Fortunes de Ponge

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  • 7/23/2019 Fortunes de Ponge

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    Fortunes de Ponge (1924-1980) : esquisse dun tat prsent Bernard Beugnot et Robert Mlanontudes franaises, vol. 17, n 1-2, 1981, p. 143-171.

    Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :

    URI: http://id.erudit.org/iderudit/036735ar

    DOI: 10.7202/036735arNote : les rgles d'criture des rfrences bibliographiques peuvent varier selon les diffrents domaines du savoir.

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    Fortunes de Ponge

    1924-1980)*

    Esquisse d'un tat prsent

    1

    BERNARD BEUG NOT et

    ROBERT MLANON

    Ponge, qui est un guide lluminateur lorsqu'on

    n'a pas d'autre ambition que de le suivre et de

    s'merveiller, est d'un abord difficile au critique

    parce que l'on ne peut essayer de rendre compte

    de sa dmarche qu'il ne vous force (qui sait pour-

    quoi?) l'emp run ter, et alors il vous montre bien

    que son allure est inimitable, et que sur ses voies

    vous irez toujours gauchement

    A

    PIEYRE

    DEM A N D I A R G L E S (1956)

    L 'igno ranc e mu tuelle dans laquelle se sont dveloppes beau-

    coup des tudes consacres l 'uvre de Francis Ponge a plus

    favoris que restreint la formation d'une vritable topique critique,

    d'un rseau de lieux communs dont Philippe Sollers (1960)

    *Francis Ponge et Ian Higgins (University of St.-Andrews) ont apport ces

    pages prcisions et amliorations dont nous les remercions vivement

    1 Afin de ne pas surcharger ces pages d'adresses b ibliograph iques, nous ren-

    voyons, pour les rfrences commodment accessibles, aux instruments classiques,

    de D W Alden French VII depuis 1949, devenueFrenchX X depuis 1969 et publi

    N e w York) et de O Klapp

    (Bibliographie derfranzosischen Literaturwissenschaft,

    F r a n c -

    fort, depuis 1957) O n se conte ntera donc le plus souvent d'un nom et d'u ne da te II

    existe en outre dj plusieurs bibliographies se rapp ortan t Francis Ponge, m me si

    l 'on ne dispose pas encore d'u n relev systmatique, complet et critique Le

    meilleur inventaire d'ensemble reste, sa date, celui qu'a tabli Jean Thibaudeau

    dans sa mon ographie de 1967 la reprise du catalogue de l ' uv re , dress en 1960

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    144 tudes franaises, 17,1-2

    dnonait, non sans raison, la strilit : innom brables dveloppements

    sur la posie descriptive, objective, qui sont l'occasion de rap-

    proch em ents avec la posie de Guillevic, de Je a n Follain (qu and ce

    n'est pas avec celle de l'abb Delille) ou avec le Nouveau roman,

    considrations qui t iennent souvent plus de la rcupration

    idologique q ue de la critique littraire sur le matrialisme de

    Pon ge, comparaisons avec

    la

    Nauseet le personnage de R oq uen tin,

    vagues allusions un Ponge peintre de natures mortes parfois

    tayes d'une rfrence Chardin ou Braque. Il y aurait un

    florilge faire de ces clichs de la critique, ainsi que des textes de

    Pong e les plus com m un m ent cits (la dfinition de

    Yobjeu

    dans Le

    Soleil plac en abme; parti pris des choses gale compte tenu des

    mots; prendre chaque soir un nouvel objet..., etc.) Ainsi il ne

    serait pas malais de reconstituer un article type, avec son cortge

    de variantes reprsentes par plusieurs comptes rendus et notes de

    lecture qui paraissent avoir pour vertu essentielle de faire nombre

    et de contr ibu er, pa r une sorte de bru it de fond, la diffusion d' un e

    oeuvre difficile. Mais ces facilits de la critique entranent surtout

    une rduction de l'oeuvre dont elles durcissent les contours et

    simplifient les desseins.

    La ncessit d'u ne tentative de pan oram a et de bilan

    2

    est ren-

    due plus vive encore par le foisonnement et la diversit des textes

    par F Ch apo n, pour le compte de la bibliothque Jac que s D oucet, est en effet jointe

    une liste d'tudes critiques o se glanent des rfrences rarement donnes ailleurs et

    s'ajoutent une phon ogra phie, une iconographie et une filmographie Pour l 'u vre

    seule, si l'essentiel est trs aisment reprable grce au soin que prend Ponge lui-

    mme runir ses textes en recueil, l'histoire dtaille du texte demande des en-

    qutes bibliographiques qui ne sont encore qu'am orc es M ais les deux travau x

    dj publis sont d'u ne prcision exemp laire il

    s agit

    duCatalogue des manuscritsde

    F Ponge, tabli par F Chapon pour l 'exposition Ponge qui s est tenue au centre

    Be aub ourg en 1977, et de la Bibliographie des textes de F Ponge pa rus en volume

    (ma rs 1926 octobre 1976) due Claire B oaretto{Bulletin

    du

    b ibliophile, 1976), qui

    annonce un travail similaire pour les publications en revues, la filmographie et les

    trad uctio ns En ce qui concerne les tudes critiques , toutes les bibliogra phies

    disponibles, la suite de certains articles ou dans les monographies, sont lacunaires

    et slectives O n regrette que dans le tome VI et dern ier, rcem ment paru de l 'ex-

    cellente

    Critical Bibliography

    o f

    French Literature

    (The X X th Centur y, edit par R A

    Brooks and D W Alden, S yracuse, U P , 1980), Ia section consacre F Ponge (vol

    II ,n 10368 10390) soit la fois grle et peu cohrente da ns ses choix, y m an qu en t

    par exemple les monographies en langue franaise ou les travaux, pourtant fon-

    dam entau x, de M Riffaterre

    2 O n ne disposait jusq u'ici que de trois amorces d'ta t prsent D G Planck

    (1965), R G reene (1974) et G Butters (1976) Q uan t la contribution de J

    Onimus au Dizionano cntico

    dlia letteratura francese

    (dir F Sim one, Tu rin , 1972),

    elle comporte diverses erreurs de fait et n'obit gure l'inspiration gnrale de

    l'ouvrage qui voulait dresser un bilan critique et dessiner l 'histoire d'une fortune

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    FortunesdePonge 1924-1980) 45

    qui parlent de Ponge et de son oeuvre. D un ct, prolifrent les

    tmoignages d amiti, d admiration ou d hostilit, les expressions

    de solidarit littraire, les notules dont l intrt souvent ne va gure

    au-del d un titre ou d une formule heureusement trouvs :

    Camus (1943), Magny (1946), Jaccottet (1956), Perros (1973)...; il

    y a la matire unCorpus pongianumqui serait pice essentielle pour

    toute tude de rception. On pourrait y suivre les tapes par les-

    quelles cette uvre d abord confidentielle a progressivement re-

    joint le public des collections de poche. En effet, mme si ce n est

    pas sans exagration que Thibaudeau (1967) crit que les tudes

    qui ont t consacres Ponge doivent s entendre dans un contexte

    gnralement hostile, il est vident que l uvre a d vaincre des

    rsistances dont il serait intressant d analyser les formes : on lirait

    sans peine dans les ractions d Estang (1949), de Saillet (1949), de

    Onimus (1953), de Wahl (1958), de Lacte (1962), de Hallier

    (1965) et alii une ide, souvent implicite, de la posie. Le dpla-

    cement de cette ide n est pas un aspect ngligeable du retentisse-

    ment d une uvre qui a d, comme toute uvre authentiquement

    novatrice, crer les conditions de sa propre lisibilit.

    D un autre ct, les tudes plus spcifiquement critiques, uni-

    versitaires ou non, relvent de problmatiques diverses : tantt

    elles vont quter du ct de la morale, de la philosophie, voire de la

    mtaphysique les arrire-plans de la dmarche potique; tantt

    elles amorcent une lecture discrtement psychanalytique

    (Thibaudeau, 1967; Prigent, 1977) ou inventorient l arsenal potique,

    procds d criture, processus d engendrement, modles formels.

    A grands traits, l volution des tudes sur la posie de Ponge pour-

    rait se rsumer comme la substitution progressive des travaux

    d analyse aux simples tmoignages.

    LESPIONNIERS

    r> > J ,

    Tout Ponge tait

    donne

    (sa pense,sonesprit,sa

    mthode)

    ds ses

    premiers propos ,

    ds ses

    premiers crits

    G AUDISIO, cit par

    J

    Thibaudeau (1967)

    Deux brves notes de lecture de Hytier (1924) et Groethuysen

    (NRF, avril 1927) composent un double prome toute la critique

    pongienne dont elles anticipent les thmes fondamentaux. Hytier

    avait fond avec Audisio la revue le Mouton blanc

    3

    (1920-1924), qui

    3 Comme

    on

    sait, c'est

    l le nom d un

    cabaret

    o la

    tradition voulait

    que La

    Fontaine, Molire et Boileau se fussent rencontrs, son program me paradoxal

    prfigure

    le

    titre

    du

    colloque

    de

    Censy , Ponge inventeuretclassique

    II est

    peut-tre

    significatif que Pong ey ait publises prem iers textes,aumomentoDada prparait

    la voie

    au

    surralisme

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    146 tudes

    franaises

    17 1-2

    se dfinissait comme l'organe du classicisme moderne; Ponge y

    avait publi ses premiers textes. En novembre, 1924, un peu press

    par la disparition du

    Mouton blanc,

    sans atte nd re que F rancis

    Ponge ait publi son premier livre, Hytier donne dans le dernier

    numro de sa revue une Prface l'avenir dans laquelle, en ne

    s'appuyant que sur quelques textes brefs publis en revue, il salue

    un Ponge terriblement modeste devant son gnie, qui ne cre

    pas par inspiration mais par conspiration, [...] sachant bien jouer

    sur les mots sans tout p erdre au procd. M ais il y a plus dans cette

    note qu'un beau portrait de l 'artiste en jeune homme, la descrip-

    tion presque prophtique des deux formes essentielles que prendra

    son oeuvre au cours du dem i-sicle qui suiv ra : sur les frontires de

    l'art et, comme qui dirait, de la grammaire, un genre absolument

    nouveau qui saisit les problmes du langage comme prtexte

    posie, et des proses, les plus pas sionnes, les plus sau vage s, sans

    autre contrle qu'ar tisti qu e, [...] d'u ne sagesse que n'e t jam ais at-

    teinte la prcaution de son intelligence (voyez sonEsquisse

    d unepa-

    rabole,

    o l'on viendra chercher plus tard les germes de Ponge...).En suggrant que c'est dans l'invention d'une fable moderne que

    s'ouvre la vraie voie de Ponge, Hytier indiquait un champ de

    recherches qui n'a commenc d'tre explor systmatiquement

    q u' au cours des dix ou quinze dernires an nes . Qu an t la note de

    Groethuysen surDouze petitscrits,elle m on tre d ans ces textes ellipti-

    ques l'esquisse d'un drame de l'expression qui sera l'un des thmes

    essentiels de Ponge, et l 'un de ceux auxquels les commentateurs

    venir s'attarderont le plus volontiers : J'aime les douze petits

    pom es de Francis Po ng e, qu e le silence unit : le mo t balbutie et la

    pense s'agite. Ils se fuient et se disent : ce n'est pas toi. Balbutie-

    ment encore et retours inquiets. Puis c'est la rencontre, l 'heureuse

    rencontre. Une parole est ne dans le monde muet.

