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FRANCE Le territoire et les hommes - Un siècle de politique économique Article écrit par Pascal GAUCHON, Michel HUSSON Prise de vue « La France est hantée par l'idée de déclin. » La formule de Christian Stoffaës résume de façon percutante l'histoire économique française depuis le début du XX e siècle, ou plutôt la manière dont les Français ont vécu cette histoire. L'idée qu'il existe un « retard français » est, en effet, une constante sur le long terme. Les comparaisons qui sont établies tournent régulièrement au désavantage de la France : avec le Royaume-Uni au XIX e siècle, avec les États-Unis depuis 1945, avec le Japon dans les années 1980, avec l'Allemagne sans interruption. Dès 1918, le rapport Clémentel insiste sur les « archaïsmes » de l'économie nationale. Ce qui apparaît dans l'entre-deux-guerres comme une stagnation française conduit à noircir le tableau, et la défaite de 1940 autorise des jugements extrêmement sévères aussi bien dans les rangs de la Résistance qu'à Vichy. « La France, déjà en retard dans maints secteurs avant la guerre, est maintenant plus gravement éprouvée qu'elle ne l'était en 1918 », affirment ainsi les services de l'État français dans la « tranche de démarrage » de 1944 ; en écho, le rapport rédigé la même année pour le compte du Comité français de libération nationale par André Philip commente : « Depuis plusieurs dizaines d'années, les retards de la France dans la course au développement économique et au bien-être s'accumulent. À chaque étape, nous sommes un peu plus dépassés. » Quant à Jean Monnet, il craint que l'économie « ne se cristallise à un niveau de médiocrité » (mémorandum au général de Gaulle de décembre 1945). Domination du secteur agricole, faiblesse industrielle, en dehors de quelques secteurs tels les biens de consommation ou les produits de luxe, insuffisante concentration des entreprises, stagnation de l'investissement, individualisme et refus de l'organisation, ouverture insuffisante sur le monde, capitalisme « timide et conservateur » (selon la formule du rapport Clémentel) : telles sont les caractéristiques les plus souvent évoquées de ce « retard français ». Christian Stoffaës les résume en quatre formules dans Une économie mondiale : malthusianisme, provincialisme, ruralisme, règne du petit. Il n'est pas certain que tous ces traits correspondent exactement à la réalité française ; sur de nombreux plans, la France fait bien au contraire figure de grand pays moderne. Il n'empêche que ce jugement, même exagéré, dès 1919, et surtout après 1945, marque une volonté de renouveau. Il conduit aussi à survaloriser l'action de l'État, considéré comme seul capable de mener à bien l'effort de modernisation. Entreprises, banques et travailleurs jouent pourtant un rôle à ne pas sous-estimer. I- Du XIX e siècle à 1945 : une longue stagnation ? L'héritage du XIX e siècle Beaucoup d'historiens estiment que c'est au XIX e siècle que se déterminent les caractéristiques du « retard français ». Malgré des progrès indiscutables, en particulier sous le second Empire, le bilan de la période est souvent considéré comme négatif. Particulièrement sur la sellette, la III e République. Dans leur désir de convertir la masse paysanne aux idéaux républicains, ses dirigeants auraient privilégié les intérêts de l'agriculture, au risque de décourager les autres activités. La petite propriété paysanne est donnée en exemple, le marché national est mis à l'abri de la concurrence extérieure : en 1892, Jules Méline inspire un tarif particulièrement protectionniste, dénommé « loi du cadenas », qui préserve les producteurs nationaux des importations de blés russe ou américain ; mais, du même coup, c'est toute l'économie française qui se trouve comme isolée du marché mondial.

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FRANCE Le territoire et les hommes - Un siècle de politique économique

Article écrit par Pascal GAUCHON, Michel HUSSON

Prise de vue

« La France est hantée par l'idée de déclin. » La formule de Christian Stoffaës résume de façonpercutante l'histoire économique française depuis le début du XXe siècle, ou plutôt la manière dont lesFrançais ont vécu cette histoire.

L'idée qu'il existe un « retard français » est, en effet, une constante sur le long terme. Les comparaisonsqui sont établies tournent régulièrement au désavantage de la France : avec le Royaume-Uni au XIXe siècle,avec les États-Unis depuis 1945, avec le Japon dans les années 1980, avec l'Allemagne sans interruption. Dès1918, le rapport Clémentel insiste sur les « archaïsmes » de l'économie nationale. Ce qui apparaît dansl'entre-deux-guerres comme une stagnation française conduit à noircir le tableau, et la défaite de 1940autorise des jugements extrêmement sévères aussi bien dans les rangs de la Résistance qu'à Vichy. « LaFrance, déjà en retard dans maints secteurs avant la guerre, est maintenant plus gravement éprouvéequ'elle ne l'était en 1918 », affirment ainsi les services de l'État français dans la « tranche de démarrage » de1944 ; en écho, le rapport rédigé la même année pour le compte du Comité français de libération nationalepar André Philip commente : « Depuis plusieurs dizaines d'années, les retards de la France dans la course audéveloppement économique et au bien-être s'accumulent. À chaque étape, nous sommes un peu plusdépassés. » Quant à Jean Monnet, il craint que l'économie « ne se cristallise à un niveau de médiocrité »(mémorandum au général de Gaulle de décembre 1945).

Domination du secteur agricole, faiblesse industrielle, en dehors de quelques secteurs tels les biens deconsommation ou les produits de luxe, insuffisante concentration des entreprises, stagnation del'investissement, individualisme et refus de l'organisation, ouverture insuffisante sur le monde, capitalisme« timide et conservateur » (selon la formule du rapport Clémentel) : telles sont les caractéristiques les plussouvent évoquées de ce « retard français ». Christian Stoffaës les résume en quatre formules dans Uneéconomie mondiale : malthusianisme, provincialisme, ruralisme, règne du petit.

Il n'est pas certain que tous ces traits correspondent exactement à la réalité française ; sur de nombreuxplans, la France fait bien au contraire figure de grand pays moderne. Il n'empêche que ce jugement, mêmeexagéré, dès 1919, et surtout après 1945, marque une volonté de renouveau. Il conduit aussi à survaloriserl'action de l'État, considéré comme seul capable de mener à bien l'effort de modernisation. Entreprises,banques et travailleurs jouent pourtant un rôle à ne pas sous-estimer.

I- Du XIXe siècle à 1945 : une longue stagnation ?

L'héritage du XIXe siècle

Beaucoup d'historiens estiment que c'est au XIXe siècle que se déterminent les caractéristiques du« retard français ». Malgré des progrès indiscutables, en particulier sous le second Empire, le bilan de lapériode est souvent considéré comme négatif.

Particulièrement sur la sellette, la IIIe République. Dans leur désir de convertir la masse paysanne auxidéaux républicains, ses dirigeants auraient privilégié les intérêts de l'agriculture, au risque de découragerles autres activités. La petite propriété paysanne est donnée en exemple, le marché national est mis à l'abride la concurrence extérieure : en 1892, Jules Méline inspire un tarif particulièrement protectionniste,dénommé « loi du cadenas », qui préserve les producteurs nationaux des importations de blés russe ouaméricain ; mais, du même coup, c'est toute l'économie française qui se trouve comme isolée du marchémondial.

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La France reste ainsi un pays essentiellement agricole, comme le prouve la part du secteur primaire dansla population active (43,2 p. 100 en 1906), alors que ce secteur représente moins du quart de la productionnationale. Les vertus traditionnellement attribuées au monde rural sont valorisées : la prudence, l'épargne, legoût de l'indépendance : en 1913, la France compte près de trois travailleurs indépendants (y compris lesagriculteurs) pour deux salariés. Beaucoup d'entre eux placent leurs économies de façon « sûre » (bons duTrésor, obligations étrangères comme les emprunts russes), au détriment de l'investissement dans l'industrienationale ; d'ailleurs, les banques, depuis la faillite de l'Union générale en 1882, encouragent les Françaisdans cette attitude et ne jouent guère leur rôle d'intermédiaire en direction des activités productives. Cesconstatations nourrissent déjà l'idée d'un malthusianisme français qui se manifeste sur le plan économique,mais aussi sur le plan démographique.

Alors que, vers 1800, la France était deux fois plus peuplée que l'Allemagne et trois fois plus que leRoyaume-Uni, elle compte, en 1913, moins d'habitants que chacun de ces deux pays. Ce phénomène est dûà une diminution rapide du taux de natalité en France, dès le début du XIXe siècle, tandis que ce même tauxne commence à décroître dans les pays voisins qu'un siècle plus tard. La population française, qui frôlait les30 millions d'individus au moment de la Révolution, n'atteint que 37,4 millions en 1861 et 39,6 à la veille dela Première Guerre mondiale.

En dépit de ce constat pessimiste, la France a bien pris le tournant de la deuxième révolutionindustrielle. Les inventeurs français se distinguent dans des secteurs comme l'électricité, l'aluminium,l'aviation, l'automobile. En ce qui concerne cette dernière activité, la France est le deuxième producteurmondial en 1913. Contrairement à une idée reçue, la concentration des entreprises et l'ouverture sur lemonde ne sont pas si faibles : selon Jean-Pierre Daviet, la France connaît en 1914 un niveau de concentrationcomparable à celui des autres pays européens : les sociétés de plus de cinq cents salariés (soit600 entreprises industrielles) produisent 20 p. 100 de la valeur ajoutée de l'industrie. Quant auxexportations, elles représentent, selon le même auteur, 15 p. 100 du P.I.B. – autant qu'en 1970 ! On nesaurait non plus négliger l'effort d'équipement en matière de routes, de canaux et de chemins de fer ni lesprogrès de l'enseignement.

Dans ces conditions, peut-on encore parler de « retard français » ? Selon l'économiste Jean Coussy, ilfaudrait plutôt évoquer un véritable modèle de croissance à la française, une croissance de l'ordre de 1,2 p.100 l'an, entre 1840 et 1913, qui ne sacrifierait pas l'agriculture à l'industrie, comme beaucoup de paysproches ont choisi de le faire. La politique agricole de la France aurait-elle des motivations plus socialesqu'économiques ? Elle n'en assure que mieux la stabilité du pays et permet une croissance régulière quis'accélère à la veille de la Première Guerre mondiale (taux de croissance industrielle de 5 p. 100 l'an entre1906 et 1913).

Les « belles époques »

On a beaucoup ironisé sur la formule de « Belle Époque » ; pourtant, le début du siècle est bien une« belle époque » pour l'économie française, qui semble se prolonger par-delà le choc du premier conflitmondial.

Le taux de croissance du P.I.B. est en effet élevé : il augmente de 4,7 p. 100 l'an, en moyenne, entre1924 et 1929 – un chiffre comparable à celui des Trente Glorieuses. L'industrialisation est notable et laFrance développe son industrie pétrolière (création de la Compagnie française des pétroles en 1924,« charte » du pétrole en 1928), son industrie chimique ou sa production d'électricité. De nouvellesentreprises apparaissent, comme Rhône-Poulenc, Alsthom, Ugine. Des regroupements s'opèrent quipréparent les fusions de l'après-guerre, comme le rapprochement entre Nord-Est et Denain-Anzin. L'effortd'investissement se fixe à un niveau élevé (le taux de formation brute de capital fixe atteint 20 p. 100, plusque dans les années 1950). Les localisations industrielles se transforment, et aux bastions traditionnels duNord-Est et de la région parisienne s'ajoutent la région lyonnaise pour la chimie ou le pôle toulousain pourl'aéronautique.

Sans doute la France n'ignore-t-elle pas les difficultés : problèmes de la reconstruction, dépréciation du franc jusqu'à sa dévaluation en 1928 par Raymond Poincaré, difficultés commerciales à partir de 1926. Le progrès économique se concrétise pourtant en matière sociale avec les lois Laval-Tardieu qui instaurent un

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système d'assurances sociales moderne. En 1930, la France compte 1 700 chômeurs recensés...

La France en crise

C'est dans ce contexte qu'intervient la crise des années 1930. La plupart des économistes estiment quela France est restée protégée, pendant un temps, des turbulences de l'économie mondiale : moins ouverte,elle paraît moins vulnérable et elle peut compter sur la bonne santé de son marché rural comme sur sonempire, avec lequel elle effectue 16 p. 100 de son commerce extérieur en 1930 : paysans et colonscontinuent d'acheter, ce qui soutient la production nationale.

Cette situation s'éclipse dès 1931-1932 : la France cesse d'être protégée. Les prix agricoles s'effondrentà la suite de bonnes récoltes, le marché rural est déprimé. La dévaluation de la livre (septembre 1931) rendplus difficiles les exportations. La production industrielle régresse alors (— 27 p. 100 entre 1929 et 1935),des faillites retentissantes se produisent comme celle de Citroën (1934), et le nombre des chômeurs estiméss'élève à 500 000 en 1935.

Face à cette situation, il existe des propositions originales. Elles émanent de mouvements qui mettent enavant la nécessaire modernisation et prétendent souvent dépasser les anciens clivages gauche-droite. C'estle discours du groupe X-Crise, rassemblant des polytechniciens, ou celui du « plan du 9 juillet », élaboré parJules Romains entouré d'intellectuels allant des Croix-de-Feu à la S.F.I.O. Dans le climat de remise enquestion et de bouillonnement des années 1930, la notion de plan joue d'ailleurs un rôle significatif.Popularisée par les écrits du Belge Henri de Man, elle fait recette aussi bien à gauche (le plan de la C.G.T.,les planistes de la S.F.I.O. ou les néo-socialistes avec Marcel Déat) qu'à droite, où Tardieu lance un pland'outillage national. Le plan permet le regroupement des modernisateurs, dans une certaine confusioncependant, puisqu'il est vrai que l'Allemagne nazie et l'U.R.S.S. planifient toutes deux.

