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[1] La vie treshor rificque du grand Gargan tua, pere de Pantagruel jadis composee par M. Alcofribas abstrac- teur de quinte essence. Livre plein de Pantagruelisme. M. D. XLII. On les vend a Lyon chez Francoys Juste, devant nostre dame de Confort. Centre d'Études Supérieures de la Renaissance Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas dʼUtilisation Commerciale - Pas de Modification" 2.0 France. Si vous utilisez ce document dans un cadre de recherche, merci de citer cette URL : http://www.bvh.univ-tours.fr:8080/xtf/view?docId=tei/B360446201_B343_2 /B360446201_B343_2_tei.xml;query=;brand=default Première publication : 22/07/2011 Dernière mise à jour : 18/07/2013 [1v] Aux Lecteurs. Amis lecteurs qui ce livre lisez, Despouillez vous de toute affection, Et le lisant ne vous scandalisez. Il ne contien mal ne infection. Gargantua, Lyon, 1542 (Projet BVH) 1

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[1]

La vie treshorrificque du grand Gargantua, pere de Pantagrueljadis composee par M.

Alcofribas abstrac-teur de quinte

essence.

Livre plein de Pantagruelisme.

M. D. XLII.On les vend a Lyon chez Francoys

Juste, devant nostre dame de Confort.

Centre d'Études Supérieures de la RenaissanceCette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons

Attribution - Pas dʼUtilisation Commerciale - Pas de Modification" 2.0 France.Si vous utilisez ce document dans un cadre de recherche, merci de citer cette URL :

http://www.bvh.univ-tours.fr:8080/xtf/view?docId=tei/B360446201_B343_2/B360446201_B343_2_tei.xml;query=;brand=default

Première publication : 22/07/2011Dernière mise à jour : 18/07/2013

[1v]

Aux Lecteurs.

Amis lecteurs qui ce livre lisez,Despouillez vous de toute affection,Et le lisant ne vous scandalisez.Il ne contien mal ne infection.

Gargantua, Lyon, 1542 (Projet BVH)

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Vray est qu’icy peu de perfectionVous apprendrez, si non en cas de rire:Aultre argument ne peut mon cueur elire.Voyant le dueil, qui vous mine & consommeMieulx est de ris que de larmes escripre.Pource que rire est le propre de l’homme.

Fu.2.

Prologe de L’auteur.

BEuveurs tresillustres, & vousVerolez tresprecieux (car a vousnon a aultres sont dediez mes es-criptz) Alcibiades ou dialoge de Pla-ton, intitule, Le bancquet, louant sonprecepteur Socrates, sans controverseprince des philosophes: entre aultresparolles le dict estre semblable es Silenes. Silenes estoient jadis petites boitestelles que voyons de present es bouticquesdes apothecaires pinctes au dessus defigures joyeuses & frivoles, comme deHarpies, Satyres, oysons bridez, lievrescornuz, canes bastees, boucqs volans,

A ij

[2v]Prologe

cerfz limonniers, & aultres telles pinctures contrefaictes a plaisir pour exciterle monde a rire, Quel fut Silene mai-stre du bon Bacchus: mais au dedans l’onreservoit les fines drogues, comme Baulme, Ambre gris, Amomon, Musc, zivette, pierreries: & aultres choses precieu-ses. Tel disoit estre Socrates: par ceque le voyans au dehors, & l’estimanspar l’exteriore apparence, n’en eussiezdonne un coupeau d’oignon: tant laid il

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estoit de corps & ridicule en son main-tien, le nez pointu, le reguard d’un tau-reau: le visaige d’un fol: simple en meursrustiq en vestimens, pauvre de fortune,infortune en femmes, inepte a tous offices de la republique, tousjours riant,tousjours beuvant d’autant a un chas-cun, tousjours se guabelant, tousjoursdissimulant son divin scavoir, Maisouvrans ceste boyte: eussiez au dedanstrouve une celeste & impreciable drogueentendement plus que humain, vertusmerveilleuse, couraige invincible, so-

Fu.3.de L’auteur.

bresse non pareille, contentement cer-tain, asseurance parfaicte, deprisementincroyable de tout ce pourquoy les hu-mains tant veiglent, courent, travaillentnavigent & bataillent.

A quel propos, en vostre advis, tendce prelude, & coup d’essay? Par autantque vous mes bons disciples, & quelquesaultres foulz de sejour lisans les joyeuxtiltres d’aulcuns livres de nostre invention comme Gargantua, Pantagruel, Fessepinte, La dignite des braguettes, Despoys au lard cum commento &c. jugez tropfacillement ne estre au dedans traicte quemocqueries, folateries, & menteries joyeuses: veu que l’ensigne exteriore (c’est le til-tre) sans plus avant enquerir, est commu-nement receue a derision & gaudisserie.Mais par telle legierete ne convient estimer les oeuvres des humains. Carvous mesmes dictes, que l’habit ne faictpoinct le moine: & tel est vestu d’habitmonachal, qui au dedans n’est rien moinsque moyne: & tel est vestu de cappe hes-

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[3v]Prologe

panole, qui en son couraige nullementaffiert a hespane, C’est pourquoy faultouvrir le livre: & soigneusement peser ceque y est deduict. Lors congnoistrez que ladrogue dedans contenue est bien d’aultrevaleur, que ne promettoit la boite. C’est adire que les matieres icy traictees nesont tant folastres, comme le tiltre audessus pretendoit.

Et pose le cas, qu’au sens literal voustrouvez matieres assez joyeuses & biencorrespondentes au nom, toutesfois pasdemourer la ne fault, comme au chant desSirenes: ains a plus hault sens inter-preter ce que par adventure cuidiez dicten gayete de cueur.

Crochetastes vous oncques bouteilles? Caisgne. Reduisez a memoire lacontenence qu’aviez. Mais veistes vousoncques chien rencontrant quelque osmedulare? C’est comme dict Platon. lib.ij. de rep. la beste du monde plus philosophe. Si veu l’avez: vous avez peu noterde quelle devotion il le guette: de quel

Fu.4.de L’auteur.

soing il le guarde: de quel ferveur il letient, de quelle prudence il l’entomme: dequelle affection il le brise: & de quelle di-ligence il le sugce: Qui le induict a cefaire? Quel est l’espoir de son estude? quelbien pretend il? Rien plus q’un peu demouelle. Vray est que ce peu, plus estdelicieux que le beaucoup de toutes aul-tres: pource que la mouelle est aliment elaboure a perfection de nature, comme dictGalen. iij. facu. natural. &. xj. de usu parti.

A l’exemple d’icelluy vous convient estresaiges pour fleurer, sentir, & estimer cesbeaulx livres de haulte gresse, legiersau prochaz: & hardiz a la rencontre. Puispar curieuse lecon, & meditation frequente rompre l’os, & sugcer la sustantificquemouelle. C’est a dire: ce que j’entends par

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ces symboles Pythagoricques avecquesespoir certain d’estre faictz escors & preuxa ladicte lecture. Car en icelle bien aultre goust trouverez, & doctrine plus ab-sconce, laquelle vous revelera de treshaultzsacremens & mysteres horrificques, tant en

A iiij

[4v]Prologe

ce que concerne nostre religion, que aussil’estat politicq & vie oeconomicque.

Croiez vous en vostre foy qu’oncquesHomere escrivent L’iliade & Odyssee,pensast es allegories, lesquelles de luyont calfrete Plutarche, HeraclidesPonticq, Eustatie, Phornute: & ce qued’iceulx Politian a desrobe? Si le cro-iez: vous n’approchez ne de pieds ne demains a mon opinion: qui decrete icel-les aussi peu avoir este songees d’Ho-mere, que d’Ovide en ses Metamorphoses, les sacremens de l’evangile: lesquelzun frere Lubin vray croquelardon s’estefforce demonstrer, si d’adventure il rencontroit gens aussi folz que luy: & (com-me dict le proverbe) couvercle dignedu chaudron.

Si ne le croiez: quelle cause est, pourquoy autant n’en ferez de ces joyeuses& nouvelles chronicques? Combienque les dictant n’y pensasse en plus quevous qui paradventure beviez commemoy. Car a la composition de ce livre

Fu.5.de L’auteur.

seigneurial, je ne perdiz ne emploiayoncques plus ny aultre temps, que cel-luy qui estoit estably a prendre ma re-fection corporelle: scavoir est, beuvant

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& mangeant. Aussi est cela juste heure,d’escrire ces haultes matieres & scien-ces profundes. Comme bien faire sca-voit Homere paragon de tous Philo-loges, & Ennie pere des poetes latins,ainsi que tesmoigne Horace, quoy q’unmalautru ait dict, que ses carmes sen-toyent plus le vin que l’huile.

Autant en dict un Tirelupin de meslivres, mais bren pour luy. L’odeur duvin o combien plus est friant, riant,priant, plus celeste, & delicieux que d’huille? Et prendray autant a gloire qu’ondie de moy, que plus en vin aye despendu que en huyle, que fist Demosthenes,quand de luy on disoit, que plus en huyle que en vin despendoit. A moy n’est quehonneur & gloire, d’estre dict & reputebon gaultier & bon compaignon: & en cenom suis bien venu en toutes bonnes

A v

[5v]Prologe de L’auteur

compaignies de Pantagruelistes: aDemosthenes fut reproche par un chagrin que ses oraisons sentoient commela serpilliere d’un ord & sale huillier.Pourtant interpretez tous mes faictz& mes dictz en la perfectissime partie,ayez en reverence le cerveau caseiformequi vous paist de ces belles billes ve-zees, & a vostre povoir tenez moy tous-jours joyeux.

Or esbaudissez vous mes amours, &guayement lisez le reste tout a l’aise ducorps, & au profit des reins. Mais es-coutez vietz d’azes, que le maulubec voustrousque: vous soubvienne de boyre amy pour la pareille: & je vous plegeraytout ares metys.

De la genealogie & antiquite deGargantua. Chap j.

JE vous remectz a la grandechronicque Pantagrueline re

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congnoistre la genealogie &antiquite dont nous est venu

Fu.6.

Gargantua, En icelle vous entendrezplus au long comment les Geands nas-quirent en ce monde: & comment d’iceulxpar lignes directes yssit Gargantua pe-re de Pantagruel: & ne vous faschera,si pour le present je m’en deporte. Com-bien que la chose soit telle, que tant plusseroit remembree, tant plus elle plairoita voz seigneuries comme vous avez l’au-torite de Platon in Philebo & Gorgias,& de Flacce, qui dict estre aulcuns pro-pos telz que ceulx cy sans doubte, quiplus sont delectables, quand plus sou-vent sont redictz.

