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°moult Plus encore que l' « Histoire de la folie » ou « Surveiller et Punir », « Histoire de la sexualité » -- dont seul le premier des cinq tomes est paru (*) — a reçu un accueil passionné. Certes, l'ceuvre de Michel Foucault, profes- seur au Collège de France et chef de file de toute une génération de jeunes philosophes, gagne sans cesse en aüdience. Mais c'est ailleurs aussi qu'il faut chercher les raisons d'un tel accueil : après avoir démonté les méca- nismes du pouvoir et dénoncé tant de répressions, Fou- cault s'attaque cette fois aux idées reçues concernant cette liberté sexuelle que nous serions les premiers à avoir conquise. Selon lui, loin de nier le sexe, nos socié- tés n'ont pas cessé de parler de la sexualité, de la faire parler, et le pouvoir qui la régissait dans le passé portait avec lui autant de curiosité que d'interdit... Si contrainte il y a aujourd'hui, elle jouerait plutôt dans le sens du « toujours plus de sexe » que dans celui de l' « anti- sexe ». Il s'en est expliqué avec Bernard-Henri Lévy. (*) Chez Gallimard. LE DOCUMENT DE LA SEMAINE 92 Samedi 12 mare 1977

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°moult

Plus encore que l' « Histoire de la folie » ou « Surveilleret Punir », « Histoire de la sexualité » -- dont seul lepremier des cinq tomes est paru (*) — a reçu un accueilpassionné. Certes, l'ceuvre de Michel Foucault, profes-seur au Collège de France et chef de file de toute unegénération de jeunes philosophes, gagne sans cesse enaüdience. Mais c'est ailleurs aussi qu'il faut chercher lesraisons d'un tel accueil : après avoir démonté les méca-nismes du pouvoir et dénoncé tant de répressions, Fou-cault s'attaque cette fois aux idées reçues concernantcette liberté sexuelle que nous serions les premiers àavoir conquise. Selon lui, loin de nier le sexe, nos socié-tés n'ont pas cessé de parler de la sexualité, de la faireparler, et le pouvoir qui la régissait dans le passé portaitavec lui autant de curiosité que d'interdit... Si contrainteil y a aujourd'hui, elle jouerait plutôt dans le sens du« toujours plus de sexe » que dans celui de l' « anti-sexe ». Il s'en est expliqué avec Bernard-Henri Lévy.

(*) Chez Gallimard.

LE DOCUMENT DE LA SEMAINE

92 Samedi 12 mare 1977

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Non au sexe roi• Vous inaugurez avec « la Volonté de sa-voir » une histoire de la sexualité qui s'an-nonce monumentale. Qu'est-ce qui justifie au-jourd'hui, pour vous, Michel Foucault, uneentreprise d'une telle ampleur ?

MICHEL FOUCAULT. - D'une telle ampleur ?Non, non, d'une telle exiguïté plutôt. Je ne veuxpas faire la chronique des comportementssexuels à travers les âges et les civilisations. Jeveux suivre un fil beaucoup plus ténu : celuiqui, pendant tant de siècles, a lié, dans nossociétés, le sexe et la recherche de la vérité.

En quel sens, précisément ?M. F. — Le problème est en fait celui-ci :

comment se fait-il que, dans une société commela nôtre, la sexualité ne soit pas simplement cequi permet de reproduire l'espèce, la famille,les individus ? Pas simplement quelque chosequi procure du plaisir et de la jouissance ?Comment se fait-il qu'elle ait été considéréecomme le lieu privilégié où se lit, où se ditnotre e vérité profonde ? Car c'est l'essen-tiel: depuis le christianisme, l'Occident n'acessé de dire : « Pour savoir qui tu es, sachece qu'il en est de ton sexe. Le sexe a toujoursété le foyer où se noue, en même temps quele devenir de notre espèce, notre « vérité » desujet humain. .

La confession, l'examen de conscience, touteune insistance sur les secrets et l'importance dela chair n'ont pas été seulement un moyend'interdire le sexe ou de le repousser au plusloin de la conscience, c'était une manière deplacer la sexualité au coeur de l'existence et delier le salut à la maîtrise de ses mouvementsobscurs. Le sexe a été, dans les sociétés chré-tiennes, ce qu'il a fallu examiner, surveiller,avouer, transformer en discours.

D'où la thèse paradoxale qui soutient ce pre-mier tome : loin d'en faire leur tabou, leurinterdit majeur, nos sociétés n'ont pas cesséde parler de la sexualité, de la faire parler—

M. F. — On pourrait très bien parler de lasexualité, et beaucoup, mais seulement pourl'interdire.

Mais j'ai voulu souligner deux choses impor-tantes. D'abord que la mise en lumière, « enéclair », de la sexualité ne s'est pas faite seule-ment dans les discours mais dans la réalité desinstitutions et des pratiques.

