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FRANCE AIRES MARINES PROTÉGÉES L’AVENIR DES OCÉANS · 2013. 11. 20. · Society depuis le naufrage accidentel de la Calypso, en 1996 – a quitté son port d’attache de Concarneau

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  • FRANCEFRANCE

    L’AVENIR

    AIRES MARINESMARINES

    PROTÉGÉES

    L’AVENIRDES OCÉANS

    SUPPLÉMENT RÉALISÉ EN COLLABORATION AVEC L’AGENCE DES AIRES MARINES PROTÉGÉES

    NGFRMER_0001 1 23/08/13 14:54

  • www.impac3.org

    Ressources, climat, bien-être : notre avenir dépend de la santé des océans.

    Objectif : multiplier par cinq la surface d’aires marines protégées d’ici 2020.

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  • « Ces gens ont un tel respect pour la mangrove que, malgré leur pauvreté,

    ils ne la surexploitent pas. »page 36

    Dans les Sundarbans, ces filets capturent les alevins de crevettes destinés à l’élevage.XAVIER DESMIER

    05 Actus Océan Atlantique, océan Pacifique, océan Indien : le point sur des aires marines protégées à travers le monde. 08 Méditerranée : vers une renaissance de la biodiversité Le navire scientifique Alcyone est retourné sur les traces du commandant Cousteau, dans les aires marines protégées. Celles-ci prouvent que l’écosystème est capable de se régénérer.

    18 Mers nourricières Les océans sont menacés, mais pourquoi devons- nous mieux les préserver ? Quels « services » nous rendent-ils ? Infographie.

    20 Le « dernier océan » sera-t-il protégé ? En Antarctique, des scientifiques luttent pour la protection de la mer de Ross, considérée comme l’ultime écosystème marin intact de la planète.

    28 Haïdar El Ali Bien avant de devenir ministre de la Pêche du Sénégal, il a créé en 2002 la toute première aire marine protégée au cœur du delta du Saloum.

    30 Les Florida Keys : un paradis en péril Le sanctuaire marin américain abrite des récifs coralliens exceptionnels. Et attire à la fois des scientifiques et des touristes. Pour le meilleur et parfois pour le pire.

    34 L’Iroise au naturel Interview de Philippe Le Niliot, adjoint au directeur du Parc naturel marin d’Iroise.

    36 Sundarbans : une mangrove en équilibre précaire Au Bangladesh, cet écosystème de marais maritime constitue un immense milieu protecteur et nourricier. Mais, malgré les mesures de soutien dont il bénéficie, sa survie est menacée.

    SOMMAIRE

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  • 4 national geo graphic

    Des raisons d’espérer Quand le commandant Cousteau commença à plonger

    en Méditerranée, près de Marseille, dans les années 1940,

    il n’imaginait pas que la moitié des récifs coralliens, des

    mangroves et des herbiers sous-marins qui font la richesse

    des eaux tropicales était vouée à disparaître en quelques

    décennies. Les grands bancs de thons,

    les requins et les nuages étincelants

    de petits poissons argentés sem-

    blaient inépuisables. Mais depuis,

    dans le monde entier, les populations

    de nombreux animaux marins ont

    chuté de 90 %. Certains ont entière-

    ment disparu. Il a suffi d’un instant, à

    l’échelle géologique, pour rayer des

    pans vitaux du cœur bleu de notre

    planète, que la vie avait mis 4 milliards

    d’années à façonner. Désormais, nous

    le savons : l’océan est vaste, résilient,

    mais pas indestructible.

    Il y a néanmoins de nombreuses raisons de rester

    optimiste, à commencer par les technologies

    qui nous ont permis des découvertes inouïes quant à notre

    propre place au sein des systèmes biologiques. Plus de

    90 % des océans restent inexplorés, en profondeur, sous

    leur partie éclairée. Nous en savons assez pour mesurer

    à quel point l’océan régit le fonctionnement de la planète :

    il régule le climat et les échanges chimiques à grande

    échelle, en générant de l’oxygène et en piégeant du

    dioxyde de carbone. Comme tous les êtres vivants, nous

    sommes finalement des créatures marines, reliées à

    l’océan par chaque bouffée d’oxygène, par chaque goutte

    d’eau que nous buvons. La principale ressource que

    nous devons à l’océan, c’est notre propre survie.

    « L’eau, aussi fluide que notre esprit… mère de toute vie, garante fragile de notre survie. » – J.-Y. Cousteau

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    Ambassadrice d’Impac3 et exploratrice de la National Geographic Society, Sylvia Earle a dirigé plus de 100 expéditions et accumulé 7 000 heures de plongée au service des océans.

    SYLVIA EARLE

    En couverture Dans une calanque des îles du Frioul, un pisciculteur prélève dans sa ferme des daurades royales certifiées biologiques.

    Photo : Frédéric Larrey/Biosphoto

    ÉDITO

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  • aire marine 5

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    L’aire du large La création de l’Aire marine protégée (AMP) de Charlie-Gibbs était un pari risqué. Avant sa concrétisation en 2010, on la disait même impossi-ble. Pourquoi ? Parce que la zone n’appartient à personne. Ou plutôt à tout le monde. Située au milieu de l’Atlantique Nord, cette aire de 325 000 km2 se trouve dans les eaux interna tionales. Un contexte particulier, propice aux difficultés lorsqu’il s’agit d’établir une réglementation et un accord communs. Finalement, l’AMP Charlie-Gibbs a pu voir le jour grâce à la convention OSPAR pour la protection de l’Atlantique Nord-Est, qui regroupe quinze gouvernements des côtes et îles occidentales d’Europe. Son objectif : protéger les ressources naturelles uniques et la biodiversité particulièrement riche qui se trouvent dans la zone dénommée Charlie-Gibbs. Ici se situe une gigantesque fracture dans la dorsale Nord-Atlantique, avec des reliefs sous-marins vertigineux : les fonds descendent jusqu’à 4 500 m et les monts sous-marins culminent entre 700 m et 800 m de profondeur. Ici aussi se rencontrent les eaux polaires et celles du Sud. Les chercheurs espèrent mieux comprendre la répartition et la structure des populations des abysses.

    Par Joséphine Lefevre

    De la famille des Borostomias,

    ce poisson doté d’un appendice bioluminescent vit entre 300 m

    et 2 600 m de profondeur.

    OCÉAN ATLANTIQUE

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    Acte de naissance En avril dernier, les îles du Prince-Édouard, en Afrique du Sud, sont venues gon�er le nombre d’aires marines protégées dans le monde. Pour la ministre sud-africaine de l’Eau et de l’Environnement, Edna Molewa, « cette nouvelle AMP contribuera à l’engagement national et international de l’Afrique du Sud envers la protection de la biodiversité ». Situées à près de 1 800 km à l’est du continent africain, ces deux îles inhabitées sont un lieu de reproduction pour les phoques, les manchots, les albatros et les pétrels. Leur classement vise aussi à rétablir la population de légine australe, un poisson succulent des eaux antarctiques souvent braconné.

    Une aire géante aux PhœnixClassée au patrimoine mondial de l’Unesco, l’Aire marine protégée des îles Phœnix (APIP), dans l’archipel des Kiribati, au beau milieu de l’océan Pacifique, est l’une des plus grandes au monde. Avec ses 408 250 km2 (quasiment la taille de la Californie !), elle dispose d’une biodiversité

    sous-marine exceptionnelle. Mais cette aire géante est également victime de la surpêche, de la pêche illégale et de la dégradation de ses monts marins. Afin d’intensifier sa protection, un plan de gestion de quatre ans a été lancé en 2010, en accord avec l’Unesco. Dans un premier temps, l’APIP a fermé à la pêche 3,12 % de sa surface. Une zone essentielle ment centrée sur les habitats menacés (lagunes, récifs coralliens…). Certains de ses 14 monts sous-marins

    seront aussi exclus des zones de pêche. Ces reliefs abritent un grand nombre d’espèces endémiques, propres à cet habitat. Toutefois, sur les 30 000 monts sous-marins qui existeraient dans le monde, seuls environ 150 d’entre eux ont été explorés. De par leurs ressources halieutiques, ces monts sont tout aussi impor-tants écologique ment qu’écono-mi quement. Aux Kiribati, le maintien des populations de thons dépend surtout de la préservation de ces milieux.