    Il faudra prs de vingt ans avant qu'on l'entende.

    SA R TR E E T SES PIG ON ES (1944-1960)

    Nous avons tous dcouvert Ponge en lisant

    Situations I.

    O. HAHN (1962)

    M m e si les premires ractions auParti

    pris

    des

    choses,

    qui res-

    tent rassembler, perm ettent Je an Paulhan d'crire Ponge,

    On te fait prince et chef d'cole, la magistrale tude duParti

    pris

    des

    choses que Sartre publie en 1944 marque non seulement le vrai

    dbu t des travaux sur l' uv re trente-cinq ans aprs, sa consulta-

    tion s'avre toujours indispensable mais aussi le dbut de sa dif-

    fusion auprs d 'u n public plus large que quelqu es crivains et amis

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    Fo rtun es de Pon ge 1924-1980) 147

    de l 'aute ur L 'homm e et les choses a jou , et continue djou er un

    rle dterminant dans la lecture de Ponge, mme si certaines vues

    de Sartre ont t depu is rejetes ou nuanc es Plus qu 'u n e analyse

    de

    Parti pris des choses,

    le texte de S artre est u ne prsen tation

    d'ensem ble de l ' uv re de Ponge o sont examines successivement

    ses thories sur le langage et leur mise en oeuvre dans un ensemble

    de pom es en prose M m e si, outre le Parti pris des choses, Sartre

    avait eu accs grce Camus, divers manuscrits, il reste que les

    limites relles de son tude tiennent, au moins autant qu' l 'orien-

    tation qu'il lui a donne, au fait qu'il a eu connaissance surtout du

    prem ier Po ng e, celui des textes brefs, boucls double tour da ns

    ce que P au lha n appelait leur infaillibilit un peu courte Ainsi

    s'expliquent les dveloppements sur la ptrification du langage,

    qui peu ven t to nne r les lecteurs duPourun

    M alherbe,

    duSavonou de

    laFabriquedupre L a suite de l ' uv re de Pong e a frapp de caducit

    la thorie sartrienne du mot-chose et sa dfinition du pome

    pong ien com me chose lui-mm e dan s sa structure synthtique

    Par contre, l 'esquisse d'une mise en situation historique de l 'en-

    treprise de Ponge dans une crise du langage caractristique de

    l 'entre-deux-guerres malheureusement nglige par presque

    tous les com m enta teurs ultrieurs et des pages pn trantes sur le

    souci originel [ ] de nom ination d'u n Ponge venu aux choses

    par le dto ur d 'u ne rflexion sur la parole indiqu ent des directions

    de recherche toujours fcondes, de mme que toute la fin de la

    premire partie o, sans parvenir toutefois dgager clairement le

    concept de fable, Sartre note que le parti pris des choses conduit

    la leon de choses, que le pome tend l 'apolog ue dans la m esure

    o il cherch e con qurir des terres vierges nos sensibilits L a

    seconde partie, qu'ouvre la virtuosit d'une analyse stylistique o

    les pomes du Parti pris des choses sont dcrits com m e des

    mosaques labores par juxtaposition, conclut la parent de

    l ' uv re de Ponge et de la dm arche phnom nologique O n se rap -

    pellera seu lem ent les rserves de Ponge d ans le colloque de 1977 sur

    le commentaire des dtails typographiques

    Pa ulh an m 'a d em an d si je l 'auto r isais corr iger les

    preuve s II n 'a pas corrig cette faute, la phrase n'est pas

    termine l 'endroit o Sartre croit qu'elle se termine, d'o

    toute son exgse de la diffrence de mon style avec celui de

    Pascal est base tout simplement sur une faute des typo-

    grap hes (p 171-172)

    II y a dans l 'hommage sartrien une tentative de rcupration

    philosophique (plus subtile, certes, que la lecture par Camus du

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    148 tudes franaises, 17,1-2

    Parti

    pris

    (lettre du 27 janv ier 1943) comm e une uv re ab surde

    l'tat pur, presque une paraphrase du Mythe de Sisyphe),qui

    hypothquera longtemps la critique.

    Bien des textes consacrs Ponge depuis seront en effet des

    reprises ou des prolongements de Sartre. Si Alexandre Astruc

    (1945) lui demande surtout une stimulation initiale pour un por-

    trait de Ponge rvolutionnaire don t l 'entreprise potique rpond au

    besoin de libration de l 'esprit et qu i, sur la base d'u n hum anisme

    nouveau inspir de la grande tradition classique, cherche dans

    l'attrait pou r les choses une technique de salut contre l 'absurd it du

    monde, Champigny (1952) paraphrase vaguement l ' interprta-

    tion de Sartre, laquelle il n'ajoute, de faon peu convaincante et

    sans l 'exploiter, l 'occasion d 'un rapproc hem ent incongru avec le

    Dickens des

    Pickwick Papers

    que l ' ide d'un humour involontaire.

    De telles variations dureront, et mme au-del, jusqu' ce que la

    revue

    Tel

    quel impose une autre image; ainsi en 1959, Douthat fait

    du

    Parti pris deschoses

    le modle d'une posie existentialiste, et en

    1963,

    Denat croit encore y trouver un mouvement naturel de la

    pense phnomnologique. On comprend mieux ds lors la rac-

    tion de Ponge qui crit en dcembre 1947 (texte publi dans

    Mthodes) :

    En g nral, on a don n de mon oeuvre et de mo i-mme des ex-

    plications d'ordre plutt philosophiques (mtaphysiques) et

    non tellement esthtiques ou proprement parler littraires

    (techniques). C'est cette statue philosophique que je don-

    nerais d'abord volontiers quelques coups de pouce.

    Il ne faudrait pas pourtant rduire la critique ces sous-

    produ its de Sartre. Ds 1944, Je an To rtel, l 'un des com m entateu rs

    les plus attentifs signe le premier d'une srie d'articles et de comptes

    rendus dont la publication jalonnera les tudes sur Ponge jusqu'au

    colloque de Cerisy. O n pe ut y suivre le chem inem ent d 'un e pense

    critique nuance, qui n'hsite pas renoncer ce qu'elle avait pu

    tenir pour acquis afin d'pouser le mouvement de l 'uvre telle

    qu 'elle se livre progressivem ent la lecture . En 1949, propros de

    Promes,

    Tortel note, l 'un des tout premiers, que leParti

    pris

    n'est

    pas un abou tissement mais un dbut et que le centre de l ' uv re se

    trouve dans une rflexion sur la parole qui dfinit une thique.

    Sensible au rythme pong ien, T ortel dcle dansPromesune brus-

    querie (irrationnelle) du dpart de la pense qui tranche sur la

    calme matrise du Parti pris. En 1953, commentant

    l Araigne

    etla

    Rage del expression,

    il dcrit plus en dtail cette coexistence dans

    l 'oeuvre de Ponge de deux langages opposs : une parole

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    Fortunes de Ponge 1924-1980) 149

    travaille presque mallarmenne et des textes sans structure issus

    d'une lutte rageuse contre un langage qu'il faut forcer, coexis-

    tence o l' uv re se fait dan s une elucidation continue. E n 1961,

    la publication du Grand Recueilest l'occasion de d passer ce

    dualisme pour souligner l'tendue du registre pongien et l'unit

    absolue de son oeuvre; fait souligner, Tortel est l'un des rares

    critiques malgr la mise au point de Robbe-Grillet (1958), c'est

    alors l'opinion com m une insister ds le dbut des annes 60 sur

    tout ce qui spare P onge des recherches formelles qui sont celles du

    nouveau roman. En 1975, enfin, au colloque de Cerisy, il consta-

    tait l'impossibilit de recouvrir (de remplacer) la parole pongienne

    par une autre, puisque son texte propose la figure d'un mouve-

    ment perptuel. Ce retour tautologique l'uvre impossible

    de parler de Ponge autrement qu'en parlant Ponge au terme

    d'une si longue frquentation marque exemplairement l'aporie

    dans laquelle s'enferme toute une critique qui semble condam ne

    ne rendre compte des textes qu'en les rptant dans la paraphrase

    ou la citation, mme si ce travail mimtique se rvle utile leur

    diffusion.

    S'il est lgitime de lire dans cette redite sinon une carence, du

    moins une limite de certain discours critique, il faut aussi y saisir,

    ngativement et comme en creux, un trait essentiel du texte

    pongien qui occupe d'avance l'espace du commentaire en se glo-

    sant lui-mme dans l'instant mme qu'il se formule : du premier

    des Douze petits crits Comm ent une figue deparoleset pourquoi, l ' u v r e

    de Ponge s'difie en effet dans un mouvement rflexif d'autocritique

    et ne parat paradoxalement se dployer qu'en se repliant indfini-

    ment sur elle-mme

    4

    . La crise du langage qui est son origine sans

    cesse reprise a pour consquence une crise du m talangage qui rend

    particulirement ardue la tche de la critique longtemps incapable

    de prend re p ar rapp ort au discours pongien la distance ncessaire

    son exercice. Je suis moi-mme le lecteur de ce que j ' c r i s ,

    dclare Ponge Ristat en 1978.

    4 L 'u vre est galement riche en textes prop rem ent rflexifs qui contribuent

    clairer le projet potiqu e Aux textes bien connu s qui se trouve nt ru nis dans

    Mthodes (1961), auxEntretiens avec Philippe Sollers (1971) s'ajoutent les interventions

    dan s le colloque de Cerisy et les entrev ues accord es J Du ch (1950 ),

    P Big ong ian(1 961 ), S G avronsky (1969 et 1974), A Rudolf (1974), J F Ch evn er

    (1976),

    J R istat (1978) et L Dah lin

    {French

    Review, 54, 1980) Les archives

    radiopho niques reclent aussi des docum ents dont l 'inven taire systmatique reste

    dresser pour R adio -C ana da, par exemp le, des entretiens avec A Pa nn au d (1966),

    M M oineau (1967), M artine de Barsy (1972), Francine Vigneau (1978)

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    150 tudes

    franaises

    17 1-2

    Ds la fin des annes 40 toutefois un autre type de commen-

    taire s'esquisse, qui met le texte de Ponge l 'preuve de concepts

    critiques mieux dfinis et o la paraphrase cde l 'analyse. Dans

    une prsentat ion d 'ensemble brve mais b ien centre , Magny

    (1946) reconstitue la dm arche qui a conduit Pon ge au

    Parti

    pris

    des

    choses;

    son article doit beaucoup Sartre, mais quelques ides im-

    portantes et nouvelles l 'hum ou r, notam me nt, dont l 'Hom me et

    les choses ne touche mot y font leur a ppa rition, ainsi q u 'u n rap -

    prochement avec Mallarm. Mounin (1949), extrmement critique

    l'gard de Sartre qui il reproche d'avoir t trop press de

    changer

    le

    Parti pris des chosesen longue m taphore existentialiste in-

    consquente, dcle dans l'oeuvre de Ponge une vision et une

    dmarche antipascaliennes, et il en propose une des rares lectures

    authentiquement poli t iques en la si tuant par rapport au com-

    munisme. Carrouges (1952) tudie les rites d'homologation du

    lyrisme de Ponge dans lequel il note un tellurisme baroque, et

    s'interroge sur le sens du matrialisme dont se rclame l' uv re et

    qui est de toutes parts pntr d'u n anthropomorph isme mythique.