Pleust a dieu q’un chascun sceustaussi certainement sa genealogie, depuisl’arche de Noe jusques a cest eage. Jepense que plusieurs sont aujourdhuyempereurs, Roys, ducz, princes, & Pa-pes, en la terre, lesquelz sont descenduzde quelques porteurs de rogatons & decoustretz. Comme au rebours plusieurssont gueux de l’hostiaire, souffreteux, &miserables: lesquelz sont descenduz de

[6v]

sang & ligne de grandz roys & empereursAttendu l’admirable transport des re-gnes & empires.Des Assyriens es Medes.Des Medes es Perses.Des Perses es Macedones.Des Macedones es Romains.Des Romains es Grecz.Des Grecz es Francoys.

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Et pour vous donner a entendre de moyqui parle, je cuyde que soye descendu dequelque riche roy ou prince au temps ja-dis. Car oncques ne veistes homme, quieust plus grande affection d’estre roy &riche que moy: affin de faire grand chere:pas ne travailler, poinct ne me soucier,& bien enrichir mes amys & tous gensde bien & de scavoir. Mais en ce je mereconforte, que en l’aultre monde je le seray: voyre plus grand que de present nel’auseroye soubhaitter. Vous en telle oumeilleure pensee reconfortez vostre malheur, & beuvez fraiz si faire se peut.

Retournant a noz moutons je vous

Fu.7.

dictz que par don souverain des cieulxnous a este reservee l’antiquité & genealogie de Gargantua, plus entiere quenulle aultre, Exceptez celle du messias,dont je ne parle, car il ne me appartient,aussi les diables (ce sont les calumniateurs & caffars) se y opposent. Et futtrouvee par Jean Audeau, en un pré qu’ilavoit pres l’arceau gualeau au dessoubzde L’olive, tirant a Narsay. Duquelfaisant lever les fossez, toucherent lespiocheurs de leurs marres, un grandtombeau de bronze long sans mesure:car oncques n’en trouverent le bout, parce qu’il entroit trop avant les exclusesde Vienne. Icelluy ouvrans en certainlieu signé au dessus d’un goubelet, a l’entour duquel estoit escript en lettres Ethrusques, Hic bibitur, trouverent neuf flac-cons en tel ordre qu’on assiet les quillesen Guascoigne. Des quelz celluy quiau mylieu estoit, couvroit un gros, grasgrand, gris, joly, petit, moisy, livret, plusmais non mieulx sentent que roses.

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En icelluy fut ladicte genealogie trouvee escripte au long, de lettres cancel-leresques, non en papier, non en parchemin, non en cere: mais en escorce D’ul-meau, tant toutesfoys usees par vetu-sté, qu’a poine en povoit on troys recongnoistre de ranc.

Je (combien que indigne) y fuz ap-pelle: & a grand renfort de bezicles pra-cticant l’art dont on peut lire lettres nonapparentes, comme enseigne Aristoteles,la translatay, ainsi que veoir pourrezen Pantagruelisant, c’est a dire, beuvansa gre, & lisans les gestes horrificques dePantagruel. A la fin du livre estoit unpetit traicte intitule, Les Fanfreluchesantidotees. Les ratz & blattes ou (affinque je ne mente) aultres malignes be-stes avoient brousté le commencement, lereste j’ay cy dessoubz adjouste, par reve-rence de l’antiquaille.

Les Fanfreluches antidotees trou-vees en un monument antique,

Chapitre. ij.

Fu.8.

[...]a i? enu le grand dompteur des Cimbres[...]v sant par l’aer, de peur de la rousee,[...]‘ sa venue on a remply les Timbres[...]a ’ beure fraiz, tombant par une honsee[...]= uquel quand fut la grand mere arrouseeCria tout hault, hers par grace pesche le.Car sa barbe est pres que toute embouseeOu pour le moins, tenez luy une eschelle.

Aulcuns disoient que leicher sa pantoufleEstoit meilleur que guaigner les pardons:Mais il survint un affecte marroufle,Sorti du creux ou l’on pesche aux gardonsQui dict, messieurs pour dieu nous engardonsL’anguille y est, & en cest estau musse.

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La trouverez (si de pres regardons)Une grand tare, au fond de son aumusse.

Quand fut au poinct de lire le chapitre,On n’y trouva que les cornes d’un veau.Je (disoit il) sens le fond de ma mitreSi froid, que autour me morfond le cerveauOn l’eschaufa d’un parfunct de naveauEt fut content de soy tenir es atres,Pourveu qu’on feist un limonnier noveau

[8v]

A tant de gens qui sont acariatres.

Leur propos fut du trou de sainct patriceDe Gilbathar, & de mille aultres trous:S’on les pourroit reduire a cicatrice,Par tel moien, que plus n’eussent la tousVeu qu’il sembloit impertinent a tous:Les veoir ainsi a chascun vent baisler.Si d’aventure ilz estoient a poinct clous,On les pourroit pour houstage bailler

En cest arrest le courbeau fut peléPar Hercules: qui venoit de Libye,Quoy? Dist Minos, que n’y suis je appelleExcepté moy tout le monde on convie.Et puis l’on veult que passe mon envie,A les fournir d’huytres & de grenoillesJe donne au diable en quas que de ma viePreigne a mercy leur vente de quenoilles.

Pour les matter survint. Q. B. qui clopeAu sauconduit des mistes Sansonnetz.Le tamiseur, cousin du grand Cyclope,Les massacra. Chascun mousche son nezEn ce gueret peu de bougrins sont nez,

Fu.9.

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Qu’on n’ait berné sus le moulin a tan.Courrez y tous: & a l’arme sonnez.Plus y aurez, que n’y eustes antan.

Bien peu apres, l’oyseau de JupiterDelibera pariser pour le pire.Mais les voyant tant fort se despiter:Craignit qu’on mist ras, jus, bas, mat, l’empi (reEt mieulx ayma le feu du ciel empireAu tronc ravir ou l’on vend les soretz:Que aer serain, contre qui l’on conspire,Assubjectir es dictz des Massoretz.

Le tout conclud fut a poincte affilee,Maulgre Até, la cuisse heronniere,Que la s’asist, voyant PentasileeSus ses vieux ans prinse pour cressonniereChascun crioit, vilaine charbonniereT’appartient il toy trouver par chemin?Tu la tolluz la Romaine baniere,Qu’on avoit faict au traict du parchemin.

Ne fust Juno, que dessoubz l’arc celesteAvec son duc tendoit a la pipee:On luy eust faict un tour si tresmoleste

B

[9v]

Que de tous poincts elle eust este frippee.L’accord fut tel, que d’icelle lippeeElle en auroit deux oeufz de proserpineEt si jamais elle y estoit grippee,On la lieroit au mont de l’Albespine.

Sept moys apres, houstez en vingt & deuxCil qui jadis anihila Carthage,Courtoysement se mist en mylieu d’euxLes requerent d’avoir son heritage.Ou bien qu’on feist justement le partageSelon la loy que l’on tire au rivet,Distribuent un tatin du potageA ses sacquins qui firent le brevet.

Mais l’an viendra signe d’un arc turquoysDe v. fuseaulx, & troys culz de marmiteOnquel le dos d’un roy trop peu courtoys

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Poyvré sera soubz un habit d’hermite.O la pitié. Pour une chattemiteLaisserez vous engouffrer tant d’arpens?Cessez, cessez, ce masque nul n’imite.Retirez vous au frere des serpens.

Cest an passé, cil qui est, regnera

Fu.10.

Paisiblement avec ses bons amis.Ny brusq, ny Smach lors ne domineraTout bon vouloir aura son compromis.Et le solas qui jadis fut promis.Es gens du ciel, viendra en son befroy.Lors les haratz qui estoient estommisTriumpheront en royal palefroy.

Et durera ce temps de passe passeJusques a tant que Mars ayt les empas.Puis en viendra un qui tous aultres passeDelitieux, plaisant, beau sans compasLevez voz cueurs: tendez a ce repasTous mes feaulx. Car tel est trespasseQui pour tout bien ne retourneroit pasTant sera lors clamé le temps passe.

Finablement celluy qui fut de cireSera logé au gond du Jacquemart.Plus ne sera reclamé, Cyre, Cyre,Le brimbaleur, qui tient le cocquemart.Heu, qui pourroit saisir son braquemart?Toust seroient netz les tintouins cabusEt pourroit on a fil de poulemartTout baffouer le maguazin d’abus.

B ij

[10v]

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Comment Gargantua fut unzemoys porté ou ventre de sa

mere. Chapitre. iij.

GRandgousier estoit bon raillard en son temps, aymanta boyre net autant que ho-mme qui pour lors fust aumonde, & mangeoit voluntierssale. A ceste fin avoit ordinairement bonne munition de jambons de Magence & deBaionne, force langues de beuf fumees,abondance de andouilles en la saison &beuf sallé a la moustarde. Renfort deboutargues, provision de saulcisses, non

Fu.11.

de Bouloigne (car il craignoit ly bou-con de Lombard) mais de Bigorre, deLonquaulnay, de la Brene, & de Rouargue. En son eage virile espousa Gargamelle fille du roy des Parpaillos, bellegouge & de bonne troigne. Et faisoienteux deux souvent ensemble la beste adeux doz, joyeusement se frotans leurlard, tant qu’elle engroissa d’un beau filz,& le porta jusques a l’unziesme moys.

Car autant, voire dadvantage, peuventles femmes ventre porter, mesmementquand c’est quelque chef d’oeuvre, & person-nage qui doibve en son temps faire grandesprouesses. Comme dict Homere que l’enfant(duquel Neptune engroissa la nymphe)nasquit l’an apres revolu: ce fut le dou-ziesme moys, Car (comme dit Aule Gellelib. iij.) ce long temps convenoit a la maje-sté de Neptune, affin qu’en icelluy l’en-fant feust form a perfection. A pareil-le raison Jupiter feist durer, xlviij. heures la nuyct qu’il coucha avecques Alc-mene. Car en moins de temps n’eust il

B iij

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[11v]

peu forger Hercules qui nettoia le monde de monstres & tyrans.

Messieurs les anciens Pantagrueli-stes ont conformé ce que je dis, & ont decla-ré non seulement possible, mais aussi le-gitime l’enfant né de femme l’unziesmemoys apres la mort de son mary.Hippocrates lib. de alimento.Pline li vij cap v.Plaute in Cistellaria.Marcus Varro en la satyre inscripte.Le testament, allegant l’autorite d’Ari-stoteles a ce propos.Censorinus li. de die natali.Aristoteles libr. vij. capi. iij. &.iiij. de nat

animalium.Gellius li. iij. ca. xvj. Servius in egl.exposant ce metre de Virgile Matrilonga decem &c.Et mille aultres folz, Le nombre desquelz

a esté par les legistes acreu ff. de suis &legit. l. Intestato. §. fi.

Et in autent. de restituit. & ea que paritin. xj. mense.

Fu.12.

D’abondant en ont chaffourré leur ro-bidilardicque loy. Gallus. ff. de lib. &posthu. &. l. Septimo. ff. de stat. homi. &quelques aultres, que pour le presentdire n’ause.

