4
Gargantua, Prologue Support : Extrait du prologue, Gargantua, Rabelais, 1534

Gargantua, Prologue - Free1s2descartes.free.fr/FO1Sq2Se3.pdf · 2013-12-07 · Gargantua et Pantagruel mettent en scène des géants. Le Tiers Livre et le Quart Livre sont la suite

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Gargantua, Prologue - Free1s2descartes.free.fr/FO1Sq2Se3.pdf · 2013-12-07 · Gargantua et Pantagruel mettent en scène des géants. Le Tiers Livre et le Quart Livre sont la suite

Gargantua, Prologue

Support : Extrait du prologue, Gargantua, Rabelais, 1534

Page 2: Gargantua, Prologue - Free1s2descartes.free.fr/FO1Sq2Se3.pdf · 2013-12-07 · Gargantua et Pantagruel mettent en scène des géants. Le Tiers Livre et le Quart Livre sont la suite

Rabelais est originaire de Chinon en Touraine. François Rabelais naît en 1494 (?) et meurt en 1553. Il est bourgeois aisé (son père est avocat). Il est d’abord moine chez les franciscains puis chez les bénédictins, avant de quitter les ordres et de devenir prêtre séculier. Il étudie la médecine à Montpellier puis est médecin à l’hôtel Dieu de Lyon. On lui attribue quatre romans, qui connurent un grand succès : Pantagruel (1532), Gargantua (1534), Le Tiers Livre (1546) et Le Quart Livre (1548). Ses romans sont célèbres par leurs scandales : ils sont censurés par la Sorbonne. Il propose une critique virulente de la société du Moyen-Âge et ses savoirs, ainsi que la religion. Gargantua et Pantagruel mettent en scène des géants. Le Tiers Livre et le Quart Livre sont la suite des aventures de Pantagruel. Rabelais raconte les aventures sur le ton de l’épopée burlesque. Gargantua (1534) est le deuxième roman de Rabelais mais le premier dans l’ordre chronologique de sa « fiction des géants ». Il raconte la généalogie, la naissance et l’enfance, les études, les exploits guerriers, les voyages et la description de l’abbaye de Thélème. On a ici le plan traditionnel des romans de chevalerie. Rabelais est l’un des plus éminents représentants de l’humanisme au XVI° siècle. L’extrait à étudier est issu du prologue de Gargantua (prologos = ce qui précède le discours). Il avertit le lecteur de ce qu’il trouvera dans l’histoire racontée et avertit également le lecteur des intentions de l’auteur. Rabelais appelle ses lecteurs « buveurs illustres » et « vérolés très précieux ». Il est médecin et entend soigner ses lecteurs, malades, par le rire. Il s’adresse à ses lecteurs tels un bonimenteur de foire. Rabelais proteste contre le manque de sérieux qu’on lui prête et il avertit le lecteur qu’il ne devra pas s’arrêter aux facéties de son livre, pas plus que l’apothicaire ne s’arrête à la forme extérieure des Silènes (petites boîtes peintes de figures amusantes mais remplies d’ingrédients précieux). Problématique : Quel guide de lecture Rabelais propose-t-il pour Gargantua et pour ses lecteurs ? Axes de lecture : 1. Une recherche profitable et féconde qui mène à la sagesse 2. Les mises en garde

I- Une recherche profitable et féconde qui mène à la sagesse 1) L’habit ne fait pas le moine

L’extrait commence par deux proverbes de constructions identiques (anaphore de « tel porte…qui »), le sens est qu’il ne faut pas juger de l’intérieur par l’extérieur. Extérieur : « habit monacal », « cape espagnole ». L’extérieur est souvent trompeur. « C’est pourquoi » fait la transition entre les proverbes et l’application pratique. Il faut avoir une démarche active : « ouvrir le livre », pour « peser », c’est-à-dire contrôler ce qui s’y trouve avec une réflexion approfondie. Il reprend le contenu des silènes d’aspect plaisant mais au contenu précieux. Le contenu est plus précieux que le contenant lui-même. Rabelais veut se faire bien comprendre de son lecteur (« c’est-à-dire »). Rabelais en arrive à se référer à sa propre œuvre : le lecteur ne doit pas s’arrêter sur le titre, mais ouvrir le livre et analyser le contenu.

