêtres et prostituées. Alors que j’étaisaumônier d’université, mon rôle, je m’en souviens, était d’être dans lecampus une personne sans rôle, un «rôdeur avec préméditation», commele dit la police anglaise lorsqu’elle arrête des individus suspects.

Et ce ne sont pas seulement nos frères et nos sœurs qui nousconvoquent pour que nous allions là où nous sommes envoyés. Nousobéissons aux voix de ceux qui nous lancent un appel de différentesmanières. Je me souviens d’un dominicain français qui était venu à Oxfordapprendre le bengali. Il avait été prêtre-ouvrier pendant seize ans, ilfabriquait des voitures chez Citroën ou bien, plus souvent qu’à son tour, ilprenait la tête des grèves, veillant à ce que l’on ne produise pas de voitures!Et voici que maintenant Nicolas et son provincial étaient arrivés à laconviction que sa vie fût entrée dans une nouvelle étape, et qu’il se rendraità Calcutta pour y vivre avec les plus pauvres. Je m’entends encore luidemander ce qu’il avait l’intention de faire. Il me répondit que ce n’étaitpas à lui de le dire. On lui dirait ce qu’il fallait faire.

L’appel pressant peut venir des gens les plus surprenants. Nos frèresdu Viêt-Nam ont subi de nombreuses années de persécution,d’emprisonnement, et bien souvent ont dû se cacher au milieu des habitants.L’un d’entre eux, un homme charmant prénommé François, après s’êtrecaché pendant un certain temps, fut soudain arrêté par la police et Jeté enprison. Et il a dit à ceux qui l’arrêtaient: «Je devrais vous remercier. Carnous, les dominicains, nous vivions entre nous, mais lorsque vous êtesvenus nous chercher, vous nous avez envoyés vers les gens».

Le vœu d’obéissance nous interpelle au-delà de toutes les identitésqu’une carrière pourrait nous donner, et aussi au-delà de toutes les identitésque nous ne pourrions jamais construire. Le vœu désigne une identité ouverteà tous ceux dont la vie ne mène nulle part, qui n’ont jamais eu de carrière,qui n’ont jamais eu d’emploi, passé un examen ou réussi quoi que ce soitdans la vie. Notre renoncement à une carrière est le signe que toutes lesvies humaines, en définitive, vont quelque part, même si en apparenceelles se heurtent à une impasse, car il y a un Dieu qui convoque chacund’entre nous à la vie.

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Chaque année, la commission Justice et Paix de la Conférenceirlandaise des supérieurs majeurs élabore une critique du budget dugouvernement, et les ministres tremblent dans l’attente dudit document.Mais un jour, après un rapport tout particulièrement sauvage, le premierministre, Charlie Haughley, l’écouta en disant qu’il était difficile de prendreau sérieux des critiques émanant d’un groupe qui s’intitulait «majeurs» et«supérieurs». La commission en prit bonne note et se dénomme désormais«Conférence des religieux».

La chastetéSi le vœu de chasteté est parfois si difficile à vivre, c’est qu’il touche

à bien des aspects de notre identité. Les autres intervenants vont sansdoute en parler en long et en large! Et c’est pourquoi je me contenteraid’en dire seulement quelques mots.

Pour la plupart des êtres humains, le signe le plus fondamental deleur identité est l’existence d’un autre être pour lequel ils sont le centre etle cœur: leur mari, leur femme ou leur partenaire. Cela, nous ne l’avonspas. Quelque nombreux que soient ceux que j’aime et qui m’aiment, je nepuis me définir moi-même par un tel type de relation. C’est là une telleperte, une telle privation, que, je le crois, elle ne peut être vécue de manièreféconde que si ma propre vie est nourrie en profondeur par la prière.

L’un des points les plus douloureux, du moins pour moi, est quel’on se refuse la possibilité d’avoir des enfants. Dans certaines sociétés,cela signifie que l’on ne peut jamais être accepté comme un homme. Je merappelle la désolation d’un jeune prêtre nouvellement ordonné qui étaitallé célébrer l’eucharistie dans un couvent à Édimbourg. Lorsque la ported’entrée finit par s’ouvrir, la religieuse le dévisagea et dit: «Oh, c’est vous,père, j’attendais un homme».

Cela me fait aussi penser à un frère américain, dont l’un des prénomsétait Marie, en vertu d’une pieuse coutume irlandaise. Il était en train depester contre un monde rempli de gens bizarres et pervers. Un autre frèrelaissa tomber le journal qu’il était en train de lire et lui dit: «Allons, allons,vous croyez que vous êtes vous-même normal. Vous vous appelez Marieet vous portez une robe».

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On laisse derrière soi père, mère, frère, sœur, le réseau tout entierde relations humaines qui donne à chacun un nom et une place dans lemonde.

J’ai visité l’Angola pendant la guerre civile. Je n’oublierai jamaisune rencontre avec les postulants et les postulantes à la capitale, Luanda.Ils étaient coupés de leurs familles par les conflits qui entouraient la ville etse trouvaient confrontés à un dilemme moral. Devaient-ils tenter de franchirla zone de guerre pour retrouver leurs familles et les soutenir pendant cetteterrible épreuve? Ou bien devaient-ils rester auprès de l’Ordre? Pour desAfricains, avec leur sens profond de la famille, c’était là une douloureusesituation. Je n’oublierai jamais la jeune religieuse qui se leva en disant:«Laissez les morts enterrer les morts, nous devons rester pour prêcherl’Évangile».

Ainsi donc, nos vies sont marquées par une grande absence, par unvide. Mais cela ne prend sens que si nous le vivons comme le chapitred’une histoire d’amour qui est le profond mystère de toute vie humaine.Cela doit donc être vécu passionnément comme signe de cet amour deDieu qui appelle chaque être humain à la plénitude de la vie. Sinon, toutn’est que désert et stérilité.

Ainsi, à travers notre vœu de chasteté, nous devons être signe de cequ’est la destinée de tout être humain. Chacun est appelé à cet amour,même ceux dont la vie semble dépourvue d’affection, qui n’ont ni époux niépouse, ni famille, ni enfant, ni tribu, ni clan, ceux qui sont totalement seuls.

La pauvretéIl est évident que le vœu de pauvreté nous plonge au cœur de ce qui

donne aux hommes leur identité dans le marché global. C’est le renoncementau statut, qui va de pair avec les revenus, avec la capacité d’être quelqu’unqui achète et qui vend. Il nous appelle à être un véritable contresigne dansnotre culture de l’argent. Bien sûr, nous ne sommes pas souvent ainsi.Tandis que j’écris ces lignes, tout en haut de la colline qui domine le Tibre,dans notre antique et imposant prieuré de Sainte-Savine, je peux apercevoirune petite baraque sur le bord du fleuve, où vit une famille; le linge sèchesur une corde. En cas de pluie, si les eaux montent, la maison sera balayée.

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Je regarde, et je rougis en me demandant ce que cette famille pense denous.

Cela me remet en mémoire que l’une de nos provinces avait concluune semaine de discussions sur la pauvreté par un repas de gala dans unrestaurant de luxe. Et l’un des frères de faire cette remarque: «Eh bien, sila semaine sur la pauvreté aboutit ici, où irons-nous tous l’an prochain,après toute une semaine à discuter de la chasteté?».

Cela dit, partout au cours de mes voyages, j’ai rencontré descommunautés religieuses d’hommes et de femmes de toutes lescongrégations, partageant la vie des pauvres, signes vivants qu’aucune viehumaine n’est destinée à s’achever sur un monceau d’immondices, quetout être humain a la dignité d’un fils de Dieu. À Noël dernier, j’ai célébréla messe de minuit avec l’un de nos frères, Pedro, qui vit littéralement dansles rues de Paris. Il a célébré la fête avec un millier de clochards, sous unegrande tente. L’autel était fait de boîtes de carton pour symboliser que leChrist était né cette nuit pour tous ceux qui vivent dans des boîtes decarton sous les ponts de Paris. Lorsqu’il a fait sauter le bouchon de labouteille de vin pour l’offertoire, l’auditoire a éclaté en bravos!

Dans chacun de ces vœux, nous voyons comment un pilier del’identité humaine est abandonné. Nous délaissons les choses habituellesqui nous disent qui nous sommes, que nous avons de l’importance et quenotre vie débouche quelque part. Il n’est pas étonnant que nous nousinterrogions sur notre identité. Mais peut-être notre liberté ne consiste-t-elle même pas à nous soucier de ce que nous sommes. Nous devons êtrebien plus intéressés par Dieu. Comme l’a écrit Thomas Merton: «Vousm’avez appelé ici, non pour porter une étiquette qui me permettrait de mereconnaître dans telle ou telle catégorie. Vous ne voulez pas que jeréfléchisse sur ce que je suis, mais sur ce que vous êtes, vous. Ou plutôt,vous ne voulez même pas que je réfléchisse beaucoup sur quoi que cesoit, car vous m’élèveriez au-dessus du niveau de la pensée. Et si je suistoujours en train de me demander ce que je suis, où je suis et pourquoi jesuis, comment ce travail sera-t-il effectué?» (Épilogue: Meditatio Pauperisin Solitudine).

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Dans son autobiographie La Longue Marche vers la liberté, NelsonMandela décrit sa grande fierté et sa grande joie quand il acheta sa premièremaison à Johannesburg. Ce n’était pas grand-chose, mais il était devenuun homme. Un homme doit posséder une terre et engendrer des enfants.Mais, en raison de sa lutte pour son peuple, il vécut à peine dans cettemaison, et c’est à peine aussi s’il vit sa famille. Il choisit une voie quiressemble fort à nos vœux. Il écrit ceci:

C’est cette aspiration à la liberté de mon peuple pour qu’il vivedans la liberté et le respect de soi, qui a été le moteur de ma vie, qui atransformé un jeune homme effrayé en un homme audacieux, qui a pousséun avocat respectueux des lois à devenir un hors-la-loi, qui a changé unmari plein d’amour pour sa famille en un homme sans foyer, qui a forcé unhomme qui aimait la vie à vivre comme un moine. Je ne suis pas plusvertueux ou plus enclin au sacrifice que l’homme d’à côté, mais je découvrisque je ne pouvais même pas prendre plaisir à la pauvre liberté bien limitéequ’on m’autorisait à avoir, lorsque je savais que mon peuple n’était paslibre. La liberté est indivisible. Les chaînes de n’importe quel membre demon peuple étaient les chaînes de tous. Les chaînes de mon peuple toutentier étaient les miennes. (The Long Walk to Freedom, p. 750).

Mandela perdit sa femme, sa famille, sa carrière, sa fortune et sonstatut social, tant il était assoiffé de liberté pour son peuple. Sonemprisonnement était le signe de la dignité cachée de son peuple, qui seraitun jour révélée. Peu de communautés religieuses sont aussi austères que laprison de Robben Island, mais nous aussi nous laissons derrière nous biendes choses qui pourraient nous donner une identité, en tant que signe de ladignité cachée de ceux qui sont morts dans le Christ. Comme l’écrit saintPaul aux Colossiens: «Vous êtes morts, et votre vie est cachée avec leChrist en Dieu. Quand le Christ, qui est votre vie, paraîtra, alors, vousaussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire» (3, 3).

Le matin de Pâques, Pierre et le disciple bien-aimé rivalisent devitesse pour se rendre au tombeau vide. Pierre ne voit qu’une perte,l’absence d’un corps. L’autre disciple voit avec les yeux de quelqu’un quiaime, et il voit un vide rempli de la présence du Ressuscité. Notre vie aussipeut sembler marquée par une absence et une perte, mais ceux qui voient

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avec les yeux de l’amour peuvent la voir remplie de la présence du Seigneurressuscité.

Je n’entends élever aucune prétention exclusive en faveur de notrevocation de religieux ou de religieuses. Toutes les vocations humaines,comme médecins, enseignants, travailleurs sociaux, etc., disent quelquechose sur cette vocation humaine consistant à répondre à l’appel de Dieuqui nous invite dans le Royaume. Ce qui est spécifique à notre vocation,c’est qu’elle montre cette destinée universelle à travers l’abandon des autresidentités. L’exhortation apostolique Vita consecrata parle de nous commede «symboles eschatologiques». Et cela est certainement vrai. De plus,cela m’enchante. Comme il serait agréable de mettre sur sa demande depasseport, au-dessous de la profession, «symbole eschatologique». Maison pourrait rétorquer que, plus que nous encore, c’est le mariage qui est lesymbole eschatologique. C’est la consommation de l’amour, ce «shabbat»de l’esprit humain, lorsque deux personnes reposent dans l’amour mutuel,qui nous donne un symbole de ce Royaume auquel nous aspirons. Peut-être sommes-nous un signe du voyage, et les couples mariés un signe de ladestinée.

Une écologie pour s’épanouirJ’ai essayé de donner une définition de l’identité de la vie religieuse.

C’est une définition paradoxale parce qu’elle nous définit comme ceux quiabandonnent l’identité telle que la comprend notre société. Mais nous nepouvons nous arrêter ici, quelque envie que nous en ayons!

Dans notre société, hostile à l’idée globale de vocation et en passede subvenir la perception de l’identité et de la vocation de tout être humain,une définition bien claire ne suffit pas. C’est comme si on essayait deréconforter les tigres menacés d’extinction avec une définition bien trousséede la «tigritude»!

Dans ce désert humain qu’est le marché global, il nous faut bâtir uncontexte où les religieux puissent véritablement s’épanouir et être uneinvitation vitale à marcher sur la route du Seigneur. Ce que fait un ordre ouune congrégation religieuse, c’est offrir un tel contexte. Dans le monded’aujourd’hui, nous pouvons être tentés de penser les ordres religieux

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comme des multinationales en compétition: achetez-vous de l’essencejésuite à haut degré d’octane ou de l’essence franciscaine sans plomb?Mais l’image qui me vient plutôt à l’esprit, c’est que chaque institut estcomme un écosystème qui abrite une bizarre forme de vie. Pour prospérercomme papillon, il vous faut plus qu’une jolie définition; il vous faut uncontexte écologique qui vous fera passer de l’œuf à la chenille, et du coconau papillon. Certains papillons ont besoin de chardons, de mares et decertaines plantes rares; sans quoi ils n’y arrivent pas. Pour d’autres variétésde papillons, la présence de crottes de mouton semble vitale. Chaquecongrégation religieuse est différente, offrant une niche écologiquedifférente, en vue d’une façon particulière d’être un être humain. Je résisteraià la tentation de préciser à quelles variétés de papillons nos divers ordresreligieux me font penser. Du moins pour le moment!

Un ordre religieux est comme un environnement. Construire la viereligieuse, c’est comme implanter une réserve naturelle sur une anciennezone construite. Il nous faut planter quelques chardons ici, creuser unemare là, et ainsi de suite. Qu’est-ce que nos frères et nos sœurs doiventfaire prospérer au long de ce voyage, alors qu’ils laissent derrière euxcarrière, richesse, statut et l’assurance d’un unique partenaire? De quoiont-ils besoin en faisant ce dur pèlerinage du noviciat à la tombe? Chaquecongrégation a ses propres exigences, ses propres besoins écologiques,son identité propre.

Et ceci me conduit à un paradoxe apparent: j’ai défini l’identité de lavie religieuse par le fait que l’on abandonne son identité, qu’on laisse derrièresoi les soutiens, les repères qui disent aux gens ce qu’ils sont. Et pourtantnos ordres et nos congrégations nous offrent bel et bien des identités.Chacun d’entre eux a son style différent. C’est la raison pour laquelle il ya ces désopilantes plaisanteries sur les Jésuites, les Franciscains et lesDominicains remplaçant une ampoule électrique.

Je me souviens que lorsque je dis à un de mes grands-oncles, unbénédictin, que j’avais l’intention de devenir dominicain, il parut hésiter etme demanda: «Es-tu sûr que ce soit une bonne idée? Est-ce qu’ils ne sontpas supposés être plutôt intelligents?» Il s’interrompit et poursuivit: «Aufait, j’y pense, j’ai connu des tas de dominicains stupides!».

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Mais le paradoxe n’est qu’apparent. Chaque congrégation offreune identité, mais il s’agit d’une façon particulière de marcher à la suite duSeigneur, une manière particulière d’oubli de soi. Un carme devrait êtreheureux d’être carme, non pas parce que cela lui donne un statut, maisparce que c’est une manière particulière de l’abandonner. Je dois trouvermon plaisir dans mon ordre, avec ses histoires, ses saints, ses traditions,de manière à trouver le courage de laisser derrière moi tout ce que notresociété considère comme important. J’aime beaucoup l’anecdote dubienheureux Réginald d’Orléans, l’un des tout premiers frères, qui, surson lit de mort, déclara qu’il n’avait eu aucun mérite à être dominicain tantil avait aimé cette vie. J’ai besoin de récits comme celui-là pourm’encourager à m’épanouir comme religieux pauvre, chaste et obéissant,pour pouvoir prendre plaisir à cette vie, comme une liberté et non commeune prison. J’ai besoin de récits comme celui-là pour me libérer de lapréoccupation de moi-même.

Voilà pourquoi j’ai une grande sympathie pour les jeunes religieuxqui réclament aujourd’hui des signes clairs de leur identité en tant quemembres d’un ordre religieux. La tendance de ma génération, élevée dansun profond sentiment d’identité catholique et même dominicaine, fut derejeter les symboles qui nous mettaient à part des autres, comme l’habitreligieux, et de nous immerger dans la modernité, de nous laisser tenterpar ses doutes et de partager ses interrogations.

Et cela était juste et fécond. Mais les jeunes qui viennent aujourd’huichez nous sont souvent les fruits de cette modernité, et ils ont été hantéspar ses interrogations depuis leur enfance. Ils ont parfois d’autres besoins,ils recherchent des signes clairs de participation à une communautéreligieuse, afin de les soutenir dans cette très étrange manière d’être unêtre humain.

Une remarque pour finir: nous avons besoin d’un cadre de vie quinous soutienne dans notre croissance personnelle. Le fait que nous soyonsappelés à laisser derrière nous ce que notre société regarde comme lesymbole du statut et de l’identité ne signifie pas que nous soyons à l’abrides difficultés pour devenir des êtres humains, adultes et responsables.Nous connaissons tous des frères qui veulent des ordinateurs toujours

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plus onéreux tout en proclamant que le vœu de pauvreté les dispense dese préoccuper de l’argent.

Ce que nous pouvons voir de nos propres yeux, c’est que l’abandonde la famille, du pouvoir, de l’argent et de l’autodétermination ne fait pasde nous des demi-portions. Nul n’oserait dire que Nelson Mandela estune personnalité falote! Mais cette croissance en maturité exige que noustraversions des moments de crise. Nos communautés sont-elles alors pournous des soutiens? Nous aident-elles à vivre ces moments de mort commedes temps de renaissance aussi? On demandait un jour à un vieux moinece que l’on faisait dans le monastère. Il répondit: «Oh, nous tombons etnous nous relevons, nous tombons et nous nous relevons, nous tombonset nous nous relevons...» (Cité par Joan CHITTESTER, The Fire in TheseAshes, Kansas City, 1995, p. 7). Nous avons besoin d’un environnementoù nous puissions tomber et nous relever alors que, titubants, nousmarchons vers le Royaume.

ConclusionPermettez-moi de conclure en résumant en une minute le voyage

que nous avons entrepris dans cette conférence. La question que l’onm’avait posée était la suivante: quelle est l’identité de la vie religieuseaujourd’hui? J’y réponds en disant qu’il nous faut la replacer dans lecontexte d’une société où la plupart des gens souffrent d’une crise d’identité.Le marché global efface tout sens de vocation, que l’on soit médecin,prêtre ou conducteur d’autobus.

La valeur de la vie religieuse est qu’elle donne une expressionfrappante de ce qu’est la destinée de tout être humain. En effet, tout êtrehumain découvre sa propre identité en répondant à l’appel que Dieu luilance pour partager la vie divine. Nous sommes appelés à apporter uneréponse particulière et radicale à cette vocation en laissant derrière noustoute autre identité qui pourrait séduire nos cœurs. D’autres vocations,telles que le mariage, procurent des expressions autres à cette destinéehumaine.

Mais je concluais tout à l’heure en disant qu’il ne suffit pas des’arrêter à une belle définition. Nous avons besoin de quelque chose de

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plus pour que nous puissions poursuivre notre route. Chaque ordre oucongrégation se doit d’offrir le nécessaire cadre de vie pour nous souteniren chemin. Et si nous ne sommes pas séduits par la société deconsommation, si nous voulons offrir des îlots de contre-culture, nousdevons travailler d’arrache-pied pour construire cet environnement pourque nos frères et nos sœurs puissent s’épanouir dans notre marche enavant (Timothy Radcliffe, o.p.).

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QUAND DIEU APELLE: QU’EST-CE QUE LA VOCATION?

A quels signes reconnaître que ma question est vraie, que peut-êtreDieu me demande quelque chose et qu’il s’occupe un peu plus de moi...Queje dois chercher à m’orienter...

Quand Dieu appelleSouvent des jeunes me demandent: Comment êtes-vous devenu

prêtre? Jamais je ne parviens à répondre. Ce qui m’étonne beaucoup. Uncardinal qui ne sait pas comment il est devenu prêtre... Nempêche, c’est lavérité. Je n’ai jamais été moi-même à la racine de ma vocation et je ne mesuis jamais dit: Voilà ce que je veux faire. Ce qui aurait été le cas si j’avaisvoulu devenir médecin. L’impression que j’ai, c’est que cela ma habité àl’improviste, venant de je ne sais où, sans que ce soit toujours de mongoût. Quand jetais petit, cela me tracassait et je ne pouvais men défaire.Une vocation fond sur vous, elle s’installe plus ou moins consciemment.Elle vous guette, se présente à l’improviste et, parfois, elle vous fait souffrir.Qu’importent les protestations: Pourquoi moi? Je n’ai pas envie, elle revientcoup sur coup. Vous butez contre elle sans pouvoir vous en défaire.

Comme un virusPour ma part, la vocation ma frappé comme un virus, sans que je

puisse faire quoi que ce soit. C’est la traduction, en langage humain, du faitque Dieu nous cherche et que c’est plus fort que nous. Je suis doncincapable de dire pourquoi ni comment, car c’est lui qui en est l’origine. Ily a dans toute vocation des éléments qui font comprendre quelle est dansl’air, que Dieu a un projet à notre égard.

Quelques indicesSi tu ne retrouves pas en toi tous les éléments que je vais évoquer, il

ne faut pas croire que tu es anormal. Ce sont quelques indices qui mont

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frappé. Je les ai retrouvés aussi chez d’autres.— Avoir une certaine sensibilité pour des choses qui laissent

les autres indifférents. Par exemple, un goût pour la fraîcheur des parolesde Jésus. Certaines de ses paroles ne te quittent plus. Tu les réentendstoujours. Personne n’a un plus grand amour que celui qui donne sa viepour ses amis. De tels passages, qui ne disent pas grand chose à d’autres,te touchent. Quand tu t’en aperçois, il faut y prêter attention.

— Avoir un penchant pour l’intériorité, une tendresse particulièrequi se vit en silence. Il se peut que parfois tu n’en aies pas envie, mais auplus profond de toi, cet appel revient: Arrête-toi un instant, réfléchis! Nelaisse pas passer le temps dans la dispersion. Puis tu te dis: Si je suivaisune session biblique? Si j’allais dans une abbaye? Subjugué par le Christ,tu t’inscris sans être sûr d’y aller. Et finalement, tu y vas.

— Avoir envie de regarder plus longtemps, de rester tranquille, deprêter attention à certaines choses et de donner du temps, par exemple,à une formation. Tu es content d’entendre parler quelqu’un, de lire,d’entendre à la radio ou à la télévision quelque chose de profond. Voilà ceque je dois écouter, penses-tu. Si cette envie te prend, fais attention, car ilse passe quelque chose.

— Découvrir en soi un profond sentiment de compassion: nepouvoir accepter que des gens soient dans le malheur ou la misère; lesaider, souvent dans le plus grand secret... Tout en étant même un peuhonteux à l’idée qu’on puisse le savoir parce qu’on pourrait te prendrepour un naïf, un inadapté à ce monde-ci... Cette compassion peut s’étendreà ceux qui sont psychiquement malades, qui ont du mal à rester deboutdans la vie, qui perdent l’espoir. Pouvoir les écouter durant des heures, aupoint que tes amis te disent: Tu perds ton temps! Il n’y a rien à faire.

— Avoir une certaine délicatesse envers les enfants, les petitset les faibles, les handicapés, envers ceux qui ne peuvent pas suivre etsont exclus. Enfin - et c’est l’élément le plus profond - pouvoir compatiravec ceux qui sont ancrés dans le mal, qui sont esclaves de la drogue,de la sexualité non contrôlée; qui mènent une vie superficielle, parmi lesbêtises et l’argent. Alors que les autres les trouvent bêtes et prédisent uneissue fatale, tu te dis: Je ne puis manquer de compassion.

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Si tu as ces trois formes de compassion, avec ceux qui souffrent,avec les petits et avec les pécheurs, elles sont des indices que Dieu aquelque projet sur toi.

— Etre sensible à ce qui n’intéresse pas la plupart des gens.Par exemple, avoir une admiration pour ceux qui vivent dans la sobriété etla pauvreté, pour François d’Assise, pour ceux et celles qui se dévouentdans le tiers ou le quart monde. Là où tout le monde prétend qu’il fautavoir de l’argent pour vivre -ce qui n’est pas faux- tu te sens attiré par lefait de n’avoir rien ou peu. Cela ne signifie pas encore que tu vas vivreainsi, ni que tu en sois capable, mais tu estimes qu’il s’agit là dune viemeilleure et plus profonde que beaucoup d’autres.

— Il en va de même du fait de ne pas se marier. Tout le monde dit:Cela na pas de sens. Toi aussi, tu t’interroges. Et tu te dis: Il y a quelquechose de beau là-dedans. Cela ne signifie pas que tu es capable de vivrele célibat, mais que tu en perçois le côté merveilleux et le charme. Et jeremarque qu’il s’agit là de quelque chose de très délicat qu’on peut détruireaussitôt.

— Avoir une admiration croissante pour des gens qui sont sen-sibles, dociles, prêts à écouter. Ils disent souvent oui, là où on dit deuxqu’ils sont naïfs. Tu te dis: Je n’en suis peut-être pas capable, mais il araison. Il se peut que tu trouves en toi cette sensibilité aux valeursévangéliques, qui vont à rebrousse-poil et ne sont pas naturelles: la pauvreté,la chasteté et l’obéissance. Tous n’ont pas cette sensibilité. Si tu las, alorsun feu s’allume. Tu te dis: Où cela va-t-il me mener? Car ce n’est pas toiqui as déposé ces valeurs dans ton cœur.

— Découvrir en soi l’audace du risque, contrairement à ceuxqui veulent être assurés contre tout et être sûrs de tout avant d’agir. Ilscalculent bien, sont raisonnables, intelligents et n’ont que du bon sens... Situ ne te sens pas à laisse là-dedans et si tu trouves que, sans risque, la vieest mortelle, un feu s’allume et te permet d’avancer.