Moiennans lesquelles loys, les fem-mes vefves peuvent franchement jouerdu serrecropiere a tous enviz & toutes,restes, deux mois apres le trespas deleurs mariz. Je vous prie par grace vousaultres mes bons averlans, si d’icellesen trouvez que vaillent le desbraguet-ter, montez dessus & me les amenez. Carsi au troisiesme moys elle engroissent:leur fruict sera heritier du deffunct. Etla groisse congneue, poussent hardimentoultre, & vogue la gualee, puis que lapanse est pleine. Comme Julie fille de

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l’empereur Octavian ne se abandon-noit a ses taboureurs, sinon quand el-le se sentoit grosse, a la forme que la navire ne recoit son pilot, que premierementne soit callafatee & chargee. Et si per-sonne les blasme de soy faire ratacon-

B iiij

[12v]

niculer ainsi suz leur groisse, veu queles bestes suz leur ventrees n’endurentjamais le masle mascalant: elles responderont que ce sont bestes, mais elles sontfemmes: bien entendentes les beaulx &joyeux menuz droictz de superfection:comme jadis respondit Populie selonle raport de Macrobe li. ij. Saturnal.Si le diavol ne veult qu’elles engrois-sent, il fauldra tortre le douzil, & boucheclouse.

Comment Gargamelle estant grossede Gargantua mangea grand

planté de tripes.Chapitre. iiij.

L’Occasion & maniere commentGargamelle enfanta fut tel-le. Et si ne le croyez, le fondement vous escappe. Le fon-dement luy escappoit une apresdinee le.iij. jour de febvrier, par trop avoir mange de gaudebillaux, Gaudebillaux:sont grasses tripes de coiraux. Coi-

Fu.13.

raux: sont beufz engressez a la creche &prez guimaulx. Prez guimaulx: sontqui portent herbe deux fois l’an. D’iceulx

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gras beufz avoient faict tuer troys censsoixante sept mille & quatorze, pour estrea mardy gras sallez: affin qu’en la primevere ilz eussent beuf de saison a tas, pourau commencement des repastz faire commemoration de saleures, & mieulx en-trer en vin.

Les tripes furent copieuses, commeentendez: & tant friandes estoient quechascun en leichoit ses doigtz. Mais lagrande diablerie a quatre personnaigesestoit bien en ce que possible n’estoit longuement les reserver. Car elles feussent pourries. Ce que sembloit indecent. Dont futconclud, qu’ilz les bauffreroient sans rieny perdre. A ce faire convierent tous les ci-tadins de Sainnais, de Suille: de laRocheclermaud, de Vau gaudray, sanslaisser arriere le Coudray, Montpensierle Gue de vede & aultres voisins: tousbons beveurs, bons compaignons & beaulx

B v

[13v]

joueurs de quille la. Le bon homme Grandgousier y prenoit plaisir bien grand: &commendoit que tout allast par escuelles.Disoit toutesfoys a sa femme qu’elle enmangeast le moins, veu qu’elle aprochoitde son terme, & que ceste tripaille n’estoitviande moult louable. Celluy (disoit il)a grande envie de mascher merde, qui d’i-celle le sac mangeue. Non obstant cesremontrances: elle en mangea seze muiz,deux bussars, & six tupins. O belle matiere fecale, que doivoit boursouffler en elle

Apres disner tous allerent (pelle melle) a la saulsaie: & la sus l’herbe dure dancerent au son des joyeux flageolletz, &doulces cornemuses: tant baudement quec’estoit passetemps celeste les veoir ain-si soy rigouller.

Les propos des bienyvres.Chapitre v.

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PUis entrerent en propos de res-jeumer on propre lieu.

Lors flaccons d’aller: jambons

Fu.14.

de troter, goubeletz de voler, breussesde tinter Tire, baille, tourne, brouille.Boutte a moy, sans eau, ainsi mon amyfouette moy ce verre gualentement, pro-duiz moy du clairet, verre pleurant. Treves de soif, Ha faulse fiebvre, ne t’en irastu pas? Par ma fy ma commere je ne peuzentrer en bette. Vous estez morfonduem’amie. Voire. Ventre sainct Qenetparlons de boire. Je ne boy que a mesheures, comme la mulle du pape. Je neboy que en mon breviaire, comme un beaupere guardian. Qui feut premier soif oubeuverye? Soif. Car qui eust beu sanssoif durant le temps de innocence? Beuverye. Car privatio presupponit habitum.Je suys clerc. Foecundi calices quen nonfecere disertum. Nous aultres innocensne beuvons que trop sans soif. Non moypecheur sans soif. Et si non presentepour le moins future. La prevenent comme entendez. Je boy pour la soif advenir.Je boy eternellement, ce m’est eternite debeuverye, & beuverye de eternite. Chan

[14v]

tons beuvons un motet. Entonnons.Ou est mon entonnoir? Quoy je ne boyque par procuration.

Mouillez vous pour seicher, ou vousseichez pour mouiller? Je n’entens poinctla theoricque de la praticque je me aydequelque peu. Haste. Je mouille, je humecte,

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je boy: Et tout de peur de mourir. Beuvez tousjours vous ne mourrez jamais.Si je ne boy je suys a sec. Me voylamort. Mon ame s’en fuyra en quelquegrenoillere. En sec jamais l’ame ne ha-bite. Somelliers, o createurs de nouvel-les formes rendez moy de non beuvantbeuvant. Perannite de arrousement parces nerveux & secz boyaulx. Pour neantboyt qui ne s’en sent. Cestuy entre dedansles venes, la pissotiere n’y aura rien. Jelaveroys voluntiers les tripes de ce veauque j’ay ce matin habille. J’ay bien sa-burre mon stomach. Si le papier de messchedules beuvoyt aussi bien que je foys,mes crediteurs auroient bien leur vinquand on viendroyt a la formule de exhi-

Fu.15.

ber. Ceste main vous guaste le nez. Oquants aultres y entreront, avant quecestuy cy en sorte. Boire a si petit gué:c’est pour rompre son poictral. Cecy s’ap-pelle pipee a flaccons. Quelle differen-ce est entre bouteille & flaccon? grande,car bouteille est fermee a bouchon, & flaccon a viz. De belles. Noz peres beurentbien & vuiderent les potz, C’est bien chiéchante, beuvons. Voulez vous rien mander a la riviere? Cestuy cy va laver lestripes. Je ne boy en plus q’une esponge.Je boy comme un templier, & je tanquamsponsus, & moy sicut terra sine aqua.Un synonyme de jambon? c’est une compulsoire de beuvettes. c’est un poulain.Par le poulain on descend le vin en cave, par le jambon, en l’estomach. Or c’aa boire, boire c’a. Il n’y a poinct charge.Respice personam: pone pro duos: busnon est in usu. Si je montois aussi biencomme j’avalle, je feusse piec’a hault enl’aer. Ainsi se feist Jacques cueur riche.Ainsi profitent boys en friche. Ainsi con-

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[15v]

questa Bacchus l’Inde. Ainsi philoso-phie melinde. Petite pluye abat grandvend Longues beuvettes rompent le tonnoire: Mais si ma couille pissoit telleurine, la vouldriez vous bien sugcer? Jeretiens apres. paige baille, je t’insinuema nomination en mon tour. HumeGuillot, encores y en a il un pot. Je meporte pour appellant de soif, comme d’abus.Paige relieve mon appel en forme. Cesteroigneure. Je souloys jadis boyre tout:maintenant je n’y laisse rien. Ne noushastons pas, & amassons bien tout. Voycy trippes de jeu, & guodebillaux d’envy.de ce fauveau a la raye noire. O pourdieu estrillons le a profict de mesnaige.Beuvez ou je vous. Non, non. Beuvezje vous en prye. Les passereaux ne man-gent si non que on leurs tappe les queues.Je ne boy si non qu’on me flatte. Lago-na edatera. Il n’y a raboulliere en toutmon corps, ou cestuy vin ne furette lasoif. Cestuy cy me la fouette bien. cestuycy me la bannira du tout. Cornons icy

Fu.16.

a son de flaccons & bouteilles, que qui-conques aura perdu la soif, ne ayt a lachercher ceans, Longs clysteres de beuverie l’ont faict vuyder hors le logis. Legrand dieu feist les planettes: & nousfaisons les platz netz. J’ai la parolle dedieu en bouche: Sitio. La pierre dicteabestoz n’est plus inextinguible que lasoif de ma paternite. L’appetit vient enmangeant, disoyt Angest on mans. lasoif s’en va en beuvant. Remede contrela soif? Il est contraire a celluy qui est contre morsure de chien; courrez tousjoursapres le chien, jamais ne vous mordera,beuvez tousjours avant la soif, & jamaisne vous adviendra. Je vous y prens jevous resveille. Sommelier eternel guar-de nous de somme. Argus avoyt centyeulx pour veoir, cent mains fault a

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un sommelier comme avoyt Briareus,pour infatigablement verser. mouillonshay il faict beau seicher. Du blanc. verse tout. verse de par le diable, verse. de-ca, tout plein, la langue me pelle. Lans

[16v]

tringue, a toy compaing, de hayt, dehayt, la, la, la, c’est morfiaillé cela. O lachryma Christi: c’est de la Deviniere.c’est vin pineau. O le gentil vin blanc,& par mon ame ce n’est que vin de tafe-tas. Hen hen, il est a une aureille, biendrappé, & de bonne laine. Mon compaignon couraige. Pour ce jeu nous nevoulerons pas, car j’ay faict un levé. Exhoc in hoc. Il n’y a poinct d’enchante-ment Chascun de vous l’a veu. Je ysuis maistre passe. A brum a brum, je suisprebstre Mace. O les beuveurs, O lesalterez. Paige mon amy, emplis icy &couronne le vin je te pry. A la cardinaleNatura abhorret vacuum. Diriez vousq’une mousche y eust beu? A la mode deBretaigne. Net, net, a ce pyot, Avallez,ce sont herbes.

Comment Gargantua nasquiten facon bien estrange.

Chapitre. vi.

Fu.17.

EUlx tenens ces menuz proposde beuverie, Gargamelle commenca se porter mal du bas. DontGrandgousier se leva dessus l’herbe, &la reconfortoit honestement, pensant que

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ce feut mal d’enfant, & luy disant qu’elles’estoit la herbee soubz la saulsaye & qu’enbrief elle feroit piedz neufz par ce luy convenoit prendre couraige nouveau au nouvel advenement de son poupon, & encoresque la douleur luy feust quelque peuen fascherie: toutesfoys que ycelle seroitbriefve, & la joye qui toust succederoit,luy tolliroit tout cest ennuy: en sorte queseulement ne luy en resteroit la soubve

C

[17v]

nance. Couraige de brebis (disoyt il) depeschez vous de cestuy cy & bien tousten faisons un aultre. Ha (dist elle) tantvous parlez a vostre aize vous aultreshommes. bien de par dieu je me parforceray, puis qu’il vous plaist. Mais pleusta dieu que vous l’eussiez coupé. Quoy?dist Grandgousier. Ha (dist elle) que vousestes bon homme, vous l’entendez bien.Mon membre (dist il)? Sang de les cabres, si bon vous semble faictes appor-ter un cousteau. Ha (dist elle): ja dieu neplaise, Dieu me le pardoient, je ne le disde bon cueur: & pour ma parolle n’enfaictes ne plus ne moins. Mais je au-ray prou d’affaires aujourdhuy, si dieune me ayde, & tout par vostre membre,que vous feussiez bien ayse.

