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1 1 FORUM DES AUTORITES LOCALES DE PERIPHERIE 2, 3 et 4 Mars 2006 – Nanterre - France SOMMAIRE Avant propos : Comment les marges deviennent des cœurs ? Compte rendu du tour de la banlieue parisienne. p7 Gilles Rabin, économiste et Luc Gwiazdzinski, géographe Restitution des parcours de l’agglomération parisienne réalisés du 11 au 19 février 2006 par Gilles Rabin et Luc Gwiazdzinski. Rencontre avec les acteurs locaux, les citoyens et usagers des villes et présentation des comptes-rendus quotidiens, véritables « expressions vécues ». Allocution d’ouverture p13 Patrick Jarry, Maire de Nanterre Conférence d’ouverture : « Globalisation, métropoles en mutation : quel est le regard des périphéries ? » p16 A l’heure de la mondialisation dominée par le modèle de développement économique et social néolibéral, que deviennent les métropoles ? Qu’en est-il des territoires exclus, ou en voie d’exclusion où les inégalités s’accentuent mais où les actions, les expériences et les créations collectives se développent ? Comment comprendre et agir sur les mutations en cours ? Modérateur : Gérard Perreau Bezouille, maire adjoint de Nanterre Ont pris part au débat Marie Christine Jaillet Roman : Chercheuse au CNRS, directrice du Centre Interdisciplinaire de Recherches Urbaines -Université de Toulouse Le Mirail, Uwe Klett : Maire de l’arrondissement de Marzhan – Hellersdorf de Berlin – Allemagne Hervé Bramy : Président du Conseil Général de Seine Saint Denis – Métropole de Paris Joan Subirats : Directeur de l’IGOP de l’Université Autonome de Barcelone Eduard Tortajada : Adjoint au maire de Badalone – Métropole de Barcelone – Espagne Gustave Massiah, Membre du conseil mondial du Forum Social Mondial et vice président d’ATTAC Eloi Pieta : Maire de Guarulhos –Métropole de Sao Paulo – Brésil – président du Front des maires du Brésil, président de la commission Inclusion sociale et démocratie participative de CGLU Atelier 1 : « Impact des migrations dans la recomposition des identités collectives métropolitaines » p26 L’arrivée successive, ancienne ou récente de migrants contribue à construire de nouvelles formes sociales, culturelles, relationnelles, symboliques du « vivre ensemble » dans les métropoles, particulièrement dans les villes ou quartiers populaires, territoires privilégiés d’accueil, d’installation et de travail des migrations. De nouvelles représentations identitaires sont-elles à l’œuvre dans le monde urbain, lesquelles ? Quel impact les migrations ont-elles sur les représentations nationales, voire sur une nouvelle vision de la société et du projet politique ?

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FORUM DES AUTORITES LOCALES DE PERIPHERIE 2, 3 et 4 Mars 2006 – Nanterre - France SOMMAIRE Avant propos : Comment les marges deviennent des cœurs ? Compte rendu du tour de la banlieue parisienne. p7 Gilles Rabin, économiste et Luc Gwiazdzinski, géographe Restitution des parcours de l’agglomération parisienne réalisés du 11 au 19 février 2006 par Gilles Rabin et Luc Gwiazdzinski. Rencontre avec les acteurs locaux, les citoyens et usagers des villes et présentation des comptes-rendus quotidiens, véritables « expressions vécues ». Allocution d’ouverture p13 Patrick Jarry, Maire de Nanterre Conférence d’ouverture : « Globalisation, métropoles en mutation : quel est le regard des périphéries ? » p16 A l’heure de la mondialisation dominée par le modèle de développement économique et social néolibéral, que deviennent les métropoles ? Qu’en est-il des territoires exclus, ou en voie d’exclusion où les inégalités s’accentuent mais où les actions, les expériences et les créations collectives se développent ? Comment comprendre et agir sur les mutations en cours ? Modérateur : Gérard Perreau Bezouille, maire adjoint de Nanterre Ont pris part au débat Marie Christine Jaillet Roman : Chercheuse au CNRS, directrice du Centre Interdisciplinaire de Recherches Urbaines -Université de Toulouse Le Mirail, Uwe Klett : Maire de l’arrondissement de Marzhan – Hellersdorf de Berlin – Allemagne Hervé Bramy : Président du Conseil Général de Seine Saint Denis – Métropole de Paris Joan Subirats : Directeur de l’IGOP de l’Université Autonome de Barcelone Eduard Tortajada : Adjoint au maire de Badalone – Métropole de Barcelone – Espagne Gustave Massiah, Membre du conseil mondial du Forum Social Mondial et vice président d’ATTAC Eloi Pieta : Maire de Guarulhos –Métropole de Sao Paulo – Brésil – président du Front des maires du Brésil, président de la commission Inclusion sociale et démocratie participative de CGLU Atelier 1 : « Impact des migrations dans la recomposition des identités collectives métropolitaines » p26 L’arrivée successive, ancienne ou récente de migrants contribue à construire de nouvelles formes sociales, culturelles, relationnelles, symboliques du « vivre ensemble » dans les métropoles, particulièrement dans les villes ou quartiers populaires, territoires privilégiés d’accueil, d’installation et de travail des migrations. De nouvelles représentations identitaires sont-elles à l’œuvre dans le monde urbain, lesquelles ? Quel impact les migrations ont-elles sur les représentations nationales, voire sur une nouvelle vision de la société et du projet politique ?

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Modérateur : Serge Guichard, Adjoint au maire de Palaiseau – Métropole de Paris Ont pris part au débat Emmanuel Terray : anthropologue - CEDETIM Jose Filipi : Maire de Diadema – Métropole de Sao Paulo – Brésil Jean Pierre Brard : Maire de Montreuil sous Bois– Métropole de Paris Lee Jasper: Director for Equalities and Policing - Greater London Authority- Grande Bretagne Paul Oriol : Association pour une citoyenneté de résidence européenne Mercedes Ruzafa y Isabel Copetudo: Santa Coloma de Gramenet – Métropole de Barcelone Espagne Didier Paillard : Maire de Saint-Denis – Métropole de Paris Aissa Kadri : Universitaire - Institut Maghreb – Europe - Université Paris 8 Saint Denis Atelier 2 : « Culture et périphérie : renouveler les pratiques et la création» p39 Favoriser la diversité des formes d’expression culturelle est indispensable pour le développement et l’épanouissement de nos cités. Y a-t-il émergence de formes artistiques et culturelles nouvelles de la rencontre et/ou de la confrontation entre métropoles et villes de périphérie ? Peut-on considérer qu’il y aurait une culture de « banlieue », une originalité des formes d’expression qui émergent dans les villes de périphérie ? En quoi un projet artistique et culturel peut fédérer une ville de périphérie, être vecteur d’une identité ? Modératrice : Sylvie Vassallo : Directrice du salon du livre et de la presse jeunesse de Seine Saint Denis Ont pris part au débat Pierre Bourguignon : Maire de Sotteville les Rouen – Métropole de Rouen - président de l’Association des Maires de Villes de Banlieues de France Jean Hurstel : Président de “Banlieues d’Europe” Jean Louis Martineli : Directeur du théatre des Amandiers - Nanterre Odile Sankara : Comédienne burkinabé Denis Moreau : Photographe Dra. Maria da Luz Rosinha : Présidente de la Camara Municipal de Vila Franca de Xira – Métropole de Lisbonne - Portugal Giovanni Magnano : Culture en périphérie –Municipalité de Turin - Italie Atelier 3 : « Droit au logement, droit aux mobilités le refus de l’apartheid urbain. »

p51 Le défi de l’inclusion sociale pose la question du droit au logement et du droit d’accès à la métropole. Comment garantir ces droits ? Ceux-ci ne s’exercent-ils pas de la même façon selon les territoires concernés ? Modératrice : Agnès Deboulet - AITEC Ont pris part au débat Jean Pierre Levy : Universitaire - CNRS / CRH – UMR LOUEST Ari Vanazzi : Maire de Sao Leopoldo- Métropole de Porto Alegre– Brésil Claude Dilain : Maire de Clichy Sous Bois – Métropole de Paris Sylvie Fol : Universitaire – Laboratoire Mosaique /UMR LOUEST Cesare Ottolini : Coordinateur international de l’Association Internationale des Habitants Daniel Breuiller : Maire d’Arcueil – Métropole de Paris - Brésil Marcelo Nowersztern : AITEC - IPAM

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Atelier 4 « Aménagement du territoire : Quelles ambitions des périphéries dans les métropoles ? Quels politiques de développement durable ? p64 Les périphéries sont souvent des territoires de renouvellement urbain : quels aménagements y concevoir selon quels choix ? Ceux de la spéculation immobilière ou ceux des besoins sociaux et humains ? Comment produire, avec les citoyens, des villes vivables et durables ? Modérateur : Eric Flamand, responsable développement durable DEXIA Crédit Local Ont pris part au débat Magnolia Agudelo : Maire de Sumapaz – District de Bogota – Colombie Lenka Kochanova : Cités Unies Slovaquie Joseph Rossignol : Maire de Limeil Brévanne –Métropole de paris- France Jacques Perreux : Vice président du conseil général du Val de Marne – Métropole de Paris Frédéric Dufaux : Universitaire – Laboratoire Mosaïque /UMR LOUEST – Université Paris X Nanterre Atelier 5 : « La santé, un droit à conquérir depuis la périphérie. » p76 C’est au cœur des métropoles modernes que se concentrent l’offre de soin, l’innovation et la recherche médicale. Pourtant les populations des villes centres ou des périphéries n’ont pas un accès égal à la santé. Inégale répartition sociale du personnel médical et des établissements hospitaliers, affaiblissement des réseaux publics de soins… Le droit à l’accès aux soins et à la prévention, pour les populations résidant en périphérie des grandes villes représente un enjeu majeur pour penser et développer une politique de santé publique. Modérateur : Giovanni Allegretti, réseau du nouveau municipalisme - Italie Ont pris part au débat Stéphane Rican : Université Paris X Nanterre Sandra Beatriz Silveira : Maire de Esteio – Métropole de Porto Alegre-Brésil Willian Paez : Maire de Guarenas – Métropole de Caracas - Venezuela Laurent El Ghozi : Adjoint au maire de Nanterre Atelier 6 : « Démocratie participative, citoyenneté de résidence… renouveler la politique par les marges. » p87 La démocratie n’a-t-elle pas besoin de se renouveler ? Comment d’autres formes d’engagement citoyen peuvent-elles s’affirmer ? Comment inventer d’autres espaces d’expression et développer des expériences de participation innovantes, pour mieux décider et vivre ensemble ? Ces démarches peuvent-elles renouveler les pratiques politiques ? Modérateur : Patrick Coulon, réseau « transform » Ont pris part au débat Alain Bertho : Anthropologue - Institut d’Etudes Européennes – Université Paris 8 Saint Denis Nacira Guenif – Souilamas : Université Paris 13 - EHESS Juan Antonio Heredia Heredia, Adjoint au maire de Gava- Métropole de Barcelone- Espagne Bernard Birsinger : Maire de Bobigny – Métropole de Paris Guy Rouveyre : Adjoint au maire d’Echirolles – Métropole de Grenoble - France Marie Helène Bacqué : Université D’EVRY / CRH - UMR - LOUEST Armand Ajzenberg : Rédacteur en chef de la revue électronique « La Somme et le reste »

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Conférence plénière 1 :« Face aux exclusions sociales, aux violences : l’engagement des périphéries pour des droits pour tous et des métropoles solidaires. » p 99 Les relations sociales dans les métropoles reflètent les conséquences humaines, économiques et territoriales des logiques actuelles de la mondialisation. Confrontées aux tendances d’exclusion et de relégation sociale et spatiale, nombre de villes de périphérie refusent le fatalisme, prennent part au débat, agissent pour l’inclusion sociale, pour une métropole pour tous, parfois de manière innovante en terme de démocratie, d’accès aux droits. Modérateur : Stela Farias, ancienne maire d’Alvorada (Brésil) Ont pris part au débat Jaume Saura, Président de l’Institut des droits de l’homme de Catalogne – Charte européenne des droits de l’homme dans la ville – Université de Barcelone Ana Teresa Vicente : Maire de Palmela, présidente de l’Association des Maires du District de Sétubal – Métropole de Lisbonne -Portugal Jaime Zea : Maire de Vila El Salvador – Métropole de Lima - Pérou Patrick Braouezec : Président de Plaine Commune – Métropole de Paris Fatimata Konté Doumbia : Maire de Bamako 1 – présidente de l’Association des Maires du Mali Hervé Vieillard Barron : Directeur du Comité Scientifique de « Profession Banlieue » Estrella Nieto Garcia : Rivas Vaciamadrid – Métropole de Madrid – Espagne Le collectif AC LEFEU Atelier 7 « Expériences d’institutions métropolitaines vécues par les périphéries. »

p 113 Dans le monde, des institutions politiques métropolitaines cherchent à se construire pour mettre en rapport territoire administratif et territoire vécu. Où en sont ces expériences ? Comment sont-elles comprises par certaines villes de périphérie ? Modérateur : Simon Ronai, géographe Ont pris part au débat Maurice Charrier : Maire de Vaux en Velin – Métropole de Lyon- vice président de la du Grand Lyon, vice président de l’Association Internationale de villes nouvelles (INTA) Pierre Mansat : Adjoint au maire de Paris Julien Préau : Université de Montpellier Ivan Arcas : Maire de Molins de Rei –Métropole de Barcelone - Espagne Demetrio Morabito : Adjoint au maire de Sesto San Giovanni – Métropole de Milan - Italie Dr.Marcos Carámbula : Maire de Canelones – Métropole de Montevideo – Uruguay Atelier 8 « Quels sont les enjeux des services publics pour la solidarité dans les territoires ? » p 130 Alors que les services publics ont vocation à satisfaire des besoins fondamentaux (éducation, assainissement, logement, santé…). Les mesures libérales tendent à restreindre ces champs d’action et à mettre en concurrence prestations publiques et marché privé. Quelles conséquences pour le territoire et les citoyens ? Quel engagement des villes ? Modératrice : Jacqueline Fraysse, député de Nanterre Ont pris part au débat Etienne Butzbach : Universitaire - Institut d’Etudes Européennes – Université Paris -Saint Denis

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Angel Merino : diputacion de Barcelona Magali Giovannangeli : 1er Adjointe au maire d’Aubagne – France José Borrás Hernández : Conseiller délégué à la participation de Fuenlabrada – Metropole de Madrid- Espagne Gilles Leproust : 1er adjoint au maire d’Allones – Métropole de Mans - France Atelier 9 : « Du local au global, l’engagement des jeunes, porteur d’identités et de changements ?» p 144 Difficile de parler « banlieues » sans parler de et avec les jeunes qui y vivent, y étudient, y travaillent. Sur ces territoires démographiquement plus jeunes que la moyenne, plus métissés et plus discriminés souvent, comment se concrétise aujourd’hui l’engagement des jeunes ? Quelle dimension internationale peut-il prendre alors que les jeunes manquent de reconnaissance et de place politique ? Quel lien entre les recherches d’identité et l’engagement citoyen ? Modérateur : Jérôme Bouvier, journaliste Ont pris part au débat Fabien Fabbri, Adjoint au maire de Gennevilliers – Métropole de Paris Martin Sabbatella, Maire de Moron- Métropole de Buenos Aires - Argentine Clementine Autain : Adjointe au maire de Paris Guy Millerioux : Directeur de l’INFOP CEMEA Christelle HAMEL : INED Bertrand GALLET : Directeur général de « Cités Unis France » Conférence plénière 2 : « Quelles influences des périphéries pour une démocratie participative dans les métropoles? » p 159 Un projet de « métropole pour tous » n’a t-il pas besoin de l’engagement de citoyens ? Comment assurer leur participation et leur implication ? Quelles places peuvent tenir les villes de périphéries pour ce développement de la démocratie ? Modérateur : Gilles Vrain, ADELS Ont pris part au débat Jordi Borja : Urbaniste – Espagne Olivio Dutra : ex ministre de la ville du Brésil, ex maire de Porto Alegre Carlos de Sousa : Maire de Setubal – Métropole de Lisbonne - Portugal Pierre Mansat : Adjoint au maire de Paris Guy Burgel, Géographe urbain - Université Paris X Nanterre Maria Salmeron Charco : Adjointe au maire de Viladecans- Métropole de Barcelone – Espagne Christian Lefevre : Universitaire - Institut Français d’Urbanisme Intervention des jeunes de la « Rage du Peuple » Conférence de clôture pour continuer : « Périphéries, actrices pour un autre monde possible ? » p 172 Des villes de périphéries prennent des initiatives. Comment les développer, les étendre à d’autres ? Comment poursuivre ensemble, villes et citoyens, réflexions et actions concrètes ? Présidence : Patrick Jarry : Maire de Nanterre Ont pris part au débat

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Gilles Retière : Maire de Rézé – Métropole Nantaise Pedro Castro : Maire de Getafe –Métropole de Madrid – Espagne Bernard Jouve : Professeur à l’Ecole Nationale des Travaux Publics Gilbert Roger : Maire de Bondy – Métropole de Paris- vice président du Conseil Général de Seine Saint Denis Gérard Perreau Bezouille : Adjoint au maire de Nanterre Edgardo Bilsky : Cités et gouvernements Locaux Unies (CGLU) Jacques Nikonoff, Président d’ATTAC

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Avant propos : Comment les marges deviennent des cœurs ? Compte rendu du tour de la banlieue parisienne. Gilles Rabin, économiste et Luc Gwiazdzinski, géographe Manœuvres sur les marges En novembre 2005, les périphéries se sont invitées dans notre actualité. L’espace de quelques jours, les marges ont imposé les termes du débat : lutte contre les discriminations, égalité républicaine, place des jeunes dans la société (…). Après la musique, le langage et les modes, les banlieues se sont plus violemment imposées au centre. Cette « mise en périphérie » a changé la donne. Afin de répondre aux enjeux posés, nous devons modifier notre regard sur les banlieues pour ouvrir un débat sur la ville qui dépasse les limites des « quartiers en crise ». C’est le sens de la démarche sensible engagée depuis des mois avec la mairie de Nanterre sur le rapport centre-périphérie et l’espace vécu des usagers qui s’est notamment traduit en février 2006 par un tour à pied de la périphérie parisienne en amont du Forum mondial des autorités locales de périphérie (FALP). Manœuvres sur les marges et marges de manoeuvres. Une approche globale de l’espace vécu Au-delà des événements de l’automne 2005, notre démarche s’inscrit dans le cadre d’une réflexion engagée depuis de nombreuses années sur les périphéries, espaces d’enjeux centraux sur les grandes questions contemporaines, lieux de créativité et d’invention d’une nouvelle urbanité. Dans nos travaux de géographe et d’économiste, nous privilégions des processus interactifs d’exploration, de restitution et de débats. Le tour des périphéries, périple à pied de 10 jours autour de Paris s’inscrit dans une démarche globale d’exploration sensible des temps et des espaces périphériques imaginée avec la ville de Nanterre. Elle intègre notamment la traversée nocturne Paris-Nanterre, le suivi GPS et la cartographie de l’espace vécu d’un groupe d’habitants et usagers de Nanterre. Constat de départ. Le projet est né de constats partagés : la situation tendue dans les périphéries, une réflexion sur la ville qui tourne en rond et s’enferme sur la question des « quartiers en crise » ; une approche monolithique de « la » banlieue, des clichés et des caricatures qui dressent des murs entre les quartiers, les individus et les groupes et une mauvaise prise en compte de la ville comme un espace d’usage. Nous avons souhaité dépasser les idées reçues sur « la » banlieue, tenter de renouveler l’approche et les propos, privilégier une approche sensible à des séries de statistiques, changer de regard et de point de vue sur les centres et les périphéries, les usagers et habitants de ces territoires. Au-delà des grands discours, nous sommes notamment convaincus que la ville s’éprouve plus qu’elle ne se prouve. Nous sommes toutes et tous au centre du monde. Question de point de vue. Au-delà de la mode, de la langue, de la culture, les marges peuvent devenir des cœurs. Territoire d’investigation et protocole Notre approche s’appuie sur les définitions géographiques du centre et de la périphérie CENTRE n.m. (lat.centrum, gr. Kentron, pointe). Point situé à égale distance (le rayon) de tous les points d’un cercle ou d’une sphère. PERIPHERIE n.f. (gr. Peripheria, circonférence). Ce qui s’étend sur le pourtour de quelque chose. Projet. Il s’agit de rendre compte de la réalité des banlieues (unité/disparité, identité/éclatement, dynamique propre/exutoire...) à partir d’un trajet circulaire autour de la capitale dans la banlieue parisienne et d’interroger le rapport de ces territoires et de leurs habitants aux autres périphéries et au centre. Parcours. Début février 2006, pendant une dizaine de jours de, nous avons pris le temps de la rencontre avec les habitants à la vitesse du pas à partir d’un tour des communes de la première couronne entre La Défense et Puteaux via Gennevilliers, Bobigny, Ivry, Paris et Issy-les-Moulineaux, persuadés que ce parcours permettrait de relire les tensions et les disparités entre ces territoires et d’identifier les futurs possibles.

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►Départ Nanterre ► Colombes ► Argenteuil ► Gennevilliers ► Clichy-sur-Seine ► Saint-Denis ► Aubervilliers ► Bobigny ► Noisy-le-Sec ► Bondy ► Clichy-sous-Bois ► Rosny-sous-Bois ► Fontenay-sous-Bois ► Nogent-sur-Marne ► Champigny ► Saint-Maur ► Créteil ► Alfortville ► Vitry-sur-Seine ► Ivry-sur-Seine ► Le Kremlin-Bicêtre ► Gentilly ► Malakoff ► Vanves ► Issy-les-Moulineaux ► (Paris) ► Boulogne-Billancourt ► Meudon ► Suresnes ► Puteaux ►Arrivée Nanterre Méthode. Nous avons croisé plusieurs approches : des rencontres et interviews sur le chemin dans les quartiers sous forme d’entretiens semi-directifs ; des rendez-vous avec élus ou responsables locaux (Ivry, Bondy, Saint-Denis…) ; quatre débats sur « la Citoyenneté » à Nanterre, « le développement économique » à Ivry, « les projets métropolitains » à Paris et « l’après-violences » à Clichy, ainsi des observations dans l’espace public. Premier bilan Chiffres. On peut tenter de dresser un premier bilan : 9 jours de marche, 150 kilomètres parcourus, 4 débats en soirée à Nanterre, Ivry, Clichy et Paris, 30 communes traversées, plus de 500 personnes interrogées, 4000 photos, 6 carnets remplis, Une première photographie partielle et partiale des périphéries. Mémoire pleine. Clichés au départ. Avant le départ « on » nous avait prévenus nous imposant l’exposé d’une litanie sans appel : banlieue « triste », banlieue « banale », banlieue, « non-lieu », banlieue dans l’irrésistible attraction de Paris », banlieue « atone », banlieue symbole du « mal de vivre », banlieue « monolithique », banlieue « grise », banlieue « moche », banlieue « enclavée », RER « outil privilégié » de la mobilité, personnes « fermées », habitants « résignés », « Sale climat», « Insécurité » (…). N’en jetez plus ! Images contrastées à l’arrivée. Sans angélisme ni esprit de contradiction particulier, nous avons plutôt été sensibles à d’autres aspects : la grande diversité des banlieues ; les contrastes forts entre périphéries ; les différences importantes sur quelques dizaines de mètres ; les frontières qui persistent ou apparaissent avec le centre (le périphérique, le nouveau tramway, l’éclairage) ; des populations qui ne vont pas systématiquement à Paris et vivent sans toujours se soucier de la capitale ; l’importance grandissante des pôles d’attraction en périphérie ; 800 000 banlieusards qui vont tous les jours vers Paris mais 300 000 parisiens qui se dirigent vers les banlieues, 30 000 personnes au Marché de Saint-Denis ; des pôles culturels ou sportifs périphériques qui attirent les Parisiens (Macval, Stade de France, Théâtre des amandiers…) ; l’importance de la voiture comme outil de mobilité dans des territoires pas toujours aussi bien desservis et à des horaires adaptés ; l’attachement des personnes rencontrées aux lieux et la fierté du territoire (quartier, commune, département…) ; les appartenances multiples des habitants (du local à l’international) qui ne les enferment pas systématiquement dans la proximité ; les parcours de vie Province-Paris-Banlieue-Province avec Paris pour accélérer et la Province pour se reposer ; des banlieues vivantes et en chantiers ; des débats « citoyens » sur le vivre ensemble, l’urbanisme, les transports dans toutes les communes traversées ; des rythmes et des temps différents à prendre en compte dans la gestion de ces territoires : Le jour et la nuit, la semaine et le week-end ; le mélange des populations venues d’ailleurs ; une banlieue qui recèle des joyaux culturels et architecturaux (Ecole à Maison Alfort, Macval à Vitry/Seine, Chinagora entre Seine et Marne, Basilique de Saint-Denis…) ; des banlieues où il fait aussi bon vivre ; une banlieue parfois en technicolor (comme à Ivry notamment) ; des banlieues accueillante ; des sourires, des gueules et de belles rencontres ; une émotion permanente et de la vie. Jamais en dix jours sur le terrain nous n’avons rencontré la moindre hostilité. Bien au contraire, nos questions et notre démarche ont suscité intérêt et curiosité. En comparaison, les rues de Paris nous ont paru étonnamment fades. Problèmes réels. Ne nous voilons pas la face. Les problèmes existent. Des frontières persistent ou se renforcent entre le centre et la périphérie : périphérique, nouveau tramway, éclairage, représentations mentales. Des problèmes de transport existent d’une banlieue à l’autre, en soirée. Dans de nombreuses communes comme Clichy, malheur à ceux qui n’ont n’a pas de véhicule. La dénonciation des inégalités est permanente dans le discours des jeunes et de leurs parents. La discrimination à l’embauche ou à l’entrée des discothèques est très très mal vécue et les preuves sans cesse mises en avant. On devrait également ajouter, deux mois à peine après les événements de novembre, l’impression d’un oubli rapide par les pouvoirs publics malgré l’émotion et les promesses.

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Envies contrastées des habitants. Les besoins exprimés par les habitants pourraient parfois être perçus comme contradictoires alors qu’ils n’expriment que la complexité extrême de la situation : besoin de participer, envie d’être citoyen dans le quartier mais regard critique sur la démocratie participative ; besoin de centralité dans la commune mais envie de bouger plus loin ; attachement au quartier mais envie d’ailleurs pour soi (retraite ou carrière) ou pour ses enfants. Conscience très forte des enjeux dans la population Loin de subir les discours, loin des clichés où on les décrit désabusés et repliés sur les seuls tracas de la vie quotidienne, les citoyennes et citoyens rencontrés ont souvent fait preuve d’une grande conscience politique et d’une analyse pertinente et multiscalaires des enjeux. Premier constat partagé : les choses doivent être pensées à l’échelle de la région parisienne. Deuxième constat : l’impression que l’on veut parfois enfermer les habitants des banlieues dans la proximité à coût de gadgets sans assurer leur mobilité géographique, sociale ou professionnelle. Proposition avancée : l’envie d’un « grand Paris » comme il y a un « Grand Londres ». Dans l’imaginaire de ces habitants qui ne sont pas urbanistes, Londres apparaît comme un modèle. Dans de nombreuses communes (Saint-Denis, Ivry…) la population est persuadée que ce n’est qu’une question de calendrier mais que les choses sont déjà décidées : nous serons le XXIème arrondissement » de Paris. Des élus démunis et timides. Les élus rencontrés nous ont souvent paru désemparés, démunis et seuls sur des questions essentielles comme le logement par exemple. Quoi faire quand on a des centaines de demandes de logements et à peine deux appartements à proposer ? La plupart d’entre eux se sentent abandonnés par un Etat qui se désengage. En terme de coopération, le constat est sans appel : les élus de périphérie se connaissent encore peu hors des partis. Ils ont conscience que la coopération avec les autres communes est un plus, voudraient aller plus loin mais semblent tétanisés, dépassé par l’ampleur de la tâche ou accaparés par le quotidien. Certains d’entre eux se plaignent des rapports déséquilibrés à la ville centre mais oublient parfois d’associer les territoires plus éloignés à la réflexion centre-périphérie. Impressions contrastées Thématiques. Au fil des jours, des communes, des paysages traversés et des rencontres, des thématiques ont émergé qui ont fait l’objet de nos chroniques quotidiennes : frontières, salles d’attente, bulles, signes, interdictions, urgences, rêves et lignes de fuite, chantiers, mémoires, imaginaires, conflits, mobilités et… mémoire pleine. Une première typologie. A partir de ce parcours, de nos observations, de nos rencontres et de nos échanges, nous avons proposé une première typologie contrastée de territoires traversés qui permette d’engager un débat :

Des plaques tectoniques ». Nous avons distingué trois grands ensembles : • Plaque « Paris et les nouveaux arrondissements », Paris, Nanterre, Issy-Les-Moulineaux,

Vanves, Montrouge (…). C’est le « Paris RATP » ; • Plaque « 93 », Saint-Denis, Saint-Ouen, Clichy, Fontenay-Sous-Bois, Bondy. C’est «

L’industrie qui s’efface » ; • Plaque « la Marne vitrifiée », Joinville-le-Pont, Maison-Alfort, Rosny-Sous-Bois. C’est « La

démocratie du sommeil ». Des zones sismiques de frottement. Entre ces plaques tectoniques, on peut distinguer des « zones sismiques » de frottement, de pression où peut se faire et se défaire l’articulation « centre-périphérie » : Les Quatre temps la défense, Châtelet les Halles, Macval, Théâtre des amandiers, Le T3 à Saint-Denis (…) Les « périphéries dans la ville ». Au centre du centre, les banlieues ont pris possession de l’espace public qu’elles investissent et qu’elles intègrent à leur espace vécu. C’est notamment le cas de secteurs comme Châtelet, les Champs-Elysées, les Grands Boulevards (…) Des « espaces insulaires ». Dans les périphéries émergent de loin en loin des îlots avec leurs fonctions spécifiques qui semblent déconnectés de leur environnement proche : Hôpital Charles Foix, Ile Saint Germain, Basilique Saint-Denis, Quartier point du jour à Boulogne, Chinagora (…)

Questionnements

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Au-delà des premières impressions, des questions émergent qui doivent permettre de relire la relation centre-périphérie :

- La banlieue pour quoi faire ? Elle ne sert visiblement plus pour l’industrie qui a souvent disparu. Elle n’est visiblement pas encore l’espace privilégié pour le tertiaire supérieur. Elle n’est pas devenu un lieu de vacances attractif même si nous avons vu apparaître des chambres d’hôtes. Est-elle encore l’exutoire pour certaines activités du centre (cimetière, malade, sommeil…) ? Une réserve de main d’œuvre bon marché ? Un espace privilégiés pour les activités nuisantes (incinération, épuration…) ? Un lieu de stockage (populations, matériel…) ? Le territoire d’un nouvel exotisme de proximité ? - Faut-il vraiment vivre et travailler au quartier ? - Ne vaut-il pas mieux privilégier la mobilité à l’échelle de la Région Ile-de-France ? - Faut-il continuer à s’inscrire dans une dialectique centre-périphérie ? - Faut-il chercher l’intégration des périphéries par la dynamique du centre ? - Les périphéries ne doivent-elles pas plutôt définir leur propre stratégie ? - Ne faut-il pas imaginer les conditions d’un co-développement ? Cela pose la question des

territoires concernés, des acteurs impliqués, de l’échelle, de la gouvernance et des fonctions partagées.

Futurs possibles Si on avait dû s’amuser à construire des scenarios pour demain, on aurait sans doute choisi des approches très contrastées pour provoquer et lancer le débat. On aurait distingué « les futurs possibles vus de Paris » et « les futurs possibles vus des périphéries » : Futurs possible côté Paris.

Scenario 1. « Paris dans ses murs ». C’est le scenario du « repli » : « Le musée assiégé », « Paris insulaire » ; Scenario 2. « Paris hors les murs ». C’est le scenario de « l’intégration des franges » : « Les 30 arrondissements », « L’extension du domaine de la lutte » ; Scenario 3. « Paris île de France ». C’est le scenario de la ville région. « Le gouvernement régional », « Le transfert impossible ».

Futurs possibles « côté périphéries » Scenario 1. « Marges splendides ». C’est le scénario du « repli » sur la commune ; Scénario 2. « Sauve qui peut ». C’est le scenario du « chacun pour soi ». Chaque commune dialogue de son côté avec le centre ; Scénario 2. « Couronne royale ». C’est le scenario « Ensemble on va plus loin ». Les périphéries se fédèrent pour dialoguer avec le centre.

Une des sorties de crise possible réside sans doute dans une articulation fine des scenarios de « La ville région » et de « la couronne royale ». Le développement durable du centre et des périphéries passe par une redéfinition des outils et des échelles de gouvernance et une approche en termes de co-développement plutôt que d’intégration. Les pistes de co-développement plutôt que l’intégration Au-delà des mots, le co-développement est sans doute préférable à l’intégration des marges urbaines les plus proches (et les plus « rentables ») par le centre. Une question d’échelle. L’échelle d’appréhension des grands enjeux est la Région parisienne. Dans leur recherche d’un partenariat avec le centre, les périphéries ne doivent pas oublier leurs propres marges. La première couronne doit insister pour que les communes de la seconde couronne soient déjà intégrées à la réflexion. Une question de gouvernance et de citoyenneté. La bonne échelle de gouvernance sur les grands enjeux compte-tenu du repli de l’Etat est la région : c’est à cette échelle que doivent être imaginés, les politiques d’aménagement, de transport, et les outils adaptés (taxe professionnelle, marketing territorial, aménagement du territoire…) qui permettent les arbitrages et évitent les concurrences stériles. Par contre le bon niveau en terme de citoyenneté est sans doute infra-communal, à l’échelle de quartier de

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15 000 à 20 000 habitants. Des maires de quartiers élus au suffrage universel après une campagne électorale de proximité à taille humaine pourraient vraiment s’engager au nom du territoire. Portés et reconnus par le territoire ils pourraient également participer aux réflexions et décisions à l’échelon du gouvernement régional. A l’instar de ce qui s’est passé en milieu rural, ils pourraient engager des politiques de développement local qui n’ont jamais pu démarrer dans les quartiers faute d’interlocuteurs légitimes à long terme. Pourquoi maintenir des communes de 50 habitants en milieu rural et accepter que des quartiers de 60 000 habitants n’aient toujours pas d’élu direct ? Une question de projets concrets et de chantiers. Au delà des discours sur la complexité, les difficultés de la réforme on peut déjà travailler sur des projets, des lieux et des outils concrets. On peut s’intéresser à des projets symboliques, des interfaces centre-périphéries qui fonctionnent déjà plutôt bien et voir comment améliorer l’intégration : Saint-Denis (Grand Stade), Le Macval, La Faculté de Nanterre, Le Noctilien (…). Il est également possible de travailler sur d’autres projets symboliques pour lesquels on peut sans doute mieux faire en termes de co-développement et d’intégration à la bonne échelle : Les Halles, La Défense, Le Tramway des Maréchaux, Les Nuits blanches (…) Une question de regard. Il faut passer de la dialectique centre-périphérie, des rapports dominant-dominé (voir la symbolique de la jetée à la Défense), à une approche polycentrique de la ville et de la région qui corresponde mieux aux besoins des habitants en terme de proximité mais aussi de mobilité. Marges de manœuvre Marge n.f. (lat. margo, marginis, bord). Espace blanc laissé autour d’une pagé imprimée ou écrite. La pluie, le froid et les automobilistes n’ont finalement pas eu raison de notre projet. Nous nous sommes frayés un chemin entre frontières, salles d’attente, bulles, signes, lignes de fuite et chantiers. Nanterre-Nanterre via Les halles : la boucle est bouclée. Du « Café des deux communes » - « chez Nenette » - au « Café des deux palais », des cœurs aux périphéries, nous avons pu éprouver les points communs et les différences. Dans la diversité des banlieues, nous avons rencontré des gens d’ici et d’ailleurs fiers de leur quartier, de leur commune ou de leur département. Nous avons traversé des marges vivantes, croisé des chantiers et participé à des débats : périphéries mouvantes. Les marges peuvent devenir des cœurs ! On nous avait dit que « la banlieue était un concept géographique ». On s’est rendu compte que « la banlieue c’était surtout dans la tête ». Un devoir d’innovation. Ces premiers éléments de réflexion partiels et partiaux permettent d’engager le débat et d’échapper au discours convenu et souvent stérile sur la complexité. Oui « la pauvreté est aussi au centre » ! Oui « certaines périphéries sont privilégiées » ! Ces constats ne nous exonèrent cependant pas d’un débat plus large sur le devenir des banlieues et du lancement d’actions précises autour de projets concrets. « La complexité est un mot problème et non un mot solution » avait déjà prévenu Edgar Morin. Les réflexions préalables ne nous exonèrent pas d’un devoir d’intervention et d’action. Les collectivités locales disposent déjà de marges de manœuvre en termes d’innovation institutionnelle et de coopération multiscalaire qu’elles pourraient expérimenter en région parisienne sur des lieux précis. Un changement de regard. Au-delà des difficultés, une partie des problèmes réside dans les représentations mentales des différents acteurs, habitants et usagers de l’agglomération parisienne. Quelles que soient les pistes explorées, les porteurs devront changer de lunettes et chercher d’autres clés de lecture de la ville qui correspondent mieux aux réalités de la ville et de l’agglomération : une pulsation d’une heure autour de Paris plutôt qu’une entité administrative ; un système complexe d’éléments en interaction et pas un empilement d’activités sectorielles ; un système complexe d’horaires et pas un simple cadre spatial ; un labyrinthe à quatre dimensions et pas un simple espace plan ; une ville en mouvement, un système de flux ouvert, plus qu’un système de stocks figé ; un palimpseste et pas un corps sans histoire ; une entité en relation avec son environnement et pas une entité hors sol, une « enclave » ; le lieu de vie de tous les usagers (travailleurs, visiteurs, touristes…) et pas seulement le territoire des résidents et un espace-temps malléable pour le bien-être des habitants et des usagers.

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Des principes. Les chantiers de coopération entre le centre et la périphérie doivent enfin s’ouvrir en région parisienne comme ils se sont ouverts dans la plupart des villes de Province. Malgré ses particularismes, cette région ne peut demeurer une exception, un archaïsme dans le système français. Les élus, technicien, chercheurs qui dans les prochains mois vont sans nul doute s’emparer de la question devront aborder la complexité des systèmes urbains avec en tête quelques principes essentiels : le droit à la ville en insistant particulièrement sur le droit à la mobilité ; la participation des habitants et des usagers ; l’égalité urbaine et le polycentrisme. Avoir de la marge c’est « disposer d’une latitude suffisante pour agir ». Nous avons de la marge. A vous, à nous de jouer ! Les marges peuvent devenir des cœurs. Ici et maintenant.

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Gérard PERREAU-BEZOUILLE

Je souhaiterais, en préalable, souligner l’immense plaisir de vous accueillir à Nanterre aujourd'hui. Un long chemin a été parcouru depuis le dernier Forum qui s’est tenu à Porto Alegre, au cours duquel j’avais dénoncé la monopolisation des débats par les représentants des grandes villes. Ainsi, un groupe de travail a été constitué pour créer le Forum des Autorités Locales de Périphérie. Je cède à présent la parole à Patrick Jarry, qui va procéder à l’ouverture officielle de ce premier Forum des Autorités Locales de Périphérie.

Allocution d’ouverture

Patrick JARRY- Maire de Nanterre

Bonsoir à toutes et à tous et bienvenue à Nanterre pour le premier des Forum des Autorités Locales de Périphérie. Au nom des élus et des acteurs locaux de notre ville, nous sommes très heureux d’accueillir ce véritable rendez-vous des banlieues du monde. Ce rendez-vous n’est pas un colloque de plus. Il témoigne de la façon dont les banlieues, les périphéries des métropoles sont en train de prendre ou de reprendre la parole depuis quelques années. Cette prise de parole s’est effectuée dans une convergence inédite entre élus, représentants du monde associatif et chercheurs. Elle interpelle avec force les métropoles et leur évolution et à travers celles-ci, le monde lui-même et son devenir. Un long chemin a été parcouru depuis la création du réseau Villes de périphérie et démocratie participative en janvier 2003, qui est né au cœur des forums sociaux mondiaux et des forums des autorités locales pour l’inclusion sociale. C’est en effet lors de ces rendez-vous que les élus et les acteurs sociaux ont ressenti le besoin d’une telle initiative, en marge du Forum mondial social de Porto Alegre. Dès le début, des collectivités locales brésiliennes, espagnoles, françaises et portugaises se sont associées à ce réseau, lequel n’a eu de cesse depuis de s’ouvrir aux collectivités locales des autres pays. Il était nécessaire que les périphéries apportent leur contribution au développement de métropoles plus solidaires.

Les villes périphériques sont homogènes, dans la mesure où elles concentrent toutes une forte densité de la population et des problèmes économiques et sociaux. S’y manifeste aussi une violence à visages multiples : à Bamako, Milan ou Los-Angeles, on constate une violence de la malnutrition, des soins, de la pauvreté, de l’exploitation, du chômage, de l’insécurité et de la répression. En définitive, ces villes sont l’illustration de la violence de l’ultra-libéralisme. La ville de Nanterre n’échappe pas à ces réalités : vous vous trouvez dans une ville de la région parisienne où la confrontation entre le développement sous pilotage libéral et les attentes des populations est particulièrement caractéristique. Le centre d’affaires de La Défense n’a pas été créé sur des terrains vagues : il a été implanté d’autorité, sans égard pour l’existant, et il a imprimé depuis sa création une transformation urbaine aggravant les phénomènes de ségrégations sociale et spatiale, à l’échelle de l’ensemble de l’Ile-de-France. Aujourd'hui, ce secteur est l’un des bassins d’emploi les plus importants en Europe, regroupant 300 000 emplois ; dans le même temps, plus de 6 000 résidents de Nanterre sont sans emploi et des milliers d’autres vivent dans la précarité. 35 000 logements ont été construits dans ce secteur : Nanterre a construit 40 % de logements sociaux, mais les communes voisines n’en ont construit aucun. Ces inégalités sont à l’origine des évènements survenus dans les banlieues françaises en novembre dernier, qui ont fait la une de l’actualité internationale, et qui renforcent la pertinence des rencontres d’aujourd'hui. Le point de départ de ces évènements a été le décès de deux jeunes de la ville de Clichy-sous-Bois, Ziad Bena et Bouma Traoré, dont le maire, Claude Dinin, sera présent parmi nous. Martine Lacour, formatrice à l’IUFM (Institut de Formation des Maîtres) de Livry-Gargan, écrit ceci :

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« Peu de gens connaissent leur nom, comme si par ce choix de l’anonymat, c’était encore, une fois de plus, une manière insidieuse de reléguer ces gens jusque dans leur mort, de les mettre au ban de notre communauté d’hommes et de femmes ».

La page de novembre dernier ne doit pas être tournée. A l’instar des élus de Seine-Saint-Denis qui se sont associés pour demander au Président de la République pour exiger les moyens du développement de leur département, nous souhaitons que chacun, avec ses responsabilités, prenne la pleine mesure de ces territoires et de leur population et soit convaincu de la nécessité urgente de faire prévaloir d’autres choix pour leur assurer un avenir. Nous souhaitons qu’un autre regard soit porté sur les banlieues et les périphéries, car elles ne se résument pas à leur difficultés : leurs apports aux métropoles et à leur société sont considérables. Les périphéries sont aussi des lieux de dynamisme et de créativité. Nous sommes très nombreux à chercher à construire au quotidien des politiques d’inclusion sociale et à multiplier les expériences de renouvellement de la politique et de la démocratie, parmi lesquelles : - un budget participatif a été institué à Guarulhos (Brésil) ; - le rapprochement des communautés à Badalone ; - des processus de planification démocratique à Via Del Salvador ; - ou la démarche des assises pour la ville qui a été menée à Bobigny ;

Toute cette énergie a été le moteur de la préparation du premier Forum Local des Autorités de Périphérie. Plusieurs initiatives ont été prises, notamment au Venezuela, mais aussi en France. Le site web de notre réseau est progressivement devenu un lieu d’expression et de croisements des paroles de chacun. La préparation du FALP a également permis de converger avec des dizaines de chercheurs qui travaillent sur les périphéries, sur l’inclusion sociale et sur le vivre ensemble. Je tiens à les saluer pour leur participation à ces débats, ainsi que l’ensemble des agents des services publics pour le développement de nos territoires, qui jouent un rôle fondamental. Cette mobilisation tend à rendre notre réseau significatif. Celui-ci favorise les échanges et la confrontation. Il se veut être au service de tous, en faisant grandir l’exigence de métropoles plus solidaires et plus durables. La part de la population urbaine est devenue majoritaire, ce qui crée des défis immenses : quelle inclusion sociale ? Quelle croissance harmonieuse ? Comment faire prévaloir dans nos villes la logique du développement durable ? Comment renouveler la démocratie ? Tel est le cœur des motivations du rassemblement d’aujourd'hui. Une centaine de collectivités locales de 20 pays participeront à ces débats, qui s’articuleront autour de 4 conférences et de 9 ateliers. Des temps forts permettront de croiser nos échanges, comme la marche pédestre nocturne qui aura lieu entre Paris et Nanterre, ainsi que les « chapiteaux du monde » qui favoriseront les échanges des participants du FALP et des habitants de la région parisienne. J’invite chacun à participer pleinement aux échanges. Tous ensemble, nous pouvons sortir plus forts de ce Forum, ce qui inclut les populations des périphéries concernées. La ville de Nanterre et les collectivités locales du monde entier auront davantage de poids en étant connectées entre elles. Nous serons plus forts en Ile-de-France, où il est nécessaire de mettre un terme à 20 ans de développement ségrégatif, en allouant des moyens mieux adaptés aux politiques de développement. Nous serons également plus forts à l’échelle des métropoles européennes : c’est à partir de leurs interventions que les couches les plus populaires pourront s’emparer de la construction européenne pour mieux l’infléchir. Il est nécessaire d’échanger et de développer des initiatives, comme celle du maire de Vaulx-en-Velin (banlieue lyonnaise), pour constituer un réseau des villes d’agglomération d’Europe, ou de nos homologues de Retafe (Espagne), qui ont proposé une charte européenne contre les villes ghettos. Enfin, nous serons plus forts à l’échelle des métropoles du monde, en confrontant nos points de vue contre les principes ultra-libéralistes en matière économique, sociale, environnementale ou urbaine. Les actes de ce Forum, qui seront publiés le plus rapidement possible, constitueront un outil précieux pour la poursuite de nos travaux, en reflétant la richesse de nos débats.

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Chers collègues et chers amis, je crois que le Forum mondial qui nous rassemble aujourd'hui est en prise directe avec les enjeux de notre temps, parce qu’il met en lumière la pertinence des territoires locaux, comme des lieux privilégiés face à la globalisation, pour peser sur la réalité et la transformer. Il nous reste à donner à ce Forum Local des Autorités de Périphérie toute sa richesse. Je vous souhaite donc un excellent travail et vous remercie de votre attention.

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Conférence d’ouverture : « Globalisation, métropoles en mutation. Quel est le regard des périphéries ? »

À l’heure de la mondialisation dominée par le modèle de développement économique et social néo-libéral, que deviennent les métropoles ? Qu’en est-il des territoires exclus, ou en voie d’exclusion où les inégalités s’accentuent mais où les actions, les expériences et les créations collectives se développent ? Comment comprendre et agir sur les mutations en cours ? Modérateur : Gérard PERREAU-BEZOUILLE, adjoint au maire de Nanterre - métropole de Paris Sont intervenus : Marie-Christine JAILLET-ROMAN, Chercheuse au CNRS, Directrice du Centre Interdisciplinaire de Recherche Urbaines et Sociologiques - Université de Toulouse Le Mirail Uwe KLETT, maire de l’arrondissement de Marzhan Hellersdorf - Berlin – Allemagne Hervé BRAMY, président du Conseil général de Seine-Saint-Denis - métropole de Paris Joan SUBIRATS, directeur de l’Institut de gouvernement et de politiques publiques (IGOP) de l’Université autonome de Barcelone Eduardo TORTAJADA, adjoint au maire de Badalone - métropole de Barcelone – Espagne Gustave MASSIAH, membre du conseil mondial du Forum social mondial et vice-président d’ATTAC Eloi PIETA, maire de Guarulhos - métropole de Sao Paulo - Brésil - président du Front des maires du Brésil, président de la commission Inclusion sociale et démocratie participative de CGLU Marie-Christine JAILLET-ROMAN – Universitaire La question des banlieues doit être resituée dans l’espace et dans l’univers métropolitain : l’espace des métropoles est de moins en moins organisé selon une logique de centre-périphérie et selon une logique de couronnes. L’espace métropolitain, marqué par la polycentralité, est de plus en plus fragmenté sur les plans géographique, administratif et social. L’univers social métropolitain est caractérisé par une forte diversité, et par le souhait des individus de profiter des opportunités de la métropolisation. La métropole, dans de nombreux discours, serait un univers de liberté qui permet à tous de se construire un mode de vie adapté à ses aspirations. Elle est souvent décrite comme incarnant la figure de l’hyper-choix. Si cette figure est une réalité pour certains, elle est loin de constituer le quotidien de l’ensemble des métropolitains, un grand nombre d’entre eux étant soumis à des contraintes extrêmement fortes, notamment dans le domaine de l’immobilier. La vie des métropolitains s’organise dans le cadre d’une tripartition des groupes sociaux qui détermine leur trajectoire résidentielle et leurs conditions d’accès aux aménités métropolitaines. Les nouvelles élites tendent à s’approprier les espaces agglomérés encore disponibles, comme les anciens faubourgs, ce qui renforce la polarisation sociale du cœur de la métropole. Les classes moyennes de salariés, les employés et les ouvriers vivent une destinée sociale marquée par l’incertitude. Si l’emploi a fait d’eux des métropolitains, leurs aspirations à la tranquillité sociale et les contraintes des marchés immobiliers urbains les conduisent à investir les espaces périphériques, de plus en plus loin des centres-villes. Enfin, les populations peu ou pas qualifiées, les plus fragilisées, sont rejetées dans les espaces des banlieues les plus dévalorisés. Pour autant, elles ne sont pas irréversiblement recluses dans des territoires de relégation : elles circulent à l’intérieur et à l’extérieur de la métropole, elles continuent même d’occuper certains espaces du cœur de la métropole. La métropole, parce qu’elle constitue un univers plus dense d’activités, de personnes et d’interactions, permet de rebondir, mais elle est aussi un univers où l’échec est plus solitaire et plus abrasif. S’il est adapté à l’individu triomphant, capable de se mouvoir et de se repérer dans un monde complexe et instable, l’univers métropolitain risque de s’éloigner de l’idéal démocratique citoyen qu’a incarné la ville, même si cet idéal relève d’un mythe fondateur. L’univers

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métropolitain répond en fait aux aspirations des élites ; si certains groupes sociaux s’en accommodent, d’autres sont réduits à s’en partager les restes. L’univers métropolitain est donc un univers abrupt, qui classe les individus et les discrimine entre eux. Dans des sociétés ouvertes, où l’insécurité augmente, le besoin de disposer d’un territoire refuge est devenu l’une des aspirations sociales les plus partagées. Paradoxalement, le cosmopolitisme qui caractérise les métropoles génère souvent de réflexes d’évitement. Qu’est-ce qui peut constituer un espace commun, espace qui a permis aux villes d’assumer une fonction d’intégration sociale ? Historiquement, la ville a en effet permis à plusieurs générations de faire l’expérience de la liberté et de l’affranchissement des tutelles familiales ou communautaires. Elle a également facilité la fabrication d’une société par dépassement des différences ou, à tout le moins, a facilité la naissance d’une certaine capacité de vivre ensemble. Or les stratégies sociales que l’on observe actuellement dans les métropoles ne favorisent pas cette capacité à vivre ensemble. Finalement, la métropolisation n’est pas qu’un processus économique. Elle est avant tout un processus qui accélère la décomposition de la société urbaine, mais aussi sa recomposition, que vos expériences respectives permettront de mieux éclairer.

Gérard PERREAU-BEZOUILLE

Je vous remercie. Votre intervention nous permet d’entrer dans le vif du sujet. Je cède la parole à Uwe Klett, qui nous fera part de son expérience à Berlin. Uwe KLETT-Maire de Marzhan-Hellersdorf Politique institutionnelle Le Grand Berlin a été créé dans les années 1920. Réunissant de nombreuses banlieues, riches et pauvres, il se compose de douze arrondissements. Berlin est dotée d’une constitution, selon laquelle les politiques ont la responsabilité d’établir un cadre social qui assure une égalité des chances pour tous les habitants de la ville, quel que soit le niveau économique de leur quartier. Ce projet clairement social garantit que les zones pauvres aient autant de possibilités d’obtenir des ressources financières que le centre-ville. Cela demeure toutefois une source de conflits, car, comme dans toute capitale, le pouvoir politique et la richesse se trouvent principalement dans le centre. Dans mon arrondissement, les gens mènent une existence très différente de celle des habitants du centre, et ils ont des attentes différentes. Mais en raison de la concentration des richesses, du pouvoir et de la culture dans le centre-ville, il est très difficile de convaincre les politiciens de créer dans les zones périphériques des infrastructures sociales identiques à celles du centre. 1. Privatisation du logement Dans mon arrondissement, les cités HLM de l’ex-Allemagne de l’Est représentent 80 % des logements. Seule une petite minorité d’entre eux appartiennent au secteur public ou à des coopératives. La plupart sont la propriété de sociétés privées internationales. De ce fait, il est difficile de contrôler les loyers. Si la privatisation des appartements se poursuit dans le centre-ville, les personnes qui n’ont pas les moyens d’en payer le loyer devront se rabattre sur la périphérie. À l’heure actuelle, la répartition sociale de la population dans l’ensemble de l’agglomération berlinoise est satisfaisante. Mais on risque de briser cet équilibre en concentrant des populations démunies et immigrées dans les banlieues. 2. Indicateurs de redistribution financière Il convient d’utiliser des critères tels que taux de chômage, allocations et taille des familles, pour établir une redistribution des ressources financières des quartiers les plus riches vers les plus déshérités. Bien qu’il y ait 20 % de chômeurs dans mon arrondissement, ce n’est pas le plus pauvre. C’est pourquoi nous avons reversé 200 000 euros à un autre arrondissement, encore moins favorisé, où vit une importante communauté immigrée turque. C’est une question de solidarité et d’équilibre, fondée sur la réglementation particulière de Berlin.

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3. Mobilité Les habitants de ces quartiers doivent aussi bénéficier d’une garantie de mobilité, grâce à un système de transports. Nous constatons que depuis quelques années, l’augmentation des tarifs des transports en commun engendre une concentration des plus défavorisés dans un secteur très limité de Berlin. Ces personnes n’ont pas les moyens de se déplacer dans d’autres parties de la ville pour profiter de la vie sociale. Les partis de gauche s’opposent à toute augmentation du prix des transports. Nous défendons des mesures visant à accroître la mobilité de ces communautés, par l’adoption de tarifs plus bas. Cela représente un coût d’environ 3,5 millions d’euros. 4. Aide aux jeunes En raison du taux de chômage élevé, la stratégie locale est principalement axée sur l’aide aux jeunes. En Allemagne, la charge financière représentée par la lutte contre le chômage repose de plus en plus sur les administrations locales. Pourtant, cette mission devrait être celle du gouvernement central. La décentralisation risque d’avoir pour effet de réduire les ressources affectées à l’aide aux jeunes. 5. Violence À Berlin, l’heure est à convier les jeunes au débat, à leur permettre d’exprimer leurs idées. C’est à eux de déterminer les besoins de leurs quartiers et nous devons écouter ce qu’ils ont à dire. Là où j’habite, la police organise des évènements destinés à aider les jeunes à comprendre leur rôle dans la société. Cette compréhension favorise l’ordre. 6. Cadre international Nous avons mis en place des échanges avec d’autres pays d’Europe. Cela permet à de jeunes demandeurs d’emploi de se rendre dans d’autres villes européennes pour rencontrer leurs habitants. Cette démarche contribue à éliminer le sentiment d’isolement, qui incite à l’adoption d’idées d’extrême droite. Grâce à ces échanges, les jeunes comprennent que tout le monde a les mêmes problèmes. Dans un contexte international, ils acquièrent une plus grande confiance en eux.

Gérard PERREAU-BEZOUILLE

Je vous remercie de votre présence. L’expérience de Berlin apporte un éclairage pertinent pour mieux comprendre les mutations en cours. Elle permet de donner à notre réseau une ouverture nouvelle aux pays de l’Europe de l’Est. Hervé Bramy, vous représentez des territoires qui sont actuellement en souffrance. Hervé BRAMY- Président du Conseil Général de Seine Saint Denis Le département de la Seine-Saint-Denis, qui compte 1,4 millions d’habitants à l’est de Paris, fait partie intégrante d’une des plus riches métropoles européennes. Ce territoire est un concentré du processus conjoint de métropolisation et de mondialisation, dont la Seine-Saint-Denis incarne les paradoxes : alors qu’elle connaît une montée de la ségrégation depuis un certain nombre d’années, sa population est nourrie de valeurs de partage et de solidarité. Pourtant, la Seine-Saint-Denis compte plusieurs espaces universitaires, et des espaces de création culturelle notamment. Ses jeunes font preuve d’une formidable volonté pour l’avenir, en manifestant une réelle ouverture à l’autre. L’essor des logiques capitalistes dans le développement urbain a fait naître les banlieues françaises. C’est dans les banlieues où se construit le vivre ensemble, dans la mesure où y cohabitent plus de 140 nationalités. Les territoires périphériques se sont forgé une tradition de lutte, de résistance, de solidarité, et de gestion progressiste de nombre d’autorités locales. La Seine-Saint-Denis porte les stigmates des processus d’exclusion, comme l’ont montré les évènements de novembre dernier. Aux erreurs des ultra-libéraux s’est ajoutée l’insulte aux seules fins d’afficher outrageusement un certain mépris des classes populaires et une volonté d’imposer les lois du marché. Un tel comportement est totalement irresponsable. La vision libérale imprègne les stratégies d’aménagement à l’échelle

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européenne et mondiale : replacer l’homme dans ces stratégies est le défi extraordinaire que nous devons relever. Il nous faut apporter des réponses pérennes aux attentes et aux aspirations des citoyens, notamment en matière de service public (transports, santé, éducation, accès à l’eau et à l’énergie). La croissance économique doit porter le progrès social, et non le gaspillage matériel. De tels choix doivent nourrir notre vision partagée solidaire et durable de la région parisienne. Cette vision prend en compte les interdépendances territoriales croissantes au sein de notre métropole. Il convient de s’attaquer à la résorption des inégalités sociales et territoriales sur l’ensemble du territoire. La crise des banlieues n’est autre qu’une crise de société. Rappelons qu’un monde à deux vitesses est inacceptable ; c’est la raison pour laquelle je porte des ambitions dans le département de la Seine-Saint-Denis, pour enrayer les logiques de précarité et d’exclusion des politiques gouvernementales actuelles, alors que ce département souffre d’un déficit important en termes de moyens financiers. En définitive, il s’agit d’un véritable recul des civilisations. La Seine-Saint-Denis demande le respect de ses droits dans la dignité, la justice, l’égalité ainsi que la rupture avec toutes les formes de discrimination. Nous avons adressé un vœu du Président de la République, qui a reconnu les spécificités de notre département. Nous attendons beaucoup de notre prochaine rencontre avec Messieurs Jean-Louis Borloo et Brice Hortefeux. Toutes les politiques engagées par la Seine-Saint-Denis sont autant d’orientations qui résultent des choix de nos habitants. Collectivités, élus et citoyens ont les moyens de peser en faveur de choix alternatifs. Ainsi, nous nous associons avec les collectivités du monde entier, pour donner la parole à nos concitoyens, les associer toujours davantage aux politiques de développement local et enfin revaloriser l’image de notre département, qui est trop souvent galvaudée. Notamment, j’ai pris l’engagement d’améliorer l’image des jeunes des cités de Seine-Saint-Denis, et lancé « l’appel des 93 ». La banlieue peut apporter beaucoup au développement de la société, à la condition que l’on fasse d’elle un point d’appui à une vision véritablement solidaire. La solidarité se manifeste également par les liens que se nouent les collectivités locales du monde entier. Le développement durable et la coopération décentralisée, questions auxquelles la Seine-Saint-Denis s’intéresse particulièrement, posent le problème de la prise en compte du facteur humain, comme axe central de toute réflexion. J’insiste sur la subsistance des inspirations libérales d’institutions, comme le FMI, où le facteur humain est totalement occulté. Nous devrons œuvrer pour modifier le rapport de forces et introduire tant le respect mutuel que la culture de la paix. Le traitement égalitaire et la volonté d’avenir relèvent d’une énergie vitale et prospective très féconde : s’en priver reviendrait à condamner nos sociétés au déclin.

Gérard PERREAU-BEZOUILLE

Vous assimilez la crise des banlieues à une crise de société, recul de civilisations. Je vous remercie pour avoir introduit de nombreux sujets qui seront abordés dans le cadre des différents ateliers. A présent, je cède la parole à la salle. DEBAT AVEC LA SALLE Rodrigo Urib, La région parisienne est caractérisée par des zones d’habitation plus ou moins denses. Tous les efforts que nous faisons n’empêchent pas la centralisation de Paris. Les actions de la Ville de Paris visent-elles à réduire les déséquilibres régionaux ? Notamment, la fermeture de la voie express aggraverait-elle la situation des territoires voisins ? M’Mamed Kaki, associations « Les Oranges » - Nanterre La ville est aussi une question de fierté. Je suis aujourd'hui fier que la ville de Nanterre offre un espace de débats pour évoquer des questions qui sont rarement abordées. Les villes doivent aussi être des lieux de mémoire : or autour de Paris, la mémoire ouvrière tend à s’étioler, alors que les ouvriers ont contribué à la reconstruction de la France, mais aussi la mémoire des travailleurs immigrés. Je rappelle que Nanterre vit naître le Parti Peuple Algérien en 1937 ! Par ailleurs, je tiens à souligner que les

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habitants des banlieues, notamment d’origine étrangère, sont écartés de la vie et de la question politique. La résistance au libéralisme à besoin de tous. Pierre Mansat, Adjoint de la Ville de Paris Les scénarios de l’évolution de Paris et de sa périphérie présentée en avant propos méconnaissent les réalités actuelles de la métropole parisienne. C’est une vision schématique : par exemple la recherche publique en Ile-de-France est le fait d’activités qui sont localisées à l’extérieur du centre, comme à Massy et Saclay. Il convient de se départir de visions erronées, afin de définir et de proposer des solutions alternatives. Le centre et la périphérie ne devraient-ils pas mener un combat commun pour des métropoles solidaires, alors que la ville-centre est elle-même un territoire d’inégalités ?

Gérard PERREAU-BEZOUILLE

Nous ne pouvons qu’en convenir. Le terme de « périphérie » devient virtuel et il correspond aujourd'hui plus à l’exclusion. Un citoyen de Nanterre Les frontières entre les banlieues ne sont pas toujours visibles : les émeutes de novembre 2005, qualifiées par certains d’actes de vandalisme, ont montré la souffrance d’habitants qui n’ont d’autre perspective que la déprime. De nombreux habitants des banlieues vivent en effet dans la pauvreté dès leur naissance et sont confrontés aux difficultés d’insertion sur le marché du travail, en raison de la discrimination, étant entendu que cette problématique n’est pas uniquement franco-française. En Palestine, un mur haut de 12 mètres et long de 750 mètres isole des territoires et des habitants qui n’ont ainsi plus aucun avenir. Or de telles frontières physiques sont beaucoup plus graves que celles que nous connaissons. Il ne faudrait pas qu’elles apparaissent en France. Stela FARIAS Je suis ancienne maire d’une ville de la région métropolitaine de Porto Alegre, et avec nos amis de Nanterre et d’autres villes, nous avons entrepris cette démarche de construction du réseau, dans un premier temps, des villes périphériques, et maintenant, enfin, de cette rencontre au sein du FALP. J’aimerais faire quelques considérations aussi. A mon sens, il y a des points que nous ne pouvons pas ne pas aborder ici, notamment, les différences et les similitudes entre les périphéries. Il me semble que ce que nous avons en commun, c’est le manque ou la déchéance des droits et, à mon avis, à Nanterre, il y a beaucoup plus de déchéance de droits. Ce cadre est différent dans ma ville, par exemple, où il y a un manque de droits. C’est dans les périphéries du monde entier que les effets dévastateurs de la mondialisation néolibérale se manifestent. Ce Forum représente avant tout la recherche de solutions. Je crois que le FALP a été organisé à cette intention. Ces solutions passent forcément par l’intensification du débat que nous menons ici et par le partage d’expériences réussies vécues par les périphéries du monde entier.

Marie-Christine JAILLET-ROMAN

Les réflexions sur les évolutions métropolitaines sont d’autant plus complexes que le terme même de « banlieue » recouvre des territoires diversifiés. Ici, nous parlons essentiellement de banlieues populaires, alors que les périphéries ne sont pas uniquement populaires. Elles accueillent en effet une grande partie des classes moyennes dont les modes de vie sont ceux de « navetteurs ». Ainsi, il n’existe plus un centre et sa périphérie, mais un centre et ses périphéries, qui accueillent une diversité de populations, des plus pauvres aux plus aisées. Il convient de réfléchir sur les phénomènes de ségrégation sociale aux différentes échelles territoriales. De mon point de vue, le brassage et la diversité sociale sont essentiels. Pourtant, la plupart des métropoles sont marquées par des mouvements de repli sur soi. Un participant a évoqué les frontières imaginaires : il ne faut pas occulter que le phénomène des zones résidentielles clôturées et protégées se

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développe. Le paradoxe des métropoles est donc fondé sur la coexistence du cosmopolitisme et l’émergence d’une tendance à la mise à distance. À titre personnel, je suis très inquiète par les effets de la montée des aspirations à la réassurance sociale, qui passe par davantage de distanciation et de protection. Joan SUBIRATS - Universitaire Les villes, les métropoles sont considérées depuis toujours comme des espaces offrant de multiples chances, tout en assurant l’autonomie individuelle. Elles permettent une diversité maximale. En outre, le fait même d’y habiter rend les citoyens égaux.

Cependant, et bien qu’évidemment, cela n’ait jamais été tout à fait vrai, cela se vérifie encore moins à l’heure actuelle. En effet, les conséquences précédemment indiquées nous ont fait perdre un grand nombre des éléments qui nous procuraient, en ville, une autonomie individuelle ou collective (précarité et raréfaction de l’emploi, difficulté à se loger, échec scolaire, entre autres). Bien que la ville soit un vaste espace où était, et est encore possible, la diversité, celle-ci tend à une segmentation, à une sensation de risque accrue. Il en résulte une recherche d’unité qui, aux États-Unis, a engendré une augmentation des dépenses consacrées aux politiques pénitentiaires et, en Europe, à une transition vers une politique de tolérance zéro, à un populisme punitif, conformes à cette autre face de la mondialisation, contraire à l’idée de diversité et de mixité dans la ville.

En ce qui concerne l’égalité, il est évident que la distance entre les ressources des citoyens, pour faire face à la complexité des nouveaux besoins, crée toujours plus de processus de segmentation et d’inégalité, en rapport étroit avec les phénomènes d’exclusion. C’est pourquoi, comme disait l’intervenant de Porto Alegre, nous assistons à un processus de perte de droits et, probablement, nous devons plus que jamais retrouver l’idée de pouvoir de la cité, pour faire face au type de défi qui se présentent à nous. Nous faisons face, en effet, à un processus de perte de socialisation, qui engendre des déficits très significatifs dans la manière dont ces politiques répondent à ces défis. Nous abordons avec des politiques segmentées des problèmes complexes, qu’il faudrait aborder de façon intégrale et transversale, et qui ne peuvent se traiter qu’à partir d’éléments de proximité.

Il est évident que la ville est aujourd’hui un lieu essentiel pour assurer le bien-être individuel et collectif, justement grâce au facteur de proximité qui permet d’apporter une réponse à des problèmes complexes, dépourvus de cette dimension sociale. C’est pourquoi nous devons nous attaquer à ce problème selon une logique de proximité, en récupérant des idées d’espace, d’échelles, de logiques d’identité, et à partir du pouvoir, pour mettre en œuvre celui dont manquent les villes. Il ne s’agit pas d’un problème technique, mais politique, d’où l’importance de travailler en réseau. Nous devons revendiquer le concept d’action publique, en tant qu’action collective à laquelle prennent part les pouvoirs publics et les citoyens. Ce forum peut en être un bon exemple. La réponse doit être horizontale et cette absence de hiérarchie implique une interdépendance permanente. Ce sont là les trois éléments caractéristiques de l’idée d’avancer en réseau, au niveau local et mondial. Par ailleurs, l’association dont je prévois l’apparition entre incidence, résistance et dissidence nous apportera, peu à peu, de bonnes pratiques, d’intérêt significatif. Eduard TORTAJADA – Adjoint au maire de Badalone Pour répondre à la question qui m’a été posée au début de cette manifestation, je souhaite vous expliquer le but de ma présence ici. Il s’agit, en premier lieu, d’échanger des expériences, en deuxième lieu d’apprendre et, enfin, de comprendre des processus, en particulier celui de la mondialisation, ainsi que ses effets sur nos zones métropolitaines (flexibilisation du travail, baisse du prix de la main d’œuvre, nuisances sur l’environnement, dangers pour la santé publique). La transnationalisation de l’économie et les grandes avancées technologies qui l’accompagnent ont créé une richesse, mais aussi des risques. Dans ce monde d’incertitudes, la tentation de rechercher la sécurité sera prioritaire.

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Joan Subirats a évoqué le projet que nous avons lancé dans la zone de Badalona Sud, zone hautement sensible car touchée par toutes les crises susceptibles d’affecter d’importantes collectivités, et qui a subi les conséquences du transfert à la périphérie de tous les services gênants au sein de la ville de Barcelone.

Badalona est une ville d’industrie et de services qui possède plus de deux mille ans d’histoire. Elle se situe dans l’agglomération de Barcelone, à moins de 10 km de celle-ci. Son expansion est limitée par un territoire restreint. Dans certaines parties de la ville, des rénovations s’avèrent nécessaires. Badalona compte 600 structures associatives sans but lucratif. Elle a été profondément influencée par l’afflux migratoire des années 1960 et 70, qui produisit un développement urbain désordonné, déstructuré à sa périphérie, et qui a engendré de profondes carences en services et en équipements urbains. Le début, en 1979, de la gestion assurée par les municipalités démocratiques, a favorisé la cohésion sociale et territoriale, notamment par un élément essentiel : la participation des citoyens. Fondamentalement volontariste et parfois désorganisée, mais primordiale pour la ville, celle-ci y a entraîné des améliorations de la qualité de vie, ainsi que l’instauration d’un projet commun, unissant tous les habitants.

Badalona a ainsi apporté une réponse à des problèmes, anciens et nouveaux, en se dotant d’un plan d’innovation et de rénovation sociale des quartiers composant le 6e secteur de la ville. Ces quartiers, nés du déplacement des habitants, s’étaient créés sans respect des cultures ni de suppressions antérieures, ni d’autres éléments propres à favoriser un développement urbain d’une cohérence minimum. Dans les années 1950 et 60, le processus de doublement de cette zone a une double origine : d’une part, l’émigration intérieure et, d’autre part, l’expulsion des habitants de certains quartiers de la métropole vers la périphérie. Avec les années, la conflictualité qui a marqué ce territoire ne s’est pas atténuée. Au contraire, elle s’est aggravée et enkystée, sous l’influence, aussi, de l’augmentation de l’immigration d’origine extra-communautaire. Dans ce contexte, la perspective d’une intervention traditionnelle doit céder la place à une démarche pluridisciplinaire. L’approfondissement des déficits en la matière a des répercussions dans tous les domaines (santé, éducation, logement…).

La mise en œuvre du plan s’est effectuée selon différents axes. La complexité même de la réalité socio-économique oblige à adopter des approches complémentaires et transversales. Nous constatons ainsi la nécessité de structurer une proposition organisationnelle présentant les caractéristiques et la composition d’un consortium, avec la participation de la municipalité et du gouvernement catalan.

C’est pourquoi il ne sera possible de trouver des solutions réalistes aux problèmes de ce secteur que selon des perspectives politiques et techniques.

La première considération en prendre en compte est que ce quartier possède une longue expérience des actions de nature collective, qui ont eu un impact relatif, malgré une coopération institutionnelle peu coordonnée. Le manque de critères communs d’intervention et les actions menées parallèlement et sans coordination, ont favorisé la primauté d’intérêts particuliers. Il faut donc manifester clairement une ferme volonté d’entamer un processus différent, et de souligner l’unité d’un projet politique, sans faille ni intérêts contraires. Il nous faut des critères d’action harmonisés entre toutes les administrations intervenantes, ainsi qu’un projet de référence, qui nous permettent de fonder les meilleurs espoirs en l’avenir.

Les instruments utilisés consisteront en politiques d’égalité, visant à établir une cohésion sociale et un équilibre territorial, avec l’engagement de toutes les parties. Ces politiques doivent se définir à partir d’une analyse exacte et fondamentalement participative.

Le plan intégral de développement est une action spécifique, limitée dans le temps et dans l’espace géographique, et destinée à la population qui occupe ce territoire. En effet, celle-ci, en raison de ses difficultés et handicaps, et de ses faibles chances de promotion sociale, demande l’application de stratégies spécifiques. À partir de ces présupposés, l’intention est de travailler suivant la ligne établie en concertation par les différentes autorités locales, d’assurer une cohérence avec les objectifs fixés par les cadres politiques du municipalisme international, d’accroître la participation citoyenne, d’élaborer des

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politiques en concertation avec la société civile et les ONG, en cherchant à favoriser les politiques multisectorielles intégrées, comme axe central de l’inclusion sociale.

Enfin, un vœu personnel : nous sommes à 7 km du centre de Barcelone. J’espère et je souhaite que ce projet contribuera au bonheur du plus grand nombre, et non aux intérêts mercantiles d’une minorité.

Gérard PERREAU-BEZOUILLE

Je vous remercie. Gustave Massiah, vice-président d’ATTAC France qui a participé au Forum social mondial, va à présent porter un regard sur l’ensemble des questions qui ont été posées. Gustave MASSIAH – Conseil mondial du FSM Le premier Forum Local des Autorités de Périphérie est un événement majeur et ce mouvement prendra incontestablement de plus en plus d’importance. Il met l’accent sur le caractère structurel du rapport entre l’espace, d’une part, et les dimensions sociales et écologiques de l’autre. Ce rapport s’exprime notamment dans le rapport étroit entre ségrégations spatiales et discriminations sociales et environnementales. Les périphéries sont souvent considérées comme résultant de l’éloignement et de leur infériorité avec le centre, de leur subordination au centre. Comme toutes les représentations, celle-ci ne reflète pas l’ensemble des réalités, elle sous-estime la complexité du rapport entre centre et périphérie. Une périphérie ne peut être comprise et conçue en dehors du centre, mais réciproquement, dialectiquement, le centre n’existe pas en dehors de son rapport aux périphéries. Ce renversement de perspective a joué un rôle très important dans les années soixante, dans le cadre de la décolonisation. Les périphéries jouent un rôle fondamental dans la nature même de la métropole et de son devenir. Dans les périphéries, le refus de la subordination débouche sur la revendication d’une reconnaissance d’égalité. La période actuelle, caractérisée par la crise de la phase néo-libérale de la mondialisation, engendre des bouleversements dans la représentation du monde. Peu avant sa mort, Fernand Braudel interrogé sur son livre l’Identité de la France, expliquait que la victoire de Jules César sur Vercingétorix, avait retardé l’affaiblissement de l’empire romain et le renouvellement porté par ce qu’on appelait alors les Barbares, et l’apport qu’ils pouvaient apporter à la civilisation européenne. De manière analogue, les habitants des périphéries sont souvent assimilés à des Barbares ou à de la « racaille », alors qu’ils sont porteurs, avec d’autres, du renouvellement des civilisations. D’autant que le refus de l’exclusion et de la marginalisation qui caractérisent nos sociétés est une des conditions du dépassement de leurs contradictions majeures. Observer le monde à partir de la périphérie permet d’apprécier le monde dans son ensemble ; la périphérie est un analyseur du monde. Dans la Dynamique du capitalisme, Fernand Braudel, citant Samir Amin et Immanuel Wallerstein, affirmait que dans le changement de période historique, c’est de la périphérie que vient une grande partie des renouvellements et que se construisent les nouveaux rapports sociaux. En définitive, les rapports dans le centre fonctionnent comme une évidence ; pour refonder des pratiques nouvelles, il est nécessaire de refuser ces évidences. Or dans les périphéries, les contradictions sont trop fortes pour que les évidences soient acceptées et admises, : les renouvellements se préparent donc aussi dans les périphéries. Fernand Braudel indiquait aussi que les rapports sociaux qui permettent de dépasser les sociétés en crise existent déjà dans ces sociétés, comme les rapports sociaux capitalistes ont émergé dans la société féodale, à partir de ses contradictions. Aujourd'hui, il convient de définir ce qui est en gestation et ce qui émerge dans les périphéries. Puisque nous nous intéressons aux autorités locales, insistons sur le local. Le rapport entre le local et le global est analogue au rapport entre le centre et la périphérie, il en est une des formes. Actuellement, la mondialisation est dominante ; sans sous-estimer les dimensions nationales et les grandes régions socio-culturelles, c’est dans les politiques locales que peuvent être amorcées les alternatives au modèle néo-libéral. Pour nous attaquer aux difficultés, nous devons fonder notre analyse sur la périphérie pour prendre en compte les contradictions les plus fortes. Nous ne pouvons nous contenter des politiques actuelles,

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fussent-elles pétries de bonnes intentions. Une des réponses avancées les plus fréquentes consiste à intégrer une périphérie au centre, à transformer une périphérie en morceau de centre. Ces politiques reviennent de fait à repousser plus loin la périphérie ; ce n’est pas une véritable alternative. Une alternative consisterait à remettre en cause l’ensemble de la situation afin de résoudre les problèmes de la périphérie, voire faire disparaître la périphérie. Il ne s’agit pas de vouloir tout agglomérer au centre géographique et de pouvoir ; il s’agit de traiter une agglomération dans son ensemble en mettant au centre des préoccupations le refus des ségrégations spatiales et sociales. De ce point de vue, notre réflexion peut s’appuyer sur le mouvement alter-mondialiste, qui à partir d’une prise de conscience de l’évolution actuelle des sociétés réfléchit sur les alternatives. Ce mouvement appuie son analyse sur les contradictions majeures, dont les formes les plus exacerbées s’étalent dans les périphéries : - l’importance des inégalités sociales, la persistance des discriminations sociales et culturelles et de la

ségrégation spatiale ; - l’atteinte des limites de notre système eu égard aux contraintes écologiques, a fortiori celles qui

pèsent sur la périphérie ; - la permanence des inégalités Nord-Sud fondées sur les rapports de domination et le caractère

inachevé de la décolonisation dans toutes les sociétés ; - les idéologies sécuritaires et répressives en réponse à l’insécurité sociale, économique et écologique. Le mouvement alter-mondialiste propose une orientation nouvelle : l’accès pour tous aux droits fondamentaux. Ce qui implique une redistribution des richesses à tous les niveaux, du local au mondial. Le Forum des Autorités Locales de Périphérie est porteur de l’égalité des droits et de l’idée d’une alliance entre l’ensemble des mouvements sociaux et citoyens et des collectivités locales ; il est aussi porteur d’une dimension essentielle, celle de l’impératif démocratique. Les politiques locales sont confrontées à la question de l’accès aux droits pour tous. Ce qui caractérise une politique locale progressiste est précisément la manière avec laquelle elle permet d’introduire l’accès aux droits pour tous. Dès lors, les questions relatives aux transports, au foncier, à l’emploi et à la promotion d’un marché intérieur local sont prééminentes. De nombreuses villes refusent que les accords de l’OMC (l’AGCS - Accord Général de Commerce des Services) s’appliquent sur leur territoire, car elles souhaitent privilégier les marchés intérieurs, l’emploi local et l’amélioration de vie de la population locale grâce à une offre étendue de services publics. De même, les nouveaux outils de la démocratie (les budgets participatifs, la planification d’insertion sociale, les agendas 21 locaux, la citoyenneté de résidence, etc.) permettront de mieux lutter contre la montée de la discrimination et du racisme. L’ensemble du système doit être remis en cause. Le débat qui devra avoir lieu au cours des prochains jours et des prochaines années portera nécessairement sur les stratégies locales alternatives. Alfred Sauvy, qui a forgé le concept de « tiers-monde », le définissait, en référence au « tiers-état » de la Révolution Française comme l’ensemble regroupant tous ceux qui sont exclus des décisions politiques et de l’exercice de la citoyenneté. A l’instar des populations des pays du Sud, la population des périphéries doit reconquérir le champ du politique, en participant à son renouvellement. Eloi PIETA – Maire de Guarulhos Nous avons pu évaluer ici le poids que représente la question du chômage pour la vie locale, la question de l’habitation, et nous avons des exemples sur la manière dont les questions sont traitées dans l’optique néolibérale. Nous, au sein des villes, sommes au front de cette guerre, et nous désirons changer les directions du commandement mondial. Cela paraît invraisemblable, et pourtant nous avons des exemples récents dans l’Amérique Latine (Bolivie, Brésil, Uruguay…), comme à travers le cumul de forces au pouvoir local, à travers le cumul de forces des mouvements sociaux, nous avons même réussi à conquérir des gouvernances nationales. Ainsi, il ne s’agit pas que d’un rêve de vouloir transformer le monde à partir de l’articulation locale, qui ne peut être dissociée de l’articulation avec les mouvements sociaux. Ceci renforce l’idée qu’un autre monde est possible.