— Découvrir en soi l’amour de l’Église. Jaime l’Église, en untemps où l’on dit beaucoup de mal delle et où, moi-même, j’aperçoisbeaucoup de fautes en elle, des choses dont je souffre et qui font que jedeviens dur pour elle, bien que je ne puisse m’en passer. C’est un peu ce

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qu’on peut ressentir envers ses parents: Ils m’ennuyent avec leurs manies,mais malgré tout, ce serait très triste sils mouraient. Il arrive qu’on sortedevant sa mère un tas de critiques et que, le jour de son anniversaire, onmette une lettre sur son lit pour lui dire combien on l’aime! Il en va demême de l’Église. Je ne sais vraiment pas si je pourrais vivre sanselle. C’est, pour ainsi dire, un rapport haine-amour. Quand tu éprouvesde tels sentiments, un feu s’allume à nouveau.

— Désirer que ce que l’on aime tant - la prière, les valeursévangéliques qui vont à rebrousse-poil, le risque, la compassion envers lessouffrants, les enfants et les pécheurs - les autres l’aiment aussi. S’attristerquand ils ne ressentent pas un tel amour et donc vouloir le partager.

Parfois je suis malheureux parce que les choses que j’admire etpour lesquelles j’ai de la sympathie ne remportent pas la sympathie desautres. Je me sens alors étranger parmi eux. Au fond, je voudrais que toussoient de pareils étrangers!

Etre triste quand on ne reçoit pas de réponse et lorsque tout tombeà l’eau. Quand tu as cette tristesse ridicule, parce que si peu de gens laressentent, alors un feu s’allume.

— Pouvoir admettre facilement ses torts et les avouerspontanément. Même si cela ne se fait pas sans mal, je ne suis tranquilleque quand j’ai pu avouer que je ne suis qu’un pauvre petit homme et quej’ai mal fait. Ne pas se ranger parmi ceux qui disent: Je me suis trompé,mais il ne faut pas qu’ils viennent me le dire. Je le sais déjà tout seul!

Venir à la lumièreVoilà un certain nombre d’éléments qui ont certainement joué chez

moi. Si tu les retrouves en toi, ils te feront prendre conscience que Dieu tedemande peut-être quelque chose et qu’il s’occupe donc un peu plusde toi. Il n’y a pas là de quoi te vanter, mais de quoi te dire: Puis-je mettretout cela dans le placard? Ou plutôt: Comment m’orienter?

Si ce n’est pas encore clair pour toi, il ne faut pas tout cacher dansl’armoire, car tu seras malheureux et tu te diras, plus tard: Je ne suis pasdevenu ce que j’aurais dû. Tu n’en mourras pas pour autant, mais tugarderas un petit nuage dans la tête qui te dira: Il aurait dû faire beau, mais

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il y a du brouillard.Je tai indiqué comment des feux s’allument. Ils sont comme des

étoiles au firmament. Il est important de les tenir à l’il et de t’orienter àpartir de celles-ci.

Si tout cela fait Tilt...Supposons que tu ressentes un certain nombre de ces éléments et

que tu te dises Je ne les cacherai pas. Que faire alors?

Céder à l’attrait de la prière et du silencePlanifie dans ta vie des moments de réflexion, de méditation,

d’oraison; profite de ce qui test offert, mais mets-toi aussi en recherche;passe un jour dans une abbaye, participe à des sessions bibliques; arrête-toi et brise le rythme travail-loisirs-repos. Cet appel ne peut pas mourirdans l’armoire.

S’exposer à l’ÉvangilePrends l’Évangile et lis-en une page ou deux; ou simplement, ouvre-

le et lis ne fût-ce qu’une ligne ou deux. Tu peux te rendre vulnérable à laparole de Dieu durant l’eucharistie, à l’Eglise ou n’importe où. Remue unephrase et expose-toi.

Fréquenter les sacrements et s’engagerFréquente l’eucharistie et va confesser tes péchés. Ensuite, engage-

toi sur le plan social et évangélique. Fais plus que la normale, le raisonnable,le convenable. Dis-toi à tout instant: Je veux faire quelque chose de plus, ilfaut que cela déborde.

L’Évangile parle dune justice surabondante. Jésus dit: Si tu ne faispas ce que tout le monde fait, les païens le font aussi. Où se situe alors cequi test propre? Au lieu de ne pardonner que les fautes d’inadvertancecommises envers toi - une porte restée ouverte qui ta coûté un rhume -pardonne les vraies fautes intentionnelles. Jésus dirait: Fais ce que tous nefont pas. Si tu dis: Je ferais juste ce qu’il faut, alors tu mets ta vocationdans le placard.

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Rejoindre d’autresRejoins d’autres personnes qui regardent les mêmes étoiles au

firmament pour se guider, qui ont une même sensibilité. Si tu restes seulavec ta lampe à huile allumée, elle va s’éteindre. On a raison de dire qu’unchrétien qui est seul aujourd’hui est en danger de mort. Que ceux qui ontune vocation, quelle soit, se regroupent; qu’ils se rassemblent pour prier,réfléchir, lire l’Évangile ensemble, s’encourager mutuellement et vivrel’eucharistie. Nous sommes si isolés dans le monde dès que nous nousintéressons à Dieu et à l’Évangile, que, seuls, nous ne pouvons tenir. Heureuxceux qui ont un ami, une amie ou des amis à qui ils peuvent parler de ceschoses.

Parler à quelqu’unCherche de laide chez quelqu’un de plus âgé qui peut t’aider. Il ne

faut pas nécessairement que ce soit un prêtre. Ce peut l’être, et peut-êtrede préférence, non pas parce que le prêtre est plus saint, mais parce qu’ila été formé pour aider les autres. Personne n’est juge dans son proprecas. Pour savoir ce que Dieu veut de toi, parle à quelqu’un. Si tu ne parlesqu’à toi-même, tu seras toujours d’accord avec toi-même. Ou bien tu tedécourageras: Je suis seul à me poser les questions et à me donner lesréponses. Un interlocuteur peut t’aider et te répondre de façon plusobjective. C’est important et c’est une preuve de générosité.

Beaucoup portent en eux-mêmes une vocation, mais n’enparlent jamais. C’est que le fruit n’est pas mûr. Une fois qu’on a le courageden parler, c’est un signe que le fruit a mûri: la pomme tombe de l’arbredès quelle a pris assez de poids.

Ce n’est qu’à partir du moment où une chose a été discutéeavec quelqu’un quelle est authentique. Aussi longtemps qu’on pense:Je n’aurais pas dû faire cela, je le regrette, on n’est pas encore parvenu àmaturité. Mais lorsqu’on dit à quelqu’un: Je lai fait et je le confesse, alorson se reconnaît coupable et on est mûr. Ne pas parler veut dire: Ce n’estpas encore né, même si c’est vrai. Ce n’est qu’en l’exprimant que celanaît.

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Se mouillerSi tu trouves en toi tout ce dont je viens de parler, et si tu en as parlé

à quelqu’un, tu ne peux savoir si tu as la vocation que quand tu oses sauterdans le noir: J’entre dans ce mode de vie avec intuition et j’essaie... Il fautvraiment l’expérimenter. Tu ne pourras jamais vérifier une vocation parcorrespondance!

Aller voirQuand Jésus appelle ses premiers disciples, il prend l’initiative:

Que cherchez-vous? Ils lui répondent: Maître, où habites-tu? Donne-nouston adresse. Jésus dit: Venez et voyez! Mais il ne donne ni adresse, niexplication. Il appelle. Ils allèrent et regardèrent, dit l’Évangile. Et ilsrestèrent un jour. Voilà la vocation qui t’attend: Viens et vois! Dix lignesplus loin dans le même Évangile, Philippe rencontre Nathanaëlle et dit: Jaitrouvé Jésus, le fils de Joseph de Nazareth. Il décline sa carte d’identité:son nom, celui de son père, sa résidence.

Et que dit Nathanaëlle? Rien de bon ne peut sortir de Nazareth!Cela n’ira pas. Que fait alors Philippe? Il reprend la méthode de Jésus:Viens voir! Nathanaëlle va et regarde. Jésus lui dit: Je te voyais assis sousle figuier avant que Philippe ne t’appelle. - Comment as-tu pu me voirsous le figuier? - Je tai vu, dit Jésus, tu es un vrai Israélite, tu ne t’en laissespas conter! Nathanaëlle abandonne la partie et dit: Seigneur, tu es le Filsde Dieu, le roi d’Israël (Jn 1, 49). C’est la plus grande confession jamaisfaite.

Il me semble alors que le seul moyen de savoir si tu as unevocation, c’est de venir voir. Le reste n’est que préparation. Si tu y vas,des feux brilleront. (Cardinal Godfried Danneels, Archevêque deMalines).

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L’IMPORTANCE DE REDIGER UNE EBAUCHEOU PROJET DE VIE

Une ébauche est un chemin qui conduit à un but auparavant décidé.Est le plan qu’on tire pourvu d’atteindre un objectif. L’ébauche aide lapersonne à devenir elle même. Fournit la cohésion de la personne dansune manière de faire, dans l’intercommunication avec les autres, donne unstyle de vivre.

Une ébauche, un projet de vie, est la direction que chaque hommedonne à soi-même pour la vie toute entière. Le point de départ est lahiérarchie de valeurs qu’on a établie dans sa propre vie personnelle, pousséen avant par son expérience. Il prépare son avenir dans les situations quil’attendent dans le choix de sa vie, ou de sa profession.

L’écueil où on échoppe est précisément le choix qu’on est obligé àfaire parmi les multiples options, sans aucun doute fondamentales et vali-des. Si jamais on reste dans l’indécision, alors on commence à vivre un«conflit existentiel», qui peut devenir chronique.

La crainte à la responsabilité, l’incapacité à renoncer à maintespossibilités représentées, la pression sociale contre les engagementsproposés pour toute la vie, font hésiter avant de prendre un choix définitifdans un projet de vie.

Quand même construire une ébauche, un projet de vie, est pournous un fait d’une importance fondamentale. Autrement on vit à la dérive,manqués d’une boussole; on ne réussit même pas à trouver le vrai sens dela vie. Voilà le drame dans la vie d’autant de personnes. Beaucoup de tesconcitoyens vivent sans savoir quoi faire. Ils ne réussissent pas à trouver lesens de leur vie, le Nord. Ils finissent par s’encastrer n’importe où.

Il est absolument nécessaire pour toi élaborer l’ébauche de ta vie.Tu es prié de le faire aujourd’hui. Tu es prié de découvrir combien il estnécessaire pour toi. Ta vie dépend toute entière de toi. Elle sera justementcomme tu veux qu’elle soit.

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Tu n’y parviendras pas en un clin d’œil. Il te faudra un certain temps,beaucoup de temps même. Ça ne fait rien. Tu dois faire tes calculs. Tu nevas pas perdre ton temps. Nous allons t’offrir un rythme de travail, signalerdes étapes, concéder du temps, tout le nécessaire pour que tu puissesconstruire ton projet de vie.

Tout d’abord, prie le Bon Dieu qu’Il veille t’illuminer; qu’Il t’accordedu connaître sa volonté, qu’Il te fasse voir l’ébauche qu’Il a fait de toidans son grand Amour. Alors tu réussiras trouver le chemin qui te rendraheureux. Surtout n’ai pas peur! Le Bon Dieu il t’aime plus que personne,et Il veut t’accorder ce qui est le meilleur pour toi. Rends-toi dans sesbras... et laisse-le faire.

Ton histoire personnellePour commencer à préparer ton projet de vie il faut que tu pars de

ta propre réalité, de ton histoire. Tu dois te rendre parfaitement compte deta situation personnelle. Il faut partir bien. N’ais pas peur de regarder enface ta propre histoire. Soyons réalistes. Ne trompes pas toi-même.Accepte clairement ta vie tel quelle est et tel qu’elle fût. Laisse tomber ceque tu aurais voulu être. Accepte simplement, est ton histoire.

Déformer la vraie situation peut causer une vraie frustration de lapersonne. Beaucoup de personnes ne s’acceptent pas tel quel elles sont.Elles vivent dans l’erreur, elles prennent le chemin qui conduit invariablementà la frustration.

Accepte ton histoire, accepte ta vie. Le Bon Dieu t’aime ainsi commetu es. Il t’aime, et il t’invite à le suivre, à être son disciple et marcher versla plénitude de la vie.

Réfléchis sur ta vie, à partir de ton histoire. Réfléchis toujours• Comment tu es fait. Les traits de ton tempérament: tes vertus et

tes vices. Trouves-tu des traits en toi, soient physiques, soient psychiques,que dois «supporter avec résignation», où, pire encore, avec déplaisir?Les quels? Voudrais-tu être fait autrement? Caresses-tu avec ta panséeêtre différent de ce que tu es? Ou bien tu vis aisément avec toi-même, etvois-tu le moyen tirer un profit de tes qualités?

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• Les quelles sont les difficultés que tu dois surmonter au fil desjours?

• La peur et la satisfaction. Qu’est-ce que te fait souffrir? Qu’est-ce que te rend heureux? As-tu des souvenances qui te font souffrir chaquefois que tu y penses? Ne les acceptes-tu pas?

• Regarde attentivement l’ambiance qui t’environne: la famille, tonquartier, ton école, ton poste de travail, ta paroisse... Analyse tout ce tu ytrouves de positif et tout ce que tu y trouves de négatif.

• Analyse aussi les personnes qui te font du bien, et celles que turefuses. Pour quoi?

• En ce moment précis de ta vie, trouves-tu des connexions avecdes expériences ou des faits du temps passés? Les quels pourrait, peutêtre, modifier actuellement ta façon de faire?

• Tout en regardant ton avenir, peux-tu reconnaître un penchantconstant dans tes sentiments? Disons espoir et confiance... peur etméfiance...

Tes idéauxTu viens d’analyser ton histoire, ta vie. L’histoire, il faut la prendre

tel comme elle fut, il faut l’accepter, avec toutes ses nuances, les positiveset les négatives. Elle est ta vie, elle est ton histoire. Mais elle est déjà unehistoire. Et on ne vit pas du passé, des souvenirs. On ne vit pas attaché aupassé. La vie est l’aujourd’hui («À chaque jour suffit sa peine» Mt 6,34b). Le plus important n’est pas ce qu’il fut, mais ce que tu veux être.

• Pour faire ton projet de vie, tout d’abord tu dois te situer en pré-sence de Dieu. Découvre et approfondis le grand amour qu’il a pour toi.Jamais il n’a laissé de t’aimer. Il te restera toujours fidèle. Il t’aime mieuxque personne d’autre. Laisse-toi t’illuminer par Lui. Lui, il a un projet surtoi. Est un projet d’Amour, qui prétend te donner bonheur et salut.

• Tu dois, donc, partir de cette réalité. Mets-toi en prière. Deman-de au Seigneur de vouloir t’illuminer, de te faire connaître sa volonté. Qu’est-ce que le Seigneur veut de toi? Lequel est son projet sur toi? Laquelle estla mission qu’Il veut te confier, dans le monde et dans l’Église?

• Es tu d’accord avec les paroles de Jésus: «Que sert donc à

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l’homme de gagner le monde entier, s’il se perd ou se ruine lui même»(Lc 9, 25)? Es tu convaincu que l’objectif principal de ta vie est la vieéternelle?

• Lequel sera donc le projet du Seigneur sur ta vie? Une vie defamille? Un prêtre? Un religieux, une religieuse? Lequel peut être bien sonprojet? Interroge-le. Demande-Lui de te faire connaître sa volonté.

N’en doute pas, le Seigneur a un projet sur toiOù est-ce que tu veux arriver? Quel genre de personne veux-tu

devenir? Comment veux-tu vivre ta vie chrétienne? Sur quelles valeursveux-tu construire ta vie? Prends la peine de chercher et de trouver unmodèle de personne dont te plaît sa façon de vivre. Trouves-tu de vertusen elle que tu voudrais avoir?

• Analyse l’énergie intérieure qui te pousse à agir. Que signifientpour toi: l’argent, la commodité, le plaisir, l’aventure, le sport, l’amitié, lascience, le pouvoir, le désire de plaire, l’esprit de service, le prestige, laresponsabilité, la recherche de la vérité, la liberté, la foi, l’Évangile, ladisponibilité.

• Comment désires-tu réagir front à la douleur, la souffrance, lamaladie, la solitude...?

• Quel métier est celui qui te plaît du plus? Qu’en penses-tu dutravail?

Tes moyensAprès avoir réfléchi sur ton histoire personnelle, sur tes désires les

plus profonds, il te faut maintenant décider ce qui te convient de faire et lesmoyens que tu dois employer. Si tu veux agir d’une façon intelligente, il tefaudra trouver par toi-même ce que peut t’aider à porter avant ton projet,et ce qui va t’en empêcher.

Pour être efficace, toi dois être assez concret. N’ais pas peur de cequi reste concret. Tout ce qui est concret, engage. Et celui que s’engage,devient un homme. Méfie-toi de toi même. Ne veuilles pas faire lecourageux. Tu connais bien ta faiblesse. Tu en as fait l’expérience autantde fois. Sois concret, impose-toi des petits moyens, mais bien concrets.

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Le jour viendra où ces moyens deviendrons trop petits pour toi. C’estalors que tu prendras le propos de les élargir: tu deviendras un personnagepetit à petit.

• Dans l’aspect de la foi, en ton histoire d’amour Dieu et toi: trouves-tu quelques moyens concrets pourvu que ta foi devienne plus profonde etaccroisse? Engage-toi concrètement à l’égard de ta prière personnelle, laprière en communauté, la participation à l’Eucharistie, le sacrement de laPénitence, la participation au group de jeunesse de la paroisse, letémoignage chrétien, les lectures de formation de la foi...

• Dans l’aspect de ta formation personnelle: l’étude, le travail...pose-toi la question si tu es déjà en mesure de faire quelque pas en avant.Tu y gagneras en responsabilité et même en bonheur.

• Ta relation avec les autres: ta famille, ton fiancé, ta fiancée, tesamis, tes copains, tes voisins. Propose-toi des actions concrètes, qui soientsensées de t’aider à améliorer le tout. N’oublie pas des actions concrètesvers les pauvres, les malades, les personnes âgés, parmi ceux que tu connais,qui se trouvent à ta portée. Qu’est-ce que tu peux et dois faire pour eux?

• Pense à tes loisirs. Comment faire pour qu’ils ne te traînent versla culture de la mort, mais au contraire, vers une affirmation de ta personne,de ta foi chrétienne? Comment faire? Qu’est-ce qu’il convient de voir à laTV? Quels loisirs il faut choisir? Quelles décisions il faut prendre avec laconsommation de l’alcool?

Un contrôle périodiqueQuand on fait un projet, c’est pour le réaliser. On ne peut pas s’arrêter

de temps à autre. Plutôt il faut en faire périodiquement la révision. On doitsavoir quand il est arrivé le moment de faire un pas en avant.

On établit les temps précis pour faire la révision. Une fois par semainesuffit. Mais de temps à autre il se fait nécessaire d’en parler avec quelqu’unbien préparé comme guide spirituel. Soit un bon éducateur, un bon prêtre,ils t’aideront à résoudre tes difficultés. Tu ne peux pas être le juge de tespropres actions, quelqu’un d’autre doit te mettre en garde. Cherchetoujours des bons conseils. Le Seigneur bénit l’humble du cœur. Une guidespirituel te fera toujours du bien.

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LE SENS DES VOEUX

Le mot obéissance n’est pas un mot à la mode dans notre société.Les libertés récemment acquises font que ce mot évoque surtout l’attitudede l’enfant devant ses parents ou un rapport à l’autorité qui semble tout àfait dépassé pour nos contemporains. En abordant la notion d’obéissanceil faut se rappeler que le mot «obéir» veut dire «écouter». Écouter pourensuite répondre, pour obéir. D’ailleurs le mot «responsabilité» veut aussidire «donner une réponse». Obéissance et responsabilité, deux notionsindissociables dans la vie religieuse. L’obéissance implique donc une attitudetrès active et très dynamique qui fait appel à toute la personne.

Pour nous religieux, le mot «obéir» est au cœur de notre engagementdans la vie religieuse et chez nous, les dominicains, il est même le seul vœuévoqué pour signifier notre engagement religieux quand nous faisonsprofession: «Moi frère un tel je promets que je serai obéissant…». Notrerituel de profession religieuse nous situe ainsi dans la grande traditionmonastique où le vœu d’obéissance au Maître de l’Ordre et à nosconstitutions, implique nécessairement les vœux de chasteté et de pauvreté.Mais notre manière de faire profession met encore plus en valeur notrevœu d’obéissance, bien qu’il ne soit pas notre seul vœu. D’ailleurs, c’estsaint Thomas d’Aquin qui affirmait que le vœu d’obéissance est le plusimportant des trois vœux, puisqu’il sous-tend les deux autres.

Le mot obéissance vient du latin «oboedire» qui signifie «prêterl’oreille à quelqu’un» d’où l’implication d’»être soumis» ou d’»écouter».Toutefois, dans la vie religieuse, telle qu’elle se vit aujourd’hui, ce seraitvraiment ne pas comprendre la profondeur de ce vœu que d’en faire uneobéissance servile à des supérieurs, bien que l’obéissance aux supérieurssoit requise dans le projet de vie religieuse.

L’obéissance religieuse est à comprendre selon quatre axes majeurs:

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1. Obéissance à Dieu. Tout d’abord écouter ce que Dieu a à medire à propos de ma vie et puis découvrir ce que je pourrais en faire afinde m’y réaliser pleinement. C’est toute la notion de vocation, d’appel, quise joue. Naturellement cette obéissance à Dieu, aux inspirations de l’EspritSaint au cœur de ma vie, implique les trois autres points qui suivent, maisfondamentalement, l’obéissance c’est avant tout se mettre à l’écoute deDieu afin de discerner qu’elle est son projet de vie sur moi.

2. Obéissance à soi-même. Il y a aussi dans le vœu d’obéissance,une obéissance à soi-même. Une congruence comme diraient lespsychologues. On pourrait définir cette obéissance ainsi: ce que j’aimeraisavoir accomplit au terme de ma vie. Obéir implique donc une connaissancede soi et de ses aspirations les plus profondes, afin d’être fidèle à soi-même, afin d’être capable de s’écouter en vérité.

3. Obéissance au monde. Écouter, obéir, veut aussi dire accueillirle monde et ses habitants, qui sont mes frères et mes sœurs en humanité.Les écouter afin de pouvoir les accueillir dans leurs luttes et leurs détresses,et m’y engager selon ce que j’ai pu découvrir de moi-même en me mettantà l’écoute de Dieu et des autres. Obéir implique donc d’avoir le cœur endisponibilité, l’oreille tendue vers le monde, d’être à son écoute, afind’identifier les points de convergence entre ce que je porte commeaspirations et ce que le monde attend de moi, ce que mes frères et sœursen communauté attendent de moi, ce que Dieu attend de moi.

4. Obéissance à sa famille religieuse. Enfin, obéir commereligieux, c’est aussi choisir à nouveau, à chaque jour, le projet de viereligieuse qui est le nôtre et où Dieu nous a conduits. Car notre Ordre estle moyen que nous avons choisis, afin de répondre de notre mieux à cetteobéissance à soi-même, au monde et à Dieu. Quand je dis «choisir àchaque jour le projet de vie religieuse», je veux dire devenir à chaque jourde plus en plus responsable de notre projet de vie religieuse, de vie donnéeà la manière de saint Dominique. Parce que ce projet est pour nous unmodèle crédible pour vivre comme disciple de Jésus. Le projet de l’Ordre

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des Prêcheurs est pour nous une voie originale dans la façon d’assumer lamission apostolique de l’Église et nous nous sommes engagés par notreprofession à obéir à ce projet, à nous mettre à son écoute, afin de nousmettre à son service.

L’obéissance que nous voulons vivre en tant que dominicains, avecles limites et les faiblesses qui sont les nôtres, a donc les implicationssuivantes:

1- Une écoute attentive de soi-même, des appels du monde et denos frères et sœurs en communauté, afin de mieux discerner les appels deDieu dans nos vies;

2- Une disponibilité à ce que l’on peut nous demander commeservice, comme mission; il s’agit d’avoir le cœur ouvert, tendu vers l’avant;

3- Et, enfin, une créativité responsable pour réaliser ensemble notreprojet de vie et notre mission; savoir prendre des initiatives, oser avancervers le large et y lancer nos filets.

Le vœu d’obéissance est un vœu qui, loin d’inviter à la servilité,nous rend au contraire libres pour la mission à la suite du Christ, responsa-bles de l’Ordre des Prêcheurs qui nous accueille en tant que frères etsœurs. À travers l’Ordre, c’est Dieu qui compte sur nous.

Le vœu d’obéissance nous demande tout à la fois d’être responsa-bles de nos frères et de nos sœurs avec qui nous vivons, responsables denotre vie de prière et de ressourcement, responsables de notre mission etdu monde où nous sommes insérés. Le vœu d’obéissance est un vœu quifait appel à l’adulte en nous. C’est pourquoi il est un vœu libérateur, quivient chercher ce qu’il y a de meilleur en nous. Mais le vœu d’obéissance,à cause du droit de regard de mes frères et de mes sœurs sur ma manièrede vivre avec eux le projet de saint Dominique et la suite du Christ, devientaussi un lieu de vérité, de croissance et de libération vis-à-vis mes limiteset mes pauvretés. Le vœu d’obéissance est un lieu d’interpellation et delibération qui ne peut faire de moi qu’un meilleur dominicain, un dominicainplus heureux et plus engagé, mais dans la mesure où j’accepte «d’entendre»!

En somme, le vœu d’obéissance nous rapproche du Christ, lui quis’est fait obéissant jusqu’à la mort. C’est son obéissance à lui qui fonde lanôtre et y donne sens. Notre défi comme religieux est d’entrer dans

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l’intelligence de ce vœu et alors, avec la grâce de Dieu, nous pourronsassumer les exigences de notre vie religieuse et la faire fructifier pour lesalut du monde et le nôtre.

Pauvres comme Lui, riches avec LuiLa a vie religieuse est une invitation faite par le Seigneur à des hommes

et à des femmes à se réaliser dans le monde en se mettant à sa suite, dansl’observance des conseils évangéliques de pauvreté, de chasteté etd’obéissance. Cette mission se situe au cœur de l’histoire du salut où Dieuest à l’œuvre jusqu’à la fin des temps et où il appelle l’Homme à s’engager,à devenir un acteur central de cette histoire, puisque ce salut qui est offertle concerne en tout premier lieu. Il est pour lui et pour tous ses frères etsœurs en humanité. La vie religieuse se veut donc une réponse radicale àl’appel qui est fait à tous, appel qui se réalise différemment selon la vocationde chacun, mais qui implique toujours une même dynamique de conversionet d’appel à la sainteté, quel que soit notre état de vie.

