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bleu nuit éditeur Francis POULENC par Isabelle WERCK

Francis POULENC · POULENC collection horizons. 4 Avant propos Feuilleter l’album de la vie de Poulenc et se pencher sur les moteurs de sa création musicale est toujours un plaisir

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  • bleu nuit éditeur

    Francis

    POULENCpar Isabelle WERCK

  • Directrice de collection : Anne-France BOISSENINMaquette et graphisme : Jean-Philippe BIOJOUT

    Tous droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 interdit les copiesou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou par-tielle faite par quelque procédé que ce soit – photographie, photocopie, microfilm, bande magnétique, disqueou autre – sans le consentement des auteurs, de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit deCopie est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

    ISSN : 1769-2571© bleu nuit éditeur 2018 www.bne.fr

    dans la même collection:1. Alexandre BORODINE par André Lischké2. Le Clavecin des Lumières par Jean-Patrice Brosse3. Leos JANACEK par Patrice Royer4. Jean SIBELIUS par Pierre Vidal5. Etienne Nicolas MÉHUL par Adélaïde de Place6. Gaston LITAIZE par Sébastien Durand7. Dietrich BUXTEHUDE par Eric Lebrun8. Guillaume LEKEU par Gilles Thieblot9. Jan Dismas ZELENKA par Stéphan Perreau10. Maurice EMMANUEL par Christophe Corbier11. André JOLIVET par Jean-Claire Vançon12. Richard STRAUSS par Christian Goubault13. Alexandre P. F. BOËLY par B. François-Sappey & E. Lebrun14. Gaetano DONIZETTI par Gilles de Van15. Gioachino ROSSINI par Gérard Denizeau16. Antonio VIVALDI par Adélaïde de Place & Fabio Biondi17. Edouard LALO par Gilles Thieblot18. Michael HAYDN par Marc Vignal19. Gustav MAHLER par Isabelle Werck20. Sergueï RACHMANINOV par Damien Top21. Frédéric CHOPIN par A. de Place & Abdel Rahman El Bacha22. Heitor VILLA-LOBOS par Rémi Jacobs23. Carlo GESUALDO par Catherine Deutsch24. Le Clavecin du Roi soleil par Jean-Patrice Brosse25. Franz LISZT par Isabelle Werck26. Emile GOUÉ par Damien Top27. Florent SCHMITT par Catherine Lorent28. Louis VIERNE par Franck Besingrand29. Les Véristes par Gérard Denizeau30. Georges BIZET par Gilles Thieblot31. Richard WAGNER par Gérard Denizeau32. César FRANCK par Eric Lebrun

    33. Giuseppe VERDI par Patrick Favre-Tissot-Bonvoisin34. Charles-Valentin ALKAN par B. François-Sappey & F. Luguenot36. Edvard GRIEG par Isabelle Werck37. Wolgang Amadeus MOZART par Yves Jaffrès38. Camille SAINT-SAËNS par Jean-Luc Caron & Gérard Denizeau39. Antonio SALIERI par Marc Vignal40. Anton BRUCKNER par Jean Gallois41. Jean-Philippe RAMEAU par Jean Malignon & J.-Philippe Biojout42. Christoph Willibald GLUCK par Julien Tiersot43. Carl NIELSEN par Jean-Luc Caron44. Ludwig van BEETHOVEN par Patrick Favre-Tissot-Bonvoisin45. Charles GOUNOD par Yves Bruley46. Manuel de FALLA par Gilles Thieblot47. Charles-Marie WIDOR par Anne-Isabelle de Parcevaux48. Ralph VAUGHAN WILLIAMS par Marc Vignal49. Entartete Musik par Elise Petit & Bruno Giner50. Igor STRAVINSKI par Jean Gallois51. Erik SATIE par Bruno Giner52. Johannes BRAHMS par Isabelle Werck53. Albert ROUSSEL par Damien Top54. Johann Sebastian BACH par Eric Lebrun55. Hector BERLIOZ par Patrick Favre-Tissot-Bonvoisin35. Luigi CHERUBINI par Marc Vignal57. Giovanni Pierluigi da PALESTRINA par Marie Bobillier58. Gaspare SPONTINI par Patrick Barbier59. Claudio MONTEVERDI par Denis Morrier60. Giacomo MEYERBEER par Violaine Anger61. Les COUPERIN par Julien Tiersot62. Ottorino RESPIGHI par Norberto Cordisco Respighi63. Trouvères & Troubadours par Pierre Aubry64. Kurt WEILL par Bruno Giner65. Claude DEBUSSY par Eric Lebrun66. Jacques OFFENBACH par Jean-Philippe Biojout

    Remerciements à Jean Gallois et Benoît Seringe pour leur aide précieuse.