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C’est ainsi que le Forum mondial des Autorités Locales de Périphérie est né au sein du Forum social mondial de Porto Alegre. Ce qui divise vraiment le centre de la périphérie a déjà été largement discuté ici. Et nous, en réalité, avons une ville développée, une ville enviée par tous, qui ne se limite pas à un seul centre et qui ne correspond pas à une seule région de la ville. En fait, ce sont les quartiers riches, les quartiers de classe moyenne, les centres commerciaux et de services, qui servent principalement ces populations qui s’éparpillent dans les métropoles. Contrairement à la ville pauvre ou à la ville qui reste pour les pauvres, qui a ses particularités, dépourvue de nombreux services publics, plus violente, plus éloignée, ayant tant d’autres caractéristiques qui font que ses habitants n’y restent que parce qu’ils n’ont pas la possibilité de choisir l’autre ville. Et il existe une ville intermédiaire, une ville en voie de développement, à mi-chemin entre la ville riche et la ville pauvre. Il n’existe donc pas une division géographique, mais celle d’une réalité sociale, conjuguée à une architecture urbaine et à d’autres éléments, comme la distance des déplacements... Il faut aussi rappeler que normalement, la ville riche est la ville de la légalité et la ville pauvre est celle de l’irrégularité, illégale, et bien souvent, la ville clandestine, comme dans le cas des favélas et de ses congénères, dans toutes les grandes villes des pays de l’Amérique Latine, d’Afrique et d’Asie. Ainsi, c’est nous qui construisons un mouvement, qui sommes les militants d’un mouvement des périphéries. Il y a un bouillonnement, il y a un processus de création très important dans les périphéries du monde actuel. Nous ramons à contre-courant, contre vents et marées, comme a affirmé Joan Subirats, mais nous combattons le courant avec force. Ce forum est le nôtre ; ici à Nanterre, il traduit l’expression d’un mouvement mondial ayant de nombreuses manifestations. C’est pour cette raison qu’il est né au Forum social mondial, avec toute la charge de rénovation de celui-ci. On a l’impression que les villes périphériques sont plus libres de prioriser les luttes pour l’inclusion sociale et pour la démocratie participative. Je vois Nanterre plus libre que Paris, je vois la périphérie de Barcelone plus libre que Barcelone, non pas parce que ceux qui dirigent Paris ou Barcelone n’aient pas d’idées en ce sens, mais parce que le poids de Paris, le poids de Barcelone, nous ne l’avons pas à Nanterre, nous ne l’avons pas dans nos villes périphériques et par voie de conséquence nous sommes plus libres et avons pu avancer dans les forums régionaux, les forums nationaux et les forums mondiaux.

Gérard PERREAU-BEZOUILLE

Je remercie l’ensemble des participants et vous donne rendez-vous demain à 9 heures, pour la poursuite de nos échanges.

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Atelier 1 : Impact des migrations dans la recomposition des identités collectives métropolitaines

L’arrivée successive, ancienne ou récente de migrants contribue à construire de nouvelles formes sociales, culturelles, relationnelles, symboliques du « vivre ensemble » dans les métropoles, particulièrement dans les villes ou quartiers populaires, territoires privilégiés d’accueil, d’installation et de travail des migrations. De nouvelles représentations identitaires sont-elles à l’œuvre dans le monde urbain, lesquelles ? Quel impact les migrations ont-elles sur les représentations nationales, voire sur une nouvelle vision de la société et du projet politique ? Participaient à l’atelier : Emmanuel TERRAY : Anthropologue - CEDETIM ; Jose FILIPI : Maire de Diadema - métropole de Sao Paulo - Brésil ; Jean-Pierre BRARD : Maire de Montreuil-sous-Bois - métropole de Paris ; Lee JASPER : Director for Equalities and Policing, Greater London Authority - Grande Bretagne ; Paul ORIOL : Association pour une citoyenneté de résidence européenne.

Mercedes RUZAFA, Isabel COPETUDO : Santa Coloma de Gramenet - métropole de Barcelone - Espagne ; Didier PAILLARD : Maire de Saint-Denis - métropole de Paris ; Aïssa KADRI : Institut Maghreb-Europe - Université Paris VIII Saint-Denis ; Modérateur : Serge GUICHARD, Adjoint au Maire de Palaiseau - métropole de Paris. Emmanuel TERRAY- anthropologue L’anthropologie a élaboré une notion objective de l’identité, considérant que tout individu ou tout groupe pouvait être caractérisé par un certain nombre de déterminations objectives. En effet, chacun de nous s’identifie par un nom, une date et un lieu de naissance. Chacun de nous parle une ou plusieurs langues et possède une origine sociale et des croyances. De ce point de vue, l’individu peut être caractérisé tout au long de sa vie par une identité objective, celle qui nous est imposée par l’Etat et l’administration. Depuis ses plus lointaines origines, l’Etat classifie les individus en les répartissant dans des catégories déterminées à partir desquels il peu fixer sa propre conduite. Néanmoins, l’identité objective est pauvre et figée. Elle ne renseigne que très peu sur qui nous sommes. Les indications de notre carte d’identité ne délivrent qu’un portrait abstrait. L’Etat lui-même est conscient de la pauvreté de ce portrait, puisque les nouvelles cartes d’identité vont s’enrichir de différentes données. Je pense pour ma part que c’est la conception objective de l’identité qu’il convient de remettre en cause. a. L’identité histoire, représentation et stratégie Les anthropologues d’aujourd’hui définissent une conception de l’identité basée sur les trois éléments suivants : L’histoire Aucune identité n’est figée. Les identités évoluent perpétuellement et seule l’intervention de l’Etat peut les figer. La représentation En réalité, l’identité ne possède pas de caractère objectif. Les caractères objectifs ne sont que des matériaux permettant d’élaborer des représentations et de construire des rôles. Ces rôles sont à la merci de l’individu ou la collectivité, qui sont susceptibles de les transformer.

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La stratégie Les identités sont des instruments que l’individu ou la collectivité se donne pour parvenir à ses fins. En Afrique, des populations sont capables de se réclamer d’identités différentes à quelques jours d’intervalle pour défendre leurs intérêts. L’identité peut donc être instrumentalisée. Un groupe peut revendiquer successivement plusieurs identités différentes, de la même façon qu’un individu peut pratiquer plusieurs langues. Si l’identité est à la fois histoire, représentation et stratégie, elle résulte d’une construction. Dès que l’individu acquiert un minimum d’autonomie, il retravaille les matériaux qui lui ont été donnés à la naissance pour construire son identité. La question est donc de savoir dans quelles conditions cette construction est une construction libre, puisque les administrations essaient de figer les identités. b L’intégration Si l’intégration consiste à imposer aux individus une norme définie à l’avance, l’échec est inéluctable. En effet, cette conception de l’intégration est contraire à l’idée selon laquelle l’identité est une construction autonome de l’individu. Une jeune femme algérienne interrogée par Abdelmalek Saiad lui avait fait remarquer que l’intégration est comparable aux asymptotes, dans la mesure où les immigrés s’approchent toujours du but sans jamais y parvenir puisque chaque fois qu’ils croient s’être intégrés, une personne de la communauté d’accueil ayant autorité en la matière affirme qu’ils doivent encore faire un pas supplémentaire. Une telle conception de l’intégration ne peut fonctionner car elle nie la nature même des identités. Personnellement, je pense qu’une personne qui est bien intégrée est avant une personne qui se sent bien dans sa peau, qui a pu construire elle-même son identité est qui est capable de l’assumer. Qu’il s’agisse des collectivités ou des individus, le problème est celui de la définition des conditions dans lesquelles la construction de l’identité peut être librement choisie. Nous ne pouvons reconnaître à l’Etat ni à quelque communauté que ce soit le droit de définir et d’imposer les identités. En effet, il existe des tyrannies communautaires aussi insupportables que les tyrannies étatiques ou administratives. Les individus doivent disposer d’un espace de liberté suffisant pour pouvoir composer à leur gré leur identité. José FILIPI – Maire de Diadema Diadema est une ville de l’agglomération de Sao Paulo, une région qui compte près de vingt millions d’habitants. C’est une ville essentiellement industrielle, accueillant mille cinq cents industries, la plupart des petites et micro-industries. Nous avons aujourd’hui une population de 395 000 habitants (selon les données de 2004) pour une superficie de 30,7 kilomètres carrés, ce qui fait de la ville de Diadema une ville très peuplée. Nous comptons, conséquence de tout le processus migratoire, la deuxième plus forte densité démographique au Brésil. Heureusement, le taux de chômage est en recul : 21% en 2001 et 15% environ actuellement. Diadema a conquis son émancipation politique en 1959. En 1970, on comptait environ douze mille habitants. L’industrialisation a eu lieu pendant les années 60 et 70. Pendant les années 60 et 70, c’est la ville de Diadema qui a eu le plus élevé taux de croissance de la population au Brésil : 10% par an pendant seize à dix-huit ans. Il y a eu une explosion démographique, avec toutes les conséquences qui en découlent. Vous pouvez avoir un aperçu de ce qu’était le scénario urbain au début des années 80 : occupation des sols désordonnée, de nombreux lotissements clandestins, illégaux. La population pauvre est partie s’installer à Diadema, parce que les terrains y étaient moins chers et, par voie de conséquence, sans infrastructure, dans l’illégalité. Ainsi, nous avons eu au début des années 80 deux grandes vagues de force politique, la renaissance du syndicalisme et une forte activité des communautés de base de l’Eglise catholique. Nous avons élu, en début de l’année 82, le premier maire du Parti des Travailleurs (PT), le parti auquel je suis associé. C’est la première ville du Brésil où le PT a gagné les élections, et nous avons vu commencer une nouvelle ère et la fin d’une époque où l’on ne priorisait pas les politiques publiques, à mon avis, et les politiques d’inclusion sociale. A cette époque-là, 30% de la population habitaient dans des favélas, et

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nous avions une ville absolument précaire. 80% de la population ne disposaient pas de voierie, pas d’asphalte, pas de réseaux d’assainissement et le taux de mortalité infantile était parmi les plus élevés de l’agglomération de Sao Paulo, 83 pour mille. Aujourd’hui, le taux de mortalité infantile à Diadema est de 14 pour mille. Le budget participatif est un important instrument de participation populaire. Nous avons aussi vécu cette expérience, mais elle fait partie, à mon sens, d’un ensemble d’actions et de politiques qui complètent cette participation directe du citoyen à la gestion de sa ville. Nous avons un conseil populaire de santé, qui est élu par vote direct. Nous avons un Conseil d’éducation. Nous avons maintenant un Conseil d’engagement, une manière de faire participer les citoyens à la gestion des équipements publics, comme le gymnase ou les centres culturels. En 1985, seuls 10% des citoyens de Diadema y étaient nés, donc, 90% de la population venait d’ailleurs. Actuellement, je crois que ce chiffre doit avoisiner les 25% (entre 20% et 25%), donc, les trois quarts de la population de la ville n’y sont pas nés, mais 89% des habitants aiment leur ville. Un sondage a été fait révélant la fierté et la satisfaction de vivre dans cette ville, qu’ils aident à construire. La ville a aussi acquis une reconnaissance nationale et internationale. Nous avons aujourd’hui l’un des meilleurs taux de régression de la criminalité. En 2004, elle a été championne de la création d’emplois dans le secteur de l’industrie de l’Etat de Sao Paulo. Jean-Pierre BRARD – Maire de Montreuil sous Bois J’avoue être gêné par l’intitulé de notre atelier, qui laisse penser qu’un grand architecte pourrait recomposer les identités collectives métropolitaines à la manière d’un puzzle. L’individu se définit par rapport à son origine, sa fonction dans la société et ses rapports avec les autres. Par conséquent, j’avoue ne pas savoir ce que signifie « l’identité métropolitaine ». Je suis d’origine normande. Mes parents ont migré en région parisienne, poussés par la misère. J’ai eu la curiosité de revisiter la chambre d’hôtel du Pré Saint Gervais où nous logions lorsque nous sommes montés à Paris. Cet hôtel héberge actuellement des immigrés maliens, poussés par l’exclusion et la nécessité de faire vivre leur famille. Par conséquent, je ne parlerai pas de « la recomposition » mais de « l’évolution » des identités collectives. Je constate qu’à Montreuil, des constantes traversent le temps. Certaines datent de la Révolution Française. L’identité collective de Montreuil s’est construite au travers des combats anti-coloniaux et de la solidarité internationale. Nous avons accueilli à Montreuil un très grand nombre d’anti-fascistes italiens et de républicains espagnols. Par ailleurs, Alvaro Cunal, le secrétaire général du Parti Communiste portugais, était caché à Montreuil pendant la dictature de Salazar. Enfin, l’immigration économique a succédé à l’immigration politique. Une tradition de solidarité s’est formée sur les chantiers et dans les entreprises. Sur les 40 villes de Seine-Saint-Denis, Montreuil est celle où la proportion de votes en faveur de l’extrême droite est la plus faible. En outre, les deux bureaux de vote situés à proximité du foyer malien sont ceux qui votent le moins à l’extrême droite. La présence des maliens dans le quartier du Bas Montreuil, depuis 40 ans, est un facteur d’identité au sens où les partis des habitants du quartier se sont intéressés à leurs conditions de vie. Les femmes qui rentrent en métro tard le soir savent à quel point la présence du foyer malien est un facteur de sécurité, car il engendre une activité permanente. D’un certain point de vue, les femmes qui rentrent tard sont sous la protection de ces Maliens. Par ailleurs, cette situation nous a permis de poser les questions du co-développement, en nous incitant à nous demander pourquoi les Maliens immigraient en France. Nous avons abordé les questions du co-développement à partir du droit pour chacun de vivre sur la terre de ses ancêtres, qui est nié, puisque c’est la misère qui a poussé ces hommes à quitter leur famille pour les faire vivre. Par conséquent, lorsque nous réfléchissons avec les populations immigrantes, nous analysons les causes de leur déracinement et dessinons une autre vision du monde, un monde multipolaire, où chacun compte autant que les autres. Je me méfie des discours de gauche qui magnifient l’immigré en oubliant les raisons qui l’ont poussé à quitter son pays et qui se limitent à la solidarité avec l’immigrant. Nous devons développer un discours

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et des pratiques de solidarité avec les pays qui fournissent des immigrés. En menant une telle réflexion, nous produisons une identité locale qui sera partagée par les populations immigrées. Le résident malien de Montreuil se sent très Montreuillois parce qu’il participe à cette réflexion. Nous produisons des coopérations qui nous permettent de montrer qu’un autre monde est possible. Nous travaillons avec les Maliens restés au Mali pour développer des politiques d’autosuffisance alimentaire, notamment par la culture de végétaux protégeant les sols et permettant de produire du biocarburant. En travaillant ainsi, nous agissons pour la planète car nous empêchons la progression du désert. Enfin, en nous battant pour un monde multipolaire, nous luttons contre le monolinguisme et nous contribuons à l’élaboration d’un modèle universel où chacun se sent investi d’une responsabilité. DEBAT AVEC LA SALLE Mohamed KAKI, Association « Les Oranges » - Nanterre Je pense que nous ne pouvons aborder la question de l’immigration indépendamment de celle des classes populaires. La question du partage du pouvoir notamment est essentielle. Nous devons faire en sorte que l’ensemble des citoyens qui composent une ville possèdent une part du pouvoir, afin d’être en mesure de faire valoir leur point de vue. La place politique des jeunes issus de l’immigration et de leurs parents est fondamentale. Ces personnes dont l’existence est niée doivent pouvoir disposer d’une lisibilité politique dans l’espace publique. Zoé VAILLANT, Géographe de la santé Les DOM sont des périphéries de la métropole. Par ailleurs, les îles elles-mêmes possèdent des zones centrales et des zones périphériques. Avez-vous appréhendé ce sujet lors de la préparation de l’atelier ? D’autre part, qu’entendez-vous par périphérie ? Les villes périphériques riches reçoivent également des migrants riches. Par conséquent, pourquoi la notion de périphérie est-elle liée à celle de classe populaire ? Avez-vous sollicité des représentants de villes riches et comment ont-ils réagi à votre invitation ? Patrick JARRY, Maire de Nanterre Nous avons débattu des notions de périphérie, banlieue et marge lors de la conférence d’ouverture. La périphérie s’applique aux territoires et aux droits. Notre réseau est issu des forums sociaux mondiaux. Il résulte de la rencontre entre des élus, des mouvements associatifs et des chercheurs engagés en faveur de l’inclusion sociale et de la démocratie participative. Certes, la ville de Neuilly ne se définit pas comme une ville de banlieue et travaille en faveur de l’exclusion sociale. A contrario, la ville de Nanterre a construit en quinze ans autant de logements sociaux que ses huit voisines, à savoir 35 000. Par conséquent, le réseau ne cherche pas à fédérer le maximum de communes ou de territoires. Nous rassemblons les territoires qui mènent une politique d’inclusion sociale, de démocratie participative et de métropole solidaire. Fernanda MARRUCCHELLI, Conseillère municipale du 20ème arrondissement de Paris Je suis la seule conseillère municipale de Paris de nationalité étrangère. Je vis en France depuis une vingtaine d’année. Je ne suis plus italienne et je ne suis pas française. Mon identité actuelle résulte de mon histoire en Italie et en France et de toutes mes rencontres politiques et professionnelles avec des français et des étrangers vivant en France. Mon identité s’est constituée au cours d’un processus de trans-culturalité. Par conséquent, je pense qu’il faut tenir compte de l’histoire de chacun pour construire une ville qui appartient à tous. Chacun a le droit de vivre là où il le veut. Nous ne devons pas être assignés à résidence. Par conséquent, pour construire une véritable politique de co-développement, il convient de prendre en compte les droits de la personne à l’endroit où elle se trouve. C’est pourquoi nous devons promouvoir les droits des sans-papiers pour construire une véritable politique de co-développement.

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Lee JASPER –Grand Londres Notre diversité est notre force Il est d’importance primordiale que des villes progressistes adoptent une démarche en matière de citoyenneté assurant respect et dignité aux travailleurs immigrés qui y résident. Elles doivent mettre en valeur les différentes identités, cultures et religions, contrairement aux politiques néo-libérales sur l’immigration, qui favorisent le racisme et les disparités de statut social. Il convient d’entretenir avec les différentes communautés des relations qui valorisent et respectent leurs traditions. L’assimilation est une voie sans issue. À Londres, la diversité est notre force. Les attentats de Londres Les attentats de Londres sont la conséquence de la décision du Premier ministre d’entrer dans le conflit sans l’approbation d’une majorité du peuple britannique et encore moins de notre communauté musulmane. Ils résultent aussi de l’attitude britannique et occidentale, ou de son absence, vis-à-vis de la question palestinienne. Banlieues Les jeunes gens impliqués dans les attentats étaient originaires de quartiers périphériques de villes du nord de l’Angleterre, qui n’appliquent aucune politique efficace de lutte contre le racisme, appelant à l’implication de leurs communautés musulmanes. Les politiques que nous pratiquons à Londres, au contraire, visent de manière proactive à établir avec ces communautés des relations durables. Nous contribuons ainsi à renforcer leur identité, en tant que partie intégrante de la société. Identité Londres a de plus en plus une identité de ville mondiale. Le multiculturalisme incarne à la fois un respect de la différence et de notre propre identité, elle-même intrinsèquement liée à l’histoire et à la spécificité de Londres. Démarche au niveau national Les attentats de Londres ne sonnent pas le glas du multiculturalisme, ils soulignent l’importance d’une démarche au niveau national dans ce domaine. En effet, celle-ci permet de limiter le sentiment d’exclusion de communautés isolées dans d’autres régions du pays, au point qu’elles risquent de tomber dans l’extrémisme. Serge GUICHARD Nous disons tous que nous vivons dans un monde multipolaire. La ville pourrait-elle être unipolaire dans un monde multipolaire ? Par ailleurs, comment construire des éléments identitaires communs dans une ville multipolaire ? En France, dès que nous parlons de communauté, nous pensons « communautarisme ». Les débats sont donc en permanence pervertis. Tout individu définit son identité en fonction des communautés qu’il fréquente. Nous devons effectivement permettre à chacun de se définir par soi-même. La question des présences, des visibilités et des citoyennetés est donc fortement posée. Actuellement, les migrants conservent des liens très forts avec leur pays d’origine. J’ai rencontré des habitants de Bamako qui étaient toujours restés dans leur ville et qui se définissaient comme citoyens du monde parce qu’une partie de leur famille s’était installée en France, mais également parce qu’ils étaient reliés au monde par les moyens de communication. La construction des identités repose sur ce type de liens. Jean-Pierre BRARD Une identité résulte toujours d’un processus singulier. Le migrant possède son histoire et sa culture, de même que le territoire qui l’accueille. Il se produit alors des contradictions, notamment pour les personnes issues d’un Etat confessionnel et s’installant dans un pays laïque. Nous ne pouvons ignorer ces contradictions. Je pense également que nous ne devons pas assigner les hommes à résidence. Néanmoins, nous devons bien reconnaître que la majorité des immigrés qui habitent dans notre pays ne

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sont pas venus par choix. Ils y ont été obligés par la misère. Les migrants maliens que je rencontre souffrent. Ils se sacrifient pour pouvoir nourrir leur famille. Nous reconnaissons aux 6 000 Maliens qui vivent à Montreuil les mêmes droits qu’aux autres habitants. Je suis donc pour le droit de vote des résidents étrangers. Selon moi, l’identité doit se construire par la reconnaissance de valeurs, et non par l’appartenance à une communauté. DEBAT AVEC LA SALLE Un intervenant L’expression « Français d’origine étrangère » nous semble pauvre par rapport à la problématique étudiée. La seule terminologie qui nous convienne est la suivante « Français d’origine non européenne. » Les migrations économiques et politiques étaient souvent des migrations obligées. De nos jours, les migrants s’installent dans leur pays d’accueil. Par conséquent, nous devons réfléchir à la condition politique de ces nouveaux citoyens. L’identité en recomposition, en mutation ou en évolution questionne le modèle européo-centriste. Dans quelle mesure ce modèle, qui est porteur d’un grand nombre de bienfaits, peut-il s’appliquer à l’ensemble de la planète, de manière égalitaire ? La notion de co-développement a surgi en France à la fin des années 1990. Or je trouve dommage que cette notion ne soit abordée qu’en relation avec la question de l’immigration. En effet, comment poser les enjeux de la réciprocité, du développement solidaire et de l’égalité du développement en s’appuyant uniquement sur les problèmes de l’immigration ? Il convient d’élargir la réflexion sur le co-développement aux politiques publiques nationales, européennes et internationales. Les Etats et les grandes institutions se défaussent de leurs responsabilités en laissant les immigrés porter les politiques de co-développement. Par ailleurs, comment une politique de co-développement peut-elle apporter l’égalité et la solidarité alors même que c’est le marché qui régit les relations internationales ? Paul RAGENES Ma question s’adresse à Monsieur Filipi. Pouvez-vous nous donner des exemples d’implication des habitants issus de l’immigration dans la vie de Diadema ? Par ailleurs, quelles difficultés avez-vous rencontrées lors de la mise en œuvre de ces processus d’implication ? Emmanuel TERRAY Nous ne devrions pas nous enfermer dans l’opposition entre un modèle français républicain et un modèle anglo-saxon communautariste. Il me semble que cette opposition est tout à fait abstraite et que sur le terrain, nous assistons à des variations d’un modèle unique. L’Etat peut jouer un rôle libérateur par rapport au pouvoir des communautés. Il l’a fait par exemple en permettant aux jeunes gens d’échapper à la tyrannie commune de la bourgeoisie et de l’Eglise. Inversement, les communautés peuvent également servir de contrepoids à l’autorité de l’Etat et préserver la liberté des individus face à son emprise. Par conséquent, la dialectique entre l’Etat et les communautés permet de préserver la liberté des individus et des petits groupes. Il convient donc de maintenir cette dialectique plutôt que d’assurer le triomphe de l’Etat ou des communautés. Par ailleurs, je pense qu’il est illusoire de croire que le co-développement est la solution aux problèmes d’immigration. Certes, nous devons encourager le co-développement. Néanmoins, nous ne devons pas attendre de lui qu’il résolve les problèmes de l’immigration à court ou moyen terme. Toutes les études démontrent que la première phase du cycle du développement s’accompagne d’une augmentation des migrations. En effet, le passage d’un système économique et social archaïque à un système moderne ne se fait pas en un seul jour. Par conséquent, le cycle du développement comporte une première phase au cours de laquelle l’ancien système est ruiné alors que le nouveau ne produit pas encore ses effets

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bénéfiques. Dans cette période intermédiaire, qui dure dix à quinze ans, les populations qui ne sont plus tenues par les anciens rapports peuvent partir chercher fortune à l’étranger. En outre, la véritable aide au développement est le fait des migrants envers leur pays d’origine, puisqu’elle parvient directement aux populations locales, au lieu de se perdre dans le gaspillage ou la corruption. De ce point de vue, un véritable accord de coopération devrait inclure une clause de libre circulation entre les deux pays coopérant. Paul ORIOL- Association pour une citoyenneté de résidence Accorder le droit de vote aux résidents étrangers serait un progrès. En effet, dans tous les pays européens, un taux significatif de résidents étrangers est exclu d’une certaine forme de droits politiques. Par ailleurs, tous les pays européens n’appréhendent pas le problème de la même façon. Dans certains quartiers, une part significative de la population est exclue de la participation politique. Ceci entraîne une diminution du poids politique de ces quartiers, ce qui handicape la population possédant le droit de vote et qui se retrouve sous-représentée. Depuis le traité de Maastricht, trois catégories de populations vivent sur notre territoire, à savoir les nationaux, qui ont le droit de vote et d’éligibilité à toutes les élections, les citoyens de l’Union Européenne, qui ont le droit de vote aux élections municipales et européennes, et les ressortissants des Etats tiers, qui n’ont le droit de vote à aucune élection. Le traité de Maastricht a donc scindé la catégorie des étrangers en deux sous-catégories d’étrangers, les bons et les autres. Nous souhaiterions que la citoyenneté soit rattachée à la résidence, parallèlement au lien citoyenneté-nationalité. En effet, la nationalité n’est qu’un critère d’attribution de droits parmi de nombreux autres, dont le critère de la résidence, qui est de plus en plus fort. Puisque les partis politiques sont des associations, un étranger peut devenir Secrétaire national d’un parti politique français tout en ne possédant pas le droit de vote !!! Sur les 25 pays de l’Union Européenne, 17 sont en avance sur la législation française et ont ouvert le droit de vote aux résidents étrangers. Au Royaume-Uni, les ressortissants du Commonwealth qui n’ont pas la nationalité britannique ou celle d’un pays de l’Union possèdent le droit de vote et d’éligibilité à toutes les élections. Si la France adoptait la même législation, les Algériens, les Marocains et les Vietnamiens notamment disposeraient du droit de vote à toutes les élections. En Suède, les résidents étrangers possèdent le droit de vote aux élections municipales depuis longtemps. Ils ont également pu participer aux référendums sur l’adoption de l’énergie nucléaire et de l’euro. En Italie enfin, les résidents étrangers présents depuis trois ans ont eu le droit de participer aux élections primaires organisées par la gauche pour désigner son candidat.au poste de chef de gouvernement alors qu’ils n’ont pas le droit de vote !!! Le lien nationalité-citoyenneté n’est pas spécifique à la France. Il est fortement présent dans tous les pays. Seuls la Nouvelle-Zélande et le Chili ont ouvert le droit de vote à toutes les élections aux résidents étrangers. Les lois sur la nationalité reposent sur deux critères importants, à savoir le droit du sol et le droit du sang. En France, les droits du sol et du sang ont été reconnus au XVIe siècle pour des questions d’héritage. En effet, les résidents étrangers ne pouvaient hériter. Le roi s’appropriait les biens de leurs aïeux dans le cadre du droit d’aubaine. En 1999, 3,5 millions d’étrangers résidant en France ont été recensés. En appliquant le code de la nationalité de certains pays d’Amérique du Sud, ce chiffre serait ramené à 600 000. En revanche, en retenant le code de la nationalité de la Suisse, il s’élèverait à 6 ou 7 millions. Par conséquent, selon le code appliqué à une même population, le nombre d’étranger varie de 1 à 10. Tout ceci relativise beaucoup le coté « sacré » de la nationalité et le lien nationalité-citoyenneté. Nombre d’arguments contre le droit de vote des résidents étrangers sont devenus obsolètes depuis le traité de Maastricht. Certains estiment que le fait d’accorder le droit de vote aux étrangers pour les élections municipales constituerait une atteinte à la souveraineté nationale. En revanche, personne ne se plaint du fait qu’un travailleur français sur sept travaille dans une entreprise dont les capitaux sont

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étrangers ou que plus de 40% du CAC 40 appartienne à des capitaux étrangers. Actuellement, la France refuse la citoyenneté à des résidents étrangers qui ont parfois été obligés de fuir la dictature de leur pays, alors que la citoyenneté est un droit de l’homme que nous devons nous efforcer de faire reconnaître. Lee JASPER Un maire progressiste Ken Livingstone, maire de Londres, est un maire progressiste, qui s’engage dans le combat contre les fléaux intrinsèquement liés que sont le racisme, la pauvreté et l’exclusion sociale. C’est parmi les communautés minoritaires qu’on observe le plus de chômage, de manque d’instruction et de problèmes de logement. Nous plaçons parmi nos priorités la lutte contre le racisme, elle-même partie intégrante de la lutte contre l’exclusion sociale. Stratégies actives Nous appliquons des stratégies actives de lutte contre le racisme. Très précisément axées, elles visent à réduire les inégalités entre communautés, la mortalité infantile, l’échec scolaire et le chômage. Nous veillons rigoureusement au respect des aspirations ethniques. Nous cherchons à atteindre des objectifs de représentation au plus haut niveau de l’administration londonienne. Cette démarché est née d’une volonté profonde d’arriver à l’égalité, qui se traduit par des politiques spécifiques en faveur de l’emploi. La Greater London Authority (GLA) consacre environ 5 milliards de livres par an (environ 7,36 milliards d’euros) à l’achat de services. Nous aimerions savoir si les entreprises tenues par des Africains, des Asiatiques ou des femmes en bénéficient autant que les autres. Nous voulons que l’égalité soit une réalité systématique, au lieu de se traduire uniquement par un taux d’emploi. Démographie Nous sommes une ville d’envergure mondiale, et nous nous qualifions nous-mêmes de « monde en une ville ». 40 % de la population londonienne n’est pas blanche, et ce chiffre va en augmentant. Contrairement à ce que donne à croire la Commission for Racial Equality, il n’existe pas dans cette ville de ghettos ethniques au sens strict du terme. Bien qu’il y ait des quartiers marqués par une concentration ethnique, les résultats du recensement démontrent que les communautés sont très mélangées. Nous valorisons et favorisons la diversité. Nationalité et citoyenneté L’accès aux droits politiques est essentiel au développement d’une ville qui refuse l’exclusion. Nous avons instauré des partenariats internationaux avec d’autres villes, en Afrique, en Asie, en Amérique latine, aux Antilles, etc. Les progrès que nous réaliserons à Londres seront fonction de ceux des métropoles du monde entier. Réalité sociale Nous avons très peu évoqué les réalités de l’immigration en Europe. Je suis déçu que nous n’ayons pas débattu du racisme. Il ne s’agit pas d’immigrés, mais de Noirs. Personne ne qualifie de « migrants » les Néo-Zélandais, Australiens ou Américains. S’il existe des exceptions, dans la plupart des cas on parle de non-Blancs, qui vivent dans nos villes et sont confinés, pour cause de racisme, dans la pauvreté et dans des logements de mauvaise qualité. Pour surmonter le problème de l’exclusion sociale, il faut surmonter celui du racisme. Islamophobie Une vague de racisme déferle actuellement sur l’Europe. Non seulement on élit des partis d’extrême droite mais, de plus, l’islamophobie, qui diabolise la communauté musulmane et encourage le développement de stéréotypes à son sujet, ne fait que s’accentuer. Nous assistons à une campagne de racisme à l’échelle du continent. De temps en temps, le racisme change de cible, semant la division parmi nous, comme nous l’avons déjà vu : contre les Roms, les Juifs, les Irlandais, les Africains. À l’heure actuelle, c’est surtout contre les communautés musulmanes qu’il s’exerce. Partage des pouvoirs et représentation Ce qui m’intéresse, ce ne sont pas les discussions théoriques mais l’application de politiques concrètes. En fin de compte, la lutte anti-raciste implique que des Blancs renoncent à une part de pouvoir, sans se

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limiter à intégrer des membres de minorités dans le cadre consultatif démocratique. Il faut une volonté des autorités municipales pour ouvrir l’accès au pouvoir, aux forums, aux processus de prise de décisions, aux élections et, finalement, à la représentation. Dans certaines villes, on abuse de la consultation, en prétendant demander l’avis des Noirs, sans agir ensuite en conséquence. Je serais curieux de savoir combien de musulmans, de Noirs et de femmes travaillent au sein de la police municipale londonienne. En effet, ils nous apporteraient une meilleure compréhension de cette question, vue de l’intérieur, et contribueraient à mieux surmonter les problèmes affectant ou concernant ces populations. Actions ciblées Tous les ans, nous fixons des objectifs à remplir, à tous les niveaux de notre organisation. Notre approche est pragmatique et mesurable. Le maire a nommé des Noirs et des Asiatiques aux plus hauts postes de son administration. Nous devons voir des visages noirs aux plus hautes fonctions. Combattre les effets du néo-libéralisme dans une ville comme Londres, avec sa grande diversité, peut jouer un rôle de contrepoids au projet néo-libéral consistant à élaborer une identité nationale sur les bases traditionnelles du sang et de la race. Notre gouvernement national flatte ces éléments, lorsqu’ils prennent pour cible les réfugiés ou demandeurs d’asile. Notre maire a demandé l’amnistie des demandeurs d’asile à Londres. La citoyenneté diffère de la nationalité. Une ville doit être apte à s’autoproclamer « petite république progressiste », dont les citoyens jouissent de droits complets, et notamment le droit à la représentation. Stratégie culturelle Nous avons aussi une stratégie culturelle bien spécifique. Par exemple, de nombreuses manifestations ont lieu à Trafalgar Square : la Saint-Patrick, la fin du Ramadan et le Nouvel An chinois. Cela amène le dynamisme culturel de la ville au centre du discours civique. Cela donne aux Londoniens un sentiment d’appartenance à une communauté de personnes diverses, mais unies et égales. Cela favorise l’idée d’une citoyenneté du monde et d’une citoyenneté londonienne. Nos sondages indiquent que plus de 85 % des Londoniens soutiennent nos politiques en faveur de la diversité culturelle. Il existe parmi les Londoniens une notion d’appartenance à une communauté unie, et citoyenne du monde. Londres assure une fonction de rempart contre le concept néo-libéral d’identité. Dans une large mesure, le problème a pour cause le racisme dont font l’objet les personnes non blanches. Si on traite de l’exclusion sociale sans s’occuper du racisme, on n’assume pas ses responsabilités vis-à-vis des citoyens. Le racisme joue un rôle déterminant et, aujourd’hui, il cible plus particulièrement les musulmans. Ceux qui s’attaquent à l’exclusion sociale sans s’attaquer au racisme courent à l’échec. Mercedes RUZAFA e Isabel COPETUDO – Santa Colomna de Gramenet Santa Coloma est une commune dont le territoire habitable ne s’étend que sur 5 km2. L’espace physique y est donc fortement exploité. Dans cette cité-dortoir qui a toujours accueilli des populations extérieures, le nombre d’habitants a quadruplé en vingt ans.

Cette ville, où s’est surtout pratiquée l’auto-construction, présentait un profond désordre urbanistique ainsi qu’un déficit en infrastructures et en services, situation en grande partie assainie par l’arrivée des premières municipalités démocratiques et par l’intense mobilisation du tissu social.

Alors qu’à partir des années 1990, la population née en Espagne diminuait légèrement, celle originaire de pays extra-communautaires augmentait à grande vitesse, pour atteindre 140 000 habitants. Actuellement, Santa Coloma est une agglomération multiculturelle, où cohabitent près de cent nationalités. Pour relever le défi de la reconstruction des nouvelles identités, nous parions sur un modèle fondé sur un développement de la démocratie participative.

Les politiques de participation citoyenne se concrétisent dans le processus du Conseil général de la Ville. En 1980, le Conseil de participation citoyenne est créé et, à partir de 1991, nous observons un bond qualitatif de la politique de soutien à la participation et à l’implication démocratique des citoyens. Plus concrètement, Santa Coloma a vu le développement d’un programme européen, de 1996 à 2000.

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Bien qu’il s’agisse d’un projet d’urbanisme, il a été mis à profit à Santa Coloma pour stimuler de nouveaux dynamismes sociaux.

Deux organes de participation ont été instaurés : le Comité directif, chargé des lignes stratégiques, et le Conseil de quartier, qui regroupe deux quartiers où se développe la participation, lors de réunions plénières ou sous forme de commissions. Y participent des membres de la municipalité, des techniciens, des associations locales et des citoyens à titre individuel.

Par la suite est organisé un débat sectoriel et territorial, qui permet de déterminer la viabilité du modèle participatif pour le reste de la ville. Cela se traduit par trois grands projets : un nouveau modèle de participation citoyenne, qui aboutit à l’approbation du nouveau Règlement de participation citoyenne, en 2003, le Plan de cohabitation et le Projet éducatif de ville, visant à approfondir la participation démocratique, pour une meilleure gestion de la ville.

Le modèle est validé à partir d’une information bien documentée, de débats et d’actions créatives, individuelles ou collectives, de la recherche du consensus et de l’élaboration de propositions ou de rapports, source de confiance institutionnelle, citoyenne et associative.

Le Conseil général de Ville a pour mission d’élaborer et d’émettre des recommandations sur des thèmes stratégiques. C’est le plus grand organe de participation de la ville, comprenant une commission permanente et plusieurs groupes de travail.

Les Conseils de quartier fonctionnent, pour le principe, de la même manière que le Conseil de Ville, mais dans un cadre d’action géographique. Ce modèle participatif a été validé par l’adoption d’un projet concret, dans une zone périphérique (Sierra de Mena), visant à créer des points de réunion entre les différentes communes.

Considérations finales :

• Avec l’approbation du règlement de participation citoyenne s’établit une politique définie en tenant compte de l’intérêt des participations dans les rapports citoyens. Il existe une pratique, une culture et une norme commune aux responsables politiques, techniciens et citoyens, qui permettent le développement de tous les processus participatifs.

• La proximité est le facteur essentiel rendant possible la cohérence entre les propositions stratégiques de la gestion quotidienne et les cadres d’action de consensus social. L’information, la consultation et la codécision encadrent l’évolution du système de participation citoyenne : gouverner avec les citoyens.

Conclusions :

• Santa Coloma s’auto-construit dans les années 1960 et 70 dans le désordre urbanistique et la multiple diversité des peuples d’Espagne.

• Les municipalités démocratiques améliorent la qualité urbaine, sociale et culturelle. Il s’instaure un fort sentiment d’identité et d’appartenance à une ville en constante évolution.

• Avec les nouvelles migrations se dressent de nouveaux défis urbains, sociaux et culturels. La ville se reconstruit.

• La participation citoyenne constitue la colonne vertébrale de cette nouvelle reconstruction.

Didier PAILLARD – Maire de Saint Denis Le référendum à Saint Denis Saint-Denis accueille des étrangers depuis des décennies. Au XIXe siècle, la situation géographique a fait de la ville l’un des plus grands centres ouvriers d’Europe. Ses habitants sont en très grande majorité venus d’ailleurs, d’abord des régions françaises puis de l’Europe et du monde entier. Au total, plus de

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70 nationalités sont représentées à Saint-Denis. Par ailleurs, c’est dans les quartiers populaires que le contrat social se réinvente au quotidien. Avec pour seule richesse leur force de travail, les habitants de nos villes populaires ont la nécessité de se construire ensemble leur avenir. Ce faisant, ils construisent la France, voire l’Europe de demain. Pour cela, il nous faut redonner constamment un sens très concret à des valeurs telles que la solidarité, la dignité et l’égalité. Les fraternités nouvelles s’inventent dans les cités, les lieux de travail et les espaces publics de notre ville. Elles dépassent largement la légalité institutionnelle parce qu’elles sont portées par la légitimité de la dignité. Les premiers logements sociaux ont été construits en dehors de tout cadre institutionnel ou légal. De même, nos villes de périphérie ont élu des femmes à leurs Conseils municipaux hors de la légalité. Lorsque nous avons pris des arrêtés municipaux interdisant les coupures d’eau ou d’énergie, nous l’avons également fait en dehors de toute légalité. C’est la même logique qui nous a conduit à organiser un référendum portant sur la question du droit de vote et l’éligibilité des résidents étrangers en ouvrant à tous les habitants de la ville la possibilité de donner son avis. Un quart de notre population est exclu du droit élémentaire de choisir ses représentants ou d’être représenté au suffrage universel. A Saint-Denis, nous n’avons jamais voulu nous résoudre à la limitation de la citoyenneté à la nationalité. C’est pourquoi nous avons créé des espaces de démocratie participative ouverts à tous sans aucune discrimination. Ce droit est inscrit dans la Charte Européenne des Droits de l’Homme dans la Ville, que de nombreuses municipalités ont adoptée en 2000. Le droit de vote pour tous quelle que soit sa nationalité est un engagement qui avait été pris par les deux derniers présidents de la République en exercice. Il n’a pourtant pas abouti. Nous avons donc essayé de le favoriser en forçant les limites de la légalité. Nous avons donné la preuve que ce droit est légitime et désiré. Pourquoi créer une citoyenneté à plusieurs vitesses ? Sur quels critères la discrimination entre les résidents européens et les autres se fonde-t-elle ? Pour une ville comme la nôtre, la citoyenneté de résidence est une urgence. La République est le fruit d’un accord permanent qui se construit et se renouvelle collectivement. Des milliers de personnes qui ont contribué à produire les richesses de la France, qui habitent nos communes depuis des décennies et participent à la vie sociale, sont exclus du droit de voter aux élections locales. Comment demander à certains jeunes de respecter les lois d’une République qui interdit à leurs parents de voter ? Le droit de vote des résidents étrangers est donc un élément essentiel de la cohésion sociale. L’adhésion aux valeurs de la République sera renforcée par la possibilité de participer aux élections locales. En outre, notre démarche a permis de sensibiliser les nationaux, qui se sont inscrits en grand nombre sur les listes électorales. Aïssa KADRI - Universitaire Constats et réflexions de l’institut Maghreb-Europe Les émeutes de novembre attestent l’existence d’une crise profonde dans les espaces périurbains. Cette crise est à la fois multidimensionnelle et générale, affectant l’ensemble de la société française. Elle manifeste un moment historique où se joue le devenir du modèle français d’intégration, qui est fortement mis à l’épreuve. Cette crise se manifeste à travers les grandes fractures suivantes : Une fracture générationnelle

Les fractures qui séparent la génération des pères, la génération des jeunes adultes et celle des plus jeunes se sont développées sur la base d’une absence de transmission de mémoire et d’histoire, tant dans les familles qu’à l’école.

Une fracture politique La fracture politique repose sur la sous-représentation des catégories populaires issues des immigrations au plan national et local, l’instrumentalisation des élites dites « beurs », l’opacité des institutions et des dispositifs, l’incompréhension des logiques institutionnelles et la fragmentation sociale, qui contribue, contradictoirement, soit à une faible participation politique, soit à une dépendance.

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Une fracture qui tient à la prégnance de l’histoire coloniale Ce que on peut appeler la dette coloniale résulte de la persistance d’un imaginaire colonial, nourri par la mémoire non apaisée d’une génération d’acteurs coloniaux investis dans les institutions et les partis politiques. Pour les derniers immigrants venus des anciennes colonies, le rapport à la République a été celui de la domination et de l’enfermement dans des statuts de sujets plus que de citoyens. Sans doute est-il abusif d’indexer terme à terme les problèmes que vivent les jeunes des espaces péri-urbains à ceux vécus par leurs ascendants lors de la période coloniale. Néanmoins, la persistance des inégalités sociales et des discriminations, rationalisée dans des caractéristiques culturelles, risque de s’exprimer à travers une « fracture coloniale ». La réponse de l’Etat à cet égard, à travers la réactivation de la loi du 3 avril 1955, ne dément pas cette dérive. Il y a donc des homologies entre le modèle colonial et la situation actuelle. L’imaginaire colonial persiste et s’exprime de façon de moins en moins précautionneuse comme l’atteste également la loi sur le caractère positif de la colonisation..

Une fracture sociale La fracture sociale englobe, subsume l’ensemble des autres fractures et va en s’accentuant. A cet égard par exemple le taux de chômage dans les quartiers péri-urbains est trois fois supérieur à la moyenne nationale.

Néanmoins, au-delà de ces fractures, les quartiers connaissent des dynamiques créatrices nouvelles dans les domaines de l’art, de l’action associative et de la solidarité active locale et internationale. Ces espaces de grande diversité culturelle manifestent des sociabilités de voisinage, d’entraide, de solidarité, d’action associative et de convivialité qui ne se font pas principalement sur une base ethnique, contrairement à ce qui est souvent dit. Les nouvelles immigrations, notamment celles de jeunes à capital culturel élevé, développent de nouvelles initiatives. Les jeunes femmes également, de plus en plus diplômées, s’inscrivent dans des processus de plus grande autonomisation. La réalité de ces espaces est donc contrastée. Si elle manifeste les caractéristiques d’une crise du modèle français d’intégration, elle témoigne également de processus et dynamiques nouvelles qui interpellent surtout les pouvoirs politiques. Il est nécessaire de repenser un contrat social qui conjugue l’égalité avec la reconnaissance des différences culturelles. Cela passe par une autre alternative que celle portée par l’Etat national social en crise. La question de l’intégration des minorités pose celle de la redéfinition du pacte politique post-national. La conception de la citoyenneté, intimement liée à celle de la nationalité, est mise à l’épreuve aussi bien par le fait supra-national que par le fait objectif de migrations nécessaires et non temporaires. La république comme modèle doit donc être repensée dans la perspective de la construction d’un ensemble politique non plus essentiellement vertical mais horizontal. On peut penser de ce point de vue que l’entrée dans une citoyenneté européenne peut transcender les liens proprement nationaux, peut fournir les conditions de l’émancipation du national en développant cette transversalité par le bas. Nous préconisons de donner aux étrangers le droit de voter aux élections locales, d’inscrire une réelle démocratie sociale locale qui dépasse le lien paternaliste et la gestion au jour le jour du désordre urbain, de libérer l’initiative, de sortir du soupçon communautariste et de réhabiliter la politique en donnant aux citoyens les moyens d’influer effectivement sur les décisions qui les concernent. Ces orientations ne peuvent se concrétiser que si l’on revient à la base c'est-à-dire au projet éducatif et ce qui construit le futur citoyen ; à cet égard le regard porté sur les étrangers ne peut être corrigé que par l’éducation, mais une éducation qui intègre l’histoire et la mémoire de ceux qui ont également contribué à construire le présent. Il convient donc de replacer l’éducation au centre du projet politique. En guise de conclusion je souhaiterais revenir sur les mots qui sont souvent la source de tous les maux. On voit ainsi que dans l’espace métropolitain on est passé par exemple des Nord-Africains aux Maghrébins , aux musulmans tout en , ici et là, sans jamais l’abandonner, faire référence au terme « arabe » ; terme générique qui homogénéise des groupes souvent aussi différents que les berbères ou les arabes et arabophones, désigne, étiquette, stigmatise l’autre, le proche devenu le bouc émissaire et à ce titre il est quelque peu ironique de voir que le terme arabe qui désigne l’étranger, « Ajenabi », est construit sur la racine « jenb », « le flanc », la partie dorsale du corps qui court du cou vers le haut de la

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cuisse ; ceci signifie dans cette langue que l’étranger est une partie du corps, une partie de soi. Nous sommes donc et cette métaphore nous y invite, condamnés à construire une vie commune parce que consubstantiellement lié au même « corps ».

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Atelier 2 : Culture et périphérie : renouveler les pratiques et la création

Favoriser la diversité des formes d’expression culturelle est indispensable pour le développement et l’épanouissement de nos cités. Y a-t-il émergence de formes artistiques et culturelles nouvelles de la rencontre et/ou de la confrontation entre métropoles et villes de périphérie ? Peut-on considérer qu’il y aurait une culture de « banlieue », une originalité des formes d’expression qui émergent dans les villes de périphérie ? En quoi un projet artistique et culturel peut fédérer une ville de périphérie, être vecteur d’une identité ? Participent à l’atelier : Pierre BOURGUIGNON, Député-maire de Sotteville-lès-Rouen, Président de l’association des maires et villes de banlieue de France ; Jean URSTEL, auteur, metteur en scène, fondateur du réseau culturel « Banlieues d’Europe » ; Jean-Louis MARTINELLI, Metteur en scène, directeur du Théâtre des Amandiers (Nanterre) ; Odile SANCARRA, Comédienne, professeur de théâtre, Présidente de l’association « Talents de Femmes » (Burkina-Faso) ; Denis MOREAU, Photographe, habitant d’Ivry-sur-Seine ; Maria dal Luz ROSINA, Maire de Villa Franca de Chila (Portugal), Présidente de l’Autorité métropolitaine de Lisbonne ; Giovanni MAGNANO, Municipalité de Turin. Modératrice : Sylvie VASSALO, directrice du Salon du Livre et de la Presse Jeunesse en Seine-Saint-Denis. Sylvie VASSALO Il me paraît particulièrement intéressant que ces rencontres se tiennent quelques mois après ce que certains ont qualifié pudiquement d’évènements de banlieue ou de la crise de banlieue. Le département de la Seine-Saint-Denis s’est trouvé au cœur de ces évènements, et pour une part d’entre eux à leur naissance même. Il aura fallu une flambée de violence particulièrement forte pour qu’enfin éclate au grand jour l’état d’abandon, de ségrégation et de misère de ceux qui vivent en banlieue. Les jeunes qui vivent dans ces départements sont soumis à une véritable assignation à résidence, tant du point de vue de la citoyenneté que de l’école, du logement ou de l’emploi. Si des acteurs qui, comme moi et d’autres, travaillent en banlieue, n’ont pas été surpris par ces évènements, ils ont tout de même été frappés par la force de cette explosion et par le fait qu’elle a aussi touché les symboles éducatifs et culturels. Quelques semaines après ces évènements, le Salon du Livre de Jeunesse qui se tient chaque année en Seine-Saint-Denis fut un véritable succès. J’ai d’ailleurs été frappée du fait qu’il a peu été question de culture durant ces évènements, alors qu’elle a, à mon avis, beaucoup à voir avec eux, à travers les moyens qu’elle offre à chacun de s’épanouir, d’agir, d’exister, de participer et de faire culture commune. Quelles relations entretiennent les mots de culture et de périphérie, tant du point de vue des pratiques que de la création ? Quelles difficultés y a-t-il pour l’émergence de la culture en périphérie ? Y a-t-il des formes artistiques nouvelles qui naissent dans les mégapoles et dans la confrontation entre le centre ville et sa périphérie ? Existe-t-il une culture de banlieue ? Telles sont quelques-unes des questions auxquelles nous allons tenter de répondre. Pierre BOURGUIGNON - Maire de Sotteville les Rouen

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Il y a moins de quinze jours, j’étais au Sénat, en qualité de membre de l’Institut des Villes, qui organisait, avec l’association des maires et villes de banlieue de France, une journée de réflexion sur le thème des « nouveaux territoires de l’art ». Il nous paraît important en effet de rendre compte publiquement des fruits d’un travail initié par un Secrétaire d’Etat à la Culture, Michel Dufour, ici présent et que je salue. Je pense aussi au fait qu’il existe, dans la ville que j’anime, avec l’ensemble de l’équipe municipale, une action fondée sur une grande tradition ouvrière et de culture ouvrière. C’est en 1897 que le premier maire de gauche a été élu à Sotteville-lès-Rouen, ville du chemin de fer qui porte encore les traces et les pratiques de mutualisme, tant en matière d’assurance que de coopératives de consommation par exemple. La dimension de militantisme y est aussi très présente autour des bourses du travail et du syndicalisme. On peut donc parler de l’action sur le terrain de Sotteville-lès-Rouen pour sans cesse améliorer le cadre de la vie, de sorte que les aspects plus immatériels de la vie de chacun puissent permettre à tous de s’épanouir. Il se trouve qu’il y a vingt-deux ans, un peu par hasard, la ville de Sotteville-lès-Rouen a élu une équipe municipale de droite, au second tour. Elle est restée en place six ans, après quoi l’équipe que j’anime a été élue, dès le premier tour. Nous portions alors des valeurs fondées sur les engagements politiques de la gauche, sur la vie syndicale et la vie associative, des parents d’élèves aux mouvements de jeunesse en passant par les mouvements d’éducation populaire. Le travail consistait alors à savoir comment nous allions nous réapproprier le vivre ensemble dans notre ville, avec le souci d’en faire profiter chacun, dans toutes les générations, au travers de la réflexion, de la création ou du travail de tous les jours. Un axe de ce travail portait sur l’identité culturelle. Sotteville-lès-Rouen constitue la deuxième ville et le deuxième gisement d’emplois de l’agglomération, après la ville-centre, et le chemin de fer y a encore une importance significative. Nous avons ainsi essayé d’inscrire notre travail dans une dynamique sociale et culturelle, alors que la ville, largement massacrée par la seconde guerre mondiale, était assez faiblement pourvue en équipements. L’originalité de la vie associative, de la vie culturelle et de l’absence d’équipements ont permis de mettre en œuvre un plan d’utilisation des possibilités d’expression et de création, sans lieu prédéfini, sachant que nous pouvions au moins disposer de l’espace public. C’est de cette approche qu’est sorti un travail sur les arts de la rue, à travers un festival conçu comme un premier élément susceptible d’orienter les pratiques (professionnelles ou amateur) et l’action de la ville. Cela permettait aussi de renouer avec une longue tradition de fêtes populaires qui s’était amoindrie après la guerre, tout en restant consciente dans l’esprit des Sottevillais. Sur cette base, nous avons progressé vers la création d’un lieu dans lequel les compagnies pouvaient créer. Il s’agit de « l’atelier 231 », que le gouvernement vient de reconnaître comme un des dix lieux de création nationale des arts de la rue. Nous avons aussi pu développer, à partir du festival, le contact avec la création sous toutes ses formes, dans une dimension géographique réunissant tous les lieux de la ville et dans une dimension spatialisée regroupant les écoles, les collèges et diverses associations culturelles. Cela me semble d’autant plus important que nous avons engagé cette démarche à un moment où si, dans l’esprit des Sottevillais, la ville existait encore, elle tendait à prendre l’image d’une « cité-dortoir ». Il s’agissait donc, d’une certaine façon, pour la population, d’un travail de régénération de nous-mêmes, par rapport notamment à ceux qui viennent dans la ville pour y travailler. Nous avons d’emblée conçu notre approche comme complémentaire de la ville-centre qui dispose par exemple de deux grandes salles de spectacles, d’un opéra, de cinémas… Nous avons ainsi reconquis le fonds culturel de la ville et, au-delà, les fondamentaux d’une ville de travail où l’aristocratie ouvrière a vieilli mais où les dimensions sociales ont repris une vigueur importante, notamment à travers l’habitat et la vie associative. Le festival existe toujours aujourd'hui et a pris une nouvelle dimension. Nous l’avons mesuré lorsque la crise de l’intermittence du spectacle a explosé : cette crise est survenue alors que le soir même devait s’ouvrir le festival VivaCités. Le mouvement de grève a alors conduit les intermittents à ne pas pouvoir assurer les représentations qui étaient prévues. Mais les spectateurs sont tout de mêmes venus, relativement nombreux, et un formidable moment de dialogue et d’échanges a ainsi pu avoir lieu, ce soir-là. Nous avons aussi développé les résidences d’artistes plasticiens, dédiés à la peinture, à la sculpture à la photo et aux nouvelles formes d’expression, dans le cadre de la même démarche.

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Sylvie Vassalo a eu raison d’introduire ce débat en évoquant la dernière éruption en date des banlieues, qui doit nous interpeller très fortement dans la mesure où elle est fondatrice d’autres expressions. En même temps, nous voyons bien que nous sommes là dans l’action de forces sociales sur un territoire donné, qui ne peut être une bulle mais qui peut nous former encore davantage à la citoyenneté, dans une société qui a bien besoin de s’améliorer. Sylvie VASSALO Jean Urstel, existe-t-il vraiment une culture de la périphérie ou de la banlieue et l’accès aux arts et à la culture constitue-t-il une question qui se pose de façon spécifique pour la banlieue aujourd'hui ? Jean HURSTEL- Banlieue d’Europe Je pense effectivement que la banlieue n’est ni l’enfer ni le paradis : on parle souvent de l’enfer concentrationnaire moderne. Je crois plutôt qu’il s’agit du lieu de la plus haute contradiction sociale : on y trouve les familles élargies, les familles monoparentales, le plus grand nombre de ménages pauvres, le plus grand nombre d’immigrés, etc. Il s’agit d’une caractéristique spécifiquement française : on rassemble dans un territoire réduit un ensemble de problèmes sociaux ou de contradictions, et il ne faut pas s’étonner que cela explose à un rythme régulier depuis trente ans. Cela dit, je crois aussi que ce lieu est aussi celui de la plus grande émergence culturelle : l’un ne va pas sans l’autre à mes yeux. Imaginez-vous, par un soir pluvieux du mois de mars, à l’approche d’un territoire périphérique. Vous distinguez de grands immeubles, souvent animés par de petites lueurs bleutées : ce sont les postes de télévision qui sont allumés. Vous ouvrez la porte, les boîtes aux lettres sont arrachées, la minuterie est détraquée. Vous montez l’escalier, et vous voyez quatre portes. Sur la première, il est écrit « Abdesellem ». Vous vous dites qu’il s’agit d’un immigré algérien, et vous pensez connaître son histoire. Vous frappez néanmoins à la porte et vous vous apercevez qu’Abdesellem fait de la calligraphie arabe pour tous les mariages du quartier. Il est RMIste mais a, comme il a dit, « une grande pierre dans son cœur », qu’il n’arrive pas à réchauffer : son fils, qui réussit tous les concours de breakdance auxquels il participe mais qui rate tous ses examens à l’école. Sur la deuxième porte, il est écrit Minkowski. C’est un immigré polonais ; il est retraité, perçoit le minimum social et vous dit qu’il vient du même village que l’ancien pape. Sur une troisième porte, il est écrit Gomez. Lui vous raconte que son seul bien s’est un verger qui compte quatre arbres, portant chacun le nom d’un camarade tué pendant la guerre d’Espagne. Le suivant s’appelle Schmidt, alsacien qui a combattu dans l’armée française et dans l’armée allemande, et qui est revenu en tant que prisonnier cinq ans après. Vous vous apercevez ainsi qu’un palier constitue un formidable ensemble de récits de vie, de représentations, de paroles singulières. C’est ce gisement qui représente les cultures des banlieues. Or très peu d’institutions culturelles s’occupent de ce large éventail de la parole. Je crois que le rôle des artistes est essentiel : ce sont eux qui doivent travailler à partir de ce terreau pour que cette parole émerge au grand jour. Les banlieues sont souvent étudiées sous l’angle statistique mais très peu d’études portent sur les habitants eux-mêmes. Les quartiers ne sont pas du tout isolés : il s’agit d’une niche écologique humaine, où l’on parle de développement durable culturel. Si Banlieues d’Europe a un rôle, c’est de fédérer l’ensemble de ces initiatives partout en Europe, à Belfast, à Bruxelles, à Lyon ou à Birmingham. Il se déploie d’ailleurs à l’heure actuelle un terreau d’initiatives nouvelles, dans les friches industrielles (« nouveaux territoires de l’art ») mais aussi à travers des projets qui ne sont pas nécessairement adossés à une institution ou à un équipement. Ce sont des lieux où l’on développe la culture d’appartenance, en même temps que la créativité, l’imagination. Il s’agit de quelque chose d’essentiel. Ce sont aussi des forums citoyens où l’on parle de l’histoire et où l’on raconte des récits de vie. Au fond, je crois que dans une ville, on a le choix entre la sécurisation extrême (que j’ai constatée à Belfast, où les caméras de vidéosurveillance ont remplacé les bars et les cafés) et la convivialité. Si la culture a un rôle, c’est de permettre de se réapproprier les formes de base de la convivialité, du simple banquet à la fête de l’art de Birmingham, qui rassemble plusieurs milliers de participants. Je souhaite

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que l’on arrête la discrimination du socioculturel. Nous devons regrouper nos forces pour promouvoir des projets importants dans ces quartiers, et pas seulement des festivals. J’ai cherché ce que voulait dire le mot « intégration ». Integrare signifie recréer. Nous sommes tous multiculturels et nous devons nous inscrire dans un projet de recréation permanente de nos représentations. Sylvie VASSALO Y a-t-il une spécificité du théâtre dans la façon d’aborder ces questions, du point de vue du choix des créations, de la programmation et de la relation au public ou aux artistes ? Jean-Louis MARTINELLI- Directeur du théâtre des Amandiers Je travaille au théâtre des Amandiers qui, comme celui d’Aubervilliers, de Bobigny ou de Saint-Denis, est né il y a quarante ans sous l’impulsion d’une municipalité communiste, ce qui n’est pas un hasard. Il y a trois ans, un conseiller du ministre de la Culture souhaitait supprimer ces théâtres de banlieue. Ce n’est heureusement plus d’actualité aujourd'hui. Ces centres d’art dramatique sont dévolus à la création théâtrale et l’art consiste à conjuguer le proche et le lointain, pour paraphraser une phrase célèbre sur ce sujet. J’ai essayé, dans un premier temps, de marcher dans la ville et d’y habiter. La représentation que je me faisais de cette ville a radicalement changé à partir du moment où j’y ai habité. Quand je me rends sur le marché, le dimanche matin, je rencontre un certain nombre de personnes que je ne vois pas au théâtre et je me dis qu’il y a quelque chose qui ne va pas, car je souhaite jouer pour tous. On rejoint ici la question du répertoire. J’ai essayé d’impulser (Odile SANKARA en sait quelque chose) un certain nombre de commandes d’écriture, en revisitant la tragédie antique avec une distribution africaine, par exemple. J’ai également passé commande à Laurent Bodet, d’une part, et à Aziz Chouaki d’autre part, pour travailler sur l’histoire des rapports entre la France et l’Algérie. Le film « L’esquive » peut être vu comme la mise en lumière d’un langage qui serait spécifique au territoire de la banlieue. On pourrait aussi considérer qu’il s’agit d’un formidable essai sur Marivaux. Ce double regard me paraît essentiel. Il faut avant tout éviter de créer une culture de ghetto. Nous ne devons pas non plus exagérer les discours, sur les rapports entre violence et banlieue. On touchera toujours une petite partie de la population au théâtre. La question essentielle est celle du travail et de l’inscription dans le tissu économique. Cessons aussi de croire que si l’on développe les lieux de culture, il en sera fini de la violence : c’est une posture à laquelle je ne crois pas. Travaillons du mieux que nous pouvons là où nous exerçons nos talents ; cela ne doit pas nous empêcher de nous engager par ailleurs dans une action politique, car cela ne suffit pas. Sylvie VASSALO Odile Sankarra, le fait d’être artiste permet-il d’appréhender cette question de façon particulière, du point de vue de la ville et de la relation à la parole, notamment ? Odile SANKARRA - Comédienne Je viens d’un pays, le Burkina-Faso, où la femme ne prend pas la parole facilement. Je suis membre fondatrice de l’association « Talents de femmes », que nous avons créés pour donner une autre image à la femme, en particulier à la femme artiste, souvent mal vue, jusqu’alors, au Burkina-Faso. Celui-ci, qui compte 3 millions d’habitants, s’il est recensé parmi les pays les plus pauvres selon les statistiques de l’ONU, est un des pays qui bouge le plus actuellement du point de vue de la scène culturelle. Ceci témoigne du formidable potentiel humain que recèle ce pays. Notre association est née dans un contexte d’action politique qui a vu le jour, un peu partout dans le pays, dans les années 80. Elle a vocation à promouvoir les talents féminins sous toutes leurs formes (artisanat, art vestimentaire, arts de la représentation, etc.), en favorisant l’expression de ces talents. Nous avons ainsi créé le Festival « Voix de femmes », qui a déjà connu quatre éditions, au cours de

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quatre jours à Ouagadougou. Il s’agit d’un moment phare au cours duquel les groupes traditionnels peuvent venir en ville pour exposer et faire connaître ses créations. Il existe aussi, à Ouagadougou, le Salon international de l’Artisanat de Ouagadougou, qui a lieu tous les deux ans, ainsi que deux festivals de théâtre ou encore la Semaine nationale de la culture. Les manifestations sont donc nombreuses au Burkina-Faso, en raison d’un potentiel humain et d’une volonté politique indéniables. Mais nous avons considéré que cela ne suffisait pas, car la femme ne prend pas facilement la parole. C’est pourquoi nous avons aussi créé un salon littéraire dédié aux femmes, afin que celles-ci puissent prendre la parole, plus facilement que s’il s’agissait pour elles de s’exprimer en public. Sylvie VASSALO Denis Moreau, vous travaillez sur les représentations. Denis MOREAU - Photographe J’ai un tract avec des horaires de promenade et un texte, que j’ai appelé « Banlieue de Nanterre, le droit à la ville et la périphérie ». Je présente une exposition à la galerie Villa des Tourelles, en face de la Maison de la Danse, pendant toute la durée du FALP et jusqu’au 11 mars. Je précise que je ne suis pas photographe : je suis plutôt artiste architecte. J’ai une démarche particulière d’exploration du grand Paris. Je conçois les expositions que je réalise comme des dispositifs d’échange, étant entendu que je ne me situe pas dans le champ du social : je me considère comme un artiste qui souhaite partager un travail intimiste, sur la représentation que je peux me faire d’une ville faisant 80 kilomètres sur 80 kilomètres. Je suis dans une posture artistique « classique », dans la société occidentale, selon laquelle l’artiste est un peu « coupé » de la société. Une de mes références est la ville italienne, à l’image de Sienne, Venise ou Florence, qui sont des lieux où l’on a construit la ville à une échelle qui permet aux gens de se rencontrer. A Nanterre, on peut s’interroger sur les rapports entre Nanterre et Bezons ainsi qu’entre Nanterre et Carrières-sur-Seine (qui partagent 7,5km le long de la Seine, sans qu’aucun pont ne permette de la franchir pour relier les deux villes) ou encore entre Colombes et Nanterre, villes dont la relation revêt un enjeu politique. Peut-être un jour pourrons-nous imaginer de faire la ville en commun entre Colombes et Nanterre – ce qui posera aussi la question du « petit Nanterre ». La périphérie sera toujours à la marge de la centralité. Si l’on crée un pouvoir local, la périphérie sera toujours à la marge de ce pouvoir. Il y a là un paradoxe qu’il faut assumer, et en vertu duquel on peut sans doute distinguer cinq villes différentes à Nanterre. Le vieux Nanterre ressemble un peu à un village gaulois, marqué par une esthétique fortement typée. Je m’attache particulièrement à mettre en évidence ce type de marquage visuel. Est-il souhaitable que le vieux Nanterre constitue le cœur de la ville de Nanterre ? Celle-ci n’est-elle pas plus compliquée ? Est-il judicieux de tout centraliser dans le vieux Nanterre ? Je crois qu’il est difficile d’avoir une réelle pensée de la périphérie, alors que la tradition du centralisme démocratique n’est pas si éloignée de nous. Les gens qui se trouvent à la marge sont ceux qui ont le plus besoin de la collectivité et de la ville en commun. Mais la marge ne peut avoir un sens que du fait de sa marginalité. L’artiste, quant à lui, sera toujours décalé, ce qui peut en faire un passeur intéressant sur cette question de la marginalité. Nous sommes dans une société dans laquelle l’isolement existe très fortement, en même temps que des communautarismes. Cela dit, notre société nous offre aussi l’opportunité de nous décaler, en faisant un pas de côté ou si l’on se place en retrait par rapport à l’action politique, par exemple. Il nous faut trouver les moyens permettant de faire en sorte que les gens investissent dans l’action politique tout en bénéficiant d’une posture un peu décalée. Les dispositifs d’échange et d’exposition que je conçois sont toujours guidés par cette préoccupation de faire sortir les gens d’une position de spectateurs. Maria DA LUZ ROSINHA – Maire de Vila Franca do Xira Vila Franca de Xira est une ville du Portugal, qui, comme vous le savez, est le pays le plus occidental de l’Europe. Le Portugal compte un peu plus de dix millions d’habitants dont 20% habitent dans la région métropolitaine de Lisbonne, constituée de dix-huit municipalités, typiquement situées sur les

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rives gauche et droite du Tage. Chacune a ses spécificités et réalités très caractéristiques. Les unes visiblement urbaines, les autres ayant des caractéristiques plus rurales, ou encore d’autres, comme la mienne, Vila Franca de Xira, présentant ces deux réalités bien marquées. Je crois qu’il n’existe pas une seule banlieue et une seule périphérie, pas même une seule clôture de périphérie. Il existe plusieurs réalités, avec des problèmes identiques et en même temps très différents. L’on peut vivre dans une périphérie et avoir une vie culturelle intense. Périphérie ou banlieue ne doivent pas toujours être synonymes de mal vivre. Aujourd’hui, le monde vit des moments assez perturbés. Perturbés par des motivations sociales, politiques et économiques, ainsi que religieuses, qui exacerbent les conflits, qui étaient embryonnaires il y a dix ou quinze ans, ou même impossibles de prévoir. Les graves asymétries existantes, entre les pays riches et pauvres, intensifient les flux migratoires, à l’origine de tensions difficiles à maîtriser, en raison de l’absence de mécanismes efficaces d’intégration dans les pays d’accueil. Les évènements qui se sont produits récemment en France impliquant des membres des communautés d’immigrés ont obligé à la réflexion et au débat que les responsables politiques et les décideurs, d’une manière générale, ne peuvent et ne doivent s’aliéner, puisque des phénomènes semblables peuvent éclore dans d’autres pays européens. Le Portugal est visiblement dans cette situation, puisqu’il a passé, au cours des vingt dernières années, de pays exportateur de main-d’œuvre à pays d’accueil d’immigrés de divers continents. Que faire alors pour intégrer, au plan culturel, les minorités et les communautés qui ont leurs expressions culturelles et linguistiques propres ? Le pouvoir local doit soutenir de manière effective les projets associatifs de ces communautés, pour que ceux qui l’intègrent ne prodiguent pas leur énergie, leur créativité et leur vocation solidaires, dans une semi-marginalité, qui dérape facilement vers des formes de tension et des confrontations difficiles à maîtriser. Les structures du pouvoir local doivent aussi trouver la manière d’intégrer des formes d’expression artistique-culturelle, représentatives des communautés immigrées, dans sa programmation culturelle courante, ce qui constitue une forme d’attraction des individus qui, autrement, resteront marginalisés ou même regroupés dans des ghettos. La culture est toujours un ferment pour la spiritualité et le dialogue, quand bien même le dialogue provoque des inquiétudes et renforce une attitude perpétuellement inquisitrice ou irrévérente. Ce n’est pas de l’approfondissement du sens critique que naît la tension et le conflit. Cela nait dans l’inactivité, dans l’explosion et la non reconnaissance de formes légitimes et d’autorité. Giovanni MAGNANO – Municipalité de Turin Plusieurs mots qui décrivent des notions importantes dans une politique de la ville ont été évoqués à plusieurs reprises, en vue de faire de la périphérie un lieu de vie. La périphérie est, à mes yeux, le cœur de la ville. Il existe plusieurs façons de voir la réalité et l’expérience de Turin constitue un exemple intéressant à mes yeux de tentative d’enclenchement d’un cercle vertueux entre sûreté urbaine, qualité de l’espace public et de la ville et la qualité de la communauté locale. En matière de sûreté, par exemple, la participation des habitants permet de créer une perception différente de la sécurité. Cela revient à travailler sur la culture du lieu, ce qu’on ne peut faire sans les habitants eux-mêmes. L’image que l’on a d’un lieu vient de la mémoire, de l’histoire, des pierres mais surtout des personnes qui composent avec nous la communauté locale. Tous les lieux sont donc différents et il existe une multitude de périphéries. La politique de la ville peut ainsi chercher à recréer une culture de la périphérie qui ne se définisse pas par rapport au centre mais qui traduise la volonté de voir émerger une ville polycentrique, animée par plusieurs centres ayant chacun leur identité sociale, artistique… Pour engager un tel travail, il faut commencer par écouter les habitants, en partant de l’idée que nous avons tous quelque chose à dire. Il existe dans la ville de Turin 110 nationalités différentes et certains quartiers en regroupent 105 (alors que 190 pays sont recensés par l’ONU) ! Plusieurs projets sont mis en œuvre, depuis 1998, pour susciter cette participation des habitants. Des livres ont été écrits, avec les plus anciens, sur la vie et l’histoire de certains quartiers, mais avec pour sujet les jeunes : nous avons cherché à transmettre aux plus jeunes la mémoire du territoire dans lequel ils vivent, alors que plus de la moitié des habitants sont des immigrés et que les problèmes d’intégration se posent avec une grande

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acuité. Entre les projets, nous avons découvert le théâtre comme l’un des moyens permettant de s’exprimer. Des pièces ont ainsi été montées et l’on a cherché à faire du théâtre hors du théâtre. La réponse des habitants fut enthousiaste, dans ce domaine comme dans le domaine de la production de l’écrit. La culture n’est pas un droit civique ni une marchandise : il s’agit d’un droit de l’homme. Des ateliers d’écriture créative ont été constitués autour des habitants. Un roman collectif, rédigé par 75 habitants et dix écrivains professionnels, a été publié. Des ateliers de lecture commune ont aussi été mis en place afin de faire sortir certaines personnes isolées de chez elles et leur redonner le goût du partage de ces pratiques. Enfin, nous avons cherché à mettre l’art en pratique dans la périphérie, non pas comme une œuvre venant de l’extérieur mais en faisant participer un groupe social (les femmes, les anciens, les jeunes, une école…) : il est demandé à celui-ci de solliciter un artiste pour créer une œuvre qui soit à la fois une œuvre publique et une œuvre d’art, et des médiateurs culturels ont été nommés pour assurer cette articulation. Le verbe habiter peut être compris de plusieurs façons : son étymologie latine renvoie à la possession du territoire. Mais c’est aussi le territoire qui habite les habitants et qui va conditionner la formation d’une communauté locale qui sera heureuse sur ce territoire. Sylvie VASSALO Il nous reste une petite heure de débat avec la salle. Jean URTEL réagissait à la question des marges et de la périphérie : celle-ci restera-t-elle toujours à la marge ? Jean HURSTEL Je réagissais aux propos de Denis MOREAU. Dans le mouvement artistique, il existe toujours des institutions et des marges. Pourquoi appelle-t-on les friches les nouveaux territoires de l’art ? C’est parce qu’il existe un mouvement perpétuel. Ce qui est intéressant ne vient pas seulement de ce qui est institué mais aussi de ce qui est en voie d’institutionnalisation. On ne peut lire un texte s’il n’y a pas de marge. De la même façon, pour lire une société il doit exister une marge. C’est ce mouvement de conquête qui est passionnant, car il est général. Lorsqu’un directeur de DRAC me dit que 98,7% de ses crédits sont pré-affectés, sans marge de manœuvre, cela signifie qu’on ne peut plus renouveler le système. Il me semble essentiel que ces nouveaux territoires de l’art, ces friches, ces lieux que sont la rue, le théâtre en appartement et même ces projets dépourvus de lieu (comme les ateliers d’écriture et d’alphabétisation proposés à Bruxelles) existent et soient reconnus, afin d’émerger, par le renversement d’un certain nombre de choses. Pierre BOURGUIGNON, En fait, il existe une dialectique permanente entre le centre et la périphérie. Ce que l’on appelle « faubourgs », ou « banlieue », hérite de centralités qui n’existaient pas ailleurs. Cela vaut dans le domaine de la consommation, avec les hypermarchés. Le problème de cette dialectique consiste à profiter de ce qui se passe, dans les domaines sociaux et économiques, afin de pouvoir créer de nouvelles centralités pour multiplier les pouvoirs de décision tout en continuant de participer aux pouvoirs de décision de la centralité ancienne. Il faut donc raisonner en centralités complémentaires, dans le mouvement et la création culturels comme dans l’ensemble de l’action sociale. Cela suppose qu’existe une volonté de conquête, pour faire émerger de nouveaux rapports de force. Ce n’est pas la même chose que le concept de ville émergente, qui suppose un développement par nappes. Nous avons suffisamment souffert de la grande période des ZUP (y compris dans les villes-centres, et pas seulement à Nanterre) pour ne pas subir le développement de la construction de l’habitant par nappes.

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Maria dal Luz ROSINA La relation entre le centre et la périphérie n’est pas toujours une relation facile ni simple. Les problèmes commencent souvent au centre : le manque d’emploi ou de logement pousse vers la périphérie. Cela dit, la relation inverse existe aussi :de nombreuses personnes ne souhaitent pas vivre au centre, souhaitant par exemple éviter la violence et la vitesse. Il existe ainsi un mouvement quotidien entre le centre et la périphérie, dans les deux sens. Les problèmes ne sont donc pas toujours à la périphérie, loin de là. Sylvie VASSALO Vous avez parlé de l’émergence de pratiques et de cultures artistiques nouvelles. Je m’interroge sur les conditions de cette émergence et sur les volontés politiques ou artistiques qui peuvent se faire jour dans ce domaine. En Seine-Saint-Denis, département que je connais bien, il me semble que les territoires qui ont connu l’explosion de l’automne dernier sont ceux dans lesquels il existe des institutions culturelles depuis longtemps, avec un engagement indéniable des artistes eux-mêmes. Le fait que des écoles et des bibliothèques aient été la cible de ces violences nous a particulièrement touchés. Il existe une domination culturelle dans ces lieux, et ce n’est pas toujours celle du centre. Du moins celui-ci n’est-il pas forcément territorialisé : il se trouve également dans les têtes ou en tout cas dans les normes. Les formes artistiques nouvelles se conquièrent, comme cela a été très justement souligné. Quelles sont les conditions de leur émergence ? Jean-Louis MARTINELLI Ce n’est pas une question de ville-centre et de banlieue. C’est une question de système culturel. Lorsque j’entends parler de créateur, mes cheveux se dressent sur ma tête. J’habite non loin de l’Allemagne. J’ai parlé aux Allemands de créateur et ils m’ont regardé avec de grands yeux : il existe en Allemagne des écrivains, des artistes mais non des créateurs – seul Dieu est considéré comme tel. J’ai également parlé à mes confrères allemands du concept d’animation. Là aussi, ils se sont montrés perplexes, car cette notion, en allemand, renvoie à l’ambiance qui existe dans un bordel. Je crois que nous devons sortir de la posture de « l’art pour l’art » qui prévalait au 19ème siècle. L’artiste est à la fois local et global. Il est en tension entre ces deux termes, et c’est bien ce qui est productif. Je crois qu’en France, le ministère ne joue plus son rôle d’impulsion de la politique culturelle : ce sont les collectivités locales qui exercent désormais ce rôle, mais sur le modèle qui était en vigueur au sein du ministère de la Culture. Nous devons aujourd'hui coaliser de nouveau l’éducation populaire et le socioculturel d’antan, pour que n’existe plus cette scission entre ces deux termes qui a fait tant de mal à la culture dans notre pays. Pierre BOURGUIGNON, Je vous invite à Sotteville-lès-Rouen afin de constater le travail qui a été réalisé depuis quinze ans sur ce thème, notamment au travers de la bibliothèque, qui, tant dans son enveloppe que dans ses contenus et dans le mode de gestion, résulte d’une écoute attentive des habitants pendant de nombreuses années. Jean-Louis MARTINELLI Il est vrai qu’on agit généralement de façon inverse.