Trois vœux, trois conseils évangéliques, façonnent et oriententfondamentalement la vie de celui ou de celle qui s’engage dans la viereligieuse, et je voudrais traiter ici de l’un de ces trois vœux qui a sansdoute comme particularité, du moins plus que les deux autres vœux il mesemble, de se réaliser tout autant au plan individuel qu’au plan commu-nautaire. Je veux parler ici du vœu de pauvreté. Car il est bien difficile deréaliser communautairement le vœu de chasteté, même si tous y sont tenus,et quant au vœu d’obéissance, même s’il se réalise dans la réalisationquotidienne des observances régulières par exemple, sa pleine significationtouche avant tout la volonté propre de la personne qui s’y engage. Tandisque le vœu de pauvreté repose tout autant sur les épaules du religieux oude la religieuse que sur celles de la communauté.

Nous vivons une époque et une culture où la vie religieuse se chercheface au vœu de pauvreté. Bien des religieux et des religieuses vivent unmalaise, sinon une contradiction, entre les conditions de vie en communautéet l’appellation «vœu de pauvreté». D’entrée de jeu, il faut bien l’avouer:souvent les religieux et les religieuses ne sont pas des pauvres. Il suffit deregarder les lieux que nous habitons, ainsi que notre mode de vie. Tous

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nos besoins sont assurés. Notre vie est des plus confortables et feraitl’envie de bien des pauvres. Pourtant nous sommes «marqués» par cevœu de pauvreté auquel nous nous engageons lorsque nous faisonsprofession religieuse. Impossible de renier ce vœu ou de nous en détacher.Tout le monde sait que nous avons fait vœu de pauvreté et les gens attendentde nous une conduite et un mode de vie qui soit conséquent avec notreengagement. Toute notre vie il y aura là un combat personnel à mener, unappel évangélique à la radicalité.

Une autre difficulté qui se rencontre en communauté face au vœu depauvreté est que la volonté d’une communauté d’assumer une vie pauvreet dépouillée se heurte parfois à la réalité de certains frères ou de certainessœurs qui sont incapables d’assumer leur vœu de pauvreté. Leurtémoignage a souvent pour effet de rejaillir sur l’ensemble de lacommunauté, sur son image et son rayonnement. D’où la tentation chezcertains de vouloir «faire comme les autres» ou d’en faire moins.

Il y a et il y aura toujours une tension à vivre à l’intérieur des commu-nautés religieuses face au vœu de pauvreté. Ultimement, nous serons toujoursseuls avec nous-mêmes quand il s’agira d’assumer nos vœux. Et notrepremier devoir sera toujours de répondre de nous-mêmes devant Dieu etdevant le monde.

Il est bon de se rappeler par ailleurs que les divers projets de viereligieuse ne peuvent pas tous assumer un type de vie pauvre qui seraitsemblable à celui des petites sœurs d’une Mère Térésa par exemple, vivantdans les bidonvilles monde où se retrouvent les plus démunis du monde.La mission dominicaine par exemple se situe surtout au cœur des villes,près des universités. Sa mission nécessite donc certaines ressources pourmener à bien à la fois sa vie conventuelle et intellectuelle, ainsi que la missionqui en découle: bibliothèques, ordinateurs, outils multimédias, salles deconférences, etc...Ce type d’apostolat peut se vivre sobrement, maisdifficilement dans le dénuement le plus complet. Le vœu de pauvreté neveut pas dire indigence, mais il implique néanmoins une pauvreté de l’êtreet de l’avoir, ainsi qu’un authentique souci de partage avec les plus démunis.

En quoi consiste cette pauvreté de l’être qu’implique notre vœu depauvreté? Il s’agit tout d’abord d’une orientation fondamentale de nos

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vies, appelées à entrer dans l’abaissement même du Christ, lui qui s’estabaissé dans une vie humaine pauvre, solidaire avec les plus démunis,avec les exclus (Phil 2, 5-8). Jésus n’a pas recherché le pouvoir, ni leprestige, ni à occuper la première place, mais il s’est fait le serviteur detous. Être frère prêcheur signifie pour nous un engagement ferme et radicaldans cette voie de pauvreté. Une pauvreté de l’être dans un monde où le«paraître», «l’avoir» et le «pouvoir» sont si essentiels aux yeux de noscontemporains. La pauvreté du Christ est une affirmation de sa liberté, etnotre vœu de pauvreté est une invitation à entrer nous-mêmes dans cetteliberté à l’égard du monde et ses dominations.

Notre vœu de pauvreté est aussi une pauvreté de l’avoir. Par cevœu nous nous engageons à ne rien posséder en propre. Non pas parceque la pauvreté est en soi un bien. Au contraire, la pauvreté dans le mondeest un mal, un mal qu’il nous faut combattre de toutes nos forces. Maisnous sommes appelés à nous détacher du matériel afin de signifier que lesens de la vie ne trouve pas sa fin dans le fait de posséder. Ainsi le vœu depauvreté vise à affirmer la dignité de tous ceux et celles qui ne possèdentpas, en rappelant que l’abondance matérielle n’est pas la raison d’êtreultime de l’homme, qu’elle n’est pas sa fin.

Enfin, notre vœu de pauvreté est aussi un engagement à la solidaritéavec les plus pauvres. Notre engagement ne fera pleinement sens que sinous parvenons individuellement et communautairement, ensemble avecnos frères religieux, à transformer une simplicité de vie, tout aussi spirituellesoit elle, en un engagement concret auprès des plus nécessiteux de notremilieu, afin de partager avec eux non seulement notre temps et nos talents,non seulement le trop plein de notre avoir, mais aussi de notre nécessaire.

Pourquoi faire vœu de pauvreté? Parce que notre vie religieuse nousattache au Christ. Elle nous engage à le suivre sur les routes du monde,afin de vivre avec lui et comme lui. La condition de disciple est un appel àvivre dans le monde avec le Christ pauvre et donné aux pauvres: les pauvresde richesses, bien sûr, mais aussi les pauvres d’amour, les pauvres desavoir ainsi que les pauvres de sens. Écouter les besoins du monde ettenter d’y répondre à la lumière de l’Évangile ne peut se réaliser si noussommes esclaves du monde et de ses pouvoirs. Il y a donc dans notre vœu

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de pauvreté une orientation fondamentale de notre vie chrétienne en tantque religieux. Notre vœu est avant tout un appel à vivre une qualité d’êtreau monde, solidaires des plus pauvres, un appel à nous détacher du mon-de et de ses séductions afin de nous attacher à l’essentiel: aimer et sedonner comme le Christ. C’est pourquoi notre vœu de pauvreté est unappel à la liberté, à devenir libres comme lui, libres de cette liberté quinous configure peu à peu au Christ, lui qui s’est fait tout à tous. Elle est lànotre seule et unique richesse!

Ce sera toujours là le défi de notre vie en communauté que de nousrappeler le sens de notre vœu de pauvreté et de chercher ensemblecomment le réaliser le mieux possible, au jour le jour. Mais il ne faudra pasattendre que tous se soient mis en route avant de faire nous-mêmes lepremier pas.

La chasteté en questionÀ l’heure où plusieurs s’interrogent quant à la pertinence de maintenir

un clergé célibataire, alors que les besoins des communautés chrétiennesse font criants, il me paraît d’une extrême importance de dégager le sensdu célibat consacré, et de la chasteté qu’il sous-tend, dans le contexte dela vie religieuse. Mon propos ici n’est pas de me prononcer quant à laquestion d’un clergé marié ou non, mais plutôt de mettre en évidence levœu de chasteté pour lui-même et de tenter d’en comprendre le dynamisme.Même si un jour des hommes mariés étaient admis au presbytérat, il resteratoujours cette réalité des religieux et des religieuses pour qui le vœu dechasteté est une composante intrinsèque de leur engagement. Il est possibled’imaginer un clergé marié, mais la vocation des religieux et des religieusesne pourra jamais se définir sans cette référence aux trois conseilsévangéliques qui la déterminent, et plus particulièrement le vœu de chasteté.

Dans un article précédent (cf. Obéir à Dieu, à soi-même et au mon-de), je rappelais que saint Thomas d’Aquin avait défini le vœu d’obéissancecomme étant le plus important des trois vœux et qu’il conditionnait lesvœux de pauvreté et de chasteté. Mais cette affirmation a besoin d’êtresaisie avec beaucoup de nuances à une époque où la primauté de l’individuet sa liberté personnelle occupent une place tellement prépondérante dans

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la conception de nos sociétés postmodernes. Moins que par le passé, latentation demeure néanmoins présente chez certains à réduire la viereligieuse ou le célibat, à une simple question de devoir, comme si unimpératif moral déterminait le choix de ceux et de celles qui s’y engagent.Bien des vocations se sont vécues difficilement dans le passé, à caused’un choix mal éclairé, influencées souvent par des pressions sociales ouecclésiales, insistant surtout sur une certaine obligation à répondre à«l’appel», ou encore jouant de manière culpabilisante quant au risque dedire non à Dieu! D’ailleurs, toute cette notion d’appel de Dieu aurait besoind’être renouvelée afin de présenter aux personnes en quête vocationnellece qui est vraiment au cœur de l’appel à la vie religieuse: une invitation oùle sujet de l’appel trouve son bonheur et non pas une contrainte où il seperd.

Le «viens suis-moi!» de Jésus, lorsqu’il invite ses apôtres à le suivre,est sans doute ferme et sans hésitation, mais il ne peut certainement pass’agir d’un ordre péremptoire ne laissant aucun choix aux personnesinterpelées! Les disciples qui ont répondu à l’invitation de Jésus étaientlibres de le faire, et ils ne devaient certainement pas suivre Jésus sans unecertaine fascination à son endroit, sans être saisis par le mystère de sapersonne et de son message. Et c’est là un point de départ important pourbien comprendre le vœu de chasteté. Car ce vœu est certainement celuiqui rejoint le plus la personne dans la totalité de son être, tant dans saquête de sens que dans ses désirs et ses besoins les plus intimes. Il fautsérieusement se demander quelle force est capable de mobiliser totalementune personne, et ce, pour toute sa vie, en l’engageant dans un célibat etune chasteté absolus?

Bien des témoignages d’engagements au célibat font état decheminements ayant amené des personnes à se donner au nom d’un idéalsocial et communautaire, au nom d’un altruisme voulant se mettre au servicede l’humanité. L’on entend aussi certaines justifications pour le célibat desprêtres faisant valoir leur plus grande disponibilité pour le service de l’Église.D’autres personnes encore se sont engagées parce qu’elles ont été marquéespar des témoins, par de grandes figures d’Église. Elles voient en ces témoinsdes modèles sur lesquels elles veulent conformer leur vie.

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Bien que tous ces motifs soient valables en soi et puissent jouer unrôle déterminant dans le choix d’une vocation religieuse, ils ne peuventconstituer le motif fondamental d’une vie entièrement vouée au célibat. Il ya risque de s’enfermer dans une certaine idéologie de l’engagement quandle choix pour la vie religieuse ne fait pas aussi appel à tout ce qui constituele dynamisme d’une personne, tant au plan spirituel, qu’au plan affectif.Car il manque une dimension fondamentale aux motifs d’engagementévoqués jusqu’à maintenant: la dimension relationnelle avec le Christ, quiseule peut fonder la vocation religieuse.

Qu’est-ce qui détermine la décision des disciples à suivre le Christdans les évangiles si ce n’est une rencontre personnelle avec lui? Unerencontre où le disciple est saisi par la personne de Jésus, où il est fascinéet où il se sent aimé par lui. Rappelons-nous la rencontre de Jésus avec lejeune homme riche: «Et Jésus se mit à l’aimer». Ou encore lorsqu’ilrencontre Pierre après sa résurrection sur la rive du lac Tibériade et luidemande: «Pierre, m’aimes-tu?». Nous sommes ici au cœur de l’expériencespirituelle chrétienne, qui consiste en une foi vive en l’amour de Dieu pournous, où l’amour appelle l’amour. Cette expérience de réciprocité est unecomposante fondamentale dans le choix que fait une personne pour la viereligieuse. Un engagement pour la vie ne peut être fondé que sur l’amour.

Naturellement, tous les chrétiens sont appelés à faire cette expérience.Elle n’est pas l’apanage exclusif des religieux et des religieuses. Mais cetteexpérience constitue un terreau fondamental dans l’appel à la vie religieuse,et plus particulièrement pour le vœu de chasteté. Car le vœu de chastetédoit être source d’équilibre et d’épanouissement pour la personne qui s’yengage. Il ne peut donc reposer uniquement sur des théories ou sur unactivisme social. Il doit permettre au religieux et à la religieuse de se réaliser,non seulement spirituellement, mais aussi dans toute sa vie psychique etaffective, et ainsi trouver son bonheur dans la vie religieuse. Pour cela leDieu de Jésus-Christ doit être son tout et mobiliser toutes ses énergies.

Le plus grand idéal social ne suffira jamais à donner toute saprofondeur à la vie religieuse si l’amour de Dieu, l’expérience d’être saisispar lui, ne sont pas présents chez celui ou celle qui s’y engage. C’est parcequ’il se sent interpelé par le mystère d’un tel amour, ou encore parce qu’il

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le pressent, qu’un aspirant à la vie religieuse peut choisir de renoncer àl’amour d’une autre personne, et ce, pour toute la vie. Il y a quelque chosed’exclusif dans le fait d’aimer, et cette dynamique se retrouve tout aussibien dans le vœu de chasteté que dans l’engagement au mariage. Le religieuxou la religieuse sera chaste non pas parce qu’il en a fait le vœu, mais parceque l’amour vrai requiert la fidélité et l’engagement. Celui ou celle qui enest épris veut y consacrer toute sa vie et toute sa personne. C’est le défide tout mariage et c’est aussi le défi de toute vie religieuse. Chacun de cesengagements en Église, qu’il s’agisse du mariage ou de la vie religieuse, estun appel à aimer, et le vœu de chasteté, tout comme le fait le mariage,consacre dans l’amour. Il implique le choix de Dieu comme fin absolue deson existence en lui offrant toutes ses ressources, tout son être, dans lasuite du Christ.

Afin de bien comprendre la pertinence de la vie religieuse, il nousfaudra redécouvrir tout l’importance de l’aspect éminemment personnelde l’appel à la vie religieuse. Un appel qui est une invitation en toute liber-té, à tout laisser pour suivre le Christ. Un appel à se donner et à se réaliserdans le monde par un engagement de sa personne avec le Christ et pour leChrist. Ce choix trouve sa véritable authenticité lorsqu’il est fait dans laliberté et dans la joie, lorsqu’il est accueilli à la fois comme un don etcomme un appel de la part de Dieu. Et au cœur de cet appel, le vœu dechasteté met tout particulièrement en relief la dimension intime etpersonnelle de la suite du Christ.

«Qui peut vivre sans affections?» demande saint Augustin dans soncommentaire du psaume 76, où il développe sa notion de délectation enDieu. Il poursuit ainsi: «Pensez-vous, frères, que ceux qui craignent Dieu,honorent Dieu, aiment Dieu, n’aient pas d’affections?» (In Ps. 76, 1; PL,36, 278). «L’homme ivre se réjouit, et le juste ne se réjouirait pas?...» (InPs 57, 22; ibid., 691). Pour Augustin, Dieu surpasse infiniment sa création,et c’est pourquoi il est en lui-même la véritable délectation: «Il y a unevolupté dans le Seigneur, qui est le vrai Sabbat et le vrai repos...», ditAugustin. «Qui peut délecter autant que Celui qui a fait tout ce qui nousdélecte?» (In Ps 32, 2,6; ibid. 281). Cette délectation est au cœur mêmede la vie chrétienne et fonde, par le fait même, l’appel à la vie religieuse.

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Tout au long de l’histoire de l’Église, des hommes et des femmes ont étésaisis par Dieu au point de se dessaisir d’eux-mêmes afin de suivre leChrist obéissant, pauvre et chaste. Cette aventure spirituelle demeuretoujours actuelle.

Parmi les trois conseils évangéliques, le vœu de chasteté est sansdoute celui qui met le plus en évidence cette dimension de l’amour chezcelui ou celle qui s’engage dans la vie religieuse. D’ailleurs, n’est-ce pasce vœu, parmi les trois vœux, qui suscite le plus d’incompréhension de lapart de nos contemporains? En effet, le vœu de chasteté, s’il est déterminépar le vœu d’obéissance comme l’affirme saint Thomas d’Aquin, l’estuniquement en ce sens où l’obéissance réside avant tout dans la capacité àentendre l’appel qui vient de Dieu et à y répondre librement, avec tout soncœur. La véritable obéissance est amour, puisqu’elle est le don total etvolontaire de soi-même au nom de l’Évangile et par amour pour Dieu. Etle vœu de chasteté est celui qui met le plus en évidence la radicalité duchoix du Christ comme unique compagnon de route.

Au cœur de la vie religieuse, il y a cette réalité sublime que Thérèsede l’Enfant-Jésus décrivait avec une simplicité désarmante pour parler desa vocation. Elle disait «un amour m’appelle». Tout est dit ici! Noustouchons à l’essence même du vœu de chasteté, et de la vie religieuse elle-même, lorsque nous le comprenons tout simplement comme une réponseà l’amour de Dieu qui appelle! C’est dans cet amour que s’enracine levœu de chasteté, où toute vie consacrée trouve son fondement ainsi quesa raison d’être. Un amour offert à tous, également et sans exception,mais qui appelle certaines personnes à en témoigner à la face du monde ens’y consacrant totalement, exclusivement, afin d’annoncer à tous et à toutesque cet amour de Dieu pour nous est tellement sublime et insurpassable,qu’une personne peut sans hésitation fonder toute son existence sur lui.(Par Yves Bériault, o.p.)

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LA CHASTETÉ, UNE QUESTION DE CŒUR

Vous serez peut-être étonnés de savoir que certaines personnes,parmi les plus équilibrées sexuellement que je connaisse, mènent une viede chasteté dans le statut de célibat? En effet, si vous passez un instantavec certaines d’entre elles, vous resterez avec cette impression: voici unepersonne qui est intensément spirituelle et profondément humaine à la fois.C’est pour cela que je n’aime pas la «mauvaise presse « qui traîne, cestemps-ci, autour de ce sujet. Quand les jeunes parlent de la chasteté et laprésentent comme une explication possible de la pénurie de vocationssacerdotales ou religieuses, je pense aux hommes et aux femmes auxquellesj’ai fait allusion et je ne vois pas cette relation.

Certes, les informations affligeantes diffusées ces derniers tempssur l’abus de mineurs et d’autres scandales sexuels dans lesquels ont étéimpliqués des prêtres, religieux et religieuses, peuvent inviter à se demandersi la chasteté conduit inexorablement à l’atrophie du développementémotionnel et psychique. Mais je connais beaucoup de personnes qui ontopté pour le célibat et démentent par leur vie ce raisonnement.

L’idée que la chasteté a beaucoup à voir avec l’actuelle crise desvocations, ou est un facteur qui a des influences sur la conduite sexuelledésordonnée d’ecclésiastiques et religieux, a créé un climat d’opinionsqu’il faudrait qualifier au moins de partiales. Ainsi, beaucoup pensent quela sexualité devrait constituer en ce moment une préoccupation de premierplan pour les gens d’Église. Mais cela, simplement, n’est pas vrai. Commele reste des mortels, les prêtres et les religieux des deux sexes ont besoind’une formation continue et adéquate sur la sexualité humaine. Mais notrepremière et constante préoccupation doit toujours être la vie spirituelle, etpas seulement la sexualité, et pourquoi donc? La raison est que nouspouvons apprendre tout ce qu’il faut savoir sur la sexualité humaine, maissi nous ne trouvons pas la façon d’intérioriser ce que signifie être une

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personne spirituelle, nous nous trouverons de façon permanente mal àl’aise avec notre vie de célibat.

Je me propose trois objectifs en écrivant cet article. D’abord, offrirune définition de la vie de chasteté. Deuxièmement, rappeler le rôlefondamental de la figure de Jésus dans toute réflexion que nous faisons surcette matière. Et troisièmement, mettre en évidence que le célibat, bienassumé, suppose un retournement authentique du cœur. Cela dit, nousallons commencer.

DÉFINIR LA VIE DE CHASTETÉ

Comment pouvons-nous décrire de manière adéquate la chastetévécue dans le célibat? Une manière, qui n’est peut-être pas la meilleuremais une des plus honnêtes, est d’affirmer simplement qu’il s’agit d’unequestion de cœur. Personne ne veut vivre sans amour. C’est pour cela quesi la vie de chasteté ne porte pas ceux qui l’ont choisie à une plus grandeunion avec Dieu et avec les autres, qui sera assez fou pour l’embrasser?Donc, la chasteté est, de toute façon, une question de cœur.

Dans toute vie de chasteté il y a quatre dimensions ou carac-téristiques. La première et la plus évidente est la recherche et ledéveloppement de manières d’aimer non sexuelles. Si nous nous trouvonsavec une personne, homme ou femme, qui proclame qu’elle vit dans lachasteté, et ensuite nous dit qu’elle maintient une vie sexuelle active,comment n’allons-nous pas nous sentir perplexes?

Malheureusement, l’intimité et la sexualité ont été mises généralementexclusivement sur le même plan que la relation sexuelle. Mais maintenant,nous savons tous que ces termes ont une signification beaucoup plus richeet complexe et sont associés à des contenus symboliques et à desorientations psychologiques et culturelles. La sexualité est en rapport avecla connaissance de soi-même et la manière de se situer dans ce mondecomme homme ou femme. Elle inclut les attitudes personnelles devant sonpropre corps et celui des autres, et les caractéristiques qui constituentcomme masculin ou féminin dans un certain contexte culturel, ainsi quel’orientation affective vers le même sexe et le sexe opposé.

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La personne qui choisit la vie de chasteté met l’accent, surtout, surla recherche et le développement des façons d’aimer, non sur l’activitésexuelle ou son absence. Vivre un célibat exempt d’amour est contradictoire,comme il est contradictoire de prétendre que la relation sexuelle et lachasteté soient compatibles.1

La seconde caractéristique de la chasteté est que le choix de cettevie doit correspondre à un appel que chacun ou chacune ressent dans savie, ainsi qu’un appel à l’apostolat. Peut-être peut-on comprendre mieuxceci en nous demandant: est-ce que je pourrai vivre ce choix de la chastetétout le reste de ma vie? Pensons un moment à la paix que ressent unhomme ou une femme qui a fait un bon choix de couple. Beaucoupd’hommes et de femmes qui ont choisi le célibat font cette même expérience,et ils ne se voient pas vivre un autre type de vie, parce qu’ils auraientl’impression d’être dans la peau d’une autre personne.

Une troisième caractéristique des personnes qui vivent leur sexualitédans le célibat c’est leur choix de ne pas se marier. C’est une attitude quiparait aujourd’hui dépassée plus qu’hier. Notre société contemporainerenforce l’idée de vie en couple. Si vous n’êtes pas sûrs de cela, observezce qui se passe quand des jeunes se sont fiancés de manière formelle. Àpartir de ce moment, les gens de leur entourage cessent de les voir commeindividus séparés et commencent à penser à eux comme un couple. Dansune société que valorise et renforce la vie en couple, ceux qui ont optépour le célibat on les perçoit, d’une certaine manière, comme différents dureste des mortels.

Mais la quatrième dimension qui marque la vie de chasteté, c’estcelle de la vie spirituelle, elle est, sans aucun doute, la plus importante detoutes. Par conséquent, dans cet article nous allons nous consacrer àréfléchir sur la vie spirituelle et à son rôle essentiel pour le célibat. D’aborddeux choses doivent êtres claires: la chasteté, pour être bien vécue, doitêtre profondément enracinée dans la vie spirituelle. Et ensuite, si la foi et la

__________1. SEÁN D. SAMMON, An Undivided Heart: making sense of celibate

chastity (Staten Island, NY: House blanche, 1993). Publié en espagnol: Un corazónindiviso –El sentido del celibato (Publicaciones claretianas, Madrid 2003).

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relation avec Dieu ne sont pas au centre de ma vie de chasteté, celle-cifinira pour n’avoir plus de sens pour moi, ou pour quiconque se trouvedans la même situation.

LA VIE SPIRITUELLE

En supposant que nous sommes d’accord sur le fait que la viespirituelle est le fondement de toute vie de chasteté, avant d’aller plus loinil faut se mettre d’accord sur la signification de ce terme, en essayant decomprendre les multiples éléments qu’il contient. Le théologien RonaldRolheiser nous donne une nouvelle vision de la vie spirituelle quand il affirmeque celle-ci a plus à voir avec le feu inextinguible qui brûle en chacun denous, qu’avec les pratiques de piété. Selon lui, le développement de la viespirituelle est, avant tout, un processus à partir duquel nous réglons demanière positive l’énergie intérieure, nous l’appelons: passion, qui coule àtravers nous.2 Et qu’est-ce qui peut nous donner le courage d’entreprendrecette tâche? L’expérience réelle que la faim et la soif de Dieu que nousressentons sont plus forts que notre égoïsme et notre désir de posséder.3

Souvent nous pensons que nous portons en nous une passion assezforte pour deux ou trois vies que nous aurions. Et nous n’hésitons pas àadmettre que cette force conductrice, qui est sous-jacente dans laprofondeur de notre expérience humaine, c’est la source de l’amour, lacréativité et l’espoir que nous offrons à la vie. Mais la passion a plus d’uneface. Le plus souvent, elle apparaît sous forme d’inquiétude ou d’un désirirrépréhensible, et nous la définissons comme faim, feu inextinguible, ounature indomptable. Cette face de la passion nous laisse soucieux, insatisfaitset frustrés. Et, au milieu de toute cette inquiétude, qu’est précisément lavie spirituelle? Elle est ce que nous faisons avec un cœur passionné.

__________2. Cette partie sur la vie spirituelle et celles qui la suivent doivent beaucoup

au livre de Ronald Rolheiser, The Holy Longing: the seamh for a Christianspirituality (ÍewÕïrk, ÍY: Doubleday, 1999), pp 3-19.

3. TIMOTHY RADCLIFFE, Sing à New Song.: the Christian vocation(Dublin: Domínícan Publications, 1999), p.28.

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UNE NOUVELLE VISION DE LA VIE SPIRITUELLE

Sûrement cette vision de la vie spirituelle n’est pas celle qui nous aété enseignée, à la plupart d’entre nous, quand nous étions jeunes, et mêmeà l’âge adulte, et bien sûr qu’elle n’était pas dans les programmes deformation de nos séminaires. Nous avons fait un faux départ, puisqu’onnous faisait croire que, pour être agréables aux yeux de Dieu, nous devionsmonter avec effort sur l’échelle raide des vertus. Mais toute relation avecJésus vient toujours à son initiative, et non à la nôtre. Les saints et lesmystiques de l’histoire de l’Église ont fini par accepter le grand amour queJésus a pour chacun de nous, personnellement. Thérèse d’Avila, parexemple, disait souvent que, quand lui manquaient les mots dans l’oraison,elle restait un long temps dans la chapelle, en présence du Saint Sacrement,de sorte que le Seigneur puisse la regarder avec amour. Au contraire, ànous il nous semble qu’il nous coûte plus qu’à elle de croire que Dieu nousaime de cette manière inconditionnelle.