  • Isabelle WERCK

    FrancisPOULENC

    collection horizons

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    Avant propos

    Feuilleter l’album de la vie de Poulenc et se penchersur les moteurs de sa création musicale est toujours unplaisir renouvelé.

    C’est retrouver les atmosphères proustiennes de laBelle Epoque, de nounous bourguignonnes en longsjupons, de déjeuners sur l’herbe et chapeaux fleuris, de petits garçons en complet et bottines en cuir, tirés à quatre épingles et l’air amusé. C’est entrer dans l’inti-mité d’une famille de la haute bourgeoisie dont le jeuneFrancis recueillera l’héritage culturel, partagé entre desracines paternelles aveyronnaises catholiques et une sen-sibilité maternelle pour un folklore musical et artistiquehérité des spectacles, des faubourgs et des bals-musettedes bords de Marne. C’est comprendre la fascination d’unadolescent puis d’un jeune adulte pour le Tout-Paris musical, c’est le voir se mêler au creuset des écrivains,poètes, peintres de l’après guerre, à cette ébullition si par-ticulière, à cette amnésie créatrice collective qui cherchaità oublier le traumatisme de la Grande Guerre.

    C’est suivre la géographie de sa fécondité artistiqueautour de lieux qui le marqueront toute sa vie : Paris biensûr, mais également la Touraine, Rocamadour – qui illus-tre la couverture de cet ouvrage – ou encore la Côted’Azur et l’Italie. C’est se laisser surprendre par un che-minement spirituel dynamisé à 37 ans lors d’une révé-lation soudaine, fécondant jusqu’au terme de sa vie unemoisson d’œuvres religieuses comme la Messe en sol, leStabat Mater, les Dialogues des carmélites, le Gloria oules Répons des Ténèbres. C’est s’attacher à un parcourssentimental jamais assumé, nimbé de mystères, de faux-

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    semblants, de frustrations, de passions sans réciproque ettour à tour jouant un rôle moteur dans sa création ou reflé-tant ses plus sombres tourments.

    C’est finalement s’étonner qu’un simple autodidacte,doté des seules leçons du Catalan Ricardo Viñes et descours d’harmonie et de contrepoint de Charles Koechlin,ait pu s’accomplir de manière si aboutie dans des genresaussi variés que l’opéra, la musique pour piano, le concer-to (piano, orgue, clavecin), la musique de chambre, deballet ou de scène, la mélodie pour chant et piano, lescompositions pour chœur a capella.

    La publication de cette biographie fort réussied’Isabelle Werck nous réjouit à plusieurs titres.

    Elle répond d’abord à l’intérêt des lecteurs mélomanespour ce musicien français, qui n’a jamais connu de pur-gatoire depuis son décès en 1963 et qui est resté un com-positeur apprécié pour une production musicale large etvariée, adoptant un style personnel identifiable dès la pre-mière mesure, parsemé de citations et d’emprunts d’illus-tres aînés, lorgnant vers l’avant-garde mais se rappro-chant davantage du néo-classicisme.

    Elle confirme ensuite le dynamisme de la collectionmusicale horizons qui avec ce nouvel opus enrichit soncatalogue d’ouvrages consacrés à la vie et aux œuvres demusiciens, faisant la part belle à une riche iconographie etse voulant accessible auprès d’un large public.

    Enfin, elle donne l’occasion de mettre notre fondsphotographique familial à la disposition des éditions bleunuit pour rendre cet ouvrage vivant et tenter de capter lapersonnalité si attachante et complexe de Poulenc.

    Benoît Seringe

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    Poulenc sur un manège.Avec Suzanne Peignot. / Denise Duval.Avec Pierre Bernac en tenue de récital.Avec Régine Crespin et Georges Prêtre, 1957.© Coll. Seringe.

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    Poulenc enfantà Nogent.Noizay vu du ciel.Avec Véra Stravinsky,rue de Médicis à Paris.Le Groupe des Six.Avec Mickey à Noizay.© Coll. Seringe.

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    Poulenc croqué par Cocteau en 1924.© Coll. Seringe.