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  • aires marines protégées 7

    Les abysses à portée de tous

    Au cœur des îles Cocos, au large du Costa Rica, se trouve un concentré de technologie au service de la science. Long de 6 m et large de 3 m, avec une

    sphère acrylique offrant une vision à 360° : DeepSee est un submersible unique en son genre. Armé de caméras très haute définition et d’un bras articulé, le sous-marin permet de conduire des observations et des échantillonnages réguliers au cœur de l’aire marine protégée, jusqu’à 475 m de profondeur. Pour en faire profiter les scientifiques en mal de financement, ses exploitants ont trouvé une solution originale : « Certaines recherches sont basées sur la participation et le sponsoring des touristes qui, depuis 2005, peuvent s’offrir ce voyage », explique Avi Klapfer, p-dg du groupe Undersea Hunter qui exploite l’engin. L’université du Costa Rica peut utiliser gratuitement DeepSee pour ses recherches scientifiques dans l’AMP des îles Cocos. De leur côté, deux touristes (en plus du pilote) peuvent découvrir les abîmes de l’aire marine à chaque plongée.

    Le chaînon manquant Le personnel du Parc national de Monte León (Argentine) se battait depuis des années pour la création d’une aire marine protégée, au large de leur réserve : « L’un ne fonctionne pas sans l’autre. Toute une chaîne alimentaire lie les environne-ments marins et terrestres », explique Alejandro Valenzuela, un des employés du parc. Cette cause a été entendue en 2012 et 640 km2 de mer se sont ajoutés aux 620 km2 de terre qu’englobe le parc. Depuis, le suivi des populations est régulier. « Nous nous intéressons de près aux manchots de Magellan, note Alejandro Valenzuela, car ils sont un élément charnière de la chaîne alimentaire. En se nourrissant des poissons, ils en régulent la population. » Dans cette a�aire, même l’homme trouve son compte, puisque les pumas, autre espèce protégée du parc, se rassasient avec les manchots et sont moins tentés de s’attaquer aux troupeaux de moutons qui évoluent aux alentours du Parc national de Monte León.

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    MÉDITERRANÉE

    Quand les écosystèmes ne sont plus soumis au stress environnemental causé par l’activité humaine,

    leur reconstitution est presque toujours possible. Les réserves marines de la Mare nostrum prouvent, en seulement

    quelques dizaines d’années, que la mer peut être sauvée.

    DE EVA VAN DEN BERG

    PHOTOGRAPHIES DE ENRIC SALA

    VERS UNE RENAISSANCE DE LA

    BIODIVERSITÉ ?

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  • Dans les eaux de Ses Rates, un des îlots du Parc national maritime et terrestre de l’archipel de Cabrera, dans les îles Baléares, une dorade grise (Spondyliosoma cantharus) nage au-dessus du fond marin rocheux à la recherche d’algues et d’invertébrés dont elle se nourrit.

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  • 10 national geo graphic

    Ces constats n’ont rien de nouveau ; bien au contraire. Depuis des années, la communauté scienti�que met en garde contre la pression excessive que l’homme exerce sur ses ressources et ses écosystèmes. Il y a un demi-siècle, le commandant Jacques-Yves Cousteau, le célèbre océanographe, explorateur, inventeur et plon-geur français disparu en 1997, avait déjà tiré la sonnette d’alarme. Après des années de plon-gées dans des eaux qui exerçaient une grande fascination sur lui, il a commencé à déceler de graves problèmes écologiques qui l’ont conduit à prendre fermement position en faveur de mesures de protection.

    En 2010, pour commémorer le centenaire de la naissance du plongeur, le navire océanogra-phique Alcyone – vaisseau amiral de la Cousteau Society depuis le naufrage accidentel de la Calypso, en 1996 – a quitté son port d’attache de Concarneau pour rejoindre celui de Marseille. Objectif de sa mission : retourner sur quelques-uns des sites méditerranéens où cet homme aux multiples casquettes avait tourné des �lms sous-marins extraordinaires dès les années 1940.

     Notre mer est ancienne. Sur son rivage le plus oriental, elle a vu, il y a plus de 3 000 ans, les Phéniciens apprendre à construire des bateaux capables de naviguer en haute mer et partir explorer des rivages et territoires inconnus. Les Grecs et les Romains

    l’appelaient « la mer au milieu des terres ». Les Arabes, eux, l ’ont baptisée «  la mer inter-médiaire ». À cheval sur trois continents, son littoral – îles comprises – s’étire sur 46 000 km, et près de 130 millions de personnes peuplent actuellement ses rives. Ce chiffre s’élève à 500 millions si l’on compte tous les habitants des pays entourant le bassin. Si souvent appelée « berceau des civilisations », la Méditerranée a exercé pendant des milliers d’années – et exerce encore – une in�uence déterminante sur ceux qui vivent sur les terres baignées par ses eaux. Des millions d’individus survivent grâce aux ressources qu’ils en tirent, mais le développe-ment démographique et industriel de la ving-taine de pays concernés a entraîné la surexploitation de notre mer intérieure.

    La girelle paon (�alassoma pavo) est extrêmement active pendant la journée et se repose au coucher du soleil. Ce banc de poissons se nourrit dans les profondeurs de S’Espardell, îlot proche de Formentera (îles Baléares), capturant de petits mollusques ainsi que des crustacées et des échinodermes.

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  • aires marines protégées 11

    À bord de l’Alcyone, un équipage de premier ordre : Pierre-Yves Cousteau, le �ls cadet du commandant, une équipe composée de réali-sateurs et de caméramen de la chaîne National Geographic, et Enric Sala, écologiste marin et explorateur de National Geographic. Leur mission : réexaminer les habitats marins �lmés par Cousteau soixante-cinq ans auparavant, tourner de nouveaux films et comparer le monde sous-marin actuel avec celui d’hier. Le résultat a servi à formuler des propositions concrètes pour protéger la santé des écosys-tèmes de la mer Méditerranée sur le long terme. Et ceux-ci en ont bien besoin !

    les conclusions d’une étude e�ectuée par des chercheurs du Conseil supérieur de la recherche scienti�que (CSIC), de l’Institut des sciences de la mer, à Barcelone, ont montré que la biodiver-sité marine de la Méditerranée était l’une des plus menacées du monde. « De nombreux pro-blèmes mettent en péril les organismes qui vivent sous ses eaux, explique Marta Coll, bio-logiste marine et coordinatrice de l’étude. Parmi

    eux, la sur exploitation, la destruction de l’habi-tat, la contamination, l’augmentation de la température de surface de la mer due au réchauf-fement climatique, ainsi que l’arrivée d’une �opée d’espèces invasives. Nous en avons dénombré plus de 600 à ce jour ! » La plupart d’entre elles arrivent par le canal de Suez, transportées dans l’eau de ballast qui sert à stabiliser les navires. « Parmi elles, deux méduses, Mnemiopsis leidyi et Rhopilema nomadica, deux espèces invasives très nuisibles, ajoute-t-elle. Dans certaines régions de la Méditerranée orientale, en Israël par exemple, elles endommagent gravement les écosystèmes et nuisent à la pêche. » Un ensemble de facteurs qui esquissent un scénario écolo-gique inquiétant, non durable, et qui menace un grand nombre d’espèces.

    « Quand Jacques-Yves Cousteau a commencé à plonger dans ces eaux, il y a plus de soixante ans, il a vu des fonds marins intacts, avec des forêts d’algues et de posidonies en bonne santé, où les grands poissons abondaient, fait remar-quer Enric Sala, directeur scienti�que de l’ex-pédition. Aujourd’hui, ces forêts et prairies

    Dans la Réserve marine de Scandola, à l’ouest de la Corse, près de 200 mesures de protection ont favorisé le développement d’abondantes colonies de corail rouge sain (Corallium rubrum). L’espèce est exploitée depuis l’Antiquité, mais sa population est exceptionnelle ici.

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  • Lors d’une plongée, Pierre-Yves Cousteau prend des notes en observant les fonds marins de Cabrera. À côté de lui, un énorme mérou surgit d’une cavité dans la roche. Appartenant à une espèce solitaire, il semble perturbé par la présence des membres de National Geographic.

