238
Francis Chateauraynaud Josquin Debaz Avec la participation de Jean-Pierre Charriau et Christopher Marlowe Observatoire informatisé de veille sociologique Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnemen taux Rapport final avril 2011

Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Francis Chateauraynaud

Josquin Debaz

Avec la participation de Jean-Pierre Charriau et Christopher

Marlowe

Observatoire informatisé de

veille sociologique

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise

dans les dossiers

sanitaires et environneme

ntauxRapport final

avril 2011

convention AFSSET/GSPR (EHESS)

du 1er décembre 2008avenant ANSES/GSPR du 29 novembre 2010

Page 2: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 2

Page 3: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Sommaire

CHAPITRE I DES ALERTES ET DES MOBILISATIONS EN RAFALES. UNE SYNTHÈSE DES PROCESSUS OBSERVÉS (2008-2011) 9 SURPRISES ET SURGISSEMENTS : À PROPOS DE QUELQUES DOSSIERS ÉMERGENTS 14PHÉNOMÈNES DE REBONDISSEMENT (LA FIGURE DU RETOUR) 17LA MATURITÉ DES CAUSES : DES DOSSIERS MONTÉS EN PUISSANCE 17TRAJECTOIRES INCERTAINES : DE QUELQUES DOSSIERS AU FUTUR INDÉTERMINÉ 18PHASES DE CLÔTURE 19DES PROCESSUS QUI TRAVERSENT LES DOSSIERS 19

CHAPITRE II UNE COLLECTION DE CORPUS EN TRANSFORMATIONS 21 DE L’IMPORTANCE DE LA COMPARAISON CONTINUE ENTRE DE MULTIPLES DOSSIERS 23TABLEAU DES CORPUS 25LES TROIS DOSSIERS PILIERS DE L’OBSERVATOIRE 27TÉLÉPHONIE MOBILE 27PESTICIDES 32NANOPARTICULES 35CHÉLONÉ : UNE BASE DE CORPUS ÉVOLUTIVE 40AMIANTE 40NUCLÉAIRE 43OGM, QUAND LE RISQUE EST AVANT TOUT … POLITIQUE 46ALERTES VARIA 49BISPHÉNOL A 57GAZ DE SCHISTE 59EXTENSION DU DOMAINE DE L’ALERTE 61

CHAPITRE III COMPARAISONS INTER-CORPUS 63 DU TEMPS DES CORPUS AU TEMPS DES ACTEURS 69ATLAS DES QUESTIONS PARLEMENTAIRES 74UNE SPHÉROLOGIE APPLIQUÉE À L’OBSERVATOIRE 77VISUALISATION ANALYTIQUE DES ENTITÉS ET CARTOGRAPHIE DES RÉSEAUX SÉMANTIQUES 79

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 3

Page 4: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

CHAPITRE IV SUR LE DÉVELOPPEMENT DES OUTILS SOCIO-INFORMATIQUES 83 LE RÉSEAU MARLOWEB POUR INTERROGER ET COMPARER LES DOSSIERS 88LA CHRONIQUE SANTÉ-ENVIRONNEMENT 93DES RAPPORTS RÉGULIERS ACCESSIBLES EN LIGNE 97LES INDICES SYNTHÉTIQUES QUALI-QUANTITATIFS 99CHRONIQUE EN REMONTANT N JOURS EN ARRIÈRE 100QUAND MARLOWE PEUT PROPOSER D’OUVRIR UN NOUVEAU CORPUS … 102

CHAPITRE V UNE SOCIOLOGIE EN ACCOMPAGNEMENT DE L’AGENCE 105 LA FORMATION RISQUES SANITAIRES ENVIRONNEMENTAUX : DE L'ALERTE À LA CRISE POLITIQUE 107ENQUÊTE DE TERRAIN À WASHINGTON 110UN POINT SUR LES CONFLITS D’INTÉRÊTS 119L’ENQUÊTE FAIBLES DOSES 128

CONCLUSION 131 SOUS LES CONTROVERSES, L’INÉLUCTABLE RETOUR DU CONFLIT ? 134

ANNEXE PUBLICATIONS, COMMUNICATIONS ET TRAVAUX BASÉS SUR LES THÈMES DE L’OBSERVATOIRE 139 2008 1412009 1412010 1422011 144

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 4

Page 5: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Table des illustrations

Figure 1. Quatre formes d’expertise en situation conflictuelle qui rompent avec le modèle monopolistique de l’expertise.........................................................................20Figure 2. Branche « Santé et environnement » de la collection de corpus : état d’avril 2011.............................................................................................................................25Figure 3. Evolution mensuelle du nombre de textes du corpus « Téléphonie mobile », découpé en 6 périodes.................................................................................................29Figure 4. Evolution du nombre mensuel d’articles de la presse quotidienne nationale (PN) et de la presse quotidienne régionale (PR).........................................................30Figure 5. Evolution mensuelle du nombre de textes du corpus « Pesticides contemporain »............................................................................................................34Figure 6. Les quatre angles d’ouverture des nanotechnologies et la séparation des nanoparticules..............................................................................................................36Figure 7. Évolution mensuelle du nombre de textes du corpus « Nanoparticules et santé »..........................................................................................................................37Figure 8. Evolution mensuelle du nombre de textes du corpus nucléaire..................45Figure 9. Évolution mensuelle du nombre de textes du corpus « Alertes varia ».......49Figure 10. Evolution hebdomadaire du nombre de textes du corpus gaz de schistes 59Figure 11. Support critique en contexte......................................................................60Figure 12. Architecture générale des corpus..............................................................66Figure 13. Comparaison de la position des "faibles doses" dans 13 corpus...............67Figure 14. Comparaison de la position des "CMR" dans 13 corpus............................67Figure 15. Présence des faibles doses dans les controverses publiques au fil du temps (profil intercorpus).......................................................................................................68Figure 16. Profil temporel du nombre de texte du corpus nanoparticules et santé....69Figure 17. Procédure de capture des années après transfert des formules calculées par Prospéro vers le module spécialisé de Tirésias.....................................................70Figure 18. Années marquantes de l'histoire des nanoparticules.................................71Figure 19. Années marquantes de l'histoire de l'amiante...........................................72Figure 20. Atlas départemental des parlementaires...................................................74Figure 21. Atlas des questions parlementaires du corpus Téléphonie mobile............75Figure 22. Atlas des questions parlementaires du corpus Pesticides historique (-2007).....................................................................................................................................76

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 5

Page 6: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Figure 23. Atlas des questions parlementaires du corpus Pesticides contemporain (2007-)..........................................................................................................................76Figure 24. Essai de sphérologie appliquée aux corpus de l’observatoire...................78Figure 25. Carte des co-occurences de personnes dans les énoncés du corpus Téléphonie en mars 2009.............................................................................................80Figure 26. Structure de la suite Prospéro-Marlowe-Tirésias......................................87Figure 27. Marloweb les échanges entre machines-clientes via un serveur...............88Figure 28. Marloweb : poser une question via le client..............................................89Figure 29. Marloweb : le rapport disponible sur le client...........................................90Figure 30. Marloweb : l'interface web.........................................................................91Figure 31. Arbre de résolution du choix des scripts composant la chronique santé-environnement.............................................................................................................94Figure 32. Marloweb paramétrage d'un rapport automatique....................................97Figure 33. Marloweb : interface de dépôt des rapports automatiques.......................98Figure 34. extrait de la chronique du 23 février 2011..............................................101Figure 35. Carte des liens de la collection ORGANISMES-AGENCES-D-EXPERTISE* réduite au réseau de l'EPA.........................................................................................114Figure 36. « The Green constellation in the US » : la carte des ONG extraites du corpus Alarms and controversies...............................................................................115Figure 37. Tableau des entretiens réalisés................................................................129

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 6

Page 7: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Cette note finale vient clore trois ans de travaux sociologiques et socio-informatiques, menés en collaboration avec l’unité « Risques et Société » de l’AFSSET puis de l’ANSES. Les sept notes d’étape semestrielles qui ont été produites tout au long de la convention se présentaient comme des relevés d’expérimentation croisant à la fois des analyses concrètes d’événements, des tests d’algorithmes liés à des modèles socio-informatiques, des propositions comparatives des phénomènes observés et des expériences d’aller-retour entre recherche sociologique et préoccupations pratiques, au sein de l’agence, quant à l’évolution d’un ensemble de dossiers sanitaires et environnementaux. Sans reprendre par le menu la totalité des notes produites à ce jour, le présent rapport vise à en extraire les lignes de force et à faire la synthèse des principaux acquis des recherches menées à ce jour.

Plusieurs dimensions, qui contribuent au caractère original et innovant des dispositifs proposés, méritent d’être rappelées :

- une capacité d’analyse transversale et de comparaison continue de processus complexes sur lesquels on n’a généralement qu’une vue partielle, difficile à mettre à jour ;

- la formation d’une collection de corpus interrogeable en permanence et contribuant à modifier la conception même de la veille par la mise en rapport en continu des événements passés et de l’actualité ;

- la conception d’outils informatisés qui peuvent être réengagés à propos de nouveaux dossiers, en permettant à la fois cumulativité, analyse différentielle (comparabilité) et réflexivité.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 7

Page 8: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 8

Page 9: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Chapitre IDes alertes et des mobilisations en

rafales.Une synthèse des processus

observés (2008-2011)

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 9

Page 10: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 10

Page 11: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Ces dernières années, le champ des relations santé-environnement est entré dans une nouvelle phase critique. Après la période de crises sanitaires et environnementales des années 1990, largement décrite dans des travaux antérieurs1, on a vu se généraliser, au début des années 2000, la figure de l’alerte — et par extension du lanceur d’alerte. Ce processus s’est accompagné de la montée en puissance de nouvelles formes de mobilisation politique, avec l’avènement d’acteurs-réseaux et un retour de la logique du conflit et de l’expression du différend (conflit des OGM, retour de la cause antinucléaire, mouvement néo-luddite face aux nanosciences, critique radicale du capitalisme à partir de la cause du climat et de la biodiversité, etc.). Peut-on caractériser en quelques formules les transformations qui ont marqué les années les plus récentes (2007-2011), au cours desquelles ont été développés les travaux de l’observatoire socio-informatique ?

Ce qui frappe en premier lieu l’observateur, c’est une explosion de scènes de confrontation, générant un processus de fragmentation des causes et des objets de controverses. Si la plupart des dossiers ouverts dans les périodes précédentes sont toujours en activité, on a vu surgir toute une gamme de nouveaux objets d’alerte dont le mode d’existence publique oscille entre critique radicale et normalisation. La liste est longue, en effet, des sujets combinant ou recombinant les relations, toujours problématiques, entre questions sanitaires et enjeux environnementaux. Alors que l’on observe des changements de régime notables dans le cas des pesticides, des perturbateurs endocriniens et des produits chimiques (dont le statut est profondément modifié par REACh), sur des dossiers plus ouvertement conflictuels, on assiste à des tentatives de compromis avec l’organisation de nouvelles instances de régulation (comme dans le cas des OGM via la création du HCB). Mais on assiste aussi à la création continue de nouveaux fronts marqués par des alternances de phases entre alertes, polémiques et normalisation (c’est le cas des virus émergents — H5N1, Chikungunya, H1N1 —, des nanoparticules ou plus récemment des gaz de schiste). Parallèlement, les arènes publiques voient réémerger des questions anciennes saisies sous de nouvelles modalités critiques (amiante, ondes électromagnétiques, sans oublier la problématique santé-travail). L’ensemble des dossiers compose ainsi une sphérologie des plus complexes2 : elle est marquée à la

1 Par exemple dans Francis Chateauraynaud et Didier Torny, Les sombres précurseurs¸ Paris, EHESS, 1999 ; Olivier Borraz, Claude Gilbert et Pierre-Benoît Joly, Risques, crises et incertitudes : pour une analyse critique, Cahiers du GIS « Risques Collectifs et Situations de Crise », n°3 – mars 2005 ; Olivier Borraz, Les politiques du risque, Paris, Presses de Science Po, 2008.2 Peter Sloterdijk, Sphères III. Écumes. Sphérologie plurielle, Paris, M. Sell, 2005.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 11

Page 12: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

fois par des juxtapositions et des influences croisées, donnant lieu à une nouvelle distribution qui fait l’objet malgré tout d’une forme de hiérarchisation temporaire : tout se passe comme si il y avait constamment un sujet sanitaire et/ou environnemental dominant dans l’espace politico-médiatique. Et lorsque certains sujets se retrouvent quelque temps en queue de distribution, il suffit d’un événement marquant (Katrina, Xynthia, Fukushima, …) pour les propulser de nouveau au cœur de l’actualité. Ainsi, depuis le 12 mars 2011, il n’a jamais autant été question de radioactivité dans l’espace public, la figure du nuage de Tchernobyl étant même surpassée par l’occurrence d’une perte de contrôle d’une centrale nucléaire de facture occidentale.

Le pari qui consiste à suivre de manière continue toute une série de dossiers n’en est que plus difficile à tenir mais aussi plus que jamais nécessaire. Si la difficulté liée à la pluralité et à l’hétérogénéité des processus était posée au point d’origine du concept d’observatoire sociologique des alertes et des crises3, l’expérience menée en collaboration avec l’AFSSET puis l’ANSES a confirmé la nécessité d’une co-construction d’un dispositif cognitif collectif capable de lier l’analyse des processus pris pour eux-mêmes et leur comparaison dans une optique proche du paradigme de la complexité4.

Face aux standards d’évaluation et de gestion des risques, dans lesquels interviennent, depuis les années 1980, ce que l’on appelle les sciences réglementaires ou régulatoires5, l’analyse sociologique doit affronter une double tension. D’une part, la masse considérable de travaux, d’études, de métrologies et d’instruments investis dans les questions de risques produit un coût élevé de traduction ne serait que pour paraphraser le contenu des controverses socio-techniques, le sociologue ne pouvant choisir ce qui peut être réduit et (re)présenté à la place des acteurs ; d’autre part, la problématique de l’acceptabilité et celle de la 3 Francis Chateauraynaud et alii, Observatoire informatisé des alertes et des crises, Convention Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable/GSPR (EHESS), 2003.4 Une pragmatique de la complexité a pour but de surmonter le dilemme classique entre une orientation compréhensive dossier par dossier et une conception holiste des phénomènes sociaux. Elle s’efforce de comprendre, pour chaque individu, groupe ou institution, le jeu de contraintes et de ressources dont il dispose face à un problème donné et comment il peut le transformer. Mais elle doit pouvoir, dans le même mouvement, prendre le point de vue d’une série de dossiers, afin de caractériser des configurations, des dispositifs et des milieux, et de mieux discerner les tendances globales.5 Sheila Jasanoff, The Fifth Branch: Science Advisers as Policymakers, Cambridge, Harvard University Press, 1990 ; Dominique Pestre, Science, Argent et Politique, Paris, INRA Éditions, 2003.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 12

Page 13: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

participation des publics semblent fixer a priori le rôle des sociologues : il s’agirait d’accompagner le passage à un nouveau régime de relation science-société dans un contexte marqué par un retour de la conflictualité voire de l’hyperconflictualité6. Bref, à une prolifération de dossiers qui contribuent au climat d’ « incertitude » qui marque l’époque contemporaine, s’ajoutent de nouvelles contraintes cognitives et normatives pour les sciences sociales. Cette configuration critique ne fait que redoubler une crise des formats de l’action et du jugement, crise qui non seulement se déploie dans la durée mais engendre de nouveaux paradoxes. Par exemple, on ne cesse de s’étonner de voir le principe de précaution, mis en place au cours des années 1990, régulièrement remis en cause par des acteurs. De la même manière, la production des doutes et des incertitudes finit par engendrer des polémiques à l’image du climatosepticisme, des décisions de justice qui prennent des directions inattendues, ou encore des politiques qui mettent l’accent sur des thématiques mineures tout en bloquant des enjeux attendus. Ces mouvements de balancier portent certains acteurs à s’interroger sur la portée réelle des dispositifs publics, dont le moindre n’est pas le Grenelle de l’Environnement. D’un point de vue de sociologie politique, ce ballet incessant de décisions et d’indécisions, d’efforts de régulation et de logiques d’accusation, crée un climat de défiance7. La période qui s’est ouverte depuis 2007 conduit donc à un diagnostic ambivalent : un grand nombre d’outils et d’instances ont été mis en place pour contrebalancer les effets négatifs du couple science-industrie issu des trente glorieuses8, mais la multiplication des points de friction et de divergence ne cesse de fragiliser les institutions9. Dans ce contexte, assiste-t-on ou non à l’émergence de nouveaux cadres épistémiques susceptibles de modifier l’évaluation et la gestion des risques ? Il semble que la manière dont ont été remis en discussion les perturbateurs endocriniens et les faibles doses est caractéristique d’une tentative de déplacement des objets, des outils comme des procédures. Si de tels sujets ouvrent le questionnement dans toutes les directions, traversant la plupart des domaines d’expertise plutôt que d’être réservés à quelques secteurs spécialisés, ils semblent favoriser de nouveaux processus de mobilisation et de fédération des causes10.

6 Francis Chateauraynaud, « L’histoire des OGM n’est pas une controverse ratée mais un conflit réussi », Socioinformatique et argumentation, 1 décembre 2010, http: //socioargu.hypotheses.org/1807.7 Pierre Rosanvallon, La Contre-Démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Seuil, 2006.8 Olivier Godard, Claude Henry, Patrick Lagadec et Erwann Michel-Kerjan, Traité des nouveaux risques, Paris, Gallimard, 2002.9 Les affaires de conflit d’intérêts venant renforcer cette boucle de la défiance.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 13

Page 14: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

On aura compris que l’approche qui a été privilégiée dans l’application sociologique proposée consiste à éviter la réduction des questions de risques à la structuration d’un champ d’acteurs professionnels ou assimilés (porte-parole, contre-experts, militants et journalistes compris). Selon une approche que l’on qualifier de sociologiste, la montée en visibilité des alertes et des controverses serait liée à l’émergence de nouvelles formes d’expertise poussant des acteurs à communiquer beaucoup plus sur les risques, le tout croisant des dispositifs de gouvernance usant intensivement des techniques de communication. De notre point de vue, l’hypothèse selon laquelle l’émergence des alertes et des risques dans l’espace public serait liée à des coups médiatiques ou à des stratégies de légitimation professionnelle doit être laissée au jeu des interprétations produit par les disputes et les polémiques elles-mêmes. Les deux dossiers sur lesquels la dimension polémique de ce type d’interprétation est particulièrement visible sont le climat et la biodiversité11. La focalisation sur les seuls acteurs publics porte en effet à oublier tout ce qui se passe dans les milieux et sur les terrains les plus divers, dans les lieux mêmes d’expression de la tangibilité des dangers et des risques, et de mesure concrète, dans la durée, des conséquences attribuables à des incertitudes chroniques.

Si durant cette troisième phase, que l’on peut résumer par l’expression d’une hypervigilance collective, les acteurs utilisent à la fois les appuis des deux premières périodes (le principe de précaution et la logique de mobilisation citoyenne), ils intègrent également les ressources du web pour générer selon des temporalités nouvelles, en tous cas inédites du point de vue historique, alertes, polémiques et controverses12. Tout ceci pourrait conduire, de proche en proche, vers une quatrième phase marquée par de nouvelles boucles de régulation collective, mais dont la forme précise est encore bien difficile à concevoir : une reconstitution d’autorités scientifiques clairement séparées du jeu politique ? Un transfert de compétence vers des instances internationales ? Ou plutôt une relocalisation/reterritorialisation du rapport à l’évaluation et la gestion des risques ? Les observations menées à travers le suivi des dossiers indiquent en tout cas l’ouverture d’une période de transition. Cette

10 Francis Chateauraynaud, “Argumentative Convergence as a Reconfigurator in the Trajectories of Risks. A Comparison of Low-Dose and CMR Arguments in Controversies on Health and Environment”, Workshop Carcinogens, Mutagens, Reproductive Toxicants: the Politics of Limit Values and Low Doses in the twentieth and twenty-first centuries, Strasbourg, mars 2010.11 Dominique Bourg et Kerry Whiteside, Vers une démocratie écologique, Paris, Seuil, La République des idées, 2010.12 Josquin Debaz, « Du bruit au signal. Une typologie temporelle pour la sociologie du Web », Socioinformatique et argumentation, 18 février 2011, http: //socioargu.hypotheses.org/2225.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 14

Page 15: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

nouvelle phase est caractérisée par de fortes oscillations entre une tendance à la banalisation des risques suscitée par la ronde incessante des objets, et une nouvelle phase de politisation voire de radicalisation idéologique, sur fond de reconfiguration des protocoles de recherche et d’expertise. Parmi les faits notables, il faut aussi compter avec les réformes profondes des institutions et des outils de recherche (ne serait-ce que par le nouveau système managérial d’évaluation et de financement) et, indissociablement, les stratégies de reconquête par les scientifiques, et les médecins, d’une forme d’autonomie professionnelle. On sait que l’autorité épistémique du scientifique et du médecin a été « contestée » au fil de la multiplication des affaires et des débats publics13. Pour le régulateur, se pose du même coup une question cruciale : une nouvelle forme de régulation va-t-elle réussir à s’imposer ou va-t-on assister à la multiplication de catastrophes et de conflits, avec toutes les réactions en chaîne que l’on peut supposer ?

Ce rapport tente ainsi de montrer, à partir des expériences menées sur plus de trois ans, comment la co-construction des outils d’un observatoire socio-informatique est une des voies possibles peut répondre aux défis créés par la configuration instable, voire métastable, qui se déploie sous nos yeux. Techniquement, le travail de l’observatoire consiste à organiser le suivi des processus en mettant l’accent sur les point de basculement, les effets d’entraînement (effets de précédent, de contagion ou d’apprentissage d’un dossier à l’autre) et les formes d’apparition et de disparition de sources d’inquiétude ou de préoccupation. Dans la collection des dossiers étudiés, on peut distinguer ceux qui ont littéralement surgi ces dernières années (figure du surgissement), ceux qui, très mobilisateurs dans une période antérieure, sont entrés dans une nouvelle phase de publicité, entendue au sens de Öffentlichkeit (figure du rebondissement), ceux qui, déjà présents par le passé, et plutôt passés en mode mineur, sont singulièrement montés en puissance (figure de la maturation), ceux dont les reconfigurations restent dans une phase indécidable (figure du brouillage), et enfin ceux qui après une période critique plus ou moins prolongée apparaissent clos pour la grande majorité des acteurs (figure de la normalisation). Outre cette caractérisation des profils balistiques des différents dossiers, le travail continu sur la collection permet de prendre la mesure de processus transversaux. Par exemple, la référence de plus en plus forte à la participation du public fait poindre, dans tous les cas observés, la montée en puissance du modèle de la démocratie participative. Mais tout n’est pas si rose : car un autre point transversal, sur lequel nous reviendrons, est formé par les conflits d’intérêts.

13 T. Le Bianic et A. Vion (dir.), Action publique et légitimités professionnelles, Paris, LGDJ, 2008.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 15

Page 16: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Surprises et surgissements   : à propos de quelques dossiers émergents

De l’alerte à la pandémie mondiale de grippe A/H1N1 au printemps 2009 à la montée de l’opposition à l’exploitation des gaz de schiste début 2011, en passant par la reformulation des enjeux de santé au travail via les affaires de suicide en série et plus généralement le stress des salariés, de nouveaux dossiers se sont imposés dans l’espace public, modifiant encore l’espace de variation formé par les causes sanitaires et environnementales. Au fil des notes semestrielles, on a vu qu’il était préférable de ne pas fixer dès le départ la liste des sujets à suivre en profondeur et de se laisser un volant d’adaptation ou de circulation, quitte à faire basculer en archive certains dossiers pour les rouvrir plus tard. En effet, même outillée, une sociologie des alertes et des controverses ne peut faire feu de tout bois sans prendre le risque de réduire ses analyses à des aperçus superficiels. En même temps, une attention maximale est à porter sur les formes de surgissement tant il est vrai que les conditions initiales, toujours singulières, fixent énormément d’éléments dans tout phénomène complexe – sans pour autant déterminer à tous les coups la trajectoire d’un dossier. Sans ouvrir ici tous les objets d’alerte et de mobilisation qui ont surgi au cours des trois dernières années, on peut revenir rapidement sur le cas emblématique de la grippe A/H1N1 qui a engendré une sorte de précédent à rebours : le sentiment s’impose que les autorités, nationales et internationales, en ont trop fait et le doute s’installe sur le pouvoir d’influence de groupes au service d’intérêts économiques.

Avant l’apparition de la souche A/H1N1 au printemps 2009, la grippe aviaire ou H5N114, avait largement préparé le discours prophétique en mode rationaliste développé par les instances officielles. Si ce type de prophétie évoque la thèse de Jean-Pierre Dupuy, la différence tient dans la question pragmatique des choix de préparation, qui l’emporte sur la destinée métaphysique de l’humanité. « De la manière dont nous saurons anticiper cet événement et lui faire face dépendra l’ampleur de ce qui pourrait être une catastrophe sans précédent », déclarent en 2005 deux professeurs de médecine15. Les annonces de catastrophes étant devenues banales dans la « société du risque », un tel énoncé pouvait facilement passer inaperçu. Pourtant, avec la grippe aviaire, on voit s’opérer un changement de mode d’existence politique du danger. Entre 2004 et 2007, on assiste à la montée en 14 « H » et « N » désignent conventionnellement deux sous-types. « H » désigne la capacité du virus de pénétrer dans les cellules où il peut se multiplier. « N » informe sur la capacité du virus à produire de nouvelles formes à partir des cellules infectées.15 Interview des professeurs Jean-Philippe Derenne et François Bricaire (Hôpital Pitié-Salpétrière - Paris), Journal du Dimanche, 19 mai 2005.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 16

Page 17: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

puissance d’une véritable prophétie de malheur officielle, énoncée et soutenue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le fait est d’autant plus notable qu’à l’ère des catastrophes et des turbulences, les institutions ont plutôt vocation à rassurer les publics et tendance à minimiser les risques. Comment un message d’allure catastrophiste a-t-il pu être placé au cœur d’une politique sanitaire internationale ? Après le précédent du SARS16, qui avait rendu manifestes les carences du système sanitaire mondial et des difficultés de coordination intergouvernementale, la souche H5N1 est devenue le levier principal d’une réorganisation des réseaux et des dispositifs sanitaires. Avec la nouvelle souche virale, qui surgit d’un coup sur la scène médiatique internationale le 24 avril 2009, le scénario de la prophétie rationnelle change radicalement de mode : cette fois, la transmission interhumaine est avérée, rapide et incontestable, le foyer mexicain s’étant rapidement étendu aux Etats-Unis, puis en quelques semaines sur la planète entière. Il ne s’agit plus d’annoncer la catastrophe mais bien de mettre en œuvre le plan d’urgence. Les niveaux d’alerte successifs de l’OMS sont franchis à grande vitesse, et le 11 juin 2009, l’organisme déclenche la phase la plus élevée en créant du même coup la première pandémie officielle du vingt-et-unième siècle. Le Dr Margaret Chan, Directrice générale de l’OMS, déclare que la vitesse de propagation de la souche est telle qu’il est inévitable qu’elle affecte une grande partie de la population mondiale. Il faut donc activer la phase 6. Les déclarations de l’OMS et leurs reprises médiatiques et politiques en France ne contiennent toutefois aucune marque de prophétie de malheur dans les énoncés : contrairement à H5N1, qui poursuit sa course à bas bruit, l’enjeu est la gestion de l’alerte et la mise en œuvre de dispositifs efficaces, et non l’élaboration d’un scénario-catastrophe. Si le régime argumentatif dans lequel s’installe A/H1N1 est moins catastrophiste, l’inquiétude reste de mise. En mai 2009 alors que la discussion roule sur les dispositions prévues par les autorités, on peut lire :

En dépit d'une riposte mondiale, la pandémie mettrait à mal les systèmes de santé. « Je ne crois pas trop à ce scénario, explique Antoine Flahaut, car depuis les dernières grandes épidémies, nous disposons d'un arsenal thérapeutique et d'une infrastructure sanitaire impressionnante » […] Et d'ajouter : « Des travaux récents, à partir d'autopsie de patients morts de la grippe espagnole en 1918, montrent qu'ils sont décédés d'infections

16 Parti de Chine, le Syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) a fait près de 800 morts au printemps 2003. En passant dans certains pays occidentaux, en particulier au Canada via Toronto, il a provoqué un état d’alerte général marqué par une cacophonie certaine des instances officielles, soulevant le problème de la déclaration des cas et de la transparence des politiques sanitaires nationales.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 17

Page 18: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

bactériennes, infections qui seraient aujourd'hui facilement traitées ». D'autres travaux, à l'inverse, auraient mis en évidence l'effet direct du virus dans le décès, ce qui serait alors beaucoup plus inquiétant. « On ne peut pas, pour autant, écarter cette hypothèse, argumente Françoise Weber, directrice de l'Institut de veille sanitaire, car nous assistons à une progression importante des personnes touchées, avec un nombre significatif de décès chez des jeunes adultes. »17

Dans l’attente, H1N1 ne quitte plus la scène médiatique ce qui, dans le modèle balistique, correspond à une phase de mobilisation politique prolongée. Or, la France étant curieusement peu touchée par ce nouveau virus au début de l’été 2009, une première polémique surgit. Elle est lancée par Bernard Debré, professeur de médecine, membre du comité national d'éthique et député UMP de Paris. Le 25 juillet 2009, Debré déclare au Journal du Dimanche que l’on en fait trop et que cette grippe n’est pas dangereuse. A/H1N1 change de qualification et se transforme en « grippette » dans de nombreux commentaires qui s’ensuivent :

Cette grippe n'est pas dangereuse. On s'est rendu compte qu'elle était peut-être même un peu moins dangereuse que la grippe saisonnière. Alors maintenant, il faut siffler la fin de la partie ! [...]Tout le monde avait à l'esprit le phénomène de la grippe aviaire, H5N1, qui est très dangereuse pour l'homme avec un taux de mortalité de 60 à 65% mais pas contagieuse car elle passe difficilement la barrière des espèces. Nous appréhendions une redistribution des gènes pouvant faire sortir un virus très virulent et très contagieux. Cette loterie a eu lieu. Mais elle a produit un bon numéro: le H1N1. [...] A partir du moment où l'OMS a, de façon un peu rapide, commencé à gesticuler, avec des communiqués quotidiens et des conférences de presse à répétition, les gouvernements n'avaient pas vraiment d'autres choix que de suivre. Je leur reproche d'avoir ensuite succombé à une sur médiatisation politique de cet événement.18

Si la critique porte, trouvant de nombreux échos dans l’espace politico-médiatique, le gouvernement et l’INVS, soupçonnés d’avoir à l’esprit les précédents de la canicule (2003) et de Chikungunya (2005), maintiennent le régime d’alerte. La mobilisation 17 Libération, 2 mai 2009.18 Journal du dimanche, 25 juillet 2009.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 18

Page 19: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

générale ayant été amorcée, le politique ne semble plus pouvoir reculer et les experts s’alignent :

100 millions de doses de vaccins commandées […] lors d'un déplacement dans les Yvelines en compagnie de la ministre de la Santé Roselyne Bachelot, le Premier ministre François Fillon continuait encore à agiter le spectre d'une catastrophe sanitaire à venir, tout en martelant que la France était « prête » à l'affronter : L'augmentation de cas confirmés au niveau mondial se poursuit, la situation est très préoccupante dans l'hémisphère Sud [...] et en Europe. La situation du Royaume-Uni, qui est le pays le plus touché, nous laisse penser que la pandémie est naturellement inévitable.19

A la fin de l’automne 2009, si le virus poursuit sa course et si l’alerte reste maximale pour les autorités, le scepticisme d’une grande partie de la population est plus que manifeste. Il est vrai qu’au cours des premiers mois de l’automne 2009, après le retour d’expérience dans l’hémisphère sud, on ne peut plus affirmer que cette souche est plus létale que la grippe saisonnière. Pour de nombreux analystes et commentateurs, le gouvernement est « prisonnier de sa commande massive de vaccins » (100 millions de doses commandées par l'Etat, soit un marché de 700 à 900 millions d'euros)20.

Phénomènes de rebondissement (la figure du retour)

La plupart des dossiers suivis rebondissent à un moment ou un autre – c’est la loi du genre puisqu’il suffit d’une nouvelle alerte, d’une critique ou d’une étude, d’une décision gouvernementale ou d’une décision de justice pour qu’un effet d’entraînement ou une réaction en chaîne se produise du fait de la préparation de tout un ensemble d’acteurs à la controverse publique et la mobilisation politico-médiatique (associations et médias en tête). Parmi les dossiers dont les rebondissements ont été les plus spectaculaires ces dernières années, il faut bien sûr compter la téléphonie mobile, dossier sur lequel on reviendra plus longuement

19 « H1/N1 : une ‘surmédiatisation politique’ pour Bernard Debré », Rue 89, 26 juillet 2009.20 Un contrat d’acquisition graduelle n’a pas été envisagé, alors qu’il eut permis de construire une politique adaptative. Pour une analyse de l’interprétation faite des rapports entre prévention et précaution dans le cas de H1N1, et des polémiques qui s’en sont suivies début 2010, voir Francis Chateauraynaud, Marie-Angèle Hermitte et Jacques Testart, « Ce que fait AH1N1 au principe de précaution », Revue Experts, n°89, avril 2010.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 19

Page 20: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

puisqu’il a fait l’objet d’un suivi systématique et a donné lieu à des notes spécifiques. Le cas du Bisphénol A (BPA) est un peu différent, car si ce dossier n’est pas nouveau il n’a pas suivi le même type de trajectoire. Le BPA montre surtout la puissance des nouveaux réseaux associatifs en France, comme le Réseau Environnement Santé qui a, dès sa formation, ciblé un dossier prometteur sur lequel ses porte-parole avaient des prises techniques tirées des expériences canadiennes et américaines. Du même coup, on voit rebondir le dossier malgré la résistance a priori des agences, et surtout de l’agence européenne, l’EFSA. Ce type de rebond peut évidemment se produire à l’identique sur d’autres causes : ce qui a marché sur le BPA, va-t-il marcher sur l’aspartame ou encore sur les amalgames dentaires – un dossier sur lequel se penchent régulièrement des acteurs sans parvenir pour l’instant à mobiliser fortement. Notons au passage que la montée en puissance de la cause des hypersensibles en 2009 et début 2010 n’a pas encore donné lieu à un rebondissement, la cause étant devenue plutôt lancinante.

La maturité des causes   : des dossiers montés en puissance

A côté des figures du rebondissement, prennent place les dossiers qui gagnent en visibilité et dans lesquels s’est affirmé, plus ou moins graduellement, une configuration dominante. C’est le cas des nanoparticules ou plus précisément des produits nanofacturés. Sortant à peine de l’économie de la promesse elles sont déjà portées comme problème national et européen par les précédents des particules fines et de l’amiante21. S’opposant aux industriels, qui dans le meilleur des cas raisonnent en termes de safety by design, certaines associations comme les Amis de la Terre France réclament un moratoire « tant que nous ne comprendrons pas mieux les interactions entre ces particules et le monde vivant », exigeant « l’arrêt de la commercialisation de tout produit contenant des nanoparticules, en particulier dans l’alimentation et l’agriculture »22.

C’est également le cas des perturbateurs endocriniens dont, du bisphénol aux pesticides, la catégorie s’est affirmé comme un des appuis majeurs de la politique des risques de ces dernières années. Ce qui est frappant dans ce processus, c’est la sorte de compétition à laquelle se livrent associations, médias et agences pour être à

21 Jean-Noël Jouzel, « La santé environnementale dans la généalogie des nanotechnologies en tant que problème public », séminaire De l’alerte au conflit, la sociologie argumentative et la balistique des causes collectives, EHESS, Vendredi 4 mars 2011. 22 Communiqué de presse des Amis de la Terre France 24 juin 2009, voir également leur « Cahier d’acteur » lors du débat CNDP.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 20

Page 21: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

la pointe du dossier. D’un point de vue socio-historique la montée en puissance des perturbateurs endocriniens est visible dès les années 1970 mais les discussions prennent un tour plus systématique à partir des années 1990. Ces dernières années confirment la maturation à la fois scientifique et politique du dossier. Cette intrusion des perturbateurs endocriniens dans le monde des substances à risque s’accompagne de l’arrivée de nouveaux acteurs dans le domaine et, en particulier, des endocrinologues. Comme cela a déjà été montré à de multiples reprises par la sociologie des problèmes publics et des professions, l’émergence d’un problème public est très souvent le fruit de mobilisations sociales, de luttes de concurrence dans la définition du problème et de redistribution de la parole légitime sur ce problème. La controverse sur les faibles doses de perturbateurs endocriniens peut ainsi être interprétée comme la montée du groupe social des endocrinologues dans l’évaluation des risques.

Trajectoires incertaines   : de quelques dossiers au futur indéterminé

Plusieurs dossiers au passé chargé en épreuves de toutes sortes présentent un haut degré d’incertitude quant à leurs trajectoires futures. Soit parce qu’ils sont vulnérables à des événements marquants, comme dans le cas du risque radioactif (voir infra), soit parce qu’ils reposent sur des compromis fragiles entre des visions antagonistes du futur, et c’est à l’évidence le cas des OGM (voir infra), soit encore qu’ils apparaissent de manière intermittente au point de laisser planer un doute sur la concrétisation de mesures publiques efficaces. Pour cette dernière figure, prenons le cas de la pollution de l’air aux particules fines.