Par conséquent, nous devons nous ouvrir à l’évidence que le désiret l’aspiration, que nous appelons passion, jouent un rôle primordial dansnotre vie spirituelle. Mais le pouvoir de la passion est ambitieux et vaste. Ilapparaît aussi dans d’autres domaines de notre vie où il y a un va et vientd’émotions fortes. Par exemple, dès que nous éprouvons ennui ou rage, lapassion est là. La même chose se passe à des moments de tristesse profondeou de joie exaltante. En quoi cela est-il étrange que nous disions que lapassion occupe une place significative dans notre vie sexuelle? Et plusencore d’affirmer que la vie spirituelle et la sexualité sont étroitement liées.Rolheiser va encore plus loin et insiste sur le fait que la sexualité, le pluspuissant et dangereux des feux qui brûlent dans notre intérieur, est à labase de toute vie que nous pouvons appeler spirituelle.

DÉFINIR LA SEXUALITÉ

Mais, une fois de plus, à quoi nous référons-nous quand nous parlonsde sexualité? Comme nous l’avons dit plus haut, sûrement à quelque chose

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de plus que la relation sexuelle. La racine latine «secare» signifie couperou séparer de l’ensemble. N’est-ce pas là notre expérience personnelle?Depuis que nous sommes enfants nous nous sentons incomplets et seuls,et nous aspirons à un certain lien d’union. Déjà avant l’éveil sexuel quivient généralement avec la puberté, nous nous rapprochons des autres à larecherche d’amitié.

Comme il en est de la vie spirituelle, la sexualité présente aussi plusd’une face. De même qu’elle nous donne de l’enthousiasme pour vivre etmet une touche romantique dans une relation, cette même énergie peutnous amener à une conduite autodestructrice qui nous rend moins humains.Aux moments où nous perdons l’équilibre intérieur, la sexualité contribueà faire perdre le contrôle des choses.

Y a-t-il un moyen pour canaliser notre aspiration et notre désir sexuelde manière créative, un moyen qui peut nous éloigner de la conduiteautodestructrice et nous porter à l’union avec Dieu et avec les autres? Il yen a plusieurs: une discipline personnelle, une juste valorisation de soi-même, la capacité d’affronter la solitude et sens de l’humour. Ces élémentssont essentiels pour mener une vie de chasteté fructueuse.

Depuis des siècles, les maîtres spirituels ont recommandé ces mêmesoutils aux hommes et aux femmes intéressés sérieusement à leur croissancespirituelle. Et c’est logique qu’il en soit ainsi. Au bout du compte, notredegré d’intégration du corps, de l’esprit et de l’âme dépend en grandemesure de la discipline et des habitudes que nous avons acquises pouravancer dans notre vie. La qualité de notre relation à Dieu, aux autres, aumonde et à nous-mêmes dépend de ces choix.

Alors, quel défi nous fait relever sexualité et vie spirituelle? Celui-ci:nous familiariser avec la passion qui est en nous, et accepter le fait quenous sommes incomplets. Bien qu’une certaine culture ambiante nous fassepenser le contraire, nous ne pouvons pas avoir tout. C’est pour cela, quenous devons apprendre à vivre dans une certaine tension notre vie spirituelleet notre vie sexuelle. Il avait raison saint Augustin quand il disait que dansce monde nous ne pouvons pas répondre de manière satisfaisante à cedilemme fondamental de la foi: où, et en qui poser notre cœur? Notre âmeest sans repos tant qu’elle ne repose en Dieu.

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VIE SPIRITUELLE ET CHASTETÉ

Si la sexualité se trouve au fond de notre vie spirituelle, de même lavie spirituelle est au cœur d’une authentique vie de chasteté.4 Comme jel’ai expliqué plus haut, si nous ne trouvons pas la façon d’assumer l’identitépropre d’une personne spirituelle nous nous sentirons toujours mal à l’aisedans notre célibat. Pour être à l’aise avec notre choix de la chasteté, avanttout nous devons nous demander ce que signifie être une personnespirituelle, et ce qu’il faut pour y parvenir. D’entrée, nous devons accepterle fait que Jésus est la réponse à la grande question qui hante toute viehumaine.5 Par conséquent, ma relation avec Lui doit constituer le centrede ma vie. Et cela, concrètement, signifie que je dois réserver du tempspour cultiver cette relation, et laisser Jésus se montrer tel qu’il est. Larelation saine favorise la liberté des intéressés. Ma relation avec Jésus doitêtre semblable.

Thomas Green, jésuite, utilise l’image d’un puits pour expliquer cedernier point.6 Il compare la grâce apaisante qui monte de notre relationavec Jésus à l’eau qui sourd dans un puits.

Dans les débuts de cette relation, nous sommes jeunes et forts etnous pouvons facilement sortir de l’eau du puits avec nos mains. Nousavons à notre disposition autant de grâce de Dieu que nous voulons. Mais,de fait, c’est nous qui commandons, pas Jésus.

Au fil du temps, le niveau de l’eau dans le puits commence à baisser.Mais nous sommes encore assez vigoureux pour continuer à jeter le seauà l’intérieur et en faire sortir toute la consolation de Dieu que noussouhaitons. Mais nous continuons à contrôler la situation. Nous laissonsJésus à une certaine distance. Finalement, le puits qui autrefois débordait__________

4. SEAN SAMM0N, It’s Morning in America: making sense of contempo-rary US Religious life (dans preparaciün).

5. GEORGE WEIGEL, «Étoiles spirituelles du millénaire: 51», The Tablet,23-30 décembre 2000, ñ.1781.

6. THOMAS GREEN, Drinking from à Dry Well (Notre Dame, OiseauMaria Press, 1991).

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finit par se tarir. Désormais, nous ne sommes plus ni jeunes ni forts. Nousmanque l’autosuffisance des premiers temps. Alors nous nous demandons:Qu’est-ce que je fais maintenant pour obtenir la grâce apaisante de Dieu?Une réponse honnête est celle-ci: rien, assieds-toi et attends qu’il pleuve.

Quand nous arriverons à ce point dans notre vie spirituelle, commey sont sûrement arrivés nos fondateurs, nous sommes dans les meilleuresconditions de permettre à Jésus d’être notre compagnon dans une relationd’égalité. Nous le laissons libre pour nous aimer à sa convenance. Etcomment savons-nous que nous nous avançons dans cette direction?Quand, comme Thérèse de Jésus, nous aspirons seulement à une simpleet silencieuse présence devant Dieu. Rien plus, rien de moins.

La seconde caractéristique d’une personne spirituelle découle de lapremière: nous acceptons le fait que Jésus nous aime d’une façon spécialeet unique. Dès le commencement des temps, Dieu nous a précédés danscette relation, Jésus étant l’exemple le plus probant de cette initiative.Chacune des amitiés que nous avons se développe de manière différenteet unique. De même pour Jésus. Notre relation personnelle avec Lui et samanière de se développer sont une expérience unique, il n’existe pas deduplicata. La vie spirituelle de chacun se mesure à cette réalité.

Au long de notre vie nous sont recommandées, pour avancer dansla vie spirituelle, formules et plans d’action qui garantissent le succès, maisqui, il est triste de le dire, ne permettent pas d’intégrer cette relationindividuelle que nous avons avec Jésus. Au lieu de contribuer à renforcercette relation, ils la dérangent.

RÉVEIL

Pour être une personne spirituelle, en troisième lieu, il est nécessaireque nous soyons ouverts aux moments de réveil spirituel qui apparaissenttout au long de la vie, en étant attentifs aux inquiétudes et aux désirs quinous viennent alors. Durant les années de l’adolescence, nous assistons àun éveil sexuel, caractérisé par la véhémence, le désir sexuel et desimpulsions profondes.

Les moments de réveil spirituel sont semblables. Notre vie spirituelle

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est stimulée et naît une aspiration vers Dieu. Ceci peut arriver d’une manièresoudaine, comme cela se passe dans les expériences de conversion, maisle plus habituellement cela arrive progressivement. Quand cela arrive, nousnous rendons compte que, avec le temps, notre désir de Dieu commenceà grandir. Finalement, comme personnes spirituelles nous devons accepterque l’amour de Dieu nous soit accordé gratuitement, sans condition. Iln’est pas nécessaire d’accumuler des mérites pour l’atteindre. Nouspouvons dire «oui « ou «non « à cette invitation d’amour, mais l’idée dedevoir la gagner est hors de propos. À beaucoup de gens il en coûted’admettre cela. Pourquoi? En partie, parce que nous sommes pleins deconfusion devant cet amour illimité de Dieu.

DÉVELOPPEMENT SPIRITUEL

S’engager avec le Seigneur dans les termes qu’il veut a un coût. Aubout du compte, ce qu’il nous demande est que nous le suivions, pas quenous l’admirions, cela signifie embrasser le mystère pascal. Si nouscherchons notre transformation, nous devons d’abord apprendre à accepterla souffrance et la mort.

Comment se développe la relation avec Jésus, et de quoi avons-nous besoin pour l’entretenir? Pour commencer disons que, au long dessiècles, les auteurs spirituels ont insisté sur le fait que les temps personnelsd’oraison ont un rôle essentiel dans la rencontre avec le Seigneur. Et pourresserrer le lien avec Lui, nos temps de prière personnelle doivent êtreaugmentés de manière naturelle, jusqu’à ce qu’ils deviennent réguliers etprolongés. Que signifie précisément ceci «réguliers et prolongés»? L’idéal,une heure quotidienne.

Nous jouissons de la compagnie de Jésus vingt-quatre heures parjour, sept jours de la semaine. Si nous sommes honnêtes dans notre relationavec Lui, nous souhaiterons lui rendre la pareille en le faisant jouir de notrecompagnie au moins pendant une heure par jour. Les personnes qui prennentleur vie spirituelle au sérieux manifestent toujours cette délicatessequotidienne, avec la cohérence d’une intégrité morale.

Il est possible que, prêtres diocésains ou membres de congrégations

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apostoliques, nous soyons un peu réticents pour accepter l’idée de trouverune heure entière pour la prière personnelle dans une journée déjà bienoccupée. Nous nous défendons en faisons valoir que ce sont plutôt lesreligieux et religieuses de vie contemplative qui peuvent relever ce défi detrouver «un long temps» de prière personnelle chaque jour. Jésus saitcomment je suis chargé avec ma vie apostolique active, et le comprendra.Il y a tant de travail à faire, qu’il n’existe pas assez d’heures dans la journéepour mener à bien toutes les tâches.

L’agitation qui marque aujourd’hui la vie de beaucoup de religieuxet de prêtres tire sur le pathologique, elle est, dans certains cas, est unesérieuse menace pour la vie intérieure. Pourquoi? Parce qu’au fond de cetype de déséquilibre il y a trois éléments qui font obstacle au chemin del’esprit, à savoir le narcissisme, le pragmatisme et l’activisme débordant.7

Les personnes narcissistes se préoccupent excessivement d’elles-mêmes. Dans toute vie spirituelle il y a le risque de la mener comme uneaffaire exagérément privée, quelque chose comme un culte «autoindulgent», «Jésus et moi», mais le narcissisme des personnes excessivementoccupées est à l’origine du problème contraire, c’est-à-dire, d’un manqued’intériorité suffisante pour maintenir un degré significatif d’intimité avec leSeigneur.

Le pragmatisme est le second ennemi de la vie intérieure. Lespragmatiques sont hautement préoccupés par l’efficacité, ils sont centréspresque exclusivement sur le travail, la réalisation et les questionséminemment pratiques de la vie.

L’activisme débordant est l’autre ennemi de notre vie spirituelle.Ceux qui souffrent de cette maladie cherchent une expérience après uneautre avec voracité. Neil Postman appelle cet état de choses «s’occuper àen mourir».8 Malheureusement, l’occupation sans frein introduit dans nosvies un niveau de distraction qui interfère avec notre capacité de développerle nécessaire esprit de solitude, l’hospitalité et prière authentique.

__________7. ROLHEISER, The Holy Longing, Ñ.32.8. NEIL POSTMAN, Amusing Ourselves to Death: public discourse in the

age of show business (New York: Penguin Books, 1985).

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JOIE

Au contraire, dans ceux qui prient avec régularité se manifestent lesfruits et les dons de l’Esprit Saint. Les fruits sont la charité, la joie, lapatience, la mansuétude, la foi et le respect de soi-même et des autres. Etles dons sont la sagesse, l’intelligence, le conseil, la science, la piété, laforce et la crainte du Dieu. En considérant nos propres vies aujourd’hui,nous ferons bien de nous demander: les fruits et les dons de l’Esprit sont-ils présents en moi? Est-ce qu’ils nous manquent? S’ils nous manquent,nous devrons sérieusement nous examiner sur la relation que nous avonsavec Jésus. Et, ce qui est plus important, nous devons décider quels aspectsde nos vies doivent changer pour nous mettre en accord avec notreengagement public.

Notre vie chrétienne consiste, essentiellement, à développer unerelation avec Jésus. Cette relation est le remède à notre indécision. Etc’est aussi le fondement sur lequel nous devons construire notre vie dechasteté.

AUTRES AIDES

En plus d’accueillir dans le cœur le mystère pascal, et avec les appuisparallèles de la prière personnelle et d’une moralité intègre et cohérente,quelles autres pratiques indiquait Jésus pour avoir une vie spirituelle saine?Trois me viennent à l’esprit: la passion pour la justice, l’esprit de recon-naissance et un engagement concret au sein d’une communauté de foi.

En quoi est-il étrange que l’engagement au service de la justice pourles plus pauvres soit un élément fondamental de la vie spirituelle? Jésusnous a dit qu’il y a deux commandements principaux: aimer Dieu et aimerle prochain. Et plus tard, dans son enseignement, il a ajouté que nousserons jugés sur notre attitude envers les pauvres: elle sera la mesure précisede notre attitude envers le Seigneur.

Avoir un cœur reconnaissant est autre élément important de la viespirituelle. Nous pouvons affirmer qu’être saint c’est être imprégné de

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gratitude. Ce qui nous amène à penser que seulement les personnesreconnaissantes seront capables de transformer ce monde spirituellement.La parabole du fils prodigue nous aide à comprendre cela. Les deux fils setrouvent «éloignés de la maison paternelle», l’un en raison de son infidélitéet de sa faiblesse, l’autre, miné par la colère et l’amertume. Selon lescoutumes de l’époque, le fils avait le droit de demander son héritage, encoredu vivant de son père. Le père devait recevoir, en échange, les intérêtsproduits par la part transférée au fils. Dans ce cas, quand le plus jeune apris son dû pour le gaspiller dans des terres lointaines, il privait son pèredes intérêts à recevoir. Ce fils a péché, pas pour avoir mené une mauvaisevie dans un pays étranger, mais parce que son attitude laissait entrevoir quipréférait que son père soit mort.9

COMPASION ET SEXUALITÉ

Le frère aîné n’était pas non plus «du bon blé». Il agissaitcorrectement, mais pour des raisons sombres. Pas de joie, pas de fêtedans son cœur. Jésus nous demande de n’imiter aucun des deux frères. Ilnous encourage à suivre l’exemple du père, un homme plein de gratitudeet ouvert à la compassion. L’histoire du fils prodigue nous rappelle aussique la compassion apparaît fréquemment comme un signe de sexualitébien intégrée. Pourquoi? Parce que la fin sociale de la solitude, situationnécessaire à la vie de chasteté, est la compassion. Et son objectif spirituel,la contemplation.

Finalement, il faut considérer la vie spirituelle au plan personnelcomme aussi au plan communautaire. Dieu ne nous appelle pas seulementindividuellement, mais aussi comme groupe.10 A certains cela posebeaucoup de difficultés. Nous aimons Dieu, mais nous n’aimons pas lesinstitutions comme l’Église. Sa dimension humaine et son péché nous font

__________9. HENRY J.M. NOUWEN, The Return of the Prodigal Son: a story of

homecoming (Londres: Darton, Longman and Todd, 1992), pp 34 et suiv.10. PATRICIA WITTBERG, The Rise and Fall of Catholic Religious Orders

(New York: State University Press, 1994), p 128.

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honte. Et, pourtant, notre recherche de Dieu doit avoir une dimensioncommunautaire. Elle ne peut jamais être exclusivement un projet individuel.En acceptant la face humaine de notre Église, nous apprenons à accepternotre propre réalité de manière plus pleine.

CONCLUSION

Nous avons commencé cet article en disant que les hommes et lesfemmes qui ont opté pour le célibat sont des personnes intensémentspirituelles et profondément humaines. Maintenant nous devons nousdemander si cette description est adéquate. Je le dis parce que certainspensent que ceux qui vivent en chasteté sont des êtres naïfs ou un peufous.

Pour dire la vérité, embrasser une vie célibataire comportecertainement un brin de naïveté et de folie. Naïveté, parce que cette optionfait échec aux conventions sociales. Folie, parce que vivre en chastetéconduit inexorablement à un retournement du cœur. Le philosophe jésuiteBernard Lonergan11 le définit comme «tomber dans un amour qui va plusloin que ce monde, un don de soi par amour total et permanent, sansconditions, nuances ni réserves».

Et qui d’entre nous est disposé à se laisser convertir de cette façon?Le voici le véritable défi du célibat. Même si on nous trouve naïfs et fousquand nous choisissons de vivre notre sexualité dans la chasteté, nousnous engageons à la vivre avec passion, à nous sentir profondément spirituelset sexués à la fois. En d’autres mots, nous redécouvrons le feu intérieur,l’amour total pour Jésus, qui a couvé sous la cendre au fond de nous. Enfaisant cette redécouverte, nous nous sentons plus en harmonie avec nous-mêmes et avec le Seigneur, et nous connaissons et acceptons beaucoupmieux les rythmes que le Seigneur nous indique. Utiliser ces termes:«intensément spirituel et profondément humain», c’est la seule façon valabled’exprimer ce choix. (Seán Sammon, FMS).

__________11. BERNARD LONERGAN, Method in Theology (Londres: Herder and

Herder, 1972), pp 240y suiv.

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Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée

LA VIE FRATERNELLE EN COMMUNAUTÉ(Sélection de quelques paragraphes)

LA COMMUNAUTE RELIGIEUSE, LIEU OU L’ON DEVIENTFRERES ET SOEURS

11. Le don de la communion suscite le devoir de construire lafraternité, de devenir frères et sœurs dans une communauté dont lesmembres sont appelés à vivre ensemble. De l’acceptation émerveillée etpleine de reconnaissance de la communion divine participée par de pauvrescréatures, naît la conviction du nécessaire engagement a la rendre toujoursmieux visible par la construction d’une communauté «pleine de joie et del’Esprit Saint» (Ac 13,52).

En notre temps et pour notre temps il est nécessaire de reprendrecette œuvre «divino-humaine» de l’édification de communautés de frèreset de sœurs, en tenant compte des conditions particulières de ces dernièresannées, au cours des quelles le renouveau théologique, canonique, socialet structurel a fortement marqué la physionomie et la vie de la communautéreligieuse.

A partir de quelques situations concrètes, nous voudrions offrir desindications utiles pour soutenir l’effort de constant renouvellementévangélique des communautés.

Spiritualité et prière commune12. Etant donné son enracinement mystique, toute communauté

chrétienne authentique apparaît «en elle-même comme une réalitéthéologale, objet de contemplation». La communauté religieuse est avanttout un mystère qui doit être contemplé et accueilli dans l’admiration etl’action de grâce, dans une claire dimension de la foi.

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Quand on oublie cette dimension mystique et théologale, liée aumystère de la communion divine présente et communiquée à la communauté,on en vient irrémédiablement à oublier aussi les raisons profondes de vivreen communauté, de construire patiemment la vie fraternelle. Cetteconstruction peut paraître dépasser les forces humaines et sembler de plusun inutile gaspillage d’énergie, en particulier pour des personnes intensémentengagées dans l’action, et conditionnées par une culture activiste etindividualiste.

Le Christ lui-même qui les a appelés convoque chaque jour sesfrères et ses sœurs pour leur parler, les unir à lui et les unir dans l’Eucharistie,pour qu’ils soient toujours plus son Corps vivant et visible, animé parl’Esprit, en chemin vers le Père.

La prière en commun, qui a toujours été à la base de toute viecommunautaire, part de la contemplation du grand et sublime Mystère deDieu et de l’admiration pour sa présence, à l’œuvre dans les moments lesplus significatifs des familles religieuses comme dans l’humble et quotidienneréalité de nos communautés.

13. Afin de répondre à l’avertissement du Seigneur: «Veillez et priez»(Lc 21,36), la communauté religieuse doit être vigilante et prendre le tempsnécessaire pour avoir soin de la qualité de sa vie. Parfois la journée desreligieux et religieuses n’ont pas le temps, risque d’être trop inquiète etanxieuse et d’aboutir à la fatigue et à l’épuisement. En fait, la communautéreligieuse est rythmée par un horaire permettant de réserver des momentspour la prière, et d’apprendre ainsi à donner du temps à Dieu (vacareDeo).

La prière doit être comprise comme un temps de rencontrer avec leSeigneur, pour qu’il puisse agir en nous et, au milieu des distractions et desfatigues, combler la vie, la réconforter, la guider. Pour que, finalement,toute l’existence puisse lui appartenir.

14. Une des acquisitions les plus précieuses de ces décennies,reconnue et apprécié par tous, a été la redécouverte de la prière liturgiquepar les familles religieuses.

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La célébration en commun de la Liturgie des Heures, ou au moinsde certaines de ses parties, a revitalisé la prière de nombreuses commu-nautés, qui ont été amenées à un contact plus vivant avec la Parole vivantede Dieu et avec la prière de l’Eglise.(29)

Il faut entretenir la conviction que la communauté se construit à par-tir de la Liturgie et surtout de la célébration de l’Eucharistie(30) et des autresSacrements. Le Sacrement de la Réconciliation, par lequel le Seigneurravive l’union avec lui-même et avec les frères, mérite qu’on lui prête uneattention renouvelée.

A l’imitation de la première communauté de Jérusalem (cf. Ac 2,42),la Parole, l’Eucharistie, la prière en commun, l’assiduité et la fidélité àl’enseignement des Apôtres et de leurs successeurs, mettent au contactdes grandes œuvres de Dieu. Celles-ci célébré communautairements’éclairent et suscitent la louange, l’action de grâces, la joie, l’union descœurs, le soutien dans les difficultés quotidiennes de la vie commune, l’affer-missement mutuelle dans la foi.

Malheureusement la diminution du nombre des prêtres peut rendreici ou là impossible la participation quotidienne à la Messe. Malgré tout, ilfaut avoir soin de chercher à comprendre toujours plus profondément legrand don de l’Eucharistie et de mettre au centre de la vie le Saint Mystèredu Corps et du Sang du Seigneur, vivant et présent dans la communautépour la soutenir et l’animer sur son chemin vers le Père. De là découle lanécessité d’avoir dans chaque maison religieuse, comme centre de lacommunauté, un oratoire(31) où il lui soit possible d’alimenter sa spiritualitéeucharistique par la prière et l’adoration.

C’est en effet autour de l’Eucharistie, célébrée ou adorée, «sommetet source» de toute l’activité de l’Eglise, que se construit la communiondes cœurs, prémices de toute croissance dans la fraternité. «C’est parl’Eucharistie que doit commencer toute éducation de l’esprit commu-nautaire».(32)

__________(29). Cfr can. 663 § 3; et 6O8.(30). Cfr PO 6; PC 6.(31). Cfr can. 608.(32). Cfr PO 6.

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15. La prière en commun atteint toute son efficacité quand elle estintimement unie à la prière personnelle. Prière commune et prièrepersonnelle sont étroitement liées et complémentaires. Partout, mais spé-cialement dans certaines régions et cultures, il est nécessaire de soulignerdavantage le temps de l’intériorité, de la relation filiale avec le Père, dudialogue intime et sponsal avec le Christ, de l’approfondissement personnelde ce qui a été célébré et vécu dans la prière communautaire; il faut rappelerque le silence intérieur et extérieur permet d’ouvrir le cœur jusqu’en sesprofondeurs les plus secrètes à l’action régénératrice de la Parole et de l’Esprit.

La personne consacrée en communauté nourrit sa vie de consécrationet par le constant dialogue personnel avec Dieu, et par la louange etl’intercession communautaire.

16. La prière en commun s’est enrichie ces dernières années dediverses formes d’expression et de participation.

Pour de nombreuses communautés, le partage de la Lectio divina etcelui des réflexions sur la Parole de Dieu, la communication des expériencespersonnelles dans la vie de foi et celle des soucis apostoliques ont étéparticulièrement fructueux. Les différences d’âge, de formation, decaractère, invitent à la prudence, s’il s’agit de demander ces partagesindistinctement à toute la communauté. Il est bon de veiller à ne pas anticiperle moment où ils seront possibles.

Pratiqués spontanément et d’un commun accord, ils entretiennentles vues de foi et d’espérance, l’estime et la confiance mutuelle, ils favorisentla réconciliation et la solidarité fraternelle dans un climat de prière.

17. A la prière communautaire s’applique tout autant qu’à la prièrepersonnelle l’invitation du Seigneur à «prier constamment sans se lasser»(Lc18,1; cf. 1 Th 5,17).

La communauté religieuse, en effet, vit constamment sous le regardde son Seigneur et doit avoir une conscience continuelle de sa présence.La prière en commun a toutefois ses rythmes dont la fréquence (quotidienne,hebdomadaire, mensuelle, annuelle) est fixée par le droit propre de chaqueInstitut.

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La prière en commun, si elle demande la fidélité à un horaire, requiertaussi et surtout la persévérance: «afin que, par la persévérance et laconsolation que nous donnent les Ecritures, nous gardions une viveespérance (...), afin que d’un même cœur et d’une même voix vous rendiezgloire à Dieu, Père de Notre Seigneur Jésus Christ» (Rm 15, 4-6).

Cette fidélité et cette persévérance aideront à surmonter aveccréativité et sagesse des difficultés, que rencontrent un certain nombre decommunautés, comme la diversité des engagements et donc des horaires,la surcharge de travaux absorbants, les fatigues de toutes sortes.

18. L’invocation de la Bienheureuse Vierge Marie, inspirée par unamour qui conduit à l’imiter, fait que la communauté religieuse reçoit de saprésence exemplaire et maternelle d’un grand soutien dans la fidélitéquotidienne à la prière (cf. Ac. 1,14), et en fort lien de communion.(33)

La Mère du Seigneur contribuera à configurer les communautésreligieuses au modèle de «sa» famille, la Famille de Nazareth; elles serentrent souvent spirituellement en ce lieu où a été vécu d’une manièreadmirable l’Evangile de la communion et de la fraternité.

19. L’élan apostolique, lui aussi, est soutenu et alimenté par la prièrecommune. D’une part elle est une force mystérieuse et transformant quiembrasse toutes les réalités pour racheter et ordonner le monde. D’autrepart, elle trouve son stimulant dans le ministère apostolique, dans ses joieset dans les difficultés quotidiennes. Celles-ci deviennent occasion derechercher et découvrir la présence et l’action du Seigneur.