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  • 14 national geo graphic

    sous-marines sont fortement dégradées et sou-vent recouvertes d’une couche muqueuse d’al-gues et de bactéries �lamenteuses. » Lorsqu’il y a beaucoup de matières organiques en suspension, les algues se propagent, étou�ant les herbiers de posidonies jusqu’à ce que ceux-ci disparaissent et, avec eux, toutes les espèces qu’ils abritent.

    Un grand nombre de zones non protégées sont ainsi devenues de vastes étendues arides. Rien n’y rappelle la biodiversité filmée par Cousteau. Dans les zones protégées, en revanche, la biodi-versité a pu se reconstituer. Pour Pierre-Yves Cousteau, plonger en Méditerranée a été une expérience extraordinaire. « Les aires marines bien gérées sont des oasis de vie dans une mer en train de mourir, souligne-t-il. Nous devrions être reconnaissants envers ceux qui, il y a dix, vingt ou trente ans, ont décidé de protéger ces zones : elles sont à présent un modèle de ce que la vie sous-marine était à l’époque. »

    Bien que la Mare nostrum soit l’une des mers les plus riches en biodiversité au monde, « seuls 4,6 % de ses eaux sont pro tégés », souligne Enric Sala, qui con�rme qu’il reste encore beaucoup à

    faire. «  Il faudrait qu’au moins 10  % de la Méditerranée soit sous protection, et cela ne su�rait même pas : la communauté scienti�que recommande d’atteindre 20 %. »

    en 2012, 677 aires marines et côtières protégées méditerranéennes étaient recensées, avec une surface en augmentation de 7 % par rapport à 2008. Leur progression est notamment suivie par le réseau MedPAN (Mediterranean Protected Areas Network, qui représente des gestionnaires d’AMP de dix-huit pays), et par les vingt et un pays signataires de la Convention de Barcelone, dédiée à la protection du milieu marin en Méditerranée. La plupart des AMP de la Grande Bleue se concentrent près des côtes. Pour équilibrer leur distribution, la Convention de Barcelone encourage aussi depuis 1999 la création d ’aires spécialement protégées (ASPIM) en mer ouverte (voir carte p 16), impli-quant une coopération transfrontalière.

    Dans la même optique, Enric Sala et Frédéric Briand, directeur général de la Commission internationale pour l’exploration scienti�que de

    L’Alcylone (ici, au mouillage en Corse) est équipé de ses deux turbovoiles de 10 m de haut et de 21 m2 de surface exposée. Ce système de propulsion innovant a été mis au point par Cousteau et son équipe dans les années 1980. Il permet une économie de 35 % de carburant.

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  • aires marines protégées 15

    la mer Méditerranée (CIESM), proposaient, dès 2010, la création de huit parcs marins interna-tionaux (dits « parcs de la paix »). « Les zones concernées comprennent des aires côtières et des eaux internationales, ce qui permettrait une gestion et une protection harmonisées d’habi-tats marins interconnectés », s’enthousiasme Frédéric Briand. L’instauration de ces parcs préserverait 15 % de la Méditerranée.

    L’Alcyone a mis le cap sur la Réserve naturelle de Scandola, créée en 1975 sur la côte ouest de la Corse et inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, avec le Parc naturel régio-nal de Corse, en 1983. « Alors qu’à Marseille les

    fonds marins sont pauvres, à Scandola il est manifeste qu’après des années de protection les espèces se sont reconstituées et l’écosystème est stable, se réjouit Enric Sala. Les colonies de corail rouge, les araignées de mer et les forêts d’algues brunes sont quelques-unes des espèces les plus emblématiques. »

    Quand une zone marine est protégée, l’éco-système est progressivement recolonisé. « Les espèces qui se reconstituent les premières sont celles qui croissent le plus vite. Elles ont une espérance de vie plus courte et un taux de repro-duction élevé. En revanche, les grands préda-teurs croissent lentement et peuvent vivre jusqu’à 50 ans, de sorte que la reconstitution est à plus long terme », explique Enric Sala. Au début, les espèces deviennent plus abondantes. Mais quand les populations de prédateurs atteignent leur apogée, celles de leurs proies tendent à diminuer. « Dans la mer, il se produit la même chose que sur terre, où des populations de prédateurs stables comme les lions ou les loups régulent les e�ectifs de leurs proies, et l’écosystème est plus sain », ajoute-t-il.

    Les algues �lamenteuses ont proliféré massivement et étou�é un herbier de posidonies à Punta de la Gavina, sur l’île de Formentera (Baléares). Une contamination organique – due notamment au rejet des eaux fécales – est très certainement à l’origine de la propagation de ces algues.

    Il faudrait qu’au moins 10 % de la Méditerranée soit sous protection. La communauté scienti�que recommande même 20 %.

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  • ALGERIE

    TURQUIE

    LIBYE

    FRANCE

    ESPAGNE

    ITALIE

    CORSE

    SARDAIGNE

    SICILE

    CRETE

    EGYPTE

    MAROC

    SYRIE

    TUNISIE

    GRECE

    CROATIE

    SLOVENIE

    ALBANIE

    ISRAEL

    BOSNIE- HERZEG.

    MONTE-NEGRO

    CHYPRELIBAN

    MALTE

    MerÉgée

    Mer de Crète

    MerIonienne

    Merd’Alborán

    MerAdriatique

    MerLigurienne

    Golfedu Lion

    Merdes Baléares

    BASSIN ORIENTALMer

    du Levant

    Merde Libye

    Golfede Syrte

    BASSINOCCIDENTAL

    MerTyrrhénienne

    Détroitde Sicile

    Détroit de Messine

    Détroitde Gibraltar

    Rés. deScandola

    Îles Medes

    Île de CabreraÎle d’Espardell

    Île de Formentera

    Autres aires marines protégées identifiées par le réseau MedPAN (2012) :

    Aire spécialement protégée d'importance méditerranéenneau titre de la Convention de Barcelone (ASPIM)

    300 km0

    AMP nationale

    Réseau Natura 2000

    Aire prioritaire de conservation en mer ouverte,où la création de nouvelles ASPIM est encouragéeLieux visités par l’Alcyone

    Sources des données :- ASPIM : UICN, WWF, CAR/ASP- AMP de Méditerranée : base de données MAPAMED, MedPAN - CAR/ASP, 2012- Aires prioritaires de conservation : PNUE – PAM CAR/ASP, 2010 (S. Requena)

    16 national geo graphic

    Ayant quitté Scandola, l’Alcyone a vogué vers l’Espagne pour gagner les îles Medes, puis les Baléares, avec une première escale dans la réserve S’Espardell, à Formentera, et à Cabrera, un parc national. Partout, la reconstitution des espèces a été spectaculaire. On y trouve souvent de grands mérous, d’abondantes colonies de gorgones, de splendides herbiers de posidonies et d’innombrables autres espèces qui abon-daient jadis dans toute la Méditerranée et sont aujourd’hui con� nées dans ces petits refuges.

    « La protection des écosystèmes marins est désormais une nécessité, autant qu’un “busi-ness” où tout le monde est gagnant, insiste Enric Sala. Quelques années après la création d’une réserve marine, les e� ectifs de poissons sont tels qu’un certain nombre d’adultes, de juvéniles et de larves franchissent les limites de la zone pro-tégée et vont gon� er les populations environ-nantes de poissons d’intérêt commercial. Ils sont particulièrement bénéfiques à la pêche artisanale, la seule forme que l’on puisse actuel-lement considérer comme durable. » De l’avis du biologiste, les pêcheurs comprennent l’utilité

    des réserves. Certains réclament même l’exten-sion des réserves, conscients que, sans de telles mesures, leurs enfants ne pourront continuer ce métier. En outre, ces espaces sont une source de revenus. « Dans les îles Medes, par exemple, grâce au tourisme, une réserve d’une surface de 1 km2 à peine peut générer un revenu de six mil-lions d’euros : vingt fois plus que celui de la pêche. Sans parler du nombre d’emplois créés pour répondre aux besoins des touristes qui viennent observer là ce que l’on ne peut prati-quement plus voir ailleurs en Méditerranée. »

    L’utilité des réserves marines a été prouvée sous tous ses aspects. Cette conviction doit maintenant atteindre l’ensemble de la société a� n que les centres de décision agissent en consé-quence. Si les Romains ont inventé le nom Mare nostrum quand, à l’apogée de leur splendeur, ils régnaient sur tout le Bassin méditerranéen, il est temps de nous le réapproprier. Non pas à des � ns d’exploitation illimitée, mais en harmonie avec les objectifs d’un nouveau millénaire, qui exigent que nous procédions à des changements considé-rables à l’échelle planétaire. j

    En 2012, la Méditerranée comptait 677 aires marines protégées. Depuis 2008, leur surface totale a augmenté de 7 %. La création de nouvelles AMP et la nécessaire mise en réseau de certaines d’entre elles se poursuit, avec une attention particulière à la mer ouverte, encore peu protégée.