La volonté de changement existe aussi chez les modérés. Elle se manifeste dans les propositions dePierre Étienne Flandin en faveur d'une cartellisation et d'une concentration forcée des entreprises, dansl'idée de dévaluation émise par Paul Reynaud dès 1934, dans les plans Tardieu ou Marquet. Mais ces planssont rognés par le Parlement, les projets de Reynaud et de Flandin ne sont pas retenus. Sous lesgouvernements Doumergue et Laval, la France reste attachée à la stabilité de sa monnaie, d'où une politiquede déflation qui vise à gagner en compétitivité par la baisse des prix et des coûts salariaux ; elle s'efforceaussi de mieux se protéger de la concurrence extérieure (nombreux contingentements, surtaxe sur lesproduits des pays ayant dévalué) et adopte des mesures malthusiennes (dénaturation des stocks de blé etde vin, limitation des entrées d'immigrés en 1932). Toutes ces mesures entendent protéger le pouvoird'achat des classes moyennes et des milieux populaires ; elles doivent aussi permettre au gouvernement deconserver le soutien du monde paysan.

Cette politique ne permet pas une véritable relance de l'activité, malgré une légère reprise en 1934 et audébut de 1936. Aussi le Front populaire (communistes, socialistes et radicaux) remporte-t-il les élections enjuin de cette même année. Pourtant, son programme semble singulièrement prudent en matièreéconomique. Afin de ne pas effrayer les classes moyennes, l'idée de planification n'est pas retenue ; lesseules nationalisations évoquées concernent les industries d'armement et Léon Blum s'est solennellementengagé à ne pas dévaluer. L'axe principal de la nouvelle politique doit être la reflation, terme qui évoqueplus une relance par la consommation qu'une véritable modernisation. Il est vrai que la fragilité de lacoalition de Front populaire n'autorise pas de grands changements.

Ceux-ci résulteront en partie des circonstances. À la suite de la vague de grèves de mai-juin, les accords Matignon (7 juin 1936) instaurent la création des délégués du personnel dans les entreprises de plus de dix salariés ainsi que les congés payés et les quarante heures. Les difficultés que connaissent les compagnies de chemin de fer provoquent leur nationalisation et la création de la S.N.C.F. en 1937. Par ailleurs, le statut de la Banque de France est modifié en un sens qui accorde de plus larges pouvoirs à l'État ; l'Office national interprofessionnel du blé organise le marché de ce produit ; la Caisse nationale des marchés de l'État et des collectivités locales permet de coordonner et de financer les grands travaux publics ; l'industrie aéronautique est nationalisée, comme prévu ; l'Institut de la conjoncture, ancêtre de l'I.N.S.E.E., est créé en 1938. Certaines réformes importantes de l'après-guerre sont ainsi ébauchées, tandis que d'autres (création d'une école nationale d'administration) sont abandonnées. Quant à la dévaluation, elle se révèle indispensable dès

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octobre 1936, mais le taux retenu apparaît insuffisant : on a hésité, une nouvelle fois, par peur de heurter lesclasses moyennes. Le comité économique de la S.D.N. commente : « La France est le seul État à avoirmanqué sa dévaluation. » Il faudra recommencer en 1937 et en 1938.

Le plus grave est que la production ne redémarre pas. Le principal responsable en serait la loi desquarante heures qui, appliquée de façon rigoureuse, entraverait la production. Pour Alfred Sauvy, il s'agitd'une mesure malthusienne : en forçant tous les employés à ne travailler que quarante heures, la loi limitel'activité des salariés qualifiés, ce qui fait chuter la production. L'idée du partage du temps de travail, quisous-tend la loi des quarante heures, relèverait ainsi d'une logique malthusienne comparable aux politiquesde réduction de l'offre dans le secteur agricole (arrachage des pieds de vigne notamment) : au lieu dechercher une sortie à la crise par en haut, en stimulant la demande et l'économie, on gèle des capacités deproduction et on aligne l'offre, par le bas, sur une demande atone.

Lorsque Paul Reynaud devient ministre des Finances, en 1938, dans le gouvernement Daladier, lessignes d'un changement sont perceptibles. Avec lui arrivent aux affaires des hommes qui vont jouer un rôleclé dans les transformations de l'après-guerre : Michel Debré, Alfred Sauvy, Jean Ullmo, Jean Dautry... PaulReynaud évoque une « économie guidée dans le cadre de la liberté », qui annonce la synthèse entre actionde l'État et capitalisme caractéristique des Trente Glorieuses en France. Il aménage la loi des quaranteheures et facilite l'octroi d'heures supplémentaires, établit un Code de la famille d'inspiration nataliste,dévalue à nouveau, lance de grands travaux et réarme. Mais la guerre interdit de poursuivre plus loin l'effortengagé.

La modernisation selon Vichy et selon la Résistance

Le bilan de l'entre-deux-guerres paraît alarmant. On compte à la veille du conflit 19 millions d'emplois,moins qu'en 1913 ; la part de la population employée dans le secteur secondaire a régressé (32 p. 100,contre 33 p. 100 en 1913), le taux d'ouverture de l'économie s'est réduit à moins de 10 p. 100 et la Francene représente plus que 6 p. 100 des exportations industrielles mondiales en 1938 (contre 12 p. 100 en1913).

La guerre aggrave cette situation. En 1945, la population atteint tout juste 40 millions d'habitants – alorsqu'elle était de 39,6 millions en 1913. Les équipements du pays ont été lourdement touchés : la moitié deswagons sont détruits, ainsi que les deux tiers de la flotte marchande et 90 p. 100 du parc automobile de1939 ; il n'y a plus un pont intact sur la Seine entre Paris et la mer, la plupart des ports entre Dunkerque etLa Rochelle sont endommagés. Ce qui reste de matériel est usé et vétuste, faute d'investissement, et JeanMonnet découvre avec stupeur que l'aciérie la plus moderne date d'avant 1913 – et encore avait-elle étéconstruite par les Allemands dans la Moselle qui leur appartenait alors !

L'ampleur du désastre fait prendre conscience de la nécessité impérieuse du redressement. La défaitehumiliante de mai 1940 n'est pas considérée, en effet, comme la conséquence de choix militaires douteux,mais comme la sanction d'erreurs anciennes et répétées. Selon l'interprétation qui est mise en avant sedessinent les grands courants et les grandes politiques de l'avenir. À Vichy, beaucoup mettent l'accent surles racines morales de la défaite. « Je hais les mensonges qui nous ont fait tant de mal », explique lemaréchal Pétain, et le redressement passe à ses yeux par un retour aux valeurs traditionnelles. Le généralde Gaulle insistera plutôt sur la responsabilité des institutions de la IIIe République et des partis : lerenouveau passe dès lors par une nouvelle Constitution. Beaucoup, enfin, mettent en cause le retardéconomique et social du pays. C'est ce qui anime l'effort de modernisation engagé après 1945.« Modernisation ou décadence », donne à choisir Jean Monnet.

Une bonne partie du personnel de Vichy a cru également en la nécessité d'un effort de modernisation. L'historien Richard Kuisel voit dans l'État français et la Résistance « deux forces historiques parallèles bien qu'antagonistes ». L'arrivée au pouvoir de Darlan en février 1941 donne sa chance à des techniciens persuadés que le régime autoritaire du maréchal Pétain autorise les réformes dont la IIIe République s'était montrée incapable : Yves Bouthillier aux Finances, René Belin, ancien dirigeant de la C.G.T., au Travail, Pierre Pucheu à l'Intérieur, François Lehideux à la Production industrielle... Ce groupe comporte à la fois des hauts fonctionnaires venus de l'inspection des Finances et des hommes issus de la grande entreprise, en particulier de la banque Worms ; la plupart sont passés par les grandes écoles, Polytechnique ou Normale supérieure.

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Par leur formation et leur apprentissage, ils préfigurent les équipes qui transformeront la France sous laVe République. Sans doute toutes les décisions adoptées par le régime de Vichy seront-elles, en principe,rayées d'un trait à la Libération. Dans la pratique, cependant, elles seront souvent reprises ou à peineremaniées : mesures du ministre de l'Agriculture Caziot facilitant le remembrement, loi bancaire de 1941,statut général des fonctionnaires, création des comités sociaux auxquels succéderont les comitésd'entreprise, ébauche d'une planification avec le plan de dix ans en 1942... Même si l'effort de rénovation estentravé, d'abord à cause de la présence d'un fort courant réactionnaire à Vichy, ensuite par les circonstancesde la défaite et de la guerre qui continue, le mouvement est bien lancé. Signe mystérieux du changement, lanatalité française commence à se redresser dès 1943, au beau milieu du conflit, au moment où lescirconstances sont les plus difficiles.

II- 1945-1973 : le « miracle français »

De la fin de la guerre à la première crise du pétrole, la France connaît un taux de croissance exceptionnel(tabl. 1) , mais plus encore des progrès qualitatifs remarquables : l'investissement et les gains deproductivité se situent à des niveaux très élevés, supérieurs à la moyenne de l'O.C.D.E. (tabl. 2)

Taux de croissance annuel du P.I.B.

Le taux de croissance annuel du P.I.B. de la France au XXe siècle: moyennes pour les périodesconsidérées, en pourcentage.(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)

Économie entre 1960 et 1973

L'économie française entre 1960 et 1973: valeurs moyennes pour les périodes considérées, enpourcentage. Entre parenthèses: moyennes pour l'O.C.D.E. (source: O.C.D.E., «Statistiquesrétrospectives»).(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)

La modernisation par l'État

Les tendances au pouvoir après la Seconde Guerre mondiale – gaullistes, démocrates-chrétiens,socialistes, communistes – partagent la même volonté de changement, même si elles ne donnent pas tout àfait le même sens à ce terme. Ainsi, selon Pierre Rosanvallon, « la notion de malthusianisme joue après 1945le même rôle que celle d'Ancien Régime après 1789 : elle permet le consensus, comme si la dénonciation duvieux suppléait l'indétermination du neuf ».

Un élément clé de ce consensus repose sur le rôle attribué à l'État dans la modernisation de l'économie,puisque le patronat en paraît incapable. Moralement, il semble discrédité, comme le rappelle PierreLefaucheux, premier président de la Régie Renault nationalisée : « La faillite du capitalisme n'avait pas étéclairement établie par les difficultés économiques de la période 1919-1935. Elle est apparue d'une manièreéclatante lorsque toute une partie du patronat de 1940 s'est ruée vers la collaboration. » Le capitalismefrançais paraît surtout trop faible pour soutenir et financer l'effort de modernisation. L'argument qui vautpour les houillères, dispersées et vétustes, s'étend aux secteurs de pointe comme l'aéronautique pourlaquelle l'ampleur des investissements dépasserait les moyens du privé. Dans le cas de l'électricité, où laconcentration était déjà bien entamée avant 1939, on insiste sur l'indispensable harmonisation du réseau, lanécessité de lancer un vaste programme hydroélectrique et l'idée que l'organisation du secteur déboucherasur un monopole que l'État seul pourra assumer.

Cette condamnation n'est pas le fait de la seule gauche. Le général de Gaulle acquiesce pour l'essentiel.Même s'il s'oppose à certaines nationalisations (sidérurgie), il justifie leur principe : « C'est à l'État,aujourd'hui comme toujours, qu'il incombe de bâtir la puissance nationale, laquelle, maintenant, dépend del'économie. Tel est à mes yeux le motif principal des nationalisations, de contrôle, de modernisation. »

Ces nationalisations se déroulent en trois vagues. D'abord, une série d'ordonnances, jusqu'en juin 1945, où passent sous le contrôle public Renault et Gnome et Rhône, considérées comme coupables de collaboration, mais aussi les transports aériens, Sciences po, tandis que les mines de charbon sont

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réquisitionnées. De décembre 1945 à juin 1946 sont ensuite votées des lois qui entérinent les plusimportantes acquisitions du secteur public : la Banque de France et les quatre grandes banques de dépôt(Société générale, Crédit lyonnais, Banque nationale du commerce et de l'industrie, Comptoir nationald'escompte), le gaz et l'électricité, les charbonnages ainsi que trente-quatre compagnies d'assurances. En1948, enfin, ces mesures sont complétées par la prise de contrôle de la marine marchande et la création dela R.A.T.P.

Aux nationalisations il convient d'ajouter la création de nombreux organismes publics destinés àencadrer l'économie : Bureau de recherche pétrolière, Commissariat à l'énergie atomique... L'accent est missur l'effort de recherche, comme le confirme la création du C.N.R.S.

Bien d'autres réformes décisives doivent être portées au crédit de cette période. La plus importanteconcerne la planification avec la création, en janvier 1946, du Commissariat général du plan. Sa missionconsiste à dégager les priorités économiques et à concentrer les moyens de l'État sur quelques secteurs clés.Pour cela est créé le Fonds de modernisation et d'équipement qui deviendra, lors du IIe plan, Fonds dedéveloppement économique et social. Cet organisme entérine les projets d'investissement des grandesentreprises nationales ; il étudie également les demandes de subventions qui sont adressées à l'État et jugede leur conformité avec les objectifs du plan. Comme le note Pierre Rosanvallon, « le plan a surtout servi àplanifier l'État lui-même » et a permis aux dirigeants du pays de définir clairement leurs objectifs. Parailleurs, la Sécurité sociale, instaurée en 1945 et 1946, correspond à un souci social mais sert aussi àrenforcer le dispositif nataliste et à maintenir la main-d'œuvre en bonne santé. Ainsi le social rejointl'économique, ce que confirment la réforme du fermage et du métayage, le nouveau statut desfonctionnaires, la création des comités d'entreprise et l'inscription du droit de grève dans la Constitution :des travailleurs mieux protégés seront des travailleurs plus motivés et, partant, plus efficaces.