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    Introduction

    « Il ressemblait, nez au vent, cheveu en brosse, œil distrait et guetteur, à un collégien grandi trop vite »1,témoigne Hélène Jourdan-Morhange. Une certaine juvéni-lité signe son allure et son œuvre. D’ailleurs le destin ne l’a pas laissé vieillir beaucoup. C’est de profil, surtout,que son nez retroussé lui donne un air d’enfance un peupitre, mais trahit en même temps son grand besoin d’affec-tion. Les yeux, subtils et bienveillants, très sélectifs enréalité, veulent se cacher sous leur paupière inclinée : lasensibilité extrême s’abrite derrière le sourire. Il s’intéres-se consciencieusement à son siècle, mais il n’est pas sûrd’en faire intégralement partie ; grand et un peu lourd, lesbras pendants (Paul Guth le compare au Gilles de Watteau),il s’enveloppe frileusement de manteaux et d’écharpes. Ilparle lentement, et l’on a l’impression que son discours estun peu étudié. Sous le gamin aux gentilles provocations, onne perd jamais de vue le fils de famille très bien élevé.

    Pierre Bernac, son chanteur de prédilection, remarqueque, malgré la propension de Poulenc à l’angoisse et à lamélancolie, « sa nature était foncièrement gaie et heureuse.Il aimait rire et lui-même pouvait être désopilant. S’il étaitdétendu, avec de vrais amis, alors sa conversation pouvaitêtre vraiment éblouissante. S’agissait-il de musique, natu-rellement, ou de littérature et surtout de peinture, alors sespoints de vue si personnels, il savait les exprimer avec uneverve, une spontanéité, une verdeur qui n’étaient qu’à lui. »2Mais si par hasard il s’ennuyait en société, même si la réunionétait en son honneur (et surtout dans ces circonstances-là !)il devenait... très absent.

    Poulenc en tant qu’artiste possède un monde bien spécifique, dont il sait au fil des ans entretenir la magie,

    1 Cité par Hervé LACOMBE,FrancisPoulenc (HL) p. 127.

    2 Pierre BERNAC,Francis Poulencet ses mélodies(PB) pp. 37-38.

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    malgré ses chagrins, ou les bouleversements politiques etesthétiques qui l’entourent. En tout cas il est l’un des com-positeurs français du vingtième siècle les plus justementpopulaires ; il n’a connu aucune désaffection jusqu’à nosjours et, du fameux « Groupe des Six », il reste le plusapprécié. Ses deux points forts sont l’indépendance stylis-tique et un charme très direct.

    On ne peut pas dire que la personnalité de Poulenc soitaujourd’hui mal mise en lumière. Une recherche approfon-die et des publications de premier ordre ont déjà pour ainsidire épuisé le sujet : biographies, correspondance complè-te, regroupement des interviews et écrits (voir bibliogra-phie) ; sans parler des intégrales enregistrées. C’est pour-quoi l’auteure de ces lignes, aussi comblée qu’une sourisdans une usine à fromage3, n’a eu, pour brosser ce portraitcommandité par son éditeur, qu’une seule difficulté : l’em-barras du choix.

    Poulenc lui-même s’est soucié avec soin de laisser unetrace. En 1950, il presse un biographe : « Je vous en prieHenri travaillez »4. Son amour du texte, du mot, éclate dansses mélodies et chœurs ; il vénère les poètes, avec une humi-lité qui lui donne des ailes, mais il possède lui-même le donde la parole : son aisance dans l’écrit ou le parlé, pas tou-jours évidente chez les musiciens, lui est très utile. En 1947,il enregistre une série d’émissions musicales, A bâtons rom-pus, où ses commentaires occupent la moitié du temps.Entre le 13 octobre 1953 et le 16 février 1954, il est invité àdix-huit entretiens radiophoniques avec Claude Rostand(qu’il surnomme en privé « Claudichon »), publiés par lasuite chez Julliard ; mesurant l’importance de ce témoigna-ge, il se lève à six heures pour réfléchir à ses propos.Bernard Gavoty le convie à de nombreuses rencontres dia-loguées dans les pays de langue française, et il en subsistemême un film émouvant ; le producteur s’inquiète de l’ab-sence de préparation, mais Poulenc feint de s’en passer : « [...] un enchantement au monologue de Poulenc à fairepâlir de rage les meilleurs chansonniers. Sauf que, dans son“numéro”, tout était improvisé, je n’ai jamais assisté à pareil

    4 Lettre à Henri Hell du16 février 1950.

    3 Le facétieuxet gourmandPoulenc auraitpu s’exprimerainsi.

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    feu d’artifice »5. Fin juin 1956, c’est Britten qui reçoitPoulenc à Aldebourgh afin qu’il cause une heure et demiesur lui-même : l’orateur s’arrange avec simplicité pour fairerire les gens. Entre 1959 et 1962, il est invité par PierreVidal, producteur de Radio France, à ses réunions au Clubdes Trois Centres : « Poulenc était un inquiet qui n’aimaitpas se prêter au jeu des questions-réponses. Il parlait doncseul, un plan en tête, feignant toutefois d’improviser. On nepouvait alors savoir, du compositeur ou du public, qui setrouvait le plus à une fête »6.