Couraige, couraige (dist il) ne voussouciez au reste, & laissez faire au quatreboeufz de devant. Je m’en voys boyre encores quelque veguade. Si ce pendent voussurvenoit quelque mal, je me tiendray pres,huschant en paulme je me rendray a vous.

Fu.18.

Peu de temps apres elle commenca a

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souspirer, lamenter & crier. Soubdainvindrent a tas saiges femmes de touscoustez. Et la tastant par le bas, trou-verent quelques pellauderies, assez demaulvais goust, & pensoient que ce feustl’enfant, maisc’estoit le fondement quiluy escappoit, a la mollification du droictintestine, lequel vous appelez le boyaucullier, par trop avoir mangé des tripescomme avons declaire cy dessus.

Dont une horde vieille de la compaignie, laquelle avoit reputation d’estre grande medicine & la estoit venue de Brize-paille d’aupres Sainct Genou devantsoixante ans, luy feist un restrinctif sihorrible, que tous ses larrys tant feu-rent oppilez & reserrez, que a grande poine avesques les dentz, vous les eussiezeslargiz, qui est chose bien horrible a pen-ser. Mesmement que le diable a la messe desainct Martin escripvant le quaquetde deux gualoises, a belles dentz alon-gea son parchemin.

C ii

[18v]

Par cest inconvenient feurent au des-sus relaschez les cotyledons de la ma-trice, par lesquelz sursaulta l’enfant, &entra en la vene creuse, & gravant parle diaphragme jusques au dessus desespaules (ou ladicte vene se part endeux) print son chemin a gauche, & sor-tit par l’aureille senestre.

Soubdain qu’il fut né, ne cria comme lesaultres enfans, mies, mies. Mais a haulte voix s’escrioit, a boire, a boire, a boire.comme invitant tout le monde a boire.si bien qu’il fut ouy de tout le pays deBeusse & de Bibaroys.

Je me doubte que ne croyez asseure-ment ceste estrange nativité. Si ne le croyez, je ne m’en soucie, mais un homme debien, un homme de bon sens croit tousjoursce qu’on luy dict, & qu’il trouve par escript.

Est ce contre nostre loy, nostre foy,contre raison contre la saincte escriptu

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re? De ma part je ne trouve rien escriptes bibles sainctes, qui soit contre cela.Mais si le vouloir de Dieu tel eust esté

Fu.19.

diriez vous qu’il ne l’eust peu faire? Hapour grace, ne emburelucocquez jamaisvos espritz de ces vaines pensees. Carje vous diz, que a Dieu rien n’est impos-sible. Et s’il vouloit les femmes auro-ient doresnavant ainsi leurs enfanspar l’aureille.Bacchus ne fut il engendré par la cuisse de Jupiter?

Rocquetaillade nasquit il pas du talonde sa mere?

Crocquemouche de la pantofle de sanourrice?

Minerve, nasquit elle pas du cerveaupar l’aureille de Jupiter?

Adonis par l’escorce d’un arbre de mirrhe?Castor & Pollux de la cocque d’un oeufpont & esclous par Leda.

Mais vous seriez bien dadvantaige esbahys & estonnez, si je vous expousoyspresentement tout le chapite de Pline,auquel parle des enfantemens estran-ges, & contre nature. Et toutesfoys jene suis poinct menteur tant asseuré com-

C iij

[19v]

me il a esté. Lisez le septiesme de sa naturelle histoire, capi. iij. & ne m’en tabustezplus l’entendement.

Comment le nom fut imposé aGargantua: et comment

il humoit le piot.Chap. vij.

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LE bon homme Grandgousierbeuvant, & se rigollant avec-ques les aultres entendit lecry horrible que son filz avoitfaict entrant en lumiere de ce monde,quand il brasmoit demandant, a boyre,

Fu.20.

a boyre, a boyre, dont il dist, que grandtu as, supple le gousier. Ce que ouyansles assistans, dirent que vrayement ildebvoit avoir par ce le nom Gargan-tua, puis que telle avoit este la premiereparolle de son pere a sa naissance, a l’i-mitation & exemple des anciens Hebreux.A quoy fut condescendu par icelluy, &pleut tresbien a sa mere. Et pour l’ap-paiser, luy donnerent a boyre a tyre la-rigot, & feut porté sus les fonts, & labaptise, comme est la coustume des bonschristiens.

Et luy feurent ordonnees dix & septmille neuf cens treze vaches de Pautil-le, & de Brehemond, pour l’alaicter ordinairement, car de trouver nourrice suf-fisante n’estoit possible en tout le pays,consideré la grande quantité de laict requis pour icelluy alimenter. Combienqu’aulcuns docteurs Scotistes ayentaffermé que sa mere l’alaicta: & qu’ellepouvoit traire de ses mammelles qua-torze cens deux pipes neuf poters de laict

C iiij

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pour chascune foys. Ce que n’est vraysemblable. Et a este la proposition declairee mammallement scandaleuse, despitoyables aureilles offensive: & sentent

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de loing heresie.

En cest estat passa jusques a un an &dix moys: onquel temps par le conseildes medecins on commenca le porter: &fut faicte une belle charrette a boeufspar l’invention de Jehan Denyau, de-dans icelle on le pourmenoit par cy: parla: joyeusement & le faisoit bon veoir,car il portoit bonne troigne, & avoit presque dix & huyt mentons: & ne crioit quebien peu: mais il se conchioit a toutes heures: car il estoit merveilleusement phleg-maticque des fesses: tant de sa comple-xion naturelle: que de la disposition ac-cidentale qui luy estoit advenue par trophumer de puree Septembrale. Et n’enhumoyt goutte sans cause.

Car s’il advenoit qu’il feust despit,courroussé, fasché, ou marry, s’il trepi-gnoyt, s’il pleuroit, s’il crioit, luy appor-

Fu.21.

tant a boyre, l’on le remettoit en nature,& soubdain demouroit coy & joyeulx.

Une de ses gouvernantes m’a dict,jurant sa fy que de ce faire il estoit tantcoustumier, qu’au seul son des pinthes &flaccons, il entroit en ecstase, comme s’ilgoustoit les joyes de paradis. En sortequ’elles considerans ceste complexiondivine, pour le resjouir au matin fai-soient davant luy sonner des verresavecques un cousteau, ou des flacconsavecques leur toupon, ou des pinthes,avecques leur couvercle. Auquel sonil s’esguayoit, il tressailloit, & luy mes-mes se bressoit en dodelinant de la te-ste, monichordisant des doigtz, & bary-tonant du cul.

Comment on vestit GargantuaChapitre. viij.

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LUy estant en cest eage, son pereordonna qu’on luy feist habille-mens a sa livree: laquelle estoitblanc & bleu. De faict on y besoigna& furent faictz, taillez, & cousuz a la modequi pour lors couroit.

Par les anciens pantarches, qui sonten la chambre des comptes a Montsoreau, je trouve qu’il feut vestu en la fa-con que s’ensuyt.

Pour sa chemise, furent levees neufcens aulnes de toille de Chasteleraud,& deux cens pour les coussons en sortede carreaulx, lesquelz on mist soubz lesesselles. Et n’estoit poinct froncee, car la

Fu.22.

fronsure des chemises n’a este inventee,sinon depuis que les lingieres, lors quela poincte de leur agueille estoit rom-pue, ont commence besoigner du cul.

Pour son pourpoinct furent leveeshuyt cens treize aulnes de satin blanc,& pour les agueillettes quinze cens neufpeaulx & demye de chiens. Lors commenca le monde attacher les chausses aupourpoinct, & non le pourpoinct auxchausses, car c’est chose contre nature, com-me amplement a declare Olkam susles exponibles de M. Haultechaussade.

Pour ses chausses feurent levez un-ze cens cinq aulnes, & ung tiers d’esta-met blanc, & feurent deschisquetez enforme de colomnes striees, & creneleespar le derriere, affin de n’eschaufer lesreins. Et flocquoit par dedans la des-chicqueture de damas bleu, tant que besoing estoit. Et notez qu’il avoit tresbel-les griefves, & bien proportionnez au reste de sa stature.

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Pour la braguette: feurent levees sei

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ze aulnes un quartier d’icelluy mesmesdrap, & fut la forme d’icelle comme d’unarc boutant, bien estachee joyeusement adeux belles boucles d’or, que prenoientdeux crochetz d’esmail, en un chascundesquelz estoit enchassee une grosse es-meraugde de la grosseur d’une pommed’orange. Car (ainsi que dict Orpheuslibro de lapidibus, & Pline libro ultimo)elle a vertu erective & confortative dumembre naturel. L’exiture de la braguet-te estoit a la longueur d’une canne, des-chicquetee comme les chausses, avecquesle damas bleu flottant comme davant.Mais voyans la belle brodure de canetille, & les plaisans entrelatz d’orfeveriegarniz de fins diamens, fins rubiz, fi-nes turquoyses, fines esmeraugdes, &unions Persicques, vous l’eussiez com-paree a une belle corne d’abondance, tel-le que voyez es antiquailles, & telle que donna Rhea es deux nymphes Adrastea, &Ida nourrices de Jupiter. Tousjoursgualante, succulente, resudante, tous-

Fu.23.

jours verdoyante, tousjours fleurissante, tousjours fructifiante, plene d’hu-meurs, plene de fleurs, plene de fruictzplene de toutes delices. Je advoue dieus’il ne la faisoit bon veoir. Mais je vousen exposeray bien dadventaige au livreque j’ay faict De la dignité des braguettes. D’un cas vous advertis, que si elleestoit bien longue & bien ample, si estoitelle bien guarnie au dedans & bien avi-taillee, en rien ne ressemblant les hypo-

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criticques braguettes d’un tas de mu-guetz, qui ne sont plenes que de vent, augrand interest du sexe feminin.

Pour ses souliers furent levees quatre cens six aulnes de velours bleu cramoysi, & furent deschicquettez mignone-ment par lignes parallelles joinctes encylindres uniformes. Pour la quarre-leure d’iceulx furent employez unze censpeaulx de vache brune, taillee a queuesde merluz.

Pour son saie furent levez dix & huytcens aulnes de velours bleu tainct en

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grene, brode a l’entour de belles vignet-tes & par le mylieu de pinthes d’argentde canetille, enchevestrees de verges d’oravecques force perles, par ce denotantqu’il seroit un bon fessepinthe en son temps.

Sa ceincture feut de troys cens aulnes& demye de cerge de soye, moytie blanche & moytie bleu, ou je suis bien abusé.

Son espee ne feut Valentienne, nyson poignard Sarragossoys, car sonpere hayssoit tous ces Indalgos Bourrachous marranisez comme diables, maisil eut la belle espee de boys, & le poignartde cuir bouilly, pinctz & dorez comme unchascun soubhaiteroit.