Dans l’ensemble des dossiers, la pollution de l’air apparaît à la fois comme un thème évident, installé de longue date, et un dilemme pour les acteurs qui ont du mal à mobiliser et à rassembler les forces pour un projet de transformation un peu radicale. On peut prendre l’exemple de deux moments forts examinés ces dernières années dont on n’arrive pas à mesurer l’impact sur la longue durée. En premier lieu, la tentative par des associations écologiques de dénoncer la surexposition aux particules fines et autres polluants automobiles dans divers points de la capitale, notamment autour du périphérique23. En second lieu, l’expérimentation annoncée en 2011 par le ministère de l’Écologie de zones réglementées dans 8 agglomérations test limitant la circulation des véhicules les plus polluants. Ces « Zones d’actions prioritaires pour l’air » devant permettre à la France de réduire la non-conformité vis-à-vis des normes européennes en matière de qualité de l’air. Il est délicat de 23 « Le scandale de la pollution de l’air en Ile de France », carfree.free.fr, 26 février 2010.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 21

Page 22: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

résoudre le paradoxe qui montre qu’un problème de santé publique, important numériquement24, ne soulève aucune mobilisation dépassant des contextes locaux et ponctuels. Une première réponse, sans doute trop rapide, tient dans l’effet de saturation de la vigilance : chacun est confronté à un bruit permanent qui annule la puissance d’expression des signaux. On peut aussi y voir une acceptation implicite et collective de l’exposition à un risque jugé tolérable en regard des compensations individuelles qu’il procure (la liberté de circulation motorisée par exemple).

Phases de clôture

A propos de quels dossiers peut-on affirmer, avec un coefficient de confiance élevé, qu’ils sont arrivés à leur terme, qu’ils ont abouti à une clôture définitive ?

A priori, un dossier comme amiante est en phase terminale. En réalité, sa clôture est lente et particulièrement douloureuse en termes de coûts sanitaires, politiques et économiques. Ces dernières années, la polémique a fini par gagner le cœur même de l’industrie de l’amiante avec une remise en cause sévère au Québec, et chaque événement semble à la fois préfigurer l’aboutissement du processus de clôture tout en annonçant de nouvelles phases.

Des processus qui traversent les dossiers

Le suivi en parallèle de plusieurs dizaines de dossiers permet de prendre la mesure des effets des transferts de problématiques, d’objets, d’arguments ou de dispositifs. Les thématiques les plus transversales sont aussi celles qui donnent lieu aux plus fortes mobilisations politiques, que ce soit au travers de grandes affaires (hormone de croissance, médiator, etc.), de débats parlementaires ou de polémiques médiatisées. C’est le cas avec les disputes sur l’application du Grenelle de l’environnement, sur l’interprétation du principe de précaution ou autour des conflits d’intérêts. C’est encore le cas avec les premières mises en œuvre de REACh ou la fusion des agences qui pose la question de la régulation, particulièrement au niveau européen. Un autre point transversal est formé par le thème de la participation du public et des formes de délibérations démocratiques, chaque débat public de portée nationale faisant l’objet d’une attention particulière, comme dans le cas des nanotechnologies. C’est enfin le cas de la montée des cadres thématiques du climat 24 Selon l’OMS, il y aurait, chaque année, 42 000 morts prématurées en France liés aux problèmes de qualité de l’air.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 22

Page 23: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

et de la biodiversité ou encore de la justice environnementale qui ont pour propriété de fournir des standards d’action et d’évaluation d’une portée maximale. Parmi les retombées de toutes ces transversalités, il y a évidemment la capacité des acteurs de terrain à retourner les normes, les biens et les valeurs universalisables contre les gouvernants25.

Dans tous ces processus, l’expertise reste à l’évidence le thème le plus investi par les acteurs. Si l’expertise collective tend à s’imposer comme une norme de fonctionnement des organes de régulation, ce modèle mérite d’être contrasté avec trois autres modèles qui ont en commun de dépasser la définition monopolistique de l’expertise26.

25 Bruno Bernardi, Qu’est-ce qu’une décision politique ?, Paris, Vrin, 2003.26 « Les mobiles de l'expertise. Entretien avec Francis Chateauraynaud », Revue Experts, numéro spécial du printemps 2008, n°78, 1-4.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 23

Page 24: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Expertise/Contre-Expertise

Suppose à la fois un espace de calcul commun et une forte dimension conflictuelle

Conflit/Tribunal/Débat public

Global ChanceCRII-GENPerturbateurs endocriniensaspartame

Expertise collective Faire entrer la plus grande variation de points de vue dans la production de l’expertise à des fins de régulation

Cadrage national ou supranational après un événement non contesté

Comité DormontGIECINSERM 1997

Expertise distribuée Une pluralité d’agences et d’ONG contribue à produire des expertises dont la synthèse est laissée au « décideur »

Cadrage national ou transnational en situation d’incertitude durable

NanosRadiofréquences HCB / ANSES / EFSA ?

Expertise dialogique ou participative

Interaction continue entre experts et citoyens

Cadrage local dans lequel les prises sur les milieux sont décisives

GRNC (Sugier)

Figure 1. Quatre formes d’expertise en situation conflictuelle qui rompent avec le modèle monopolistique de l’expertise

Le pari d’un observatoire socio-informatique des alertes et des controverses consiste à rendre ces processus comparables du point de vue morphogénétique et à voir comment dans ces dossiers se croisent des acteurs et des arguments dotés de puissances d’expression différentes. Pour une agence comme l’ANSES, en charge d’une multiplicité d’objets de risque, se pose continûment la question de saisir la teneur et la force des processus en jeu sur le terrain. Elle doit en outre gérer continuellement des temporalités incompatibles : celle de la science et de la recherche qui se compte à long terme (5-20 ans), celle de l’actualité (qui est de l’ordre de la semaine), celle du politique (qui correspond à des mandats de 2 à 5 ans) et celle de l’agenda transnational qui vient toujours à contretemps. Dans le modèle antérieur, qui a encore largement cours dans les institutions, le repli sur le cadrage réglementaire, les normes et les seuils et l’état du droit public est largement dominant. On ne sort pas de son domaine de compétence stricto sensu. Or détecter en amont des signaux faibles, être en mesure d’évaluer à temps les alertes, de saisir les enjeux d’une controverse et de faire participer des acteurs hétérogènes suppose de sortir constamment d’un tel cadre, entendu au sens strict. De fait, l’agence sera de plus en plus souvent aux prises avec des logiques d’action qui déplacent voir

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 24

Page 25: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

transgressent les cadrages institutionnels préétablis. D’où la référence de plus en plus marquée à une place des sciences sociales dans les dispositifs ?

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 25

Page 26: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Chapitre IIUne collection de corpus en

transformations

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 26

Page 27: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 27

Page 28: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

De l’importance de la comparaison continue entre de multiples dossiers

Même si construire la comparaison de grands dossiers suivis dans la durée ne va pas de soi, c’est un des paris du type de sociologie pratiquée au GSPR : éviter la spécialisation sur un type d’objet d’alerte et de controverse, permettre de saisir des dynamiques plus transversales ou globales, repérer les influences et les transferts d’un univers à l’autre. Les rapprochements entre les différents dossiers font partie des schémas argumentatifs les plus couramment utilisés par les acteurs. On observe par exemple un transfert de l’expérience OGM sur le cas de nanos lorsque certains acteurs parlent d’un « syndrome OGM » (qu’il aurait fallu éviter à tout prix) ou de « faucheurs de débat » à propos de la manière dont le débat public CNDP a été perturbé par des groupes s’inspirant de thèses néoluddites27. C’est aussi le cas lorsque les précédents de l’amiante ou des particules fines sont remobilisés à propos des nanoparticules. Plus généralement, la construction de problématiques transversales fait appel à opérations de comparaison : on le voit tout particulièrement à propos des faibles doses et des changements intervenus dans les rapports entre toxicologie et épidémiologie.

Le cadrage par les risques, selon les procédures mises en place depuis le début des années 1990 aux États-Unis (séparation évaluation/gestion), et en France avec la création des agences sanitaires à la fin des années 1990, est dans bien des cas contesté ou pour le moins soumis à rude épreuve. Les trois dossiers les plus fortement politisés à ce jour (si l’on excepte l’amiante, presque clos même si ce n’est pas vraiment le cas, surtout à l’échelle internationale) que sont le nucléaire, les OGM et les nanotechnologies sont régulièrement pris comme exemple d’enjeux politiques et économiques rabattus sur une simple problématique de risk assessment. Le cas des OGM, mis constamment en rapport avec les pesticides, les crises alimentaires (l’incontournable crise de la vache folle), mais aussi le nucléaire, l’amiante, les nanotechnologies, le climat et la biodiversité, ou bien sûr le clonage animal28, rend manifeste une influence croisée des dossiers les uns sur les autres : l’apparition remarquée des abeilles en tête de cortège dans les manifestations anti-OGM a suscité la colère de plusieurs biologistes ou agronomes, mais elle n’avait pas d’autre fonction sociale que de marquer les passages continus et les rétroactions permanentes entre les différentes causes – le mot pouvant être entendu ici au double sens.27 La cause néoluddites s’est développée en parallèle avec la montée d’Internet en renouant avec une tradition dite des « briseurs de machines ».28 Voir sur ce point le rapport de l’AFSSA, Bénéfices et risques liés aux applications du clonage des animaux d’élevage, septembre 2005.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 28

Page 29: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

La comparaison appelle très rapidement différentes configurations politiques nationales. Y a-t-il une spécificité du cas français ? L’analyse des situations européennes (en Grande-Bretagne, Pays-Bas et Suisse) ou américaines (canadienne et états-uniennes) tend à montrer que ce qui est spécifique, ce n’est pas tant le haut degré de présence de l’État dans toute la chaîne qui va de la recherche au fonctionnement des dispositifs de régulation, et la gestion des conséquences en cas de pollution, de contamination ou de crise, que le style de politisation, la multiplication d’affaires et de polémiques qu’engendre la montée en puissance de risques ou d’incertitudes dans l’espace politico-médiatique. Il y a une suspicion a priori qui pèse sur toutes les instances, et parmi elles les agences. Sans parler ici du Mediator, malgré les changements institutionnels intervenus après les crises sanitaires des années 1990, la « crise de confiance » n’a cessé de s’approfondir29 : canicule de 2003, Chickungunya, ondes électromagnétiques, A-H1N1, mais aussi Bisphénol A. Et nous pouvons y ajouter, bien sûr, des dossiers encore plus politiques comme les OGM, les déchets nucléaires, les nanotechnologies et désormais la mobilisation sur les forages/exploitations des gaz de schiste.

Il y a à la fois de grandes ressemblances entre les dossiers si l’on considère les grandes sphères constituées par les différentes sources de risque, et en même temps de grandes différences qui tiennent à la fois aux objets en cause, aux milieux qui s’en saisissent, et aux trajectoires qu’ils empruntent. Il s’agit donc de comparer à la fois les trajectoires suivies par les acteurs et les arguments, et en particulier les moments où se croisent les expertises. Dans la démarche adoptée, il y a un principe de symétrie appliqué à l’ensemble des acteurs, des scènes d’action et d’argumentation, l’idée étant de voir ce qui résiste au fil du temps, ce qui fait accord et désaccord.

29 Pierre Rosanvallon parle de défiance dans La contre-démocratie. La politique à l'âge de la défiance, Paris, Seuil, 2006.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 29

Page 30: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Tableau des corpus

Nom du corpus Pages

Textes

Période couverte Etat

Alarms and controversies 8996 678 06/1983-02/2011 SuiviAlertes varia 2021 1087 06/2005-04/2011 SuiviAlgues vertes 950 513 11/1996-10/2010 Archiv

eAmiante 6355 1129 09/1971-04/2011 SuiviBenzène 920 241 04/1974-01/2007 Archiv

eBisphénol A 1383 788 04/2000-03/2011 SuiviCharte environnement 945 171 05/2001-02/2006 Archiv

eChikungunya 2013 1418 02/2004-07/2006 Archiv

eClimat 5745 2056 01/1987-12/2010 SuiviDéchets radioactifs 1655

72360 11/1955-11/2009 Archiv

eDioxine 1495 911 11/1996-10/2010 Archiv

eDiscours politiques (2002-07) 9937 1507 04/2002-04/2007 Archiv

eEthers de glycol 506 269 10/1997-07/2006 Archiv

eFil environnement FS 3540 3005 10/2004-06/2010 Suspen

duGaucho/Régent 643 292 06/1991-08/2007 Archiv

eGaz de schiste 511 447 11/2010-03/2011 SuiviGrippe A (H1N1) 1900 952 11/2005-07/2010 Archiv

eGrippe aviaire (H5N1) 5281 4608 09/1997-01/2007 Archiv

eNanoparticules et santé* 2976 606 12/2001-03/2011 SuiviNanosciences (générique) 4750 993 06/1986-11/2008 Archiv

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 30

Page 31: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

eNucléaire générique 1730

03830 08/1945-04/2011 Suivi

OGM 20059 9614 07/1987-03-2011 SuiviPesticides contemporain 3199 2150 09/2007-03/2011 SuiviPesticides historique 1250

28789 07/1988-01/2010 Archiv

ePrion 3007 1243 12/1989-2/2002 Archiv

eSanté travail 4332 2302 11/1995-09/2010 Archiv

eTéléphonie mobile 1395

95495 04/1983-03/2011 Suivi

Tempête Xynthia 3372 2858 02/2010-02/2011 SuiviTotal 1551

546031

228  

Figure 2. Branche « Santé et environnement » de la collection de corpus : état d’avril 2011

En l’espace de trois ans, la collection de corpus qui concernent les questions sanitaires et environnementales ou plus généralement le domaine des risques, est passée de 16 à 28 corpus pour un total de plus de 60 000 textes et près de 155 000 pages. Ce « livre collectif » ouvert sur les fils concernant l’agence compose une mémoire socio-discursive utilisable pour de multiples questionnements. Parmi les corpus de la liste, il faut distinguer ceux qui sont considérés comme clos (archivés mais disponibles) de ceux dont le suivi est toujours assuré au moment de la rédaction du présent rapport. Notons que le Fil environnement, dont le pilier central était constitué par les textes d’actualité du Journal de l’environnement, a dû être suspendu pour des raisons techniques.

Certains dossiers ont pris une importance non anticipée au démarrage du dispositif, c’est le cas du « Bisphénol A », de la « grippe A (H1N1) » et des « gaz de schiste ». D’autres ont poursuivi une histoire longue avec ses rebondissements, comme le nucléaire ou les OGM. Enfin, des dossiers ont été au cœur du partenariat, ceux de la téléphonie mobile et des nanomatériaux.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 31

Page 32: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Les trois dossiers piliers de l’observatoire

Téléphonie mobile

Marlowe : J'essaye un algorithme de « résumé automatique » qui en vaut sans doute bien d'autres : Ce dossier met non seulement en jeu les champs électromagnétiques, la limitation de l'exposition, la santé des populations, la santé des riverains, la protection de la santé, la puissance des antennes, mais s'organise essentiellement à partir d’arguments concernant les risques des champs électromagnétiques, les effets des radiofréquences, les résultats des études, les restrictions de base, les niveaux de référence, le risque de cancer, le contrôle de l'exposition, le développement de la téléphonie mobile, le risque de leucémie, ... Et j’ajouterai encore le respect des valeurs limites ...

La première apparition du téléphone mobile dans le corpus est datée de 1993 quand « une étrange rumeur se répand aux Etats-Unis: les téléphones sans fil sont accusés de provoquer des lésions cancéreuses au cerveau, ce qui fait chuter les prix des appareils. Il a suffi qu'un habitant de Floride, veuf depuis mai dernier, explique sur CNN que sa femme était décédée d'un cancer au cerveau parce qu'elle utilisait beaucoup son téléphone sans fil30, pour que la rumeur se répande comme une traîne de poudre. »31 Mais il faut attendre 1997 pour entendre parler des antennes relais :

Quand tout un peuple voue un culte à une tour métallique haute de 320 mètres, comment espérer de lui le moindre respect de ses horizons ? Après les châteaux d'eau, les silos à grain, les relais hertziens, les pylônes EDF, voici l'antenne-relais pour téléphone portable. Jusqu'à 50 mètres de hauteur ! Jamais forêt n'aura poussé si vite. D'autant que trois « espèces » se font concurrence : l'Itineris, le SFR et le Bouygues.32

Ce sont pourtant les conflits locaux autour de ces implantations d’antennes-relais qui vont fédérer et structurer les luttes militantes et les associations à la toute fin des années 199033. Après diverses péripéties, judiciaires notamment, c’est fin 2007 que le

30 Il s’agit bien ici d’un téléphone mobile et non d’un dispositif DECT.31 « L'étrange rumeur des téléphones cancérigènes », AFP, 26 janvier 1993.32 « Portables : Forêt de pylônes », Le Point, 07 juin 1997.33 Sur cet aspect voir Olivier Borraz, Michel Devigne et Danielle Salomon D. Controverses et mobilisations autour des antennes relais de téléphonie mobile, Rapport de recherche, Centre de Sociologie des Organisations, septembre 2004. Pour une autre historicisation de la controverse au début des années 2000, voir Nathalie Dillenseger-Honoré, Le règlement des

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 32

Page 33: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

dossier va prendre son ampleur médiatique nationale avec le succès de la campagne des associations Agir pour l’environnement et Priartem contre le MO1, téléphone portable explicitement destiné aux enfants, et qui fait sortir de sa réserve Roselyne Bachelot, ministre de la Santé et une figure politique peu connue à l’époque, Nathalie Kosciusko-Morizet34. Le thème n’a dès lors cessé de proliférer autour des téléphones et des antennes mais également du Wifi, du Wimax et parfois de la TNT et du Bluetooth, a recoupé les luttes contre les lignes à haute tension et a fait émerger un nouvel acteur : l’électro-hypersensible35.

Désormais fort de 5500 textes environ et s’étendant sur près de trois décennies, le corpus « Téléphonie mobile » se découpe en 6 périodes :

1. La première correspond à l’apparition de la technologie, à son développement et sa popularisation, et à la mise en place d’arguments et d’acteurs critiques. Elle intègre des textes portant sur d’autres technologies émettant des ondes électromagnétiques, comme les lignes à haute tension. Elle s’achève au 15 janvier 2001 ;

2. La deuxième période commence avec le « rapport Zmirou » daté du 16 janvier 200136. Elle voit la montée en puissance progressive des associations militantes et une première diffusion publique et médiatique des interrogations sur les effets sanitaires des ondes électromagnétiques ;

3. La troisième période débute le 19 mai 2004, avec la naissance de l’association Robin des toits. Elle correspond à une radicalisation de la critique et des démarches militantes, marquées par des divisions au sein des associations, la création d’associations plus spécialisées, comme la CRIIREM, et une contestation plus marquée de l’expertise officielle. L’AFSSET sera en France la principale cible de ces attaques, concentrées sur ses avis de 2003 et de 2005,

conflits dans une controverse socio-technique - Les risques sanitaires liés à la téléphonie mobile, thèse de l’Université de Strasbourg 1, 10 décembre 2004. La version britannique de la polémique est décrite dans Adam Burgess, Cellular phones, public feras, and a culture of precaution¸ Cambridge University Press, 2004.34 Pour une description plus en détail de l’histoire et de la préhistoire du dossier, voir la note semestrielle de juin 2008 de la convention qui met l’accent sur le dossier de la téléphonie mobile. 35 Francis Chateauraynaud et Josquin Debaz, « Le partage de l'hypersensible. Le surgissement des électro-hypersensibles dans l'espace public », Sciences sociales et santé, volume 28, numéro 3, septembre 2010.36 Rapport au Directeur Général de la Santé, Les téléphones mobiles, leurs stations de base et la santé. État des connaissances et recommandations, 16 janvier 2001, http: //www.sante.gouv.fr/rapport-zmirou-2001.html.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 33

Page 34: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

avec le dévoilement des relations entre certains experts impliqués et les intérêts industriels des opérateurs ;

4. La quatrième période commence avec le « rapport Bioinitiative » du 8 août 200737. Ce rapport devient rapidement l’étendard que les associations militantes mettent en avant pour opposer aux avis officiels une contre-expertise plus structurée. Forts de ce document, de leur veille scientifique et institutionnelle, ainsi que des années passées à fédérer de multiples actions locales, ces associations ont pu lancer de nombreuses et efficaces campagnes médiatiques et judiciaires ;

5. Une cinquième phase débute au 2 mars 2009, avec la conférence de citoyen lancée par la Ville de Paris en vue des négociations pour le renouvellement de la charte de bonne conduite signée avec les opérateurs. Dans cet esprit de concertation s’est déroulé en parallèle un Grenelle des Ondes, la table ronde « radiofréquences, santé, environnement », organisée par le gouvernement qui a donné lieu au lancement d’une opération expérimentale dans 29 « communes pilotes » ;

6. La sixième et dernière période commence avec la publication l’avis de l’AFSSET du 15 octobre 200938.

37 The BioInitiative Working Group, BioInitiative Report: A Rationale for a Biologically-based Public Exposure Standard for Electromagnetic Fields (ELF and RF), 8 août 2007, http: //www.bioinitiative.org/report/index.htm.38 AFSSET, Mise à jour de l’expertise relative aux radiofréquences, Saisine n°2007/007, octobre 2009.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 34

Page 35: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Le graphique précédent montre que le dossier a connu sa plus forte production entre le second semestre 2007 et le premier semestre 2009. Depuis, le corpus semble se stabiliser, avec un rebondissement autour de la publication l’avis de l’AFSSET d’octobre 2009.

Si le dossier est toujours présent dans l’actualité des problématiques santé-environnement, on observe une certaine cristallisation des positions, les nouveaux événements s’accumulant aux séries déjà constituées et ne produisant pas de réelle transformation dans un sens ou dans l’autre.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 35

Figure 3. Evolution mensuelle du nombre de textes du corpus « Téléphonie mobile », découpé en 6 périodes

Page 36: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 36

Page 37: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Processus de normalisation engageant les militants associatifs, le Grenelle des ondes temporise pour l’instant le dossier bien qu’une critique du manque de résultats concrets, et du défaut de décret d’application des lois en particulier, se fasse entendre :

Il est apparu que l’organisation d’un « dialogue » servait uniquement aux pouvoirs publics de prétexte à ne pas intervenir ( « le dialogue est en cours dans le cadre du Grenelle des ondes »), alors que le rapprochement des points de vue entre les opérateurs et les associations a nécessairement ses limites : les opérateurs sont par nature hostiles à tout ce qui peut brider leur activité, et les associations ne peuvent pas souscrire à des évolutions qui mettent en danger la Santé Publique sans information des citoyens39.

Persistent également les tensions locales tandis que s’accumulent les décisions allant à l’encontre de l’installation d’antennes relais, tant du point de vue judiciaire que dans les assemblées de copropriétés Les opposants, militants ou simples riverains, maîtrisent à présent le sujet sur le plan technique et légal et ont à leur disposition un arsenal grâce auquel ils peuvent retarder l’installation voire en obtenir l’annulation. Lorsque dans le graphique suivant, on compare la distribution du nombre d’articles dans la presse quotidienne nationale et la presse quotidienne régionale, on constate que si la première semble se désintéresser du dossier, ou du moins le couvrir a minima, la presse régionale témoigne des persistances locales des frictions.

39 « Robin se retire du Grenelle des Ondes (mais pas du COMOP) », communiqué de presse de Robin des Toits, 28 mars 2011.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 37

Page 38: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Figure 4. Evolution du nombre mensuel d’articles de la presse quotidienne nationale (PN) et de la presse quotidienne régionale (PR)

Enquêteur : que faut-il retenir de cette affaire ?

Marlowe : On peut tout d'abord retenir que les éléments de ce dossier sont très fortement interconnectés... En vertu de quoi, je retiendrai cet énoncé :

« Est-il techniquement possible d'abaisser l'exposition aux ondes électromagnétiques émises par les antennes-relais, sans nuire à la couverture et à la qualité des services de téléphonie mobile ? Vaste sujet, sur lequel se penche le Comop (Comité opérationnel chargé des expérimentations sur la téléphonie mobile), qui réunit depuis juillet 2009 des opérateurs, l'Etat, des collectivités locales, des scientifiques et des associations (FNE, CLCV, Robin des Toits, Criirem, Priartem, Agir pour l’environnement, Familles rurales, AFUTT, Confédération syndicale

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 38

Page 39: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

des familles). » Auteur : Metro Date : 08/02/2011 Titre : « Antennes-relais : l'exposition aux ondes mesurée dans six sites pilotes » (où l'on note la présence de Antennes-relais@, Téléphonie-mobile@, LES-COMMUNES@ et OPERATEURS@ ...)

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 39

Page 40: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

PesticidesDepuis la prise en main du dossier des pesticides, au Printemps 2006, nous avons pu constater le caractère composite des processus à l’œuvre qui engendrent de multiples « sous-dossiers » comportant des enjeux hétérogènes. Cette nébuleuse des sous-dossiers provient à la fois de la diversité des produits (Gaucho, Régent, Cruiser, Chlordécone, …), de leurs domaines d’application (filières agricoles variées, jardinage domestique, entretien des espaces publics et industriels, …) que des objets qu’elle tire à elle (disparition des abeilles, agriculture biologique, OGM, prolifération des algues vertes, pollution de l’eau, risques professionnels, …)40. Malgré des tentatives de totalisation, comme par exemple celle du groupe Générations Futures (ex MDRGF)41, le foisonnement des alertes, des affaires et des dispositions publiques produit une fragmentation appelant une relocalisation des descriptions42.

Enquêteur : quel est l'enjeu de ce dossier ? Marlowe : Parmi les enjeux de ce stock d'archives, il faut naturellement compter étude@. La raison en est fort simple : il s’agit de l'entité la plus « qualifiée » de ce dossier puisque étude@ reçoit tour à tour des attributs tels que « attendus », « publiée », « réalisée », « récente », « plusieurs », « toxicologiques », ou « américaine » ... Voici quelques arguments qui explicitent, pour ce que j'en sais, la constitution de étude@ comme « enjeu » :

« Les résultats de cette étude sont attendus d'ici à trois mois. »Auteur : Ministère de l'agriculture et de la pêche Date : 09/04/2009 Titre : Réponse à la Question écrite n°07081, publiée au JO le 22/01/2009 (page 146)

« Les enfants exposés aux pesticides présents dans l’alimentation auraient davantage de risques de développer des troubles de l’attention ou de l’hyperactivité, selon une étude menée par des chercheurs américains, publiée dans la revue scientifique Pediatrics le 17 mai. » Auteur : Relaxnews Date : 18/05/2010 Titre : Exposition aux pesticides : les enfants plus susceptibles de développer des troubles de l’attention

40 Anne Bertrand, Francis Chateauraynaud, Didier Torny et alii, Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux. Expérimentation d’un observatoire informatisé de veille sociologique à partir du cas des pesticides, Rapport final de l’étude pilote, octobre 2007.41 www.mdrgf.org/.42 Comme l’a montré par exemple le colloque La Réduction des Pesticides : Enjeux, Modalités et Conséquences de la Société Française d’Economie Rurale, Lyon, 11-12 mars 2010.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 40

Page 41: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

« En complément de cette première étude réalisée dans le cadre du deuxième Plan National Santé-Environnement, l’InVS a prévu de lancer fin 2012 une enquête nationale de biosurveillance incluant un volet chez les enfants. » Auteur : actualites-news-environnement Date : 22/03/2011 Titre : Imprégnation de la population française par les polluants : l'Invs publie les premiers résultats

La gestion politique des pesticides est confrontée à des contraintes de milieux qui ne peuvent se régler par une simple négociation nationale sur la portée des outils de régulation. On sait que même dans le cas des OGM, la séparation des filières n’a pas encore trouvé de dispositif de compromis praticable laissant entrevoir de nouveaux rebondissements du conflit entre pro et anti-OGM43. De plus, le dossier des pesticides comporte des scandales dont les conséquences judiciaires sont encore incertaines, en particulier dans le cas du Chlordécone44. Enfin, l’utilisation actuelle des « substances phytosanitaires » entraînant une pollution écosystémique plus ou moins sensible selon les lieux, elle peut ressurgir à tout moment comme problème public, soit par le biais d’un évènement environnemental « pur » ou via l’exposition des travailleurs agricoles ou des consommateurs finaux à ces produits.

Enquêteur: je veux un scoop

Marlowe : J'ai vu, à propos de Belpomme, une formule relevant de ce que vous appelez le registre « politique » : « L’étude Karuprostate confirme donc non seulement le bien fondé du « rapport Belpomme » mais aussi les travaux de biologie et d'écotoxicologie réalisés par l’ARTAC concernant les cancers de la prostate en particulier en Martinique. Il est donc mis fin à une contestation politique dérisoire ayant tenté de discréditer le Pr. Belpomme en tant que médecin et scientifique et ayant visé à étouffer une affaire beaucoup plus sérieuse que celle du sang contaminé, puisqu’elle concerne de près ou de loin environ un million d’antillais. »Auteur : ARTAC Date : 22/06/2010

43 Voir Francis Chateauraynaud, « L’histoire des OGM n’est pas une controverse ratée mais un conflit réussi », Socio-informatique et argumentation, 1er décembre 2010, http: //socioargu.hypotheses.org/1807.44 Voir les rapports de Matthieu Fintz, L'autorisation du chlordécone en France, 1968-1981, rapport Anses décembre 2009 et de Pierre-Benoît Joly, La saga du chlordécone aux Antillles françaises : reconstruction chronologique 1968-2008, rapport INRA, Sciences en Société, juillet 2010.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 41

Page 42: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Dans la note semestrielle de juillet 201045, nous indiquions que la période contemporaine du dossier des pesticides est marquée par un « effet Grenelle » qui correspond pour le corpus à une production textuelle modérée, comme le montre le graphique suivant.

Il s’agit en fait d’un recadrage du dossier dans l’espace de calcul maîtrisé d’un encadrement juridique de l’homologation, de la vente et de l’utilisation des produits,

45 Francis Chateauraynaud, Josquin Debaz et alii, Observatoire informatise de veille sociologique. Cinquième note d’étape, juillet 2010, 13 à 16.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 42

Figure 5. Evolution mensuelle du nombre de textes du corpus « Pesticides contemporain »

Page 43: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

liant des outils de régulation et de normalisation, aux niveaux local, national et européen. Cette phase de normalisation s’accomplit au travers de structures d’Etat ou européennes comme l’Observatoire des Résidus de Pesticides, le plan Ecophyto, la loi d’orientation agricole du 6 janvier 2006, ou européennes comme REACh, les actions parlementaires sur les Préparations Naturelles Non Préoccupantes visant à corriger certaines maladresses autour des pesticides alternatifs46, mais également de structures plus participatives en ce qui concerne les politiques de réduction des intrants.

46 Le purin d’ortie en particulier.Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 43

Page 44: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

NanoparticulesLe dossier des « nanos » en général a connu un développement spectaculaire ces dernières années. Le caractère polymorphe de la thématique « nano », sa capacité à s’étendre sans fin sur le moindre sujet connexe, l’aspect d’actualité et de volontarisme des politiques de recherche qui tendent à multiplier les occurrences du mot, montre que sous une unité apparente se renforce un processus de séparation de quatre polarités jusqu’alors fortement nouées par la mise en discussion des textes fondateurs (Drexler, Roco, Dupuy, Therme, …) :

1. les nanotechnologies sont d’abord essentiellement un opérateur de recomposition des réseaux scientifiques et techniques animés par la question de la convergence technologique47, ce qui pousse de nombreux acteurs à redéfinir leur politique de recherche, d’où la forte dimension économique associée à ce dossier, très souvent présenté comme un eldorado pour/par les Etats, les firmes et les réseaux scientifiques ;

2. Le deuxième pôle est celui de la société de surveillance, avec la dénonciation, très centrale chez PMO48, de l’usage policier et militaire des nanopuces et de la RFID, comme nouveau système de traçabilité des personnes ;

3. Autre pôle qui tend à se détacher fortement : la question du transhumanisme et la manière dont le dossier des nanos vient croiser les grandes controverses sur la post-humanité ;

4. Le quatrième pôle, de plus en plus autonome, concerne la problématique santé-environnement avec les nanoparticules et nanomatériaux.

C’est sur ce quatrième axe, que porte le corpus de l’observatoire : les aspects sanitaires en controverse ou potentiellement polémique de la production et des usages des particules de taille nanométrique. L’objet est ici de cerner comment s’opère le cadrage social et institutionnel sur cette problématique, en sachant qu’elle

47 L’intégration des technologies (NBIC : nano-bio-info-cognitivo) est considérée comme un facteur de rupture avec l’épistémologie antérieure fondée sur la séparation matière-vivant-information. Voir Mihail Roco & William Bainbridge, Converging Technologies for Improving Human Performance: Nanotechnology, Biotechnology, Information Technology and Cognitive Science, Springer, 2003.48 Cette organisation et ses alliés dans la presse a d’ailleurs mis en cause directement l’AFSSET et le GSPR, voir le paragraphe « Le Canard Enchaîné rend visite à l’AFSSET : comment PMO interprète l’intervention du GSPR à l’AFSSET sur les nanotechnologies » de la note d’étape de juillet 2010, 24-26.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 44

Page 45: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

puise largement dans des précédents (amiante, particules ultrafines), et comment les frontières avec les autres aspects du dossier sont travaillés. Le dossier des nanos a ceci de particulier qu’il peut précisément engendrer une dynamique d’auto-renforcement entre la problématique de la pollution par les nanoparticules et un conflit économique sur la définition de l’appropriation de la matière (avec toute l’ambigüité du nano-bio-info, puisqu’à l’échelle nano, la matière est à la fois conçue comme système d’information et système vivant).

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 45

Page 46: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Figure 6. Les quatre angles d’ouverture des nanotechnologies et la séparation des nanoparticules

Un des phénomènes notables dans le domaine des nanotechnologies en général, catégorie tentaculaire sinon opaque, est la tentative de séparer la thématique des nanoparticules et de leurs effets potentiels sur la santé et l’environnement des autres composantes du domaine, ce qu’illustre le schéma précédent. Ce processus est par

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 46

Page 47: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

exemple observable au travers de la compartimentation des thématiques durant les débats publics de la CNDP en 17 thèmes et lieux.

Comme le montre le graphique suivant, après une période intense, liée au « Débat public sur les options générales en matière de développement et de régulation des nanotechnologies » de la CNDP et à la vive et régulière perturbation à laquelle il a donné lieu, le thème est revenu à une production textuelle publique très limitée.

La procédure CNDP a ainsi contribué à donner une nouvelle tonalité au dossier. L’absence d’un porteur de projet clairement identifié et distinct de la Commission a renforcé l’impression, partagée par de multiples observateurs, que le débat avait surtout pour objectif de remplir une fonction d’ « instruction publique »49. La mission

49 Michel Callon, « Des différentes formes de démocratie technique », Annales des mines, 1998, 9, 63-73.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 47

Figure 7. Évolution mensuelle du nombre de textes du corpus « Nanoparticules et santé »

Page 48: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

de compte rendu transparent et informé des opinions exprimées lors du débat par la CPDP a ainsi été réduite à celle d’acceptabilité sociale et vivement dénoncée par le groupe militant Pièces et Main d’œuvre. Ces activistes grenoblois ont su porter leur message « Faire participer, c'est faire accepter » au-devant de la scène et fédérer à leur cause suffisamment d’autres acteurs pour entraver voire bloquer plus de la moitié des débats locaux. Si pour beaucoup, le débat n’aura fait que cristalliser stérilement les oppositions, il apparaît cependant qu’il a remis en avant le problème de la gouvernance des nanotechnologies dans un espace souffrant d’une régulation encore minime, d’une toxicologie difficile à mettre en œuvre et d’un manque de transparence des liens entre l’industrie et les financements publics de la recherche. Lors de ces réunions, tout comme lors du débat au Sénat du 17 juin 2010, la contestation à l’encontre de la politique pro-nano a souvent été balayée comme résultant d’un manque d’information du public (1er modèle du déficit) ou des excès de minorités opposantes (2e modèle du déficit)50, tous s’accordent cependant sur la nécessité pour le politique de s’ériger en arbitre entre les innovations technologiques et la protection de la santé et de l’environnement, appelant en ce sens à l’établissement d’une réglementation propre aux nanotechnologies.

Un tel encadrement réglementaire est d’autant plus délicat à mettre en place que ces produits remettent en cause la pertinence de la réglementation européenne REACh, de par leur faible volume de production et leur large éventail de propriétés, et beaucoup d’analystes plaident pour l’adoption d’un traitement particulier. De même, lors de la récente régulation sur les « nouveaux aliments » (novel food) par le Parlement européen, il a été exigé un étiquetage spécifique des denrées modifiées par des nanotechnologies tout en appelant à un moratoire sur leur usage tant qu’il n’y a pas de consensus sur leur innocuité.