20. Les communautés religieuses les plus apostoliques et qui viventle plus intensément l’Evangile, qu’elles soient contemplatives ou actives,sont celles qui ont une riche expérience de prière.

A une époque comme la nôtre où l’on assiste à un certain réveil dela recherche du transcendant, les communautés religieuses peuvent deve-nir des lieux privilégiés où l’on expérimente les voies qui conduisent à Dieu.__________

(33). Cfr Can. 663 § 4.

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«Comme famille unie au nom du Seigneur, (la communauté religieuse)est, par sa nature, le lieu où l’expérience de Dieu doit pouvoir se réaliserdans sa plénitude et se communiquer aux autres»:(34) et tout d’abord, auxmembres mêmes de la communauté.

Les personnes consacrées à Dieu, hommes et femmes, manqueront-elles ce rendez-vous avec l’histoire en ne répondant pas à la quête deDieu de nos contemporains, au risque de les amener à chercher ailleurs,par des voies erronées, comment rassasier leur faim d’absolu?

Liberté personnelle et construction de la fraternité21. «Portez les fardeaux les uns des autres et accomplissez ainsi la

Loi du Christ» (Ga 6,2).Dans toute la dynamique communautaire, le Christ en son mystère

pascal demeure le modèle suivant lequel se construit l’unité. Lecommandement de l’amour mutuel, en effet, a en Lui sa source, son modèleet sa mesure: nous devons nous aimer comme Lui-même nous a aimés. EtLui nous a aimés jusqu’à donner sa vie. Notre vie est participation à lacharité du Christ, à son amour pour le Père et pour les frères, un amouroublieux de soi.

Mais cela n’est pas selon la nature du «vieil homme», qui désirecertes la communion et l’unité, mais n’entend pas en payer le prix en ter-mes d’engagement et de don de soi. Le chemin de conversion, du vieilhomme qui tend à se fermer sur soi, à l’homme nouveau qui se donne auxautres, est long et pénible. Les saints fondateurs ont insisté avec réalismesur les difficultés et les embûches de ce passage, sachant bien que la vie decommunauté ne s’improvise pas, que sa réalisation n’est ni spontanée, niimmédiate.

Pour vivre en frères et en sœurs, il faut parcourir un vrai chemin delibération intérieure. Comme Israël, libéré de l’Egypte, est devenu Peuplede Dieu après avoir longtemps cheminé dans le désert sous la conduite deMoïse, ainsi la communauté, insérée dans l’Eglise peuple de Dieu, estconstruite par des personnes que le Christ a libérées et rendues capables__________

(34). DC 15.

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d’aimer à sa manière, à travers le don de son Amour libérateur et l’accep-tation cordiale de ses envoyés.

L’amour du Christ diffusé dans les cœurs pousse à aimer les frèreset les sœurs jusqu’à assumer leurs faiblesses, leurs problèmes, leursdifficultés; en un mot jusqu’à se livrer soi-même.

22. Le Christ donne à la personne deux certitudes fondamentales:celle d’avoir été infiniment aimée et celle de pouvoir aimer sans limites. Iln’y a que la croix du Christ qui puisse donner d’une façon pleine et définitiveces certitudes et la liberté qui en découle. Grâce à elles, la personneconsacrée se libère progressivement du besoin de se mettre au centre detout et de posséder l’autre, et de la peur de se donner. Elle apprend àaimer comme le Christ l’a aimée, à aimer de cet amour répandu dans soncœur, la rend capable de s’oublier et de se donner comme l’a fait sonSeigneur.

C’est de cet amour que naît la communauté comme un ensemble depersonnes libres, libérées par la croix du Christ.

23. Ce chemin de libération qui conduit à la pleine communion et àla liberté des enfants de Dieu demande le courage du renoncement à soipour accepter et accueillir l’autre avec ses limites, à commencer par lapersonne en service d’autorité.

Comme on l’a noté de plusieurs côtés, il y a eu là un point faible dela période de renouveau de ces dernières années. On a progressé dans laconnaissance de la vie en commun, on en a exploré les différents aspects,mais on s’est moins soucié de l’effort ascétique nécessaire et irremplaçablepour une libération qui permette de faire d’un groupe de personnes unefraternité chrétienne.

La communion est un don offert, mais requiert une réponse, un patientapprentissage et un combat afin de surmonter ce que nos désirs peuventavoir de trop instinctif et changeant. L’idéal communautaire le plus hautcomporte nécessairement la conversion de toute attitude qui ferait obstacleà la communion.

La communauté sans la mystique n’a pas d’âme, mais sans ascèse

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elle n’a pas de corps. Il faut la «synergie» entre le don de Dieu et l’enga-gement personnel pour construire une communion incarnée, pour donnerun visage concret à la grâce et au don de la communion fraternelle.

24. Il faut admettre que ce discours fait problème aujourd’hui auprèsdes jeunes comme auprès des adultes. Souvent les jeunes proviennentd’une culture qui valorise à l’excès la subjectivité et la recherche de laréalisation personnelle; et il arrive que les adultes, ou bien sont encoreancrés en des structures du passé ou bien vivent un certain désenchantementpar rapport à une «assembleuse» qui a engendré verbalisme et incertitude.

S’il est vrai que la communion n’existe pas sans l’oblativité de chacun,il est nécessaire de perdre dès le départ l’illusion que tout doit venir d’autruiet d’aider chacun à découvrir avec reconnaissance ce qu’il a déjà reçu etce qu’il est en train de recevoir des autres. Il est bon de préparer les frèreset les sœurs, dès les débuts, à être constructeurs et pas seulementconsommateurs de la communauté, à être responsables de la croissancede l’autre, ouverts et disponibles pour recevoir le don de l’autre, capablesd’aider et d’être aidés, de remplacer et d’être remplacés.

Une communauté qui vit la fraternité et le partage exerce un attraitnaturel sur les jeunes, mais, par la suite, la persévérance dans les conditionsde la vie concrètes peut leur devenir un pesant fardeau. La formation initialedoit donc les amener à prendre conscience des sacrifices requis par la vieen communauté, à les accepter en vue d’une relation joyeuse et vraimentfraternelle, et à vouloir toutes les attitudes d’une personne intérieurementlibre;(35) car, en perdant sa vie pour ses frères, on la retrouve.

25. Il est nécessaire en outre de rappeler sans cesse que la réalisationdes religieux et religieuses passe par leur communauté. Qui cherche à menerune vie indépendante, détachée de la communauté, n’a certainement paspris le sûr chemin pour tendre à la perfection de son état.

Alors que la société encourage la dépendance, l’autoréalisation etla réussite individuelles, l’Evangile demande des personnes qui, comme le__________

(35). Cfr PI 32-34, 87.

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grain de blé, sachent mourir à elles-mêmes pour que renaisse la viefraternelle.(36)

C’est ainsi que la communauté devient une «Schola Amoris» pourles jeunes et les adultes. Une école où l’on apprend à aimer Dieu, à aimerles frères et les sœurs avec lesquels on vit, à aimer l’humanité qui a besoinde la miséricorde de Dieu et de la solidarité fraternelle.

26. L’idéal communautaire ne doit pas faire oublier que toute réalitéchrétienne s’édifie sur la faiblesse humaine. La communauté idéale et parfaiten’existe pas encore: c’est dans la Jérusalem céleste que se réalisera laparfaite communion des saints.

Notre temps est celui de l’édification et de la construction continue:il est toujours possible de s’améliorer et de s’acheminer ensemble versune communauté de pardon et d’amour. Les communautés ne peuventéviter tous les conflits: l’unité qu’elles doivent construire s’établit au prixde la réconciliation.(37) Aussi ne faut-il pas se décourager devant lesimperfections de la communauté.

Celle-ci en effet reprend tous les jours son chemin, fortifiée parl’enseignement des Apôtres: «aimez-vous les autres d’un amour fraternel,rivalisez d’estime réciproque» (Rm 12,10); «soyez bien d’accord entrevous» (Rm 12,16); «accueillez-vous donc les uns les autres comme leChrist vous a accueillis» (Rm 15,7); «soyez capables de vous avertirmutuellement» (Rm 15,14); «attendez-vous les uns les autres» (1 Co 11,33); «par l’amour, mettez-vous au service les uns des autres» (Ga 5,13);«réconfortez-vous les uns les autres» (1 Th 5,11);»supportez-vous les unsles autres dans l’amour» (Eph, 4, 2); «soyez bons les uns pour les autres,ayez du cœur, pardonnez-vous mutuellement» (Eph 4,32); «vous quicraignez le Christ soumettez-vous les uns aux autres» (Eph 5, 21); «priezles uns pour les autres» (Jc 5,16); «tous, dans vos rapports mutuels, revêtez-vous de l’humilité» (1 Pt 5,5); «soyez en communion les uns avec les autres»(1 Jn, 1,7); «ne nous lassons pas de faire du bien à tous, surtout à nos

__________(36). Cfr LG 46b.(37). Can. 602; PC 15a

__________(37). Can. 602; PC 15a

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frères dans la foi» (Ga, 6,9-1O).

27. Pour favoriser la communion d’esprit et de cœur de ceux quisont appelés à vivre ensemble dans une communauté, il est bon de rappelerla nécessité de cultiver les qualités requises dans toutes les relationshumaines: bonne éducation, gentillesse, sincérité, contrôle de soi,délicatesse, sens de l’humour, esprit de partage.

Les récents documents du Magistère sont riches de suggestions etd’indications utiles à la vie communautaire, telles que la simplicitéheureuse,(38) la franchise et la confiance réciproque,(39) la capacité dedialoguer,(40) l’adhésion sincère à une discipline communautairebénéfique.(41)

28. Il ne faut pas oublier, enfin, que la paix et le plaisir d’être ens-emble demeurent l’un des signes du Royaume de Dieu. La joie de vivre,même au milieu des difficultés du chemin humain et spirituel et au milieudes ennuis quotidiens, fait déjà partie du Royaume. Cette joie est fruit del’Esprit et épouse la simplicité de l’existence, la trame monotone duquotidien. Une fraternité sans joie est une fraternité qui s’éteint. Très vite,les membres seront tentés de chercher ailleurs ce qu’ils ne peuvent trouverchez eux. Une communauté riche de joie est un véritable don du Très-Haut, accordé aux frères et sœurs qui savent le demander, et qui s’acceptentmutuellement en s’engageant dans la vie fraternelle avec confiance enl’action de l’Esprit. Ainsi se réalise le mot du Psaume: «Voyez! Qu’il estbon, qu’il est doux pour des frères d’habiter ensemble... Là, le Seigneuraccorde la bénédiction et la vie à jamais!» (Ps. 133,1-3), car lorsqu’on vitfraternellement ensemble, on se retrouve volontiers en assemblée à l’Eglise:on se sent d’un seul cœur, dans la charité, dans un seul et même vouloir».(42)

__________(38). ET 39.(39). PC 14.(40). Can. 619.(41). ET 39; EE 19.(42). S. Hilaire, Tract. sup. Ps. I, 132; PL Suppl. I, 244.

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Ce témoignage de la joie constitue un très grand don à la vie religieuseune grande force d’attraction, il est une source de nouvelles vocations etun soutien pour la persévérance. Il est très important d’entretenir cettejoie dans la communauté religieuse; le surmenage peut l’éteindre, le zèleexcessif pour certaines causes peut la faire oublier, l’interrogation perpétuellesur l’identité et sur l’avenir peut la ternir.

Savoir faire fête ensemble, s’accorder des moments de détentepersonnels et communautaires, prendre de la distance de temps en tempspar rapport à son travail, partager les joies de ses frères et sœurs, porterune attention empressée a leurs besoins, s’engager avec confiance dans letravail apostolique, affronter avec miséricorde les situations difficiles,marcher vers le lendemain avec l’espérance de rencontrer toujours et detoute façon le Seigneur: tout cela entretient la sérénité, la paix, la joie etdevient source d’énergie apostolique.

La joie est un splendide témoignage du caractère évangélique d’unecommunauté religieuse, le point d’arrivée d’un itinéraire non exempt detribulations, mais devenu possible grâce à la prière: «avec la joie del’espérance, constants dans la tribulation, persévérants dans la prière» (Rm12, 12).

Communiquer pour croître ensemble29. Parmi les facteurs humains qui ont pris de l’importance pour la

vie communautaire dans le renouveau des dernières décennies, lacommunication a été de plus en plus mise en valeur. L’exigence de fairecroître la vie fraternelle de la communauté porte avec soi la requêtecorrespondante d’une communication plus large et plus intense.

Pour devenir frères et sœurs, il est nécessaire de se connaître. Pourse connaître il semble très important de communiquer plus largement etprofondément. Aussi porte-t-on aujourd’hui une plus grande attention auxdivers aspects de la communication, même si on le fait dans une mesure etd’une manière différentes suivant les instituts et les régions du monde.

30. La communication à l’intérieur des instituts s’est beaucoupdéveloppée. Les rencontres régulières au niveau central, régional et pro-

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vincial, sont devenues plus fréquentes; les supérieurs envoient normalementlettres et suggestions, visitent plus souvent les communautés, et l’usage debulletins de nouvelles et de périodiques internes s’est répandu.

Cette communication ample et rapide aux différents niveaux, dansle respect de la physionomie propre de l’institut, crée normalement desrelations plus étroites, alimente l’esprit de famille, fait participer auxévénements de tout l’institut, sensibilise aux problèmes généraux, resserreles personnes consacrées autour de leur commune mission.

31. Une initiative s’est révélée grandement positive pour la viecommunautaire. Elle consiste à tenir régulièrement, souvent selon un rythmehebdomadaire, des rencontres où religieux et religieuses partagent lesproblèmes de la communauté, de l’institut, de l’Eglise et les principauxdocuments publiés par celle-ci. Ce sont des moments tout indiqués pourécouter les autres, leur communiquer ses propres pensées, revoir et évaluerle parcours accompli, réfléchir et programmer ensemble.

La vie fraternelle, en particulier dans les grandes communautés, abesoin de ces moments pour progresser, aussi faut-il les préserver de toutautre engagement. Ces temps de communication importent pour l’exercicede la coresponsabilité et pour situer le travail non seulement dans le contextede la vie communautaire, mais dans celui plus large de la vie religieuse,ecclésiale, et dans celui du monde auquel on est envoyé en mission. C’estun chemin qu’il faut continuer de suivre partout, en adaptant les rythmes etles modalités aux dimensions des communautés et à leurs tâches, et enrespectant le style de vie propre aux communautés contemplatives.

32. Mais ce n’est pas tout. En plusieurs endroits, on perçoit lanécessité d’une communication plus intense entre religieux où religieusesd’une même communauté. La vie fraternelle s’affaiblit ordinairement lorsquela communication est absente ou pauvre: alors chacun ignore ce que vitl’autre, le frère devient un étranger, les relations avec lui sont anonymes; eton en arrive à des situations de véritable isolement et de réelle solitude.Dans quelques communautés, on déplore la médiocrité de la communicationpourtant fondamentale des biens spirituels: on communique sur des thèmesou des problèmes secondaires, marginaux, mais on partage rarement ce

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qui est vital et central dans le chemin d’une personne consacrée.Les conséquences peuvent être malheureuses, parce qu’alors

l’expérience spirituelle acquiert insensiblement un caractère individualiste.On en vient à une mentalité de quant-à-soi, jointe à l’indifférence pourl’autre, tandis que tout doucement on se met à la recherche de relationssignificatives à l’extérieur de la communauté.

Le problème doit être franchement affronté, avec tact et délicatesse,sans aucune pression, mais avec courage et créativité: en cherchera lesformes et les moyens qui puissent permettre à tous d’apprendre peu à peuà partager simplement et fraternellement les dons de l’Esprit, que ceux-cideviennent vraiment le bien de tous et servent à l’édification de tous (cf. ICo 12,7).

La communion naît en vérité du partage des biens de l’Esprit, d’unpartage de la foi et dans la foi où le lien unissant les frères est d’autant plusfort qu’est plus central et plus vital ce que l’on met en commun. Cettecommunication est utile aussi pour apprendre la façon de partager, ce quipermettra ensuite à chacun, dans l’apostolat, de «confesser sa foi» dansun langage clair et simple de sorte que tous puissent la comprendre et lagoûter.

Les formes adoptées pour la communication des dons spirituelspeuvent être diverses. Outre celles qui ont déjà été signalées (partage dela Parole et de l’expérience de Dieu, discernement communautaire, projetcommunautaire),(43) on peut rappeler aussi la correction fraternelle, larévision de vie et d’ autres formes traditionnelles. Ce sont des façonsconcrètes de mettre au service des autres les dons que l’Esprit accordeabondamment et de permettre qu’ils se répandent dans la communautépour l’édification de celle-ci et pour sa mission dans le monde.

Tout cela revêt une plus grande importance a notre époque dansune même communauté, peuvent vivre ensemble des religieux non seulementd’âges différents, mais de races, de formations culturelles et théologiquesdifférentes, des religieux ayant vécu des expériences très diverses en cesannées mouvementées et marquées par le pluralisme.__________

(43). Cfr supra: nn. 14, 16, 28 et 31.

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Sans dialogue et sans écoute, on court le risque de vies juxtaposéesou parallèles, bien éloignées de l’idéal de la fraternité.

33. Toute forme de communication comporte des itinéraires etrencontre des difficultés psychologiques particulières, qui peuvent êtreabordées positivement, y compris avec l’aide des sciences humaines.Certaines communautés ont tiré avantage, par exemple, de l’aide d’expertsen communication et de professionnels dans les domaines de la psychologieet de la sociologie.

Ces moyens d’exception demandent une évaluation prudente etpeuvent être utilisés avec modération pour contribuer à abattre le mur deséparation qui parfois se dresse dans la communauté elle-même.Cependant si les techniques humaines se révèlent utiles, elles ne sont passuffisantes. Tous doivent avoir à cœur le bien de son frère, en cultivant lacapacité évangélique de recevoir d’eux tout ce qu’ils désirent donner etcommuniquer, et qu’ils communiquent par leur existence même.

«Ayez les mêmes sentiments et un même amour. Soyez cordiaux etunanimes. Avec grande humilité, estimez les autres meilleurs que vous-mêmes. Ne recherchez pas chacun vos propres intérêts, mais plutôt quechacun songe à ceux des autres! Ayez entre vous les dispositions que l’ondoit avoir dans le Christ Jésus!» (Ph. 2, 2-5).

C’est dans ce climat que les diverses formes et techniques decommunication compatibles avec la vie religieuse peuvent effectivementfavoriser la croissance de la fraternité.

34. L’impact considérable des mass media sur la vie et la mentalitéde nos contemporains affecte également les communautés religieuses etconditionne souvent leur communication interne.

La communauté consciente de leur influence s’éduque à les utiliserpour la croissance personnelle et communautaire avec la clarté évangéliqueet la liberté intérieure de quiconque a appris à connaître le Christ (cf. Ga4,17-23). Ces media, en effet, proposent et souvent imposent une mentalitéet un modèle de vie qui doivent être continuellement confrontés avecl’Evangile. Aussi réclame-t-on de bien des côtes une formation approfondie

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à la réception et à l’usage critique et fécond des media. Pourquoi ne pasen faire un objet d’évaluation, de vérification, de programmation lors desrencontres communautaires périodiques?

En particulier, quand la télévision devient l’unique forme de récréation,elle entrave ou parfois empêche la relation entre les personnes, elle limitela communication fraternelle et peut même nuire à la vie consacrée.

Un juste équilibre s’impose: l’usage modéré et prudent des moyensde communication,(44) accompagné du discernement communautaire, peutaider la communauté à mieux connaître la complexité du monde de laculture; il peut permettre une réception confrontée et critique; il peut enfinaider à mettre en valeur l’impact de ces moyens de communication en vuedes divers ministères de l’Evangile.

En accord avec le choix de leur état de vie spécifique, caractérisépar une séparation du monde plus marquée, les communautéscontemplatives doivent se sentir davantage engagées à préserver uneambiance de recueillement, en s’en tenant aux normes établies dans leursconstitutions sur l’usage des moyens de communication sociale.

Communauté religieuse et maturation de la personne35. La communauté religieuse, du fait qu’elle est une «Schola

Amoris» qui aide à progresser dans l’amour envers Dieu et les frères,devient aussi un lieu de croissance humaine.

Le parcours est exigeant, car «il comporte la renonciation à desbiens qui méritent indiscutablement l’estime»,(45) mais nous voyons qu’iln’est pas impossible, en observant la foule des saints et des saintes et lesmerveilleuses figures de religieux et religieuses dans la vie attestent que laconsécration au Christ «ne fait nullement obstacle au vrai progrès de lapersonne humaine, mais, au contraire, de par sa nature, lui est du plusgrand profit».(46)

__________(44). Cfr DC 14; PI 13; Can. 666.(45). LG 46.(46). ibídem.

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Le chemin vers la maturité humaine, qui sous-tend une vie derayonnement évangélique, ne connaît pas de limite; il suppose un continuelenrichissement non seulement de valeurs spirituelles, mais encore de valeursd’ordre psychologique, culturel et social.(47)

Les changements considérables survenus dans la culture et dans lesmœurs, plus orientés vers les réalités matérielles que vers les valeursspirituelles, demandent que l’on prête attention à quelques points sur lesquelsles personnes consacrées semblent aujourd’hui particulièrement vulnérables.

36. L’identitéLe processus de maturation se réalise dans l’identification avec

l’appel de Dieu. Une identité incertaine peut pousser, en particulier dansles moments difficiles, à une autoréalisation mal comprise, entraînant unextrême besoin de résultats positifs et de l’approbation des autres, unepeur excessive de l’échec, et la dépression en cas d’insuccès.

L’identité de la personne consacrée dépend avant tout de samaturation spirituelle: c’est l’œuvre de l’Esprit, qui pousse à se conformerau Christ selon la manière particulière donnée «par le charisme des origi-nes, véritable médiation de l’Evangile pour les membres d’un Institut».(48)

L’aide apportée par un guide spirituel, qui connaisse bien et respecte laspiritualité et la mission de l’Institut, s’avère alors très importante pour«discerner l’action de Dieu, accompagner le frère dans les voies du Seigneur,nourrir sa vie par une solide doctrine et la pratique de la prière».(49)

Particulièrement nécessaire dans la formation initiale, cet accompagnementest utile aussi tout au long de la vie pour une «croissance dans le Christ».

La maturation au plan culturel permet aussi d’affronter les défis dela mission, en prenant les moyens nécessaires pour discerner le mouvementde l’évolution et pour élaborer des réponses adéquates. Ainsi l’Evangilesera sans cesse proposé comme alternative aux propositions du mondedont il intègrera les forces positives en les purifiant des ferments du mal.

__________(47). Cfr EE 45.(48). Ibídem.(49). EE 47.

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Dans cette dynamique, la personne consacrée et la communautéreligieuse sont une proposition évangélique et une manifestation de laprésence du Christ au monde.(50)

37. L’affectivitéLa vie fraternelle en commun exige de la part de l’ensemble un bon

équilibre psychologique, conditionne de maturation de la vie affective dechacun. Une composante fondamentale de cette maturation est, commenous l’avons vu, liberté affective, grâce à laquelle le consacré aime savocation, et aime selon sa vocation: liberté et maturation qui permettent debien vivre l’affectivité, à l’intérieur comme à l’extérieur de la communauté.

Aimer sa vocation, percevoir l’appel comme raison de vivre, accueillirla consécration comme une réalité vraie, belle et bonne qui communiquevérité, beauté et bonté à l’existence: tout cela rend la personne solide etautonome, sûre de son identité, affranchie du besoin d’appuis et decompensations, y compris de nature affective, et cela renforce le lien quiunit du consacré avec ceux qui partagent le même appel. Avec eux, avanttout, il se sent appelé à vivre des relations de fraternité et d’amitié.

Aimer sa vocation c’est aimer l’Eglise, aimer son institut, et considérerla communauté comme sa vraie famille.

Aimer selon sa vocation c’est désirer, en toute relation humaine,être signe limpide de l’amour de Dieu; c’est ne pas se faire envahissant oupossessif, mais vouloir le bien de l’autre avec la bienveillance même de Dieu.

Une formation spécifique de l’affectivité est donc nécessaire; elleintégrera l’élément humain et l’élément plus spirituel. A cet égardapparaissent tout à fait opportunes les directives de Potissimum Institutioniconcernant le discernement de «l’équilibre de l’affectivité, particulièrementde l’équilibre sexuel» et de discernement de «la capacité de vivre encommunauté».(51)

Cependant, les difficultés en ce domaine sont souvent la caisse derésonance de problèmes nés ailleurs: une affectivité et une sexualité de

__________(50). Cfr LG 44.(51). PI 43.

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type narcissique ou adolescent, de réaction rigidement réprimées, peuventêtre la conséquence d’expériences négatives antérieures à l’entrée dans lacommunauté, mais aussi de difficultés communautaires ou apostoliques. Ilest important qu’une vie fraternelle riche et chaleureuse permette de porterle fardeau du frère blessé qui a besoin d’être aidé.

Si une certaine maturité, en effet, est une condition nécessaire pourvivre en communauté une vie fraternelle cordiale l’est tout autant pour lacroissance du religieux. En constatant éventuellement une baisse del’autonomie affective d’un frère ou d’une sœur, la communauté devraitréagir en termes d’amour généreux et plein d’humanité, comme celui duSeigneur Jésus et de tant de saints religieux: un amour qui partage lespeurs et les joies, les difficultés et les espoirs, avec la chaleur d’un cœurneuf sachant accueillir la personne telle qu’elle est. Un tel amour empresséet respectueux, non pas possessif mais gratuit, devrait faire sentir tout prochecelui du Seigneur, qui a conduit le Fils de Dieu à proclamer par la croixqu’on ne peut pas douter d’être aimé par l’Amour.

38. Les difficultésVivre avec des personnes qui souffrent, ne se trouvent pas à l’aise

dans la communauté, et sont en conséquence un motif de souffrance pourles frères et troublent la vie communautaire, cela constitue une occasionparticulière de croissance humaine et de maturité chrétienne.

Il faut avant tout chercher d’où vient cette souffrance: d’unedéficience de caractère, de charges ressenties comme trop pesantes, degraves lacunes de la formation, des transformations récentes trop rapides,de formes trop autoritaires de gouvernement, de difficultés spirituelles?

Il peut y avoir aussi des situations dans lesquelles l’autorité doitrappeler que la vie en commun demande parfois des sacrifices et peutdevenir une forme de très grande pénitence (maxima pénitential).

Toutefois il existe des situations et des cas où il est nécessaire derecourir aux sciences humaines, principalement là où les frères ou sœursen question sont incapables de mener la vie communautaire en raison deproblèmes d’immaturité et de fragilité psychologique ou en raison de facteurssurtout pathologiques.