2) Du sens littéral au sens transcendant Avec le gérondif « en admettant que », Rabelais rappelle que le lecteur ne doit pas exclure ce que signifie le texte pris au pied de la lettre. Mais par l’adverbe « pourtant », il recommande de dépasser ce sens littéral : il faut aller plus loin que le sens littéral. En dépassant le sens littéral, on découvre une signification qui va au-delà de la simple gaieté, exprimée par le verbe « interpréter » (donner une interprétation personnelle, expliquer). L’interprétation ne se fait pas au ras du texte : il faut travailler et réfléchir pour découvrir le sens caché du texte. Chaque lecteur n’est cependant pas capable d’aller trouver le sens profond du texte : le lecteur doit être actif, avisé et doué ; un lecteur idéal. Rabelais fait une promesse au lecteur : il y a bien un sens caché et profond, au-delà des apparences frivoles. Il n’en dit cependant pas plus sur le sens profond, sa promesse est assez vague.

Page 3: Gargantua, Prologue - Free1s2descartes.free.fr/FO1Sq2Se3.pdf · 2013-12-07 · Gargantua et Pantagruel mettent en scène des géants. Le Tiers Livre et le Quart Livre sont la suite

3) Le chien et l’os à moelle Rabelais donne deux comparaisons, qui soulignent la nécessité de l’effort pour atteindre le contenu : la bouteille et le chien, qui prolongent l’idée de la boite et de son contenu. Ces deux comparaisons signifient qu’on n’obtient rien sans rien. Dans l’exemple de la bouteille, on a l’effort produit qui est exprimé par le verbe « attaquer » dans la question rhétorique « N’avez-vous jamais attaqué une bouteille au tire-bouchon ? ». Cette comparaison renvoie aux lecteurs de Rabelais, qu’il appelle « buveurs très illustres », qui savent mieux que quiconque quelle est leur contenance. La bouteille développe la même idée que la boite, qui oppose le contenant au contenu. La comparaison avec le chien est beaucoup plus longue. Il la commence par une deuxième question rhétorique sur le ton de la confidence : « N’avez-vous jamais vu un chien rencontrant un os à moelle ? ». Référence philosophique à Platon, qui est une référence humaniste. Cela est pour lui un argument d’autorité. Cette référence va donner tout son poids à ce que va dire Rabelais par la suite. Il développe ensuite l’attitude du chien par l’anaphore « avec quelle » + six noms + « il » + verbes. On note également un parallélisme de construction ainsi qu’une structure anaphorique. Les actions sont graduées de manière chronologique. Ces six propositions sont une leçon de méthode. Les noms précisent l’état d’esprit du chien ; les verbes indiquent les actes à accomplir (qui sont des verbes d’action). C’est un chien actif, passionné, débordant d’énergie pour aller chercher un peu de moelle dans l’os. Il a compris que les efforts accomplis vont permettre d’accéder au trésor, à la moelle. Rabelais attribue ces termes au lecteur, au-delà de la comparaison avec le chien : « pousse et travaille » « prétend’. Il ne pense pas qu’au chien : transposition à faire avec le lecteur. Rabelais termine son paragraphe avec une référence antique, Galien (médecin) qui agit comme un argument d’autorité. La référence à Galien montre que la chose doit être prise au sérieux.

4) La substantifique moelle La comparaison entre le lecteur et le chien se fait pas « à l’instar de ». Rabelais file la métaphore du chien par « humer », « sentir », « hautes graisses ». Il introduit cependant une nouvelle image, la chasse, par les mots « attaque » et « poursuite ». Aux qualités qu’il a déjà demandées à son lecteur, il faut également qu’il ait les qualités d’un bon chasseur, comme le chien l’est dans la poursuite et l’attaque du gibier dans l’os. Il fait ici la synthèse de la lecture et de l’os à moelle. Il reprend le mot « moelle » auquel il adjoint l’adjectif « substantifique ». La moelle est un aliment nourrissant, élaboré à la perfection. Le lecteur va arriver à la « substantifique moelle » en suivant une méthode. Elle suggère une « lecture attentive » ainsi que de « fréquentes méditations ». Cela reprend deux verbes du paragraphe 1 : « ouvrir » et « peser ». Si le lecteur suit cette méthode, il peut espérer « devenir avisé et vertueux au gré de cette lecture ». Il progressera en sagesse : la mise à jour de la philosophie cachée enfouie dans le livre comporte d’extraordinaires méditations dans des domaines les plus variés : « religion », « conjoncture politique », « gestion des affaires » (économie). Champ lexical du mystérieux : « caché », « arcanes », « mystères ». Arcanes : choses et aspects cachés, réservés aux initiés.