Dans l’ombre de ces nanoparticules se profile également un autre trait liant nanotechnologies et sciences du vivant, celui de la création, d’une vie synthétique. Récemment, le déjà très controversé Craig Venter51 a annoncé la production d’une bactérie (Mycoplasma mycoides) dont le génome a été intégralement reconstitué et réimplanté, ce qu’il désigne de manière plus médiatique comme la construction d’une « cellule synthétique ». Porteur d’un projet de séquençage du génome humain à des fins commerciales, Craig Venter a de longue date été identifié comme un

50 Sur les modèles du déficit, voir l’intervention de Brian Wynne, « Pour en finir avec quelques mythes sur les peurs du “public” », Gouverner l´incertitude : les apports des sciences sociales à la gouvernance des risques sanitaires environnementaux, au colloque organisé par l’Afsset et le Réseau Risques et Société (R2S), Paris, 6 et 7 juillet 2009. 51 Dorothée Benoit Browaeys, Le meilleur des nanomondes, Paris, Buchet Chastel, 2009.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 48

Page 49: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

« dangereux démiurge » par les opposants aux nanotechnologies. Si le spectre d’une apocalypse par autoréplication d’agents nanobiotechnologiques reste encore largement du domaine de la fiction d’épouvante, la perspective d’une contamination de l’environnement par des organismes « synthétiquement génétifié » opèrerait une fusion du dossier avec celui des OGM. Le « syndrome OGM » étant précisément l’épouvantail brandi par de multiples porteurs de projet dans le champ des nanos…

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 49

Page 50: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Enquêteur : peux-tu résumer le dossier en quelques phrases ?

Marlowe : Ce dossier complexe « nanoparticulesETsante » est trop foisonnant pour être synthétisé en quelques ... Voici quand même une proposition de synthèse à partir d'agencements remarquables :

« On peut trouver une liste des produits contenant des nanoparticules sur le site nanotechproject. »Auteur : Garnier Date : 07/07/2010 Titre : Les nanoparticules, le nouveau risque pour votre santé « Ce cycle répond à une autre recommandation, celle du sociologue de l’acceptabilité Pierre-Benoît Joly auquel la Métro avait commandé un rapport en 2005 [Démocratie locale et maîtrise sociale des nanotechnologies : les publics grenoblois peuvent-ils participer aux choix scientifiques et techniques ?] : "organiser une conférence de citoyens dans un délai d’un an". » Auteur : PMO@ Date : 17/10/2006 Titre : Nanotechnologies : et maintenant, le tsunami de la communication « Le livre passe en revue bien d’autres espoirs portés par les nanotechnologies et leur cortège de nouveaux matériaux, que ce soit dans les domaines de la réparation des organes ou dans leur reconstruction, qu’il s’agisse de l’œil et de sa rétine, du cœur, du pancréas ... Pour autant, prévient l'auteur, il ne faut pas se laisser berner par les promesses folles que certains " charlatans " sont tentés de faire .Et surtout, " le travail à effectuer pour faire progresser les connaissances sur les dangers potentiels des nanomatériaux est énorme ". » Auteur : Le Figaro Date : 31/01/2011 Titre : Les promesses de la nanomédecine seront-elles tenues ? « L’analyse par microarray de la modification précoce de l’expression génique montre effectivement que, pour la majorité des gènes affectés, l’amplitude des changements est étroitement corrélée avec la surface spécifique des particules plutôt qu’à la masse ou au nombre de particules. » Auteur : AFSSET@ Date : 23/11/2009 Titre : Évaluation des risques liés aux nanomatériaux pour la population générale et pour l’environnement « Un rapport du JRC (Centre commun de recherche), daté du 2 juillet, s’essaie à définir le champ d'application des nanomatériaux, étape préliminaire à toute règlementation. » Auteur : Journal de l'Environnement Date : 06/07/2010 Titre : Définition des nanomatériaux : la prudence reste de mise « Les nanomatériaux ne sont plus désormais seulement confinés dans les laboratoires de recherche, mais sont intégrés dans de nombreux procédés industriels et participent à la composition d’une grande variété de produits ou systèmes utilisés dans la vie courante (crèmes solaires, textiles, aliments, domaine des transports, etc.). » Auteur : Jean-Claude Fruteau Date : 14/12/2010 Titre : Question écrite n°95667, publiée au JO le 14/12/2010 (page 13486) « En effet, le manque de données épidémiologiques, toxicologiques et écotoxicologiques ne permet pas de mener actuellement une évaluation

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 50

Page 51: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

complète des risques potentiels liés aux nanomatériaux manufacturés contenus dans tous les produits de consommation courante. » Auteur : Association Sante Environnement de France Date : 24/03/2010 Titre : L'avis de l'AFSSET sur les nanomatériaux

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 51

Page 52: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Chéloné   : une base de corpus évolutive

Amiante Vu de loin, le dossier de l’amiante semble relativement calme. Mais ce serait compter sans les multiples procédures et procès qui se développent un peu partout52. Le plus marquant est sans aucun doute le grand procès qui s’est ouvert à Turin. En France, la jurisprudence surprend plus d’un commentateur en créant un « préjudice d’anxiété » lié à l’exposition à l’amiante53. En Italie, la justice, saisie par les victimes de l'amiante, demande des comptes aux industriels, et le procès qui s’est ouvert peut créer un précédent en faisant boule de neige en Europe. Le procès oppose les industriels aux 6392 victimes professionnelles et environnementales de l'amiante, constituées parties civiles. Les premières auditions publiques se sont tenues les 25 janvier et 8 février 2010 et l’on ne peut pas dire que la presse française a beaucoup relayé l’affaire. Pourtant la similitude des dossiers est frappante : deux anciens dirigeants de la multinationale Eternit, leader mondial de la toiture en fibro-ciment, sont accusés de catastrophe environnementale intentionnelle et d'avoir enfreint les règles de la sécurité au travail. L'Etat italien se voit également citer à comparaître pour responsabilité civile…

Parmi les événements notables du dossier, il y a la parution d’un article de Sciences Sociales et Santé, signé par Annie Thébaud-Mony, « Les fibres courtes d'amiante sont-elles toxiques ? »54, dans lequel la sociologue reprend les travaux qui ont montré comment « les industriels induisent en permanence de l'incertitude sur la toxicité de leurs produits par le biais des chercheurs dont ils contrôlent les travaux ». L’objectif est de montrer l’impact de cette stratégie de mise en doute sur l'expertise collective produite à propos de la toxicité comparée des fibres d'amiante - courtes, fines et 52 Voir « Amiante : des demandes d’indemnisations en hausse », Enviro2b, 5 juillet 2010.53 Voir le commentaire de l’association BAN ASBESTOS France, dans son communiqué de presse du 11 mai 2010. L’association de lutte contre l’amiante cite Me Jean-Paul Teissonnière, qui a défendu les salariés devant les Prud’Hommes puis les Cours d’Appel de Paris et de Bordeaux : « La contamination constitue une forme d’atteinte corporelle même si elle n’aboutit pas nécessairement à l’apparition d’une pathologie reconnue dans le cadre des maladies professionnelles. Il était essentiel que la Cour reconnaisse le droit des salariés contaminés (alors même qu’ils ne sont pas malades) à obtenir réparation de ce préjudice devant le Conseil de Prud’Hommes. Il restera à en obtenir une meilleure indemnisation en s’attachant à décrire chacune des composantes de ce préjudice spécifique ».54 A. Thébaud-Mony, « Les fibres courtes d'amiante sont-elles toxiques ? Production de connaissances scientifiques et maladies professionnelles », Sciences sociales et santé, juin 2010.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 52

Page 53: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

« réglementaires », c'est-à-dire longues – et rendue publique en février 2009 par l’AFSSET55, qui devient ainsi l’acteur principal de ce document, ce qui a attiré l’attention de Marlowe. Annie Thébaud-Mony commence par retracer ce qu’elle appelle une « vraie fausse controverse », lancée par les industriels de l'automobile aux États-Unis. Une fois publiés dans des revues scientifiques internationales influentes, les recherches financées par les industriels, jouant sur l’expression normale du doute dans les sciences, gagnent des points de légitimité dans les arènes publiques, même si des critiques s’élèvent au sein de la communauté scientifique américaine. Thébaud-Mony se tourne alors vers les effets de ces joutes sur les experts français, portés à y voir une « véritable question scientifique ». Du même coup, l’article prend la forme d’un quasi-réquisitoire, puisque l’expertise collective de l’AFSSET, qui conduit à un avis recommandant « une révision de la réglementation pour renforcer la protection des travailleurs et de la population générale », est présentée comme réalisée sous l’emprise des industriels. Si ce texte a suscité des réactions de manière informelle sur des listes de discussions, il n’y a pas eu de réponse publique à notre connaissance. Voici ce que Thébaud-Mony énonce dans les derniers paragraphes de son papier :

En conclusion de l'expertise collective, les experts reconnaissent que : « La toxicité des fibres courtes d'amiante, évaluée d'un point de vue épidémiologique, ne peut être écartée, bien que certains considèrent que celle-ci est nulle », mais ils considèrent que « l'existence d'un effet non nul, mais faible, des fibres courtes d'amiante apparaît comme une hypothèse conservatrice. » (AFSSET, 2009 : 213), consacrant ainsi le doute qui permet, de fait, d'éviter une révision drastique de la réglementation de prévention tout en discutant de la légitimité des mécaniciens de l'automobile à demander une indemnisation au titre des maladies professionnelles. Les recommandations présentées en fin de rapport sont de contrôler la présence de fibres courtes d'amiante dans l'environnement général mais de ne pas modifier les normes actuelles de contrôle en milieu professionnel, en s'abstenant de compter les fibres courtes d'amiante. De nouvelles études sont suggérées, dans chaque domaine scientifique, ainsi qu'une « veille bibliographique ». La stratégie des industriels américains de l'automobile de voir différée l'adoption de réglementations plus strictes avant la réalisation de

55 AFSSET, Les fibres courtes et les fibres fines d'amiante. Prise en compte du critère dimensionnel pour la caractérisation des risques sanitaires liés à l'inhalation d'amiante. Réévaluation des données toxicologiques, métrologiques et épidémiologiques dans l'optique d'une évaluation des risques sanitaires en population générale et professionnelle. Avis de l'Afsset. Rapport d'expertise collective, Paris, février 2009.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 53

Page 54: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

nouvelles études est ainsi consacrée, au niveau international, par une agence publique française.

Cette attaque évoque fortement une des questions posées lors du colloque organisé en juillet 2009 sur la gouvernance de l’incertitude et les apports des sciences sociales : dans quelle mesure la trajectoire d’une alerte est-elle sinon manipulable du moins sensible aux stratégies de groupes de pression ou de réseaux socio-techniques ?56 Même si, du point de vue des agences, la critique radicale rate assez souvent ses cibles, son existence a le mérite de contraindre à l’explicitation des ressorts cognitifs et politiques de l’expertise … A dire vrai, les phases de normalisation étant alimentées par la construction de compromis – comme tout ce qui relève de l’acceptabilité -, il est toujours possible d’en dénoncer les ingrédients. On a vu, dans le cas de la téléphonie une critique se développer depuis l’autre camp, représenté en l’occurrence par l’Académie de médecine.

Pendant ce temps, au Québec, la polémique fait rage sur le dossier de l’amiante, ce qui marque une reconfiguration profonde des jeux d’acteurs et d’arguments dans cette contrée qui a longtemps incarné la promotion de l’or blanc et de son « utilisation contrôlée ». Dans La Presse Canadienne, début avril 2011, Gilles Duceppe, chef du Bloc Québecois, déclare qu’il « il faut réévaluer les risques de l'amiante »57. L’enjeu est la relance, ou non, d’une mine d'amiante, la Mine Jeffrey, située à Asbestos dans les Cantons-de-l'Est. Alors qu’il avait déclaré peu de temps auparavant que « l'amiante de type chrysotile est utilisé de façon sûre au Québec et ne pose pas de problème de santé », Duceppe reprend désormais à son compte une revendication du Parti québécois quant à la tenue d’une commission parlementaire. Le rapport de forces s’est en effet renversé sur le terrain et les élus en prennent la mesure :

l'opposition grandissante au projet rend un débat nécessaire afin d'entendre des experts dont les opinions divergent quant à la possibilité d'utiliser l'amiante de façon sécuritaire. Le gouvernement québécois étudie la possibilité de soutenir financièrement la relance de Mine Jeffrey, ce qui lui a valu de nombreuses mises en garde d'autorités de la santé publique craignant

56 Francis Chateauraynaud, « La trajectoire d'une alerte est-elle manipulable ? », Gouverner l´incertitude : les apports des sciences sociales à la gouvernance des risques sanitaires environnementaux, colloque organisé par l’Afsset et le Réseau Risques et Société (R2S), Paris, 6 et 7 juillet 2009.57 « Il faut réévaluer les risques de l'amiante, croit Duceppe », La Presse Canadienne, 3 avril 2011

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 54

Page 55: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

les risques liés à l'utilisation de ce minerai cancérigène, au Québec comme à l'étranger. […] « Dans la mesure où il y a des opinions différentes, il faut permettre qu'il y ait un éclairage scientifique et rigoureux qui soit fait sur cela et je suis d'accord avec une commission parlementaire» [...] M. Duceppe a répété, dimanche, que les exportations d'amiante devraient être conditionnelles à l'existence de normes sécuritaires comparables au Québec dans les pays achetant le minerai.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 55

Page 56: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Nucléaire Lors des différentes notes d’étape il a été à plusieurs reprises fait référence au dossier nucléaire. On se souvient qu’en 2008 les incidents survenus sur différents sites du Tricastin (Drôme/Vaucluse) avait remis la problématique santé-environnement au cœur d’un dossier qui, depuis plusieurs années, tournait surtout autour de deux types d’enjeux : la question énergétique confrontée à l’alerte climatique d’un côté ; les dilemmes soulevés par l’enfouissement ou l’entreposage des déchets radioactives HAVL (Haute Activité – Vie Longue) de l’autre côté.

Depuis la fin des années 2000, le thème des expositions aux radiations était absorbé par la poursuite des mesures et des controverses relatives aux conséquences de l’accident de Tchernobyl. Des alertes diverses ont eu lieu par ci par là, et la série a même été singulièrement enrichie par une procédure judiciaire déclenchée à propos de rejets anormaux de Tritium autour de la centrale de Golfech (Tarn-et-Garonne) ou encore, début novembre 2010, par une étrange affaire de déchet indûment transféré en zone urbaine à Saint-Maur les Fossés. En effet, des diagnostics radiologiques réalisés par l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), plusieurs travailleurs de la société 2M Process, un prestataire du CEA, ont été contaminés au tritium après la manipulation d'un matériel réputé à tort non contaminé. Or l’affaire se corse quand on découvre que cinq riverains de l'entreprise présentent également de « légères traces de tritium ». Si ces traces sont jugées « sans aucun enjeu sanitaire » par l’ASN, l’affaire mobilise la CRII-RAD et Sortir du nucléaire qui mettent en cause les pratiques de la filière. Celle-ci s’empresse alors d’engager des opérations de décontamination de l’environnement immédiat de l’entreprise. Une réunion à l'attention des riverains est organisée le 15 novembre 2010 mobilisant le Ministère de l’Ecologie et la Direction générale de la santé qui indique « qu'aucune disposition particulière n'est nécessaire à ce stade. » Après enquête, le CEA identifie un équipement expérimental, comportant un « tamis moléculaire », à l'origine de la contamination de salariés de 2M Process, équipement utilisé pour des essais sur le site de la société Etudes et Diffusion, à Bondoufle (Essonne), et en provenance du centre de Valduc (Côte d'Or), consacré aux applications militaires du CEA. L'appareil, destiné à filtrer le tritium contenu dans les gaz, avait « été répertorié par erreur comme neuf » en 2000, alors qu'il avait déjà servi et contenait donc des « résidus de tritium ». L'incident déclaré à l'Autorité de sûreté nucléaire de Défense et classé au niveau 2 de l'échelle INES (International Nuclear Event Scale), soulève de nouveau la question des modalités de vigilance et de traçabilité. Dans le corpus nucléaire, suivi de manière continu depuis quinze ans, cette affaire crée une micro-configuration assez vite oubliée en tant que telle.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 56

Page 57: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Avec l’enchaînement catastrophique qui conduit à la perte de contrôle de quatre réacteurs et plusieurs piscines de stockage de la centrale de Fukushima au Japon, c’est une rupture sans précédent qui s’opère dans le domaine nucléaire. Du jour au lendemain, la configuration socio-politique de l’énergie nucléaire, jusqu’alors marquée par la relance des programmes civils un peu partout dans le monde, bascule complètement : on voit du même coup s’ouvrir une nouvelle ère de la contestation, avec un rapport de forces clairement favorable aux mouvements antinucléaires. Si les conséquences de cette catastrophe, classée entre 6 et 7 sur l’échelle INES, et constamment comparée aux deux grands accidents précédents, Three Mile Island et Tchernobyl, sont à ce jour incalculables, il s’agit à l’évidence d’un des plus grands reconfigurateurs du dossier depuis plusieurs décennies. Du point de vue de l’observatoire des alertes et des crises, il est indispensable de suivre au plus près la série des épreuves enclenchées par l’événement.

Enquêteur : Quels sont les derniers grands reconfigurateurs du dossier nucléaire ?

Marlowe : Parmi les reconfigurateurs les plus récents, il y a TOUAREGS@ 11/10/2007 SOCATRI@ 9/ 7/2008 FUKUSHIMA@ 11/ 3/2011 Cruas 18/ 2/2008 Bollène 15/ 7/2008 Drôme 18/ 7/2008 GDF Suez 22/ 1/2009 Auxon 24/ 6/2009 Piscine 17/3/2011 sites miniers 12/ 2/2009 prolongation 8/ 7/2009 tsunami 11/ 3/2011 millisieverts 17/3/2011

Le cas du nucléaire se prête évidemment bien plus que les autres à la logique du basculement, les jeux d’acteurs et d’arguments changeant radicalement d’aspect avec une disjonction avant/après un accident ou une catastrophe. Ce type de logique par ruptures successives sert de modèle de périodisation et de suivi comparatif de nombreux dossiers, tous les dossiers n’étant pas fondés sur des ruptures aussi marquées (pesticides, pollution de l’air et nanomatéraux par exemple).

En premier lieu, on peut observer comment une foule d’acteurs-acteurs se saisissent, ou se ressaisissent de la question du risque nucléaire et plus particulièrement des métrologies relatives à la radioprotection : les questions de mesures et de seuils, de normes et de dispositions vis-à-vis des travailleurs et des riverains, mais aussi des modes de contamination à distance, notamment via la chaîne alimentaire et les milieux associés (eau, air, sols et végétaux), réengagent les autorités locales et internationales sur le terrain de la communication de crise et de la fameuse transparence. A ce titre, la crise peut servir de point de basculement ou d’inflexion

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 57

Page 58: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

pour toute une série de dossiers en santé environnementale, et nourrit la résurgence de l’activisme. En deuxième lieu, on voit s’opérer des changements de régime argumentatif, fondés sur le passage d’un risque diffus ou potentiel à une catastrophe réalisée, tangible et partant disponible pour servir la critique de l’absence de maîtrise de la technologie, ce qui engendre une nouvelle dramatisation de la perte de confiance dans le discours des industriels de l’atome et des autorités de contrôle. Enfin, cette crise vient rappeler qu’en matière de risque il n’y a jamais de certitude acquise et que l’oubli d’une source de dangers pendant plusieurs années peut être violemment compensé par un événement majeur – ce qui contraint fortement la production des scénarios et des conjectures sur le futur auxquels se réfèrent, implicitement en période de routine, explicitement dans les moments de dispute ou de conflit, les modèles d’évaluation et de gestion des risques.

Figure 8. Evolution mensuelle du nombre de textes du corpus nucléaire

Parmi les mois les plus saillants dans le corpus nucléaire, on relève l’anniversaire de Tchernobyl (20 ans en avril 2006), les incidents de Tricastin (juillet 2008) et Fukushima (11 mars 2011 ->), soit trois figures concernant la problématique santé – environnement.

Ce faisant, l’énorme sous-corpus généré en quelques semaines par Fukushima draine et entraîne avec lui de multiples figures et procédés de cadrage et de relativisation dont on peut mesurer la portée dans les arènes publiques. Contrairement à Tchernobyl, et bien que des spécificités culturelles japonaises puissent être

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 58

Page 59: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

invoquées ici ou là, Fukushima se produit dans un pays industriel organisé selon des standards occidentaux et dans un état du monde dominé par la mise en réseau des informations, des enquêtes et des discussions – la « preuve par l’image » jouant dans la foulée un rôle majeur dans le processus. Si l’on admet que l’ensemble des objets d’alerte et de controverse s’influencent les uns les autres, à travers la création de précédents58, mais aussi par le transfert de formes d’argumentation et de techniques de protestation, la formation d’acteurs-réseaux aptes à fédérer des causes et à conquérir une puissance d’expression, alors le funeste destin de la centrale de Fukushima est un élément décisif dans la compréhension du nouveau cycle de contestation et de mise en discussion publique des sources de danger et de risque.

Au-delà du caractère spectaculaire du changement de régime impulsés par la séquence séisme-tsunami sur la filière nucléaire au niveau mondial, l’accumulation continue de documents sous forme de corpus évolutifs permet de garder la trace de multiples microvariations dont on ne pourra mesurer la portée que bien plus tard59.

58 Francis Chateauraynaud et Marianne Doury, « La portée des précédents. Evénements marquants et procédés argumentatifs », Socioinformatique et argumentation, 4 mars 2011, http://socioargu.hypotheses.org/2274.59 Francis Chateauraynaud, « Sociologie argumentative et dynamique des controverses : l’exemple de l’argument climatique dans la relance de l’énergie nucléaire en Europe », A Contrario, 2011, n°16, 131-150.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 59

Page 60: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

OGM, quand le risque est avant tout … politiqueL’histoire politique des OGM a contribué à l’enrichissement du répertoire des formes de protestation. Les OGM ont non seulement fonctionné comme laboratoire de la critique radicale et de la désobéissance civique, mais ils ont aussi contribué à une expérimentation démocratique : si l’on retient généralement la conférence de citoyens de 1998, dont on a pu mesurer toute la portée en suivant les acteurs et les arguments au fil du temps, il y a eu de multiples formes de rencontres et de débats à travers lesquelles la « société civile » dans toutes ses ramifications s’est mise en marche60. Par ailleurs les nombreux recours judiciaires ont produit une série de décisions qui servent d’appui dans d’autres secteurs, en donnant corps à une créativité juridique continue, à laquelle un site de « veille citoyenne » comme Inf’OGM ajoute une dimension collaborative et réflexive61.

Outre une meilleure compréhension des transformations qui ont produit la trajectoire singulière des OGM, ce dossier a conduit à clarifier la manière dont peut être engendrée historiquement la disjonction entre logique de controverse et logique de conflit : lorsque la quête de consensus cède la place à l’expression de désaccords profonds (deep disagreements), toute une série de dispositifs et de dispositions changent de sens et entraînent de multiples effets rebonds dans d’autres domaines – le cas de la critique montante des nanotechnologies étant assez parlant de ce point de vue.

L’entrée des biotechnologies en agriculture, annoncées comme une révolution agraire aussi radicale que la généralisation du machinisme à la sortie de la deuxième guerre mondiale, a réveillé des milieux, provoqué des surgissements et des déplacements. En s’organisant pour résister à la projection de leur monde dans un espace de calcul élaboré à distance – selon la formule « dites-moi où vous êtes et je calculerai votre intérêt » – la défense des milieux a contribué, à travers de multiples médiations, à la promotion ou la consolidation de dispositifs, de biens ou de valeurs : le droit à l’information, la traçabilité et l’étiquetage des produits alimentaires, la maîtrise paysanne des cultures, la biodiversité, l’agriculture bio, la rédaction de chartes territoriales ou régionales, …

60 Francis Chateauraynaud, Antoine Bernard de Raymond, Marie-Angèle Hermitte et Gilles Tétart, Les OGM entre régulation économique et critique radicale, rapport ANR OBSOGM, Paris, GSPR, 2010.61 Sur les veilles citoyennes, voir Frédéric Prat, OGM : la bataille de l'information - Des veilles citoyennes pour des choix technologiques éclairés, Paris, Charles Léopold Mayer/ECLM, 2011.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 60

Page 61: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

La résistance s’est ainsi muée, dans certains cas, en résilience. Autrement dit, envisagé du point de vue de sa créativité sociale et politique, le cas des OGM n’est pas une controverse ratée mais un conflit réussi ! Sur le plan de la gouvernance européenne, c’est un des dossiers qui a produit le plus de questionnements et d’allers retours en rendant problématiques les injonctions asymétriques formées par les directives et les normes européennes, ce qui est particulièrement visible à propos de la coexistence.

Lorsque, à l’issue d’un processus de convergence critique, des personnes ou des groupes parviennent à lier dans un même mouvement argumentatif, un sentiment d’injustice et une critique radicale, des arguments contestant la fiabilité de dispositifs et une logique d’inquiétude et d’alerte, alors les conditions sont réunies pour que l’on quitte la logique de controverse et que l’on bascule dans un conflit durable. Dans ce cas, les chances de réduire les différences de point de vue sont faibles puisque les événements, les coups et les stratégies, rendus nécessaires par les « luttes », alimentent les interprétations négatives quant aux intentions et aux projets de la partie adverse, définitivement campée en ennemi. Les tentatives de concertation et de débat public sont vouées à l’échec, ou servent d’appui aux protagonistes pour dénoncer les pratiques et les procédés de leurs adversaires. L’effacement des acteurs derrière les arguments n’est plus possible et l’argumentation ad hominem ou ad personam se développe jusqu’à basculer dans l’anathème et la figure pamphlétaire.

Comment dès lors l’expertise publique peut-elle opérer dans un tel contexte ? Une des grandes innovations liée à l’histoire du dossier des OGM est formée par la mise en place dans le haut conseil des biotechnologies (HCB) d’un comité dédié à l’évaluation socio-économique dont l’objectif est de parvenir à rendre praticable le concept de coexistence des cultures. Dans un contexte européen de renvoi de la responsabilité vers les États membres et avec des territoires (régions sans OGM, etc.) qui marquent leur opposition, le tout dans une configuration dominée par la problématique de la biodiversité, la gouvernance des OGM se déploie sur un équilibre précaire. Ainsi, malgré un début plutôt prometteur, la crise de l’arrachage de Colmar a été vécue comme un séisme par la plupart des membres du HCB (août 2010).

Cet événement a déclenché une réflexion sur la politique de communication du HCB. Une division interne s’est fait jour entre ceux qui souhaitaient intervenir pour dénoncer publiquement la destruction de l’essai, ceux qui voulaient rappeler que le

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 61

Page 62: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

HCB avait rendu un avis favorable et ceux qui considéraient que cela ne relevait pas du champ de compétence du conseil. Un des membres responsables du comité éthique, économique et social décrit ainsi le dilemme du HCB lors d’une enquête centrée sur les relations entre cette instance, l’ANSES et l’EFSA :

Moi j’étais clairement favorable à la doctrine selon laquelle le HCB devait être une instance discrète, que ce n’était pas son rôle d’intervenir, qu’il pouvait au mieux faire un communiqué de presse pour dire qu’il avait rendu un avis [favorable], disponible à tel endroit. [...] Il est clair qu’il y a une volonté de faire de cette instance quelque chose qui va au-delà de sa mission de conseil, d’en faire le porteur d’un message […] selon lequel faire de la recherche en biotech c’est absolument indispensable. [...] jusqu’ici dans le CEES, il y avait un accord purement tacite mais manifeste quand même, selon lequel ce comité fonctionnait dans la logique voulue par la loi de 2008, ça paraît logique, il y a des gens qui veulent des OGM, d’autres qui n’en veulent pas, on fait en sorte que la coexistence soit possible. Pour les OGM qui se présentent, on regarde non seulement les impacts sur l’environnement et la santé publique mais en plus ce que peut apporter l’OGM en question, son bénéfice collectif etc. Donc il y avait cette idée que les gens étaient là mus par ce souci de coexistence, tout en sachant très bien que certains n’y croyaient pas vraiment, qui pensaient que les contaminations, enfin on ne dit pas contamination mais présence accidentelle d’ADN transgénique (rire) était inévitable, mais tout le monde était prêt à jouer le jeu… jusqu’à ce qu’un gros problème se pose et que l’on remette l’existence même de la coexistence sur le tapis. L’arrachage de la vigne à Colmar a complètement remis en cause ce schéma. […] Quelle est la légitimité de leur présence dans un comité comme celui-là [...] on nous a mis dans une sorte d’obligation « foutez-les dehors », […] or nous n’avons ni la légitimité ni l’envie de le faire

(Entretien CEES 8 février 2011)

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 62

Page 63: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Une des questions qui restent en suspens est celle de la manière dont les instances d’évaluation formées d’un côté par le HCB, de l’autre par l’ANSES vont pouvoir coopérer et surmonter les éventuels conflits de doctrine, de méthode ou de compétence. Dans l’extrait suivant, un membre du comité scientifique du HCB décrit le la distribution des enjeux et des compétences entre ces deux instances d’expertise :

Il y a les dossiers d’importation d’un côté et les essais en champ que l’ANSES ne voit pas. […] Il faudra que nous les interrogions pour savoir s’ils ont ou non une saisine pour ces dossiers. Actuellement, il ne me semble pas puisque c’est nous qui avons réalisé le dossier des demandes pour les pétitionnaires qui souhaiteraient réaliser des essais en champ, sauf si eux ont mis en place un dossier spécifique mais je n’en ai pas connaissance. […] Il n’y a pas eu d’essai depuis que l’ANSES existe à part celui qui a vécu encore quelques mois [à Colmar] … Depuis que l’ANSES existe nous n’avons pas reformalisé les relations […] nous n’avons pas réactualisé ce modus operandi. On a peu eu l’occasion de se voir … on a eu une journée d’information des membres du HCB sur les méthodologies d’études en toxicologie en septembre 2010. […] Les opposants sont des opposants radicaux donc même les essais sont refusés, et un organisme qui donne son autorisation est forcément suspect. [à Colmar], oui il y avait eu un compromis mais bon […] on fait appel à un expert parce qu’il connaît le domaine, donc nécessairement, il ne peut pas être indépendant, l’indépendance de l’expertise ne peut être qu’une indépendance financière mais pas intellectuelle, sinon on est en conflit d’intérêts permanent … l’ANSES est un instrument de surveillance, ce n’est pas un instrument de production, c’est comme si on disait … en même temps c’est un peu ce qui se passe à l’AFSSAPS, ils ont aussi des laboratoires d’évaluation, qui font les surveillances et des sites de production, ils devraient ne pas être considérés comme étant indépendants et ne pas pouvoir produire une expertise à ce moment-là … non justement ces institutions font appel à des experts extérieurs, ces experts extérieurs indiquent en quoi ils sont liés ou non au promoteur mais ils doivent connaître le sujet et s’il y a un maintien de ces structures mixtes cela ne me choque pas particulièrement, c’est comme si on disait que les politiques n’ont pas le droit de prendre de décision puisque la surveillance biologique du territoire dépend du ministère de l’agriculture qui dépend d’un ministre qui lui-même dépend … bon … les structures sont nécessairement liées …

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 63

Page 64: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Sans évoquer ici la refonte en cours des modalités d’autorisation des OGM en Europe, on voit que le dossier est dans une phase incertaine, en équilibre entre des instruments de régulation non complètement aboutis et un compromis politique lui-même potentiellement fragilisé par de nouveaux événements ou mobilisations62.

62 Eric Meunier, « Une première scientifique : résidus de pesticides issus d’aliments transgéniques dans le sang des femmes », infogm.org, 20 avril 2011.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 64

Page 65: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Alertes varia

Rappelons que l’intérêt de ce corpus est d’abord de repérer les amorces, les émergences ou le surgissement d’objets d’alertes sans préjuger de leur trajectoire ultérieure. Dans le concept de l’observatoire, il s’agit d’à la fois de disposer d’un corpus ouvert de toutes sortes de produits de substances et de milieux et de construire les outils sémantiques nécessaires à l’apprentissage du système. En effet, comme on va le voir plus loin, le logiciel Marlowe peut faire apparaître les dossiers qui mériteraient d’être transformés en corpus ou en fil spécifique en les tirant d’un fond suivi de manière continue à la fois par des automates et des agents humains.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 65

Figure 9. Évolution mensuelle du nombre de textes du corpus « Alertes varia »

Page 66: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Enquêteur: quels sont les nouveaux objets d'alerte ?