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DEBAT AVEC LA SALLE Arlette AZANZENESKI, maire adjointe, Villejuif J’ai entendu une phrase qui m’a beaucoup plu tout à l’heure : nous avons tous quelque chose à dire. Je souhaiterais que le citoyen, et pas seulement l’artiste, revienne au centre de la vie culturelle et de la création, par l’intermédiaire d’associations ou de comités de quartier. Un va-et-vient permanent doit en tout cas exister entre la vie culturelle et les habitants, afin que les désirs, les difficultés et les aspirations de ces derniers s’y reflètent. Emmanuel PLARD, Master, Université de Saint-Denis Je travaille sur le « verbe des artistes dans le mouvement altermondialiste et dans la cité en général ». Il existe actuellement un vaste mouvement d’artistes qui en ont assez de cette coupure entre le « créateur » et la population, et qui, de ce fait, vont vers les habitants pour créer avec les gens. Jusqu’où les politiques sont-ils prêts à laisser cette révolution culturelle se dérouler ? Magali GIOVANNANGELI, première adjointe au maire, Aubagne Je suis heureuse d’entendre cette question, car les politiques ont une place à prendre dans ce débat. Vous disiez que les collectivités locales s’étaient transformées en ministère de la Culture. Il est vrai que, pour participer aux forums sociaux et d’autorités locales, cette question revient en permanence. Depuis quarante ans, à Aubagne, nous avons adopté une posture consistant à faire participer les citoyens à la définition des grandes orientations les concernant. C’est ce qui a permis de faire d’Aubagne une ville bien loin des clichés de Pagnol. Jean HURSTEL Il faut que les élus comprennent qu’il y a un véritable enjeu de politique culturelle. Il existe des instruments à la disposition des élus, les aides aux projets et les appels d’offres, par exemple, qui permettent d’agir, pourvu qu’existe une réflexion sur ce sujet, et non seulement sur les cultures instituées. La dimension européenne me paraît importante dans ce débat. Pour 2008, la Commission européenne institue toute une année dédiée au dialogue interculturel. Banlieues d’Europe (www.banlieues-europe.com) s’inscrit pleinement dans cette démarche. Une intervenante Il existe Dieu le Père, mais aussi Dieu le Fils. Je suggère, pour ma part, qu’il existe des milliers de créateurs, d’autant plus qu’un seul créateur peut causer bien des dégâts. Je viens de Sicile, qui constitue la banlieue des banlieues, y compris du point de vue intellectuel. Il existe plusieurs périphéries en Italie, et la Sicile présente la particularité d’avoir un statut autonome, comme la Vallée d’Aoste, qui lui confère une grande autonomie. Les questions culturelles relèvent notamment de la région, et le gouverneur dispose d’un pouvoir très important. Le modèle culturel dominant, en Italie d’une façon générale, est fourni par la télévision. De ce fait la population s’avère plastique, grand avantage pour les responsables politiques qui en tirent d’ailleurs largement profit, comme nous l’avons vu lors des échéances électorales récentes. Un intervenant Je suis sculpteur et marionnettiste dans l’agglomération de Dieppe, en Seine-Maritime. Depuis quelques années, avec d’autres artistes, nous intervenons auprès de jeunes, dans un cadre non institutionnel. Nous avons cherché l’art dans la ville et les jeunes ont découvert le monument aux morts. Nous l’avons photographié puis nous nous sommes installés dans une friche et nous avons décidé de le détourner. Les objections ont été nombreuses mais nous avons finalement conçu un monument à la vie, que nous avons construit et installé sauvagement, au cœur de la ville de Dieppe, face au monument aux morts, un 8 mars. Nous avons attendu le lendemain, le passage des éboueurs pour savoir quand notre construction serait détruite. Elle ne l’a pas été. Les jeunes du lycée sont venus réciter des poèmes devant ce

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monument et l’ont investi. Aujourd'hui, nous reconstruisons en dur, avec les jeunes d’un lycée technique du coin, un monument à la vie qui sera inauguré le 8 mars prochain de façon définitive. Serge TRAQUE Je suis militant du mouvement sportif, pour le sport pour tous. Le sport constitue un bien commun qui peut apporter sa contribution à la culture. Il ne s’agit pas que de la compétition, d’un sous-produit du divertissement ou d’une affaire de professionnels. Le sport est aussi animé par des gens qui réfléchissent pour donner un sens à cette pratique. Nous avons néanmoins du mal à trouver notre place dans ce type de rencontre. De la même façon, lors des récentes explosions de violence dans les banlieues, nous n’avons hélas vu aucun représentant du monde du sport s’exprimer. Dans les ZEP, par exemple, des créateurs imaginent des choses mais ces initiatives sont récupérées par le centre ville. En latin, competere, d’où vient le mot compétition, signifie « chercher ensemble ». Il peut donc aussi s’agir de chercher ensemble un autre monde et de nouveaux liens à tisser. Un intervenant La ville, le centre et la périphérie constituent des notions sémantiques. Pour les gens qui y vivent, toutefois, il s’agit surtout d’une situation sociale, culturelle et économique, suivant l’angle qu’on privilégie. Est périphérique non pas ce qui est loin du centre mais tout ce qui se trouve en dehors des processus de développement de la société. J’entends souvent dire que nous devons faire de la démocratie participative ou de la démocratie directe. Ce sont de beaux mots. J’espère qu’ils recouvrent une intention réelle : écouter les habitants d’un lieu. Les habitants ne sont pas les citoyens, a fortiori lorsqu’on se trouve en périphérie de la ville : on y trouve des habitants arrivés depuis peu, qui, pour certains, n’ont pas encore acquis le statut de citoyens. Il me paraît également important de ne pas confondre une pensée locale et le localisme : développer une pensée sur son territoire, celui qu’on aime et auquel on se sent appartenir, ne signifie pas que l’on doive considérer ce territoire comme supérieur aux autres. Vivre en périphérie ne constitue pas, en tout cas, une idée de droite ou de gauche : cela signifie simplement « lutter ». Un intervenant Nous sommes toujours dans la dialectique du centre et de la périphérie. Lorsqu’on parle de l’artiste il ne faut pas qu’on le transforme en travailleur social. Inversement, n’oublions pas que les habitants ne sont pas des cobayes. Il s’agit de personnes avec lesquelles on doit travailler en permanence, sur les conditions matérielles et non matérielles, en vue de gagner des degrés de libertés. Plus de 80% de nos concitoyens sont des urbains et l’élu n’est ni thaumaturge ni démiurge. Il peut, au mieux, être accoucheur. Sylvie VASSALO Comment les échanges de langues, d’imaginaires et de cultures existent-ils à l’échelle internationale aujourd'hui ? Dans le cadre de l’organisation du Salon du Livre de Jeunesse en Seine-Saint-Denis, que je contribue à animer, nous avons invité le Brésil l’an dernier, et nous nous sommes rendu compte qu’il n’existait que neuf livres de jeunesse brésiliens traduits et disponibles en France, malgré une production de qualité très abondante. Cela nous a conduits à nous interroger sur la façon dont nous pouvions faire « monde », alors que la majeure partie de cette production était inconnue des jeunes présents en France. Cette question de domination se pose dans tous les domaines artistiques et culturels. Comment la percevez-vous, Odile Sankarra ? Odile SANKARRA J’ai participé à de nombreux ateliers de formation au théâtre, en France, et à chaque fois je m’étonnais du manque de culture des jeunes qui étaient devant moi, alors qu’ils disposaient de tous les outils nécessaires : les bibliothèques, les livres, Internet… Au Burkina-Faso, nous connaissons la France par

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cœur – certains diront « héritage colonial oblige ». Il est vrai que l’éducation, dans notre pays, est encore très fortement marquée par l’héritage occidental. Il existe aussi des centres culturels français, un peu partout en Afrique, ce qui nous permet de recevoir les spectacles de grandes compagnies françaises lorsqu’elles sont en tournée. Nous avons cherché à tisser des liens, via ces centres culturels, notamment au travers de l’échange de formateurs ou en impulsant des collaborations entre artistes français et burkinabés. Cet échange fonctionne. Cela dit, la médiatisation présente le danger du mimétisme : la jeunesse tend à adopter la culture qu’on lui présente comme un « prêt-à-porter ». Là aussi, la politique a une responsabilité importante, car force est malheureusement de constater que nos élus ne font pas toujours preuve d’une grande volonté pour faire vivre et promouvoir notre modèle culturel, alors que la mondialisation tend à imposer un modèle uniforme. Maria da Luz ROSINA Il ne fait pas de doute que nombre de questions vont rester sans réponse. Je crois en tout cas que la stigmatisation de la banlieue traduit plutôt un problème de la société, et non celui de la périphérie. Si la culture est souvent réduite à la portion congrue en banlieue, ce n’est pas seulement à cause des politiques. C’est aussi en raison de la représentation qu’ont les artistes, qui appartiennent à la même société mais qui, eux aussi, sont parfois influencés par la ville centre au détriment de la périphérie. Il s’agit d’une question de représentations. Giovanni MAGNANO, Cette rencontre permet de prendre conscience de nos différences mais aussi de constater que les problèmes sont finalement très similaires. On peut sans doute proposer une approche intégrée de ce problème, qui soit applicable partout. Cela suppose en tout cas la participation des habitants, et pour cela les gestionnaires de collectivités locales doivent évoluer dans leurs pratiques. Denis MOREAU Je partage l’idée selon laquelle la périphérie est dans notre tête. A Paris, c’est le boulevard périphérique qui définit la ville et qui marque dans le sol la délimitation entre Paris et sa banlieue. Mon travail vise précisément à montrer comment l’on peut se réapproprier un regard sur la ville, en vue d’effacer ce type de frontière. Pierre BOURGUIGNON, Le débat que nous avons, dans un dialogue entre élus, praticiens, acteurs de la vie associative et artistes, témoigne du fait que nous devons mener une bataille en permanence – de façon positive – pour développer sans cesse des conditions de cadre de vie meilleures pour nos concitoyens. Odile SANKARRA La culture est le lieu par excellence de la résistance. Il existe cependant un conflit de valeurs, entre les habitants de la périphérie et ceux des centres urbains. Comment cohabiter néanmoins, dans une dialectique entre ces choix de valeurs ? Je crois que là se situe le principal conflit aujourd'hui. Jean HURSTEL

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Dans cette période de mutations culturelles que nous vivons, la mondialisation implique un éclatement de nos valeurs et de la façon de vivre ensemble. La culture est là pour recréer des repères et des représentations dans un monde à la dérive. Il ne s’agit donc pas seulement de résister. La culture a un rôle central dans ce combat.

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Atelier 3 : Droit au logement, droit aux mobilités, le refus de l’apartheid urbain Le défi de l’inclusion sociale pose la question du droit au logement et du droit d’accès à la métropole. Comment garantir ces droits ? Ceux-ci ne s’exercent-ils pas de la même façon selon les territoires concernés ? Participaient à l’atelier : Jean-Pierre LEVY, CNRS / CRH - UMR LOUEST Ari VANAZZI, maire de Sao Leopoldo - métropole de Porto Alegre - Brésil Claude DILAIN, maire de Clichy-sous-Bois - métropole de Paris Sylvie FOL, Laboratoire Mosaïque / UMR LOUEST Cesare OTTOLINI, coordinateur international de l’Association Internationale des Habitants Daniel BREUILLER, maire d’Arcueil - métropole de Paris Marcelo NOWERSZTERN, Aitec – Ipam Modératrice : Agnès DEBOULET, Aitec Agnès DEBOULET Dans toutes les grandes métropoles du monde, la thématique du droit au logement est cruciale. En effet, l’accès au logement y est de plus en plus difficile, notamment en raison des spéculations immobilières et de la reprise des démolitions et des rénovations/expulsions. Nous constaterons que des solutions provisoires ou plus moins définitives ont été conçues sur ces sujets très actuels. Nous aborderons également la question des droits à la mobilité dans le logement et dans l’accès à la ville et à ses bienfaits. Dans un contexte de crise urbaine, ce sujet, étroitement lié à l’urbanité, est fondamental pour nombre de communes de la périphérie parisienne. Un temps important sera accordé aux questions et au débat avec le public. Le premier orateur sera Jean-Pierre Lévy. Il évoquera les recompositions territoriales liées à l’appréhension des mobilités. Ari Vanazzi traitera ensuite le droit à la ville à travers la question des infrastructures autoroutières. Dans un troisième temps, Claude Dilain abordera la mobilité sociale et spatiale. Puis Sylvie Fol se penchera sur la mobilité des populations pauvres dans les métropoles françaises. De son côté, le point de vue du monde associatif sur la question du droit au logement sera développé par Cesare Ottolini. Daniel Breuiller expliquera les mesures prises dans la ville d’Arcueil et les réflexions engagées autour de la loi Solidarité Renouvellement Urbains (SRU). Enfin, Marcelo Nowersztern présentera l’autonomie des mouvements sociaux par rapport aux questions politiques de droit au logement et de droit aux mobilités. Je rappelle que la loi SRU institue dans les agglomérations de la région Ile-de-France de plus de 3 000 habitants un pourcentage minimum de 20 % de logements sociaux. Jean-Pierre LEVY – Universitaire Les recompositions territoriales liées à l’appréhension des mobilités Nous constatons que dans les agglomérations la localisation résidentielle est de plus en plus éloignée des centres-villes traditionnels et des zones d’emploi. La déconnexion entre le lieu de résidence et le lieu de travail a été provoquée par l’amélioration des infrastructures de transport et la mise en place de stratégies résidentielles par les ménages. Ces dernières sont de plus en plus motivées par des critères tenant aux conditions de logement, et de moins en moins par ceux relevant de la localisation du travail.

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On peut donc évoquer un changement de logique, dans lequel, dans une société flexible, un logement stable se substitue à l’emploi instable comme garantie. Cette évolution a des conséquences importantes sur l’organisation spatiale des métropoles D’une part, le désir d’accéder à la propriété abouti à des localisations résidentielles de plus en plus éloignées des centres urbains et des zones d’emploi. D’autre part, les implantations des biens et des services (centre de loisirs, commerciaux, etc.) à proximité des nœuds de transports (surtout routiers) ont accompagné cette expansion. Par conséquent, des fonctions autrefois centralisées en un même lieu sont éclatées dans l’espace et les centres (centres commerciaux, centres de loisirs, centres administratifs, centres historiques, etc.) sont aujourd’hui « désunifiés », c’est-à-dire éclatés en différents points de l’espace des villes. Les distinctions traditionnelles entre l’urbain et le rural, celles entre le centre et la périphérie sont donc mises à mal. Face à cette complexité de l’organisation urbaine, quelles sont les tendances actuelles de peuplement, en France notamment ? Aujourd’hui, les centres anciens sont le lieu d’habitation des familles bourgeoises, des jeunes célibataires, des couples sans enfants et des étudiants à la recherche d’un mode de vie urbain. Cette tendance est bien connue, on la qualifie de « gentrification » ou plus couramment d’installation des bo-bos (bourgeois bohèmes) dans les anciens quartiers populaires Dans les années 1970, une première génération de cadres aisés a quitté les centres-villes pour s’installer en zone périurbaine, près des nœuds de transport, ce qui leur permet d’accéder facilement aux zones d’emplois centrales. Dans un deuxième temps, les couches moyennes ont relayé ce mouvement. Les couches populaires souhaitant accéder à la propriété constituent actuellement la troisième génération des migrations périurbaines. Mais, l’espace et les logements familiaux dans les centres anciens sont rares, les secteurs situés à proximité des nœuds de communication sont déjà occupés et d’un coût foncier élevé, les couches populaires voulant accéder à la propriété sont donc contraintes de s’installer de plus en plus loin des centres traditionnels, parfois dans les zones rurales. Enfin, cette expansion a, en quelque sorte, englobé les constructions périphériques d’il y a vingt ou trente ans destinées aux couches populaires (les grands ensembles en France, ou les zones périphériques d’installations illégales dans certains pays en développement). Ce sont dans ces zones que l’on trouve les familles les plus modestes et les plus fragiles. A l’intérieur de chacune des zones que j’évoquais précédemment, on trouve donc de véritables poches de pauvreté, dans lesquels les ménages sont peu motorisés et ont donc plus difficilement que les autres accès aux fonctions centrales éclatées situées près des nœuds de transport. On constate donc l’existence de pratiques résidentielles distinctives qui aboutissent à la formation de milieux sociaux locaux et spécialisés, au sein d’aires géographiques très délimitées. On peut dès lors se demander où se situent les lieux de mixité sociale auxquels appellent la plupart des politiques urbaines pour introduire une équité spatiale? Or, dans cette configuration, il s’avère que les espaces résidentiels s’effacent au profit des pôles centraux et périphériques, facilement accessibles par les transports en commun et les réseaux routiers. Seuls ces pôles sont aujourd’hui susceptibles de permettre aux habitants de sortir de leur milieu local et de favoriser le mélange social. Ce constat soulève de nombreuses questions que l’on peut mettre en débat :

- sans usage de ces réseaux, l’accès aux services, aux loisirs, à la consommation et au travail devient difficile ;

- dans les poches de pauvreté périphériques « rattrapées » par l’expansion de l’agglomération, les habitants sont faiblement motorisés, ils ont donc plus difficilement accès à la mobilité. Ce milieu local plus subi que choisi, s’apparente de ce fait à une enclave sociale. On peut donc dire qu’aujourd’hui l’accès à la mobilité s’apparente à un statut ;

- dans ce cadre, on conçoit qu’une politique de diminution, ou de cadrage contraignant, de la mobilité apparaisse profondément inégalitaire ; qu’elle agit au détriment des plus fragiles qui sont aussi les moins motorisés. Comment gérer alors les attentes environnementales qui s’expriment sans produire davantage d’exclusion ?

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Ces points plaident probablement pour qu’un glissement progressif de la notion de mixité sociale s’opère vers celle, plus porteuse et signifiante, d’accessibilité urbaine. En d’autres termes pour agir moins dans une perspective résidentielle qu’urbaine, en acceptant peut être une part de concentration spatiale des plus fragiles, pour peu que des actions urbaines s’engagent pour améliorer leur cadre de vie et, surtout, pour leur permettre d’accéder aux autres parties de la ville. Ce changement de perspective pourrait contourner les paradoxes créés par des volontés contre-productives de réguler les répartitions résidentielles, au détriment d’une véritable équité spatiale. Ary VANAZZI- Maire de Sao Leopoldo A mon sens, la question du logement est le plus dramatique élément d’exclusion sociale du citoyen ou de l’individu. On estime généralement que le problème du logement et la création des périphéries résultent des déménagements des entreprises du centre vers la périphérie, ou de l’extension plus rapide du transport vers la périphérie, alors qu’en réalité, c’est tout le contraire. Les maisons arrivent toujours avant. Après l’arrivée des exclus, de l’installation de leurs abris, arrivent les transports, le téléphone, les routes, les équipements urbains. Les équipements urbains ne sont jamais mis en place avant l’arrivée de la population. C’est toujours le contraire dans un pays comme le nôtre. Quels sont les éléments que nous, dans les pays émergents, sommes en train de travailler et développer, pour que ces personnes puissent résoudre une partie de ces problèmes ? Nous avons créé au Rio Grande do Sul, au Brésil, le budget participatif. Il s’agit d’un élément de coopération des citoyens, homme ou femme, les transformant les citoyens en sujets véritablement participatifs pour la résolution de leurs problèmes. Nous avons aussi créé des instruments comme les coopératives pour le logement où, de manière solidaire, on cherche à créer des programmes nationaux qui obligent les gouvernements des états, des municipalités et nationaux à créer des programmes de subventions, ou des programmes à bas coûts afin de viabiliser l’accès au logement populaire ou à l’habitation populaire. La coopérative peut générer un marché de commerce, de distribution des marchandises, peut générer la formation et la qualification de la main-d’œuvre, peut aussi contribuer à faire évoluer l’éducation collective, les crèches collectives, c’est-à-dire, divers éléments de la vie en société. Elle dépasse l’idée de la simple construction d’habitations, mais articule la recherche de la solidarité et la lutte contre le néolibéralisme Claude DILAIN – Maire de Clichy sous Bois La mobilité sociale et spatiale Je vais évoquer les immobilités, c'est-à-dire les inégalités devant la capacité de déplacement. 1. Les immobilités spatiales Bien que située à seulement 15 kilomètres de Paris, la ville de Clichy-sous-Bois est enclavée. En effet, à partir du centre de Clichy, il est impossible de rejoindre le centre de Paris en moins d’une heure et quinze minutes. Cette situation, quasiment voulue, pose quotidiennement de nombreux problèmes dans tous les domaines. En particulier, il est extrêmement difficile aux habitants de Clichy de se rendre sur leurs lieux de travail de sorte que certains d’entre eux sont contraints de refuser des emplois pour cette raison. Par exemple, un des pôles d’emplois de la ville de Clichy-sous-Bois est la plateforme de Roissy-Charles de Gaulle. Or souvent, les entreprises de services y débutent leur activité très tôt le matin. Or il n’existe aucun transport en commun permettant de rejoindre la plateforme à une heure très matinale. En outre, nous constatons que les choix d’orientations et de filières des élèves ou des étudiants sont très largement déterminés par les transports collectifs. Par exemple, pour se rendre à l’université de Saint-Denis, les jeunes Clichois ont longtemps été obligés de rejoindre le centre de Paris afin d’utiliser la ligne 13 du métro.

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Le problème se pose également dans le domaine des loisirs. En effet, le multiplexe le plus proche de Clichy-sous-Bois est situé à environ 5 kilomètres, à Rosny-sous-Bois. Le samedi soir, un bus assure une liaison aller, mais non le retour. De nombreux exemples confirment que la ville est confinée et reléguée. Un professeur m’expliquait qu’il avait récemment demandé à ses élèves de troisième s’ils étaient déjà allés à Paris et qu’un seul d’entre eux lui avaient répondu par l’affirmative . 2. Les immobilités sociales Si nous associons ce mécanisme de confinement à l’impossible ascension sociale, nous comprenons aisément à quel point le déterminisme social est fort. A Clichy-sous-Bois, le nombre d’enfants de troisième ayant au moins une année de retard est de 26 %. Dans le département de la Seine-Saint-Denis, il n’est « que » de 13 %. Le taux de chômage s’élève à 20 %, soit le double de la moyenne nationale. Dans ce contexte, la population clichoise ne croit plus à la mobilité sociale. Cela me paraît très inquiétant pour la société française car ce principe était un de ses éléments fondateurs. En outre, notre société risque de se figer et de manquer de dynamisme. 3. Les immobilités en termes de logement De nombreux Clichois sont véritablement « prisonniers » de leurs logements. Une enquête récente montre que 70 % d’entre eux quitteraient la ville s’ils en avaient les moyens financiers. De plus, le logement social n’y représente « que » 30 % du parc. Petit à petit, les copropriétés privées se transforment dans les faits en logement « très sociaux ». Les pouvoirs publics rencontrent les plus grandes difficultés à intervenir et doivent s’armer financièrement et juridiquement. Qui plus est, certaines personnes profitent de la situation et achètent à très bas prix des logements (entre 10 000 et 15 000 euros) pour y loger des clandestins à des loyers exorbitants (entre 700 et 1 000 euros). Lorsque les trois immobilités que je viens d’évoquer s’accumulent sur une même géographie, ce sont des territoires d’exclusion qui sont créés. Certes, mon objectif n’est pas la mixité sociale car je pense que l’identité populaire est une bonne chose. Cependant, je ne peux pas imaginer que le territoire d’identité que l’on revendique soit un territoire d’exclusion. DEBAT AVEC LA SALLE Agnès DEBOULET A présent, je cède la parole à la salle. Un militant d’un quartier populaire de Nanterre Les quartiers populaires ont toujours fait peur aux gouvernements et aux possédants. De même, la révolte des jeunes dans les quartiers les effraie et on constate une volonté étatique forte de casser les cités. Malgré la forte précarité qui affecte ces populations, les HLM stabilisent les cités. Par conséquent, le discours sur la mixité sociale, qui prône la destruction de ces logements pour construire des bâtiments privés me paraît une aberration qui ne résoudra aucun problème. Le processus qui se met en place est antisocial et dangereux car les loyers à prix abordables vont se raréfier. Jean Claude Cuisinier, conseiller municipal de la ville d’Aubagne Deux éléments permettent à tout un chacun de s’intégrer dans la société : le travail et le logement. Or actuellement, le travail est rare et précaire et le logement est en crise car il est devenu un placement financier et un moyen spéculatif. Aubagne est une ville de 43 000 habitants où le pourcentage de logements sociaux atteint 22 %. 3 200 demandes de logements sont en attente car les autres communes environnantes refusent de construire à leur tour des logements sociaux. Par ailleurs, l’accession à la propriété est bloquée. Un salarié sur deux gagne moins de 1 500 euros par mois. Il me semble que nos communes doivent anticiper les problèmes des locataires et s’investir fortement pour que le logement soit un droit pour tous. Parallèlement à la maîtrise des sols, nous devons nous interroger sur l’aide à

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apporter à la construction et sur l’action que nous devons mener pour réhabiliter les cités. Raser les cités n’est pas la seule solution, il y a d’autres possibilités. Jean-Pierre LEVY Les caractéristiques d’occupation des logements sociaux sont très variables selon leur localisation. Les pauvres y sont davantage présents dans les zones en crise (où les couches moyennes refusent de loger), que dans les nouvelles constructions localisées dans des espaces centraux par exemple (où les bailleurs filtrent les attributions). D’une certaine manière, on pourrait dire que le logement social n’est pas « hors marché ». Il suffit pour s’en convaincre de comparer les listes d’attente par opération et en fonction de la localisation de l’immeuble…D’où une question : est-il possible de résoudre la crise du logement des pauvres en polarisant les constructions dans des secteurs huppés, ou plus exactement en refusant de construire dans les secteurs défavorisés ? N’est-ce pas aussi un moyen détourné de ne pas considérer les espaces pour ce qu’ils sont, de nier le droit à l’existence de certains espaces sous prétexte que des pauvres ou des étrangers y sont concentrés ? Pourquoi ne pas envisager aussi des constructions dans ces secteurs, ce qui, sous certains aspects, pourraient faciliter l’accès à un logement des ménages les plus fragiles ? Il semble très difficile de défendre l’idée de la construction de logements en faveur des couches populaires tout en refusant l’existence de formes de concentration de ces populations dans l’espace urbain. Le leitmotiv d’une répartition de la pauvreté cache en fait une volonté de rendre la pauvreté transparente dans la ville, sans s’attaquer réellement à ses causes. En quoi une concentration de familles étrangères des couches populaires dans la ville serait-elle moins légitime qu’une concentration de familles française appartenant aux couches moyennes ou supérieures ? Alain Ribes, militant de la CNL Le budget national réservé au logement est très insuffisant et il baisse de 8 % par an depuis trois ou quatre ans. En outre, par sa politique de décentralisation, l’Etat transfère sa responsabilité en la matière aux collectivités territoriales. Comme toujours, les politiques publiques menées sont conformes aux intérêts du marché. Je pense que nous devons concentrer notre action sur quelques secteurs essentiels et nous opposer aux élus qui refusent d’accueillir des logements sociaux sur leur commune. Claude DILAIN Je crois qu’il y a deux postulats implicites sur lesquels il est intéressant de débattre. Tout d’abord, la démolition-reconstruction ne réglera pas tous les problèmes. Ensuite, l’accession à la propriété ne constitue pas nécessairement une façon d’améliorer le patrimoine. Par exemple, à Clichy, les logements privés sont en moins bon état que les logements sociaux. Par ailleurs, je partage vos critiques sur le fait que les opérations de démolition-reconstruction n’ont pas été encadrées par des principes intangibles. Je considère par exemple que les programmes détruisant un logement sans en reconstruire au moins un autre n’auraient pas dû être acceptés. Or TOUS les programmes présentés à l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine ne vont pas dans ce sens. En outre, chaque locataire dont le logement sera détruit devrait se voir proposer une offre de relogement sur le site. A l’issue de l’ambitieux programme de rénovation urbaine, on comptera plus de logements sociaux à Clichy. Il est important qu’une commune dispose d’une offre de logements variés. A mon sens, le seuil des 20 % défini par a loi SRU doit être appliqué dans toutes les communes car la demande en logement social est très importante. Toutefois, les classes moyennes auront tendance à demander des logements sociaux dans les villes riches. Au-delà de l’aspect quantitatif, une grande attention doit être prêtée à la qualité de l’occupation du logement.

Jean-Pierre LEVY

Je partage en partie votre point de vue. Néanmoins, depuis plus de 30 ans, nous savons que, les opérations de logements sociaux qui accueillaient initialement des populations hétérogènes sont

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aujourd’hui des secteurs où se concentrent les ménages pauvres. Le basculement dans les caractéristiques des occupants est du aux différences entre les perspectives résidentielles des foyers qui ont les moyens de réaliser un parcours résidentiel et de ceux qui, pour des raisons sociales et économiques compréhensibles, n’ont pas de véritables choix résidentiels. Les premiers ont quitté ces logements, généralement pour accéder à la propriété, quant aux seconds ils restent bloqués dans leur logement. Ceux qui partent sont ensuite remplacés par d’autres ménages ayant des caractéristiques proches des premières générations d’occupants. C’est-à-dire qu’une partie d’entre eux quittera les logements tandis qu’une autre partie n’en aura pas les moyens. Ce schéma se répétant à chaque génération d’occupants, en bout de course les ménages sans perspectives résidentielles se retrouvent majoritaires parmi les occupants, ils marquent socialement l’espace à tel point que les familles les plus aisées refusent d’y loger. C’est ce processus qui explique que des quartiers créés il y vingt ou trente ans et à l’origine occupés par une population mixée socialement ont aujourd’hui basculé dans la pauvreté. Par bien des aspects, le mécanisme est structurel, c'est-à-dire qu’il se reproduira quel que soit le contexte dans lequel il s’exerce. Il explique que la mixité sociale est dans la plupart des cas un état transitoire, un état de basculement vers le haut ou le bas de la hiérarchie sociale. Faute de perspectives sociales pour les ménages les plus fragiles, la mixité sociale résidentielle n’est généralement pas une bonne solution ou une problématique pertinente pour introduire une équité spatiale dans les distributions résidentielles. Comme je l’évoquais précédemment, peut être que la solution à cette équité ne passe pas par la dimension résidentielle du problème, mais davantage par celle d’un aménagement des espaces concernés, plutôt que par leur destruction, et par celle de l’accès à l’espace. C'est-à-dire en créant les possibilités que les ménages résidants dans ces quartiers « d’exclus » puissent accéder réellement aux autres parties de la ville, mais aussi que les habitants qui n’y résident pas trouvent des opportunités de venir dans ces quartiers, « qu’ils aient quelque chose à y faire », comme dans les centres traditionnels ou les autres quartiers de la ville. J’ai conscience qu’en énonçant cela je peux heurter les certitudes du plus grand nombre en acceptant de facto des concentrations de pauvres, d’étrangers, etc, dans la ville. Mais il me semble que des dizaines d’années de politique sans effet doivent nous conduire à bousculer la pensée urbaine dominante en ne raisonnant plus l’équité spatiale en des termes uniquement résidentiels, mais urbains. Agnès DEBOULET Il serait intéressant de lier les problématiques abordées avec celles que peuvent rencontrer certains pays émergents. Je pense notamment aux thématiques relatives au logement irrégulier. Je donne la parole à Sylvie Fol. Sylvie FOL-Universitaire La mobilité des populations pauvres Depuis les années 1960, la mobilité a connu une croissance spectaculaire dans l’ensemble des pays industrialisés. L’accès à l’automobile a accompagné ce développement (en France, par exemple, les circulations automobiles ont été multipliées par huit entre 1960 et la fin des années 1990). Cette situation a des répercussions importantes sur la configuration des territoires urbains. Ainsi, les ressources de la ville sont de plus en plus étalées et deviennent de moins en moins accessibles aux personnes ne possédant pas de véhicule. Dans une société où la flexibilité est devenue une exigence, la mobilité tend à s’imposer comme une valeur dominante et socialement valorisée. L’accès à la mobilité contribue donc à créer des disparités entre les ménages et ceux dont l’aptitude à la mobilité est faible risquent de s’en trouver marginalisés et isolés. Dans les zones urbaines sensibles, les inégalités de mobilité sont patentes puisque seuls 65 % des habitants y possèdent une voiture (contre 77 % des habitants des autres zones urbaines). Pour autant, la prise en compte dans la politique de la ville du droit à la mobilité pour les quartiers pauvres des périphéries est relativement récente. Dès 1982, la loi d’orientation des transports intérieurs institue les plans de déplacement urbains et le droit au transport pour tous « dans des conditions

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raisonnables d’accès, de qualité et de prix ». Il faut cependant attendre le début des années 1990 pour que cette notion se traduise par des dispositifs politiques concrets. Le bilan d’une dizaine d’années de politiques de transport visant à réduire les inégalités de mobilité n’est pas satisfaisant. Nous constatons au contraire un décalage entre la volonté affirmée par les pouvoirs publics d’une cohésion sociale et urbaine et la réalité des politiques de transport. Cet écart me paraît lié à deux types de contradictions. Tout d’abord, il me semble que les priorités ne sont pas clairement définies entre développement durable et équité sociale. Or ces objectifs ne sont pas toujours compatibles et supposent de véritables choix politiques. On observe ensuite une contradiction entre des politiques territorialisées de désenclavement, centrées sur l’offre de transport en commun, et des dispositifs d’aides financières à la mobilité ciblant davantage les individus. Dans cette nouvelle optique, il est important de supprimer les barrières à l’emploi et de faciliter la mobilité des chômeurs. L’aide à l’obtention du permis de conduire constitue un exemple typique. Nous observons donc un glissement problématique des politiques et des approches. Ce glissement n’est-il pas un moyen d’occulter et de déplacer le problème ? En incitant les individus à se déplacer pour trouver un emploi, ne transformons-nous pas le droit à la mobilité en une injonction à la mobilité ? Ne pouvons-nous pas craindre une réorientation des priorités au détriment d’un droit à la mobilité plus large qui serait centré sur les transports collectifs ? Cesare OTTOLINI – Association International des Habitants Le point de vue du monde associatif sur le droit au logement Pour ma part, je préfère parler d’un droit à la tranquillité, à la sécurité, à l’immobilité et au choix des habitants plutôt que d’un droit à la mobilité, étant souvent une condition forcée. Le droit au logement est inscrit dans les traités internationaux, notamment à l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. En général, les Etats ont ratifié ce pacte, donc ils sont tenus à le respecter comme n'importe quelle loi. Néanmoins, dans les faits, aucune politique conséquente n’est mise en œuvre car les Etats préfèrent favoriser la mondialisation néolibérale, avec toutes ses conséquences négatives. En France, dans quelques jours, le moratoire d’hiver expirera ouvrant le vase de Pandore des expulsions forcées. Par contre, il faut savoir qu'au total, c’est près de 15 % de la population mondiale qui est menacée d’expulsion. Et que, dans la plupart des pays, de l'Italie au Brésil, ce type de moratoire n’existe pas. Donc voilà des pistes à creuser ensemble, de la solidarité internationale à bâtir, des propositions à saisir et à relancer. Alors qu’il y a des milliers de personnes sans logement en France, je juge le débat autour des démolitions du moins étonnant. Le 12 mai, un séminaire international sur le futur du logement social en Europe se tiendra à Paris. A cette occasion, l’expérience italienne de la « Coopérative vivre 2 000 » qui organise des squats dans un but de réhabilitation, sera notamment présentée. Je pense que la proposition d’auto-réhabilitation deviendra une politique de plus en plus importante et que les pouvoirs locaux devraient saisir l'opportunité en provenance des syndicats des locataires et de mouvements sociaux urbains qui contestent les démolitions pour lancer des plans de réhabilitation, voire autogérés par ce type de coopératives à propriété collective. Concernant les Objectifs du Millénaire, et notamment le « n. 11-7 », nous savons que la communauté internationale s'est engagée à améliorer les conditions du logement pour 100 millions de personnes d’ici à 2020. Or les prévisions montrent que, compte tenu les lourdes processus de globalisation sur les villes, les privatisations du secteur du logement, les libéralisations des marchés immobiliers, les investissements spéculatifs, les guerres, les désastres naturels couplés avec le manque de ressources pour des politiques sociales publiques, on recensera à cette date 700 millions de mal-logés en plus du milliard qui existe aujourd'hui sur la terre. Comment faire en sorte de faire respecter l'Objectif? Il y a une articulation de propositions qui découlent de la Campagne Zéro Expulsions que l'Alliance International des Habitants soutient au niveau global.

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Dans les pays pauvres, la proposition forte que nous faisons consiste donc à annuler leur dette afin de canaliser leurs ressources libérées dans des Fonds Populaires pour la Terre et le Logement qui seront gérés par les municipalités et les associations d’habitants. Voila un des défis majeurs. Les habitants proposent également aux maires et aux élus locaux de mettre en place des coopérations décentralisées entre des villes du nord et du sud. A ce propos, je souligne la campagne de solidarité que nous avons menée au Kenya et qui a bloqué les expulsions de quelques 300 000 personnes. Elle constitue un exemple de solidarité interne et internationale permettant d’apporter des réponses concrètes. Après la resistance, gagnante, nous sommes en train actuellement de négocier l’annulation de la dette externe de 90 millions d’euros du Kenya auprès de l’Italie, et nous mettons tous les moyens en œuvre pour que cette somme soit destinée au Fond Populaire pour la Terre et le Logement. Par ailleurs, certains pouvoirs dont disposent les maires devraient être davantage utilisés afin de protéger le droit à la vie, donc à la santé des citoyens qui sont la base de leur droit au logement. La réquisition des logements et des terrains vagues est, par exemple, souvent évoquée en France, en Italie ou en Espagne. Cette notion ne doit pas être confondue avec l’expropriation. Il s’agit d’obliger - pendant une durée limitée et en contrepartie d’une compensation financière - les propriétaires à louer. Il faut rappeler, par exemple, le maire de Turin (Italie) dans les années 70 qui réquisitionna plusieurs milliers de logements vacants pour faire face à l'urgence de logements due aux migrations d'ouvriers pour la FIAT et qui squattaient pour trouver un abri. Ces mesures donnèrent des réponses concrètes soutenant en même temps le développement du service public du logement. Récemment, à Rome, le président d'une municipalité a utilisé également son pouvoir d'ordonnance pour donner un logement à des dizaines de familles, même en gagnant en justice. Tout cela pour vous dire que, en tant qu’habitants, nous menons des initiatives, nous créons des coopératives, nous ouvrons des logements vacants. Et que, vous aussi, vous pouvez faire des choses. Ensemble, si nous partageons des principes communs et chacun avec sa propre autonomie, nous pourrons avancer, car les différences, et même les conflits, sont la solution des problèmes, non pas le problème à effacer! David Gabriel - Rage du peuple, Marseille L’intervention de Monsieur Ari Vanazzi m’a beaucoup intéressée car elle m’a fait prendre conscience que les problèmes ne sont pas les mêmes dans les différents endroits du monde. Les coopératives d’habitants sont porteuses d’identité alors qu’à Clichy, Monsieur le Maire indiquait que 70 % des habitants veulent quitter la ville. Comment redonner une identité et une action collective à Clichy ? Comment créer des processus endogènes s’appuyant sur l’expérience des habitants ? Ary VANAZZI Lorsque les pouvoirs publics exécutent des travaux pour faire passer un métro ou une route et répondre à la demande de la population, ils ont la responsabilité de reloger les familles expropriées, s’il y en a. Lorsque les entreprises privées agissent de la sorte, elles expulsent la population, sans aucun type de responsabilité social. Ceci se reproduit depuis des décennies, sans aucune responsabilité. Nous devons lutter contre la concentration des propriétés et la spéculation immobilière dans nos centres urbains. Mais un problème se pose en ce qui concerne le droit de propriété et ses conditions d’exercice. Cette conception et ce principe fondamental, sont très présents dans les débats quotidiens dans les pays émergents. Nous sommes à la recherche d’une résistance qui nous donne des conditions pour pouvoir mettre en œuvre une coresponsabilité dans ce type de processus d’expropriation. Un militant de l’association Naturellement Nanterre Nous avons évoqué le problème des personnes qui continuent d’occuper un grand logement social alors que leur situation familiale a changé (par exemple, suite aux départs des enfants devenus majeurs). Ces personnes bloquent les logements et empêchent d’autres personnes ayant des enfants de bénéficier de

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logements plus grands. Par ailleurs, dans le parc privé, notre association apporte une aide aux propriétaires afin de rénover et de réhabiliter leurs logements. De la salle Il est certain que le prix du pétrole va considérablement augmenter dans les cinq ou dix prochaines années. Cela signifie que la mobilité géographique des pauvres ne pourra pas passer par la voiture individuelle. Il est donc urgent de faire en sorte que cette mobilité puisse s’effectuer par des moyens ne consommant pas trop d’énergie (par exemple des trains ou des tramways). Simon Ronai, orgeco Monsieur Lévy, dans les 29 communes riveraines de Paris, la proportion de logements sociaux est comprise entre 2 % et 60 %. Bien que nous ne soyons pas des « chantres » de la loi SRU, nous constatons que les choix politiques locaux produisent des effets. Je m’interroge sur l’évolution en l’Ile-de-France car cette région a pour particularité d’accueillir des logements sociaux dans Paris intra muros (près de 35 % de logements sociaux dans les 18ème, 19ème et 20ème arrondissements) et dans les communes riveraines (en moyenne plus de 30 % de logements sociaux). Par ailleurs, je considère que ces données objectives tempèrent votre présentation cartographique dans la mesure où il n’existe pas un cœur uniformément riche qui s’opposerait à une périphérie pauvre. De ce point de vue, la métropole parisienne est singulière, ce qui s’explique par des données historiques, administratives et politiques. Quelle pourrait-être l’évolution de ce patrimoine immobilier actuellement garant d’une forme de mixité sociale ? Agnès DEBOULET Jean-Pierre Lévy répondra plus tard à votre question. Dans l’immédiat, Monsieur Daniel Breuiller va s’exprimer. Daniel BREUILLER- Maire d’Arcueil L’exemple de la ville d’Arcueil Arcueil est une ville de 18 000 habitants composée de 45 % de logements sociaux. A la fin du mois de septembre, j’ai initié la création d’un collectif de maires en faveur de l’application stricte de la loi SRU. Je pense en effet que l’obligation minimale de 20 % de logements sociaux dans toutes les villes est une nécessité absolue en Ile-de-France. En tant que maire, je ne supporte plus d’expliquer à des personnes dans l’attente d’un logement que celle-ci sera encore longue. Il est également anormal que des bailleurs refusent systématiquement les candidatures émanant de RMIstes, le plus souvent d’origine étrangère. Je refuse également que des personnes meurent dans des incendies causés par des conditions de logement déplorables. Parce qu’ils connaissent la réalité du terrain, les maires peuvent jouer un rôle particulier. Ils peuvent par exemple démontrer que ceux qui prétendent ne pas avoir la possibilité d’accueillir des logements sociaux mentent. Les maires peuvent aussi légitimement dénoncer la volonté politique de certains de leurs collègues de supprimer cette obligation réglementaire ou d’y déroger. Pour ma part, je considère qu’au delà des sanctions il faut aussi mettre en place des incitations, c'est-à-dire une politique financière permettant de réaliser des logements de qualité. Il convient également de prévoir des mesures contraignantes afin que les villes riches ne soient pas de plus en plus riches et les villes pauvres de plus en plus pauvres. Le nombre de demandeurs n’a jamais été aussi élevé et les durées d’attente aussi longues. Tout est une question de volonté politique car notre pays a les moyens de répondre à cette crise sans précédent que connaît le logement, par principe Il serait très dangereux de laisser les populations modestes partir en périphérie de la région Ile-de-France et de laisser disparaître le logement social. Nous devons défendre le droit au logement et le droit à la ville pour toutes les catégories sociales, c'est-à-dire le droit à vivre là où il est possible d’accéder aux services, à l’emploi, à la culture, etc. Je lutte contre l’étalement urbain et m’oppose aussi à la

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ghettoïsation et à la concentration des plus pauvres dans les zones les plus en difficulté. En tant que défenseurs du logement, nous aurions tort de défendre tous les logements. Dans ma commune, je mène deux opérations de renouvellement urbain avec des démolitions. Les démolitions et le PRU ne sont ni des solutions miraculeuses, ni des solutions interdites. Elles sont en vérité ce que la volonté politique en fait. Avec le Président de l’office HLM nous avons fixé quatre règles :

- toutes les personnes habitant dans les logements à démolir seront relogées, sans exception ;

- tous ceux qui voudront être relogés dans le même quartier le seront ;

- la décision de démolition sera prise par un vote des habitants (légalement, ceci n’est pas obligatoire dans le cadre d’une démolition) ;

- à l’issue de ces opérations, il y aura plus de logements sociaux qu’avant.

Les villes populaires doivent être maintenues en première couronne et il faut des logements sociaux dans toutes les villes. Il est certain que concentrer toute la misère dans un même quartier ne contribue pas à l’amélioration de la qualité de vie. La diversité sociale doit être défendue et se traduire dans des mesures politiques. Nous devons donner aux personnes aux revenus les plus modestes des logements de qualité. Marcelo NOWERSZTERN – AITEC -IPAM Mouvement social et droit au logement Je voudrais apporter un éclairage différent et plus global, en me basant surtout sur un échange d'expériences entre associations d´habitants de France (y compris une association de Nanterre) et du Brésil. Nous essayons de tirer de leçons de ces programmes d´échanges et je vais essayer de vous les communiquer. Le problème du logement n'est pas du seul ressort de la politique publique, de la loi. On peut aborder la possibilité de trouver des solutions, temporaires et limitées, seulement si les habitants se mobilisent. Les politiques publiques ont leur importance et les Municipalités ont un rôle à jouer. Mais la première question à se poser concerne ce qui existe en termes d'organisation des habitants, de mobilisation de la population, de cahier des revendications et de modes de relation avec l'État, et avec les Municipalités. Le soi disant "droit à la ville" est d'abord le résultat de l'organisation des habitants, de leur expression et de leur lutte pour le logement. Une telle démarche est difficile à intégrer à notre pratique parce qu’elle suppose l'affirmation de l'autonomie du mouvement de lutte pour le logement vis-à-vis des gouvernements, autonomie particulièrement importante quand celui-ci est de gauche. Par contre, chaque gouvernement, vu sa place en relation à l'appareil de l'Etat, va essayer de contrôler et de institutionnaliser le mouvement des habitants. On peut identifier trois problèmes majeurs, qui découlent du panorama qui nous sommes en train d'avaliser au FALP. Le changement du marché du travail est le premier. Notre système français de logement social n'est pas adapté à l'évolution actuelle du travail en France, et dans les autres économies capitalistes. Le marché de travail est éclaté et est aussi un facteur d'exclusion sociale. Le système de logement social de son coté a été conçu en adaptation à un marché homogène, formel. Comment mener une politique du logement évitant l'exclusion sociale? C'est une question essentielle que le mouvement de lutte pour le logement doit se poser. Il ne faut pas opposer les pauvres et les moins pauvres. Aujourd'hui en France la question du logement, des immigrés et des sans papier n'est pas prise en compte par le système institutionnel. Après, la définition de l'interlocuteur politique est importante. Plus la question du logement est éclatée, plus les problèmes de fond qui nous intéressent ici peuvent difficilement être abordés. Ces problèmes de fond relèvent aussi de la politique nationale et internationale. Au Brésil, aborder les solutions pour le logement sans toucher le payement de la dette

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extérieure est absurde. Nous sommes dans un cadre où les Mairies, les Mairies de banlieue en particulier, sont les premier interlocuteurs du secteur public pour la population, alors qu'elles n'ont pas prise sur les donnés de base qui vont déterminer l'évolution du logement. Il ne faut pas confondre la gestion territoriale et la gestion de services avec la gestion du logement. Les Municipalités devraient se donner les moyens de faire face à cette contradiction. Finalement, la troisième difficulté renvoie à la privatisation du problème du logement. Elle s'explique par l'adaptation voulue au marché. Comment le mouvement de lutte des habitants peut-il aller contre cette logique, qui n'est pas seulement une logique néolibérale? Prenons la problématique de la construction des logements. Le mouvement social doit être un operateur? La réponse française est non; la réponse brésilienne a été oui. Au Brésil on a conservé et développé une tradition et des méthodes d'action directe. Ce n’est pas le cas en France. Le mouvement de lutte pour le logement au Brésil a procédé á l'occupation des terrains et des bâtiments au centre ville, pour forcer l'obtention d'un accès au logement. Occupation et construction à la charge des mouvements de lutte. L'action directe et la construction des logements devraient être débattues en France. Le mouvement social doit préserver et élargir sa capacité d'initiative et d'autonomie. Jean-Pierre LEVY Sur toutes ces questions, il faut peut être se méfier des généralités et des fausses certitudes. Tout d’abord, l’exposé de Monsieur Marcelo Nowersztern montre que, d’un pays à l’autre, les situations ne sont pas si différentes que cela. Les espaces résidentiels clos gardés par des vigiles se retrouvent autant aux Etats-Unis, qu’en Egypte ou en Amérique latine par exemple. Le processus de globalisation se double d’un mécanisme général d’homogénéisation des espaces urbains. Le phénomène n’est pas nouveau, il apparaît en fait avec l’expansion des villes sur les différents continents et l’industrialisation de la construction. Sans récuser les particularités et sans développer, nombre de connaissances sur les villes du Sud sont aujourd’hui transposables au Nord et vice-versa, sans que l’on parle pour autant de reproduction de modèles dominants. Par ailleurs, je vais être très clair : en France, une famille malienne composée de 5 enfants a peu de chances d’obtenir un logement social. C’est une réalité que confirme le rapport du Groupe d’Etudes sur La Discrimination (GELD). Par conséquent, il faut cesser d’affirmer que le logement social est ouvert aux pauvres, que ce n’est qu’un logement de pauvres. L’accès au logement social est filtré par les bailleurs. Encore une fois, nombre d’études montrent, comme pour le logement privé, que son occupation varie selon les zones de prix ou les tensions foncières. D’un secteur à l’autre les écarts peuvent être énormes, entre les villes mais aussi entre les quartiers d’une même ville. C’est un constat, aujourd’hui si l’on est pauvre et immigré, il sera difficile d’obtenir un logement social, et si c’est le cas, on aura plus de chance d’y accéder s’il est localisé dans les zones où ce type de population est largement représenté. Cela signifie donc qu’il y a un véritable paradoxe à affirmer, comme le font les politiques de la ville en France, vouloir pour des raisons « d’équilibre social » (mais qu’est ce que « l’équilibre social »?) répartir le logement social sur l’ensemble du territoire (en fait ne plus en construire dans les secteurs où sont concentrés des pauvres), et en même temps avoir pour objectif de loger les catégories modestes. En outre, je ne suis pas certain qu’une famille malienne soit réellement disposée à habiter le centre de Neuilly. Qui se pose la question ? Peut être que ces familles apprécient aussi de vivre entre elles, dans des quartiers où elles trouvent par exemple des commerces correspondant à leur mode de vie. L’enjeu est dans l’opposition entre choix et contrainte. C’est notamment une des raisons pour laquelle je plaide pour une politique qui ne soit pas focalisée sur la seule dimension résidentielle des problèmes, pour un retour à l’urbain…Après tout, en France, dans les années soixante cela ne choquait pas grand monde lorsque des municipalités communistes revendiquaient de stabiliser les familles ouvrières dans la commune en développant une politique sociale et urbaine ouvertement orientée vers les couches populaires ! En ce qui concerne le « mitage » périurbain, là encore la question est peut être plus complexe qu’elle n’y paraît. Dans quelles mesures les espaces périurbains ne marquent-ils pas les limites des métropoles

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pour les cinquante ans à venir. Les cycles d’expansion et d’intégration dans la ville sont des constantes dans l’histoire de la formation des agglomérations. Comme l’ont été les faubourgs parisiens en leur temps. A Bogota par exemple, mais également en région parisienne, on constate que les enfants des premières générations de périurbains, lorsqu’ils quittent le domicile parental, ne vont pas habiter dans les centres urbains mais à proximité du domicile des parents, de leurs réseaux sociaux et familiaux. On peut donc raisonnablement s’attendre à une densification, « une normalisation urbaine » de ces secteurs. Doit-on l’empêcher ou l’accompagner avec toutes les réserves que cela suppose ? L’alternative n’est pas évidente. Dernier point évoqué enfin, celui de la mobilisation sociale pour l’accès au logement. Il recouvre à mon sens celui de la mobilisation sociale en général. Quant aux réquisitions : des tentatives d’occupation d’immeubles vides ont eu lieu à Paris. Elles mettent sur la place publique la question du logement. En cela, elles sont exemplaires et emblématiques et méritent d’être saluées. Mais à Paris actuellement, les logements vides à réquisitionner ne sont pas si nombreux que cela. En tout cas, ils sont beaucoup moins nombreux que les familles à loger. Pour cela, pour trouver les espaces disponibles, il faut aller à la périphérie et dans le périurbain. Ce qui nous renvoie au point précédent. Daniel BREUILLER Je rejoins globalement le constat que vous dressez. Cependant, je peux vous garantir que, dans ma commune, une famille malienne composée de cinq enfants a exactement la même chance de trouver un logement qu’une famille française d’origine avec cinq enfants. Je pense que ce sont les choix politiques qui font la différence et que la ségrégation territoriale en œuvre en Ile-de-France n’est pas immuable. Je milite par exemple pour que les départements sanctionnent plus fortement les maires hors-la-loi. Les émeutes du mois de novembre sont aussi la traduction de cette ségrégation territoriale. Nicolas Leblanc, revue « Territoire » La politique du logement pose la question de la gouvernance puisque nous cherchons un équilibre entre un fort besoin de moyens et une grande attente en termes de proximité. De ce point de vue, les maires ici présents pensent-ils que la décentralisation est allée trop loin ou qu’elle est restée trop modeste ? Je me demandais par ailleurs, s’il y avait-eu une réflexion sur le coût politique ou financier d’un non logé. Michel Boulanger, conseiller municipal de Bondy Lorsque des transports publics de qualité sont mis en place, au bout d’une quinzaine d’année, nous constatons une importante augmentation du prix des terrains situés dans les villes de périphérie. Une grande partie de la population est ainsi chassée de sa ville. Cela pose le problème de l’intervention urbaine. Quels sont les moyens dont la région Ile-de-France dispose pour intervenir sur le foncier ? Jacques Capet, Je suis un ancien membre du comité des mal-logés qui a organisé une action directe de réquisition des logements vides. Cette pratique, bien que peu développée en France, existe malgré tout. Je souhaitais également préciser que la coordination anti-démolition des cités, à laquelle j’appartiens, n’est pas opposée à toute démolition. Si les logements sont effectivement insalubres, il faut les démolir après avoir relogées les personnes concernées. Concernant le relogement des familles nombreuses, quelle que soit la tendance politique du maire, s’il n’existe pas de F5 ou de F6, les familles de cinq enfants ne seront jamais relogées. Dans les faits, de moins en moins de grands logements sont construits. De fait, on constate une discrimination contre les familles nombreuses, principalement immigrées. En outre, il me semble que des militants progressistes ne doivent pas faciliter l’accession à la propriété car le logement qui pourrait être acheté ainsi serait ensuite invendable. Enfin, la région a pris des mesures destinées à faciliter les déplacements des chômeurs. C’est un progrès mais je milite au sein du réseau pour l’abolition des transports payants et je crois que la gratuité des transports est un objectif très important. Ceci étant dit, comme le disait Monsieur Dilain, si le réseau n’est pas accru, le problème ne sera pas résolu. La région pourrait peut être contracter des emprunts.

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Olívio Dutra L’Etat brésilien est une extension de la propriété des élites traditionnelles brésiliennes. Par voie de conséquence, les lois qui règlementent cet Etat servent à assurer qu’il fonctionne très bien pour peu de personnes, et qu’il fonctionne mal ou pas du tout pour la grande majorité de la population. Ce n’est donc pas un gouvernement de gauche, dans une courte période, qui changera miraculeusement toute cette structure et résoudra dans l’immédiat ces problèmes. Il est évident que la solution de ces problèmes passe par le changement des rapports entre les gouvernements et la population. Il n’est pas rare que les priorités d’action des gouverneurs soient définies par la pression des groupes économiques plus puissants, plus influents du point de vue économique, du point de vue des médias. Nous avons introduit une démarche de mise en cause ou d’opposition à cette manière de définir les priorités du haut vers le bas. Elle a abouti à la démarche dite du budget participatif. Loin d’être une formule miraculeuse, c’est une démarche qui met sur le devant de la scène ceux qui étaient les spectateurs, le peuple. C’est grâce au budget participatif que nous avons pu inverser les priorités, pour investir dans des logements de qualité, dans l’assainissement et le traitement des eaux, dans la mobilité urbaine. Le gouvernement Lula a investi en trois ans, quatorze fois plus en assainissement que toute la période de la gestion précédente. Et d’après le dernier sondage effectué auprès des foyers, depuis 2003 il y a 8% de moins de foyers vivant dans la misère absolue. C’est un chiffe modeste, mais il n’y avait jamais eu d’action antérieure permettant de réduire la part de la population vivant dans la misère absolue. Il y a donc un processus en route, qui doit être approfondi. De la salle Le transport collectif ne peut pas s’étendre de façon illimitée. Je voudrais ensuite dire que la stabilité du logement aboutit souvent à ce que des familles monoparentales conservent leur logement et monopolisent, pour une ou deux personnes, des logements de quatre ou cinq pièces. Il faut éviter la saturation de logements par des populations identiques et le développement de communautarismes. A mon sens, les équipements publics et les emplois devraient être décentralisés autant que possible. Enfin, lorsqu’une commune n’atteint pas les 20 %, il faudrait multiplier l’amende par dix et affecter le montant payé à un fond de solidarité pour le logement social. Jacques Guevel - Mieux vivre au Petit Nanterre Nous avons peu évoqué la spéculation immobilière. Je pense pour ma part qu’il s’agit d’un sujet fondamental. Nous devrions fixer des règles à l’accession au droit de propriété pour ne pas alimenter un système capitaliste qui exclut de plus en plus de personnes. Quelques intervenants ont parlé de droit à la ville. Depuis 2004, une charte du droit à la ville est en discussion. Il serait opportun que le FALP le mette à l’ordre du jour pour que nous ayons un échange à ce propos. De la salle Monsieur Breuiller, vous avez dit que toutes les personnes habitant les immeubles qui seront détruits seraient relogées. Les personnes qui étaient déjà hébergées seront-elles concernées ? Quelle forme prendra la consultation des habitants ? Par ailleurs, les maires « voyous » qui ne respectent pas la loi SRU devraient-ils être inéligibles ? Monsieur BREUILLER Nous sommes en faveur de cette sanction. Un des premiers maires délinquants était d’ailleurs notre actuel Ministre de l’Intérieur. La consultation prendra la forme d’un référendum. Lors de la première consultation, environ 80 % des votants ont voté en faveur de la démolition. Un tel processus prend beaucoup de temps.

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Atelier 4 : Aménagement du territoire : quelles ambitions des périphéries dans les métropoles ? Quelles politiques de développement durable ? Les périphéries sont souvent des territoires de renouvellement urbain : Quels aménagements y concevoir selon quels choix ? Ceux de la spéculation immobilière ou ceux des besoins sociaux et humains ? Comment produire, avec les citoyens, des villes vivables et durables ? Participent à l’atelier : Magnolia AGUDELO, maire de Sumapaz – District de Bogota, Colombie ; Lenka KOCHANOVA, déléguée Cités Unités Slovaqui. Joseph ROSSIGNOL, Maire de Limeil-Brévannes – Métropole de Paris ; Jacques PERREUX, Vice-président du Conseil général du Val-de-Marne – Métropole de Paris ; Frédéric DUFAUX, Mosaïque / UMR LOUEST – Université Paris X Nanterre ; Modérateur : Eric FLAMAND, responsable développement durable DEXIA Crédit Local

Eric FLAMAND

Dexia Crédit Local dispose depuis plusieurs années d’un observatoire des pratiques de développement durable des villes, notamment au travers de l’opération Les rubans du développement durable. Sur la base des informations qui remontent par ce biais, nous avons pu identifier une typologie des différentes problématiques et situations rencontrées : La réhabilitation des centres « menacés » par leur périphérie

Un certain nombre de projets de collectivités, parfois suite à une crise sociale et industrielle, visent à dépolluer les friches et équipements industriels et à réhabiliter les centres-villes pour endiguer la fuite massive des habitants en périphérie. Les communes de Valenciennes et Saint-Etienne, notamment, se sont lancées dans ce type de projet. Dans de nombreuses villes, comme Nantes par exemple, on constate que la part de l’activité commerciale en centre-ville est de plus en plus réduite au profit des centres commerciaux de la périphérie. Dans ces cas de figure, la périphérie est vécue comme une source de fragilisation ou de « menace » du centre-ville.

La revitalisation de quartiers en périphérie Il s’agit là de l’un des sujets majeurs de ces dernières années, dont les événements récents au cœur des banlieues illustrent l’ampleur. La revitalisation de ces quartiers repose sur des programmes lourds et complexes de réhabilitation urbaine, passe par le développement des services de proximité, un meilleur accès aux services publics et l’insertion sociale et professionnelle des habitants.

La mobilité entre le centre et sa périphérie Les politiques locales, notamment par le biais des PDU et agendas 21, soulignent l’enjeu d’une meilleure organisation des déplacements dans la ville et entre la ville-centre et la périphérie. Le projet de tram-train de l’agglomération de Mulhouse entre dans ce cadre. Outre le transport public, la réflexion porte sur la place des piétons, le stationnement de proximité et le renforcement des synergies entre villes-centres et périphéries.

Des politiques de développement durable de plus en plus intégrées Ces politiques touchent à la fois le centre et la périphérie. Il s’agit, pour les villes et leur agglomération, de mettre en cohérence les différentes compétences et obligations de la collectivité, et d’assurer le maillage entre les différents dispositifs en matière d’habitat et de déplacement (PLU, PDU, PLH, SCOT…). Ces politiques intègrent également la lutte contre l’isolement (des jeunes, des

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personnes âgées…) et le renforcement de la mixité sociale, ainsi que la redécouverte d’un patrimoine architectural et industriel source d’attractivité de ces territoires.

Nous allons à présent prendre connaissance de l’expérience menée dans deux villes étrangères. Magnolia AGUDELO – Maire de Sumapaz La transformation des conditions sociales actuelles, la durabilité et le rôle social et politique des travailleurs et travailleuses gagnent en importance en Amérique latine et plus particulièrement, maintenant, à Bogota, en Colombie.

Avec la conviction que le développement n’est possible qu’à l’aide de politiques garantissant la durabilité de l’écosystème, il a été conçu à Bogota une politique de préservation de l’environnement.

La localité rurale de Sumapaz est la plus grande réserve d’eau du pays. Elle s’étend sur 88 000 hectares, soit 48 % du territoire de Bogota, et se situe au sud de la capitale, au centre du plus vaste páramo (écosystème humide d’altitude) du monde, appelé « páramo de Sumapaz ». Celui-ci, qui se caractérise notamment par une forêt humide (bosque de niebla), garantit la conservation de l’eau. Ses habitants ont une tradition de résistance sociale et d’organisation paysanne, ancrées dans une culture de paix et de cohabitation que l’État se doit de préserver, compte tenu des conditions de vie sociale et institutionnelle précaires de cette population. Par conséquent, l’administration de Bogota a affirmé la nécessité d’établir, dans le cadre du Plan de développement, les conditions élémentaires à la défense des droits de l’homme, notamment les droits à la santé et à l’éducation, ainsi que d’autres droits définis par la constitution, en assurant une répartition équitable des richesses, ainsi que la participation démocratique de la communauté à la vie sociale et institutionnelle.

Ce Plan de développement parie sur une Bogota où l’indifférence sociale n’existe pas, et qui soit engagée dans une lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Cette vision de Bogota se caractérise principalement par sa volonté d’une garantie institutionnelle et culturelle des droits des enfants et des jeunes dans la société. Cette inclusion doit commencer par la sécurité et par la souveraineté alimentaire, conditions du droit de vivre dans la dignité, dans une ville riche où le fléau de la faim et les niveaux considérables d’exclusion se traduisent par des indicateurs d’inégalité socio-économique et de délinquance très élevés. Ces chiffres sont actuellement à la baisse, grâce à la mise en application d’un programme gouvernemental, dans le cadre d’un engagement de l’État auprès des populations majoritaires, traditionnellement exclues.

Pour cela, la municipalité de Sumapaz, localité rurale de la périphérie de Bogota, procure les espaces d’organisation et de participation citoyennes nécessaires pour que ce soit la communauté elle-même qui conçoive des projets et les mettre en œuvre en faveur d’une ville qui favorise l’intégration, et s’avère durable, solidaire et ouverte au monde. Il existe aujourd’hui une volonté politique, chez les responsables de la municipalité, que les décisions et budgets s’appliquent par l’intermédiaire des gestions et associations locales. Cette situation renforcera les processus de participation démocratique et contribuera à améliorer les conditions de vie matérielle et culturelle des habitants qui, historiquement, ont toujours pris soin de préserver le páramo le plus vaste du monde. L’élaboration d’une politique publique de la ruralité, qui soit ouverte à la diversité et à l’affect des paysans de la région de Bogota, permettra de garantir que la Ville conserve à ses populations rurales leur identité et les conditions d’une vie digne.

Dans cette perspective, l’équité et la durabilité de la vie sociale de chacun des habitants figurent à l’horizon de l’actuelle municipalité de Sumapaz et de celle de Bogota, en tant que capitale de la République. C’est selon cette conception que se projette aujourd’hui la ville et que s’envisagent les rapports de solidarité avec le reste de la métropole.

Mais il faut aussi envisager les défis sociaux. Cette richesse hydrologique et écologique fait l’objet de projets de lois visant à privatiser et à vendre au plus offrant ces sources essentielles de subsistance, à

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l’initiative de groupes sociaux locaux liés par des intérêts privés aux capitaux internationaux. Dans ce sens, nous développons, au niveau de l’administration locale, des outils conceptuels, institutionnels et politiques de conservation et de protection de l’eau et de la culture paysanne. La tendance à la mondialisation, que doivent affronter la Colombie et sa capitale, obéit à un mouvement néo-libéral de la société, de l’économie et de l’État, correspondant à la dynamique de la trans-nationalisation du capital, qui prétend dénationaliser les biens publics et le patrimoine culturel de notre nation, constitué au fil des tours et détours de notre histoire.

L’administration de Lucho Garzón, maire de Bogota, relève aujourd’hui un défi : accorder la priorité aux valeurs humaines essentielles. Elle met actuellement en œuvre des actions de contribution solidaire avec les communautés, décrites dans des programmes baptisés « Bogota sans faim », « Bogota, une grande école », et « Santé à votre foyer », entre autres. Cela démontre qu’avant de penser à des méga-projets de ciment ou d’acier, encore faut-il commencer par garantir les conditions de vie des habitants qui seront les destinataires et acteurs de ces projets. La nomination de femmes aux fonctions de maire dans les vingt arrondissements de la capitale reflète un pari sur l’intégration sociale et politique des femmes, groupe traditionnellement exclu et discriminé, tout comme les minorités sexuelles ou les Afro-Américains, entre autres. La municipalité de Sumapaz pose les bases d’un développement durable, en matière écologique et sociale. Le programme « Bogota sans indifférence » souligne l’importance que cette métropole doit accorder, dans ses politiques et dans ses actions, à ses particularités rurales. Quant au Plan local de développement, baptisé « Sumapaz sans différences humaines et sociales », il a pour objet de développer l’intégration dans la périphérie de la capitale. L’un des objectifs de la municipalité de Sumapaz est de mettre en valeur la tradition d’organisation de ses habitants, leur capacité à résoudre leurs conflits par la voie pacifique et leur potentiel hydrologique et écologique. Il vise, notamment, à créer un espace de dialogue et de compréhension, qui renforce l’unité et l’amitié entre les habitants, afin d’améliorer leurs conditions de vie et de leur assurer une reconnaissance dans l’imaginaire urbain. Cet espace futur dont nous rêvons, c’est une Bogota urbaine où l’indifférence sera bannie, et qui saura assimiler la diversité et la richesse de sa population et de sa ruralité. Un autre monde est possible…Sumapaz sans différences humaines et culturelles ! Eric FLAMAND Le développement durable repose bien sur une vision politique de l’aménagement du territoire et des relations que peuvent nouer ses habitants. Dans l’exemple précédent, j’ai noté que la banlieue disposait d’un patrimoine rural très intéressant et, à ce titre, qu’elle pouvait apporter une valeur ajoutée à la métropole de Bogota. Nous passons à l’exemple de Bratislava.

Lenka KOCHANOVA – Cités Unies en Slovaquie

Les banlieues slovaques présentent des similitudes avec les banlieues d’autres pays mais aussi des différences majeures, pour des raisons historiques. La ville de Petrzalka, à proximité de Bratislava, a été rattachée au Grand Bratislava en 1946. Sa population représente 25 % de celle de la capitale. L’aménagement de la banlieue a débuté dans les années 70 avec un habitat anonyme, très dense, composé de grands immeubles et laissant peu de place aux espaces verts. Petrzalka abrite toutes les couches sociales de la population. C’est pourquoi le loyer en centre-ville et en banlieue ne présente pas de différence majeure, au moins jusqu’à présent. Petrzalka, ville dortoir, est d’abord confrontée à un problème de densité et à un manque de structures de loisirs. Les problèmes de transport ne sont pas spécifiques à la banlieue. L’accès à la santé et à l’éducation est assez satisfaisant. Petrzalka est séparée de Bratislava par le Danube. La ville a choisi de construire un tramway rapide entre son centre et celui de la capitale. Le long du trajet, de nouvelles constructions, commerces et

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établissements culturels vont voir le jour à destination des populations tant de Petrzalka que de Bratislava. Ce développement vise notamment à répondre au manque d’identité de Petrzalka. La prostitution et la drogue menacent les jeunes de la ville. Le chômage est un autre fléau de Petrzalka. Par ailleurs, un effort en direction des maisons de retraite, des associations et centres sociaux est consenti pour assurer une meilleure prise en charge des populations les plus fragiles. Outre le tramway interurbain, il est prévu de relier Bratislava à Vienne par bateau rapide, les deux villes, ainsi que Budapest, présentant la particularité d’avoir été, avant la deuxième guerre mondiale, très proches et très cosmopolites. Les priorités de développement de la ville de Petrzalka sont celles de la métropole dans son ensemble. Sur la base des propositions de chaque municipalité, des projets communs (plan d’aménagement du territoire, budget), plus à même de répondre aux problèmes d’inégalités, de qualité de vie et d’accès aux services, sont lancés. Eric FLAMAND La construction d’un budget commun suppose-t-elle une structuration juridique particulière, selon le principe français de la communauté de communes ? Lenka KOCHANOVA Ces deux dispositifs ne sont pas comparables dans la mesure où la capitale bénéficie d’une loi spécifique qui fixe cette structuration. Eric FLAMAND Comment est défini le budget ? Lenka KOCHANOVA Les élus des quartiers et banlieues de Bratislava sont représentés au Conseil de la ville. Les décisions sont prises en commun. Eric FLAMAND Ces deux exposés ont souligné la volonté de la banlieue de voir sa culture reconnue et de s’ouvrir aux villes frontalières, au passé riche. Nous passons aux pratiques des villes françaises, en commençant par celle de Limeil-Brévannes. Joseph ROSSIGNOL-Maire de Limeil Brevannes Limeil-Brévannes est une ville de 18 000 habitants, sur un territoire de 693 hectares, située à 15 kilomètres de Paris. Limeil-Brévannes compte peu de logements sociaux (24 %) et attire de nombreux promoteurs. Pour cette raison, la ville a été amenée à envisager un urbanisme nouveau et a souhaité suivre, sur un quartier, une logique de développement durable assez poussée pour la France. La création de logements doit s’accompagner de la construction d’équipements et la Ville a commencé par construire une école, en recourrant à des techniques financières assez particulières. La Ville travaille avec le Conseil régional et l’ARENE (Agence régionale de l’énergie et de l’environnement). La première étape a consisté à informer et sensibiliser les équipes municipales, en vue d’affiner les choix stratégiques. Un certain nombre d’objectifs environnementaux ont été définis. Face aux difficultés de gestion des problématiques environnementales, les élus ont souhaité une intervention supplémentaire de l’ARENE. Un travail de pré-programmation du quartier a été engagé, avec le concours de l’ARENE et d’experts (architecte programmiste, économiste, spécialiste de la mobilité durable, géographe-écologue, thermicien), sous la forme d’ateliers. Le comité de pilotage de cette démarche était constitué d’élus mais aussi de fonctionnaires, d’une société d’économie mixte, de

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l’ARENE, de représentants des habitants. L’objectif était de parvenir à une clarification des responsabilités et à un diagnostic partagé sur les attentes et enjeux en matière de développement durable. Sur le plan social, le projet vise à assurer une véritable mixité tant sur la place du locatif et de l’accession que sur le rapport entre habitat social et habitat privé. Outre des commerces de proximité, un cœur de quartier, comprenant différents équipements publics (Agence de mobilité, Maison verte, crèche) sera constitué. Sur le plan de l’environnement, la tranquillité du quartier sera préservée avec des ambiances d’eau et de verdure à proximité de zones d’emplois et d’un ensemble logistique, notamment l’aéroport d’Orly, qui fait l’objet de l’attention de la communauté d’agglomération. Ce quartier est également proche de zones de loisirs. La nouvelle école a été réalisée selon les normes HQE. Un animateur amènera à l’école, à pied, les enfants du futur quartier. La Ville entend en effet réduire autant que possible la place de la voiture au profit de la circulation piétonne. La maîtrise de l’espace est l’un des points centraux du projet. Il s’agit de concilier des constructions en hauteur avec le besoin d’un rapport renforcé à la nature. L’association de l’habitat, des commerces et des activités doit permettre d’éviter la constitution d’un quartier-dortoir. La protection contre les nuisances sonores liées à la proximité d’Orly et contre les poussières liées à la zone industrielle est une autre priorité. La limitation de la place de la voiture et de ses impacts passe par la suppression de la circulation dans certaines zones et par la mise en place d’un système de location de voitures (auto-partage, covoiturage). Il s’agit de limiter l’usage d’une deuxième voiture et, plus généralement, de favoriser de nouveaux comportements. Le raccordement du quartier à la ville par des liaisons douces s’accompagne d’une campagne en faveur de l’utilisation des vélos. Par ailleurs, ce projet vise à valoriser le site et la mémoire du site par l’aménagement d’espaces verts, le respect de la nappe phréatique et la prise en compte de l’impact environnemental dans les constructions. La perspective d’un traitement des eaux usées à l’intérieur d’une serre, plutôt qu’un rejet pur et simple, est à l’étude. D’autres objectifs d’ordre environnemental ont été fixés : - réduction des consommations d’énergie ; - maîtrise des charges des logements ; - réduction des rejets de gaz à effet de serre. L’utilisation des énergies renouvelables est encouragée. Le recours à la co-génération et au chauffage au bois est à l’étude. Il est difficile, pour une collectivité, de lancer une telle opération en garantissant son équilibre financier et en réduisant les risques. D’où le choix de travailler avec une association réunissant un ensemble de promoteurs, de bailleurs sociaux qui s’engagent à réaliser l’opération. Parallèlement à la mise en place de ce quartier « durable », nous montons le dossier de réalisation de ZAC. Des pénalités de retard sont prévues en cas de dépassement des délais dans la livraison des constructions. Eric FLAMAND Combien d’habitants sont concernés par ce quartier ? Joseph ROSSIGNOL Aujourd’hui, ce quartier n’abrite que 10 hectares de friches, qui appartenaient à l’Assistance publique et pratiquement incluses dans la ville. A terme, 800 logements sont prévus. Eric FLAMAND Quelles sont les réactions des riverains et des autres habitants de la commune sur ce projet ?

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Joseph ROSSIGNOL La première étape a été la construction de cette école qui présente la particularité de produire plus d’énergie qu’elle n’en consommera, le surplus étant revendu à EDF. Cette opération, en dépit de son originalité, renforce notre crédibilité auprès du public. Les habitants, à l’origine plutôt opposés au projet, y adhèrent au point d’envisager d’y vivre. Eric FLAMAND Parmi ses compétences, le Département doit gérer les relations avec les communes et tenir compte de la diversité de situations. Monsieur Perreux, quelle est la politique du Conseil général du Val-de-Marne en matière de développement durable et d’animation du territoire ? Jacques PERREUX – vice président du conseil général du Val de Marne Le développement durable est une question nécessitant un large partage d’idées et d’expériences. Sur ce domaine, les politiques n’ont pris que récemment conscience de la gravité des enjeux alors que la communauté scientifique souligne, de façon unanime, la nécessité de changer nos comportements. Les institutions s’appuient sur la définition du développement durable donnée par le rapport Brundtland, lequel propose de concilier le social, l’environnement et l’économie selon le postulat que le progrès permettra de résoudre automatiquement les problèmes posés et que le marché assurera la régulation des problèmes de la planète. Face à l’idée que tout peut s’acheter, y compris le droit de polluer, face aux urgences des dérèglements écologiques, nous considérons que le principe de précaution doit s’appliquer, d’autant que le marché ne s’est pas montré particulièrement compétent pour gérer le long terme et qu’il repose sur la production et l’accumulation sans fin de biens matériels. Ce mode de production, d’échange et de consommation utilise la nature bien au-delà de sa capacité de renouvellement. Le Département du Val-de-Marne tâche d’adhérer au principe de précaution. Il considère qu’il s’agit, avec le développement durable, d’assurer le progrès social, culturel, environnemental tout en réduisant les flux de matières, d’énergie et de déchets par une économie qui doit s’adapter à ces objectifs. Dans ce cadre, il est souhaitable : - de promouvoir la décroissance de certaines activités et productions nuisibles ;

- d’en finir avec l’incitation à une surconsommation de produits destructibles et éphémères ;

- de mettre en cause une certaine division internationale du travail qui organise la mise en concurrence et l’exploitation des peuples et met en cause la souveraineté alimentaire des plus pauvres ;

- de promouvoir des alternatives à la gestion à flux tendus qui privilégient la rapidité du transport routier et aérien au détriment du rail et du fluvial.

De nombreux experts préconisent une certaine délocalisation de l’économie, notamment pour éviter la multiplication des transports. Cette démarche devrait avoir des conséquences sur l’aménagement et l’urbanisation. Toutefois, il est difficile d’imaginer les évolutions qui auront été réalisées en ce sens d’ici quinze à vingt ans. Une part importante de l’activité du Val-de-Marne dépendant du transport aérien et du pôle logistique d’Orly et Rungis, on peut s’interroger sur les conséquences : - d’une modification du rôle des avions qui émettent massivement des gaz à effet de serre ; - d’un remplacement de l’agriculture intensive distribuée à Rungis par de la bio-agriculture ; - d’un refus de rivaliser avec les autres mégapoles au nom de la concentration économique et du

rapprochement nécessaire entre habitat et travail.

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En réalité, nous devons nous interroger sur l’équilibre entre, d’un côté, une conception centralisatrice qui part de la prise en compte rationnelle de l’écosystème planétaire et qui se traduit par la construction d’équipements, de villes nouvelles, par des transports économes en énergie, de l’autre, une conception portée par les collectivités territoriales qui s’intéresse davantage aux écosystèmes locaux, qui opte pour la répartition des densités sur tout le territoire national et pour le développement économique social. Cette deuxième conception privilégie un cadre de vie proche de l’idéal, représentée par la ville à taille humaine, faisant la part belle aux espaces verts et activités de nature, aux emplois stables, etc. Ce mode de développement, qui s’appuie sur le télétravail, des activités plutôt associées à la défense de l’environnement, au monde rural, semble répondre aux préoccupations environnementales mais limite l’aménagement des régions urbaines, dynamiques et génératrices de progrès. Pour autant, il ne serait pas conforme à la réalité de dire que la bonne solution est toujours trouvée. Souvent, les réalités s’imposent à nous, qu’il s’agisse de l’Etat, des puissants lobbies économiques, de la culture dominante. Parfois, un élu doit choisir entre plusieurs priorités qui s’opposent. Ainsi, faut-il renoncer à construire des logements en région parisienne ? Faut-il renoncer à la création d’emplois en Ile-de-France au profit de la province ? Autrement dit, il y a souvent un écart entre notre ambition, notre volonté politique et notre capacité à la traduire dans les faits. Pour sortir de ces contradictions, il est nécessaire de faire évoluer les consciences et les rapports de force. Toutefois, on ne peut attendre une telle évolution pour agir. Dès lors, la stratégie des élus doit coupler l’action d’aujourd’hui et les idées de demain. En ce sens, le Conseil général du Val-de-Marne a déterminé dix domaines d’actions sur lesquels il actionne quatre leviers en même temps : - l’éducation, la sensibilisation, avec notamment l’ouverture de l’Université populaire de l’eau et du

développement durable et le Festival de l’eau - la modification des repères en donnant l’exemple, avec le projet de récupération et de traitement des

eaux de pluie ; - l’incitation des collectivités ; - l’encouragement des citoyens à modifier leur propre comportement. Eric FLAMAND Vous avez rappelé que le développement durable renvoyait à la gestion des contradictions et, à ce titre, à la nécessité de prioriser les actions. Il nous faut par exemple choisir entre une ville plus compacte et une ville plus étendue. Monsieur Duffaux, quel regard portez-vous sur les différents modèles existants ? Frédéric DUFAUX - Universitaire Quelques enjeux de la marche dans l’appropriation des villes de périphérie et l’enracinement d’établissements urbains durables ? Sur ces problématiques, il ne s’agit pas d’importer les bonnes pratiques, d’aller chercher la bonne recette et de l’appliquer telle quelle mais plutôt de dialoguer et débattre. Le débat de la ville durable pose bien la question de la circulation des modèles. La ville durable ne peut se réduire à sa stricte dimension environnementale. Elle doit assurer des conditions sociales, économiques de base à ses populations et doit offrir des possibilités d’enracinement, d’appropriation. Ainsi, les problèmes des grands ensembles ne sont pas techniques mais d’ordre social et économique. Le rapport entre centre et périphérie est très variable à l’échelle internationale et n’est pas déterminant en soi en matière de pauvreté et d’exclusion. Ce sont les coupures et aussi les fermetures dans la ville qui, avec l’étalement et la métropolisation, doivent être mis en avant comme créant des problèmes majeurs. L’une des pistes suivie dans le monde anglo-saxon concerne le rôle de la marche à pied pour renforcer la cohérence de la ville. La pratique de la marche est en effet susceptible d’aider à remettre en cohérence la ville et à tisser des liens invisibles au sein d’un espace de clivages et de coupures. Ainsi, le

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projet des Terrasses de la Défense repose sur un travail sur l’axialité, en offrant une promenade urbaine entre Seine et Défense, et sur la transversalité, en favorisant les liens entre des quartiers désarticulés. Le projet de la ville durable ne doit donc surtout pas être perçue comme une ville figée, patrimonialisée, mais comme une ville qui laisse des marges de liberté, transformable par les pratiques et les diverses formes d’appropriation de ses habitants. La logique de développement durable nous impose de nous intéresser à l’ancrage des populations et de nous appuyer sur les habitants comme détenteurs de ressources. En ce sens, le lien entre démocratie participative, durabilité et réappropriation de la ville doit être tissé. Je rejoins les propositions du Conseil général du Val-de-Marne quant à la nécessité d’une éducation à l’environnement et à un partage des ressources. Les pratiques des habitants doivent en effet favoriser un meilleur ancrage dans la ville. Ce sont ces pratiques, et les paroles des habitants, qui permettent de créer des parcours pertinents sur l’ensemble du territoire et de relier des espaces découpés. Il s’agit bien de retisser des liens par des pratiques de proximité et d’encourager à constituer un espace public continu, accessible, varié et partagé. Au-delà, chacun (habitant, passant…) est acteur de la ville qu’il pratique, reconnu comme un artiste en marche (« a walking artist ») : chacun participe au processus de construction du territoire urbain. D’aucuns dénoncent cette approche qu’ils qualifient d’approche de flâneurs et d’esthètes, de villes riches, de pays riches. Pourtant, ces pratiques de la marche et de l’écoute des habitants sont « pauvres » au sens où elles ne nécessitent pas d’investissements élevés. En outre, elles participent du processus de démocratie participative. En résumé, les pratiques ouvrent un champ de recherche et d’application renouvelé. Elles dépassent la logique des zones piétonnières, des zones d’exclusion de l’automobile, pour privilégier une logique de mixité et de partage. En outre, elles appuient l’idée d’une réappropriation de l’environnement urbain par une découverte partagée de ses ressources. Par ailleurs, au-delà de ses enjeux environnementaux et de santé publique, la pratique commune et intensifiée de la marche tend à sécuriser l’espace public. Elle permet une valorisation des ressources offertes par la densité urbaine. Surtout, la marche et les marcheurs peuvent fonctionner dans des périphéries désarticulées comme une « colle urbaine » (urban glue), capable d’aider à rapprocher les fragments de la ville. Eric FLAMAND Il n’y a donc pas de recette idéale en matière de développement durable puisque celui-ci part du diagnostic du territoire et s’inscrit dans une logique de démocratie participative prenant en compte les attentes des citoyens.