Ensuite que les interdits existent nombreux,et forts. Mais qu'ils font partie d'une économiecomplexe où ils côtoient des incitations, desmanifestations, des valorisations. Ce sont lesprohibitions qu'on souligne toujours. Je vou-drais faire un peu tourner le décor ; saisir entout cas l'ensemble des dispositifs.

Et puis vous savez bien qu'on a fait de moil'historien mélancolique des interdits et du pou-voir répressif, quelqu'un qui raconte toujoursdes histoires à deux termes : la folie et sonenfermement, l'anomalie et son exclusion, ladélinquance et son emprisonnement. Or monproblème a toujours été du côté d'un autreterme : la vérité. Comment le pouvoir quis'exerce sur la folie a-t-il produit le discours« vrai » de la psychiatrie ? Même chose pourla sexualité : ressaisir la volonté de savoir oùs'est engagé le pouvoir sur le sexe. Je ne veuxpas faire la sociologie historique d'un interditmais l'histoire politique d'une production de« vérité ».Une nouvelle révolution dans le conceptd'histoire ? L'aurore d'une autre « nouvellehistoire » ?

M. F. — Les historiens, il y a des années,ont été très fiers de découvrir qu'ils pouvaientfaire non seulement l'histoire des batailles, desrois et des institutions mais celle de l'économie.Les voilà tout éberlués parce que les plus ma-lins d'entre eux leur ont appris qu'on pouvaitfaire aussi l'histoire des sentiments, des compor-tements, des corps. Que l'histoire de l'Occidentne soit pas dissociable de la manière dont la« vérité » est produite et inscrit ses effets, ilsle comprendront bientôt. L'esprit vient bien auxfilles.

Nous vivons dans une société qui marche engrande partie à la vérité » — je veux dire quiproduit et fait circuler du discours ayant fonc-tion de vérité, passant pour tel et détenant parlà des pouvoirs spécifiques. La mise en placede discours « vrais » (et qui d'ailleurs changentsans cesse) est un des problèmes fondamentauxde l'Occident, L'histoire de la « vérité » — dupouvoir propre aux discours acceptés commevrais — est entièrement à faire.

Quels sont les mécanismes positifs qui, pro-duisant la sexualité sur tel ou tel mode, entraî-nent des effets de misère ?

En tout cas, ce que je voudrais étudier,Suite page 95

Le Nouvel Observateur 93

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Suite de la page 93.pour ma part, ce sont tous ces mécanismesqui, dans notre société, invitent, incitent,contraignent à parler du sexe.

D'aucuns vous répondraient que, malgré cettemise en discours, la répression, la misèresexuelle, cela existe aussi...

M. F. — Oui, l'objection m'a été faite.Vous avez raison : nous vivons tous plus oumoins dans un cet état de misère sexuelle.Cela dit, il est exact qu'il n'est jamais questionde ce vécu-là dans mon livre...

Pourquoi ? Est-ce un choix délibéré ?

M. F. — Quand j'aborderai, dans les vo-lumes suivants, les études concrètes — à pro-pos des femmes, des enfants, des pervers —,j'essaierai d'analyser les formes et les condi-tions de cette misère. Mais, pour l'instant, ils'agit de fixer la méthode. Le problème estde savoir si cette misère doit être expliquéenégativement par un interdit fondamental oupar une prohibition relatiye à une situation éco-nomique (« Travaillez, ne faites pas l'amour ») ;ou si elle n'est pas l'effet de procédures beau-coup plus complexes et beaucoup plus posi-tives.

Que pourrait être dans ce cas une explication« positive » ?

M. F. — Je vais faire une comparaison pré-somptueuse. Qu'a fait Marx quand, dans sonanalyse du capital, il a rencontré le problèmede la misère ouvrière ? Il a refusé l'explicationhabituelle, qui faisait de cette misère l'effetd'une rareté naturelle ou d'un vol concerté.Et il a dit en substance : étant donné cequ'est, dans ses lois fondamentales, la produc-tion capitaliste, elle ne peut pas ne pas pro-duire de la misère. Le capitalisme n'a paspour raison d'être d'affamer les travailleursmais il ne peut se développer sans les affamer.Marx a substitué l'analyse de la production àla dénonciation du vol.

Mutatis mutandis, c'est un peu cela quej'ai voulu faire. Il ne s'agit pas de nier lamisère sexuelle mais il ne s'agit pas non plusde l'expliquer négativement par une répres-sion. Tout le problème est de saisir quels sontles mécanismes positifs qui, produisant lasexualité sur tel ou tel mode, entraînent deseffets de misère.

Un exemple que je traiterai dans un prochainvolume : au début du xvine siècle, on accordesoudain une importance énorme à la mastur-bation enfantine, qu'on persécute partoutcomme une épidémie soudaine, terrible, suscep-tible de compromettre toute l'espèce humaine.