Rien ne serait possible, cependant, si l'État ne se dotait des moyens humains appropriés. Tel est le sensde la nationalisation partielle en 1945 de l'École libre des sciences politiques (Sciences Po), volontiersaccusée d'avoir formé une élite de hauts fonctionnaires issue de la bourgeoisie et imbue des théorieslibérales. En contrepoint est créée l'École nationale d'administration, l'É.N.A., où enseigneront Alfred Sauvy,Pierre Uri, François Bloch-Lainé (auteur de Profession fonctionnaire), plus tard Simon Nora, autant dereprésentants notables du camp des modernisateurs. Cette institution contribuera de plus en plus, à côté dePolytechnique et, parfois, de Normale sup, à former les grands commis de l'État qui s'illustreront dans lesministères et à la tête des entreprises publiques. Afin que ces hommes soient mieux informés sont créésl'Institut national de la statistique et des études économiques, l'Institut national d'études démographiques etla Direction de la prévision (le terme date de 1962) du ministère de l'Économie et des Finances, tandis queles méthodes de la comptabilité nationale seront expérimentées à partir de 1951.

L'État se trouve ainsi doté de moyens considérables. La France n'est pourtant pas devenue un payssocialiste. Jean Bouvier n'hésite pas à parler d'une « révolution confisquée ». C'est que, par la force deschoses, la France est dans le camp américain. Le capitalisme reste en place et beaucoup des hommes aupouvoir entendent non pas le réduire, mais au contraire permettre l'émergence de puissantes entreprisesprivées. Ils ne veulent renforcer le rôle de l'État que dans la mesure où le secteur privé est insuffisant,comme le précisera très clairement Pierre Massé, commissaire au Plan lors du IVe plan : « Le plan est unsubstitut au marché dans le cas où celui-ci est irréalisable, défaillant ou dépassé. »

Jean Monnet n'a pas une autre conception, lui qui limite volontairement le nombre des membres duCommissariat général du plan à une petite équipe, pour éviter toute dérive bureaucratique. Il mise d'ailleurssur la recherche du consensus qui doit se dégager des commissions de modernisation, composées demembres de l'administration et de représentants syndicaux et patronaux et chargées d'élaborer le projet deplan. C'est ce qu'il appelle l'« économie concertée », recherche d'une voie moyenne qui réapparaît à diversesreprises dans l'histoire française, sous le nom d'économie contractuelle, avec Jacques Chaban-Delmas, oud'économie mixte sous François Mitterrand.

Le moment où cette voie moyenne s'est imposée peut être daté : la démission de Pierre Mendès France, en avril 1945. Le plan que proposait ce dernier prévoyait un échange de billets avec blocage d'une partie des fonds afin de briser l'inflation ; il comprenait aussi tout un programme de nationalisations (sidérurgie, machine-outil) et d'encadrement de l'économie par un vaste ministère de l'Économie nationale. Avec le rejet de ce plan, la France s'oriente peu à peu vers un relatif libéralisme. Le tournant est pris par René Mayer à la fin des années 1940 : les contrôles sur les prix et les salaires sont levés, ce qui impose l'instauration d'un

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salaire minimum interprofessionnel garanti (il sera indexé sur les prix et deviendra le S.M.I.G. en 1952). Onpeut estimer que cette période correspond à la fin de la reconstruction, puisque le Ier plan, qui avait étéprolongé au-delà de son terme normal, laisse la place au deuxième en 1953.

Une reconstruction en milieu fermé

Dire que la reconstruction de l'économie française s'est effectuée en milieu fermé peut paraîtreétonnant : le pays ne bénéficie-t-il pas de l'aide américaine dans le cadre des accords Blum-Byrnes (1946) etdu plan Marshall (20 p. 100 des fonds distribués lui sont destinés) ? N'adhère-t-il pas au G.A.T.T. et au F.M.I. ?Ne crée-t-il pas, en 1944, la Banque française du commerce extérieur (B.F.C.E.) pour soutenir sesexportations et, en 1945, la Coface pour assurer l'activité de ses nationaux à l'étranger ?

L'ouverture de l'économie française reste pourtant limitée et sélective : les exportations ne représententtoujours que 11 p. 100 du P.I.B. en 1950 et autant en 1960 – moins qu'en 1929. De surcroît, ces échanges seréalisent largement avec l'ancien empire colonial, l'Union française, qui assure 30 p. 100 du commerceextérieur de la métropole tout au long des années 1950. La France maintient par ailleurs des contingents etrétablit à diverses reprises des cours multiples pour le franc, en contradiction complète avec les règles duG.A.T.T.

Pour entamer son redressement, la France doit mobiliser ses propres forces. L'État fournit un effortremarquable et finance, en 1948, 50 p. 100 de l'investissement productif du pays (28 p. 100 encore en1958). La production d'énergie est développée sur le sol national avec le charbon (le maximum est atteint en1958 avec 59 millions de tonnes) et l'hydroélectricité (barrages de Génissiat en 1948, deDonzère-Mondragon en 1952). Les travailleurs acceptent de nombreuses heures supplémentaires tandis queles immigrés du Maghreb comblent les vides des générations creuses.

En 1950, l'industrie a presque retrouvé le niveau de production de 1929. Peut alors commencer unepériode de croissance rapide qualifiée par Edgar Faure d'« expansion dans la stabilité » : entre 1954 et 1957,la production industrielle augmente au rythme moyen de 10 p. 100 l'an et, en 1956, la France retrouve unexcédent commercial. L'impression de redressement est confirmée par la croissance démographique (lebaby-boom). Le taux de natalité dépasse 20 p. 1000 tout au long de la IVe République et se maintient à ceniveau élevé jusqu'au milieu des années 1960. Alors que la population avait stagné de 1914 à 1945, elleprogresse à un rythme rapide : les 50 millions sont atteints au début des années 1970. Ces générationsnombreuses supposent de nouveaux investissements, en écoles, en cliniques, en logements. Ellesmaintiennent la demande à un niveau élevé, ce qui contribue à la croissance générale.

Un tel progrès ne va pas sans déséquilibres. L'accent mis sur l'énergie et les industries lourdes favoriseles vieilles régions industrielles. Jean-François Gravier le perçoit bien, lui qui dénonce en 1947, dans Paris etle désert français, les effets pervers du plan Monnet. Le même plan est mis en question à travers la formuleironique « Monnet-monnaie » : l'inflation persiste en effet tout au long de la IVe République, malgré les effortsdu gouvernement d'Antoine Pinay (1952-1953). Il est possible d'y voir une conséquence du refus du planMendès France en 1945 ; il s'agit également d'un moyen commode de financer la croissance : lesentreprises, sont encouragées à s'endetter puisqu'elles savent qu'elles rembourseront plus tard avec unemonnaie dépréciée.

À partir de 1956, cependant, la hausse des prix s'emballe. L'arrivée au pouvoir du Front républicain et deGuy Mollet y contribue par l'adoption de mesures sociales (troisième semaine de congés payés) et par lamontée des dépenses militaires en Algérie qui aggravent le déficit budgétaire. Le déficit commercial secreuse, expliquant l'instauration du « franc Gaillard » (1957), déprécié pour les exportateurs et surévaluépour les importateurs.

Même si la situation économique et sociale ne provoque pas la chute de la IVe République, elle créecependant un contexte favorable à son effondrement.

État et capitalisme

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Le retour au pouvoir du général de Gaulle constitue une rupture politique plus qu'économique. Lestournants importants ont été négociés dès le début des années 1950 : ouverture sur l'Europe avec l'adhésionà la Communauté européenne du charbon et de l'acier (C.E.C.A.) en 1951, éloignement de l'ancien empirecolonial et amorce de la décolonisation, lente régression du rôle de l'État et encouragement audéveloppement de grandes entreprises privées... Deux mesures sont particulièrement significatives :l'instauration de la taxe à la valeur ajoutée, en 1954, stimule à la fois les investissements et les exportationsqui ne sont pas assujettis au nouvel impôt ; l'institution par E.D.F. d'un tarif modulé permet de facturer lecourant à haute tension, destiné aux industriels, moins cher que le courant à basse tension utilisé par lesménages. L'État organise, dans ces deux cas, un transfert de richesse des particuliers vers les entreprises.

Ce rôle complexe de l'État est confirmé pendant toute la période gaullienne, voire postgaullienne.L'ambiguïté des relations entre État et capitalisme apparaît dans la comparaison entre les deux premierschefs de gouvernement de la Ve République : d'une part, Michel Debré, jacobin d'excellence et initiateur del'E.N.A. ; de l'autre, Georges Pompidou, passé par la banque Rothschild.

À certains égards, la place de l'État est en effet renforcée : le secteur public s'étend à de nouveauxdomaines (pétrolier avec la création de l'E.R.A.P., nucléaire) et joue plus que jamais son rôle de vitrinetechnologique (l'aéronautique) et sociale (quatrième semaine de congés payés chez Renault en 1962). Leplan devient une « ardente obligation ». Le gouvernement dessine les lignes de force du développement dupays à travers de grands projets (nucléaire, aéronautique, plan Calcul...). Il définit les spécialisations dontdoit se doter la France, concentre les moyens et délimite des zones destinées à se consacrer à ces activitésessentielles (pôles industrialo-portuaires, zones touristiques dans les Alpes ou le long de la côte deLanguedoc-Roussillon, pôle aéronautique de Toulouse). Il met l'accent sur la force du franc, élément cléd'une véritable politique d'indépendance nationale aux yeux du général de Gaulle. En un mot, c'est à l'Étatde déterminer les orientations majeures du pays, à l'abri de l'influence de tout intérêt particulier. « Lapolitique de la France ne se fait pas à la corbeille », avertit de Gaulle.

Pourtant, si l'État est en charge de l'essentiel, c'est aux entreprises capitalistes de mener à bien l'effortde modernisation dont il a fixé le cadre et les aspects. Aussi la période gaulliste coïncide-t-elle avec un reculde son intervention en ce qui concerne le financement de l'économie : en 1968, il n'assume déjà plus que18 p. 100 du financement de l'investissement productif, et le chiffre continuera à se réduire. Les patrons sontencouragés à trouver les capitaux dont ils ont besoin auprès de la Bourse (création de l'avoir fiscal en 1965)et des banques (lois Debré de 1966 et 1967, qui assouplissent la distinction entre banques de dépôt etbanques d'affaires et permettent de mobiliser l'épargne des particuliers au profit des entreprises). Laconcurrence est encouragée par l'adoption de la circulaire Fontanet, qui interdit le refus de vente (1961), etsurtout par l'ouverture sur le monde et sur l'Europe. Jean Monnet avait souhaité la construction européennepour de nombreux motifs – assurer la paix en Europe, soutenir la croissance, jeter les bases d'un ensemblecohérent et puissant... Une autre de ses raisons est moins connue : poser des garde-fous àl'interventionnisme de l'État français, le grand marché européen faisant prévaloir la logique libérale sur leslois et les règlements. Il est vrai que l'horizon des entreprises en sera peu à peu élargi, ce qui leur permettrad'échapper au tête-à-tête avec les pouvoirs publics.

On voit d'ailleurs apparaître dès cette époque le souci de mieux gérer le secteur public en adoptant descritères d'évaluation inspirés du privé. Le rapport Nora, en 1967, propose de distinguer ce qui relève duservice public, qui doit être subventionné, et ce qui relève d'une activité normale d'entreprise, qui doit êtreprofitable. Cela suppose que les entreprises nationales acquièrent une certaine autonomie de gestion. Cespropositions déboucheront sur la signature de contrats de programme pendant le gouvernement de JacquesChaban-Delmas (le premier est établi avec E.D.F., en 1970).

Ainsi se précisent les relations entre État et capitalisme. Elles ne seront guère modifiées avant 1981,même si l'inflexion libérale se renforce sous Georges Pompidou et sous Valéry Giscard d'Estaing :l'administration continue à prendre en charge les orientations essentielles dans le cadre de ce qu'Élie Cohena appelé l'« État colbertiste ». Elle entend surtout encourager l'émergence de grandes sociétés françaises,puissantes et rentables, capables de s'affirmer à l'échelle européenne et mondiale.

Ces relations étroites entre administrations et entreprises se fondent sur une grande unité de la classe dirigeante, même si elle présente deux visages différents. À l'ère des notables et des patrons succède la période des technocrates et des managers. Ils ont souvent connu les mêmes écoles, fréquenté les mêmes cabinets ministériels et gardé des contacts étroits. Selon une étude de Michel Bauer et Bénédicte

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Bertin-Pourot consacrée aux deux cents premières entreprises industrielles françaises dans les années 1980,les trois quarts de leurs dirigeants avaient suivi le même cursus : une grande école, puis un cabinetministériel avant d'obliquer vers le privé. Une telle homogénéité de la classe dirigeante assure une largecohésion à la politique économique.

Ce sont les fondements de ce que Michel Drancourt qualifie « d'étato-capitalisme à la française ». Cetétato-capitalisme ne concerne toutefois que les grandes entreprises, et non la majorité des P.M.E. Même lespremières conservent d'ailleurs une marge d'action importante qui s'accroît au fur et à mesure qu'elless'internationalisent et que l'économie se libéralise, surtout s'il s'agit d'entreprises tertiaires. L'État se polariseen effet sur l'industrie. Et c'est dans un angle mort de sa vision que se développent beaucoup de services, enparticulier la grande distribution : celle-ci est le fait de provinciaux bretons, champenois, stéphanois oudauphinois, parfois autodidactes, éloignés des cercles parisiens du pouvoir.

Ouverture et modernisation

L'un des principaux efforts de l'État consiste à ouvrir le capitalisme français sur l'extérieur. En 1957, laFrance signe les traités de Rome (25 mars) et adhère à la Communauté économique européenne et àEuratom. La France commence à abaisser ses droits de douane en 1959 et participe de plain-pied à laconstruction d'une Europe économique dont elle tire profit (débuts de la politique agricole commune en1962). En revanche, le général de Gaulle s'efforce d'orienter la nouvelle organisation dans le sens d'une« Europe des patries » et il refuse la supranationalité comme la dilution au sein d'un ensemble atlantiquedominé par les États-Unis. Aussi fait-il échouer à deux reprises (1963 et 1967) l'entrée du Royaume-Uni, jugétrop proche des Américains ; il paralyse Euratom pour éviter que celui-ci ne contrôle la force de frappefrançaise, et il impose, en 1966, le compromis de Luxembourg qui permet aux États membres de faire jouerun droit de veto si « des intérêts très importants » sont en jeu.