Sa bourse fut faicte de la couille d’unOriflant, que luy donna Her Pracontal proconsul de Libye.

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Pour sa robbe furent levees neuf mille six cens aulnes moins deux tiers develours bleu comme dessus, tout porfiléd’or en figure diagonale, dont par justeperspective yssoit une couleur innom-mee, telle que voyez es coulz des tour-

Fu.24.

terelles, qui resjouissoit merveilleusementles yeulx des spectateurs.

Pour son bonnet furent levees troyscens deux aulnes ung quart de veloursblanc, & feut la forme d’icelluy large &ronde a la capacite du chief. Car sonpere disoit que ces bonnetz a la Mar-rabeise faictz comme une crouste de pa-sté, porteroient quelque jour mal encontre a leurs tonduz.

Pour son plumart pourtoit une belle grande plume bleue prinse d’un Onocrotal du pays de Hircanie la saulvai-ge, bien mignonement pendente sus l’aureille droicte.

Pour son image avoit en une plati-ne d’or pesant soixante & huyt marcs, unefigure d’esmail competent: en laquelleestoit pourtraict un corps humain ayantdeux testes, l’une viree vers l’aultre, quatre bras, quatre piedz, & deux culz telz quedict Platon in symposio, avoir este l’humaine nature a son commencement mystic.Et au tour estoit escript en lettres Ioniques

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ΑΓΑΠΗ ΟΥ ΖΗΤΕΙΤΑ ΕΑΥΤΗΣ.

Pour porter au col, eut une chained’or pesante vingt & cinq mille soixante

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& troys marcs d’or, faicte en forme degrosses bacces, entre lesquelles estoienten oeuvre gros Jafpes verds, engravez& taillez en Dracons tous environnezde rayes & estincelles, comme les portoitjadis le roy Necepsos. Et descendoitjusques a la boucque du hault ventre.Dont toute sa vie en eut l’emolument telque scavent les medecins Gregoys.

Pour ses guands furent mises en oeuvre seize peaulx de lutins, & troys deloups guarous pour la brodure d’iceulxEt de telle matiere luy feurent faictz parl’ordonnance des Cabalistes de sainlouand.

Pour ses aneaulx (lesquelz voulutson pere qu’il portast pour renouvellerle signe antique de noblesse) il eut audoigt indice de sa main gauche une es-carboucle grosse comme un oeuf d’austruche, enchassee en or de seraph bien mi-

Fu.25.

gnonement. Au doigt medical d’icelle,eut un aneau faict des quatre metaulxensemble: en la plus merveilleuse facon,que jamais feust veue, sans que l’assierfroisseast l’or, sans que l’argent foullastle cuyvre. Le tout fut faict par le capi-taine Chappuys & Alcofribas son bonfacteur. Au doigt medical de la dextreeut un aneau faict en forme spirale, au-quel estoient enchassez un balay en per-fection, un diament en poincte, & une es-meraulde de Physon, de pris inestima-ble. Car Hans Carvel grand lapidai-re du roy de Melinde les estimoit a lavaleur de soixante neuf millions huytcens nonante & quatre mille dix & huytmoutons a la grand laine: autant l’esti-merent les Fourques D’auxbourg.

Les couleurs & livree de Gargantua.Chapitre. ix.

LEs couleurs de Gargantua feurent

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blanc & bleu: comme cy dessusavez peu lire. Et par icelles vou-

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[25v]

loit son pere qu’on entendist que ce luyestoit une joye celeste. Car le blanc luysignifioit joye, plaisir, delices, & resjouis-sance, & le bleu, choses celestes.

J’entends bien que lisans ces motz,vous mocquez du vieil beuveur, & reputez l’exposition des couleurs par trop indague, & abhorrente: & dictes que blancsignifie foy: & bleu, fermeté. Mais sansvous mouvoir, courroucer, eschaufer,ny alterer (car le temps est dangereux)respondez moy si bon vous semble. D’aultre contraincte ne useray envers vous,ny aultres quelz qu’ilz soient. Seulementvous diray un mot de la bouteille.

Qui vous meut? Qui vous poinct?Qui vous dict? que blanc signifie foy: &bleu fermeté? Un (dictes vous) livre trepelu qui se vend par les bisouars & porteballes au tiltre: Le Blason des cou-leurs. Qui l’a faict? Quiconques il soit,en ce a este prudent, qu’il n’y a poinct misson nom, Mais au reste, je ne scay quoypremier en luy je doibve admirer, ou son

Fu.26.

oultrecuidance, ou sa besterie.

Son oultrecuidance, qui sans raison,sans cause, & sans apparence, a auseprescripre de son autorité privee quelleschoses seroient denotees par les cou-leurs: ce que est l’usance des tyrans quivoulent leur arbitre tenir lieu de rai-son: non des saiges & scavans qui par raisons manifestes contentent les lecteurs.

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Sa besterie: qui a existime que sansaultres demonstrations & argumens valables le monde reigleroit ses devisespar ses impositions badaudes.

De faict (comme dict le proverbe, a culde foyrad[sic] toujours abonde merde) il atrouve quelque reste de niays du tempsdes haultz bonnetz: lesquelz ont eu foya ses escripts. Et selon iceulx ont tailleleurs apophthegmes & dictez: en ont enchevestre leurs muletz: vestu leurs pa-ges, escartelé leurs chausses, brodé leursguandz: frangé leurs lictz: painct leursenseignes: composé chansons: & (quepis est) faict impostures & lasches tours

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[26v]

clandestinement entre les pudicquesmatrones.

En pareilles tenebres sont comprinsces glorieux de court, & transporteurs denoms: lesquelz voulens en leurs divisessignifier espoir, font protraire une sphere: des pennes d’oiseaulx, pour poines:de L’ancholie, pour melancholie: la Lunebicorne, pour vivre en croissant: un bancrompu, pour bancque roupte: non & unalcret, pour non durhabit: un lict sansciel, pour un licentie. Que sont homo-nymies tant ineptes, tant fades, tant ru-sticques & barbares, que l’on doibvroitatacher une queue de renard, au collet,& faire un masque d’une bouze de vachea un chascun d’iceulx, qui en vouldroitdorenavant user en France apres la restitution des bonnes lettres.

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Par mesmes raisons (si raisons lesdoibz nommer, & non resveries) feroisje paindre un penier: denotant qu’on mefaict pener. Et un pot a moustarde, quec’est mon cueur a qui moult tarde. Et un

Fu.27.

pot a pisser, c’est un official. Et le fondde mes chausses, c’est un vaisseau de petz& ma braguette, c’est le greffe des arrestzEt un estront de chien, c’est un tronc deceans, ou gist l’amour de m’amye.

Bien aultrement faisoient en tempsjadis les saiges de Egypte, quand ilz es-cripvoient par lettres, qu’ilz appelloienthieroglyphicques. Lesquelles nul n’entendoit qui n’entendist: & un chascun enten-doit qui entendist la vertu, propriete, &nature des choses par icelles figurées,Desquelles Orus Apollon a en Greccompose deux livres, & Polyphile au songe d’amours en a davantaige expose. EnFrance vous en avez quelque transon enla devise de monsieur L’admiral: laquelle premier porta Octavian Auguste.

Mais plus oultre ne fera voile monequif entre ces gouffres & guez mal plaisans: Je retourne faire scale au portdont suis yssu. Bien ay je espoir d’en escripre quelque jour plus amplement: &monstrer tant par raisons philosophicques,

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[27v]

que par auctoritez receues & approuveesde toute anciennete, quelles & quantes couleurs sont en nature: & quoy par unechascune pent estre designe, si dieu mesaulve le moulle du bonnet, c’est le pot auvin, comme disoit ma mere grand.

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De ce qu’est signifié par lescouleurs blanc & bleu.

Chapitre. x.

LE blanc doncques signifie joye,soulas, & liesse: & non a tort le si-gnifie, mais a bon droict & justetiltre. Ce que pourrez verifier si arrieremises voz affections voulez entendre ceque presentement vous exposeray.

Aristoteles dict que supposent deuxchoses contraires en leur espece: commebien & mal: vertu & vice: froid & chauld:blanc & noir: volupte & doleur: joye &dueil, & ainsi de aultres si vous les cou-blez en telle facon, q’un contraire d’uneespece convienne raisonnablement a l’uncontraire d’une aultre, il est consequent,

Fu.28.

que l’autre contraire compete avecques l’autre residu. Exemple. Vertus & Vice sontcontraires en une espece, aussy sont Bien& Mal. Si l’un des contraires de la pre-miere espece convient a l’un de la secondecomme vertus & bien: car il est sceut: quevertus est bonne, ainsi feront les deuxresiduz, qui sont mal & vice, car vice estmaulvais.

Ceste reigle logicale entendue, prenezces deux contraires, joye & tristesse: puisces deux, blanc & noir. Car ilz sont con-traires physicalement. Si ainsi doncquesest que noir signifie dueil, a bon droict blancsignifiera joye.

Et n’est ceste signifiance par impo-sition humaine institué, mais receue parconsentement de tout le monde, que lesphilosophes nomment jus gentium, droictuniversel valable par toutes contrees.

Comme assez scavez, que tous peuples,toutes nations (je excepte les antiquesSyracusans & quelques Argives: qui

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avoient l’ame de travers) toutes languesD iiij

[28v]

voulens exteriorement demonstrer leurtristesse portent habit de noir: & tout dueilest faict par noir. Lequel consentementuniversel n’est faict que nature n’en donnequelque argument & raison: laquelle unchascun peut soubdain par soy compren-dre sans aultrement estre instruict depersonne, laquelle nous appellons droictnaturel.

Par le blanc a mesmes induction denature tout le monde a entendu joye, liesse, soulas, plaisir, & delectation.

Au temps passe les Thraces & Cretes. signoient les jours bien fortunez &joyeux, de pierres blanches: les tristes& defortunez, de noires.

La nuyct* n’est elle funeste, triste, & me-lancholieuse? Elle est noire & obscurepar privation. La clarte n’esjouit elle toute nature? Elle est blanche plus que chose que soit. a quoy prouver je vous pourrois renvoyer au livre de Laurens Valle contre Bartole, mais le tesmoignageevangelicque vous contentera. Mathieu.

Fu.29.

xvij. est dict que a la transfiguration denostre seigneur: vestimenta ejus factasunt alba sicut lux, ses vestements feu-rent faictz blancs comme la lumiere. Parlaquelle blancheur lumineuse donnoitentendre a ses troys apostres l’idee & fi-gure des joyes eternelles. Car par laclarte sont tous humains esjouiz. Com-me vous avez le dict d’une vieille que n’avoit dens en gueulle, encores disoit elle

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Bona lux. Et Thobie, cap. v. quand ileut perdu la veue, lors que Raphael lesalua, respondit. Quelle joye pourrayje avoir qui poinct ne voy la lumiere duciel? En telle couleur tesmoignerent lesAnges la joye de tout l’univers a la re-surrection du saulveur, Joan. xx. & ason ascension, Act. j. De semblable pa-rure veit sainct Jean evangeliste Apocal.iiij. &. vij. les fideles vestuz en la celeste& beatifiee Hierusalem.