    Tout en dcelant les multiples chos d'une culture qui, de Lucrce

    Mal larm, nourr issent toute la pos ie de Ponge, Garampon

    (1952) lit l Araigne comme image de la solitude de l'crivain; la

    description comme objet en gestation, la qualit oraculaire, le

    rle dynam ique du lieu comm un, l 'archasme volontaire, autant de

    points forts bien saisis pour conclure que C'est bien l 'homme

    que , par la mdiation exemplaire de l'objet, Ponge s'adresse,

    l'homme dont la perdition ou le salut dpend uniquement de lui-

    mme. Partag entre la sduction et l 'irritation suscite chez lui

    par la

    Tentative orale,

    Etiemble (1950) situe Ponge entre science et

    mystique et voit dans la rhtorique l'unit de cette cosmogonie

    dont l 'homme serait le dmiurge. Noulet (1953, 1954) signale, la

    prem ire, une esthtique musicale de la variation do nt les critiques

    ne s 'aviseront, en gnral, qu'aprs la publication des livres-

    dossiers dans lesquels Ponge livrera tous les tats successifs d'un

    texte : les meilleures pages de Francis Ponge, crit-elle dans une

    formule qui sera maintes fois reprise ou amplifie par la suite, ont

    tout de l'art classique de la fugue. Enfin, Schneider (1953) amorce

    un bon inventaire des procds calligramm e, calembo ur , je-

    tant les bases d'tudes rhtoriques venir.

    De mm e qu 'en France des revues comme laNRFouCommerce

    (publi par Valry , Fa rgue et L arb au d, 1925) avaient les prem ires

    publi Ponge, ce sont des revues qui amorcent sa rputation

    l 'tranger : Bottegha oscure,(qu i p ublie 1'Araigne en 1949 et

    L'anthracite en 1951), Horizonde Cyrill C onno lly, Mesuresde

  • 7/23/2019 Fortunes de Ponge

    10/30

    Fo rtune s de Ponge 1924-1980) 151

    Barbara Ch urch, Sur( Buenos A ires grce R og er C aillois),Tran-

    sition

    de Du thuit et Jola s,

    Vient

    de Pau l Bowles

    5

    . En Suisse, Fritz

    M eyer (1947) analyse dans La bougie, le dialogue de l 'hom m e et

    des choses, et Zeltner-Neukomm (1949), qui voit en Ponge le

    matre achev de la nature morte, crit duParti

    pris des

    choses qu' i l

    est un dialogue ininterrompu avec la langue. Dans des notes de

    1950, publies en 1956, Franz Hellens, ancien directeur du Disque

    vert,

    clbre en Belgique la nou vea ut de F rancis Ponge avec des

    accents aussi chaleureux que justes (Pote maudit ses dbuts, il

    triomp he de toutes les maldictions, et ds aujo urd 'hui l ' uv re en-

    core inacheve prend figure, malgr l 'auteur, malgr tout, de

    classique), insistant sur la fconde confrontation avec les arts

    (le

    Peintre

    l tude)

    et sur l'humour intrieur de bien des textes. Les

    relations de jeun esse et ce bref essai clairent l'hom m ag e rend u pa r

    Ponge Hellens

    {Lyres,

    1961).

    En Angleterre, Miller (1947) prsente Ponge comme un cri-

    vain rvolutionnaire, tandis qu'en Italie, Bigongiari (1950) s'at-

    tache mettre en lumire le caractre spcifique de son langage

    dans les rapports qu'il entretient avec la tradition. L'essai de Bi-

    gongiari qui sera traduit en franais, d 'abo rd partiellemen t dan s

    la

    NRF en

    1956, puis intgralement dans lesCahiers

    du Sud

    en 1958

    s'avre aprs trente ans une des prsentations d'ensemble les

    plus pn tra nte s, et sa lecture reste aussi indispensable q ue celle des

    textes plus connus de Sartre et de Sollers (1960).

    En France mme, l'oeuvre de Ponge ne reoit pas alors un ac-

    cueil un an im em ent favorable. Saillet (1949), par exem ple, dans un

    article qui se signale par une gran de violence, s'en p rend aux pom-

    posits, aux lourdaudes coquetteries du prote Ponge qu'il

    juge la fois vulgaire et tarabiscot. Plus nuanc, Rolland de

    Rnvi l le (1947) lu i reconna t la fanta is ie personne l le , la

    singularit, l ' invention, qui permettent de le nommer un vrai

    pote, mais seulement aprs avoir soulign qu'il refuse [...] cet

    engagement total du pote dans sa recherche, sans lequel cette der-

    nire ne peut apparatre qu'bauche, ce qui amne conclure

    la ruine que porte en elle-mme la prmditation qu'il affiche.

    5 Le rayonn em ent internationa l de la posie de Ponge peut se mesurer au

    dveloppement des traductions dont l 'inventaire serait sans doute relativement ais

    tablir partir des archives de G allimard En 1965, une anthologie est traduite en

    allemand par G He nning er et K Sp ann , Hohnish (1977) fournit dans une note la

    liste des traductions allemand es S Ra binovitch tradu it en anglais L'allumette et

    L a t o r t u e

    (Adam International Review,

    1972) e t sous le t i t re de

    The Power of Language

    (1979), S G avronsky produit u ne slection de textes em prun ts divers recueils, en

    mme temps qu'il donne les rfrences des recueils prcdemment traduits (1969,

    1971, 1972)

  • 7/23/2019 Fortunes de Ponge

    11/30

    152

    tudes

    franaises 17,1 -2

    Ces rsistances se prolongeront tout au long des annes 50, voire

    au-del, par exemple chez un Onimus (1953) qui parle de dfigu-

    ration de l 'homme ou chez un Wahl (1958) aux yeux de qui

    Ponge n'est rien. Elles font alors toutefois figure de combats

    d'arrire-garde : auprs d'un cercle largi de lecteurs avertis,

    l 'uvre s est impose, comme en fait foi le numro d'hommage

    que lui consacrela.NRFen septembre 1956. Ce num ro s'ouvre sur

    une lettre de Cam us Francis Ponge, qui a aujou rd'hui essentiel-

    lement valeur documentaire

    6

    ; puis une brve prsentation de

    Francis Ponge (dont le ton dit quel point Ponge avait alors en-

    core besoin d'tre prsent) due Grenier paraphrase de loin

    l'tude de Sartre et le dfinit comme le pote des objets; suivent

    l 'hommage de deux jeunes potes, Philippe Jaccottet et Andr

    Pieyre de Mandiargues, et la traduction de quatre tudes parues

    hors de France de C ar ne r , M il ler , Bigongiar i et Z el tner-

    Neukomm qui tmoignent d'un rayonnement dsormais inter-

    national. A ussi, mme s'il apporte peu de nou veau t, ce nu m ro de

    la

    NRF

    prend valeur de bilan provisoire.

    Pour quelques annes, la figure de Ponge est fixe : il est,

    selon les mots de Picon qui lui consacre un paragraphe aux cts

    d'Henri Michaux et de Ren Char dansVHistoire deslittratures de

    l'Encyclopdie de la Pliade (1958), le matre d'une rhtorique

    raliste, qui attend du langag e une quivalence de l'objet.

    Entre cet hommage de la NRF et l'impulsion nouvelle que

    donnera en 1960 l'article de Sollers, on retiendra la publication

    diffre d'une importante tude sur

    Douze petits crits.

    Ren de

    Solier (1956) y rcuse la pertinence de la notion souvent invo-

    que sans bienveillance de prciosit, et, dans des pages sug-

    gestives o il reconstitue l'volution qui conduit Ponge du texte

    bref une criture extrmement diverse, il propose la notion de

    smantique acharne qui anticipe les lectures textuelles des

    ann es 6 0; cet article s'avre difficile utiliser parce q u'i l tient p lus

    de la mditation gnrale que de l'tude critique, mais il comporte

    un substantiel appendice bibliographique, le plus complet cette

    date.

    Appuyes sur le

    Parti pris des

    choses

    et les

    Promes,

    les pages

    heureuses de Suzanne Bernard

    [le

    Pome

    en prose,

    1959) rattach ent

    Pong e, par-del la phnomnologie sa rtrienne, M allarm et la

    gnration des potes d'aprs-guerre, d'abord proccups par le

    langage. Elle analyse to ur tou r 1'paisseur des mots et le travail

    6. Sur les rapp orts de Ponge et de C am us, l 'entrev ue rcente avec Lois Dahlin

    {FrenchReview,

    54, 2 dce mb re 1980) app orte bien des prc isions, et des correctifs

    ce qui est dit dans l'dition de la Pliade des

    uvres

    de Camus .

  • 7/23/2019 Fortunes de Ponge

    12/30

    Fortunes de Ponge 1924-1980) 153

    de nom ination , la mim tique de l'objet d ans l'allure et la structure

    de la phrase, souvent ptrifie, et l 'esthtique du discontinu dans

    l'organisa tion du po m e. Elle mon tre enfin com me nt pa r le biais de

    la mtaphore se rintroduit une vision dans cette posie des choses

    o la menace de la prciosit est compense par une constante

    grimace la grandiloquence.

    SOUS LE SIGNE DE TEL QUEL (1960-1974)

    Nul, avant Sollers, n'a su parler de Ponge hors

    d'un discours protocolaire.