Faut-il admettre que la masturbation desenfants était soudain devenue inacceptable pourune société capitaliste en voie de développe-ment ? C'est l'hypothèse de certains « rei-chiens » récents. Elle ne me paraît guère satis-faisante.

En revanche, ce qui était important à l'épo-que, c'était la réorganisation des rapports entreenfants et adultes, parents, éducateurs, c'étaitune intensification des rapports intra-familiaux,c'était l'enfance devenue un enjeu communpour les parents, les institutions éducatives, lesinstances d'hygiène publique, c'était l'enfancecomme pépinière pour les populations à venir.Au carrefour du corps et de l'âme, de la santéet de la morale, de l'éducation et du dressage,le sexe des enfants est devenu à la fois une

cible et un instrument de pouvoir. On a consti-tué une « sexualité des enfants » spécifique,précaire, dangereuse, à surveiller constamment.

De là une misère sexuelle de l'enfance et del'adolescence dont nos générations n'ont pasencore été affranchies, mais le but recherchén'était pas cette misère ; l'objectif n'était pasd'interdire. Il était de constituer, à travers lasexualité enfantine, devenue soudain importanteet mystérieuse, un réseau .de pouvoir sur l'en-fance.

Cette idée que la misère sexuelle vient de larépression, cette idée que, pour être heureux,il faut libérer nos sexualités, c'est au fond celledes sexologues, des médecins et des policiersdu sexe...

M. F. — Oui, et c'est pourquoi ils nous ten-dent un piège redoutable. Ils nous disent à peuprès : « Vous avez une sexualité, cette sexualitéest à la fois frustrée et muette, d'hypocritesinterdits la répriment. Alors, venez à nous,dites-nous, montrez-nous tout ça, confiez-nousvos malheureux secrets... »

Ce type de discours est, en fait, un formi-dable outil de contrôle et de pouvoir. Il se sert,comme toujours, de ce que disent les gens, dece qu'ils ressentent, de ce qu'ils espèrent. Ilexploite leur tentation de croire qu'il suffit,pour être heureux, de franchir le seuil du dis-cours et de lever quelques interdits. Et il abou-tit en fait à rabattre et à quadriller les mou-vements de révolte et de libération...

D'où, je suppose, le malentendu de certainscommentateurs : « Selon Foucault, répressionet libération du sexe, cela revient au même.... »Ou encore : « Le M.L.A.C. et Laissez-les vivre,c'est au fond le même discours... »

M. F. — Oui ! Sur ce point, il faut tout demême clarifier les choses. On m'a fait direeffectivement qu'entre le langage de la cen-sure et celui de la contre-censure, entre le dis-cours des pères-la-pudeur et celui de la libéra-tion du sexe, il n'y a pas de vraie différence.On a prétendu que je les mettais dans le mêmesac pour les noyer comme une portée de petitschats. Radicalement faux : ce n'est pas ce quej'ai voulu dire. D'ailleurs, l'important, c'est queje ne l'ai pas du tout dit.

Vous convenez tout de même qu'il y a des élé-ments, des énoncés communs...

M. F. — Mais une chose est l'énoncé, uneautre le discours. Il y a des éléments tactiquescommuns et des stratégies adverses.

Par exemple ?M. F. — Les mouvements dits de « libéra-

tion sexuelle » doivent être compris, je crois,comme des mouvements d'affirmation « à par-tir » de la sexualité. Ce qui veut dire deuxchoses : ce sont des mouvements qui partentde la sexualité, du dispositif de sexualité àl'intérieur duquel nous sommes pris, qui le fontfonctionner jusqu'à la limite ; mais, en mêmetemps, ils se déplacent par rapport à lui, s'endégagent et le débordent.

A quoi ressemblent ces débordements ?M. F. — Prenez le cas de l'homosexualité.

C'est vers les années 1870 que les psychiatresont commencé à en faire une analyse médicale :point de départ, c'est certain, pour toute unesérie d'interventions et de contrôles nouveaux.

On commence soit à interner les homosexuelsSuite page 98

LE DOCUMENT DE LA SEMAINE

Il ne s'agit pas de nier la misèremais il ne s'agit pas non plus de l'expliquernégativement par une répression

Le Nouvel Observateur 95

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98 Samedi 12 mars 1977

LE DOCUMENT DE LA SEMAINE

On a longtemps ditaux femmes : « Vous êtes la

maladie de l'homme »

Suite de la page 95.dans les asiles, soit à entreprendre de les soi-gner. On les percevait autrefois comme deslibertins et parfois comme des délinquants (delà des condamnations qui pouvaient être fortsévères -- le feu parfois encore au xvure siècle— mais qui étaient forcément rares). Désormaison va tous les percevoir dans une parenté glo-bale avec les fous, comme des malades de l'ins-tinct sexuel. Mais, prenant au pied de la lettrede pareils discours et, par là même, les contour-nant, on voit apparaître des réponses en formede défi : soit, nous sommes ce que vous dites,par nature, maladie ou perversion, comme vousvoudrez. Eh bien, si nous le sommes, soyons-leet si vous voulez savoir ce que nous sommes,nous vous le dirons nous-mêmes mieux quevous. Toute une littérature de l'homosexualité,très différente des récits libertins, apparaît à lafin du xrx' siècle : songez à Wilde ou àGide. C'est le retournement stratégique d'une« même » volonté de vérité.