Marlowe : J'ai d’abord ouvert la collection des objets d'alerte prédéfinis. 214 thèmes sont engagés dans ce corpus « Alertes multiples et variées ». Je les classe par ordre d'importance, mais cela donne une liste assez hétérogène : déchets, BPA, pesticides, CO2, gaz à effet de serre, formaldéhyde, mercure, aspartame, PCB, obésité, marée noire, changement climatique, alcool, grippe, déforestation, plomb, tabac, H1N1, méthane, mélamine, arsenic, perturbateurs endocriniens, particules fines, pollution atmosphérique, dioxyde de carbone, phtalates, sécheresse, métaux lourds, nitrates, VIH, dengue, Bisphénol, chikungunya, pollution de l'air, paludisme, sida, perchloroéthylène, amiante, édulcorants, colorants, bruit, boues rouges, grippe porcine, air intérieur, poison, benzène, chlore, dioxines, TMS, canicule, séisme, choléra, tabagisme, eau du robinet, incendies, inondations, dioxine, rage, incendie, nucléaire, diesel, toxines, volcan, monoxyde de carbone, effet de serre, salmonelles, OGM, cigarettes, changements climatiques, décibels, tétrachloroéthylène, rayonnements ionisants, fièvre aphteuse, infections nosocomiales, bronzage, hormones, saturnisme, espèces invasives, marées noires, UV, diméthylfumarate, champs électromagnétiques, papillomavirus, gaz carbonique, pollution des eaux, cigarette, insecticides, drogue, nanoparticules, légionellose, espèces menacées, fonte des glaciers, vache folle, NOx, radioactivité, Listeria, silicone, grippe aviaire, salmonelle, listériose, volcans, hépatite B, méningite, allergènes, alcoolisme, cyclone, radiologie, SO2, composés organiques volatils, trichloroéthylène, radiothérapie, python birman, aérosols, parabens, Escherichia coli, pluies acides, pollution intérieure, pollution de l'air intérieur, espèce menacée, drogues, tremblement de terre, séismes, Diesel, pyralène, phénol, hormone de croissance, […] Je propose de regarder plus précisément les thèmes qui préoccupent le plus nos auteurs-acteurs, en prenant comme verbatim, le premier et le dernier énoncé de la série : déchets (30463) : Franck : La France est le 3e utilisateur mondial de pesticides au monde, elle a le 1er parc européen d’incinérateurs de déchets, leader nucléaire avec tous les sites de stockage de déchets nucléaires à gérer : est-ce à dire que la France est un très mauvais élève concernant la

63 Le nombre indique le poids de l’élément dans le corpus.Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 66

Page 67: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

protection de l'environnement et donc la prévention de la santé de ses citoyens ? Dominique Belpomme : La France est la lanterne rouge de l’Union européenne en matière de politique environnementale. Et elle paie aujourd'hui les pots cassés en termes de santé. Auteur : Le Monde Date : 30/05/2007 Titre : Pollution chimique : que va changer la réglementation "Reach" ? Sébastien Lapeyre, directeur du Cniid, souligne : « la campagne omet de préciser que les prospectus publicitaires non sollicités génèrent chaque année un million de tonnes de déchets dont plus de la moitié sont brûlés dans des incinérateurs ou enfouis en décharge (…) Cette campagne entre en totale contradiction avec l’opération « Stop pub », promue par les pouvoirs publics, qui incite chaque citoyen à marquer son refus des prospectus publicitaires, reconnus comme polluants et fortement générateurs de déchets ». Le dépôt de plainte vise à faire retirer la campagne du site de l’OHM et à empêcher que de nouvelles campagnes de ce type soient menées, peut-on lire dans un communiqué de presse. Auteur : Actualités news environnement Date : 15/03/2011 Titre : Le Cniid porte plainte contre la campagne de l’Observatoire du Hors Média BPA (149) : L’Europe va réévaluer le risque sanitaire des plastiques alimentaires LE MONDE 05.05.08A la mi-avril, le gouvernement canadien annonçait son intention d’interdire la commercialisation de biberons constitués de plastique contenant du bisphénol A (BPA), substance désormais considérée comme toxique dans ce pays. Auteur : Le Monde Date : 05/05/2008 Titre : L'Europe va réévaluer le risque sanitaire des plastiques alimentaires Mais comment la quarantaine d’experts venant de l’INRA, du CNRS de l’INSERM ou des universités et composant un CES pourrait-elle être vendue aux « fabricants de biberons en plastique contenant du BPA » ? Comment de tels arguments peuvent-ils avoir un début de crédibilité ? Comment imaginer que les chercheurs membres des CES et travaillant tous les jours dans leurs laboratoires publics sur les perturbateurs endocriniens et leurs cocktails (je pense en particulier à Jean-Pierre Cravedi, du laboratoire INRA de Toulouse et travaillant en particulier sur le bisphénol-A, expert français auprès de l’EFSA, membre du réseau européen de recherches CASCADE sur les perturbateurs endocriniens) pourraient-ils rendre des avis à la solde des industriels contredisant tous les résultats de leurs recherches ? Les sommes qui devraient leur être versées pour se renier ainsi devraient les rendre

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 67

Page 68: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

redevable de l’ISF ! L’émission aurait donc pu s’appeler : comment les talents d’une journaliste d’investigation médiatisée servent des réseaux d’influence. Auteur : Narbonne Date : 17/03/2011 Titre : Pr Narbonne : Notre poison quotidien accumule les contre-vérités ! pesticides (160) : Depuis 1997, l’Isped étudie les liens entre usage des pesticides par les viticulteurs et pathologies (troubles neurologiques, cancers). Auteur : Sud Date : 02/11/2006 Titre : Enquête sanitaire chez les ruraux Quant aux expériences réalisées sur des rats et souris de laboratoire, elles démontrent systématiquement une recrudescence de cancers et autres maladies chroniques chez les animaux exposés à des perturbateurs endocriniens (BPA et pesticides en tête), en particulier quand cette exposition a lieu au stade fœtal. Auteur : Novethic Date : 18/04/2011 Titre : Impacts sanitaires des pollutions : l'Artac appelle à l’action publique CO2 (145) : Caribou : Y a-t-il des chances pour que, quoi qu’on fasse, le réchauffement du climat nous échappe de toute façon ? Y a-t-il des évaluations statistiques sur un dérèglement réellement cataclysmique, même avec une concentration de CO2 estimée a priori " raisonnable " ? Hervé Le Treut : On n’échappera pas à un certain niveau de modification du climat, parce que le système climatique a une certaine inertie. Auteur : Le Monde Date : 24/08/2007 Titre : CLIMAT L’enjeu de cette nouvelle expérimentation est de passer aujourd'hui d’une approche monocritère et réductrice centrée sur la consommation d'énergie et les émissions de CO2 (dans le cadre de la réduction des émissions de gaz à effet de serre) à une approche multicritère. Auteur : Actualités news environnement Date : 17/03/2011 Titre : L'université de Cergy-Pontoise et Ecoeff remettent en cause l’affichage environnemental gaz à effet de serre (142) : Le réchauffement des deux décennies qui viennent est déjà fortement engagé par les augmentations des gaz à effet de serre qui ont déjà eu lieu. Auteur : Le Monde Date : 24/08/2007 Titre : CLIMAT L’enjeu de cette nouvelle expérimentation est de passer aujourd'hui d’une approche monocritère et réductrice centrée sur la consommation

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 68

Page 69: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

d'énergie et les émissions de CO2 (dans le cadre de la réduction des émissions de gaz à effet de serre) à une approche multicritère. Auteur : Actualités news environnement Date : 17/03/2011 Titre : L'université de Cergy-Pontoise et Ecoeff remettent en cause l’affichage environnemental formaldéhyde (112) :

Il y a le formaldéhyde aussi, bien que classé comme cancérigène certain par l’OMS. Auteur : Le Monde Date : 30/05/2007 Titre : Pollution chimique : que va changer la réglementation "Reach" ? Radon, amiante, radiation, polluants atmosphériques et de l’air intérieur (comme le formaldéhyde, polluant majeur classé comme cancérigène certain), métaux lourds... présents dans l’air, l’eau, les sols ou l’alimentation, peuvent concourir au développement de ces cancers, selon elle. Auteur : Actu-environnement Date : 04/02/2011 Titre : Le lien entre cancer et environnement toujours en débat mercure (111) : La consommation de poissons resterait bénéfique malgré la contamination 07/03/2006, 10: 19 Bien que certaines espèces de poissons soient probablement contaminées par le mercure et d’autres toxines, les bénéfices de la consommation des produits de la mer continuent à surpasser les risques, a indiqué un groupe de scientifiques à la rencontre annuelle de l’American Association for the Advancement of Science. Auteur : notre-planete.info Date : 07/03/2006 Titre : La consommation de poissons resterait bénéfique malgré la contamination Quels polluants sont les plus dangereux ? Les hydrocarbures comme le benzène ou le benzopirène qui proviennent du trafic routier et que les femmes enceintes respirent à plein poumon, les pesticides, les dioxines, les métaux lourds (mercure, cadmium, etc.), sont les plus redoutables car ils s’accumulent dans le tissu adipeux ou osseux de la future maman et se diffusent lentement dans le fœtus au moment de la grossesse. Auteur : Viva Date : 15/04/2011 Titre : Les cancers des enfants augmentent aspartame (109) : Quant au BHT, il serait suspecté d’être cancérigène, de même que l’aspartame.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 69

Page 70: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Auteur : Le Figaro Date : 18/09/2008 Titre : Cosmétiques pour bébés : le cri d'alarme des scientifiques Autorisé en Europe depuis 1994, l’aspartame est un édulcorant qui a déjà fait l'objet de nombreuses réévaluations par le Comité scientifique de l’alimentation humaine de la Commission européenne (CSAH), notamment en 1989, 1997, et 2002. Auteur : Actualités news environnement Date : 01/03/2011 Titre : Aspartame : pour le RES, l’EFSA ne remplit pas ses fonctions PCB (109) : Le Rhône est-il totalement pollué par les polychlorobiphényles ? Les dernières analyses effectuées en Ardèche et dans la Drôme montrent que la contamination à ces PCB - souvent connus sous le nom commercial de pyralène -, interdits en France depuis 1987, car potentiellement cancérigènes, s'étend bien au-delà de Lyon, où la pollution avait été découverte en 2005. Auteur : Le Monde Date : 26/06/2007 Titre : Une mystérieuse pollution souille le Rhône On a déjà des données très intéressantes sur les pesticides, les PCB et les métaux lourds. Auteur : Narbonne Date : 17/03/2011 Titre : Pr Narbonne : Notre poison quotidien accumule les contre-vérités ! obésité (113) : La thèse classique affirme que les causes de ces cancers proviennent de notre mode de vie : alcoolisme, déséquilibre de régime alimentaire, obésité, sédentarité, stress. Auteur : Le Monde Date : 30/05/2007 Titre : Pollution chimique : que va changer la réglementation "Reach" ? L’hérédité et le vieillissement ont leur part dans la survenue de la maladie, mais la progression de l’épidémie tient pour beaucoup aux changements de mode de vie : urbanisation associée à un manque d’activité physique avec pour corollaire surpoids et obésité. Auteur : AFP Date : 17/03/2011 Titre : "Epidémie silencieuse", le diabète explose en France Est-ce que j'essaye d'élargir la recherche à des thèmes qui ne sont pas indexés dans la collection ?

Enquêteur: oui

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 70

Page 71: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Marlowe : On est bien d'accord : je me concentre sur tout ce qui n'est pas dans la collection standard des objets d'alerte, en cherchant ce qui pourrait y être associé. Ce n'est évidemment qu'un premier tri qui va nécessiter des recoupements, mais les objets suivants sont susceptibles d'entrer dans la collection des objets d'alerte : infection, rubéole, diphtérie, gale, maladies chroniques, rouille, Mediator, virus, maladies, tuberculose, SLA, rougeole, gastro-entérite, cancers, grippe A (H1N1), cancer, grippe A, grippe saisonnière, utilisation, incinérateur, maladie, noyade, tempête, pandémie, pluie, désinformation, produits, déchets toxiques, algues vertes, fauteuils, rats, Probo-Koala, navire, lait, pétrole, médicament, dépression, pathologies, pollutions, tirs, malaise, rougeurs, harcèlement, contamination, malaises, tabagisme passif, pêches, pollution, surpêche, braconnage

Enquêteur: c'est tout ?

Marlowe : En utilisant une deuxième famille de formules, j'ai pu isoler d'autres entités qui peuvent être candidates au titre d’" objets d'alerte " : cocaïne, désagréments, poppers, appâts, médicaments, terres, PBDE, bruits, substances, solvants, cancérogènes, boues, champs, doses, insectes, facteurs de risque, cocktails, trafic, méthylmercure, Wi-Fi, CO, goudron, bisphénol A, ozone, aluminium, lumière, cargaison, faible dose, DMFu, virus, vapeurs, fumée, fumées, faibles doses, produits chimiques, rejets, rayonnements, soleil, pollution, poussières, tritium, agents, substances chimiques, viande, boisson, bactérie, haute pression, ménages, baladeurs, algues vertes, sites industriels, boissons, éthers, cendres, régent, benfluorex, réchauffement climatique, collision, métaux, contamination, démence, érosion, projections, gaz, grippe A, mer, diarrhée, fraude, grippe saisonnière, CRAM, pathologies professionnelles, mortalités, risques professionnels, addictions, dépérissements, risques majeurs, autorités sanitaires, symptômes, accidents du travail, pollutions, infections, stress, syndrome, risque, gaspillage, infection, animal, aspirine, consommation, population locale, médicaments, fibres céramiques, régimes, amendes, sanctions, climat, médicament, pénurie, rejet, cancérisation, lombalgie, dépassement, catastrophe, surdosage, blessures, flambées, calcification, conflits, moisissure, rechute, conflits locaux, déshydratation, neurinomes, dégazage, l'homme, modification, tumeurs, méningiome, brûlures, dommages, responsabilité, migration, personnes, mutations génétiques, rupture, ramassage, brûlure, frustration, surmortalité, déclin, surdosages, baignade, substances,

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 71

Page 72: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

pressings, feu, surpoids, tapis-puzzle, maladies cardio-vasculaires, traitement, famine, complications, malformations congénitales, stérilité, fausses couches, fracture, diarrhées, prolifération, somnolence, carie, diabète, maladies cardiovasculaires, leucémie, toxicité, tumeur, submersion, valvulopathie, cannabis, gliome, pollution, Mediator, catastrophes, mortalité, pathologies, décès, cancers, risques, cancer, MLV, XMRV, rougeole, Epstein-Barr, West Nile, immunodéficience, hépatite, grippe espagnole, grippes

Enquêteur: et après ?

Marlowe : Voici le résultat de la troisième épreuve sur les objets d'alerte potentiels : circulation, dégradation, érosion, hausse, piscines, extraits, produits, prescriptions, toxicité, concentration, grippe A, lait de soja, rythme, cyclones, poêles, Piton de la Fournaise, dioxyde d'azote, porc, moustique-tigre, ambroisie

Est-ce que j'essaye d'unifier tout ça ?

Enquêteur : oui

Marlowe : Après plusieurs manipulations sur lesquelles je ne m'étends pas, je retiens les objets suivants, qui ne figurent pas dans la collection intitulée OBJETS-D-ALERTES* mais qui devraient visiblement y figurer : pollution, maladie, infection, virus, Mediator, érosion, toxicité, pics, ozone, rayonnements, surdosage, accidents du travail, complications, infections, conflits, feu, diarrhées, surdosages, catastrophe, tempête, maladies, SLA, rougeole, cancers, cancer, grippe saisonnière, médicament, pathologies, pollutions, pertes, contamination, médicaments, substances

Cette procédure est assez exemplaire de la philosophie qui sous-tend le dispositif. D’un côté une ouverture à tout ce qui peut advenir par une indexation fine des entités en lice et de leur mode de surgissement, de l’autre un renvoi vers l’interprète de la sélection définitive des objets et de la fixation de classes appelées à des utilisations ultérieures. Ainsi certains types d’objet ne sont pas insérés a priori dans la collection des objets d’alerte faute d’un examen systématique de leurs contextes d’usage ou du fait de leur changement de niveau logique ou sémantique comme par exemple quand il est question de « substances » qui ne caractérise pas en propre un

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 72

Page 73: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

dossier tout en concourant à définir l’environnement lexical des questions de risque. Si le système propose l’intégration de nouvelles entités, c’est la logique d’enquête collective concrétisée dans la collection de corpus qui doit guider le choix de création d’un nouveau fil (voir infra), ont ainsi été créés au fil du temps des séries sur les dossiers des algues vertes, du BPA, de H1N1, de la dioxine, ainsi qu’un corpus santé-travail et bien sur les gaz de schiste. Évidemment, le mouvement inverse est possible, lorsque l’enquêteur a utilisé le corpus pour confirmer une observation ou une intuition engendrée par ailleurs. En pratique, c’est la co-construction et l’aller-retour entre les deux modes d’enquête qui fonctionnent le mieux.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 73

Page 74: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Bisphénol ASuite à l’apparition récurrente du sujet dans le corpus Alertes varia, Christopher Marlowe avait suggéré, au Printemps 2009, l’ouverture d’un fil consacré au bisphénol A64. C’est d’ailleurs en partie ce corpus qui a motivé l’enquête sur les faibles doses, la toxicologie et les perturbateurs endocriniens (voir infra).

Ce composé chimique massivement produit et diffusé dans l’environnement qui relève de la classe des composés organiques aromatiques est défini comme un xénoestrogène dont la toxicité et l’écotoxicité sont fortement discutés depuis le début des années 2000. Le bisphénol A acquiert une première visibilité publique en France avec le mémorandum de l’appel de Paris du 9 novembre 2006, dans lequel est demandé le retrait du marché de plusieurs substances dont le bisphénol A. A partir de début 2008, une nouvelle controverse autour des « biberons toxiques » éclate au Canada, en particulier suite à une étude de l’association Défense environnementale. Dès avril, les biberons commencent à y être retirés des rayons de certains magasins, alors même que le ministère de la Santé des États-Unis communique sur « certaines inquiétudes quant à des effets sur le système nerveux et hormonal des fœtus, des nouveau-nés et des enfants avec les niveaux actuels du bisphénol A se retrouvant dans l'alimentation ». Le gouvernement Canadien lance alors la procédure de déclaration du produit comme toxique, ce qui incite l’Autorité européenne de sécurité des aliments à relancer une évaluation du risque sanitaire de la molécule. Limitant l’importance des récentes études américaines sur les effets à faibles doses, elle conclut, en juillet 2008, cette réévaluation par l’absence de danger pour la santé du BPA utilisé dans la fabrication de biberons. Entre temps, le ministère de la Santé français a saisi l’AFSSA sur cette question, qui se prononce pour le maintien des seuils existants. La polémique est toutefois lancée, et nourrie en particulier des différences dans les actions menées par les États de part et d’autre de l’Atlantique. Le cas du bisphénol A est caractéristique des controverses autour de la régulation des perturbateurs endocriniens, et à ce titre sert de fer de lance à l’association Réseau Environnement Santé menée par André Cicolella. Dans un communiqué commun avec d’autres ONG comme WWF, Greenpeace, ou le MDRGF, le bisphénol apparaît comme l’un des éléments clefs de la critique de l’évaluation et de la gestion des substances chimiques, notamment du point de vue de leurs « effets cocktails ». S’appuyant sur différentes études, notamment le rapport Weybridge65, les porte-

64 « Quand Marlowe peut proposer d’ouvrir un nouveau corpus… », note semestrielle de juin 2009, p. 45-46. 65 European Workshop on the Impact of Endocrine Disrupters on Human Health and Wildlife, Weybridge, Royaume-Uni, 1996, European Union Report EUR17459.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 74

Page 75: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

parole des ONG « françaises » considèrent notamment que parmi ces substances chimiques « perturbant les hormones », on trouve :

certains phtalates, assouplissants décelables dans des plastiques (PVC, PET…) présents aussi bien dans certains revêtements de sols que des chaussures, ou encore le bisphénol A, largement utilisé pour fabriquer certains biberons en plastique, les revêtements de canettes et de boîtes de conserve66

Cet extrait renvoie au problème de la segmentation des dossiers. S’il relevait a priori des compétences de l’AFSSA, la montée en puissance du BPA a depuis montré le caractère frontalier de l’objet, entre alimentation, environnement et santé. Mais, on retrouve ici une configuration classique en matière de risque : après la consolidation d’une suspicion sur un matériau, il devient possible de traquer sa présence dans de multiples univers et de modifier ainsi la liste des entités qui lui sont connectées. Le BPA est d’autant plus représentatif de cette figure que sa diffusion dans les produits d’usage courant ou dans les processus de traitement associés est vaste. Si les biberons, les cannettes, les circuits d’adduction d’eau, etc. contiennent des traces de BPA sous forme polymérisée, l’alerte est désormais lancée sur la présence en grande quantité de la molécule (près de 20 fois la dose limite quotidienne fixée par l’UE, 0,05 milligramme par kilo de poids corporel) sous forme volatile sur les tickets de caisse des supermarchés, ce qui entraîne une exposition du public et des travailleurs d’une tout autre ampleur67 !

D’un point de vue argumentatif, le dossier du bisphénol déploie la totalité des instances représentées par les catégories les plus standards de l’observatoire, avec en tête de liste la « logique sanitaire », la « rhétorique scientifique », le « déploiement des conséquences », la « logique de seuil » (avec une forte présence de la thématique des faibles doses), la « gestion des risques », les « formes juridiques », la « logique d’alerte », l’ « approche épidémiologique » et le « discours écologique ». Autrement dit, le bouquet catégoriel du corpus compose une forme de prototype au sens de Rosch68. Ce corpus BPA apparaît dans l’espace de variation des corpus comme ayant une centralité particulière : c’est un corpus typique et d’ailleurs

66 Réseau Environnement Santé, Position des ONG françaises sur les conclusions du conseil des ministres de l’environnement du 22 décembre 2009, communiqué de presse, 22 décembre 2009.67 Janet Raloff, “Concerned about BPA: Check your receipts”, Science News, 7 octobre 2009.68 Eleanor Rosch, “Cognitive Reference Points”, Cognitive Psychology, 7, 4, 532-47, 1975. G. Kleiber, La sémantique du prototype. Catégories et sens lexical, Paris, PUF, 1990.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 75

Page 76: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

on y retrouve en bonne place le « principe de précaution », qui réalise un score impressionnant dans ce dossier – très au-dessus des « moyennes observées » par ailleurs. Sans entrer ici dans les détails des jeux d’acteurs et d’arguments, trois éléments fondamentaux se trouvent mêlés dans ce dossier BPA :

- La question de la spécificité de l’expertise européenne vis-à-vis des agences nord-américaines, sachant qu’aux États-Unis les différentes instances proposent des modèles variés, qui ne sont pas toujours consensuels ;

- L’interprétation du principe de précaution ;- Le fil des perturbateurs endocriniens que l’on retrouve sur de nombreux

dossiers69.

Si la critique est principalement portée par le Réseau Environnement Santé, qui a fait de ce dossier l’étendard de son activité, elle se trouve relayée par de nombreux supports et auteurs-acteurs, comme l’illustre l’interdiction récemment posée par le Sénat de l’utilisation du BPA dans les biberons. Parmi les dossiers dont la trajectoire a été la plus mouvementée au cours des dernières années, le bisphénol est monté d’un cran, si on prend en compte à la fois le nombre de productions le concernant, et le critère balistique formé par le nombre d’auteurs-acteurs qui se saisissent de la « cause ». Du même coup, le choix d’introduire ce dossier, à la fin de l’année 2009, a été rapidement validé, ce qui montre que le mode de suivi ouvert des dossiers est une stratégie efficace. Un système de veille adéquat doit toujours se garder de clore la liste des dossiers pertinents (principe qu’il faudra tâcher de maintenir dans la perspective d’une poursuite des travaux coopératifs).

69 Francis Chateauraynaud, « Argumentative Convergence as a Reconfigurator in the Trajectories of Risks. A Comparison of Low-Dose and CMR Arguments in Controversies on Health and Environment », Workshop Carcinogens, Mutagens, Reproductive Toxicants: the Politics of Limit Values and Low Doses in the twentieth and twenty-first centuries, Strasbourg, mars 2010.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 76

Page 77: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Gaz de schiste

Comme le montre cette distribution hebdomadaire du corpus francophone consacré aux gaz de schiste, la mobilisation générale est subite et atteint rapidement un premier pic dès les premières semaines de février 2011. Une enquête documentaire sera menée ultérieurement mais on trouve assez peu de textes précurseurs70, alors même qu’au Canada et aux États-Unis la bataille a déjà commencé courant 201071. Le mouvement d’opposition qui s’est constitué a donné lieu à une bifurcation radicale d’un dossier encore « émergent » au début de l’année 2011. Pour certains commentateurs, ce cas de figure évoque la critique nucléaire ou le mouvement anti-OGM, mais des différences se signalent dès les premières épreuves sur le terrain et dans les arènes publiques. Si le rôle de l’Internet dans cette montée de la critique paraît évident, l’appui sur de multiples causes et dispositifs forgés antérieurement est tout aussi déterminant. Le réseau des réseaux a permis aux contestataires d’accéder rapidement à des études réalisées à l’étranger et d’activer des milieux militants aguerris, en vertu de quoi le gouvernement a fait une première concession sous la forme d’un moratoire72.

70 « Gaz de schiste : une bataille mondiale d'ampleur inédite, une nouvelle catastrophe pour l'environnement », notre-planete.info, 17 décembre 2010.71 Voir « N.Y. Senate Approves Fracking Moratorium », New York Times, 4 août 2010.72 « Gaz de schiste : la France et le Québec temporisent », Actu-Environnement, 15 mars 2011.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 77

Page 78: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Début mai 2011, la question des gaz de schistes rebondit au Parlement, avec une proposition de loi qui est examinée par les députés. Elle vise à abroger « les permis exclusifs de recherches d’hydrocarbures non conventionnels et à interdire leur exploration et leur exploitation sur le territoire national ». C’est le principe de précaution qui est invoqué en référence à l’article 5 de la Charte de l’environnement, pour interdire la technique de « fracturation hydraulique », considérée comme nocive pour les nappes phréatiques. Le gouvernement ayant engagé la procédure d’urgence sur ce texte, une seule lecture est prévue à l’Assemblée et au Sénat.

Notons que le corpus francophone incorpore de multiples sources québécoises qui permettent, comme sur d’autres dossiers (notamment les OGM ou l’amiante) de comparer des configurations nationales différentes et d’éventuels processus de transfert ou d’influence73. Ce nouveau dossier introduit en février dans la collection a par ailleurs donné lieu à une interrogation systématique par l’ANSES via Marloweb, en mars 2011, la direction de l’agence étant auditionnée par une commission parlementaire74. On reviendra plus loin sur l’intérêt du dispositif Marloweb dans le travail de cadrage sociologique nécessaire à l’intelligibilité de l’évolution des dossiers.73 20% des textes du corpus sur les 447 actuellement enregistrés sont consacrés à la situation québécoise.74 Voir Matthieu Fintz, Gaz de schiste, note interne, ANSES, 10 mars 2011.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 78

Figure 10. Evolution hebdomadaire du nombre de textes du corpus gaz de schistes

Page 79: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Figure 11. Support critique en contexte

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 79

Page 80: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Extension du domaine de l’alerte

Malgré son extension notable au fil des dernières années, la collection des dossiers suivis ne couvre pas, ou pas encore, tous les domaines concernés par les liens santé/environnement : c’est le cas de la pollution de l’air intérieur, qui est au programme de l’ANSES depuis plusieurs années et qui pose de sérieux problèmes de métrologie à travers les choix de substances ou de produits à mesurer dans les bâtiments75 . La question de l’eau, est on le sait de plus en plus centrale, mais ouvre sur différentes problématiques difficiles à traiter dans un même dossier : il y a bien sûr l’entrée par les pollutions, mais celles-ci croisent les problèmes de disponibilité des réseaux d’eau potable, les crises liées aux inondations ou périodes de sécheresse, et plus globalement toutes sortes de conflits d’usage.

Signalé clairement par Marlowe dans son relevé des objets d’alerte marquants dans le fil « alertes varia », le dossier des PCB (polychlorobiphényles) mériterait également d’être suivi par l’observatoire puisqu’il donne lieu à de multiples alertes dérivées. Bien qu’interdit à la vente depuis 1987, de nombreux cours d’eau sont encore touchés par cette molécule, ce qui produit des dénonciations régulières comme celle de l’association Robin des bois, reprise par les médias à l’automne 2010 et qui annonce « une catastrophe sanitaire lente », la réponse des autorités à cet « empoisonnement » étant jugée largement insuffisante76.

Le cas du Distilbène diéthylstilbestrol (DES) montre également qu’on en a jamais fini avec un dossier. Ce n’est pas parce que tout a été normalisé que des retours inattendus ne peuvent venir perturber la « mort lente » d’une affaire. Les nouvelles données, de nouveaux cas, les croisements avec d’autres causes et désormais les effets transgénérationnels sont autant de sources possibles de rebonds :

Deux cas d'enfants dont le handicap serait lié aux effets de l'exposition au Distilbène de leurs mères in utero doivent être examinés jeudi devant la cour d'appel de Versailles, le tribunal de Nanterre ayant reconnu en 2009 la responsabilité du laboratoire UCB Pharma. […] Une récente étude

75 Le Comité d’Orientation Thématique de l’ANSES qui réunit toutes sortes d’acteurs s’est concentré sur 4 dossiers jugés prioritaires en 2011 : la qualité de l’air intérieur, les nanomatériaux, les radiofréquences et les perturbateurs endocriniens.76 « Les PCB, nocifs pour l'homme, contaminent encore les cours d'eau », Le Figaro, 17 octobre 2010. Dans le corpus Alertes varia, les PCB réalisent un score de 124 occurrences dans 29 textes depuis juin 2007 jusqu’en mars 2011 ce qui témoigne d’une persistance remarquable du sujet dans les espaces de mobilisation médiatisée.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 80

Page 81: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

épidémiologique portant sur les effets transgénérationnels du Distilbène a montré que les petits-enfants garçons des femmes traitées avec cette hormone de synthèse sont 40 à 50 fois plus exposés au risque de l'hypospadias (malformation congénitale de l'urètre). Les tumeurs vaginales et, chez les garçons, l'hypospadias sont les effets secondaires connus chez les « enfants distilbène ».77

Les différents fronts ouverts autour des perturbateurs endocriniens, qui sont au cœur de l’enquête menée sur les faibles doses (voir infra), ont également donné lieu à de récents rebondissements. Ainsi, l’interdiction de fabrication, d’importation et de vente de produits contenant des phtalates, des parabènes ou des alkylphénols, est votée par l’Assemblée le 3 mai 2011, contre l’avis plus mesuré du Ministre de la Santé Xavier Bertrand. Il s’agit avant tout de renforcer et de transformer la réglementation existante, centrée sur les doses maximales autorisées, en assurant une protection contre les imprégnations quotidiennes liées aux produits de consommation courante (emballages, adhésifs, peintures, cosmétiques), et ce avant même la production d’une évaluation du risque par les agences. Ce vote vient renforcer une démarche protectrice du Parlement, déjà entamée par l’interdiction du BPA dans les biberons par le Sénat (voir supra), et qui fait écho à des propositions encore plus affirmées aux États-Unis78.

77 AFP, 6 avril 201178 Le projet de loi “Endocrine Disruption Prevention Act” du sénateur américain John Kerry de décembre 2009 propose ainsi : « to promote family health and the perpetuation of the human species as a paramount national goal, recognizing that in order to protect the embryo, fetus, and infant during their most vulnerable stages of development, parents’ bodies must be free of EDCs prior to conception, during gestation, and throughout lactation » http://www.opencongress.org/bill/111-s2828/text.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 81

Page 82: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Chapitre IIIComparaisons inter-corpus

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 82

Page 83: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 83

Page 84: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

La construction de grands corpus sous Prospéro doit affronter plusieurs jeux de contraintes : d’un côté, il est impossible de rassembler de manière exhaustive, ou même représentative, l’ensemble des séries, en espérant éradiquer tout biais de sélection des textes ; parallèlement, le travail de collecte, de numérisation ou de mise en forme, puis de tri des documents ne doit pas coloniser la recherche, et la priorité doit être donnée à la logique d’enquête sur l’accumulation effrénée de documents ; d’un autre côté, la disponibilité croissante d’archives numériques, de sites et de blogs d’acteurs sur le web permet d’opérer des recherches sans avoir besoin d’engendrer sa propre base de données ; le partage entre ce qui est versé dans un corpus et ce qui est laissé dans les « mémoires externes » du web, repose sur un équilibre instable et doit tenir compte de l’absence de fiabilité du réseau quant à l’accessibilité des archives.

Pour surmonter ces contraintes, la construction des corpus peut suivre une logique différente, irréductible à la quête d’exhaustivité absolue et à la pêche aux ressources au fil du web79. En tout état de cause, l’application des outils socio-informatiques à la collection des dossiers a conduit à revoir la conception générale des corpus utilisée pour bâtir l’observatoire. Cette caractéristique donne prise à une autre critique, émise notamment par un porte-parole des anti-OGM à l’égard de ce programme de recherche : l’étude des controverses ne serait qu’un alibi pour poursuivre des travaux formels de méthodologie sociologique. La critique tombe d’elle-même si on considère que ce qui distingue une analyse scientifique d’une analyse d’acteur tient autant dans la suspension du jugement de valeur que dans le degré d’explicitation des sources, des outils et des catégories utilisés. Mais cela ne signifie pas que le travail sociologique, ou socio-informatique, a le dernier mot. D’autant que le travail d’accumulation et de mise en forme de corpus est rendu accessible via le dispositif Marloweb (voir infra).

Suivre les acteurs et les arguments à travers une multiplicité d’arènes suppose de se donner une architecture adaptée, prenant la forme d’un ensemble structuré de corpus. Ce n’est pas seulement lié au fait que les requêtes et les calculs prennent du temps lorsqu’ils sont appliqués à la totalité de la base de textes, mais à la nécessité de sérier les questions posées au corpus en les contextualisant. On a ainsi intérêt à préciser la portée de la requête ou le cadre de la recherche effectuée en travaillant sur une partition du corpus, conçue à partir d’un support, d’un: type de support, d’un auteur ou d’une période. Un des produits importants de cette recherche aura ainsi 79 Sur ce dernier point voir F. Chateauraynaud, « Les Humanités Numériques sont-elles solubles dans Google ? », Socio-Informatique et Argumentation, 28 juillet 2010, http://socioargu.hypotheses.org/1095.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 84

Page 85: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

consisté dans la révision de l’architecture idéale utilisée pour les corpus analysés avec Prospéro et Marlowe, architecture distribuée, qui permet de tenir à la fois l’ensemble du dossier et de se situer dans des séries ou des fils déterminés. Il s’agit donc de construire dès le départ des sous-corpus adéquats, de façon à articuler l’architecture matérielle du dispositif et les niveaux logico-sémantiques fondés sur le contenu des textes. En outre cette architecture doit être lisible non seulement pour les chercheurs du projet mais pour des utilisateurs lointains, qu’il s’agisse de visiteurs occasionnels ou d’experts du dossier souhaitant le réinterroger sous tel ou tel angle.

Figure 12. Architecture générale des corpus

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 85

Page 86: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Il y a plusieurs stratégies disponibles pour comparer des corpus. Prenons par exemple ceux des pesticides et des OGM80, deux approches se révèlent particulièrement fécondes. D’une part, l’entrée par les opérations de comparaison effectuées par les auteurs-acteurs eux-mêmes (en l’occurrence les différentes manières de mettre en rapport les OGM et les pesticides). D’autre part, l’analyse du profil d’une même entité ou classe d’entités dans les corpus comparés, comme par exemple la place de la filière « bio » dans les jeux d’acteurs et d’arguments. Évidemment l’affaire est plus complexe s’agissant de comparer une multiplicité de corpus dont le contenu est très hétérogène. On peut néanmoins faire apparaitre des propensions susceptibles de résumer les configurations favorables ou défavorables au développement d’un thème ou d’une logique argumentative.

Comparons 13 corpus construits de manière différente, selon une logique d’enquête propre, mais accordant une place centrale aux controverses relatives à la santé et à l’environnement, selon la prédominance de deux thèmes : les faibles doses et les CMR (cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques).

Corpuspoids Nombre de

textesPremière apparition

Poids relatif /100 pages

% de textes

Bisphenol A 90 59 14/06/2001 4,79 14,7Nucleaire 731 196 07/06/1957 4,03 6,07Benzène 38 20 01/08/1994 4,02 8,29Pesticides 315 202 15/06/1989 2,38 2,55Téléphonie 248 205 15/04/1998 2,37 4,64Alertes varia 31 19 31/01/2008 2,20 4,76Amiante 142 69 05/04/1977 1,62 6,25JDLE (santé) 35 30 21/10/2004 0,63 1,12Gaucho 14 13 18/04/1998 0,56 4,30charte environnement

4 2 13/03/2003 0,42 1,16

Ethers de Glycol 2 2 09/12/2002 0,39 0,74Nanomatériaux 6 6 14/12/2004 0,03 1,7OGM 20 18 12/05/1999 0,01 0,17

80 Voir Claire Lamine et alii, « Le bio comme reconfiguateur des controverses sur les pesticides et les OGM (1995-2008) », colloque Pesticides de la Société Française d’Études rurales, mars 2010.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 86

Page 87: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

1676 841Figure 13. Comparaison de la position des "faibles doses" dans 13 corpus

Corpus poids Nombre de textes

Première apparition

Poids relatif /100 pages

% de textes

Bisphenol A 43 19 18/11/2008 5,88 4,74JDLE (santé) 190 77 21/10/2004 5,73 2,89Ethers de Glycol 27 13 19/04/2001 5,35 4,83Alertes varia 23 11 30/05/2007 2,97 2,76Pesticides 122 69 06/05/2000 0,92 0,87Amiante 34 15 17/02/2001 0,55 1,36Benzène 3 2 08/03/2000 0,33 0,83Nanomatériaux 9 4 31/05/2006 0,29 1,13OGM 18 8 27/03/2006 0,09 0,08Téléphonie 7 5 18/03/2008 0,08 0,13Nucléaire 7 4 01/04/1979 0,05 0,12Gaucho 1 1 12/05/2007 0,04 0,34charte environnement 0 0 - 0 0

484 228Figure 14. Comparaison de la position des "CMR" dans 13 corpus

Sans commenter plus avant les deux tableaux précédents, ce qu’il faut avoir à l’esprit c’est la possibilité continue d’interroger les bases sur les grandes thématiques véhiculées par les controverses en santé environnement. Cela fait parfois remonter des propensions intéressantes voire des observations contre-intuitives, de contextualiser les thématiques dans une collection sériée de problèmes publics, de faire varier suffisamment pour aller jusqu’à la disparition totale.

Une autre façon de croiser les corpus autour de thèmes est de regarder la distribution temporelle en agrégeant les textes des différents corpus, comme dans le graphique suivant pour les faibles doses.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 87

Page 88: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Figure 15. Présence des faibles doses dans les controverses publiques au fil du temps (profil intercorpus)

On voit comment, en provenance des milieux de la radioprotection, représentés ici par la CIPR (Commission Internationale de Protection Radiologique), la problématique se déploie progressivement dans des dossiers différents à partir de la question du calcul des expositions collectives81. La période récente voit même la problématique se diffuser à travers de nouveaux dossiers et objets d’alerte, lesquels en retour en redéfinissent profondément la logique82.

81 Soraya Boudia, « Naissance, extinction et rebonds d’une controverse scientifique : les dangers de la radioactivité pendant la guerre froide », Mil neuf cent. Revue d'histoire intellectuelle, 25, 2007, p. 157-170.82 Voir infra le point sur l’enquête sur les faibles doses.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 88

Page 89: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Du temps des corpus au temps des acteurs

La dimension chronologique des corpus joue un rôle déterminant dans les analyses. De fait, une des premières images produites lors de la restitution d’un travail de recherche avec Prospéro prend souvent la forme d’un diagramme temporel, lequel provient du croisement entre le nombre de textes ou de pages et une unité temporelle déterminée – l’année ou le mois, bien que l’on puisse techniquement descendre jusqu’au jour, comme lors de l’analyse de polémiques brèves et intenses, ou encore jusqu’à la minute comme pour les échanges sur des forums électroniques83.

Soit un exemple de structure temporelle : le profil du corpus nanoparticules et santé (n= 606 entre 2001 et début 2011).

Figure 16. Profil temporel du nombre de texte du corpus nanoparticules et santé

Il y a encore d’autres manières d’aborder la temporalité dans l’analyse des corpus, mais nous nous intéressons ici à une forme d’objectivation du temps des acteurs : la

83 On peut vouloir étudier les commentaires de compétitions sportives, ce qui nécessite alors la précision d’un chronographe. Les analystes de conversation ont depuis fort longtemps développés des outils de séquençage de cet ordre, voir E. A. Schlegoff, A primer in conversation analysis: sequence organization, Cambridge University Press, 2004.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 89

Page 90: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

distribution des points de repère temporels utilisés par les auteurs-acteurs du corpus.

Pour produire cette autre représentation du temps, on peut utiliser des classes de formules élémentaires permettant d’attraper les années auxquelles se réfèrent les textes (par exemple une formule comme

/CF=INTRODUCTEUR_ANNEE /NBREpointant vers des formes typiques comme « en 1979 », « avril 1986 », « au cours de l’année 1914 », « depuis le 11 septembre 2001 », « à partir de 1945 », etc). On obtient ainsi les instanciations les plus fréquentes.