L'ouverture économique sur l'Europe s'accompagne d'une ouverture sur le monde. Le rapportArmand-Rueff la recommande en 1958, et le franc est dévalué de 17,5 p. 100, ce qui doit rendre leurcompétitivité aux produits français ; en même temps, il devient complètement convertible. Enfin, au débutdes années 1960, les derniers contingents qui subsistaient de la période antérieure sont supprimés.

L'indépendance de l'Afrique noire puis de l'Algérie ne va pas en sens contraire. D'abord, la Frances'efforce de rester présente sur place – avec succès en Afrique noire. Ensuite, les liens avec les pays du TiersMonde qui s'indignaient de la persistance de la colonisation française vont pouvoir se renforcer. Enfin, laFrance s'efforce de réorienter ses échanges en direction d'autres pays que ses anciennes colonies. « Il n'y apas que l'Algérie, il y a l'Europe, il y a le monde », explique le général de Gaulle aux officiers parachutistesen 1961.

Cette ouverture sur le monde n'est d'ailleurs pas immédiatement acceptée par les Français. En 1951, lesentreprises sidérurgiques protestent contre la création de la C.E.C.A., dont elles craignent qu'elle ne soitdominée par l'Allemagne ; beaucoup d'agriculteurs sont réticents et certains syndicats, à commencer par laC.G.T., proche du Parti communiste, critiques à l'égard d'une Europe qui leur paraît favorable aux États-Uniset aux intérêts du patronat. L'État a dû jouer un rôle d'initiateur, voire d'éducateur, qui est d'ailleursrapidement couronné de succès, puisque le C.N.P.F. approuve les traités de Rome et que le monde paysanprofite de l'instauration de la politique agricole commune.

On attend de l'ouverture qu'elle provoque un choc modernisateur qui contribuera à transformer le pays.L'élément le plus important de cette modernisation consiste dans la concentration des entreprises. En 1958,parmi les cent premières entreprises industrielles mondiales, il n'y en a qu'une seule française, la C.F.P., etencore trône-t-elle à la quatre-vingt-dix-huitième place ! L'État encourage donc le rapprochement entreentreprises : il donne l'exemple dans le secteur public (création de la S.N.I.A.S. en 1970), adopte unelégislation favorable, accorde des prêts (ainsi quand Peugeot rachète Citroën). Parfois, il impose : lors duprogramme sidérurgique de 1966 où il subordonne son aide au regroupement du secteur autour de deuxgrandes sociétés, Usinor et le futur Sacilor. Mais l'État peut aussi dissuader quand les fusions ne lui semblentpas souhaitables, comme dans le cas du projet de rachat de Citroën par Fiat : dans la conception gaullistedes choses, c'est un capitalisme national qu'il s'agit de promouvoir.

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Cette politique de concentration se prolonge sous les successeurs du général de Gaulle. Tout justepeut-on noter une légère évolution avec Georges Pompidou, qui préfère encourager l'apparition de deuxgrandes entreprises par secteur – ne serait-ce que pour empêcher les situations de monopole (théorie duduopole). Ainsi émergent, à coups de fusions et de rachats, de puissants groupes commePechiney-Ugine-Kuhlman, Saint-Gobain-Pont-à-Mousson (1971), Rhône-Poulenc qui reprend Progil en 1971également, Peugeot qui absorbe Citröen en 1974 et Chrysler Europe en 1978. En 1979, la France necomptera pas moins de neuf groupes dans les cent premières sociétés industrielles mondiales.

Plus puissants, ces groupes industriels peuvent investir plus largement : la formation brute de capital fixereprésente près de 24 p. 100 du P.I.B. entre 1960 et 1973, un chiffre comparable à celui de l'Allemagne.L'État contribue à cet effort par de grands travaux d'équipement (plan directeur autoroutier en 1960, portsautonomes en 1965, canalisation de la Moselle puis du Rhin à partir de 1958, plan de développement destélécommunications en 1969, inauguration de l'aéroport de Roissy en 1974...). L'effort de recherche etdéveloppement est important et atteint 2,2 p. 100 du P.I.B. en 1973 : de nouveaux organismes publics ycontribuent (Centre national d'études spatiales, Centre national d'études des télécommunications), tandisque l'Agence nationale de valorisation de la recherche (Anvar, 1966) diffuse auprès des P.M.I. les résultats deces découvertes. La forte croissance du secteur industriel (7 p. 100 par an entre 1960 et 1973) peut êtresoutenue par les commandes de l'État ou par des lois incitatives (ainsi l'instauration du planépargne-logement, en 1965, qui dynamise le secteur du bâtiment).

Pendant toute cette période, industrialisation et modernisation semblent aller de pair. Le VIe plan estplacé sous le signe de l'« impératif industriel ». Le secteur secondaire fait travailler 40 p. 100 des Français en1968 – le pourcentage le plus élevé jamais atteint. Mais la modernisation du secteur agricole est non moinsspectaculaire. Grâce aux lois d'orientation de 1960 et de 1962, qui instaurent les S.A.F.E.R. (sociétésd'aménagement foncier et d'établissement rural) et l'indemnité viagère de départ, la concentration desexploitations est encouragée comme le rajeunissement des agriculteurs. Preuve du succès de cette politique,en 1971 la balance agroalimentaire de la France devient excédentaire – elle le restera à partir de cette date,sauf en 1976.

L'État s'attache enfin à rendre l'effort de modernisation acceptable sur le plan social (mesures en faveurde la participation, mensualisation, création en 1970 du S.M.I.C. pour réduire les inégalités salariales) commesur le plan géographique. Le risque existe, en effet, de voir les progrès se concentrer sur les régions les plusavancées. Aussi la D.A.T.A.R. (Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale) est-elleinstituée en 1963.

Il existe une véritable unité de la période 1958-1973 ; le départ du général de Gaulle en 1969 neprovoque pas de changement profond. Par conviction, Georges Pompidou (qui avait d'ailleurs été Premierministre entre 1962 et 1968) fait seulement évoluer les choses dans le sens d'un plus grand pragmatisme(abandon en 1969 de la filière française du nucléaire, qui paraît peu rentable), d'un plus grand libéralisme etd'une plus grande ouverture : en particulier il se montre favorable à l'entrée de capitaux étrangers et ilpousse les entreprises publiques à chercher des partenaires au-delà des frontières (création d'Airbus en1969, accord General Electric-S.N.E.C.M.A. en 1973). L'État commence également à porter attention auxproblèmes spécifiques des P.M.I. et crée, en 1970, l'Institut de développement industriel, destiné à fournirdes moyens financiers à de petites entreprises dynamiques.

La haute croissance

Le bilan de cette période se révèle brillant : le P.I.B. augmente de 5,4 p. 100 l'an entre 1960 et 1973, lesgains de productivité de 4,7 p. 100, ce qui confirme bien l'idée d'une modernisation rapide du pays. Desétapes peuvent cependant être distinguées.

L'accent est d'abord mis sur les grands équilibres : plan Pinay-Rueff en 1958, dont les acquis sont remis en question par l'accélération de l'inflation liée à l'arrivée des rapatriés d'Algérie en 1962 ; plan de stabilisation de Valéry Giscard d'Estaing en 1963. L'inflation est relativement contenue – elle est même inférieure à l'inflation allemande au milieu des années 1960 –, l'équilibre du commerce extérieur est fréquent, le déficit budgétaire est minime. La croissance reste rapide, et le chômage modeste, dans la mesure où la population active augmente encore faiblement. Cependant, le nombre des chômeurs atteint

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déjà 300 000 en 1967, ce qui explique la création de l'A.N.P.E.

Les événements de 1968 n'entraînent pas les conséquences économiques que l'on pouvait craindre.Sans doute les accords de Grenelle (27 mai) sont-ils suivis d'effets importants : la section syndicale reçoitdes moyens d'action nouveaux dans les entreprises de plus de cinquante salariés, le principe du S.M.I.C. estaccepté. Surtout, ces accords entraînent une hausse des salaires qui met en difficulté les entreprises, réveilleles tensions inflationnistes et provoque un déficit commercial élevé. Le franc est attaqué, malgré la fermetédu général de Gaulle qui affirme sa volonté de ne pas dévaluer. En fait, les mesures de Grenelle sonnent leglas de la politique restrictive instaurée en 1963. La croissance s'accélère, les entreprises sont dopées par laforte demande et aidées par des baisses d'impôt. En décidant, en 1969, de dévaluer de 12,5 p. 100, GeorgesPompidou inaugure une période d'excédents commerciaux élevés (de 1970 à 1973). Avec le recul du temps,sa présidence apparaît comme une nouvelle « belle époque ».

En réalité, les choix effectués se révéleront contestables : la compétitivité du pays se fonde sur un francdéprécié (les effets de la dévaluation de 1969 sont prolongés par la décision de ne pas réévaluer en 1971comme le font les principaux partenaires européens) et sur l'emploi d'une main-d'œuvre médiocrementqualifiée et peu onéreuse (la période 1969-1973 est en effet celle où le recours à l'immigration est le plussystématique). Déjà, des déséquilibres se manifestent : malgré des mesures strictes (encadrement du crédit,utilisation du système des réserves obligatoires), l'inflation dépasse 6 p. 100 par an entre 1968 et 1973 et letaux de chômage s'élève à 3 p. 100 à la veille de la crise.

III- La crise, un révélateur

Chocs pétroliers et difficultés internes

La crise des années 1970 affecte spécialement la France pour de nombreuses raisons.

Sa dépendance énergétique est particulièrement élevée (les importations représentent 75 p. 100 de laconsommation d'énergie en 1973), et le franc reste faible, ce qui alourdit considérablement la factureénergétique (largement réglée en dollars) : elle passe de 15 à 152 milliards de francs entre 1973 et 1984.Les tendances inflationnistes, déjà fortes auparavant, s'accentuent encore et la hausse des prix atteint 14 p.100 en 1974. Le profit des entreprises avait déjà diminué entre 1968 et 1973 ; il chute encore, et leur tauxd'épargne passe de 17 p. 100 en 1967 à 14 p. 100 en 1973 et 11 p. 100 en 1979.

Cette constatation rappelle que la crise n'a pas que des origines externes : les difficultés du systèmetayloriste, le malaise de l'O.S., l'endettement des entreprises, la saturation qui apparaît pour certainsproduits (acier, logements), la fin du baby-boom (l'indicateur de fécondité tombe à 1,8 dans les années1980) sont autant d'éléments qui contribuent à faire entrer l'économie en crise.

Celle-ci se manifeste, comme ailleurs, par le phénomène de stagflation qui ajoute à l'inflation (10,7 p.100 par an entre 1973 et 1979) le ralentissement de la croissance : le P.I.B. n'augmente plus que de 2,8 p.100 annuellement entre les mêmes dates. L'effectif des chômeurs progresse régulièrement, comme de façoninéluctable, franchit la barre du million en 1976 et atteint 1,7 million en mai 1981. L'équilibre commercial estcompromis et le déficit devient la règle, sauf en 1975 et en 1978 (tabl. 3).

Économie française dans la crise

L'économie française dans la crise: valeurs moyennes pour les périodes considérées, enpourcentage. Entre parenthèses: moyennes pour l'O.C.D.E. (source: O.C.D.E., «Statistiquesrétrospectives»).(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)

Face à cette situation, la politique conjoncturelle semble hésiter. Les premières mesures tardent, à cause de la maladie de Georges Pompidou puis de l'élection présidentielle de 1974, gagnée par Valéry Giscard d'Estaing. Après un bref plan de refroidissement en juin 1974, le programme adopté en 1975 par le Premier ministre Jacques Chirac vise à relancer l'activité grâce à des aides aux entreprises. La croissance se redresse, mais le chômage ne diminue pas et le déficit commercial réapparaît. Aussi, en septembre 1976,

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Raymond Barre devient-il Premier ministre tout en assumant directement la direction de l'économie et desfinances. Il condamne la « politique de l'escarpolette » et met l'accent sur la défense du franc : un franc fortpermettra de réduire la facture pétrolière, soutiendra l'internationalisation des entreprises et les forcera à unvéritable effort de compétitivité. La France adopte des méthodes inspirées par les théories monétaristes, telle contrôle de la progression de la masse monétaire selon des normes définies à l'avance. Le second chocpétrolier (1979-1980) compromet pourtant ces efforts et conduit à adopter un second plan Barre, plusorienté vers la création d'emplois.

Choix libéraux et « socialisme rampant »

La présidence de Valéry Giscard d'Estaing aboutit à de nouvelles orientations. L'intervention de l'État estcontestée : les entreprises doivent devenir adultes et moins dépendre des administrations. Aussi le VIIe plan(1975-1980) paraît-il peu contraignant, qui met l'accent sur vingt-cinq programmes d'action prioritaire(P.A.P.) ; le VIIIe plan ne comporte même aucune référence chiffrée. Le symbole le plus net de cette volontéde désengagement reste la libération progressive des prix à laquelle s'attache le ministre de l'ÉconomieRené Monory.

Le deuxième axe de la nouvelle politique consiste dans l'attention portée aux problèmes des entreprises.La libération des prix vise d'ailleurs à leur permettre de reconstituer leurs marges. Toute une série demesures concernent plus précisément les P.M.E., comme la réforme de l'Anvar.

