François Sarah : « Une défaillance dans le système législatif »

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  • 7/28/2019 Franois Sarah : Une dfaillance dans le systme lgislatif

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    Franois Sarah, vous avez uneformation en science politiqueet en droit. Cette double

    approche est intressante pourlanalyse de lactualit politique.Quelle est votre mthode detravail ?

    Je mappuie beaucoup sur leslaw reports, cest--dire lesdcisions de justice compiles.Ce sont, dune part, les dcisionsde la Cour suprme de Mauricemais aussi les dcisions des

    juridictions qui font autorit Maurice, dont la Grande-Bretagne bien sr, mais aussi lesUSA, lInde, ou encore Ceylan.Par exemple, le jugement rendudans laffaire A.R. Mahboob

    contre le gouvernement deMaurice (1982), se base sur ladfinition de la sparation despouvoirs qui est donne dansune dcision de justice renduepar le Privy Councildans un casvenant de Ceylan (Sri Lanka).

    Je considre donc les lawreports comme des textescontenant des principes dephilosophie politique. Lepremier jugement post-indpendance dune importanceconstitutionnelle, cest le cas deVallet contre Ramgoolam en1973, o lavocat Vallet vient

    contester certaines clauses duRepresentation of the Peoples Actde 1958 et du Representation ofThe Peoples Ordinancede 1972.Le jugement vient dire quilincombe la Cour suprmedinterprter les lgislations faitespar le Parlement, et que leParlement ne saurait vader laresponsabilit de voir ses actesremis en question devant laCour suprme. Ce jugement estimportant car il affirme et ce,quelques annes aprslIndpendance seulement, lasuprmatie de la Cour suprme

    par rapport au Parlement enmatire d'interprtationconstitutionnelle.

    Pourquoi est-ce si important ?Quel enseignement pourlactualit politique?

    Cest important si nousregardons, par exemple,comment le Local Government

    Act 2011 a t pass auParlement. Pendant que le Billtait au Parlement, on a procdau redcoupage descirconscriptions. Ce qui est leplus blessant par rapport

    lordre constitutionnel, cest quele Prsident de la Rpublique, qui appartient linitiative de ceredcoupage, na pas t engagdans la procdure prliminairede redcoupage. Cela pose doncla question de la lgalit et de laconstitutionnalit descirconscriptions ainsi dlimiteset donc de la loi qui a ainsi tpasse. La question qui se pose :sous quelle autorit,

    le ministre et les autres partiesprenantes (maires, ElectoralCommissioner, prsidents desvillages et des district councils)sans le Prsident de laRpublique, peuvent-ils venirensemble pour dcider dunequestion aussi cruciale? Quelleest lautorit qui leur donne ce

    mandat?

    Se seraient-ils, selon vous,octroys ce pouvoir dedcision ?

    A mon avis, il s'agit biend'une dfaillance dans leprocessus lgislatif. Maiscest la Cour suprme dedcider sil y a un lmentdinconstitutionnalit etdillgalit. Ce quil faut retenir,cest quon na pas consult lePrsident, et au regard de la loi,cest un grave manquement.

    Il a t consult aprs Oui, et a reste un grave

    manquement. Aprs la mort, latisane. Le ministre desCollectivits locales a djprocd aux nouvellesdlimitations, avec lElectoralCommissioneret les autres partiesprenantes. Et ces delimitationssont dj passes au Parlement.Elles sont en annexe de la loi quia t vote en dcembre 2011.

    Le redcoupage descirconscriptions a t effectusous lautorit de lancienne loi,celle de 2003, que le nouveaubill proposait de remplacer.

    Alors, on fait quelque chose souslautorit dune loi quon varvoquer ? Puis on prend cettechose et on lannexe dans la

    nouvelle loi? Cest grave.Dautant plus quen droit, on ala notion de loi ex-post facto,cest--dire des lois qui viennentaprs le fait, sanctionner le fait,et une bonne partie de la

    jurisprudence anglo-saxonnecondamne les lois ex-post facto.

    Quelle serait la marche suivre maintenant ?

    La bonne marche serait que lePrsident et les parties prenantesamnent le litige devant la Coursuprme ou bien demandent unavis la Cour Suprme.