II- Les mises en garde 1) La première mise en garde

Il termine sur le ton de la plaisanterie. Il indique que les commentateurs inventent des significations. Il indique que le lecteur pourra trouver des sens cachés auxquels il n’aurait pas pensé. Contrairement à ce qu’il prétend, Rabelais n’accorde que peu de confiance à l’intelligence de son lecteur d’où une brusque volte-face qui déconcerte le lecteur et qui le met en garde. Il ne faut pas chercher dans les textes ce que l’auteur n’a pas voulu mettre. De nouveau, Rabelais s’appuie sur Homère et Ovide, deux exemples typiques :

Page 4: Gargantua, Prologue - Free1s2descartes.free.fr/FO1Sq2Se3.pdf · 2013-12-07 · Gargantua et Pantagruel mettent en scène des géants. Le Tiers Livre et le Quart Livre sont la suite

# Les commentateurs d’Homère : Plutarque, Héraclite du Pont, Politien, qui ont surchargé l’Iliade et l’Odyssée de commentaires (de gloses) qui étaient aberrants « rafistolées » : péjoratif (« calfretés ») Rabelais s’en prend aux prétentions des commentateurs qui veulent remplir les lacunes du texte par leurs commentaires grotesques « calfretés » est l’idée de remplir un trou

# Frère Lubin, un commentateur d’Ovide (-43 ; -17). C’est le type populaire du moine stupide. Il découvre les liens avec les Evangiles dans les Métamorphoses, alors que les Evangiles sont écrits 60 ans après. « pique-assiette », « couvercle digne du chaudron », « gens aussi fous que lui », (« croque lardon »).

Rabelais vise ses prédicateurs (les moines, les gens d’église) qui, au Moyen-Âge, citaient autant les textes antiques que les textes religieux, et qui en tiraient le même parti. Il s’élève avec vigueur contre ce genre de lecteurs, qui vont lui faire dire n’importe quoi : « Vous n’approchez ni des pieds ni des mains de mon opinion » (image) S’il se trouve des fous parmi les lecteurs de Rabelais pour trouver dans son œuvre des sens auxquels il n’aurait pas pensé, il s’en lave les mains. Rabelais engage les lecteurs à lire l’œuvre et non des commentaires.

2) La seconde mise en garde Le lecteur ne doit pas chercher dans Gargantua plus que ce que l’auteur a voulu y mettre. Il est invité à se mettre en conformité avec l’auteur : il doit boire car Rabelais boit lorsqu’il écrit (communion dans le vin). Image de similitude : « même attitude », « je n’y pensais pas plus que vous », « comme moi ». Le lecteur est invité à tenir compte des compositions de Gargantua. A la fon, Rabelais parle des activités « boire » et « manger » : le corps est réhabilité. Conclusion : Ce texte allie (« buveurs très illustres », « vérolés très précieux »), la verve du bonimenteur à l’érudition de l’humaniste permet d’émettre l’hypothèse selon laquelle Rabelais souhaiterait atteindre plusieurs catégories de lecteurs, chacun poussant sa recherche aussi loin que ses capacités intellectuelles le lui permettent. Certaines découvertes sont faciles à faire, sans briser l’os mais Rabelais se souhaite de bien meilleurs lecteurs, qui seront capable de trouver dans son œuvre « la substantifique moelle » annoncée. Le livre est dédié aux buveurs in vino veritas (c’est dans le vin que se trouve la vérité) et à d’autres gens peu sérieux (« vérolés ») mais le rire, outre sa valeur humaine, a une signification philosophique. « Lire permet de rire » (paronomase : deux termes proches en terme de prononciation mais différents par le sens) mais aussi d’atteindre la vérité et de s’améliorer soi-même en devenant pus humain