France Charbonneau introduction

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Posted by Andy Riga, Montreal Gazette

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  • Rapport de la Commission denqute sur loctroi et la gestion des contrats publics dans lindustrie de la construction

    Mot de la prsidente

    En octobre 2011, le gouvernement crait la Commission et lui confiait le mandat dexaminer lexistence de stratagmes et, le cas chant, de dresser un portrait de ceux qui impliqueraient de possibles activits de collusion et de corruption dans loctroi et la gestion de contrats publics dans lindustrie de la construction et des liens possibles avec le financement des partis politiques. Il lui demandait aussi de dresser un portrait de possibles activits dinfiltration de lindustrie de la construction par le crime organis et, enfin, dexaminer des pistes de solution et de faire des recommandations en vue dtablir des mesures permettant didentifier, denrayer et de prvenir ces stratagmes et ces activits dinfiltration.

    La mise en place dune commission denqute dune telle ampleur est trs exigeante. Plusieurs tapes doivent tre franchies avant den arriver lobjet mme du mandat et aux audiences.

    La partie 1 du rapport expose de faon dtaille le contexte de la cration de la Commission, les tapes de son volution, son mandat, son organisation et les travaux quelle a raliss. La partie 2 prsente le cadre de rfrence de ses travaux en runissant des renseignements et des donnes sur les contrats publics, lindustrie de la construction au Qubec, le financement politique, les stratagmes de collusion et de corruption, le crime organis et ce que lhistoire et les expriences trangres illustrent. La partie 3 rsume les faits, aprs analyse des tmoignages dans leur ensemble, les uns par rapport aux autres. Ceux-ci ont t regroups en plusieurs chapitres : Montral; Faubourg Contrecur; Laval; les autres municipalits; le cartel de lclairage extrieur; le ministre des Transports du Qubec (MTQ); le financement politique provincial; le Centre universitaire de sant McGill (le CUSM); la mafia : le clan Rizzuto; les Hells Angels; les autres organisations criminelles et les syndicats. La partie 4 analyse les stratagmes mis en preuve et en explique les causes. Certaines portions relatives Laval, au CUSM et aux Hells Angels ne pourront tre immdiatement rendues publiques dans le but de protger les procs en cours comme lexige le mandat. Finalement, la partie 5 contient 60 recommandations que le commissaire Lachance et moi-mme proposons au gouvernement.

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    Lenqute sur les faits na t possible que grce aux nombreux tmoins que nous avons fait entendre. Nous avons tenu 263 jours daudience au cours desquels quelque 300 personnes ont t entendues et plus de 3 600 documents ont t dposs. Les audiences reprsentent prs de 70 000 pages de transcription. Cette enqute a confirm quil y avait un vritable problme au Qubec, et quil tait beaucoup plus tendu et enracin quon pouvait le penser. Cette constatation ne doit toutefois pas dcourager la socit. Au contraire, la cration mme de la Commission, et la collaboration des trs nombreuses personnes dont elle a pu profiter, prouvent que le Qubec est prt faire ce quil faut pour protger ses valeurs dintgrit et dintrt public.

    Lentrepreneur Lino Zambito et lingnieur Michel Lalonde ont trac la voie aux nombreux autres tmoins qui les ont suivis. Lapport de tous ces tmoins aux travaux de la Commission a t

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    exceptionnel et inestimable. Sans leurs tmoignages la Commission naurait pu mener bien son mandat. Il leur a fallu, ainsi qu leur famille, beaucoup de courage et de dtermination pour rvler publiquement, devant la camra, les actes de collusion et de corruption dont ils ont t, sinon les artisans, tout le moins les tmoins directs. Leurs tmoignages nous ont plongs au cur de notre mandat. Ils ont dvoil lexistence et le fonctionnement de plusieurs stratagmes de collusion et de corruption orchestrs par des firmes dingnieurs et des entrepreneurs en construction Montral, Laval et ailleurs en province, ainsi quau MTQ et au ministre des Affaires municipales et de lOccupation du territoire (MAMOT). Ils nous ont ainsi permis den comprendre les mcanismes et leurs subtilits.

    Ils ont aussi dmontr lampleur du problme que pose lacceptation de cadeaux provenant de fournisseurs par des titulaires de charges publiques, tels que des fonctionnaires, des hauts fonctionnaires et des lus, la Ville de Montral, au MTQ et au MAMOT. Cette pratique sest rpandue et est devenue monnaie courante pour plusieurs dentre eux. Une culture dimpunit sest dveloppe. Certains dparts la retraite ont galement soulev de srieuses questions dapparence de conflit dintrts. Plusieurs observateurs, impuissants devant ces comportements, nont pas os les dnoncer. Nous proposons plusieurs recommandations qui visent notamment la transparence, le lobbyisme, lthique, la formation et la dontologie en lien avec les lus, les membres de cabinets, les fonctionnaires, les ordres professionnels et les municipalits.