Une fois que l’on a recueilli la liste des mentions de dates, un script en extrait les années et les projette dans une table permettant de visualiser la distribution de cette sous-classe de références temporelles (l’année formant une unité plus facile à agréger, mais en principe la même technique vaut pour les mois ou les jours – selon l’échelle temporelle du corpus84.

84 Par exemple, dans le cas de la crise de la vache folle de mars 1996, une analyse prospérienne avait suivi quasiment heure par heure le développement des événements, de sorte que l’échelle temporelle pertinente était le jour ou la semaine, voir F. Chateauraynaud et D. Torny, Les Sombres Précurseurs, Paris, EHESS, 1999.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 90

Page 91: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Figure 17. Procédure de capture des années après transfert des formules calculées par Prospéro vers le module spécialisé de Tirésias

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 91

Page 92: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Le résultat obtenu par cette procédure d’enquête sur le temps des acteurs mérite ensuite d’être confronté à la structure temporelle initiale fondée sur les dates des textes.

Figure 18. Années marquantes de l'histoire des nanoparticules

Dans le grand récit qui est produit par les acteurs autour des nanotechnologies tout démarre dans les années 1950, plus précisément en 1959 avec la célèbre conférence de Richard Feynman qui pour beaucoup fonde la notion85. Ce qu’on voit surtout c’est le décollage dans les années 2000, avec la politique scientifique dessinée sous la présidence Clinton86, et même si le dossier parle souvent de technologie d’avenir, l’économie de la promesse se contente de projet sans échéances très précises.85 Richard Feynman, « Il y a de la place en bas » (There's plenty of room at the bottom) 29 décembre 1959.86 Voir B. Laurent, Les politiques des nanotechnologies, Paris, Ed C. L. Mayer, 2010.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 92

Page 93: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Une des questions que pose ce type de procédure, est le degré de généralité de la forme obtenue, on peut par exemple comparer les profils obtenus sur différents corpus.  Regardons, par exemple, ce que donne le corpus de l’amiante :

Figure 19. Années marquantes de l'histoire de l'amiante

Le profil présenté par les années citées dans le dossier de l’amiante rend visibles ses appuis historiques – notamment l’importance de l’année 1898 – date associée à la naissance du droit social moderne – la période relativement muette qui sépare les deux pics de mobilisation (entre 1978 et 1994) et, plus sinistrement encore la mention des décès annoncés pour les prochaines décennies.

L’air de rien, les applications ou les dérivations rendues possibles par cette approche, sont multiples – et ont pour vertu une relative parcimonie ! Notons surtout la possibilité de faire « glisser » cette représentation selon les différentes périodes du

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 93

Page 94: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

corpus, qui permet de voir si l’extension temporelle de la cause ou de la controverse se décale vers le passé ou vers le futur87 ; par ailleurs, on peut apprécier le degré auquel  l’histoire tracée par la série temporelle rassemblée par le corpus et l’histoire dans laquelle se projettent les auteurs-acteurs tendent à converger ou à diverger. Ainsi, il est assez précieux de pouvoir montrer les appuis dans le passé et le degré d’engagement d’un futur déterminé (au moins sous forme d’année : « d’ici 2050 ») tout en livrant à la discussion l’effet de construction du corpus. Par exemple, dans le cas des OGM, dossier sur lequel ce type de projection temporelle a été très utile, on voit clairement se dégager l’année 1975, qui correspond à la conférence d’Asilomar, alors que le corpus ne débute, pour les séries françaises, qu’en 1987. L’effet d’entraînement produit par la numérisation massive des documents à partir des années 1990 peut ainsi être partiellement corrigé par la mise en évidence du temps relativement long dans lequel agissent et pensent les acteurs.

87 Il y a des cas où plus on avance dans un dossier et plus les acteurs se réfèrent au passé, et d’autres où le futur n’a de cesse de s’ouvrir.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 94

Page 95: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Atlas des questions parlementaires

Un des modules de la suite Tirésias permet de chercher de manière synchrone dans les bases de questions parlementaires des sites web du Sénat et de l’Assemblée nationale, d’en extraire les informations nécessaires à la création de fichiers lisibles par Prospéro, et fournit ainsi un outil commode pour générer un corpus de questions parlementaires sur une thématique donnée. Parmi les informations recueillies, le département d'élection du parlementaire à l’origine de la question est une donnée homogène qui se prête à une étude quantitative. Étant donné la nature du renseignement, un traitement spatialisé est possible, aussi a-t-il été développé une procédure pour générer l’atlas des départements français indiquant le nombre de questions posées par leurs élus. On peut alors faire varier ces cartes selon la thématique ou la période à comparer88.

Ce type d’analyse se poursuit en gardant à l’esprit la répartition du nombre de parlementaires en fonction des départements (voir la figure suivante).

88 Pour plus de détails techniques, voir la note intermédiaire de janvier 2010, p. 45 et Josquin Debaz, « Un atlas des questions parlementaires », Socioinformatique et argumentation, 24 janvier 2010, http://socioargu.hypotheses.org/69.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 95

Page 96: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Figure 20. Atlas départemental des parlementaires

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 96

Page 97: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

La génération d’une telle carte à partir des 411 questions parlementaires du corpus Téléphonie mobile montre une distribution concentrée sur les zones urbaines, ce qui est évidemment à mettre en parallèle avec la densité d’antennes qu’elles nécessitent pour permettre de répondre aux demandes de connexions simultanées. Certains départements apparaissent sensibilisés à cette thématique, soit parce que représentés par un élu qui s’en est saisi (par exemple Marie-Christine Blandin sénatrice du Nord) ou parce que les mobilisations locales ont fait monter politiquement le sujet.

Figure 21. Atlas des questions parlementaires du corpus Téléphonie mobile

En comparant les atlas pour les corpus Pesticides historique et contemporain (graphiques suivants), on remarque pour toutes deux la prégnance des zones viticoles et l’invisibilité des grandes plaines céréalières de la Beauce. On voit l’hétérogénéité du fil Pesticides lui-même, à travers les zones où l’agriculture entre en interaction avec les bassins versants, les zones d’agriculture intensive. On remarque la montée en puissance de la thématique chez les parlementaires bretons, ce que l’on peut expliquer par la prégnance des récents conflits sur l’usage eau et

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 97

Page 98: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

entre agriculture intensive et environnement, en particulier sur la récente médiatisation du problème de prolifération des algues vertes.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 98

Page 99: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Figure 22. Atlas des questions parlementaires du corpus Pesticides historique (-2007)

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 99

Page 100: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Figure 23. Atlas des questions parlementaires du corpus Pesticides contemporain (2007-)

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 100

Page 101: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Une sphérologie appliquée à l’observatoire

La collection de corpus gagne à être représentée de manière graphique de façon à faire apparaître à la fois des ensembles cohérents de « problèmes publics » et des relations d’influence (attraction-opposition, transfert, antériorité, …).

Chaque dossier contient toujours, au moins virtuellement, à titre d’élément de comparaison ou d’exclusion, d’autres dossiers qui servent à la fois de précédent et d’outil de montée en généralité. Ainsi on a déjà observé la fréquence élevée des énumérations insérant tel ou tel objet de controverse dans une série, par exemple : « c’est comme l’amiante ou la vache folle ! », « le climat, les OGM, les nanotechnologies, tout fait débat ! », « de Tchernobyl à Formarsk, de Exon Valdes à Deepwater Horizon, de Seveso à AZF en passant par Bhopal, du Tsunami à Erika, de la Montagne pelée à l’Eyjafjöll, du benzène au bisphénol, … ». Si l’analyse des opérations de comparaison et d’analogie internes à chaque corpus est fort instructive, il est possible de changer de niveau logique en concevant l’ensemble des public issues sous la forme de sphères plus ou moins interpénétrantes et en interaction, exerçant une sorte de « pression de sélection » sur les nouveaux dossiers. L’effet est particulièrement sensible dans le cas des nanotechnologies qui récupèrent dans leur constitution à la fois le précédent de l’amiante, le « syndrome OGM » et la spécificité des particules fines.

Vu de haut, le système de sphères que l’on peut dégager de la structure des différents corpus prend l’aspect d’une société de bulles, d’un monde écume pour filer ici l’analogie heuristique de Peter Sloterdijk89. De fait, il est tentant d’expérimenter une sphérologie des corpus pour donner corps au type de densité et de flux qui traversent les dossiers suivis par l’Observatoire.

On propose dans un premier temps de distinguer quatre grands domaines utilisés par les acteurs pour fonder leur espace de calcul : le physique, le chimique, le biologique et le social. A l’évidence lorsqu’il s’agit de substances chimiques, de propriétés physiques ou biologiques, les protagonistes n’ont pas les mêmes types d’équipement de préoccupations et d’activités. Il peut paraître paradoxal, après le tournant des Science and Technology Studies d’isoler une sphère sociale ou psychosociale, mais c’est bien ce que font les acteurs quand ils se saisissent du suicide ou du stress au travail, de la maltraitance dans les prisons, … Que les modes de raisonnement 89 Peter Sloterdijk, Ecumes : Sphérologie plurielle, 3e tome de Sphères, Hachette Littératures, 2006.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 101

Page 102: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

développés dans une sphère aient tendance à envahir les autres est facilement observable, et c’est précisément ce qui est au cœur des controverses épistémiques et métrologiques.

Le schéma présenté ci-dessous se concentre pour l’instant sur les dossiers plus classiques en santé-environnement, mais il faudra d’une manière ou d’une autre y inclure une sphère renvoyant au dossier sur les risques psychosociaux, corpus récemment introduit dans la collection. En outre la sphère du biologique est elle-même scindée en deux sous-ensembles : d’une part le vivant à l’état de nature et d’autre part tout ce qui relève du génie génétique et de la biomédecine. Les dossiers se distribuent alors dans cette géographie thématique selon leur extension dans l’un de ces domaines et les affinités conceptuelles qu’ils dégagent avec leurs proches. Certains dossiers comme les nanotechnologies et l’air intérieur se situent ainsi dans chacune des 3 sphères principales.

BPA : Bisphénol Ainfect. : maladies infectieusesP.F. : particules finesPE : perturbateurs endocriniensR* : rayonnements ionisants et non-ionisants

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 102

Page 103: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Figure 24. Essai de sphérologie appliquée aux corpus de l’observatoire

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 103

Page 104: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Visualisation analytique des entités et cartographie des réseaux sémantiques

La structuration sémantique des textes des corpus permet au logiciel Prospéro de construire des matrices de cooccurrence entre les entités nommées des dossiers. Ces relations peuvent être exportées vers des logiciels d’analyse graphique des réseaux90. Le processus d’enquête continu de l’observatoire n’a pas pour vocation d’engendrer des cartes de liens, mais double utilement les analyses sociologiques à l’aide de figures spatialisées, la génération de cartes de liens permet d’effectuer un petit pas de côté afin de voir autrement les structures de données discursives ou textuelles, et d’enrichir le parcours de l’enquête.91.

Les analyses de réseaux occupent une place majeure dans les sciences sociales. On peut distinguer rapidement quatre approches :

- On trouve d’abord, les études consacrées aux réseaux sociaux et fondées pour la plupart d’entre elles sur le concept de capital social92 ;

- En rupture avec cette conception, la théorie de l’acteur-réseau (ANT) a marqué durablement les travaux des sciences studies93 ;

- Troisième conception aujourd’hui dominante, les réseaux coopératifs et pratiques collectives distribuées des NTIC ;

- Enfin, on trouve une version plus métaphorique comme celle du monde en réseau ou de la Cité connexionniste ou cité par projet du Nouvel Esprit du capitalisme94.

90 Nous utilisons préférentiellement le logiciel Pajek http://pajek.imfm.si/doku.php.91 Francis Chateauraynaud et Josquin Debaz, « Des relations collatérales entre Prospéro et Pajek », Socio-informatique et argumentation, 14 décembre 2009, http://socioargu.hypotheses.org/141.92 M. Gribaudi (dir), Espaces, temporalités, stratifications. Exercices sur les réseaux sociaux, Paris, EHESS, 1998.93 M. Callon, John Law and Arie Rip (Eds), Mapping the dynamics of science and technology, The MacMillan Press Ltd, London, 1986.94 M. Castells, La société en réseau, Paris, Fayard, 2001 ; L. Boltanski et E. Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 104

Page 105: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Techniquement, lorsqu’on se focalise sur le réseau lui-même, c’est l’identification de schémas structurels qui motive l’enquête. Sans objet mathématique, les réseaux ne sont guère calculables, il faut donc engendrer des matrices permettant de produire des indices : degré de centralité, intermédiarité, densité, proximité, ...95 Une grande ligne de partage sépare les utilisateurs capables de manier ces outils formels et ceux qui appréhendent essentiellement les propriétés des réseaux à travers leurs expressions graphiques. En sciences sociales, les cartes de liens auraient pour vertu de rendre visibles des structures invisibles96, mais, plus formellement, un des intérêts des cartes de liens est surtout de permettre de s’abstraire de la nature des liens. Dans une approche analytique, au contraire, c’est la qualité du lien qui va fournir l’ancrage de la relation, qu’il s’agisse d’une parentèle, d’une relation socio-professionnelle, d’un simple contact ou même d’une antinomie particulière entre deux éléments. Quand on modélise le capital social, on ne prend pas en compte le « taux de change « nécessaire pour rendre ce patrimoine utilisable. Les études sur les small worlds ont révélé l’étendue que peut prendre un réseau égocentré via ses liens faibles97. Or, en pratique, et même si cette théorie est particulièrement en vogue dans la modélisation des contacts professionnels, il est exceptionnel que ces liens faibles soient efficaces : qu’ils constituent réellement une prise sur des entités facilement enrôlables ou prêtes à fournir des informations stratégiques98.

Si des outils statistiques élémentaires permettent sous Prospéro de tester le degré de distribution, la hiérarchie interne et la connectivité d’une catégorie, la visualisation d’une carte de lien présente l’avantage de toute spatialisation : embrasser d’un seul regard l’ensemble des nœuds et des liens du réseau sémantique. Au total, trois grands usages des cartes de liens se dégagent en socioinformatique :

- l’analyse interne d’une classe ou d’une catégorie préconstituée ou générée par un fil de raisonnement (un groupe d’entités liées par une propriété quelconque) et du degré de connectivité des éléments de la classe ou du groupe ;

- la recherche de polarités ou de réseaux dissociés ;- l’identification de passeurs ou de médiateurs entre des univers a priori

disjoints.

95 W. de Nooy, A. Mrvar, V. Batagelj, Exploratory Social Network Analysis with Pajek, Cambridge, Cambridge University Press, 2005.96 D. Crane, Invisible colleges. Diffusion of knowledge in scientific communities, Chicago and London, The University of Chicago Press, 1972.97 S. Milgram, J. Travers, « An Experimental Study of the Small World Problem », Sociometry, 1969, Vol. 32, No. 4. (1), pp. 425-443.98 F. Chateauraynaud, Les asymétries de prises. Des formes de pouvoir dans un monde en réseaux, 2006.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 105

Page 106: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Figure 25. Carte des co-occurences de personnes dans les énoncés du corpus Téléphonie en mars 2009

D’une manière générale, dans les pratiques de recherche sur corpus, l’utilisation de cartes de liens doit toujours faire varier les formes de représentations et fournir toutes les indications sur le chemin suivi de façon à éviter l’effet Goody : quand la raison graphique l’emporte sur le raisonnement au plus près des objets99. Ainsi pour l’observatoire, les cartes n’ont de sens, en dépit de leur vertu synthétique apparente, que dans le cheminement de l’enquête qui les a fait surgir.

99 J. Goody, La Raison graphique. La domestication de la pensée sauvage, Paris, Éditions de Minuit, 1979.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 106

Page 107: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 107

Page 108: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Chapitre IVSur le développement des outils

socio-informatiques

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 108

Page 109: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 109

Page 110: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

L’ensemble des outils et procédures développés au fil des travaux socio-informatiques constitue au final un dispositif de veille évolutif fondé à la fois sur des routines informatiques et sur les capacités d’analyse collective des dossiers. Ce dispositif permet à tout moment : - de retracer l’histoire d’un dossier et sa chronologie, de repérer les événements

marquants qui constituent des points d'inflexion ou des précédents importants, d’identifier les différents acteurs, leurs arguments et leurs positionnements respectifs ;

- d’évaluer la situation présente en rapport avec cette histoire : quel passé est convoqué, quelles formes d'incertitude, de certitude et de présupposé non discutés sont à l’œuvre ? En quoi les textes récemment introduits modifient-ils la structure socio-discursive du corpus ?;

- d’anticiper un certain nombre d’évolutions, comme par exemple en repérant, à propos des pesticides, plusieurs modifications de fond laissant penser que l’ouvrage de Veillerette et Nicolino va rencontrer un écho médiatique et public important100, ou encore en voyant venir la contestation radicale sur les gaz de schiste ;

- de proposer un espace des futurs possibles ou compossibles, par le travail sur trois types d’indicateurs : les tendances repérées au moyen des indices ; la mise en perspective avec les évolutions constatées sur d’autres corpus ; et la prise en compte des futurs annoncés par les protagonistes. Cette dernière proposition reste la plus ardue à concrétiser.

Face aux limites de la délégation technique, l’élaboration de cet observatoire de veille socio-informatisée des problématiques sanitaires et environnementales implique la participation de l’ensemble des partenaires, dont il s’agit de maximiser le mode de fonctionnement coopératif au moins sous trois angles:

- Si l’élaboration des bases documentaires doit être continue, elle doit aussi être collective et réflexive. Par leur expertise sur les différents dossiers, les partenaires utilisateurs de l’observatoire sont à même de signaler une série manquante ou un nouveau support à prendre en compte, ou d’ajouter directement à la base un nouveau document important ;

- Des séances de travail collectives sont nécessaires pour élaborer les questionnements et les ajuster aux évolutions des dossiers et aux missions de l’Agence : construction d'indices et de scripts pertinents, permettant de répondre à des questions qui se posent sur chacun des dossiers ;

100 Fabrice Nicolino et François Veillerette, Pesticides. Révélations sur un scandale français, Paris, Fayard, 2007.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 110

Page 111: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

- Marloweb constitue une ressource majeure dans le dispositif mais entraîne également l’élaboration de nouvelles questions donnant un contenu très concret à la conception pragmatique de l’enquête collective101.

C’est par ajustements, apprentissages réciproques, allers retours entre les différents partenaires que l’on peut constituer une mémoire des dossiers facilement interrogeable, et outiller l’expertise collective, ainsi plus nettement détachée des personnes.

Une des réticences souvent rencontrée face aux travaux en sociologie argumentative provient d’un doute sur la fiabilité d’analyses fondées sur la prise au sérieux des énoncés contenus dans des corpus mêlant des supports hétérogènes. Cette critique repose sur un point de vue logiciste qui suppose une séparation a priori entre énoncés factuels et énoncés d’opinion, en vertu d’une hiérarchisation préalable des autorités épistémiques. La multiplication des expériences sur de grands corpus montre qu’en pratique il existe de multiples réponses à cette tension épistémique apparente. On peut tout d’abord considérer que tout est « faux », ou « faux à plus de 75% », et qu’il ne s’agit au mieux que d’enregistrer un état des discours publics. Une autre attitude, déjà plus constructive, consiste à séparer clairement les textes selon le statut de leur énonciateur et le type de support, par exemple ne considérer que les articles scientifiques sur Tchernobyl et ses conséquences102. Mais on peut aller plus loin, en prenant en compte la durée qui montre la convergence des énoncés vers des noyaux de factualité : les erreurs, les incomplétudes, les déformations et autres exagérations étant progressivement gommées au fil du temps. Une autre approche, compatible avec la précédente adopte une conception distribuée de l’information selon laquelle la vérité factuelle n’est jamais déposée en un endroit unique. En effet, la factualité, et les raisonnements vériconditionnels qu’elle rend possible, supposent une pluralité d’instances, d’auteurs-acteurs, de supports et de situations d’énonciation, de sorte que ce qui est commun ou qui ne fait plus l’objet de dispute fini par fonctionner en creux comme une forme de noyau de factualité tangible. Enfin, il est toujours possible de mener une contre-enquête systématique visant à authentifier les informations, et c’est ce que font généralement les acteurs qui se lancent dans une investigation visant le dévoilement de choses cachées ou déniées. Ainsi les jeux de l’enquête/contre-enquête, expertise/contre-expertise, argumentation/contre-argumentation sont générateurs de processus d’apprentissage par lesquels des pures hypothèses ou présomptions passent graduellement à l’état de certitude ou d’évidence.101 John Dewey, Logique. La théorie de l’enquête, Paris, PUF, 1995.102 Scientifiques au sens de publiés dans revues internationales à comité de lecture.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 111

Page 112: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

La construction des séries textuelles analysées avec Prospéro et Marlowe repose sur un principe de variation des auteurs et des arguments, ce qui implique une multiplicité de supports de publication. Devant la prolifération des documents disponibles sur le web et l’accessibilité croissante aux bases de données documentaires, Tirésias a lui pour fonction d’aider à puiser dans ces sources. Cet outil propose des fonctionnalités de traitement automatique (corrections, remplacement, …) des textes, il sert de traducteur entre des sorties de Prospéro et d’autres logiciels, il simplifie les procédures de transfert entre les bases de données utilisées et la constitution des corpus et possède également des modules de récolte automatique et régulière, à partir d’Internet, de documents nouveaux susceptibles d’enrichir la collection de textes ou d’introduire des variations appréciables. Loin de signifier une automatisation parfaite de la chaîne de traitement, il s’agit au contraire de produire un espace critique entre deux façons d’organiser des collections de textes : celle qui repose sur des automatismes fondés sur des critères déterminés et celle qui relève d’une évaluation synthétique basée sur la connaissance d’un dossier et l’angle de vue offert par une problématique. Tirésias permet aussi d’assurer une délégation technique lorsque les dossiers oscillent entre des phases muettes et des phases d’accélération ou de prolifération des interventions et prises de parole.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 112

Page 113: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Figure 26. Structure de la suite Prospéro-Marlowe-Tirésias

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 113

Page 114: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Le réseau Marloweb pour interroger et comparer les dossiers

L’application Marloweb est un dispositif en réseau permettant de mettre à disposition d’une communauté d’utilisateurs des corpus interrogeables à distance : sur chacune des machines ainsi mises en réseau, et qui disposent des logiciels Prospéro et Marlowe, des dossiers composés et indexés par les différents utilisateurs sont interrogeables à distance d’une manière proche de celle d’un dialogue direct avec Marlowe.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 114

Page 115: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Figure 27. Marloweb les échanges entre machines-clientes via un serveur

Il s’agit d’un prolongement du mode dialogique avec Marlowe, les utilisateurs pouvant ainsi s’enquérir des récents développements d’un dossier donné, poser des questions assez précises à différents dossiers, de manière comparative (même question posée à plusieurs dossiers). Ces interrogations inter-corpus peuvent enrichir considérablement les analyses, notamment dans ce qu’elles donnent à voir

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 115

Page 116: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

des intersections de différents dossiers. L’envoi d’une requête sur un corpus déclenche l’ouverture de l’instance de Marlowe installée sur l’ordinateur qui partage ce dossier ; après traitement de la requête, le système renvoie un rapport à l’ordinateur qui l’a adressée (voir figure précédente).

Dans l’onglet « ressources partagées » du client, on sélectionne un corpus, ce qui ouvre une fenêtre dans laquelle on peut introduire une ou plusieurs questions.

Figure 28. Marloweb : poser une question via le client

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 116

Page 117: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

La machine nommée Dionysos a chargé le corpus et, après quelques minutes, renvoie la réponse suivante, consultable dans l’onglet « rapports ». Comme toujours, Marlowe a salué l’utilisateur à sa manière bien particulière avant de traiter la question qu’on lui a soumise.

Figure 29. Marloweb : le rapport disponible sur le client

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 117

Page 118: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Pour rendre accessible le dispositif de manière plus aisée aux partenaires de la convention, une interface web de Marloweb a été mise en service au printemps 2008 sur le site marloweb.eu. Celle-ci reprend la structure d’interrogation via les clients mais envoie le rapport directement par email à l’utilisateur.

Figure 30. Marloweb : l'interface web

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 118

Page 119: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Différentes investigations sont rendues possibles par l’usage à distance du logiciel Marlowe : - accéder à un corpus ou un sous-corpus inaccessible sur l’ordinateur de

l’utilisateur ;- obtenir des micro-rapports ou des états sur des propriétés explicites telles que

des entités spécifiques, des catégories, des auteurs, des formules ou encore des périodes déterminées ;

- comparer les réponses obtenues à une même requête sur des corpus ou des parties de corpus différents ;

- obtenir des descriptifs, des définitions, des résumés ou encore des commentaires sur des éléments déposés dans les encyclopédies collaboratives dont est doté le logiciel Marlowe ;

- faire enregistrer par le système des requêtes que l’on souhaite voir incorporer ultérieurement – en rendant manifeste une nouvelle façon d’interroger les corpus pour les autres utilisateurs.

L’utilisateur à distance s’appuie sur une interface de transfert de requêtes via un serveur lequel active une instance située de Marlowe, instance qui s’appuie à son tour sur une structuration sémantique et statistique d’un corpus déterminé via Prospéro. Cette chaîne délégative – que l’on peut sans excès d’analogie, comparer aux « délégués socio-techniques » décrits par la sociologie des sciences - est inspirée par la « cognition distribuée »103.

Cependant, l’interrogation des corpus par Marloweb crée une double contrainte cognitive pour ses utilisateurs : d’une part, l’absence d’accès à l’étage « inférieur » formé par le logiciel Prospéro crée une opacité particulière qui n’a pas cours dans le cadre des interactions avec Marlowe en situation de dialogue sur un poste informatique en local ; d’autre part, la difficulté engendrée par l’impossibilité de rebondir comme dans une conversation courante104.

Matthieu Fintz, recruté à l’AFSSET dans le cadre du développement de l’observatoire sociologique des alertes et des controverses, a interrogé le système de façon très régulière, afin d’en tester le domaine de pertinence et d’usage pour les fonctions de 103 R. N. Giere, « Cognitive Studies of Science and Technology », in E. J. Hackett et al. (eds), The Handbook of Science and technology Studies, The MIT Press, 2008.104 Difficulté particulièrement visible quand des « chaînages » sont en jeu (comme lorsqu’un rapport s’effectue par une série de passes successives activées via des opérateurs dialogiques du type « mais encore ? », « quoi d’autre ? », « poursuivons sur ce fil », etc.).

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 119

Page 120: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

veille et d’analyse de l’agence. Durant son d’apprentissage du dispositif, il a dans un premier temps adopté un mode opératoire formé de la répétition systématique des mêmes questions, en faisant varier seulement le thème ou l’objet de la requête. Cette approche avait clairement pour fonction de compenser l’absence d’accessibilité des « briques » élémentaires et des structures conceptuelles utilisées en amont par le logiciel Prospéro. Ainsi, des requêtes multiples ont porté sur le contenu d’Etres-Fictifs, de catégories ou de collections105.

105 Une analyse des interactions entre les agents de l’AFSSET et Marlowe a été proposée dans la note d’étape de décembre 2008, p. 51-63.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 120

Page 121: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

La chronique santé-environnement

Après avoir développé et expérimenté une chronique généraliste quotidienne, le GSPR a mis en place, dans le cadre du partenariat avec l’AFSSET, une chronique hebdomadaire spécialisée sur l’actualité sanitaire et environnementale. Il s’agit en l’espèce de la génération automatique et de l’envoi régulier d’un rapport de Marlowe sur un corpus constitué par une semaine de dépêches et d’articles d’actualité portant sur les thèmes santé et environnement.

Le processus est basé sur l’enchaînement en séquence de plusieurs outils :

- un module du logiciel Tirésias va sur différents sites du web chercher les informations de la semaine ;

- un autre module les transforme en corpus directement analysable sous Prospéro ;

- ce corpus est alors analysé par le logiciel Marlowe, il extrait des informations qu’il juge pertinentes et organise leur « analyse » afin de rédiger une chronique circonstanciée ;

- le rapport ainsi constitué est adressé par courriel aux destinataires humains concernés ;

- Marlowe met également à jour sa base des fichiers qui lui servent à établir des palmarès et à repérer des évolutions, à construire pas à pas la structure de ce que l’on peut attendre dans l’actualité, à établir des listes de traits qu’il s’efforce de classer ;

- la base Chéloné s’enrichit des textes et des informations marquantes de la semaine.

Si l’un des intérêts du processus est d’automatiser en partie la génération sur le champ santé-environnement des outils d’indexation, de codage et d’inférence du logiciel Prospéro qui pourront par la suite être utilisés sur tout la gamme des corpus plus spécialisés, deux écueils majeurs en découlent : l’aliénation de la procédure de lecture ou de relecture par les humains par manque de temps ou lassitude, la répétition sempiternelle d’une même logique quand le contenu de l’actualité n’y est pas adapté ou nécessite de faire appel à un autre type d’analyse. La stabilité des protocoles utilisés – puisque tout est automatisé et se déroule sans intervention humaine – tend à banaliser le dispositif, alors même que du point de vue socio-

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 121

Page 122: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

informatique, elle permet de tester un grand nombre de caractéristiques des outils d’indexation, de codage et d’interprétation, en montrant l’importance de la mise en œuvre de plusieurs niveaux sémantiques, allant des dictionnaires jusqu’aux formules et aux configurations discursives. Une série de variations possibles ou systématiques dans la chronique est donc maintenue par une pluralité de scripts et de cheminements logiques divers, afin d’éviter la monotonie d’un séquençage qui resterait identique de semaine en semaine tout en assurant à chacun de ces possibles un bon degré de pertinence par rapport aux textes de la semaine. Le rapport est ainsi composé d’un arbre de scripts, appelés suivant un modèle « aléatoire éclairé » : leur activation est soumise à un tirage au sort assorti de conditions. Diverses variantes sont de même prévues à l’intérieur de chaque script (voir figure infra).

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 122

Page 123: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Figure 31. Arbre de résolution du choix des scripts composant la chronique santé-environnement

La procédure de chronique santé-environnement est activée automatiquement dans la nuit du dimanche au lundi depuis le début de l’année 2007. Elle a connu quelques réaménagements, en particulier l’ajout du flux des dépêches de l’AFP, filtré selon la

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 123

Page 124: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

présence des thèmes santé et environnement, venant renforcer la base formée par les articles du Journal de l’environnement. Le code du logiciel Marlowe dédié à cette fonction de veille et de commentaire est resté relativement stable106, cela tient largement au décollage parallèle du dispositif Marloweb qui permet de programmer des « chroniques » d’un autre genre en lançant périodiquement les mêmes procédures sur des corpus déterminés.

Marlowe : Les renseignements de la semaine du 21/6/2010 au 26/6/2010 se distribuent dans 45 textes. Un des objectifs de cette chronique étant de signaler les éléments intéressants du point de vue du fil santé-environnement, je retiens d'abord et avant tout ce titre : « Antennes-relais : pas de risque de cancer chez les jeunes enfants » (Journal de l’environnement, 23/6/2010). La référence au cancer est évidemment au principe de cette sélection. C'est un texte qui se caractérise par la forte présence de personnages et de thèmes tels que LE-CANCER@, ENFANTS@, ondes, exposition, antennes-relais … Voici de la lecture :

« Il n’y aurait pas d’association entre le risque de cancer chez le jeune enfant et l’exposition de la mère aux radiofréquences émises par les antennes-relais de téléphonie mobile, pendant la grossesse, selon une étude britannique publiée le 22 juin dans le British Medical Journal. Paul Elliott, professeur d’épidémiologie de l’Impérial College de Londres, et ses collègues, ont comparé l’exposition de la mère pendant la grossesse aux ondes des antennes-relais, chez 1.397 enfants âgés de moins de 0 à 4 ans qui entre 1999 et 2001, souffraient d’un cancer du cerveau, du système nerveux central, d’une leucémie et ou d’un lymphome non-hodgkinien. Chacun de ces cas a été comparé à ceux de quatre enfants en bonne santé d’un âge similaire. La distance moyenne entre les habitations et les antennes-relais était similaire, au moment de la naissance, pour les enfants malades et les témoins (environ 1.100 mètres), de même que la puissance d’émission des antennes à 700 mètres de l’habitation (environ 3 kilowatts). Aucune augmentation significative du risque de cancer n’a été constatée avec une exposition accrue aux ondes des antennes. Les auteurs admettent cependant qu’ils se sont focalisés sur les cancers de la petite enfance, ce qui n’exclut donc pas que des cancers puissent apparaître plus tard dans la vie. Dans son dernier rapport, publié en octobre 2009, l’Agence

106 Voir Francis Chateauraynaud et Josquin Debaz, « Veille sociologique et flux d'informations numériques », 9e Journées Francophones « Extraction et Gestion des Connaissances », Strasbourg, janvier 2009, http: //hal.archives-ouvertes.fr/hal-00492950/fr/.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 124

Page 125: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

française de sécurité sanitaire, de l’environnement et du travail (Afsset) n’avait pas non plus conclu à un excès de risque de cancers liés aux radiofréquences. »

Extrait de la chronique santé environnement du 28 juin 2010

Un des premiers avantages du chroniqueur est de lier le commentaire de surface des éléments qui surgissent dans les fils d’actualité à des régularités ou des évolutions plus longues. Ainsi, le relevé hebdomadaire des objets d’alerte permet de disposer d’une base de données originales, montrant à la fois les changements de configuration (lorsque la grippe A domine l’actualité, on n’a pas la même structure que lorsqu’il s’agit du climat ou des OGM), des sujets constamment investis (comme les déchets, la pollution atmosphérique ou le nucléaire), et des sujets émergents ou réémergents : comme le bruit, les troubles musculo-squelettiques, les particules fines, … Cette procédure peut cependant avoir un rôle plus structurant : les capacités de Marlowe, habile à disséquer des flux pour en tirer des fragments et des commentaires à visée heuristique, ont pour fonction principale non pas de clore l’interprétation, mais bien d’attirer l’attention sur des événements nouveaux ou des résurgences tout en encourageant la poursuite de l’enquête. La signification de nombreux traits n’est pas toujours interprétable à distance, il faut constamment rester en prise avec les activités cognitives, politiques, militantes, judiciaires, normatives, délibératives, ou professionnelles qui se déploient dans les milieux. A défaut d’un aller-retour continu entre analyse distanciée des dossiers et investigations au contact des personnes et des choses, on dérive vers ce que certains philosophes de l’esprit et de la cognition ont déjà démonté : une machine dotée d’une pure intelligence computationnelle, un commutateur logique destiné à encoder la réalité sans donner de prise sémantique sur les processus et les interactions aura vite fait de quitter tout sens commun et de s’éloigner définitivement des logiques d’enquête intersubjectives107.

Au-delà de l’amélioration littéraire de la formule actuelle, qui fonctionne de manière autonome sans devenir précis annoncé, puisqu’il s’agit pour l’instant d’un protocole de recherche expérimentale, on peut imaginer trois formes de développement dérivés :

- produire des chroniques à la demande, en fonction d’une actualité médiatique ou agencielle ;

107 Voir l’argument de la chambre chinoise dans John R. Searle, « Minds, Brains and Programs », Behavioral and Brain Sciences, 1980, 3 (3), 417–457 ; et plus récemment, Consciousness and Language, Cambridge University Press, 2002.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 125

Page 126: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

- une chronique dont le contenu et la fréquence sont programmées par l’utilisateur, à la manière des agrégateurs et des flux du web 2.0 ;

- une chronique déclenchée automatiquement par une rencontre étonnante, un événement reconfigurateur, un argument singulier et perturbateur.

Un nouveau mode de fonctionnement a donc été mis en place en cours de convention : celui de chroniques programmées, envoyées par mail aux utilisateurs concernés et déposés en ligne sur un espace dédié.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 126

Page 127: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Des rapports réguliers accessibles en ligne

Suite aux différentes réunions de coordination et après l’examen des conditions optimales de l’utilisation de Marloweb à l’agence, il a été proposé de créer une série d’outils permettant à Tirésias de déposer, sur une page web, des chroniques automatiques régulières. Comme le système est capable de s’interroger lui-même via des protocoles de la même famille que ceux utilisés pour les chroniques (activation à distance de commandes du type /questions), il est possible de systématiser et d’automatiser la production de rapports. Au cours des mois de septembre à novembre 2008, nous avons réalisé, en collaboration avec l’informaticien de Doxa, un script d’activation de questionnaire à distance et de dépôt d’informations sur une page accessible en ligne. Chaque machine du réseau dépositaire d’un corpus peut être programmée pour adresser un rapport automatique contenant les ingrédients déterminés d’une chronique conçue selon les besoins de l’utilisateur et mise à disposition en ligne avec des droits de lecture plus ou moins réservés selon l’usage.

Figure 32. Marloweb paramétrage d'un rapport automatique

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 127

Page 128: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Sur la figure précédente a été demandé un rapport utilisant le questionnaire intitulé [Chroniqueur_mensuel_amiante] sur le corpus désigné par [Amiante (1971-2008)] de la machine dénommée [MARX2] (cette procédure peut être lancée depuis n’importe quel client). L’opérateur a programmé un rapport unique pour le 16 décembre 2008 à 15h24, qui sera à la fois distribué par email et déposé sur la page des rapports de marloweb.eu, et dont l’accès sera réservé aux personnes identifiées comme faisant partie du groupe [GSPR].