C'est ce qui se passe en fait pour toutes lesminorités, les femmes, les jeunes, les Noirsaméricains...

M. F. — Oui, bien sûr. On a essayé long-temps d'épingler les femmes à leur sexualité.a Vous n'êtes rien d'autre que votre sexe », leurdisait-on depuis des siècles. Et ce sexe, ajou-taient les médecins, est fragile, presque tou-jours malade et toujours inducteur de maladie.« Vous êtes la maladie de l'homme. » Et cemouvement très ancien s'est précipité vers lexvnr siècle, aboutissant à une pathologisationde la femme : le corps de la femme devientchose médicale par excellence. J'essaierai plustard de faire l'histoire de cette immense « gyné-cologie » au sens large du terme.

Or les mouvements féministes ont relevé ledéfi. Sexe nous sommes par nature ? Eh bien,soyons-le mais dans sa singularité, dans sa spé-cificité irréductibles. Tirons-en les conséquenceset réinventons notre propre type d'existence,politique, économique, culturelle... Toujours lemême mouvement : partir de cette sexualitédans laquelle on veut les coloniser et la tra-verser pour aller vers d'autres affirmations.

Cette stratégie que vous décrivez, cette straté-gie à double détente, est-ce encore au sens clas-sique une stratégie de libération ? Ou ne faut-il pas dire plutôt que libérer le sexe, c'est désor-mais le haïr et le dépasser ?

M. F. — Un mouvement se dessine aujour-d'hui qui me paraît remonter la pente du « tou-jours plus de sexe », du « toujours plus devérité dans le sexe » à laquelle des sièclesnous avaient voués : il s'agit, je ne dis pas de« redécouvrir » mais bel et bien de fabriquerd'autres formes de plaisirs, de relations, decoexistences, de liens, d'amours, d'intensités.J'ai l'impression d'entendre actuellement ungrondement « anti-sexo » (je ne suis pas pro-phète, tout au plus un diagnosticien), commesi un effort se faisait en profondeur pour se-couer cette grande « sexographie » qui nousfait déchiffrer le sexe comme l'universel secret.

Des signes, pour ce diagnostic ?M. F. — Seulement une anecdote. Un jeune

écrivain, Hervé Guibert, avait écrit des contespour enfants : aucun éditeur n'en avait voulu.Il écrit un autre texte, d'ailleurs très remar-quable et d'apparence très « sexo ». C'était la

Suite page 100.

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LE DOCUMENT DE LA SEMAINE

Un défi « anti-sexo »pour en finir avec la

monarchie du sexe

Suite de la page 98.condition pour se faire écouter et éditer. Levoilà donc publié (il s'agit de « la Mort Pro-pagande »). Lisez-le : il me semble que c'est lecontraire de cette écriture sexographique quia été la loi de la pornographie et parfois dela bonne littérature : aller progressivement jus-qu'à nommer du sexe ce qu'il y a de plus in-nommable. Hervé Guibert prend d'entrée de jeule pire et l'extrême — e Vous voulez qu'on enparle, eh bien, allons-y et vous en entendrez plusque vous n'en avez entendu » —, et avec l'in-fâme matériau il construit des corps, des mi-rages, des châteaux, des fusions, des tendresses,des races, des ivresses ; tout le lourd coefficientdu sexe s'est volatilisé. Mais ce n'est là qu'unexemple du défi « anti-sexo » dont on trouve-rait bien d'autres signes. C'est peut-être la finde ce morne désert de la sexualité, la fin de lamonarchie du sexe.

A condition que nous ne soyons pas voués,chevillés au sexe comme à une fatalité. Etcela depuis l'enfance, comme on dit...

M. F. — Justement, regardez ce qui se passeà propos des enfants. On dit : la vie des enfants,c'est leur vie sexuelle. Du biberon à la puberté,il n'est question que de cela. Derrière le désird'apprendre à lire ou le goût pour les bandesdessinées, il y a encore et toujours la sexualité.Eh bien, êtes-vous sûr que ce type de discourssoit effectivement libérateur ? Etes-vous sûr qu'iln'enferme pas les enfants dans une sorte d'in-sularité sexuelle ? Et s'ils s'en fichaient aprèstout ? Si la liberté de ne pas être adulte consis-tait justement à ne pas être asservi à la loi, auprincipe, au lieu commun, si ennuyeux finale-ment, de la sexualité ? S'il pouvait y avoir auxchoses, aux gens, aux corps des rapports poly-morphes, ne serait-ce pas cela l'enfance ? Cepolymorphisme, les adultes, pour se rassurer,l'appellent perversité, le colorant ainsi du ca-maïeu monotone de leur propre sexe.