    CONCEPTION CARTE : AGENCE DES AIRES MARITIMES PROTÉGÉES/HUGUES PIOLET POUR NATIONAL GEOGRAPHIC

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  • aires marines protégées 17

    À l’ouest de la Corse, la Réserve naturelle de Scandola a été créée en 1975 et inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco en 1983. Cette partie du Parc naturel régional de Corse occupe une presqu’île constituée d’impression-nantes roches magmatiques. Quantité d’oiseaux marins nichent à terre ; sous l’eau, une grande variété de crustacés (araignée de mer, Maja squinado, en bas) et de poissons tels que le lieu, le denti, le corb, le rouget et la murène (Muraena helena, ci-contre) bénéfi cient d’un écosystème où les algues, les herbiers de posidonies et les colonies de corail abondent. Entre Corse et Sardaigne, le Parc marin internatio-nal des bouches de Bonifacio regroupe l’Offi ce de l’environnement de la Corse, gestionnaire de la Réserve naturelle des bouches de Bonifacio, la plus grande de France métropolitaine, et le Parc national de l’archipel de La Maddalena (Italie). Sur ce terri-toire de plus de 1 000 km², plus de 2 700 espèces (dont près de 320 sont protégées), ont été recen-sées. Ce premier parc marin international est l’aboutissement de plus de trente ans d’efforts de protection d’un patrimoine naturel unique.

    Réserves naturelles corses :

    Scandola et les bouches de Bonifacio

    0 25 km

    O

    O

    Ajaccio

    Réservede Scandola

    Bouchesde Bonifacio

    CORSE

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  • 18 national geo graphic

    Les services fournis par les éco systèmes côtiers constituent une valeur annuelle de 1 600 mil-liards d’euros. Les poissons et les mollusques représentent une part conséquente de l’alimen-tation humaine. Les cétacés, les récifs coralliens et les oiseaux marins génèrent une importante économie touristique (en 2012, le tourisme sur la Grande Barrière de corail a produit 4 milliards d’euros). Les algues entrent dans la composition de cosmétiques et d’aliments, tandis que le phyto plancton produit un tiers de notre oxygène. Certains micro-organismes des abysses sont utilisés dans nos lessives, dans les crèmes à bronzer et dans le diagnostic de maladies génétiques.

    Espèces des abysses

    Plancton

    Récifs coralliens

    Cétacés

    Poissons

    Oiseaux marins

    Mollusques

    Algues

    6

    5

    On pense souvent aux marées noires, mais la pollution tellurique (d’origine terrestre et véhiculée par les cours d’eau et les canalisations) constitue la principale source de pollution marine. Cette contamination atteint les poissons qui, en bout de chaîne alimentaire, fi nissent dans nos assiettes. Par ailleurs, selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), deux tiers des espèces sont surexploitées dans le monde.

    Mers nourricières Les océans sont précieux à plus d’un titre. Pour que les générations futures continuent d’en profi ter, les aires marines protégées constituent des outils effi caces.

    Illustration d’Antoine Levesque

    Pourquoi vouloir préserver la faune, la � ore et le bon état des océans ? Pour le plaisir et le bien-être qu’ils nous procurent, bien sûr, mais aussi pour l’ensemble de biens et services qu’ils nous rendent. Les scienti� ques se sont rendu compte qu’il était vain de vouloir protéger une espèce isolée sans préserver le reste de son écosystème – son habitat et les espèces qu’elle consomme notamment. Une aire marine protégée (AMP) est ainsi un espace choisi pour sa richesse et sa diversité en espèces. Elle béné� cie d’un niveau de protection variable, tenant compte des nécessités du milieu et des compromis trouvés entre les di� érents usa-gers (pêcheurs, professionnels du tourisme…). En France, il existe 15 catégories d’AMP. Aujourd’hui, les Etats tentent de les constituer en réseaux, voire de les coupler avec des espaces terrestres protégés, a� n d’améliorer leur e� cacité.

    QUELLES SONT LES MENACES QUI PÈSENT SUR LES OCÉANS ?

    QUELS BÉNÉFICES NOUS APPORTE LA BIODIVERSITÉ MARINE ?

    INFOGRAPHIE

    18

    NGFRMER_0018 18 23/08/13 16:54

  • 3%

    71%

    12%

    29%

    LES ESPACES PROTÉGÉS Le globe est recouvert à 71 % par les mers et les océans. Pourtant, moins de 3 % de leur surface sont protégés. L’objectif international est d’atteindre 10 % en 2020. Ce réseau d’aires marines protégées permettrait de mieux connaître et gérer le milieu par des pratiques respectueuses.

    Part de la surface du globe occupée par la terre/par la mer.

    Part protégée des terres émergées/Proportion protégée des océans.

    4 3

    2

    1

    1

    Déchets de pêche

    2

    Dégazages, marées noires

    3

    Plastiques � ottants4

    Surpêche

    5

    Surexploitation des côtes

    6

    Pollution tellurique (engrais, pesticides…)

    Mers nourricières

    230 000

    5,4 millions

    20-30 %

    SCIENCE C’est le nombre d’espèces marines décrites scientifi quement à ce jour. Un million d’autres seraient encore inconnues.

    TRAVAILC’est le nombre d’emplois liés à la mer dans l’Union euro-péenne en 2012 (il y avait 93 000 pêcheurs en France en 2010).

    CLIMAT C’est la part de CO2 émis par l’homme qui est absorbée par les océans chaque année. Un taux en baisse avec le réchauffement.

    SOURCES : WORLD REGISTER OF MARINE SPECIES - RAPPORT FINAL DE LA CROISSANCE BLEUE, COMMISSION EUROPÉENNE ET MINISTÈRE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE - INSU/CNRS

    SOURCE : UNESCO

    NGFRMER_0019 19 23/08/13 16:54

  • Gelée une grande partie de l’année, la mer de Ross est un refuge pour les organismes cryophiles, qui se développent dans les milieux froids. Les scienti�ques cherchent à comprendre comment ils survivent à des températures auxquelles, normalement, la plupart des proces-sus biologiques s’arrêtent.

    20

    En Antarctique, la mer de Ross est considérée comme l’écosystème marin le mieux préservé de la planète. Toutefois, elle est aujourd’hui menacée par la pêche industrielle. Des scientifiques luttent pour sa protection.

    Le DERNIER OCÉAN » SERA-T-IL PROTÉGÉ ?

    «

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  • NGFRMER_0021 21 23/08/13 15:04

  • 22 national geo graphic MARCO GROB

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  • aire marine 23

    Les manchots empereurs se nourrissent de krill, de poissons et de calmars, une nourriture abondante en mer de Ross. Pour faciliter la pêche, les colonies s’ins-tallent toujours à proximité de polynies, des zones toujours libres de glace.

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  • Mo

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    Ter reVic tor ia

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    Iceshelfde Ross

    Mer de Ross

    250 km

    Zonesspécialementprotégées del’Antarctique

    Edmonson PointCap WashingtonBaie de Terra Nova

    Île de RossMont Erebus

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    Île BlackBotany

    Bay

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    Au centre des intérêts, la légine antarctique. Un gros poisson (il peut atteindre 100 kg et 2 m de long) à la chair blanche et fondante, vendu particulièrement cher sur le marché américain et asiatique. Rien qu’en Nouvelle-Zélande, la pêche autorisée représente un chi� re d’a� aires annuel d’environ 15 millions d’euros.

    l’espèce fascine aussi les biologistes. Car Dissostichus mawsoni vit entre 500 et 2 200 m de profondeur, dans une eau à - 1,87 °C. Pour sur-vivre à de telles conditions, il produit des pro-téines antigel, sa � ottabilité est neutre grâce à d’importantes réserves de graisse, et son cœur ne bat que six fois par minute. Pour frayer, les légines migreraient au nord de la mer de Ross. Œufs et larves seraient ensuite emportés vers le sud par des courants. Cependant, aucune larve n’a jamais été observée et, si l’on sait que ce pois-son n’atteint sa maturité sexuelle qu’entre 13 et 17 ans et qu’il peut vivre jusqu’à 48 ans, son cycle de vie demeure assez mystérieux.