Figure 33. Marloweb : interface de dépôt des rapports automatiques

Sur la page consacrée au dépôt des rapports du site marloweb.eu n’apparaissent que les rapports auxquels l’usager a droit d’accès en fonction de ses identifiants. Sur la capture d’écran précédente, on remarque que cet outil sert principalement à trois usages :

- des questionnaires spécifiques à certains dossiers ;- des rapports/chroniques réguliers (quotidien-hebdomadaire-mensuel) destinés

à faire le point sur un dossier ;

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 128

Page 129: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

- la mise à jour de l’évaluation d’indices quali-quantitatifs développés par la socio-informatique des controverses.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 129

Page 130: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Les indices synthétiques quali-quantitatifs

Avec le développement de l’observatoire socio-informatique des alertes et des controverses, il est apparu que des calculs effectués par le dispositif et restitués sous une forme numérique étaient appréciables sur plusieurs aspects :

- leur lecture est rapide, en particulier pour ceux qui n’ont pas intégré le vocabulaire conceptuel de la suite Prospéro ;

- ils synthétisent des calculs qualitatifs et quantitatifs pondérés par rapport aux structures du corpus ;

- ils permettent de suivre facilement des évolutions d’un dossier dans le temps ;- ils fournissent un outil de comparaison entre des corpus très éloignés en

termes de thématique et de vocabulaire technique.

Aussi, afin d’éviter le détour de production exigé dans certains contextes par l’interrogation directe de Marloweb, une série d’indicateurs favorisant l’appréciation synthétique de l’état des dossiers a été développée. Qu’il s’agisse d’indice de dénonciation, de degré de judiciarisation, de normativité, de catastrophisme, de teneur en politique, … les propositions restent réalistes, explicitables et lisibles par des utilisateurs distants des cadres épistémiques du système. Ainsi la pertinence de l’élaboration mensuelle d’un « tableau de bord » indépendant des jeux de requêtes plus spécifiques compilant ces indicateurs a été évoquée tout au long de la convention, sans aboutir pour le moment à une formalisation définitive108.

Revisitant et adaptant des points fréquemment examinés dans les analyses de corpus ou relevant de la sociologie pragmatique des dossiers complexes, la plupart des indicateurs retenus renvoient à la question du degré d’état critique ou de mobilisation suscité par un dossier déterminé dans la période considérée. On trouve par exemple des indices purement quantitatifs mesurant la productivité textuelle de la période allant du simple calcul du nombre de textes à un indice d’intensité pondérée (une période peut être intense, pleine, creuse ou silencieuse). On trouve encore des informations sur la structure du corpus, comme les types de supports (presse, rapport, déclaration, article scientifique, etc.) ou les auteurs qui dominent la période. La mise à plat des entités listées dans les cadres sémantiques de l’observatoire et impliquées dans une période ou un corpus donné est également souvent instructive, c’est le cas pour la liste des agences engagées, la mention de grands précédents, le degré de déploiement de la collection des pays, la présence d’associations, de collectifs et de mouvements militants, ou encore la référence 108 Voir à ce sujet la note intermédiaire de décembre 2008, p. 73-77.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 130

Page 131: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

notable à des victimes et/ou aux enfants. Le système peut également prendre en compte les variations à apporter à ces cadres, et détecter par exemple les nouveaux objets d’alertes ou le nombre et le poids d’éléments d’un concept apparaissant à une période donnée mais pas dans le reste du corpus. Des renseignements plus complexes sont également disponibles, comme l’indice de dénonciation qui analyse et pondère l’ensemble des marques de dénonciation/accusation/critique radicale, l’indice de politisation qui synthétise les analyses des catégories « Sociologie politique » et « classe de personnages politiques », l’indice de logique judiciaire qui prend en compte la présence d’acteurs et de procédures judiciaires. Enfin, il est envisagé de construire un indice qui mesurerait les interférences entre les dossiers en repérant les mentions importantes d’un ou plusieurs autres dossiers de la collection de corpus de l’observatoire.

Chronique en remontant n jours en arrière

En parallèle à cette réflexion autour de l’usage d’indices synthétiques, un questionnaire automatique a été mis au point pour produire des rapports réguliers destinés à faire le point sur un dossier. Il suffit de lancer la requête suivante : « compose une chronique en remontant n jours en arrière » (où n correspond au nombre de jours passés que souhaite examiner l’utilisateur)109.

Parmi les autres projets dont on a discuté, il y a la fusion éventuelle de la chronique hebdomadaire élaborée à partir d’une sélection de dépêches, avec les documents de différents corpus suivis par les uns et les autres. On ne s’est pas encore engagés dans cette voie, mais en théorie, il suffit de mettre en place un script de ramassage qui permette au chroniqueur de traiter d’un coup l’ensemble des sources de la semaine. Des tests ont été effectués à partir du corpus « Alertes varia » (voir supra) qui contient des articles divers concernant des objets d’alerte qui n’ont pas donné lieu à la création de corpus spécifiques (par exemple la pollution atmosphérique, les légionelloses, le méthane, les nuisances sonores, le saturnisme, la rouille noire, etc.). Si l’on met en place cette procédure, les membres de l’agence seront sollicités pour déposer des documents.

109 Il faut garder en mémoire que le suivi des corpus n’est pas réalisé comme un dossier de presse et qu’il dépend tant de la production textuelle des acteurs que de la logique d’enquête dans laquelle se trouvent les chercheurs… Il est ainsi possible que sur certains corpus, le système indique qu’il n’y a aucun nouveau document au cours de la période précédente …et qu’il n’y ait là rien d’anormal.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 131

Page 132: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Marlowe : Bonjour […]

Dionysos: compose une chronique de ce dossier en remontant 30 jours en arrière

Marlowe : J'ai bien noté 30 jours ! Ce qui me fait remonter jusqu'au 24/ 1/2011

29 24/ 1/2011 Wimax: Le Supap-FSU soutient les habitants du Finistère Supap-FSU et Robin des toits : WIMAX@ technologie Wi-Fi@ Collectif Finistère Opinion/Communication Modes-de-Dénonciation Modes de protestation

29 24/ 1/2011 Antenne relais : les riverains s'organisent en collectif L'Union : LES-COMMUNES@ antenne Antennes-relais@ implantation RIVERAINS@ Modes de protestation Logique de réseau Relations familiales

[…]

7 16/ 2/2011 L'indétermination du risque provoqué par la présence d'antenne relais ne constitue pas un trouble anormal de voisinage Environnement Online : Antennes-relais@ risque@ Cour CA Cass jurisprudence Concepts et notions juridiques Logique judiciaire Relations-personnelles

7 16/ 2/2011 On va connaître les effets du portable sur les jeunes Le Parisien : ENFANTS@ LE-CANCER@ cerveau Téléphonie-mobile@ ondes Relations familiales Déploiement de conséquences Rhétorique scientifique

Dionysos: Le mieux est d'examiner ce qui émerge dans la dernière période du corpus

Marlowe : Je propose d'examiner la dernière période du volume de textes, qui va du 7/ 2/2011 au 16/ 2/2011 avec un total de 23 discours. Les auteurs de cette période sont, en allant du haut vers le bas :

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 132

Page 133: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Priaterm@_et_APE@, L'Union, Ouest-France, La Dépêche, Next-up.org, Metro, Le Télégramme de Brest, Le Post, […] Voici les acteurs principaux engagés dans l'ensemble de cette période :  Antennes-relais@, exposition, ETAT-CENTRAL@, Orange, RIVERAINS@, LES-COMMUNES@, antenne, CEM@, Téléphonie-mobile@, expérimentation, ondes, Santé@, risque@, ASSOCIATIONS@, Priartem@, OPERATEURS@, mesures, ENFANTS@, abaissement, GRENELLE-ONDES@, dossier, Auzits, REPRESENTANTS@, antennes, MANIF@, phase, étude@, LE-CANCER@, […] Les personnes les plus impliquées sont :  Kosciusko-Morizet, Le Calvez, Micheau, Couvreur Remarquez que la catégorie la plus importante de cette période, Logique de seuil, n'est pas la même que celle qui domine le volume de textes, Déploiement de conséquences, ce qui témoigne d'une orientation potentiellement nouvelle . Quelques énoncés significatifs :  Priartém et Agir pour l'Environnement attendent donc de la ministre, non plus une écoute passive, mais une action qui doit désormais passer par la fixation d’un seuil réglementaire d’exposition aux ondes des antennes relais respectueux de la santé des populations. Auteur : Priaterm@_et_APE@ Date : 07/02/2011

Figure 34. extrait de la chronique du 23 février 2011

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 133

Page 134: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Quand Marlowe peut proposer d’ouvrir un nouveau corpus …

Le dispositif de suivi des alertes et des controverses repose depuis le début de la convention sur deux types de séries documentaires. D’une part les grands corpus qui donnent lieu à des investigations poussées, et d’autre part des séries plus ouvertes mais aussi plus légères en termes de documentation, permettant d’attraper des textes évoquant la problématique santé-environnementale dans l’espace politico-médiatique. Le corpus intitulé « Alertes varia » permet par exemple de saisir et de suivre toute sorte d’objets d’alerte allant des parasols mal fixés sur les plages jusqu’au retour de dossiers déjà fortement constitués dans le passé (plomb, dioxine, formaldéhyde, pollution de l’air, canicule, …). En gros l’idée est de couvrir le spectre des entités, des milieux et des activités qui, à un moment ou un autre, tombent sous la catégorie santé-environnement.

Parmi ces objets, certains rendent manifeste un changement de configuration qui en toute logique devrait les transformer en dossier majeur pour l’observatoire. Pour tenter de formaliser quelque peu, le repérage et la mise en place d’outils de description de ces dossiers ascendants, on a expérimenté un premier modèle, déposé dans les scripts du logiciel Marlowe. Ce modèle repose sur un ensemble de critères qui ont été testés sur le fil « Alertes varia ». Au premier semestre 2009, le modèle proposait deux dossiers ou fils qui méritaient un suivi poussé : H1N1, qui émergeait d’un coup le 24 avril 2009, en se détachant clairement de H5N1 ; le bisphénol A, qui donnait lieu à différents épisodes critiques en France au printemps 2009, après être monté graduellement depuis le printemps 2008.

Enquêteur – Quel dossier pourrait-on ouvrir sur le fil santé-environnement ?

Marlowe – J’ai regardé les thèmes émergents et ascendants du corpus « alertes varia » et j’ai relevé 2 dossiers : H1N1@, BISPHENOL-A@.

Enquêteur – Explique comment tu as fait.

Marlowe – H1N1@ nombre de textes 7 sur une durée de 3 jours ; score total 50 ; nombre d’auteurs : 5 ; nombre de traits critiques : 2 ; nombre de traits d’alerte : 59 ; nombre d’énoncés avec prophétie de malheur : 2 ; nombre de porteurs typiques identifiés : 11BISPHENOL-A@ nombre de textes 15 sur une durée de 376 jours ; score total 213 ; nombre d’auteurs : 8 ; nombre de traits critiques : 62 ;

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 134

Page 135: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

nombre de traits d’alerte : 61 ; nombre d’énoncés avec prophétie de malheur : 1 ; nombre de porteurs typiques identifiés : 15

Une série de règles modélisent de manière robuste le repérage de ces dossiers émergents et/ou ascendants : le retour d’un thème à différents moments d’une série temporelle rendant manifeste l’organisation sociale d’un objet d’alerte ou de controverse, ou son émergence fulgurante au point qu’elle se fixe dans l’actualité pour un temps déterminé (contrainte 1) ; la connexion du dossier avec des figures critiques ou des marques de prophétie de malheur (contrainte 2) ; la présence dans les nœuds principaux du réseau d’entités porteuses d’alerte ou de controverses : agences, acteurs critiques, journalistes spécialisés (contrainte 3) ; la diversification rapide ou graduelle des auteurs et des supports qui déploient le thème (contrainte 4).

Le fait que ce premier modèle ait ramené les deux grands dossiers précédents ne peut suffire à sa validation définitive. D’une part, il va falloir tester la robustesse des contraintes dans la durée tout en faisant varier les corpus et d’autre part, le réglage des catégories et des éléments qui sont sous-jacents aux critères de sélection sont eux-mêmes potentiellement évolutifs.

C’est pourquoi nous proposons la piste suivante pour la suite de nos recherches : 1. finir l’automatisation de la construction du corpus « Alertes varia » (une des

pistes actuellement envisagées serait l’utilisation par Tirésias des API des agrégateurs en ligne du type de Google ou Yahoo) ;

2. revoir de manière critique les appuis sémantiques utilisés par les filtres du système (définition de prophétie de malheur, des porteurs typiques des objets d’alerte, etc) ;

3. chercher un point d’équilibre optimal entre des traits génériques qui risquent de ramener beaucoup de dossier et des traits spécifiques qui sont à redéfinir pour chaque dossier ;

4. une fois consolidé ce modèle de veille, orienté vers l’enrichissement de l’observatoire, charger Marlowe de déposer un avis argumenté sur le site Marloweb.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 135

Page 136: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 136

Page 137: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Chapitre VUne sociologie en accompagnement

de l’agence

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 137

Page 138: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 138

Page 139: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Au-delà de l’analyse des dossiers au travers des notes d’étape, l’observatoire a également donné lieu à la production de rapports de synthèse circonstanciés. C’est le cas en particulier de la contribution insérée dans le rapport d’expertise collective de l’AFSSET rendu public en octobre 2009 sur les risques sanitaires de la téléphonie mobile110. En mars 2011, une autre intervention a porté sur les conditions d’émergence de la contestation des procédés non-conventionnels (hydraulic fracturing ou fracking) d’extraction des gaz de schiste.

Renvoyant aux points précédents pour la description des dossiers sur les ondes électromagnétiques et les gaz de schiste, nous revenons dans ce chapitre sur quatre autres contributions marquantes de l’observatoire sociologique. En premier lieu, nous rappelons les modalités de l’expérience de formation menée dans le cadre des échanges de l’AFSSET avec le réseau 21 en septembre et octobre 2009. Le point suivant restitue les principaux enseignements de l’enquête menée à Washington (DC) en septembre et octobre 2010. On passe ensuite à l’analyse transversale du thème des conflits d’intérêts dans la collection de corpus (février 2011) pour finir par un point de vue synthétique sur l’enquête concernant la problématique des faibles doses (décembre 2010 – avril 2011).

La formation Risques sanitaires environnementaux : de l'alerte à la crise politique

La convention AFSSET/GSPR prévoyant l’organisation d’un atelier-séminaire expérimental, une formation continue a été proposée conjointement par le GSPR, les cercles de formation de l’EHESS et l’AFSSET111. Principalement à destination des cadres des agences sanitaires, elle a regroupé une vingtaine de participants issus de l’IVS, de l’AFSSET, du Ministère de l’agriculture, de la DRASS, de l’IRSN ou encore du CSTB, mais également d’institution de recherche comme le CEMAGREF ou du monde de l’entreprise de conseil comme C&S Conseil. Mise en place par Francis Chateauraynaud et Josquin Debaz du GSPR et Matthieu Fintz de l’AFSSET, assistés de Marina Zuccon des cercles de formation de l’EHESS et d’Aymeric Luneau pour les

110 Francis Chateauraynaud, Josquin Debaz et Christopher Marlowe, Associations et medias dans la reconfiguration de la controverse publique autour des ondes électromagnétiques, contribution de l’observatoire socio-informatique des alertes et des controverses dans le cadre des travaux du Groupe de Travail de l’Afsset sur la téléphonie mobile, GSPR – EHESS, 12 juillet 2009.111 Pour un compte rendu exhaustif de cette formation, voir l’annexe spécifique de la note de janvier 2010.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 139

Page 140: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

aspects pratiques, cette formation a également été nourrie de présentations d’intervenants de premier ordre dans leur domaine :

- Alain Michel Ceretti ex-président de l’association Le Lien, il est conseiller santé auprès du Médiateur de la République et œuvre pour la prise en charge du risque des maladies nosocomiales ;

- Eric Godard, chargé de mission interministériel et interrégional auprès des préfets de Guadeloupe et de Martinique au sujet du chlordécone ;

- François Moutou, docteur vétérinaire et épidémiologiste à l’AFSSA (désormais ANSES), ancien membre du comité Dormont, il est aussi responsable bénévole d'associations naturalistes dont la Société française pour l'étude et la protection des mammifères (SFEPM) ;

- Annie Sugier, Spécialiste de la radioprotection à l’Institut de la radioprotection et de la sûreté nucléaire (IRSN), membre du conseil scientifique de l’Office parlementaire des choix scientifiques et techniques

- Didier Torny, sociologue à l’INRA, membre de l’équipe RiTME, ses travaux portent sur la production normative publique et privée d’inspiration sanitaire ;

- Jean-Michel Fourniau, directeur de recherche au département économie et sociologie des transports de l’Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (désormais IFSTTAR).

La formation s’est déroulée suivant trois journées de deux sessions entre septembre et octobre 2009. Une première journée, le 11 septembre 2009, avec deux sessions :

- De l’alerte à la crise : problématique générale. Systèmes de veille et processus d’alerte. Une présentation du séminaire et des notions clés du champ, par F. Chateauraynaud, M. Fintz et J. Debaz.

- De la plainte individuelle à l’action collective. Avec en particulier la prise en charge des maladies nosocomiales comme exemple de l’alerte réussie, témoignage de A.M. Ceretti.

Une deuxième journée, le 2 octobre 2009 : - Controverses scientifiques et querelles d’expertise. Session présentant un

cadrage sociologique autour de l’expertise et des controverses avec le témoignage de F. Moutou sur son expérience au sein du comité Dormont lors de la crise de la vache folle.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 140

Page 141: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

- Débats publics et formes de concertation. Plus particulièrement présentée par J.-M. Fourniau, cette session a été illustrée par Annie Sugier et le cas du débat CPDP sur l’EPR de Flamanville.

Enfin, une troisième journée, le 23 octobre 2009 : - Production des normes et activités réglementaires. Session présentant la

problématique des normes, avec le cadrage sociologique de D. Torny et la présentation du cas du chlordécone par E. Godard.

- La dernière demi-journée a été plus particulièrement consacrée à un double débriefing, d’une part par les organisateurs en forme de bilan des trois journées, de l’autre par les participants sous la forme d’un échange de questions/réponses visant à recueillir leur évaluation sur le fond et la forme de cette formation expérimentale.

En termes de prise de parole, un des enjeux de cet atelier était aussi de tester le type de discussion que des professionnels de la veille et de la crise sanitaire pouvaient développer. Il s’est avéré que la parole a été assez peu distribuée. Au-delà de l’effet classique de l’effet de « leader d’expression » (cf. les comptes rendus en annexe), la densité des dossiers présentés et leur maîtrise notamment par les invités a eu tendance à inhiber la discussion, à l’exception de la première demi-journée où la sociologie a volontairement été exposée à la discussion critique avec le thème de la perception du risque et la demi-journée de bilan où on a pu enregistrer les réactions des participants au contenu des sessions.

Les demandes exprimées vont dans plusieurs directions. D’une part, il est apparu comme extrêmement bénéfique aux participants de disposer d’un temps pour reprendre des dossiers avec du recul pour en tirer de réelles leçons, la succession ininterrompue des problématiques conduisant à passer trop vite sur certaines crises sans en prendre jamais l’exacte mesure. Dans cet ordre d’idée il est également apparu la nécessité d’organiser autrement la mémoire des agences, de mieux articuler l’accumulation des dossiers par les experts eux-mêmes et les archives institutionnelles. De nombreuses situations problématiques sont d’un commun accord liées à un oubli de processus passés trop vite recouverts par l’accumulation des flux d’information au quotidien. D’autre part, on a vu se formuler une demande de croisements plus pointus des analyses et des expertises de spécialistes de disciplines différentes, interactions devant permettre la construction d’outils d’aide à la

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 141

Page 142: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

production d’avis en situation d’incertitude. Plus classiquement, les échanges ont fait apparaître une demande de certification des savoir-faire liés aux expériences en agences ou organismes d’expertise, expériences assez peu reconnues en tant que telles, puisque le succès dans le traitement des alertes et des crises revient généralement à d’autres acteurs ayant porté le dossier (tantôt les ONG, les medias, les juges ou le gouvernement) : on attribue rarement aux agences, et encore moins à leurs agents, la réussite d’un processus.

D’un point de vue plus formel, le caractère expérimental de cette formation a attiré un double public, il en découle donc un dédoublement des attentes. Si le dispositif devait être développé, il conviendrait de découpler ces aspects. En proposant par exemple, d’un côté un séminaire de mise en discussion des apports de la sociologie des alertes et des relations entre SHS et expertise des risques, et de l’autre une formation professionnelle plus typique, présentant un répertoire d’outils allant de l’appropriation de dossiers multi-points de vue112 à la maîtrise de la communication publique en situation de crise.

112 Zacklad, M., Cahier J-C., Bénel A., Zaher H., Lejeune, C., Zhou, C. (2008). « Intelligence qualitative dans la gestion de risque : rôle de la documentarisation et des Systèmes d’Organisation des Connaissances », in Actes de la conférence IC 2008 : 19èmes Journées Francophones d’Ingénierie des Connaissances, 18 au 20 juin 2008, Nancy.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 142

Page 143: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Enquête de terrain à Washington

Une campagne d’entretiens et d’études de terrain a été réalisée du 24 septembre au 7 octobre 2010, à Washington DC, à Arlington et à Covington (Virginie), dans le milieu des experts officiels, associatifs et des lobbyistes de la sphère santé-environnement, en activité ou retirés. Ce travail de terrain a déjà donné lieu à la rédaction de deux billets dans le carnet de recherche Socio-informatique et argumentation : « Lost in Arlington … La co-construction d’un terrain et d’un corpus, lors d’une enquête dans les milieux d’expertise à Washington »113 et « Washington connections : Experts et contre-experts à Capitol Hill »114.

La socio-informatique a pour caractéristique de les faire travailler de concert les recherches de terrain et l’utilisation d’outils d’ « analyse textuelle ». Il s’agit alors de prendre appui sur un corpus formé en préparation du terrain, puis de le faire évoluer comme archive dynamique de l’enquête, changeant radicalement d’aspect au fil des interactions. L’introduction de dispositifs comme Prospéro dans la dynamique entre global et local, entre propriétés distribuées et caractéristiques situées, n’ajoute pas seulement une dimension computationnelle – en permettant l’accumulation réflexive des sources d’information et leur insertion dans un même espace de confrontation : elle contribue à redéfinir les modes d’accès aux informations et la nature des relations avec les acteurs. C’est pour le moins un bel objet de réflexivité pour le développement des méthodes empiriques des sciences sociales à l’ère de l’internet !115

Le corpus de cette enquête est composé afin de donner une large variation argumentative autour d’études, de rapports ou de décisions impliquant les agences de régulation des risques sanitaires. A partir, entre autres, d’un stock de textes publics de l’EPA (US Environmental Protection Agency), de la FDA (Food and Drug Administration), du EWG (Environmental Working Group), de la revue Environmental Health Perspectives, du site alternatif Alternet, du New York Times et du Washington Post, une première représentation de l’espace de controverses et de conflits potentiels étendait la vision depuis le milieu des années 1980 à partir de textes critiques sur le génie génétique ou différents rapports d’agences internationales sur l’environnement jusqu’au événements et des débats contemporains(autour du changement climatique, des conséquences de l’accident de Deep Water Horizon, du 113 http: //socioargu.hypotheses.org/1533.114 http: //socioargu.hypotheses.org/1622.115 Voir ce qu’en dit Daniel Cefaï dans L’engagement ethnographique, Paris, EHESS, 2010.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 143

Page 144: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Bisphénol A, du saumon transgénique, etc). A l’issue du terrain, la construction du corpus s’est étendue en suivant les indications de nos interlocuteurs et les réflexions nées des interactions avec eux, entre les enquêteurs et au cours de procédures de documentation sur les sites visités. Ainsi au fur et à mesure ont été intégré les textes de nouvelles entités comme l’Environmental Defense Fund ou le Natural Resources Defense Council, d’imposants rapports ainsi qu’un ouvrage apparemment décisif sur les tendances du « risk assessment » et les réformes en cours du fameux Toxic Substances Control Act (TSCA) 116. On voit ainsi que la possibilité d’opérer constamment des allers retours entre le corpus (raisonné), les sources du web (proliférantes et inépuisables) et les entretiens (nécessairement limités à des interlocuteurs ciblés), fournit un solide véhicule à l’enquête.

Une classe de thèmes intitulée RISK-ISSUES* a été spécialement construite pour explorer le corpus et aborder, avec un minimum de connaissance technique (prior technical knowledge), les entretiens. Ce qui frappait dès le départ dans l’accumulation de textes en provenance de supports très divers, c’était la place centrale des produits chimiques dans les controverses sanitaires et environnementales aux États-Unis. Il n’y a là rien de bien surprenant quand on connaît le domaine de l’évaluation et de la gestion des risques117, mais ce qui importe ici c’est que la collection produite au cours de la préparation de l’enquête et au fil des interactions avec des acteurs sur le terrain a pris un tour systématique, permettant d’envisager de multiples tests et comparaisons – surtout pour les applications futures. La distribution obtenue renvoie fortement à nos centres d’intérêts tels que formulés a priori lors de la première étape de la constitution du corpus : nous partions avec l’idée d’interroger systématiquement la place de toute une série d’objets qui non seulement font débat mais interagissent dans les arènes publiques européennes. C’est le cas du changement climatique, du nucléaire, des OGM, du Bisphénol A, des nanotechnologies, mais aussi des ondes électromagnétiques. Tous ces dossiers ont en commun d’être construits en Europe autour du principe de précaution et de vives querelles sur le statut de l’expertise. Ce que nous apprend le terrain, c’est qu’aux États-Unis les connexions entre tous ces dossiers sont beaucoup moins constituées, et que la régulation reste d’abord et essentiellement organisée à partir du risque chimique pour le consommateur et le

116 Committee on Improving Risk Analysis Approaches Used by the U.S. EPA, National Research Council, Science and Decisions: Advancing Risk Assessment, National Academies Press, 2009.117 Voir par exemple Sheila Jasanoff, « Relating Risk Assessment and Rick Management. Complete separation of the two processes is a misconception », EPA Journal, 1993, 19, 1, 35-37.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 144

Page 145: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

travailleur – et ce produit par produit. Lieu commun de la politique des risques américaine : il y a relativement peu de disputes ces dernières années autour de sujets conflictuels en Europe comme la radioactivité, les OGM, les nanotechnologies ou les ondes électromagnétiques, mais en revanche des batailles continues, engageant toute une série d’ONG118 et de lobbies119, autour des pesticides, des perturbateurs endocriniens, des additifs alimentaires, et de tous les composants chimiques (chemicals) présents dans l’environnement120.

Au cours des entretiens réalisés, la liste des objets d’alerte pertinents est développée de manière très sélective par nos interlocuteurs. Rien de plus normal puisqu’ils développent leurs récits et leurs arguments en fonction de leur point de vue. Mais ce qui est intéressant, c’est comment, en contexte, le type de circulation rendu possible par la construction du corpus perd de sa pertinence, voire fait l’objet de contestation de la part d’experts portés à sérier les problèmes et à douter de la possibilité de traiter de multiples sources de risques dans un même mouvement interprétatif, même si des outils et des standards de raisonnement sont disponibles. De ce point de vue, la mise en variation provoquée par la socio-informatique des controverses, qui laisse ouverte la liste de ce qu’il est légitime de rapprocher ou de dissocier, peut être remise en cause par l’expérience des acteurs interrogés, y compris des experts travaillant pour des ONG qui ont pour objectif de porter la critique environnementale. C’est là une friction du terrain qui enrichit considérablement le regard porté sur l’objet. Une des caractéristiques des récits et des arguments recueillis est ainsi de faire apparaître un souci de spécialisation et de focalisation sur des sources évaluables et mesurables. Cela n’empêche pas les mêmes personnes de reconnaître que l’objectivation du risque fondée sur la spécification des sources n’engendre pas directement de prise politique solide sur les processus de régulation121.

On peut donc à la fois revendiquer la scientificité de la démarche d’évaluation des risques et critiquer un mode de régulation livré à la « puissance des lobbies ». A ce propos, un des points d’achoppement de l’enquête est celui du statut épistémique des mélanges et des combinaisons de substances pour lesquels aucune méthodologie ne semble émerger alors même que des travaux officiels soulignent la nécessité d’un

118 http: //www.saferchemicals.org/about/who.html.119 http: //www.activistcash.com/index_organizations.cfm.120 Nena Baker, The Body Toxic: How the Hazardous Chemistry of Everyday Things Threatens Our Health and Well-being, North Point Press; First Edition edition, 2008.121 Sauf exception, comme dans le cas récent du Bisphénol A, très lié à la présence centrale des nouveau-nés dans la carte des expositions.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 145

Page 146: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

basculement de paradigme en matière de toxicologie122. Les experts américains, dans les agences comme dans les ONG, ne voient pas venir de changement de paradigme considérant que la prise en compte d’une pluralité de sources fait sortir des « bonnes pratiques » de la science. On voit bien en même temps que la prise en compte des « cocktails » de sources d’exposition est une option possible pour tout acteur motivé par une volonté de déplacement des cadres cognitifs et politiques – de la toxicologie en particulier123

La collection des organismes officiels d’expertise, intitulée ORGANISMES-AGENCES-D-EXPERTISE*, permet de suivre l’engagement des experts publics dans les controverses. Il en va de même de toutes les collections de noms propres invariants comme celles des personnages politiques, des pays, des villes, des événements marquants ou des sites de conflit (locaux amiantés, centrales nucléaires, régions sans OGM, parcs naturels, ou noms de gares desservies par une ligne ferroviaire124 …). Concernant les militants et les associations — NGO* dans le cas américain — l’intersection des collections anglophones et francophones compte peu d’éléments. On y retrouve bien sûr de grandes figures comme Greenpeace, Friends of the Earth ou encore WWF, mais la carte des associations engagées sur le front des alertes et des risques est radicalement différente dans les cadres nord-américains et européens.

On sait qu’il n’y a pas de correspondance évidente ou directe entre les grandes distinctions méthodologiques (ethnographie versus sociologie quantitative, entretiens qualitatifs versus analyse documentaire) et les dichotomies fondamentales forgées au cœur des joutes théoriques des sciences sociales (modèle micro ou situé versus approche macro ou globale, structure versus événement, etc.). Dans les scènes d’action ou lors des entretiens les moins directifs, les acteurs n’ont de cesse de produire des formes de totalisation ou de « monter en généralité » ; inversement, les analyses statistiques ou cartographiques font régulièrement surgir des singularités ou des localités. Si la question de l’articulation des différentes procédures empiriques avec la dimension historique des objets reste ouverte, l’entrée par les processus de transformation125, en faisant changer de régime d’enquête, déplace les termes du débat épistémologique. Selon Andreas Glaeser, pour dépasser les grandes

122 A. Kortenkamp, T Backhaus, et A. Faust, State of the Art Report on Mixture Toxicity, 22 décembre 2009, http: //ec.europa.eu/environment/chemicals/effects.htm123 Voir dans le cas français le travail du Réseau Environnement Santé animé par André Cicolella : http: //www.reseau-environnement-sante.fr/.124 Voir « Présentation des corpus du dossier LGV PACA », Portée de la concertation, 19 mars 2010, http://concertation.hypotheses.org/25.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 146

Page 147: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

dichotomies issues des débats de l’après seconde guerre mondiale, il faut concevoir le social comme un écheveau de processus hétérogènes :

Le problème bien connu avec la macrothéorisation, c’est qu’elle réifie des acteurs collectifs et des états collectifs, au lieu de les considérer dans le mouvement de leur constitution processuelle, comme le produit de l’interaction entre personnes réelles, en des lieux réels et à des moments réels. Bien sûr, la possibilité est toujours ouverte que ces processus soient, d’une part, unificateurs au point de transformer les personnes en membres interchangeables de collectifs, et, d’autre part qu’ils soient si stables qu’il apparaisse légitime de les traiter, par simplification, comme des entités. De telles entités macro pourraient bien être les effets de séquences coordonnées d’action-réaction, qui se combinent les unes avec les autres et finissent par se stabiliser. Cependant, ceci nécessite d’être plus démontré que présupposé.126

L’avantage du suivi des controverses et des conflits sur la longue durée est de remettre en histoire les entités et de regarder comment, dans chaque épreuve, elles surgissent ou s’entrechoquent, rebondissent ou se transforment. Il arrive aussi bien évidemment qu’elles disparaissent des scènes publiques, ne faisant plus que des apparitions sporadiques dans les récits et les arguments. Le fait d’entrer par les processus, saisis à la fois par les dispositifs publics, et par les points de vue d’acteurs particuliers, dans différentes localités, ne vide pas le raisonnement macro-sociologique de toute signification127. Bien au contraire : sur le terrain, les acteurs déploient les entités dans des configurations générales, en leur donnant parfois une grande portée interprétative. Est-ce que le recours à des artefacts interprétatifs comme les collections, et leur transposition sur des cartes de liens, ne conduit pas malgré tout à une nouvelle forme de réification ?128 Est-ce qu’on ne sort pas du programme pragmatique en abusant des graphes ou des graphiques ? Prolongeant une discussion entamée dans les premiers billets de ce carnet, on peut montrer que l’usage des graphes nécessite la mise en rapport continue des cartes de liens avec au moins deux autres procédures interprétatives : il est primordial, en effet, d’examiner

125 Voir Francis Chateauraynaud, Pragmatiques de la complexité : Modèles sociologiques pour l’analyse des processus de mobilisation, Projet d’enseignement et de recherche, EHESS, 2004.126 Andreas Glaeser, « An Ontology for the Ethnographic Analysis of Social Processes : Extending the Extended-Case Method », Social Analysis, Volume 49, Number 3, Winter 2005, pp. 16-45(30), traduit dans Daniel Cefaï (dir.), L’engagement ethnographique, op. cit. p. 239-272 ici 256.127 Dodier Nicolas, Baszanger Isabelle, « Totalisation et altérité dans l’enquête ethnographique », Revue française de sociologie, XXXVIII, 1997, pp. 37-66.128 Jack Goody, La raison graphique, Paris, Éditions de Minuit, 1979.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 147

Page 148: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

la nature des relations entre les entités et la manière dont ces mêmes entités sont engagées et qualifiées par les acteurs eux-mêmes, dans les textes ou dans les entretiens. Autrement dit, objectiver des liens ou des réseaux sans analyser leurs natures et leurs qualités à partir d’autres voies d’accès au matériel expose à une évidente perte de prise sociologique – risque auquel s’exposent les tentatives de cartographie automatisée des acteurs sur le web.Dans le cas qui nous intéresse ici, des collections d’acteurs aussi homogènes que celles des agences publiques ou des ONG spécialisées en environnement, recouvrent une (déjà) longue histoire. On peut en avoir une idée en regardant les dates d’entrée en lice des entités et en relevant les épreuves marquantes qui ont forgé les positions conquises dans l’espace politico-médiatique. Les objets de risques ne prennent sens qu’en rapport avec les acteurs qui les portent. Après avoir évoqué la différence entre l’Europe et les États-Unis sous l’angle des dossiers qui fâchent le plus – pour mémoire il s’agit des cinq dossiers qui ont le plus mobilisé en Europe, de l’amiante aux nanotechnologies, en passant par le nucléaire, les OGM et les ondes électromagnétiques — que peut-on dire des agences et des ONG ?

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 148

Page 149: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

La carte obtenue à partir de la collection des agences — ORGANISMES-AGENCES-D-EXPERTISE* — au sein du corpus s’organise, comme on pouvait s’y attendre, autour de l’EPA129. Le réseau se déploie sous forme de cercles concentriques : un premier groupe est constitué par les autres grandes agences publiques américaines (FDA, OSHA, NIOSH, NRC…), un deuxième cercle renvoie à des instances plus généralistes et/ou au niveau mondial, et un troisième à des organismes spécialisés en toxicologie ainsi qu’à d’autres liens plus spécifiques. Si la carte renvoie bien à l’idée d’un modèle distribué de l’expertise, on voit qu’il y a des points de passage obligés.

129 Sur l’histoire de l’EPA et de la régulation des risques aux États-Unis, voir les ouvrages pionniers de Sheila Jasanoff avec R. Brickman et T. Ilgen: Controlling Chemicals: The Politics of Regulation in Europe and the U.S., Ithaca, NY: Cornell University Press, 1985 ; mais également Risk Management and Political Culture, New York: Russell Sage Foundation, 1986.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 149

Figure 35. Carte des liens de la collection ORGANISMES-AGENCES-D-EXPERTISE* réduite au réseau de l'EPA

Page 150: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

En faisant la même opération sur la collection des ONG, on obtient une carte moins dense montrant à la fois la force des grandes ONG internationales (Amis de la Terre, Greenpeace, WWF) et la présence de groupes moins connus en Europe (Natural Ressources Defense Council, Environmental Working Group, Union of Concerned Scientists, Center for Food Safety, Beyond Pesticides, Clean Water Action, …).