Lisez les histoires antiques tant Grec-ques que Romaines, vous trouverez quela ville de Albe (premier patron de Ro-

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[29v]

me) feut & construicte & appellee a l’in-vention d’une truye blanche.

Vous trouverez que si a aulcun apresavoir eu des ennemis victoire, estoit de-creté qu’il entrast a Rome en estat triumphant, il y entroit sur un char tiré parchevaulx blancs. Autant celluy qui yentroit en ovation. Car par signe nycouleur ne pouvoyent plus certainementexprimer la joye de leur venue, que parla blancheur.

Vous trouverez que Pericles ducdes Atheniens voulut celle part de sesgensdarmes esquelz par sort estoient advenus les febves blanches, passer tou-te la journee en joye, solas, & repos: cependent que ceulx de l’aultre part batailleroient. Mille aultres exemples & lieuxa ce propos vous pourrois je exposer,mais ce n’est icy le lieu.

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Moyennant laquelle intelligence povez resouldre un probleme, lequel Alexandre Aphrodise a repute insolube. Pour-quoy le Leon, qui de son seul cry & rugis

Fu.30.

sement espovante tous animaulx, seu-lement crainct & revere le coq blanc? Car(ainsi que dict Proclus lib. de sacrificio& magia) c’est par ce que la presence de lavertus du Soleil, qui est l’organe & promptuaire de toute lumiere terrestre & syde-rale, plus est symbolisante & competen-te au coq blanc: tant pour icelle couleurque pour sa propriete & ordre specificqueque au Leon. Plus dict, que en formeLeonine ont este diables souvent veuz,lesquelz a la presence d’un coq blanc soubdainement sont disparuz.

Ce est la cause pourquoy Galli. (cesont les Francoys ainsi appellez par ceque blancs sont naturellement comme laict,que les Grecz nomme gala) voluntiersportent plumes blanches sus leurs bon-netz. Car par nature, ilz sont joyeux,candides, gratieux & bien amez: & pourleur symbole & enseigne ont la fleur plusque nulle aultre blanche, c’est le lys.

Si demandez comment par couleurblanche nature nous induict entendre

[30v]

joye & liesse: je vous responds, que l’analogie & conformite est telle. Car commele blanc exteriorement disgrege & espartla veue, dissolvent manifestement lesesperitz visifz, selon l’opinion de Aristote-les en ses problemes, & des perspectifz, &le voyez par experience: quand vous

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passez les montz couvers de neige: ensorte que vous plaignez de ne pouvoirbien reguarder, ainsi que Xenophon es-cript estre advenu a ses gens: & commeGalen expose amplement lib. x. de usupartium: tout ainsi le cueur par joye excellente est interiorement espart & patistmanifeste resolution des esperitz vitaulxLaquelle tant peut estre acreue; que lecueur demoureroit spolie de son entre-tien, & par consequent seroit la vie estain-cte, par ceste perichairie comme dict Ga-len lib. xij. Metho. li. v. de locis affectis& li. ij. de symptomaton causis Et comme estre au temps passe advenu tesmoignent Marc Tulle li. j. questio. Tuscul.Verrius, Aristoteles, Tite Live, apres

Fu.31.

la bataille de Cannes, Pline lib. vij. c.xxxij. & liij. Aulus Gellius li. iij. xv. & aul-tres. a Diagoras Rodien, Chilo, So-phocles, Diony, tyrant de Sicile, Philippides, Philemon, Polycrata, Phili-stion, Marcus Juventius, & aultres qui mou-rurent de joye. Et comme dict Avicen-ne in. ij. canone, & lib. de viribus cordis,du zaphran, lequel tant esjouist le cueurqu’il le despouille de vie si on en prend endose excessifve, par resolution & dilatationsuperflue, Icy voyez Alexandre Aphrodisienlib. primo problematum c. xix. Et pourcause. Mais quoy j’entre plus avanten ceste matiere, que ne establissois aucommencement, icy doncques calleraymes voilles remettant le reste au livreen ce consomme du tout. Et diray en

un mot que le bleu signifie certaine-ment le ciel & choses celestes,

par mesmes symbolesque le blanc signi-

fioit joye &plaisir.

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De l’adolescence de Gargantua.Chapitre. xj.

GArgantua depuis les troys jus-ques a cinq ans feut nourry &institué en toute discipline con-venente par le commandement de son pe-re, & celluy temps passa comme les petitzenfans du pays, c’est assavoir a boyre,manger, & dormir: a manger, dormir, &boyre: a dormir, boyre, & manger.

Tousjours se vaultroit par les fanges, se mascaroyt le nez, se chauffour-roit le visaige. Aculoyt ses souliers, baisloit souvent au mousches, & couroit voulentiers aprés les parpaillons, desquelzson pere tenoit l’empire. Il pissoit susses souliers, il chyoit en sa chemise, il semouschoyt a ses manches, il mourvoitdedans sa soupe. Et patroilloit par toutlieux, & beuvoit en sa pantoufle, & se frottoit ordinairement le ventre d’un panier.Ses dens aguysoit d’un sabot, ses mainslavoit de potaige, se pignoit d’un goube

Fu.32.

let. Se asseoyt entre deus selles le cul aterre. Se couvroyt d’un sac mouillé.Beuvoyt en mangeant sa souppe. Mangeoyt sa fouace sans pain. Mordoyt enriant. Rioyt en mordent. Souvent cra-choyt on bassin, pettoy de gresse. pissoytcontre le soleil. Se cachoyt en l’eau pourla pluye. Battoyt a froid. Songeoytcreux. faisoyt le succre. Escorchoyt le re

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nard. disoit la patenostre du cinge. re-tournoit a ses moutons. Tournoyt lestruies au foin. Battoyt le chien devantle lion. Mettoyt la charrette devant lesbeufz. se grattoyt ou ne luy demangeoytpoinct. Tiroit les vers du nez. Tropembrassoyt, & peu estraignoyt. Man-geoyt son pain blanc le premier. ferroytles cigalles. Se chatouilloyt pour se faire rire. ruoyt tresbien en cuisine. faisoytgerbe de feurre au dieux. faisoyt chantermagnificat a matines, & le trouvoyt biena propous. Mangeoyt chous & chioytpourree. congnoissoyt mousches en laict.faisoyt perdre les pieds au[sic] mousches.

[32v]

Ratissoyt le papier. chaffourroyt le parchemin. Guaignoyt au pied. Tiroyt auchevrotin. Comptoyt sans son houste.Battoyt les buissons, sans prandre lesozillons. Croioyt que nues feussent pailles d’arain, & que vessies feussent lan-ternes. Tiroyt d’un sac deux monstu-res. Faisoyt de l’asne pour avoir du bren.De son poing faisoyt un maillet. Prenoitles grues du premier sault. Vouloyt quemaille a maille on feist les haubergeons.De cheval donné tousjours reguardoyten la gueulle. Saultoyt du coq a l’asne.Mettoyt entre deux verdes une meure.faisoyt de la terre le fousse. Gardoyt lalune des loups. Si les nues tomboientesperoyt prandre les alouettes. Faisoytde necessite vertus. Faisoyt de tel painsouppe. Se soucioyt aussi peu des raitzcomme des tonduz. Tous les matinsescorchoyt le renard. Les petitz chiensde son pere mangeoient en son escuelle.Luy de mesmes mangeoit avecques eux:il leurs mordoit les aureilles. Ilz luy

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graphinoient le nez. Il leurs souffloit aucul. Ilz luy leschoient les badigoinces.

Et sabez quey hillotz, que mau de pi-pe vous byre, ce petit paillard tousjourstastonoit ses gouvernantes cen dessusdessoubz, cen devant derriere, harry bourriquet: & desja commencoyt exercer sa bra-guette. Laquelle un chascun jour ses gouvernantes ornoyent de beaulx boucquets,de beaulx rubans, de belles fleurs, debeaulx flocquars: & passoient leur tempsa la faire revenir entre leurs mains, comme un magdaleon d’entraict. Puis s’es-claffoient de rire quand elle levoit lesaureilles, comme si le jeu leurs eust pleu.

L’une la nommoit ma petite dille, l’au-tre ma pine, l’aultre ma branche de cou-ral, l’autre mon bondon, mon bouchon,mon vibrequin, mon possouer, ma terie-re, ma pendilloche, mon rude esbat roid-de & bas, mon dressouoir, ma petite an-doille vermeille, ma petite couille bre-douille Elle est a moy disoit l’une. C’estla mienne, disoit l’aultre. Moy, (disoit

E

[33v]

l’aultre) n’y auray je rien? par ma foy jela couperay doncques. Ha couper, (di-soit l’aultre) vous luy feriez mal ma da-me, coupez vous la chose aux enfans, ilseroyt monsieur sans queue.

Et pour s’esbatre comme les petitz enfansdu pays luy feirent un beau virollet desaesles d’un moulin a vent de Myrebalays.

Des chevaulx factices de Gar-gantua. Chapitre. xij.

PUis affin que toute sa vie feustbon chevaulcheur, l’on luy feist unbeau grand cheval de boys le-quel il faisoit penader, saulter, voltiger,

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ruer & dancer tout ensemble, aller lepas, le trot, l’entrepas, le gualot, les ambles, le hobin, le traquenard, le camelin& l’onagrier. Et luy faisoit changer depoil, comme font les moines de courti-baux selon les festes, de bailbrun, d’alezan, de gris pommelle, de poil de rat, decerf, de rouen, de vache, de zencle, de pe-cile, de pye, de leuce.

Luy mesmes d’une grosse traine, fistun chaval pour la chasse, un aultre d’unfust de pressouer a tous les jours, & d’ungrand chaisne une mulle avecques lahousse pour la chambre. Encores en eutil dix ou douze a relays, & sept pour laposte. Et tous mettoit coucher aupresde soy.

Un jour le seigneur de Painensac visita son pere, en gros train & apparat,auquel jour l’estoient semblablement ve-nuz veoir le duc de Francrepas & le com-te de Mouille vent. Par ma foy le logisfeut un peu estroict pour tant de gens, &singulierement les estables: donc le mai

E ii

[34v]

stre d’hostel & fourrier dudict seigneur dePainensac pour scavoir si ailleurs enla maison estoient estables vacques:s’adresserent a Gargantua jeune garsonnet, luy demandans secrettement ou estoient les estables des grands chevaulx,pensans que voluntiers les enfans de-cellent tout.