Le redéploiement constitue le troisième volet de cette politique. La France n'envisage pas, en effet, de sereplier sur elle-même : pour payer l'indispensable pétrole, il faut exporter davantage. Pour ce faire,l'économie française doit s'adapter au nouveau contexte. Michel d'Ornano, ministre de l'Industrie, définit leredéploiement industriel comme « un contenu nouveau à l'effort d'adaptation permanent de l'outilindustriel ». Cette stratégie suppose que l'on se désengage d'abord des secteurs condamnés par laconcurrence internationale, en particulier les industries de main-d'œuvre comme le textile ; le « théorème del'O.S. », énoncé par Michel Albert, enseigne en effet que les pays développés ne peuvent être compétitifspour de tels produits face aux nouveaux pays industriels dont les salaires sont beaucoup plus faibles. Il en vade même pour la sidérurgie et pour la plupart des industries de base. Leur déclin inéluctable réduit l'État àun rôle d'encadrement social : rendre supportable la régression de l'activité. Ainsi, en 1979, le plan Barreinstaure le système des préretraites dans le secteur sidérurgique.

D'un autre côté, la France doit se spécialiser dans les activités où elle peut être réellement efficace. Ils'agit des « créneaux » qui sont soigneusement définis : agriculture (le premier des P.A.P. du VIIe plan),aéronautique, armes (pudiquement classées dans les « biens d'équipement professionnels »),télécommunications, grands travaux... Le nucléaire joue un rôle central dans ce dispositif : il suppose uneffort d'investissement considérable qui explique qu'E.D.F. représente, à elle seule, 3 p. 100 de la formationbrute de capital fixe en 1977 ; il permet de se libérer partiellement des coûteuses importations pétrolières etdoit fournir aux entreprises une énergie sûre et bon marché ; il autorise aussi la constitution d'un puissantsecteur qui sera capable d'exporter. Dans le domaine de l'informatique, les préoccupations sontcomparables : c'est pour faciliter l'accès au marché américain que le plan Calcul est à nouveau modifié en1976, C.I.I. quittant le consortium européen Unidata et s'associant à Honeywell Bull.

En 1976, Valéry Giscard d'Estaing publie Démocratie française ; il y explique que les Français aspirent àêtre gouvernés au centre. Rien d'étonnant à ce que sa politique économique soit critiquée à droite comme àgauche.

Les gaullistes condamnent le « socialisme rampant » du nouveau président. Il est facile d'affirmer quel'État doit se désengager, mais, en période de crise, ce dernier est au contraire conduit à assumer desfonctions accrues. Ainsi le secteur public a-t-il tendance à croître (cf. la sidérurgie nationalisée dans les faitsen 1978), tandis que les prélèvements obligatoires augmentent régulièrement pour atteindre 42,5 p. 100 en1981.

Plus virulentes encore sont les attaques de la gauche. Elles soulignent que toutes ces mesures favorisent quelques grandes entreprises qui profitent des commandes de l'État, des crédits à l'exportation, des subventions en matière de recherche : le rapport Hannoun (1976) révèle ainsi que la moitié des aides de

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l'État à l'industrie va à sept entreprises, privées pour la plupart. La politique des créneaux n'est pas moinscritiquée. Le redéploiement est assimilé à un renoncement d'autant plus absurde que les créneaux sont trèsdépendants de l'extérieur : à quoi sert de développer les télécommunications alors que la France importel'essentiel des composants indispensables à cette industrie ? Plus elle exportera de matériel téléphonique,plus elle devra importer de mémoires et de microprocesseurs...

À mieux y regarder, cependant, le bilan de cette période n'est pas si négatif. Bien sûr, la croissance seralentit, comme les gains de productivité et l'effort d'investissement. Mais, pour tous ces indicateurs, le paysfait mieux que la moyenne de l'O.C.D.E. – et en particulier mieux que l'Allemagne. Le chômage, même s'ilprogresse et atteint 1,7 million de personnes, est moins élevé qu'ailleurs ; l'inflation reste dans la moyennede l'O.C.D.E.

En ce qui concerne les échanges, la France fournissait 9 p. 100 des exportations de biens et de servicesde l'O.C.D.E. en 1973 et 9,5 p. 100 en 1979. S'il y a déficit commercial, il y a excédent en ce qui concerne lesservices et le pays s'est révélé capable de récupérer une grande part de la facture pétrolière : le secteurparapétrolier à lui seul rapporte des devises égales à 20 p. 100 de cette facture en 1980, et il faut tenircompte également des exportations de produits agroalimentaires, d'armes et de grands travaux, tousfortement demandés par les pays de l'O.P.E.P. La France semble, en fait, s'être assez bien adaptée auxconséquences du premier choc pétrolier. Il en ira différemment du second, d'autant plus qu'une politiqueradicalement nouvelle est pratiquée à partir de 1981.

La « fracture »

Les socialistes avaient inventé, dans les années 1970, un nouveau concept : celui de fracture : il signifieque la gauche au pouvoir créera une nouvelle société réellement différente du capitalisme, tout en sedémarquant de l'idée de révolution, trop identifiée au système communiste. Les Cent Une Propositions ducandidat Mitterrand contiennent l'essentiel des mesures prévues. Bénéficiant de la majorité absolue àl'Assemblée nationale et de la présidence de la République, les socialistes disposent des moyens et surtoutdu temps pour mettre en œuvre ce changement. La présence de quatre ministres communistes dans lesecond gouvernement Mauroy (juin 1981) laisse espérer que le P.C.F. et la C.G.T. apporteront leur soutien.Les conditions sont ainsi radicalement différentes de celles de 1936. Cependant, l'opinion se montrerapidement réticente ; le gouvernement peut-il, dans ces conditions, aller très loin sur la voie duchangement ?

La nouvelle politique s'articule autour de la notion de « reconquête du marché intérieur », en ruptureavec le thème du redéploiement. « Il n'y a pas de secteur condamné, il n'y a que des technologiesdépassées », expliquera le ministre de l'Industrie, Jean-Pierre Chevènement : la France peut être compétitivedans tous les secteurs et aucun ne doit être abandonné. Il faut, au contraire, développer de véritablesfilières, notion que l'on oppose aux créneaux : elles couvriront tout un ensemble d'activités de l'amont àl'aval, comme la filière électronique, allant de la fabrication des composants aux logiciels. Le Ixe plan rappelleque « la vigueur et la puissance d'un appareil industriel dépendent largement de sa cohérence ». Celasuppose une politique volontariste.

Le rôle de l'État se voit donc considérablement renforcé. Les nationalisations de 1981-1982 sont particulièrement significatives. Elles correspondent, selon l'analyse de Christian Stoffaës, à une stratégie anticrise (mettre le secteur public au service de la lutte contre le chômage), anticonflits (créer une véritable démocratie dans l'entreprise) et antitrust (sanctionner les grands groupes qui avaient bénéficié le plus du redéploiement et qui sont suspectés d'hostilité à l'égard de la gauche). Vont être concernés, outre la sidérurgie dont la nationalisation est officialisée dès 1981, cinq grands groupes industriels (Pechiney-Ugine-Kuhlman, C.G.E., Saint-Gobain, Rhône-Poulenc, Thomson), trente-six banques de dépôt, deux groupes financiers (Paribas et Suez) en 1982. LÉtat doit-il prendre 100 p. 100 des parts de ces nouveaux groupes publics ou se contenter de 51 p. 100 ? La première solution est retenue : les socialistes craignent que, si des intérêts privés restent présents dans ces groupes, l'État ne puisse mettre totalement ces derniers au service de sa politique. C'est bien d'une rupture avec l'esprit même du capitalisme qu'il s'agit : « Nous avons nationalisé les banques, il faut maintenant nationaliser les banquiers », confirme Pierre Mauroy. L'État prend par ailleurs le contrôle (à 51 p. 100 cette fois) de Dassault et des activités industrielles de Matra ; il rachète aussi les filiales d'I.T.T. en France et augmente la part du capital qu'il possède dans

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C.I.I.-Honeywell Bull et Roussel-Uclaf.

Le poids du secteur public progresse de façon spectaculaire. En particulier, le secteur public industrielacquiert une importance et surtout une cohérence qu'il ne possédait pas auparavant : alors qu'il représentait6,4 p. 100 de l'emploi industriel avant 1981, il en représente 19,8 p. 100 après 1982 (contre 16,2 p. 100 enmoyenne pour l'ensemble des pays qui forment la C.E.E. à cette époque). L'État est particulièrement présentdans le domaine des industries de base et des industries de pointe. Le secteur public industriel est d'ailleursprofondément réorganisé dans un souci de cohérence et d'efficacité, et afin d'éviter les concurrencesinternes et pour permettre à chaque entreprise de se concentrer sur son métier de base, comme le font à lamême époque beaucoup de groupes capitalistes. Sont ainsi restructurés les secteurs de la chimie(C.F.P.-Total se retire, pour l'essentiel, de la chimie de base confiée en grande partie à Elf Aquitaine), del'informatique (Saint-Gobain renonce à ses activités, que Bull prend en charge pour l'essentiel) ou destélécommunications (confiées à Alcatel, du groupe C.G.E.).

La relance de la planification complète ce dispositif : un vaste ministère de la Planification et del'Aménagement du territoire est constitué. Le nouveau plan s'organisera en deux ensembles : une partieprogrammée, constituée de douze programmes prioritaires d'exécution, qui définissent les objectifsessentiels de l'État, et une partie contractuelle, négociée avec les régions et les entreprises nationales (lescontrats de plan).

Volontarisme industriel et démocratie du travail

Fort de ces moyens, l'État entend renouer avec une véritable politique industrielle. Différents plans sontlancés en 1982 pour soutenir des secteurs en difficulté, pour un coût total de 10 milliards de francs : plantextile, plan machine-outil, plan bois-meuble, plan cuir-chaussures et surtout plan électronique. Ce derniersecteur doit jouer dans le nouveau dispositif un rôle comparable à celui du nucléaire avant 1981. Nonseulement il s'agit d'une activité capable de créer des emplois et de générer des exportations, mais ellepermettra de moderniser la totalité de l'industrie française.

Des moyens importants sont mobilisés en faveur de l'industrie. Les Codevi, nouvelle forme de placementattractive pour les épargnants modestes, alimenteront le Fonds de modernisation industrielle (F.M.I.) destinéà soutenir les P.M.I. ; le Fonds spécial de grands travaux (F.S.G.T.) coordonnera l'effort de l'État en matièrede grands équipements. Le secteur public est mobilisé : les banques sont invitées à soutenir les sociétés endifficulté (ainsi Paribas est contrainte d'entrer dans le capital de La Chapelle-d'Arblay), les entreprisesindustrielles devront investir et soutenir leurs sous-traitants... Enfin, un vaste programme de développementde la recherche est adopté qui prévoit de porter sa part dans le P.I.B. à 2,5 p. 100 (le chiffre atteint au débutdes années 1990 sera de 2,3 p. 100) ; l'instauration d'un crédit d'impôt recherche incite les entreprises àinvestir dans ce domaine.

D'autres mesures prétendent étendre la pratique de la démocratie. En ce qui concerne l'entreprise, leslois Auroux (1982) élargissent les pouvoirs de la section syndicale ainsi que le droit d'expression sur le lieude travail. La loi de décentralisation de 1982 donne aux régions un véritable pouvoir dans un certain nombrede domaines directement liés à l'activité économique (éducation, transports, recherche). De nombreusesmesures sociales sont destinées à rendre la France plus égalitaire (impôt sur les grandes fortunes, tranched'imposition sur le revenu à 65 p. 100, plafonnement du quotient familial...). Tout cela n'est pas inconciliableavec l'efficacité économique, espère-t-on ; au contraire : dans une société plus juste et plus libre, lestravailleurs seront mieux motivés et jouiront d'une plus grande capacité d'initiative.

On retrouve dans cette politique l'esprit de 1945 : dans l'idée des dirigeants de gauche, l'équilibre définiau lendemain de la Seconde Guerre mondiale entre l'État, les travailleurs et les entreprises s'est peu à peudéplacé en faveur de ces dernières ; il faut donc rendre à l'État son rôle directeur et y associer pluslargement les travailleurs. Reste que le contexte est radicalement différent.

Priorité à l'emploi

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La barre des deux millions de chômeurs est en effet atteinte au début de 1982 – malgré lesengagements pris par François Mitterrand pendant la campagne électorale. La lutte contre le chômageapparaît donc comme la priorité absolue.

Comme d'habitude, le secteur public est mis à contribution. En 1981 et 1982, 170 000 emplois sont créésdans les administrations. Des entreprises comme Charbonnages de France embauchent, en même tempsque l'on envisage de relancer l'activité charbonnière au nom de l'indépendance énergétique – il faudra vite yrenoncer. Les autres entreprises publiques s'efforcent au moins de ne pas licencier, en particulier Renault quis'interroge sur la possibilité de fermer certaines usines à l'étranger (Espagne) pour rapatrier l'activité enFrance. À côté de ces mesures ponctuelles, la grande idée du nouveau gouvernement est le partage dutemps de travail. On instaure ainsi la cinquième semaine de congés payés et la retraite à soixante ans. Restele passage aux trente-cinq heures de travail hebdomadaire que les socialistes avaient placé en tête de leursrevendications : on passera en fait à trente-neuf heures sans compensation salariale.

Dans le même esprit, le gouvernement de Pierre Mauroy s'engage dans une politique de relance qui doitcontribuer à la création d'emplois. Elle succède à la relance opérée discrètement par Raymond Barre avantl'élection présidentielle. En tout, l'État injecte dans l'économie des sommes égales à 2,3 p. 100 du P.I.B.(0,6 p. 100 pour Raymond Barre et 1,7 p. 100 pour Pierre Mauroy). C'est autant que les dépenses consentiespar Jacques Chirac en 1975. Mais les circonstances sont différentes, dans la mesure où les principauxpartenaires de la France adoptent au début des années 1980 une politique d'austérité. La France relance àcontre-courant ! Si l'on tient compte des mesures qui ne portent pas directement sur le budget de l'Étatcomme la hausse du S.M.I.G. de 10 p. 100 ou celle des allocations familiales de 25 p. 100, on voitl'importance de l'effort engagé pour soutenir la consommation plus que l'investissement.