L’Environmental Working Group (EWG) qui apparaissait à distance comme un des acteurs clés de la critique sanitaire et environnement — parce que fortement investi dans le champ de l’information et régulièrement repris par des médias alternatifs comme alternet, mais aussi le Washington Post — se révèle beaucoup plus dissocié dans le réseau des ONG qui portent les alertes et les controverses. Sur le terrain, ce sont les enquêteurs qui ont introduit la référence à ce groupe dans les entretiens, par contre, le Natural Resources Defense Council (NRDC) a été cité systématiquement

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 150

Figure 36. « The Green constellation in the US » : la carte des ONG extraites du corpus Alarms and controversies

Page 151: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

par tous nos interlocuteurs. De fait le NRDC apparaît plus central. Les membres du NRDC interviewés soulignent la capacité relativement faible de l’EWG en termes de production propre d’études scientifiques. Toutefois ses experts compilent de nombreuses études et se livrent à des analyses secondaires de rapports et d’avis. L’EWG est décrit comme un groupe qui joue avant tout sur l’espace médiatique.La lecture de la carte pose aussi la question de l’interpénétration des réseaux canadiens, états-uniens et européens : on peut sans doute y lire un effet régional. Si l’on retourne au corpus, on observe ainsi que sur 34 documents dans lesquels figure Greenpeace, 21 contiennent aussi l’Europe; sur les 55 textes se référant à EWG, 7 sont liés à l’Europe ; quant au NRDC, sur 30 documents, 5 se réfèrent à la situation européenne. Par contre, la connexion est évidemment très forte entre Washington DC et EWG, tout en étant quasiment nulle avec Greenpeace130.

Ces cartes de liens n’indiquent pas la nature des relations tissées entre les nœuds du réseau. L’acteur qui semble le plus aux prises avec l’EPA est, si l’on en croit les structures de Prospéro, l’Environmental Working Group, groupe qui, on l’a vu, en dépit de son intense activité médiatique n’occupe pas une place centrale dans la carte des ONG. Une analyse au travers d’une classe de formules permettant de visualiser les relations entre des classes d’objets comme les collections montre une forte confrontation entre EWG et EPA. Si l’agence est centrale dans sa carte de référence, l’ONG est nettement plus détachée dans la sienne. La structure des relations entre EWG et EPA prend la forme d’une relation d’ordre : le groupe exerce une pression continue sur l’agence fédérale. Celle-ci est tenue légalement de répondre aux questions, ce qui permet à la relation de perdurer, et de temps en temps, de voir surgir des formules comme « EWG applauds X » comme dans « EWG applauds the committee for its dedicated work on toxic chemicals policy reform » !131

Dans les entretiens, on peut retrouver de multiples séquences concernant les relations entre les différents acteurs visualisés plus haut. On peut commencer par la manière dont un(e) expert(e) du NRDC décrit le travail de mise en discussion des avis de l’EPA :

NRDC1- A lot of the work that we do, which is not so high profile, is [...] in the area of risk assessment. So we actually review a lot of the technical analyses of key chemicals and we comment on the government’s approach [...] and they are required by law to respond to our comments. If we don’t like what

130 La seule référence se trouve dans la bibliographie d’un texte de 1994, The Database of Known Hazardous Waste Exports from OECD to Non-OECD Countries.131 Environmental Working Group, « EWG’s Ken Cook Testifies On House Bill to Reform Chemicals Law », 29 juillet 2010.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 151

Page 152: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

they do, many times, we can sue them for not being able to protect human health … so we have quite a specialty actually in the details of risk assessment, and very often, one of the problems is in how they have evaluated childhood exposure and childhood susceptibility [...] and we submit all of the details to EPA or to FDA, and then we reach out in doing blogs or in doing a press release, or whatever, and then the point we’ll make about what the problem is, is the point about children because that’s something that everybody understands [...] and really nobody can name more than about twelve chemicals! 132

Outre la présentation du travail de contre-expertise comme un investissement cognitif des détails visant la quête de prise sur les dispositifs a priori peu accessibles, on note la manière dont le chaînage narratif conduit vers la figure de la protection des enfants, dont on sait par ailleurs, qu’ils sont des leviers considérables pour le succès d’une alerte sanitaire.

132 Un expert des questions sanitaires et environnementales du NRDC, Washington DC, 29 septembre 2010.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 152

Page 153: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Dans l’extrait suivant, il s’agit surtout d’une opération de comparaison, suscitée par l’enquêteur, entre les méthodes du NRDC et celles de l’EWG :

Q – Maybe this question is not correct but what is the relation between your work, just to be sure we see the difference, and the work developed by a group like Environmental Working Group? Because at a distance, through the websites, we see toxic, environmental health, media, problems with EPA, so… at a distance it seems to be the same but I think that it’s not the case.

NRDC1 – Yah … there is only … Environmental Working Group is one of the big groups working on toxics. The biggest difference between us is that they really go for the big reports and so to the big public education and press, so they make the splash, this is the big deal, but they don’t file lawsuits, they don’t file technical comments. Here, we can go to the implementation details, so they are very good at producing broad elements for press, but here we have scientists and lawyers with, you know, a very implementation focused and they are more exposition focused than we are … but all groups working on toxics in Washington collaborate, I mean … I guess we are competitors in some ways for funding and for membership but we collaborate in the most ways, and we have over hatching an organization called the “green group”, and they meet regularly [...] and they coordinate what are the biggest missions for the year [...], it’s not to say that’s always easy but there is a structure for that and for the most part there is a very well-functioning collaboration… and the industry is ten thousands bigger so we must work together … and each group has something like a specialty to deal with, and so everybody is doing their own stuff best. The different groups work on different chemicals, a lot of times work on just specific aspects. One would be in the science, one would be in media, one would be doing the lobbying in Capitol Hill … so it’s not too bad in terms of collaboration…133

Le démarquage entre les deux groupes est établi par référence à la profondeur du travail de contre-expertise : dans un cas, il s’agit de réagir à des avis et des rapports publics en lançant des opérations critiques dans l’espace médiatique ; dans l’autre de plonger dans les détails des dispositifs de preuve et de s’en servir pour faire pression sur les agences, avec à la clé le recours à des actions légales, lesquelles contribuent à la réputation du groupe. On note que la référence au lobbying est placée en homologue du travail avec les médias ou de l’expertise scientifique, le « pragmatisme » qu’ils revendiquent se retrouvant chez d’autres groupes. C’est le

133 Le même expert à la même date.Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 153

Page 154: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

cas par exemple de l’Environmental Defense Fund qui développe de multiples partenariats en défendant la nécessité de collaboration entre les industries, les agences et les ONG. Le « pragmatisme » produit ainsi une zone grise régulièrement dénoncée par des acteurs plus radicaux.

Au-delà des éléments de contenu, ces différentes opérations de prise d’information illustrent la manière d’intégrer les outils dans la démarche d’enquête. L’interprétation ne peut que bénéficier d’une navigation continue entre l’exploration du ou des corpus et l’analyse des entretiens. Il importe en tout cas de ne pas s’en tenir à une seule forme de raisonnement et de représentation des matériaux traités, et de faire varier au maximum les modalités d’accès et de recoupement. Aucun algorithme, aucun artefact, aucune lecture univoque ne peut assurer une prise solide sur un dossier. L’usage des cartes de liens, la production de tableaux ou l’exposition de fragments narratifs ou argumentatifs (verbatim) doivent se plier à cette simple injonction : enrichir au maximum la compréhension de l’objet et poursuivre inlassablement sa construction à travers les outils.

C’est en outre au cours de cette enquête que nous avons croisé pour la première fois la thématique des extractions de gaz de schiste, plusieurs mois avant qu’elle ne soit évoquée dans les médias français et bien avant sa montée fulgurante dans l’agenda politique. Nos interlocuteurs nous avaient pourtant avertis de l’ampleur du phénomène :

There is an emerging movement right now, that’s happening right now […] the short word is fracking. Did you know this word fracking? It’s gonna be huge! It’s hydraulic fracturing, how you get oil out of shale rock under the ground. You put chemicals and then you put a charge and you explode the all thing and then you suck the oil out of the ground, but you also suck all the chemicals in the water and it’s a mess and they’re doing this all over the US. And citizens have finally […] under exposures to endocrine disruptors and these chemicals […] because many people […] much of it happen in rural areas where people drink water from wells […] this is the issues from environmental justice and from toxic exposures is now finding so quickly under their website …134

Cette enquête américaine gagnera à être enrichie à la fois par d’autres investigations outre-Atlantique mais surtout des enquêtes intra-européennes auprès des acteurs institutionnels et associatifs mobilisés autour des principaux objets de risques.134 Un spécialiste des études de science dans le champ santé environnement, Virginia Tech University

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 154

Page 155: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 155

Page 156: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Un point sur les conflits d’intérêts

Croisant divers scandales politiques, dont l’inénarrable affaire Bettencourt, le cas du Médiator sorti fin 2010 a remis au centre des débats médiatiques la question des conflits d’intérêts dans l’expertise sanitaire135. Cette question n’est pas nouvelle et a traversé peu ou prou tous les champs d’expertise depuis le début des années 1990.

Une première formulation de la question des conflits d’intérêts en France se fait au cours des années 1990 à travers deux thématiques : la transparence et l’indépendance de l’expertise, qui forment depuis longtemps des appuis critiques pour les militants et les ONG136. Aux États-Unis, depuis le fameux Bayh–Dole Act (University and Small Business Patent Procedures Act) de 1980 relatif aux problèmes d’indépendance de la recherche et de propriété intellectuelle, les questions de transparence des liens d’intérêts sont au cœur des dispositifs de régulation ; ce qui n’empêche pas de multiples conflits entre diffusion et protection des données et des résultats des études137.

La critique de l’expertise relève d’une histoire longue et prend un tournant décisif avec la remise en cause frontale des monopoles professionnels en matière de santé puis d’environnement à partir des années 1970. La critique, qui va crescendo dans les années 60-70, vise les dispositifs de savoir-pouvoir (Foucault) ou les techniques de domination (Bourdieu), et voit l’expertise comme un mode d’imposition de légitimité. Les experts y sont vus comme producteurs d’un système normatif via une procéduralisation et une technicisation de champs d’activités qui portent à négliger l’expérience directe d’acteurs aux prises avec les dispositifs et les milieux – ce qui va engendrer une revendication d’« expertise citoyenne »138. En France, l’expertise scientifique entre en crise ouvertement avec les alertes et les affaires sanitaires et environnementales des années 1990. En guise de contrefeu, une mission parlementaire propose en 1998 la création d’une agence de sécurité 135 Francis Chateauraynaud, Josquin Debaz et Christopher Marlowe, « Les conflits d’intérêt dans les dossiers sanitaires et environnementaux », rapport pour l’ANSES, 14 février 2011 ; Francis Chateauraynaud et Josquin Debaz, « Entre lobbying et déontologie : histoires de conflits d’intérêts », Socio-informatique et argumentation, 5 avril 2011, http://socioargu.hypotheses.org/2358.136 André Cicolella et Dorothée Benoît-Browaeys, Alertes Santé. Experts et citoyens face aux intérêts privés, Fayard, 2005.137 Sur les liens entre expertise et politique voir Mark B. Brown, Science in democracy, MIT 2009.138 F. Chateauraynaud, « Les mobiles de l’expertise », Revue Experts, mars 2008.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 156

Page 157: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

environnementale, ce qui donnera naissance à l’AFSSE puis à l’AFSSET, aujourd’hui fondue avec l’AFSSA dans l’ANSES. Le rapport de cette mission dénonce de nombreux dysfonctionnements dans la prévention des risques :

Les dispositifs législatifs dont disposent les pouvoirs publics sont jugés « insuffisants ». Faiblesse de la recherche fondamentale et appliquée, manque de prise en compte de domaines comme la toxicologie, l’épidémiologie ou l’écologie microbienne, démarches cloisonnées… les insuffisances de la recherche sont béantes. [...] Les structures chargées de l’expertise ne sont pas épargnées : manque d’indépendance des chercheurs de l’Institut national de recherche sur la sécurité (INRS) par rapport aux industriels, moyens trop limités de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), multiplicité d’organes concurrents… ici encore, les carences sont nombreuses. La fonction de veille sanitaire est, quant à elle, « fractionnée » entre une dizaine d’établissements ne disposant pas de méthodes de mesures communes. Enfin, les députés dénoncent « une absence de vision globale des enjeux et un manque d’impulsion forte », avec un système de santé encore trop centré sur le curatif.139

La diversité des organismes capables de produire des expertises se double d’une limitation de leur indépendance et de leur domaine d’intervention, de sorte que ce sont souvent les mêmes experts qui travaillent tour à tour pour des missions aux intérêts divergents, ce qui les rend vulnérables aux actions d’influence et de lobbying – modalités d’emprise peu ou pas assumées comme telles dans une configuration marquée par un État revendiquant le monopole de l’objectivité. Une douzaine d’années après, en 2010, la critique des effets du lobbying sur les systèmes d’expertise est plus forte que jamais :

« Le lobbying, les conflits d’intérêt, le manque d’indépendance de l’expertise mettent en danger notre santé et celle de la planète » [selon] des responsables associatifs et politiques lors d’un séminaire à l’Assemblée nationale, le 21 septembre dernier.140

Confrontées à des crises et des polémiques à répétition, les autorités ont remis sur l’agenda un projet de déontologie générale de l’expertise. Or la mise en place d’une « haute autorité de protection de l’alerte et de l’expertise » est demandée par différents acteurs depuis le Grenelle de l’environnement. Deux rapports, l’un remis au Président de la République par Corinne Lepage, Droit à l’information 139 Le Monde, 25 janvier 1998.140 L. Delahaye, « Le lobbying accusé de mettre l’humanité en danger », ddmagazine.com, 22 septembre 2010.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 157

Page 158: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

environnementale (janvier 2008) et l’autre à l’Office Parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques, par Christine Blandin, Risques chimiques au quotidien : éthers de glycol et polluants de l’air intérieur. Quelle expertise pour notre santé ? (janvier 2008) s’inscrivent dans la vague créée par le processus de concertation du Grenelle. Le Groupe de travail V avait en effet considéré l’expertise comme un thème prioritaire. Suite à la remise du rapport de la commission Lepage, un colloque est organisé en mars 2008, au Sénat. Intitulé : « Lanceurs d’alerte et système d’expertise : vers une législation exemplaire en 2008 ? », il réunissait des parlementaires (Marie-Christine Blandin et Corinne Lepage), des chercheurs militants (Jacques Testart et André Cicolella), des avocats (Bernard Fau et Jean-Paul Teissonnière), des juristes comme Marie-Angèle Hermitte et Christine Noiville. L’originalité de ce colloque tenait surtout à la participation de personnes venues témoigner des pressions subies lors de leurs prises de parole, et en particulier Pierre Méneton (affaire du sel dans l’alimentation), Etienne Cendrier (porte-parole de Robin des Toits, intervenant sur les risques liés aux antennes-relais de téléphonie mobile), Véronique Lapidès (Collectif Vigilance Franklin mobilisé autour de la friche de l’usine Kodak à Vincennes) ou encore Christian Vélot (chercheur à Orsay, défendant son droit à produire une « information citoyenne » sur les OGM). Au-delà des lanceurs d’alerte, la question de l’indépendance de l’expertise et partant, de l’évaluation des risques, est au cœur des débats.

En ce début d’année 2011, le rapport Sauvé, rédigé en urgence, Pour une nouvelle déontologie de la vie publique (janvier 2011), n’aborde la question de l’expertise qu’au milieu d’un ensemble très vaste de problèmes liés aux représentants et aux agents de l’État, et aux professionnels qui leur apportent leur concours. On ne relève d’ailleurs qu’une dizaine d’occurrences de l’ensemble « expertise – expert – experts » dans le document mis en ligne. Le rapporteur rappelle qu’en santé publique, l’enjeu principal est de prévenir les conflits d’intérêts sans pour autant « entraver l’indispensable recours à l’expertise ». L’article L. 1451-1 du code de la santé publique, prévoit ainsi que :

Les membres des commissions et conseils siégeant auprès des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, à l’occasion de leur nomination ou de leur entrée en fonction, adressent à ces ministres « une déclaration mentionnant leurs liens directs ou indirects avec les entreprises, établissements ou organismes dont les dossiers pourraient être soumis à l’instance dans laquelle ils siègent, ainsi qu’avec les sociétés ou organismes de conseil intervenant dans ces secteurs. Cette déclaration est rendue publique et est actualisée à leur initiative dès qu’une modification intervient concernant ces liens ou que de nouveaux liens sont noués

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 158

Page 159: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

En soi, la mention ou la déclaration préalable d’intérêts ou de liens n’est pas nouvelle, mais le dispositif de contrôle et de publicité appelle une révision. En étudiant les différents corpus, on constate que la question des conflits d’intérêts apparaît dans de multiples configurations. Il y a d’abord l’amiante dont le scandale qui se développe en 1995 et 1996, s’est focalisé sur le Comité Permanent Amiante, qui apparaît après coup comme une pure structure de lobbying visant à retarder la découverte des dégâts occasionnés par les fibres d’amiante. Dans le nucléaire, la critique du « lobby nucléaire » est écrasante et se trouve particulièrement intensifiée par l’affaire du nuage de Tchernobyl dont on mesure encore les effets aujourd’hui. La fin des années 1990 voit s’opérer une refonte des organismes d’expertise en radioprotection, avec la création de l’IRSN, organisme qui réunit les compétences de l’OPRI et de l’IPSN longtemps séparées, et qui est supposé prendre son autonomie vis-à-vis du CEA. Le dossier des OGM n’est évidemment pas en reste avec la mise en cause répétée des liens d’intérêts entre les experts européens et les firmes agrobiotechnologiques. Moins connu, le dossier des éthers de glycol a fait jurisprudence à travers l’affaire opposant André Cicolella à l’INRS au sujet du droit de la recherche (le corpus fait apparaître un pic de présence de « conflit d’intérêts » en mai 2001). Le Bisphénol A donne lieu également à toute une série de joutes relatives à l’indépendance de l’expertise fin 2009, en impliquant à la fois l’AFSSA et l’EFSA. Enfin, la gestion de l’alerte mondiale suscitée par la propagation du virus A-H1N1s’est soldée par un nouvel épisode critique concernant les experts et les conflits d’intérêts141. L’affaire du Médiator survient donc après une longue série de précédents.

Une série de requêtes ont ainsi été transmises au logiciel Marlowe, qui a retourné des rapports détaillés sur chacun des dossiers en cause. Sans restituer ici la totalité des résultats, on peut examiner un certain nombre de figures permettant de caractériser un ensemble de relations d’influence ou de dépendance dont doivent s’affranchir les acteurs pour permettre une clôture apaisée des controverses et des conflits – ce qui est évidemment rarement atteint malgré la procéduralisation du monde de l’expertise142. Retenons pour le présent billet trois cas de figure : la téléphonie mobile, les OGM et les nanoparticules.

141 « Grippe A : une expertise grippée, selon le Réseau environnement santé et la Fondation sciences citoyennes », communiqué de presse du 4 novembre 2009.142 O. Leclerc, Le juge et l’expert – Contribution à l’étude des rapports entre le droit et la science, Paris, LGDJ, 2005.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 159

Page 160: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Dans le dossier des ondes électromagnétiques, la polémique sur les liens entre experts et industriels est particulièrement prégnante. Au plus haut niveau, l’harmonisation par l’OMS des normes réglementaires d’émission a suscité une importante mise en cause de cette institution ainsi que de l’ICNIRP (Commission internationale pour la protection contre les rayonnements non ionisants). L’accusation visait notamment Michael Repacholi, maître d’œuvre de l’opération (membre influent de l’ICNIRP et administrateur du projet international de l’OMS sur les champs électromagnétiques). Etienne Cendrier, porte-parole de l’association Robin des toits, concentre ainsi son attaque sur l’indépendance de l’expertise :

Les déclarations fréquemment contradictoires de l’OMS en la matière ont entaché la crédibilité de cette respectable organisation. De plus, Michael Repacholi, un des anciens responsables de la Commission chargée de l’électromagnétisme, est connu pour avoir travaillé avec les industriels. C’est pourquoi il a été contraint de dire devant une commission d’enquête que les normes d’exposition du public avaient été définies par des accords avec l’industrie et non en fonction des données scientifiques. Enfin, lorsqu’on se souvient que l’OMS a reconnu avoir été longuement abusée par les lobbies du tabac et de l’amiante, l’on comprend pourquoi les avis de l’OMS sont on ne peut plus… mobiles. 143

On relève au passage l’appui sur les précédents du tabac et de l’amiante. Étienne Cendrier reprend en partie des informations portées par la revue Microwave News pour laquelle Repacholi fait figure de « grand négateur » et qui l’accuse d’être directement financé par les industriels à hauteur de plusieurs centaines de milliers de dollars. Opposé à toute tentative de diminution des expositions aux champs électromagnétiques, il aurait également, selon les auteurs de la revue, tenté de nier les impacts de Tchernobyl en déclarant « the worst effects of the Chernobyl nuclear accident are mental health problems brought on by too much worry ».

En France, l’AFSSET a été visée par des critiques concernant des conflits d’intérêts. La dénonciation épinglait les experts des groupes de travail constitués autour des avis sur la téléphonie mobile de 2003 et 2005, dont un certain nombre avait déjà participé au « rapport Zmirou » de 2001. Si Denis Zmirou a constitué une cible privilégiée pour les associations, deux autres experts ont également concentré leurs attaques : René de Sèze et Bernard Veyret qui « s’obstinent à occulter les conséquences sanitaires de la téléphonie mobile ! Leur omniprésence dans les

143 Étienne Cendrier, Et si la téléphonie mobile devenait un scandale sanitaire ?, Paris, Éditions du Rocher, Grenelle de l’environnement, 2008.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 160

Page 161: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

organismes décisionnels ne favorise pas l’impartialité de l’analyse. »144. L’avis de l’AFSSE de 2003 est au cœur du débat. Une partie des auteurs du rapport ayant participé en décembre 2002 à un « publi-reportage » de l’hebdomadaire Impact Médecine commandé par un opérateur de téléphonie mobile à mi-chemin entre le citron et le pamplemousse, leur indépendance est fortement remise en question :

« Tous ces rapports ont été réalisés par la même équipe d’experts qui ont toujours le même avis et travaillent de près ou de loin pour les opérateurs », déplore Étienne Cendrier, coordinateur de Priartem. « Or, ils ne peuvent être à la fois juge et partie ». Selon nos informations, la quasi-totalité des fonds investis dans ces « études scientifiques » sont d’origine privée, et les mécènes numéro un sont soit les opérateurs, soit les fabricants de téléphone. L’Afsse ne fait, par exemple, que recompiler les résultats d’études déjà publiés ; résultats d’études en majorité sponsorisées par les industriels.145

La démarche de l’AFSSE a alors été jugé sévèrement par une enquête de l’IGAS/IGE en 2005 dont les conclusions regrettent « la faiblesse juridique qui a prévalu à la nomination des experts », et a suscité de fortes réactions publiques de la part d’André Aschieri (un des « fondateurs » de l’agence), Denis Zmirou (alors directeur scientifique) et Guy Paillotin (alors président). Le problème du lien nécessaire entre recherche appliquée et expertise légitime dépasse les frontières de l’agence et a donné lieu à la création de la Fondation Santé Radiofréquence, dont le budget agrégeait financements privés et publics, fondation à laquelle participaient des associations à travers la mise en place d’un comité de dialogue, avec néanmoins quelques réticences146, et dont les missions ont été redéployées en 2010 dans l’AFSSET et depuis l’ANSES.

Toutefois, la critique des liens d’intérêt s’est également retournée contre des experts soutenus par les associations. Ainsi, une des principales instigatrices du rapport Bioinitiative, Cindy Sage, a été mise en cause pour son implication dans l’entreprise Sage & Associates spécialisée dans les dispositifs de protection aux ondes électromagnétiques.

144 PRIARTéM et Agir pour l’Environnement, « Lettre ouverte aux Présidents de l’ART et de l’INERIS », 30 janvier 2003.145 « Santé et téléphonie mobile: un rapport officiel qui tourne au vinaigre », ZDNET, 17 avril 2003.146 PRIARTéM et Agir pour l’Environnement, « La thèse de l’innocuité des champs électromagnétiques de la téléphonie mobile une nouvelle fois battue en brèche ! », Communiqué de presse, 15 mars 2007.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 161

Page 162: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Enfin, des chercheurs suisses ont comparé les résultats des études sur les effets sanitaires des ondes en fonction de l’origine de leur financement147. L’article indique que les études exclusivement financées par les industriels avaient moins tendance à montrer des résultats statistiquement significatifs. Néanmoins ce qui frappe le plus est la difficulté qu’ont eu les auteurs à connaître la source de financement des études et donc d’y voir d’éventuels conflits d’intérêts. Ceci pose particulièrement problème puisque ces conflits doivent être explicités dans les expertises officielles qui se basent sur ces mêmes articles. Aussi, il semblait être tout indiqué de recommander d’imposer la mention du financement de l’étude sur chaque article qui en découle, de manière à en clarifier la lecture.

On trouve plusieurs mentions des conflits d’intérêts dans le corpus OGM. Le premier usage explicite et lié à la problématique de l’indépendance des experts figure dans un article signé par Hervé Kempf en 1999 :

Dans le cadre de l’Union européenne, les décisions des comités d’experts sont ainsi censées s’imposer aux États membres dans le cas de la « vache folle » ou dans celui des OGM ; de même, l’Organisation mondiale du commerce place au cœur de sa procédure de règlement des différends entre pays la référence à des « preuves scientifiques ». Or la tendance des systèmes politiques à « se couvrir » en reportant les décisions sur des comités d’experts s’est accélérée alors même que la validité de ces comités est de moins en moins assurée. La première raison, triviale mais certes non négligeable, de cette mise en question est le fait que de plus en plus d’experts sont en « conflit d’intérêts » – c’est-à-dire qu’ils se trouvent, par des contrats de recherche avec des entreprises privées ou par des positions dans celles-ci, à la fois juges et parties. Il est par exemple difficile d’être objectif à l’égard des OGM quand on a partie liée avec Aventis. Cette situation n’est pas seulement imputable à une dérive morale des scientifiques, mais aussi à la pression qu’ils subissent pour exercer leur recherche dans ou avec le privé148.

C’est de nouveau l’emprise des firmes sur des pans entiers de la recherche, ici en biotechnologie, qui est visé par la critique. La présence des industriels, qui connaissent nécessairement les dossiers en tant que « pétitionnaires » lors de la demande d’autorisation d’OGM, est justifiée par les instances d’expertise selon le

147 Huss et al, “Source of Funding and Results of Studies of Health Effects of Mobile Phone Use: Systematic Review of Experimental Studies”, Environmental Health Perspectives, 115, 1 January 2007.148 Hervé Kempf, « La vache et le politique », Le Monde, 20 décembre 1999.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 162

Page 163: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

schème classique de la légitimité du détenteur de savoir nécessaire à servir l’analyse technique des dossiers. Le modèle d’objectivité qu’ils défendent s’oppose à celui des tenants de l’autonomie et de l’indépendance de l’expertise scientifique : là où la diversité des points de vue est supposée garante d’objectivité, d’autres, comme Yves Cochet des Verts font valoir la figure de la reproductibilité sous contrainte de réfutabilité, qui serait la seule voie pour une expertise objective :

La coordination des députés Attac de l’Assemblée nationale jette le doute sur l’objectivité de deux rapports publiés en décembre 2002 par l’Académie des sciences, d’une part, et les Académies de médecine et de pharmacie, d’autre part. Yves Cochet, député de Paris et ancien ministre de l’Environnement, Geneviève Perrin-Gaillard (Deux-Sèvres), Jean-Claude Lefort (Val de Marne) et Chantal Robin Rodrigo, (Hautes-Pyrénées), réclament une « commission d’enquête relative aux conflits d’intérêt ayant présidé à la rédaction des rapports des Académies ». Ils dénoncent les liens de certains des auteurs avec l’industrie agroalimentaire. « [...] Nous cherchons à savoir si l’objectivité scientifique a été respectée, certains rapporteurs étant impliqués dans l’industrie biotechnologique. » Roland Douce, animateur du groupe de travail de l’Académie des sciences, professeur à l’université Joseph-Fourier de Grenoble : « Ce rapport n’a été l’objet d’aucune pression des industriels ou des politiques. Le groupe de travail a été constitué de chercheurs blanchis sous le harnais auxquels nous avons joint, à la demande de l’académie, deux personnalités du monde industriel. Voilà ce que l’on nous reproche. » 149

Dans le dossier des OGM, le nombre de références aux conflits d’intérêts ne cesse d’augmenter entre 2004 et 2008. Le groupe OGM du Grenelle de l’environnement y consacre plusieurs blocs argumentatifs dans son compte rendu, un accord s’étant formé sur l’importance de « la question du conflit d’intérêt », qui doit être « tranchée au préalable », les «déclarations de conflit d’intérêt soient publiées ». Cette question est, en poids relatif, beaucoup plus présente dans la dernière période du dossier des OGM (année 2010) que dans l’ensemble des périodes précédentes. Cela indique la présence de normes de régulation plus fortement activées que par le passé où seuls les rapports de forces semblaient compter … Les conflits d’intérêts font partie des chevaux de bataille privilégiés par la CRIIGEN animée par Corinne Lepage :

Le CRIIGEN dénonce les avis précédents de l’EFSA, de l’AFSSA et de la CGB, comités européen et français de sécurité des aliments, qui se sont prononcés sur l’absence de risques sur ces tests de 90 jours seulement, pour lesquels ils

149 « Les scientifiques soupçonnés de conflit d’intérêt contre-attaquent », Le Figaro, 6 février 2003.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 163

Page 164: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

n’ont pas analysé eux-mêmes dans le détail les statistiques. Le CRIIGEN souligne à présent le conflit d’intérêt et l’incompétence de ces comités pour contre expertiser la présente publication ; parce qu’ils se sont déjà prononcés positivement sur les mêmes tests en négligeant les effets secondaires. 150

Le front constitué par les anti-OGM n’ayant cessé de s’élargir au fil des années 2000, chaque dossier spécifique visant un OGM donné réactive l’épreuve de force et de légitimité dans laquelle tombe (quasi) systématiquement l’expertise des risques :

Depuis l’autorisation du MON 810 de 1998 aucune autorisation de mise en culture n’avait été délivrée… La commission Barroso II, à peine investie, vient de donner un message fort : les autorisations de mise en culture et d’importations recommencent, malgré les luttes et les fortes oppositions de ces dernières années, venant autant des états membres et des régions, que des citoyens, paysans ou consommateurs. La Confédération Paysanne dénonce cette régression : cette pomme de terre n’est pas nécessaire ! D’autres pommes de terre existent, non modifiées génétiquement, et qui ont une haute teneur en amidon. La Confédération Paysanne remet en cause l’indépendance de l’Agence Européenne de sécurité des Aliments : dans la tourmente des conflits d’intérêts cette agence ne peut être légitime pour répondre sur la dangerosité des OGM. 151

On trouve également une trace intéressante dans les avis du Comité Scientifique du Haut Conseil des biotechnologies qui incarne la nouvelle gouvernance des biotechnologies. La mention de présence ou d’absence de conflit d’intérêt figure dans les avis. Par exemple :

Les membres du Comité scientifique qui ont un conflit d’intérêt avec ce dossier (Olivier Le Gall et Pascal Simonet) n’ont contribué ni à l’élaboration ni à la rédaction de cet avis. 152

La politique nationale sur les nanotechnologies s’exprime dans une optique d’application rapide des avancées de la recherche et de l’innovation au domaine industriel. La question de la nature des liens entre recherche et application se pose

150 CRIIGEN, « Effets de 3 OGM sur la santé des mammifères », 4 janvier 2010.151 Confédération Paysanne, « Autorisation de la pomme de terre OGM Amflora : La commission européenne préfère BASF à la santé, à l’environnement et aux droits des paysans ! », 3 mars 2010.152 Comité scientifique du Haut Conseil des Biotechnologies, « Avis sur le dossier B/FR/09.11.01 », 15 mars 2010.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 164

Page 165: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

donc dès l’amont, avant même que ne soient réalisées la plupart des promesses des nanotechnologies153. Aussi, dans le cadre de ses « recommandations sur les nanotechnologies », le Comité d’éthique du CNRS publiait le 16 octobre 2006 deux points en rapport avec les conflits d’intérêts :

6a. Mettre en place des procédures pour le repérage et l’arbitrage des conflits d’intérêts dans les relations avec l’industrie ;

6b. Assurer la transparence des sources de financement et, si possible, des résultats dans les projets conjoints conduits entre le CNRS et l’industrie.

Pour des acteurs critiques comme PMO, il ne s’agit évidemment que d’un effet de communication sans réelle portée, et au contraire « si les opposants avaient des doutes sur la pertinence de leur contestation, cette foire aux recommandations devrait les rassurer »154. Il s’avère en tous cas que le poids des intérêts économiques des nanotechnologies ne peut être écarté rapidement :

Le problème posé actuellement par les nanomatériaux est identique à celui des OGM : les intérêts à court terme des industriels passent avant la protection des citoyens et de l’environnement. Et donc, on commercialise avant d’avoir fait les études de sécurité indispensables.155

Le point de vue environnemental n’est pas le seul à appeler une transparence des relations recherche/industrie, les modalités juridico-commerciales sont également en cause :

Un projet de normalisation internationale des nanotechnologies est en cours depuis 2005. L’objectif est de créer un cadre pour prévenir les risques sanitaires et environnementaux, mais aussi de favoriser l’innovation en limitant l’insécurité juridique. Au cœur de conflits d’intérêt et freinés par des lacunes scientifiques, ces travaux ne devraient pas aboutir avant plusieurs années.156

En outre, la mise à mal de la consultation publique de 2009, a mis en exergue que le flou ne profite pas à une discussion apaisée autour des enjeux de la thématique. Sortant de son rôle habituel de porteur neutre du débat, la CNDP a été mise dans le rôle d’un introuvable porteur de projet : 153 Voir B. Laurent, Les politiques des nanotechnologies, Paris, Ed C. L. Mayer, 2010.154 PMO, « Nanotechnologies : et maintenant, le tsunami de la communication », 17 octobre 2006.155 Attac France, Les citoyens face aux nanotechnologies, 31 mars 2009.156 « Nanotechnologies: un travail de définition à haut risque », Journal de l’Environnement, 20 avril 2010.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 165

Page 166: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Dans tous les débats publics qu’organise la CNDP, le maître d’ouvrage ou le gouvernement est représenté à chaque réunion publique. […] Pourquoi n’en est-il pas de même pour le débat sur la régulation des nanotechnologies ? Est-ce un choix de l’État ou de la commission particulière du débat public ? Qui sera le haut responsable qui pourra, au nom du gouvernement qui a saisi la CNDP pour organiser ce débat, en tirer les premiers enseignements le 23 février à Paris ? Aurons-nous une interview filmée de M. Borloo, comme à l’ouverture du débat à Strasbourg, ou bien un haut responsable ayant pris sur son temps pour écouter ce qu’avait à dire le public au fil des réunions ?157

La CNDP répond à cette question en indiquant que « l’État ne présente pas un projet soumis au débat, mais un état des lieux des nanotechnologies ; c’est l’objet du dossier du débat qu’il a rédigé. Il se met dans une attitude d’écoute et souhaite que le débat soit ouvert à l’expression de tous les points de vue ». Pourtant la suite de la réponse replonge le lecteur dans une confusion des rôles : « Mais c’est à la CPDP qu’il reviendra de présenter la synthèse de ce qu’elle retient du débat, synthèse qui sera la trame du compte-rendu qu’elle rédigera à l’issue du débat ». Cette configuration est assez exceptionnelle puisque tout se passe comme si les industriels du secteur avaient déserté l’espace de confrontation, ce qui pose de manière aiguë la question du modèle de développement qui sous-tend la politique des nanotechnologies. Pour le dire de manière un peu abrupte, le sentiment qui domine est que face aux incertitudes radicales liées à l’avenir des nanotechnologies, la plupart des acteurs anticipent les dispositifs de responsabilité en laissant les instances officielles prendre la place des porteurs de projet158.

La prédominance d’une même figure critique est manifeste : elle dénonce le conflit d’intérêts comme un assujettissement de la recherche et/ou de l’expertise aux intérêts industriels par le biais d’une dépendance financière. Pourtant, l’analyse transversale des configurations critiques, croisée avec les entretiens menés dans plusieurs secteurs (autour des OGM, des nanotechnologies ou encore de la toxicologie) montre que plusieurs figures sont en jeu et qu’un bon dispositif de régulation doit prendre en compte cette pluralité pour éviter de nouveaux effets pervers. En effet, une fois écartés les liens d’implication financière, les relations de dépendance interpersonnelles ou familiales, ainsi que les effets de réputation, il reste d’autres vecteurs d’emprise générateurs de conflits d’intérêts, lesquels n’ont pas 157 Question de Jean-Michel Fourniau le 12 décembre 2009, question à la CPDP sur le site http: //www.debatpublic-nano.org/.158 Il est notable de ce point de vue que les sciences sociales soient intensément mobilisées pour configurer l’espace « d’acceptabilité » des nanotechnologies.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 166

Page 167: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

nécessairement l’intérêt financier comme mobile : les liens hiérarchiques et institutionnels, l’emprise de doctrines ou de mouvements de pensée, la défense de réseaux professionnels conduisant à « placer » dans les comités – en amont des procédures d’appels d’offre – des collègues enclins à soutenir des orientations, sans qu’apparaisse nécessairement un dispositif d’intéressement pleinement explicité159.