    C . P R I G E N T ( 1 9 7 3 )

    Si, seize ans aprs L'homme et les choses de Sartre, l'essai

    de Philippe Sollers marque un tournant dans la rception critique

    de l'uvre de Ponge, c'est la fois par ses mrites intrinsques,

    cause de circonstances ditoriales et parce que la dcennie qui com-

    mence d on ner a le jo u r des oeuvres majeures. D 'ab or d accueilli

    dans les colonnes duMercurede France, l'tude de Sollers (1960) sera

    repr i se , t ro i s ans p lus t a rd , dans l a co l lec t ion Potes

    d'aujourd'hui, toffe d'une note biographique, d'un choix de

    textes critiques, d'une anthologie et d'une bibliographie. Ainsi

    s 'ouvrait en France en mm e temps qu'e n Allemagne (E. W alther,

    1961) le temps des monographies. Le texte de Sollers issu de rap-

    ports nous ds 1956 marque l'adoption de Ponge par Telquel{o il

    publiera rgulirement aprs avoir particip la rdaction du

    manifeste initial) et son inscription dans une avant-garde qui

    privilgie les notions d'criture et de textualit. Quelles qu'en

    soient les retombes, cet essai n'en constitue pas moins en soi une

    lecture plusieurs gards remarquable. Aprs avoir not que

    l'uvre de Ponge est complexe et justement difficile par sa

    singulire clart, Sollers voque le problme que pose toute tude

    critique de textes qui sont chaque instant leur propre commen-

    taire dan s la mesure o cha cun devient une allgorie de la parole et

    de la cra tion po tique : chez Pon ge , on ne trouve pas de spara-

    tion bien nette entre prose et posie, thorie et pratique, si bien

    que ses textes n'appartiennent aucun genre dfini, qu'ils dter-

    minent une criture nouvelle au-del des anciennes rhtoriques.

    Enfin, brossant un portrait de Ponge en an exemplaire, Sollers

    conclut au non-dualisme entre matire et esprit dans son uvre,

    dont l 'exigence est juge en mme temps que la plus

    matrialiste, la plus spirituelle.

  • 7/23/2019 Fortunes de Ponge

    13/30

    154 tudes

    franaises

    17 1-2

    titre de point de dpart, cet essai aura une influence dter-

    minante sur les critiques qui vont aller se multipliant. titre de

    point d 'arriv e, on peut le considrer com me la dernire et dcisive

    dcouverte de Ponge; celui-ci aura d'autant moins dsormais

    s'imposer aup rs de la critique et du pub lic que les trois volum es du

    Grand Recueil

    (1961 ), et le

    Pour un Malherbe

    (1965) publis pa r

    G allimard, que la Fabriquedu pr dans la clbre co llection Les sen-

    tiers de la cration chez Skira l'arrachent dfinitivement, par leurs

    succs, au cercle un peu troit d'am ate urs et de collectionneurs q ue

    visaient les plaquettes dites souvent l'tranger depuis les

    Promes.

    Dans le mme numro duMercure

    de

    France, un peu obscurci

    parce qu'il fait preuve d'un moindre brio, paraissait un article de

    Burgart que les commentateurs ultrieurs ont tort nglig; s'in-

    terrogeant sur le statut potique des textes de Ponge, il propose ce

    qui tait cette date une des meilleures lectures de l'volution qui

    conduit de1checdes proses brves duParti pris des chosesaux textes

    ouverts

    {l Araign e, le Soleil plac en abme)

    o u ne parole l ibre

    suscite et dploie la libert du lecteur.

    Le temps des monographies

    1

    Le petit livre de Sollers va rester le seul disponible jusqu' ce

    que Jean Thibaudeau publie le sien (1967) et que Marcel Spada

    vienne le remplacer dans la mme collection (1974). Mais le signal

    tait don n et le besoin dsormais rel, en France comm e l'tran -

    ger, de prsenter l'homme et son oeuvre l'ensemble des lecteurs

    cultivs, voire un public scolaire.

    Publie dans u ne collection la Bibliothque idale,

    Gallimard d'une formule assez rigide dont elle doit adopter le

    plan type, la mon ographie de Th ibau dea u, aprs un po rtrait et une

    biograph ie succincte, aborde l' uv re : d'ab ord par thm es : le

    silence, rhtorique, communication, liquides et solides, l 'enfance,

    7 Jusqu' une date rcente bien des articles sont des survols gnraux, et

    tiennent de la monographie en raccourci, faute de demeurer dans les limites d'un

    texte ou de s'attach er un prob lme prcis, c'est ce qui souvent les rend difficiles

    situer dans un mo ment ou une perspective critiques donns Aux mono graphies qui

    sanctionnent la reconnaissance d'une oeuvre, il faut ajouter l'entre des recueils

    dans les collections de poche, depuisMthodes(1961)jusqu ' Lyres(1980) et celle de

    Ponge dans les manuels

    La

    littrature

    en

    France

    depuis 1945

    (J Bersani et au tres ,

    P a n s , Bo rdas, 1970) le situe, en une dizaine de pages aux accents bien placs, parm i

    les inventeurs et Thomas Aron, dans les pages qu'il a rdiges pour le dernier

    volume deVHistoire littraire

    de la

    France (Paris, ditions sociales) cerne avec nettet

    les problmes gnraux de l 'uvre

  • 7/23/2019 Fortunes de Ponge

    14/30

    Fo rtu ne s de Pon ge 1924-1980) 155

    le livre, le texte, l'objeu, puis titre par titre : de Tome premier au

    Savon,

    en ad op tant plus ou m oins les points de vue proposs par

    Sollers; cette tude s'ajoutent une substantielle anthologie (des

    pages pui s, sous le titre phrases, un bref recueil de citatio ns), un

    choix de textes critiques plus diversifi que ceux de Sollers

    (1963) et de Spada (1974) , de remarquables bibliographies (textes

    de Ponge, cr i t iques sur son oeuvre) a insi qu 'une abondante

    iconographie. Somme toute, ce que les Anglo-Saxons appellent un

    bon compagnon, qui russit prendre f igure de bilan sans

    renoncer aux vues personnelles.

    Quant au livre de Spada, il s agit d'une excellente introduc-

    tion gnrale double d'une anthologie critique, d'un choix de textes

    et d'une bibliographie (due Vulliamy) qui complte partir de

    1965 celle de Thibaudeau. La collection populaire dans laquelle il

    para t interdit tou te recherche trop difficile, mais l'tu de de S pad a,

    plus prcise et nuance que celles de Sollers et Thibaudeau, va

    beaucoup plus loin que la simple vulgarisation. Rattachant Ponge

    au matrialisme picurien d'un Lucrce, Spada prsente suc-

    cessivement une synthse intelligente des thories de Ponge et une

    analyse prcise des procds mis en oeuvre dans ses textes.

    Pub li en 1976, mais achev ds 1973 ava nt les trav aux de Rif-

    faterre, le livre allemand de Butters, travers une prsentation

    chronologique des recueils, dont leParti pris des chosesapparat comm e

    le foyer, s' interroge sur l 'volution de la thorie potique, se

    de m an da nt si les mtam orph oses des points de vue critiques ne cor-

    respondent pas des changements dans la pratique textuelle de

    Ponge lui-mme.

    Enfin, tout rcemment, le petit volume de Ian Higgins, tenu

    aussi par les normes d'une collection, mais inspir par une sym-

    pathie active et une grande familiarit avec l'uvre, brosse une

    rapide biographie intellectuelle, puis, sans s'astreindre la succes-

    sion des recueils, propose des vues synth tiques

    {Things,

    Man; Man,

    Things and

    Poem),

    assises sur des ob servatio ns stylistiques et rh to -

    riques, dans un effort souvent russi pour dpasser les dilemmes

    habituels de la critique et l'arracher ses plus communes ornires.

    Mais ces monographies qui jalonnent depuis vingt ans la for-

    tune de Ponge sont videmment tributaires des volutions de la

    critique d ont elles enregistrent et condensent les acqu is, qua nd elles

    ne lui donnent pas, dans les meil leurs cas, une st imulat ion

    nouvelle.

  • 7/23/2019 Fortunes de Ponge

    15/30

    156 tudes franaises, 17 ,1 -2

    En schmatisant quelque peu, on pourrait distinguer deux

    types de critiques sur l'uvre de Ponge depuis vingt ans : d'une

    part des lectures idologiques, inconciliables les unes avec les

    autres, d'autant plus partielles et partiales qu'elles prtendent la

    totalit par exemple, dans des registres opposs, Chappuis

    (1972) et Prigent (1973) , d'autre part des travaux critiques plus

    soucieux de dmonstrations, qui peuvent porter sur une question

    particulire comme sur l'ensemble de l'uvre et dont la valeur

    tient la contribution qu'ils apportent une connaissance objec-

    tive de Ponge par exemple, ceux de Riffaterre (1974, 1977) ou

    ceux de Higgins (1978, 1979) . On enregistre, titre de docu-

    ment idologique, tel compte rendu de

    la

    Fabrique

    du pr

    Prigent

    (1972) o force citations de Sade, Lautramont, Bataille, Pierre

    Guyotat , Mao-Ts-Toung et al. sont censes mettre en vidence la

    potique matrialiste de Ponge, mais son apport la con-

    naissance de l'uvre est nul : sa thse n'est ni dmontrable, ni

    refutable, elle s'affirme premptoirement sur le mode du slogan.

    On opposerait ainsi une critique qui se sert de l'uvre qu'elle con-

    sidre comme prtexte l'laboration de son propre discours, et

    une critique qui sert cette uvre qu'elles est propose comm e ob-

    jet de connaissance. Cette distinction n'a videmment rien d'ab-

    solu, mais elle s'avre en pratique ncessaire.

    cette difficult s'ajoute celle qu'entrane la trop frquente

    autonomie des rflexions, que nous soulignions pour commencer.

    Le peu de souci que manifestent bien des commentateurs, y com-

    pris parfois universitaires, s'informer des travaux antrieurs, a

    pour consquence au mieux une atomisation de la critique, les lec-

    tures se jux tapo san t sans former un savoir ord on n , et au pire , de

    pures et simples redites on s'en convaincra en lisant la suite la

    dizaine d'ana lyses , sou vent brillantes et suggestives, auxquelles ont

    donn l i eu le Savon e t la Fabrique du pr

    8

    .

    La crit ique met quelque temps prendre conscience des

    modifications que subit la physionomie de l'uvre par la publica-

    t ion en recue i l d 'une masse de tex tes dont la composi t ion

    s'chelonne de 1920 1950. Un lecteur pourtant aussi subtil que

    Jean-Pierre Richard (1964) s'en tient encore presque exclusive-

    ment auParti

    pris des choses;

    au terme d'une longue et aujourd'hui

    8 O utre les comptes rendus et com men taires du

    Savon,

    du

    Malherbe

    et du

    Pre,

    on se reportera pour l 'tude des brouillons de Ponge et du phnomne de la

    rcnture S N Lawall (1970), R Jea n (1971), P Chap puis (1972), R Greene

    (1974),

    G G iordan (1976) R Stam elman (1978), I Higgins (1980)

  • 7/23/2019 Fortunes de Ponge

    16/30

    Fortunes de Ponge 1924-1980) 157

    dcevante tude qui doit beaucoup Sartre, il conclut assez vague-

    ment la transparence de l'criture de Ponge : nous voici ren-

    dus,avec les choses, travers les choses, la limpid it d'u n m on de

    vrai

    9

    . Deux ans plus tt pourtant, quelques comptes rendus du

    Grand Recueilavaient pos les jalons d'u ne lecture renouvele.