    Comment expliquez-vousalors quon aurait laiss passerce point de droit sans leclarifier ?

    Quand on vient dire quedans notre pays, le Parlement estsouverain, pour justifier que laloi sur les collectivits locales soitpasse de cette faon, cest quily a une conception errone deltendue du pouvoir du

    Parlement.

    Et quelle serait, selon vous,ltendue du pouvoir duParlement ?

    La Constitution dit, dans sonchapitre 5, section 31, Thereshall be a Parliament for

    Mauritius, which shall consist ofthe President and the National

    Assembly , et dans la section 45: Subject to this Constitution,Parliament may make laws for the

    peace, order and good governmentof Mauritius. Subject, dit laConstitution, donc le pouvoirlgislatif est soumis desimpratifs constitutionnels, il nya pas sortir de l.

    Dans le jugement du chef-juge Maurice Rault dans laffaire

    Mahboob contre legouvernement de Maurice, etdans le jugement rendu dans lecas Vallet contre Ramgoolam, ilest dit que le pouvoir duParlement nest pas un pouvoirillimit. Ce quil faut prciser,cest que le Parlement nest passouverain, il exerce une partiede la souverainet. Lasouverainet est diffuse, investiedans les trois organes dugouvernement, savoir leParlement, la Cour suprme etlExcutif. Mais la souverainetest aussi investie dans la

    Constitution, dans le peuple. Lepeuple, la Constitution, leParlement, lExcutif et le

    Judiciaire dtiennent lasouverainet en tant quecorporation. Cette notion decorporation en jurisprudencesignifie que la souverainet nest

    jamais in toto dans un corps,nest jamais in toto dans lepeuple, ou dans la Constitution,ou dans le Parlement ou dans le

    judiciaire. Elle est diffuse. Cestle principe mme de lasparation des pouvoirs.

    Pour en revenir au LocalGovernment Act 2011, tes-vous en train de dire quil y a untraitement politique dunequestion juridique ?

    Il semble bien, effectivement,quil y ait une politisation. LeState Law Office, qui doit voir leslois avant quelles narrivent auParlement, na pas relev lesoupon dillgalit qui pesaitsur le nouveau Local GovernmentBill. Comment cela se fait-il ?

    Et que pensez-vous de laprorogation du Parlement ?La prorogation cest unequestion tactique. Ce sont desdelaying tactics. Pourquoi est-cequon proroge ? Parce quoncraint que son adversairepolitique ait dautres cartes enmain. Quon risque de seretrouver en minorit auParlement.

    Des delaying tactics lgales.Oui, dans le cadre

    dun rgime dinspirationwestminstrienne, cest uneprocdure commune. Cela relve

    de la configuration des relationsentre le systme politique etlappareil constitutionnel.

    Ce qui veut dire ? Que celarelverait delinstrumentalisation ?

    De linstrumentalisation delappareil constitutionnel par lepolitique, absolument.

    Dans la mesure o cestune procdure lgale, enquoi relverait-elle dunemanipulation ?

    Cela relve dune

    manipulation dans le sens o lebut dune Constitution nest pasla perptuation dun parti aupouvoir. Le but duneConstitution, et la Constitutionde Maurice le dit clairement,cest la protection des droitsindividuels, cest la protectiondes gens. La Constitution, cestune protection contre lesingrences dun gouvernement.

    Interview

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    No 111 17 MARS 2012

    COMMISSAIRE DES PRISONS : TENTATIVE DE MEURTRE

    Lassistant Commissaire des Prisons, habitant Terre Rouge a rapport la police quil sest fait tirer dessus deux

    reprises le mardi 13 mars la rue Colonel Maingard Beau Bassin, alors quil rentrait chez lui en voiture. Lindividu

    tait moto et il portait un casque intgral. Les deux coups de feu nont fait aucun bless. La police mne lenqute.

    REDCOUPAGE LECTORAL- UNE MANIPULATION POLITIQUE?

    Une dfaillance dansle systme lgislatif

    Franois Sarah, politologue

    Franois Sarah est politologue dans un cabinetdtudes de la capitale. Avec un doubleregard en droit constitutionnel et ensciences politiques, il est davis que lon assisteactuellement une instrumentalisation delappareil constitutionnel par les politiciens.

    C.B.