    Les tmoins ont aussi rvl que lindustrie de la construction a t infiltre par la mafia. Des cartels se sont forms et ont empch dautres entrepreneurs de soumissionner des contrats publics. Des entrepreneurs ont rvl avoir t victimes de menaces, dintimidation et de voies de fait. Certains membres du crime organis ont tent de semparer de compagnies lgitimes afin de blanchir largent sale provenant de leurs activits illicites.

    La FTQ-Construction a galement suscit la convoitise dindividus lis la mafia et aux Hells Angels, qui souhaitaient avoir accs aux fonds dinvestissement du Fonds de solidarit de la FTQ, de la SOLIM (bras immobilier du Fonds de solidarit FTQ) et de la Fraternit Inter-Provinciale des Ouvriers en lectricit (FIPOE). Ces individus ont nou des relations troites avec le directeur gnral de la FTQ-Construction, lequel intervenait rgulirement auprs du prsident de la FTQ-Construction. Ce dernier tait galement vice-prsident du conseil dadministration du Fonds de solidarit, prsident du conseil dadministration de la SOLIM et directeur gnral de la FIPOE. Les tmoignages ont rvl des apparences de conflits dintrts de certains dirigeants de la FTQ et de la FTQ-Construction, dont les prsidents de la FTQ et de la FTQ-Construction.

    Le gouvernement doit tout mettre en uvre pour viter que le crime organis sintroduise dans lconomie lgale, notamment en obtenant des contrats publics. Les rpercussions de ce flux dargent illicite dans lconomie lgale sont dvastatrices long terme. Les entreprises infiltres par le crime organis sont souvent converties en coquilles vides, privant la socit des retombes lies leurs activits, car elles sont transformes en investissements striles, qui ne servent qu des fins de blanchiment dargent. La prsence du crime organis dans certains secteurs conomiques dcourage galement les investisseurs. En simmisant dans lconomie lgale, ces organisations

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    criminelles blanchissent leur argent. Elles finissent par devenir intouchables alors que leur fortune est acquise illgalement par lemploi de la violence : intimidation, menaces, vandalisme, incendies criminels, meurtres, vente de stupfiants, racket, prostitution, gangstrisme, etc. Nous proposons plusieurs mesures de contrle svres afin dempcher linfiltration de ces organisations criminelles au sein de lindustrie de la construction.

    Des tmoins ont galement rvl la face cache du financement politique. Ils ont clairement dmontr les liens qui les unissent loctroi et la gestion de contrats publics. Ces liens sorchestrent diffremment selon que lon se situe sur la scne municipale ou provinciale. Comme la mentionn un tmoin, les machines politiques daujourdhui sont devenues des monstres et [ont] des exigences qui sont assez importantes sur le plan financier . Dautres tmoins ont soulign la pression que ressentaient certains ministres quant aux objectifs de financement qui leur taient fixs. Ces pratiques ont rendu des lus vulnrables, de diffrentes faons, aux influences extrieures en matire de financement politique li loctroi de contrats publics. Il est donc ncessaire de couper compltement ces liens.

    Ainsi, afin de contrer les situations de favoritisme et les stratagmes de collusion et de corruption dans lattribution et la gestion de contrats publics et de subventions, nous proposons plusieurs mesures visant mieux encadrer lexercice du pouvoir public, notamment en rduisant les risques de dcisions arbitraires. Ainsi, alors quil appartient aux lus de soccuper des grands axes de dveloppement du rseau routier, lesquels font appel des dcisions politiques, un comit indpendant devrait dcider de la programmation des autres travaux en toute indpendance et objectivit, sans aucune pression ni considration politique. Nous proposons aussi la cration dune Autorit des marchs publics ayant pour mandat de soutenir les donneurs douvrage publics et de veiller ce que les travaux denvergure soient mens en toute lgalit.

    Nous sommes conscients que limage de la fonction publique a t mise mal par certains comportements dviants dcrits lors des audiences. Ces faits ont malheureusement jet lopprobre sur lensemble des fonctionnaires, alors que la vaste majorit dentre eux ont cur de bien accomplir les tches qui leur sont confies. Ces derniers doivent garder la tte haute, semployer redresser limage de la fonction publique en continuant dexercer leurs fonctions avec droiture et dignit.