L’ensemble des figures observées conduit à formuler les enjeux sous la forme d’un dilemme entre deux grandes options :

- d’un côté, on préconise la création d’instances de contrôle et de financement indépendants (voie qui pourrait prochainement prendre forme au sommet de l’État) – ce modèle supposant une séparation de l’expertise et de l’activité, en éloignant donc l’expert de sa définition traditionnelle : celui qui maîtrise le domaine par l’expérience ;

- de l’autre côté, on vise l’amélioration des procédures d’explicitation des intérêts, procédures jugées incomplètes mais réadaptables – selon des standards déjà établis — ce qui repose au contraire sur l’idée d’une inséparabilité des compétences et des pratiques dans les milieux d’activité industrielle.

Si les controverses et les conflits suscités par la « société du risque » engagent des différends sur les dangers et les menaces concernant les personnes et les choses, la légitimité des experts – et des contre-experts – forme un des axes majeurs de la critique. Aucun dispositif d’évaluation ne peut dès lors se prémunir définitivement contre les jeux d’influence et de persuasion, constamment renouvelés, et donc potentiellement toujours dénonçables, auxquels se livrent continûment des acteurs marqués par un agir tactique ou stratégique.

159 Le degré d’explicitation dépend évidemment de la qualité des dispositifs auxquels sont soumises les procédures d’évaluation scientifique, voir par exemple B.C. Martinson, M.S. Anderson & R. de Vries, “Scientists behaving badly”, Nature 435, 2005: 737–738, selon ces auteurs, un chercheur sur trois avouait des comportements plus ou moins graves : données falsifiées, conflit d’intérêt non déclaré, plagiat, omission de certains résultats, etc.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 167

Page 168: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

L’enquête faibles doses

Un module de la convention ANSES/GSPR (2008-2011) prévoyait la mise en place d’un forum d’experts visant la mise en discussion des liens entre recherche et expertise au regard des standards de l’évaluation des risques. L’idée était d’examiner à la fois les objets de controverse et les modalités d’une discussion entre spécialistes.

Un premier projet a été présenté au Conseil scientifique de l’AFSSET au printemps 2010. La visée de ce projet consistait à impliquer dans un « forum d’experts » les personnels scientifiques de l’agence, les membres des comités d'experts spécialisés et des groupes de travail, voire d’autres personnels scientifiques des instituts et organismes composant le réseau des agences de sécurité sanitaire à cette époque. Une base documentaire de départ compilait une série de cas ou de prises de positions dans les revues scientifiques engageant la question des faibles doses : le cas du nucléaire, la controverse autour de l’atrazine aux États-Unis, la question des mélanges de substances…160 Suite aux remarques des membres du Conseil scientifique et en raison du manque de temps des cadres de l’agence, en dépit de leur intérêt pour le projet, ce dernier a été repris sous une forme plus classique. La seconde version du projet a ainsi donné lieu à une série d’entretiens menés auprès d’épidémiologistes, de toxicologues et de biologistes161.

La thématique des faibles doses est apparue suffisamment transversale pour embrasser un grand nombre de dossiers en matière de santé, d’environnement, de travail et d’alimentation. Pour certains auteurs et acteurs dans ces secteurs, l’incursion des faibles doses dans une multitude de dossiers fait figure d’un « changement de paradigme ». A travers le cas des faibles doses, il s’agit de mieux comprendre les points de désaccord et de rupture entre les protagonistes des controverses scientifiques. D’ailleurs, y-a-t-il une ou plusieurs controverses scientifiques autour des faibles doses ? A quoi les acteurs font-ils référence lorsqu’ils utilisent le langage du « paradigme » ? Les canaux de l’argumentation se réduisent-ils aux flux des publications supposées se répondre les unes aux autres ? Quel est le rôle du passage par les arènes publiques dans la formation et l’expression des

160 Francis Chateauraynaud, Josquin Debaz et Matthieu Fintz, Forum d’experts : autour des faibles doses, Rapport intermédiaire, AFSSET/GSPR, mai 2010.161 Francis Chateauraynaud, Josquin Debaz et Matthieu Fintz, La dose fait-elle toujours le poison ? Une analyse sociologique des mondes de la recherche et de l’expertise a l’épreuve des faibles doses, ANSES/GSPR, avril 2011.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 168

Page 169: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

différences d’opinion parmi les chercheurs ? Les cadres disciplinaires déterminent-ils en dernier ressort les différentes positions épistémiques ?

Au-delà du focus sur les cadres institutionnels de la recherche et les réseaux de l’expertise, cette thématique pose un certain nombre de questions qui n’ont pas été vues ou n’ont pas été entièrement résolues par les standards traditionnels de l’évaluation des risques :

- les relations gènes-environnement et la caractérisation des vulnérabilités ;- le rôle de l’épigénétique ou des effets transgénérationnels ;- la pertinence des modèles de doses par rapport aux courbes doses-réponses

non monotones, et des changements d’échelle dans les extrapolations- l’extrapolation des modèles expérimentaux de l’animal vers l’homme ;- la relation entre preuve toxicologique et preuve épidémiologique et, plus

largement, les différentes combinatoires de la preuve (parfois reprises sous le nom d’approche evidence-based) mobilisés par les acteurs ;

- la question des durées d’exposition ;- les mélanges de substances et la question lancinante des effets cocktails.

Concrètement, l’investigation repose sur une série d’entretiens individuels auprès d’experts de l’agence et de son environnement scientifique, menés par l’équipe du GSPR (Francis Chateauraynaud et Josquin Debaz) et un membre de l’ANSES (Matthieu Fintz). Quinze entretiens ont été planifiés de décembre 2010 à avril 2011. Dans la mesure du possible ils ont été menés par deux enquêteurs au moins.

Fonctions Enquêteurs

Endocrinologue, Université (Etats-Unis). FC/MFChimiste toxicologue et porte-parole d’une association de santé environnementale (France)

FC/JD

Epidémiologiste. Académie de Médecine (France) FC/MFPharmacologue. Université (France), Président d’un Comité d’Experts Spécialisé d’une agence sanitaire

MF

Toxicologue. Chef d’une unité de toxicologie dans une agence d’évaluation de risque (France)

JD/MF

Epidémiologiste. INSERM JD/MFMédecin de santé publique. Directeur scientifique d’une agence d’évaluation de risque (France)

JD/MF

Epidémiologiste, Institut privé de recherches sur le cancer (France) JD/MF

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 169

Page 170: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Toxicologue, INRA MFToxicologue, INRA FC/MF/JDEpidémiologiste, INSERM FC/MF/JDToxicologue, Université (Canada) JDEpidémiologiste, Université (Canada) FC/MFIngénieur, Directeur scientifique d’une agence d’évaluation de risque (France)

FC/JD

Epidémiologiste, INSERM MFFigure 37. Tableau des entretiens réalisés

Cette démarche exploratoire ne visait pas la construction d’un échantillonnage représentatif des positions et des prises de position dans une population d’experts déterminée. Elle répond à deux principes de sélection, sans doute discutables mais dont l’explicitation permet de rendre compte de l’univers socio-technique dans lequel ce travail évolue. Le premier principe consiste à rassembler des prises de position fortes dans des domaines qui ont pu être caractérisés (à tort ou à raison) comme ceux des « crises sanitaires ». Le second principe de sélection renvoie à la prise en compte des perturbateurs endocriniens. Les acteurs dans leur majorité, qu’ils alertent sur des effets adverses ou les contestent, reconnaissent que les perturbateurs endocriniens redéfinissent à la fois les manières dont on pense la toxicologie et l’architecture matérielle (stratégies de tests) par laquelle la toxicité est testée. La montée en puissance de la question des perturbateurs endocriniens dans les agences publiques ces dernières années crée un contexte favorable à l’expression d’un retour réflexif sur les attentes vis-à-vis de la recherche fondamentale mais aussi des formes de régulation de la recherche appliquée menée par ou avec les industriels.

Au-delà des controverses et des conflits d’expertise qui divisent, pour longtemps encore, les champs scientifiques et institutionnels, force est de constater que la nécessité de traiter les problèmes de manière plus large s’est installée dans le paysage de l’expertise sanitaire et environnementale. Comme pour la santé au travail, dont certains aspects sont passés de l’état d’expériences locales et subjectives à l’état d’instruments de mesure – comme le harcèlement, le stress ou le suicide au travail –, les systèmes experts finissent par incorporer dans leurs espaces de calcul l’expression publique des préoccupations des personnes et des groupes aux prises avec le monde sensible. L’introduction des problèmes endocrinologiques, des nouvelles relations entre toxicologie et épidémiologie, des mélanges de substances, des populations vulnérables, des fenêtres de sensibilité et de la durée des expositions

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 170

Page 171: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

correspondent à une « ré-endogénéisation » des alertes et des discussions publiques au cœur des pratiques et des dispositifs de la recherche et de l’évaluation des risques.

Dans ce contexte politique de l’expertise des risques, l’ensemble des points de controverse autour de la notion de faibles doses qu’on a exploré au cours de cette enquête fonctionne comme autant d’opérateurs de reconfiguration des rapports entre recherche fondamentale, évaluation des risques et gestion publique des vulnérabilités. Si les logiques des mobilisations sociales, de la transformation d’effets et du contexte de la régulation d’un nombre croissant de substances chimiques portent certains des acteurs des mondes de l’évaluation de risque et de la recherche à déceler une rupture dans les « paradigmes », le surgissement des faibles doses dans l’espace public de l’expertise sanitaire souligne dans tous les cas de nouvelles formes expérimentales, d’hypothèses et leur acceptation dont l’itération permet de suivre les rebondissements de la controverse des faibles doses.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 171

Page 172: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Conclusion

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 172

Page 173: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 173

Page 174: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Après quatre années de développement, quel bilan dresser des premiers pas de l’observatoire en santé environnement porté par la convention ANSES – GSPR ?

Tout d’abord, la construction d’une collection de corpus inédite, tant du fait de leur nombre et de leur variété, que de leur épaisseur historique, de la diversité des sources prises en compte et de leur mise à jour continue, s’est révélée féconde en fournissant un contrepoint aux veilles documentaires qui restent prisonnières de logiques de flux et dépourvues de cadres analytiques robustes. Malgré des avancées récentes sur des corpus anglophones, il est clair que l’état actuel de l’observatoire est limité par son aire linguistique. Il faudra à l’avenir suivre plus systématiquement les dossiers qui se déplacent dans des séries transnationales et/ou internationales.

Force est de constater, ensuite, la capacité de réaction du dispositif, l’ouverture et l’évolution rapides des corpus pour coller aux plus près de l’actualité des dossiers et des exigences de compréhension aussi bien des chercheurs que des experts de l’agence. Cependant, il reste encore à approfondir les sujets par des enquêtes de terrain, en explorant des archives peu ou pas publiques, ou en liant l’observatoire à d’autres travaux de recherche.

Le passage par des dossiers prototypiques (nucléaire, pesticides, téléphonie mobile, nanomatériaux) a permis la création de concepts et d’outils sémantiques transposables sur toute la série des corpus disponibles actuellement ou à venir. Les retours d’expérience de collaboration entre l’agence et le dispositif Marloweb montrent toutefois que des passerelles supplémentaires sont nécessaires entre logique d’expertise et logique de recherche pour mieux modéliser les trajectoires, les jeux d’acteurs et les régimes argumentatifs pertinents, et d’en faciliter l’appropriation par les groupes de travail de l’agence.

De plus, en contribuant à l’ouverture de l’expertise publique à la société l’observatoire alimente la discussion autour des risques émergents ou plus anciens. Il fournit ainsi de solides appuis pour créer un espace coopératif assurant des prises cognitives aux expertises collectives. Une des difficultés réside, malgré tout, dans les modalités d’accès aux instruments développés au sein de l’observatoire, qui conduisent assez naturellement à une relation « délégative », soit à des usages plutôt passifs. Une solution envisagée consiste en la création d’un comité d’utilisateurs permanents du dispositif, produisant eux-mêmes des scripts et des dépôts d’informations.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 174

Page 175: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Enfin, l’observatoire ancre des capacités de comparaison sur tout un ensemble de dossiers engendrant une capacité d’interprétation, dépassant les expertises individuelles. Une des limites de la forme actuelle du dispositif, lors des périodes trop denses, est la suspension fréquente de travail de modélisation et de travail algorithmique au profit de l’accumulation de dossiers et de leur analyse « en temps réel ». A ce propos, il est encore nécessaire de redistribuer les formes de prise de parole et d’écriture en jouant sur la diversité des supports et des publics. Mais peut-être faut-il parfois prendre plus de risques dans l’interprétation des dossiers en remontant aux enjeux politiques globaux ?

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 175

Page 176: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Sous les controverses, l’inéluctable retour du conflit   ?

Ces dernières années, le déplacement de l’analyse vers les causes internationales est une tendance lourde et constitue un des axes majeurs de la sociologie des mobilisations. Au-delà des grands récits sur la globalisation, une sociologie pragmatique des transformations peut aider à comprendre comment s’articulent ou s’affrontent, dans les milieux et les localités, les deux logiques à l’œuvre : celle d’une nouvelle économie politique des biens publics et celle de l’affirmation de valeurs ou de modes d’existence irréductibles.

Il est devenu banal de constater que la configuration créée en ce début de millénaire a produit une rupture complète avec la période antérieure – cette configuration passablement creuse des années 1980-1995 marquées par l’affaiblissement continu des luttes ouvrières comme référent majeur de la critique sociale. Quatre processus se sont croisés pour provoquer cette rupture, qui a changé complètement les modalités d’une sociologie des mobilisations et des controverses :

1. La montée de tensions d’un nouveau genre a rendu caduque la vision irénique des années qui ont suivi la chute du mur de Berlin, années au cours desquelles on parlait d’équité et de justice, d’intercompréhension et d’éthique à tout bout de champ : citant souvent le 11 septembre 2001, les acteurs parlent d’une nouvelle ère de violence, et même d’hyperviolence, un cycle ininterrompu de catastrophes et de crises, venant renforcer les visions noires suscitées par l’obsession du terrorisme.

2. Sur le fil de la santé, de l’environnement et des technologies, on assiste à un processus de globalisation des risques et à l’avènement d’un régime d’alerte globale, quasi permanente, fondée sur des standards internationaux et des réseaux d’experts transnationaux. Bien que marqué par des constitutions différentes, le climat et le risque de grippe pandémique (H5N1 puis H1N1) ont fourni une matrice pour de nombreux dossiers (voir la biodiversité d’un côté ; les maladies émergentes de l’autre). On observe en outre de plus en plus de recouvrements entre les enjeux de santé, d’environnement et de technologie, à la fois à travers les vulnérabilités rendues manifestes par les événements extrêmes (tsunami, tremblements de terre, ouragans et tempêtes, inondations, feux de forêt …) et sous l’effet d’une critique de plus en plus soutenue des expertises et des choix scientifiques et techniques (OGM, téléphonie mobile, nanotechnologies).

3. La transformation des cadres épistémiques de tous les domaines d’activité, à travers le web et la mise en circulation rapide de causes, d’expertises et de

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 176

Page 177: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

cadres interprétatifs, n’est plus à démontrer. Au-delà des questions de démocratie électronique et de gouvernance du Net, la toile est devenue incontournable dans la trajectoire des alertes, des controverses et des formes de protestation : les causes, les acteurs qui les portent et les arguments qu’ils soutiennent sont aujourd’hui dépendants de leurs modes d’existence sur le web.

4. Les mobilisations transnationales et les acteurs du mouvement altermondialiste ont, à ce jour, créé un front permanent depuis Seattle (1999), fournissant un cadre de référence à de multiples mouvements locaux, sans que l’espace politique institué ne parvienne à intégrer cette dynamique dans un contre-programme politique.

Dans cette configuration générale, parce qu’elles sont issues d’un long travail politique en amont qui les ont dotées d’une fonction d’universalisation, les causes environnementales servent d’appui dans une série indénombrables de scènes d’action et de jugement. Dans les échanges d’arguments et les jeux de forces, la question des inégalités environnementales est de plus en plus prégnante, ce qui accroît encore la tension entre régulation et conflit162. De fait, un des paradoxes auxquels doit faire face la sociologie des controverses en santé et environnement est lié à la tension croissante entre une pléthore de dispositifs de concertation et de modes de régulation d’un côté, et le développement de formes d’activisme et de critiques radicales de l’autre.

Dans la conclusion de son ouvrage sur l’écologie et le droit (1995), François Ost se livre à un mea culpa en observant que tout ce qu’il a écrit procède d’un point de vue particulier, celui de l’hémisphère Nord, « son environnement » et « ses générations à venir » : « ce n’est qu’incidemment qu’il a été question des populations du sud de la planète » alors qu’elles sont les « premières victimes de la dégradation de l’environnement ». Ironisant sur le fait que « notre civilisation hyperdéveloppée semble ‘avoir perdu le sud’ », il se demande s’il est encore possible de « croire à nos bonnes intentions à l’endroit du milieu et des générations futures si déjà fait défaut la solidarité, ou même simplement la conscience de l’interdépendance à l’égard des générations présentes »163. Depuis le milieu des années 1990, les mobilisations dans les pays du Sud n’ont cessé de se développer, à travers une dialectique subtile avec l’altermondialisme. De fait, aujourd’hui, une part importante du jeu des acteurs 162 D. N. Pellow, Resisting Global Toxics. Transnational Movements for Environmental Justice, Cambridge, MIT Press, 2007.163 François Ost, La nature hors la loi. L'écologie à l'épreuve du droit, Paris, Editions La Découverte, 1995, p. 338-339.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 177

Page 178: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

renvoie à ce qui s’est institué, de sommets en conventions internationales, sous la catégorie des « peuples autochtones ». Ces acteurs ne sont pas seulement des relais pour les ONG et autres éléments environnementalistes car ils modifient durablement la manière dont s’élaborent nos cosmologies, y compris dans la production du droit international.

Entre un modèle atomistique dans lequel les politiques de santé environnementale prennent appui sur des individus traités statistiquement et vis-à-vis desquels on interroge les sources d’exposition et les risques, et d’autre part des situations ou des groupes, des réseaux et des communautés (victimes, riverains, peuples autochtones, groupes affinitaires de pratiques, …), deux conceptions de la justice environnementale sont en jeu et à l’évidence portées par des positions différentes dans le champs politique. Dans un cas c’est la relation de délégations techniques via l’expertise qui est privilégiée, dans l’autre c’est la démocratie participative et une « épidémiologie distribuée et contextuelle ». Ce qui est une autre façon de parler de l’« épidémiologie populaire »164 ou de « mobilisation profane »165.

Les sociologies des risques capitalisent déjà plusieurs décennies de travaux qui ont montré que, dans un système politique où nombre de décisions sont « basées sur la science », la question de la portée des énoncés scientifiques prend de nouvelles dimensions. Portées par les « d’institutions » (les différentes agences par exemple), qui constituent autant de « pouvoirs », les décisions qui en découlent peuvent être soumises à des juridictions pour différents motifs comme l’« excès de pouvoir » ou encore le « conflit d’intérêt ». La question se pose alors de savoir à quelles conditions et selon quelles modalités de tels pouvoirs engendrent leurs contre-pouvoirs. Sur nos terrains, nombre d’éléments sont stabilisés en doctrine, ce qui ne veut pas dire qu’ils soient résolus en pratique. Ainsi, la question du « conflit d’intérêt », connue de longue date, resurgit à chaque crise et pour chaque institution (l’OMS avec le vaccin contre la grippe et le fonctionnement de l’AIEA sur la question de la radioprotection, l’AFSSAPS avec l’affaire du Mediator, l’AESE avec les OGM). De même, il faut compter avec les innovations institutionnelle (comme on l’a vu plus haut avec le HCB) qui doivent être appréhendées à partir de la diversité même des terrains : les toxiques dans l’environnement ; les stratégies d’adaptation liées aux politiques de lutte contre l’effet de serre, si l’on étend l’analyse des controverses et des crises à d’autres enjeux que les risques technologiques, comme les catastrophes naturelles.164 Phil Brown, Toxic Exposures: Contested Illnesses and the Environmental Health Movement, Columbia University Press, 2007.165 Madeleine Akrich, Yannick Barthe et Catherine Rémy, Sur la piste environnementale. Menaces sanitaires et mobilisations profanes, Paris, Presse des Mines, 2010.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 178

Page 179: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Le cadrage des problèmes publics en termes de risque n’est qu’une voie parmi d’autres empruntée par les acteurs166 : développement des formes d’expression et d’action démocratiques, politiques énergétiques, construction de valeurs et de biens universalisables, de droits et de devoirs dotés d’une certaine performativité sociale et politique. On sait que le risque n’est pas la catastrophe mais son anticipation et qu’il suppose un espace de calcul lequel n’est pas donné a priori mais doit être construit, dans la durée, à travers des processus collectifs dans lesquels entrent, au fur et à mesure, des acteurs et des milieux hétérogènes. C’est dans cet espace que peuvent s’introduire pouvoirs et contrepouvoirs, et se confronter des formes diverses de normativité167 : batailles de normes, comme on le voit dans le cas des nanotechnologies168, et plus largement par des normes à portée extraterritoriale ; oppositions sur les places respectives de la régulation et de la loi ; formes d’inter-normativité, entre science et droit ou entre droit basé sur la science et coutumes autochtones169 ; déplacements de pouvoirs et de légitimités vers les pays du Sud170.

Les objets étudiés, et les nouvelles procédures de gouvernement qu’ils rendent visibles, mettent en évidence la permanence des injustices, des inégalités et des vulnérabilités : entre pays, entre régions, entre quartiers, entre classes sociales, entre les âges. Tant sur le plan économique, éducatif, que sur les plans de la santé et de l’environnement, le plus souvent étroitement liés. Des éléments négligés ou passés au second plan, comme la fragilité particulière des personnes âgées dans les sociétés vieillissantes, peuvent être remis au centre du tableau, y compris dans des cas de figure marqués par l’innovation et le progrès scientifique et technique (nanobiotechnologies171, accès à l’énergie, distribution des ressources naturelles). Ce constat est fait, de manière séparée, par les spécialistes de la santé, de la pauvreté 166 U. Beck, World at Risk, Polity Press, 2009; Soraya Boudia et Nathalie Jas, « Risk and Risk Society in Historical Perspective », in Soraya Boudia et Nathalie Jas (dir), Risk Society in Historical Perspective, n° special d’History and Technology, décembre 2007, volume 23, numéro 4, pp. 317-333.167 M.-A. Hermitte, « La fondation d’une société par les crises et les risques », in Face au risque, Genève, ed. Médecine & Hygiène – Georg, 2007.168 Stéphanie Lacour, La régulation des nanotechnologies - Clair-obscur normatif, Paris, Larcier, 2010.169 Marie-Angèle Hermitte, « Souveraineté, peuples autochtones : le partage équitable des ressources et des connaissances », La bioéquité, numéro spécial Autrement, 2009.170 S. W. Hook, Comparative Foreign Policy: Adaptation Strategies of the Great and Emerging Powers, Prentice Hall, 2001.171 B. Bensaude-Vincent, Les vertiges de la technoscience : Façonner le monde atome par atome, Paris, La Découverte, 2009

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 179

Page 180: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

ou encore les travaux sur la « justice environnementale » qui traverse de plus en plus les milieux académiques, surtout américains, les ONG et les institutions internationales172. Se croisent ainsi des terrains marqués par des enjeux environnementaux et des crises qui ont produit des précédents marquants servant d’appui aux plaintes et revendications et contribuant à la formation de dispositifs qui redéfinissent les cadres de l’action et du jugement.

La production d’une cause fondée sur un principe de justice contraint les acteurs à redéfinir les relations entre différentes échelles d’action et de jugement. Fixer des échelles et des hiérarchies pertinentes, comme le recommandent Dominique Bourg et Kerry Whiteside dans leur projet de démocratie écologique173, n’est sans doute pas suffisant174. Il reste à comprendre comment ce qui se passe dans des milieux en interaction175 parvient à surgir sur des scènes nationales ou internationales et à atteindre une portée, sinon universelle du moins assez forte pour bousculer des jeux d’acteurs et d’institutions transnationaux, et réciproquement comment des principes, des normes et des standards sont engagés sur le terrain des confrontations176.

*

* *

Le prolongement de l’observatoire informatisé « Processus d’alerte et dispositifs d’expertise » prend donc son sens s’il se construit sur trois volets complémentaires. Un premier point est constitué par l’enrichissement et la montée en puissance de l’observatoire sociologique informatisé et de ses corpus, en visant à accroître l’interactivité du dispositif, à permettre tant une veille continue sur les flux 172 Voir C. Larrère, « La justice environnementale », Multitudes, 2009, n° 36, 2, p. 156-162.173 D. Bourg et K. Whiteside, Vers une démocratie écologique. Le citoyen, le savant et le politique, Paris, Seuil, 2010 ; voir également A. Wendt, Social Theory of International Politics, Cambridge, Cambridge University Pres, 1999 ; A. Wendt, « Why a world state is inevitable », European Journal of International Relations, 2003, vol. 9, no. 4.174 J. Chappellaz, O. Godard, S. Huet et H. Le Treut, Changement climatique : les savoirs et les possibles, Éd. La ville Brûle, 2010 ; A. Dahan Dalmenico (dir), Les modèles du futur. Changement climatique et scénarios économiques : enjeux scientifiques et politiques, Paris, La Découverte, 2007 ; R. Encinas de Munagorri (dir), Expertise et gouvernance du changement climatique, Paris, LGDJ, 2009.175 A. Lowenhaupt Tsing, Friction. An Ethnography of Global Connection, Princeton University Press, 2005.176 F. Chateauraynaud, Argumenter dans un champ de forces. Essai de balistique sociologique, Paris, Ed Petra, 2011.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 180

Page 181: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

d’informations concernant les relations santé/environnement qu’un retour critique et réflexif sur l’histoire récente des dossiers et ce que nous apprend leur comparaison. Un second volet devra s’efforcer de suivre, de caractériser et de cartographier les lieux et milieux de production d’expertise et de contre-expertise en santé-environnement à l’échelle européenne. Enfin, il faudra approfondir l’ancrage sociologique de l’observatoire à travers des enquêtes de terrains et/ou des monographies de sites marquants.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 181

Page 182: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 182

Page 183: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

AnnexePublications, communications et travaux basés sur les thèmes de

l’Observatoire

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 183

Page 184: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 184

Page 185: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

2008

« Les mobiles de l'expertise. Entretien avec Francis Chateauraynaud », Revue Experts, numéro spécial du printemps 2008, n°78, p. 1-4.

Francis Chateauraynaud et Didier Torny, « Bird Flu Global Alarm : between Risk Assessment and official Prophecy of Doom (1997-2007) », séminaire L'œil de la communauté internationale, EHESS, 21 janvier 2008.

Francis Chateauraynaud, « Les lanceurs d'alerte dans l'espace politique. Réflexions sur la trajectoire d'une cause collective », colloque Lanceurs d'alerte et système d'expertise : vers une législation exemplaire en 2008 ?, Paris, Sénat, 27 mars 2008. 

Dario Chi, « La mise en place de REACh et l’espace européen de l’expertise », séminaire L'œil de la communauté internationale, EHESS, 16 juin 2008.

Josquin Debaz, « Variations métrologiques et sources d'exposition dans les études sur les ondes électromagnétiques », séminaire L'œil de la communauté internationale, EHESS, 16 juin 2008.

Francis Chateauraynaud, « La dynamique des alertes et des controverses. Approches pragmatiques et socio-informatiques », Afsset, séminaire du 17 décembre 2008.

2009

Matthieu Fintz, « Entre croisade internationale et gestion interne des crises : la lutte contre la grippe aviaire en Egypte », séminaire L'œil de la communauté internationale, EHESS, 19 janvier 2009.

Francis Chateauraynaud et Josquin Debaz, « Veille sociologique et flux d’informations numériques », Atelier veille numérique, au carrefour des sciences, 9èmes Journées Francophones Extraction et Gestion des Connaissances, Strasbourg, 27-30 janvier 2009.

Francis Chateauraynaud, « Public controversies and the Pragmatics of Protest. Toward a Ballistics of collective action », Culture Workshop, Harvard University, 13 février 2009.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 185

Page 186: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Francis Chateauraynaud, « Socio-informatics and the study of complex processes. Why we need an alternative methodological way », MIT, février 2009.

Francis Chateauraynaud, « Les lanceurs d'alerte et la loi », Revue Experts, n°73, avril 2009, 44-47.

Francis Chateauraynaud, « Les topiques environnementales au cœur des conflits », congrès de l'Association Française de Sociologie, Paris, avril 2009.

Francis Chateauraynaud, « La trajectoire des alertes et des controverses. Entre constructions publiques et principes de réalité », Afsset, séminaire du 10 juin 2009.

Francis Chateauraynaud, « La trajectoire d’une alerte est-elle manipulable ? Espaces de calculs et jeux de pouvoirs dans les processus de mobilisation en santé environnement », Colloque Gouverner l´incertitude : les apports des sciences sociales à la gouvernance des risques sanitaires environnementaux, AFSSET et Réseau R2S, Paris, École des Mines, 6-7 Juillet 2009.

Francis Chateauraynaud, Josquin Debaz et Christopher Marlowe, Associations et médias dans la reconfiguration de la controverse publique autour des ondes électromagnétiques, contribution de l’observatoire socio-informatique des alertes et des controverses dans le cadre des travaux du Groupe de Travail de l’AFSSET sur la téléphonie mobile, 12 juillet 2009.

Francis Chateauraynaud, « Alertas, controversias y conflictos en la soecita del riesgo », Universidad del Rosario, Bogotá 28 août 2009.

Josquin Debaz et Gilles Tétart, « Outils sociologiques pour l'analyse des controverses publiques : cas de la téléphonie et des OGM », colloque Veilles citoyennes d'information : des outils au service du droit d'ingérence dans les choix technologiques, Inf’OGM, Paris, Assemblée nationale, 24 octobre 2009.

2010

Francis Chateauraynaud, Josquin Debaz et Matthieu Fintz, « Le dialogue entre l'Afsset et Marlowe est-il constructif ? Retour d'expérience sur le projet

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 186

Page 187: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

d'observatoire socio-informatique des alertes et des controverses », séminaire Socioinformatique, EHESS, 11 janvier 2010.

Josquin Debaz, « Un atlas des questions parlementaires », Socioinformatique et argumentation, 24 janvier 2010, http://socioargu.hypotheses.org/69.

Jean-Michel Fourniau, « Les nanotechnologies en débat en Europe : éléments de comparaison », intervention à l’AFSSET, 25 janvier 2010.

Francis Chateauraynaud, « D’incomparables façons de comparer. Comment confronter des corpus hétérogènes avec des outils sémantiques … », Socioinformatique et argumentation, 10 février 2010, http://socioargu.hypotheses.org/225.

Vincent Bullich, Francis Chateauraynaud et Jean-Michel Fourniau, « Du mode d’existence des nanotechnologies dans l’espace public », séminaire Sociologie des alertes et des controverses, 5 mars 2010.

Josquin Debaz, « Technoprophéties. Aspects sociologiques des modèles du futur engagés par les nanotechnologies », Colloque Nanotechnologies et Société, Université Toulouse 1 Capitole, 19 mars 2010.

Francis Chateauraynaud, « L'analyse de grands corpus évolutifs et la socio-informatique des controverses », séminaire Digital Humanities, du 24 mars 2010.

Josquin Debaz, « Breaking the Waves: Scientific Argumentation in French Electromagnetic Waves Controversies », conference Carcinogens, Mutagens, Reproductive Toxicants: the Politics of Limit Values and Low Doses in the twentieth and twenty-first centuries, Strasbourg, 29-31 mars 2010.

Francis Chateauraynaud, « Argumentative Convergence as a Reconfigurator in the Trajectories of Risks (A Comparison of Low-Dose and CMR arguments in Controversies on Health and Environment)  », conference Carcinogens, Mutagens, Reproductive Toxicants: the Politics of Limit Values and Low Doses in the twentieth and twenty-first centuries, Strasbourg, 29-31 mars 2010.

Francis Chateauraynaud, Marie-Angèle Hermitte et Jacques Testart, Ce que fait AH1N1 au principe de précaution, Revue Experts, n°89, avril 2010, 47.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 187

Page 188: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Francis Chateauraynaud et Josquin Debaz, « Le surgissement de l’hypersensibilité dans l’espace public, colloque Maladies de l’hypersensibilité : Quelles causes environnementales ? Du déni à l’action, 21 avril 2010, Mutualité Française Paris.

Josquin Debaz, « Socio-informatique des controverses et des conflits. Saisir les jeux d'acteurs et d'arguments dans de grands corpus évolutifs », Journée d'études La constitution, l'exploitation et la méthodologie des corpus hétérogènes, CRTF/IUT Cergy-Pontoise et Institut National de l'Audiovisuel, INA Paris, 6 mai 2010.

Francis Chateauraynaud, Josquin Debaz et Matthieu Fintz, Forum d’experts : autour des faibles doses, rapport AFSSET/GSPR, mai 2010.

Francis Chateauraynaud, « The future of Nanotechnologies in public Debates and social Protests. What does it mean to call for revolt against Science?  », Workshop NanoNorma Normative pluralism & Nanotechnologies, Ravigo (Italie), 3 juin 2010.

Josquin Debaz et Patrick Trabal, « Analyser les réseaux au travers de corpus hétérogènes », 3ème journée du séminaire Approches des réseaux sociaux, INED, Paris 3 juin 2010.

Francis Chateauraynaud et Josquin Debaz, « L'ANSES : une nouvelle agence de santé au service de la démocratie sanitaire ? », Pour la science, 395, septembre 2010.

Francis Chateauraynaud et Josquin Debaz, « Le partage de l'hypersensible. Le surgissement des électro-hypersensibles dans l'espace public », Sciences sociales et santé, volume 28, numéro 3, septembre 2010, 5-33.

Francis Chateauraynaud et Josquin Debaz, « Lost in Arlington … La co-construction d’un terrain et d’un corpus, lors d’une enquête dans les milieux d’expertise à Washington », Socioinformatique et argumentation, 7 octobre 2010, http://socioargu.hypotheses.org/1533.

Francis Chateauraynaud, « Argumentative sociology and socio-ballistics. New trends in French pragmatic sociology », Kongress der Deutschen Gesellschaft für Soziologie, Francfort, 14 octobre 2010.

Francis Chateauraynaud et Josquin Debaz, « Washington connections. Experts et contre-experts à Capitol Hill », Socioinformatique et argumentation, 29 octobre 2010, http://socioargu.hypotheses.org/1622.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 188

Page 189: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

Francis Chateauraynaud, « Les figures de l'incertitude dans les controverses publiques autour des risques collectifs », in Patrick Chaskiel (éd), Risques et communication : une mise en perspective, Atelier Risco, Toulouse, MSHS, 2010, p. 41-116.

2011

Francis Chateauraynaud, « Processus d’alerte, épreuves de vérité et controverses publiques. Pourquoi les climatosceptiques ne sont pas des lanceurs d’alerte », Les Cahiers de Global Chance, janvier 2011.

Josquin Debaz, « Du bruit au signal. Une typologie temporelle pour la sociologie du Web », Socioinformatique et argumentation, 18 février 2011, http://socioargu.hypotheses.org/2225.

Francis Chateauraynaud, Josquin Debaz et Christopher Marlowe, Les conflits d’intérêt dans les dossiers sanitaires et environnementaux, rapport pour la convention ANSES/GSPR, 10 mars 2011.

Matthieu Fintz, Gaz de schiste, note interne, ANSES, 10 mars 2011.

Francis Chateauraynaud et Josquin Debaz, « Entre lobbying et déontologie : histoires de conflits d’intérêts » Socioinformatique et argumentation, 5 avril, http://socioargu.hypotheses.org/2358.

Francis Chateauraynaud, Josquin Debaz et Matthieu Fintz, La dose fait-elle toujours le poison ? Une analyse sociologique des mondes de la recherche et de l’expertise à l’épreuve des faibles doses, rapport ANSES/GSPR, avril 2011.

Francis Chateauraynaud, « La trajectoire politique des OGM en France. La gouvernance des risques face à l’irréductibilité d’un conflit », ANSES, 15 mars 2011.

Francis Chateauraynaud, Argumenter dans un champ de forces. Essai de balistique sociologique, Paris, Editions Pétra, mai 2011.

Francis Chateauraynaud, « Les topiques environnementales entre controverses et conflits. Ecologie politique et sociologie pragmatique en France », in Lionel Charles

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 189

Page 190: Francis Chateauraynaud - HAL archive ouverte€¦  · Web viewProcessus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux Rapport final. avril

Processus d’alerte et dispositifs d’expertise dans les dossiers sanitaires et environnementaux

et Bernard Kalaora (dir.), Sciences sociales et environnement en Allemagne et en France, à paraître.

Rapport final, avril 2011| Chateauraynaud et Debaz 190