L'enfant est opprimé par ceux-là mêmes quiprétendent le libérer ?

M. F. — Lisez le livre de Schérer et Hoc-quenghem : il montre bien que l'enfant a unrégime de plaisir pour lequel la grille « sexo »constitue une véritable prison.

C'est un paradoxe ?M. F. — Cela découle de l'idée que la sexua-

lité n'est pas fondamentalement ce dont le pou-voir a peur ; mais qu'elle est sans doute biendavantage ce à travers quoi il s'exerce.

Voyez pourtant les Etats autoritaires : peut-ondire que le pouvoir s'y exerce non pas contremais à travers la sexualité ?

M. F. — Deux faits récents, apparemmentcontradictoires. Il y a dix-huit mois environ, laChine a commencé une campagne contre lamasturbation des enfants, exactement dans lestyle de ce qu'avait connu le xviii° siècle euro-péen (ça empêche de travailler, ça rend sourd,ça fait dégénérer l'espèce...). En revanche,avant la fin de l'année, l'U.R.S.S. va recevoir,pour la première fois, un congrès de psycha-nalystes (il faut bien qu'elle les reçoive puis-qu'elle n'en a pas chez elle). Libéralisation ?Dégel du côté de l'inconscient ? Printemps dela libido soviétique contre l'embourgeoisementmoral des Chinois ?

Dans les stupidités vieillottes de Pékin et lesnouvelles curiosités des Soviétiques, je vois sur-

Suite page 105

100 Samedi 12 mars 1977

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LE DOCUMENT DE LA SEMAINE

Craignons,craignons le socialisme à

visage sexuel

Suite de la page 100.tout la double reconnaissance du fait que, for-mulée et prohibée, dite et interdite,. la sexualitéest un relais dont nul système moderne de pou-voir ne peut se passer. Craignons, craignons lesocialisme à visage sexuel.

Le pouvoir, autrement dit, ce n'est plus néces-sairement ce qui censure et enferme ?

M. F. — D'une façon générale, je dirais quel'interdit, le refus, la prohibition, loin d'êtreles formes essentielles du pouvoir, n'en sontque les limites, les formes frustes ou extrêmes.Les relations de pouvoir sont, avant tout, pro-ductives.

C'est une idée neuve par rapport à vos livresantérieurs.

M. F. — Si je voulais prendre la pose et medraper dans une cohérence un peu fictive, jevous dirais que ça a toujours été mon pro-blème: effets de pouvoir et production de

vérité p. Je me suis toujours senti mal à l'aisedevant cette notion d'idéologie qui a été siutilisée ces dernières années. On s'en est servipour expliquer les erreurs, les illusions, lesreprésentations-écrans, bref, tout ce qui empê-che , de former des discours vrais. On s'en estservi aussi pour montrer le rapport entre cequi se passe dans la tête dès gens et leur placedans les rapports de production. En gros, l'éco-nomie du non-vrai. Mon problème, c'est lapolitique du vrai. J'ai mis longtemps à m'enrendre compte.

Pourquoi'?M. F. — Pour plusieurs raisons. D'abord

parce que le pouvoir en Occident, c'est ce quise montre le plus, donc ce qui se cache lemieux : ce qu'on appelle la « vie politique »,depuis le xix° siècle, c'est (un peu comme laCour à l'époque monarchique) la manière dontle pouvoir se donne en représentation. Ce n'estni là ni comme cela qu'il fonctionne. Les rela-tions de pouvoir sont peut-être parmi les chosesles plus cachées dans le corps social.

D'autre part, depuis le xixe siècle, la critiquede la société s'est faite, pour l'essentiel, à partirdu caractère effectivement déterminant de l'éco-nomie. Saine réduction du « politique », à coupsûr, mais tendance aussi à négliger les relationsde pouvoir élémentaires qui peuvent être consti-tuantes des rapports économiques.

Troisième raison : une tendance qui, elle, estcommune aux institutions, aux partis, à toutun courant de la pensée et de l'action révo-lutionnaires et qui consiste à ne voir le pouvoirque dans la forme et les appareils de l'Etat.

Ce qui conduit, quand on se tourne 'versles individus, à ne plus trouver le pouvoir quedans leur tête (sous forme de représentation,d'acceptation, ou d'intériorisation).

Et, en face de cela, vous avez voulu fainequoi ?