    Il y a quarante ans, les chercheurs capturaient 500 légines par saison, les marquaient et les relâ-chaient. Aujourd’hui, ils reviennent bredouilles. L’objet de leur étude a quasiment disparu. La

     Du sommet du Melbourne, un volcan de 2 732 m d’altitude, le regard se perd sur la surface de la mer de Ross. Tout n’y est que bleu, vif et intense, émaillé de blocs de banquise, de glaciers majestueux et de rivages enneigés. Nous sommes en Antarctique. En ce

    matin limpide de l’été austral, la mer, décou-verte en 1841 par l’explorateur anglais James Clark Ross, est éblouissante. Au pied du Melbourne se trouvent le cap Washington et la banquise, sur laquelle se forme chaque année une des deux plus grandes colonies de man-chots empereurs du continent. En mai dernier, toute la zone du cap Washington (280 km2) a été classée « zone spécialement protégée » (ASPA), avec un accès strictement réglementé.

    Au-delà, la mer de Ross forme une vaste échancrure du sixième continent : elle s’étend du cap Adare, au nord de la terre Victoria, jusqu’aux abords de la terre Marie Byrd, au sud-ouest (voir carte). Comme l’a révélé une étude publiée par la revue Science en 2008, elle consti-tue l’écosystème océanique le mieux préservé de la planète. Le dernier océan épargné par la pollution et la surpêche. Lors du printemps aus-tral, la poussée phytoplanctonique est si consi-dérable qu’on la mesure depuis l’espace. Cette zone abrite également des espèces charisma-tiques : un quart des manchots empereurs de l’Antarctique se reproduit ici, ainsi que trois mil-lions de manchots Adélie (38 % de la population mondiale). Des prédateurs comme l’orque, le léopard des mers, le calmar colossal, la baleine de Minke, la bérardie d’Arnoux (un cétacé qui peut atteindre 12 m de long), pas moins de cinq espèces de phoques et près de cent espèces de poissons – dont plus de la moitié est issue d’un ancêtre commun – peuplent ces eaux. Mais la mer de Ross est aussi splendide que fragile. En cause : la pêche industrielle qui accroît sa pression et menace l’équilibre de l’écosystème.

    DE LUCIA SIMION

    PHOTOGRAPHIES DE PAUL NICKLEN

    CARTE : HUGUES PIOLET POUR NATIONAL GEOGRAPHIC

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  • aires marines protégées 25

    La mesure de l’épaisseur de la banquise fait partie des études menées à cap Washington (ci-dessus). La légine antarctique (ci-dessous) est examinée notamment pour son éton-nante capacité à fabriquer des protéines antigel. Celle-ci a été capturée, conservée en aquarium, avant qu’on lui prélève du sang et des tissus et qu’on la rende à la mer.

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  • 26 national geo graphic

    pêche industrielle n’a débuté qu’en 1996.Aujourd’hui, vingt-deux palangriers de sept pays (Corée du Sud, Grande-Bretagne, Espagne, Nouvelle-Zélande, Norvège, Russie, Ukraine) sont autorisés par la Convention sur la conser-vation des ressources marines vivantes de l’Antarctique (CCAMLR) à travailler durant l’été austral. Les ONG s’alarment du quota annuel : 3 000 tonnes, soit environ 100 000 cap-tures, sans compter la pêche illicite. Une quantité basée sur l’évaluation de la biomasse réalisée par les pêcheries elles-mêmes !

    Pour y remédier, un nouveau secteur de cette partie de l’océan Austral pourrait obtenir le statut d’aire marine protégée (AMP). La déci-sion, attendue en octobre prochain, lors de leur réunion annuelle, dépend des vingt-cinq Etats membres de la CCAMLR, dont l’objectif est de préserver la vie marine sur le continent blanc.

    les négociations sur les limites de cette nou-velle AMP (ainsi que sur celles de l ’Est Antarctique) s’annoncent animées. La Nouvelle-Zélande et les Etats-Unis veulent maintenir leur activité économique liée à la légine. Ils pro-posent de créer « la plus grande AMP de la pla-nète », qui exclut toutefois les meilleures zones de pêche. Des scienti�ques, eux, ne l’entendent pas ainsi. « La mer de Ross est un laboratoire extraordinaire et précieux, qui nous permet de mesurer la dynamique d’un océan ainsi que les e�ets du changement climatique, sans la super-position d’autres formes d’activité humaine », explique David Ainley, biologiste américain qui, depuis quarante ans, étudie l’écologie de cette mer et plaide la cause de cet éden blanc, notam-ment dans le documentaire «�e last ocean». L’homme a aussi fédéré plusieurs dizaines de ses pairs a�n d’obtenir le classement en AMP du secteur le plus riche en biodiversité : 650 000 km2

    constitués du plateau et du talus continental (l’escarpement qui relie le plateau à la plaine abyssale). Avec interdiction de pêcher.

    En juillet dernier, en Allemagne, la réunion spéciale de la CCAMLR s’est soldée par un échec : la Russie et l’Ukraine considèrent que les projets de création d’AMP ne sont pas dé�nis juridiquement. «L’enjeu économique est très important, il s’agit d’une décision politique», explique Philippe Koubbi, écologue marin et représentant scienti�que français à la CCAMLR.

    Pour les scienti�ques, il y a urgence. Outre la légine, tout l’écosystème pâtit déjà de cette exploitation. Chercheuse au centre d’écologie

    Pour les scienti�ques, il y a urgence. Outre la légine, l’ensemble de l’écosystème pâtit déjà de l’exploitation de la mer de Ross.

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  • aires marines protégées 27

    fonctionnelle et évolutive de Montpellier et membre de l’équipe de David Ainley, Amélie Lescroël a participé à six expéditions en mer de Ross. Elle a observé un déclin des populations d’orques, prédateurs de la légine antarctique. « Une bascule vers un changement d’état de cet écosystème est déjà évident, s’alarme-t-elle. Cela va réduire sa résilience vis-à-vis du changement climatique. » La colonie de cap Crozier, sur l’île de Ross, compte à elle seule 500 000 manchots Adélie. Une « vil le des manchots » qui consomme de considérables quantités de krill et de calandre antarctique, un poisson prisé par la légine. Puisque celle-ci devient rare, les stocks

    de calandres augmentent avec la population de manchots Adélie, déréglant l’harmonie et l’équilibre de l’écosystème.

    Quel sera le destin de ce « dernier océan » du bout du monde ? Si l’esprit de collaboration du Traité sur l’Antarctique l’emporte, l’issue pour-rait être positive. Mais tous le savent, la bataille promet d’être longue et très di�cile. j

    Le cap Adare sépare la mer de Ross (à l’est) de l’océan Austral (à l’ouest). Camp de base durant les premières expéditions en Antarctique, il abrite une grande colonie de manchots Adélie et a été classé en aire spécialement protégée (ASPA).

    LUC

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  • 28 national geo graphic

    Tour à tour chasseur d’épaves, technicien sur des chantiers sous-marins, moniteur, Haïdar débarque à l’Océanium, club de plongée daka-rois dont il prend les rênes en 1988. Pour cet homme-poisson, capable de se repérer au son et aux in�mes mouvements du courant, lié à la mer par une relation mystique, tout en elle n’est que plaisir et beauté. Jusqu’à ce fameux jour où il assiste à une pêche à l’explosif.

    « Sous l’eau, j’ai vu les poissons déchiquetés et, en surface, l’innocence des pêcheurs. J’ai décidé de prendre les armes de la parole et de l’image pour protéger la mer muette. » Caméra au poing, il �lme les fonds marins. Ses images servent d’outils de sensibilisation à l’Océanium,

    L’océan lui est apparu pour la première fois au débouché d’une rue de Dakar, si lumineux que, du haut de ses 8 ans, le petit Haïdar El Ali en a été subjugué. « Happé par sa présence, je n’ai cessé de vouloir le retrouver », raconte l’écologiste, devenu ministre de l’Environnement puis ministre de la Pêche du Sénégal. Il apprend seul à nager, préfère « l’enseignement de la nature à celui de l’école », plonge et plonge encore.