DEBAT DANS LA SALLE

Philippe MAINGOT - Institut d’Etudes Européennes Quels sont les surcoûts d’investissement liés au projet de Limeil-Brévannes ? Comment justifier, sur le plan financier, la construction de l’école avant celle du quartier ? Par ailleurs, s’il semble pertinent d’encourager la marche à pied, notamment parce que certains trajets sont plus courts à pied qu’en voiture, cette pratique est contradictoire avec l’étalement urbain, le développement des résidences fermées, l’éloignement entre lieux de travail et lieux d’habitat… Joseph ROSSIGNOL Le surcoût est de l’ordre de 20 % et nous impose de mettre sur pied un quartier exemplaire. Les entreprises qui interviennent savent qu’elles réaliseront dans le cadre de ce projet des opérations qui sont amenées à se généraliser. La construction de l’école s’est appuyée sur la mise en place d’une taxe particulière.

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Frédéric DUFAUX La démarche exposée n’est pas utopiste mais proactive par rapport à un ensemble de réalités, comme l’étalement urbain, et vise à créer une structure polynucléaire, sachant que ces noyaux sont ceux qui proposent des services de proximité, des commerces et sont donc essentiels. Le géographe David Harvey souligne que l’idée de refaire des centres « à l’ancienne » ne profitera qu’à la population favorisée, celle qui a le moins besoin de qualité urbaine par rapport aux populations bloquées en périphérie. Magalie Giovannangeli - adjointe au maire à Aubagne J’ai noté la façon dont Petrzalka tâchait de rassembler des ressources avec d’autres villes afin de donner du sens à des projets communs. A Sumapaz, la préservation des ressources naturelles s’affiche comme une résistance à la métropolisation ainsi qu’à la mondialisation. Ces deux expériences se rejoignent. Aubagne, située à 15 kilomètres de Marseille, essaie de construire une identité sur la base d’une démarche d’aménagement du territoire, en tâchant de se jouer des contradictions en termes économiques, d’habitat, d’agriculture périurbaine. Alors que la spéculation immobilière est forte dans le sud de la France, il est nécessaire de se réapproprier certains espaces, en périphérie des grandes métropoles, et de renforcer notre souveraineté alimentaire par des modes alternatifs et pérennes. Nous devons permettre aux habitants de prendre leur place dans des projets politiques, par un renforcement de la démocratie participative, en étant partie prenante d’une agriculture périurbaine et en se réappropriant leur territoire. Madame FATIMATA KONTE DOUMBIA - maire de la commune Bamako 1 L’échange de pratiques est une nécessité. Par exemple, alors que le Val-de-Marne dispose d’une longue expérience en matière de logements sociaux, ces dispositifs sont embryonnaires au Mali. J’ai par ailleurs retenu que les priorités de la métropole de Bratislava sont également celles de sa périphérie. Ce point est essentiel dans la mesure où la problématique de la reconstruction de l’urbain en périphérie suppose une synergie dans la mise en œuvre des programmes d’urbanisme sectoriels. A Bamako comme ailleurs, le centre-ville et la banlieue partagent les mêmes intérêts : les habitants de centre-ville ont souvent besoin d’aller vers la périphérie, de la même façon que les habitants de banlieue ont besoin du centre-ville et pas seulement pour des raisons économiques. Dans ce contexte, les actions à mener de part et d’autre doivent s’inscrire dans une logique de solidarité, au bénéfice de tous. José-Luis RIVERA – Municipalité de Ville de Barbera del Vallès Quand nous parlons de la construction de la métropole, peut-être oublions-nous la dimension économique. Avant la mondialisation, chaque État ou nation organisait sa spécialisation. Maintenant, au contraire, nous sommes en concurrence les uns avec les autres au niveau mondial. Pourtant, ce débat n’est pas tout à fait transparent et se dirige de la métropole vers la périphérie. L’existence d’administrations métropolitaines pourrait-elle favoriser la transparence du débat ? André MARTI - adjoint au maire de Rezé, conseiller communautaire à « Nantes Métropole » Il me semble dommage de ne pas avoir évoqué les lois Chevènement, la mise en place de l’intercommunalité et le dynamisme des communautés urbaines alors que nous assistons à une révolution historique du point de vue des communes, compte tenu des transferts de compétences. Les maires des 25 communes de Nantes Métropole ont signé une Charte sur l’habitat, dans laquelle ils s’engagent à respecter la loi SRU. Cet outil renforce les solidarités, au niveau des territoires, entre des communes de taille très différente.

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Madame ROSINHA - maire de Vila Franca do Xira A mon sens, il n’est pas souhaitable de distinguer la politique de développement urbain des centres-villes et la politique de développement urbain des périphéries. Cette distinction a en effet pour conséquence de renforcer la ghettoïsation des périphéries.

Frédéric DUFAUX

Fonctionnellement, cette différence existe, en tout cas en Europe de l’Ouest où les centres-villes concentrent les ressources, le patrimoine ancien et où les périphéries, pour partie, présentent des difficultés. La démarche consistant à développer la pratique de la marche se veut intégrative. Votre remarque pose la question du gouvernement métropolitain et de la possibilité de prendre des décisions en commun. Sans avancée sur ce point, nous ne pourrons lever la concurrence internationale entre les métropoles ainsi que les concurrences à l’intérieur même des métropoles. Michel LEDUC - consultant La création d’un musée de la ville, comme il vient de s’en ouvrir un Shanghai et à Pékin, favorise la prise de conscience par les habitants des problématiques de leur ville. Ce lieu permet de se représenter l’ensemble d’une agglomération, de mesurer l’importance de certains projets… Malheureusement, les habitants n’ont qu’une connaissance limitée de leur propre ville. Yves DURIEUX - AITEC Je regrette que personne n’ait évoqué la mission de la Région qui lui a été conférée par la loi de décentralisation. Les problèmes de l’aménagement du territoire se posent, en effet, à l’échelle régionale. En région parisienne, seul le projet des villes nouvelles, dans les 1970, a eu une envergure régionale. Aura CONTRERAS DE RIVERO - Maire de Paravecino - Venezuela Dans notre recherche d’un modèle économique et social, qui nous permette d’avancer le plus vite possible vers une nouvelle structure, j’ai été fortement interpellée par la référence à l’intégration participative, que nous essayons de développer dans notre pays, au moyen des réseaux sociaux. Par ailleurs, je voudrais signaler que ce modèle de durabilité dépend de la spécificité de chaque pays. Rodrigo URIBE - chroniqueur indépendant Ce que nous ne réussissons pas au niveau régional, nous pouvons le faire à l’échelle internationale. Je pense notamment à l’aménagement du territoire en Ile-de-France. Les liaisons entre Paris et les autres territoires étant très difficiles, comment résoudre le problème de la voiture sans créer des déséquilibres avec les autres territoires ? En Ile-de-France, lorsqu’ils ne sont pas voisins, les territoires s’ignorent. Il existe beaucoup de communes toutes petites en Ile-de-France et la moitié de la population ne vit pas dans une zone couverte par une communauté de communes. Ce rapport de force crée des difficultés. Dans ce contexte, de nouveaux outils doivent être recherchés, afin de renforcer les fonctions dynamiques des territoires. A Bogota, plus que la présence de 10 000 sans domicile fixe, l’attention des autorités doit être portée sur les 500 000 habitants qui sont des déplacés de la guerre. Comment le maire actuel facilite-t-il leur accueil ? Magnolia AGUDELO Bogota est la capitale de la Colombie. Elle compte environ 7 millions d’habitants. Le gouvernement actuel favorise une politique d’inclusion. Le pays enregistre un taux élevé de déplacement des populations vers les grandes villes, principalement Bogota. C’est pourquoi il a été

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adopté d’importantes mesures en faveur de ces populations (allocations logement, accès à l’instruction, création d’espaces de travail). De ce fait, Bogota est un pôle d’attraction plus séduisant que les autres.

C’est la commune la plus riche, et donc celle qui produit les plus gros revenus.

Actuellement, nous élaborons un programme de durabilité alimentaire dans la région de Bogota, car, selon nous, c’est une condition préalable au développement. De la salle La question du surcoût de la Haute Qualité Environnementale est régulièrement posée. Or il faudrait également évoquer le gain généré par la HQE notamment en termes d’entretien. Par ailleurs, la problématique de la mixité sociale ne se limite pas à l’arbitrage entre les logements sociaux et les autres ou entre le locatif et l’accès à la propriété. Il s’agit de faire cohabiter tout le monde dans un même type de bâtiment. Tous les citoyens sont égaux et n’ont pas à être catégorisés. Avant de travailler, je me rendais régulièrement à Paris pour me distraire et me cultiver. Puisque je suis désormais en retraite, je souhaite à nouveau multiplier mes visites de Paris. Or le titre de transport coûte 7,15 euros, ce qui me semble prohibitif. Je voulais signaler que le Conseil général des Hauts-de-Seine initie des parcours buissonniers. Les associations sont invitées à réfléchir à ce dispositif. Le Conseil général du Val-de-Marne se plaint d’un transfert des activités vers la Défense. Plutôt que de faire de Nanterre le prolongement ou une annexe de la Défense, nous pourrions jouer la solidarité en construisant ailleurs et en rapprochant ainsi zones d’habitation et lieux de travail. Joseph ROSSIGNOL Le surcoût de la HQE dans la construction de l’école est de 20 %, avec un coût envisagé de 8 millions d’euros et un retour sur investissement sur 50 ans. Faire habiter tous les citoyens dans un même bâtiment est une idée louable mais elle supposerait que les bailleurs soient également constructeurs et promoteurs. Or le monde du bâtiment n’est pas organisé de la sorte. Jean-Claude CUISINIER - Conseiller Délégué d’Aubagne Je suis conseiller communautaire d’une Communauté d’agglomération à proximité de Marseille dont Aubagne est la ville centre. La question de l’aménagement du territoire revient à traduire dans les faits une conception politique de l’aménagement de l’espace. Il s’agit, à mon sens, de mettre l’homme au centre des enjeux avec une implication forte de nos institutions. Aménager un territoire, c’est construire un espace où l’homme trouve sa place et s’épanouit. A ce titre, l’aménagement du territoire est une question d’équilibre entre l’emploi, le logement, l’éducation, les espaces verts… Pour qu’elles trouvent du sens et s’inscrivent dans la durée, ces questions doivent être confiées à la population, quelle que soit l’échelle de décision : commune, intercommunalité… Il nous faut inventer des outils pour faire en sorte que la population imagine et construise cet espace. Si notre communauté d’agglomération fait référence dans le Département des Bouches-du-Rhône, c’est qu’elle a su fait en sorte que les particularités des communes du territoire créent une identité commune. Ainsi, la construction du territoire offre un prolongement des aspirations des citoyens dans leur vie communale. Alors que les frontières administratives n’ont plus beaucoup de sens, il s’agit aussi d’offrir à l’individu des solutions en termes de transport, d’éducation, etc. Le souci de développement durable de notre communauté d’agglomération se traduit dans la politique de traitement des déchets. Alors que les collines de notre territoire partent régulièrement en feu, entraînant un appauvrissement du sol, nous avons retenu l’idée de transformer les déchets en compost pour revitaliser les sols. Ce type de démarche a été engagée en collaboration avec la population. A l’inverse, la Communauté urbaine de Marseille a choisi de brûler ses déchets à Fos-sur-mer.

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L’extension de notre communauté d’agglomération se heurte malheureusement au veto du préfet et aux pressions des élus locaux de la majorité. Frédéric DUFAUX La notion de développement durable suggère que nous cherchions à léguer à nos enfants un monde dans lequel ils pourront vivre avec les possibilités dont nous disposons aujourd’hui. Or il est clair que, dans vingt ans, les réserves de pétrole, de gaz, d’eau potable seront bien moindres. Pour que nos enfants vivent aussi bien que nous, il nous est indispensable d’associer la population. Le développement durable ne consiste pas à équiper un nouveau quartier de maisons mieux isolées, disposant de panneaux solaires, etc. Certes, ces démarches sont pertinentes. Toutefois, lorsqu’elles sont menées avec la population, cette dernière prend conscience des enjeux du développement durable et apprend à se comporter différemment. De ce point de vue, nous pourrions nous inspirer de la démarche engagée à Fribourg. Jacques PERREUX Il importe en effet de garder à l’esprit le sens du développement durable. Les politiques sont poussés à dépolitiser le débat sur ce thème pour le rendre technique voire technocratique. En effet, le contexte international comme national et local est dominé par des logiques économiques, destructrices, mettant en concurrence les hommes et les territoires. La réponse ne peut être technique. L’intercommunalité peut nous rendre plus efficaces, permet des économies d’échelle mais conduit aussi à une plus grande concurrence entre les territoires. Nous devons faire en sorte de nous élever au niveau de l’intérêt général. Pourtant, ce sujet doit nous encourager à développer un état d’esprit particulier en termes de solidarité et de démocratie. Nous devons en effet avoir conscience de la nécessité d’être solidaires sur une planète unique et qui n’est pas éternelle. Cette solidarité ne pouvant être contrainte, il nous faut renforcer la démocratie et la citoyenneté. Les politiques doivent donner le goût de devenir raisonnable, d’entretenir un autre rapport au temps et aux autres. Enfin, le sujet n’est pas aussi consensuel que certains le prétendent. On pense communément que les services publics doivent être renforcés. Mais le Val-de-Marne est l’un des seuls départements français à avoir fait le choix d’un service public de l’assainissement. Ce choix est payant car il nous permet de sortir de la stricte logique financière.

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Atelier 5 : La santé, un droit à conquérir depuis la périphérie C’est au cœur des métropoles modernes que se concentrent l’offre de soins, l’innovation et la recherche médicale. Pourtant, les populations des villes-centres ou des périphéries n’ont pas un accès égal à la santé. Inégale répartition sociale du personnel médical et des établissements hospitaliers, affaiblissement des réseaux publics de soins… Le droit à l’accès aux soins et à la prévention, pour les populations résidant en périphérie des grandes villes représente un enjeu majeur pour penser et développer une politique de santé publique. Participent à l’atelier : Stéphane RICAN, Université Paris X Nanterre. Sandra Beatriz SILVEIRA, maire de Esteio – métropole de Porto Alegre Brésil ; William PAEZ, maire de Guarenas, métropole de Caracas Venezuela ; Laurent EL GHOZI, adjoint au maire de Nanterre ; Modérateur : Giovanni ALLEGRETTI, réseau du nouveau municipalisme – Italie Giovanni ALLEGRETTI Cette séance aura pour thème « La santé, un droit à conquérir depuis la périphérie ». Je fais partie de l’Université de Florence, ainsi que du Réseau du nouveau municipalisme, qui regroupe des administrations locales, provinciales, régionales et progressistes, ainsi que des universités, des ONG et autres mouvements pour l’instauration de laboratoires de participation aux politiques publiques, selon une orientation plus démocratique et durable, en matière sociale et environnementale. Stéphane RICAN- Universitaire Je suis enseignant en géographie de la santé à l’Université Paris X Nanterre. J’interviens dans le cadre d’une collaboration assez ancienne avec la Ville de Nanterre pour l’analyse des disparités de santé au sein de cette commune. Introduction Je vais tâcher de poser le cadre général de la question des inégalités de santé, qu’elles soient spatiales ou sociales, en zone urbaine et périphérique, sur la base d’un travail mené au sein du laboratoire Espace Santé Territoire de l’Université Paris X Nanterre. Ce travail fournit un Atlas de la santé en France. Un premier volume consacré aux disparités de mortalité en 2000 est déjà paru. Un deuxième volume devrait sortir en avril prochain et portera sur les disparités d’état de santé de la population. Ces disparités sont également analysées au regard de l’offre de soins et des recours aux soins. L’état de santé de la population française est globalement bon puisque la France enregistre la meilleure espérance de vie au monde. Cet indicateur a permis à l’OMS à classer la France au premier rang des nations pour la qualité de son système de santé. I. Les disparités en matière d’espérance de vie et de mortalité L’étude de l’espérance de vie de la population entre petites communes, moyennes communes et grandes villes ne fait pas apparaître de disparité, pour les hommes comme pour les femmes. Toutefois, ces moyennes générales doivent être considérées avec précaution. En effet, on observe d’énormes disparités régionales. Ainsi, quelle que soit la taille de la ville, l’espérance de vie est plus faible dans le Nord de la France et, inversement, plus longue dans le Sud de la France. En d’autres termes, des petites villes affichent une faible espérance de vie tandis que d’autres en affichent de longue ; des grandes villes affichent une faible espérance de vie tandis que d’autres en affichent de longue. L’étude des ratios standardisés de mortalité à l’échelle cantonale permet de situer la mortalité moyenne de chaque canton par rapport à la mortalité moyenne française, indépendamment de la structure par âge

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de la population. Cette étude souligne l’importance des continuités spatiales dans les zones de sous-mortalité et de surmortalité. On relève également une opposition quasi-systématique entre le centre des départements et leur périphérie, avec une plus faible mortalité au centre des départements et une plus forte mortalité en périphérie. Cette opposition renvoie à la construction même des départements, au moment de la Révolution française, avec la volonté de pouvoir recourir à la Préfecture, en moins d’une journée de transport. Ainsi, le centre des départements est occupé par des villes, les périphéries abritant les zones rurales. Cette situation renvoie à l’opposition entre villes, mieux dotées en services sanitaires et dont la population est socialement favorisée, et les zones rurales. Toutefois, cette opposition n’est pas systématique. Elle n’apparaît pas dans le Nord de la France. L’urbanisation diffuse autour de la métropole lilloise, notamment, ne permet pas de repérer de différences entre centre et périphérie. Les oppositions régionales renvoient à la persistance de différences dans les manières de boire, de se soigner, etc, qui restent largement à analyser. L’étude des différences de mortalité (du ratio standardisé de mortalité) peut être poussée au sein même d’une agglomération. L’aire urbaine parisienne présente des oppositions aussi fortes que celles existant entre le Nord et le Sud de la France. L’agencement de ces écarts n’est pas aléatoire. On observe notamment une différence entre le centre parisien, en situation de sous-mortalité, et la très grande périphérie, en situation de surmortalité. Cette opposition entre centre et périphérie n’est pas systématique, avec une opposition entre le Nord-Est et le Sud-Ouest de l’agglomération, qui renvoie à des caractéristiques sociales différentes. En outre, la vallée de la Seine, marquée par une forte industrialisation, est caractérisée par une surmortalité. II. L’organisation du système de soins devant ces inégalités La densité médicale est un indicateur permettant de mesurer le nombre de médecins pour 100 000 habitants. La répartition des médecins en région parisienne présente la même opposition que précédemment entre le Nord-est et le Sud-ouest de l’agglomération ainsi qu’entre le centre parisien et la périphérie. En l’occurrence, les médecins sont plus nombreux dans le centre de Paris et au Sud-Ouest de l’agglomération. Par conséquent, le système de soins tend à renforcer les inégalités, lesquelles renvoient à des processus de ségrégations sociales et spatiales. Les inégalités sociales se traduisent dans l’espace par des ségrégations entre villes ou quartiers. Réciproquement, les ségrégations spatiales vont aggraver les inégalités sociales existantes. En d’autres termes, inégalités sociales et spatiales se conjuguent pour renforcer les processus inégalitaires. III. Conclusion Les perspectives de recherche pourraient s’appuyer sur l’analyse des combinaisons de facteurs qui font qu’il n’existe pas une mais plusieurs périphéries urbaines. L’analyse de ces inégalités intra-urbaines de santé va permettre de mieux comprendre les processus de ségrégation spatiale et sociale ainsi que les liens entre ces deux types de ségrégation. La mise en place d’observatoires locaux de la santé permettra d’analyser ces disparités intra-urbaines, au sein d’une agglomération et même au sein de quartiers.

Giovanni ALLEGRETTI

Merci Stéphane, je crois que tu as lancé des thèmes très importants :

• Le rapport avec la mémoire historique.

• Les politiques de santé qui perpétuent les inégalités.

• Le concept intégral de santé, concernant la prévention, les soins médicaux et la possibilité de réinsertion dans la société, ce qui implique aussi l’introduction d’autres politiques, afin de remplacer le moins des différences par un plus.

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Sandra SILVEIRA- Maire de Esteio La ville d’Esteio, dans la région métropolitaine de Porto Alegre, a une surface de 32 km² ; elle compte 86 000 habitants, dispose de dix unités basiques de santé, les dispensaires ; un hôpital général ; un hôpital public, financé avec des recours de la mairie, disposant de 138 lits, dont 30% de sa demande proviennent des autres municipalités environnantes. On a pu remarquer, pendant ces deux jours, que la réalité des villes périphériques de l’Europe, leurs besoins ou demandes ne sont pas les mêmes que les nôtres. L’Amérique Latine a des demandes beaucoup plus consistantes et de bien plus grandes difficultés à surmonter. Les villes européennes essaient, en fait, de maintenir la sensibilité de leurs citoyens aux politiques publiques de logement, d’éducation, de santé, alors que nous, plus spécifiquement le Brésil et beaucoup d’autres régions, cherchons encore à conquérir tout cela. C’est un combat assez difficile, dans un pays encore très précaire dans certaines régions. Dans le domaine de la santé, nous avons une organisation assez différenciée, comparable à celle de la France. Il existe le Système Unique de Santé, qui répartit ses attributions dans le domaine de la santé entre la fédération, les Etats et les municipalités. Le Système Unique de Santé, à partir de la Constitution brésilienne de 1988, a pris en charge l’orientation de toutes les actions de santé, et a pour but, réglementé par une loi spécifique, de réduire les inégalités dans l’assistance médicale à la population, rendant obligatoire l’accueil public et gratuit de tout citoyen. En pratique, on observe aujourd'hui que les grandes villes, les grandes capitales, relèguent aux villes de périphérie une demande qu’elles n’arrivent pas à absorber, dans le domaine de la santé comme dans d’autres domaines. En conséquence, des villes et municipalités de plus en plus nombreuses sont obligées d’appliquer plus que ce que la loi détermine constitutionnellement pour les services de santé. En outre, dans un pays où l’assainissement et le traitement d’eau est encore quelque chose de très difficile et nos municipalités n’obtiennent même pas des financements pour l’assainissement, parler de santé devient un défi chaque jour plus grand. L’hôpital municipal, et les dix dispensaires maintenus par la mairie municipale représentent un investissement de plus de 24% du budget public. 93% des services de l’hôpital sont gratuits, ce qui signifie que seulement 7% des services hospitaliers sont réservés aux assurances de santé privées. Les hospitalisations sont de l’ordre de 678 chaque mois, pour presque 500 séances d’hémodialyse et 108 accouchements dans la même période. Les villes de la périphérie de l’agglomération de Porto Alegre, à travers une initiative de travail en réseau, essaient d’inverser cette logique de la centralisation, des soins spécialisés dans le domaine de la santé, par la création de Réseaux d’Accueil. L’une de nos dernières initiatives, en partant de la ville de Esteio, a été la création d’un consortium de santé avec cinq hôpitaux publics de la région. Nous avons donc eu cette initiative de nous regrouper dans un consortium, sous l’égide d’un instrument juridique qui nous assure la possibilité de mieux investir dans nos hôpitaux publics, mieux accueillir la population et résoudre la situation d’offre d’examens et de soins spécialisés à notre population, encore très précaire actuellement. Giovanni ALLEGRETTI

Parmi les thèmes dont tu as parlé, je retiens surtout :

• Celui de la subsidiarité asymétrique (les responsabilités ne correspondent pas au niveau de ressources et les municipalités manquent de pouvoir de décision)

• La santé n’est pas uniquement l’affaire des hôpitaux mais relève des questions d’assainissement et d’éducation sur l’environnement, c’est pourquoi c’est au niveau local qu’il faudrait définir les priorités.

• De nombreuses zones périphériques deviennent le centre d’autres zones périphériques. Un regroupement est donc nécessaire pour trouver des solutions au problème de la subsidiarité asymétrique.

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• J’ajouterai le problème de la privatisation des pharmacies (en Italie, par exemple), qui fonctionnent comme des commerces au lieu de jouer un rôle de formation en matière de santé.

William PAEZ – Maire de Guarenas Il est satisfaisant de pouvoir échanger des expériences et des idées, au-delà de mon territoire géographique, sur un thème commun, celui de la santé, derrière lequel s’en cache un autre, également courant : celui de l’égoïsme et du capitalisme. Lorsque nous avons pris la responsabilité de gérer la ville de Guarenas, la santé se trouvait en soins intensifs. Encore aujourd’hui, elle reste sous surveillance médicale. La municipalité d’Ambrosio Plaza, qui coïncide avec l’agglomération de Guarenas, dans l’État de Miranda, se situe à 21 km au nord-est de Caracas, au Venezuela. Du point de vue politique, c’est dans notre ville qu’a débuté, en 1989, le processus de transformation révolutionnaire que connaît aujourd’hui le pays. Nous, les Guareneros, de même que les autres Vénézuéliens, avons vécu pendant quarante ans un processus d’appauvrissement d’une majeure partie de la population, face à l’enrichissement grossier des élites apparues avec l’instauration de la démocratie en 1958, après le renversement de la dictature du général Marcos Pérez Jiménez. En 89, en réaction à une augmentation des tarifs de l’essence, appliquée de façon brutale et sans consultation dans le cadre d’un programme de rétablissement économique imposé par le Fonds monétaire international (FMI), qui exigeait un surcroît de sacrifices de la part du peuple, les citoyens sont descendus dans la rue pour protester contre le pouvoir démocratique de l’époque. À la longue, ces manifestations conduisirent à la sortie pacifique mais anticipée du président Carlos Andrés Pérez. Elles entraînèrent aussi une prise de conscience, par de nombreux Vénézuéliens, de la nécessité de participer pour parvenir à des changements. Les Guareneros et les Vénézuéliens, de façon générale, ont aujourd’hui assimilé cette idée, et s’investissent davantage dans le traitement de leurs problèmes. La santé en fait partie.

Guarenas compte un peu plus de 250 000 habitants. En vertu de la constitution, le principal réseau de santé relève de la municipalité. En l’an 2000 – où nous avons gagné pour la première fois les élections municipales – il prenait en charge à peine 12 % de la population, à des horaires peu pratiques, pour une qualité de soin précaire et insuffisante, et dans un état d’esprit mercantile de la part des médecins.

Nous avons par conséquent commencé par appliquer les dispositions constitutionnelles. Pour nous, la santé soit s’inscrire dans le concept de démocratie à participation active des citoyens, synonyme d’inclusion sociale. Nous avons mis en place une organisation complète, dans dix domaines stratégiques, avec des compétences coordonnées et planifiées en collaboration avec les administrations nationale, régionale et locale. Nous y avons ajouté un élément de structure sociale : les Comités de santé. Il s’agit de structures citoyennes communautaires, organisées par les habitants de chaque quartier ou cité. Celles-ci nous aident à décentraliser et à déconcentrer les politiques de santé.

Hier, le président Chávez a réuni un conseil ministériel, au cours duquel il a été débattu de l’incorporation des Conseils communaux parmi les autres organes du pouvoir. Ces structures sociales, plus proches du peuple que les municipalités, recevront des ressources directement de la présidence, en coordination avec le gouverneur et avec le maire. Ces ressources devront être affectées à la résolution des problèmes spécifiques des communautés et recevoir l’approbation de ces dernières. Cet exemple nous permettra de renforcer la participation citoyenne, comme c’est le cas avec les Comités de santé. Au sein de ces comités, il est débattu du budget municipal consacré à la santé et aux services de gestion concernés. Y participent les médecins, la communauté, la municipalité, ainsi que des représentants des administrations régionales et nationales. On y pratique une politique d’inclusion, dans le respect des positions idéologiques et de l’appartenance politique de chaque maire. La santé ne doit pas se soumettre à des objectifs partisans, mais elle doit se politiser, selon une seule orientation stratégique.

Comment réaliser l’inclusion sociale dans le domaine de la santé ? Par la participation active des citoyens, mais aussi par l’éducation. Le thème de la santé n’est pas seulement économique. C’est aussi une question de conscience, de connaissance.

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Cet objectif d’inclusion sociale se manifeste dans les débats qui réunissent une fois par an le président, les gouverneurs et les maires du pays, sur des thèmes très concrets. Ces débats reposent sur un principe que gouvernements et institutions oublient parfois, bien qu’il soit fondamental : l’inclusion sociale se réalise avec des êtres humains.

Il a aussi été créé un organe juridique, dans le cadre constitutionnel : les Assemblées citoyennes, de plus ample portée que les Conseils municipaux ouverts, car elles instaurent un lien et favorisent une co-responsabilité entre la population et le gouvernement. Ces mesures nous ont permis de lutter fortement contre l’égoïsme, l’indifférence, l’individualisme, et d’avancer plus profondément dans ce qui se vit en Amérique du Sud, en édifiant un nouveau paradigme d’inclusion sociale. C’est une nouveauté mais elle s’élaborait depuis longtemps (théologie de la libération) dans les domaines politique, économique, social, et de façon fondamentale, par la participation de la population aux décisions ainsi qu’à la gestion et au contrôle des effets de ces décisions.

Face à ce besoin d’innover et de trouver un mécanisme nous permettant de « retrouver la santé » de façon progressive, de manière à répondre aux attentes du citoyen, le maire de Caracas a conçu une stratégie, dite « Barrio Adentro » (Au cœur du quartier). Celle-ci consiste à placer des médecins vénézuéliens, même si nous n’en avions que très peu, au sein des communautés disposant d’un accès limité aux centres de soins. Cette idée, après avoir germé dans les communes périphériques, est venue à la connaissance du président, qui l’a appuyée et renforcée par un Plan national baptisé « mission Barrio Adentro ». Ce plan a marqué un tournant radical dans l’approche de la question de la santé au Venezuela.

À Guarenas, nous prenons très au sérieux la mission Barrio Adentro, à laquelle nous tenons à apporter le meilleur de nous-mêmes. La mairie de Plaza coordonne les objectifs municipaux avec les objectifs poursuivis aux niveaux national et régional. Elle ajoute un nouvel élément au plan : l’éducation. Elle vise par là à apprendre à la population à juger de sa gestion à l’aide d’indicateurs, ce qu’elle a réalisé concrètement dans le cadre de Conseils communaux intégrés aux différentes structures sociales.

Mettre la mission Barrio Adentro en application impliquait de localiser des centaines de médecins, dans les différentes régions du pays. Le Venezuela ne dispose pas d’assez de praticiens pour sa population entière, et encore moins selon les modalités prévues par la mission. Pour y remédier, le gouvernement a noué une alliance stratégique avec Cuba. Aux termes de cet accord, l’État caribéen nous procurerait, dans le cadre d’un plan de fourniture énergétique, une assistance médicale de haut niveau, dans des domaines déterminés. Des médecins cubains viendraient appuyer la mission Barrio Adentro. Le projet prévoit que le médecin habite dans le secteur concerné, se déplace au domicile du patient et lui assure les soins ou mesures de prévention requis.

Le succès de Barrio Adentro a mené à la conception, conjointement avec la présidence de la République et en collaboration avec le gouvernement cubain, d’un autre projet, la « mission Milagro » (Miracle). Celui-ci concerne des interventions ophtalmologiques, au bénéfice des populations les plus vulnérables, qui, en situation « normale », seraient privées d’accès à ces soins de première nécessité. Ce projet s’est étendu maintenant à d’autres pays latino-américains, comme la Bolivie, l’Équateur et le Nicaragua.

Je tiens aussi à évoquer les Villages universitaires (Aldeas Universitarias), projet consistant en une municipalisation de l’université. Par ce moyen, nous avons réussi à intégrer davantage de jeunes aux structures d’enseignement. Auparavant, en raison du nombre limité de facultés, de nombreux étudiants devaient se déplacer ailleurs que dans leur région d’origine. Pour beaucoup, c’était impossible, par manque de ressources. En apportant l’université dans les communautés locales, nous avons changé la situation de manière spectaculaire. Nous avons désormais davantage d’étudiants dans les classes. Nous constaterons l’impact de cette action dans une dizaine d’années.

Dans ces villages universitaires, nous formons, entre autres professionnels, les médecins vénézuéliens dont ont besoin nos communautés.

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Je souhaite signaler trois thèmes fondamentaux :

• La nécessité de se rapprocher des gens. Quand les problèmes ne parviennent pas à l’institution, celle-ci doit aller les chercher, même si elle craint d’en rencontrer de nouveaux, car les trouver implique de les résoudre.

• Le mercantilisme. En Toscane a été votée une loi imposant des sanctions économiques aux établissements publics de santé qui n’assurent pas aux usagers une consultation auprès d’un spécialiste dans les 15 jours. Elle prévoit aussi des sanctions à l’encontre des citoyens qui ne se présentent pas au rendez-vous, bloquant ainsi du temps qui pourrait être consacré à d’autres.

• Cette réglementation me paraît aussi intéressante car elle reprend le thème du contrat social, de la responsabilité partagée et de la confiance réciproque.

Laurent EL GHOZI –Adjoint au maire de Nanterre Je me réjouis que la Santé fasse, pour la première fois peut-être, l’objet d’un atelier dans ce Forum des Autorités Locales de Périphérie car, bien que cette question nous concerne tous, elle reste peu traitée dans ce de type de manifestation. La problématique de la santé J’observe tout d’abord, à partir des deux expériences sud-américaines présentées auparavant, que, certes la situation en France est très différente mais qu’il existe pourtant des points communs fondamentaux. 1- D’abord, la santé est une priorité pour tous les habitants partout dans le monde. 2- Ensuite, les moyens ici aussi sont insuffisants pour répondre aux besoins et attentes toujours croissants de la population. 3- On observe partout un transfert progressif des responsabilités, des obligations et donc des dépenses, de l’État vers les collectivités locales et en particulier les villes. Cet engagement des villes est encore plus légitime en cas de participation des habitants qu’il me faut systématiquement rechercher. 4- Si nous tenons à l’objectif de « la santé pour tous », nous devons absolument lutter contre la marchandisation de la santé qui ne fait que créer des inégalités. 5- Enfin, la santé présente une dimension multifactorielle, de l’assainissement à l’éducation, aux soins, à la prévention, etc. qu’il convient de prendre en compte. Le système de santé en France En France, le système de santé repose sur, au moins, trois acteurs principaux: L’État : Le budget du gouvernement central consacré à la santé s’élève à environ 6 milliards d’euros. Le gouvernement est responsable de la politique générale des priorités de Santé publique, de la gestion et de la répartition des hôpitaux par le biais des Agences Régionales d’Hospitalisation. La Sécurité sociale Elle perçoit les cotisations sociales et rembourse des soins (y compris dans les hôpitaux) pour un montant de l’ordre de 150 milliards d’euros. Les professionnels libéraux Ils dispensent des soins suivant un certain nombre de principes : libre-installation, paiement à l’acte, convention entre les médecins et la Sécurité sociale. Ce système est donc marqué par un éparpillement des responsabilités et l’absence de pilotage. Cela produit, entre autres désavantages, une inadéquation entre les besoins et l’offre de soins : Les besoins en santé sont en effet particulièrement élevés « en périphérie », du fait du niveau de vie plus faible des populations qui y sont souvent reléguées. Ainsi, le Centre d’Accueil et de Soins Hospitaliers (CASH) de Nanterre été créé il y a 130 ans par un Préfet de Police de Paris qui a décidé d’exporter en banlieue, le plus loin possible, une partie des « difficultés » de la ville-centre : clochards anciens prisonniers, délinquants, pauvres, SDF, etc.

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Au contraire, l’offre de soins, qu’il s’agisse des hôpitaux ou des médecins libéraux, est concentrée dans les centres ville. Cette situation est génératrice d’inégalités majeures et croissantes, à tous les niveaux territoriaux. L’Ile-de-France elle-même est confrontée à des difficultés : accès aux hôpitaux plus nombreux en son centre, accès à la médecine de ville en Secteur I, donc convenablement remboursée, accès aux équipements lourds, accès à la prévention. Par exemple, le temps d’accès à un service d’urgence ou à un service de maternité, notamment, présente de fortes disparités selon que l’on habite à Paris ou en banlieue. L’idée des Programmes régionaux d’accès à la prévention et aux soins (PRAPS), lancés par le précédent gouvernement, était d’adapter l’action en santé, en fonction des conditions de vie des habitants, et en lien avec les politiques municipales. Ainsi, les autorités locales de périphérie ont eu leur mot à dire dans le champ de l’accès à la prévention et aux soins. Nanterre, en vingt-cinq ans, a perdu 20 médecins généralistes. Les médecins restants sont concentrés dans les quartiers les plus aisés de la ville. Un certain nombre de spécialités ne sont plus présentes en Secteur I et ne sont donc pas accessibles à la population la plus modeste. Cette situation conduit à un certain nombre de problèmes de Santé : par exemple bucco-dentaires chez les enfants, obésité et alimentation, grossesses précoces, prématurité, addictions... Ces problèmes sont corrélés aux conditions socioéconomiques de la population (bas revenus, chômage, manque d’éducation et de formation, logement…). Ces inégalités de l’état de santé à l’intérieur même de nos villes renvoient aux inégalités territoriales : socioéconomiques des habitants, inégalités de l’offre, inégalité des ressources… On constate donc que l’inégalité de répartition de l’offre vaut aussi bien au niveau mondial, au niveau des régions qu’à l’intérieur même de nos villes et qu’elle a des conséquences lourdes en termes de Santé. La position des villes françaises Les municipalités en France n’ont, légalement, aucune compétence en santé. Néanmoins, les élus municipaux sont responsables du bien-être de leur population. De surcroît, ils sont en permanence sollicités par les habitants, et informés de la réalité de leurs besoins et difficultés. Enfin, les élus sont en capacité d’agir à la fois directement, grâce aux services municipaux (enfance, petite enfance, logement, enseignement, social, etc.) dans la mesure où ces services contribuent à améliorer l’état de santé de la population, et indirectement en mobilisant les autres acteurs (service public hospitalier, Conseil général, associations, habitants, Sécurité sociale, Éducation nationale.…). Par conséquent, les villes françaises ont une légitimité certaine à intervenir en Santé. Pour nous, l’accès de tous à la totalité des services sur l’ensemble du territoire est une priorité des villes qui doit être gérée en lien avec l’ensemble des autres politiques. Ainsi la politique du logement doit croiser celle de la santé, qui doit renforcer celle des personnes âgées… Le combat pour l’égalité passe aussi par : - le développement des services publics, contre la logique libérale ; - la défense des valeurs de solidarité ; - la répartition équitable des ressources sur l’ensemble de la population, - par des actions de proximité, impliquant les habitants. Mais pour les villes françaises, contrairement à certaines villes d’Amérique latine, cette démarche relève d’un choix politique et non d’une obligation légale. C’est parce que l’État n’assure plus, ou de moins en moins, l’exigence de « la santé pour tous » fondée sur la solidarité que de plus en plus de villes, de périphérie notamment, doivent toujours s’engager plus afin de diminuer les inégalités dans le domaine de la santé, en partant des besoins des habitants, des ressources locales et en mobilisant tous les acteurs, dont bien entendu la population. Le dispositif mis en place à Nanterre Nanterre, qui présente l’indice de jeunesse le plus élevé du département et un taux de chômage élevé, est particulièrement concernée par l’accès de tous à la Santé et y consacre environ 5 % du budget

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municipal. Nos actions concernent la prévention et le développement de l’offre de soins. Notre démarche s’inscrit en grande partie dans la « politique de la ville », politique contractuelle entre la ville et l’État en vue de réduire les inégalités sociales et territoriales, en particulier dans le domaine de la Santé. Celui-ci est donc, depuis longtemps déjà pour la Ville de Nanterre, un domaine d’action volontaire, voire volontariste. La Ville compte trois centres de santé municipaux, pour 120 000 consultations par an, 120 salariés. Plus d’un Nanterrien sur trois en bénéficie chaque année. La Ville dispose également d’un centre médico-sportif et d’un espace dédié à la santé des jeunes dans toutes ses composantes. Dans le champ de la prévention et de la santé publique, notre politique part d’un diagnostic partagé avec les habitants et les professionnels, pour mesurer la réalité des besoins et des ressources, sur la base d’indicateurs sanitaires et sociaux,. Ce travail permet la fixation de priorités et le lancement d’actions. Ces diagnostics santé sont établis à l’échelon d’un quartier, sachant que Nanterre compte 9 quartiers d’environ 10 000 habitants chacun. Les actions menées s’inscrivent pour la plupart dans un contrat entre la Ville et l’État qui le co-finance. De la sorte, ce dernier, conscient de son incapacité à mettre en œuvre, au plus près des habitants, des actions de prévention et d’accès à la santé, s’appuie sur les villes. Il faut y voir, à mon sens, l’ébauche d’une nouvelle gouvernance de la santé publique, dans laquelle les collectivités locales seront de plus en plus impliquées. Les actions retenues doivent être validées à la fois par les habitants et par les professionnels. Elles s’appuient, si possible, sur des indicateurs fiables et reproductibles, afin de juger de leur efficacité et sont mises en œuvre selon des modalités variables et adaptées d’un quartier à l’autre. Elles concernent la santé bucco-dentaire, la santé mentale, la prévention du diabète, les troubles alimentaires, les addictions… Toutefois, dépister, informer, former, éduquer ne suffit pas. Une fois le dépistage effectué, il convient de recenser les obstacles à l’accès effectif aux soins, qu’il s’agisse de l’offre, de sa répartition, du conventionnement et de tenter d’y remédier. Par exemple, notre service social scolaire est mobilisé pour accompagner enfants et familles si nécessaire. Enfin, l’Observatoire local de la santé, en cours de mise en place jouera un rôle essentiel en matière de recueil des données, d’évaluation des actions, de pilotage de ces dernières et de communication tant en direction des professionnels, des services municipaux ou de l’État que de la population. Il s’agit de montrer à chacun que les actions menées ont un sens politique et une utilité réelle pour les habitants. Conclusion La tension inégalitaire dans le champ de la santé, entre centre et périphérie, existe partout, à tous les niveaux. Elle oblige à redéfinir la répartition des pouvoirs et à inscrire les actions dans la réalité locale, avec les acteurs locaux. Cela suppose un élargissement du champ d’intervention des autorités locales et l’allocation de moyens supplémentaires. Une association nationale des villes pour le développement de la santé publique, « Élus, Santé Publique & Territoires », a été créée pour promouvoir ce type de politique. Il importe d’être de plus en plus nombreux pour peser sur les pouvoirs publics centraux afin que l’organisation même du système évolue. Cette démarche doit s’appuyer sur l’éclairage des universitaires et chercheurs ainsi que sur la participation de la population. Giovanni ALLEGRETTI

• La dernière intervention pourrait tenir lieu de conclusion, avec la présentation de lignes de développement permettant d’agir de manière concrète.

• Certains thèmes ont été repris, comme celui de la santé mentale, ou la possibilité d’atteindre le citoyen par l’intermédiaire de fêtes.

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• Un autre aspect intéressant réside dans le fait que la première et la dernière interventions évoquent l’utilisation de systèmes d’information géographiques. Cela montre très clairement que pour définir des politiques intégrées, il faut visualiser les problèmes sur le territoire. Ce point doit être approfondi lors de nos débats de concertation, afin d’aboutir à un système permettant d’identifier réellement les problèmes à l’aide de tableaux de données spatiales.

• En Italie, certaines municipalités établissent un bilan social. C’est un moyen de rendre compte des mesures prises par leur administration, sous une forme descriptive, quantitative, et, dans certaines villes, sectorisées. Il est ainsi possible de connaître les différents secteurs d’intervention. Cela permet de travailler de façon globale sur un système de santé qui est souvent un reflet de la précarité.

• En Italie, nous avons un système de santé universaliste, centré sur les prestations médicales.

Depuis le premier gouvernement de centre-gauche, il a été établi un programme axé sur le droit au contrôle de sa santé par l’individu, dans une perspective de développement complet de la personne.

Avec l’arrivée de la droite, l’intention est de passer d’un système de santé universaliste à des systèmes de mutualisme substitutifs privés. Selon cette réforme, la santé est totalement transférée aux régions. Celles qui produisent le plus sont celles qui ont les revenus les plus élevés. Cela met donc fin à la solidarité avec les régions pauvres, et établit un système de disparité entre le Nord et le Sud du pays, avec un nouveau centre et une nouvelle périphérie. Il incombera aux régions de décider de leur niveau de prestations publiques. Cela supposera un désavantage évident dans les secteurs les plus faibles et cela renforcera certains processus nés d’un cadre de plus en plus néo-libéral (privatisation de la santé et arrivée de multinationales). Nous devons affronter ce problème car, de l’extérieur, il a pour effet d’annuler certaines possibilités d’action dont nous disposions au niveau des communes, et il perpétue la précarité des personnels de santé par le biais de la sous-traitance.

DEBAT AVEC LA SALLE

Une participante de la salle Je suis anthropologue et urbaniste. J’ai beaucoup travaillé en Amérique latine. Mon intervention s’adresse au maire de Guarenas car je trouve très intéressante l’expérience Barrio Adentro réalisée dans son pays.

• La coopération avec Cuba a longuement été évoquée. Je pense que vous avez accompli beaucoup d’autres réalisations dans d’autres domaines, en coopération avec d’autres pays d’Amérique latine.

• À la suite de Katrina, nous avons constaté que les Vénézuéliens eux-mêmes vendaient l’essence moins cher dans les quartiers déshérités d’Amérique du Nord, considérant que les pauvres d’Amérique du Nord ne devaient pas avoir à choisir entre la santé, la scolarisation et le chauffage. Cela a entraîné un mouvement de coopération entre l’Amérique du Nord et le Venezuela, avec l’exportation du modèle « Barrio Adentro » en Amérique du Nord.

• L’unité des Amériques, rêvée par Bolivar, est peut-être possible ! En tout cas, je trouve très intéressante la façon dont vous en faites la conquête, à partir de la santé.

William PAEZ Comme on peut en conclure, la mission Barrio Adentro englobe actuellement des facteurs qui dépassent le champ de la santé. Parmi ceux-ci figurent l’éducation, condition nécessaire pour garantir que les citoyens s’impliquent dans la gestion de leur propre santé.

L’an dernier, l’UNESCO a déclaré l’analphabétisme éradiqué du Venezuela.

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Les missions Barrio Adentro et Milagro, ainsi que les autres missions éducatives comme « Robinson » et « Sucre », visent à un Venezuela beaucoup plus humain, plus social. Un Venezuela non pas envisagé dans la perspective d’un socialisme du passé, mais plutôt d’un nouveau paradigme de socialisme. Comment pouvons-nous aider, par nos forces, les autres pays à réduire leurs faiblesses, et réciproquement ? C’est la finalité de la mission Robinson, par exemple, qui s’étend maintenant aux autres pays d’Amérique latine, de même que la mission Milagro. Robinson était le surnom que Simón Bolívar donnait à son maître Simón Rodríguez, qui assura son éducation et fit de lui un libérateur de l’Amérique du Sud. Ensemble, ces missions constituent une politique de solidarité conforme à l’idéal de Bolívar.

Pour terminer, je souhaite souligner un point essentiel, la question des États-Unis, dont nous différons politiquement en ce qui concerne la fonction du gouvernement et ses priorités. Cependant, nous établissons actuellement avec des communautés états-uniennes défavorisées par leur modèle économique et particulièrement touchées par les catastrophes naturelles, des accords visant à leur procurer à bas prix, via notre compagnie pétrolière CITGO (située aux États-Unis), du combustible pour le chauffage. Les gouvernements peuvent définir et signer tous les accords qu’ils veulent, ces derniers ne se concrétisent qu’au niveau des administrations locales. C’est pourquoi il est nécessaire de renforcer ce type d’accords. De la salle Vous avez fait état d’une démarche participative avec les habitants. Pourriez-vous détailler cette démarche ? Par ailleurs, de quelle façon évaluez-vous les indicateurs ? Laurent EL GHOZI La participation des habitants est d’abord recherchée dans la phase de diagnostic. Ainsi, dans un de nos quartiers, nous avons formé aux techniques d’enquête une quarantaine d’habitants qui sont ensuite allés questionner leurs voisins (250 personnes) sur leurs difficultés en matière d’accès aux soins, sur les mesures à prendre, etc. Le résultat de ce diagnostic fait lui-même l’objet d’un débat avec la population afin de définir ensemble les actions prioritaires. Ensuite, pour les examens de santé bucco-dentaire dans les écoles, nous tâchons de recruter des «agents relais communautaires » c’est-à-dire toute personne intéressée par les questions de santé, que nous formons pour accompagner les chirurgiens-dentistes dans leur travail. Enfin, les habitants des quartiers participent aux Commissions santé prévention. Par ailleurs, l’intérêt de l’Observatoire local de la santé est de disposer de données fiables, objectives, d’évaluer la pertinence des actions mises en place et de les faire évoluer le cas échéant. Cette méthode est particulièrement efficace pour le programme bucco-dentaire car on dispose d’un indicateur simple, fiable, reproductible. Giovanni ALLEGRETTI

Ce thème me semble très intéressant. L’évoquer revient à reprendre celui de la participation, que chacun peut aborder de manière différente. Dans le réseau d’administrations locales italiennes dont je fais partie, nous essayons de passer d’un système de concertation à un système de participation, grâce à des expériences menées au niveau local dans différentes villes. De la salle, Conseiller municipal d’Epinay-sur-Seine La maternité de la ville a été supprimée s’appuyant sur une directive européenne indiquant qu’une maternité n’était viable qu’à partir de 800 naissances par an, seuil qui n’était pas atteint. La fermeture d’un dispensaire de la Croix Rouge est aujourd’hui envisagée en dépit de l’opposition unanime de la municipalité, de la population et du personnel de l’établissement. Cette mobilisation me paraît essentielle.

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Laurent EL GHOZI La fermeture des maternités n’est pas dictée par une directive européenne mais par l’Agence régionale d’hospitalisation. La référence à la directive européenne n’est qu’un prétexte. Toutefois, pour garantir la qualité des soins et la sécurité des patientes, ces établissements doivent en effet atteindre une taille critique. S’agissant de la fermeture du dispensaire, je ne cautionne pas la politique de la Croix Rouge. Pour qu’un centre de santé perdure, il importe de montrer sa pertinence et d’apporter des éléments tangibles : cartographie de l’offre de soins, besoins de santé… Toutefois, les besoins s’expriment aujourd’hui davantage en termes de prévention et d’éducation à la santé. Les centres de santé doivent pouvoir engager des actions sur ces thèmes. Giovanni ALLEGRETTI

Il me paraît important de débattre sur la santé, en même temps que sur l’assistance sociale et d’autres sujets. En effet, la majorité des citoyens qui n’a pas besoin d’assistance sociale la considère comme quelque chose de réservé aux exclus, une question qui doit se traiter via des structures spéciales. C’est pourquoi, regrouper des questions comme celles de la santé et de l’assistance sociale, compte tenu que la santé constitue un sujet de première importance dans l’opinion générale, peut s’avérer utile pour débattre de thèmes relatifs à ces deux questions.

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Atelier 6 : Démocratie participative, citoyenneté de résidence… Renouveler la politique par les marges La démocratie n’a-t-elle pas besoin de se renouveler ? Comment d’autres formes d’engagement citoyen peuvent-elles s’affirmer ? Comment inventer d’autres espaces d’expression et développer des expériences de participation innovantes, pour mieux décider et vivre ensemble ? Ces démarches peuvent-elles renouveler les pratiques politiques ? Participent à l’atelier : Alain BERTHO, Institut d’Etudes Européennes ; Nacira GUENIF-SOUILAMAS, Paris XIII – EHESS ; Juan Antonio HEREDIA HEREDIA, Maire adjoint de Gava – métropole de Barcelone Espagne ; Bernard BIRSINGER, Maire de Bobigny – métropole de Paris ; Guy ROUVEYRE, Adjoint au maire d’Echirolles – métropole de Grenoble France ; Marie Hélène BACQUE, Université d’Evry / CHR – UMR – LOUEST ; Armand AJZENBERG, Rédacteur en chef de la revue électronique « La Somme et le reste » ; Modérateur : Patrick COULON, réseau « transform »

Alain BERTHO- Anthropologue

L’intitulé « renouveler la politique par les marges » doit nous interroger. Il semble évident de devoir « renouveler la politique » tant celle-ci va mal. Pour autant, où est le mal ? Il y a un danger à limiter le terme « politique » à la construction, à l’énoncé de programmes ou de projets et à la façon de gouverner. Circonscrire la question politique à la question du gouvernement, de la représentation et de sa crise, conduit à s’enfermer dans ce qui, justement, fait crise dans la définition de la politique. Il me semble donc nécessaire de revenir à une conception beaucoup plus large de la politique en tant qu’action collective sur ce qui est possible et nécessaire et qui ne passe pas forcément par la politique gouvernementale. Qu’entend-on par « marges » ? Dire que quelque chose est à la marge revient à se situer soi-même. S’interroger sur les situations sociales, urbaines, politiques à la marge revient à nous interroger nous-mêmes. Certains évènements, quelques semaines après avoir eu lieu, continuent d’être considérés comme des marges. Je pense aux évènements survenus entre le 27 octobre et la mi-novembre, en France, que nous avons du mal à nommer, à décrire et qui semblent difficiles à intégrer subjectivement par la quasi-totalité des forces politiques du pays. Si nous avons vu beaucoup d’images, nous n’avons pas entendu grand-chose. A ce titre, on ne peut dénier à ces événements leur existence, en tant qu’événements. En revanche, il semble particulièrement difficile de les intégrer comme un élément nouveau d’une situation politique, susceptible de nous apprendre quelque chose. Ces émeutes ont été expliquées, dans différents écrits, par la marginalisation de ces quartiers, de ces populations. En d’autres termes, nous sommes face à un événement politique marginal et nouveau qui s’explique par le caractère marginal des lieux et des populations touchées. Cette tautologie est « rassurante » : l’expression d’une détresse ne serait que l’expression de la marginalisation des populations. Cela dénie à ceux qui ont agi le caractère d’acteur et cela dénie à l’événement son caractère politique. Or cet événement doit nous renseigner sur notre incapacité collective à voir les enjeux révélés par ces émeutes. Dans le cas contraire, nous ne renouvellerons pas grand-chose. Je vous lis le passage d’un article paru en 1831, après la révolte des Canuts de Lyon, et résumant l’état d’esprit de la totalité de la classe politique française : « Les barbares qui menacent la société ne sont point au Caucase ni dans les steppes de la Tartarie, ils sont dans les faubourgs de nos villes manufacturières ». Voilà une « marge » apparue comme terrifiante, barbare, au XIXe siècle et qui, pour une part, a renouvelé la politique pendant un siècle et demi puisque le mouvement ouvrier a été l’un des

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piliers d’une conception de la politique s’intéressant au travail et aux classes sociales, au pouvoir d’Etat, et à une forme d’action politique : le parti. Cette culture politique arrive aujourd’hui à son terme. Les mots employés en 1831 pourraient être repris dans des discours contemporains sur les banlieues ouvrières devenus « populaires ». Les marges qui apparaissent dans ces territoires, et les explosions de révolte, sont la partie visible d’une transformation complète du rôle de la ville et du peuple urbain dans la construction de la société. Après les banlieues industrielles, des banlieues « rouges », nous avons aujourd’hui des métropoles, populaires, productrices de richesses matérielles et immatérielles, cosmopolites et métissées, dans lesquelles les formes d’action sont coopératives, en réseau, et où l’action politique et les formes d’opération économique sont intriquées. Nous entrons dans un autre univers. Les marges nous encouragent à repenser, non pas seulement les programmes et la forme de gouverner, mais la totalité du processus politique. En l’occurrence, nous devons penser à des processus de construction de solidarités, de droits, alors que les formes de domination et d’exploitation instaurent, dans les villes, des frontières et des marginalisations en cascade. La marginalisation urbaine n’est pas seulement la conséquence des inégalités sociales, elle est la forme active de l’exploitation et de la domination urbaine. C’est pourquoi les revendications en termes de droits, notamment de droits de citoyenneté, sont au cœur de la construction du collectif solidaire que doit être la société de demain. Nacira GUENIF-SOUILAMAS -Universitaire Je partirai de l’hypothèse selon laquelle les marges ne sont pas là où on le croit. Dans une France post-industrielle, post-nationale et post-coloniale, la conception centralisée de l’Etat-Nation mais aussi de l’être politique français se délite et cède face à des rapports sociaux qui n’ont plus pour objectif le consensus. En acceptant l’idée que le consensus traduit l’obsolescence d’une certaine conception du politique, nous sommes invités à penser le politique comme l’espace du dissensus, soit un espace dans lequel il peut y avoir une assemblée s’accordant sur un certain nombre d’enjeux mais non sur tous. Dès lors, toute forme de démocratie participative ne peut plus se définir au centre mais se dit largement dans ce qui a été défini comme les marges. Ainsi, le centre est de fait marginalisé politiquement, en raison de l’inefficacité de sa démarche politique. A l’inverse, les discours politiques susceptibles de favoriser les transformations sont tenues dans des lieux qui ont toujours été définis comme des marges. Nous sommes déjà entrés dans l’ère où la politique s’énonce et se fait aux marges, à partir d’une prise de parole et d’une mise en forme définies comme illégitimes. Les formes d’action développées dans ces marges sont qualifiées d’inappropriées ou comme traduisant l’incapacité à comprendre les formes actuelles de conflit social, les logiques de domination. Y compris dans le discours consistant à disqualifier les actes, à les vider de tout propos politique, à ne pas leur accorder le moindre crédit, on observe une sorte d’obsolescence du politique, celui-ci continuant de camper sur une position hégémonique pourtant intenable à terme. Les métropoles sont les espaces privilégiés de développement de la marginalité en tant que capacité subversive. C’est la raison pour laquelle elles sont l’objet d’une surveillance accrue. Cette marginalité n’est pas forcément visible : elle est moins un statut qu’une ressource ou, à l’inverse, une forme d’assignation. Les métropoles, en tant qu’espaces mouvants, sont les lieux où peuvent se construire les nouvelles formes de marginalité qui génèrent une nouvelle manière de faire de la politique. Cette dernière est jugée dangereuse parce que subversive. Les révoltes de l’automne dernier ont en effet montré des jeunes qui ne s’exprimaient pas selon les canons habituels du politique. C’est la raison pour laquelle ils ont été considérés comme apolitiques ou « pré-politiques » et que leur discours n’est pas validé. Pourtant, leurs propos doivent être pris au sérieux dans la mesure où, s’ils ne disent rien sur les jeunes de milieux populaires qui se sentent opprimés, ils disent tout des raisons de l’incapacité à renouveler le discours politique. En effet, ceux qui détiennent le pouvoir politique ne se donnent pas les moyens de l’exercer car ce pouvoir n’a pas vocation à traduire une volonté politique dépassant le cercle dans lequel ils l’exercent. Selon l’hypothèse que la marginalité n’est pas où on le croit et qu’elle est certainement plus féconde que d’aucuns voudraient le faire croire, la marginalité est passée du côté de ceux qui se veulent au

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centre et dépositaires d’un discours qui serait légitime. Les leaders de cette « marginalité » sont sans visage. Ils ne sont pas incarnés dans des individus mais dans des collectifs d’individus. Les évènements de l’automne sont une façon de faire émerger des figures politiques qui ne soient pas objet d’une confiscation mais qui soient dépositaires d’un discours plus large. Le centre est lui-même renvoyé à la marginalité dès lors qu’il n’est plus capable d’engager les actions politiques que tout le monde attend de lui. Patrick COULON Nous allons écouter le point de vue d’un élu espagnol. Juan Antonio HEREDIA HEREDIA – Adjoint au maire de Gava Je vais vous parler de l’expérience de notre ville, Gavà, et du plan local que nous avons élaboré, à l’aide d’une participation citoyenne et d’un consensus social et politique. Situation géographique de la ville de Gavà Située dans l’agglomération de Barcelone, et à 12 km de celle-ci, Gavà (www.gavaciutat.cat), est une ville moyenne (plus de 45 000 habitants), possédant un riche patrimoine naturel et culturel. Dans sa diversité économique prédominent les services, mais son histoire est aussi marquée par une forte présence de l’industrie textile. Gavà est une ville intégrée à la dynamique métropolitaine, mais qui aspire aussi à conserver sa particularité et son identité en tant que commune. Environ 10 % de sa population sont d’origines étrangères diverses, en augmentation modérée. Finalité du plan de nouvelle citoyenneté Cohabitation harmonieuse et diversité sont les deux principaux vecteurs de ce plan. L’idée en est une gestion pacifique de la cohabitation, que nous développerons à l’aide de la participation et du consensus. Ainsi, notre ville prendra une part active au processus, jouant un rôle moteur de changement de la diversité. Selon nous, les récents arrivés doivent éprouver un sentiment d’appartenance, tout comme la population autochtone. Nous considérons qu’un consensus social et politique et qu’un rôle actif de la société civile sont des éléments indispensables à l’avancée de ce projet, dont l’objectif est de contribuer à l’intégration réelle des immigrés, dans tous les aspects de la vie citoyenne. Processus de participation La méthode employée se fonde sur un accord de ville, dans les domaines institutionnel, social et politique et dans un processus participatif de la ville dans sa totalité. Le Plan local de nouvelle citoyenneté doit être le fruit d’un processus participatif, il doit résulter du travail et des débats réunissant des représentants de la municipalité et de la société civile. Pour cela, nous avons constitué en premier lieu trois groupes de travail, habilités à proposer la modification du plan suggéré par l’équipe municipale. En second lieu, nous établissons la diffusion des bases de ce plan, en vue de proposition alternative par la société civile, en instaurant les canaux qui permettent l’apport de propositions par les citoyens. À ces groupes de travail participent des représentants des syndicats majoritaires, les agents sociaux, certaines des institutions les plus importantes de notre ville, des personnes appartenant à des minorités ethniques, des représentants des partis politiques et des techniciens municipaux. Nous garantissons aux porte-parole municipaux la possibilité de suivre les débats et les thèmes proposés, par l’intermédiaire d’une Commission municipale, comprenant tous les conseillers municipaux de la commission locale. Le premier groupe de travail discutera des questions suivantes : recensement, information et orientation des citoyens, logement et sécurité. Le second travaillera sur les services, l’accueil, la cohabitation, le civisme, le marché du travail et la formation professionnelle. Enfin, le troisième groupe se consacrera aux questions de sécurité sociale, culture, sport et égalité des chances.

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Ces groupes de travail débattront de la proposition de plan de nouvelle citoyenneté et des axes proposés pour appuyer ou non ce plan. Ils évoqueront les options à modifier et les actions que doit entreprendre l’administration locale, en définissant les plus prioritaires. Une fois le plan établi et l’échelle des priorités définies entre les différentes propositions, le Plan local de nouvelle citoyenneté sera officiellement soumis à l’approbation du Conseil municipal de Gavà. Un Conseil spécial sera chargé du suivi du Plan. Il sera composé de l’adjoint au maire pour le civisme, l’immigration, la coopération et les droits civils, de l’adjointe au maire pour les services aux personnes, de l’adjointe au maire pour la présidence et la participation citoyenne, du directeur des services de la zone de présidence et de participation citoyenne, de la technicienne responsable du Plan local de nouvelle citoyenneté et des porte-parole de tous les groupes politiques représentés au Conseil municipal. Un autre organe est également institué : la Commission municipale sur la citoyenneté, la diversité et la cohabitation, qui jouera un important rôle de représentation dans la structure de développement du Plan. Cette commission comprendra de nombreux représentants du monde associatif, entrepreneurial, politique et civique de Gavà. Grâce à ce processus participatif, nous disposerons d’un instrument, le Plan local de nouvelle citoyenneté, qui permettra de cadrer les politiques locales en matière d’immigration. Cela stimulera les politiques d’accueil, notamment par des mesures permettant la diffusion, auprès de l’ensemble des citoyens, d’informations sur les droits et les devoirs des nouveaux citoyens comme des autochtones. Cela favorisera aussi l’information sur l’environnement physique et institutionnel et sa promotion, la connaissance de la langue et du cadre professionnel, social et éducatif de notre ville. Enfin, cela facilitera la définition de stratégies permettant d’atteindre l’ensemble de la population immigrée ou destinées à la réalisation d’un recensement actif. Nous travaillerons aussi sur un deuxième axe, les politiques en faveur de l’égalité, très importante pour nous. Celles-ci viseront notamment à l’égalité d’accès aux services et aux ressources, ainsi que leur amélioration et leur meilleure adaptation à une réalité changeante. Notre troisième axe de travail consistera à développer des politiques en faveur d’une bonne cohabitation et de bonnes interactions au sein de la population. Cela concerne notamment la gestion de la diversité dans le système éducatif, sanitaire et social, via la création de structures sociales de participation entre la population autochtone et immigrée, de programmes d’éducation interculturelle ou de sensibilisation de l’ensemble de la population à ces sujets. Ce Plan local de nouvelle citoyenneté favorisera le lancement d’un ensemble de politiques municipales marquées par le consensus, avec tous les groupes politiques représentés à la mairie, et avec des représentants de la société civile et de la vie associative. Des politiques fondamentales pour garantir la cohésion sociale et créer une ville qui appartienne à tous et à toutes. Patrick COULON Bernard Birsinger, Bobigny est également attachée à développer des expériences de participation innovante… Bernard BIRSINGER-Maire de Bobigny Je participais récemment au Forum des Autorités Locales ainsi qu’au Forum Social mondial en Amérique latine, où j’ai eu l’occasion d’évoquer les révoltes urbaines de l’automne dernier en France en soulignant les problèmes d’inégalités sociales, territoriales, culturelles, démocratiques. Un maire d’arrondissement de Caracas me disait que de tels évènements étaient survenus dans sa ville en 1989 : les barios étaient descendus par milliers pour dévaster le centre-ville suite à des décisions du FMI visant à augmenter les prix. Ces quartiers populaires se mobilisent depuis plusieurs années. Le processus démocratique qui se développe au Venezuela m’a fait réfléchir sur la situation de nos banlieues et sur leur rapport à la politique. Je retiens que, même dans les territoires où la souffrance est extrême, des démarches très intéressantes ont été engagées. Au Venezuela, la démocratie « protagoniste » fait que, pour toute question dans le domaine social, de l’éducation ou de la santé, des outils permettant la codécision et l’intervention citoyenne sont mis en place.

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A Bobigny, la démocratie participative se veut un processus capable de changer la ville, la vie et la politique. Il ne s’agit pas de rapprocher les personnes des centres de décision mais de faire de chacun un centre de décision. La ville ou l’agglomération peut constituer le territoire pertinent d’une démarche commune pour développer des projets, résister à la politique ultra-libérale et construire un intérêt commun. La démocratie participative vise une transformation sociale et se fixe pour objectif de mettre la politique sous le contrôle citoyen. En 2000, Bobigny a décidé de participer, en défendant Mumia Abou-Jamal, au combat universel contre le racisme, la peine de mort et les régimes sécuritaires. Lors des vœux de la municipalité, en 1998, j’ai lancé l’idée des Assises de la ville visant à décider de son avenir avec l’ensemble de la population. Cette démarche suppose de solliciter des personnes que l’on n’a pas l’habitude d’entendre ni de voir aux réunions. Nous considérons qu’une ville ne peut se construire que grâce à la parole de tous et notamment de ceux qui sont le plus victimes des inégalités sociales. Nous partons du principe que les gens sont intelligents et que, même si l’on ne partage pas toujours les idées de l’autre, la confrontation nous permet d’avancer. La démocratie participative est forcément locale, quels que soient les problèmes abordés. Mais je suis persuadé qu’elle peut aussi être pertinente à tous les niveaux d’intervention politique. Cette démarche défend par ailleurs le « droit à la ville » qui s’appuie notamment sur l’égalité des droits et le besoin de service public. S’agissant du droit au logement, il est nécessaire d’inventer de nouveaux services publics, notamment un service public de l’habitat, service « de l’embellissement des villes ». Les villes sont confrontées à des enjeux majeurs quant à leur privatisation ou, au contraire, à la présence de services publics de proximité, d’espaces publics partagés. Cette perspective d’une privatisation nous encourage à renforcer la revendication de l’égalité territoriale. Dans un récent article paru dans L’Humanité, deux sociologues pointaient l’organisation de la Porte Maillot. Alors que Neuilly-sur-Seine est raccordée aux beaux arrondissements de Paris par cette place et un périphérique couvert, la couverture du périphérique à la Porte de la Villette n’est pas pour demain. Par conséquent, ces inégalités sont lisibles dans le territoire. Bobigny assume son statut de « ville-monde », avec 20 % d’étrangers, 80 nationalités représentées. Ce statut est un atout pour la ville, qui préfigure le monde de demain, car il favorise l’ouverture d’esprit et l’ouverture à d’autres cultures. Développer des processus de démocratie participative dans ce cadre doit nous inciter à changer en profondeur l’idée même de la délégation. La crise actuelle de la politique tenant à la confiscation de la parole des citoyens, nous devons réfléchir à de nouvelles institutions, à une nouvelle République, capables de donner des pouvoirs réels aux citoyens. Cette crise doit nous interroger sur la question de la durée des mandats, du cumul des mandats, de la revalorisation du rôle des assemblées délibératives, du droit de vote des étrangers non communautaires selon le principe de la « citoyenneté de résidence ». DEBAT AVEC LA SALLE Jacques Capet - Nanterre Il y a plus de quarante ans, les idées développées au PSU allaient déjà dans le sens de ce que l’on appelle aujourd’hui la démocratie participative : conseils de quartier, bulletins municipaux… Si je suis favorable à un renouvellement de la vie politique par les marges, faut-il pour autant abandonner la forme du parti ? Je ne le crois pas. La démarche de démocratie participative suivie à Nanterre est intéressante mais présente des limites. En effet, la participation de la population n’est sollicitée que sur certains dossiers. En outre, les enquêtes publiques en matière d’environnement et d’urbanisme, du fait de leur complexité, permettent rarement une réelle expression des habitants. M’Mamed Kaki - association « Les oranges » Nous n’avons pas évoqué « l’invisibilité » de toute une partie de la population. Edouard Glissant disait que le créole était la langue de l’entre-deux. Les évènements de l’automne ont mis en avant cette langue de l’entre-deux, qui ne rentre pas dans les canons du discours habituel.

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Cette invisibilité est une violence exercée sur les jeunes, notamment, qui ne leur permet pas d’exister. Puisque les symboles sont essentiels sur ces questions, je propose qu’Abdel Malek Sayad, auteur du Nanterre algérien, donne son nom à un collège de Nanterre. Daniel LEPENDU - Mouvement de la Paix, syndicaliste La démocratie participative ne doit-elle pas être encouragée dès l’école ? Je considère que la démocratie participative doit s’apprendre, par exemple par une formation à la prise de parole. Claudio TOSI - Rome A Rome, le Réseau des nouveaux arrondissements tâche de promouvoir la démocratie participative. L’une de ses actions a concerné, précisément, la formation : il s’est agi de former les fonctionnaires municipaux à communiquer plus efficacement en direction des citoyens. Toute une partie de la population est invisible, elle ne prend pas la parole. Malheureusement, les acteurs sociaux qui se tournent vers cette population sont extrêmement mal perçus et ne sont pas pris au sérieux. Alain RIBES - CNL Nanterre Il existe des embryons de démocratie participative dans les quartiers, dans les centres sociaux. Toutefois, cette démarche doit être largement renforcée si nous voulons une réelle co-élaboration des décisions par les citoyens et les institutionnels. Pour cela, une piste consiste à donner un véritable statut social aux associations et à leurs bénévoles. Alain BERTHO Je rassure le premier intervenant, qui m’a fort bien compris et avec lequel je ne suis pas d’accord. Je pense que la forme du parti, issue du mouvement ouvrier au XIXe siècle, a été un grand instrument de libération, pendant un siècle et demi, mais qu’elle est aujourd’hui un obstacle à la visibilité et à la capacité à entendre, les évènements de novembre, par exemple. A cet égard, je suis très sensible aux réflexions précédentes, en termes de parole et de visibilité. Il ne tient qu’à nous d’entendre la parole politique exprimée par une partie de la jeunesse populaire, depuis une quinzaine d’années au moins, notamment sous une forme artistique, rap ou slam. Cependant, nous ne l’entendons pas, car ces modes d’expression sont marginalisés, délégitimés et rendus inaudibles ou invisibles, par des stratégies de pouvoir. Face à cette invisibilité, il est assez significatif de voir que le mode d’action choisi par ces jeunes consiste à faire brûler des voitures, la nuit, dans les quartiers où ils vivent. Il s’agit bien pour eux de se faire voir et de réclamer la visibilité qui leur est refusée. Nacira GUENIF-SOUILAMAS La question de l’invisibilité est au centre de la question non pas de la marginalité mais de la marginalisation. Et je considère que les marginaux ne sont pas ceux que l’on croît. La forme du parti est aujourd’hui totalement inadéquate pour comprendre les enjeux et rapports sociaux d’un point de vue politique. Les réactions exprimées pendant des années ont toujours été endiguées par la forme politique. Un rapport de forces s’est instauré entre le parti en tant que forme politique, quel que soit son bord, et les manières d’être qu’elles soient visibles ou invisibles. D’ailleurs, ce qui est « invisibilisé » ou rendu inaudible est ce qui est précisément trop visible. A ce titre, les cultures des banlieues sont moins délégitimées que domestiquées. Il s’agit de les rendre acceptables du point de vue hégémonique de la centralité économique.

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Bernard BIRSINGER Si la démocratie participative insiste sur la notion de partage, c’est bien parce que les pouvoirs, les richesses et les savoirs sont concentrés. C’est pourquoi la Ville de Bobigny a modifié en profondeur sa communication municipale en mettant en place un véritable journal hebdomadaire de ville. A travers la démocratie participative, les mouvements altermondialistes et différentes initiatives, nous devons encourager une entrée en politique massive de la population pour qu’elle s’occupe de son sort et ne laisse personne décider à sa place. Patrick COULON Nous passons à la deuxième partie de nos interventions. Wilson SANTON – Mouvement des Sans Terrre Dans chaque pays, dans le monde entier, on entend souvent que nous passons par une crise de civilisation. Quelle est cette civilisation en crise? Nous vivons une crise structurelle, une crise de modèle, qui crée chaque jour plus de situations de difficulté, des situations de famine, de misère, d’exclusion. Et pourquoi ne pas mentionner qu’en certains endroits du monde, notamment dans mon pays, le Brésil, nous vivons dans divers centres urbains, et dans d’autres endroits Brésil, une situation de véritable barbarie sociale, ce qui est très grave. Tout cela n’est pas arrivé spontanément : cela fait partie de tout un processus économique, social et politique qui se développe depuis plusieurs années. En tout cas, nous ne pouvons pas voir la crise uniquement comme quelque chose de négatif, de pervers : il faut aussi l’envisager comme un terrain de possibilité, de potentialités pour les transformations que nous devons réaliser dans nos pays et, pourquoi pas, dans le monde. Nous avons cru et continuons de croire dur comme fer qu’il faut développer et intensifier les grandes luttes de masse, les grandes mobilisations de masse ; elles seules changeront la corrélation des forces et établiront un nouveau seuil pour notre lutte pour la transformation. Il faut aussi plaider pour la construction de nouveaux instruments, de nouvelles formes, de nouvelles méthodes. Au sein du Mouvement des travailleurs ruraux sans-terre du Brésil, nous luttons pour une nouvelle agriculture, pour une agriculture saine, pour une agriculture qui, surtout, assure la souveraineté alimentaire des peuples de chaque pays, qui assure la vie et non la mort, une agriculture sans les transgéniques. La réforme agraire n’est pas une question de la campagne, ce n’est pas une question des travailleurs ruraux, c’est une question qu’intéresse la grande majorité de la population du monde entier sur ce que nous allons manger ; ce que nous mangeons ; ce qui est produit ; qui le produit ; quel modèle de développement de l’agriculture est adopté. Il est impossible de parler de liberté, de parler de démocratie participative, de justice sociale, d’égalité ou toute autre valeur sans se rendre compte qu’elles supposent la lutte pour la chute du néolibéralisme. Il n’est plus possible que le néolibéralisme cause autant de douleur, autant de famine, autant de misère, autant de violence sur notre humanité. Guy ROUVEYRE – Adjoint au maire d’Echirolles Nous avions eu l’occasion de nous retrouver à Nanterre, en 2002, pour aborder la question de la participation des habitants des villes périphériques. Nous considérons que les enjeux de la participation sont indissociables de la citoyenneté. Echirolles est une ville limitrophe de Grenoble, qui compte 35 000 habitats. 41 % des logements appartiennent au parc de logement social public. Une partie de sa population connaît de grandes difficultés : 4,3 % de la population vit sur les minima sociaux, le taux de chômage est de 17 %, la situation économique et sociale s’aggrave. La paupérisation des ménages est toujours plus forte. Le

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nombre de salariés pauvres ne cesse de croître. Les événements de l’automne ont eu un écho à Echirolles où les questions de l’emploi, du logement, de l’éducation, du rapport avec les forces de l’ordre, de l’identité individuelle et collective sont posées. Se dessine, autour de ces grandes questions, un vaste champ d’intervention citoyenne qui doit concerner l’économie, le social, la santé, les transports, les modes de consommation, les services publics, l’urbanisme, la recherche, la façon même de faire de la politique. Que serait la démocratie, la participation des habitants, sans la notion de solidarité qui donne du sens à notre action ? Nous pensons que la solidarité doit s’exercer dans la ville, à l’échelle de la nation et au plan international afin de conditionner le droit citoyen de tous les habitants de nos villes et pays. Avec nos responsabilités d’administration et de gestion locale, nous ressentons de plus en plus les pressions combinées de la mondialisation économique et du développement technique. Nous relevons des défis gigantesques : - créer des emplois dans une économie de plus en plus libérale ; - défendre notre conception des services publics contre l’Accord général du commerce et des

services ; - combattre la pauvreté et l’exclusion ; - assurer une protection sociale de qualité, un environnement vivable pour nous et nos descendants ; - répondre aux changements démographiques ; - gérer la diversité culturelle. En voulant relever ces défis, nous devons nous assurer que les efforts que nous consentons pour améliorer notre qualité de vie locale ne compromettent pas celle de nos voisins ni des générations futures. Il nous faut être présents partout, du local au mondial, afin de confronter le travail entrepris par les différents acteurs et défendre participation et citoyenneté comme éléments fédérateurs de la solidarité des territoires. Dans tous nos actes, nous devons prendre en compte la place de l’homme dans l’aménagement de son territoire et de sa vie. Nous avons expérimenté cette démarche lors de la construction de l’Agenda 21, du Schéma de développement culturel, en engageant un travail avec les associations. Ce travail, long, parfois contradictoire, suppose de rompre les habitudes et de dépasser les égoïsmes. A Echirolles, cette pratique a permis d’affirmer le rôle des collectivités locales, en coproduction avec les professionnels et les habitants, comme lieu de référence à la construction d’une démarche citoyenne novatrice. De nombreux lieux de concertation ont été mis en place. Ils s’articulent les uns aux autres afin de prendre en compte l’ensemble des dimensions : - la concertation de proximité, favorisant le renforcement du lien social, l’expression des habitants et

l’accompagnement de leur projet ; - la concertation inter-quartiers : les comités de quartiers, notamment, contribuent à la prise de

décision des élus sur le projet de ville ; - la concertation à l’échelle de la ville, avec la mise en place d’un conseil consultatif des retraités,

d’un conseil municipal des enfants, d’un comité de Jumelage… D’autres initiatives fortes de sens sont développées sur la commune, comme la Semaine « Cité plurielle », Festirolles, le conseil consultatif des retraités, le plan local de l’urbanisme… Cependant, de nombreux habitants restent à l’écart de toute concertation. L’important reste de multiplier les lieux de rencontre et d’échange. La situation d’Echirolles nous encourage à consentir des efforts particuliers pour le développement social des quartiers, pour l’accès aux droits et pour la formation à la citoyenneté. C’est pourquoi, lors des dernières Assises de la ville, nous avons adopté une Charte de la participation citoyenne. Cette dernière définit les bases de la participation dans notre ville, les droits et devoirs de chacun, les lieux et instances du débat ainsi que les outils d’information existants. Il s’agit d’un contrat moral passé entre habitants, élus et professionnels.