Lors il les mena par les grands de-grez du chasteau passant par la secondesalle en une grande gualerie, par laquel-

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le entrerent en une grosse tour, & eulx montans par d’aultres degrez, dist le four-rier au maistre d’hostel, cest enfant nousabuse, car les estables ne sont jamaisau hault de la maison. C’est (dist le maistre d’hostel) mal entendu a vous. Car jescay des lieux a Lyon, a la Basmette, aChaisnon & ailleurs, ou les estables sontau plus hault du logis, ainsi peut estreque derriere y a yssue au montouer. Maisje le demanderay plus asseurement. Lorsdemanda a Gargantua. Mon petit mi-gnon, ou nous menez vous? A l’estable

Fu.35.

(dist il) de mes grands chevaulx. Nousy sommes tantost, montons seulementces eschallons.

Puis les passant par une aultre grande salle, les mena en sa chambre, & reti-rant la porte voicy (dist il) les establesque demandez, voyla mon Genet, voy lamon Guildin, mon Lavedan, mon Traquenard, & les chargent d’un gros livier,je vous donne (dist il) ce Phryzon, je l’ayeu de Francfort. Mais il sera vostre, ilest bon petit chevallet, & de grand peineavecques un tiercelet D’autour, demyedouzaine D’hespanolz, Et deux levriersvous voy la roy des Perdrys & Lievrespour tout cest hyver. Par sainct Jean(dirent ilz) nous en sommes bien, a cesteheure avons nous le moine. Je le vousnye, dist il. Il ne fut troys jours a ceans.

Devinez icy duquel des deux ilz avoyent plus matiere, ou de soy cacherpour leur honte, ou de ryre, pour le pas-setemps?

Eulx en ce pas descendens tous conE iij

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[35v]

fus, il demanda. Voulez vous une au-beliere? Qu’est ce? disent ilz. Ce sont (respondit il) cinq estroncz pour vous fai-re une museliere.

Pour ce jourdhuy (dist le maistre d’hostel) si nous sommes roustiz, ja au feune bruslerons, car nous sommes lardeza poinct, en mon advis. O petit mignon,tu nous as baille foin en corne: je te voirray quelque jour pape. Je l’entendz (distil) ainsi. Mais lors vous serez papillon& ce gentil papeguay, sera un papelardtout faict. Voyre, voyre, dist le fourrier

Mais (dist Gargantua) divinez combien y a de poincts d’agueille, en la che-mise de ma mere? Seize, dist le fourrierVous (dist Gargantua) ne dictes l’e-vangile. Car il y en a sens davant & sensderriere & les comptastes trop mal. Quand(dist le fourrier) Alors (dist Gargantua)qu’on feist de vostre nez une dille, pourtirer un muy de merde: & de vostre gor-ge un entonnoir, pour la mettre en aul-tre vaisseau: car les fondz estoient es-

Fu.36.

ventez. Cor dieu (dist le maistre d’hostel)nous avons trouvé un causeur. Mon-sieur le jaseur dieu vous guard de mal,tant vous avez la bouche fraische.

Ainsi descendens a grand haste soubzl’arceau des degrez, laisserent tomber legros livier, qu’il leurs avoit charge: dontdist Gargantua. Que diantre vous estesmaulvais chevaucheurs: vostre cour-tault vous fault au besoing. Se il vousfalloit aller d’icy a Cahusac, que aymeriez vous mieulx, ou chevaulcher un oyson, ou mener une truye en laisse? J’ay-merois mieulx boyre, dist le fourrier.

Et ce disant entrerent en la sale basse,ou estoit toute la briguade: & racontansceste nouvelle histoire, les feirent rirecomme un tas de mousches.

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Comment Grandgousier con-gneut l’esperit merveilleux

de Gargantua a l’inven-tion d’un torchecul.

Chapi. xiij.

E iiij

[36v]

SUs la fin de la quinte annee Grandgousier retournant de la defaictedes Ganarriens visita son filz Gargantua. La fut resjouy, comme un tel pere povoit estre voyant un sien tel enfant.Et le baisant & accollant l’interrogeoytde petitz propos pueriles en diverses sortes. Et beut d’autant avecques luy & sesgouvernantes: esquelles par grand soingdemandoit entre aultres cas, si elles l’avoyent tenu blanc & nect? A ce Gargan-tua feist response, qu’il y avoit donné telordre, qu’en tout le pays n’estoit guarsonplus nect que luy. Comment cela? distGrandgousier.

J’ay (respondit Gargantua) par longue & curieuse experience inventé un moyen de me torcher le cul, le plus seigneurial, le plus excellent, le plus expedientque jamais feut veu. Quel? dict Grand-gousier. Comme vous le raconteray (distGargantua) presentement. Je me tor-chay une foys d’un cachelet de veloursde une damoiselle: & le trouvay bon: car

Fu.37.

la mollice de sa soye me causoit au fondement une volupte bien grande.

Une aultre foys d’un chapron d’ycel

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les & feut de mesmes.

Une aultre foys d’un cachecoul, uneaultre foys des aureillettes de satin cramoysi: mais la dorure d’un tas de sphe-res de merde qui y estoient m’escorcherenttout le derriere, que le feu sainct Antoinearde le boyau cullier de l’orfebvre qui lesfeist: & de la damoiselle, que les portoit.

Ce mal passa me torchant d’un bonnet de paige bien emplume a la Souice

Puis fiantant derriere un buisson,trouvay un chat de Mars, d’icelluy metorchay, mais ses gryphes me exulce-rerent tout le perinee.

De ce me gueryz au lendemain me torchant des guands de ma mere bien parfumez de maujoin.

Puis me torchay de Saulge, de Fe-noil, de Aneth, de Marjolaine, de roses,de fueilles de Courles, de Choulx, deBettes, de Pampre, de Guymaulves,

E v

[37v]

de Verbasce (qui est escarlatte de cul)de Lactues, & de fueilles de Espinards.Le tout me feist grand bien a ma jambede Mercuriale, de Persiguire, de Or-ties, de Consolde: mais j’en eu la cacquesangue de Lombard. Dont feu gary metorchant de ma braguette.

Puis me torchay aux linceux, a lacouverture, aux rideaulx, d’un coissin,d’un tapiz, d’un verd, d’une mappe, d’uneserviette, d’un mouschenez, d’un peigno-uoir. En tout je trouvay de plaisir plusque ne ont les roigneux quand on lesestrille.

Voyre mais (dist Grandgousier) le-quel torchecul trouvas tu meilleu[sic]? Je yestois (dist Gargantua) & bien toust enscaurez le tu autem. Je me torchay de foinde paille, de bauduffe, de bourre, de lai-ne, de papier: MaisTousjours laisse aux couillons esmorcheQui son hord cul de papier torche.

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Quoy? dist Grandgousier, mon petitcouillon, as tu prins au pot? Veu que tu

Fu.38.

rimes desja? Ouy dea (respondit Gar-gantua) mon roy je rime tant & plus: &en rimant souvent m’enrime. Escoutezque dict nostre retraict au[sic] fianteurs,

ChiartFoirartPetardBrenousTon lardChappartS’espartSus nous.HordousMerdousEsgousLe feu de sainct Antoine te ard:Sy tousTes trousEsclousTu ne torche avant ton depart.

En voulez vous dadventaige? Ouydea, respondit Grandgousier. Adoncqdist Gargantua.

Rondeau,

[38v]

En chiant l’aultre hyer sentyLa guabelle que a mon cul doibs,L’odeur feut aultre que cuydois:J’en feuz du tout empuanty.

O si quelcun eust consentyM’amener une que attendoys.

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En chiant.

Car je luy eusse assimentySon trou d’urine, a mon lourdoys,Ce pendant eust avec ses doigtzMon trou de merde guarenty.

En chiant.Or dictes maintenant que je n’y scay

rien, Par la mer de je ne les ay faict mie,Mais les oyant reciter a dame grandque voyez cy les ay retenu en la gibbe-siere de ma memoire.

Retournons (dist Grandgousier) anostre propos. Quel? (dist Gargantua)Chier? Non, dist Grandgousier. Maistorcher le cul. Mais? (dist Gargantua)voulez vous payer un bussart de vin Breton, si je vous foys quinault en ce pro-

Fu.39.

pos? Ouy vrayment, dist Grandgousier.

Il n’est, dist Gargantua, poinct be-soing torcher cul, sinon qu’il y ayt ordu-re. Ordure n’y peut estre, si on n’a chié:chier doncques nous fault davant quele cul torcher. O (dist Grandgousier)que tu as bon sens petit guarsonnet.Ces premiers jours je te feray passerdocteur en gaie science par Dieu, cartu as de raison plus que d’aage.

Or poursuiz ce propos torcheculatifje t’en prie: Et par ma barbe pour unbussart tu auras soixante pippes, J’en-tends de ce bon vin Breton, lequel poinctne croist en Bretaigne, Mais en ce bonpays de Verron.

Je me torchay apres (dist Gargan-tua) d’un couvrechief, d’un aureiller, d’ugne pantophle, d’ugne gibbessiere, d’unpanier. Mais o le mal plaisant torchecul. Puis d’un chappeau. Et notez quedes chappeaulx les uns sont ras, lesaultres a poil, les aultres veloutez, lesaultres taffetassez, les aultres satinizez

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[39v]

Le meilleur de tous est celluy de poil.Car il faict tresbonne abstersion de lamatiere fecale.

Puis me torchay d’une poulle, d’uncoq, d’un poulet, de la peau d’un veau,d’un lievre, d’un pigeon, d’un cormora,d’un sac d’advocat, d’une barbute, d’unecoyphe, d’un leurre.

Mais concluent je dys & maintiens, qu’iln’y a tel torchecul que d’un oyzonbien dumeté, pourveu qu’on luy tienne lateste entre les jambes. Et m’en croyez susmon honneur. Car vous sentez au troudu cul une volupte mirificque, tant parla doulceur d’icelluy dumet, que par lachaleur temperee de l’oizon, laquelle faci-lement est communicquee au boyau cu-lier & aultres intestines, jusques a venira la region du cueur & du cerveau. Et nepensez que la beatitude des Heroes & se-midieux qui sont par les champs Elysienssoit en leur Asphodele ou Ambrosie, ouNectar, comme disent ces vieilles ycy. Elle est (scelon mon opinion) en ce qu’ilz se

Fu.40.

torchent le cul d’un oyzon. Et telle est l’opinion de maistre Jehan D’escosse.

Comment Gargantua feut instituépar un Sophiste en lettres

latines. Chap. xiiij.

CEs propos entenduz le bonhomme Grandgousier futravy en admiration considerant le hault sens & mer-veilleux entendement deson filz Gargantua.

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Et dist a ses gouvernantes: Philip-pe roy de Macedone congneut le bonsens de son filz Alexandre, a manier dex-

[40v]

trement un cheval. Car ledict chevalestoit si terrible & efrené que nul ausoitmonter dessus: Par ce que a tous seschevaucheurs il bailloit la saccade: a l’unrompant le coul, a l’aultre les jambes,a l’aultre la cervelle, a l’aultre les man-dibules. Ce que considerant Alexandreen l’hippodrame (qui estoit le lieu ou l’onpourmenoit & voultigeoit les chevaulx)advisa que la fureur du cheval ne ve-noit que de frayeur qu’il prenoit a sonumbre. Dont montant dessus le feistcourir encontre le Soleil, si que l’umbretumboit par derriere, & par ce moyen renditle cheval doulx a son vouloir. A quoycongneut son pere le divin entendementqui en luy estoit & le feist tresbien endo-ctriner par Aristoteles qui pour lors estoitestimé sus tous philosophes de Grece.