    Hahn (1962), dans un texte parfois hostile (un miettement

    d'vidences vaines, une rudition vaine, du niveau du Petit

    Larousse

    illustr),

    avait nanmoins not que le style tout en facettes

    de Ponge trouve son unit dans la rhtorique. Dans un texte plus

    substantiel, Clancier (1963) avait rattach Ponge une longue

    tradition (Malherbe, les Prcieux, La Fontaine, Mallarm, Jules

    Renard, Paulhan) et s'tait attard surtout M thodes, dont le titre

    pourrait s'appliquer [. . .] toute l 'uvre de Ponge, puisque

    celle-ci, de tous ses fragments, concourt difier un moderne

    discours de la mthode; cette mthode, notait enfin Clancier,

    aboutit une rhtorique toujours rinventer plus qu ' u n style,

    mme si Ponge qui se dfend d'tre pote l'est [...] pleinement.

    Tortel (1962) situait lui aussi Ponge dans une longue tradition

    (Montaigne, Thophile, La Fontaine, Baudelaire, Lautramont,

    Mallarm, Dada), et il dfinissait ultimement son oeuvre comme

    une morale de l'expression, comme un discours anti-pascalien

    qui rsonne la manire de Pascal. Chaque fois on tait bien au-

    del des lieux com mun s rebrasss ju sq u' Jean-Pie rre R ichard.

    Hors de France, au milieu des annes 60, d'importants tra-

    vaux voient le jo ur , n otam m ent aux tats-Un is et en Allemagne;

    une critique issue de milieux universitaires plus largement atteints

    par l 'uvre de Ponge qu'aprs les annes 40, commence se

    man ifester, p lus soucieuse de situer cette entreprise p otique l'in-

    trieur de courants et de tendances. En Allemagne, le bref essai de

    Max Bense (1966), esthticien et philosophe, est moins important

    sans doute p ar ce qu 'il dit duMalherbeet de la posie avan t-gardiste

    et nan m oins classique de Pon ge, que pa r le tmoignage qu 'il porte

    et les rapports qui l'ont uni Ponge (lequel contribuera une An-

    thologiefur M Bense,

    publie Wiesbaden en 1970). Q ua nt au

    travail de Walther (1961, et 1967 en extraits), d'inspiration gale-

    men t esthtique, il part d 'un e analyse du vocabulaire critique p our

    opposer au matrialisme ontologique de la lecture sartrienne, un

    matrialisme smantique.

    9 O n lira en revanch e avec intrt sa toute rcente analyse de la Figue (Cri-

    tique,juin- juille t 1980) qui exploite habile me nt tout le dossier pour pouser la

    rverie pongienne et ses pulsions erotiques

  • 7/23/2019 Fortunes de Ponge

    17/30

    158 Etudes franaises 17 1-2

    Aux tats-Unis, Planck (1965) prend prtexte de la publica-

    tion du

    Grand Recueil

    pou r bau cher u ne tude d'ensem ble de

    l'oeuvre, plus prcisment de ses arrire-plans philosophiques U n

    des grands m rites de son travail consiste tenir com pte de la critique

    sur Ponge, dont il esquisse en quelques pages bien venues un tat

    prsent Pre nan t ses distances par rappo rt aux interprta tions exis-

    tentialistes de Sartre et de Camus, Planck met aussi en relief ce qui

    distingue Ponge du Nouveau Roman malgr des ressemblances

    techniques assez superficielles, et il dgage de son oeuvre

    a new

    humanism Ponge hereplacesm an in a world ofobjects [ ]he gives back

    to man those powers lost in the Fall Wi l l a rd (1965) s i tue Ponge dans

    un large contexte internatio nal et, co m paran t son oeuvre celles de

    Rilke et de William Carlos Williams, il cherche dgager dans la

    posie du XX

    e

    sicle une tendance gnralise se tourner vers les

    choses, vers le monde

    objectif,

    une sorte d'antiro m antism e Cet ar

    ticle peut-tre un peu rapide et qui laisse dsirer sur le plan

    mthod ologique il relve de ce com paratism e un peu fruste qui

    procde par citationsjuxtapo ses a nan m oins le m rite de situer

    pou r la prem ire fois l' uv re de Ponge dans un contexte plus large

    q u 'u n e tradition exclusivement franaise, ce titre, il pose un e im-

    portante question, mme s'il ne lui apporte peut-tre pas de

    rponse satisfaisante Cette rpo nse, on en trou vera les lments

    dans la comparaison (limite certes la tradition franaise) avec

    Cocteau et Breton, grce laquelle Oxenhandler (1974) met en

    lumire le didactisme de la posie de Ponge (en raction contre a

    state of mo ral and spiritual exhaustion after the ailure of all the great spiritual

    attempts

    o f

    the last

    fifty

    years)et interpr te, de faon certes discu table,

    sa recherche d'une objectivit potique comme un effort d'aboli-

    tion du moi

    Ho lher (1967), dans u n intressant essai de typologie, propose

    de distinguer trois genres dans l'u vr e de Ponge les procla-

    mations, textes critiques ou manifestes antrieurs aux pomes

    (Promes, Lyres),

    les textes achevs paradisiaques

    (le Parti pris des

    choses, Pieces),

    et les checs mthodiques, brouillons, dossiers ou

    journaux d'une criture qui se cherche (la Rage de l expression,

    Mthodes)

    Mme si ce classement est peut-tre trop rigide, il a le

    mrite d'ouvrir quelques avenues de lecture dans le massif de

    l 'uvre, et d ' indiquer un champ de recherches pratiquement

    inexplor

    Entre-temps a t publi leMalherbeAu cours de la dcenn ie

    qui spare les fragments publis dans la NRF (1956) et le volume

    (1965), seuls Tortel et Sollers, qui avaient eu communication du

  • 7/23/2019 Fortunes de Ponge

    18/30

    F or tun es de Pon ge 1924-1980) 159

    manuscrit, soulignaient l 'intrt de la rencontre de Ponge avec

    M alherbe M ais, de Th ibau dea u qui en amorce une lecture psy-

    c h a n a ly t i q u e Ch e s t e r s ( 1 9 7 7 ,

    Malherbe, Ponge and the revolutionary

    classicism),conscience est prise de la position centra le de cet in-

    tercesseur, du noeud de confidences que voilent les rcritures

    multiples et de la valeur emblmatique pour la dmarche potique

    de Ponge lui-mme que prend sa lecture des

    Larmes de saint

    Pierre

    comme symbole rhtorique

    Le

    Malherbe

    qui est vraim ent, je ne peux pas dire un e espce de

    testament, mais enfin o il y a peu prs tout, sur le plan

    biographique, existentiel

    PO N G E, d a n s

    Colloque de Censy

    En 1970, Robert Greene, dans un article essentiel qui va au

    cur des problmes et repose sur des analyses fines et prcises,

    tudie les procds par lesquels se manifeste la conscience potique

    d'un Ponge metapoet, et Lawall, qui explique la rsurgence de

    Ponge dans les annes 60 par la caution qu'a cherche dans son

    oeuvre une nouvelle posie franaise de nature essentiahste (Bon-

    nefoy, Du pin ), assigne son oeuvre com me but dernie r la

    connaissance de soi par l 'inter m dia ire de l'objet cet gard son

    article prend place avec celui de Greene parmi ceux qui ragissent

    contre l'ide d'objectivit descriptive dont on sait qu'elle constitue

    un des clichs pers istants de la critique C 'est galem ent le sens

    d'une tude de Stephani Smith (1971), centre sur le seulPartipris

    deschoses,q ui conclut, en des formules qui vont souvent d irectemen t

    contre celles de Sartre, que le propos de Ponge est de rintroduire

    l'hom m e dan s le m onde des choses, non de l'en exclure Q ua nt

    Raillon (1970), dans un article malheureusement dcousu, il pro-

    pose une belle description du projet qui conduit Ponge une

    rcup ration de toute valeur pa r la fabrique m me qui la produit

    si Pon ge insiste sur 'labo ration textuelle l'im m ine nte

    publication de la Fabriquedu previend ra confirmer cette analyse ,

    c'est qu'il donne lire, non le rsultat gomm d'une production,

    mais le spectacle mme de celle-ci

    La parution presque simultane de deux numros de revues,

    toutes deux proccupes par les problmes de textuaht, Substance

    (Madison, Etats-Unis) et TXT (R enne s) en 1971, atteste d 'u n

    rayo nne m ent continu L 'tu de de Steinm etz sur la fable diffren-

    tielle, bien centre, sauve le numro de TXT, dcevant dans la

    mesure o il tient autant de la rcupration idologique que la critique

    littraire dan s le m atrialisme de l'cr iture , il m on tre le

    passage de la fable morale de la tradition une fable rhtorique, le

  • 7/23/2019 Fortunes de Ponge

    19/30

    160

    tudes

    franaises 17,1 -2

    glissement des genres la formulation generative (Chaque texte

    pongien reste en perptuelle expansion) Les analyses de Rif-

    faterre, les tudes sur les brouillons et dossiers, les travaux plus

    rcents sur les modles formels peuvent app aratre comm e des pro-

    longements et des approfondissements de ces pistes

    C'est toutefois htivement qu'on concluerait, cause de la re-

    lative convergence de quelques travaux novateurs, que l'accord se

    fait sur l'oeuvre de Ponge ou q ue les perspectives critiques se tran s-forment en profondeur Te m m er (1968), qui jug e

    very difficult to

    evaluate the historical importance of Ponge s poetry, n 'y voit que suf-

    fisance, prciosit, imitation Pa r contre L onard (1973) y trouv e le

    retour un certain classicisme aprs les excs du surralisme,

    tandis que Eigeldinger (1973) revient la lecture sartrienne d'une

    posie objectale caractrise par la ptrification et la

    dshumanisation du langage

    Quoiqu'il en soit, Ponge

    s est

    dsormais impos Le nouv eau

    pote salu par Sartre en 1944, l'an exemplaire revendiqu par

    les fondateurs de

    Tel quel

    en 1960, fait dsormais figure d'a eul

    norme L 'expression est de M ac (1974) dans un article qui

    prsente Ponge comme le pre qui nous redonna le bonheur de

    parler, mais pre qu'il faut bien enterrer, un classique tout com pte

    fait un peu enco m brant dsormais Cette transformation de Ponge

    en classique un auteur qu'on tudie dans les classes

    trouvera confirmation dans la parution en 1979 d'une introduction

    son oeuvre dans une collection scolaire des ditions Larousse,

    Gleize et Veck y proposent un parcours thmatique sans prten-

    tion, d'un ton juste

    CO NS CRA TIO NS ( 1974- 1980)

    Si le texte de La figue publi par

    Tel

    quelen 1960 s'tait dj

    vu attribuer un prix italien de posie, c'est partir de 1974 que

    l'uvre est dfinitivement consacre lorsque Francis Ponge, sur

    prsentation de Michel Butor, est laurat du Books Abroad I

    Neustadt International Prize for Literature et qu'il en est fait of-

    ficiellement rcipiendaire le 14 ju in l'Univ ersit d'O kla ho m a

    Trois ans plus tard, c'est la conjonction de

    VEcritBeaubourg

    com-

    mand pour l ' inauguration du Centre Pompidou, de deux nou-

    veaux recue i l s

    {l Atelier contemporain, Com ment une figue de paroles et

    pourquoi) et des actes du colloque de Cerisy Les sollicitations ds

    lors affluent de toutes parts et, en 1980, Ponge est nomm membre

    h o n o r a i r e d eY AmericanAcademy and Institute of Arts and Letters C o m -

    ment cette situation nouvelle retentit-elle sur la critique?