Les résultats sont décevants : la croissance stagne à un niveau médiocre (2,5 p. 100 en 1982). Le surplusde pouvoir d'achat distribué a été utilisé pour l'achat de produits étrangers. Aussi le déficit commercialatteint-il le niveau record de 92 milliards de francs en 1982, et cela d'autant plus que le second chocpétrolier et l'appréciation du dollar ont porté la facture pétrolière à un niveau record. Le déficit budgétairereprésente 3,6 p. 100 du P.I.B. en 1982, chiffre qui impressionne, même s'il est relativement modeste parrapport à celui de la plupart des partenaires de la France. Le différentiel d'inflation avec nos principauxpartenaires s'accroît : avec l'Allemagne, en particulier, il dépasse huit points en 1982.

Les entreprises françaises sont particulièrement victimes de cette situation : leur taux d'épargne tombejusqu'à 9 p. 100 (contre 17 p. 100 en 1968) et le taux d'autofinancement s'effondre à moins de 50 p. 100 ;elles aussi doivent s'endetter et réduire leur investissement, ce qui rejaillit sur toute l'activité.

Révélations

Ce qu'il faut bien appeler l'échec de la politique de 1981-1982 agit comme un puissant révélateur. Uneremise en question radicale des choix antérieurs, et pas seulement de ceux de 1981, en découle.

D'abord l'idée qu'il existe une crise est dorénavant acquise. Longtemps la gauche avait rejeté sur leserreurs des gouvernements de droite la responsabilité des problèmes économiques, argument qu'elle nepeut utiliser longtemps (le thème de l'« héritage »). De façon anecdotique, Vive la crise, une émissiontélévisée présentée par Yves Montand, une référence pour beaucoup de gens de gauche, contribue à cetteprise de conscience. On peut expliquer ainsi le réalisme nouveau de certains syndicats (la C.F.D.T.) etl'acceptation d'une certaine austérité. Du même coup l'entreprise, longtemps décriée, paraît réhabilitée auxyeux de l'opinion.

La France découvre aussi toutes les conséquences du mouvement d'ouverture qui s'est engagé depuis les années 1950 : les exportations de marchandises représentent près de 20 p. 100 du P.I.B. au début des années 1980. Cela fait peser sur le pays une « contrainte extérieure » qui passe par trois différentiels : le différentiel de croissance, le différentiel d'inflation et le différentiel de taux d'intérêt. Si la France a plus de croissance et plus d'inflation que ses partenaires, elle risque de subir un déficit commercial inacceptable – et c'est bien ce qui se passe en 1982. Si elle a des taux d'intérêt plus faibles, ce qui semble favorable en termes de croissance, elle risque de voir les capitaux fuir dans des pays voisins. En un mot, la France ne peut pas s'éloigner trop fortement de la politique suivie par ses partenaires. Elle le peut d'autant moins qu'elle fait

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partie de toute une série d'instances internationales qui limitent sa marge de manœuvre : ainsi le plan textileest-il rejeté par la C.E.E. et le plan que le gouvernement lui substitue sous le nom de D.E.F.I. est refusé à sontour.

Pourtant, il apparaît aussi que la France n'est pas suffisamment ouverte sur l'extérieur. Son tauxd'ouverture est inférieur à celui des principaux pays européens comparables (plus de 30 p. 100 pourl'Allemagne). Or, pour vendre à l'étranger, il faut y être présent, et les entreprises françaises sont moinsimplantées à l'extérieur que d'autres : la France ne détient en 1973 que 4 p. 100 du stock mondial d'I.D.E.(investissements directs à l'étranger). Toute sa capacité exportatrice serait ainsi menacée.

La façon dont la France s'est insérée dans la division internationale du travail aggrave cette situation.Cette insertion, bien adaptée aux circonstances des années 1970, l'est beaucoup moins dans les années1980. Au début de ces années, la France réalise en effet 30 p. 100 de son commerce extérieur avec le TiersMonde, et c'est de lui que vient l'essentiel de ses excédents, en particulier en ce qui concerne l'industrie. Àpartir de 1982, la crise de la dette et la baisse du prix des matières premières plongent les pays endéveloppement dans une situation tragique : ils importent moins, et la balance commerciale française en estaffectée. Aussi le contre-choc pétrolier de 1986 n'aura-t-il pas les effets bénéfiques que l'on pouvait espérer ;au contraire, la balance industrielle devient négative en 1987 et la France semble condamnée, tout au longdes années 1980, au déficit commercial.

La place de la France dans l'économie mondiale serait, enfin, compromise par la faiblesse du franc.Celui-ci est dévalué en 1981, 1982 et 1983. Il perd à cette occasion près de 25 p. 100 de sa valeur parrapport au deutsche Mark – après avoir déjà perdu 28 p. 100 entre 1974 et 1980. La dépréciation de samonnaie n'a pas permis à la France de gagner en compétitivité, au contraire : l'Allemagne lui inflige, tout aulong des années 1980, son déficit commercial le plus lourd.

D'une certaine façon, c'est l'action historique de l'État qui est en cause : n'a-t-il pas encouragé ledéveloppement de certains secteurs au détriment d'autres ? Il a concentré toute son attention sur lesprogrès de l'agriculture et sur l'industrialisation, identifiée à la modernisation. Ces choix peuvent êtrecontestés. Dans un rapport au Conseil économique et social, Michel Trigano note que l'État ne consacre que1,4 p. 100 de son budget au tourisme au milieu des années 1980, alors que ce secteur contribue de façoncroissante aux échanges français.

Même en ce qui concerne l'industrie, les interventions publiques peuvent être critiquées. Elles ont prissouvent la forme d'aides à des secteurs en crise – les « canards boiteux » –, ce qui ne fait que maintenir sousperfusion des activités condamnées à terme. Le redressement ne vient pas. Ainsi le plan machine-outil,pourtant doté de 4 milliards de francs, tourne au désastre : Machines françaises lourdes et Intelautomatisme,deux sociétés créées pour l'occasion, font faillite, tandis que l'emploi dans le secteur chute de 21 000 à10 000 travailleurs (entre 1981 et 1991) et que le taux de pénétration s'élève de 40 p. 100 à 65 p. 100.

On peut objecter que l'administration a obtenu de beaux résultats, en particulier dans le cadre du« colbertisme high tech » et des grands projets. Une étude de Paribas révèle cependant que, de 1975 à1982, la France a fait un effort de recherche et développement deux fois plus élevé que celui de l'Allemagneen ce qui concerne le domaine aérospatial, mais deux fois moindre dans le secteur chimique et trois fois plusfaible pour la mécanique. C'est sans aucun doute le résultat de l'intervention des pouvoirs publics qui ontconcentré leurs efforts dans un secteur qu'ils jugeaient essentiel. Mais, dans un pays comme la France, dontles moyens humains et financiers sont comptés, cet effort ne s'est-il pas fait au détriment d'autres activités ?Les économistes parlent à ce propos d'« effet d'éviction ».

La même critique est souvent adressée au secteur public industriel (S.P.I.), dont le redressement est pourtant spectaculaire : les entreprises publiques renouent avec les profits dès le milieu des années 1980. L'État, qui a joué son rôle d'actionnaire et largement investi dans ces entreprises qu'il a réorganisées et internationalisées, n'a-t-il pas eu une action positive ? La droite revenue au pouvoir notera pourtant que ce résultat a été obtenu au prix d'une ponction considérable de l'épargne du pays. Alors que le S.P.I. assure un tiers de l'investissement et un quart de la production industrielle dans la première moitié des années 1980, il draine 52 p. 100 du financement externe des entreprises par ses emprunts et même par l'appel à la Bourse (grâce aux titres participatifs et aux certificats d'investissement que l'on peut assimiler à des actions sans droit de vote). Il bénéficie de 50 p. 100 des aides de l'État à l'exportation, même s'il ne représente que 30 p. 100 de celle-ci. Les entreprises nationales ne se sont-elles pas refait une santé au détriment du secteur

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privé ?

Il est ainsi peu de choix de l'État qui ne soient remis en cause : la concentration des moyens sur lesgrandes entreprises alors que l'heure semble plutôt aux P.M.E., le poids des prélèvements obligatoires (leniveau de 45 p. 100 est atteint en 1984) et surtout leur répartition pesant lourdement sur les entreprises, lalourdeur des charges sociales et des contraintes imposées à ces mêmes entreprises... L'interventionpublique, y compris les mesures adoptées en 1981-1982, expliquerait donc le niveau élevé du chômage.Ainsi les trente-neuf heures, dans la mesure où elles ne s'accompagnent pas d'une baisse équivalente dessalaires, alourdissent les coûts des entreprises et rendent le travail plus cher.

Une France médiocrement ouverte ; des entreprises insuffisamment dynamiques, peu tournées versl'extérieur, étroitement dépendantes des pouvoirs publics ; un État omniprésent qui consacre l'essentiel deson temps à maintenir sous perfusion les secteurs en recul et à retarder les mutations inévitables ; unecompétitivité douteuse, assise, en dépit de tous les discours, sur un franc déprécié et des salaires modestes ;une main-d'œuvre médiocrement qualifiée – faiblesse que le recours systématique à l'immigration aaggravée... Le tableau paraît exagérément noirci. C'est pourtant celui qui est souvent tracé à cette époqueet, une nouvelle fois, la comparaison avec l'extérieur tourne au détriment de la France, alors que sespartenaires s'orientent dans une direction plus libérale. La France semble obligée de s'aligner.

Pascal GAUCHON

IV-Le revirement des années 1980 et ses suites

À contretemps par rapport à la conjoncture internationale, la politique de relance menée par la gauches'est rapidement heurtée à la « contrainte extérieure ». Certes, l'éventualité d'une dévaluation préventiveavait été discutée dès les premiers mois d'exercice du nouveau gouvernement. Elle aurait pu permettre dedégager des marges de manœuvre pour une telle politique, mais cette option avait été abandonnée, afin dene pas envoyer un message jugé trop agressif à la communauté économique internationale.

Le retrait de l'État

Quoi qu'il en soit, la relance isolée conduit à une dégradation du solde extérieur et rend nécessaire unemini-dévaluation de 3 p. 100 en octobre 1981. Celle-ci ne suffit pas à rétablir le commerce extérieur et lesmenaces continuent à peser sur le franc. Les difficultés rencontrées conduisent le gouvernement, àl'initiative de Jacques Delors, à opérer, dès juin 1982, un tournant vers la rigueur. Une deuxième dévaluation(de 5,75 p. 100) s'accompagne d'un blocage conjoint des prix et des salaires. Ce tournant sera confirmé enmars 1983, avec un nouveau plan d'austérité (le terme est alors assumé) assorti d'une troisièmedévaluation, de 8 p. 100. L'objectif est de casser l'inflation qui atteint alors près de 12 p. 100 en rythmeannuel. Le moyen retenu est la désindexation des salaires : il faut empêcher la « boucle prix-salaires » defonctionner, autrement dit freiner les salaires en les déconnectant de la progression des prix, de manière àréduire le taux d'inflation. Cette politique est engagée dans le secteur public, elle exerce un effetd'entraînement sur le secteur privé, et elle réussit : l'inflation ralentit de manière spectaculaire, puisqu'ellepassera de 12 p. 100 en 1982 à 3,1 p. 100 en 1988.

Dans cette opération, les salaires n'ont pas été seulement déconnectés de l'inflation : ils l'ont été aussides gains de productivité, de telle sorte que la part des salaires dans le revenu national baisse de 7 pointsentre 1982 et 1988, passant de 66,6 p. 100 à 59,6 p. 100. Il s'agit là d'une transformation radicale de ladynamique salariale qui marquera les années à venir. À l'époque, elle était justifiée par le « théorème deSchmidt » (du nom du chancelier allemand) énonçant que « les profits d'aujourd'hui sont les investissementsde demain et les emplois d'après-demain ». En rétablissant les marges des entreprises grâce à la modérationsalariale, on rétablissait leur capacité d'investir et donc, à terme, de créer des emplois. Ce tournant vers lamodération salariale a été suivi de plusieurs autres qui correspondent à autant de ruptures avec la logiqueincarnée par l'arrivée de la gauche au pouvoir.

Le choix de rester à l'intérieur du S.M.E. (système monétaire européen) signifie l'abandon de la dévaluation compétitive et le passage à la « désinflation compétitive » dont les principes seront ainsi

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résumés par Jean-Claude Trichet : « une politique monétaire visant à la meilleure maîtrise possible del'inflation ; une politique de finances publiques équilibrée ; une politique de maîtrise des coûts dansl'économie visant à assurer à notre secteur productif la meilleure compétitivité possible dans sonenvironnement naturel de marché qui est l'Europe ; enfin, une politique de réformes structurelles, visant àdonner à notre économie le plus grand dynamisme possible et à y développer la concurrence ».

Cette recherche de la compétitivité par la maîtrise des coûts implique une remise en cause des fonctionsimparties au secteur public et nationalisé. En 1983, Jean-Pierre Chevènement, jusque-là ministre del'Industrie, avait refusé de participer au nouveau gouvernement en raison de ses désaccords sur les contratsde plan entre État et grands groupes nationalisés, qu'il aurait voulu plus contraignants. Le tournant dans lapolitique industrielle est symbolisé en 1984 par le refus de Laurent Fabius, son successeur à l'Industrie,d'accorder les aides publiques qui auraient pu éviter la liquidation de Creusot-Loire. Cela signifie que lesecteur nationalisé n'a pas vocation à s'étendre et qu'il n'est plus conçu comme l'instrument d'une politiqueindustrielle volontariste. L'idée apparaît en filigrane que les nationalisations sont destinées à recapitaliser etrestructurer les groupes dans la perspective de leur retour au privé.