    De Bernadette Gilbertas Photographie Jean-François Hellio / Nicolas Van Ingen

    Haïdar El AliUn poisson-pilote au Sénégal

    devenu en 1990 une incontournable association de protection de la nature. Sa vie pour « réveiller les consciences » se transforme en combat. Il arraisonne l’Orient Flowers, bateau chargé de produits toxiques amarré à Dakar, obtient de haute lutte un décret imposant le repos biolo-gique (l’interdiction de pêche pendant un cer-tain temps) d’un mollusque, le yet, dénonce les techniques illégales de pêche, les filets aux mailles trop �nes, plonge lui-même pour arra-cher ceux qui sont restés accrochés au fond…

    En 2002, il crée l’Aire marine communautaire protégée (AMCP) du Bamboung, la toute pre-mière du Sénégal, au cœur du delta du Saloum. Dans un pays où la pêche, premier secteur

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  • aires marines protégées 29

    économique, fait vivre 650 000 personnes, il devenait urgent de répondre à la préoccupation des pêcheurs artisanaux n’arrivant plus à nour-rir leur famille du fait de la raréfaction des prises. Deux années de palabres et de sensibili-sation ont motivé les villageois à prendre leur destin en main. Aujourd’hui, l ’AMCP du Bamboung a gagné son autonomie par la mise en place d’un campement écotouristique, et les ressources biologiques du chenal d’eau salée – le bolong – ont été multipliées par deux. L’aire de Bamboung est un exemple à suivre pour les quatre autres AMCP du Sénégal et les deux aires de patrimoine autochtones et communautaires prévues en Casamance. Les secrets d’une AMCP

    réussie ? « Le choix du site, l’implication des populations comme facteurs de stabilité, l’éco-tourisme pour sa pérennité, et la beauté du lieu ! », répond Haïdar El Ali.

    À l’Environnement, il a cherché à multiplier les aires marines - véritables assurances-vie pour l’Afrique - et a créé, au sein du ministère, la Direction des AMCP. Nommé en septembre à la Pêche, il devrait se concentrer sur une gestion durable de l’activité. Et s’il venait à quitter le gou-vernement? « Je continuerais mon combat en mer et sur terre. Ministre un jour, écolo toujours ! » j

    Haïdar El Ali a passé des années à la tête de l’association dakaroise Océanium. Il y a orchestré notamment la plantation de milliers d’hectares de mangrove. Après avoir été ministre de l’Environnement du Sénégal (2012), il est aujourd’hui celui de la Pêche et des Affaires maritimes.

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  • 30 national geo graphic

    Dans les Florida Keys, les bateaux doivent obligatoirement s’amarrer aux bouées. Ils évitent ainsi d’endommager les superbes formations coralliennes avec leurs ancres.

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  • Sanctuairenational marin des

    Florida Keys

    Key West

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    FLORIDE

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    Parc nationaldes Everglades

    P.N. deBiscayne

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    Sanctuairenational marin des

    Florida KeysKey WestKey WestKey West

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    F L OR I

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    S

    UN PARADIS EN PÉRIL

    LES FLORIDA KEYS

    Splendide sanctuaire marin américain,

    les Florida Keys abritent des récifs

    coralliens exceptionnels. Et attirent à la

    fois des scienti� ques et des touristes.

    Ce qui ne les met pas à l’abri du danger.

    CARTE : HUGUES PIOLET POUR NATIONAL GEOGRAPHIC

    NGFRMER_0031 31 23/08/13 15:00

  • 32 national geo graphic

    ommage pour l’exotisme : pour rejoindre les Florida Keys, il faut utiliser la route. Mais quelle route ! Les 1 700 îles et îlots de l’archipel sont reliés par l’Overseas Highway, qui franchit quarante-deux ponts, dont un de 7 km. Du sud de Miami à Key West, pendant 200 km, vous roulerez sur l’eau, ou presque. Une eau pro-tégée, un parc naturel liquide : le Florida Keys National Marine Sanctuary.

    En contrebas de la route, vous apercevrez des dauphins bondir, des tortues géantes alanguies sur les hauts fonds, des bancs de poissons mor-dorés nager, et des oiseaux plonger. Mais vous verrez aussi des bateaux de pêche hérissés de harpons sportifs, une forêt mouvante de kite-surfs, des yachts luxueux et les canots à moteur des tour-opérateurs transportant des hordes de plongeurs vers la barrière de corail. Vous réali-serez que le mot « sanctuaire » a peut-être une signi�cation plus vaste que ce à quoi vous vous attendiez en venant aux Keys.

    Le sanctuaire marin des Florida Keys s’étend sur 10 000 km2 autour des îles. Créé en 1990, il fait partie de l’O�ce national des sanctuaires marins (ONMS), la structure administrative américaine regroupant les eaux protégées des Etats-Unis. Doté du plus vaste espace maritime mondial, le pays a commencé en 1966 à se doter de lois et de réglementations protégeant certaines zones marines et lacustres. Aujourd’hui, l’O�ce compte 14 sanctuaires couvrant 440 298 km2 dans l’Atlantique, le Paci�que et les Grands Lacs.

    La troisième plus grande barrière de corail du monde se situe à quelques encablures des Florida Keys. Sans elle, jamais le congrès des Etats-Unis et le gouvernement de Floride n’auraient accepté

    de soustraire à l’exploitation et la navigation commerciale un espace aussi stratégique, à la limite du Golfe du Mexique et de l’Atlantique.

    Dès les années 1970, les scienti�ques avaient prévenu que les coraux caribéens se détérioraient. Par petits bouts, des zones des Keys sont entrées dans le réseau de l’ONMS. Mais l’intensi�cation des forages pétroliers et gaziers des années 1980 ainsi que des naufrages catastrophiques ont accéléré la détérioration de la qualité des eaux. Les coraux s’a�aiblissaient toujours. Il fallait élargir la zone de protection. L’agence fédérale en charge des océans et de l’atmosphère, la NOAA, dont dépend l’ONMS, se vit con�er la tutelle du large des Florida Keys.

    Des mesures ont alors été prises : interdiction des forages et des activités ayant un impact sur les fonds, restriction de la navigation des gros navires, limitation drastique de la manipulation des coraux. Il a ensuite fallu près de dix ans de discussions entre scienti�ques et acteurs locaux pour s’entendre sur une charte de gestion, régu-lièrement actualisée en fonction des impératifs économiques et écologiques du moment.

    S’il n’a pas été question de limiter le tourisme, d’interdire les embarcations motorisées ou la pêche sportive, certaines mesures d’abord consi-dérées comme coercitives ont fait leurs preuves. Notamment le système de bouées, qui pullulent dans la zone protégée et permettent de localiser les coraux, les récifs arti�ciels, les épaves, et les réserves écologiques spéci�ques. Les bateaux s’y amarrent sans avoir à jeter l’ancre.

    Les milliers de professionnels d’un tourisme �orissant, qui avaient pu craindre une mise sous tutelle écologique de leur outil de travail, sont

    DDe Hélène Crié-WiesnerPhotographies de Stephen Frink

    NGFRMER_0032 32 23/08/13 15:00

  • rassurés : une étude de la NOAA, en lien avec l’Etat de Floride, qui cogère le sanctuaire, atteste de l’augmentation constante du nombre des visi-teurs. Plus de trois millions de personnes ont séjourné aux Keys en 2008, selon la dernière étude globale parue en 2010.