  • 7/23/2019 Fortunes de Ponge

    20/30

    Fo rtu ne s de Pon ge 1924-1980) 161

    L'attribution du prix Neustadt est l 'occasion d'un substantiel

    numro de la revue

    Books Abroad

    On peut y lire des textes de

    Bigongian (sur

    la

    Fabrique du

    pr),

    de Brom bert (sur l 'eng endrem ent

    du texte par les mots), de Butor, de Campos (sur la matrialit

    graphique dans

    UAraigne),

    de Robert Greene (une prsentation

    gnrale qui bauche un tat prsent de la critique), de Henninger

    (sur le langage comme objet et matire du pome), de Ivask, de

    Levin, de Morot-Sir (sur l'criture comme parabole), de Riffaterre

    (sur l 'hu m ou r sm antique ), de Stamelm an (sur la naissance du tex-

    te et le problm e des rcritures) Ce nu m ro , qui contient aussi

    une entrevue de Ponge par Gavronsky, une chronologie et une

    bibliographie, tablit un nouveau bilan prs de vingt ans aprs

    l 'hommage de la NRF, et constitue aussi le plus riche ensemble

    d'tu des run i ce jo ur les actes du colloque de Cerisy (1977),

    malgr leur intrt vident, font un peu figure de fourre-tout par

    comparaison et sa consultation est encore d'une grande utilit

    C'est en cette mme anne que parat le livre d'Henri

    M a l d i n e y

    (le Legs des choses dans l uvre de Francis Ponge),

    de ns e, dif-

    ficile, mais fort estim de Pon ge pa rtir de la ph nom no logie de

    Hegel (ZurSache selbst)et de concepts em pru nts Hu sserl et

    Heidegger, Maldiney centre son analyse sur le rapport chose/cons-

    cience et, dlaissant l'ide d'un art de l'expression, il ancre la

    dmarche potique de Ponge dans une reprsentation du langage

    comme fondation du monde, qui correspondrait un effondrement

    du monde thique

    En 1974 s'ajoute nt galem ent deux articles essentiels Riffa-

    terre largit celui qu'il avait donn Books Abroad par la notion de

    l'humour intertextuel, c'est--dire la prsence dans le texte de

    P o n g e d ecodessemantically or ormally incom patible Ces tudes (qu ' i l

    faut complter par sa communication Cerisy o ses prsupposs

    mthodologiques sont le plus clairement dfinis) sont ranger par-

    mi les analyses les plus prcises du fonctionnement du texte

    po ngie n M m e si on peu t discu ter les postu lats de non -

    rfrentiaht et de clture linguistique absolue qui les sous-tend ent,

    on ne sa urait tro p louer ces dconstructions brillantes de la m achine

    textuelle pongienne, quitte rvaluer leur porte pour les intgrer

    une interprtation plus large de l 'opus pongien O n p ourrait

    utiliser cette fin un bel article o Wanner (1974), aprs avoir

    reconstitu l'inspiration initiale de Ponge et situ sa dmarche par

    rapport celle d'autres potes contemporains (Supervielle, Saint-

    John Perse, Michaux), dfinit le texte pongien comme la descrip-

    tion d'une chose complte par unecommunication qui peut contenir

  • 7/23/2019 Fortunes de Ponge

    21/30

    162 tudes

    franaises

    17 1-2

    un jugement, une valeur, une interprtation, et met l 'accent sur

    son humanisme fondamental.

    Dsormais deux interprtations vont presque continment

    s'opposer ou altern er, celle d'u n Pong e enclos dans le seul jeu tex-

    tuel, et celle d'u n Pong e pou r qui le m ond e extrieur et les homm es

    existent, dont la posie n'est pas totalement separable d'une

    morale. Deux articles de 1975 le montrent. Dans une perspective

    proche de celle de Riffaterre reprenant un problme abord par

    Lemichez (1973) en un article confus que quelques formules

    heureuses ne russissent gure sauver , Genette tudie la sen-

    sibilit aux mots chez Ponge, sensibilit historique ou tymolo-

    gique, ainsi que visuelle et picturale, plus que sensibilit phontique.

    G raham D . M artin, pour sa part, met en vidence toutes les marques

    de pense et de sentiment q ui informent la description po ngien ne et

    soutient que l ' ide d'un Ponge textualiste entrane une rduction

    de l 'uvre, qui n'a pu s' imposer qu' l 'occasion du malentendu de

    l'assimilation de Ponge Tel quel.

    Cette o pposition traverse encore tout le colloque tenu Cerisy

    du ran t l't 1975. Il faut dire d'em ble que ce colloque doit : trop

    de communications n'apportent que des performances d'un got

    douteux, et les discussions affirment des divergences ou affichent

    des complicits plus souvent qu'elles ne nouent un authentique

    dialogue qui pourrait contribuer l 'approfondissement de la

    rflexion. L'oeuvre en ressort, plusieurs reprises, crase ou

    estompe au profit d 'imp ratifs trang ers auxq uels elle semble ser-

    vir de prtexte. Nanmoins, ce colloque offre, par ses manques

    aussi bien que par l'apport rel de quelques contributions trs

    remarquables, un vritable abrg des diverses lectures, per-

    tinentes ou non. ce titre, il est une somme, mme si prs de la

    moiti des communications tiennent de la paraphrase filandreuse

    (Allen, Gavronsky, Steinmetz), de la tentative de rcupration

    idologique coups de citations (Guglielmi, Prigent), quand ce

    n'est pas de la simple confusion (le trio form par Berthet,

    Chevrier, Thibaudeau, qui, de son propre aveu, a prsent un

    travail inachev, peine bauch)

    10

    .

    Quant aux variations, paraphrases et jeux de mots dont Der-

    rida lie une gerbe autour du thme de la signature (Signponge,

    dans Colloque

    de Cnsy

    etD igraphe, 8, 1976), fragments d'une tude

    venir de plus vaste env ergu re, ils tmo ignent d 'u ne frquentation

    10 Ces aute urs n'o nt pas cru devoir priver la postrit d'u ne suite de mm e

    farine qu'ils ont publie dans

    Digraphe

    (1976)

  • 7/23/2019 Fortunes de Ponge

    22/30

    Fo rtu ne s de Po nge 1924-1980) 163

    intime de l'ensemble de l'uvre de Ponge, mais prennent diffi-

    cilement place dan s le paysage de la critique IIs agit en effet plutt

    d'une illustration, sur un corpus particulier, des thories derridien-

    nes du texte L a dissm ination du nom pr op re, guett dans tous ses

    dguisements l ' intrieur d'un vaste rseau de signifiants o

    s'crit le nom de Ponge, est une maniie de s'emparer de la

    langue, de mettre la langue son propre service, de faire la loi de la

    langue D ans cette qute cherche se dfinir un rapp ort spcifique

    l 'criture et se dessine comme un mouvement de remonte vers

    une source prem ire de ren on cia tion , vers le nom propre matriciel

    partout crit

    D 'aut res communica t ions reprennent le dba t dsormais

    classique entre la vision d'un Ponge textuel, enclos l'intrieur

    d'un langage qui exclut la rfrentialit, et celle d'un Ponge pein-

    tre du rel, dont l'uvre serait un effort pour rendre compte du

    monde R aym ond Je an , polmique et prend vivement parti contre

    ce qu'il nomme le got reclus pour l'autarcie scripturale et pro-

    pose de voir dans l'uvre de Ponge, qu'il rapproche de celle de

    Brecht, un systme de reprsentation o le lecteur trouve une

    sorte de satisfaction trs particulire qui dcoule d'un sentiment

    d'extr m e exactitude dans la reproduction [ ], un sentiment de

    ralisme Da ns un texte bea uco up plus labor, qui se signale par

    la densit et la rigu eu r, M aldine y tudie les rap po rts entre la posie

    et la langue de l 'u vre de Pong e, qu 'il considre comme une ex-

    ception dan s l'art de notre temps [ ] parce qu'elle tente de nous

    comm uniquer quelque

    chose

    et qu'elle s'loigne autant qu'elle peutde la langue potique contem poraine vers la langue de com mu nica-

    tion Faras se, l'opp os , ht dan s

    Pour un

    Malherbeet dans

    la

    Fabri-

    que du pre, une criture dont la logique est celle de la contradic-

    tion,

    qui fait silence, o le sens se disperse crire qu ivau t ne

    rien dire ou plutt dire de telle faon que les significations soient

    neutralises v oq uan t le redo ub lem ent de tout texte de Ponge en

    allgorie scripturale qui se signifie elle-mme, Farasse soutient

    que l'criture se rflchissant, telle est la ncessit pour qu'elle

    puisse se poser et non pas disp aratre d ans la transpare nce qui livre-

    rait les objets eux-mm es O n reconn at l une prob lm atiqu e et

    un ton hrits de Blanchot qui avait voqu, au dtour d'une page

    de la Partdufeu (1949), un Ponge qui surprend ce mo men t pathti-

    que o se rencontrent, sur la lisire du monde, l'existence encore

    m uette et cette parole, on le sait, m eurt rire de l'existence Chez

    Farasse toutefois, le pathtique cde la jub ilation d'u ne inspi-

    ration devenue anonyme, dont l 'anonymat fonde prcisment le

    paradis du texte R iffaterre, d'u ne faon plus techn ique , dans le

  • 7/23/2019 Fortunes de Ponge

    23/30

    164 tudes franaises, 17,1-2

    droit fil de ses articles de 1974, tudie le fonctionnement textuel

    tautologique qui constitue l 'humour de Ponge non pas comme

    ironie ou comique mais comme emploi ludique du langage

    11

    . Par

    l'analyse prcise des procds de drivation, de surdtermination

    smantique et de chevauchement lexical, Riffaterre entend mon-

    trer qu'une prose de Ponge n'est jamais que l'expansion textuelle

    d 'u n mo t-noyau et que la surd term inatio n de la mim esis [...] est

    insparable d'un dfi la rfrentialit.