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En développant la démocratie participative sur le terrain communal, nous avons donné aux habitants la possibilité d’accompagner et de contrôler nos actions d’élus. Ainsi, pour toute question d’intérêt local, toute demande portée par : - 1 000 pétitionnaires fera l’objet d’une inscription à l’ordre du jour du Conseil municipal ; - 2 500 pétitionnaires donneront lieu à une consultation d’initiative locale. Sont pris en compte les habitants inscrits sur les listes électorales mais aussi tous les contribuables. C’est l’un des points visés par la Charte. Nous devons rechercher des réponses neuves pour que la participation devienne une nécessité, un espoir, une possibilité concrète d’intervenir sur le présent, pour construire l’avenir. En tout état de cause, il apparaît clairement que la culture de la démocratie participative dans le dialogue, la négociation et la coproduction est indispensable à l’élan local et bien au-delà. Nous devons nous inscrire dans la durée pour que cette démarche de participation citoyenne soit crédible. Dans ce travail, il n’y a pas de modèle préétabli. Renforcer participation, solidarité et citoyenneté revient à refonder l’action politique de l’élu - à qui, jusqu’à présent, l’habitant a délégué l’action - pour une conception qui permette au citoyen de construire et d’agir avec l’élu. Pour reprendre les propos de Monsieur Birsinger, il faut faire de chacun un centre de décision. La ville est un lieu pertinent de résistance et de construction d’un autre monde, d’une vraie citoyenneté. Les partis politiques sont considérés, par la Constitution française, comme participant à l’expression de la démocratie. S’il est de notre devoir de refonder ces partis, ne nous trompons pas de combat, l’engagement associatif est nécessaire, est une richesse, mais le débat politique l’est tout autant. Marie Hélène BACQUE- Universitaire La démocratie participative est une notion qui a le vent en poupe et qui donne lieu à une multitude d’expériences en France, et ailleurs, et même à une institutionnalisation des formes de démocratie participative, notamment par le biais des conseils de quartier. Pourtant, j’aimerais insister sur les limites de la démocratie participative, notamment lorsqu’elle est issue « de la marge ». La logique de démocratie participative correspond à plusieurs processus. Elle a été largement portée dans les années 70, en particulier par les mouvements sociaux et une partie de la gauche, selon l’idée d’un partage du pouvoir. Cette dynamique répond aujourd’hui à une crise de légitimité du système politique et est portée par des formes de modernisation de la puissance publique, les nouvelles formes de gouvernance. Cette dernière se traduit par une renégociation de l’Etat providence. Ces dynamiques sont multiples, parfois totalement managériales, parfois de proximité, parfois issues des marges. Sur ce dernier point, je vais tâcher de souligner la transformation des mouvements sociaux aux Etats-Unis et au Canada et leur investissement dans des formes de gestion urbaine, selon la notion d’impowerment. Cette notion fait référence à un processus par lequel un individu ou un groupe acquiert les moyens de renforcer sa capacité d’action, de s’émanciper pour accéder au pouvoir. Elle articule la notion de pouvoir et celle du processus d’apprentissage, et s’est traduite en français par la « capacitation ». Cette notion a été utilisée dans des cadres très différents. Elle a été largement portée par le mouvement féministe, par le mouvement Noir (Black power), et est aujourd’hui reprise par la Banque mondiale, le FMI, dans des approches davantage managériales. Le political impowerment renvoie à l’idée d’un contrôle des ressources, de l’accès des plus pauvres aux ressources et d’un contrôle du pouvoir, en prenant le parti des have not, ceux qui n’ont rien. Il s’agit de la possibilité, pour les minorités, les groupes marginaux, de prendre le pouvoir et de trouver une forme d’organisation sociale. Cette démarche produit des formes de participation, appuyées sur les groupes communautaires, au sens de collectif d’habitants, qui décident de s’auto-organiser pour prendre le pouvoir sur un territoire et créer leurs propres services. Ce mouvement, qui part du bas, a été largement soutenu par les politiques publiques. Ces formes d’autogestion locale se traduisent par exemple par une organisation

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communautaire de Boston qui gère 1 000 logements sociaux, qu’elle a elle-même créés, qui intervient dans le champ du développement économique ou des services sociaux ou par une autre organisation, opposée à un projet urbain, qui impose un contre-projet à la municipalité. Ces contre-pouvoirs locaux ont une véritable capacité décisionnaire, avec des règles de fonctionnement relativement claires et une grande attention à la prise de parole de tous les individus. On obtient ainsi une forme de représentation des groupes les plus précaires et des minorités - et, ainsi, une visibilité des « marges » - avec la possibilité pour ces minorités d’exister politiquement. Cependant, ces expériences participatives ne débouchent pas sur des transformations politiques ou institutionnelles majeures. Le partage du pouvoir reste ainsi limité à l’échelle locale, entraînant un risque élevé de découragement des habitants. L’autre limite de ces dispositifs tient à l’institutionnalisation des mouvements sociaux, lesquels sont intégrés dans la gestion publique. Cette situation favorise, certes, l’émergence d’un « quatrième » pouvoir, par l’apparition de nouveaux groupes politiques sur la scène politique. Toutefois, ce pouvoir reste confiné à l’échelle locale. Dès lors, le premier écueil de ces expériences est leur marginalisation, leur incapacité à se répandre sur le système politique de façon plus large. Un autre écueil tient à leur intégration institutionnelle. La marge de manœuvre, entre ces deux écueils, est mince. Armand AJZENBERG Aujourd’hui, la démocratie représentative constitue un droit fondamental du citoyen, réduit au droit de vote. En revanche, la citoyenneté est un état : être citoyen d'un Etat confère des droits, dont celui de voter, ainsi que des devoirs. Il y a vingt ou trente ans, les termes d’autogestion et de nouvelle citoyenneté étaient davantage usités que ceux de démocratie participative. Dans Du contrat de citoyenneté, Henri Lefebvre décrit l’autogestion « comme connaissance et maîtrise par un groupe, entreprise, localité, région et pays, de ses conditions d’existence et de survie à travers les changements ». Ces groupes sociaux accèdent, par l’autogestion, à l’intervention sur leurs propres réalités. Comme le droit à la représentation, le droit à l’autogestion peut se proclamer comme un droit du citoyen. Ou bien la démocratie dépérit ou bien le droit à l’autogestion entre dans la définition de la citoyenneté. Le droit à l’autogestion implique le droit au contrôle démocratique de l’économie, donc des entreprises, y compris des entreprises nationales ou nationalisées. Cependant, l'exercice pratique d’un tel contrôle n’a pas été trouvé jusqu’à maintenant. Le mot autogestion a longtemps fait peur ou a été incompris. Tous les partis de gauche, sauf le PSU, étaient contre. Il n’est pas certain que ce ne soit plus le cas aujourd’hui. Derrière une querelle de mots, se cache aussi une querelle de pouvoir. Un pouvoir en place, associations, syndicats, partis politiques, peut se prononcer en principe pour l’autogestion et finalement vouloir avant tout contrôler celle-ci en pratique. L’idée d’autogestion, telle que la définit Lefebvre, me semble plus précise, et plus radicale, que l’expression « démocratie participative ». Marie-George Buffet déclarait, en octobre 2005, que le nouveau défi consistait à permettre à chaque citoyen d'avoir une pleine maîtrise des enjeux politiques, ce qui demande de dépasser la question de la démocratie participative pour promouvoir une conception radicalement nouvelle de la politique et du pouvoir. Dans l’ouvrage Du contrat de citoyenneté, auquel j’ai participé, Henri Lefebvre notait que, si les droits de l’homme avaient progressé, ceux du citoyen étaient en reste. Les droits de l’homme sont relatifs à l'individu alors que ceux du citoyen concernent l’individu social. Le fait de privilégier les premiers a donc conduit à des individualismes effrénés. Dans le même ouvrage, nous indiquions que l’homme est un être complexe du fait de ses nombreuses appartenances, liées au territoire, à des communautés, professions, convictions religieuses ou philosophiques, classes sociales, conceptions politiques, âge, affinités. Nous nommons « cultures » ces appartenances. Ces cultures identitaires font de l’individu un être social, se construisent et périssent au fil des siècles. Elles se traduisent dans des civilités, rites, violences qui font l’histoire. S’identifier à

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l’une de ces cultures, en se déconnectant des autres, entraîne des ruptures lourdes de violence. De même, limiter la citoyenneté à l’une de ces appartenances, la politique, est également aberrant. Le dépassement de cette réduction est précisément ce que nous avions appelé « nouvelle citoyenneté ». Nous avions en effet constaté que la caractéristique dominante de la société d’alors, et plus encore celle d’aujourd’hui, était son éclatement : - éclatement du sujet privé et du citoyen social ; - éclatement de l’être humain dans une vie privée, jalonnée par des tabous idéologiques et des

interdits résultant des conditions matérielles ; - éclatement de l’être humain dans sa vie sociale et professionnelle ; - éclatement du citoyen politique, réduit à sa seule dimension d’électeur ; - éclatement du citoyen dans l’entreprise, réduit le plus souvent à sa seule dimension de producteur

ou d’employé ; - éclatement du citoyen usager, consommateur et citadin, considéré uniquement sous son angle

économique. Un tel sujet éclaté, contraint à une vie en kit, est un citoyen qui subit la pire des aliénations, sa propre possession matérielle et intellectuelle. Or cet éclatement délibéré est le fait non pas d’un homme ou d’un groupe d’homme, mais d’une société marchande arrivée à son paroxysme. Henri Lefebvre définissait la Nouvelle citoyenneté comme la synthèse du citoyen politique, du citoyen producteur et du citoyen urbain. Au terme des travaux du groupe de Navarrenx, nous avions élaboré une définition plus complète de la Nouvelle citoyenneté « comme possibilité (comme droit) de connaître et maîtriser (personnellement et collectivement ses conditions d’existence (matérielles et intellectuelles), et cela en même temps comme acteur politique, comme producteur et comme citadin-usager-consommateur, dans son lieu de résidence, dans sa cité et sa région, dans ses activités professionnelles comme dans les domaines du non-travail, mais aussi dans sa nation et dans le monde ». Ainsi définie, la citoyenneté devenait bien une pratique, une activité politique concrète, permettant à chaque individu de se réapproprier l’ensemble des rapports sociaux dans lesquels il est immergé. Les notions de Nouvelle citoyenneté et l'autogestion n'ont pas pour finalité de rendre le capitalisme moins pénible, mais de dépasser ce mode de production capitaliste et de le remplacer par un autre. Dans cette perspective, la ville, l’urbain et les nouvelles règles du partage de l’espace constituent des lieux centraux d’une telle construction. Dans un article publié en 1968, à l’occasion du centenaire de la première édition du Capital, Lefebvre remarquait que, si seule « la révolution totale (économique, politique, culturelle) » pourrait faire « l’urbain », la vie urbaine et surtout la lutte pour la ville et pour la société urbaine fourniraient bientôt cadres et objectifs à l'action révolutionnaire : « Sans une transformation de la rationalité dans la planification et dans l’aménagement du territoire, sans une autre gestion, la production industrielle n’aura pas pour finalité les besoins sociaux de la société urbaine comme telle. ». Et il ajoutait : « Empêcher la dégradation de la vie urbaine existante, inventer des formes nouvelles et leur permettre de se déployer (...) exigent un pouvoir efficace et véritablement démocratique : agissant dans l’intérêt du «peuple», c’est-à-dire pour remettre à ce peuple la responsabilité et la gestion de son oeuvre. C’est seulement la ville – renouvelée, métamorphosée – qui peut devenir oeuvre collective et commune. Et c’est seulement dans la ville renouvelée et métamorphosée que la vie de chacun peut devenir son oeuvre, parce que la société urbaine se définit par la rencontre et le choix, la communication concrète et la fête. Autrement dit : l’usage (la valeur d’usage) d’une oeuvre collective ». En 1980, nous avons fondé un groupe de travail dénommé « Autogestion », qui a notamment rédigé un Projet de loi pour l’extension de la démocratie dans la commune dont voici l’exposé des motifs : « Dans les grandes villes et dans les bourgs d’importance moyenne, il existe des unités d’habitation et de voisinage, des isolats ou de quartiers entiers sous-représentés et même non représentés dans les conseils municipaux. Les intérêts matériels et les aspirations culturelles de ces habitants ne sont pas toujours pris en compte.

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À tous les échelons du territoire, des problèmes nouveaux se posent dans la vie quotidienne des habitants. Les autorités constituées, conseils municipaux, généraux, régionaux, n’arrivent à prendre en charge ces problèmes que très tardivement et très insuffisamment. Pour ces raisons, il convient d’élargir et d’étendre vers la base territoriale, « comités de quartier » ou « unités de voisinage », les principes de la démocratie ; ce qui implique la reconnaissance par la loi de l’autogestion territoriale généralisée ainsi que la démocratie directe, malgré toutes les difficultés qu’elle comporte et toutes les questions qu’elle pose. Le projet de loi qui suit n’est pas destiné à substituer la démocratie directe à la démocratie représentative mais à rapprocher celle-ci de celle-là. Il ne s’agit pas d’imposer l’autogestion et la démocratie au niveau local mais de donner aux citoyens le droit et les moyens de les exercer. De telles mesures sont indispensables pour que se constitue progressivement une nouvelle citoyenneté. Celle-ci doit naître de la fusion des droits du citoyen résultant de la Déclaration fondamentale des droits de l’homme ainsi que de la Constitution de la République française avec l’exigence moderne de l’usager. Cette exigence répond au nouveau besoin de participation des individus et des groupes à de multiples fonctions et à leurs droits légitimes aux services et équipements indispensables à la vie de la cité ». Ceci mérite des expérimentations en grandeur réelle, d'autant plus que la prédiction de Marx et Engels d’une classe exploitée et opprimée – le prolétariat – ne pouvant plus se libérer de la classe qui l’exploite – la bourgeoisie - sans libérer en même temps la société entière de l’exploitation et des luttes de classes ne s’est pas réalisée. La classe ouvrière a en effet été battue, mais elle continue néanmoins d’exister, pèse d’un poids bien plus grand qu’on ne le dit et doit reconquérir sa dignité. C’est dans ce cadre que la citoyenneté de résidence acquiert son importance. Peut-être la libération rêvée par Marx et Engels viendra-t-elle d’une Nouvelle citoyenneté instituée, d’abord dans les villes, les quartiers, les villages, où la conscience de chaque individu ne sera plus écartelée entre sa part de citoyen politique, de citoyen producteur et de citoyen urbain, mais réunifiée ? L’apport de Lefebvre à Marx réside dans sa compréhension et dans son analyse du mode de production moderne, puisqu'il ajoute à la catégorie « forces productives » la production de l’espace (et du temps) et à la catégorie « rapports de production » l’urbain (habitants, usagers des services publics, consommateurs, etc.). Je crois que Lefebvre avait raison quand il disait que la lutte pour la ville et pour la société urbaine fourniraient bientôt cadres et objectifs à plus d’une action révolutionnaire. Or, si de nombreuses initiatives se sont déjà déployées dans nombre de municipalités de gauche et communistes, ces expériences restent en ordre dispersé et sans réelle perception des enjeux. Il faudrait au contraire des municipalités voisines de gauche réfléchissent ensemble à une Nouvelle citoyenneté dans leur ville en confrontant leurs pratiques et leurs expériences. Enfin, avant d’impliquer les électeurs et les citoyens, il conviendrait de mobiliser les conseillères et les conseillers municipaux, mais aussi le personnel des mairies afin de construire une citoyenneté de la vie quotidienne dans la ville. Raí Oliveira e Fazinho Ce qui est intéressant dans ce que nous venons d’entendre ici, c’est que ce type de rencontre s’intitule forum mondial des autorités locales de périphérie, et pourtant le débat prend une tournure franco-française. La même chose s’était produite pour le forum de Porto Alegre, pendant quelque temps : le débat devenait typiquement brésilien, idem pour Caracas. Je pense que nous sommes en train d'oublier le contexte historique, ce qui signifie que les thèmes que ce Monsieur vient d’aborder sont valables, mais dans un cadre français. Le sujet dont nous traitons ici porte sur ce qui se passe dans le monde entier.

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Conférence plénière 1: Face aux exclusions sociales, aux violences : l’engagement des périphéries pour des droits pour tous et des métropoles solidaires

Les relations sociales dans les métropoles reflètent les conséquences humaines, économiques et territoriales des logiques actuelles de la mondialisation. Confrontées aux tendances d’exclusion et de relégation sociale et spatiale, nombre de villes de périphéries refusent le fatalisme, prennent part au débat, agissent pour l’inclusion sociale, pour une métropole pour tous, parfois de manière innovante en termes de démocratie, d’accès aux droits.

Participent à la conférence: Jaume SAURA, Président de l’Institut des Droits de l’Homme de Catalogne, Charte européenne des droits de l’homme dans la ville ; Ana Teresa VINCENTE : Maire de Pamela, Présidente de l’Association des Maires du District de Setubal – Métropole de Lisbonne – Portugal ; Jaime ZEA : Maire de Villa El Salvador – Métropole de Lima – Pérou ; Patrick BRAOUEZEC, Président de la communauté d’agglomération, Plaine Commune – Métropole de Paris ; Fatima KONTE DOUMBIA : Maire de Bamako 1 et Secrétaire Générale de l’Association des municipalités du Mali ; Hervé VIEILLARD BARRON, Directeur du Comité Scientifique de « Profession Banlieue » ; Estrella NIETO GARCIA : Rivas Vaciamadrid – Métropole de Madrid – Espagne ; Le collectif AC LEFEU. Modérateur : Stela FARIAS ; ancienne maire d’Alvorada – Brésil Jaume SAURA – Universitaire – Charte européenne des droits de l’homme dans la ville Les sociétés démocratiques contemporaines reconnaissent la légitimité universelle des droits, fondés sur la dignité humaine, qui impliquent l’égalité et l’individualité des personnes. Les différents niveaux de l’administration publique doivent garantir et protéger ces droits. L’administration centrale a été, jusqu’à présent, la seule garante d’engagements internationaux, en appliquant (ou non) les droits fondamentaux par la voie de la Constitution et des garanties juridiques, du Tribunal constitutionnel aux tribunaux chargés d’appliquer l’ordre juridique.

L’administration, à ses différents niveaux territoriaux et sectoriels, a une fonction à remplir en matière de droits humains. Ce principe se reflète dans l’adoption, par plusieurs municipalités européennes à Saint-Denis le 18 mai 2000, d’une Charte européenne des droits de l’homme dans la ville.

La responsabilité solidaire de l’administration locale implique un engagement spécifique à définir les droits citoyens que l’autorité locale devra respecter.

La Charte est un engagement politique, une obligation à laquelle se soumettent ses signataires, car il s’agit d’une convention inter-administrative transnationale, bien qu’un grand nombre de ses dispositions s’expriment sous forme d’intentions, de programmes, par l’emploi de verbes tels que « encourager », « essayer », etc. Cela ne suppose pas pour autant un amenuisement lors de leur traduction juridique, quand le texte de la Charte sera intégré à la réglementation locale, sur approbation du Conseil municipal.

Les droits énoncés dans la Charte s’appliquent à toute municipalité, quelles que soient sa taille et sa nature « centrale » ou « périphérique ». Il s’agit, par exemple, de droits civiques tels que celui d’association, reflété dans l’accès à des « espaces » de réunion. Également d’une grande valeur : le droit de suffrage actif et passif pour les étrangers résidant dans la ville. Dans aucun pays européen, la

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décision d’accorder ce droit ne relève de l’administration municipale. Mais les autorités locales peuvent le solliciter auprès du pouvoir central, comme cela s’est produit à Nuremberg (IVe Conférence sur les Droits de l’homme dans la Ville, 2004).

La Charte porte principalement sur les droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux, importants pour les communes périphériques.

La Charte, comme base à une politique de nature sociale, inclut des droits classiques, comme le droit au travail, à l’éducation, à la culture et à la santé. Et, surtout, elle rassemble des droits nouvellement énoncés, ainsi que les engagements spécifiques qu’ils supposent de la part des municipalités signataires :

• droit à l’environnement, autour de questions telles que, par exemple, la pollution sonore, le recyclage et les espaces verts ;

• droit à un logement digne, salubre et sécurisé, avec une intervention sur le marché afin d’offrir un toit à chacun ;

• droit à un urbanisme harmonieux et durable, avec la participation des citoyens au développement urbanistique ;

• droit à la circulation et à la tranquillité, concernant notamment la circulation routière, les transports publics, la limitation des bruits et vibrations, etc.

Il convient de revendiquer, de même, d’autres droits :

• droit à la résidence, là où l’individu entretient les relations sociales les plus significatives ;

• droit à l’espace public, sans lieux fermés ;

• droit à l’identité collective, propre à faciliter la cohésion socioculturelle des communautés ;

• droit d’habiter non pas dans une ville marginale, mais dans une zone urbaine de qualité ;

• droit à une gouvernance métropolitaine ou pluri-municipale, de proximité, pour améliorer l’efficacité de la gestion publique.

En définitive, un droit à la ville est en train d’émerger. Il est énoncé à l’article 1 de la Charte et implique l’accomplissement politique, social, économique, culturel et écologique de chaque personne : le droit à la qualité de vie citoyenne. Ana Teresa VICENTE – Association des Municipalités du district de Setubal Nous vivons des temps complexes, de conflictualité et de doute, dans une époque marquée par l’incertitude et les évolutions rapides, dans un monde qui devient à la fois plus petit et plus interactif, où l’importance des médias ne cesse de croître et dans lequel s’impose l’ouverture d’un espace pour la pensée stratégique. Les autorités locales ne pouvaient pas et ne sont pas restées en dehors de cette tendance. La planification stratégique ne correspond pas uniquement à une position défensive ou à un besoin d’adaptation à ce monde, qui évolue rapidement : au contraire, elle reflète une vision offensive et ambitieuse, nous permettant d’identifier un ensemble cohérent d’actions indispensables pour la requalification de la base économique et de la base sociale de nos villes et de nos régions. La planification stratégique est un des principaux outils du développement territorial, l’une des caractéristiques les plus intéressantes de cet outil étant justement le fait que chaque territoire peut adapter ses caractéristiques, ses besoins, ses possibilités particulières, le résultat de chaque processus étant un plan unique et non reproductible dans un autre contexte. Le cas concret de planification stratégique, en tant que processus participatif et dont je vais vous parler ici aujourd’hui, a pour cadre notre région, la région de Setúbal, sur la rive sud de la grande aire métropolitaine de Lisbonne et concerne une réalité qu’il était nécessaire de comprendre et de transformer, en agissant sur ses conditions économiques et de développement et pas seulement sur les conséquences ou les

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manifestations qui en découlaient, comme la désagrégation sociale, le chômage, la dégradation environnementale, le déclin économique, la spéculation immobilière entre autres manifestations. L’élaboration de notre plan stratégique est un projet global pour la région, et nous a permis de formuler des objectifs prioritaires. Les objectifs centraux de notre plan visent à réduire et à éliminer la distance qui sépare, encore aujourd’hui, la région de Setúbal des indicateurs de développement de l’ensemble de l’aire métropolitaine de Lisbonne, en faisant de la région de Setúbal une région plus compétitive, avec une plus grande capacité de croissance endogène et moins soumise aux énormes sacrifices qu’elle a endurés dans le passé dans des périodes de récession. Parmi les cinq grands objectifs ont été définis quatre axes stratégiques que vous pourrez retrouver sur notre site : www.pedps.com. Les axes stratégiques sont : 1- la promotion de la qualité du territoire régional ; 2- la promotion de la cohésion du tissu social de la péninsule ; 3- le renfort de la capacité du tissu d’entreprises ; 4- le renfort du système régional de connaissance. Notre plan constitue un document vivant, un processus suivi en permanence et qui sert également de base stratégique à l’intervention de tous les acteurs de la région. Le futur sera celui que les acteurs qui ont participé à ce processus voudront, les acteurs politiques, sociaux, économiques, culturels. Mais le grand défi qui se présente à nous, et telle est la grande question, est de réussir à obtenir la participation individuelle des citoyens en les motivant pour participer à la discussion des problèmes, en pariant sur la mise en valeur et la promotion des ressources humaines comme source fondamentale du processus de développement, et bien sûr du renforcement de la citoyenneté. Jaime ZEA – Maire de Villa El Salvador La vague migratoire survenue des années 1920 aux années 1960, de l’intérieur du pays vers la capitale, Lima, est à l’origine de la formation de nouveaux quartiers dans ce qui, historiquement, était connu sous le nom de « damier de Pizarro ». Cette intégration qui, au début, s’effectue de façon planifiée, devient désordonnée dans les années 60. Des quartiers populaires commencent à croître sur des terrains en friche, des installations sauvages surviennent sur des terrains de la périphérie de Lima. C’est ainsi que naît Villa El Salvador. Fin avril 1971, un groupe de familles sans logis, qui s’abritaient dans des taudis, s’approprie des terrains. Au début, ces personnes sont environ 400, mais leur nombre augmente pour atteindre 3 000. Leur installation entraîne des affrontements avec la police, qui se soldent par la mort d’un des occupants, Edilberto Ramos, puis par l’arrestation d’un évêque venu célébrer une messe sur les lieux du décès. Le gouvernement militaire alors au pouvoir, cherchant à apaiser une opinion publique choquée par ces évènements, se voit obligé de reloger les gens dans une zone désertique. Voilà comment a émergé Villa El Salvador, il y a 35 ans. Par la suite, nos parents, qui étaient jeunes à l’époque, nous apprirent qu’ils n’avaient pu construire une ville au milieu des sables qu’en respectant quatre principes :

• organisation ; • planification ; • solidarité ; • participation.

Ces quatre principes sont toujours aussi valables, avec quelques adaptations à l’évolution des temps. Le travail organisé, planifié et faisant appel à la participation de tous a permis d’instaurer des liens de solidarité très intenses et profonds, grâce auxquels il est possible de relever de considérables défis. À ce propos, nos pères eurent cette phrase pleine d’enseignements : « Parce que nous n’avons rien, nous ferons tout. » La première organisation, baptisée Communauté urbaine autogestionnaire, apparaît en 1973. Ses dirigeants, malgré leur faible préparation (la plupart n’ont pas fait d’études), sont assez avisés pour

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élaborer un premier Plan de développement de la communauté doté de deux grandes vertus : organisation et planification. Pensant aux générations futures, ils anticipent l’avenir avec clairvoyance. Ils conçoivent dans chaque quartier une structure urbaine modulaire, qui servira par la suite de base à la création d’une organisation de voisinage. Les pâtés de maison sont composés de 24 habitations. Un ensemble de 16 pâtés de maisons constitue un « groupe résidentiel ». Ce module élémentaire se répète dans l’ensemble du district. Pour ce qui concerne l’organisation, l’assemblée des habitants d’un pâté de maisons élit ses délégués. Au niveau au-dessus, l’assemblée du groupe résidentiel élit le conseil de direction centrale, c’est-à-dire l’organe de proximité. Enfin, l’ensemble des conseil de direction constitue la CUAVES (Comunidad Urbana Autogestionaria, Villa El Salvador). Actuellement, en plus des organes de proximité, il existe aussi des associations de femmes, d’entreprises, de commerçants, de jeunes, des associations culturelles, sportives, etc. Le deuxième Plan de développement voit le jour en 1984, date à laquelle Villa El Salvador se transforme en district. Pour la première fois, il existe un pouvoir local. Ce deuxième plan prévoit quatre zones de développement : une zone de plage, la zone urbaine, la zone agricole et la zone industrielle. Villa El Salvador se trouve à 20 km du centre de Lima. La ville compte 380 000 habitants, dont 65 % ont moins de 30 ans. Le budget municipal s’élève à 33 millions de soles (environ 9 milliards de dollars, soit 23 dollars par habitant par an). Nous compensons cependant cette carence économique par une participation communautaire, qui nous aidera à continuer l’édification de notre ville. Le troisième Plan de développement, à l’horizon 2021, se déroule de manière participative. Cette participation se reflète dans la nature ouverte de l’assemblée et dans le budget. Un diagnostic a aussi été réalisé, également sur le principe de la participation. Les résultats en ont été communiqués en assemblée. Lors d’une deuxième étape a débuté la formulation des propositions, de la perspective adoptée, des lignes et objectifs stratégiques, des programmes et projets. Là encore, toutes les zones du district ont participé. Une équipe municipale, aidée de consultants, a eu pour tâche d’organiser les différents apports. Cette forme d’organisation s’étend aux jeunes. Les adolescents planifient eux aussi leur travail et définissent leurs projets, afin que le budget participatif puisse financer les idées retenues. Cela se concrétise par l’intermédiaire des « municipalités scolaires », où les enfants à partir de quatre ans décident des besoins de leur établissement. Enfin, les processus de délibération ont lieu. En résumé, nous avons appris que :

• Nos droits ne nous sont pas offerts, nous devons les conquérir. • Nous avons le pouvoir d’influer sur l’évolution des métropoles et ce, à l’échelle nationale, car

d’autres municipalités s’inspirent de nos expériences. Patrick BRAOUEZEC – Président de la Communauté d’Agglomération Plaine Commune Je tiens tout d’abord à saluer l’initiative de la ville de Nanterre pour l’organisation de ce forum des autorités locales de périphérie. Cette initiative est nécessaire et devra se prolonger. Depuis les premières rencontres de Nanterre qui ont eu lieu en 2002, le réseau de ces villes de périphérie s’est enrichi et a contribué à mettre sur la scène internationale la question des villes périphériques, plaçant celles-ci au centre du débat sur l’avenir des métropoles. De même, les événements qui se sont déroulés en France en octobre et novembre 2005 ont aussi contribué à remettre les périphéries et les quartiers populaires au centre du débat sur l’avenir des villes et de notre société. Plaine Commune est une communauté d’agglomérations qui est constitué de 8 villes de la banlieue nord de Paris représentant 350 000 habitants. L’histoire nous relie à Paris dans un double mouvement. Ce territoire a été longtemps l’espace de rejet, hors des murs de Paris, de tout ce qui était nécessaire à la capitale, mais qui était en même temps source de pollution et de nuisance, et vit aujourd’hui de manière brutale les mutations économiques récentes. Parallèlement, ce territoire a également été le poumon industriel de toute la région : centre de vie urbaine autonome ; lieu de travail et de production ; lieu de dynamisme, de forces vives, de solidarité, d’accueil et d’égalité des droits.

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Notre territoire, comme beaucoup de territoires de banlieues, est au centre des métamorphoses de la société depuis des décennies. Il vit donc de manière très forte toutes les contradictions qui se manifestent. Il constitue ainsi un écho des tendances lourdes mondiales, à la fois inégalitaires et peu soucieuses de l’avenir de l’homme et de la planète. Nous sommes des villes populaires, et nous abordons notre avenir au sein d’un pays riche du Nord, mais avec des habitants dont les revenus sont parmi les plus bas de toute la France. Notre population se retrouve trop souvent en situation d’exclusion, d’enclave et d’accroissement des inégalités. Sur 165 communautés d’agglomération en France Plaine Commune se classe en avant dernière place, si l’on prend comme critère les revenus fiscaux des habitants. Nous constatons en outre que laissée à sa pente libérale naturelle, la région parisienne ne cesse de se développer de manière totalement déséquilibrée, creusant des inégalités et des ségrégations de territoires. Ce n’est donc pas sans raison qu’il y a quelques mois, la jeunesse des quartiers populaires s’est révoltée. Cette révolte est révélatrice de souffrance, de colère et de frustration, réclamant respect et dignité. Sur le territoire de Plaine Commune, nous recherchons un développement solidaire, en rupture avec un modèle de développement inégalitaire des territoires. Nous impulsons depuis plusieurs années un nouvel élan de développement local, en nous appuyant sur notre culture commune, sur notre richesse faite du brassage de nos populations. Nous souhaitons reprendre à notre compte ce qui a été dit précédemment : agir local et penser global. A mes yeux, les villes périphériques doivent agir à trois niveaux. Tout d’abord, elles doivent agir sur le plan local, en promouvant des politiques novatrices dans tous les domaines, et dans l’esprit de la Charte Européenne des Droits de l’Homme dans la ville, sur des principes de développement solidaire, d’égalité et de respect des droits pour chacun. Les villes périphériques doivent également prendre toute leur place dans les débats régionaux. Nous participons aujourd’hui au débat sur le schéma directeur de la région Ile-de-France. Ce travail est original, puisque nous devons dans ce débat affirmer la nécessité de changer la logique inégalitaire du développement de la région. Il faut rompre avec l’éloignement progressif des couches populaires de toutes les centralités, et nous appuyer sur nos atouts de banlieues populaires pour faire valoir la réalité de nouvelles centralités que peuvent constituer les périphéries. Nous voulons refuser la mise en concurrence des territoires et promouvoir une logique de coopération. La relation entre le centre et les périphéries se fonde trop souvent sur un principe d’échange inégal. Ainsi, en région Ile-de-France, nous souhaitons un rééquilibrage entre le centre et l’ensemble de sa périphérie, notamment dans le domaine du logement à vocation sociale. Nous voulons recentrer le débat sur la coopération entre territoires comme logique porteuse de développement pour tous, et notamment pour les périphéries. Nos villes et nos territoires de périphérie veulent contribuer au développement de leur région selon une autre logique que celle de la concurrence ordinaire qui a produit une extrême spécialisation des territoires, avec des zones de relégation spatiale et sociale face à d’autres cumulant les richesses, dans la plus parfaite ignorance de tout principe de solidarité. Nos villes populaires sont des espaces de projets : projets publics, d’aménagement et d’équipement, mais également projets privés ou associatifs issus d’entreprises ou de la société civile. Nous voulons donc promouvoir un développement solidaire des territoires. Nous avons choisi pour cela de nous appuyer sur le levier citoyen et sur les capacités propres à la périphérie. Les banlieues ouvrières ont depuis longtemps ouvert la voie à des réponses neuves, grâce à leur capacité de mobilisation citoyenne, inscrivant leurs populations, même les plus modestes, au cœur de la ville et de ces centralités. Les événements d’octobre et novembre derniers nous montrent la nécessité de placer les quartiers populaires au centre des réflexions et projets des politiques publiques. C’est en ce sens que nous avons proposé des états généraux des quartiers populaires. Nous revendiquons un développement polycentrique en région parisienne. Ce développement polycentrique permet notamment de bénéficier d’un développement régional dynamique et solidaire, offrant aux couches populaires la possibilité de trouver leur place à proximité des centres de décision et d’y participer. La périphérie se retrouve alors bien au centre.

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Nous défendons une autre logique que celle qui s’exprime dans la mondialisation : une logique qui part des hommes et du local, qui ouvre des brèches et qui affirme des principes de coopération pour des valeurs d’égalité et de solidarité à tous les niveaux. Enfin, les villes de périphérie doivent jouer tout leur rôle sur le plan international. Nous avons conscience, en tant que territoires de périphérie, que nous ne pouvons demeurer isolés si nous aspirons à proposer une autre mode de développement. Les villes populaires sont les premières à réaffirmer l’engagement en faveur de l’égalité des droits et la porter au niveau international. Nous avons besoin de réseaux, notamment internationaux, pour échanger nos expériences et analyses, et pousser sans cesse à l’élargissement des champs d’application de nos valeurs communes. A ce titre, je pense qu’il est important que d’autres villes rejoignent celles qui ont été signataires de la Charte des Droits de l’Homme dans la Ville, ces villes constituant alors des points d’appui pour une transformation sociale. Je souhaite que ce FALP soit suivi de nombreux autres forums, et que d’autres villes, à l’échelon de la planète, puissent être le relai de ce que nous connaissons aujourd’hui à Nanterre. Je vous remercie. DEBAT AVEC LA SALLE Jacques GUEVEL –Association pour le Mieux Vivre au Petit Nanterre Je fais partie de l’Association pour le Mieux Vivre au Petit-Nanterre. Je souhaite réagir sur la charte des droits de l’homme dans la ville. Depuis plusieurs années, nos confrères brésiliens ont fait la proposition d’une charte mondiale du droit à la ville. Des rapprochements seraient intéressants, et le FALP pourrait se saisir de cette proposition. En outre, je pense que pour avancer, nous devons passer d’un pôle de résistance de nos villes pour toutes les difficultés sociales, à un autre niveau d’appui en rompant définitivement avec le capitalisme. Jacques CAPET Nous n’avons pas abordé la question des banlieues riches. Beaucoup représentent ici des banlieues populaires et souvent très pauvres, mais toutes ne le sont pas, à l’instar de Neuilly ou de La Défense. A Nanterre, nous constituons d’une certaine manière la banlieue de La Défense, et même une partie de La Défense. Une part de l’activité économique de notre ville est liée à ce pôle international. Nous pouvons nous demander si nous ne jouons pas parfois un peu le jeu de la concurrence entre les métropoles industrielles. Pour justifier certains investissements sur Nanterre, il est souvent arguer qu’il est nécessaire de résister à la concurrence internationale et de tenir notre place, ce qui peut être contradictoire avec une ville populaire et progressiste. Olívio Dutra Il existe une question de fond dans cette relation entre périphéries et centre. Porto Alegre, par exemple, se situe au centre d’une région métropolitaine de vingt-trois municipalités, où se trouve Alvorada, mais Porto Alegre elle-même rencontre de sérieux problèmes dans la périphérie de ses villes. Il y a des villes très pauvres, habitées par des personnes très riches dans leur périphérie, alors que le centre se vide : il y a comme un retour de la pauvreté vers le centre et une sortie de la richesse vers la périphérie. Il se crée aussi une dispute interne entre les municipalités pour être celle qui offre le plus d’avantages pour de nouveaux investissements dans un cadre sans aucune planification ni consultation de la population. Juan Antonio HEREDIA Je crois qu’il est bon, dans ce genre de débats, que le centralisme soit aussi à l’ordre du jour, afin que les intervenants puissent se communiquer les difficultés que leur posent actuellement les questions de la périphérie, du centralisme et du pouvoir, puis clarifier les problèmes que nous rencontrons, nous, villes de la périphérie et avancer dans leur résolution. D’un autre côté, et bien que ma ville soit signataire de la Charte des droits de l’homme, et que nous soutenions l’idée du droit de vote des immigrés, je voudrais demander à Jaume Saura ce que nous pouvons faire de plus. N’allons-nous pas déclencher un ensemble de frustrations, en défendant des

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projets qui risquent de ne pas se réaliser ? Quelles autres démarches pouvons-nous adopter pour qu’au lieu d’une utopie, nous aboutissions à une solution immédiate ? Jaume SAURA Je vais répondre brièvement à Monsieur Heredia. Je pense qu’on risque de créer des frustrations si on parle d’accorder le droit de vote aux immigrés sans que cela se transforme en réalité, du fait que cela n’est pas du ressort des municipalités. Mais en attendant, que pouvons-nous faire ? Nous pouvons les intégrer à tous les processus de participation citoyenne qui se déroulent dans la ville, que ce soit aux référendums, si la législation du pays l’autorise, ou à tout autre type de consultation qui présente un intérêt du point de vue des étrangers. Le vote demeure, tous les quatre ans, une formalisation du droit de participation, et ce droit suppose beaucoup plus que le droit de vote. Par ce moyen, il est possible d’atténuer ces frustrations. En général, sans que cela vienne en réponse aux autres intervenants, je souhaiterais souligner, au fil des commentaires émis jusqu’à présent, une idée que j’ai déjà exprimée. Les droits énoncés dans la Charte des droits de l’homme dans la Ville sont de la responsabilité de toute municipalité. La Charte de Saint-Denis offre un programme politique de sauvegarde des droits de l’homme et chaque ville saura dorénavant quels aspects sont de son ressort. Pour moi, le caractère européen qui prévaut encore dans cette Charte doit tôt ou tard laisser place à un projet de Charte mondiale des droits de l’homme dans la Ville. Compte tenu de cette nécessité d’une charte mondiale, je considère que le forum idéal pour prendre la tête de ce projet est la CGLU. Patrick BRAOUEZEC Je partage ce qui vient d’être dit sur la Charte européenne des droits de l’Homme dans la ville, dont l’initiative revient à Barcelone, avec un premier travail d’élaboration en 1998. Nous l’avons élaborée sur la base des juridictions européennes. Nous devons en effet pouvoir l’étendre à tous les pays du monde, pour faire en sorte que les pouvoirs locaux soient des points d’appui dans l’accessibilité aux droits formels. Pour reprendre l’une des interventions précédentes, je pense que les mouvements et luttes fondés sur ces points d’appui constituent la meilleure façon de remettre en cause le capitalisme. Il ne faut pas attendre une prise de pouvoir par le haut, mais plutôt faire en sorte que ce pouvoir s’appuie sur le mouvement populaire. C’est dans cette articulation qu’il faut penser la transformation de la société. En ce qui concerne l’accroissement des inégalités par la fiscalité, nous connaissons très bien cette réalité en Ile-de-France. C’est une des régions les plus riches en Europe, et paradoxalement aussi des plus inégalitaires. Ne faudrait-il pas inventer un type de fiscalité nouveau permettant de redistribuer autrement les richesses ? Nous devons également rompre avec le monocentrisme, avec la reconnaissance en Ile-de-France de plusieurs centralités et pôles structurants. Ce sont autant de vraies questions, qu’en tant que villes populaires, nous sommes les plus à même de traiter et de porter sur la place publique. En outre, au sein de nos collectivités locales, comme je l’indiquais précédemment, nous devons promouvoir des innovations dans tous les domaines, y compris sur le plan économique, avec une conception des pouvoirs locaux comme étant des points d’appui pour une économie autre que marchande, pour favoriser les expériences d’économie sociale et solidaire, et de commerce équitable. Nous avons ainsi créé sur notre territoire le premier salon international du commerce équitable (EQUIT EXPO). Ce sont aussi par de telles initiatives que nous pouvons remettre en cause le système capitaliste.

Ana Teresa VICENTE

La plupart du temps nous nous contentons d’observer la périphérie, alors que c’est le centre qui doit être traité, auquel il faut apporter des solutions. Cela implique probablement de repenser le concept de

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régions, qui doivent être vues, pensées et organisées en réseau et non selon un concept de satellites, avec un centre et un ensemble d’autres centres rattachés à ce même centre. Nous devons également savoir distribuer et partager dans notre région, en fonction de la vocation spécifique de chaque territoire vu ou pensé localement. Il y a en qui possèdent une plus grande vocation à développer des projets liés à l’innovation, les pôles d’excellence par exemple. D’autres possèdent une plus grande vocation à développer des aspects liés à la production de qualité dans le secteur alimentaire, par exemple. D’autres encore ont pour vocation la concentration des plateformes logistiques et le développement. Fatima KONTE DOUMBIA – Maire de Bamako 1 Sur la question des exclusions sociales et des violences, je souhaite partager avec vous des expériences initiées au Mali. Tout d’abord, la ville de Bamako est un cas particulier. Cette métropole a en effet historiquement été peuplée par des populations issues de la périphérie, des banlieues et des campagnes. Au XVIème siècle, Bamako était encore un village. Aujourd’hui, à quelques kilomètres au-delà du centre ville, toutes les communes peuvent être considérées comme étant des communes périphériques. Les autorités locales sont obligées d’imaginer des stratégies pour faire face à l’exclusion sociale et à la violence. Bamako comprend parmi ses 60 quartiers des quartiers baptisés Manhattan ou Chicago, avec tout ce que cela suppose comme problème d’intégration sociale : drogue ; prostitution ; sida ; etc. Les collectivités locales n’ont pas le choix. A un niveau individuel, nous avons obligation de rechercher des stratégies pour répondre aux droits fondamentaux de la population en termes d’équipements économiques, d’infrastructures, etc. Au niveau de chaque collectivité, les populations elles-mêmes, qui ont pris conscience de cette situation, attendent de moins en moins de propositions de la part du Gouvernement et s’organisent elles-mêmes. Par exemple, à Bamako, au niveau de pratiquement tous les quartiers, nous avons des comités de développement participatifs. Ces comités organisent des débats au niveau des chefs de quartier. Leur objectif est ainsi d’organiser leur environnement et de faire des projets pour sortir de tous ces problèmes liés à la violence et à l’exclusion sociale. Je souhaite surtout partager avec vous l’expérience d’une association. Je suis la Secrétaire Générale de l’Association des municipalités du Mali. Les communes de Bamako, à deux ou trois kilomètres du centre, peuvent être considérées comme des périphéries. Aux environs de ces périphéries, nous trouvons d’autres communes. Un certain nombre de communes riveraines du district et du fleuve Niger ont mis en place une structure appelée « ACREDEL » pour essayer de répondre aux problèmes soulevés par l’exclusion sociale et par le manque de cadre de collaboration entre le centre de Bamako et ses communes. En termes de solidarité ACREDEL répond à l’un des objectifs que l’association des municipalités a définis : la promotion de l’intercommunalité. Le diagnostic partagé entre les 16 communes riveraines du district de Bamako et qui se sont constituées au sein de l’ACREDEL fait ressortir un certain nombre d’éléments, parmi lesquels nous trouvons la pression sur le foncier agricole, en raison de l’urbanisation, mais également en raison des pressions d’investisseurs urbains, créateurs de fermes d’élevage intensif. L’autre problème commun révélé par l’état des lieux réside dans la desserte des services de transport, eau potable, santé, marchés, etc. Le problème fondamental demeure néanmoins l’absence de coordination avec le district, qui fait des communes périphériques le dépotoir des déchets urbains de Bamako. C’est une des raisons pour lesquelles cette association a vu le jour. Les enjeux pour cette organisation sont multiples, et liés au plan de l’aménagement urbain. Il est absolument nécessaire qu’il y ait une certaine corrélation et synergie d’action entre les plans d’urbanisme élaborés et mis en œuvre par le centre, avec les plans d’urbanisme sectoriels. Les communes ont ainsi pensé qu’elles pourraient se réunir pour concevoir ensemble un schéma directeur d’aménagement urbain. La banlieue constituant un prolongement de l’urbain, il faut comprendre ce prolongement comme étant le renouvellement de l’urbain.

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Je tiens enfin à souligner que Monsieur GUSTAVE a hier bien centré le débat sur le problème des périphéries des banlieues, en rapprochant en amont ce problème de la mondialisation et des relations Nord – Sud, et en mettant en aval en parallèle la problématique même de la participation des mouvements sociaux et des associations de la société civile. Je vous remercie pour votre invitation, et je souhaiterais que ces espaces soient désormais davantage ouverts aux autorités locales africaines noires. La mondialisation est un problème qui nous concerne tous, y compris les Africains. Nous sommes d’un côté obligés de suivre la modernisation, tout en étant confrontés dans un même temps à nos réalités quotidiennes. La prise en charge de ces réalités peut peut-être trouver une réponse dans un cadre comme celui de ce forum des gouvernements locaux de périphéries. Je vous remercie. Hervé VIEILLARD BARRON – Universitaire – « Profession Banlieue » Permettez-moi de commencer par une précision concernant les sciences sociales et la géographie urbaine en particulier. Dès que nous raisonnons en termes scientifiques, nous sommes confrontés à des difficultés de langage et de vocabulaire. Par exemple, les mots « banlieue » et « périphérie » ne sont pas synonymes. Le mot « banlieue » possède lui-même plusieurs significations. En France, la banlieue est à la fois une ceinture urbanisée autour d’une ville centre et un terme renvoyant à la marginalité. La banlieue parisienne est à cet égard spécifique et unique au monde. Ses communes sont en effet chargées d’une histoire datant de l’époque gallo-romaine et de l’ère médiévale. La banlieue est également un lieu auquel s’identifie une culture jeune. Nous parlons de « jeunes de banlieue », mais il ne s’agit pas nécessairement de résidents de banlieue. Ils ont une expression, une culture propre, et une identité revendiquée. Enfin, la banlieue s’exprime également en termes d’exclusion, cette exclusion ne concernant pas forcément toutes les populations de banlieue, ni toutes les communes de banlieue. Nous sommes donc dans un schéma de fragmentation, plutôt que dans une logique radioconcentrique concernant la ville centre et la banlieue. De plus, d’un point de vue scientifique, le problème s’exprime en termes de comparabilité. Il est très difficile de comparer aujourd’hui les périphéries des villes d’Amérique Latine avec les banlieues françaises, puisque les logiques historiques, politiques, économiques et sociales ne sont pas les mêmes. Il faut selon moi raisonner en termes de quartiers, c'est-à-dire de fragmentation. Je voudrais par ailleurs également évoquer l’association Profession Banlieue qui a eu un rôle d’initiative très important à partir d’un espace délimité. Cette association est un centre de ressources « Politique de la Ville » né en 1993, sur une base associative, à partir d’une demande locale et sur le territoire de la Seine-Saint-Denis. Cette demande était d’abord celle des travailleurs sociaux et des chefs de projet de quartier en développement social du département. Ces acteurs avaient la volonté de mettre en synergie les travailleurs sociaux, les chefs de projet, les professionnels de terrain, les élus et les chercheurs. Cette démarche unique a eu des répercussions importantes sur plusieurs départements français. Aujourd’hui, nous comptons en effet 14 centres de ressources « Politique de la ville », la plupart sur une base associative, répartis dans les différentes villes de France. Il s’agit donc d’une logique d’ouverture et de multiplication. Les points forts de cette association résident tout d’abord dans son ancrage territorial. Cette association se caractérise ensuite par une conviction, c'est-à-dire l’idée que les professionnels, les chercheurs et les élus doivent agir ensemble dans la solidarité, avec les habitants. C’est aussi une volonté de travailler autrement, à partir du volontariat des professionnels, sans tenir compte des hiérarchies institutionnelles, et ceci dans un souci de confrontation démocratique et participative intégrant les différents acteurs. Cette association se définit également par une méthode, consistant en une mise en réseau des compétences locales, des ressources émanant des habitants, et des connaissances des chercheurs.

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Enfin, Profession Banlieue possède un financement partenarial, comprenant les villes du département de la Seine-Saint-Denis pour ce qui concerne le centre de ressources, la préfecture du département, la région Ile-de-France, le Fonds d’action sociale et de lutte contre les discriminations, la délégation interministérielle à la ville et le fonds social européen. Les grandes missions de cette association correspondent en priorité à une mise en réseaux et à la création de groupe de travail. Ces groupes réfléchissent sur la base de problèmes rencontrés par les professionnels de terrain. Ils travaillent également sur : les services publics ; l’égalité sociale et territoriale ; les femmes relais, les femmes médiatrices en liaison avec les instituts de travail social ; le développement économique et la qualification des territoires, avec pour but de rapprocher performance économique et performance sociale ; les politiques départementales de prévention de la délinquance ; les ateliers « santé ville » pour lutter contre les exclusions sociales en matière de santé. Cette association a également réalisé un travail très intéressant sur les outils méthodologiques nécessaires à l’observation des zones urbaines sensibles, en liaison avec les observatoires nationaux. Profession banlieue a aussi une mission de qualification des professionnels. Plusieurs cycles de qualification ont été mis en œuvre en 2005 autour par exemple de : la construction de l’identité sociale des jeunes ; les politiques comparées d’intégration en Europe ; la rénovation urbaine ; la mixité sociale. Ces missions se traduisent par des publications impulsées par le centre de ressources. L’association comprend ensuite des missions d’accompagnement, avec un souci d’expertise. Ces missions d’accompagnement concernent par exemple la lutte contre les discriminations, à l’embauche, ou à l’entrée dans le logement, etc. Enfin, Profession Banlieue met en œuvre une série de rencontres, formelles ou informelles : rencontres avec les élus ; avec des responsables étrangers lors de voyages d’étude ; etc. Ces différentes missions ouvrent des perspectives multiples pour les professionnels de terrain, pour les chercheurs et pour les élus. Tout ceci fonctionne en synergie, avec la volonté de lutter contre les discriminations et l’exclusion, de promouvoir l’émergence de quartiers, fondés sur une participation globale partant des habitants et pleinement reconnus politiquement, socialement et économiquement. Un intervenant AC LEFEU AC LEFEU est un Collectif qui est né suite aux révoltes sociales que nous avons connues au mois d’octobre dernier. Au regard de ce qui s’est passé en France pendant 21 jours, nous avons compris que la France allait mal, et que ces jeunes et moins jeunes qui se sont révoltés ne se reconnaissent pas dans cette société, ni dans les valeurs qu’elle prône : liberté, égalité, fraternité. Nous sommes donc face à un réel problème de société. Les initiales de notre Collectif signifient ceci : Liberté Egalité Fraternité Ensemble et Unis. Nous avons constaté que nous avions affaire à une classe politique souvent déconnectée de la réalité et loin de savoir ce qui se passe dans les quartiers. Nous avons donc décidé de créer ce collectif. Je suis éducateur et je travaille dans les quartiers de Clichy-sous-Bois Montfermeil, là où nous avons connu des révoltes très dures pendant 5 jours. Lors de ces émeutes, le Ministre de l’Intérieur n’a su que rajouter du désordre, sans réaction de la classe politique. En tant que citoyens, nous avons été otages de ce qui s’est passé, en raison d’enjeux politiques que nous n’avions pas à subir. La misère que nous subissons dans les quartiers est déjà suffisante. Il ne s’agit pas de vie dans ces quartiers, mais bien de survie. Le Premier Ministre nous a fait la morale en rappelant l’existence de zones de non-droit. Je suis d’accord. Les zones de non-droit sont là où l’on laisse les personnes vivre dans des quartiers insalubres, avec des problèmes d’emploi, de santé, d’éducation, etc. Il s’agit en effet de zones de non-droit… Récemment, l’Abbé Pierre est intervenu à l’Assemblée Nationale pour dénoncer le problème toujours non-résolu du logement depuis 50. Les députés ont applaudi, mais je pense que certains n’ont pas perçu dans ce message qu’au bout de 50 ans, ils n’avaient toujours rien compris. Notre Collectif effectue des démarches de rencontres citoyennes, en allant auprès de la population, là où certains hommes politiques ne sont plus, et là où se posent les vrais problèmes. Le rap, la polygamie, la

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démission des parents ont été accusés, alors que le problème est plutôt que certains hommes politiques ne prennent pas leurs responsabilités. Le Collectif AC LEFEU est donc plus dans une démarche participative qu’une démarche de diagnostic. Nous allons mettre en place ces rencontres citoyennes dans la France entière, tant dans les quartiers populaires que dans les quartiers ruraux. Nous avons dans ces quartiers des richesses qui ne sont pas montrées, au contraire des violences et délits bien plus souvent médiatisés. Ces quartiers ne se résument pas non plus au sport et à l’animation. Certains sont diplômés à bac+5 ou au-delà et sont capables de faire autre chose. Au travers de ces rencontres, nous allons mettre en place un cahier de doléances qui permettra aux résidents de ces quartiers de dresser des constats et de faire des propositions. Récemment, avec le Collectif Devoir de Mémoire, nous avons fait un appel pour inciter tout le monde à s’inscrire sur les listes électorales. Nos parents, issus de l’immigration, n’avaient pas le droit de vote. Leurs enfants en ont aujourd’hui le droit. Ce droit, d’une certaine manière, fait exister nos parents. Nous appelons donc ces jeunes à exercer leur droit. En outre, au mois d’octobre, nous organiserons une marche pacifique en direction de l’Assemblée Nationale pour aller remettre ce cahier de doléances au Gouvernement. Ce cahier émanera directement du peuple, et non du corps politique. Nous ne nous réclamons d’aucun parti. Nous faisons un acte citoyen, puisque nous sommes de plus en plus oubliés. A partir de maintenant, il va falloir faire avec ces personnes. Je vous remercie. Estrella NIETO – Municipalité de Rivas Vaciamadrid Bien qu’il s’avère difficile de parler de solidarité après ce que nous avons entendu lors de la dernière intervention, peut-être sommes-nous en train d’oublier que ce ne sont pas les villes qui sont solidaires, mais leurs habitants. Les droits de la personne préexistent aux droits du citoyen. Ce sont des personnes qui créent des villes, qui leur prêtent vie, et non les villes qui créent les personnes.

Rivas est une ville née d’un très petit noyau agricole. Elle commence à prendre de l’ampleur dans les années 1980, lorsqu’un groupe de citoyens, confrontés à la difficulté d’acheter un logement, lance un projet de coopératives ouvrières. Ils s’installent alors dans cette ville, où il n’y avait rien, pas de services, pas de moyens de transport. C’est pourquoi ils étaient obligés d’être solidaires, de s’organiser, d’essayer de survivre dans un lieu qui, vraiment, n’avait pas d’existence en tant que tel.

Ils fondèrent ainsi une ville vivante, puissante, qui attira d’autres groupes de gens partageant leurs idées. Depuis dix ans, la population a donc rapidement augmenté. Mais les problèmes se sont multipliés eux aussi, avec, notamment, les demandes de logement public des enfants nés de la première génération qui, aujourd’hui adultes, veulent résider à Rivas.

Mais nous avons aussi des travailleurs qui ne sont pas de la ville, beaucoup d’immigrants qui n’y habitent pas mais viennent y travailler et ont eux aussi des besoins (scolaires, etc.).

Être solidaire, c’est justement accueillir tous ceux qui passent. Mais nous œuvrons à surmonter les problèmes de ceux pour lesquels nous, autorités locales, n’avons pas de compétence (problèmes scolaires, de santé, de logement…).

À Rivas, l’éducation est le principal pilier. L’enseignement public est le même pour tous. Les enfants doivent vivre leur apprentissage dans l’égalité. Il faut faire tout ce qui est possible pour que des enfants de conditions diverses vivent ensemble, depuis le plus jeune âge.

Solidarité entre les villes. Quels sont nos problèmes, à nous, villes périphériques ? Comment collaborons-nous ensemble ? Disposons-nous des compétences nécessaires ? Vraiment, on n’a pas travaillé sur la question de la solidarité entre villes. Pourquoi ne pas œuvrer de concert ? Pourquoi ne pas rendre la société plus solidaire ? Pourquoi ceux que nous pouvons amener à s’engager, par nos efforts, ne constatent-ils pas notre solidarité ? Pourquoi ne pas créer des choses à mettre en commun, au

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lieu de les confiner à un territoire ? Nous pouvons partager, et créer des programmes ensemble, en transférant les obligations à des instances plus puissantes que nous, où soit représenté le monde entier, pour faire savoir qu’il existe une périphérie solidaire qui travaille conjointement afin que tous ceux qui vivent dans ces villes, ou y sont de passage, y trouvent leur place. William PAEZ Je pense que face à un problème d’exclusion, de discrimination, de mondialisation, nous affrontons en fait un problème de déshumanisation de la planète. Nous constatons que ces difficultés se répètent dans la grande majorité des villes du monde entier.

Cette solidarité dont on nous parlait, avec les expériences menées au Pérou et en Espagne, doit s’accompagner d’une politique d’intégration. En notre qualité de maires, nous nous plaignons de notre situation périphérique. Nous manquons d’appui de la part des instances nationales et régionales. Mais une décentralisation des ressources économiques ne permettrait pas que celles-ci atteignent la population. C’est pourquoi nous devrons, nous aussi, revoir la question, car si le problème se situe dans nos centres locaux, la solution doit être non seulement participative, mais directement active. Autrement dit, celui qui subit le problème doit aussi être partie intégrante de sa solution.

Au Venezuela, nous avons adopté en 1999 une nouvelle constitution. Il en est découlé une démocratie non seulement participative, mais qui demande aussi une action directe du citoyen. Le maire (et en cela, nous innovons, à Guarenas) n’a pas la possibilité de dépenser le moindre bolívar sans en débattre avec la structure sociale concernée.

En ce qui concerne l’exclusion, et là aussi du point de vue constitutionnel, il existe une politique de planification et de coordination des politiques publiques, tant pour le gouvernement central que pour les administrations régionales et locales. Il ne doit pas y avoir d’intervention de l’État en matière locale, en l’absence d’une coordination préalable avec les instances locales ou régionales.

Par conséquent, le problème n’est pas une question de ressources économiques, même si on tente de surmonter cet aspect. Le problème essentiel est que nous travaillons avec des êtres humains. Nous n’aurons donc pas fait preuve de faiblesse, en tant que périphérie, dans la mesure où nous serons parvenus à résoudre le problème de l’intégration, de la coordination et de la planification des politiques publiques.

Michel BOULANGER Je suis Conseiller municipal sur une liste citoyenne de la ville de Bondy. J’ai été frappé par les témoignages de Jaime ZEA, de Fatima KONTE DOUMBIA et d’Estrella NIETO GARCIA. Aujourd’hui, quel est le projet pouvant fédérer autant d’énergie permettant de combattre cette relégation sociale ? La démocratie participative est malheureusement trop souvent aujourd’hui pour les politiques classiques une sorte de cosmétique. Au lieu de changer le pansement, il conviendrait de penser le changement. Je remercie les organisateurs de ce forum qui nous permet d’échanger entre nous et de prendre conscience d’autres réalités, notamment en Amérique Latine et en Afrique. En tant qu’élu, ces échanges me redonnent envie de poursuivre cette mobilisation et de continuer travailler en ce sens. Ari VANAZZI Une question importante tient au fait que les villes des périphéries des métropoles sont souvent « monopolisées » économiquement et financièrement par quelques entreprises. Par exemple, dans la périphérie de Porto Alegre, les transports de la région de Vale dos Sinos, qui comprend une dizaine de villes, constituent le monopole de trois ou quatre entreprises. Le ramassage des ordures de la ville est le monopole d’une entreprise internationale dont le siège se trouve en France. Comment les pouvoirs publics de l’État, municipaux et fédéraux pourraient-ils établir des règles, une législation pour pouvoir lutter économiquement ?

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Patrick BRAOUEZEC En ce qui concerne la question évoquée de la mondialisation et du processus de déshumanisation. Je pense que nous pourrions même parler de « désindividuation ». Parce que nous assistons de fait à une perte du collectif, qui induit une perte de sens pour chaque individu. Au centre de la ville, il y a l’être humain. C’est à partir de cet être humain que nous devons construire des politiques nouvelles et novatrices. C’est la raison pour laquelle il est important d’agir sur plusieurs niveaux : local, avec de nouvelles pratiques de démocratie participative ; régional, car nous ne pourrons pas continuer à vivre longtemps dans des territoires aussi inégalitaires ; international, puisque nous sommes encore plus riches lorsque nous pouvons échanger. Je me réjouis de la remarque faite sur les expériences venant de loin et sur le caractère remotivant de ces exemples. J’ai été maire de Saint-Denis pendant 14 ans, et j’ai trouvé durant ces années beaucoup de ressources dans les relations que nous avons eues avec d’autres villes, notamment Porto Alegre. Ceci nous a permis de renouveler nos politiques, à la fois dans la forme et dans le fond. Enfin, nous avons en effet besoin de renforcer les réseaux de villes, même dans celles où nous sommes minoritaires. Dans ce cas, nous devons poser la question à la majorité municipale de sa participation à ces réseaux, et exiger, même en tant que minoritaires, de participer. Je pense que nous ne mesurons pas ce qui a été révélé par les événements d’octobre. Ce n’est pas seulement la question des quartiers populaires en milieux urbains qui nous est posée, mais bien celle des couches populaires, dans tous les espaces de la société, y compris en milieu rural. La souffrance de la jeunesse en milieu rural est une réalité. Il nous faut donc tenter de retrouver tout ou partie de cette jeunesse autour d’un projet partagé construit sur ses revendications, et non sur une traduction politique faite par des hommes politiques. Nous devons, non pas maîtriser, mais accompagner ce processus.

Fatima KONTE DOUMBIA

Nous ne pouvons que nous réjouir de l’initiative d’avoir organisé le forum auquel nous participons aujourd’hui. Peut-être faudrait-il veiller à ce que les forums prochains soient organisés de manière à permettre aux participants d’en retirer un maximum de profit. Ce sont des espaces d’échanges d’expériences, et nous avons tous à apprendre les uns des autres. Ces espaces mériteraient donc d’être ouverts à plus de participants, et surtout des participants venant d’horizons divers. Quoi qu’il en soit je suis très heureuse d’avoir pu participer à ces débats.

Hervé VIEILLARD BARRON

Il faut penser à présent en termes de globalisation, de mondialisation et de lutte contre la déshumanisation. Il n’est plus possible de penser la ville aujourd’hui comme une opposition entre centre et périphérie. Ce n’est pas aussi simple. Les différences d’échelles nous conduisent à apporter un diagnostic de fragmentation, comprenant des zones de repli, d’abord du côté des plus riches, et susceptibles d’amener les plus pauvres à être marginalisés et à avoir des comportements de révolte. La révolte des jeunes au mois d’octobre dernier nous a montré qu’il y avait toujours en France un appel très fort à l’Etat, même avec une lourde critique de ce dernier. Cette critique elle-même traduit l’importance que nous attachons à l’Etat. Dans d’autres pays, notamment en Amérique Latine, nous constatons des auto-organisations qui se font parallèlement à un Etat qui ne suscite plus beaucoup d’espoir. Il faut donc savoir repenser les problèmes selon les contextes, selon les logiques nationales, locales et parfois culturelles.

Un intervenant (AC LEFEU)

Je souhaite simplement indiquer que notre Collectif fera bientôt une conférence de presse pour annoncer les villes où nous serons présents. Si des associations, des collectifs ou des citoyens sont prêts à nous

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accueillir, ils peuvent nous contacter à l’adresse suivante : [email protected] Je vous remercie de votre invitation à ce forum. Jaume SAURA En décembre de cette année aura lieu la Ve Conférence des villes en faveur des droits de l’homme à Lyon. Je vous invite tous à y participer.

Estrella NIETO C’est Rivas-Vaciamadrid, ville périphérique, qui organisera en juin le prochain Forum mondial des migrations. Nous misons beaucoup sur ce projet. L’accueil que nous réserverons aux participants reflètera celui que nous réservons à tous ceux qui viennent y vivre ou y sont de passage. Jaime ZEA Nous devons être sensibles au fait que les problèmes humains sont des problèmes individuels, sociaux, collectifs, qui demandent des réponses non pas individuelles, mais collectives. Si nos politiques ne se montrent pas à la hauteur des circonstances, nous-mêmes, ou ceux qui émergeront de la société, devrons établir un programme, donner le signal d’une nouvelle démocratie, d’une culture politique. Il ne faut pas seulement exiger. Il faut aussi lancer des propositions. Et les propositions novatrices viennent d’en bas, pas d’en haut.

Ana Teresa VICENTE

Personnellement, je ne me sens ni effrayée ni inhibée par cette différence de réalités que nous sentons exister entre nous, et qui existe dans les expériences racontées par chacun de nous. Bien au contraire, nous avons tous évolué et appris à partir des expériences que nous observons en des points du globe aussi différents que Porto Alegre d’une part, ou Barcelone de l’autre, ne serait-ce que pour citer deux exemples. Nous avons tous appris et évolué dans notre réflexion partant de l’apprentissage de la différence et des expériences de chacun. Je pense que c'est un chemin possible pour ces forums et c’est aussi un chemin possible pour construire un autre monde que nous appelons de nos vœux, où l’égalité, la solidarité et la justice existent en effet. Merci Nanterre, merci à tous.

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Atelier 7 : Expériences d’institutions métropolitaines vécues par les périphéries

Dans le monde, des institutions politiques métropolitaines cherchent à se construire pour mettre en rapport territoire administratif et territoire vécu. Où en sont ces expériences ? Comment sont-elles comprises par certaines villes de périphérie ? Participent à l’atelier : Maurice CHARRIER, Maire de Vaulx-en-Velin, Métropole de Lyon, Vice-président du GRAND LYON ; Vice président du Conseil national des Villes ; Vice président de l’Association Internationale des villes nouvelles (INTA)) Pierre MANSAT, Maire adjoint de Paris ; Julien PREAU, Université de Montpellier ; Ivan ARCAS, Maire de Molins de Rei, Métropole de Barcelone, Espagne ; Demetrio MORABITO, adjoint au Maire de Sesto San Giovanni, Métropole de Milan, Italie. Dr. Marcos CARAMBULA, Maire de Canelones, Métropole de Montevideo, Uruguay ; Modérateur : Simon RONAI, géographe. Simon RONAI Quels peuvent être les rapports entre la périphérie et le cœur des métropoles ? Les concepts de périphérie et de centre, en tout cas pour la situation française, sont-il toujours pertinents ? L’organisation de certaines métropoles peut-il nous aider à mieux apprécier la situation française ? Telles sont les questions auxquelles nous essaierons de répondre au cours de cet atelier. En région parisienne, les rapports centre/périphérie ou Paris/banlieue sont un sujet délicat et conflictuel, sans doute davantage que dans les grandes capitales étrangères. Les raisons de cette spécificité sont multiples. Elles sont d’abord historiques. La coupure entre Paris et les villes de banlieue est extrêmement prégnante dans l’espace, avec les remparts dans le passé et le périphérique aujourd’hui. On note également une très grande différence de forme urbaine et de densité entre Paris intramuros et la banlieue. De plus, il existe des coupures politiques très fortes, qui sont liées à la force des communes en France et s’agissant de la région parisienne à l’originalité historique de ce qu’a été la « banlieue rouge ». Deux départements à direction communiste ont accentué pendant longtemps la coupure entre la ville-centre et les territoires voisins. Par ailleurs, il convient de rappeler que jusqu’à 1977, la ville de Paris n’avait pas de mairie et était directement sous la tutelle de l’Etat. Tous ces éléments peuvent expliquer que la coupure entre Paris et la banlieue soit aussi vivace et soit encore aujourd’hui vécue comme quelque chose d’extrêmement brutale. Depuis très longtemps, toute une série de grands organismes techniques assurent le fonctionnement de l’agglomération : les organismes supra-communaux pour le traitement des déchets, la distribution de l’eau et de l’énergie ; un syndicat de transport qui s’étend au-delà des limites communales ; de très grands organismes constructeurs ; un organisme hospitalier (AP-HP), etc. Face à une balkanisation communale politique, ces services publics ou d’intérêt général assurent le fonctionnement quotidien de l’agglomération. Depuis quelques années, ce système ne fonctionne plus et touche ses limites. D’abord, le creusement des inégalités est croissant, de plus en plus visible, tellement important qu’il finira par emporter la métropole elle-même. Ces inégalités sociales deviendront ingérables si l’on continue à les laisser se développer au rythme actuel. On note néanmoins des éléments plus positifs, et en particulier la diffusion de la centralité parisienne : un grand nombre d’activités économiques, de grands équipements se diffusent dans la banlieue. La coupure qu’on pouvait constater, notamment s’agissant du prix du foncier, commence à se résorber. Ce n’est pas forcément bénéfique pour les populations qui habitent dans ces communes. Mais en tout cas, cela signifie que Paris sort de ses frontières.

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Par ailleurs, un certain nombre d’indices semblent montrer que l’Ile-de-France rencontre des difficultés et recule par rapport à ses principaux concurrents au plan mondial. Le développement économique est moins rapide que dans la plupart des grandes métropoles européennes. Un certain nombre de points d’alerte montrent que le fonctionnement de l’agglomération ne devrait plus continuer tel qu’il est. Ce constat amène la question suivante. Est-ce que des réponses institutionnelles peuvent être un vecteur de correction des inégalités ? La région parisienne est un exemple incroyable d’inorganisation politique. Elle regroupe 1 300 communes, 8 départements, 80 intercommunalités. Toutes ces institutions sont politiquement légitimes. Aucune n’a d’autorité sur une autre. Il n’y a donc pas de lieu de régulation et de discussion sur le fonctionnement de cette agglomération. Enfin, il faut savoir que la ville de Paris ne représente que 2,2 millions d’habitants dans une agglomération de 12 millions d’habitants. Elle ne peut évidemment pas dominer cette région. A l’inverse, on ne peut pas la minorer au point de faire comme si elle n’existait pas le cas, comme c’est souvent la tentation. Actuellement est en cours le débat sur la révision du schéma d’aménagement de la région Ile-de-France. Se pose dans ce cadre la question de la place de Paris dans la région. Plu généralement, quels sont les moyens de mieux faire fonctionner l’agglomération, pas seulement sous l’angle technique, mais également sous l’angle d’une réduction des inégalités, d’une meilleure répartition des richesses, d’une plus grande diversité sociale dans l’ensemble du territoire. Je propose à Maurice Charrier de nous présenter la situation de l’agglomération lyonnaise. Maurice CHARRIER-Maire de Vaux en Velin ; Vice président du Grand Lyon Vaulx-en-Velin et l’agglomération lyonnaise L’agglomération lyonnaise rassemble 1 200 000 habitants. Elle est composée de 55 communes, qui fonctionnent en intercommunalité depuis 1969. Elle est située dans la région Rhône-Alpes, qui compte 5 millions d’habitants. L’agglomération lyonnaise est un espace européen attractif. Elle est le premier pôle de développement français en dehors de la région parisienne. Elle est fortement présente dans un certain nombre de domaines comme les biotechnologies, le domaine de la santé ou les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Elle se développe avec le concours de très grands architectes. Le Grand Lyon a lancé une démarche stratégique pour se donner une vision métropolitaine. Cette réflexion, intitulée « Lyon 2020 », doit permettre au Grand Lyon d’être compétitive et reconnue au niveau international. Il faut dire que cette métropole possède un potentiel de rayonnement important, avec un cadre de vie très agréable. Cela dit, ce cadre de vie n’est pas obligatoirement vécu de façon positive par l’ensemble des habitants. L’agglomération a beaucoup d’atouts, mais elle est aussi marquée par la fragmentation territoriale et les inégalités sociales. Ainsi entre les deux recensements de 1989 et 2000, il apparaît que le niveau des revenus moyens des familles dans la partie Ouest de l’agglomération augmente de 11 % à 17 %, alors que dans la partie Est certaines familles ne connaissent qu’une très légère hausse, voire une baisse de leurs revenus. Le phénomène de pauvreté est accentué dans les quartiers populaires. Les bas revenus sont trois fois plus nombreux dans ces quartiers que dans le reste de l’agglomération lyonnaise. Il en est de même au niveau de l’emploi. Le taux de chômage est deux fois plus élevé dans les quartiers de catégorie 1 de la politique de la ville (les quartiers les plus précarisés) que dans le reste de l’agglomération. Vaulx-en-Velin est une commune d’un peu plus de 40 000 habitants. Elle est située dans la première couronne Est de l’agglomération lyonnaise. Elle se caractérise par des difficultés sociales considérables. Le revenu moyen des familles de Vaulx-en-Velin représente la moitié du revenu moyen des familles lyonnaises. Le taux de chômage sur ma commune représente au moins le double de celui de Lyon. Cela dit, Vaulx-en-Velin possède de grandes potentialités. La potentialité essentielle est d’être située sur un axe majeur du développement futur de l’agglomération lyonnaise (l’axe qui va de l’hyper-centre de Lyon à l’aéroport international de Saint-Exupéry).

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Vaulx-en-Velin possède également une réelle qualité environnementale puisque le tiers de son territoire est classé en espace naturel protégé. En outre, la ville dispose d’un fort potentiel économique avec 1 600 établissements. De plus, la commune a développé des politiques qui la place comme l’une des centralités de l’agglomération, que ce soit dans le domaine de la culture scientifique et technique avec le Planétarium ou dans la recherche scientifique avec le pôle de compétence en urbanisme et architecture, l’Ecole Nationale des Travaux Publics de l’Etat et l’Ecole d’Architecture. Cela dit, la principale richesse de la ville est sa population. Nous disposons d’un mouvement associatif particulièrement riche et d’une vie culturelle très animée. Vaulx-en-Velin possède donc des atouts considérables mais, dans le même temps, elle est frappée par de graves problèmes sociaux. Au cours des décennies passées, elle a eu à gérer un certain nombre de crises urbaines. Pour autant, nous avons pu faire la démonstration que les villes de la périphérie de l’agglomération lyonnaise, et notamment Vaulx-en-Velin, peuvent jouer un rôle essentiel dans le renforcement économique, social et environnemental de la métropole, et contribuer ainsi au développement de la citoyenneté et à la cohésion sociale. Ce principe, il a fallu le faire accepter par l’agglomération, qui, il y a encore une dizaine d’années, avait une tendance très forte à sous-estimer les atouts et les capacités de la première couronne de l’agglomération lyonnaise. Je dirais même qu’il y avait un certain mépris à l’égard de nos communes. Ce mépris s’exprimait notamment par la non-reconnaissance des savoir-faire et des savoir-être des habitants de nos communes et plus particulièrement de Vaulx-en-Velin. Il nous a également fallu accomplir une certaine révolution culturelle et faire un effort sur nous-mêmes. En effet, chez les habitants de la ville et même au sein de la municipalité de Vaulx-en-Velin, il y avait une tendance à se considérer comme la citadelle assiégée, en situation de résistance permanente vis-à-vis de l’agglomération. Cela conduisait à un repli sur soi. Il a fallu développer au sein de la municipalité et en direction de la population tout un débat pour à la fois bien défendre notre identité communale et admettre qu’un certain nombre de nos problèmes ne pouvaient se résoudre qu’en interpellant l’agglomération lyonnaise. Cette démarche a nécessité beaucoup de temps et d’efforts. Par exemple, il a fallu faire évoluer le schéma de développement des transports en commun. Jusqu’alors, l’ensemble des lignes fortes de transport en commun s’arrêtaient aux portes de Vaulx-en-Velin. Il nous a fallu également favoriser l’implantation dans la ville d’équipements d’agglomération (par exemple, l’école d’architecture, l’école nationale des ingénieurs en travaux publics de l’Etat, le planétarium, le pôle de culture scientifique et technique). Nous avons aussi favorisé l’émergence d’actions culturelles à dimension d’agglomération ou même régional (le festival de jazz, le cirque, la culture scientifique et technique). Nous avons aussi fait en sorte que nos écoles tendent à devenir des pôles d’excellence et qu’elles soient marquées par l’innovation pédagogique. Il s’est agi également de faire reconnaître les réussites et les savoir-faire de nos jeunes. Je précise d’ailleurs que le lycée de Vaulx-en-Velin, qui n’accueille que des élèves de la ville, affiche un taux de réussite au baccalauréat qui est dans la moyenne nationale. Il nous a également fallu fréquenter des forums et des salons professionnels, provoquer des rencontres avec les décideurs. Il a fallu faire partager tout ce travail par la population. Nos actions participaient à la mise en œuvre d’une ambition : tirer la ville par le haut. Mais il y avait aussi le souci de tirer la ville par le haut sans la déraciner. Notre enjeu était donc de faire partager cette ambition par la population. Quels résultats avons-nous obtenu ? Aujourd’hui, Vaulx-en-Velin reste une ville populaire. Nous en sommes fiers. Cela dit, nous constatons un développement du sentiment d’appartenance de la population à la ville, mais aussi à l’agglomération. Nous constatons aussi un retour de l’investissement privé sur la commune. Cette dernière est marquée par des opérations de renouvellement urbain et d’urbanisme qui ont une dimension métropolitaine ou régionale. A partir de notre expérience, il s’est même développé un nouveau mode de gouvernance entre la ville et la communauté urbaine de Lyon. Par exemple, un certain nombre de compétences fonctionnent sur la base du partage et de la subsidiarité.