    Il publie des articles et même, nous le verrons, un beaulivre. A trois reprises il a tenu un journal : il en a détruitdeux, le troisième a été commencé aux Etats-Unis « pouroccuper ses longues haltes dans les hôtels » ; s’y ajoute leJournal de mes mélodies, publié après sa mort. Par lettre, iltraite ses 182 destinataires avec chaleur et cordialité. Sonstyle amusant, souvent dépourvu de virgules avec un riende précipitation, émaillé de gamineries fréquentes, sonnecomme l’équivalent verbal de sa sympathique musique.C’est « spontané » parce que c’est sincère ; mais c’est soi-gneusement mûri, bien visé. Poulenc ne disait-il pas queses morceaux les plus apparemment désinvoltes étaientceux qui lui coûtaient le plus d’efforts ?

    Celui qui signe parfois Poupoule ou Poulet, ou encorese désigne par : « votre Poulette » possède son côté secret. Il est un homosexuel tourmenté, ce qui ne l’a pasempêché de vouer une adoration éperdue à une femme, etplus tard, à une autre.

    Poulenc est soutenu, porté par tout un courant parisienoù il pioche ses influences et trouve son public. Il se situedans la mouvance très française de l’entre-deux-guerres, quidésire absolument s’affirmer comme fraîche, claire et plai-sante, en se défendant de l’influence germanique, jugéelourde, trop dramatique ou trop philosophique. C’est l’èreoù les Français se délestent de Wagner, méprisent encoreBrahms en le connaissant mal, et ne veulent rien entendre deBruckner ou de Mahler, qu’ils adoreront cinquante ans plustard. A l’âge de vingt ans, Poulenc a déjà des goûts musi-

    5 F. POULENC,J’écris ce quime chante(CQMC) p. 37.

    6 F. POULENC,Correspondance,p. 1053.

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    caux définitifs : il ne supporte ni Beethoven, ni Wagner, niCésar Franck ; Debussy l’a charmé dès l’enfance ; Satie etStravinsky lui donnent confiance en sa vocation.

    Lui qui aimait tant la peinture, il présente de fortes affi-nités avec deux peintres surtout : Dufy et Matisse. De Dufyà Poulenc, même franchise, même joie de vivre dans l’in-tensité des teintes, même liberté de touche débordée par lacouleur. Il existe une analogie du même genre entre Brittenet son décorateur John Piper. Poulenc possèdera des toiles etdessins de Dufy, Matisse et de Picasso qu’il admire aussi.

    « Surtout n’analysez pas ma musique, aimez-la »7. Sousses dessins mélodiques apparemment faciles, dont beau-coup semblent « cités » de quelque recueil folklorique, unedes séductions majeures chez Poulenc provient de son har-monie, tonale, mais libre, et je ne vais (presque) pas entrerdans le décorticage de ces accords frais et lumineux, juxta-posés de façon peu académique, où quelques dissonancessont ajoutées pour faire reluire, briller ; dissonances cares-santes, anxieuses dans les nuances piano ; railleuses, dra-matiques ou triomphales dans le forte, mais toujours rem-plies de justesse émotionnelle. Deux tempi principaux sefont face : l’un vif, trottinant, d’une fébrile activité, souventhumoristique ; l’autre, très posé et balancé, berceur, remplid’envoûtement nostalgique. Le compositeur passe de l’un àl’autre par des effets « cut », mais s’aventure moins sou-vent dans un tempo intermédiaire.

    Bien sûr, Poulenc a eu quelques ennemis. Au passage,je vais devoir en mentionner deux ou trois, mais je ne citeleurs « mots d’esprit » que quand ils sont vraiment pitto-resques. De toute façon il me sera superflu de prendre sadéfense ; aujourd’hui Poulenc se défend très bien tout seul.

    Les numéros d’ouvrage indiqués FP correspondent au catalogue de Carl B. Schmidt (USA, 1995).Pour les références CQMC, HL, PB, RM, voir leur première note référentielle, ou bien la bibliographie.

    7 PB 16.

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    Docteur honoris causa à Oxford en juin 1958.© Coll. Seringe.

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    La famille Poulenc, à Nogent.

    © Coll. Seringe.