    Il faut nanmoins signaler aussi quelques communications im-

    portantes qui ne s'inscrivent pas tout fait dans ce dbat. Adam,

    dans la perspective d'une potique generative, soutient que le texte

    pongien ne cesse de subvertir le contexte culturel de la littrature et

    de dsacraliser la posie parce que sa pratique implique une

    nouvelle lecture elle-mme productrice. Spada oppose Bataille

    Ponge, chez qui l'criture n'est ni le dtour d'ros qui place la

    violence et la m ort derrire u n m asque sduisan t, ni un travail com-

    pensatoire et sublim de la sexualit, mais l'activit et le triom ph e

    d' u n ros qui se situe non dans les thmes m ais dans la pratiqu e

    de la littrature. To rtel, enfin, livre, malgr quelqu e dcousu d ans

    l'expos, d'intressantes remarques sur l 'volution de l 'uvre de

    Ponge.

    Aprs ce colloque et l 'exposition de 1977 au centre

    Beaubourg, les travaux ne cessent de se multiplier, et ce n'est pas

    sans prouver parfois quelque sentiment de dj lu qu'on les

    aborde : notamment ceux de Formentelli (1978) qui analyse les

    rapports d'exclusion entre le texte et l'histoire (seule histoire qu'il

    admette, l'histoire d'crire et de dcrire ses propres modes de

    surgissement), de Henninger (1978) sur le rapport entre la langue

    et les choses, de Prigent (1978) sur l'humanisme de Ponge et le

    caractre m oral de ses dclarations politiques, de G avronsk y (1979)

    sur les affinits de la dmarche de Ponge avec la pense contem-

    poraine.

    D'autres toutefois ouvrent des voies nouvelles, soit en abor-

    dant l'tude de textes ngligs par les commentateurs prcdents,

    notam m ent l ' im po rtant ensemble des textes sur

    l art,

    soit en proje-

    tant sur l 'uvre l 'clairage de problmatiques renouveles.

    Dans l'inventaire des modles formels du pome pongien

    l'loge et le blason (Robert Greene, 1970), le sapate et le momon

    11. Le texte en est publi nouveau dans la Production du texte,Paris, Seuil,

    Potique, 1979.

  • 7/23/2019 Fortunes de Ponge

    24/30

    Fortunes de Ponge 1924-1980) 165

    (Gleize et Veck, 1979), l'inscription et le proverbe (Higgins,

    1979) , la fable tend occuper une place privilgie, et pas seu-

    lement parce que Ponge lui-mme se dfinit, dans une page sou-

    vent cite de

    M thodes,

    par rappo rt La Fontaine En m ettant l 'ac-

    cent sur l'Esquisse d'une parabole (publie dans le Mouton blanc,

    puis reprise dans Liasse et dan s le Nouveau recueil), Jean Hytier

    faisait en 1924 figure de pionn ier En suite il faut atte nd re des in-

    dications parses de M agny (1946), Jean -Pierr e R ichard (1964),

    W alter (1965), To rtel (Dans une large me sure , Ponge compose les

    Fables

    de notre temps, 1962), et de R aible (1968) pou r q u 'a p -

    paraisse autour de cette notion un certain foyer de convergence

    Quant l'analyse plus approfondie des implications de cette

    situation dans l'histoire d'un genre traditionnel, elle se dveloppe

    avec le numro spcial de Brooks Abroad (Butor , M orot-Sir ,

    S tam elm an), avec l'article de S teinm etz, et le livre allemand rcent

    de Ewald sur la fable franaise du XX

    e

    sicle (Schaub le V erlag ,

    1977, p 118-167 et 235-258 po ur les notes) Cette tude est la plus

    fouille, elle s'attache chacun des textes de Ponge portant le titre

    de fable, d'apologue pour mettre en vidence la double porte

    rhtoriq ue et politique p ar laquelle Ponge contam ine le genre tradi-

    tionnel, laborant une fable mtapotique Ponge n'em pru nte

    pas la structu re de fable, m ais travaille avec elle II tend en suite le

    regard au

    Parti pris des

    choses pour esquisser un Ponge et La Fon-

    taine, marquer l ' influence de Paulhan {Experience

    du

    proverbe, 1925)

    et montrer qu'en cet avatar de la parabole ancienne, chaque texte

    est une fable sur la fable

    Tout n'est pas encore dit pourtant, et il resterait tudier de

    prs les marques textuelles de cette structure, voir aussi le rle

    qu'elle joue dans la gense des textes, c'est--dire dterminer le

    m om en t o cessent les rcritures don t les dossiers de notes nous of-

    frent tout le dploiement

    Stamelman (1978) entreprend une analyse compare de la

    posie de Ponge et de la peinture de Picasso o on peut lire des

    pages pntrantes sur la structure allgo nqu

    a

    et la rhtorique de la

    reprise, fait signaler, cet article ne se lin ite pas aux textes de

    Ponge sur Picasso, mais pren d en considration p lusieurs de ses textes

    sur l'art qui restent trop ngligs mme s ils forment une part es-

    sentielle de l'oeuvre

    Thomas Aron (1980) dans une dmarche d'inspiration smio-

    tique bien v enue pou r exorciser les dm ons de la rverie analog ique

    ou du calembour mimtique, caractristiques de tant de travaux

  • 7/23/2019 Fortunes de Ponge

    25/30

    166 tudes franaises, 17,1-2

    sur Ponge,

    s est

    donn pour tche l'examen dtaill de

    la Chvre,

    une pice centrale, contemporaine du Pour un

    Malherbe,

    de la

    Figue,

    d 'u n faisceau d'crits sur

    l art

    12

    .

    Q ua nt H iggin s, en trois ann es, avec ses articles et ses livres,

    il

    s est

    impos comme l'un des exgtes les mieux informs et les

    plus scrupuleux de la posie de Pong e. L es notions de tension et de

    relation dy nam ique entre les mo ts tenten t la fois de surm on ter les

    trops frquents dilemmes de la critique et de rendre compte de

    l'emploi que fait Ponge du paradoxe et de l'oxymore. Les deux

    tudes de 1979 conjoignent aussi l'analyse minutieuse des textes et

    la sensibilit tout ce qu'ils reclent d'humanisme latent, pour

    d'une part montrer que l 'usage potique du langage exclut son

    emploi satirique ou politique, d'autre part que le proverbe est chez

    Ponge un modle fondamental de la profration potique :

    The

    proverb

    exemplifies the

    essence

    of

    language,

    which is itself the only

    essence

    of man the

    dialectic

    o f self and world

    experienced

    as an oscilla-

    tion

    between

    finished and unfinished, fixity and fluidity, desire for iden-

    tity and ear of identity

    11 fau t auss i s a luer de la par t d e Hig gin s l a pre m ire en t repr i se

    d ' d i t i o n c r i t i q u e , m m e s ' i l s agit p l u t t , dans l a r i gueur des

    t e r m e s , d ' u n e d i t i o n c o m m e n t e {le Parti pris des choses, A t h l o n e

    Press , 1979)

    1 3

    .

    Il faut constamment se dsaffubler, non seule-

    ment des affublements qu'on a tendance se

    former soi-mme, car enfin les potes, comme

    on dit, sont les prem iers s'affubler, mais des

    affublements que vous inflige, par exemple, la

    critique littraire

    Entretiens avec Sollers

    (1970) , PONGE

    Au terme de ce parco urs qui a ses lacunes et ses omissions

    14

    , il

    serait doublement vain de vouloir tenter une synthse

    15

    : d 'une

    part, l 'oeuvre mme de Ponge n'est ni entirement connue, ni

    12 Voir compte rendu de B Beugnot dans

    Revued histoirelittrairede laFrance

    ( paratre)

    13 Voir le compte rendu de B Beugnot,

    ibid

    14 No s silences ne sont pas des ostracisme s dlibrs qu i im pliqu eraie nt un

    jugement dfavorable, ils tiennent ou une bibliographie incomplte, ou l 'im-

    possibilit laquelle nous nous sommes heurts d'accd er certains travaux C'est

    pou rqu oi, p ar exem ple, nous avons laiss de ct les nom breuses thses qui, de puis

    1952, Paris, Zurich, Fribourg, Exeter ou dans les universits amricaines ont

    trait de questions comme Ponge et Giacometti, la rhtorique ou l 'imagerie de la

    naissance

    15 En dehors des pages qui se donnent pour fin premire le commentaire

    d'un texte (voir la liste donne en appendice), le caractre d'essai que prennent

  • 7/23/2019 Fortunes de Ponge

    26/30

    Fo rtun es de Pon ge 1924-1980) 167

    acheve; d'autre part, le recul manque pour juger vraiment des

    travaux appels demeurer dcisifs. Mais l'exprience, passion-

    nante par la richesse et la rsistance des textes pongiens, dcevante

    souvent par les redites de la critique, laisse quelques impressions

    dominantes .

    Revendique pa r le s d ive r ses avan t -ga rdes qu i se son t

    succdes en France depuis la Libration (de l'existentialisme de

    Sartre et de l'absurde de Camus, la conception de la mort de

    l'criture chez Blanchot

    (la Part dufeu)

    et aux thories de

    Telquel

    ou

    de Derrida), l 'oeuvre de Ponge a fait l 'objet de plusieurs tentatives

    de rcupration plus ou moins avoues

    16

    . cet gard, une tude

    dtaille de sa fortune critique apporterait de prcieux lments

    une histoire intellectuelle de la France contemporaine : presque

    tous les grands dbats qui ont agit la culture franaise depuis la

    guerre y trouvent leur cho, et on peut y apercevoir, comme trac

    en filigrane, le portra it de trois gnrations d 'intellectuels et d'cri-

    vains. Si les com m entateurs de Ponge ne nous perm ettent pas tou-

    jours, il s'en faut, d'approfondir notre connaissance de son oeuvre,

    ils nous disent presque tous, volontairement ou non, quelque chose

    d'eux-mmes et de leur temps. Sous ce rapport, il n'en est quasi

    aucun qui ne porte tmoignage.

    Rien ne montrerait mieux par ailleurs les ambivalences, am-

    biguts ou glissements smantiques que les avatars du terme

    matrialisme,

    si souvent invoqu depuis Sartre. Ds la conclusion de

    l'Homme et les choses, celui-ci reconnaissait en Ponge penseur

    un matrialiste , mais i l a joutait qu'un vritable matrialiste

    n'crir a jam ais lePartiprisdes chosescar il s'ap pu iera sur la Science.