M. F. — Quatre choses : rechercher ce qu'ilpeut y avoir de plus caché dans les relationsde pouvoir ; les ressaisir jusque dans les infra-structures économiques ; les suivre dans leursformes non seulement étatiques mais infra-étatiques ou para-étatiques ; les retrouver dansleur jeu matériel.

A partir de quel moment avez-vous fait cegenre d'analyse ?

M. F. — Si vous voulez une référence livreS-Suite page 113

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Suite de la page 105.que, c'est dans « Surveiller et Punir ». J'aime-rais mieux dire que c'est à partir d'une séried'événements et d'expériences qu'on a pu fairedepuis 1968 à propos de la psychiatrie, la délin-quance, la scolarité, etc. Mais je crois que cesévénements eux-mêmes n'auraient jamais puprendre leur sens et leur intensité s'il n'y avaiteu derrière eux ces deux ombres gigantesquesqu'ont été le fascisme et le stalinisme. Si lamisère ouvrière — cette sous-existence — a faitpivoter la pensée politique du xixe siècle autourde l'économie, le fascisme et le stalinisme — cessur-pouvoirs — induisent l'inquiétude politiquede nos sociétés actuelles.

De là, deux problèmes : le pouvoir, ça marchecomment ? Suffit-il qu'il interdise fortementpour fonctionner réellement ? Et puis : est-cequ'il s'abat toujours de haut en bas et du centreà la périphérie ?

De fait, j'ai vu, dans « la Volonté de savoir »,ce déplacement, ce glissement essentiel : quevous rompez nettement cette fois avec un natu-ralisme diffus qui hantait vos livres précé-dents...

M. F. — Ce que vous appelez le « natura-lisme » désigne, je crois, deux choses. Une cer-taine théorie, l'idée que sous le pouvoir, sesviolences et ses artifices on doit retrouver leschoses mêmes dans leur vivacité primitive : der-rière les murs de l'asile, la spontanéité de lafolie ; à travers le système pénal, la fièvre géné-reuse de la délinquance ; sous l'interdit sexuel,la fraîcheur du désir. Et aussi un certain choixesthético-moral : le pouvoir, c'est mal, c'estlaid, c'est pauvre, stérile, monotone, mort ; etce sur quoi s'exerce le pouvoir, c'est bien, c'estbon, c'est riche.

Oui. Le thème finalement commun à la Vulgatemarxiste et au néo-gauchisme : « Sous les pa-vés, la plage. »

M. F. — Si vous voulez. Il y a des momentsoù ces simplifications sont nécessaires. Pour re-tourner de temps en temps le décor et passerdu pour au contre, un tel dualisme est provi-soirement utile.

Et puis vient le temps d'arrêt, le moment dela réflexion et du rééquilibrage ?

M. F. — Au contraire. Doit venir le momentde la nouvelle mobilité et du nouveau déplace-ment. Car ces renversements du pour au contrese bloquent vite, ne pouvant faire autre choseque se répéter et formant ce que Jacques Pan-cière appelle la « doxa gauchiste ». Dès lorsqu'on répète indéfiniment le même refrain dela chansonnette antirépressive, les choses restenten place et n'importe qui peut chanter le mêmeair sans qu'on y prête attention. Ce retourne-ment des valeurs et des vérités, dont je parlaistout à l'heure, a été important dans la mesureoù il n'en reste pas à de simples vivats '(vivela folie, vive la délinquance, vive le sexe) maisoù il permet de nouvelles stratégies. Voyez-vous, ce qui me gêne souvent aujourd'hui — àla limite, ce qui me fait de la peine —, c'estque tout ce travail fait depuis maintenant unequinzaine d'années, souvent dans la difficultéet parfois dans la solitude, ne fonctionne pluspour certains que comme signe d'appartenance :être du « bon côté », du côté de la folie, desenfants, de la délinquance, du sexe.

Il n'y a pas de bon côté ?M. F. — Il faut passer de l'autre côté — du

« bon côté » — mais pour essayer de se dé-prendre de ces: mécanismes qui font apparaîtredeux côtés, pour dissoudre la fausse unité, la« nature » illusoire de cet autre côté dont on apris le parti. C'est là que commence le vraitravail, celui de l'historien du présent.

Plusieurs fois déjà que vous vous définissezcomme « historien ». Qu'est-ce que cela signi-fie ? Pourquoi « historien » et non cc philo-sophe » ?

M. F. — Sous une forme aussi naïve qu'unefable pour enfants, je dirai que la question dela philosophie a longtemps été : « Dans ceInonde où tout périt, qu'est-ce qui ne passe pas?Que sommes-nous, nous qui devons mourir, parrapport à ce qui ne passe pas? » Il me sembleque, depuis le me siècle, la philosophie n'a pascessé de se rapprocher de la question : « Qu'est-ce qui se passe actuellement, et que sommes-nous, nous qui ne sommes peut-être rien d'au-tre et rien de plus que ce qui se passe actuel-lement ? » La question de la philosophie, c'estla question de ce présent qui est nous-mêmes.C'est pourquoi la philosophie aujourd'hui estentièrement politique et entièrement historienne.Elle est la politique immanente à l'histoire, elleest l'histoire indispensable à la politique.