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Toutefois des problèmes essentiels subsistent. Un exemple : Jusqu’ici, les communes et la communauté urbaine se partageaient les ressources fiscales. Il y a deux ou trois ans, nous sommes passés à un autre système. En l’occurrence, les communes perçoivent la totalité des impôts payés par les familles et la communauté encaisse la totalité de l’impôt économique c'est-à-dire la taxe professionnelle. Cependant, une part de la taxe professionnelle est dégrevée et compensée par l’Etat. Or la dévolution de cette part compensée, qui représente près de la moitié de la ressource fiscale, dépend d’une décision de l’Etat. Nous vivons ainsi dans le paradoxe suivant. Il a été demandé aux communautés urbaines de s’engager dans de nouvelles compétences. Dans le même temps, on a enlevé à ces communautés urbaines une grande part de leur autonomie financière. Ainsi, les dépenses structurelles des agglomérations augmentent plus vite que les capacités financières. Cela met les intercommunalités dans des situations difficiles. Il y a par ailleurs un débat en France sur la question de la fiscalité. Personnellement, je suis pour l’impôt. D’ailleurs, dans ma commune, les impôts sont relativement élevés. Je suis favorable à une réforme de la fiscalité permettant de rendre plus équitable en fonction de la situation des familles. Mais je n’ai rien trouvé meilleur que l’impôt pour assurer les solidarités entre les territoires et les familles. Cela dit, nous sommes piégés par ce discours démagogue de la baisse des impôts. J’observe d’ailleurs que la baisse des impôts en France profite plus aux hauts revenus qu’aux bas revenus. Je reviens sur la distinction entre banlieue et agglomération. Je me qualifie comme maire d’une ville de banlieue car je n’ai pas honte d’être maire d’une ville populaire. Dans le même temps, j’aime bien me qualifier de maire d’une ville d’agglomération parce que je tiens à ce que ma ville soit reconnue comme une ville de l’agglomération lyonnaise. Pour évoquer les rapports d’une ville de banlieue avec l’agglomération, je partirai de notre propre expérience. Nous sommes parvenus à faire admettre le principe que l’agglomération ne pouvait pas construire son rayonnement, y compris son rayonnement international, si une partie de son territoire dysfonctionnait. Le rayonnement de l’agglomération lyonnaise nécessitait le développement des solidarités à l’intérieur de son territoire. Nous nous sommes rendus compte que le développement des solidarités ne pouvait se faire qu’au niveau de l’agglomération. Cette dernière est la condition nécessaire du développement des solidarités, mais elle n’est pas suffisante. En effet, bien que nous soyons dans une intercommunalité forte, il faut bien avouer que les disparités fortes ne se sont pas effacées. Parfois, elles se sont mêmes aggravées. Pour résoudre un certain nombre de problèmes qui se posent sur ma commune, je dois interpeller l’agglomération lyonnaise. Par exemple, pour assurer un meilleur équilibre de l’offre de logements sociaux dans ma commune, je me dois d’interpeller l’agglomération pour que les autres communes s’engagent aussi dans la production de logements sociaux. Nous vivons ainsi au sein de l’agglomération dans un dialogue et dans un jeu de relations subtiles où d’un côté une ville comme Vaulx-en-Velin se dit qu’elle a de la chance d’être à côté de Lyon, et d’un autre côté Lyon peut se dire qu’elle a de la chance d’avoir des communes périphériques où le développement est possible. Si nous avons construit à réussir cette gouvernance, c’est peut-être parce que la communauté urbaine n’est pas élue au suffrage universel. En effet, si elle était élue au suffrage universel, la communauté urbaine deviendrait un enjeu politique tel que les plus faibles seraient écrasés par les plus forts. Nous avons engagé un travail sur les territoires associés. Nous élaborons le schéma d’aménagement territorial avec des territoires qui sont en dehors de la communauté urbaine. Ce mode de gouvernance a d’ailleurs conduit deux communes à demander leur adhésion à la communauté urbaine de Lyon. Ces adhésions montrent que nous sommes parvenus à développer un certain mode de gouvernance. Enfin, forts de ces expériences, nous avons voulu créer à partir de Vaulx-en-Velin un réseau européen de villes d’agglomération. Cette association, qui regroupe entre 80 et 100 municipalités sur une quinzaine de pays européens, a pour objectif d’interpeller les institutions européennes de développer dans le prochain programme URBACT un réseau spécifique de villes d’agglomération. En effet, nous considérons que dans les textes fondamentaux de la Communauté Européenne, le fait urbain est absent ou insuffisamment présent. Quand la Communauté Européenne aborde la question de la ville, ce n’est

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que sous l’angle des métropoles. L’Union Européenne est en train de redéfinir ses financements dans le cadre des politiques urbaines et de solidarité. Nous voulons donc participer à ce débat. C’est la raison pour laquelle nous avons créé ce réseau de villes européennes. Pierre MANSAT-Adjoint au maire de Paris L’agglomération parisienne Je me retrouve dans la présentation de l’évolution des métropoles qu’a faite Madame Jaillet Roman lors de la conférence d’ouverture du Forum. A l’inverse, j’ai contesté vivement la présentation qui opposait un centre égoïste et replié sur lui-même à une périphérie qui serait porteuse du dynamisme et de la novation. A mon sens, cette vision est fausse. Par contre, dans l’évolution des métropoles, il y a un enjeu qui est essentielle et qui peut se poser sous la forme d’une question : Doit-on abandonner le cœur de la métropole à la loi du marché ? En d’autres termes, doit-on se résigner à ce que le cœur de la métropole devienne le lieu d’un côté, d’une population riche et productive, et de l’autre, d’une population précarisée, les classes moyennes étant poussées vers la périphérie ? Ce tableau correspond à la situation parisienne. Dans Paris, une ville de 2,2 millions d’habitants, 12 % des habitants sont en situation de pauvreté (moins de 720 euros par mois). La ville compte 60 000 allocataires du RMI (en hausse de 28 % en trois ans), un taux de chômage de 11 %, mille immeubles en situation d’insalubrité avec entre 500 et 2 000 enfants atteints de saturnisme. Le maintien de la diversité en termes d’activités et en termes sociaux du cœur de la métropole est essentiel. Je ne vois pas comment la métropole pourrait être solidaire, alors même qu’elle souffrirait d’une ségrégation en son cœur. J’aimerais également souligner l’extrême imbrication dans le mouvement de métropolisation. J’entends par là l’imbrication des territoires et des façons de vivre, avec des modifications extrêmement profondes qui ne reflètent plus ce rapport centre/périphérie. Je vous donne un exemple. L’Ile-de-France compte 5,5 millions emplois, dont 1,6 million dans le seul territoire parisien. Ces emplois parisiens sont aujourd’hui occupés par 800 000 habitants de la banlieue. Or ce mouvement diminue. Il apparaît dans l’autre sens le mouvement des habitants parisiens qui occupent des emplois en dehors de la ville. Ainsi, le tiers de la population active parisienne (soit 300 000 personnes) travaille en dehors du territoire parisien. C’est la grande évolution urbaine de ces dernières années. Ce mouvement pose des problèmes divers, et notamment d’équipements et de transport. On observe également une imbrication extrême des modes de vie. Par exemple, les pratiques d’achat et les pratiques culturelles sont modifiées considérablement. Cela se traduit par une explosion de la mobilité. Ainsi, la part des déplacements domicile/travail est à présent minoritaire dans les déplacements quotidiens. Il y a une inadéquation entre la façon dont sont vécus les territoires et les institutions politiques. Ces dernières ne sont pas à l’échelle où se posent les enjeux. Simon Ronai a parlé du morcellement des organisations politiques. Des efforts sont accomplis pour adapter à des échelles plus pertinentes autour des intercommunalités. Mais ils restent extrêmement modestes. En effet, ce mouvement se fait souvent autour de l’opportunité politique et parfois de la concentration de richesse. Surtout, il y a une difficulté majeure. En l’occurrence, ces intercommunalités ne prennent jamais en compte le rapport avec Paris. En effet, la loi ne permet pas d’intégrer une ville de 2,2 millions d’habitants, qui est également un département, dans une intercommunalité. Les institutions démocratiques ne correspondent donc pas à l’imbrication extrême de la vie et des territoires. Il s’agit d’un vrai problème pour la cohérence des politiques publiques. Depuis 2001, nous avons posé la question de la nécessaire solidarité de l’ensemble de l’agglomération parisienne. Nous avons essayé de le faire en instaurant un dialogue politique entre Paris et les collectivités, ce qui n’avait pas été fait auparavant. Cela s’est traduit par des actions de coopération diverses. Par exemple, nous avons créé une conférence interdépartementale avec le Val-de-Marne et nous envisageons de faire de même avec la Seine-Saint-Denis. Nous pensons néanmoins que ces rapports bilatéraux ne sont pas suffisants. Nous estimons qu’il faut faire évaluer la gouvernance démocratique, tout en refusant d’entrer dans ce débat par la méthode institutionnelle. En l’occurrence, Paris ne propose pas de créer une forme d’institution démocratique nouvelle. Nous proposons avant tout une méthode de dialogue démocratique. Nous estimons qu’un mouvement volontaire des élus doit

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définir ce périmètre. Pour cela, un interlocuteur nous semble indispensable. Il s’agit du Conseil Régional. Cette institution est légitime, mais au regard des enjeux, ne peut pas prétendre être la seule institution démocratique à l’échelle nécessaire. Nous avons donc proposé la création d’une « conférence métropolitaine ». Nous proposons aux maires et aux présidents de communautés d’agglomération du cœur de la métropole francilienne de se constituer en conférence. Julien PREAU - Universitaire L’organisation du territoire français Le fait intercommunal s’impose. Au début de l’application de la loi Chevènement, qui institutionnalise véritablement les ensembles métropolitains, 53 % des communes sur le territoire français appartenaient à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) qui communautarisait 58 % de la population française. En 2006, environ 90 % des communes françaises appartiennent à un EPCI, ce qui représente 91 % de la population française. Malgré cela, la France fait l’objet de critiques récurrentes sur l’organisation de son territoire, notamment à l’échelle municipale. Les critiques européennes font remarquer que la France a autant de communes que le reste de l’Union Européenne. Elle se paye même le luxe d’avoir dix municipalités sans habitants. Les critiques américains notent que pour réduire ce nombre de communes, la France aura créé quasiment la moitié d’institutions de coopération intercommunale. Si on regarde maintenant la réalité institutionnelle, on pourrait faire état du discours de Brice Hortefeux en octobre 2005 qui tendait à montrer qu’on n’était pas parvenu à réaliser le leitmotiv de la réforme intercommunale, à savoir les économies d’échelle, ou du rapport de la Cour des Comptes en novembre 2005 sur le non-aboutissement d’un processus d’agglomération engagé il y a parfois plus de vingt ou trente ans. Les nuances à apporter à ces deux dernières critiques sont les suivantes. D’abord, quand on change d’échelle, on ne réalise pas d’économies à court ou moyen terme. Ensuite, le non-aboutissement porté par le rapport de la Cour des Comptes fait plus état du manque de coordination politique. Il renvoie plus à la question de la légitimité politique de ces territoires agglomérés, qui renvoie elle-même à la question de la nature politique de ces territoires. Le premier enjeu de la réforme est l’intégration de l’échelle métropolitaine dans le système local français, dans un contexte européen et mondial d’émancipation des collectivités territoriales d’une part et de compétitivité des territoires d’autre part. Le deuxième enjeu est la production d’une solidarité à double sens entre ville-centre et commune périphérique pour la constitution d’un territoire structuré et efficace. Certains problèmes sont posés par cette réforme. Le premier est la remise en cause souvent partielle de l’autonomie des communes. Le second est le phénomène de sécession métropolitaine qu’on peut observer. Pour essayer de répondre aux enjeux que le FALP veut poser, je vais essayer de conduire un raisonnement en deux temps. J’aborderai d’abord la question du rapport entre territoire vécu et territoire institutionnalisé. Ensuite, j’essaierai d’illustrer les expériences entre le centre et la périphérie par une politique publique sectorielle qui est la politique culturelle. On peut se poser la question de l’adéquation entre territoire vécu et territoire institutionnel. J’arriverai à la conclusion qu’on est dans une sous-optimalité chronique sur cette question. Le passage de l’échelle municipale à l’échelle d’agglomération suppose la prise en compte de réalités sociales, économiques, géographiques et géomorphologiques des territoires à construire. Pour ce faire, la veille tradition de la planification française consiste à raisonner en termes d’aires urbaines. L’aire urbaine est un ensemble de communes, d’un seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle urbain et par des communes à la périphérie, dont 40 % de la population travaille dans le pôle urbain. Pour juger de la pertinence de cette adéquation, essayons d’étudier le rapport entre cet indicateur et les réalités territoriales institutionnelles. En 2005, 64 % de la population de l’aire urbaine est agglomérée. Plus l’agglomération est importante, plus le décalage entre aire urbaine et population agglomérée est grand. Si l’on regarde le nombre de communes qui participent aux agglomérations, le constat est encore plus flagrant. En effet, seule la moitié des communes qui appartiennent à l’aire urbaine sont intégrées dans le périmètre de la communauté d’agglomérations. L’hypothèse de cette sous-optimalité des territoires se confirme.

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Si on illustre les expériences centre/périphérie par une politique publique particulière, en l’occurrence la politique culturelle, on peut se poser plusieurs questions. Comment se déroule concrètement la coopération métropolitaine ? Quels sont les enjeux et les problèmes qui se posent pour les communes périphériques ? Les problèmes qui se posent sont de trois ordres. Le premier problème de la politique culturelle est sa dimension symbolique. Nous savons que les élus municipaux sont très attachés à la politique culturelle car elle participe d’un rayonnement important. Le deuxième problème est que le transfert de la politique culturelle représente souvent une perte d’autonomie pour les communes périphériques. Le troisième problème est le pendant de cette perte d’autonomie, à savoir la centralité dans les charges. En d’autres termes, les communes périphériques craignent que l’intégration dans les agglomérations produise des charges sur lesquelles elles n’auraient aucune marge de manœuvre. Malgré ces difficultés, 80 % des communautés d’agglomérations ont retenu la compétence culturelle. Si la loi demeure minimaliste, on peut se rendre compte que ces communautés sont volontaires dans la politique culturelle à l’échelle de l’agglomération. A partir de là, on peut faire état des types de projets qui émergent. Le premier est souvent la participation financière à la création ou au transfert de grands équipements. Le deuxième point important est la notion de réseau. Il peut s’agir d’un réseau d’équipements publics. Par exemple, la lecture publique est très largement portée par les communes périphériques. En dehors des équipements, ces réseaux peuvent aussi concerner la diffusion itinérante de spectacles vivants, de cirques, etc. Enfin, le troisième type de projet est ce qu’Emmanuel Négrier appelle l’échange politique territorialisé. Il s’agit, dans certains cas, de transactions entre élus de la ville-centre et des communes périphériques, qui pourraient être résumées de la façon suivante : « Tu m’aides pour construire le conservatoire, je t’aide pour construire une piscine sur le territoire de ta commune ». Malgré une inadéquation chronique entre les territoires vécus et institutionnalisés, le projet métropolitain avance petit à petit, essayant de contourner les oppositions des uns et des autres. Cependant, la coordination effective passe par une véritable visibilité politique, tant pour l’institution que pour les citoyens. Or cette visibilité politique pose problème car le mode de constitution des agglomérations se fait souvent par nomination. On peut alors s’interroger sur l’existence d’une distorsion entre territoires d’élection et territoires de coordination. Cela renvoie à la question de la légitimité politique des agglomérations. DEBAT AVEC LA SALLE Gilles RETIERE - maire de Rezé, Communauté urbaine de Nantes La communauté urbaine de Nantes est constituée de 24 communes, sur une aire urbaine de 80 à 100 communes. Je ne suis pas sûr qu’il soit nécessaire que toutes les communes de l’aire urbaine soit dans la même intercommunalité. L’important est qu’il y ait un bon dialogue entre les communautés urbaines centrales et les communautés de communes qui sont autours. Par ailleurs, vous avez abordé le thème de la politique culturelle. Il est vrai que ce point est discutable. Il ne faut pas mésestimer le pouvoir d’initiative et ne pas négliger la nécessaire concurrence entre les communes. Avec une politique contrôlée et coordonnée par une instance intercommunale, on perd peut-être des possibilités d’initiatives et d’innovation. Julien PREAU Je précise que mon exposé ne visait pas à porter un jugement sur cette sous-optimalité, mais simplement à la constater. Il est vrai que la constitution d’ensembles métropolitains de 200 à 250 communes est sans doute difficilement viable. Par ailleurs, vous avez raison de dire que la politique culturelle peut être le fruit d’une émulation par concurrence. Cependant, dans certaines configurations, on se rend compte que la concurrence ne produit pas l’émulation mais des stratégies défensives.

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Simon RONAI Vu de l’extérieur, Barcelone est toujours cité comme l’exemple type d’une métropole qui aurait magnifiquement réussi sa reconversion. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’organisation de la métropole barcelonaise et sur la façon dont vous avez réussi à positionner votre commune au sein de cette métropole ? Ivan ARCAS – Maire de Molins de Rei Situation Molins de Rei est une petite ville, dont 80 % du territoire sont constitués d’espaces naturels inconstructibles protégés. C’est pourquoi nous travaillons depuis des années pour concilier la croissance de la ville avec cet environnement naturel, et dans l’équilibre social favorisé par plusieurs gouvernements de gauche. L’activité économique de la ville se réalise surtout dans le secteur industriel, principalement dans des domaines ayant trait à la logistique, ainsi que dans les secteurs des services et du commerce. En outre, la ville a le privilège de jouer, dans une certaine mesure, un rôle de chef-lieu économique. Par conséquent, c’est une ville puissante, dotée d’un tissu associatif très important. Les groupes de pression et les meneurs d’opinion ne rendent pas la tâche facile, pour ce qui est de la cohérence de certains modèles ou projets de planification territoriaux. Quoi qu’il en soit, nous, à la mairie, travaillons selon deux axes importants :

1. L’axe de la durabilité sociale : il faut établir des bases permettant à l’équilibre social de perdurer.

2. L’axe de la durabilité environnementale : il faut prendre en compte le milieu naturel tout en garantissant que l’activité humaine ne détruise pas la viabilité de la ville.

Il est un autre critère important que nous travaillons constamment à améliorer, c’est celui de la participation, en tant qu’élément indispensable à l’élévation de la qualité de la démocratie. La municipalité cherche à garantir que toute personne qui le souhaite puisse participer au débat sur les grandes décisions stratégiques de la ville. Et elle tente de relever le défi qui consiste à intégrer cette participation à tous nos nouveaux projets. Je centrerai mon intervention sur la façon dont une petite commune, appartenant à une zone métropolitaine, peut jouer un rôle important dans les décisions concernant ce territoire. J’envisagerai la question selon la perspective d’une formation politique qui suit une ligne écolo-socialiste, minoritaire dans cette zone. La zone métropolitaine de Barcelone se compose d’un ensemble de communes qui lui sont volontairement rattachées, sauf deux, qui le sont par obligation, pour des raisons pratiques de transports et d’environnement. Cette communauté de communes a joué un rôle important de redistribution et de conception de la zone métropolitaine. Bien que marqués par des réalités très différentes, nous nous caractérisons, indépendamment de la couleur politique, par une fidélité absolue à la commune, qui constitue le critère prioritaire de la communauté. La communauté de communes effectue des investissements destinés à structurer le territoire, avec les ressources financières provenant de l’État et des communes. C’est pourquoi l’équipe de professionnels et, bien entendu, le corps politique de la communauté, considèrent depuis longtemps le cadre métropolitain dans une perspective d’ensemble. Pour pouvoir rendre plus concret ce qu’on m’a demandéd’exposer, je présenterai deux exemples de la manière dont nous, petites communes et forces politiques minoritaires, avons réussi à résoudre des conflits sur des questions de gestion courante. Ordures Depuis quelque temps s’imposait la nécessité, dans le cadre de la zone métropolitaine, d’un nouveau modèle de traitement des ordures, jusque-là éliminées par incinération ou déposées dans des décharges.

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Notre groupe a souligné la nécessité d’un modèle de consommation qui s’inscrive dans le débat sur l’énergie. Nous avons parié sur le modèle de transformation des déchets urbains en compost ou sur leur recyclage, face aux groupes majoritaires qui défendaient la méthode de l’incinération ou de la revalorisation, modèle possible et nécessaire selon eux. À partir d’un travail de discours politique et de l’union d’un certain nombre de communes, nous avons proposé un modèle alternatif, que nous avons baptisé « Residuo mínimo ». Celui-ci privilégie le compostage et le recyclage. Notre modèle est parvenu à contrebalancer les options majoritaires envisagées, en supplantant l’incinération, compte tenu du coût élevé de cette méthode de traitement. Transports Quel est le thème qui nous préoccupe réellement, quand nous envisageons l’avenir ? Après avoir vu sa population diminuer au profit de sa périphérie, Barcelone compte de nouveau un nombre croissant d’habitants, non pas à cause d’un retour de ces populations, mais du fait de l’immigration. Le déplacement d’une partie aussi considérable des habitants vers la périphérie de Barcelone a entraîné une occupation progressive des voies historiques de circulation. Les transports sont devenus extrêmement difficiles, compromettant énormément la mobilité de ceux qui, comme nous, vivent à la périphérie. En outre, la situation actuelle est marquée par une prédominance du transport individuel, qui engendre 80 % de la pollution. Malheureusement, ce que propose à l’heure actuelle la Généralité de Catalogne n’est pas un débat serein sur des politiques de mobilité garantissant des critères de durabilité et de rationalité, mais un plan d’investissement, ce qui, bien entendu, est une erreur. Nous nous trouvons ainsi avec un plan de déplacement centré sur le point où se situe actuellement le problème, c’est-à-dire sur les route, avec des transports individuels qui prédominent sur les transports en commun, par voie ferroviaire principalement. Et ce, bien qu’on tente de compenser le problème à l’aide du TGV qui, cependant, ne permet pas d’assurer les déplacements quotidiens des habitants de nos villes. Le plan d’investissement s’étend jusqu’à 2020. À la moitié de sa durée, il commencera à porter sur les réseaux ferroviaires. Mais j’ai l’intuition qu’en 2010-15, les routes seront de nouveau dans un tel état qu’il faudra une fois de plus entamer une réflexion cohérente sur l’avenir, et renoncer une fois de plus à la question ferroviaire, pour recommencer à investir dans les réseaux privés. C’est pourquoi, au niveau des communes, nous travaillons à proposer un modèle différent, avec la conviction que le résultat sera positif, étant donné que la Généralité de Catalogne actuelle se montre assez réceptive, car elle se compose en majorité de membres de gauche et issus de l’expérience municipale. Je voudrais aussi signaler que nous vivons, je pense, la figure métropolitaine avec moins de tensions que ce que j’ai perçu dans certaines de vos interventions. J’aimerais aussi vous dire, dans la perspective de la formation minoritaire dont je fais partie, que tant qu’il existera des cadres de débat comme les structures municipales ou métropolitaines, où nous puissions exprimer nos réflexions et propositions alternatives, et peser sur les décisions finales, nous ne pourrons pas nous plaindre. En effet, il faut accepter d’être, finalement, ce que nous sommes, et ne pas essayer d’aller au-delà de ce que le peuple et le vote nous ont réellement fixé comme objectif. Simon RONAI Je cède à présent la parole à Monsieur Morabito, qui va nous parler de l’agglomération de Milan. Demetrio MORABITO – Adjoint au maire de Sesto San Giovanni Julien Preau a souligné les différences entre la métropole vécue et la métropole institutionnelle. Mon intervention a pour but d’expliquer que cela ne relève pas du hasard et entraîne des conséquences très importantes pour la périphérie. J’analyserai ce qui peut se faire dans ce domaine depuis la périphérie.

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Nous nous trouvons dans la province de la zone métropolitaine milanaise, l’une des plus articulées et complexes d’Europe du point de vue social et économico-productif. Il s’agit de la plus vaste zone métropolitaine d’Italie. 4 millions de personnes habitent dans cette région, caractérisée par une réalité fortement polycentrique.

Milan constitue un point d’observation très important, car c’est depuis toujours un laboratoire politique. Ces dernières années, nous avons connu des politiques de privatisation, ainsi qu’un nouveau centralisme régional, totalement fonctionnel. On a empêché le développement d’une pensée collégiale et publique sur une transformation territoriale, qui rappelle ce qui s’est produit après la guerre. Cette illusion prolongée de l’institution de la ville métropolitaine a conduit à l’accentuation d’une gestion centraliste et pyramidale par les instances métropolitaines. En effet, les communes milanaises ont influé de manière prépondérante notamment sur les ressources, et sur le contrôle des réseaux essentiels de services vis-à-vis de l’ensemble des communes et de la province qui, bien qu’elle ait autorité sur les établissements scolaires et joue un certain rôle, détient beaucoup moins de pouvoir.

Il faut souligner, en outre, les difficultés de la périphérie de Milan, car il ne fait pas de doute qu’en ce moment, on vit beaucoup mieux dans la petite couronne que dans la périphérie interne de la ville, complètement à l’abandon, et privée de la possibilité de contrebalancer la dynamique du pouvoir politique de cette ville, contrairement à ce qui se passe dans nos communes, qui entretiennent des rapports plus étroits avec leurs habitants et sont animées d’options politiques différentes. Il ne fait pas de doute que l’institution de la ville métropolitaine présenterait l’avantage de permettre de parler du droit à la citoyenneté de ses habitants. Ces Milanais à la journée, dont le nombre atteint près d’un million, et qui viennent à la ville pour travailler, mais qui n’ont aucun droit à la parole sur leur mode de transport, sur leurs déplacements, sur les services, sur les structures…

Je ne crois pas que nous puissions à ce jour rendre compte de tous les dommages subis pendant ces quinze dernières années. Mais nous allons continuer à aller de l’avant pour tenter de comprendre ce qu’il est possible de faire pour éviter d’être absorbés de manière anonyme dans le Grand Milan. L’absence de choix sur la façon de gérer ensemble des questions importantes, en laissant les forces du marché libéral s’imposer sur les territoires, équivaut à une décision politique.

La deuxième partie de mon intervention concerne l’expérience des communes du nord de la petite couronne de Milan. Ce territoire, qui se trouve au cœur de cette zone métropolitaine, est fortement conditionné par son histoire économique. Sesto San Giovanni fut un important centre économico-industriel. La ville s’est étendue sur les espaces vides laissés par les usines. Par périodes, elle a compté plus d’ouvriers que d’habitants. C’est sur cette réussite économique, axée sur la production de biens, que c’est construite son identité et sa mission économique. Le premier objectif était de créer des emplois, opération totalement politique, car notre territoire présent de nombreux attraits pour la création de nouvelles zones résidentielles, dans une périphérie de luxe. Cette décision politique est influencée par une forte concurrence entre territoires de la zone métropolitaine. Cette concurrence risque de s’avérer destructive car pour attirer les gens, certaines communes offrent de très intéressantes conditions aux constructeurs, en dépit des outils urbanistiques.

Face à cette problématique de concurrence, les quatre municipalités de Milan ont décidé de travailler ensemble, en collaboration avec la province de Milan et avec les agents économiques de la zone, pour trouver la direction à suivre et identifier l’élément nouveau qui serait propre à caractériser le secteur de la production dans cette zone.

Certaines mesures se sont avérées efficaces car le taux de chômage, très élevé dans notre secteur du fait de la fermeture des usines, a diminué en l’espace de quelques années, grâce à de considérables interventions.

Ce travail commun a renforcé l’idée d’une coopération institutionnelle entre ces quatre communes, qui n’avaient jamais pensé à collaborer de façon systématique. Cela dépendait de la volonté politique du maire du moment, en l’absence de la conscience d’un travail commun. Pour comprendre le véritable processus dont nous sommes partis, dans les communes de la couronne métropolitaine, il faut penser

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qu’à la fin du boom économique des années 1960 en Italie, toutes les communes de la petite ceinture de Milan prirent la décision politique de renforcer la réalité municipale de la ville de Milan, en impliquant la ville tout entière. Pendant ces quinze ans de libéralisme, le secteur énergétique milanais a été privatisé. La qualité des transports varie entre le centre-ville et la périphérie. Et aucun membre du conseil d’administration des logements publics n’est originaire des communes de la ceinture. La forte coopération institutionnelle entre administrations locales sur les questions économiques (bruit, énergie, transports) relève d’une décision de construire un système apte à mettre en relation les masses critiques qui s’affrontent dans les communes milanaises.

C’est pour cela qu’en 1998, les quatre maires du nord de Milan ont signé un pacte, visant à développer le territoire par l’intermédiaire d’acteurs publics ou communautaires.

C’est intéressant, car, depuis 2002, la province de Milan est de nouveau dirigée par le centre-gauche. Elle a entreprise d’élaborer un plan stratégique territorial qui renforce l’union des communes œuvrant ensemble, en mettant l’accent sur les résultats positifs obtenus précédemment en matière économique, écologique, ou sur les questions relatives au paysage, etc. Et ce, en tenant compte du fait que notre territoire était fortement conditionné par le développement économique. Il importe de travailler sur le thème du paysage, sur l’idée de faire du nord de Milan un territoire vert, avec une importante couronne de parcs. Dans l’imaginaire collectif, ma ville est celle des usines. Mais le scénario en cours d’élaboration est complètement différent. Il confère à un territoire une identité qu’il ne possède pas encore.

Je conclus par deux aspects.

• Face à cette situation se dessine une nouvelle perspective des mouvements sociaux, marqués par deux réalités différentes : l’Association des entrepreneurs du nord de Milan et le Forum logement et territoire de Milan. Ces réalités nous indiquent que le travail effectué ensemble au nord de Milan n’est pas seulement celui de membres des institutions, mais aussi de la population elle-même, qui commence à se demander comment œuvrer sur un territoire dépassant le cadre de sa propre commune.

• D’un autre côté, nous sommes confrontés à une réalité métropolitaine très dure. En ce moment, Milan n’est pas une ville où il soit facile de vivre. Nous observons, de la part de nombreux habitants, des signes concrets d’abandon, ce qui nous amène à nous interroger également sur le problème des périphéries milanaises.

C’est pourquoi il importe de construire une zone métropolitaine, en tant qu’objet juridique dont les circonscriptions milanaises encouragent les communes, en accordant un pouvoir à une réalité périphérique qui n’est pas aussi périphérique que nous pourrions le croire. De fait, nous ne parlons plus maintenant de périphérie géographique mais de périphérie sociale, située au cœur de la ville de Milan, derrière les façades des palais, où se cachent des réalités bien plus dures.

Simon RONAI

A présent, la parole est à Monsieur Carambula. Dr. Marcos CARAMBULA – Maire de Canelones L’Uruguay se situe dans le sud de l’Amérique latine. C’est un petit pays de 180 000 km2 et de 3 millions d’habitants. Sa capitale, Montevideo, est entourée par le département de Canelones qui a fondé, avec le département voisin de San José, le « Programme métropolitain ». Nous faisons partie d’un ensemble géopolitique très intéressant (le Mercosur). Nous nous inscrivons aussi dans une nouvelle réalité de l’Amérique latine. Et nous nous trouvons au centre d’un couloir bio-océanique. Nous avons envisagé la construction en Uruguay dans le cadre d’un Programme métropolitain, qui consiste, lors de cette première étape, en un travail ouvert. Ce programme réunit trois maires, ceux de Montevideo, de Camino de San José et de Canelones. Il bénéficie d’un fort soutien de la part du

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gouvernement ainsi que d’organismes de coopération internationale. Il a été lancé en juillet 2005, date de début d’exercice d’un gouvernement progressiste.

Ce Programme métropolitain concerne une population de 1 900 000 habitants. 480 000 d’entre eux vivent à Canelones, ville dont je suis le maire.

Je précise que nous envisageons notre travail non pas dans un contexte de contradiction entre le centre et la périphérie, mais comme une œuvre de construction conjointe, qui aborde les problèmes communs dans une perspective stratégique, visant à définir un axe à double voie : il ne s’agit pas du centre et de la périphérie, mais d’une vision polycentrique, collective.

Cette initiative a été lancée par le président de la République en personne, avec un groupe de direction politique qui a actuellement à sa tête les trois maires des trois départements, ainsi qu’avec un groupe coordonnateur. Dans le cadre du Programme métropolitain ont été traités les mêmes thèmes que ceux évoqués ici (transports, mobilité, organisation territoriale, déchets, développement durable, politique des coûts, réseaux d’informatisation et de formation des ressources humaines, fourniture et distribution d’énergie). Dans ce sens, nous avons constaté que la convergence de nos trois administrations, loin de nous affaiblir, nous renforce lors de nos négociations avec les différentes entreprises, toujours menées en référence à une politique commune de développement et d’organisation.

En définitive, nous avons créé une structure en faveur du développement, qui permet d’analyser les forces et les faiblesses des différentes possibilités s’offrant à nous, et de créer de l’emploi. Dans notre programme, nous avons accordé une importance particulière au domaine de la santé.

Nous avons aussi mis l’accent sur un autre thème : le droit à la diversité culturelle. Élément essentiel des droits de l’homme, que nous devons sauvegarder, les différences culturelles nous paraissent une question prioritaire, dans des pays d’immigration où les gens ont des origines diverses et où se manifeste une inégalité des chances. Les limites de ce programme métropolitain ne sont pas déterminées par la juridiction, quoique clairement établies par les départements.

Nous comprenons que la force de chacune de ces propositions dépend de l’instauration, par chacune de nos administrations, d’un centre d’études stratégiques. Celui-ci a précisément pour finalité de développer le plan, de la périphérie vers le centre, et de mettre en marche un plan stratégique suivant deux grands thèmes qui me semblent très importants :

• Promouvoir une pensée critique, apte à surmonter les défis qui s’élèvent devant nous, avec une participation spéciale des jeunes.

• Doter notre département d’un plan stratégique d’ordonnancement, qui permette d’encadrer les actions d’urgence immédiate par des solutions de fond, avec de nouveaux rapports avec l’État et avec la société civile, via un système de participation propre à renforcer la gouvernance et la décentralisation.

En réflexion finale, l’analyse des différents forums met en évidence des réalités très différentes d’un continent à l’autre. Mais cette réflexion doit à son tour se centrer sur les aspects que nous avons en commun, pour favoriser le développement d’un concept de démocratie réelle, en réciprocité avec la société. C’est là, selon moi, que réside la possibilité d’une évolution vers une démocratie avancée, accompagnée d’une participation à double sens, dans le cadre de laquelle nous puissions restructurer la politique en fonction de valeurs, et non d’objectifs conjoncturels.

Quelques considérations, pour terminer.

• Toutes les villes sont, sans aucun doute, le lieu des rencontres les plus diverses, d’où la nécessité de valoriser une démocratie de proximité, de réexaminer en permanence la question de l’équité, ainsi que du rôle du secteur public et du politique. L’administration locale offre une merveilleuse chance d’articuler, dans son sens juste et véritable, le rôle de la société civile et de la participation.

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• La démocratie de proximité, de participation, est compatible avec l’efficacité. Pour nous qui remplissons une mission publique, le défi consiste à renforcer un consensus sur l’idée que l’efficacité et l’action publique peuvent aller de pair. Il s’agit de toute évidence de la première réaction à avoir face à la tendance actuelle au libéralisme et à la mondialisation, avec une action sans concessions contre l’exclusion sociale.

• Enfin, je présenterai une œuvre de Torres García, peintre constructiviste uruguayen, pour qui les visions doivent être complémentaires et dialectiques.

DEBAT AVEC LA SALLE Simon RONAI Les cinq interventions ont montré l’extrême diversité des situations. J’ai également noté la tension entre la volonté de démocratie de proximité et le souci d’une cohérence au niveau de l’agglomération. Les cinq exemples montrent à quel point cette démarche est difficile. De la salle Je pense que Monsieur Arcas fait preuve d’une trop grande modestie quand il pense que l’insuffisance de la politique des transports ferrés dans l’agglomération barcelonaise est due à la jeunesse politique de l’agglomération. A cet égard, la structuration des transports dans la métropole parisienne est un exemple éclatant de l’inadéquation des autorités politiques aux réalités géographiques de l’agglomération. La dernière rocade ferrée réalisée dans la métropole parisienne date de la première décennie du XXe siècle. Le développement du RER s’est accompli dans les années 60 et 70, mais uniquement par des radiales. Nous avons perdu deux occasions de réaliser une rocade ferrée dans la métropole parisienne, lors de l’élaboration du schéma directeur de 1994 et la mise en place du tramway en 1999. Or cette rocade ferrée serait bien nécessaire. Par ailleurs, il faut savoir que jusqu’en 1964, Paris faisait partie d’un département qui comprenait l’essentiel des trois départements actuels de la petite couronne. En 1964, le département de Paris a été ramené à Paris intramuros. Par là même, on a supprimé toute existence d’une autorité politique d’agglomération. De la salle Ma question s’adresse plus particulièrement aux intervenants étrangers. Quelle est la structuration financière des différents niveaux de collectivité (municipalités, agglomérations, provinces, etc.) ? Iván ARCAS Le financement des mairies s’effectue à environ 69 % à l’aide de ressources propres, dont principalement la taxe sur la propriété des biens immeubles, en plus d’autres impôts, comme ceux appliqués aux activités économiques.

La taxe sur les constructions, utilisée à tort par certaines municipalités pour financer leurs services, est un autre impôt très important.

Le financement des communes dépend aussi, dans une très faible mesure, de la Généralité de Catalogne, du Conseil général de la province (Diputación) et d’un fond gouvernemental qui provient directement de Madrid. Le reste est financé au moyen de prix publics, services, etc.

Pour ce qui concerne la zone métropolitaine, la question est un peu plus complexe. Son financement repose sur des fonds transférés depuis Madrid, pour couvrir ses attributions obligatoires (transports et traitement des ordures). La zone métropolitaine est aussi habilitée à percevoir certaines taxes, sujettes à polémique, relatives à l’eau et aux déchets. Au début, quand on commençait à parler d’écologie et de durabilité, on nous a vendu l’idée absurde selon laquelle l’écologie était moins chère. Aujourd’hui, les citoyens se plaignent des charges fiscales qu’elle entraîne.

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La Généralité de Catalogne est financée en partie par des transferts fiscaux et en partie par des fonds issus de l’État. Celui-ci tente à l’heure actuelle de faire approuver un ensemble de compétences et de les traduire en données économiques, pour rationaliser le coût de chaque service.

Demetrio MORABITO Le système fiscal italien est semblable à celui qui existe en Espagne. Les communes ont des attributions propres, surtout en ce qui concerne les biens immeubles, et peuvent prélever les taxes et impôts correspondants, même si c’est l’État qui fixe les marges, ce qui constitue déjà une forme de centralisme.

Il existe chez nous un transfert de l’État qui est allé en s’accroissant, avec une coparticipation en matière d’impôt sur les personnes physiques, et la possibilité d’augmenter cet impôt, dans une petite mesure. La région a aussi des transferts sur ses propres taxes sur les carburants, de même que les provinces, dont les fonctions ont été renforcées. Il s’agit, par conséquent, d’une structure régionale assez riche. Marcos CARAMBULA Le gouvernement central verse des fonds à hauteur d’un pourcentage défini par la Constitution. Quant au Programme métropolitain, il est en partie financé par l’État et en partie par chacune des provinces qui le constituent, proportionnellement à sa population. Simon RONAI Maurice Charrier, vous avez l’expérience de la taxe professionnelle unique. Est-ce un système qui réduit les inégalités ? Maurice CHARRIER Jusqu’ici, les communes et la communauté urbaine se partageaient les ressources fiscales. Il y a deux ou trois ans, nous sommes passés à un autre système. En l’occurrence, les communes perçoivent la totalité des impôts payés par les familles et la communauté encaisse la totalité de l’impôt économique c'est-à-dire la taxe professionnelle. Cependant, une part de la taxe professionnelle est dégrevée et compensée par l’Etat. Or la dévolution de cette part compensée, qui représente près de la moitié de la ressource fiscale, dépend d’une décision de l’Etat. Nous vivons ainsi dans le paradoxe suivant. Il a été demandé aux communautés urbaines de s’engager dans de nouvelles compétences. Dans le même temps, on a enlevé à ces communautés urbaines une grande part de leur autonomie financière. Ainsi, les dépenses structurelles des agglomérations augmentent plus vite que les capacités financières. Cela met les intercommunalités dans des situations difficiles. Il y a par ailleurs un débat en France sur la question de la fiscalité. Personnellement, je suis pour l’impôt. D’ailleurs, dans ma commune, les impôts sont relativement élevés. Je suis favorable à une réforme de la fiscalité permettant de rendre plus équitable en fonction de la situation des familles. Mais je n’ai rien trouvé meilleur que l’impôt pour assurer les solidarités entre les territoires et les familles. Cela dit, nous sommes piégés par ce discours démagogue de la baisse des impôts. J’observe d’ailleurs que la baisse des impôts en France profite plus aux hauts revenus qu’aux bas revenus. David Chiousse - ville d’Aubagne Je reviens sur l’intervention de Pierre Mansat. Autant le centre parisien peut être attractif, autant le centre de la métropole marseillaise peut être répulsif. Actuellement, Marseille connaît une transformation urbaine qui construit l’exclusion sociale et qui renvoie à la périphérie toute une population qui faisait le centre de Marseille. De même, le développement économique est en panne. La production de logements est axée sur l’accession à la propriété, avec la volonté de transformer le centre de Marseille en un « petit Cannes ». Est-ce qu’une organisation politique commune à l’ensemble de l’aire métropolitaine marseillaise a un sens ? Je n’en suis pas sûr, d’autant que la construction de la périphérie marseillaise s’est faite à partir d’une diversité d’expériences. Je cite deux exemples des

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relations compliquées entre le centre et la périphérie marseillaise. Le premier concerne les transports. Aujourd’hui, à l’échelle de la métropole marseillaise, il n’existe pas de réseau ferré efficace pour relier les villes. La question ne se pose même pas d’une liaison directe de banlieue à banlieue. La ville de Marseille s’engage dans une opération de tramway, qui est juste une opération de rénovation urbaine. Le deuxième exemple concerne le traitement des déchets. La ville de Marseille s’est engagée dans la construction d’un incinérateur dans une commune qui n’est pas membre de la communauté Marseille Provence Métropole. Elle passe en force dans la voie de l’incinération contre les populations riveraines de l’incinérateur et de l’ensemble du département. Quand les communes du département réfléchissent à un plan d’élimination des déchets qui s’appuie sur une filière de tri, la ville de Marseille fait la sourde oreille et refuse de s’inclure dans ce plan. Tant que nous n’aurons pas de relations de co-développement de l’aire métropolitaine, le centre aura toujours un poids trop important face à des périphéries qui sont forcément balkanisées. Comment établir un lien efficace entre les périphéries et le centre ? Gilles RETIERE, maire de Rezé Une organisation politique unique sur l’ensemble du territoire présente le grand avantage de mettre fin à la lutte entre les communes pour attirer les entreprises. Elle permet une solution d’aménagement du territoire plus cohérente en matière de zones d’activité économique. J’apporterai toutefois un bémol : aucune commune ne veut des entreprises gênantes, polluantes ou bruyantes, par exemple. Des compromis doivent alors être trouvés. A Nantes, nous avions une politique reconnue de transports en commun et de déchets. Avec la mise en place de la communauté urbaine, nous avons pris la compétence « Programme local de l’habitat et urbanisme ». Or, s’il est utile de disposer d’un schéma directeur des transports en commun qui permet d’irriguer une agglomération, en l’absence de corrélation avec les potentialités de construction en matière d’habitat et en l’absence de volonté des maires, de construire là où les moyens de transports en commun seront développés, l’opération est vouée à l’échec. En effet, il est nécessaire qu’une population utilise les transports en commun, auxquels la communauté urbaine a consacré de l’argent. Les communautés urbaines me semblent intéressantes, car elles réunissent les compétences habitat et urbanisme. J’en exerce la responsabilité au sein de la communauté urbaine de Nantes et je discute avec les 24 communes de la forme que peut prendre leur ville. Le premier objectif est d’assurer une mixité de populations dans chaque commune. Le second objectif consiste à concentrer les nouvelles constructions là où il existe déjà un pôle de vie organisé. Le troisième objectif est enfin de développer les transports en commun, là où interviennent ces nouvelles constructions. La communauté urbaine consacre donc de l’argent aux transports au commun, à condition que le maire délivre des permis de construire dans les zones relativement centrales. Cette politique a conduit la communauté urbaine de Nantes à réduire légèrement ses investissements en matière de transport en commun et de voierie, pour financer la présence de logements sociaux, selon l’obligation légale de 20 % des constructions neuves dans toutes les communes. L’agglomération devient ainsi plus solidaire et plus cohérente. Dans l’agglomération nantaise, même si la communauté urbaine est récente, nous avions pris l’habitude de discuter depuis des dizaines d’années. En revanche, au-delà de l’agglomération, les échanges n’en sont qu’à leurs balbutiements. Les discussions entre l’agglomération de Nantes et l’agglomération de Saint-Nazaire ont ainsi commencé il y a cinq ou dix ans. Elles ont d’abord porté sur des problématiques de développement économique, avec une distinction quelque peu absurde entre le caractère intellectuel et tertiaire de Nantes et le coté ouvrier de Saint-Nazaire. Nous avons réussi à dépasser ce cliché et à discuter sur des bases permettant aux deux agglomérations de trouver leur intérêt, avec une partie de l’université qui s’installe à Saint-Nazaire, notamment. Toutefois, les discussions avec les communes situées entre les deux agglomérations ou au nord de l’agglomération nantaise ne sont pas très avancées. La mixité de l’habitat est comprise sur le territoire du grand Nantes ou du grand Saint-Nazaire, mais reste inconnue de certaines communes situées entre ces deux pôles. Cette configuration pousse à la construction de pôles d’attraction secondaire, mais la construction de cette métropole sur l’Estuaire de la Loire prendra du temps. Pour moi, le schéma de cohérence territoriale Nantes/Saint-Nazaire n’est pas complètement abouti et sera probablement adopté en l’état. Il constitue néanmoins une étape nécessaire pour pouvoir aller plus

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loin. A titre d’exemple, nous nourrissons le projet de déplacer l’aéroport de Nantes. La gestion de ce transfert du Sud au Nord de l’agglomération s’inscrit dans les enjeux du SCOT et il conviendra de répondre aux interrogations posées par une éventuelle gestion en commun des trois aéroports ou la gestion commune des zones d’activités situées sur les territoires de communautés de communes différentes. Même si ce projet n’entre pas formellement dans le SCOT, il pourra intervenir après le renouvellement des prochaines échéances municipales. En revanche, le débat sur le grand ensemble Nantes Saint-Nazaire reste assez pauvre et les principaux acteurs n’ont peut-être pas la volonté d’aller au bout de la démocratie locale, comme ils peuvent le faire sur le territoire de la commune ou de la communauté urbaine.

Maurice CHARRIER

Je reviens sur la distinction entre banlieue et agglomération. Je me qualifie comme maire d’une ville de banlieue car je n’ai pas honte d’être maire d’une ville populaire. Dans le même temps, j’aime bien me qualifier de maire d’une ville d’agglomération parce que je tiens à ce que ma ville soit reconnue comme une ville de l’agglomération lyonnaise. Pour évoquer les rapports d’une ville de banlieue avec l’agglomération, je partirai de notre propre expérience. Nous sommes parvenus à faire admettre le principe que l’agglomération ne pouvait pas construire son rayonnement, y compris son rayonnement international, si une partie de son territoire dysfonctionnait. Le rayonnement de l’agglomération lyonnaise nécessitait le développement des solidarités à l’intérieur de son territoire. Nous nous sommes rendu compte que le développement des solidarités ne pouvait se faire qu’au niveau de l’agglomération. Cette dernière est la condition nécessaire du développement des solidarités, mais elle n’est pas suffisante. En effet, bien que nous soyons dans une intercommunalité forte, il faut bien avouer que les disparités fortes ne se sont pas effacées. Parfois, elles se sont mêmes aggravées. Pour résoudre un certain nombre de problèmes qui se posent sur ma commune, je dois interpeller l’agglomération lyonnaise. Par exemple, pour assurer un meilleur équilibre de l’offre de logements sociaux dans ma commune, je me dois d’interpeller l’agglomération pour que les autres communes s’engagent aussi dans la production de logements sociaux. Nous vivons ainsi au sein de l’agglomération dans un dialogue et dans un jeu de relations subtiles où d’un côté une ville comme Vaulx-en-Velin se dit qu’elle a de la chance d’être à côté de Lyon, et d’un autre côté Lyon peut se dire qu’elle a de la chance d’avoir des communes périphériques où le développement est possible. Si nous avons construit à réussir cette gouvernance, c’est peut-être parce que la communauté urbaine n’est pas élue au suffrage universel. En effet, si elle était élue au suffrage universel, la communauté urbaine deviendrait un enjeu politique tel que les plus faibles seraient écrasés par les plus forts. Nous avons engagé un travail sur les territoires associés. Nous élaborons le schéma d’aménagement territorial avec des territoires qui sont en dehors de la communauté urbaine. Ce mode de gouvernance a d’ailleurs conduit deux communes à demander leur adhésion à la communauté urbaine de Lyon. Ces adhésions montrent que nous sommes parvenus à développer un certain mode de gouvernance.

Pierre MANSAT

La France souffre de vingt ans d’absence de débat sur la métropole parisienne et les rapports qu’entretiennent Paris et la périphérie. Simon Ronai évoquait le fait que nous sommes en pleine révision du schéma d’aménagement de la région Ile-de-France. Le précédent schéma faisait l’impasse sur la réalité parisienne. Le résultat est malheureusement là. Après dix ans de ce schéma directeur, aucun des objectifs fixés n’a été atteint, en particulier en matière de réduction des inégalités. Les inégalités territoriales et sociales se sont même aggravées au détriment de l’est de la région. Face à cette situation, nous avons considéré qu’il était urgent de parvenir à un langage commun. Notre problème est qu’il n’y a pas de langage commun. Il existe même des formes de représentation qui reposent sur des préjugés et des clichés. Elles sont héritées pour une part d’une réalité, de la confrontation entre le centre et la périphérie, d’un certain caractère dominant du centre sur la périphérie. Mais cette réalité est beaucoup

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plus complexe. D’abord, si domination il y a, elle n’est pas la même à l’ouest et à l’est. La périphérie n’est pas du tout dans la même situation de développement social et territorial. Certaines banlieues se portent très bien et ne veulent absolument pas partager. Je pense par exemple au département des Hauts-de-Seine. Il existe donc une représentation surdéterminée par des clichés et des préjugés. Nous avons d’ailleurs organisé un séminaire d’histoire Paris/banlieue, précisément pour explorer la complexité beaucoup plus grande de ces rapports entre Paris et la banlieue. Il nous faut donc chercher un langage commun et une représentation commune partagée. A cet égard, j’ai apprécié l’exemple de Montevideo et notamment l’idée d’un agenda. Nous ne sommes plus dans ce schéma d’un centre dominant et d’une périphérie dominée. Je prends un simple exemple. La recherche publique en Ile-de-France est essentiellement le fait de laboratoires situés dans la périphérie de Paris.

Simon RONAI

Je vous remercie.

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Atelier 8 : Quels sont les enjeux des services publics pour la solidarité dans les territoires ?

Alors que les services publics ont vocation à satisfaire des besoins fondamentaux (éducation, assainissement, logement, santé…). Les mesures libérales tendent à restreindre ces champs d’action et à mettre en concurrence prestations publiques et marché privé. Quelles conséquences pour le territoire et les citoyens ? Quel engagement des villes ? Participent à l’atelier : Etienne BUTZBACH, Institut d’Etudes Européennes ; Adjoint au maire à Belfort Angel MERINO, diputacion de Barcelona, Espagne ; Magali GIOVANNANGELI, adjointe au Maire d’Aubagne, France ; José BORRAS HERNANDEZ, Conseiller délelguée de Fuenlabrada, Métropole de Madrid, Espagne Gilles LEPROUST, Premier adjoint au maire d’Allones, Métropole du Mans, France ; Modératrice : Jacqueline FRAYSSE, député de Nanterre. Jacqueline FRAYSSE Notre atelier va s’intéresser aux enjeux du maintien et de l’élargissement des services publics pour la solidarité dans les différents territoires. Tous les travaux conduits depuis trois jours dans ce Forum mondial d’autorités locales de périphérie souligne la place et le rôle nouveau des villes dans l’affrontement sur les questions sociales. Cet affrontement n’est plus seulement centré sur l’entreprise, comme ce fut le cas en France au siècle précédent, mais a lieu aujourd’hui, avec la mondialisation et la modification des rapports de production, quotidiennement dans le monde urbain et singulièrement dans les villes de périphérie si longtemps maltraitées, méprisées et aujourd’hui stigmatisées, accusées d’être sources de violence. Ici se jouent les grands choix de société : ou bien l’ultralibéralisme à l’œuvre, qui fait passer la défense de ses profits avant la satisfaction des besoins sociaux, initiant, perpétuant et aggravant de terribles souffrances pour une majorité d’hommes et de femmes de notre planète ; ou bien l’épanouissement humain qui se fixe pour ambition de réorienter la production des richesses vers les plus urgents des besoins, considérant l’universalité des droits et du respect de la personne quelle que soit son origine ou son lieu de vie. Nous sommes au paroxysme d’un bras de fer qui à l’heure de la mondialisation se joue pour beaucoup, peut-être pour l’essentiel, dans les villes. En effet, les outils du libéralisme sont actuellement à l’œuvre. Ils se nomment notamment Banque Mondiale, Banque Centrale Européenne, Fonds Monétaire International, Organisation Mondiale du Commerce, Accord Général sur le Commerce des Services, ayant pour objectif de libéraliser les quelques secteurs d’activité qui échappent encore aux règles du marché. Dans cette logique que l’on veut nous imposer, il s’agit de privatiser pour permettre la mise en concurrence, mise en concurrence présentée comme le seul moteur efficace de l’activité humaine. Nous prétendons qu’un autre monde est possible et défendons une autre logique. Nous affirmons que le véritable développement passe par le traitement collectif du bien commun, appartenant à tous et à l’usage de tous, pour avancer vers l’égalité effective des droits de chaque citoyen. C’est l’objet de ce que nous appelons les services publics, qui recouvrent en réalité un véritable concept démocratique et solidaire, permettant de répondre aux besoins à la fois individuels et collectifs dans différents domaines et dans le respect de la personne. Ces domaines sont par exemple la santé, le logement ou l’éducation, mais aussi l’accès aux ressources naturelles de la planète que sont l’eau, l’air, l’énergie. Il ne peut y avoir de réponse durable et équitable aux besoins humains dans la sphère concurrentielle du marché. Il s’agit donc pour nous, non seulement de résister à la privatisation des services publics actuelle, mais de construire des prises de conscience et des rapports de force pour étendre l’activité publique à de nouveaux secteurs comme celui de l’énergie ou de l’industrie pharmaceutique. Déjà, plusieurs initiatives ont été prises par les autorités locales. Ainsi, en région Ile-de-France plus de soixante villes et en Europe plus de mille collectivités se sont déclarées zones de défense des services publics. A

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Nanterre, dès 2003, le Conseil municipal lançait un vœu contre l’AGCS. En 2004, notre ville participait aux Etats généraux de Bobigny où se réunissaient une centaine de villes de France contre l’AGCS. Nous avons également participé à la Convention européenne de Liège qui en octobre dernier réunissait élus, syndicats, associations et citoyens pour la promotion des services publics. Nous envisageons de participer en octobre prochain à la nouvelle Convention à Genève. Nous y réaffirmerons que Nanterre se situe résolument parmi les villes hors AGCS pour préserver et promouvoir les services publics comme réponse aux grands défis contemporains. Voilà le contexte dans lequel nous nous trouvons. Des résistances et des luttes se développent. Nous nous en félicitons. Mais bien sûr, il y a lieu d’échanger tous ensemble pour contribuer à les amplifier et pour réfléchir nous-mêmes aux propositions que nous voulons formuler pour ces services publics. Etienne BUTZBACH - Universitaire Les services publics face aux défis de la productivité, de la citoyenneté et du métissage J’aimerais d’abord faire deux remarques pour évoquer ce dont je ne parlerai pas. Pour nous, les services publics sont un acquis. Même les tenants de l’Europe libérale ne peuvent ouvertement le contester. J’en veux pour preuve les prolégomènes de la première communication de la Commission Européenne sur les services d’intérêt général, datant de 1996. J’en cite un extrait : « Les services d’intérêt général ont une fonction de ciment de la société, offrent un repère pour la collectivité, sont constitutifs du lien d’appartenance des citoyens, constituent un élément de l’identité culturelle pour tous les pays européens. » Deuxièmement, je ne vais pas traiter de la question de la forme que peuvent prendre les services publics. Après la grande vague de nationalisation des années 30 et la montée de l’Etat-providence après la seconde guerre mondiale, ces services ont souvent été mis en œuvre davantage sous la forme de concessions que de régies directes. Ce débat sur les modalités de mise en œuvre des services publics est important. Mais je crois qu’il est nécessaire dans ce domaine de ne pas avoir une approche dogmatique. Je suis de ceux qui pensent que, parfois, une délégation de service public peut s’exprimer de façon plus efficace en étant effectuée par un acteur privé que par l’intermédiaire d’une personne publique. Je voudrais partager avec vous trois questions sur la façon dont il est nécessaire pour nous, défenseurs du service public, d’adapter ce service public et de lui redonner une légitimité qu’il a parfois perdu. Le premier défi est celui de la productivité. Le deuxième est celui de la citoyenneté. Le troisième est celui du métissage. La première exigence des bénéficiaires du service public est d’abord celle de l’efficacité et de la réactivité. La démarche qualité doit être au cœur des préoccupations du service public. Nous devons aussi être attentifs à la dimension économique des services publics. Les indicateurs économétriques doivent permettre d’évaluer régulièrement la rigueur de la gestion. Doivent être conjoints à ces indicateurs quantitatifs des indicateurs plus qualitatifs mieux à même de rendre compte des dimensions non monétaires de la tâche des agents publics. Il est important que le service public s’adapte et utilise des moyens managériaux de fonctionnement. On est confronté aujourd’hui, dans le domaine des services publics, à une influence de la rhétorique néolibérale qui fait qu’on parle de plus en termes de clients. Il faut que nous réintroduisions dans cette relation aux bénéficiaires du service public cette notion de citoyenneté. Celle-ci montre que la participation du bénéficiaire citoyen est absolument nécessaire à la production du service public. A cet égard, la notion de coproduction de services publics est essentielle. Je prends l’exemple du logement social. Il est illusoire de penser que nous pourrions arriver dans ce domaine à un niveau de prestation identique à celui d’une copropriété privée. Dans le service du logement social, il est important qu’il y ait une implication des locataires qui permette de coproduire la qualité de ce service. Par ailleurs, le service du logement social n’est pas un bien purement marchand. C’est aussi un bien qui incorpore de la solidarité. Il faut donc considérer le locataire citoyen comme une personne qui dispose de droits et de devoirs. Il a le droit de bénéficier d’un service de qualité, mais il a le devoir de payer son loyer, de nettoyer son palier, de respecter ses voisins. Cette approche nécessite aussi un autre regard de la part des agents, qui doivent considérer le locataire comme un partenaire à part entière. Je suis souvent frappé par

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le fossé qui ne cesse de se creuser entre des agents dont le professionnalisme s’accroît et des citoyens qui sont confrontés à des difficultés grandissantes, qui ont souvent tendance à se replier sur eux-mêmes, et dont les modalités d’expression peuvent parfois prendre un tour agressif difficilement supportable. Il y a là tout un travail de mise en place de lieux de médiation qui permettent de sortir de ce rapport individualisé entre les agents de service public et les locataires. Cela passe par la reconnaissance et la considération des organisations de locataires, par l’octroi de moyens de réunion, de formation et d’information, par l’identification de moments réguliers de rencontres, etc. C’est une posture de l’institution vis-à-vis du locataire et une série de procédures qui permettent de construire cette relation citoyenne. Le défi du métissage n’est pas le moindre. Les récents évènements survenus dans les banlieues en France et l’analyse des dysfonctionnements du service public le montrent clairement. Certes, des efforts ont été accomplis ces dernières années. Mais ne nous racontons pas d’histoires. Les services publics ne sont pas restés à l’écart des comportements discriminatoires qui ont marqué gravement ces deux dernières décennies, notamment à l’égard des populations immigrées et de leurs descendances. Il a fallu attendre 1998 pour qu’on ait un discours sur la police à l’image de la population. Je suis de ceux qui pensent que ce métissage de la police est un élément essentiel pour que nous puissions avoir une police républicaine et qu’un certain nombre de comportements très détestables puissent être bannis. Je pourrais aussi donner l’exemple des bailleurs sociaux. Je constate qu’il reste beaucoup à faire pour que les organes de direction soient à l’image de la population qui est dans nos cités. La gauche, qui aurait dû être à la pointe du combat contre les discriminations et pour l’intégration républicaine, a trop longtemps porté un regard compassionnel et de mise à distance vis-à-vis de personnes dont les valeurs républicaines exigeaient qu’elles soient regardées comme des pairs. L’instrumentalisation de quelques personnalités emblématiques servant d’alibis ne peut masquer ce formidable échec à valoriser des potentialités remarquables. La France contemporaine est riche de sa dimension métisse. Il faudra bien qu’à tous les niveaux de son organisation il en soit tenu compte. On a beaucoup brocardé la faillite du modèle républicain lors des émeutes urbaines de l’automne dernier. Mais pour moi, ce n’est pas le modèle républicain qui est en cause. C’est la non-mise en œuvre des valeurs d’égalité, de laïcité et de solidarité qui le fondent. De la même façon que la République a failli lors du siècle dernier dans sa gestion du fait colonial, ce qui mine notre pays aujourd’hui c’est l’écart entre les valeurs proclamées et la réalité des pratiques politiques et sociales au quotidien. Aujourd’hui, on ne peut pas prétendre défendre le service public si on ne traite pas concomitamment ses trois dimensions d’efficacité, de citoyenneté et de valorisation de l’ensemble des composantes de la société française. Intégrer sans dissoudre, je pense qu’il faut redonner tout leur sens aux valeurs républicaines. Angel MERINO – Diputacion de Barcelone Sans institutions politiques caractérisées par l’excellence, il nous sera difficile de disposer de services publics de qualité. L’objectif du Conseil général (Diputación) de Barcelone est d’aider les mairies à rééquilibrer le territoire et l’espace public, à planifier les besoins des citoyens par l’instauration de services, à évaluer le travail à réaliser pour les améliorer et à les doter de ressources économiques. Un service public doit tendre à l’universalité. Sinon, ce n’est plus un service public. L’universalité est une dimension politique et démocratique. 1. L’objectif du service doit être public, axé sur l’amélioration de la vie sociale. Il doit mettre en

pratique le principe d’égalité des chances, en insufflant une discrimination positive, afin d’atteindre des niveaux d’inclusion plus élevés.

2. La démarche suivie par les services doit prendre en compte une dimension publique institutionnelle et une dimension économico-sociale.

3. Nous devons nous occuper du rapport public/privé ainsi que de la co-responsabilité de la dynamique de fonctionnement des services publics.

Quand nous parlons de villes périphériques, nous envisageons ce concept dans une perspective sociale.

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Le concept de périphérie peut revêtir plusieurs dimensions :

• Une dimension spatiale ou géographique. Il correspond alors à ce qui entoure les centres urbains.

• Une dimension de dépendance. Le centre est la substance, et la périphérie lui est ajoutée.

• Une dimension sociale et humaine qui concerne aussi les phénomènes d’exclusion, de ségrégation, de perte d’identité, ainsi que le concept de citoyenneté.

À l’heure actuelle, il ne peut exister de service public si on ne construit pas une sphère publique d’égalité des droits et des devoirs. Par conséquent, l’État n’est pas seul responsable de la construction des services publics : il faut aussi responsabiliser la société. Sans égalité juridique, il n’est pas de citoyenneté et, de ce fait, il n’y a pas de citoyenneté si la ville, en tant qu’ensemble de services élémentaires, n’atteint pas la totalité de ses habitants. Le droit à la pleine citoyenneté se consolide quand disparaît le fossé entre inclusion et exclusion, entre personnes bénéficiaires des services publics et personnes qui en sont privées. Nous devons comprendre que la ségrégation urbaine, la ségrégation humaine, comme le montre le professeur Boaventura, constituent la première phase du fascisme social dans lequel les politiques néolibérales nous font actuellement chuter.

Il convient d’analyser dans cette perspective les processus d’urbanisation des villes périphériques. Perdre son identité dans l’espace public est l’un des éléments qui, assurément, définissent l’absence de citoyenneté. Et il est évident que dans ce processus, avec le droit à la mobilité des personnes apparaît l’un des phénomènes historiques les plus importants, celui de l’immigration. De ce point de vue, le métissage va s’imposer, car c’est l’un des signes de notre société, de celle qui se mondialise comme de celle que nous essayons de bâtir.

L’apparition de groupes humains privés de droit à la citoyenneté est largement connue, sous des appellations diverses. Notre société, qui entre à marche forcée dans la galaxie Internet, se caractérise par de vastes pans d’humanité qui n’ont seulement pas encore pénétré la première phase de la galaxie Gutenberg.

Cette contradiction définit d’une manière extrêmement claire ce que nous entendons par éléments périphériques.

• Il est évident que pour construire une citoyenneté à partir de la périphérie, il est indispensable de mettre les politiques publiques en application.

• En ce sens, les politiques publiques représentent le principal instrument de lutte contre l’exclusion sociale. Pour prévenir l’exclusion, il est par conséquent nécessaire de renforcer la garantie des droits et des éléments qui assurent le concept même de citoyenneté. Il nous sera difficile de résoudre les problèmes des secteurs exclus, si nous ne les intégrons pas aux politiques publiques.

• Il importe aussi de développer des politiques intégrées d’insertion professionnelle.

Je terminerai par trois concepts importants :

• Les politiques publiques en faveur de l’inclusion doivent se concrétiser sous forme de services publics, adaptés aux besoins. L’ensemble de ces services constitue le noyau de l’état démocratique. Il doit permettre d’agir sur les facteurs propres à engendrer des situations de vulnérabilité, en engageant toute la société dans ce processus.

• Les politiques publiques doivent s’orienter vers une stratégie démocratique et qui amène une repolitisation. Participer pour bâtir la société, et non seulement l’État. Participer pour transformer la société, et non seulement les personnes. Participer pour faire émerger la dimension éducative dans les politiques sociales. Et participer pour faire de l’espace public un espace éducateur, qui mette en avant des valeurs telles que le respect, l’autonomie et la responsabilité des citoyens, ainsi que la sécurité démocratique.

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• Il est évident que, dans ce contexte, l’éducation demeure l’instrument le plus important de la société pour avancer vers l’exercice fondamental des droits et des services publics. Les processus d’égalité commencent précisément par l’éducation, et celle-ci est le concept le plus important pour conférer, en outre, de la qualité humaine aux services publics.

Magali GIOVANNANGELI – 1er Adjointe au maire d’Aubagne Aubagne et la démocratie participative Aubagne est une ville périphérique de Marseille de 43 000 habitants, composée de 1 200 agents communaux. Dans la réponse des services publics aux besoins individuels et collectifs, le service public communal a un rôle fondamental. Or le développement nécessaire des services publics est lié forcément au projet de ville. Notre projet de ville s’appuie sur un territoire participatif. Le service public y joue un vrai rôle. La démocratie participative ne se décrète pas. Elle passe par une démarche participative. Quand on parle de territoires participatifs, on essaie de mettre en vie la notion de territoire et de personnel participatifs dans les services publics communaux. C’est pour nous une volonté politique. Cela s’appuie sur l’idée du triptyque dans le processus démocratique des élus, du citoyen et du service public. Si on déséquilibre un des éléments de ce triptyque, on met à mal ce processus. Pour ce qui concerne les élus, il s’agit évidemment du débat politique sur le processus en cours qui vise à la transformation sociale. Pour les citoyens, il s’agit de la capacité à croire que la démarche que nous engageons localement peut transformer les choses. Au sein du service public, il y a un service public au service de la démarche et du processus démocratique citoyen. En même temps, il s’agit de faire en sorte qu’il puisse être bénéficiaire de la démarche en interne. Le contexte de la fonction publique territoriale ne nous aide pas. En effet, historiquement, il y a une formation qui s’appuie sur l’application de ce qu’ont décidé les élus d’une collectivité et un fonctionnement très vertical. La question est donc de savoir comment construire une démarche participative des services publics qui échapperait à ce fonctionnement. Dans ce domaine, notre ville a conduit une expérience autour de trois axes. Le premier est la formation. L’encadrement et les chefs de service ont été formés aux processus démocratiques et à la démocratie participative, ainsi qu’à la prise de parole. Le deuxième axe est l’exigence nouvelle et démocratique dans la prise de parole. Il s’agit de faire en sorte que des réunions de service soient organisées dans tous les services. Il y a aussi une exigence d’évaluation transparente sur les objectifs et le travail de chacun. Le troisième axe consiste à libérer la créativité des agents du service public. Nous l’avons fait par le biais d’un groupe d’accompagnement de la démarche, sans la présence des élus. Aujourd’hui, nous souhaitons dresser un premier bilan de cette expérience. Ce bilan sera nécessairement participatif. Notre démarche se heurte à certains freins. D’abord, elle nécessite du temps. Tout n’avance pas à la même vitesse. De plus, comme nous n’avons pas de repères, nous sommes contraints de défricher en permanence. Enfin, il est très difficile de sortir de la neutralité administrative. Malgré ces freins, cette démarche a produit l’appropriation par les agents du processus démocratique que nous avons engagé avec la population. Elle a permis une participation plus grande de ces agents dans les débats citoyens. Je parlais tout à l’heure de la libération de la créativité des services publics. A titre d’exemple, le Service Enfance de notre ville a créé la journée du petit citoyen. Concrètement, les enfants de la ville parcourent la ville et rencontrent les élus et les responsables des services publics. Notre démarche a également permis de modifier les rapports sociaux dans l’administration communale. Elle donne un autre sens au mot « pouvoir ». Du coup, elle réinterroge le propre rapport au pouvoir que nous pouvons avoir avec les citoyens. Pour autant, nous sommes confrontés à deux menaces. La première concerne les moyens financiers destinés à maintenir et développer les services publics. En l’occurrence, les financements d’Etat disparaissent et se développe une fiscalité injuste qui repose sur les taxes locales. La deuxième menace est celle de l’Organisation Mondiale du Commerce et de l’AGCS, qui pèse lourdement sur la pérennité des services publics. L’AGCS ne menace pas uniquement la fonction publique territoriale. Elle concerne les autres services publics en présence sur la ville. Il s’agit de créer des convergences avec les usagers en vue de la défense et de la promotion des services publics. C’est un des éléments de la

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transformation sociale possible. L’existence d’un collectif syndical de défense du service public sur la ville nous permet d’opérer ces allers-retours. Depuis six mois, nous travaillons notamment avec les syndicats à la construction d’un forum social à Aubagne, qui serait en capacité d’opérer ces convergences. Enfin, je reviens sur la question de l’innovation nécessaire au sein des services publics. Je soumets l’idée d’un grand service public du logement qui résoudrait la crise que connaît actuellement ce secteur. Les constructions alternatives existent. Elles nous permettront de bâtir un autre monde. José BORRAS HERNANDEZ – Conseiller délégué de Fuenlabrada Mon intervention portera sur les services de transports publics, et sur ce qu’ils représentent dans une grande agglomération. L’histoire de ma ville met en évidence la façon dont nous avons allié son développement et les services procurés aux citoyens.

Je me distingue, dans une certaine mesure, des intervenants précédents, car je considère le service public comme un bien.

Fuenlabrada se trouve dans la zone métropolitaine sud de la communauté de Madrid, dans un secteur regroupant plusieurs villes.

Nous avons commencé à croître à partir de 1975, avec l’expulsion vers la périphérie de jeunes citoyens qui n’avaient pas accès aux logements du centre. Nous avons subi alors une spéculation féroce, qui s’est poursuivie quatre ou cinq ans pour s’arrêter en 1979, à temps pour réorganiser le territoire et édifier des villes beaucoup plus accueillantes.

Ces villes furent donc principalement habitées par des jeunes, issus du secteur des services, et dans l’impossibilité de se loger au même endroit que leurs parents.

Ces personnes, de la génération des années 70, étaient animées d’un fort sentiment social et politique. Cet aspect constitua un point de départ bénéfique pour le développement de ces villes, car il favorisait la construction d’un modèle participatif important qui, de manière spontanée, aida les communes à aller de l’avant.

Mais en raison de cette croissance démographique, les services existant dans les villes en question s’avérèrent totalement insuffisants.

Notre ville ne possède pas de patrimoine historique. Elle a été entièrement construite à partir des années 1970, avec la contribution active de ses habitants.

La femme a joué un rôle fondamental dans la ville. D’abord, parce que la difficulté des transports, la rareté des maternelles, etc. l’ont contrainte à renoncer à sa vie personnelle et professionnelle, à renoncer à son droit au travail et, par conséquent, à son évolution individuelle. La femme a donc été le principal moteur du développement, en rendant la ville beaucoup plus agréable qu’elle ne l’aurait été par la seule participation des hommes.

Après toutes ces années, la zone métropolitaine sud possède désormais un bon réseau de transports, qui contribue à l’équilibre territorial. Tous les transports sont publiquement gérés. Nous disposons d’un train de banlieue ainsi que d’une ligne de métro circulaire, la ligne Sud, qui relie entre elles toutes ces communes, ainsi qu’avec Madrid.

Pendant la première phase de développement de la ville, dans les années 1980, la forte spéculation s’est traduite par une croissance désarticulée de la ville, avec cinq ou sept centres urbains dispersés sur le territoire, et un petit noyau hérité de la situation précédente.

Ces noyaux, dépourvus de moyens de transports, devaient s’unir pour se constituer un peu mieux en ville, tandis que se concevait le plan général d’ordonnancement urbain.

Il a ainsi été créé une entreprise de transports en commun, financée par la municipalité, et avec pour unique finalité de relier ces différents quartiers.

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Malgré des débuts difficiles, avec très peu d’usagers, le service s’est amélioré avec le temps, et remplit toujours sa fonction. À l’heure actuelle, nous sommes bien dotés en matière de transports. Et la principale mission de notre entreprise municipale de transport consiste à relier les points névralgiques de la ville : l’hôpital, les dispensaires, les centres sportifs ou culturels. C’est la fonction pour laquelle elle fut créée et qu’elle continue à assurer. Elle est financée par notre subvention et il existe un titre de transport à caractère social. Pour terminer, je souhaiterais rappeler l’évolution de ma ville, et souligner l’importance et l’intensité de la participation de l’ensemble des habitants. Il existe encore un considérable sens de la participation, qui contribue à la cohésion de notre ville et des communes voisines. Par ailleurs, nous ne connaissons pas, dans aucune de nos communes, de pression importante relative à l’immigration, ni d’importantes disparités, ni de poches marginales, ni de bidonvilles. Gilles LEPROUST – 1er adjoint au maire d’Allonnes Dans les années 60, une ZUP de 2 500 logements sociaux a été construite à Allonnes pour loger les salariés des entreprises du Mans. Il a fallu aussi créer et gérer un grand nombre d'équipements collectifs pendant que la ville-centre du Mans récoltait, grâce à la taxe professionnelle, le fruit du travail de ces salariés. Aujourd’hui, tout en restant une ville ouvrière, celle-ci se paupérise puisque 60 % des Allonnais sont exonérés partiellement ou totalement de la taxe d’habitation. Le nombre de demandeurs d’emplois représente 15 % de la population. Le nombre d’allocataires du RMI est de 378, dont 225 familles. Dans notre ville, les inégalités sociales s’aggravent, et cela dans tous les domaines : inégalité face au droit du travail, inégalité face au droit au logement, inégalité face au droit à la santé, inégalité face au droit à l’éducation. Cette situation a conduit les élus de la collectivité à mettre au cœur de leurs préoccupations les services publics, qu’ils soient locaux ou nationaux. Le constat que nous pouvons faire est en effet la dégradation de l’accès aux droits fondamentaux. Je vous donne un exemple. Il concerne un salarié qui vient de traverser une période difficile, avec un long arrêt de maladie et en conséquence une chute de ses revenus. Le cycle infernal commence alors, avec notamment des chèques rejetés par la banque. Mais quelle banque ? Pas n’importe laquelle, la nouvelle Banque Postale. En effet, avec un chèque de vingt euros rejeté, ce salarié se retrouve avec 28 euros de frais de banque. Cette banque fait actuellement une grande campagne de communication avec son nouveau logo. Serait-ce aux plus démunis de financer la privatisation de ce service public et les profits aux futurs actionnaires ? Nous avons là une illustration de ce que provoque la marchandisation des services publics dans la vie quotidienne des familles populaires dans les villes de périphérie. Cet exemple nous confirme, s’il en était besoin, que la question du maintien et du développement des services publics est essentielle et que nous devons nous mobiliser. Je me permets de résumer ainsi l’enjeu : « dis-moi quels sont tes services publics, dis-moi dans quel état sont tes services publics, je te dirai quelle société tu nous prépares ». Dans chacune de nos communes, nous constatons des remises en cause profondes des services publics sous la pression des politiques libérales. Ces services publics, qui sont utiles aux populations pour permettre de combattre les inégalités, de tenter tant bien que mal de préserver un certain nombre de droits fondamentaux, apparaissent inacceptables à la sphère marchande libérale. Elle voit là une entrave à une concurrence libre et non faussée. Ce bras de fer se vit dans chaque banlieue de la planète. Autrement, comment expliquer les offensives de l’OMC via l’AGCS, les directives européennes comme celle des services dite Bolkenstein, qui ont la même obsession, faire lever les derniers barrages de résistance à cette vague de privatisation ? Je viens d’évoquer la pression mise sur les collectivités et les populations via ces accords internationaux. Je ne peux pas oublier qu’une autre pression sournoise existe en France : l’asphyxie financière sur les collectivités. Cette asphyxie conduit les communes à vendre certains services publics. Heureusement, face à ces offensives, la résistance s’organise localement, nationalement et internationalement. Quels peuvent être les engagements des villes dans cette mobilisation ? Modestement, je voudrais vous faire part de deux expériences dans ma commune. La première concerne l’AGCS, un accord qui vise à l’ouverture à la concurrence, et donc à la privatisation de toutes les activités humaines. L’opacité qui entoure ces discussions, la volonté affichée de garder le plus secret possible les différentes avancées sur

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cet accord, amènent les collectivités territoriales à avoir un rôle d’éducation populaire. En effet, les populations ne peuvent se mobiliser qu’à la condition qu’elles soient au courant de ce qui se trame et qu’elles soient en mesure d’en maîtriser les enjeux. C’est pourquoi des collectivités européennes s’engagent et se sont déclarées zones hors AGCS. A Allonnes, nous avons décidé d’informer et d’associer les populations à travers différents supports. C’est le cas par exemple avec le bulletin municipal et des articles réguliers sur le contenu de l’AGCS. C’est également la réalisation d’une bande-dessinée sur cet accord. Cela a été également la pose de pancartes aux entrées de ville : « Collectivité hors AGCS, zone préservée services publics ». Il faut remarquer que ces mobilisations ne sont pas sans succès. Cet accord, dont la signature devait intervenir dans le cadre de l’OMC au 1er janvier 2006, a été repoussé. J’y trouve des raisons supplémentaires pour amplifier les mobilisations. C’est tout le sens de la préparation de la future Convention européenne qui se déroulera en octobre prochain à Genève. La deuxième expérience concerne la question des droits fondamentaux. Les droits au logement et à l’énergie sont particulièrement remis en cause dans nos communes. Face aux grandes difficultés et aux conditions de vie des habitants de nos quartiers, les élus d’Allonnes ont décidé d’agir et non de subir. Nous avons mis en place deux arrêtés municipaux, après consultation et accord des associations locales de défense de locataires et de consommateurs, des associations caritatives, des assistantes sociales et du bailleur social. L’un de ces arrêtés interdit les coupures d’électricité et de gaz pour les familles en difficulté économique et sociale sur la commune d’Allonnes. Le second interdit les expulsions locatives pour ces mêmes familles. Ces deux arrêtés n’ont pas été contestés dans les délais impartis par la préfecture de la Sarthe. Ils sont donc applicables et font force de loi à Allonnes. Le premier arrêté a déclenché une procédure auprès du tribunal administratif de la part d’EDF-GDF. Mais il a également déclenché une médiatisation nationale et un mouvement très fort de solidarité de citoyens, d’associations, de syndicats, de partis politiques. A ce jour, 800 Allonnais ont retourné un coupon de soutien à la mairie. Un rassemblement de 300 personnes s’est tenu à notre invitation et nous avons reçu de nombreux témoignages de sympathie de toute la France. Dans cette société qui nous explique que rien ne peut arrêter le train du libéralisme, les collectivités, par leurs actes et leurs engagements, peuvent contribuer à redonner de l’espoir. Enfin, depuis la prise de ces arrêtés, il n’y a plus de familles sur Allonnes qui sont privés d’électricité et de gaz. Nous avons donc fait modestement la démonstration qu’en conjuguant l’intervention d’élus, de citoyens, d’associations, de syndicats, de mouvements et de partis politiques, nous pouvions mettre notre grain de sable et ainsi perturber la logique libérale. Pour que ces différentes initiatives soient efficaces, nous devons les inscrire dans la durée, dans la co-élaboration avec les populations. C’est notre façon de donner du corps au concept de démocratie participative. Ce Forum mondial des autorités locales de périphérie pourrait d’ailleurs être l’occasion de décider de mieux fédérer les actions des uns et des autres pour le respect des droits fondamentaux. L’expérience des villes de périphérie est un échelon pertinent pour donner de la force à ces combats majeurs du XXIe siècle. L’avenir de la population donc l’avenir de nos sociétés et de nos villes en dépendent. DEBAT AVEC LA SALLE Ronan KEREST - vice-président du Conseil Général de la Seine-Saint-Denis En avril 2004, nous avons pris la décision qu’un des élus du Bureau du Conseil Général serait chargé, dans ces délégations, de la défense et de la promotion des services publics à l’échelle du territoire. Nous essayons de montrer que les villes périphériques ne sont pas bénéficiaires de la fermeture des services publics dans les campagnes. Nous sommes également victimes de cette dégradation de la qualité des services publics. Dans nos banlieues, nous essayons de créer les conditions du rassemblement des élus, des citoyens et des salariés des services publics, pour que nous puissions ensemble porter la même définition de l’intérêt général. Enfin, je voudrais insister sur l’importance du partage des richesses à l’échelle des agglomérations. Aujourd’hui, en France, on veut faire payer la solidarité envers les plus démunis. Il y a cette volonté

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d’opposer les pauvres et les moins pauvres dans les mêmes villes. Nous avons besoin de partager les richesses, d’engager une réforme profonde de la fiscalité. Jacqueline FRAYSSE C’est une question centrale. Ils ont effectivement réussi à faire croire à la population qu’il n’y avait plus d’argent. Ce n’est pas vrai. Il n’y a jamais eu autant d’argent. Il suffit de regarder les profits des grandes entreprises françaises. La question de la répartition de la richesse se pose d’une manière aigue à l’échelle planétaire, mais aussi à l’échelle locale. De la salle Il ne faut pas oublier qu’une grande majorité de villes ont choisi de déléguer le service public de l’eau ou du traitement des déchets à des compagnies privées. Ce sont les collectivités locales qui ont fait la richesse de ces entreprises privées. Or je suis persuadé que si les collectivités locales choisissaient de reprendre la gestion de ces activités, elles pourraient non seulement assurer un service de qualité, mais de surcroît pour un coût bien moins élevé pour les citoyens. Nous pouvons gérer autrement, mais faisons-le dès maintenant. Arrêtons de déléguer au privé ce que nous pouvons gérer nous-mêmes. Mettons en cohérence nos actes avec nos discours. Jean-Claude CUISINIER, Conseiller municipal d’Aubagne J’interviens sur le mode d’organisation de ce forum, que je trouve par ailleurs fort enrichissant. Premièrement, je pense que les personnes dans la salle ne sont pas là pour poser des questions, mais bien pour échanger. Autrement dit, il n’y a pas d’un côté les intervenant qui savent, et de l’autre le public qui serait là pour apprendre. Aujourd’hui, nous sommes tous là pour apprendre. Jacqueline FRAYSSE Je suis tout à fait d’accord avec toi. Jean-Claude CUISINIER, Conseiller municipal d’Aubagne Deuxièmement, je pense qu’à l’avenir il faudrait davantage donner du temps aux participants de la salle, quitte à réduire les présentations des personnes sur l’estrade. Jacqueline FRAYSSE Ta remarque est juste. Tu as raison d’attirer notre attention sur ce point. Jean-Claude CUISINIER, Conseiller municipal d’Aubagne Nous sommes dans une course de vitesse au niveau planétaire. Depuis quelques années, cela bouillonne, les idées émergent. Mais en face, ils ne restent pas les bras croisés. La société mondiale du commerce, qui voudrait que le profit soit notre seul horizon, s’inscrit elle aussi dans un phénomène d’accélération. Il ne faudrait pas oublier que des accords comme l’AGCS reposent aussi sur la volonté de court-circuiter l’action des élus, quel que soit leur degré de responsabilité. Nous assistons au niveau planétaire à la mise en place d’un carcan réglementaire qui tend à rendre inévitable l’application des orientations libérales. Nous avons vécu cela en France, et de façon victorieuse, avec la bataille de la Constitution Européenne. Celle-ci visait à codifier la concurrence libre et non faussée et à faire en sorte qu’elle s’applique à nous et aux générations futures. La seule solution est de mettre tous ces éléments dans les mains de la population. Il faut faire en sorte que la population soit informée et associée à la construction de son territoire. Par ailleurs, c’est un non-sens de parler de démocratie participative sans l’appliquer aux services publics. Bernadette JONQUET - association ATTAC Je voulais simplement rappeler que l’association ATTAC s’inscrit dans un partenariat avec les collectivités depuis 2000 avec l’appel de Morsang. Ce partenariat a été tissé par le biais de la commission Territoires et Mondialisation de l’association ATTAC. Depuis 2003, les comités locaux

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d’ATTAC s’adressent aux collectivités pour qu’elles se déclarent hors AGCS. Nous travaillons également à l’échelle européenne. Cette alliance entre les élus des collectivités, les citoyens et les syndicats me paraît essentielle. En France, le réseau de Guéret se mobilise contre la remise en cause des services publics. Il a été étendu et s’appelle désormais « réseau Convergence ». Ce réseau animera une mobilisation nationale qui aura lieu le 10 juin. L’ouverture vers les autres pays est également importante. Je vous donne donc rendez-vous fin octobre, à Genève, pour la Convention pour la défense des services publics. Un des axes principaux de travail concerne la fiscalité, qui est le principal moyen de redistribution des richesses et de financement des services publics. Aura CONTRERAS DE RIVERO – Maire de Paravecino de Venezuela. Ma question s’adresse à notre camarade de Barcelone, qui évoquait le pourcentage de subvention du service de transports publics. Nous parlons de transports collectifs publics, en partie subventionnés par l’État. Mais, nous, nous travaillons actuellement à la municipalisation de certains services. C’est pourquoi j’aimerais savoir le pourcentage approximatif de subvention accordé par la municipalité. En effet, notre conception de la ville est semblable à celle que vous avez formulée tout à l’heure. Et nous œuvrons aussi à un plan de réorganisation urbaine, qui nous permettra de relier notre commune à cette grande agglomération, où la plupart de nos concitoyens se rendent pour travailler. D’autre part, outre cette information très précise, je voudrais demander quelque chose, car j’ignore s’il s’agit d’une erreur de traduction, ou si j’ai mal entendu ce qui se disait. Est-il vrai que la gauche n’avait pas assumée l’engagement de travailler dans un but d’égalité en ce qui concerne la ségrégation et à certaines problématiques sociales d’inclusion, qui se manifestent en ce moment en Espagne ? De la salle Nos élus locaux et nationaux, de droite comme de gauche, crient au loup à propos de la directive Bolkenstein, alors qu’ils ont signé des deux mains pour qu’elle soit appliquée. De la même façon, c’est Pascal Lamy, du Parti Socialiste, qui a discuté l’AGCS au niveau européen. Ce sont les mêmes qui ensuite affirment défendre les services publics. J’avoue que cela me pose problème. Je voudrais également parler de la responsabilité des élus des collectivités territoriales. Là encore, je note la grande différence entre leurs discours et leurs actes. Certains élus prétendent défendre le service public, alors même qu’ils mettent en péril dans leur collectivité certains services publics. Par exemple, ils ne remplacent pas les départs en retraite ou ils ne mettent pas à disposition les moyens nécessaires au maintien d’un service. Au bout du compte, ils constatent que ce service ne fonctionne pas et décident de le donner à une entreprise privée. Je suis toujours effrayée lorsque l’on parle de rentabilité à propos des services publics. Naturellement, un service public se doit d’être efficace. Cela étant, il ne faut pas prêter le flanc à cette idéologie de la rentabilité. Le rôle premier d’un travailleur social ou d’une bibliothèque municipale n’est pas la rentabilité. Enfin, j’aimerais poser une question aux intervenants espagnols. J’aimerais avoir des précisions sur l’organisation de la résistance en Espagne par rapport à l’AGCS. Alain RIBES - syndicaliste, Confédération Nationale des Locataires Je rappelle d’abord que les services publics ne peuvent être gérés comme une entreprise privée, sur le simple équilibre entre recettes et dépenses. Par ailleurs, j’aimerais insister sur cette notion fondamentale qu’est l’accès à tous les services publics et pour tous les citoyens. Il faut donner plus de transparence sur ce qui se passe au sein même des services publics. Il convient également de donner des moyens nouveaux aux agents du service publics, mais aussi à la population. Il faut mieux informer la population, mais aussi les associer aux luttes et aux décisions. Nanterre possède des espaces de débat de services publics. Mais il faut faire encore plus d’efforts à destination de la population pour que des formes démocratiques nouvelles voient le jour.