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Le recours à de telles interventions s’est révélé utile non seulementau moment de la thérapie dans des cas de psychopathologie plus ou moinsmanifeste, mais aussi à titre de prévention pour contribuer à une sélectionadéquate des candidats et pour accompagner en certains cas l’équipe desformateurs affrontés à des problèmes spécifiques de pédagogie et deformation.(52)

En tout cas, dans le choix des spécialistes il faut préférer unepersonne croyante connaissant bien la vie religieuse et ses dynamiques, àplus forte raison une personne consacrée.

L’usage de ces moyens, enfin, sera vraiment efficace s’il est modéréet non généralisé, parce qu’ils ne résolvent pas tous les problèmes et donc«ne sauraient se substituer à un authentique accompagnement spirituel».(53)

Du «je» au «nous»39. Le respect pour la personne, recommandé par le Concile et

par les documents consécutifs(54) a eu une influence positive sur la façonde mener la vie communautaire.

Mais dans le même temps avec plus ou moins d’intensité suivant lesdifférentes régions du monde s’est répandu une vague d’individualisme.Celui-ci a pris des formes diverses: le besoin de se mettre en avant,l’insistance excessive sur le bien-être personnel physique, psychique ouprofessionnel; la préférence pour le travail personnalisé ou pour celui quimet la personne en évidence et est «reconnu»; la priorité donnée auxaspirations personnelles et à la carrière; l’absence de souci des autres etde référence à la communauté.

Par ailleurs, il est nécessaire de chercher le juste équilibre, qui n’estpas toujours facile à trouver, entre le respect de la personne et le biencommun, entre les exigences et les besoins de chacun et ceux de lacommunauté, entre les charismes personnels et le projet apostoliquecommunautaire. Et cela, en évitant à la fois l’individualisme qui désagrège

__________(52). Cfr PI 43, 51, 63.(53). PI 52.(54). PC 14c; Can.618; EE 49.

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et le communautarisme qui nivelle. La communauté religieuse est le lieu oùse fait chaque jour le patient passage du «je» au «nous»: de ma tâche à latâche confiée à la communauté, de la recherche de «mes intérêts» à cellesdes «intérêts du Christ».

La communauté religieuse devient alors le lieu où l’on apprendchaque jour à faire sienne cette mentalité renouvelée, qui permet de vivrela communion fraternelle en profitant de la richesse des dons de chacun, etfait converger ces dons vers la fraternité et la commune responsabilité duprojet apostolique.

40. La réalisation d’une telle «symphonie» communautaire etapostolique, a besoin de divers moyens:

a) Célébrer et rendre grâce ensemble pour le don commun de lavocation et de la mission, don qui transcende de beaucoup toute différenceindividuelle et culturelle. Promouvoir une attitude contemplative devant lasagesse de Dieu, qui a envoyé des frères ou sœurs à la communauté afinqu’ils soient un don les uns pour les autres. Le louer pour ce que chacuntransmet de la présence et de la parole du Christ.

b) Cultiver le respect réciproque, qui accepte le cheminement lentdes plus faibles sans étouffer l’épanouissement des personnalités plus riches.Un respect qui favorise la créativité, mais qui sache faire appel aussi à laresponsabilité envers les autres et à la solidarité.

c) Orienter vers la mission commune: l’institut a sa mission à laquellechacun doit collaborer suivant ses dons. Le cheminement de la personneconsacrée consiste précisément à offrir progressivement au Seigneur toutce qu’elle a et tout ce qu’elle est pour la mission de sa famille religieuse.

d) Rappeler que la mission apostolique est confiée en premier lieuà la communauté, et que souvent cela comporte la gestion des œuvrespropres de l’Institut. Le don de soi à cet apostolat communautaire qui faitmûrir la personne consacrée et la fait progresser dans sa propre voie desainteté.

e) Considérer que les religieux qui reçoivent dans obéissance desmissions personnelles, doivent se considérer comme envoyés par lacommunauté. Celle-ci, à son tour, veillera à leur donner régulièrement les

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moyens de se mettre à jour, et à les intégrer dans la vérification desengagements apostoliques et communautaires.

Pendant le temps de la formation, il peut arriver qu’en dépit de labonne volonté, il s’avère impossible d’harmoniser les dons personnels d’unepersonne consacrée avec la fraternité et la mission commune. Il y a lieualors de se demander: «Les dons de Dieu à cette personne(...) travaillent-ils en faveur de l’unité et approfondissent-ils la communion? S’ils le font,ils peuvent être accueillis. Sinon peu importe si ces dons semblent bons eneux-mêmes ou s’ils apparaissent souhaitables à quelques membres, ils nesont pas faits pour cet institut précis. Il n’est pas sage, en effet, de tolérerdes orientations trop divergentes qui ne sauraient contribuer à l’unité del’institut».(55)

41. Ces dernier temps, les communautés comportant un petit nom-bre de membres sont en augmentation, surtout en raison de besoinapostoliques. Elles peuvent favoriser le développement de relations plusétroites entre les religieux, d’une prière partagée, et d’une prise en chargemutuelle plus fraternelle des responsabilités.(56)

Cependant il existe aussi des motifs discutables à l’existence de cespetites communautés, tels que les affinités de goûts ou de mentalité. Dansce cas, il est facile que la communauté se ferme sur elle-même et puisse enarriver à sélectionner ses membres, en acceptant ou non un frère envoyépar les supérieurs. Une telle disposition est contraire à la nature même dela communauté religieuse et à sa fonction de signe. L’homogénéité baséesur le choix, non seulement entrave la mobilité apostolique, mais affaiblit laréalité spirituelle de la communauté et la prive de sa force de témoignage.

L’effort en vue d’une acceptation réciproque, le souci de surmonterles difficultés, qui caractérise les communautés hétérogènes, montre latranscendance du motif qui les a suscitées, c’est-à-dire «la puissance deDieu qui se révèle dans la faiblesse de l’homme» (2 Co 12, 9). On estensemble en communauté, non par choix mutuel, mais par choix du Seigneur.

__________(55). EE 22; voir aussi MR 12.(56). Cfr ET 4O.

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42. Si la culture caractéristique de l’Occident porte facilement à unindividualisme qui rend ardue la vie en commun, d’autres cultures peuventau contraire porter au «communautarisme» qui rend difficile la mise envaleur de la personne humaine. Toutes les formes de culture doivent êtreévangélisées.

Les communautés religieuses qui, dans un processus de conversion,en arrivent à une vie fraternelle où la personne se met à la disposition desautres frères, et où le «groupe» favorise le progrès de la personne, sontsignes de la force transformant de l’Evangile et de l’avènement du Royaumede Dieu.

Les instituts internationaux où vivent ensemble des membres decultures différentes, peuvent contribuer à un échange de dons grâce auquelles membres s’enrichissent et s’amendent réciproquement, dans un communeffort pour vivre toujours plus intensément l’Evangile de la liberté personnelleet de la communion fraternelle.

Etre une communauté en formation permanente43. Le renouveau communautaire a tiré de notables avantages de

la formation permanente. Recommandée et exposée dans ses lignesfondamentales par le document Potissimum Institutioni,(57) celle-ci estconsidérée par tous les responsables d’instituts religieux comme d’uneimportance vitale pour l’avenir.

Malgré des incertitudes sur certains points (difficulté à réaliser unesynthèse entre ses divers aspects, difficulté à sensibiliser tous les membresd’une communauté, exigences absorbantes de l’apostolat et juste équilibreentre les activités et la formation), la majorité des instituts a pris des initiativestant au niveau central, qu’au niveau local.

L’une des fins de ces initiatives est de former des communautésadultes, évangéliques, fraternelles, capables de poursuivre la formationpermanente dans le quotidien. La communauté religieuse, en effet, est lelieu où les grandes orientations deviennent effectives, grâce à une patienteet tenace mise en œuvre quotidienne. Elle est le milieu naturel du processus__________

(57). Cfr PI 66-69.

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de croissance, où chacun devient coresponsable de la croissance de l’autre.La communauté religieuse est en outre le lieu où, jour après jour, on s’aideà répondre, en personnes consacrées porteuses d’un même charisme, auxbesoins des plus petits et aux défis de la société nouvelle.

Il n’est pas rare que, devant les problèmes à affronter, les réactionssoient différentes, avec d’évidentes conséquences sur la vie communautaire.C’est pourquoi l’un des objectifs spécialement visés aujourd’hui estd’intégrer des personnes différentes par la formation et par les conceptionsapostoliques, dans une même vie communautaire où les différences nesoient pas des occasions de conflit mais d’enrichissement réciproque.

Dans ce contexte diversifié et mouvant, le rôle unifiant des respon-sables des communautés devient toujours plus important. Il faut prévoirpour eux des moyens spécifiques de formation permanente, en vue de leurtâche d’animation de la vie fraternelle et apostolique de la communauté.

Sur la base de l’expérience de ces dernières années, deux aspectsméritent ici une attention spéciale: la dimension communautaire des conseilsévangéliques et le charisme.

44. La dimension communautaire des conseils évangéliquesLa profession religieuse est expression du don de soi à Dieu et à

l’Eglise, don vécu dans la communauté d’une famille religieuse. Le religieuxn’est pas seulement un appelé, selon une vocation individuelle, mais c’estun «convoqué», c’est-à-dire un appelé ensemble avec d’autres, donclesquels il partage l’existence quotidienne.

Il y a une convergence du «oui» à Dieu, qui unit les divers consacrésdans une même communauté de vie. Consacrés ensemble, unis dans lemême oui, unis dans l’Esprit-Saint, les religieux et les religieuses découvrentchaque jour que leur suite du Christ, obéissant, pauvre et chaste, est vécuedans la fraternité, comme l’ont fait les disciples qui suivaient Jésus au coursde son ministère. Unis au Christ, et donc appelés à être unis entre eux.Unis dans la mission de s’opposer de façon prophétique à l’idolâtrie dupouvoir, de l’avoir, du plaisir.(58)

__________(58). Cfr RPH 25.

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Ainsi l’obéissance lie et unit les différentes volontés dans une mêmecommunauté fraternelle chargée d’une mission spécifique à accomplir dansl’Eglise.

L’obéissance est un oui au plan de Dieu qui a confié une tâcheparticulière à un groupe de personnes. Elle comporte un lien avec la mission,mais aussi avec la communauté qui doit réaliser son service ici et maintenantet ensemble; elle demande aussi qu’on porte un clair regard de foi sur lessupérieurs, qui «remplissent leur devoir de service et de guide»,(59) et doiventveiller à ce que le travail apostolique correspond à la mission reçue. Etainsi, en communion avec eux, on doit accomplir la volonté divine, la seulequi peut apporter le salut.

La pauvreté: le partage des biens - y compris spirituels - a été dèsles origines un fondement de la communion fraternelle. La pauvreté dechacun des frères et sœurs, qui comporte un style de vie simple et austère,non seulement le libère des préoccupations inhérentes aux biens personnels,mais a toujours profité à la communauté qui pouvait ainsi se mettre plusefficacement au service de Dieu et des pauvres.

La pauvreté inclut la dimension économique. Disposer de l’argent,comme si on en était propriétaire, pour soi-même ou pour sa famille, avoirun style de vie trop différent de celui des confrères et de la société pauvredans laquelle on vit souvent, c’est blesser et affaiblir la vie fraternelle.

Mais la pauvreté est également «pauvreté en esprit». L’humilité, lasimplicité, la reconnaissance des dons des autres, l’appréciation des réalitésévangéliques telles que «la vie cachée avec le Christ en Dieu», l’estimepour le sacrifice obscur, la mise en valeur des plus petits, le dévouement àdes causes non rétribuées ou non reconnues... sont autant de conséquencede la profession de pauvreté qui ont valeur d’unité pour la vie fraternelle.

Une communauté de pauvres est en mesure d’être solidaire despauvres et de manifester quel est le cœur de l’évangélisation, parce qu’ellerévèle concrètement la force transformant des béatitudes.

Dans sa dimension communautaire, la chasteté consacrée qui impli-que une grande pureté d’esprit, de cœur et de corps, donne une grande__________

(59). MR 13.

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liberté pour aimer Dieu, et tout ce qui lui appartient, avec un cœur sanspartage; en conséquence, elle suscite une totale disponibilité pour aimer etservir tous les hommes, leur rendant présent l’amour du Christ. Un telamour n’est ni égoïste, ni exclusif, ni possessif, ni esclave de la passion,mais universel et désintéressé, libre et libérant, très nécessaire pour lamission; il doit être cultivé et il croît par le moyen de la vie fraternelle. Ainsiceux qui vivent le célibat consacré «évoquent aux yeux de tous les fidèlescette admirable union, établie par Dieu et qui doit être pleinement manifestéedans le siècle futur, par laquelle l’Eglise a le Christ comme son uniqueépoux».(60)

Cette dimension communautaire des vœux évangéliques a besoind’une attention continue et d’un approfondissement que procure justementla formation permanente.

45. Le charismeLe charisme est le second aspect à privilégier dans la formation

permanente pour favoriser la croissance de la vie fraternelle.«La consécration religieuse établit une communion spéciale entre le

religieux et Dieu et, en Lui, entre les membres d’un même institut (...). Sonfondement est la communion établie dans le Christ sur l’unique charismedu fondateur».(61) La référence au fondateur et au charisme vécu etcommuniqué par lui, puis gardé, approfondi et développé tout au long dela vie de l’institut,(62) apparaît comme une des composantes fondamentalespour l’unité de la communauté.

Vivre en communauté, en effet, c’est vivre tous ensemble la volontéde Dieu conformément au don charismatique que le fondateur ou lafondatrice a reçu de Dieu et a transmis à ses disciples et à ceux et cellesqui leur ont succédé.

Le renouveau de ces dernières années, en remettant en lumièrel’importance du charisme d’origine, et grâce à une riche réflexion

__________(60). PC 12; cf. can. 607.(61). EE 18; cf. MR 11-12.(62). Cfr MR 11.

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théologique(63) a favorisé l’unité de la communauté, perçue comme porteused’un même don de l’Esprit à partager avec les frères et sœurs, et capabled’enrichir l’Eglise «pour la vie du monde». C’est pourquoi il est trèsprofitable d’établir des programmes de formation, comportant des cyclesd’étude et de réflexion priant sur le fondateur, le charisme et les constitutions.

Saisir en profondeur ce charisme conduit à une claire perception del’identité de l’institut, qui facilite l’unité et la communion. De plus cela favoriseune adaptation créative aux situations nouvelles, et ouvre des perspectivespositives pour l’avenir d’un Institut.

L’absence de cette perception claire peut facilement engendrerl’incertitude au sujet des objectifs et une certaine vulnérabilité face auxconditionnements du milieu, aux courants culturels et même aux différentsbesoins apostoliques, outre une certaine incapacité à s’adapter et à serenouveler.

46. Il est donc nécessaire de cultiver soigneusement l’identitécharismatique de l’institut afin d’éviter un «généricisme» qui constitue unvéritable danger pour la vitalité de la communauté religieuse.

En effet on a signalé des situations qui, ces dernières années, ontblessé et en certains endroits blessent encore les communautés religieuses:

— La manière «génériciste» -c’est-à-dire sans tenir compte ducharisme spécifique- de considérer certaines indications de l’Egliseparticulière ou de certaines suggestions provenant de spiritualités différentes;

— Une façon de fréquenter tel ou tel mouvement d’Eglise quiexpose le religieux au phénomène ambigu de la double identité;

— Dans les indispensables et souvent fructueuses relations avecles laïcs, surtout avec les collaborateurs, une certaine identification à l’étatde laïc: au lieu d’offrir le témoignage religieux comme un don fraternel,ferment d’authenticité chrétienne, on arrive à un mimétisme dans les façonsde voir et d’agir, qui diminuent l’impact de la consécration.

— Une excessive complaisance envers les exigences de la famille,les idéaux de la nation, de la race, de la tribu, du groupe social, qui risquent__________

(63). Cfr MR 11-12; EE 11, 41.

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de faire dévier le charisme vers des positions ou des intérêts de partis.Ce généricisme, qui réduit la vie religieuse à un plus petit commun

dénominateur affadi, tend à effacer ce qu’a de beau et de fécond lamultiplicité des charismes suscités par l’Esprit.

L’autorité au service de la fraternité47. L’évolution de ces dernières années est généralement reconnue

comme facteur de progrès dans la vie fraternelle. Le climat de la viecommune s’est amélioré dans beaucoup de communautés: on a donnédavantage de place à la participation active de tous on est passé d’une vieen commun trop appuyée sur l’observance à une vie plus attentive auxbesoins de chacun et plus soucieuse des réalités humaines. L’effort pourconstruire des communautés moins formalistes, moins autoritaires, plusfraternelles, plus ouvertes à la participation, est considéré comme l’un desfruits les plus évidents du renouveau de notre époque.

48. Ce développement positif a risqué, en certains endroits, d’êtrecompromis par un sentiment de défiance vis-à-vis de l’autorité.

Le désir d’une communion plus profonde entre les membres, et laréaction compréhensible envers des structures ressenties comme tropautoritaires et rigides, ont conduit à ne plus saisir dans toute sa portée lamission de l’autorité. Certains ont fini même par la considérer commenullement nécessaire pour la vie de la communauté, d’autres l’ont ramenéea un simple rôle de coordination des initiatives. Ainsi un certain nombre decommunautés en sont venues à vivre sans responsable et à prendrecollégialement toutes leurs décisions.

Tout cela porte en soi le danger, qui n’est pas seulement hypothétique,d’une sorte d’émiettement de la vie communautaire, qui tendra à privilégierles cheminements individuels et à obscurcir le rôle de l’autorité. Or ce rôleest nécessaire pour la croissance de la vie fraternelle dans la communauté,autant que pour le cheminement spirituel de la personne consacrée.

D’ailleurs les résultats de ce genre d’expériences amènent à uneredécouverte progressive de la nécessité et du rôle d’une autoritépersonnelle, en continuité avec toute la tradition de la vie religieuse.

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Le climat démocratique répandu un peu partout a favorisé une plusgrande coresponsabilité et une meilleure participation de tous au processusde la décision, y compris à l’intérieur de la communauté religieuse. On nepeut oublier cependant que la fraternité n’est pas le fruit du seul efforthumain, mais aussi et surtout un don de Dieu. Ce don est reçu dansl’obéissance à la Parole de Dieu et dans la vie religieuse, il vient aussi parl’obéissance à l’autorité qui rappelle cette Parole et l’applique à chacunedes situations, selon l’esprit de l’institut.

«Nous vous demandons, frères, d’avoir des égards pour ceux qui,parmi vous, se donnent de la peine pour vous diriger dans le Seigneur etpour vous reprendre; ayez pour eux la plus haute estime, avec amour enraison de leur travail» (1 Th 5,12-13). La communauté chrétienne, eneffet, n’est pas un collectif anonyme, mais dès le début elle est dotée deses chefs, envers lesquels l’Apôtre demande qu’on ait considération,respect, charité.

Dans la communauté religieuse, si l’attention et le respect sont dus àl’autorité, c’est aussi en raison de la profession d’obéissance. Et cetteautorité est mise au service de la fraternité, de sa construction, de laréalisation de ses finalités spirituelles et apostoliques.

49. L’aggiornamento a contribué renouveler le visage de l’autoritépour la relier plus étroitement à ses racines évangéliques et la mettre auservice du progrès spirituel de chacun et au service de l’édification de lavie fraternelle de la communauté.

Toute communauté a sa mission propre à remplir. Le service del’autorité s’adresse à une communauté investie d’une mission particulière,reçue et spécifiée par l’institut et son charisme. Comme il y a des missionsvariées, il y a différents genres de communautés, donc différentes façons,définies par le droit propre, de concevoir et d’exercer l’autorité,

L’autorité selon l’Evangile est toujours un service.

50 Quelques aspects de l’autorité ont été privilégiés dans la réflexionrécente:

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a) Une autorité spirituelleL’autorité favorise et soutient la consécration au service total de

Dieu: elle peut être regardée comme «servante des serviteurs de Dieu».Elle a le devoir primordial de construire, avec les frères et les sœurs, des«communautés fraternelles en lesquelles Dieu soit cherché et aimé avanttout».(64) Il est donc d’abord nécessaire que cette autorité soit une personnespirituelle, convaincue du primat du spirituel, pour la vie personnelle et laconstruction de la vie fraternelle, consciente que plus l’amour de Dieucroît dans les cœurs, plus les cœurs s’unissent entre eux.

Sa tâche prioritaire sera donc l’animation spirituelle, communautaireet apostolique de sa communauté.

b) Une autorité qui réalise l’unitéPour réaliser l’unité, l’autorité se soucie de créer le climat favorable

au partage et à la coresponsabilité, suscite le concours de tous aux intérêtsde tous, elle encourage les frères et sœurs à prendre leurs responsabilitéset sait respecter celles-ci. «Pour promouvoir leur obéissance volontairedans le respect de la personne humaine»,(65) elle les écoute volontiers etfavorise ainsi leur coopération au bien de l’institut et de l’Eglise,(66) ellepratique le dialogue et propose des moments opportuns de rencontre. Ellesait inspirer courage et espérance dans les moments difficiles, et regarderau loin pour indiquer de nouveaux horizons à la mission. Elle cherche àmaintenir l’équilibre entre les différents aspects de la vie communautaire,entre prière et travail, apostolat et formation, tâches à accomplir et repos.

L’autorité du supérieur et de la supérieure s’emploie à ce que lamaison religieuse ne soit pas simplement un lieu de résidence, ni unejuxtaposition de sujets conduisant chacun son histoire individuelle, maisune «vraie communauté fraternelle dans le Christ».(67)

c) Une autorité qui sait prendre la décision finale et veille à saréalisation.

__________(64). Can. 619.(65). Can. 618.(66). Cfr ibid.(67). Can. 619.

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Le discernement communautaire est une démarche très utile, mêmes’il n’est ni facile ni automatique, car il suppose compétence humaine,sagesse spirituelle et détachement personnel. Là où il est pratiqué avec foiet sérieux, il peut offrir à l’autorité les meilleures conditions pour prendreles décisions que réclame le bien de la vie fraternelle et de la mission.

La décision une fois prise selon les modalités fixées par le droitpropre, il faut, de la part du supérieur, constance et force pour que ce quia été décidé ne reste pas lettre morte.

51. Il est en outre nécessaire que le droit propre soit le plus précispossible quand il détermine les compétences respectives de la communauté,des différents conseils, des responsables des divers secteurs, et du supérieur.Le manque de clarté en ce domaine est source de confusion et occasionde conflits.

De même, les «projets communautaires», qui favorisent la partici-pation à la vie communautaire et à la mission dans les différents contextes,devraient avoir soin de bien définir le rôle et la compétence de l’autorité,dans le respect des constitutions.

52. Une communauté fraternelle et unie est appelée à être toujoursdavantage un élément important et éloquent de la contre-culture del’Evangile, sel de la terre et lumière du monde.

Par exemple, dans la société occidentale menacée par l’indivi-dualisme, la communauté religieuse est appelée à être un fort témoignageprophétique de la possibilité de réaliser dans le Christ la fraternité et lasolidarité. En revanche, dans les cultures menacées par l’autoritarisme oupar le «communautarisme», la communauté religieuse est appelée à êtreun signe de respect et de promotion de la personne humaine, un signed’exercice de l’autorité en conformité avec la volonté de Dieu.

La communauté religieuse se doit d’assumer la culture de l’endroitoù elle est implantée, mais elle est appelée aussi à purifier et à élever cetteculture, grâce au sel et à la lumière de l’Evangile. Elle présentera, dans sesfraternités authentiques, une synthèse concrète de ce qu’est non seulementune évangélisation de la culture mais aussi une inculturation évangélisatrice

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ou une évangélisation inculturée.

53. On ne peut oublier enfin que dans toute cette question délicate,complexe, et souvent occasion de souffrance, la foi joue un rôle décisif,elle qui permet de comprendre le mystère salvifique de l’obéissance.(68)

De la désobéissance d’un homme est venue la désagrégation de la famillehumaine, mais de l’obéissance de l’Homme nouveau est née sareconstruction (cf. Rm 5,19): ainsi l’attitude obéissante sera toujours uneforce indispensable pour toute vie de famille.

La vie religieuse a sans cesse vécu de cette conviction de foi et,aujourd’hui encore, elle est appelée à la vivre courageusement, pour nepas courir en vain dans la recherche de rapports fraternels, et pour êtreune réalité évangéliquement signifiante dans l’Eglise et dans la société.

La fraternité comme signe54. Les rapports entre vie fraternelle et activité apostolique, en

particulier dans les instituts voués aux œuvres d’apostolat, n’ont pas toujoursété clairs et ont souvent provoqué des tensions personnelles etcommunautaires. Pour quelques-uns, la vie de communauté est ressentiecomme un obstacle à la mission, presque une perte de temps dans desquestions plutôt secondaires. Il est nécessaire de rappeler à tous que lacommunion fraternelle en tant que telle est déjà un apostolat, c’est-à-direqu’elle contribue directement à l’œuvre de l’évangélisation. Le signe parexcellence laissé par le Seigneur est celui de la fraternité vécue: «A cecitous reconnaîtront que vous êtes mes disciples: si vous avez de l’amour lesuns pour les autres» (Jn 13, 35).

En même temps qu’il a donné à ses disciples la mission de prêcherl’Evangile à toute créature (cf. Mt 28, 19-2O), le Seigneur les a envoyéspour vivre unis, «afin que le monde croie» que Jésus est l’envoyé du Pèreauquel on doit donner le plein assentiment de la foi (cf. Jn 17,21). Le signede la fraternité est donc de très grande importance, parce qu’il montrel’origine divine du message chrétien et qu’il possède la force d’ouvrir les__________

(68). Cfr PC 14; EE 49.

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cœurs à la foi. C’est pourquoi «toute la fécondité de la vie religieuse dépendde la qualité de la vie fraternelle menée en commun».(69)

55. Dans la mesure où la communauté religieuse cultive la viefraternelle, elle maintient présent, sous une forme permanente et visible, cesigne dont l’Eglise a surtout besoin dans sa tâche de nouvelle évangélisation.

C’est pourquoi l’Eglise prend tellement à cœur la vie d’amour fraterneldes communautés religieuses: plus intense est cet amour, plus grande est lacrédibilité du message annoncé, et plus perceptible est le cœur du l’Eglise,sacrement de l’union des hommes avec Dieu et entre eux.(70) Sans être le«tout» de la mission de la communauté religieuse, la vie fraternelle en estun élément essentiel, aussi important que l’action apostolique.

Il est donc impossible d’invoquer la nécessité du service apostoliquepour admettre ou justifier le manque de vie communautaire. L’activité desreligieux doit être une activité de personnes qui vivent en commun etremplissent leur action d’esprit communautaire, qui tendent à diffuser l’espritfraternel par la parole, l’action et l’exemple.

Des situations particulières, qui seront traitées plus loin, peuventdemander des adaptations; mais celles-ci ne doivent pas être telles qu’ellesdétachent le religieux de la vie de communion et de l’unité d’esprit avec sapropre communauté.

56. La communauté religieuse, consciente de ses responsabilitésvis-à-vis de la grande communauté qu’est l’Église, devient également unsigne, et de la possibilité de vivre la fraternité chrétienne, et du prix à payerpour la construction de toute forme de vie fraternelle.