L'étape suivante a consisté à favoriser le développement des marchés financiers. Il s'agissait de trouverde nouvelles sources de financement pour les entreprises, mais aussi pour la dette publique. L'une descaractéristiques de cette période est en effet que les taux d'intérêt réels (hors inflation) ontconsidérablement augmenté et sont devenus supérieurs au taux de croissance de l'économie : c'est ledouble résultat de la politique monétaire des États-Unis initiée en 1979 et du ralentissement de l'inflation enFrance. Ce différentiel déclenche un effet « boule de neige » qui conduit la dette publique à croître plus viteque le P.I.B. en raison des charges d'intérêt. Cette contrainte de financement joue de la même manière surles entreprises.

Un ensemble cohérent de mesures va être mis en place à l'initiative de Pierre Bérégovoy, alors ministrede l'Économie : le contrôle des changes est progressivement levé, pour faciliter l'entrée de capitauxétrangers ; la Bourse est modernisée et l'accès des entreprises y est facilité, l'État remplace les bons duTrésor par des obligations assimilables au Trésor (O.A.T.), et le marché à terme des instruments financiers(M.A.T.I.F.) est créé. L'ambition est de faire de Paris une place financière de première importance, à l'imagede Londres ou de New York. Même si cet objectif ne sera pas vraiment atteint, ces innovations impulsent lepassage d'une économie d'endettement (financée par le crédit) à un véritable capitalisme financier dérégulé.

Politiques de l'emploi

La politique économique ne doit pas seulement préserver les « grands équilibres », elle doit aussi viserau plein emploi. Or le chômage de masse représente une donnée permanente depuis la récession de1974-1975. En 1973, le taux de chômage n'était que de 2,5 p. 100 et on peut le considérer comme unchômage « frictionnel ». À l'arrivée de la gauche en 1981, il est déjà passé à 6,6 p. 100 et continue àaugmenter jusqu'à 9,3 p. 100 en 1986. De 500 000 chômeurs en 1973, on passe à 2 200 000 en 1986. Leprogramme de la gauche prévoyait le passage aux 35 heures en 1985. Ce projet était d'ailleurs en phaseavec les évolutions en cours dans d'autres pays européens, notamment en Allemagne. Mais il a très vitetourné court avec le passage aux 39 heures instauré par ordonnance en janvier 1982, faute d'accord entreles partenaires sociaux. Il s'agit d'un coup d'arrêt, plutôt que de l'ouverture d'un processus : la durée légaledu travail restera inchangée jusqu'en 1998. La durée effective va rejoindre la durée légale et ne baisseraplus que par l'extension du travail à temps partiel.

Bien d'autres voies vont alors être testées par les gouvernements successifs. Le recours aux préretraitesse développe rapidement, notamment dans la sidérurgie. On passe ainsi d'un traitement économique duchômage à un « traitement social ». Ce choix est sous-tendu par des analyses du chômage en termesd'inadaptation aux mutations technologiques de travailleurs peu qualifiés, qui sont en effet les plus touchéspar le chômage. De très nombreux plans vont alors mettre en place des dispositifs visant à rendre« employables » les candidats à l'emploi. On joue sur tous les registres : emplois aidés, contrats spécifiques,stages de formation, aides et allégements de charges. Raymond Barre, alors premier ministre, avait lancé unpacte national pour l'emploi des jeunes en 1977. En 1982, Pierre Mauroy instaure le contrat emploi-formationpuis les T.U.C. (travaux d'utilité collective) en 1984. La même année, une loi réforme la formationprofessionnelle.

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À son retour en 1986, la droite poursuit sur la même voie. Le plan Séguin instaure des exonérations decotisations pour les jeunes et élargit le champ des préretraites, tout en supprimant l'autorisationadministrative de licenciement. De retour au pouvoir en 1988, la gauche suivra les mêmes pistes. Entre 1998et 1990, trois « plans Rocard » successifs introduisent de nouveaux allégements de cotisations, une baissede l'impôt sur les sociétés, des aides à l'emploi local, le contrat emploi-solidarité, puis le contrat de retour àl'emploi, des stages d'accès à l'emploi, des crédits d'impôt-formation puis le plan Cresson prend des mesuresen faveur de l'apprentissage.

En 1993, la ministre du Travail, Martine Aubry, innove en introduisant de fortes incitations au travail àtemps partiel, sous forme d'un abattement de 30 p. 100 des cotisations de Sécurité sociale pour uneembauche à temps partiel ou pour une transformation d'emploi. Cette mesure sera reconduite par la droite,puis supprimée en 2000 par la même Martine Aubry. Elle conduit à un fort développement du travail à tempspartiel, qui passe de 25,2 p. 100 de l'emploi total en 1992 à 31,2 p. 100 en 1997. Mais, comme le volumed'heures offert ne change pas, le résultat est une progression de la proportion de femmes à temps partiel quise déclarent en sous-emploi dans les enquêtes de l'I.N.S.E.E. Cette mesure se réduit donc à des effetsd'aubaine coûteux pour les finances publiques.

L'ensemble de ces mesures ne suffit cependant pas à enrayer la montée du chômage. En revanche, ellescontribuent à modifier la structure de l'emploi et la nature des emplois créés. Entre 1982 et 1991,620 000 emplois « standard » (à temps plein et à durée indéterminée) ont été détruits, tandis que le nombred'emplois « atypiques » (temps partiel, durée déterminée, apprentissage, stages, intérim) a augmenté de1 200 000. Pour 100 emplois « standard », on compte alors 13 emplois de femmes à temps partiel,12 emplois précaires et 17 chômeurs. C'est durant cette période que s'amorcent les tendances quicaractérisent depuis lors le marché du travail français : la précarité, la pauvreté laborieuse (qui concerneprincipalement les femmes à temps partiel) qui conduisent à un dualisme du marché du travail.

En 1988, le gouvernement Rocard instituera le R.M.I. (revenu minimum d'insertion) qui procure unrevenu de compléments aux « exclus » de l'emploi. Ce dispositif était conçu pour leur assurer les moyens deretrouver un emploi, mais la référence à l'insertion est restée formelle, et le R.M.I. a en pratique fonctionnécomme un minimum social. On peut le considérer comme la clé de voûte du traitement social du chômage.

Budget et prélèvements obligatoires

La politique budgétaire est un instrument clé de la politique économique. Elle permet de réguler l'activitééconomique mais introduit une nouvelle contrainte. En 1980, le budget était équilibré, mais le déficit secreuse rapidement, jusqu'à atteindre 2,5 p. 100 du P.I.B. en 1985. Il ne sera jamais comblé, et aura surlongue période tendance à s'aggraver jusqu'au choc de la crise qui le portera à 6 p. 100 du P.I.B. en 2009.Cependant cette évolution ne se résume pas à une croissance excessive des dépenses. Le choc initial estévidemment lié à la relance à contretemps de 1981-1982 : les dépenses augmentent de 2 points de P.I.B., etles recettes ne suivent pas. C'est ensuite l'effet « boule de neige » induit par l'augmentation des tauxd'intérêt réels qui prend le relais.

Interviennent enfin et surtout des choix budgétaires qui privilégient la baisse des recettes, plutôt quel'assainissement budgétaire. Ainsi, la période de reprise de la fin des années 1989, où l'on retrouve des tauxde croissance supérieurs à 4 p. 100 n'est pas mise à profit pour réduire le déficit : au contraire, la part desrecettes baisse de 2 points entre 1987 et 1992, et la récession de 1993 fait mécaniquement plonger le déficitde l'État à 5,3 p. 100 du P.I.B. Une nouvelle période s'ouvre, durant laquelle la part des dépenses publiquesdans le P.I.B. va baisser régulièrement, passant de 25 p. 100 à 20 p. 100 entre 1993 et 2008. Cette baissedes dépenses va conduire à une réduction du déficit : il recule de 1,5 point avec la droite entre 1993 et 1997,puis à nouveau de 1,5 point entre 1997 et 2001 avec la gauche.

Durant la période 1993-2001, la part des recettes était donc à peu près stabilisée, mais par la suite elle se remet à baisser au gré des exonérations fiscales, ce qui débouche sur une nouvelle augmentation du déficit. Un rapport parlementaire de 2010 a évalué l'impact de ces « dix années de pertes de recettes non compensées ». Sa conclusion essentielle est que la France serait arrivée en 2008 avec un léger excédent (+ 0,8 p. 100 du P.I.B.) au lieu d'un déficit de 2,8 p. 100, si la législation fiscale prévalant en 2000 avait été maintenue. On mesure donc en creux l'impact de ce qu'il est convenu d'appeler « cadeaux fiscaux » ou, en

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termes plus techniques, « dépenses fiscales ».

Ces déficits successifs se cumulent et gonflent la dette publique « au sens de Maastricht » qui inclut,outre la dette de l'État, celle des collectivités locales, de la Sécurité sociale et des O.D.A.C. (organismesdivers d'administration centrale, comme le C.N.R.S. ou Pôle emploi). En 2009, la dette représente1 489 milliards d'euros, soit 78 p. 100 du P.I.B. Avec la crise, le critère européen de 60 p. 100 est donclargement dépassé, mais il l'avait été dès 2003. La contribution des collectivités locales et de la Sécuritésociale fluctue autour de 10 p. 100 du P.I.B. sur toute la période. La progression de la dette publique est doncdue essentiellement à celle de l'État (y compris les O.D.A.C.) et reflète les évolutions de la politiquebudgétaire. Le ratio dette de l'État/ P.I.B. augmente de 5,5 points entre 1981 et 1992, mais franchit un pic de17 points entre 1992 et 1998. Puis il se stabilise entre 1998 et 2002, avant de reprendre sa progression.Enfin, la crise de 2008 lui fait franchir une nouvelle marche d'escalier de 8 points de P.I.B.

Cette trajectoire montre que l'envol de la dette est le résultat du jeu combiné de divers facteurs : tauxd'intérêt élevés, chocs conjoncturels, baisse relative des recettes. Contrairement à une analyse souventavancée, on ne peut donc dire que la France vit « au-dessus de ses moyens » mais plutôt qu'elle ne se donnepas les moyens de financer ses dépenses qui ont par ailleurs plutôt baissé en proportion du revenu national.

La dégradation des finances publiques s'inscrit dans une politique qui s'appuie sur un préceptefondamental selon lequel le poids des dépenses publiques constituerait une entrave au dynamismeéconomique et à la compétitivité de l'économie. Dans sa Lettre à tous les Français d'avril 1988, FrançoisMitterrand, alors candidat à un second mandat, écrivait que « la somme des impôts et des charges sociales(ce qu'on appelle les prélèvements obligatoires) atteint un tel niveau que l'envie – et le moyen –d'entreprendre disparaît ». Il y a là une constante, qui va de Valéry Giscard d'Estaing déclarant que « le jouroù ces prélèvements dépasseront 40 p. 100, l'État sera devenu socialiste » à Nicolas Sarkozy dont leprogramme électoral prévoyait de « baisser les prélèvements obligatoires de 4 points de P.I.B. en cinq ans ».

L'augmentation du taux de prélèvements obligatoires n'est pas due à une pression fiscale accrue mais audéveloppement de l'État social, que l'on peut mesurer par la progression régulière des cotisations sociales.En 1981, les cotisations sociales représentent 17 p. 100 du P.I.B., contre 5 p. 100 en 1950. La part desretraites dans le revenu national a augmenté, non pas tant pour des raisons démographiques mais parrevalorisation des pensions, et celle des dépenses de santé a elle aussi progressé régulièrement. Leplafonnement de ces dépenses devient l'un des objectifs de la politique économique. Sur longue période, cetobjectif est à peu près atteint : le taux de prélèvements obligatoires est en 2008 de 43,2 p. 100, contre42,5 p. 100 en 1984. Ce résultat a été atteint moyennant une réforme permanente de la protection sociale.Du côté des retraites, une première mesure est prise en 1986 : elle consiste à indexer les pensions sur lesprix et non plus sur les revenus d'activité. Présentée comme provisoire, elle sera entérinée par la réformeBalladur de 1993, qui s'inspire des recommandations du livre blanc de Michel Rocard de 1991 et allonge ladurée de cotisations dans le secteur privé. En 1995, la réforme des régimes spéciaux se heurte aumouvement social. Les réformes suivantes (2003, 2007, 2010) approfondissent les dispositifs de la réformeBalladur, et les étendent à l'ensemble de la population active. L'effet principal de ces réformes est uneréduction des taux du revenu de remplacement, qui contribue à plafonner la part des pensions dans lerevenu national. Compte tenu de la croissance du nombre de retraités plus rapide que celle des actifs, ils'agit d'un objectif glissant qui conduira à d'autres ajustements.

La modération des dépenses de santé s'est faite par petites touches, combinant la baisse desremboursements, l'institution d'un ticket modérateur à la charge des usagers et l'encadrement des dépenseshospitalières. Ces mesures s'accompagnent de changements dans le financement de la protection sociale.En 1991, Michel Rocard crée la C.S.G. (contribution sociale généralisée). Elle est prélevée à la source surl'ensemble des revenus avant impôt à un taux initial de 1,1 p. 100. Ce taux va être progressivement relevé,à 2,4 p. 100 en 1993 puis à 3,4 p. 100 en 1996. En 1998, le taux passe à 7,5 p. 100 en contrepartie d'unesuppression de la quasi-totalité des cotisations salariales d'assurance-maladie. Les recettes tirées de laC.S.G. et de la C.R.D.S. (contribution pour le remboursement de la dette sociale) instituée en 1996 à un tauxde 0,5 p. 100 sont aujourd'hui largement supérieures à l'impôt sur le revenu : 82 milliards d'euros contre 46en 2009. Au total, ces réformes successives équivalent à une fiscalisation de la Sécurité sociale : en vingtans, la part de la fiscalité est passée de 2 à 30 p. 100, et celle des cotisations sociales a baissé de 90 p. 100à un peu moins de 60 p. 100.