    Est-ce que les coraux vont mieux à l’issue de vingt années de protection ? Le professeur Chris Langdon, spécialiste des coraux de surface à l’université de Miami, hausse les épaules : « Non. Les coraux des Caraïbes ont été touchés dès la �n des années 1970 par deux maladies qui n’ont fait qu’empirer et se répandre. Si le sanctuaire avait été créé plus tôt, cela aurait contré l’e�et de la surpêche qui a accru leur mauvaise santé. Disons que le sanctuaire est un pansement d’ur-gence qui ralentit leur dégradation. Mais le changement climatique et l’acidi�cation des océans condamnent à terme bien des espèces, et les frontières du sanctuaire n’y pourront rien. »

    En revanche, certains poissons à la santé jadis �ageolante ont incontestablement béné�cié de la protection nationale. Scott Donahue, coordina-teur scienti�que du Parc national des Keys, est formel : « La réserve écologique des Tortugas, à l’extrême ouest du sanctuaire, a vu depuis 2001 le retour du vivaneau-sorbe dans les zones de frai. On a aussi constaté une augmentation en nombre et en taille de certains poissons commu-nément pêchés. Ces progrès sont dus à la fois à la protection et à l’évolution des règles de pêche. »

    Pour l’heure, le milieu marin et côtier est superbe. Les îles regorgent de musées, sites récréatifs et refuges de vie sauvage, qui drainent autant, sinon plus, de visiteurs que le sanctuaire marin lui-même. A lui seul, le centre d’éco-découverte de Key West, géré par la NOAA, a reçu 73 000 visiteurs en 2012. Les usagers du site apprennent à voir la mer comme une ressource et plus seulement comme un lieu de villégiature. j

    Le Christ des abysses, une statue en bronze de 2,50 m de haut, a été installée en 1966 par le Florida State Park Service pour « accueillir » les plongeurs les bras ouverts, en signe de paix.

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  • 34

    INTERVIEW

    Parc marin d’IroiseCréé en 2007, le Parc naturel marin d’Iroise (Finistère) met en avant trois grands

    objectifs : favoriser la connaissance et la protection de la zone, développer une gestion

    durable et sensibiliser le public. PHILIPPE LE NILIOT, adjoint au directeur du Parc,

    explique la démarche au travers d’un cas d’école : les algues laminaires.

    Comment caractériser ce premier parc marin créé en France ?Nous sommes sur un territoire à la fois très riche en ressources naturelles et en activités

    liées à la mer ; et très productif, avec 50 000 tonnes de ressources halieutiques pêchées

    par an. Nous tentons de valoriser les activités présentes sur notre territoire pour faire

    vivre la zone côtière. La récolte des laminaires effectuée dans le périmètre du parc, par

    exemple, représente 75 % de la production française annuelle.

    En quoi ces milieux sont-ils importants ?L’écosystème local contient 300 espèces de micro-algues. Les phoques gris viennent

    parfois se reposer dans les champs d’algues, sur le fond marin. À l’origine, les algues

    brunes étaient utilisées pour la soude. Aujourd’hui, on les retrouve dans plus de

    300 produits du quotidien, notamment dans l’industrie pharmaceutique et cosmétique.

    Dans la région, l’activité goémonière est importante historiquement et socialement.

    Sur quelles algues portent vos études ?Il faut en effet distinguer les deux espèces qui sont récoltées : Laminaria digitata et

    Laminaria hyperborea. La première vit dans des champs qui descendent jusqu’à 5 m

    de profondeur et connaît une exploitation mécanisée depuis trente ans.

    La seconde est exploitée entre 12 m et 15 m de fond. Sa récolte s’est développée

    à partir des années 1995 autour de gros bateaux équipés de peignes norvégiens,

    une sorte de râteau traîné sur le fond qui arrache les algues.

    En quoi le Parc permet-il une gestion durable de ces écosystèmes ? Nous avons par exemple réalisé des études avec l’Ifremer, le Muséum national d’histoire

    naturelle (MNHN) et la Station biologique de Roscoff (CNRS) pour connaître l’impact de

    ce peigne. Il s’avère qu’il permet de sélectionner les plants adultes et laisse les jeunes,

    mais qu’il retourne les rochers sur le fond. Par ailleurs, le Parc a, entre autres missions,

    celle d’améliorer la connaissance de son territoire. Nous réalisons donc, en partenariat

    avec l’Ifremer, une cartographie de l’ensemble des champs pour estimer l’abondance

    des algues. Nous voulons aussi savoir quelle est l’importance de ce milieu pour les

    phoques gris, à quelles périodes ils y viennent et si cela correspond aux moments de

    récolte. Enfin, nous avons proposé avec le CNRS et le MNHN une grille d’exploitation,

    basée sur notre cartographie, pour augmenter ou réduire les surfaces de production.

    Un moyen de mêler activités économiques et protection des milieux.

    PHOTOGRAPHIE DE LAURENT GERMAIN / AGENCE DES AIRES MARINES PROTÉGÉES

    NGFRMER_0034 34 23/08/13 14:55

  • À l’aide de son scoubidou, un goémonier extirpe des algues laminaires. Au sein du Parc naturel marin d’Iroise, l’archipel de Molène est l’un des plus grands champs d’algues d’Europe.

    NGFRMER_0035 35 23/08/13 14:55

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    SUNDARBANSEN ÉQUILIBRE

    PRÉCAIRE

    UNE MANGROVE

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  • UNE MANGROVE

    La pêche au crabe est pratiquée uniquement par les hommes. Les casiers en bambou sont immergés avec un morceau d’anguille, puis relevés à la marée suivante.

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    25 km

    Sanctuaire de vie sauvageSite du patrimoine mondial de l’Unesco

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    Parc nationaldes Sundarbans

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    BANGLADESH

    38 national geo graphic

    emblématique : le tigre du Bengale. De 200 à 450 de ces félins – près d’un quart de la popu-lation mondiale – vivent en e� et dans sa forêt. Les ONG le savent bien : sans cette espèce, classée « en danger » par l’UICN (l’Union internationale pour la conservation de la nature), la mangrove des Sundarbans ne béné-� cierait pas d’autant de programmes d’aide.

    ainsi, un plan de protection du tigre doté de 9 millions d’euros a été débloqué. La mesure béné� cie autant à l’animal qu’à son habitat et à l’ensemble de l’écosystème. D’ailleurs, le félin ne se contente pas de générer des revenus, il sert aussi d’élément dissuasif à toute incursion pro-fonde de l’homme à travers les arbres.

    Outre le tigre, les attaques de pirates – qui rançonnent ceux qu’ils rencontrent – terrorisent les populations. Toutefois, certaines personnes n’ont souvent pas d’autre choix pour vivre que de prendre le risque de venir illégalement s’ap-provisionner en bois ou en poissons.

     Des éclats d’eau mêlés d’éclats de joie jaillissent quand ils entrent dans la mer. Adultes et enfants courent extir-per les poissons qui gon� ent les � lets. Certains tirent les barques vers la rive, d’autres portent des paniers. Quelques minutes plus tard, la pêche

    est rapportée à terre et étalée au sol pour lui per-mettre de sécher au soleil. Entre le mois d’août et celui de décembre, des milliers de pêcheurs s’installent dans des villages éphémères pour capturer poissons, crevettes et crabes dans la mangrove des Sundarbans, au Bangladesh. Mais personne n’est autorisé à y vivre à l’année.

    Cet écosystème de marais maritime, présent dans les zones équatoriales et tropicales, est caractérisé par une végétation de palétuviers qui se développe dans la zone de balancement des marées. Classée en réserve nationale par l’Empire britannique en 1879, celle des Sundarbans est, côté Bangladesh, réglementée et protégée par des gardes. Depuis 1997, elle est même en partie clas-sée au patrimoine mondial de l’Unesco. Les Sundarbans regorgent en e� et de richesses natu-relles, mais pour pouvoir y accéder, chacun – qu’il soit pêcheur, récolteur de miel ou de branches de golpata (un petit palmier qu’on uti-lise aussi bien pour construire les maisons que pour se soigner) – doit acheter un permis.

    Car limiter son accès, c’est aussi protéger la plus grande mangrove continue du monde : 10 000 km2, répartis entre le Bangladesh et l’Inde. Ici, près de 500 espèces de plantes (sur terre et dans l’eau) et plus de 425 espèces d’ani-maux – dont, notamment, des crocodiles, des lézards et des serpents – ont déjà été inven-toriées. Sans compter trois variétés de dauphins et plus de 400 espèces de poissons. En outre, la mangrove héberge un animal ô  combien

    Entre la terre et l’océan, la mangrove des Sundarbans, à cheval sur l’Inde et le Bangladesh, constitue un immense milieu protecteur et nourricier. Côté bangladais, pourtant, malgré les mesures de soutien dont cet écosystème bénéfi cie, sa survie est menacée.