En outre, les diverses sociétés de notre planète, traversées par despassions et des intérêts opposés qui les divisent, sont désireuses d’unité,mais incertaines quant aux chemins à prendre pour y arriver: la présencede communautés où se rencontrent comme frères et sœurs des personnes

__________(69). Jean-Paul II à la Plenaria de la CIVCSVA (le 2O.11.1992), in OR

21.11.1992, n.3.(70). Cfr LG 1.

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d’âge, de langue, de culture différentes, demeurant unies en dépit des conflitset difficultés d’une vie menée en commun, est signe d’une réalité plus élevéet appel à regarder plus haut.

«Les communautés religieuses, qui annoncent par leur vie la joie etla valeur humaine et surnaturelle de la fraternité chrétienne, disent, avecl’éloquence des faits, la force transformatrice de la Bonne Nouvelle».(71)

«Et par-dessus tout, revêtez l’amour: c’est le lien parfait» (Col 3,14), l’amour comme l’a enseigné et vécu Jésus Christ, et comme il nousest communiqué par son Esprit. Cet amour qui unit incite à communiqueraux autres l’expérience de la communion avec Dieu et avec les frères.C’est-à-dire qu’il suscite les apôtres en poussant les communautés sur lavoie de la mission, qu’elles soient contemplatives, ou chargées de l’annoncede la Parole ou des ministères de charité. L’amour de Dieu veut envahir lemonde: la communauté fraternelle devient missionnaire de cet amour, etsigne prophétique de sa force unifiant.

57. La qualité de la vie fraternelle influe enfin grandement sur lapersévérance de chacun des religieux.

De même que la qualité médiocre de la vie fraternelle fut souventalléguée comme motif de nombreux abandons de même la fraternitévraiment vécue a constitué et constitue toujours un soutien solide pour lapersévérance de beaucoup.

Dans une communauté fraternelle, chacun se sent coresponsable dela fidélité de l’autre; chacun contribue à ce que règne un climat serein departage de vie, de compréhension mutuelle, d’aide réciproque; chacun estattentif aux moments de fatigue, de souffrance, d’isolement, de démotivationdu frère ou de la sœur; chacun offre son soutien à celui qu’attristent lesdifficultés ou les épreuves.

La communauté religieuse, en soutenant la persévérance de sesmembres, acquiert alors une force de signe de l’éternelle fidélité de Dieu,et donc de soutien pour la foi et la fidélité des chrétiens immergés dans les

__________(71). Jean-Paul II à la Plenaria de la CIVCSVA (le 2O.11.1992), n.4.

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vicissitudes de notre monde, qui semble connaître de moins en moins lesvoies de la fidélité.

Le 15 janvier 1994, le Saint-Père a approuvé le présent documentde la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée et les Sociétés deVie Apostolique et en a autorisé la publication.

Rome, le 2 février 1994, Fête de la Présentation du Seigneur.Eduardo Card. Martínez Somalo, Préfet.+ Francisco Javier Errázuriz Ossa, Secrétaire.

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FORMATION HUMAINE, CHRÉTIENNE ET RELIGIEUSE

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CONSTRUIRE UN PROJET COMMUNAUTAIRE:LES OBJECTIFS

Tout d’abord il faut décrire un objectif, c’est-à-dire, l’idéal que l’onveut atteindre. Une fois que les objectifs de projet on peut vérifier s’ilssont: Spécifiques- Mesurables- Réalistes- définis dans le Temps.

• Spécifique: L’objectif décrit précisément ce qui doit avoir changéchez qui, et en quoi cela doit avoir changé.

• Mesurable: Il sera possible de juger objectivement de l’atteintede l’objectif. Pour cela, il faut généralement fixer des indicateurs (objectifs,si possible, sinon il faut faire recours aux indicateurs subjectifs: noter dansune échelle de 0 à 10, par exemple). Cela remet à l’évaluation.

• Réaliste: Un objectif de projet doit être réaliste dans le sens qu’ildoit être atteignable avec les moyens disponibles. On ne peut juger decela qu’en connaissant le contexte, la durée et les ressources du projet.

Défini dans le temps:En principe, un objectif de projet (général) doit être atteint à la fin

du projet. Un objectif intermédiaire doit être atteint au plus tard au momentdu pointage d’étape.

Ce qui pourrait vous empêcher d’en tenir compte• Lorsque les objectifs restent vagues, on peut éviter d’avoir à

décrire précisément quel impact visible on veut atteindre.• Lorsque les objectifs sont formulés d’une manière vague, vous

ne pouvez pas facilement vérifier s’ils ont été atteints, et vous ne prenezainsi pas le risque de devoir dire clairement si le projet a réussi ou pas.

Les avantages que vous pouvez en retirer• Des objectifs de projet sont des outils qui servent concrètement

au pilotage du projet.

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• Lorsque vous savez très exactement ce que vous voulez atteindreet ce que vous ne voulez pas atteindre (!), vous pouvez économiser del’énergie et en garder pour des démarches créatives.

Lorsque les objectifs de projet sont appropriés, le succès du projetdevient évident, (et on peut le fêter!).

Ce que vous pouvez concrètement fairePrévoyez assez de temps pour (re)formuler vos objectifs de projet.

Discutez de la formulation de vos objectifs en groupe, avec d’autres res-ponsables de projet ou avec un coach.

Questions-test• L’atteinte des objectifs de projet peut être évaluée?• Le niveau d’ambition (degré d’atteinte de l’objectif à partir duquel

on va parler de succès) est fixé pour chaque objectif de projet?

LE PROJET COMMUNAUTAIRE PAS À PAS

Qui sommes-nous?Pères, étudiants, novices…..Nationalités, an… de chacunCours que l’on fait… et d’autres renseignements…

Où sommes-nous?Nom du quartierCaractéristiques des alentours, ambiance…Manques, préoccupations…Particularités des habitants…

Idéals de notre maison et communautéFaire allusion à valeurs principales que l’on veut cultiver pendant

l’année scolaireMieux si avaliser par des textes des Règles ou d’autres documents

fondamentaux

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I. Dimension humaine

1. Étudea) Défi (difficulté qui doit être vaincue et stimule la volonté).b) Objectif.c) Tâches (autant que nécessaires) avec des réponses à:• Quand?• Où?• Responsable?• Date d’évaluation.d) Horaire ou planification des tâches de la semaine, mensuelle,

annuelle…

2. Rapprochement du quartiera) Défi (difficulté qui doit être vaincue et stimule la volonté).b) Objectif (général et d’autres spécifiques).c) Tâches (autant que nécessaires) avec des réponses à:• Quand?• Où?• Responsable?• Date d’évaluation.d) Horaire ou planification mensuelle, annuelle…

3. Maisona) Défi (difficulté qui doit être vaincue et stimule la volonté).b) Objectif (général et d’autres spécifiques).c) Tâches (autant que nécessaires) avec des réponses à:• Quand?• Où?• Responsable?• Date d’évaluation.d) Horaire de la semaine et planification mensuelle ou annuelle.

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II. Dimension chrétien

a) Défi (difficulté qui doit être vaincue et stimule la volonté).b) Objectif (général et d’autres spécifiques).c) Tâches (autant que nécessaires) avec des réponses à:• Quand?• Où?• Responsable?• Date d’évaluation.d) Horaire de la semaine et planification mensuelle ou annuelle.

III. Dimension religieuse

a) Défi (difficulté qui doit être vaincue et stimule la volonté).b) Objectif (général et d’autres spécifiques).c) Tâches (autant que nécessaires) avec des réponses à:• Quand?• Où?• Responsable?• Date d’évaluation.d) Horaire de la semaine et planification mensuelle ou annuelle.

IV. Dimension congrégationnelle

a) Défi (difficulté qui doit être vaincue et stimule la volonté).b) Objectif (général et d’autres spécifiques).c) Tâches (autant que nécessaires) avec des réponses à:• Quand?• Où?• Responsable?• Date d’évaluation.d) Horaire de la semaine et planification mensuelle ou annuelle.

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LA DIRECTION SPIRITUELLE: À QUOI ÇA SERT?

«Moi, je n’ai besoin de personne: je connais le chemin. Je peux yarriver tout seul...» Pourquoi avoir recours à la direction spirituelle?

Serais-tu assez fou pour te lancer à l’assaut de l’Everest tout seul?Tu peux avoir une très bonne condition physique et tout l’équipement derniercri... Si tu ne connais pas la haute montagne, tu as intérêt à te faireaccompagner d’un bon guide! Dans ce genre d’aventure, la présomptionest souvent mortifère...

L’Église recommande depuis toujours aux chrétiens qui désirentavancer dans leur cheminement d’avoir recours à un directeur spirituel.Dieu utilise vraiment ce moyen pour te parler.

Il faut que tu saches que nul n’est bon juge de soi-même. Les bateauxont besoin de bons repères sur la côte pour se diriger, surtout dans lestempêtes. Dieu désire que tu laisses guider ton bateau pour te conduire àbon port.

Qui intervient?La direction spirituelle est une rencontre à trois personnes: toi, ton

directeur spirituel... et l’Esprit-Saint! C’est d’ailleurs ce dernier qui est levrai protagoniste de la rencontre: C’est pourquoi il est important del’invoquer au début de tes entretiens pour lui demander la grâce de ladocilité, car comme dit l’Évangile de Jean: «Le vent souffle où il veut et tuentends sa voix, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va» Jn 3,8.

But de la direction spirituelleTa sainteté, rien de moins que cela! C’est à toi de faire le premier

pas, de prendre la décision de lutter pour y arriver. Ensuite, rappelle toique lorsqu’une âme fait un pas vers Dieu, Lui en fait 100. N’aies donc paspeur d’avoir un grand idéal.

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Dieu a crée l’homme à son image, lui donnant ainsi avec la liberté lacapacité de Le connaître et de L’aimer. Cette initiative librement prise parDieu exige la même liberté dans ta réponse. En effet, c’est libre que l’âmepeut aimer et entrer en dialogue avec Dieu. Or, si tu veux connaître etaimer Dieu d’avantage chaque jour, il te faut Lui être fidèle. C’est justementce à quoi tend la direction spirituelle: te donner les bons moyens pourgrandir dans la vie spirituelle.

Attitudes sine qua non: Sincérité, Humilité et DocilitéTu dois bien comprendre que ton directeur ou père spirituel, ne

gagne rien. Il est là pour t’aider, t’écouter, et en aucun cas pour prendredes décisions à ta place. C’est le médecin de ton âme: Si tu ne lui dis passincèrement tes difficultés et tes doutes... il ne pourra ni les deviner, nit’aider.

Cette sincérité se traduit aussi par la mise en pratique des conseilsque ton père spirituel te donne. N’est-ce pas pour les recevoir que tu vaslui parler? Car la docilité est l’expression pratique de la foi. Quand Pierrea marché sur les eaux, il a d’abord fait un acte d’obéissance: «Seigneur,ordonne-moi de marcher avec toi sur les eaux». Et cette obéissance a étérécompensée par le miracle.

Tes rencontres resteraient stériles si elles n’aboutissaient pas à unerésolution concrète, un désir renouvelé de conversion, un choix fondamentald’opter pour suivre le Christ de plus près. C’est pourquoi, il faut que tuétablisses un plan de travail, un programme de vie... Tu te mets alors dansune perspective très intéressante: car tu cherches désormais à rentabiliserton temps pour rendre ta vie plus sainte et plus fructueuse; tu scrutes tousles recoins de ta vie pour ôter tous les petits vices qui retiennent tonascension; tu cherches les moyens les plus efficaces pour faire du bienautour de toi, pour rayonner de la joie d’être chrétien, pour étendre leRègne du Christ. En bref, tu te donnes les moyens concrets pour devenirun saint

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LA SOLIDARITÉ DANS UN MONDE D’EXCLUSION

SIGNES DE VIE

Dans un monde qui engendre toujours plus d’exclusion, nousconstatons avec joie qu’on peut relever des signes de vitalité, chez lesreligieuses et religieux, dans le domaine de la solidarité. En voici quelques-uns:

• Les religieuses et religieux sont souvent des catalyseurs quipermettent de casser des barrières de toutes sortes: on trouve des religieux/ses dans des groupes de dialogue entre religions dans des pays où leschrétiens sont persécutés et on les trouve aussi engagés dans des groupesde base pour la recherche de la paix; par ailleurs, les communautéscomportant des frères ou des sœurs d’origines culturelles différentestémoignent par elles-mêmes qu’on peut vivre ensemble dans la différence.

• On trouve des religieuses/eux, de tous âges, dans des situationsde conflit et de violence, profondément insérés au milieu des gens; quandd’autres s’en vont, eux restent avec leurs peuples, risquant leur vie jusqu’àla perdre parfois (martyrs), comme signe de solidarité radicale avec lesexclus.

• Il y a une collaboration toujours plus grande avec les laïcs, surtoutau niveau du volontariat dans le domaine de la solidarité. Dans cettecollaboration, on remarque deux mouvements: d’un côté l’enthousiasmedes volontaires et leur dévouement ravivent en nous la passion et l’ouverture;d’un autre, la mise en commun, que nous vivons, des talents et des biens,et la communion entre les personnes est un signe pour eux.

• De plus en plus de religieux/ses sont aussi membres d’associationsde la société civile qui cherchent la transformation sociale.

• C’est aussi un signe encourageant de voir se développer un travailen commun entre congrégations pour le service des appauvris et la défensede leurs droits (œuvres communes de solidarité; lobbying pour la justice).

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• La dimension féminine de la vie consacrée a un caractèreprophétique de signe et de contestation pour la société et pour l’Église quidonnent si peu de place aux femmes.

• Le retour aux origines charismatiques a réveillé un plus grandengagement prophétique dans beaucoup de congrégations.

OBSTACLES A LA PASSION POUR LE CHRIST ET POURL’HUMANITÉ

Nous découvrons des obstacles de nature structurelle dans deuxdirections:

a) Il y a des obstacles qui naissent du système économique néolibéralet de sa culture qui nous empêchent d’assumer face à lui une positioncritique évangélique, condition nécessaire pour une action prophétique.

b) Il y a des obstacles qui viennent des structures et des stylesd’autorité existant dans nos congrégations. Ils sont souvent rigides et necorrespondent pas aux exigences, situations et défis de notre époque etde notre culture. Ils sont d’un autre temps.

Nous nous rendons compte que la «culture de contrôle», qui dominedans notre société, nous enlève l’audace de chercher des chemins nouveaux.On peut dire la même chose du système économique, du style de vie etdes parcours de formation qui sont habituels dans nos contextes. Toutcela produit un manque de sens critique devant le néolibéralisme, un attraitpour le confort, de l’individualisme et une défense incohérente de styles devie incompatibles avec le prophétisme de notre vocation. Ce sont descomportements qui nient la solidarité effective avec les exclus de la société.

D’autres obstacles et blocages significatifs de la prophétie naissentde l’intérieur même de la vie religieuse.

a) La peur, qui a plusieurs visages: peur de prendre des risques auplan institutionnel et au plan de la mission; peur d’affronter la nouveauté etla différence (situation, idéaux, personnes); peur de perdre du pouvoir;peur de l’insécurité que l’engagement avec les exclus peut entraîner. Uneautre peur est celle d’entrer en conflit avec la hiérarchie qui freine parfoisnotre créativité.

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b) Nos propres divergences et conflits internes paralysent l’actionprophétique du groupe et de quelques personnes qui ont une vocationprophétique: ils reçoivent peu de soutien de leurs congrégations respectives.

c) Un certain esprit de concurrence entre les congrégations elles-mêmes qui rend difficile la collaboration.

d) Les scandales d’abus sexuels de quelques religieux représententun contre témoignage et sont une négation de la prophétie.

e) Le style de vie de quelques communautés religieuses qui nouséloigne du peuple.

Nous découvrons parfois une certaine immaturité humaine etspirituelle qui finit par être un obstacle pour la coresponsabilité dans lamission et pour une action plus audacieuse dans la défense de la vie. Noussommes conscients du danger réel du consumérisme, de l’individualisme,de l’apathie et du manque de foi dans le prophétisme de la vie religieuse.Cela produit des conflits internes qui rendent difficile un leadership efficacedans le domaine de la justice, de la paix et de l’écologie. Les responsablespensent parfois qu’on ne peut pas avancer dans cette direction tant qu’onn’a pas le consensus général de tous.

DESCRIPTION DES CHANGEMENTS STRUCTURELS ÀFAIRE DANS NOS STYLES DE VIE ET DE MINISTÈRES

Nous avons besoin d’un réalisme qui nous fasse prendre consciencede nos propres limitations (âge, nombre, etc.) mais qui n’empêche pas dediscerner, avec une liberté prophétique, le style de vie et les présencesmissionnaires en cohérence avec l’annonce du Royaume. Nous devonspromouvoir la réflexion et concentrer nos énergies pour créer du nouveaudans nos congrégations et pour soutenir ceux qui peuvent se sentir fatiguésou désorientés.

Dans un esprit de liberté intérieure, nous devons nous efforcer d’allervers les nouveaux lieux de mission («les nouveaux aréopages») que lePape nous indique, prêts à abandonner quelques-uns de nos ministèresactuels.

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Pour être proches des gens, nous devons promouvoir une insertionréelle de nos groupes au milieu du peuple et donner une place aux appauvrisdans nos communautés. Par exemple, il serait plus approprié de vivres lesétapes du troisième et quatrième âge dans les lieux où nous nous trouvons,plutôt que de créer des maisons spéciales pour les religieux dans ces étapesde la vie.

Spécialement dans les lieux où vivent des personnes de traditionsreligieuses diverses, nous devons renforcer notre conviction que Dieu estplus grand que le christianisme, que son amour est ouvert à tous et accueilletoute personne.

Les formateurs doivent connaître les traditions religieuses des peuplesoù ils se trouvent (Asie, populations indigènes, Afrique, peuples indigènesd’Amérique, etc). Il serait positif de connaître un autre pays pour voir lesien avec un regard neuf. Une expérience de ce type avant la professionperpétuelle, appuyée par un accompagnement adéquat, peut-êtrefructueuse.

Il est nécessaire de simplifier les structures de nos Instituts à tous lesniveaux. Nous devons même penser à la fusion d’instituts qui ont uncharisme semblable. L’organisation de notre vie doit toujours se faire enfonction de la mission. Nous devons promouvoir des communautésinterculturelles qui nous invitent à partager notre foi à la lumière de l’Évangile.

Nous devons ouvrir nos projets pastoraux aux laïcs associés à noscongrégations en partageant la mission avec eux, sans les obliger à s’intégrerdans des structures qui les empêcheraient d’exprimer leur apport particulier.Leur présence peut nous ouvrir à de nouvelles solidarités avec les appauvris.

Nous devons chercher de nouveaux modèles d’organisation quireflètent davantage la vision évangélique de l’autorité. Dans ce sens, nousdevons rechercher pour la Vie Consacrée une place dans l’Église quigarantisse la réalisation de sa mission prophétique et une forme degouvernement pour nos instituts qui fasse sienne, de façon décidée, ladécentralisation et la subsidiarité qui aident à incarner la mission.

Il faut insister sur notre espace de liberté comme Instituts religieux –tant au niveau de chaque institut qu’à celui des conférences nationales etinternationales – de telle sorte que soit garantie l’expression propre de

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chaque charisme, et que la vie consacrée puisse rester un élément significatifde la vie de l’Église.

TEXTES BIBLIQUES QUI PEUVENT ILLUMINER CETTESITUATION ET NOUS METTENT AU DÉFI DE VIVRE UNETRANSFORMATION

Partant de cette perspective prophétique, nous nous tournons versla parole de Dieu. Il y a des éléments provocateurs dans l’Évangile quenous avons perdus de vue. Les textes suivants nous illuminent dans cesens.

• Le jeûne qui plaît à notre Dieu (Is 58, 1ss).• «Il y a un futur ouvert pour toi! « (Jr 31,17).• L’Esprit est auteur de vie nouvelle (Ez 37).• «Pratiquer la justice, aimer avec tendresse, marcher humblement

avec Dieu « (Mi 6,8).• L’identité et la mission de Jésus (Lc 4,16ss).• L’ouverture de Jésus qui l’a poussé à dépasser les barrières

ethniques et sociales: la guérison de la femme syro phénicienne (Mc 7,26ss),la rencontre avec la femme samaritaine (Jn 4, 1ss), l’histoire du Samaritain(Lc 10, 29ss).

• L’attitude d’accueil qu’il a montrée à l’encontre de toute formed’exclusion: son attitude devant la femme adultère (Jn 8, 1ss); les repaspris en commun avec les publicains (Lc 5, 27ss) la guérison des lépreux etl’accueil des enfants (Mc 10, 13ss).

• Les Béatitudes (Lc 6, 20-23; Mt 5, 1-12) révèlent la vision alternativeapportée par le Royaume du Dieu. Celui qui était Seigneur a lavé les piedsde ses disciples et leur a ordonné de faire de même (Jn 13, 1-15).

• Jésus est venu donner sa vie pour que tous aient la vie enabondance (Jn 10, 10)

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CONVICTIONS ET LIGNES D’ACTION POUR FAIREAVANCER LA VIE CONSACRÉE

ConvictionsPour maintenir vivant l’esprit prophétique de la Vie Consacrée, nous

voulons réaffirmer quelques principes qui nous semblent fondamentaux:La prophétie est un élément constitutif de la Vie Consacrée. Nous

considérons comme un don de l’Esprit le réveil de notre conscience àcette dimension prophétique: nous devons accueillir ce don et y répondre.

L’option préférentielle pour les pauvres, à qui appartient le Royaumede Dieu, est quelque chose de fondamental pour la Vie Consacrée. Lesappauvris nous évangélisent, ils nous aident à découvrir le visage de Dieuet à renouveler nos communautés. La proximité avec les groupes humainsconsidérés comme «de trop « dans nos sociétés continue d’être une urgencepour les consacrés.

Nous réaffirmons la nécessité d’approfondir une spiritualité intégrale,alimentée par une lecture contextualisée de la Parole de Dieu, qui nousrenouvellera et nous rendra capables d’accomplir notre mission prophétiqueet de créer des communautés qui soient signes du Royaume, ouvertes àl’accueil et à la solidarité avec les plus pauvres.

Un dialogue interculturel, dans lequel s’entende avec plus de forcela voix de la Vie Consacrée du sud du monde, sera un élément décisif dela formation à la vie consacrée de l’avenir.

Les projets de nos congrégations doivent privilégier la lutte pour lajustice. Nous réaffirmons l’engagement de la vie consacrée pour la promotiond’une culture dans laquelle on respecte vraiment la dignité de la femme etdans laquelle on promeut sa participation active à la vie sociale.

Il est important d’analyser et de réfléchir sur notre propre expérienced’exclusion: cela nous aidera à ne pas exclure les autres ni dans l’Église, nidans la société en général. Nous devons manifester notre rejet total detout abus de pouvoir à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Église.

Nous avons besoin d’une plus grande collaboration, fondée sur notrebaptême et sur les dons reçus par chacun, entre les religieux et les religieusesau service de la mission.

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Lignes d’actionNous nous risquons à lancer quelques propositions, conscients des

difficultés que leur réalisation peut présenter, mais certains qu’elles peuventcontribuer à relancer l’esprit de prophétie qui doit animer la vie consacréeaujourd’hui:

Mettre en relief dans nos vies le primat de la Parole de Dieu, lue etpartagée dans une nouvelle écoute de l’Esprit et avec les appauvris.

Revoir, à partir de l’option pour les pauvres, notre style de vie, nosœuvres et nos structures économiques. Nous reconnaissons la nécessitéde prendre quelques décisions significatives dans ce sens, et de favoriserla simplification des structures pastorales. Cela nous aidera à vivre dans laprécarité et la disponibilité totale pour la mission.

Veiller, dans le financement des communautés et des ministères dansles pays qui ont moins de ressources, à ne pas faire des consacrés uneclasse sociale éloignée de la vie de leur propre peuple.

Soutenir fermement les communautés d’insertion. Participeractivement aux réseaux de solidarité qui existent dans la société, encontribuant à maintenir leur dynamisme et à animer l’espérance du peuple.

Promouvoir la présence de la Vie Consacrée dans les forumsmondiaux alternatifs et dans les centres de décision (ONU, UnionEuropéenne, etc.) où se détermine le futur de l’humanité, et articuler pourcela une bonne collaboration inter-congrégations.

Être présents là où la vie et la dignité humaine sont le plus menacées,et étudier la possibilité de créer, à un niveau inter-congrégation, des plates-formes qui permettent à la vie consacrée de donner des réponses effectivesà quelques-unes des situations dramatiques qui se présentent parfois dansnotre monde.

Privilégier la proximité et l’accompagnement des migrants, dans nossociétés d’exclusion. Promouvoir la formation de communautés intercul-turelles qui soient un signe puissant de communion dans un monde divisé.

Faire de l’attention aux «derniers «, à l’intérieur comme à l’extérieurde la communauté, une priorité pour la vie consacrée. Promouvoir lespetites actions qui nous permettent d’être promoteurs de changement.

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TEMOIGNAGE SUR DES RELIGIEUSES QUI VIVENTL’INSERTION

1. J’ai choisi la vie religieuse par amour de Dieu et duprochain, pour être témoin vivant de Jésus Christ… Dans l’histoire de mavie, j’ai présent non seulement l’annonce de l’Evangile de Jésus-Christ,mais aussi la spiritualité du fondateur des «Fils de la Charité « et satradition… Je parle de spiritualité parce que c’est en elle que se trouvel’aliment de la congrégation et de sa fidélité au fondateur; tradition parceque nous sommes héritiers d’une histoire religieuse insérée dans le mondeavec une spécificité bien précise.

Le Père Anizan dans l’un de ses écrits dit que: «nous devons aimerles pauvres, les sans-abri, les abandonnés, les exclus, parce qu’en eux estl’image du Sauveur vivant au milieu de nous». Cette référence au PèreAnizan, fondateur des Fils de la Charité et des Auxiliatrices de la Charitéme fait revitaliser l’histoire de ma foi.

2. «Être chrétien est une tâche exigeante. Elle implique, dansla vie de chaque jour, être témoin de Jésus-Christ et manifester au traversde nos comportements les valeurs chrétiennes. Etre chrétien signifie êtreattentif à l’autre et aimer, c’est avoir toujours comme objectif latransformation du milieu où nous trouvons. Etre militant de la JOC m’a faitréfléchir sur mon rôle dans ce monde comme «ferment dans la masse…Pour moi, être chrétien c’est aller aux problèmes des personnes et avoirdes actions transformatrices en accord avec le projet de Jésus-Christ.Tous, nous sommes appelés à être témoins de ce projet d’amour et detransformation qui est celui du Christ».

3. «Je me rappelle les premiers pas de l’implantation au Por-tugal d’une communauté de la Congrégation, en octobre 1978: «j’en étais,moi aussi, à faire mon insertion dans le diocèse de Setubal. J’ai été sollicité

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par Anne-Marie et Lise qui venaient pour «sonder la région en vue d’unefuture implantation»… Je voyais dans cette initiative une chance derenforcer et développer l’effort de l’Eglise en Monde Ouvrier, en unionavec les Mouvements Ouvriers d’Action Catholique.