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Ghislaine QUILIN - Maire adjointe de Nanterre Ma première réaction est la suivante : travaillons ensemble ! En effet, j’ai l’impression que nous sommes tous confrontés aux mêmes problématiques et que nous pourrions avancer encore davantage en nous réunissant. Nous sommes face à un paradoxe. Nous sommes de plus en plus demandeurs vis-à-vis des agents du service public. Dans le même temps, ces derniers vivent des attaques sans précédent sur leur situation de salariés de la fonction publique. Nous devons donc être exigeants vis-à-vis du service public. Mais il faut aussi que les agents du service public sentent que nous sommes conscients et à leur côtés dans la lutte qu’ils mènent. Je n’ai pas que des convergences avec le premier intervenant. En particulier, je ne pense pas que le privé soit un passage obligé, d’autant plus qu’il existe peu d’exemple du retour du privé vers le public. Nous n’avons pas été capables de faire comprendre aux gens à quel point le service était une question de quotidienneté pour eux. C’est sur ce point que nous avons perdu. Je reviens sur l’exemple d’Allones. Bien évidemment, on ne peut que saluer les initiatives prises par cette municipalité. Mais cela dit, quand une ville est obligée de prendre un arrêté pour qu’il n’y ait pas de coupure de courant, comment pourra-t-elle mobiliser pour garder EDF dans le giron du service public ? La bataille perdue sur EDF, c’est que nous n’avons pas été capables de construire la convergence. Nous avons conduit cette bataille comme une bataille interne, alors qu’il aurait fallu y associer la population. Jacqueline FRAYSSE Je reviens sur une précédente intervention de la salle, qui mettait en exergue le double langage des politiques vis-à-vis de l’AGCS. Je tiens à dire que les élus qui sont dans la salle, dont je suis, ont lutté depuis le début contre l’AGCS. André MARTI - Adjoint au maire de Rézé La communauté urbaine est la forme la plus achevée de l’intercommunalité. Elle représente une rupture historique avec ce qu’ont vécu les communes puisqu’elle est synonyme d’un transfert de compétences très important. Au titre de la solidarité, nous avons voulu porter sur les fonts baptismaux de la communauté urbaine l’égalité en matière de services publics. Il s’agissait avant tout de mettre tous les citoyens de la communauté sur le même pied d’égalité en instaurant un tarif unique pour l’ensemble de ses communes. Aujourd’hui, toutes les populations payent le même tarif en ce qui concerne l’eau et l’assainissement. Je voudrais également casser un certain nombre de contre-vérités. Dans le service public, il faut faire la différence entre ce que l’on appelle l’autorité organisatrice (c'est-à-dire les collectivités locales) et les opérateurs. A la communauté urbaine de Nantes, nous avons fait le choix que les élus gardent la totale maîtrise de la gestion du service public. Ainsi, nous avons décidé de conserver une maîtrise totale de la tarification de l’eau et de l’assainissement. C’est donc la collectivité locale qui fixe, dans un cahier des charges drastique, ce que l’on attend de la prestation des opérateurs. 60 % des opérateurs sont en régie et 40 % sont privés. Nous avons choisi ce système hybride pour faire en sorte qu’il existe une émulation. Ainsi, les contrats qui lient les opérateurs privés à la collectivité locale sont des contrats de gérance, où les immobilisations, la tarification et l’établissement du cahier des charges restent entre les mains de la collectivité locale. Pour information, la rémunération du gérant représente à peine 35 % du prix de l’eau. Les opérateurs privés et la régie cohabitent ainsi et contribuent à une saine émulation. De la salle La leçon qu’on peut tirer du grand débat de l’année dernière sur le traité constitutionnel européen est qu’on est capable d’intéresser tous les citoyens, à un niveau très local, sur les questions les plus difficiles qui soient. Le pouvoir local s’est beaucoup dilué au cours des vingt dernières années. Du conseil municipal, qui était proche du citoyen, on est passé à des décisions prises par des communautés de communes, qui sont plus éloignées du citoyen et auxquelles le citoyen ne peut pas participer, ou par des communautés d’agglomération, qui sont des chambres d’enregistrement. Si on veut changer les

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choses, il faudrait tout de même considérer que les citoyens sont responsables et intelligents. Il appartient aux élus d’organiser des débats citoyens. Il faut permettre aux populations de s’exprimer. Par ailleurs, je reviens sur l’intervention de Monsieur Marti. J’estime que le compromis public-privé n’est pas la solution. Je donne un exemple. Dans ma ville, la Générale des Eaux vient d’accepter de baisser son tarif de 30 % pour obtenir un futur contrat. Cela signifie que pendant plusieurs années, cette entreprise a surfacturé ses prestations d’au moins 30 %. Pourtant, on continue à leur donner des contrats. Pourquoi ne pas avoir le courage de faire une grande régie publique ? Stela FARIAS - ancienne maire d’Alvorada, Brésil Le service public au Brésil aujourd’hui, vit comme le reste du monde de fortes tensions du fait de la mondialisation néolibérale. Le discours répandu au Brésil est que “l’État n'a pas les moyens de financer certains services, ce qui doit conduire à faire appel à l’initiative privée ”. Nous vivons cela depuis environ les vingt dernières années, de façon très pesante au Brésil. Nous mêmes, les gestionnaires, les élus de gauche avons des difficultés à affronter la société et à nous opposer, parce que l’opinion publique entend cela comme une évidence, un état de fait. Pour conclure, je pense que nous avons besoin, pendant ce forum, de constituer une orientation pour nos mairies, pour nos gouvernements de gauche, parce que nous nous rappellerons toujours, ô combien il est bon d’avoir une forte présence des citoyens, mais depuis hier j’ai vu, j’ai entendu, quelque chose qui sonne faux à l'oreille, qui ne passe pas. Nous voulons les citoyens à nos côtés, et il faut qu’ils soient à nos côtés, mais il n’y a pas de divorce entre la citoyenneté et le gestionnaire public, la citoyenneté et la politique de gauche. La politique de gauche ne fait pas toujours tout ce qu’elle veut, j’en veux pour preuve l’expérience de Lula. Il est donc fondamental que nous travaillions, hommes et femmes, aussi bien les hommes politiques, que la société civile, les mouvements sociaux, d’où qu’ils soient, et que nous travaillions à la réduction de nos divergences. Je pense que des orientations fortes devraient figurer sur ces sujets dans le document qui sera élaboré à l’issue de ce forum. Jacqueline FRAYSSE Stella, nous retenons de ton intervention que la population doit intervenir directement pour exiger que ses élus appliquent leurs engagements. Comme tu l’as rappelé, certains élus ne sont parfois pas en mesure de faire ce qu’ils souhaitent. Si la population s’investissait davantage, cela permettrait aux élus d’aller plus loin dans leurs choix. Ary VANAZZI - Maire de Sao Leopoldo, Métropole de Porto Alegre, Brésil Lorsque nous parlons de services publics et de nos luttes au Brésil, nous constatons des différences avec les luttes que vous menez ici en France. Je pense qu’il s’agit du meilleur exemple, et du plus profond, qui révèle l’importance de gouvernements engagés dans le social, des gouvernements de gauche, qui ont une vision différente. Vous avez beaucoup avancé ici, mais nous, là-bas, nous avançons à petits pas encore. Je pense aussi que cette conférence doit tirer au clair quelques objectifs, qu’ils soient indicateurs, afin que nous puissions les porter comme drapeaux de nos luttes en relation avec les municipalités. D’abord il y a la question de l’eau qui a déjà été abordée ici. Nous devons clairement nous affirmer contre la privatisation de l’eau au Brésil et n’importe où ailleurs. Dans le Rio Grande do Sul, nous possédons cinq cent quarante cinq municipalités, mais huit seulement disposent d’un système municipal d’eau ; le reste possède un système d’état que le gouvernement de l’état a toujours eu l’intention de privatiser, et les municipalités restantes recherchent leurs alternatives. Le second point porte sur la mondialisation du service public. A titre d’exemple, l’entreprise qui ramasse les ordures à São Leopoldo, Novo Hamburgo, Sapucaia est une entreprise qui possède le gaz ici en France, Vega – groupe Suez. Il est faux de dire que des activités comme le ramassage des ordures engendrent des pertes du fait de coûts élevés : non, les ordures rapportent de l’argent, parce que le pouvoir public finance. Il y d’ailleurs des luttes entre concurrents pour l’obtention de ce marché. Nous aussi nous devons avoir une opinion à ce sujet afin de pouvoir convaincre jusqu'aux maires qui ne sont pas de gauche.

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Magali GIOVANNANGELI Nous devons avoir cette exigence de création de services publics dans les pays où ils n’existent pas et où la privatisation et la rentabilité écrasent la population. Nous pouvons nous appuyer sur les réseaux et les dynamiques créées par ces réseaux, notamment dans le cadre des forums sociaux mais aussi des forums d’autorités locales et des réseaux internes aux pays. Le Brésil nous donne de l’espoir et l’envie de continuer à nous battre. La mise en dynamique des réseaux est peut-être la possibilité de passer du rêve, dont parlait Ari, à la réalité. Par ailleurs, notre intercommunalité subit le véto du préfet qui ne veut pas qu’elle s’élargisse aux portes de Marseille parce que, justement, elle conjugue solidarité et mutualisation des moyens. Angel MERINO Nous n’avons parlé ni de compétences, ni de financement municipal, questions essentielles en matière de services publics. Leur existence ne dépend pas seulement d’une volonté politique, mais aussi des ressources qui leur sont consacrées. Les services publics sont des services de proximité. Ils doivent rester proches de l’instance politique la plus proche des citoyens. En Espagne, les municipalités reçoivent approximativement 13 % d’apport de l’État. La question du financement est liée de près à la conception de l’État comme garant d’une justice redistributive, qui dynamise la chose publique. Par ailleurs, nous sommes un pays qui a rencontré plus de difficultés que d’autres à s’intégrer à la dynamique globale européenne, car notre histoire démocratique est très récente. Par conséquent, le lien avec certains mouvements existe, bien qu’il se manifeste sous une forme différente. Dans ma commune, par exemple, nous avons approuvé une motion, alliant toutes les forces politiques à l’exception du PP, d’adhésion et de lutte, compte tenu des mobilisations du reste de l’Europe. Etienne BUTZBACH J’aimerais faire trois remarques. D’abord, Ouria m’a très bien compris. Effectivement, j’ai dit que la gauche avait lourdement failli dans son approche des questions égalitaires, en particulier en matière d’immigration. Je parle de l’expression majoritaire de la gauche. Je suis de gauche et je suis d’accord avec mes collègues présents ici. Mais nous ne sommes pas très représentatifs de l’expression majoritaire à gauche. La France est riche de sa culture métisse. Moi-même, je suis un pur produit français : j’ai des grands-parents allemands, italiens et alsaciens. C’est cela, la France. Depuis vingt ans, force est de constater que ce métissage est en panne. Le gouvernement porte une responsabilité. On peut toujours invoquer les questions sociales. Bien sûr, elles sont là. Mais à quoi sert l’action politique si elle est impuissante à faire valoir ces valeurs républicaines dont on se réclame mais qu’on est incapable de transcrire dans la réalité ? Je pense qu’il n’y aura pas d’universalité des services publics en France sans ce métissage du service public. Ma deuxième remarque porte sur la nécessaire réforme du service public. Là aussi, force est de constater que la gauche a en partie failli. Nous avons certes connu des avancées positives. Par contre, il y a eu un discours extrêmement problématique. La gauche majoritaire a tenu un discours scandaleux sur l’Etat. Nous avons besoin d’un Etat plus présent. Par exemple, ce n’est pas au niveau des régions ou des communes que doit se faire la péréquation du financement du logement social. La solidarité doit être nationale. De la même façon, nous avons besoin d’impôts. Là aussi, je suis scandalisé par les discours qui prônent la baisse des impôts. Si nous voulons des services publics, il faut de l’impôt. J’ai évoqué le défi de la citoyenneté. Ce défi est double. D’une part, comment faire pour que les bénéficiaires du service public soient considérés comme des citoyens à part entière ? Comment faire pour que les agents du service public se pensent comme des agents du service public ? Il faut que nous

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réfléchissions au passage d’une administration qui gère des procédures à une administration plus focalisée sur le projet et l’animation de l’espace public. Un paradoxe ne sera pas facile à régler. Il s’agit de la nécessaire repolitisation de l’administration, concomitante à une professionnalisation. Cette repolitisation ne doit pas être vécue comme une instrumentalisation par le politique politicien. Il faut trouver les modalités pour que les agents publics deviennent des co-animateurs du débat public. Ma troisième remarque porte sur les questions de gestion directe et indirecte. Je suis un fervent défenseur du service public. Mais je pense que dans certains cas, le recours à un acteur privé est nécessaire. Je suis de ceux qui défendent à la fois les régies directes et les sociétés d’économie mixte. Ces dernières sont à majorité publique. Il nous appartient de faire en sorte que les critères de fonctionnement de ces sociétés soient rigoureux. Enfin, je précise que j’ai parlé de la notion de productivité et non de rentabilité. Il me semble que les services publics se doivent d’intégrer cette notion de productivité. Il faut tout de même rappeler que si cet attrait du privé existe, c’est aussi parce que le service public a parfois failli. En termes de gestion, nous avons un vrai travail à accomplir. J’ajoute que les critères de productivité peuvent ne pas être strictement économiques. Gilles LEPROUST Le débat du contenu des services publics traverse l’ensemble de la gauche française et européenne, voire mondiale. Il me semble que cette question ne pourra se régler que par l’irruption en permanence des citoyens dans le débat. En ce sens, le forum d’aujourd’hui est utile. Donnons-lui des suites pour qu’il résonne sur l’ensemble de la planète. José BORRAS HERNANDEZ Je suis venu à ce forum pour partager et apprendre, et non pour donner des leçons. Je suis extrêmement reconnaissant aux représentants du Brésil pour leur contribution, car ils nous montrent l’autre réalité qui se vit dans leur pays, de même qu’au Venezuela ou dans d’autres pays où le débat porte parfois sur des questions de survie, de première nécessité. À la question du représentant du Venezuela, je répondrai que la subvention municipale est d’environ 20 % supérieure au prix d’achat des véhicules, quand ils sont renouvelés tous les sept ou huit ans.

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Atelier 9 : Du local au global, l’engagement des jeunes, porteur d’identités et de changements ? Difficile de parler « banlieues » sans parler de et avec les jeunes qui y vivent, y étudient, y travaillent. Sur ces territoires démographiquement plus jeunes que la moyenne, plus métissés et plus discriminés souvent, comment se concrétise aujourd’hui l’engagement des jeunes ? Quelle dimension internationale peut-il prendre alors que les jeunes manquent de reconnaissance et de place politique ? Quel lien entre les recherches d’identité et l’engagement citoyen ? Participent à l’atelier : Fabien FABBRI, Maire adjoint de Gennevilliers, Métropole de Paris ; Martin SABBATELLA, Maire de Moron, Métropole de Buenos Aires, Argentine ; Clémentine AUTAIN, Adjointe au Maire de Paris. Guy MILLERIOUX, Directeur de l’INFOP CEMEA ; Christelle HAMEL, Sociologue, INED ; Bertrand GALLET, Directeur général des Cités Unies de France ; Modérateur : Jérôme BOUVIER, journaliste. Fabien FABBRI – Adjoint au maire de Gennevilliers Nous n’avons pas attendu cet atelier pour que les questions des jeunes soient parties prenantes du FALP et de ses débats. Les jeunes traversent tout le programme du FALP, qu’il s’agisse des échanges sur la politique, sur la santé ou sur le logement. Ce n’est donc pas l’atelier « enfant » du FALP pour avoir une touche « jeunesse » dans ce rendez-vous des banlieues du monde. Mais il nous a semblé nécessaire d’échanger sur ces thématiques proprement dites vues à partir du prisme et du côté de l’engagement des jeunes dans nos villes. En effet, territoires malheureusement trop souvent de relégation, de concentration, et même d’apartheid spatial et urbain, nos villes sont confrontées à un véritable défi quant à la construction par les jeunes de leur identité tant individuelle que collective et quant à leur participation active au devenir de nos villes. Dans une époque où les repères collectifs se sont brouillés, où les idéologies politiques voire l’engagement politique en tant que tel semblent dépassés, inadaptés, sans effet, cette question se pose avec force. Principaux acteurs du mouvement mondialiste, de Porto Alegre à Gênes, les jeunes sont dans le même temps les principaux vecteurs d’une mondialisation capitaliste des marques, contribuant par exemple à ce que l’on s’identifie, de Gennevilliers à Tokyo, de Nanterre à Oslo, par ce que l’on porte ou ce que l’on écoute. Cette recherche contradictoire d’éléments structurants d’une identité en formation est de plus en plus marquée par la dimension internationale. Elle l’est également par la capacité ou non de nos collectivités à ouvrir visiblement et réellement des espaces de co-élaboration, de co-construction à nos jeunes concitoyens, au risque sinon de les reléguer nous aussi dans une posture de consommation et d’attente dans un déni de confiance sur leur aptitude à porter de l’intérêt général et non seulement des attentes catégorielles. Cet enjeu est vrai pour toute la jeunesse. Mais il se pose avec une acuité particulière dans nos villes de banlieue, des villes démographiquement plus jeunes, des villes plus métissées, des villes également malheureusement plus enfermées tant physiquement que mentalement. Nous avons souhaité ouvrir la possibilité de cette rencontre au cours du FALP. Face à des identités pré-formatées, avec des étiquettes répétées voire volontairement provocatrices comme on a pu encore avoir l’expérience à la fin de l’année dernière avec le tristement célèbre « racaille » du ministre de l’intérieur, face à un déficit de reconnaissance et de place politique, comment l’engagement des jeunes peut-il contribuer à changer la donne pour permettre à chacun de construire son identité et non plus de la subir ? Je voudrais citer Mahmoud Darwich, poète palestinien. Dans une interview accordée il y a

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quelques jours, il déclarait : « L’identité n’est pas un héritage, mais une création. Elle nous crée et nous la créons constamment. Et nous ne la connaîtrons que demain. Mon identité est plurielle, diverse. » Cette posture-là, que nous partageons et tentons de faire vivre, change radicalement la manière de voir et de travailler. Si l’identité se construit jour après jour et ne s’hérite pas, alors toute stigmatisation d’une population en raison de ses origines, de son lieu d’habitation, de sa couleur de peau ou de la nature de son sexe, n’a pas de sens, comme n’a pas de sens la volonté de transformer la quête d’identité en enfermement communautaire. Cette recherche identitaire, considérée alors non plus comme un retour vers le passé mais comme un passeport vers le futur, pourrait au contraire devenir un formidable creuset du « vivre ensemble ». Cette conception n’est pas historiquement la conception française. Comme l’ont d’ailleurs souligné nombre de commentaires en novembre dernier, ce ne sont pas les jeunes qui ont bafoué la République ces jours-là ; c’est une nouvelle fois la République qui a refusé de les accueillir. Ce n’est pas nouveau. Notre modèle a toujours été un modèle intégrateur qui ne voulait voir qu’une tête. Le vieux slogan de la marche de 1983, « La France est une mobylette, faut du mélange pour qu’elle avance », n’a pas été entendu, loin s’en faut. Nous pourrions même revenir plus loin à notre glorieuse Troisième République de la fin du XIXe siècle, qui a unifié la France par les instituteurs et la conscription, en obligeant chacun à abandonner sa langue maternelle et à apprendre l’histoire officielle pour parler et écrire français. Pourtant, les différences opposent-elles, enferment-elles ou au contraire permettent-elles d’apprendre les uns des autres et de se construire du commun ? C’est le défi que nous tentons de faire vivre à Gennevilliers, ville où ont été amenés pour travailler au cours des années 60 et 70 des milliers de travailleurs immigrés essentiellement maghrébins, ville qui concentrait encore il y a peu plus de 25 % des places en foyers de travailleurs immigrés de l’ensemble des Hauts-de-Seine, ville qui compte 64 % de logements sociaux et dont 27 % de la population au dernier recensement était de nationalité étrangère. Ce défi de « vivre ensemble » et pas côte-à-côte passe en permanence par une reconnaissance de chacun, tel qu’il est aujourd’hui, par une recherche de mélanges, par une recherche de tout ce qui est « inter » : interculturel, intergénérationnel, inter-quartiers, international. C’est l’un des deux axes majeurs, l’autre étant les pratiques culturelles, sur lequel nous travaillons depuis des années avec les jeunes Gennevillois, tant le regard sur les conditions de vie, les engagements des autres, mais aussi le regard des autres sur soi-même, est un vecteur fort pour s’émanciper d’identités préfabriqués. Elus municipaux de Gennevilliers, nous avons tous été frappés par exemple des mots d’une jeune Genevilloise revenant de délégation en Pologne à l’occasion du soixantième anniversaire de la libération des camps de concentration, et expliquant au Conseil Municipal qu’elle s’était sentie plus gennevilloise et plus française là-bas qu’ici. Là-bas parce qu’au sein de notre délégation, son identité était légitime et incontestable. Ici, elle se devait de la justifier jour après jour. Mais attention, si les échanges internationaux et les actions de solidarité peuvent être de formidables outils, ils ne peuvent pas être une excuse pour ne rien bouger ici. Ni pour les jeunes, en se contentant en termes de fuite ou de refuge du champ international pour éviter de s’attaquer à la dure réalité du quotidien, ni pour nous élus locaux et collectivités territoriales. Reconnaître aux jeunes l’engagement et la responsabilité sur la scène internationale au-delà de nos frontières et leur nier au sein même de nos territoires serait irresponsable et dangereux. Gérard Perreau, maire adjoint de Nanterre, écrivait dans une chronique consacrée au FALP : « Question espoir, il reste donc l’engagement ». Bien sûr, l’atelier d’hier a largement abordé cette question et la place des jeunes pour renouveler la politique. Mais quels liens entre cet engagement possible, souhaitable, nécessaire et la capacité à trouver sa place dans la prise de responsabilité locale ? Là aussi, nous avons envie de vous entendre et de parler ensemble. Car si ces liens sont réels, ils n’ont pour autant rien d’automatique, et les pouvoirs de proximité que représentent nos collectivités ont bien besoin de s’ouvrir à une participation plus forte et plus représentative de leur jeune population. Jérôme BOUVIER Monsieur Sabbatella, qu’est-ce qui pousse un jeune Argentin à mener campagne dans sa commune de banlieue ? Pouvez-vous par ailleurs nous présenter la commune de Moron dont vous êtes le maire ?

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Martin SABBATELLA – Maire de Moron Morón est une commune de l’agglomération de Buenos Aires. Elle se situe au centre d’un ensemble urbain, connu sous le nom de zone métropolitaine de Buenos Aires, qui se compose de la ville autonome de Buenos Aires et des 24 communes qui l’entourent. La participation, l’implication active, l’engagement sont des notions incompatibles avec l’exclusion économique et politique, quelle que soit l’appartenance sociale.

Malgré la mobilisation des jeunes, ceux-ci ont tendance à se démotiver quand l’exclusion résulte de modèles culturels exaltant l’individualisme et la compétition, comme c’est le cas depuis plusieurs décennies de néo-libéralisme. La communauté de Morón, et nos jeunes encore moins, n’ont pas échappé à ce phénomène.

Dans ce même cadre culturel, on a incité les jeunes les plus exclus à la participation, seule solution alternative viable pour leur évolution et pour celle de leur communauté. Un discours intéressant mais dangereux, car sous un voile prétendument progressiste, le gouvernement favorisait l’exclusion, privait les jeunes de possibilités d’évolution. Notre souci, à l’inverse, est de bâtir une société plus juste, caractérisée par une meilleure qualité institutionnelle, mais aussi plus inclusive, équitable et solidaire. Il s’agit de vivre dans une société de citoyens où soient encouragés la participation, le rôle primordial du citoyen, sans que l’État ne se désintéresse de la croissance et de l’intégration.

Les indicateurs socioéconomiques relatifs à ma région sont très préoccupants : pourcentage élevé de jeunes sans emploi, désertion massive des établissements d’éducation (sûrement parce que les jeunes ont besoin de trouver des revenus), et une moitié de la population jeune pauvre ou indigente.

Une récente étude de la population jeune a mis en évidence un indice de participation très bas, les jeunes qui travaillent et étudient contribuant plus que les autres à cette statistique.

Cependant, cette situation critique a tendance à s’atténuer depuis quelque temps. Grâce à une croissance soutenue de notre économie, une certaine réactivation de l’emploi se dessine, ainsi qu’une réduction légère, mais non négligeable, des niveaux de pauvreté, même si d’énormes disparités sociales subsistent.

Comme vous le savez, l’Argentine subit non seulement une grave crise économique mais aussi, depuis une vingtaine d’années, une profonde dégradation institutionnelle, qui a sapé à la base un bon nombre des piliers de notre démocratie.

Par conséquent, je voudrais insister sur la nécessité d’allier participation active, inclusion et édification de la citoyenneté.

Nous, les jeunes, nous voulons participer, mais pas dans un but d’évolution individuelle, et pas seulement parce que nous voulons un avenir digne. Nous voulons participer parce que nous souhaitons un présent meilleur, et ne serait-ce que par respect envers tous ceux qui donnèrent leur vie pour une société plus juste et plus solidaire. Nous voulons participer, mais avant cela nous voulons croire. C’est pourquoi notre société doit retrouver des valeurs qui ont été ensevelies.

En plus de nous battre pour un monde qui offre plus de possibilités d’emploi, nous, les jeunes, nous voulons mettre nos forces au service de la paix, de la démocratie, du respect de la diversité, de la justice. C’est une tâche urgente, à laquelle nous devons tous nous atteler.

C’est selon cette logique que nous, à Morón, nous considérons le travail des jeunes. Une dynamique d’action conjointe dans laquelle l’État, les organisations et les jeunes devons travailler pour bâtir une société de droits. Bien entendu, avec la démarche, le regard, la perspective que lui imprimera la jeunesse, mais dans la conscience que nous faisons tous partie d’une société qui mérite un présent et un avenir meilleurs.

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Pour cette raison, l’ensemble des actions entreprises avec la jeunesse, à partir de la jeunesse de Morón et pour elle, est marqué par cet engagement constant en faveur d’une inclusion sociale, politique et économique.

Dans le but de créer un espace de dialogue permanent avec les différentes organisations non gouvernementales de jeunesse, nous avons fondé l’Office de la jeunesse de Morón. Je citerai les trois principaux axes sur lesquels nous travaillons : emploi, prévention et implication de la jeunesse.

• En matière d’emploi, nous développerons plusieurs politiques concernant la formation et l’orientation professionnelles, ainsi que le bénévolat, avec un programme d’emploi jeune, un service d’intermédiation avec les employeurs et plusieurs ateliers.

• Nous favorisons l’inclusion à l’aide de politiques préventives destinées aux jeunes en conflit avec la loi, que nous intégrons au programme de prévention communautaire.

• L’autre grand axe de travail de l’Office de la jeunesse concerne la participation des jeunes à différents espaces sociaux et politiques et à l’édification de la citoyenneté. Nous favorisons la constitution de la Table de concertation pour la jeunesse, qui réunira des représentants d’ONG, d’associations civiles, de centres communautaires de jeunes, et de centres d’étudiants, pour débattre de thèmes qui les concernent particulièrement.

Cette collaboration avec les jeunes est doublement précieuse. Pour les jeunes qu’elle transforme en acteurs de la conception et de l’application de politiques publiques, et pour l’État, dont les mesures gagnent en légitimité et en efficacité, car elles tiennent compte du point de vue des intéressés.

Pour conclure, je voudrais signaler que dans notre démocratie de proximité, nous avons de nouveaux rôles à endosser et de nouveaux défis à relever.

• Le défi de promouvoir le développement de la collectivité, de construire des espaces de participation active citoyenne, propres à améliorer la qualité de nos démocraties.

• Le défi de construire des villes de droits, qui se caractérisent par la participation et l’inclusion sociale.

Mais en tant que dirigeants, nous avons aussi à relever le défi de revaloriser la politique, en tant qu’outil de transformation, qui contribue à créer un sentiment d’appartenance. En définitive, la politique doit nous amener à nous repassionner pour l’idée que c’est possible, et que cela en vaut la peine. Un film réalisé par des jeunes de Clichy-sous-Bois est projeté. Clémentine AUTAIN – Adjointe au maire de Paris J’ai été très intéressée par les propos de Martin Sabbatella sur la situation à Buenos Aires. On a parfois l’impression qu’il y a une spécificité française très forte à l’égard des jeunes. A vous entendre, je me rends compte que nous sommes en face d’une situation internationale préoccupante. Les jeunes en France n’ont absolument pas bonne presse et sont victimes de clichés et de stéréotypes extrêmement lancinants et préoccupants. Ils sont des individualistes, qui ne boivent que du Coca-Cola, qui tiennent les cages d’escaliers en bas des tours, qui ont la Star Academy pour tout horizon culturel et la Techno Parade pour seule manifestation. Quelques éléments de chronologie montrent le mépris à l’égard des nouvelles générations. Au printemps 2005, face au mouvement de jeunes lycéens contre la loi Fillon, le gouvernement a non seulement été sourd, mais a été beaucoup plus loin puisqu’il a envoyé les cars de CRS et a puni les jeunes en les envoyant dans les tribunaux avec des peines extrêmement sévères. Ce mouvement n’a pas été pris au sérieux par les commentateurs. Très souvent, on a dit : « les jeunes ne connaissent pas les revendications, ils n’ont d’ailleurs même pas de leader ; ce mouvement n’est pas un vrai mouvement politique ». Lors de la campagne référendaire sur la Constitution Européenne, le président Jacques Chirac voulait redorer le blason du oui. Il a eu l’idée d’organiser un grand débat à la télévision en invitant un panel de jeunes, et non le Conseil National de la Jeunesse qui

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est pourtant une instance de démocratie participative. Lors de ce débat, nous avons pu assister à un vrai dialogue de sourd. Les jeunes ont parlé de leur vie quotidienne et ont présenté aux Président de la République leurs préoccupations sociales. Jacques Chirac s’est alors trouvé sans voix et leur a même dit : « Je ne vous comprends pas ». Le troisième évènement concerne Nicolas Sarkozy. Ce dernier, en visite en banlieue, a expliqué qu’il allait « nettoyer les quartiers au karcher », « débarrasser ces quartiers de la racaille », « éradiquer la gangrène » – des mots d’une violence inouïe dans la bouche d’un ministre d’Etat, qui est une provocation dont on ne mesure pas encore l’ampleur. Lorsque Ziad et Bouna sont morts électrocutés dans une centrale EDF, le ministre de l’intérieur a donné des explications avant la justice. Il a expliqué que ces jeunes étaient en train d’échapper à un contrôle de police. Ce défi, sur un mode viril, qu’il a lancé aux jeunes a mis le feu aux poudres et les banlieues se sont alors embrasées. Là encore, on a dit que ce mouvement n’était pas politique. On a considéré que les jeunes n’étaient que des sauvageons qui n’avaient pas de modalités d’expression normale. La France entière a condamné ces révoltes et j’ai eu le sentiment à ce moment-là d’une situation totalement surréaliste. Des adolescents de quatorze à vingt ans brûlent des voitures, et la seule chose qu’on a à leur dire, c’est que l’on condamne ces violences. On ne prend pas la peine de comprendre, de s’interroger sur cette manifestation de la jeunesse. Je crois au contraire que ce mouvement avait une signification politique, comme un certain nombre d’actes au quotidien de violences contre les institutions. Cela dit des choses sur la volonté des jeunes d’être entendus. A ce moment-là, les jeunes se sont vus dans les médias. Enfin, on a parlé des banlieues. Enfin, la France et le monde entier regardaient ce qui se passait dans les banlieues. Je pense que les jeunes de banlieue ont alors eu à la fois une forme de jouissance à se voir dans l’écran, et dans le même temps, un certain nombre d’entre eux ne se sont pas reconnus dans l’image que les médias reflétaient. Ces évènements ont cristallisé la haine en France contre le jeune arabo-musulman, qui est la figure absolue de l’ennemi intérieur. Le quatrième évènement est la mobilisation des jeunes contre le contrat première embauche (CPE). Ce dernier est une attaque en règle contre les jeunes, alors que ces derniers souffrent d’un taux de chômage deux fois plus élevé que la moyenne nationale, et qu’ils occupent 50 % des contrats à durée déterminée dans notre pays. La réponse politique est celle d’une précarisation croissante du travail des jeunes. C’est une attaque à l’égard des nouvelles générations. Il y a une mobilisation, et là encore le gouvernement a décidé de passer en force en utilisant l’article 49-3. Lors de tous ces évènements, les jeunes ont dit leur volonté d’être pris en considération. A chaque fois, la réponse politique s’est faite sur le même mode, celui de la répression et du rappel à l’ordre. Une société qui focalise toutes ses angoisses sur les jeunes et ne leur renvoie qu’un regard dépréciateur ne peut pas aller bien loin. C’est finalement le retour des classes dangereuses. On ne parle des jeunes que pour expliquer qu’ils sont des auteurs de délinquance. Les jeunes sont une menace et non une ressource dans cette société. Je note également des extrapolations tout à fait inquiétantes. On s’en prend notamment à leurs formes d’expression. Le rap a été pris comme un espace de stigmatisation au lendemain des révoltes dans les banlieues. Des dizaines de parlementaires de droite ont lancé une pétition pour demander l’interdiction de certains rappeurs. Il faut se rendre compte de ce que signifient ces propositions totalement liberticides. Nous savons que le rap est une modalité culturelle, un mode d’expression extrêmement prisé par les jeunes. J’ai eu un débat récent à ce sujet avec Alain Finkielkraut, un intellectuel français adepte de la révolution conservatrice. Il me disait : « Mais enfin, est-ce que j’ai le droit de dire que le rap n’est pas de l’art ? Si je dis cela, est-ce que je suis raciste ? ». Le rap est ainsi vécu comme un aboiement de jeunes incultes et non comme une forme d’expression à part entière. On connaît ce phénomène. Le rock, en son temps, a été totalement décrié. A chaque fois qu’une nouvelle forme d’expression des jeunes apparaît, il y a répression et non écoute. De la même façon, les rave-parties subissent cette répression. Les radios de jeunes sont très souvent stigmatisées. On dit que ces radios sont très consuméristes. Mais lorsque les jeunes regardent la Nouvelle Star, les adultes sont devant Y a que la vérité qui compte, qui est une émission tout aussi débilitante. Nous assistons à une sorte de disparition de l’avenir. Celle-ci est très inquiétante. Une société qui ne voit ses jeunes que sur un mode négatif n’arrive plus à se projeter dans l’avenir. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si les mouvements révolutionnaires ont toujours été très attentifs aux nouvelles générations, car les jeunes expérimentent les formes sociales qui seront les évidences collectives de demain. Si nous ne sommes pas dans la curiosité et la bienveillance à l’égard des nouvelles générations, si nous ne

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savons pas dialoguer avec elles et essayer de co-élaborer des politiques publiques, à ce moment-là nous n’avons absolument pas d’avenir. On dit très souvent que les jeunes n’aiment pas la politique, qu’ils ne s’y intéressent pas. Anne Muxel a très bien montré qu’il y a un désir de politique chez les jeunes. Simplement, il ne s’exprime pas d’une manière traditionnelle, c'est-à-dire par un engagement dans les partis politiques. Par ailleurs, la place qui leur est faite dans les instances de démocratie participative est très faible. Il ne faut pas s’étonner que les jeunes aient un point de vue critique sur la politique, comme d’ailleurs l’ensemble de la société. Il faut se poser la question du sens. C’est cette question du sens que nous posent en réalité les jeunes. A quoi sert la politique ? Que peut encore la politique ? Dans quelle mesure est-elle capable de proposer un projet alternatif ? Je crois que ces questions sont posées par un nombre très important de jeunes, et notamment dans les banlieues. Si nous ne savons pas écouter ces formes de révolte, si nous ne savons pas accompagner les désirs de changement très importants qui existent chez les jeunes générations, c’est toute la société qui n’aura pas d’avenir. C’est une alternative politique qu’il nous faut promouvoir. A ce moment-là, les jeunes sauront reconnaître et seront probablement les premiers à battre le pavé et à s’engager dans les formes plus traditionnelles d’expression comme les partis politiques. Il faut inverser la vapeur, tous ensemble, et enfin avoir conscience dans les jeunes. DEBAT AVEC LA SALLE Un jeune - collectif La Rage du Peuple de Marseille Je partage le constat dressé par Clémentine Autain, mais je ne suis pas d’accord avec sa conclusion. Je ne suis pas certain que tous ceux qui sont ici se rendent bien compte de l’odeur que le vent nous amène. Je ne suis pas certain qu’on ait saisi l’urgence. Nous avons l’ultralibéralisme en face de nous. Si nous répondons à ces logiques par les mêmes logiques, nous aurons les mêmes conséquences. Nous demandons tout simplement qu’on nous laisse faire. Nous demandons l’autonomie, la capacité à se fixer ses propres règles. Nous ne sommes pas des anarchistes dans le sens traditionnel du terme. Il faut des règles, mais il faut se les choisir soi-même. Nous ne voulons pas de hiérarchie, nous ne voulons pas de pyramide. Nous ne voulons plus de partis. Nous portons les mêmes idées et les mêmes espoirs, mais nous ne pensons que cela puisse fonctionner de la manière dont cela a fonctionné au cours des cent dernières années. Un ethnologue disait que la révolution libérale actuelle est une révolution ontologique à l’échelle de l’humanité comme il y en a tous les 10 000 ans. Je crois qu’il nous faudra peut-être une véritable catastrophe pour que l’on prenne conscience de ce qui se passe. Nous essayons d’être lucides. Nous sommes des utopistes pragmatiques. Les choses vont changer parce que cela n’est plus possible. Nous proposons une alternative. Laissez-nous faire. Nous menons peu à peu le travail de conscientisation politique. Vous avez parlé du hip-hop. C’est effectivement un phénomène très important, autant que le rock dans les années 70. Le hip-hop est né dans le Bronx à New York, dans des quartiers complètement désœuvrés, par des jeunes qui écoutaient de la funk mais qui n’avaient pas d’argent pour se payer des instruments. Ils ont pris des chaînes hi-fi, des platines, et ils ont fait leur musique comme cela. Cela se passait dans la rue. On appelait cela des block parties. On prenait l’électricité sur un pylône, on fermait la rue, et on se retrouvait dans la cité à échanger sur la vie. « Hip-Hop is education » disait KRS One. Notre demande est simple. Laissez-nous faire. Arrêtez d’avoir peur. Laissez-nous nous exprimer. Laissez-nous ouvrir les lieux. Laissez-nous l’électricité. Laissez-nous nous organiser. Soutenez-nous, mais ne nous prenez plus par la main. Ecoutez la rumeur. Ecoutez le bruit qui vient. Nous, nous entendons trop souvent le bruit des bottes. Quand TF1 ne suffit plus, on nous envoie les militaires. Le vrai visage du capitalisme, nous l’avons en face. C’est un régime fasciste de nature. Nous sommes présents aujourd’hui. Il faut désormais qu’on nous donne les moyens, qu’on nous laisse agir. Sachez qu’il se passe quelque chose en dehors des partis, en dehors de la structure pyramidale hiérarchique. Je vous parle de la réalité des quartiers et de la repolitisation des jeunes qui se fait en dehors de l’idéologie mais dans le fait et dans l’exemple.

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Jérôme BOUVIER Pouvez-vous donner un exemple de ce qu’on vous empêche de faire aujourd’hui ? David GABRIEL On nous empêche de voir un peu plus loin que demain. Nous souffrons d’une perte de la perspective et de l’avenir. Nous avons tous des origines diverses. Nous sommes le fruit du métissage. Or on nous empêche de vivre et d’exprimer ce métissage. D’ailleurs, à la table des intervenants, je ne vois pas ce métissage représenté. Un jeune de Clichy-sous-Bois Je reviens sur les propos de Clémentine Autain. Vous considérez que les jeunes devraient davantage utiliser la voie politique pour s’exprimer. Or cette voie a été utilisée l’année dernière avec les manifestations contre la loi Fillon. Or la seule réponse a été la répression. De la même façon, lorsque les jeunes se sont révoltés de manière violente, la réponse a encore été la répression. Quelle est la voie que devrait emprunter les jeunes pour s’exprimer ? Une jeune de Gennevilliers J’aimerais savoir pourquoi, lorsqu’on parle des jeunes, on stigmatise les personnes d’origines maghrébine et africaine. Cela donne l’impression que ce sont seulement les maghrébins et les africains qui sont à l’origine de tous les problèmes posés par la jeunesse. Or ce n’est absolument le cas. La France a du mal à accepter le métissage. Je suis à moitié tunisienne et à moitié française. Je suis riche de ces deux cultures. Je pense que le métissage est une véritable richesse pour la France. Malheureusement, la France ne parvient pas à accepter ce métissage. On stigmatise les populations immigrées. Dans les médias, à chaque fois que l’on parle de la jeunesse qui pose problème, on parle des arabes. Par exemple, lors des émeutes urbaines, les médias ont mis en avant les jeunes d’origine maghrébine ou africaine. Or beaucoup de jeunes, qui n’étaient ni d’origine africaine, ni d’origine arabe, ont participé à ces émeutes et ont exprimé leur désespoir. Jérôme BOUVIER N’avez-vous pas l’impression que les jeunes eux-mêmes sont tentés de se protéger en se réfugiant dans leur communauté ? Une jeune de Gennevilliers Je pense plutôt que c’est la société qui veut nous mettre dans ces « cases », nous donner ces étiquettes. Je vous fais part de mon expérience personnelle. J’étais un fantôme. J’étais habillée tout en noir et mon visage et mes mains étaient cachés. Je voulais aller vers les autres. Mais je sentais les réticences des gens, leur peur – que je peux d’ailleurs comprendre. Par la suite, je n’ai porté que le foulard islamique. Pour autant, j’ai continué à ressentir ce barrage des gens à mon égard. Les personnes avaient du mal à venir vers moi et je ne comprenais pas. Lorsque je suis passé du foulard au bonnet, j’ai alors senti un autre regard de la part de mes propres camarades, de la part des personnes qui vivaient dans ma ville et qui me connaissaient. Ils me considéraient différemment alors que je n’avais pas changé. Nous avons envie d’aller vers les autres, de nous mélanger. Mais on nous juge sur notre apparence et on nous inscrit dans des « cases ». Cela dit, je ne conteste pas non plus le fait que certaines personnes choisissent délibérément de faire barrage aux autres en se réfugiant dans leur communauté ou dans leur religion. Un intervenant depuis la salle Nous sommes d’accord pour dire qu’il faut faire confiance à la jeunesse. Si nous ne lui faisons pas confiance, c’est la société toute entière qui n’a pas d’avenir. Mais il y a un deuxième débat, qui renvoie à l’intervention du jeune du collectif La Rage du Peuple. Celui-ci nous dit : « Laissez-nous faire ». La

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Mairie de Nanterre est une des « pyramides » qu’évoquait ce jeune homme. Au sein de ces pyramides, beaucoup de responsables ont envie de faire changer les choses, de trouver les voies pour « laisser faire ». Anne Laure, Gennevilliers Je reviens sur l’intervention du jeune de Clichy-sous Bois. Je suis d’accord avec lui lorsqu’il dit que la politique semble ne pas ouvrir de perspectives pour les jeunes, notamment avec le gouvernement que nous avons au pouvoir. Cela dit, je pense que la voie politique a fonctionné. En effet, à court d’arguments, le gouvernement a envoyé les CRS en face des lycéens et des jeunes dans les banlieues. Or quand on emploie la force, c’est qu’on a perdu dans le débat politique. Effectivement, c’est eux qui ont le pouvoir. Au final, c’est eux qui décident. Mais nous pouvons retourner la situation. Je sais que dans les banlieues des jeunes se sont regroupés pour aller s’inscrire sur les listes électorales. J’espère qu’aux prochaines élections, nous n’aurons pas les mêmes gouvernants. Le sens de mon engagement en tant que jeune ne repose pas sur la maxime « laissez-moi faire », même si je veux effectivement avoir ma place dans la société et que ma parole compte autant que celle des autres. Ma maxime serait plutôt « faisons tous ensemble ». J’ai envie de construire une société qui soit pour tout le monde. Je n’ai pas envie de prendre le pouvoir sur les adultes. J’ai certes envie qu’on me laisse faire, mais dans une société qui soit juste pour tout le monde. Je voudrais revenir au thème du débat, l’engagement porteur d’identités. Aujourd’hui, les jeunes dans le monde s’engagent sur des valeurs fortes. Ainsi, dès le premier jour des bombardements sur l’Irak, des millions de jeunes, partout dans le monde, sont descendus dans la rue pour défendre la paix dans le monde. Les jeunes s’engagent aussi pour la solidarité. Nous le constatons à travers toutes les associations d’aide humanitaire. Nous le voyons aussi à travers l’engagement des jeunes pour le peuple palestinien. Les jeunes s’engagent pour des valeurs telles que la paix, la solidarité, la fraternité. Jérôme BOUVIER J’ai l’impression qu’il existe une sorte de mépris vis-à-vis de l’engagement dans des associations sportives ou culturelles, par rapport à l’engagement dans l’humanitaire par exemple. Une jeune de Gennevilliers Je suis d’accord avec vous. Cela dit, pour moi, il est aussi important de s’engager dans une association de football et d’entraîner des jeunes que de s’engager dans une association humanitaire et d’aller livrer des préservatifs en Afrique. Ces deux engagements ont la même valeur. Michel BOULANGER, Conseiller municipal de Bondy Les propos d’un des jeunes de Clichy-sous-Bois interviewés dans le film m’ont interpellé. Il a dit : « Il y a des bons et des mauvais partout, et ceux qui essaient de faire quelque chose, on leur met beaucoup de bâtons dans les roues ». J’ai expérimenté ce phénomène. Lorsqu’en 2001, un certain nombre de grands frères d’une cité du nord de Bondy ont cherché d’autres personnes pour essayer de monter une liste citoyenne, nous avons été un certain nombre d’adultes et de jeunes à répondre à cet appel. En fait, leur envie de s’impliquer dans la vie politique venait du fait qu’ils avaient été écœurés de promesses non tenues et souhaitaient prendre leurs affaires en main. Mais j’ai senti également le « racisme » en sens inverse vis-à-vis de nous, issus de quartiers plus favorisés. Certains jeunes de la cité doutaient de mon engagement parce que j’étais habillé en costume cravate, parce que j’étais différent d’eux. La reconnaissance doit donc aller dans les deux sens. Les jeunes expriment le besoin d’être reconnus. Ils font l’effort de venir ici et nous devons faire l’effort de les écouter. Il y a des bons et des mauvais partout. Il y a des jeunes cons et des vieux cons. Je reviens sur mon exemple. Nous avons connu des lignes de fracture au sein de notre liste. Or ces lignes de fractures ne séparaient pas les jeunes et les vieux. Le fait est que parmi les jeunes, certains étaient prêts à tous les compromis politiques avec la liste majoritaire de la ville pour uniquement devenir maire adjoint et distribuer de l’emploi et des logements. Ils pensaient qu’en devenant élus, ils allaient améliorer leur situation matérielle. D’une certaine manière, ils étaient plus clientélistes que le maire lui-même. Dans le

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même temps, on peut se demander quel exemple de politique l’on donne à ces jeunes. Cela montre que nous avons à réinventer une certaine éthique de la politique. Jérôme BOUVIER Je cède la parole à Guy Millerioux pour qu’il nous parle des différentes formes que peut prendre l’engagement. Guy MILLERIOUX - CEMEA Comme le disait le jeune de Marseille, il y a urgence. Je voudrais mettre en tension l’urgence politique avec la durée. Le jeune a dit : « On n’est plus dans la durée ». Or la question de l’éducation s’inscrit dans la durée. Elle postule de l’intergénérationnel. Il n’y a pas d’éducation spontanée. On est toujours dans une filiation. Je voudrais illustrer ce point par mon expérience personnelle de la Bande de Gaza. Vu d’ici, l’Intifada est perçue de manière positive. On salue le fait que des jeunes décident de retrouver de la dignité. Mais lorsqu’on est sur place et l’on discute avec les éducateurs, les enseignants, les acteurs du monde associatif, ils nous disent que l’Intifada est une catastrophe. Pourquoi ? Parce que cela met le monde à l’envers. Le fait que des jeunes aillent tenir le symbole de la dignité reflète dans le même temps l’impuissance de leurs parents. Cette situation a des effets, notamment sur la construction du rapport d’autorité. L’éducatif s’inscrit donc dans la durée. Le jeune de Marseille disait : « Soutenez-nous ». Nous leur répondons qu’ils sont bien sûr dans la quête de l’autonomie, mais que cette autonomie doit s’organiser concrètement dans un soutien. Il ne s’agit pas seulement d’un soutien politique, mais aussi un soutien du point de vue éducatif. L’Institut de formation professionnelle CEMEA s’inscrit dans un mouvement d’éducation populaire. Son objet est d’éduquer le peuple, par le peuple et pour le peuple. A cet égard, le hip-hop est de fait une pratique d’éducation populaire. Je suis aussi militant d’un mouvement d’éducation nouvelle. Celle-ci vise à créer des situations dans lesquelles le jeune prend conscience de tout ce qui le détermine, mais aussi de sa capacité à agir sur ce déterminisme. Je vous donne un exemple. On évoquait tout à l’heure la question de l’engagement. L’engagement éducatif produit de la dignité, de la reconnaissance, de l’utilité sociale. L’identité se construit dans un « nous », mais pas dans un « nous » enfermé. L’engagement est un processus qui s’accompagne. Le jeune qui s’engage a besoin de personnes autour de lui qui l’aident à expérimenter, à agir. Jérôme BOUVIER Christelle Hamel, pensez-vous qu’il y ait des spécificités culturelles dans le rapport des jeunes au politique ? Christelle HAMEL Je ne le pense pas. En revanche, je pense qu’il existe des spécificités liées à la situation sociale des jeunes issues de l’immigration. Pour eux, le rapport au politique ne peut pas être tout à fait identique à celui des autres jeunes dans la société française, dans la mesure où ils subissent des rapports de pouvoir qui ne sont pas communément partagés par l’ensemble de la jeunesse. Un jeune issu de l’immigration postcoloniale subit le racisme dans la société française. Cela induit un rapport au politique forcément différent. La spécificité culturelle peut naître de cette situation. La contreculture prend des formes différentes, et notamment celle du rap. Cette musique est essentiellement une musique des jeunes issus de l’immigration et non de toutes les jeunes. Certes, elle touche les jeunes des milieux populaires. Mais le rap est une musique qui a été davantage portée par les jeunes issus de l’immigration. Bertrand GALLET – Cités Unies France Je voudrais revenir sur la coopération décentralisée, c'est-à-dire la capacité pour les collectivités reconnues par la loi d’avoir une action internationale. Des milliers et des milliers de coopérations de ce

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type ont été bâties dans tous pays du monde. Curieusement, la carte des coopérations internationales des collectivités françaises recoupe, en partie pour des raisons linguistiques mais pas seulement, la carte de l’ancien empire colonial français. A leur origine, ces coopérations ont d’abord été liées au mouvement pour la paix. On peut citer par exemple les jumelages franco-allemands bien connus. Par la suite, ces coopérations ont reposé sur la notion d’aide au développement. Ainsi, aujourd’hui, des centaines et des centaines de coopérations concernent des pays comme le Sénégal, le Mali ou le Niger. La troisième phase, plus diffuse, a été la montée en puissance de l’autonomie locale dans le monde, c'est-à-dire la décentralisation. Les accords de coopération ont alors visé à accompagner la construction de nouvelles compétences des collectivités locales. Ces coopérations reposent sur des valeurs centrales : la paix, le développement et la démocratie. En outre, les coopérations décentralisées sont politiques. Elles émanent de la volonté politique des élus, ce qui donne une couleur particulière aux coopérations françaises par rapport aux coopérations anglaises, allemandes ou américaines. Cités Unies de France estime que la coopération décentralisée doit tendre vers des coopérations de territoires à territoires. Nous considérons qu’elle doit impliquer les écoles, les hôpitaux, les associations, toutes les forces vives d’un territoire. Cités Unies de France considère également que la politique internationale d’une collectivité doit d’abord et avant tout être locale. Toutes ces coopérations ont deux points communs : la culture et la jeunesse. Chacune d’entre elles implique pour le moins des échanges culturels. Par ailleurs, les collectivités locales sont extrêmement sollicitées par des jeunes qui arrivent avec des idées de voyages ou d’activités humanitaires. Ces idées ont souvent besoin d’être encadrées. En effet, il faut se garder de la dimension paternaliste de ces échanges. Envoyer un jeune dans un pays du Sud ne rend pas forcément service au pays d’accueil. Tous ces sujets sont traités différemment selon les collectivités. Ces dernières n’ont pas de doctrine arrêtée. Mais le fait est qu’un projet issu d’un groupe qui travaille depuis longtemps dans la collectivité et qui est extrêmement préparé et suivi est beaucoup plus simple et efficace que l’octroi d’une bourse de voyage à un jeune dans un pays du Sud. Ces coopérations ont des conséquences positives pour les collectivités locales. Je pense notamment à la valorisation des jeunes issus de l’immigration d’anciennes colonies françaises. Un point intéressant est la confrontation des situations vécues par les jeunes. Par exemple, de jeunes français se plaignent de ne pas avoir de maison de la culture ou d’équipements qu’ils jugent peu modernes. Lorsqu’ils reviennent de Mauritanie ou de Palestine, ils ont une vision beaucoup plus sereine et saine de ces questions. Un autre point intéressant est la question de la dignité. La prise en compte d’une culture, d’une origine et la valorisation de cette dignité sont un des objectifs principaux de ces échanges. Nous sommes en train de travailler sur la notion de diplomatie des villes, c'est-à-dire sur la capacité qu’ont les collectivités de jouer un rôle dans le jeu politique international. Par exemple, nous avons organisé plusieurs missions d’observation des élections municipales en Palestine. Ces expériences participent à la construction de la notion de citoyenneté des jeunes. Un film réalisé par des jeunes de Gennevilliers est projeté. Il porte sur la question suivante : « Qu’est-ce qu’être français aujourd’hui ? ». De la salle Tout le monde incite les jeunes à aller voter. Mais pour qui voter ? Personne ne nous représente. De la salle Je fais partie du Conseil local de la jeunesse de Gennevilliers. Je pense qu’on a oublié dans le débat un paramètre très important qui est la place des médias. L’image des jeunes véhiculée par la télévision et les journaux est très éloignée de la réalité. Le jeune est trop souvent assimilé à celui qui brûle des voitures ou qui est délinquant. Il me semble que les médias ont une grande part de responsabilité dans l’absence d’engagement des jeunes. Aujourd’hui, nous ne nous sentons ni représentés, ni écoutés, ni entendus. Il existe un grand fossé entre d’une part les élites (les journalistes, les politiques, etc.) et la réalité des banlieues.

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Je voudrais également parler du rôle de l’éducation. A mon sens, l’éducation est aujourd’hui à deux vitesses. Elle n’est pas la même pour tout le monde. Le modèle d’éducation français, qui était parmi les plus performants dans le passé, est en crise. Les élites tentent de garder le pouvoir en transmettant une culture et une éducation à leurs enfants, et laissent des « miettes » aux jeunes de banlieue. Ces derniers se retrouvent souvent dans une situation d’échec scolaire. Or on leur fait porter la responsabilité de leur échec, alors qu’on devrait sans doute s’interroger sur les raisons de cet échec et sur la qualité de l’enseignement qui leur est dispensé. Aujourd’hui, l’ascenseur social est bloqué. Nous éprouvons de plus en plus de difficultés à avancer et à nous construire une place dans la société. Nous sommes relégués dans une voie sans issue et on laisse aux autres le soin de parler pour nous, comme s’ils pouvaient comprendre ce que nous vivons. Quand serons-nous enfin considérés comme des Français à part entière ? Les jeunes de banlieue sont toujours assimilés à l’immigration des anciennes colonies. Je suis Française, je suis née en France, ma mère est née en France, et pourtant on me catalogue toujours comme une immigrée. Je pense d’ailleurs que la France doit prendre conscience de son passé colonial, et non persister à y voir des aspects positifs. Il est grand temps qu’on nous accorde notre place et qu’on nous accepte comme Français à part entière. J’aimerais que nous ne soyons plus obligés de nous expatrier à l’étranger pour comprendre à quel point nous sommes Français et fiers de l’être. Jérôme BOUVIER Finalement, n’est-ce pas grâce à cet amendement stupide sur le rôle positif de la colonisation que prend enfin corps un débat sur le passé colonial ? De la salle Je suis d’accord. Malheureusement, on est obligé d’atteindre un point de non-retour pour enfin engager un débat. Cela dit, les médias ont eu tôt fait de ne plus parler de la colonisation et de passer à un autre sujet comme la grippe aviaire. De même, on a l’impression aujourd’hui que les émeutes dans les banlieues n’ont jamais existé. Les médias n’en parlent plus. Jérôme BOUVIER Le débat se poursuit tout de même sur ces sujets. De la salle Peut-être, mais il se poursuit sans nous. Christelle HAMEL Je voulais revenir sur la question de la médiatisation. Etre jeune, ce n’est pas seulement une question d’âge. C’est aussi une question de statut. C’est un statut qui se définit par rapport à la génération précédente. Ce rapport entre les générations est aussi un rapport de pouvoir, avec des adultes qui maîtrisent les outils du pouvoir et des jeunes qui essaient de prendre place dans la société. L’une des expressions de cette tension entre les générations est la manière dont les médias représentent les jeunes. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il existe une forme de criminalisation de la jeunesse, une manière de la percevoir à travers ses pratiques délinquantes et dans le même temps de ne pas voir les pratiques délinquantes du monde adulte. Je pense particulièrement à la manière dont la question des tournantes a été médiatisée. La figure du violeur en France a été construite par les médias autour du jeune violeur issu des banlieues. Or les enquêtes statistiques montrent que le phénomène du viol est répandu dans toutes les classes sociales et dans tous les âges. Le viol le plus commun est le viol conjugal, c'est-à-dire un viol commis par des adultes. La France a un vrai problème avec son passé colonial. Je ne pense pas que la loi sur le rôle positif de la colonisation soit l’élément qui ait fait émerger la question des discriminations et du racisme dans le débat français. Un mouvement politique, qui s’appelle le mouvement des indigènes de la République, s’est construit. Ce mouvement de jeunes nous dit : « Je suis issu de l’immigration et cela a des

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conséquences sur ma vie. » Il ne s’agit pas de n’importe quelle histoire migratoire. C’est l’histoire coloniale de la France. De plus, c’est la première fois cette année qu’à l’occasion de la célébration du 8 mai 1945, on a parlé de l’histoire coloniale, des évènements de Sétif et des massacres que l’empire colonial français a commis à cette période de l’histoire en Algérie. Le mouvement politique qui a porté ce débat sur la table, c’est celui des indigènes. Clémentine, la Rage du Peuple de Nantes J’aimerais réagir aux propos de Monsieur Millerioux sur l’éducation. A l’école, qui est censée être un des lieux privilégiés d’éducation, on ne nous éduque pas à la citoyenneté, ni à l’engagement. Il n’est pas dans l’intérêt du système que les jeunes soient sensibilisés à la notion d’engagement ou qu’ils apprennent à réfléchir par eux-mêmes. On prend soin de laisser les jeunes dans l’ignorance et on dit qu’ils ne s’intéressent pas. Mais le problème n’est pas que les jeunes ne s’intéressent pas à ces sujets, mais bien qu’ils sont inaccessibles. Bertrand Gallet parlait des valeurs telles que la paix, le développement et la démocratie. Personnellement, je ne retiens comme valeur que celle de la paix. Le développement et la démocratie sont des mots totalement galvaudés. On les utilise à tort et à travers. A ce propos, je reviens du forum social de Bamako. Je vais peut-être choquer certaines personnes en disant cela, mais à mon sens, le plus gros problème de l’Afrique, c’est la France. Il faut arrêter de dire que l’Afrique est pauvre. L’Afrique est riche, mais c’est la France qui a la mainmise sur ses richesses. La colonisation n’est absolument pas terminée. La richesse principale de la France est son métissage. La France est riche des cultures qui la composent. Il faut en finir avec cette idée que la France est blanche. Clémentine AUTAIN Il existe une difficulté à voir advenir dans le champ politique d’autres possibles. C’est sur cette alternative politique qu’il faut travailler ensemble. Je n’appelle pas à tel ou tel acte d’engagement particulier. Je pense en revanche que nous devons construire ensemble cette forme politique, dont les formes mêmes doivent être renouvelées. Nous sommes face à une crise profonde de représentativité politique dans notre pays. Les partis politiques sont malheureusement parties prenantes dans ce phénomène de reproduction des élites à l’identique. Il faut basculer cette tradition. Ce n’est que comme cela que nous parviendrons à produire des alternatives. Aujourd’hui, une partie des jeunes qui se sont exprimés dans cette salle sont venus par le biais d’un conseil local de la jeunesse. Une autre partie était constituée de jeunes qui ont décidé de s’engager de manière autonome. Je n’oppose pas ces deux formes d’engagement. Il faut soutenir les dynamiques autonomes. Il faut aussi que les institutions ouvrent leurs portes aux jeunes Jérôme BOUVIER J’ai tout de même l’impression que l’appareil militant de gauche repose sur un modèle républicain d’intégration. Or aujourd’hui, il semble difficile de concilier la reconnaissance des revendications qui apparaissent et notre peur du communautarisme. Clémentine AUTAIN La question de la République doit être profondément repensée. La promesse républicaine de l’égalité des chances a échoué. Il faut donc repenser l’ensemble de l’équation pour que les diverses identités de la France soient en capacité de se retrouver dans un projet commun. Le communautarisme se fonde aujourd’hui autour des replis républicains. Si la République ne se remet pas en cause, alors le communautarisme a de beaux jours devant lui.

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Fabien FABBRI Plus que de reconstituer la République, il s’agit de la réinventer tous ensemble. La République d’aujourd’hui est allée au bout de ce qu’elle est capable d’apporter. Sa forme politique, qui est basée essentiellement sur la démocratie représentative, est à bout de souffle. Elle a besoin d’être réinventée. La question n’est pas de s’opposer et de prétendre à l’agora permanente. Le jeune de la Rage du Peuple disait : « laissez-nous faire ». Or nous ne pouvons pas être chacun comptable de l’intérêt général. Il y a besoin de trouver ensemble des formes d’élaboration de normes collectives. Aujourd’hui, les formes d’élaboration collective de la loi sont en échec. Elles ont besoin d’être bousculées et appropriées. La question n’est donc pas de s’y opposer, mais de s’y engouffrer. On ne peut pas laisser la politique aux autres. En effet, cela reviendrait à laisser notre avenir aux autres. Il ne faut pas jeter la démocratie participative au panier. En revanche, il faut inventer ensemble des nouvelles formes d’articulation entre démocratie participative et démocratie représentative afin que la République soit réinventée. Gilles - Bondy Le métissage est pour la France une richesse incomparable. Malheureusement, j’ai le sentiment qu’il est vécu dans notre pays comme « une honte ». Par exemple, lors de la campagne pour l’attribution des Jeux Olympiques, j’ai été frappé par le contraste entre le film de présentation de Londres, qui insistait sur son dynamisme et sa dimension multiculturelle, et le film de Paris, qui ignorait la banlieue et les personnes qui y habitent. Il faut que la France d’aujourd’hui accepte et soit fière de sa diversité. Malheureusement, on persiste à faire la distinction entre Français selon leurs origines. Il n’y a pas de Français d’origine maghrébine, africaine ou portugaise : nous sommes tous des Français. Jérôme BOUVIER Comment concilier le fait que nous sommes français, quelle que soit notre origine, et la nécessaire reconnaissance de toutes les diversités qui font la France d’aujourd’hui ? Ce n’est pas si simple. Gilles Ce n’est pas simple. Cela dit, un Breton se considère français tout en étant fier de son origine française. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour un Français d’origine maghrébine ? Il existe une crise de la représentativité politique qui est aujourd’hui criante. Pour s’en persuader, il suffit d’examiner la composition de l’Assemblée Nationale. Même au niveau local, on a le sentiment que les jeunes issus de l’immigration sont considérés comme des citoyens de seconde zone. Jérôme BOUVIER Etes-vous favorable à la discrimination positive ? Gilles, Le terme même me gêne. Qu’elle soit positive ou négative, il s’agit toujours d’une forme de discrimination. Je préfère le terme « méritocratie ». De la salle Je suis gennevilloise et membre du Conseil local de la jeunesse. Je voudrais recentrer le débat sur l’engagement des jeunes. Nous sommes tous d’accord pour dire qu’il existe deux catégories de jeunes : ceux qui s’investissent et ceux qui ne s’investissent pas. Je pense que ceux qui ne s’investissent pas ont, pour une part, peur de l’inconnu. Ils ont aussi quelques réticences par rapport à l’image qu’ils donnent vis-à-vis de leurs familles et de leurs amis. De plus, l’engagement n’est pas une voie facile pour le jeune. En effet, lorsqu’il s’engage, le jeune se cherche et essaie de se construire une identité. Il arrive également que le jeune qui s’engage soit déçu. Il s’est investi, il a donné du temps et il peut se rend compte que tout ce qu’il a fait n’a servi à rien. Le jeune qui s’engage a parfois le sentiment qu’on

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ne lui accorde pas la crédibilité qu’il demande. On note d’ailleurs que de plus en plus de jeunes choisissent de s’expatrier. Ma question est donc la suivante. Nos institutions sont-elles sincèrement prêtes à accueillir sincèrement ces jeunes qui en veulent ? De la salle Je reviens sur les propos de Bertrand Gallet et Guy Millerioux. J’ai participé à une mission d’observation en Palestine. Il est vrai que lorsqu’on revient, on est totalement changé et l’on relative les choses. Vous avez parlé de la mobilisation des jeunes. Comment voulez-vous qu’un jeune ait envie de s’engager, alors qu’il ne trouve pas d’emploi en raison de son origine, alors que ses parents ont subi toutes les discriminations et n’ont même pas le droit de vote ? Les jeunes sont tout simplement déçus. Ils ne croient plus en la politique. Monsieur Bouvier a demandé si ne nous mettions pas nous-mêmes « dans des cases ». Que dire d’une femme de niveau bac + 5 qui ne peut pas avoir de travail parce qu’elle porte le voile ? On remet en cause ses compétences et sa formation uniquement en raison de sa religion. C’est tout ce contexte qui incite les jeunes à ne pas s’engager dans la vie associative ou la vie politique. Les principaux dirigeants politiques sont issus de l’ENA ou de Sciences Po. Mais est-ce qu’on donne aux jeunes des banlieues les moyens d’accéder à ces écoles ? De la salle Mes parents sont nés au Maroc. Je pense qu’il faut arrêter de se « victimiser » et de tenir un discours passéiste comme celui que je viens d’entendre. Je me sens totalement français. Je ne suis pas frustré que les gens me renvoient l’image d’un Français d’origine marocaine. Aujourd’hui, nous avons les armes et les outils pour prendre notre place. Il ne s’agit pas d’attendre qu’on nous la donne. Nous n’avons pas à attendre qu’on nous donne une place à Sciences Po ou à l’ENA. Nous avons les armes intellectuelles pour aller la chercher. Jérôme BOUVIER Je voudrais demander à Martin Sabbatella quel est son regard sur le débat auquel il vient d’assister. Martin SABBATELLA La question de l’exclusion se pose aussi dans nos pays, mais par rapport à la pauvreté, à la marginalisation et non à l’immigration. Je suis absolument convaincu de la nécessité de créer de nouveaux outils politiques, qui suscitent notre enthousiasme et nous permettent d’exprimer les besoins actuels. Ainsi, nous construirons une force politique nouvelle, d’où nous pourrons interpeller la société, en considérant que nous aussi, nous pouvons gouverner. Pour ce qui est des jeunes, nous tentons de créer des outils permettant d’ouvrir des espaces de consensus, où toutes les organisations concernant les jeunes puissent s’asseoir autour d’une table de concertation. Mais pour édifier une appartenance, encore faut-il recommencer à croire. Briser la culture de la résignation et nous retrouver dans un projet commun, c’est la plus grande réussite que nous ayons réalisée, à Morón. Jérôme BOUVIER Nous terminons notre débat avec le témoignage d’un représentant de l’AFEV. Le représentant de l’AFEV L’AFEV est un réseau de 5 000 étudiants qui aident des enfants en difficulté. Les étudiants sont issus indifféremment de ZUP ou de quartiers favorisés. Ils sont de toutes origines. Pour nous, l’engagement est une évidence. J’ai entendu dire que les jeunes ne s’engageaient pas beaucoup. Moi, j’ai envie de dire qu’ils s’engagent. J’aimerais savoir quelle autre catégorie d’âge s’engage aujourd’hui plus que les

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jeunes. Il faut valoriser cet engagement des jeunes. Il faut également arrêter de croire que les jeunes font partie du problème. Au contraire, il est évident que les jeunes font partie de la solution. Nous vivons dans un monde où la communication n’a jamais été aussi importante. Il est facile de savoir ce qui se passe à l’autre bout du monde. Mais le Sud n’a pas le monopole de la misère et des inégalités. Il est donc important d’agir aussi au niveau local. Les jeunes ont envie de s’engager près de chez eux parce qu’ils voient au quotidien les difficultés et les inégalités. Il est également important de souligner la dimension pragmatique de l’engagement et de la solidarité. Les jeunes ne veulent plus de promesses. Ils veulent du concret. Ils veulent être utiles. Ils préfèrent aider leurs voisins plutôt que de réfléchir à un nouveau monde pour demain. Un film sur l’action de l’AFEV est projeté.

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Conférence plénière 2: Quelles influences des périphéries pour une démocratie participative dans les métropoles ?

Un projet de « métropole pour tous » n’a-t-il pas besoin de l’engagement de citoyens ? Comment assurer leur participation et leur implication ? Quelles places peuvent tenir les villes de périphéries pour ce développement de la démocratie ? Participent à la conférence: Jordi BORJA : Urbaniste – Espagne ; Olivio DUTRA : ex ministre de la ville du Brésil, ex Maire de Porto-Alegre ; Carlos DE SOUSA : Maire de Setubal – Métropole de Lisbonne- Portugal ; Pierre MANSAT : Adjoint du Maire de Paris et chargé des relations entre la ville de Paris et les territoires de périphérie ; Guy BURGEL : Géographe urbain Université Paris X Nanterre. Maria SALMERON CHARCO : Maire de Viladecans- Métropole de Barcelone- Espagne ; Christian LEFEVRE : professeur à l’Institut Français d’Urbanisme ; Modérateur : Gilles VRAIN, ADELS. Gilles VRAIN La question qui nous est posée est celle-ci : quelles influences des périphéries pour une démocratie participative dans les métropoles ? Pour moi, et pour introduire cette séance plénière je pense que cette influence des périphéries est considérable pour plusieurs raisons. C’est dans les métropoles que se pose la question et que se vivent les enjeux de transformation de notre démocratie, ou du moins de notre cadre démocratique. A l’échelle métropolitaine se concentre la fracture que nous observons distinctement entre les territoires d’enjeux et les territoires démocratiques, c'est-à-dire la crise de la représentation démocratique. Compte tenu de cette rupture, entre enjeux et décisions les métropoles et plus particulièrement les villes de périphérie présente des potentialités d’articulation qui pourrait permettre à la décision politique de faire sens. Or il ne fait pas sens au niveau démocratique. Il fait sens dans la vie quotidienne, puisque nous sommes d’abord des citoyens d’une métropole, avant de nous positionner au niveau micro-local. C’est dans les métropoles, mondes très complexes dans lesquels nous vivons de plus en plus nombreux et dans ses périphéries que se concentre le plus de jeunesse. C’est là qu’il est possible de commencer sa vie, et non dans des centres inaccessibles lorsque l’on est face à des problématiques de logement et de travail. C’est aussi dans les périphéries que se concentre la diversité culturelle de nos mondes. Ce sont également dans ces territoires que les tensions entre l’économique et le social, c'est-à-dire les enjeux de solidarité, sont les plus fortes. Dans les métropoles et en particulier les territoires de périphérie rassemblent les défis qui sont les nôtres. Cette analyse rapide des métropoles et de leur rapport à leur périphérie nous permet de distinguer deux défis majeurs à relever. Le premier est celui de la démocratie. Au regard de la question qui nous est posée aujourd’hui, je ne suis pas certain qu’il s’agisse seulement d’un problème de représentation, de légitimité politique ou de démocratie participative. En tous cas, cela ne peut se résumer selon nous à un seul problème de participation. Nous pensons en effet que le problème est davantage celui du renouvellement de nos contrats démocratiques.

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Ce n’est pas véritablement la participation par rapport à la représentation qui nous semble en crise, mais plutôt le contrat démocratique qui lie les deux. Ainsi, ne prendre en considération la démocratie que sous l’angle de la participation revient à adopter une vision incomplète de la réalité. Selon l’ADELS, le problème est donc plus celui du renouvellement du contrat démocratique. J’évoquerai simplement à cet égard quelques outils de ce qui pourrait être inventé dans nos périphéries pour faire face à la crise de nos modèles démocratiques et renouveler le contrat démocratique. Ceci est d’autant plus facile dans les périphéries qu’il n’existe pas ou très peu de mode de représentation. Nous sommes dans un espace à conquérir démocratiquement. Concrètement, il s’agirait tout d’abord d’y inventer de nouvelles formes de débats permettant à tous de s’exprimer, en dehors du cadre des débats souvent convenus des instances représentatives. Ce renouvellement pourrait revenir à former du jugement collectif sur les grandes questions que nous avons à résoudre, ce qui pose le problème de l’information démocratique, de la pédagogie et du rôle de l’éducation populaire. L’autre outil qui pourrait s’expérimenter dans les périphéries pour une démocratie métropolitaine c’est l’évaluation démocratique. Il s’agirait aussi de renouveler les conditions de la décision publique. Le second défi majeur auquel nous conduit l’analyse des métropoles réside dans la réponse que pourraient proposer les villes de périphérie aux grands débats sur les finalités du développement durable. Nous sommes en train de changer nos modes de réflexion et nos comportements sur les conditions de notre développement. Quel nouveau développement pourrait être inventé dans les périphéries et les métropoles ? Comment se poser les questions de développement durable à l’échelle métropolitaine ? Sur un certain nombre de finalités du développement durable, nous percevons bien que les choses sont plus concrètes à l’échelle locale, mais que nous ferons plus facilement levier sur l’effet de serre ou le réchauffement climatique par exemple à l’échelle métropolitaine qu’à l’échelle locale. Plusieurs défis posés par les finalités du développement durable, comme la solidarité et l’environnement, prennent un sens plus lisible à l’échelle métropolitaine. Quelles réponses les villes de périphéries à l’échelle mondiale peuvent-elles apportées ? L’influence des périphéries peut donc être très importante. Il reste à inventer, à mettre en pratique, et à trouver des solutions pour répondre à ces défis majeurs pour l’avenir de notre planète. Nous avons là plusieurs sujets de réflexion que je souhaitais vous soumettre. L’influence des périphéries peut donc être très importante. Il reste à inventer, à mettre en pratique, et à trouver des solutions pour répondre à ces défis. J’espère que vous pourrez éclairer ce débat, et je cède la parole à Jordi BORJA. Jordi BORJA -Urbaniste Nous sommes dans une étape historique de révolution urbaine. Ce concept n’est pas nouveau, mais il est certain que nous sommes face à un changement d’échelle territoriale, de base économique et de structures sociales urbaines. C’est un défi de changement d’organisation politique. Les aires métropolitaines définies après la deuxième guerre mondiale (1960) sont un héritage de la société industrielle, comprenant la ville centrale et ses couronnes. Ceci existe, comme existe également la ville médiévale ou la ville baroque, mais il s’agit là du passé. La ville actuelle se développe ailleurs, et l’urbanisation ne fait pas mécaniquement ville. Nous trouvons aujourd’hui une nouvelle réalité riche de promesses, avec une maximisation des libertés, des choix d’emplois et de mobilité, mais également des promesses de brassage, de proximité, de dynamisme, etc. Ces promesses ne sont réelles que pour une minorité. Pour une grande majorité, ce sont en revanche des promesses trahies. Jamais il n’y avait eu autant de ségrégation sociale, de distance sociale entre les plus riches et les plus pauvres, d’exclusion sociale et territoriale, de danger de non-durabilité du développement et de risques de non-gouvernabilité démocratique. Lors d’un récent colloque à Barcelone Saskia Sassen expliquait qu’elle craignait aux Etats-Unis la croissance d’un fascisme urbain. S’il y a non-gouvernabilité, s’il y a non-régulation démocratique il y risque que les tentations autoritaires répressives augmentent. Certains responsables politiques sont en France sur cette ligne et ont joué un rôle de provocateurs. De même ma ville, Barcelone, avec un

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gouvernement de « gauche », vient d’approuver un règlement du civisme qui pourrait être fait par un gouvernement d’extrême droite. Les pauvres, les prostituées, les sans-abris, les jeunes qui occupent l’espace public durant la nuit, les immigrés, etc. y sont en effet criminalisés. Plus qu’une révolution urbaine, il serait peut-être plus pertinent de parler de contre-révolution urbaine. C’est un paradoxe, avoir une contre-révolution politique comme réponse à une révolution socio-économique mais non politique. Les espaces métropolitains sont des espaces de contradiction mal réglés et mal gérés, en raison du manque de politiques à ce niveau. Ce sont des espaces de contradiction dont le développement est asymétrique. La révolte ne se fait pas donc contre un adversaire, mais parce que la situation n’est plus supportable. Ce problème se pose dans les villes européennes, mais également dans les villes américaines du Nord et du Sud. Ainsi, dans cette réalité métropolitaine nouvelle et discontinue, l’ancienne couronne ouvrière et industrielle est devenue à présent un espace chaotique où de nouvelles centralités et des banlieues riches se mêlent à des zones d’exclusion. Dans cette réalité contradictoire, nous sommes victimes d’un héritage néocolonial, mais également du manque de structuration des groupes sociaux. La ville métropolitaine est surtout le résultat de l’expansionnisme de la ville centrale, mais également de la planification sectorielle de l’Etat qui crée la répartition des grandes infrastructures et définit les nouveaux points de concentration. Ceci engendre une situation très difficile, puisqu’à la ségrégation fonctionnelle s’ajoute la ségrégation sociale. A ces deux formes de ségrégation s’ajoutent en outre la distance et l’éloignement. Dans cette situation chaotique, pouvons-nous dire que les territoires métropolitains constituent des espaces d’espoir ? Cela peut être le cas, mais pas dans les conditions que nous connaissons à ce jour. Si nous en restons à ce stade de fragmentation territoriale et politique, je ne pense pas que ces territoires pourront devenir des espaces d’espoir à la hauteur des défis que nous devons relever. La ville centrale a historiquement profité de cette situation, mais elle est également vouée à la crise. Un endroit auquel seules les classes aisées ont accès est un endroit très vulnérable. Est-ce un progrès pour une ville que d’être entourée de collectifs sociaux qui s’y opposent ? Au contraire, la ville centrale a besoin de ses périphéries pour devenir une ville viable. La ville-région métropolitaine, plurimunicipale, multipolaire (diversité de centralités) est en construction. Dans le cadre de cette construction, il ne faut pas se réfugier dans le localisme. Le problème est global à l’échelle mondiale, mais également à l’échelle métropolitaine. Parmi les actions à mettre en œuvre, la première est une redéfinition de la citoyenneté. Plusieurs initiatives sont en cours en ce sens, comme l’illustrent les nombreuses chartes qui sont éditées. Historiquement en France, au XVIIIème siècle, entre l’élaboration intellectuelle et la reconnaissance des droits de l’homme, il y a eu la révolution. Si nous ne pouvons ou ne voulons pas la révolution forte, nous pourrions faire la révolution persistante, en investissant le territoire au jour le jour. Jamais le centre n’aura le même point de vue que la périphérie. Il est important de connaître le point de vue du centre, mais il est encore plus important que des périphéries émanent des projets pour le territoire. Pour mettre en place et appliquer un projet pour un territoire, il faut également un projet politique pour ce territoire. Ceci impose de dépasser la fragmentation politique actuelle. Il n’y a pas de modèle pour ce projet politique, qui doit dépendre de la structure du pays, de l’échelle du territoire, etc. L’enjeu est de conquérir un pouvoir métropolitain démocratique. Ceci signifie que le pouvoir de la périphérie est hégémonique, puisqu’elle est davantage peuplée que les centres-villes. L’important est que la périphérie s’unisse et dépasse le cadre local et départemental au travers d’un projet politique territorial regroupant l’ensemble de la grande agglomération. Je vous remercie. Gilles VRAIN Je vous propose à présent de profiter de l’expérience d’Olivio DUTRA, ancien ministre de la ville du Brésil et maire de Porte-Alegre. Il va nous faire part de ses réflexions sur la métropolisation et sur le rôle que les citoyens peuvent jouer à l’échelle de ces territoires.