    De plus, il faut souligner le courage dont certaines personnes ont fait preuve en sindignant et en tentant dempcher la collusion et la corruption. Merci Joseph Farinacci, Ken Pereira, Jean-Paul Beaulieu, Franois Beaudry, Karen Duhamel et Karine Bouchard ainsi qu tous les fonctionnaires qui ont su rsister certaines pressions indues de nature politique.

    Afin de se doter dun Qubec plus thique et intgre, il appartient dsormais aux Qubcois de simpliquer activement, notamment en dnonant toute tentative de corruption et de collusion, et toute irrgularit lie lthique. Les journalistes doivent continuer leur important travail de chiens de garde de la dmocratie. Les organismes de contrle doivent faire preuve de vigilance et lUPAC doit continuer son excellent travail en poursuivant inlassablement ses enqutes.

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    Toutefois, aucune loi, aucun rglement ni aucune mesure ne russiront eux seuls, enrayer ces phnomnes. La collaboration de tous est primordiale. Ce nest que collectivement que nous russirons faire du Qubec une socit meilleure o lthique, lintgrit, lhonntet et la rigueur occupent le premier rang. La socit tout entire doit prendre sa destine en main afin dradiquer ces pratiques rprhensibles qui au surplus cotent cher lensemble des citoyens. La dnonciation ne doit pas tre perue comme un acte de trahison, mais comme un acte de loyaut envers la socit.

    Le gouvernement doit davantage protger les dnonciateurs. Il faut viter que des corrupteurs simmiscent au sein de ltat et exercent leur emprise sur lui. Chaque dnonciation doit tre considre avec srieux par ceux qui la reoivent. Nous proposons au gouvernement des recommandations pour que des mesures plus fermes soient adoptes afin quils soient mieux protgs.

    Nous soulignons de plus que ltat conclut chaque anne des milliers de contrats pour se procurer des biens et des services. Il ne dispose pas toujours de toutes les informations ncessaires pour dtecter la collusion et la corruption dans loctroi et la gestion de ces contrats. La collusion et la corruption sont difficiles dtecter sans dnonciation de la part dun lanceur dalerte. Ltat na pas toujours les ressources suffisantes pour donner suite aux informations quil reoit, compte tenu de la complexit des stratagmes dploys par certains cocontractants. Or, une loi amricaine vise rpondre ces deux problmes : le False Claims Act (FCA). Cette loi sest avre dune redoutable efficacit, notamment pour ltat de New York qui a russi rcuprer dnormes sommes dargent drobes au Trsor public. Des experts ont expos devant la Commission le bien-fond de ce mcanisme qui permet de combattre efficacement la fraude et, ltat, de rcuprer des sommes importantes sans quil nait dbourser un seul sou. Nous recommandons au gouvernement dadopter une telle loi.

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    Je remercie Franois Rolland, ex-juge en chef de la Cour suprieure, de mavoir libre afin que je puisse raliser ce mandat.

    Je tiens aussi souligner la pugnacit dont a fait preuve le commissaire Macdonald face la maladie quil a combattue avec courage. Il a malgr tout su imprgner nos travaux de son sceau. Fidle la promesse que je lui ai faite, ce rapport lui est ddi.

    Je remercie le commissaire Lachance davoir accept de relever ce dfi avec moi. Sa connaissance de lappareil gouvernemental a t un rel atout pour la Commission.

    Je remercie lquipe juridique, lquipe de la recherche, les rdacteurs, lquipe des communications ainsi que lquipe de soutien1. Je remercie aussi tous les enquteurs, sans lesquels nous naurions jamais pu obtenir une collaboration aussi troite des tmoins que nous avons entendus. Malgr

    1 Les personnes qui ont fait partie de la Commission sont nommes en annexe ainsi que le poste quelles ont occup.

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    limmense pression qui reposait sur les paules de tous les membres de la Commission, malgr le stress li notre mission, tous ont su garder la tte bien haute et continuer de travailler avec la mme ardeur et la mme rigueur, sans jamais sarrter afin de mener bien le mandat qui nous tait confi.

    Le prsent rapport tente dapporter des solutions concrtes au gouvernement afin de lui permettre denrayer la collusion et la corruption dans lattribution des contrats publics, dempcher linfiltration du crime organis dans lindustrie de la construction et de placer les lus labri des pressions politiques associes au systme de financement et loctroi de contrats. Mais ce nest l que le premier pas dun travail qui ne sera jamais achev une fois pour toutes. Le rapport invite ainsi la vigilance, une vigilance nourrie par le regard critique des citoyens, par lducation, la sensibilisation et lengagement de toute une socit prserver lintgrit de ses institutions publiques.

    France Charbonneau

    Prsidente CEIC