Nous avons commencé par prendre contact avec des personnesliées à cette mission, et nous avons visité quelques grandes entreprises dela région comme la Setenave. Les premières préoccupations étaient cellesde tout migrant qui arrive sur une terre étrangère: trouver un lieu pourvivre, un emploi et en même temps cherches à connaître les gens.

Je me rappelle cette cave, petite et sans confort qui servit de premièrehabitation, les premières rencontres avec les Petits Frères de Jésus, lesmilitants ouvriers chrétiens. Ce fut ainsi le lancer des premières maillesd’un réseau qui s’est étendu aux quartiers pauvres de Setubal et s’estrempli d’enfants, jeunes et adultes, de divers pays et couleurs (CapVerdiens, Timorais, portugais). L’équipe aussi s’est élargie avec l’intégrationde Nadette, Maria do Céu, Palmira et São. Le quartier de Bela Vista etl’Association des Cap-Verdiens furent des lieux privilégiés de leur présenceet de leur action. Leur participation active dans l’animation de la JOC etde la LOC, tout comme la fondation du MAAC, sont l’expression concrèted’une mission assumée et vécue au service des plus pauvres.

Tout cela était alimenté par un climat de prière, révision de vie, célé-bration et convivialité, auquel j’ai eu maintes fois le privilège de participer».

4. «Sincèrement, j’admire qui vit dans les villes. Qui serassemble et s’entasse même si c’est par force et avec indifférence. J’aiconnu les Sœurs Auxiliatrices de la Charité quand je suis venu à la ville…à Aveiro. Pour moi, ce sont des femmes de la ville et cela ne m’étonnepoint qu’elles soient ici. Elles sont dans leur milieu naturel. Elles viventdans un immeuble, avec des voisin au-dessus, en dessous et des deuxcôtés. Il y en a qui pensent qu’elles ne devraient pas vivre là. Moi je penseque si: on ne doit pas tirer les poissons de l’eau, sinon ils s’asphyxient.

Je les ai visitées chez elles, j’ai prié dans leur maison, j’ai mangé,j’ai ri et j’ai travaillé dans leur maison. C’est bon d’entrer là. Cela fait dubien de se trouver là, comme le sel dans la nourriture.

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…Le quartier de Santiago a son histoire, peut-être pas glorieuse,peut-être même conflictuelle… peut-être une histoire sans grands motifsd’orgueil; peut-être que là s’abritent trop de mémoires blessées,déchirées… Ou peut-être là l’espérance n’est elle pas encore morte…

Les Auxiliatrices de la Charité son là… elles ont une histoire, ellesont une mémoire, elles ont une espérance, elles ont un futur. Parce qu’ellesvivent dans un quartier, leur quartier. Elles vivent là fondues, discrètes,sereines, présentes, attentives, agissantes. Comme le sel. Comme letabernacle qu’elles ont chez elles… tout le monde ne les connaît pas, maiselles qui vivent là savent que les problèmes de leur quartier sont les leurs,et motif de leur prière, de leur consécration… C’est leur manière deconnaître leur quartier, d’appartenir à cette communauté, d’aimer ces frèresaux rêves brisés… Elles communient à leurs rêves, boivent les mêmesfrustrations, passent par les mêmes anxiétés, prient pour les mêmesespérances, partagent les mêmes fatigues. Avec amour. Par engagement.Comme Auxiliatrices.

5. «En étant intégrées dans le monde du travail, en étant uneparmi les autres, en souffrant les difficultés de ceux qui souffrent, et avecune spiritualité de foi et de prière, elles parviennent à être des témoins desvaleurs évangéliques auprès de ceux qui herchent une lumière, un chemin,une vie. Charité – Aimer Dieu et le prochain. C’est cet amour qui lescaractérise quand elles l’incarnent dans la vie de ceux qui travaillent, deceux qui souffrent les difficultés du quotidien, faisant «notre pain de chaquejour», également quand elles vivent le grand péché social du chômage, deceux qui doutent…».

6. «Leur maison est une porte ouverte pour accueillir tous ceuxqui en ont besoins. Elles sont une épaule amie sur qui on peut se fier…Pour tout le monde, il y a toujours la parole amicale…

Leurs paroles vont toujours dans le sens de défendre ceux qui ontbesoin que quelqu’un les aide à faire entendre leurs problèmes, même sicela exige de défier quelques personnes au pouvoir».

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7. «La présence des Auxiliatrices de la Charité entre nous,nous aide à nous rappeler la force rénovatrice de la vie religieuse et àgarder fortement en mémoire les paroles du pape Jean 23 au début desannées 60, lorsqu’il affirmait la nécessité pour l’Eglise d’ouvrir ses fenêtresaux réalités du monde, pour qu’ainsi l’Eglise de Jésus Christ ne cessejamais d’être l’Eglise des pauvres.

Le charisme des sœurs Auxiliatrices de la Charité, Nous n’avonspas besoin de beaucoup de paroles pour le dire….il suffit de converseravec elles pour découvrir leur préoccupation vitale devant les problèmesdes gens, non seulement pour les réconforter, mais aussi pour unir le conseilaux personnes et la recherche de réponses humaines, personnelles, socia-les et collectives face aux souffrances et injustices que vivent les travailleusesdes «maquilas», des jeunes en situation de risque et tant de mèresabandonnées. Il suffit donc de les voir parcourir ces rues poussiéreuses etbrûlantes de nos quartiers pour nous rendre compte que leur charisme estinséparable de leur insertion dans l’humanité des pauvres. Et à partir decette insertion, accompagner les pauvres dans leur organisation et dansleurs luttes pour chercher des réponses immédiates et structurelles à leursproblèmes…. Nos compagnes de mission sont peu nombreuses, mais ellessavent faire le bruit que le Seigneur leur demande dans un monde tantenglué par l’injustice et la violence. (Père Melo – Honduras).

8. «Chaque communauté représente toute une richesse devie»

«Vous avez des trésors à exploiter».«Chacune peut poursuivre la mission jusqu’au bout, jusque dans les

maisons de retraite...».«Je vois l’activité de Dieu dans tous ces visages».«Contempler et agir, quelle belle vocation».«C’est, important de pouvoir visualiser une même mission avec des

visages aussi différents… richesse de l’Evangile, de la mission, del’international… fidélité à l’Esprit dans le quotidien… j’ai ressenti uneouverture au monde».

«Vous avez des fondateurs qui ont eu une intuition géniale… tout

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cela est la signification de ce que vous vivez autour de vous… vivre aucœur du peuple me parle, la façon de transmettre votre charismem’intéresse».

«Vous êtes vraiment internationales, vous êtes comme un anneauqui tient, qui relie les choses et les personnes… ça permet que ça prennesens, que ça dure et que ça s’élargisse».

9. «J’étais étranger…» Journée mondiale du Migrant«Je suis migrant, qui me donnera une terre pour mes racines?»• Tant de personnes vivent chaque jour l’expérience déchirante de

quitter leur pays.Pourtant, là où elles espéraient trouver une vie meilleure, elles sont

souvent confrontées à l’indifférence et au rejet.Seigneur, toi qui nous as tous créés à ton image, aide-nous à nous

souvenir que chaque homme est une histoire sacrée et mérite respect etamour fraternel.

• Nous quittons souvent notre terre natale avec un cœur lourd,laissant derrière nous amis et proches, mais ta Providence, Seigneur, saitmettre sur notre chemin des hommes et des femmes qui nous secourentdans nos peines.

Aide-nous, Seigneur, à toujours agir avec amour et reconnaissanceenvers ceux qui nous ont accueillis et soutenus dans notre terre d’adoption.

• «Tous les hommes sont les enfants d’un même Père»: c’est lemessage que nous enseigne l’Évangile, mais ce message est souvent étoufféen nous par nos idées reçues, nos peurs, notre tendance au repli sur soi.

Seigneur, toi qui n’hésitais pas à rencontrer l’étranger aide-nous àaller à la rencontre de nos frères d’autres langues - origines et religions.

• Celui qui se met en route nous rappelle, à nous les chrétiens, quenous sommes tous des pèlerins en ce monde. Nombreux sont ceux quiconsacrent leur pèlerinage terrestre au service de leurs frères et sœurs quisont dans le besoin.

Soutiens-les, Seigneur, et suscite toujours des hommes et des femmesde bonne volonté qui œuvrent pour un monde plus juste et fraternel.

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10. Prière écrite par un immigré SlovaqueSeigneur, gardez-moi le sens de l’humour / Qui remet choses, gens

et moi-même / à leur place. / Gardez-moi le sourire et le rire / Faites demoi, Seigneur, / une personne généreuse qui sache partager / son bien, sontemps et les fleurs de son jardin. / Faites de moi, Seigneur, une personne /qui n’oublie pas sa jeunesse / et que rajeunit la jeunesse des autres. /Seigneur, qui avez fixé les saisons / de l’année et celles de la vie, / Faitesque je sois une personne de toutes les saisons / afin que mon arrière saison/ soit belle et porte témoignage à votre Nom. / Merci.

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SENS D’APPARTENANCE À LA CONGREGATION

DéfinitionL’appartenance équivaut à éprouver de faire partie d’un groupe, à

éprouver qu’on a en commun avec les autres certains comportements,objectifs et modes de penser. Ce sentiment a à voir avec un procédéd’identification dans lequel le moi va s’identifier peu à peu avec le nous.Cela nous permet de nous reconnaître et d’être reconnus en tant quemembres d’un groupe du fait que nous avons des choses en commun: dessymboles distinctifs, des expressions, des convictions, des traditions...

L’appartenance se fait consciente en réfléchissant sur la propreidentité, car en étant immergée dans un nous, le moi acquière une nouvellecouleur. La conscience des propres racines, de la propre histoire et culture,des valeurs partagées, crée les conditions d’appartenance.

Les modalités d’appartenance à un groupe sont très variées: ellespeuvent dériver d’un lien biologique, d’un fait héréditaire, d’un accordcontractuel, d’une identification culturelle, d’une adhésion religieux. Biensûr, nous avons ce dernier cas en tête.

Ce n’est pas une question bureaucratiquePrendre le pouls au sens d’appartenance à un groupe est tout à fait

nécessaire pour obtenir une information fondamentalement correcte duterrain sur lequel nous marchons. Par exemple, dans le cas de l’appartenanceà l’Eglise il paraît totalement hors du commun de lire les livres de baptême,faire l’addition des actes, les comparer avec la population paroissiale etaffirmer qu’il y a un certain pourcentage déterminé de catholiques. A moinsqu’on se nie à affronter la réalité, on doit soupçonner que de telles donnéessont tout à fait faussées. Elles ne répondent pas aux faits. Il faudrait direquelque chose de semblable au sujet d’autres groupes et aussi de laCongrégation.

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D’ailleurs, il n’y a pas de graphiques ni de statistiques capables derefléter le sens de l’appartenance à un groupe ou une institution. C’estquelque chose de changeant, d’élastique, susceptible de plus ou de moinsd’intensité. Celui qui appartient à la Congrégation met en elle tous sesespoirs présents et futurs. Celui qui maintient par inertie des lienstraditionnelles, qui n’ont presque pas d’incidence dans ses décisions etson comportement personnel y appartient aussi. De la même façon celuiqui perçoit des symptômes de manque d’affection et de rejet, mais qui necède pas pleinement à eux fait, également partie de cette Institution. Celuiqui la critique de l’intérieur, en même temps que cela lui fait du mal commes’il s’agissait de sa propre chair, ce qui ne lui plaît pas, en fait partie intégrante.

Quatre appartenances différentesAppartenance juridique: j’ai droit à des bénéfices de genre médical,

de nourriture et d’information... J’ai aussi des devoirs, par exemple,d’accepter la destination assignée, d’assister aux convocations importan-tes de la Congrégation ou la Délégation.

Appartenance sociologique: à la vue des autres je suis intégré augroupe. Je ne cause pas de distorsions, ni de problèmes graves. En ce quiconcerne les choses fondamentales je suis ce qui est réglé. J’accomplis latâche assignée, je ne critique pas constamment ce qui se passe à l’intérieurdu groupe.

Appartenance psychologique: mes amitiés sont dans le groupe, jeme confie à l’Institution aux moments difficiles et lorsque mes forces seréduisent. Ce que je gagne je le partage avec les autres sans réticences etsuis convaincu que c’est la manière la plus convenable de le dépenser. Lestraditions, bien qu’elles ne soient pas essentielles, je les accepte sans aucunproblème, comme j’accepte les symboles du groupe sans faire de difficultéset je les assimile avec satisfaction.

Appartenance spirituelle: mes grandes convictions, l’idéal de lavie, la lumière qui m’éclaire par le chemin, l’aide pour discerner... tout celaje le trouve dans les documents et les traditions de mon groupe. Je croisque mon chemin vers Dieu a à voir avec les grands principes –les Règles-qui expriment l’essence de la Congrégation.

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Pas le moi, mais le nous.La métaphore de Paul concernant l’Eglise comme le Corps du Christ

acquière toute sa valeur et on peut l’appliquer à la Congrégation. Chaquemembre agit en accord avec son rôle et son charisme. En ce qui concernela mission: on annonce, l’autre dénonce et encore celui-là se préoccuped’une vie plus digne en faveur de ses frères.... Concernant la communion:chaque membre agit en bénéfice des autres et de tout l’ensemble. Demanière qu’ils s’aident mutuellement. En ce qui concerne la consécration:tout ce qu’on fait est dû à un idéal commun, à un but qui rassemble et quipointe à répondre comme il faut à l’appel de Dieu.

Lorsque les choses se passent ainsi, la personne se sent faire deplus en plus partie d’un tout. Elle ne se comprend pas elle même commeun individu. Elle ne sait ni peut se réaliser d‘une façon isolée. C’est pourcela que l’individu échange ses craintes, ses prières et ses espoirs. C’estpour cela qu’il célèbre avec ses frères l’Eucharistie et partage ses biens etses espoirs. Il arrive que l’on pense de plus en plus comme un membred’un tout plus ample, comme un nous et non pas comme un moi en faced’un tu. Les métaphores de l’Eglise n’affirment pas d’autre chose: Peuplede Dieu, Corps du Christ, Construction, Enclos, etc. Nous nous sauvonsen bouquet ou nous ne nous sauvons pas. Comme les bananes ne peuventpas croître ni mûrir toutes seules, du même mode que les chrétiens.

Bien sûr, ce genre d’appartenance dépasse beaucoup les seuls lienssociologiques, juridiques et utilitaires, etc. Ces liens doivent exister, ils sontbénéficiaux comme soutien de l’authentique appartenance, mais ils ne lasubstituent pas. Le véritable noyau de l’appartenance peut seulement sechercher dans la Parole de Dieu qui convoque à vivre la communion entre lesdifférents membres dans le but d’une mission déterminée dans le monde.

La nécessaire interactionLe sens d’appartenance suppose par le membre d’un groupe le

sentiment conscient d’en faire partie. Ce qui s’accomplit lorsque le groupereconnaît ce membre comme un des siens. Moins la personne s’identifieau le groupe, moins le groupe l’estimera comme partie de ce lui même. Età l’inverse. C’est un cercle vicieux que l’on doit rompre à n’importe quel

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endroit. Le fait c’est que le sens d’appartenance est plus structuré etcomplexe que celui de l’identification spontanée d’un individu avec uneréalité plus indifférenciée: la race, la classe sociale, le parti politique.

Plus l’identification du membre est profonde avec le groupe, plusintense est sa participation et donc plus forte sera l’appartenance. Et bien,pour qu’il y ait une appartenance ferme, il est nécessaire que les membresaient, au moins, un petit peu d’interaction avec le groupe. Bien quel’appréciation du leader a une influence aussi dans le groupe, tout commeles modalités de la participation et l’image positive ou négative que la sociétése fait concernant le groupe.

On comprend alors qu’on est peu estimé lorsqu’on a peu d’intérêtpour le groupe. Mais dans ce cas on assiste a un cercle vicieux: on n’estpas tenu en compte parce qu’on ne se sent ni intégré ni engagé, parcequ’on n’assiste pas aux convocations ou bien on y va de mauvais goût.

Appartenance: un comportement et une visionComment prend-on le pouls à cette réalité psychosociale qu’on

appelle sens d’appartenance? Un chemin d’analyse valable peut consisterà traiter l’appartenance comme une attitude de comportement. A proposn’oublions pas que l’attitude est une disposition favorable ou non enversune réalité qui me survient. L’attitude est configurée grâce à des processuspréalables concernant la perception et l’émotion. L’attitude est la façon dem’apercevoir et de réagir (bien ou mal) à ce qu’il y a devant moi.

Le fait d’appartenir à un groupe suscite des attitudes biendéterminées au niveau social, politique, familial, etc. Si j’ai le sensd’appartenance envers ma famille, ce que j’écoute à ce sujet, me dérangeou me plaît. C’est possible que, si ma famille a toujours appartenu, à unparti politique déterminé, moi, j’y appartiendrai aussi. Nous pouvons leconstater constamment en ce qui concerne les affaires politiques. Il suffitqu’une idée soit sortie du parti opposé au mien pour qu’on la considèremauvaise.

L’appartenance, à soi même, est comme les lunettes à traversdesquelles le membre perçoit son propre groupe. De cette façon il sesente plus ou moins engagé avec lui, il cherche les motivations qui le

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touchent, il participe à ses activités, il s’inspire de ses principes et compor-tements.

Si nous concrétisons avec la Congrégation nous pouvons dire quele sens d’appartenance est la manière de la voir, de la connaître, d’adhérerà elle, de se laisser inspirer par ses principes et ses saines traditions. Il y apeu d’affiliations, s’il y en a, qui engagent si profondément et intimement àla personne comme la liaison au groupe humain que nous appelonsCongrégation. En effet, elle a à voir avec le niveau physique (nourriture,rôles à jouer, avec le lieu de travail et la qualité de ce travail (destination,assignation du rôle...), avec sa spiritualité, ses convictions et principes(profession des Règles).

Le sens d’appartenance mature et sain est capable de surmonter lesantinomies qui surgissent dans la vie. Il dépasse l’antinomie entre l’identitépersonnelle et l’identité institutionnelle, l’antinomie entre liberté personnelleet adhésion a des principes qui ne sont pas nés en moi seulement, l’antinomieentre le sentiment religieux intime et l’expression d’un sentiment collectif.

Une appartenance saine fait des efforts pour discerner, comprendreet nuancer, mais elle ne rejettera pas de s’adhérer à la Congrégation endisant que l’air est devenu irrespirable dans son intérieur et elle ne claquerapas la porte en argumentant qu’il y a des conduites inacceptables. Un telcomportement équivaudrait à –comme on dit- jeter l’enfant avec l’eausale de la baignoire. Il faut acquérir des attitudes adultes, nuancées, etsavoir que le Christ est vivant dans la Congrégation comme il l’est dansl’Eglise, bien que certains comportements ne le laissent pas voir. Ladémocratie, elle aussi, est prostituée dans beaucoup d’aspects, mais aucunepersonne sensée ne renonce à elle à cause de la boue qu’elle entraîne.

D’abord il faut éclaircir les motifs pour lesquels on a fait l’option dela Congrégation. Nous savons qu’ils vont au-delà d’un discernementintellectuel. En général, à un très jeune âge, qui est le temps de l’admission,cet aspe est très secondaire. Les motifs du choix évidemment doivent êtreen consonance avec notre propre vision du monde et des valeursfondamentales qui nous touchent. Si la Congrégation est un obstacle auxplus intimes désirs de la personne, alors le choix ne sera pas bon.

Si les motifs sont authentiques on comprendra l’appartenance comme

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un fait positif. Un don de Dieu qui produit la joie par le fait de faire partied’une communauté fraternelle et pour avoir une tâche avec le but deconstruire une société meilleure. Tout ce qui est négative sera examinéavec un sens critique, mais l’appartenance ne s’éprouvera pas comme unfardeau qui pèse lourdement, comme une obligation dont on ne peut pasfacilement s’en sortir, comme une contribution qu’il faut payer.

Eclairées les raisons du choix, l’appartenance ne consistera plus enune relation juridique ou sociologique, mais, par contre, deviendra uneappartenance psychologique et spirituelle. Alors elle se renfermera parcequ’elle ira au-delà des structures et de la bureaucratie.

Nous savons bien que le sens d’appartenance ne s’accroît pas àforce de promulguer des règles, d’uniformiser par l’autorité ou par lesmenaces. Les codes et les formules sont valables dans des cas précis,mais ils ne servent pas à nourrir le sens d’appartenance. Celle-ci est laréalité, bien que les conservateurs, ni les nostalgiques, ni les autoritaires lereconnaissent. Le fait est que l’on accepte la règle parce qu’on a le sensd’appartenance, mais pas l’envers.

L’appartenance s’épanouit dans les milieux les plus intimes de laliberté. On ne l’obtient pas avec le recours en ayant recours à des stratégiesétrangères au témoignage et à la fraternité. Ce qui peut obtenir les règles,en tout cas, c’est une appartenance de traits pathologiques, fondée sur lacrainte. Mais alors on fait recours à des zones les plus obscures de lapersonne: la peur, l’insécurité, l’angoisse, les scrupules. Ce sera difficilede construire des rapports clairs et joyeux entre les membres d’unecommunauté sur des telles bases.

A une communauté de frères on n’y arrive pas non plus par la sim-ple transmission des idées. On construit seulement par contagion desexpériences, par l’expérience même de l’Esprit vivant. De manière quel’uniformité imposé -et moins encore imposé d’en haut- ni à moyen ni along terme est capable de produire des fruits sains pour l’arbre del’appartenance.

Avoir le sens ecclésial équivaut à être conscient de faire partie del’Eglise et de s’en sentir membre actif. Par contre, être ecclésiastique im-plique des traits péjoratifs. Cultiver avec soin ce qui est essentiel à

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l’Institution et à sa philosophie est une chose, mais insister sur les liensjuridiques et sur les symboles périphériques du groupe c’est une autrechose.

En ce qui concerne cette idée de Congrégation on peut bien direque l’authentique appartenance ne centre pas son attention à des détailscomme les fêtes et les faits externes, mais qu’elle pointe vers le noyau ducharisme: la miséricorde, la mission, la fraternité. De même que dans l’Egliseon peut être ecclésiastique en opposition à ecclésial, une chose semblablepeut se dire concernant la Congrégation.

Le besoin d’appartenanceL’être humain a besoin d’appartenir a un groupe, de s’associer aux

les autres, d’éprouver qu’il fait partie d’un réseau de relations. Le sentimentd’appartenance nourrit l’estime sociale de lui même et se trouve à l’extrêmeopposé du sentiment de solitude. Celui qui n’a pas le moindre sentimentd’appartenance ressemble à un clochard dans le milieu psychologique.

Ce sentiment se développe grâce à l’adoption de rôles etresponsabilités qui contribuent au bon fonctionnement du groupe. Celui-làs’intensifie lorsque la personne a l’occasion de partager. Les expériencesqui ont à voir avec partager et la collaboration permettent à l’individu decréer des liens avec ses copains.

Si l’on n’est pas à bon aise à l’intérieur d’un groupe on ne réussirapas à être bien heureux. Cela ne veut pas dire que le propre groupe estmieux et plus valable, mais tout simplement lui permet d’être celui qu’il est.C’est le sien. Si l’individu vit en tournant le dos au groupe, a ses règles, àses célébrations et ses idéales... S’il n’a pas de véritables amis dans legroupe, si son travail se situe en marge du groupe, si normalement ne luitransmet pas ses expériences... alors où sont ses racines? Elles semaintiennent dans l’air.

Un tel individu manque d’identité, car celle-ci a inévitablement unedimension sociale. Et si il est toujours mécontent envers le groupe, le cri-tique et augmente ses défauts... Si lorsqu’il en parle il le fait comme s’ilparlait d’une troisième personne... les choses ne vont pas bien.

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Appartenance sans sens d’appartenanceTout ce que nous avons dit s’aggrave si le groupe dont nous parlons

est celui qu’on a choisi pour vivre sa foi, sa fraternité et sa mission.Quelqu’un peut comprendre cette schizophrénie? On choisit un groupe demanière libre et fait profession d’y appartenir, d’y vivre la foi, la prière, lafraternité et encore d’y travailler. Mais tout à l’heure le critique toujours,ne syntonise pas toujours avec ses membres, n’en partage pas l’économie,les nouvelles le laissent indifférent comme les idéales aussi. Evidemmentquelque chose de grave se passe. Il est difficile de comprendre une tellesituation. Et encore moins si, après tout, on montre une certaine supérioritéet même une méprise envers le groupe en question.

Concrétisons un peu plus encore. Si la Congrégation n’est pas lacommunauté à laquelle on sent qu’on appartient... où s’enracine le sentimentd’appartenance? Parce que ce sentiment doit faire partie du patrimoine dela personne, à moins qu’elle se résigne à vivre avec des manques profonds.

Peut-être que le congréant a le sens d’appartenance envers le clergédiocésaine? Une telle situation serait assez ridicule. Il n’a pas professé saspiritualité, ni l’évêque ne se charge de sa santé, ni l’accueillera lorsqu’ilarrive à la vieillesse. Et, cependant, il y a celui qui se préoccupe en pluspour l’économie de la paroisse et pas pour celle de la Congrégation. Il y acelui qui se rend toujours aux rendez-vous du diocèse, mais il est toujoursabsent des convocations de la Congrégation. Sans doute, il considère queles exigences de la Congrégation sont secondaires. Elles sont bonnes tandisqu’elles n’interfèrent pas dans son projet personnel.

C’est encore pire si le sentiment d’appartenance ne pointe vers aucunendroit. Un individu sans sentiment d’appartenance peut jouir difficilementde pleine santé psychique, parce qu’il lui manque des racines, et dessoutiens. Encore plus: il offense ses collègues lorsqu’il se montre réticent àassister à des réunions, lorsqu’il ne s’intéresse pas au projet commun,lorsqu’il méconnaît ce que font ses confrères et ne veut pas leur rendrevisite. On dirait qu’il les sous-estime sans le dire.

Des scènes, des mots et des anecdotes de ce genre abondent. Il y acelui qui paierait pour ne pas assister à une assemblée. Il y a celui quiarrive en retard et part avant de finir le rendez-vous. Il y a celui qui ne peut

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pas assister à la réunion parce qu’il a d’autres travaux à faire. Evidemmenttous ceux qui disent ces choses se trouvent désorientés et confondus.

Il se peut qu’on ne lise jamais une revue congrégationnelle, qu’onne sache pas l’endroit géographique où vivent ses copains de classe. Etc’est mieux de ne pas parler d’expressions ironiques et sournoises.Pourquoi ne tirent-ils pas les conclusions dues de leurs mots et attitudes?Quelles raisons peut-on avoir pour se maintenir dans un groupe humain etchrétien qu’ils ont choisi librement et auquel ils ont promis d’être loyaux?(Manuel Soler Palà, msscc)

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