N'y a-t-il pas aussi aujourd'hui un retour à laplus classique, à la plus métaphysicienne desphilosophies ?

M. F. — Je ne crois à aucune forme deretour. Je dirais seulement ceci, et un peu parjeu. La pensée des premiers siècles chrétiensavait eu à répondre à la question : « Qu'est-cequi se passe actuellement ? Qu'est-ce que cetemps qui est le nôtre ? Comment et quand sefera ce retour de Dieu qui nous est promis ?Que faire de ce temps qui est comme en trop ?Et que sommes-nous, nous qui sommes ce pas-sage ? »

On pourrait dire que sur ce versant de l'his-toire, où la révolution doit retenir et n'est pasencore venue, nous posons la même question :« Qui sommes-nous, nous qui sommes en trop,en ce temps où ne se passe pas ce qui devraitse passer ? » Toute la pensée moderne, commetoute la politique, a été commandée par laquestion de la révolution.

Cette question de la révolution, continuez-vous,pour votre part, de la poser et de la réfléchir ?Demeure-t-elle à vos yeux la question par ex-cellence ?

M. F. — Si la politique existe depuis le xix°siècle, c'est parce qu'il y a eu la Révolution.Celle-ci n'est pas une espèce, une région decelle-là. C'est la politique qui, toujours, se situepar rapport à la révolution. Quand Napoléondisait : « La _forme moderne du destin, c'est lapolitique », il ne faisait que tirer les consé-quences de cette vérité, car il venait après laRévolution et avant le retour éventuel d'uneautre.

Le retour de la révolution, c'est bien là notreproblème. Il est certain que, sans lui, la ques-tion du stalinisme ne serait qu'une questiond'école — simple problème d'organisation dessociétés ou de validité du schéma marxiste. Orc'est de bien autre chose qu'il s'agit, dans lestalinisme. Vous le savez bien : c'est la désira-bilité même de la révolution qui fait aujour-d'hui problème...

Désirez-vous la révolution ? Désirez-vous quel-Suite page 124 Ville •

LE DOCUMENT DE LA SEMAINE

Derrière les murs de l'asile, la spontanéité de la folie ;à travers le système. pénal, la fièvre généreuse de la délinquance ;

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Le Nouvel Observateur 113

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LE DOCUMENT DE LA SEMAINE

Dès lors qu'il y a unrapport de pouvoir, il y a une

possibilité de résistance

Suite de la page 113,que chose qui excède le simple devoir éthiquede lutter, ici et maintenant, aux côtés de telsou tels, fous et prisonniers, opprimés et misé-rables ?

M. F. — Je n'ai pas de réponse. Mais jecrois, si vous voulez, que faire de la politiqueautrement que politicienne, c'est essayer de sa-voir avec le plus d'honnêteté possible si la révo-lution est désirable. C'est explorer cette ter-rible taupinière où la politique risque de bas-culer.Si la révolution n'était plus désirable, la poli-tique demeurerait-elle ce que vous dites ?

M. F, — Non, je ne crois pas. Il faudrait eninventer une autre ou quelque chose qui sesubstituerait à elle. Nous vivons peut-être lafin de la politique. Car, s'il est vrai que la poli-tique est un champ qui a été ouvert par l'exis-tence de la révolution, et si la question de larévolution ne peut plus se poser en ces termes,alors la politique risque de disparaître.

Revenons à votre politique, celle que vousavez consignée dans « la Volonté de savoir ».Vous dites : Là où il y a du pouvoir, il y ade la résistance. » Ne ramenez-vous pas ainsicette nature que vous souhaitiez tout à l'heurecongédier ?

M. F. — Je ne pense pas, car cette résistancedont je parle n'est pas une substance. Ellen'est pas antérieure au pouvoir qu'elle contre.Elle lui est coextensive et absolument contem-poraine.L'image inversée du pouvoir ? Cela reviendraitau même. Les pavés sous la plage, toujours...

M. F. — Ce n'est pas cela non plus. Car, sielle n'était que cela, elle ne résisterait pas. Pourrésister, il faut qu'elle soit comme le pouvoir.Aussi inventive, aussi mobile, aussi productiveque lui. Que, comme lui, elle s'organise, secoagule et se cimente. Que, comme lui, ellevienne d' s en bas et se distribue stratégique-ment.