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    Chapitre IL’enchantement des premières années

    Le petit garçon qui habite tout près de l’Elysée, 2,place des Saussaies, et dont la maman joue si joliment dupiano, est venu au monde dans un milieu privilégié.L’appartement familial est, selon la mode du temps, toutcapitonné de velours et de rideaux à franges. Certes, l’en-fant va devoir s’affirmer un peu pour ne pas devenir unindustriel comme son père ; mais il gardera toujours lanostalgie, ou l’idéalisation, de ce nid confortable et affec-tueux, de cette Belle Epoque où le bonheur, du moinspour les nantis, paraissait fixé. Le futur musicien, quidevra se défendre d’être « un fils à papa », ne baignerapas autant qu’on le croit dans l’aisance financière.

    Francis Poulenc et les aspirines Rhône-Poulenc, c’estla même famille. Son arrière-grand-mère, fille d’un pâtis-sier qui avait fait faillite, s’était lancée vers 1848 dans la pharmacie. Le fils de celle-ci a suivi ; dès 1859 lesPoulenc avaient à Ivry leur usine. Les trois petits-fils,Emile, le père du compositeur, ainsi que Camille etGaston, l’ont reprise sous le label Poulenc Frères avec unsens avisé des affaires. En 1910, quand Francis a onzeans, la société déménage à Vitry, emploie 500 ouvriersainsi que des chercheurs ; elle produit aussi du matérielphotographique (Emile en est passionné). En 1928, lasociété Poulenc fusionne avec les Usines du Rhône ; cepuissant groupe disparaît en 19981.

    Les racines du côté paternel sont aveyronnaises, duvillage d’Espalion ; par tradition, on est très catholique ;plusieurs prêtres figurent dans cette branche de l’arbregénéalogique. Le père croit avec ferveur, mais aussi avec

    1 Les activitéschimiques sontalors devenuesRhodia et labranche phar-maceutique afusionné avecHoechst pourdonner naissan-ce à Aventis.

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    largeur d’esprit, puisque son épouse est « tranquillementindifférente » à la religion2. En effet Jenny Royer, lamère, investit toute sa sensibilité dans le domaine artis-tique. Vraie parisienne de souche, elle provient d’unefamille d’ébénistes, décorateurs et bronziers installésdans le 3e Arrondissement ; elle s’habille avec élégance,et les siens ont toujours eu un culte passionné pour tousles arts ; c’est avec l’une des dernières élèves de Lisztqu’elle a étudié le piano. Son mari très mélomane appré-cie son talent, même s’il ne joue d’aucun instrument.

    Né le 7 janvier 1899 à 16 h, Francis Jean Marcel a unesœur de onze ans son aînée, Jeanne, et les deux frères quil’ont précédé ont disparu, l’un en bas-âge, l’autre mort-né ; on imagine avec quelle anxiété les parents veillent surla santé du seul garçon qui leur reste. Mais au moins cettefamille harmonieuse aime-t-elle les agréments de la vie,l’esthétique sous toutes ses formes ; elle se réunit rituel-lement autour de repas très gastronomiques. Plusieurstraits du futur Francis ont déjà pris leur source, son amourdu beau, son goût pour la bonne chère, et sa crainte obses-sionnelle d’être mal portant.

    Le garçonnet entend sa mère interpréter Mozart,Schubert, Chopin, Scarlatti, mais aussi ce qu’elle appelleses « petites fantaisies », la Romance de Rubinstein dontle petit Francis réclame des bis, et les Pièces lyriques deGrieg. A deux ans le bambin se voit offrir un tout petitpiano-jouet, dont il n’y pas moyen de l’arracher ; il n’aque quatre ou cinq ans quand Jenny décide de l’initier auvéritable instrument. « Quand je pense à mon enfance, jeme vois toujours devant un piano » raconte-t-il, mais sansamertume aucune.

    Ses huit ans représentent un tournant déterminant :après quelques leçons avec une professeure insignifiante, ilreçoit quotidiennement celles d’une solide enseignante,Mlle Melon, répétitrice de la nièce de César Franck : seuleune famille privilégiée pouvait ainsi lui offrir, chaque soiraprès l’école, une heure de cours ou de travail dirigé. « Dès que j’avais cinq minutes de libres dans le courant de

    2 D’habitude,c’était plutôtl’inverse !

    Avant proposIntroductionI. L'enchantement des premières annéesI.. Un terreau parisien fertileIII. Les Biches et NoizayIV. De Rocamadour aux Mamelles de TirésiasV. Surprises et étrangetés de l'après-guerreVI. Les dernières annéesConclusionTableau synoptiqueCatalogue des œuvresBibliographieDiscographieIndexTable des matières