    DE CLAIRE LECŒUVRE

    PHOTOGRAPHIES DE XAVIER DESMIER

    CARTE : HUGUES PIOLET POUR NATIONAL GEOGRAPHIC

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  • aires marines protégées 39

    A marée basse, une femme tire un � let près des berges de son village (ci-dessus). Les alevins de crevettes tigres récoltés seront vendus à l’unité à une ferme aquacole voisine.Située dans l’ouest du delta du golfe du Bengale, issue de la rencontre du Gange et du Brahmapoutre, la mangrove des Sundarbans abrite une biodiversité exceptionnelle.

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  • 40 national geo graphic

    Pour pallier ce problème et réduire la dépen-dance des populations locales aux ressources de la mangrove, pas moins de 72 millions d’eu-ros ont été débloqués pour la réalisation de quatre projets nationaux, dont deux consacrés uniquement aux Sundarbans. Principal objec-tif : aider les habitants de la mangrove à s’inté-grer « à l’extérieur », dans l’industrie textile, la pisciculture, l’artisanat ou encore le tourisme.

    Car si, d’après des travaux de l’Institut ben-gali d’études de développement, beaucoup ignorent qu’ils pêchent dans un sanctuaire de l ’Unesco, les locaux sont globalement conscients de l’importance de la mangrove. Pour les y aider, l’ONG Wildteam organise des sessions de sensibilisation auprès des enfants comme des adultes : « Les gens qui vivent près de la mangrove sont très préoccupés par son

    maintien et sa protection, souligne Karolyn Upham, de la Wildteam. Peu à peu, ils font attention à réduire les coupes de bois et à moins chasser. Beaucoup de locaux s’occupent aussi de la protection du tigre. »

    les pêcheurs, eux, ont appris que ces eaux, riches en nutriments, servent de nurserie aux poissons, qui renouvelleront les stocks. Ils savent aussi que ce marais maritime joue depuis toujours le rôle de zone tampon avec l’océan, et que la forêt protège les terres de l’érosion et des fréquents cyclones. Même l’activité des fermes de crevettes – qui prennent la place de rizières, impactent les stocks naturels et l’écosystème dans son ensemble – a tendance à diminuer, grâce à une prise de conscience des populations et aux e�orts de sensibilisation des ONG.

    En novembre, une fête hindoue, la Mela, rassemble des centaines de familles de pêcheurs. Les o�randes à la mer sont censées protéger les hommes des tigres et des pirates, et leur assurer une bonne pêche.

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  • Dans les quelques villages hindouistes de la zone, les Bangladais restent très proches de la nature. « Ils ont un tel respect pour la mangrove que, malgré leur pauvreté, ils ne la surexploitent pas, insiste Sirajul Hossain, photographe et guide de la région. Les principaux problèmes viennent des riches entrepreneurs qui causent d’énormes dommages irréversibles. »

    Aux portes de la réserve, en e�et, la multipli-cation des ports et le trafic de containers entraînent la pollution des cours d’eau. Plus loin, des ouvrages anciens, comme le barrage de Farakka (en Inde) construit sur le Gange en 1975, déstabilisent le milieu. Ces constructions réduisent de façon importante la quantité d’eau douce irriguant les Sundarbans. Ce faisant, les infiltrations d’eau marine augmentent, les arbres se développent moins ou meurent. Or ces végétaux piègent les sédiments qui, lorsqu’ils s’accumulent, empêchent l’eau marine d’entrer dans la mangrove et de noyer les sols.

    Par ailleurs, un projet de centrale à charbon près de la rivière Pasur, à 4 km de la réserve nationale bangladaise, inquiète aussi les défen-seurs de la mangrove. Sans même parler des rejets de gaz à e�ets de serre qu’elle va engendrer,

    Régulièrement entretenue par les villageois, une digue quasi continue sépare le golfe du Bengale et le continent. Elle relie les villages qui la bordent, où vivent près de trois millions et demi d’habitants.

    Un projet de centrale à charbon, située près de la rivière Pasur, inquiète aussi les défenseurs de la mangrove.

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  • 42 national geo graphic

    la centrale risque de diminuer encore la quantité d’eau douce atteignant les Sundarbans. Dans son dernier rapport de 2011, l’Unesco a laissé quatre ans au gouvernement pour lui faire parvenir des analyses sur l’état écologique de la zone.

    D’autant que la mangrove est également tou-chée par un autre phénomène, mondial celui-là : le changement climatique. A tous niveaux, des bouleversements sont déjà observés. Au cours du xxe siècle, le niveau de la mer s’est élevé de 12 à 20 cm. Conséquence : l’eau marine s’in�ltre dans la mangrove et en augmente la salinité. Une étude réalisée en 2010 par le Département du travail public sur les Sundarbans note que, dans la région, la température à la surface de l’eau a augmenté de 0,5 °C par décennie ces trente dernières années. Huit fois le taux

    mondial ! La salinité et le réchauffement causent une diminution de l’oxygène dissous dans l’eau. Ce phénomène bouleverse le milieu, et en particulier sa f lore si particulière. L’érosion, elle, s’accentue. Les eaux s’opaci�ent, a�ectant la survie du phytoplancton et modi-�ant du même coup toute la chaîne alimentaire, en particulier celle des poissons.

    Aujourd’hui, la mangrove des Sundarbans demeure l’une des plus belles du monde, mais face aux menaces qui pèsent sur elle, scienti-�ques et ONG ont sonné l’alarme. Que se pas-sera-t-il si cet espace venait à se réduire ? Faute de pouvoir répondre, les populations locales continuent à pro�ter au mieux de l’eau et de ses ressources. S'ils n'en ont pas le titre, ils sont cer-tainement les meilleurs gardiens du lieu. j

    Toute entrée dans les Sundarbans est soumise à un permis. Des postes de contrôle (ci-dessus) y sont disséminés. Certaines pratiques peuvent être restreintes d’une année à l’autre pour préserver le milieu.

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  • UICN: l’union globale pour un futur durablewww.iucn.org/marine www.protectplanetocean.org

    La réponseDepuis plusieurs décennies,l’UICN (l’Union Internationale pourla Conservation de la Nature)a plaidé pour la protection etla gestion durable des océansen créant des aires marinesprotégées.Avec ses Membres, Commissionset Partenaires, l’UICN a travailléau développement d’outilset de plateformes essentiels àl’amélioration de la gestion deces espaces clés, et a exposéune ligne de conduite claireauprès des instances internationales.

    Le réseauGrâce à ses 1 200 membres,son réseau de 11 000 expertsscientifiques, ses communautéscentrées sur des problématiquesmarines et la portée globale de ses 1 000 employés répartis dans 60 pays, l’UICN contribue à catalyser les efforts pour relever les défis essentiels des océans à l’échelle internationale.Rejoignez-nous maintenant pournous prêter votre voix et noussoutenir dans une union globalepour un futur durable.

    Le défiLes océans – qui hébergent 80% de la biodiversité mondiale –sont affectés par des menacestoujours croissantes. Les mesures globales de restauration des écosystèmes côtiers dégradés, de réduction de la pollution et d’appréciation des changements climatiques doivent être renforcées par une protection sigificative des écosystèmes marins – une protection qui permettrait le rétablissement des océans et leur préservation pour nos besoins futurs.

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    En France, comme partout dans le monde, les aires marines protégées sont très peu nombreuses.

    Fondée en 2006, l’Agence des aires marines protégées,établissement public, a pour mission de créer, en France,20 % d’aires marines protégées dont dix parcs naturels marins.

    www.aires-marines.fr

    Un milieu à protéger.

    Un formidable réservoir de ressources et de biodiversité ;

    11 millions de km2, l’équivalent de quatre fois et demi la Méditerranée ;

    La France, deuxième espace marin au monde ; rare pays présent dans tous les océans ;

    Un milieu à protéger.

    Un formidable réservoir de ressources et de biodiversité ;

    11 millions de km2, l’équivalent de quatre fois et demi la Méditerranée ;

    aujourd’hui, nous savons que les richesses naturelles sont fragiles et que leur préservation doit devenir un objectif commun.

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    aujourd’hui, nous savons que les richesses naturelles sont fragiles et que leur préservation doit devenir un objectif commun.

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