Là où il y a du pouvoir, il y a de la résis-ance », c'est presque une tautologie, par consé-

quent...M. F. — Absolument. Je ne pose pas une

substance de la résistance en face de la sub-stance du pouvoir. Je dis simplement dès lorsqu'il y a un rapport de pouvoir, il y a unepossibilité de résistance. Nous ne sommesjamais piégés par le pouvoir : on peut toujoursen modifier l'emprise, dans des conditions déter-minées et selon une stratégie précise.Pouvoir et résistance... Tactique et stratégie...Pourquoi ce fond de métaphores guerrières ?Pensez-vous que le pouvoir soit à penser désor-mais dans la forme de la guerre ?

M, F. — Je n'en sais trop rien pour Pins-tant. Une chose me paraît certaine, c'est que,pour analyser les rapports de pouvoir, nous nedisposons guère pour le moment que de deuxmodèles celui que nous propose le droit (lepouvoir comme loi, interdit, institution) et lemodèle guerrier ou stratégique en termes derapports de forces. Le premier a été fort uti-lisé et il a montré, je crois, son caractère ina-déquat: on sait bien que le droit ne décrit pasle pouvoir.

L'autre, je sais bien qu'on en parle beaucoupaussi. Mais on en reste aux mots : on utilise des

Suite page 130.

124 Samedi 12 mg 1977

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Je pense que lesintellectuels renoncent à leurvieille fonction prophétique.

Suite de la page 124.notions toutes faites, ou métaphores (e guerrede tous contre tous », e lutte pour la vie »); oùencore des schémas formels (les stratégies sonttrès à la mode chez certains sociOlogueséconomistes, surtout américains). Je crois qu'ilfaudrait essayer de resserrer cette analyse desrapports de forces.

Cette conception guerrière des rapports dupouvoir, elle était déjà citez les marxistes ?

M. F. — Ce qui me 'frappe, dans les ana-lyses marxistes, c'est qu'il est toujours questionde' e lutte des classes » mais qu'if y a un motdans l'expression auquel on prête moins atteil l

tion, c'est « lutte ». Là encore il faut. nuancez%Les plus grands d'entre les marxistes (à Com-mencer par Marx) ont beaucoup indsté suriesproblèmes « militaires » (année comme appareild'Etat, soulèvement artné, guerre révolution-naire). Mais, quand ils parlent dé elutte de Clas-ses comme ressort général de l'histoire; ilss'inquiètent surtout de 'savoir ce qu'est la.' classe,où elle se situe, qui elle englebe, jamais cequ'est concrètement la lutte. A une réserve prèsd'ailleurs : les textes non pas théoriqUes maishistoriques de Marx lui-Même qui sont autre-,ment plus fins.Pensez-vous que yofre livre puisse comblercette lacune ? • -

M. F. Je n'ai pas cette prétention. D'unefa9on générale, je pense que les intellectuels-- si cette catégorie existe ou si elle doit encoreexister, ce qui n'est pas certain, •ce qui n'edpeut-être pas souhaitable — renoncent à leurvieille fonction prophétique.

.Et, par-là, je ne pense pas seulementà leur prétention à dire ce qui va sé passer maisà la fonction de législateur à laquelle ils _Ontsi longtemps aspiré : « Voilà çe fautifairé,voilà ce qui est bien, suivez-moi: Dans l'agita=tion où vous êtes tous, voici le point fixe, c'estcelui où je suis. » Le sage grec, le prophète juifet le législateur romain sont toujours des mo-dèles qui hantent ceux qui, aujourd'hui, fOntprofession de parler et d'écrite. Je rêve del'intellectuel destructeur des évidence§ et desuniversalités, celui qui repère et indique 'dansles inerties et contraintes du présent les pnints,de faiblesse, les ouvertures, les lignes dé fore;celui qui, sans cesse, se déplace, ne sait pasau juste où il sera ni ce qu'il pensera demain,car il est trop attentif au présent; celui quicontribue, là où il est de passage, à poser laquestion de savoir si la révolutiOn, a vain lapeine, et laquelle (je veux dire quelle -révolutionet qUelle peine), étant entendu: que seuls peu:.vent y répondre ceux qui acceptent de risquerleur vie pour la faire. •

Quant à toutes les questions de - clasSementou de programme qu'on nous, pose : e Etes7vous marxiste?», e Que feriez-vous si vous aviezle pouvoir ? », e Quels sont vos alliés et VOS' ap-partenances? », ce sont dès questions sontvraiment secondaires pax rappért à celle que jeviens d'indiquer : car elle est la' question d'au-jourd'hui. ,ProprOs Tecueillis par

BERNARD-HENRI LEVY

Composition : Publications-Elysées, 91,. ayenue desChamps-glysées, 75008 - Paris"Imprimerie Paul-Dupont, 12, rue du Bac=d'Asnières,92 - Clichy.Directeur de la publication : Claude Perdrlel.Numéro d'enrègistrement à la commission paritaire58153.Diffusé par les N.M.P.P.

130 Samedi 12 mars 1977