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Olívio DUTRA – ancien ministre de la ville du Brésil Le néolibéralisme, dans sa phase mondialisée, même en ayant perdu une bonne partie de la fascination qu’il a provoquée dès son apparition, survit encore avec beaucoup de force. Nous savons aussi, que c’est justement dans les périphéries des grandes villes que ses effets se manifestent avec une plus grande perversité. La concentration du revenu, l’éloge du bénéfice facile, l’exacerbation de l’individualisme et l’aliénation via la consommation sont des sous-produits du néolibéralisme, qui alimentent la violence et génèrent d’autres formes d’exploitation avec un énorme impact sur le mode de vie des populations les plus pauvres. Notre présence à cette rencontre est certainement en relation avec l’expérience que nous développons, initialement dans la ville de Porto Alegre, étendue par la suite au niveau fédéral, à propos du budget participatif. Celui-ci est né en 1999, quand le front populaire PT, PSB, PCdoB, a été élu à la mairie de Porto Alegre, une ville d’un million trois cent mille habitants, capitale du Rio Grande do Sul, l’état le plus méridional du Brésil. Notre engagement politique était de transformer profondément les relations entre le gouvernement et la population, pour rompre avec la tradition du “clientélisme” et la cooptation, qui ont faussé les relations politiques dans la ville au fil des années. Il fallait enclencher un processus d’un autre type à l’intérieur duquel naîtrait la nouvelle culture garante des droits des communautés et de leur rôle dans la construction de politiques publiques pour l’espace urbain. Il s’agissait d’encourager et de garantir la participation des personnes et des communautés dans le débat et dans la construction de la proposition du budget public proposé chaque année par les adjoints au maire. Comment assurer une ample discussion publique sur les investissements à réaliser, alors que le budget de la municipalité répondait traditionnellement à une petite fraction de demandes populaires ? Aussi, au départ la discussion a pris une dimension essentiellement transparente et pédagogique concernant la génération de revenus par la ville et l’utilisation de ces ressources. Les communautés ont ainsi pris connaissance de la réalité économique et financière de la mairie, de la collecte de l’impôt ; de la politique fiscale ; des ressources destinées à la rémunération du personnel; de la structure des charges et salaires, etc. Jusqu’alors, le budget était une boîte noire, dont le contenu était connu uniquement de la haute bureaucratie et des techniciens de la mairie. Nous avons ouvert cette boîte noire, et avons exposé la réalité financière structurelle de la mairie. La discussion ne s’est pas limitée aux investissements, mais au budget global des recettes et des dépenses, pour que la population s’approprie ces éléments dans leur intégralité. Le budget participatif a réveillé la conscience citoyenne quant à la nécessité de construire une structure fiscale juste, où tout le monde ressente le devoir de payer ses impôts et le droit de recevoir du pouvoir public la garantie d’une utilisation correcte des ressources. Dans le processus du budget participatif il a par exemple été décidé de réajuster progressivement l’IPTU, l’impôt foncier territorial urbain Au cours des premières années, les principales priorités étaient la qualification du transport collectif, l’assainissement environnemental et le revêtement de la voirie. Une fois définies les priorités, les communautés choisissaient les travaux et définissaient les services dont elles avaient le plus besoin. L’étape suivante fut marquée par des thèmes de préoccupation plus généraux comme le transport collectif, l’humanisation du centre, la réinstallation de communautés en-dehors des zones à risque et la préservation de l’environnement. Le budget participatif s’est heurté à des résistances et les a affrontées même seize ans après son implantation. Une grande partie des médias n'a jamais eu le souci ni la volonté de valoriser le processus, d’informer sur les réunions ou assemblées. Des secteurs qui possèdent leurs propres structures de pouvoir refusent encore aujourd’hui de participer au budget participatif. Il est également apparu une fausse contradiction entre la démocratie représentative et la démocratie participative, comme si ces deux notions étaient antagonistes. Le budget participatif a prouvé que leur existence commune n’est pas contradictoire, mais plutôt la condition urgente et nécessaire à la construction de la citoyenneté, de la citoyenneté pleine et de la consolidation de la démocratie.

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Après Porto Alegre, le budget participatif commença à être implanté dans d’autres villes du Rio Grande et du Brésil, gouvernées par des forces progressistes. Lorsque le front populaire, PT, PSB, PCdoB, a remporté les élections pour le gouvernement d’état en 1998, il a relevé le défi d’implanter le budget participatif à l’échelle de l’état. Evidemment ce ne pouvait être la simple transposition mécanique d’une expérience développée sur le plan du pouvoir local – même à Porto Alegre, un Etat comprenant 479 municipalités et une population de 11 millions d’habitants. Beaucoup d’autres forces, d’institutions et d’instances de pouvoir devaient être prises en compte sur l’échiquier du jeu politique dans cet espace. Le processus fut important pour la formulation de politiques qui inversent les priorités et interrompent la politique de privatisation du gouvernement antérieur. La région métropolitaine de Porto Alegre est constituée de vingt-trois municipalités, avec une population totale de trois millions et demi de personnes. Il s’agit de la région métropolitaine la plus au sud du Brésil, plus près de Montevideo, en Uruguay, et de Buenos Aires, en Argentine, que de São Paulo, Rio de Janeiro et Brasilia. Les victoires électorales que nous avons obtenues dans des municipalités de la région facilitent l’implantation du budget participatif dans plusieurs villes comme c’est le cas d’Alvorada, la mairie de la camarade Stela, Viamão, Gravataí, Cachoeirinha, Esteio, de la mairie de la camarade Sandra que est ici avec nous, Estância Velha et São Leopoldo, la mairie du camarade Ari Vanazzi, qui est ici avec nous. Dans les municipalités avec un plus petit degré d’organisation communautaire, les traces de désagrégation sociale sont plus nettes et les conditions d'implantation du budget participatif plus difficiles. Le manque de tradition dans la lutte communautaire laisse les populations plus fragilisées face à “l’électoralisme”, à la violence et au crime organisé. Le budget participatif implanté au niveau local, depuis 1986, a commencé à inverser ce cadre dans la région métropolitaine. Les communautés ont commencé à être reconnues et à affirmer ainsi leur identité et à lutter pour les droits en gagnant de l’estime de soi. L’interaction et l’échange entre personnes engagées sur le plan social mais provenant de différentes périphéries urbaines, ont créé des liens de solidarité et ont instauré la confiance politique. Carlos de SOUSA – Maire de Setubal L'agglomération de Setúbal se situe à quarante kilomètres au sud de Lisbonne, capitale du Portugal. Setúbal est une ville portuaire et possède la caractéristique d’être entourée de deux extraordinaires réserves naturelles : le parc naturel de l’Arrábida et l’estuaire du Sado, qui comptent parmi les plus belles baies du monde. Notons que seulement quarante pour cent de nos habitants sont nés à Setúbal, les autres soixante pour cent étant originaires d’autres municipalités, auxquels s’ajoutent un nombre important d’Africains originaires des anciennes colonies portugaises, des citoyens d’ethnie gitane et plus récemment des émigrés des pays d’Europe de l’est et du Brésil. Pour ces raisons, nous sommes aujourd’hui une agglomération qui présente un tissu social caractérisé par une grande pluri-culturalité. Au Portugal les différents gouvernements que nous avons connus ont accordé plus de responsabilités, plus d’attributions et plus de compétences aux municipalités, mais sans les transferts adéquats de moyens financiers. La municipalité de Setúbal a naturellement souffert des répercussions de ce type de problème. Le chômage qui dans notre pays a dépassé les taux les plus élevés de ces dernières années, la crise économique, l’absence d’estime de soi et de relation avec le territoire, ont fait émerger une multiplicité de problèmes que nous devons affronter aujourd’hui. Le citoyen commun se sent chaque jour éloigné des centres de décision, qui traitent des problèmes fondamentaux du quotidien. Les taux croissants d’abstention lors des élections, vérifiés dans la majorité des pays européens, illustrent clairement cet éloignement progressif et même cette défiance de la part des citoyens au regard des institutions et des acteurs politiques. Il s’impose alors, de promouvoir des politiques de proximité, pour que chaque citoyen se sente véritablement un acteur du développement local. Nous avons conscience que ces politiques, en plus de générer des citoyens actifs et responsables, renforcent l’estime de soi locale, contribuent à la cohésion locale dans la communauté et renforcent la démocratie. Défendre et stimuler la qualité de vie dans les quartiers, identifier les priorités de travail, définir les zones et les projets structurants et stratégiques, élargir les espaces de participation, d’intervention et de débat, donner forme et approfondir la démocratie participative, sont des objectifs courants dans la vie de

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la municipalité de Setúbal. Naturellement, les mairies et les élus, ne doivent pas aliéner leurs responsabilités et doivent exercer pleinement les fonctions qui sont les leurs, l’équilibre entre la démocratie représentative et la démocratie participative. Je vais donner quelques exemples. Les réunions de l’exécutif municipal sont décentralisées : elles se tiennent dans les lieux les plus éloignés du centre du pouvoir, et cela rend la participation du citoyen beaucoup plus intense. Qu’il s’agisse de semaines thématiques, par exemple sur la pêche ou sur l’agriculture, de tout le processus de planification participative, les citoyens peuvent ainsi communiquer leurs opinions sur le futur du Conseil. La démocratie participative, sans l’ombre d’un doute, contribue à l’avènement d’un citoyen plus actif, plus cultivé, plus informé. Mais un citoyen plus cultivé et plus informé est aussi un citoyen plus participatif et un citoyen plus revendicatif au niveau de la ville, du pays. Le forum social mondial a contribué à modifier les priorités des grands décideurs économiques au niveau mondial, notamment celles des réunions du forum économique mondial à Davos. Mais aujourd’hui nous disposons d’un ensemble de réseaux au niveau international qui débattent de ces sujets, comme nous sommes en train de le faire ici aujourd’hui : le forum des autorités locales pour l’inclusion sociale, notre réseau, le forum des autorités locales de périphérie, l’observatoire international de la démocratie participative entre autres, et plus récemment, la grande organisation mondiale, qui rassemble toutes les villes et gouvernements locaux du monde, le partenariat avec l’ONU, le partenariat avec l’organisation mondiale des nations unies. Tous ces réseaux sont très importants pour l’échange d’expériences, pour aligner des stratégies d’action, mais parallèlement nous devons faire sentir notre force et notre détermination au sein des instances qui décident les politiques économiques mondiales. Tel est le bond qualitatif, que nous devons effectuer, en harmonie avec tous les autres réseaux de villes et de régions Gilles VRAIN Pierre MANSAT, vous avez participé ce matin à des échanges sur une partie des thèmes que nous retrouvons aujourd’hui. Jordi BORJA indiquait précédemment que les villes centres et les périphéries étaient liées par un destin commun. Pourriez-vous nous faire part de votre expérience vis-à-vis de ces différentes problématiques ? Pierre MANSAT- Adjoint au maire de Paris La conviction de la municipalité parisienne est qu’il n’y a pas de métropole solidaire et durable en l’absence d’un dialogue profond et renouvelé entre le centre et la périphérie, étant entendu que cette formulation ne rend plus compte de la réalité de la métropole, notamment de la métropole parisienne. Cela ne rend en effet pas compte des processus d’éclatement, de ségrégation, de domination ou d’aggravation de la crise. Parallèlement, il n’y a pas de ville centre vivante et dynamique si elle se spécialise socialement en devenant un lieu réservé à des « élites » économiques et intellectuelles, tout en concentrant la précarité et l’exclusion, comme nous le constatons à Paris. Je me propose d’évoquer deux questions : la question de la nécessaire représentation commune et de l’usage de la métropole et de la ville centre ; la question de la respiration démocratique, c'est-à-dire l’adaptation des processus démocratiques à l’échelle des territoires tels qu’ils sont vécus par les citoyens. En ce qui concerne la représentation commune, le cas est particulièrement difficile pour la métropole parisienne, puisque nous nous situons sur une histoire très ancienne et très ancrée, caractérisée par des préjugés qui s’appliquent à la nature des rapports que la ville de Paris a entretenus avec l’ensemble de la métropole. La nature de ces rapports est beaucoup plus complexe que les clichés habituellement véhiculés. Il y a eu parfois des moments de régulation, entre Paris et les acteurs de la périphérie. Il est donc nécessaire dans un premier temps de mettre un terme à un certain nombre de clichés qui ne permettent pas de comprendre la réalité. De plus, pour se faire une représentation commune, il faut comprendre ce qu’est la ville centre. Paris connaît aujourd’hui un risque de spécialisation. Elle stabilise à présent son nombre d’habitants après en avoir perdu énormément pendant 50 ans. Elle connaît un

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problème d’accès à l’emploi avec 11 %de chômeurs, ce taux étant depuis 20 ans supérieur à la moyenne nationale et régionale. De plus, 12 % de la population parisienne vit en situation de pauvreté, et il y a 320 000 habitants dans les quartiers en politique de la ville. Nous pourrions évoquer d’autres éléments : près de 1 000 immeubles insalubres ; des centaines d’enfants atteints du saturnisme ; des taux d’échec scolaires très importants dans les ZEP ; etc. Il existe donc bien dans la ville centre : d’une part une extrême richesse qui tend à s’accroître et à s’amplifier ; d’autre part une situation de précarité. A ceci s’ajoute une éviction des couches intermédiaires. Il y a donc là un enjeu de représentation et de développement extrêmement fort pour l’ensemble de la métropole. La question de l’usage, quant à elle, pose une question démocratique. La métropole, pour une partie des habitants, est également synonyme d’imbrication extrême des activités, des modes de vie, des relations générationnelles, du rapport à l’emploi, etc. Ceci soulève la question d’une pratique des territoires qui modifie profondément les rapports à la démocratie. Nous sommes en effet là dans des pratiques qui outrepassent les frontières administratives et démocratiques existantes. Avons-nous le droit d’intervenir dans des choix qui sont des choix d’aménagement, par exemple pour le quartier des Halles où transitent 400 000 personnes par jour ? Aujourd’hui, dans une métropole comme la métropole parisienne, il existe une très grande fragmentation des pouvoirs démocratiques légitimes, qui sont pour une part inadaptés à cette respiration de la métropole et à la façon dont vivent les citoyens. Cette inadaptation démocratique introduit des éléments de crise préoccupants. Le point de vue parisien est qu’il faudrait dépasser cette absence de réflexion sur cette tension de plus en plus forte pour inventer d’autres modes de gouvernance, au sens de gouvernement démocratique. C’est ce que nous essayons de faire avec des partenariats bilatéraux de toute nature, mais cela ne répond pas entièrement à cette nécessité. Nous avons donc proposé de travailler à l’émergence d’une scène politique particulière, que nous avons appelée la « conférence métropolitaine ». Cette conférence réunirait des élus du cœur de l’agglomération, en partenariat étroit avec les élus régionaux, pour faire émerger un lieu de diagnostic et d’élaboration d’une vision commune à l’échelle des enjeux que j’évoquais précédemment. Gilles VRAIN Je vous propose à présent de céder la parole à la salle. DEBAT AVEC LA SALLE Anne DUPUY - Nanterre Les différents intervenants sont restés sur un discours un peu dogmatique, avec des manques d’exemples concrets. Avec la municipalité de Nanterre, nous revenons d’un voyage à Fribourg, première ville de l’énergie solaire. L’Allemagne a créé 1,5 millions d’emplois dans le domaine des énergies durables. Il était indiqué précédemment que les villes durables étaient d’une importance prioritaire. Auriez-vous des exemples concrets en ce domaine ? En ce qui concerne notamment Paris, qu’en est-il du projet de la ZAC Rungis ? Rod URIBE - Chroniqueur Monsieur MANSAT évoquait l’exemple des Halles. Lors du débat qui avait eu lieu à ce sujet, nous avions beaucoup parlé de démocratie participative. Il est ressorti de ces débats qu’il ne fallait pas non plus oublier la démocratie représentative. De plus, à l’occasion de ces débats, nous avions constaté la forte présence de Paris et l’absence presque totale des résidents autres que de Paris centre. La fragmentation qu’ont mentionnée plusieurs intervenants est donc un problème extrêmement important dans la région Ile-de-France. Les territoires ne se rencontrent pas entre eux.

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Patricia Monsieur MANSAT évoquait dans son propos les immeubles insalubres, les enfants atteints du saturnisme, etc. Qu’en est-il des hôtels insalubres ? Ary VANAZZI, - maire de Sao Leopoldo Dans tous les débats auxquels nous avons participé au Brésil, ou ici à Paris ou dans n’importe quel endroit du monde, je me demande toujours quel est le pourcentage de la population que nous réunissons pour définir les thèmes que nous sommes en train de traiter. C’est un petit nombre, petit par rapport au poids des thèmes évoqués. Oussama CARSU, Université Paris X Nanterre Je souhaite poser une question à Monsieur BORGA. Vous avez parlé du besoin d’un gouvernement métropolitain. Je m’interroge sur la faisabilité d’un tel gouvernement, notamment au regard des échecs constatés à ce sujet dans différents pays, comme l’Italie. Ne pensez-vous pas que des formes de coopération plus flexibles seraient plus à même de résoudre ces problèmes ? Gilles VRAIN Pierre MANSAT, plusieurs questions ont été posées sur Paris, notamment sur les relations entre Paris et le développement durable. Pourriez-vous nous apporter quelques éclairages à ce sujet ? Pierre MANSAT En ce qui concerne la dernière question posée, dans la proposition parisienne de la conférence métropolitaine, il s’agit bien de répondre à cet enjeu, avec une nouvelle manière de travailler et de dialoguer plus flexible, en visant l’émergence d’un projet commun. Quant aux autres questions posées, je ne suis pas certain qu’elles entrent exactement dans notre débat de ce jour. Au sujet des Halles, il s’agit véritablement de l’archétype de la question de l’aménagement posée à une échelle métropolitaine. Les outils administratifs et politiques n’existent pas pour répondre à cette question à l’échelle de l’enjeu, ce qui révèle cette difficulté que nous avons essayé de contourner à Paris. La ZAC de Rungis, quant à elle, constituera le premier quartier dans lequel nous allons essayer d’introduire des prescriptions environnementales : récupération des eux pluviales, économies d’énergies ; etc. Dans le cadre du plan de déplacement de Paris que nous sommes en train d’élaborer et qui concerne l’ensemble de la métropole, nous travaillons également sur la prise en compte de ces questions environnementales. Il n’existe pas aujourd’hui d’institutions démocratiques pertinentes nous permettant de parler de ce projet à l’échelle nécessaire. Nous essayons de résoudre cette difficulté, mais ceci témoigne une nouvelle fois de l’inadéquation des formes démocratiques aux enjeux. Jordi BORGA Il n’existe pas beaucoup d’expériences réussies de gouvernement métropolitain. Et encore moins initiatives périphériques fortes pour proposer des gouvernements métropolitains. Les échecs s’expliquent souvent par une triple alliance (ou coïncidence) inconsciente entre la ville centrale, qui préfère une situation bilatérale et ne pas se responsabiliser du déficit social de la périphérie ; les communes périphériques qui tendent à se défendre au niveau chaque localité, et les grands groupes sociétés de services (pas toutes) et les pouvoirs de l’Etat et de la Région qui préfèrent ne pas avoir une structure métropolitaine puissante avec laquelle ils devraient négocier. L’absence de nombreux exemples de réussite ne signifie pas que cela soit impossible. Des solutions de coopération et de coordination peuvent être mises en œuvre. Deux questions fondamentales ont d’ailleurs été posées dans ce forum. La première est la crise de la citoyenneté. Toutes les personnes d’un territoire ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Ce sont les institutions politiques représentatives

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de ces territoires qui doivent mener des politiques publiques pour que ces droits soient effectifs. Or il n’existe pas de droits définis au niveau métropolitain, ni en général de politiques publiques fortes (projets intégrateurs, redistribution des ressources financières, etc.) puisqu’il n’y a pas d’institutions qui les représentent. C’est la deuxième question importante : le (relatif) manque de ressources publiques de la périphérie.. Pour qu’il y ait redistribution des ressources publiques, il faut quand même une structure politique légitimée par le suffrage universel. Les solutions de concertation et de coordination sont un pas en avant, mais un pas insuffisant, qui ne garantit pas des politiques de rééquilibrages. Les expériences concrètes de participation menées localement sont toujours intéressantes, mais ont des effets limités compte tenu de l’insuffisante capacité des pouvoirs locaux périphériques de mener des politiques que répondent aux déficits accumulés. Olívio DUTRA Généralement dans nos rencontres qui réunissent les villes d’une région métropolitaine, l’autorité de la municipalité la plus riche, le pôle, ignore, ou va jusqu’à délaisser l’importance de la rencontre. Aussi, la présence de Pierre Mansat ici est très significative. Carlos de SOUSA La question des budgets est fondamentale, dans notre pays. Au regard des attributions et des responsabilités que nous avons, l’argent qui nous provient du budget fédéral est très restreint. A titre d’exemple, si Volkswagen prend la décision de fermer l’usine implantée dans notre région de Setúbal, nous sommes susceptibles de nous retrouver tout d’un coup avec dix mille travailleurs au chômage, avec toutes les conséquences sociales que cela implique. Que peuvent faire les municipalités, avec leurs moyens financiers, qui généralement sont modestes, pour atténuer les problèmes occasionnés par cette décision d’une grande entreprise au niveau international ? Gilles VRAIN Guy BURGEL, quelle est votre réaction en réponse au débat qui vient d’avoir lieu ? Guy BURGEL -Universitaire Nous sommes en train de vivre au niveau de la ville la plus grande révolution urbaine de l’histoire, et ce à un triple point de vue : le nombre des urbains, la métropole , la périphérie. A l’horizon 2020, nous serons environ 8 milliards d’humains, dont 5 milliards seront urbains. Cette croissance quantitative a d’abord été celle des très grandes villes et des métropoles, et c’est à ce niveau que se posent en qualité les plus grandes contradictions qui ont été évoquées par les intervenants, avec la fois la performance et la richesse, la pauvreté et la marginalisation. De plus, cela a lieu essentiellement au niveau de la périphérie urbaine. Cette situation fait l’objet de très fortes contradictions. Le maire de Setubal nous expliquait que si l’usine de Volkswagen fermait, cette décision globale aurait des conséquences locales. Il s’agit là de la première contradiction de la révolution fondamentale due à la mondialisation. Nous sommes face à de grandes tendances universelles qui ne dépendent pas des acteurs locaux, mais dont ils sont les premiers à subir les conséquences, qu’elles soient positives ou négatives. Nous trouvons ainsi une perte de sens au niveau local, puisque les acteurs sont globaux, mais parallèlement à une prise de conscience de l’identité locale. De plus, nous avons dans les périphéries une forme de dysharmonie croissante entre la réalité métropolitaine et le cloisonnement des acteurs politiques et administratifs. L’agglomération métropolitaine de Paris en est un parfait exemple. Dans une concentration de 10 millions d’habitants et 5 millions d’emplois, nous trouvons environ 500 municipalités de plein exercice qui peuvent, de par la

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loi, faire leur plan local d’urbanisme. Tout ce qui nous concerne en termes de vie – emploi, mobilité, environnement, logement – ne se pose cependant pas à l’échelle des municipalités, mais bien à l’échelle métropolitaine. Or il n’existe pas de compétences administratives et politiques à cette échelle. Parallèlement, nous constatons chez nos citoyens une forte aspiration à la participation locale, et une forte confiance dans la possibilité d’agir et de faire prendre conscience localement des enjeux. Comment conjuguer ces différents éléments ? Je pense qu’il existe pour nous tous une nécessité de pédagogie, c'est-à-dire de faire comprendre que les problèmes les plus locaux possèdent des conséquences ou des moteurs très globaux, et réciproquement. Il nous faut donc faire comprendre la complexité de l’espace et de la société métropolitaine. Dans le monde actuel, qu’il faut dans un premier temps comprendre, il faut assumer cette idée très antinomique que les métropoles créent de la richesse, y compris de la richesse culturelle, et qu’elle génère en même temps de la marginalité, de la ségrégation et de l’exclusion. L’exclusion n’est pas une sorte de mal de la métropolisation, ce qui ne signifie pas qu’il ne faut pas la combattre, mais elle est intrinsèque au mode de métropolisation. Il y a donc, à cet égard, un message de pédagogie active à faire passer. Par ailleurs, Jordi Borja évoquait l’invention d’un nouveau contrat social. Je pense qu’il s’agit plutôt de l’invention d’une nouvelle constitution politique métropolitaine. Je tiens à ce titre à vous faire part d’une affirmation très forte qui est inscrite sur un pont qui me permet d’accéder à l’Université de Nanterre : « la meilleure participation, c’est le vote. » En d’autres termes, il nous faut prendre garde à deux dangers face à la résolution des contradictions que nous évoquons : d’une part, le localisme , d’autre part, la gouvernance. La conquête démocratique du pouvoir est d’abord selon moi la clé de la compréhension et de la résolution des problèmes métropolitains et de la périphérie. Il existe un vaste chantier devant nous, c'est-à-dire celui de savoir comment inventer une nouvelle cité à la taille de l’urbain. La périphérie urbaine est bien de la ville, mais il lui manque de la cité, c'est-à-dire de la citoyenneté et des institutions politiques. Le pouvoir est à la fois à prendre et à inventer. Il nous faut pour cela inventer de nouvelles modalités. J’avais ainsi proposé l’idée d’un « territoire institutionnel de projet »1 : projet métropolitain qui dessine lui-même un territoire où les institutions élues démocratiquement peuvent se prononcer. C’est ce projet métropolitain qui doit définir son territoire institutionnel, et non l’inverse. C’est une inversion de la démarche des politiques d’aménagement et d’urbanisme classiques, où chaque entité définit un projet dans son territoire de compétence. Ici, c’est le projet qui est lui-même porteur de sa définition géographique, mais dans des limites institutionnelles arrêtées (Région, département, regroupement de communes). Ainsi, contrairement à une gouvernance molle, se trouvent pris en compte la nécessité d’une planification territoriale large, mais aussi le parti démocratique de la représentation des élus, n’excluant pas la participation des habitants 2.. 1 Guy Burgel, Paris et l’Ile-de-France, un amour de raison, Pouvoirs, n° 110, Seuil, 2004 2 Guy Burgel, La revanche des villes, Hachette, 2006

Gilles VRAIN Je cède à présent la parole à Maria SALMERON CHARC. María SALMERON – CHARCO - 1er adjointe au maire de Viladecans Viladecans est une ville de 63 000 habitants, située tout près de Barcelone. Nous y avons organisé le 12 janvier 2006 un Forum préparatoire à ces journées, qui a débouché sur ce que nous avons appelé la déclaration de Viladecans, dont le projet et la synthèse ont été élaborés par Eduard Jiménez et Ferriol Soria. Voici, à grands traits, les constatations que nous avons faites.

• Les autorités périphériques et les villes de périphérie ont été les actrices d’une transformation sociale et urbaine, malgré le faible poids politique et institutionnel et la modestie des ressources, dans le cas de l’État espagnol.

• Au cours des deux dernières décennies, cependant, il s’est produit dans ces zones périphériques une transformation sans précédent, qui a permis de surmonter les problèmes les plus graves. Un

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exemple : le camarade de Fuenlabrada expliquait que sa ville comptait 7 000 habitants en 1970, et qu’ils sont maintenant plus de 200 000, qui y vivent, y emmènent leurs enfants à l’école, vont chez le médecin sans problème, mènent une vie de citadins normaux. En d’autres termes, dans cet exemple, l’autorité locale est parvenue à assurer l’existence d’une ville sans problèmes excessifs, à partir de conditions assez négatives.

• En outre, j’aimerais préciser que parmi ces problèmes aigus qui, souvent, concernaient les infrastructures et étaient de nature évidemment culturelle et sociale, il y en avait un qui s’apparentait à un véritable stigmate. Quand on demandait aux gens de ma génération, et je témoigne d’une expérience personnelle, la majorité d’entre nous ne disions jamais que nous étions de Viladecans. Nous répondions que nous étions d’une ville voisine de Barcelone. Aujourd’hui, en revanche, la plupart des habitants de Viladecans disent qu’ils sont de Viladecans et la plupart de ceux de Fuenlabrada disent qu’ils sont de Fuenlabrada.

• Par conséquent, je crois que le concept de périphérie, que nous-mêmes utilisons rarement, n’est plus un concept péjoratif, mais chargé d’espoir. Il faut savoir que tout cela s’est réalisé avec un poids constitutionnel qui, pour l’essentiel, n’a pas changé. C’est dire que nous sommes très loin dudit principe de subsidiarité, en tant que municipalité. Sur ce forum, pendant plusieurs jours, de nombreux experts et de nombreuses administrations de niveau supérieur au niveau local ont affirmé, en divers documents ou espaces, le besoin que la mairie retrouve ses prérogatives et qu’elle continue à être l’administration la plus proche du citoyen. Elle doit donc œuvrer à ce lien fondamental entre le citoyen et l’institution qui, dans ce cas, s’établit surtout dans le contexte local. C’est pourquoi on nous recommande souvent que, depuis notre monde local, nous accordions une grande importance aux décisions que nous prenons à notre niveau, et que nous le fassions avec les citoyens, dans la mesure du possible. Je dois dire que les plupart des instances gouvernantes, au niveau des autonomies, des États, de l’Europe, ne croient pas au monde local. On nous impute l’obligation, ou le devoir, de communiquer avec le citoyen. Mais on ne nous reconnaît pas le droit à un espace de décision à partager avec lui. Le travail est donc difficile, et s’accompagne presque toujours d’une générosité limitée en matière de ressources, ce qui le rend un peu plus intéressant mais aussi encore plus difficile.

• À notre niveau local, nous croyons, et nous l’avons vérifié à Viladecans, qu’il faut aborder conjointement les décisions qui ne peuvent se traduire par une solution qu’à l’échelle métropolitaine. Autrement dit, il est très difficile, depuis les communes de Viladecans, de Gava ou autres communes de la zone métropolitaine de Barcelone ou de Madrid, de résoudre un problème de transport ou autre, qui dépasse notre cadre local. De cette volonté des villes de gagner des espaces de décision et d’aborder une gouvernance qui pourrait être pluri-locale, naît aussi un doute ou une contradiction, sur le risque de perdre de vue sa propre identité. En effet, c’est réellement à partir de cette identité que nous pouvons alimenter et créer ce lien culturel, social et civique avec le citoyen. Si nous éloignons de nouveau l’institution du citoyen, nous n’aboutirons pas à la participation.

• Nous constatons aussi que toutes les zones métropolitaines ne sont pas semblables. Cette différence d’identité s’explique parce qu’elles ne sont pas formées des mêmes éléments. Chaque zone métropolitaine se caractérise par des différences fondamentales. C'est probablement pour cela qu’on leur applique des dénominations variables d’un pays à l’autre : conurbation, région-agglomération, métropole, etc.

En partant de l’idée de préserver la diversité de chaque zone métropolitaine, nous avons réussi à centrer notre action sur trois principaux besoins que manifestait le monde local, et en particulier le monde le plus périphérique.

• Les nouvelles réalités métropolitaines exigent un espace de gouvernance démocratique et participatif.

• Les communes périphériques demandent un effort de restauration de l’identité locale, condition minimale de l’intégration culturelle et de la cohésion sociale.

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• Les principales problématiques sociales, urbaines et environnementales requièrent une vision et une planification globales, multifonctionnelles et polycentriques.

Une fois énoncées les principales conclusions de ce forum préparatoire, et pour répondre à la question sur les moyens de garantir la participation et l’implication du citoyen, je souhaiterais émettre quelques remarques.

• En premier lieu, l’espace de décision est absolument indispensable. La participation doit être, par définition, un instrument permettant qu’entre élus et citoyens, nous puissions atteindre un but commun et améliorer un projet commun. Quand la participation n’aboutit pas à un résultat, elle entraîne beaucoup de frustration. En l’absence d’une gestion de ce que nous avons en commun, il nous sera difficile de prendre des décisions et, de ce fait, d’arriver à une participation. C’est l’une des premières questions que nous devrions nous poser, si nous voulons impliquer le citoyen dans les décisions relatives à la zone métropolitaine.

• Par ailleurs, il faut considérer l’égalité des chances comme une condition primordiale, quand on parle de zone métropolitaine. Autrement dit, la pleine citoyenneté, non pas pour quelques-uns mais pour tous les habitants de la métropole. Une citoyenneté fondée sur une base civique, qui s’étend à l’ensemble de l’espace public métropolitain et examine, par exemple, ses problèmes de mobilité. Une citoyenneté qui porte aussi sur le monde du travail, qui autorise une distribution équitable, entre tous les citoyens, dans le cadre professionnel. Et une zone métropolitaine qui accorde à tous ses membres une citoyenneté culturelle et formative.

• La création de cet espace politique commun ne doit jamais s’effectuer en opposition à la capitale, même s’il est fondamental d’exiger l’équilibre de la balance. Il s’agit là d’un choix qu’il faudrait appliquer à chacune de nos villes, sans le limiter à un cadre de zone métropolitaine. Nos villes peuvent être formées par des quartiers qui en constituent chacun un centre, et où soient réunis les équipements et activités de la ville en soi.

• On constate aussi qu’il est une erreur de penser que le bien-être de la population urbaine dépend uniquement des infrastructures physiques qui la composent, tant dans la ville que dans son agglomération. On oublie habituellement des éléments moins tangibles, dans le domaine éducatif ou culturel, notamment. En d’autres termes, il faut promouvoir l’édification d’une métropole beaucoup plus sociale. Cette erreur a souvent trait au cadre économique.

• Enfin, rappelons que dans le cas de l’agglomération barcelonaise, c’est très courant, mais que j’en ai peu entendu parler lors de tels forums. Il y a des villes ou agglomérations qui existaient antérieurement à leur propre pays, voir leur ont survécu, comme Istanbul par exemple. Le concept de zone métropolitaine est beaucoup plus tardif, mais la réalité est antérieure. Je crois que les citoyens eux aussi l’entendent de cette manière.

• Je crois que nous courons le risque de manquer le train, de ne pas comprendre que pour chaque citoyen, il existe bel et bien une réalité, et que nous, gouvernement, instances politiques, ne sommes pas aptes à donner une réponse toute faite. Je pense nécessaire que les gouvernements et, à la base, les administrations locales, nous réfléchissions et faisions un pas en avant vers les citoyens et vers leur réalité. Il est très important de repolitiser toutes les décisions communes et de commencer à évoquer un mot que j’ai peu entendu, mais que je considère déterminant : la coresponsabilité. Si l’espace est commun, nous en sommes tous responsables. Je crois qu’ainsi, nous commencerons à poser les bases de la participation métropolitaine.

Pour terminer, je dirai que je considère ce type de forums indispensables. Gilles VRAIN Je vous remercie pour cette intervention. Christian LEFEVRE, pourriez-vous nous faire part de quelques éléments de synthèse ?

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Christian LEFEVRE- Universitaire

Différents intervenants nous ont présenté les métropoles comme constituant l’un des nouveaux lieux de la régulation et des enjeux de la société. Je souhaite attirer votre attention sur les difficultés à produire ce territoire de débat. La première, déjà évoquée, réside dans les égoïsmes municipaux ou les égoïsmes des collectivités locales. La deuxième consiste en l’opposition entre démocratie locale et démocratie métropolitaine. En Europe, nous assistons à une recrudescence des formes diverses de démocratie locale, qu’il s’agisse de formes institutionnelles, du développement de conseils de quartiers, ou de procédures dites de démocratie directe. Nous observons que ces évolutions renforcent les échelons locaux ou micro-locaux, avec ce que nous dénonçons tous, c'est-à-dire l’oubli de la démocratie à l’échelle métropolitaine. Il n’existe en effet pratiquement aucune structure de débat ou de réflexion au niveau des métropoles. Nous avons cependant essayé depuis une trentaine d’années de produire des métropoles démocratiques. Ceci impose deux modalités. La première concerne les institutions métropolitaines, qui sont plutôt rares. En France, nous disposons tout de même de l’intercommunalité, des communautés urbaines et des communautés d’agglomérations. D’autres exemples existent à Londres ou à Lisbonne. La question est de savoir s’il ne serait pas possible d’utiliser ces institutions comme vecteurs démocratiques et espaces de débats. La seconde modalité correspond à la mobilisation des acteurs locaux, c'est-à-dire des acteurs économiques et de la société civile. Le problème est que les institutions produites possèdent peu de compétences et de ressources. De plus, la mobilisation des acteurs à l’échelle métropolitaine est assez faible. Pour répondre à la question directrice de notre conférence, je tiens tout d’abord à souligner que je n’apprécie guère ce terme de « périphérie ». Il existe plusieurs types de périphéries, ce qui pose un premier problème d’amalgame. En outre, il existe des formes de production d’inégalités sociales qui passent par des espaces inverses aux périphéries, avec des centres pauvres et des périphéries riches. De plus, les villes centres subissent également de plein fouet cette globalisation néolibérale et sont le réceptacle de grandes inégalités. Le message important à faire ressortir réside surtout dans la nécessité d’un travail commun entre ville-centre et périphérie, avec des espaces de débats démocratiques, voire des structures de démocratie, au niveau métropolitain, sur la base d’un objectif de production d’une identité métropolitaine. Derrière cette question d’identité se pose en effet celle de la légitimité de la métropole. Je vous remercie.

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Conférence de clôture pour continuer : « Périphéries, actrices pour un autre monde possible ? »

Des villes de périphérie prennent des initiatives. Comment les développer, les étendre à d’autres ? Comment poursuivre ensemble, villes et citoyens, réflexions et actions concrètes ? Président : Patrick JARRY, maire de Nanterre Participent à la conférence: Gilles RETIERE, maire de Rézé – métropole nantaise ; Pedro CASTRO, maire de Getafe – métropole de Madrid – Espagne ; Bernard JOUVE, Professeur à l’Ecole Nationale des Travaux Publics ; Gilbert ROGER, maire de Bondy – métropole de Paris – vice président du Conseil Général de Seine Saint Denis ; Gérard PERREAU BEZOUILLE, maire adjoint de Nanterre ; Edgardo BILSKY, secrétariat mondial de Cités et Gouvernements Locaux Unis ; Jacques NIKONOFF, Président d’ATTAC.

Un intervenant

Il convient de dresser le bilan de ce forum et de se projeter dans l’avenir. Pour commencer, je cède la parole aux initiateurs d’un appel à un forum social des banlieues.

Intervention du mouvement « La Rage du Peuple » Un intervenant Notre mouvement est né à l’initiative du forum social des banlieues. Nous souhaitons commencer par lire notre manifeste. Lecture à plusieurs voix du manifeste de La Rage du Peuple « Nous sommes la rage du peuple. Nous sommes une rage qui se développe dans les ruelles du monde. Nous sommes des jeunes de cœur et d’esprit, habités d’un désir de transformer notre condition. Nous sommes des citoyens qui en ont ras-le-bol de voir nos droits et notre liberté bafoués par une mondialisation qui nous incarcère dans une prison à ciel ouvert. Nous avons décidé de nous unir afin de pouvoir lutter humblement. Nous sommes un mouvement qui se diffuse de bouche à oreille, telle une rumeur qui circule dans nos vies. Nous sommes une unité indivisible qui traverse les siècles. Nous sommes un peuple libre, debout, le poing levé. Nous souhaitons développer la conscience et l’information libre et critique. Nous sommes des gens du peuple qui ne croient plus aux politiciens, mais nous voulons redonner du sens au mot politique. Parfois, nous nous sentons isolés, laissés pour compte et mis en marge de la société, exclus et non écoutés car nous ne rentrons pas dans le moule. Pourtant, nous sommes un réseau de citoyens du monde et nous échangeons nos idées, nos expériences et nos alternatives en dehors des partis politiques ou lobbys d’influence. Nous venons d’horizons diverses, de cultures différentes et métissées. Nous venons des ruelles sombres, des grandes tours, des ensembles dont l’horizon est composé de béton, sans espaces verts. Nous sommes méditerranéens, résidant dans les montagnes des Alpes. Nous venons de la Bretagne, nous parcourons le Tibet et les montagnes de l’Himalaya source du Gange. Nous venons d’Amérique du Sud, d’Argentine, pays des pekiteros. Nous venons des hauts plateaux éthiopiens, d’Afrique, des îles et des Caraïbes. Nous sommes issus de la terre qui nous accueille. Nous sommes les enfants de la nature, qui souffre et nous souffrons avec elle, qui crie et nous crions avec elle, qui se rebelle et nous nous rebellerons avec elle.

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Alors, nous avons dit « basta » yeh ! Nous luttons contre les dictatures du capitalisme, le libéralisme, et le jeu des puissants. Nous combattons toutes les formes d’oppression de l’Homme et de son environnement. Nous dénonçons les manipulations et les conspirations. Nous ne voulons pas rester spectateurs d’un monde qui ne nous satisfait pas. Nous luttons contre les formes de pollution qui nous empoisonnent. Nous sommes contre le pouvoir inutile et destructeur de quelques uns et contre le malheur de tous. Nous sommes contre l’exclusion, la répression et la discrimination. Nous sommes contre la dictature et la démocratie des élites. Nous sommes pour la conscience et l’éveil de nos frères et sœurs. Nous sommes pour l’auto-défense et pour la chute définitive du gouvernement. Nous voulons vivre libres. Nous sommes pour la survie de l’espèce humaine et des espèces vivantes. Tu crois qu’on est éternel ou bien on nous met des puces sous la peau. Nous sommes pour la paix et l’autogestion dans notre environnement. Nous sommes pour reprendre nos droits, pour la démocratie du pouvoir d’agir. Le pouvoir est au peuple et ne peut être confisqué. Nous sommes pour le changement de l’organisation du monde, inévitable, utopiste, pragmatique. Nous sommes pour la découverte de la richesse de chacun et la mise à profit de nos différentes qualités. Chacun d’entre nous a une étoile qui brille et tend à émerveiller le monde, pour toi Fathi. Nous sommes acteurs dans la transformation sociale. Nous agissons local et pensons global. Nous souhaitons apprendre humblement tout ce que peuvent nous transmettre les peuples du monde, leurs luttes, leurs traditions ancestrales et leurs vies : une nouvelle conscience mondiale. Nous sommes inscrits dans une lignée qui remonte à la nuit des temps et nous ne pouvons oublier, nous oublier. On ne peut pas oublier. On n’est pas les premiers à se battre. Nos esprits sont ouverts sur le monde, enrichis par chacun et conscients des luttes historiques, toujours là. Nous investissons la place publique à travers les concerts, les médias libres, les espaces ouverts, les manifestations, les blocages des lieux symboliques. Nous allons vers un homme meilleur, réveillé, émancipé, responsabilisé, avec des relations humaines basées sur le partage, la confiance, la coopération, l’échange, la joie. Notre inspiration vient de nos enfants ; c’est notre force, notre confiance. Notre inspiration nous vient des révolutionnaires, zapatistes, sangaristes, guévaristes. Nous avançons vers plus de justice ; nous allons vers la concrétisation de nos utopies dans nos manières de vivre. Nous sommes sur un chemin et nous avançons libres. Nous allons vers une autonomie de chaque individu, pour un meilleur partage collectif. Nous allons vers une décroissance joyeuse de la consommation. Nous sommes la rage du peuple, une rage positive, fédératrice, porteuse d’espoir et de changement. » Un intervenant Le manifeste a été écrit à Marseille ; personne ne peut vraiment représenter la rage du peuple, seulement le peuple lui-même et le peuple c’est vous, c’est nous, c’est tout le monde. L’idée du forum social des banlieues est née le 5 novembre 2005, 8 jours après le début des émeutes. Nous considérons ces dernières comme un point de départ. Elles résultent des conditions de vie déplorables des habitants. La révolte des quartiers populaires est un acte politique qui a de multiples significations selon le lieu où se sont déroulées les émeutes. Utiliser le feu pour brûler une voiture ou un bâtiment exprime qu’une flamme existe encore en chacun de nous. Il s’agit d’actes malheureux, qui témoignent cependant d’un réveil brutal face au désespoir. Les idées de la flamme tricolore, reprises par les fachos en puissance ont mis de l’huile sur le feu. Une fois la situation devenue incontrôlable, ces mêmes personnes ont répondu par la répression policière, avec des méthodes de guérilla. Le rapport de force qui a été créé est destructeur à tous points de vue. Face à ce fossé, certaines personnes ont réagi de manière citoyenne, par des actes ou des communiqués. Il s’agit du mouvement citoyen. Toutefois, aujourd'hui, peu de propositions ont émergé concrètement. La simple description des événements est insuffisante car novembre 2005 a des raisons et des racines profondes. Alors que l’état d’urgence a été instauré, rappelant que le colonialisme français n’est pas terminé, la société civile va devoir poursuivre un long travail pour « recoller les morceaux ».

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Une intervenante La loi de février 2005, qui a affirmé le rôle positif de la colonisation française, a été retirée sous les pressions. Elle montre que la France se complaît dans l’hypocrisie la plus complète à ce sujet. Elle a aussi le mérite d’avoir enclenché le début d’un débat, assez révolté, autour de la mémoire nationale française, qui est sélective. Il est temps de réveiller cet inconscient collectif de la vieille France, cette France pale endormie pendant des siècles par le matraquage de sa pseudo-supériorité. Le combat face à cet inconscient est très difficile. Il ne s’agit pas de culpabiliser mais d’inverser la tendance de cet inconscient collectif. Ce sujet est plus ou moins directement lié au problème des banlieues. En effet, en comprenant, en acceptant et en intégrant la véritable histoire de la France, on peut comprendre l’histoire de la population immigrée ou issue de l’immigration, ou de la « décolonisation ». Par exemple, on n’évoque que les 12 dernières années d’une guerre d’Algérie qui a pourtant duré 130 ans. Il est également temps de renverser certaines icônes de la France, notamment le Général de Gaulle. Le tombeau des braves, au Fort de Vincennes, renferme des militaires élevés au rang de héros nationaux alors qu’ils seraient aujourd'hui considérés comme des criminels de guerre. Il serait nécessaire de remettre les manuels scolaires à l’ordre du jour, afin d’y inclure le rôle destructeur de la colonisation. Quant à la décolonisation, il s’est agi d’une belle mascarade, ponctuée de massacres. La France a toujours conservé la main mise sur ses anciennes colonies, comme en attestent les relations néocoloniales entre la France et l’Afrique, ainsi que la vague de libéralisations, qui est aussi une forme de colonisation. Une intervenante Je suis très satisfaite qu’un débat se fasse jour aujourd'hui sur la colonisation dans les manuels scolaires. En effet, depuis très longtemps, des communautés qui vivent en France, attendent que la France prononce le terme de colonisation. Or la France a tâté les réactions face à une vision positive de la colonisation. Nous attendions un peu de reconnaissance. Il est important que les futures générations apprennent leur histoire dans les manuels de leur pays. Par ailleurs, je n’adhère pas au terme d’intégration. En effet, intégrer signifie « prendre un élément extérieur pour l’introduire à l’intérieur ». Or nous ne venons pas de l’extérieur. je suis née dans un hôpital français et je suis allée à l’école française. Un intervenant La colonisation moderne s’appelle mondialisation. La révolution néoconservatrice est une révolution ontologique, comme il s’en produit tous les 10 000 ans. Au cours des 5 dernières années, la majorité des ressources naturelles essentielles ont été privatisées sans commune mesure avec le passé, justifiées par le FMI et l’OMC. La mondialisation économique occulte la véritable mondialisation, celle des individus qui se construisent avec une identité mondiale. Le mouvement qui se déroule, à l’échelle de l’individu, parmi la jeunesse mondiale, est unique. Aujourd'hui, on communique via Internet, qui nous permet d’être en contact autant avec le Zimbabwe qu’avec New York. Ce mouvement est profond ; il s’agit de la survie, au sens de Darwin, de l’être humain. Notre génération a pour rôle d’établir le bilan du passé et le constat de l’actualité. Aujourd'hui nous devons redonner un sens au terme de politique. Cette mondialisation s’enracine dans l’individu, en vue du collectif. Aristote définissait déjà le citoyen comme un individu en mesure de gouverner et d’être gouverné. Une nouvelle échelle de réflexion consiste en un système politique qui nous permette d’agir de manière harmonieuse, parfois spontanée et plus participative. Nous demandons des modes de gouvernance alternatifs, des sociétés avec des institutions flexibles et l’autonomie, en s’inspirant de Castoriadis. La construction de nos institutions passe d’abord par la construction personnelle. Une véritable émancipation politique nécessite une émancipation de l’individu à l’intérieur de lui-même. La révolution se mène autant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

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Une intervenante Nous souhaitons développer l’exemple de politique alternative, notamment chez les Zapatistes, dont nous vient une de nos inspirations. La communauté autonome des Zapatistes, appelée caracole, développe des pratiques autogérées au travers de l’accès à l’éducation, à la santé et à la culture par et pour le peuple du Chiapas. Les Zapatistes ont redonné un sens au terme de politique, en focalisant celle-ci sur l’être humain, à partir des besoins du peuple. Nous essayons, ici, de développer théoriquement la démocratie participative, les Zapatistes la pratiquent déjà depuis plusieurs années. Leur politique est fondée sur « gouverner en obéissant », c'est-à-dire que le pouvoir de la communauté est horizontal et non vertical. Chacun prend part à la gouvernance, de manière rotative. Ainsi, les dynamiques innovatrices ne sont jamais stoppées, à l’inverse de tout germe de corruption qui pourrait naître. Les Zapatistes essaient d’appliquer le principe du Che « Ce n’est pas au système de fabriquer la société, mais c’est à la société de fabriquer le système qui lui correspond ». Officiellement, depuis le 1er janvier 2006, les Zapatistes font une tournée dans les campagnes du Mexique, dans le contexte des élections présidentielles du mois de juin. Ils partagent les acquis de leurs luttes avec celles des peuples qui vivent dans les campagnes, afin d’animer la conscience politique du peuple et de la jeunesse. Le Zapatisme est un exemple d’exercer la politique d’une autre manière, plus accessible au peuple et moins élitiste. Chaque jour nous sommes déshumanisés et nourris par la peur. Il faudrait réagir et laisser battre notre cœur. Un intervenant Nous souhaitons évoquer l’expérience du développement social local du quartier de Noailles, au centre ville de Marseille. Le forum social des banlieues souhaite montrer que l’autogestion des quartiers est possible. Un changement de regard sur nos quartiers est aussi possible ; dans nos quartiers règne aussi de la joie, de la créativité, de la danse ou encore du RAP. A Noailles, nous avons commencé par créer une communauté en 2002. Il s’agit d’un lieu autogéré. Nous nous sommes liés à d’autres associations et ensemble, nous avons mené un projet de quartier. Mais aujourd'hui, le quartier de Noailles souhaite être réhabilité par Monsieur Gaudin. Or ce dernier veut réhabiliter le quartier en le vidant et en nous repoussant dans les quartiers du Nord, ce que nous refusons. Nous souhaitons proposer un autre projet. Tous les quartiers français peuvent déposer un dossier à l’ANRU, pour proposer un projet. Toutefois, manque la démocratie participative. Dans nos quartiers, nous allons donc organiser des forums sociaux des banlieues pour proposer d’autres projets de rénovation urbaine. De telles actions ont commencé à Marseille, Bordeaux, Toulouse et Grenoble. Nous avons envie de répondre à l’urgence. Je pense que le prochain FALP pourrait plus associer les habitants. Gilles RETIERE- Maire de Rézé 1. La ville de Rezé La ville de Rezé compte 37 000 habitants. Elle a été à l’origine de la constitution de l’association des villes de banlieue. En effet, certains quartiers de la commune connaissent une forte présence d’habitat social et de familles modestes. Lorsqu’on veut être fort dans une agglomération, il faut d’abord être fort et clair à l’intérieur de la commune. Il est nécessaire qu’il y ait plus de solidarité à l’intérieur de chaque commune et de chaque quartier, et que le logement social soit mieux réparti, qu’il existe des lieux de mixité sociale et des lieux de rencontre dans tous les quartiers. La ville de Rezé se compose de sept quartiers divers et variés mais ne compte pas de centre. Ainsi, nous disposons d’éléments de dialogue et de vie sociale à une échelle humaine, de 5 000 personnes. Nous avons constitué des outils pour organiser les échanges et la participation, comme le conseil consultatif de quartier, par exemple. Les bonnes relations tiennent avant tout à la volonté d’échanger, et de concrétiser des propositions. Les dispositifs ne font pas la bonne gouvernance. C’est pourquoi nous présentons des projets non aboutis, qui en sont encore à la phase de maturation pour les finaliser par le

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dialogue avec les habitants. Ainsi, à l’échelle de la commune, nous avons rassemblé l’ensemble des propositions issues des discussions, dans la maison des projets. En ce lieu se trouvent les projets en état de discussion, et tout un chacun peut participer à l’avancement des projets. Nous devons poursuivre l’objectif de construire une vie plus sociale, qui s’organise en tenant compte des échéances planétaires qui s’imposent à nous, notamment la limitation de l’énergie. Le travail mené à Rezé me permet d’être un acteur fort dans la communauté urbaine. 2. L’agglomération nantaise Il est possible de structurer les agglomérations de province, de telle sorte que la ville centre n’écrase pas tout. Les élus des communes périphériques peuvent engendrer une nouvelle façon de concevoir l’ensemble de l’agglomération. Il est possible de travailler dans des agglomérations qui représentent entre 500 000 et 1 million d’habitants. La tâche est plus difficile avec 10 millions d’habitants. L’agglomération nantaise compte 600 000 habitants. Après plusieurs années, je parviens à faire comprendre les bienfaits de la mixité sociale dans toutes les communes de l’agglomération. Ces progrès peuvent se traduire au travers de documents comme le programme local de l’habitat ou la révision des plans locaux d’urbanisme. Ainsi, les maires s’engagent et l’agglomération s’organise de manière nouvelle et complète, et non plus selon des politiques sectorielles. La communauté urbaine est une bonne solution pour gagner en solidarité et en cohérence. Je reconnais, que pour l’heure, la communauté urbaine n’est pas nécessairement une structure plus démocratique, mais il s’agit de la responsabilité des élus communaux que de prendre en charge et d’expliquer le fonctionnement de l’agglomération. Un élu communal n’est pas seulement responsable du fonctionnement de sa commune. Au mois de novembre, aucun incident n’a eu lieu à Rezé, qui compte pourtant des quartiers d’habitat social. J’ajoute qu’il n’y a ni police municipale, ni caméras vidéos à Rezé, mais seulement des médiateurs et du dialogue social. 3. Les relations avec Villa el Salvador Rezé est jumelée avec Villa El Salvador depuis plusieurs années. Nous avons coopéré avec cette ville en matière d’amélioration de la construction ou de traitement des eaux. Les deux villes nouent aussi un dialogue sur la forme de démocratie locale que nous observons au Pérou et en France. Le travail mené par les grandes villes d’Amérique latine sur le budget participatif nous intéresse, bien que nécessitant une transposition. Néanmoins ces dispositifs peuvent permettre à la population des villes françaises de mener des actions plus concrètes. Il nous faut continuer ce dialogue démocratique sur ce que nous pouvons faire à l’échelle de la planète. Pour ma part, je crois beaucoup au bénéfice des échanges entre les acteurs locaux. Je ne suis pas certains que les discussions menées par les grandes organisations ou les pays soient les plus profitables. Les acteurs locaux disposent de pouvoirs de transformation qui peuvent nous permettre d’avoir une autre vision du monde, si nous nous organisons ensemble. Pedro CASTRO – Maire de Getafe Effectivement, nous sommes le siège de la Charte européenne anti-ghetto. Cependant, j’aimerais expliquer comment nous sommes arrivés à cette situation, comment était Getafe il y a vingt ans et comment elle est maintenant.

Getafe était une ville de l’agglomération de Madrid, une ville-dortoir comme bien d’autres, où il n’y avait pas de médecins, pas d’établissement du cycle secondaire et peu du primaire.

Une ville extrêmement jeune, produit de l’immigration intérieure et extérieure. Elle comptait 23 000 habitants il y a quarante ans, et 180 000 actuellement. Jadis, elle avait un fort potentiel industriel, qui a disparu avec l’ouverture et la démocratie. Quand ses industries se sont trouvées en concurrence avec celles de l’extérieur, elles se sont écroulées comme un château de cartes. La ville a alors connu le chômage, l’émigration, le chaos et les tensions sociales qui en découlent.

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Actuellement, c’est la ville la plus industrielle d’Espagne, pour la superficie par habitant. Elle fabrique 70 % des composantes aéronautiques réalisées dans le pays et 60 % de l’informatique. Le taux de chômage y est de 0 %. Là où il n’y avait pas d’écoles, il existe deux universités, l’un des meilleurs hôpitaux d’Espagne et un conservatoire de musique, sans compter les musées et autres institutions importantes.

C’est pourquoi je voudrais expliquer, avec humilité, comment a été possible cette évolution sur vingt ans, qui a permis que 180 000 habitants deviennent 180 000 citoyens, dotés de droits.

Dès le départ, nous avons compris que le pouvoir ne nous appartenait pas, qu’il nous avait été confié par les citoyens. Tous les quatre ans, ils pouvaient voter pour nous ou non. C’est pourquoi nous devons faire notre maximum pour gérer au mieux ce pouvoir, en le partageant avec eux.

Un grand plan stratégique a donc été lancé, sur débat avec l’ensemble de la société structurée de Getafe : syndicats, partis politiques, associations de quartiers, mouvements éducatifs et culturels, en nous demandant ce que nous voulions être. Après de nombreux débats et beaucoup de réflexion, nous sommes arrivés à la conclusion que nous possédions un potentiel et que nous devions l’administrer : notre potentiel technique. Nous avions un savoir industriel car, même si les industries s’étaient effondrées, les professionnels étaient toujours là. Nous nous sommes mis d’accord pour augmenter le niveau de participation, la qualité de vie, l’éducation sur les valeurs, et l’auto-estime de chacun des citoyens de Getafe. Et à partir de là, nous avons lancé un projet, visant à mettre les atouts de notre territoire au service de l’intérêt général.

Notre principal atout était le sol. En effet, tous les parcs technologiques qui ont été créés à Getafe, de mêmes que les universités, les établissements de santé ou d’éducation, et les centres culturels, ont été édifiés sur des terrains publics.

La mairie a fondé deux entreprises, une consacrée au bâtiment industriel et l’autre au logement. À partir de là, nous avons commencé à exproprier les terrains. De cette manière, c’étaient la mairie, la commune, les organes de représentation, majoritairement constitués par les citoyens, qui décidaient de la façon et du moment où ils étaient attribués à une entreprise. Cela se faisait en fonction de l’arrivée et sans jamais se soumettre au processus spéculatif qui aurait empêché, dans bien des cas, l’installation d’industries importantes, pour cause d’augmentation des coûts. La maîtrise des sols a donc constitué l’un des instruments essentiels de l’élimination des tensions sociales auxquelles nous avons à faire face.

Le deuxième instrument a été la formation des ressources humaines et l’adéquation de leurs compétences. Nous en sommes vite venus à la conclusion que les multinationales et les grandes entreprises ne s’intéressent en rien au lieu qu’elles occupent. Leur présence ne dépend que du système productif et des coûts. Mais il existe toutefois un facteur contribuant à les ancrer : c’est la qualification et la formation des ressources humaines. Compte tenu du fait qu’on peut délocaliser une entreprise mais pas des experts, nous avons parié sur la formation, en bouclant un cycle qui part du niveau le plus élémentaire, celui du simple travailleur manuel, à la qualification d’ingénieur aéronautique. C’est pourquoi nous avons fondé nos deux grandes universités et signé des accords avec des entreprises comme Airbus.

C’est ainsi que la maîtrise première et absolue du sol, puis celle de la qualification des ressources humaines ont été déterminantes pour le développement de la ville.

La troisième variable sur laquelle repose ce « miracle économique » est la capacité à rendre notre ville compétitive, pour qu’elle soit apte à relever les défis du XXIe siècle.

Nous sommes donc passés d’une zone industrielle désertique à une zone moderne, concurrentielle et formatrice de valeurs.

L’entreprise municipale de logement a pour objectif la construction de 80 % des logements à loyers limités et de 20 % à loyers libres.

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À partir des plus-values procurées par les terrains, nous avons progressivement investi dans des équipements.

Pourquoi le taux élevé d’immigration n’a-t-il pas engendré de tensions sociales ?

Nous avons fait en sorte qu’il n’y ait pas de luttes pour le logement. Nous nous sommes efforcés de supprimer le chômage, ainsi que les délais d’attente dans les systèmes d’éducation ou de santé.

Une autre valeur importante que nous nous sommes fixée comme objectif a été un accroissement de l’auto-estime, en offrant des éléments de référence dans lesquels les immigrés puissent se retrouver (festivals, écrivains, sportifs…). Enfin, le hasard nous a apporté un cadeau dont nous avons essayé de tirer parti : le football, qui joue un rôle d’agent de cohésion laïc. Le Getafe se trouve en première division et nous avons gagné contre Madrid. Voilà aussi de quoi être fier de vivre dans la périphérie sud. Bernard JOUVE – Ecole Nationale des Travaux Publics Le projet d’une chaire UNESCO En préambule, je souhaite réagir aux propos qui nous ont été adressés par les membres de La Rage du Peuple, que j’ai trouvé très pertinents. Leur intervention m’a conduit à me poser la question sur la périphérie comme élément constitutif de l’identité, qui est la vôtre. Plutôt que de fonder votre identité sur votre position géographique, je vous propose de vous identifier par rapport à la cause que vous défendez. Je souhaiterais plutôt vous appeler Forum des Autorités Locales Progressistes ou Humanistes. En effet, le cœur des interrogations du FALP porte sur la capacité d’une autorité locale à être le vecteur des grandes valeurs fondatrices des démocraties libérales. Il s’agit de la justice sociale, de la diversité et de la mixité, de l’environnement ou de la participation politique. Ces valeurs sont constitutives du contrat social qui lie la société civile au politique et elles ont été largement évoquées durant ce colloque. Auparavant, ces valeurs étaient portées par les Etats-Nations. Depuis 20 ans, nous vivons un retournement dans la constitution de l’ordre politique national et même international. Nous observons la transformation de l’équilibre des pouvoirs entre les Etats-Nations, la société civile et les collectivités locales. De nouveaux acteurs émergent sur la scène internationale, revendiquant le droit à porter des attentes, auparavant monopolisés par les Etats-Nations. Néanmoins, je nous mets en garde contre la dérive du romantisme. En effet, ces valeurs sont classiquement associées à un registre progressiste de gauche. Or depuis 20 ans, nous vivons une phase du capitalisme, qui vise à instrumentaliser ces valeurs au profit de son propre agenda. Par exemple, le néo-conservatisme est né dans les banlieues des grandes villes Nord-américaines, où se concentre l’essentiel du pouvoir et de la richesse et la population blanche. Les questions de la protection de l’environnement, de la participation citoyenne, de la lutte contre la discrimination sont instrumentalisées par le programme néolibéral, qui connaît une nouvelle phase, après celle des années 1980. Nous vivons une phase de normalisation du capitalisme par une instrumentalisation des valeurs portées traditionnellement par les agendas politiques de gauche. Je vous propose d’associer le FALP à un projet de chaire UNESCO qui est en train de germer, qui concerne la thématique de la politique urbaine et de la citoyenneté. Cette initiative associe des universitaires et vise à accroître les échanges d’analyses et d’expériences entre pays développés et pays en développement, sur le lien entre la politique urbaine et l’exercice de la citoyenneté. Cette dernière se définit aussi comme la capacité de tous les acteurs de la société à prendre une part active à la fabrication d’un projet collectif. Dans ce processus de transformation de l’ordre politique, les autorités locales peuvent être très actives, et notamment les sociétés civiles locales. La chaire UNESCO s’intéresse principalement aux thématiques suivantes : - la fabrique de la démocratie locale ; - les biens communs, c'est-à-dire les biens essentiels à la vie quotidienne des citoyens ; - la prise en compte de la diversité culturelle ;

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- l’habilitation, c'est-à-dire le transfert des capacités d’organisation de la sphère politique vers la société civile.

A partir de ces interrogations, il sera certainement possible, dans les années à venir, de nouer un débat fructueux entre vous et une sphère académique, qui est en train de se structurer à l’échelle internationale. Ainsi, la chaire UNESCO a organisé un réseau international de recherche, avec des universités situées dans des pays aux contextes politiques, culturels, sociaux et économiques complètement différents, mais qui sont tous interpellés par les quatre grandes thématiques auxquelles je vous propose de vous associer.

Gilbert ROGER – Maire de Bondy, vice président du Conseil Général de Seine – Saint Denis

Les jeune que nous venons d’entendre certainement le relai que nous espérons pour apporter la continuation et le changement nécessaire, afin que ce monde ne s’institutionnalise pas sur le refrain « Tout va bien Madame la Marquise ». Je ne souhaite pas non plus une dissolution du terme de « périphérie ». Si la périphérie peut poser problème, je revendique l’existence d’un véritable problème, auquel nous devons apporter, collectivement, nos propres réponses. Il convient de montrer que nous pouvons proposer une alternative à la société néolibérale. Peut-être devrons ajouter la terminologie de métropole solidaire. La ville de Bondy est la deuxième ville où ont éclaté les émeutes urbaines. Nous n’avons pas envie d’oublier les 12 jours difficiles que nous avons vécus. Je souhaite que nous continuions à traiter différentes problématiques. La première concerne la dignité humaine des citoyens qui habitent dans ces périphéries des grandes métropoles et qui ne souhaitent pas être seulement la variable d’ajustement des politiques de développement. Les Noirs de Cap Town ont été éloignés du centre ville et aucun transport en commun n’a été installé pour leur permettre de se rendre travailler chez les Blancs. Puis, quand les riches ont considéré qu’il était plus intéressant de vivre à l’extérieur de la ville, ils ont envoyés les Noirs au centre ville et ont déménagé en grande banlieue. Nous ne voulons pas être la variable d’ajustement du bonheur d’un certain nombre. Nous devons aussi examiner comment coopérer au niveau des départements, en respectant les quartiers et les villes, pour faire émerger un fait identitaire, un fait d’unité, un fait de solidarité, par exemple autour d’un club de football. Par ailleurs, nous devons ouvrir nos territoires sur le monde, ce que réalise le FALP. Nous ne pouvons pas nous contenter de résister à la société néolibérale. Il y a quelques mois, nous assistions au Forum social de Caracas. Un ami du Costa Rica évoquait le problème du développement de l’artisanat autour du textile, alors que la population préférait acheter les vêtements modernes en provenance de la Chine. Les relations que nous entretenons au sein du FALP ou entre communes nous font sentir moins seuls dans nos luttes et nos observations. En Seine Saint Denis, nous développons les achats éthiques. Nous exigeons de connaître l’origine du textile et son mode de fabrication. Nous nous assurons que nos constructions sont de haute qualité environnementale. Nous refusons les achats d’aliments qui contiennent des OGM, par exemple dans les cantines scolaires. Si ces démarches semblent naturelles aujourd'hui, on nous reprochait de perturber le marché, il y a 5 ans. La qualité des relations humaines doit changer. Notre rassemblement est le prémisse d’une société qui se construit d’un point de vue différent. Nous devons aussi éviter la pente naturelle entre la périphérie et la métropole. Nous préférons la concentration. Or la localisation en centre ville du théâtre, du palais des sports, du stadium et de l’ensemble des pouvoirs politiques et économiques engendre une périphérie de la ville. Nous devons prendre garde à ce que les réseaux de transports ne soient pas toujours concentriques vers le centre, mais permettent aussi, par des radiales, des déplacements plus libres et diversifiés. Une personne me faisait remarquer qu’un aller-retour entre Bondy et Nanterre coûte plus de neuf euros. Ce prix est un obstacle aux déplacements. Pour ma part, j’entre dans ce théâtre pour la première fois en 52 ans. Dans

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ma commune, j’ai fait en sorte que le palais des sports se trouve dans les quartiers les plus populaires, pour qu’on se rende dans ces quartiers pour pratiquer le sport. Ce colloque nous permet de rassembler des expériences, de manière modeste, et d’essayer de faire en sorte que la périphérie retrouve sa dignité humaine.

Gérard PERREAU BEZOUILLE – Adjoint au maire de Nanterre

Bilan et perspectives Ce colloque a rassemblé 750 participants, issus de 21 pays des 4 continents, 100 collectivités locales, des dizaines de chercheurs, des militants associatifs et des citoyens. En dépit des imperfections, le pari du premier FALP a été tenu et nous le pensons réussi. Ce résultat, c’est le nôtre. Il s’agit du résultat d’une co-organisation entre collectivités locales, d’un travail commun avec des associations et d’une confrontation avec le monde de la recherche. Cette dynamique est celle d’un réseau qui a su construire sa présence dans l’arène mondiale, qui a su s’élargir en s’ouvrant en permanence à toutes les autorités locales qui interrogeaient, dans la diversité de chacun, le rapport entre le territoire et la mondialisation. Le FALP, dans son processus d’élaboration, a élargi le nombre de collectivités investies. Je pense en particulier aux liens nouveaux créés en Allemagne, en Slovaquie, en Grande-Bretagne, au Sénégal et au Mali. Je suis certain que de nouvelles rencontres auront lieu, avec la volonté qui nous anime de construire par nos pratiques locales, par nos liens, un monde plus solidaire. La solidarité est un combat face aux exclusions, aux violences sociales des logiques portées par la globalisation actuelle. Cette question, nous la posons dans notre diversité, en nous saisissant avec force, par ce FALP, de notre réalité métropolitaine. Ce colloque a peut-être semblé à certains d’entre vous trop dense ou trop convenu. Cependant cette forme aide à diversifier les thématiques et à augmenter la contribution des associations, des pouvoirs locaux et des citoyens. Je suis également satisfait d’avoir pu travailler à des expériences originales, par exemple autour de la banlieue de Paris ou au travers de la marche nocturne d’hier soir, au lien sensible entre villes vécues et villes pensées. Pour la suite, nous vous proposons les pistes suivantes : - élaborer, dans les trois prochains mois, une déclaration de perspectives, afin de valoriser des actes

concrets d’engagement pour des métropoles solidaires, durables et démocratiques ;

- créer un nouveau site Internet, tout en maintenant les contenus actuels, afin de retrouver les interventions de ce colloque, de poursuivre les débats, d’en créer de nouveaux et de favoriser la rencontre avec le milieu universitaire et associatif ;

- créer un réseau FALP Pour des métropoles solidaires ;

- faire connaître notre travail, en présentant un compte-rendu de nos travaux au prochain conseil mondial de CGLU à Marrakech et en étant présents à divers événements, comme le forum mondial de l’eau, le forum urbain de Vancouver, Africité, le forum social mondial de Karachi, le forum social des banlieues, le forum social mondial des migrations ou encore le rendez-vous de Lyon sur la charte européenne des droits de l’homme de la ville ;

- demander que notre groupe de travail au sein de CGLU devienne une commission à part entière ;

- soutenir la chaire UNESCO ;

- organiser un deuxième FALP en Amérique latine, dans deux ans.

Notre FALP a permis le débat ouvert. Il a mis en contact des expériences et il a fait entendre des exigences, des aspirations et des envies de vies plus solidaires, à travers le vécu des métropoles.

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Il contribue aussi à ce que la page du mois de novembre 2005 ne soit pas tournée. Il permet de concrétiser l’idée fondatrice selon laquelle si un autre monde est possible, il commence dans les villes.

Edgardo BILSKY – Cités et Gouvernements Locaux Unis

Le FALP et CGLU Le congrès fondateur de CGLU a eu lieu en mai 2004, à Paris. La nouvelle organisation mondiale est présente aujourd'hui dans 120 pays. Elle regroupe les associations de pouvoirs locaux de ce pays et plus de 1000 villes membres individuels. A travers CGLU, les pouvoirs locaux du monde défendent les valeurs de la démocratie et de l’autonomie locale, de la solidarité et de la coopération décentralisée, ainsi que leur rôle dans la gouvernance mondiale. La contribution des villes à la gouvernance mondiale est essentielle : c’est au niveau local que les Objectifs du Millénaire - réduire la pauvreté, faciliter l’accès au logement, à l’éducation, à la santé et aux services essentiels- doivent se concrétiser. Nous avons pertinemment signalé, que sans une participation active des villes, les Etats ne pourront pas atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés, notamment de réduire la pauvreté dans le monde d’ici à 2015. Dans le cadre de l’activité permanente de notre organisation pour la défense du rôle des autorités locales dans la gouvernance mondiale, les métropoles sont aux premiers rangs. Dans notre organisation, deux grands réseaux travaillent sur le thème des métropoles, le FALP et Métropolis, qui regroupe 80 des plus grandes métropoles du monde. Nous devons encore renforcer le dialogue entre le « centre » et la périphérie des Métropoles. Pendant ce colloque, il a beaucoup été question des tensions entre le centre et la périphérie, bien que le concept de métropole soit très divers. La croissance des métropoles crée de nouvelles formes de segmentations, des fractures ou des hiérarchisations, mais la notion de centre/périphérie n’est pas la même en Europe et dans d’autres régions du monde. Par exemple, en Asie, la notion de centre n’est pas toujours pertinente. Tout en respectant le message politique que vous envoyez en utilisant le terme de villes de la périphérie, il convient de travailler à la définition même de votre réseau. Le problème du partage du pouvoir a été au centre de vos discussions. CCLU est un espace privilégié pour développer le dialogue nécessaire sur les modalités de la gouvernance urbaine, sur la solidarité et les relations entre pouvoirs locaux nécessaires au développement des grandes métropoles. Dans ce domaine, les élus locaux doivent se servir de CGLU pour faire émerger ou évoluer les formes de la gouvernance urbaine, pour renforcer la représentation démocratique des citoyens. Ce débat doit être développé entre Métropolis et le FALP. Il convient également de mener un travail pédagogique entre les élus locaux pour faire évoluer les questions de distribution de ressources et de fiscalité locale. Il s’agit aussi d’utiliser CGLU pour développer ce débat entre élus locaux, Etats et décideurs économiques. La gouvernance urbaine requiert une redistribution de moyens entre les territoires. Ensemble nous pouvons faire pression sur les Etats, pour renforcer les moyens disponibles pour le développement des villes. Vos réflexions ont aussi porté sur la relation entre les pouvoirs locaux et nos communautés. La question des droits de l’homme dans nos villes a déjà été un des thèmes de débat du Congrès fondateur de CGLU. Il convient donc de faire en sorte que la Charte européenne des droits de l’homme dans les villes devienne véritablement internationale. J’attire l’attention sur les initiatives de l’UNESCO dans ce domaine. Nous serons plus forts si nous unissons nos efforts, par exemple autour de la Charte européenne des droits de l’homme dans les villes. Nous avons aussi besoin de collaboration autour du respect des différences culturelles et de la construction de la paix au niveau international. Ensemble nous pouvons faire évoluer les institutions internationales, pour contribuer à la réforme du système. Les grandes métropoles ont un rôle important à jouer dans cette action internationale. Nous espérons que le travail du FALP contribue à enrichir le débat au sein de CGLU et à renforcer l’organisation mondiale

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Jacques NIKONOFF – Président d’ATTAC

Un devoir de vérité J’interviens au titre de militant altermondialiste à ATTAC et au titre d’individu périphérique, ayant vécu durant 23 ans à la Courneuve, dans la cité des 4 000 logements. La question principale est la question libérale. Elle a été évoquée à l’instant par le RDP (La Rage du Peuple), association qui présente la mondialisation comme une nouvelle colonisation. En effet, tel est le cas. La mondialisation correspond à une tentative de colonisation par le capitalisme anglo-saxon. Le libéralisme et la mondialisation se confondent. La mondialisation est une stratégie politique qui vise notamment à réorganiser le travail à l’échelle mondiale. Par contrecoup, la question principale est celle du chômage et de la précarité. Il convient de distinguer le non-emploi, le sous-emploi et le mal-emploi. Le non-emploi correspond au chômage brutal. Le sous-emploi est la précarité organisée, dont atteste par exemple actuellement le Contrat première embauche (CPE). Les villes de périphérie subissent le chômage davantage que les autres et elles seront présentes lors des manifestations du 7 mars. Par ailleurs, il existe le mal-emploi, avec la souffrance au travail qui explose dans de nombreuses entreprises. La question de l’emploi et de la précarité est essentielle car c’est en son cœur que se construit le nouveau pouvoir des élites mondialisées, c'est-à-dire les firmes multinationales. Il faut dire la vérité aux jeunes : avec les politiques libérales, ils n’auront jamais d’emploi. La croissance économique n’aura jamais d’impacts significatifs sur l’emploi des jeunes peu ou non qualifiés. En effet, la question de l’emploi n’est pas économique mais politique, ce qui signifie qu’existent des solutions politiques. Paradoxalement, cette prise de conscience est source d’espoir. Il faut re-politiser la société. Tous les problèmes nécessitent d’abord de répondre au problème de l’emploi. Je peux vous citer des exemples tirés de la cité des 4 000, qui se vérifient dans bien d’autres pays. A la Courneuve existait le plein emploi, au début des années 1970. De nombreuses entreprises ont fermé ou réduit considérablement leurs effectifs. De petites entreprises ont aussi disparu avec le départ des grandes entreprises. Ces emplois qui ont disparu dans les villes de périphérie n’ont pas été remplacés. Ils sont parfois remplacés par des immeubles de bureaux, occupés par des salariés de l’extérieur. A la Courneuve, les jeunes fréquentaient le collège d’enseignement technique et devenaient chaudronniers, tourneurs, fraiseurs, ajusteurs ou dessinateurs industriels pour les meilleurs. Ils trouvaient tous un emploi et évoluaient dans leur carrière professionnelle, jusqu’à devenir PHQ. Ceux qui sortaient des classes de fin d’études trouvaient aussi un emploi d’OS ou de manœuvre. Où vont aujourd’hui travailler ces jeunes peu ou non qualifiés ? En aucun cas ils ne pourront travailler dans les bureaux, compte tenu du niveau de recrutement requis. La création d’entreprises peut résoudre des problèmes individuels mais non le problème social du chômage. Les emplois aidés ne peuvent pas davantage résoudre le problème dans son ensemble, pas plus que la politique de baisse des cotisations sociales patronales. Nous avons à faire face à ce devoir de vérité, nécessaire pour contribuer à la prise de conscience. Je vous propose les 5 pistes de réflexion suivantes : Continuer à politiser le débat et la population

Il convient tout d’abord de faire comprendre les causes politiques du chômage. Il s’agit aussi de s’interroger sur le rôle des collectivités locales vis-à-vis des privatisations.

Rejeter la concurrence entre les territoires Les politiques libérales essaient de transformer les collectivités publiques en marchandises. La concurrence se développe avec le dumping fiscal, alors que les villes devraient coopérer. Dans le cas contraire, les élus vont devenir des VRP.

Promouvoir les services publics Il convient de défendre les services publics, mais aussi d’en créer de nouveaux. Des besoins restent effectivement sans réponse, comme dans le domaine du logement, de l’environnement, de l’eau, de

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la petite enfance ou de la jeunesse. Les collectivités locales peuvent se regrouper pour créer des services publics intercommunaux, à l’échelle intercommunale.

Dénoncer la fin du travail Le travail répond à des besoins. Or il existe des besoins immenses de qualité de la vie, dans les villes de périphérie. C’est pour répondre à ces besoins qu’il faut créer des emplois, et non simplement pour fabriquer des objets que l’on va accumuler incessamment.

Développer les alliances entre habitants, associations, élus et syndicats Ces alliances nouvelles peuvent prendre la forme des forums sociaux, qui se sont beaucoup développé au niveau local, continental et mondial. Il s’agirait aussi de créer un forum social national. Cette absence est étrange. Elle n’existe pas dans d’autres pays. Il s’agit aussi d’un axe pour faire entendre la voix des villes de périphérie.

Les événements de novembre 2005 dans les banlieues rendent la re-politisation encore plus nécessaire. Peut-être nous dirigeons-nous vers un réseau de collectivités publiques altermondialistes, qui entreront en tant que telles dans le mouvement altermondialiste.

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