    Quant Sollers, sa pense va varier sur ce point, et le non-

    dualisme d'une exigence la fois matrialiste et spirituelle

    de son essai de 1960 cdera progressivement, du compte rendu de

    Pour unMalherbe (1965) auxEntretiens (1970), un matrialisme

    beaucoup d'articles, dcourage tout effort de classement systmatique selon les

    mtho des ou les thories critiques, les points de vue se chevauch ent, comm e les no-

    tions les plus diverses peuven t voisiner On so uhaiterait d'au tan t plus vivement un e

    bibliographie critique et analytique, dote d'un substantiel index rerum,qui permet-

    trait de retrouv er par exemple ce qui concerne l 'anim isme (M Ca rrou ges, 1952,

    G E Clan cier, 1963), le classicisme (A L on ard, 1973, G Ch esters, 1977),

    l ' rot isme (J G ug hem i, 1968 e t 1977, R Je an , 1977, M Sp ada, 1977,

    J P R icha rd, 1980), l 'tym ologie (J L L emichez, 1973, G G enette , 1975), l 'in-

    tertextu aht (M Riffaterre, 1974, S Allen, 1977), la prciosit (G M ou nin , 1949,

    P Schneider , 1956, M J Tem mer, 1 9 6 8 ,J M Tixier , 1975)

    16 II faudra trente ans avant que Un gar (1974) mo ntre qu ' travers Ponge,

    Sartre laborait une critique de Husserl

  • 7/23/2019 Fortunes de Ponge

    27/30

    168 tudes franaises, 17,1-2

    plus exclusif et de plus en plus nettement teint par des prises de

    position politiques. Il sera suivi en cela par de n om breu x com men -

    tate urs , da ns le sillage de Telquel;citons, titre d'exem ple, Prigent

    (1973) qu i, sous le titre Ponge et le m atrialism e, offre l'exem ple

    type de l'essai de rcupration idologique. D'autres critiques

    Carrouges (1952) ou Clancier (1963) avaient mis en lumire

    l'anim ism e qui compose chez Pon ge avec le m atrialism e. Il semble

    que Spada (1974), en faisant de Ponge l'hritier du matrialisme

    picurien d'un Lucrce soit plus prs de la pense de Ponge lui-

    mme. Quoiqu' i l en soit , une tude approfondie de la fortune

    littraire de Pon ge devrait s'interro ger sur les variation s de sens du

    mot de matrialisme dan s la critique p ong ienne et dan s les textes

    de Ponge lui-mm e.

    Ce tte plasticit ou cette docilit d'u ne oeuvre po urt an t si forte-

    ment unifie autour d'un projet original et si constamment fidle

    elle-mme sur un demi-sicle, est un phnomne paradoxal qui

    m riterait analyse. S 'il y a bien , de recueil en recueil, un e courbe et

    un e efflorescence de l' uv re , les m tamo rphos es y sont mo ins sen-

    sibles, et en tout cas moins brutales, que dans les lectures aux-

    quelles elle prte. La fortune de Ponge obit ainsi un double

    rythme, scande la fois par une suite de dcouvertes ou de

    rvlations, et par des moments ditoriaux importants qui ne cor-

    respondent pas des pousses cratrices, puisque la chronologie

    des pices rvle au contraire un m ouve men t inin terrom pu de pro-

    duction, mais plutt des cristallisations.

    Toute tude de fortune li t traire s 'clairerait enfin d'une

    analyse socio-gographique pralable des lieux de publication. Le

    caractre longtemps secret de l'oeuvre de Francis Ponge tient sans

    nul doute la diffusion restreinte des textes de commande, des

    catalogues d'exposition ou des ditions rares et insolites comme ce

    Ici haut

    (Clerm ont re prod uction s, 1971) const i tu de q uara nte

    petites pages plies dans une bote d'allumettes (BN Rs Nains

    500). Il tient aussi la nature des priodiques qui ont accueilli ses

    textes, souvent phmres ou rservs des cnacles, au moins

    avan t les annes 50. De mm e, il faut qu e l'tran ge r do nn e le signal

    (Tnvium

    (1947) en Allemagne, French

    Review

    (1952) aux Etats-

    U n i s , Revue de l Universit libre de Bruxelles

    ( 1 9 5 4 ) ,

    French Studies

    (1959) en A ngleterre) po ur q ue des revues spcialises franaises

    s'ouvrent, et nettement plus tard, des travaux critiques :

    Com-

    munications

    ( 1972) ,

    Revue des

    sciences

    humaines

    ( 1973) ,

    Potique

    ( 1976) ;

  • 7/23/2019 Fortunes de Ponge

    28/30

    Fortunes de Ponge 1924-1980) 169

    mais Ponge ne se glisse encore dans la

    Revue

    d histoirelittraire

    de la

    Franceque par le biais des comptes rendus. Une telle histoire serait

    insparable de la vie mme de Ponge

    17

    .

    Tout tat prsent devrait jalonner les pistes pour la recherche

    venir; nous ne l'avons fait qu'implicitement, suggrant a et l des

    travaux faire, marquant surtout les limites de plusieurs de ceux dont

    nous disposons dj. Souhaitons que les lecteurs fascins par les

    pomes pongiens et soucieux de les mieux connatre et les mieux com-

    prend re mesu rent l'acquis avant de livrer le rcit de leur rencon tre.

    17 Malgr tout ce que fournissent les ouvrages de Sollers, Thibaudeau et

    S pad a, qui ont bnfici de la collaboration de Po nge, m algr tout ce qui s 'app rend

    dans le

    M alherbe,

    dans les

    Entretiens

    de 1971 et dans les fragments de mmoires qui

    commencent a voir le jour (NRF, 1979), il manque une biographie intellectuelle

    dtaille N ul doute qu 'un e connaissance plus approfondie des relations de Ponge

    avec son temps , des milieux qu'il a frquents, des imprg nations q u'il a pu subir ne

    jetterait sur l 'uv re de nouvelles lum ires, sans en rduire l 'originalit cet

    gard , les lettres conserves dans le fonds Jacq ue s Dou cet, et la correspon dance avec

    Jean Paulhan (1923-1968) que devrait publier prochainement la maison Gallimard

    d'aprs la thse de Claire Boaretto (Paris, janvier 1981), apporteront srement

    beaucoup, en particulier sur tous ceux qui ont travaill faire connatre Ponge en

    France comme l 'tranger

  • 7/23/2019 Fortunes de Ponge

    29/30

    170 tudes franaises, 17,1 -2

    A P P E N D I C E

    Liste des textes de Ponge qui ont fait l objet de comm entaires*

    L 'A B R IC O T (P), E Walther (1965), G Farasse (1972), G D M artin (1975),

    G Butters (1976)

    L 'APPA RE IL DU T L P HO N E (P) , M Ri ffate rre (1974)

    L 'AR A IG N E (P), G G aram pon (1952), J Tortel (1953), E W alther (1961), Ph

    Bonnefis (1073), H De Cam pos (1974), C Ried hn-D econinck (1974),

    G Butters (1976)

    BORDS DE MER (PPC), E Hohnish (1972)

    LE CH EV AL (P) , G But ters (1976)

    LA C H V R E (P), M Douthat (1959), T Aron (1980)

    LA C R EV ET TE (P) , J Lemichez (1973)

    DO UZ E PET IT S C R IT S , B Groethuysen (1927), R de Solier (1956)

    F A B L E ( P R )

    5

    R G reene (1970), D Ewald (1977)

    FABLES LO G IQU ES (M ) , D Ewald (1977)

    L E FEU ( P P C )

    1

    E W alther (1965)

    LA FIG UE (S C HE ) (P), V Godel (1978), J M Gleize et B Veck (1979),

    J P Richard (1980)

    L 'H U T R E (PP C), N Willard (1970), W Raible (1972), J M Gleize et

    B Veck (1979) C'est aussi le texte le plus volon tiers com m ent pa r Ponge lui-

    m m e {Entretiens avec

    So

    lier s, Colloque)

    J O C A S E R I A ( A C ) , J B e r t h e t , J F C h e v n e r e t J T h ib au d ea u (1976)

    LE L ZA R D (P), Ph Bonnefis (1973), G Butters (1976), J M Adam (1977)

    L E M O L L U S Q U E ( P P C ) , G R oe ll enb le ck ( 1975 ), R S t am e lm a n (1978)

    M Y C R E A T I V E M E T H O D (M ) , B M i lle r (1 94 7), G N Z d an s

    Tnvium

    (1949),

    J M Tix ie r (1975)

    OD E INA CH EV E LA BOU E (P) , M Riffaterre (1974)

    L'ORANGE (PPC), C Tenney (1971), I Higgins (1979, dit ion du PPC)

    LES PLAIS IRS DE LA PO R TE (PPC) , N Oxenhandle r (1974)

    L A P L U I E ( P P C )

    5

    P h Sollers (1963), N Ox enh and ler (1974)

    P L A T D E P O I S S O N S F R I T S ( P ) , J M P i an c a (1 9 7 1 ), I H ig gin s (1 97 9, c ha p V

    de sa monographie)

    P O U R U N M A L H E R B E , P h S o ll er s ( 1 96 5 ) , J T h i b a u d e a u ( 1 9 6 5 ),

    R From ilhague (1966), L Belleli (1975), G Chesters (1977)

    LE PR (NR ) et LA FAB R IQU E DU PR , R Greene (1970), R Jean (1971),

    M Pierssens (1971), P Ch appu is (1972), C Pn gen t (1972), P Bigongian

    (1974), B A Brom bert (1974), C G iord an, (1976), R Laufer (Texte et

    typographie, Littrature VIII, octobre 1978), S G avronsky (1979), R G reene

    (1979)

    QUATRE SATIRES (DPE) , I H iggins (1979)

    RC SEINE N (PPC), I Higgins (1979)

    LE R E ST A U R A N T LE ME U N I E R ( P P C) , I H i gg i n s ( 1979 )

    LE SA VO N , M Deguy (1966), P Chap puis (1967), J Gu ghelmi (1968),

    S N Lawall (1970), L Ciocarhle (1971), S G avronsky (1974), (1979)

    LA SEINE (TP), C Pngent (1971)

    LA S ER VI ET TE P ON G E, G Scarpet ta (1968), J Dern da (1976)

    *Les sigles suivan ts indiq uen t quels recueils ap pa rtien nen t ces textes A C ,

    l Atelier contemporain

    ( 1 9 7 7 ) , D P E ,

    Douze petits crits

    ( 1 9 2 6 ), M ,

    Mthodes

    ( 1 96 1 ) , N R ,

    Nouieau Recueil

    (1967) , P ,

    Pices

    ( 1 9 6 1 ) , P P C ,

    le Parti pris des choses

    ( 1 9 4 2 ), P R ,

    Promes, T P , 7

    orne

    premier ( 1 9 6 5 )

  • 7/23/2019 Fortunes de Ponge

    30/30

    Fortunes

    de

    Ponge 1924-1980)

    7

    L E S O L E I L P L A C E

    EN

    A B M E

    (P), Ph

    Jaccottet (1956),

    A

    Pieyre

    de

    Mandiargues (1958),

    N

    W.llard (1970),

    Ph

    Sollers (1971),

    G

    Farasse (1973),

    C Pngent (1977),

    E

    Formentelh (1978),

    S

    Gavronsky (1979)

    T E N T A T I V E O R A L E (M ), R Etiemble (1950et 1966),D Ewald (1977)

    T R O I S A P O L O G U E S ( D P E ) ,D Ewald (1977)

    L E V O L E T S U I V I DE SAS C H O L I E (P ), G Butters (1976)