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Parallèlement, le thème de la rationalisation des choix budgétaires est porté par plusieurs rapports quivisent à réformer l'État et à modifier les procédures budgétaires. La loi organique relative aux lois definances (L.O.L.F.) est promulguée le 1er août 2001. En 2005, la réforme hospitalière introduit la tarification àl'activité (T2A) qui alloue les ressources en fonction de l'activité des hôpitaux. La progression des dépensessociales est désormais encadrée par la loi organique relative aux lois de financement de la Sécurité sociale(L.O.L.F.S.S.). Puis, en 2007, est lancée la procédure de révision générale des politiques publiques (R.G.P.P.)dont l'objectif est d'introduire une « logique de performance » dans la gestion publique. Elle prévoitnotamment le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite : 100 000 postes defonctionnaires sont ainsi supprimés de 2007 à 2010.

Allégements de cotisations ou R.T.T.

Avec la persistance du chômage, les politiques publiques de l'emploi sont au cœur de la politiqueéconomique. Elles sont polarisées autour de deux orientations : l'action sur le coût du travail, et la réductiondu temps de travail (R.T.T.). Le passage aux 39 heures en 1982 avait fermé pendant un temps cette secondevoie, mais la récession de 1993, et le bond en avant du chômage qui l'accompagne, ouvrent à nouveau ledébat. La gauche fait campagne sur les 35 heures, mais la droite, victorieuse, met en oeuvre une politiqueradicale de baisse du coût du travail. En 1996, le coût du travail est réduit de 18 p. 100 au niveau du S.M.I.C.,les exonérations dégressives s'annulant à hauteur de 1,33 S.M.I.C. Le coût budgétaire de cette mesure estconsidérable, puisqu'il représente près de 1 p. 100 du P.I.B. en 1997. Mais la droite teste aussi la baisse dutemps de travail, avec la loi Robien de 1996 qui prévoit la possibilité d'une réduction du temps de travailassortie d'aides publiques dégressives conditionnées à des embauches : 10 p. 100 de baisse du temps detravail doit conduire à 10 p. 100 de créations d'emplois. Cependant, cette possibilité sera peu utilisée.

En 1997, la gauche revient aux affaires et lance le processus de passage aux 35 heures. Il s'agit cettefois d'un dispositif obligatoire, puisque la durée légale du travail est réduite. Une première loi, dite Aubry 1,en fixe les modalités. Les aides publiques seront conditionnées à la création de 6 p. 100 d'emplois. Celarevient à répartir à peu près également l'impact d'une moindre durée du travail entre création d'emplois etgains de productivité.

Cette loi se heurte à une levée de bouclier du patronat, qui fait valoir les effets néfastes de la hausseinduite du coût du travail sur la compétitivité des entreprises françaises. Les syndicats, à l'exception de laC.F.D.T., n'étaient pas préparés à prendre en charge ce type de négociations. Dans ces conditions, la loiAubry 2 introduit des aménagements qui assouplissent ses modalités de mise en œuvre. Les aides publiquesne sont plus conditionnées à des créations d'emplois mais seulement à la signature d'un accord. L'extensionde la durée légale aux entreprises de moins de 50 salariés est reportée, et la porte est ouverte àl'annualisation et à la flexibilisation de la durée du travail.

La période du passage aux 35 heures est en tout cas exceptionnelle du point de vue des créationsd'emplois. Elle succède à une véritable « panne de l'emploi » puisque l'emploi dans le secteur privé est en1994 au même niveau qu'en 1978, malgré une progression du P.I.B. de 40 p. 100 sur cette période. Lepassage aux 35 heures coïncide avec un spectaculaire bond en avant de l'emploi : 1 725 000 emplois sontcréés en quatre ans (du deuxième trimestre de 1997 au deuxième trimestre de 2001). On ne trouve aucunepériode aussi courte associée à une telle progression de l'emploi sur l'ensemble du siècle. Sur les 2,7 millionsd'emplois créés entre 1978 et 2008, près des deux tiers (64 p. 100) l'ont été sur cette période.

Ces données incontestables ont conduit à un conflit d'interprétation qui n'est toujours pas clos. Les analyses les plus sceptiques, proches du patronat, vont jusqu'à nier la contribution propre des 35 heures. Les créations d'emplois seraient imputables à une période de croissance soutenue et à l'effet des allégements de cotisations. Mais cette argumentation est contestable. Certes, la croissance moyenne a été de 3,2 p. 100 sur cette période, mais elle a été beaucoup plus « riche en emplois » que l'épisode précédent de la fin des années 1980. En outre, les créations d'emplois associées avaient été effacées par le retournement conjoncturel ultérieur, alors que celles liées aux 35 heures se sont révélées pérennes. Par ailleurs il est difficile de soutenir à la fois que les allégements de cotisations sont à l'origine des créations d'emplois et que le passage aux 35 heures aurait conduit à une augmentation insupportable du coût du travail. En réalité, la hausse du salaire horaire induite par les 35 heures a été compensée par les aides publiques et par les gains de productivité obtenus par intensification et réaménagement du travail. L'évaluation de l'effet net des

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35 heures se situe dans une fourchette allant de 350 000 à 500 000 créations d'emplois. Dès son retour, ladroite s'attachera à vider la loi des 35 heures de son contenu : le contingent d'heures supplémentaires estrelevé en 2002 puis en 2004, la loi Fillon de 2003 autorise à déroger aux 35 heures par accord collectif, et laloi T.E.P.A. (travail, emploi et pouvoir d'achat) de 2007 exonère les heures supplémentaires de cotisationssociales.

En 2001, le gouvernement de Lionel Jospin institue la prime pour l'emploi qui fonctionne comme unimpôt négatif venant compléter les revenus des salariés au bas de l'échelle. Ce dispositif sera conservé etmême amplifié en 2003 par le gouvernement Raffarin puis par celui de Dominique de Villepin quiaugmentera de 50 p. 100 son montant maximal.

Restructuration de l'appareil productif

Dès le retour de la droite au pouvoir, une loi du 2 juillet 1986 autorise la privatisation de toutes lesentreprises nationalisées. La loi du 6 août 1986 engage la privatisation immédiate d'un pan entier du secteurnationalisé : Havas, Saint-Gobain, la C.G.E. (Compagnie générale d'électricité), Bull, Péchiney, Matra, Suez,Paribas, le C.C.F., la Société générale, le Crédit agricole, puis TF1 un mois plus tard. La porte avait étéouverte par une gauche pragmatique qui avait notamment cédé le groupe Boussac à Bernard Arnault qu'ilsubventionnait largement. Mais ces privatisations sont difficilement absorbées par un marché financierencore étroit et sont perturbées par le krach boursier d'octobre 1987 qui conduit le gouvernement à enreporter certaines.

Entre-temps, François Mitterrand est réélu en 1988, avec l'engagement de respecter la règle du« ni-ni » : ni privatisation ni nationalisation. Une loi de « respiration » est cependant votée en 1991, quiautorise l'État à vendre les entreprises nationales à hauteur de 49 p. 100 de leur capital. Cette possibilitésera utilisée pour Elf Aquitaine, les A.G.F., Rhône-Poulenc, Total et Bull.

Les privatisations reprennent avec le retour de la droite. La loi du 19 juillet 1993 dresse une liste de vingtet une entreprises : la B.N.P., Rhône-Poulenc, Elf-Aquitaine, U.A.P., la Seita, Péchiney, Usinor-Sacilor, Renault,C.G.M., A.G.F. et Bull sont remises au privé. Le gouvernement Jospin continue la liste, avec notammentThomson, E.A.D.S., France Télécom, Air France, T.D.F. et le Crédit lyonnais. Puis la droite prend le relais àpartir de 2002 : G.D.F., Snecma, G.I.A.T. Industries, Aéroports de Paris, etc. De la liste dressée en 1993, il nereste plus aujourd'hui que la Caisse centrale de réassurance, et les participations de l'État sont désormaisconcentrées sur La Poste, la S.N.C.F. et E.D.F.

Si les privatisations n'ont pas fourni des ressources suffisantes pour redresser significativement lesfinances publiques, elles conduisent à une profonde refonte de l'appareil productif. Les « noyaux durs »,constitués dans un premier temps à partir d'un maillage serré de participations croisées, vontprogressivement se restructurer. Axa reprend l'U.A.P. en 1996, puis trois importantes fusions ont lieu en1999 : Total et Elf ; la B.N.P. et Paribas ; Aérospatiale et Matra. Cette logique de renforcement de« champions nationaux » s'accompagne d'un mouvement d'internationalisation : Renault rachète Nissan en1997, Rhône-Poulenc et Hoechst fusionnent en 1998 pour créer Aventis, et Matra-Aerospatiale s'associe avecDaimler-Chrysler Aerospace pour fonder E.A.D.S. en 1999. Ce mouvement reprend après la récession dudébut des années 2000 : Air France fusionne avec K.L.M. en 2003, Sanofi-Synthélabo acquiert Aventis en2004, Saint-Gobain achète British Plaster Board en 2005 et Alcatel achète Lucent en 2006. En 2006, le rachatd'Arcelor par l'indien Mittal donne naissance au numéro un mondial de la sidérurgie. Enfin, G.D.F. et Suezfusionnent en 2007.

Ces restructurations obéissent souvent à une logique de recentrage sur le métier, bien illustrée par laséparation entre Alstom et Alcatel en 1998. Elles s'accompagnent aussi d'un recours accru à lasous-traitance et aux délocalisations. Le capitalisme français s'est donc profondément mondialisé. En 2007,les 215 plus grandes sociétés non financières réalisent 60 p. 100 de leur chiffre d'affaires hors de France(32 p. 100 en Europe et 28 p. 100 dans le reste du monde). En sens inverse, le taux de détention par desnon-résidents du capital des entreprises cotées en Bourse est passé de 25 p. 100 en 1994 à 40 p. 100 en2000, et fluctue depuis à ce niveau.

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Après la crise de 2008

Depuis le milieu des années 1980, le fil directeur de la politique économique a été de préparer la Franceà son insertion dans une économie mondialisée. C'était l'objectif de la désinflation compétitive qui ouvre lalongue marche vers l'euro. La signature de l'Acte unique en 1986 scelle l'abandon de la politique industriellefondée sur les champions nationaux adossés aux marchés publics et fait du marché unique le nouvel horizondes politiques économiques. Le traité de Maastricht, ratifié par référendum en 1992, puis celui d'Amsterdamen 1997 débouchent sur la mise en place de l'euro le 1er janvier 1999.

La crise financière puis économique ouverte en 2008 a fonctionné comme un test qui conduit à un bilanprovisoire. La France est l'un des pays d'Europe qui a été le moins durement frappé. Rétrospectivement, onréalise que sa croissance était relativement saine et n'était pas gonflée artificiellement par lesurendettement des ménages ou par des bulles financières ou immobilières. La France a été moins touchéeque d'autres pays par le repli des exportations, dans la mesure où la consommation constitue le principalmoteur de cette croissance. Enfin, l'importance de l'épargne des ménages (aux alentours de 15 p. 100depuis le début des années 1990) et des stabilisateurs sociaux, autrement dit des dispositifs garantissant lesoutien des revenus en période de récession, a contribué à cette résilience. En revanche, ses points faiblessont soulignés par la crise : le déficit public dépasse les 6 p. 100, le déficit commercial se creuse, et lechômage s'incruste.

La crise réactive ainsi le débat sur la possibilité de concilier le modèle social français et la compétitivitéde l'économie. On retrouve l'idée récurrente d'un déclin de la France qui résulterait de son incapacité àmener à bien les réformes nécessaires. Cependant ses pertes de parts de marché se situent dans lamoyenne européenne et sont la contrepartie de la montée des pays émergents. Il s'agit donc d'un problèmeeuropéen plutôt que spécifiquement français, et c'est plutôt la bonne tenue de l'Allemagne qui constitue uneexception, difficilement généralisable à l'ensemble de l'Union européenne. La baisse du dollar et les facteursde compétitivité « hors coûts » expliquent mieux les pertes de parts de marché que le coût du travail. Enoutre, les politiques d'allégements de cotisations conduisent à une perte de substance du modèle social,mais n'améliorent pas la compétitivité, dans la mesure où elles concernent principalement les secteurs ditsabrités, et assez peu ceux qui sont exposés à la concurrence internationale. Subventionner le coût du travailnon qualifié est par ailleurs contradictoire avec l'objectif d'élévation du niveau de qualification. Enfin, lamondialisation conduit à un écart croissant entre la compétitivité économique du territoire français, mesuréeen parts de marché, et les performances des grands groupes français.

Le dynamisme de l'économie française dépend de plus en plus de la gouvernance européenne. Lagénéralisation de la désinflation compétitive à l'ensemble de l'Europe s'oppose à une autre voie fondée sur larecherche, l'innovation et la formation, sur une politique industrielle européenne fondée sur de grandsprogrammes d'investissement. Le rééquilibrage des budgets pourrait se faire par une réforme fiscale mettantfin à la baisse de l'imposition du capital, plutôt que par de nouvelles coupes dans les dépenses sociales. Lespolitiques menées par les gouvernements successifs ont constamment oscillé entre ces deux orientations enpartie contradictoires, sans réussir à dégager une cohérence d'ensemble. Sans doute parce que la politiqueéconomique n'est pas seulement un ensemble de techniques de gestion : elle recouvre des choix de société,des choix politiques portant sur la répartition et l'utilisation des richesses produites.

(Voir également ÉCONOMIE MONDIALE - 1990-2011).

Michel HUSSON

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• Statistiques de base et études économiques : publications et site de l'I.N.S.E.E ; Statistiques et études financières, ministère desFinances, depuis 1948 ; Rapport annuel du Conseil national du crédit, depuis 1946 ; Rapport annuel du Fonds de développementéconomique et social, depuis 1956 ; Revue de la Banque de France ; l'étude annuelle sur la France établie par l'O.C.D.E. ; Revue del'O.F.C.E. ; rapports du Conseil d'Analyse économique ; la série Économie européenne publiée par la Commission européenne depuis1978.