Mais je vous diz, qu’en ce seul proposque j’ay presentement davant vous te-a mon filz Gargantua, je congnoisnu que son entendement participe de quel-que divinité: tant je le voy agu, subtil,

Fu.41.

profund, & serain. Et parviendra a de-gré souverain de sapience, s’il est bien institué. Pourtant je veulx le bailler aquelque homme scavant pour l’endo-ctriner selon sa capacite. Et n’y veulxrien espargner.

De faict l’on luy enseigna un granddocteur sophiste nommé maistre Thu-

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bal Holoferne, qui luy aprint sa chartesi bien qu’il la disoit par cueur au rebours& y fut cinq ans & troys mois, puis luyleut, Donat, le Facet, Theodolet, & Alanus in parabolis: & y fut treze ans sixmoys & deux sepmaines.

Mais notez que ce pendent il luy aprenoit a escripre Gotticquement & escrip-voit tous ses livres. Car l’art d’impres-sion n’estoit encores en usaige.

Et portoit ordinairement un gros escriptoire pesant plus de sept mille quintaulx, duquel le gualimart estoit aussigros & grand que les gros pilliers de Enay, &le cornet y pendoit a grosses chaisnes de fera la capacite d’un tonneau de marchandise.

F

[41v]

Puis luy leugt De modis significandiavecques les commens de Hurtebize, de Fasquin, de tropditeulx, de Gualehaul, deJean le veau, de billonio, Brelinguandus, &un tas d’aultres, & y fut plus de dix huytans & unze moys. Et le sceut si bien que aucoupelaud il le rendoit par cueur a re-vers. Et prouvoit sus ses doigtz a sa mere que de modis significandi non erat scientia.

Puis luy leugt le compost, ou il fut bienseize ans & deux moys, lors que son dictprecepteur mourut: & fut l’an mil quatrecens & vingt, de la verolle que luy vint.

Apres en eut un aultre vieux tous-seux, nomme maistre Jobelin bridé, qui luyleugt Hugutio, Hebrard, Grecisme, ledoctrinal, les pars, le quid est, le supplementum, Marmotret, de moribus in men-sa servandis, Seneca de quatuor virtutibus cardinalibus, Passavantus cum commento. Et dormi secure pour les festes.Et quelques aultres de semblable farine,a la lecture desquelz il devint aussi saigequ’onques puis ne fourneasmes nous.

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Fu.42.

Comment Gargantua fut missoubz aultres pedagoges.

Chapitre. xv.

A Tant son pere aperceutque vrayement il estudioittresbien & y mettoit toutson temps, toutesfoys qu’enrien ne prouffitoit. Et quepis est, en devenoit fou, niays, tout re-veux & rassoté.

Dequoy se complaignant a don Philippe des Marays Viceroy de Papeli-gosse, entendit que mieulx luy vauldroitrien n’aprendre que telz livres soubz telzprecepteurs aprendre. Car leur scavoir

F ij

[42v]

n’estoit que besterie, & leur sapience n’e-stoit que moufles, abastardisant les bons& nobles esperitz, & corrompent toutefleur de jeunesse. Qu’ainsi soit prenez(dist il) quelcun de ces jeunes gens dutemps present, qui ait seulement estudiédeux ans, en cas qu’il ne ait meilleur jugement, meilleures parolles, meilleurpropos que vostre filz, & meilleur entretien& honnesteté entre le monde, reputez moy ajamais ung taillebacon de la Brene. Ceque a Grandgousier pleut tresbien &commanda qu’ainsi feust faict.

Au soir en soupant, ledict des Maraysintroduict un sien jeune paige de Villegongys nomme Eudemon tant bien testonné, tant bien tiré, tant bien espousseté, tant hon-neste en son maintien, que trop mieulxresembloit quelque petit angelot qu’unhomme. Puis dist a grandgousier:

Voyez vous ce jeune enfant? il n’aencor douze ans, voyons si bon vous

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semble quelle difference y a entre le scavoir de voz resveurs mateologiens du

Fu.43.

temps jadis, & les jeunes gens de maintenant. L’essay pleut a Grandgousier,& commanda que le paige propozast.

Alors Eudemon demandant congié de cefaire audict viceroy son maistre, le bonnet au poing, la face ouverte, la bouchevermeille, les yeulx asseurez, & le reguardassis suz Gargantua, avecques mode-stie juvenile se tint sus ses pieds, & commenca le louer & magnifier, premiere-ment de sa vertus & bonnes meurs, secon-dement de son scavoir, tiercement de sa noblesse, quartement de sa beaulté corporelle. Et pour le quint doulcement l’exhortoit a reverer son pere en toute observance, lequel tant s’estudioit a bien le faire instruire, en fin le prioit qu’il le voulsist retenir pour le moindre de ses serviteurs.Car aultre don pour le present ne requeroit des cieulx sinon qu’il luy feust faictgrace de luy complaire en quelque ser-vice agreable.

Le tout feut par icelluy proferé avecques gestes tant propres, pronunciation

F iij

[43v]

tant distincte, voix tant eloquente, & lan-guaige tant aorné & bien latin, que mieulxresembloit un Gracchus, un Ciceronou un Emilius du temps passé, qu’unjouvenceau de ce siecle.

Mais toute la contenence de Gargantua fut, qu’il se print a plorer comme unevache, & se cachoit le visaige de son bonnet, & ne fut possible de tirer de luy une

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parolle, non plus q’un pet d’un asne mort.

Dont son pere fut tant courroussé, qu’ilvoulut occire maistre Jobelin, Maisledict des Marays l’enguarda par belle remonstrance qu’il luy feist: en maniereque fut son ire moderee, Puis commendaqu’il feust payé de ses guaiges, & qu’on lefeist bien chopiner sophisticquement, cefaict qu’il allast a tous les diables. Aumoins (disoit il) pour le jourdhuy ne coustera il gueres a son houste, si d’aventureil mouroit ainsi sou comme un Angloys.

Maistre Jobelin party de la maison,consulta Grandgousier avecques le vice-roy quel precepteur l’on luy pourroit

Fu.44.

bailler, & feut avisé entre eulx que a cestoffice seroit mis Ponocrates pedaguoge de Eudemon, & que tous ensemble iroienta Paris, pour congnoistre quel estoitl’estude des jouvenceaulx de Francepour icelluy temps.

Comment Gargantua fut envoyé a Paris, & de l’enorme jument que le porta,

et comment elle deffit les mous-ches bovines de la Beau

ce. Chapitre. xvj.

EN ceste mesmes saison Fayolesquart roy de Numidie envoyadu pays de Africque a Grand-gousier une jument la plus enorme & laplus grande que feut oncques veue, &la plus monstreuse, Comme assez scavez,que Afrique aporte tousjours quelquechose de noveau.

Car elle estoit grande comme six Oriflans, & avoit les pieds fenduz en doigtz,comme le cheval de Jules Cesar, les aureilles ainsi pendentes, comme les chievres

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[44v]

de Languegoth, & une petite corne aucul, Au reste avoit poil d’alezan tousta-de entreillize de grizes pommelettes.Mais sus tout avoit la queue horri-ble. Car elle estoit poy plus poy moinsgrosse comme la pile sainct Mars aupresde Langes: & ainsi quarree, avecques lesbrancars ny plus ny moins ennicrochez,que sont les espicz au bled.

Si de ce vous esmerveillez: esmerveillez vous dadvantaige de la queue desbeliers de Scythie: que pesoit plus detrente livres, & des moutons de Surie,esquelz fault (si Tenaud dict vray) affuster une charrette au cul, pour la portertant elle est longue & pesante. Vous nel’avez pas telle vous aultres paillardesde plat pays. Et fut amenee par mer entroys carracques & un brigantin jus-ques au port de Olone en Thalmondoys

Lors que Grandgousier la veit, Voi-cy (dist il) bien le cas pour porter monfilz a Paris. Or ca de par dieu, toutyra bien. Il sera grand clerc on temps

Fu.45.

advenir. Si n’estoient messieurs les be-stes, nous vivrions comme clercs.

Au lendemain apres boyre (commeentendez) prindrent chemin, Gargantuason precepteur Ponocrates & ses gens,ensemble eulx Eudemon le jeune paige.Et par ce que c’estoit en temps serain & bienattrempé, son pere luy feist faire des botes fauves. Babin les nomme brodequins.

Ainsi joyeusement passerent leur grandchemin: & tousjours grand chere: jus-ques au dessus de Orleans.

Au quel lieu estoit une ample forestde la longueur de trente & cinq lieues &de largeur dix & sept ou environ. Icel-le estoit horriblement fertile & copieuse

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en mousches bovines & freslons, de sor-te que c’estoit une vraye briguanderyepour les pauvres jumens, asnes, & che-vaulx. Mais la jument de Gargan-tua vengea honnestement tous les oultrages en icelle perpetrees sur les be-stes de son espece, par un tour, duquelne se doubtoient mie.

F v

[45v]

Car soubdain qu’ilz feurent entrezen la dicte forest: & que les freslons luyeurent livré l’assault, elle desguaina saqueue: & si bien s’escarmouschant, les es-moucha, qu’elle en abatit tout le boys, atord a travers, decza, dela, par cy, par la,de long, de large, dessus dessoubz, abatoitboys comme un fauscheur faict d’her-bes, En sorte que depuis n’y eut ne boysne freslons. Mais feut tout le pays reduict en campaigne.

Quoy voyant Gargantua, y printplaisir bien grand, sans aultrement s’envanter. Et dist a ses gens. Je trouvebeau ce. Dont fut depuis appellé cepays la Beauce, mais tout leur desjeuner feut par baisler. En memoire dequoy encores de present les Gentilz hommes de Beauce desjeunent de baisler &s’en trouvent fort bien & n’en crachent que mieulx.

Finablement arriverent a Paris.Auquel lieu se refraischit deux ou troysjours, faisant chere lye avecques sesgens, & s’enquestant quelz gens scavans

Fu.46.

estoient pour lors en la ville: & quel vinon y beuvoit.

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Comment Gargantua paya sa bienvenue es Parisiens, et com-

ment il print les gros-ses cloches de l’egli-

se nostre Dame.Chapi. xvij.

QUelques jours apres qu’ilzse feurent refraichiz il visitala ville: & fut veu de tout lemonde en grande admira-tion. Car le peuple de Paris est tant sot, tant badault, & tant inep-te de nature q’un basteleur, un porteurde rogatons, un mufet avecques ses cymbales, un vielleuz au mylieu d’un carre-four assemblera plus de gens, que neferoit un bon prescheur evangelicque.

Et tant molestement le poursuyvirent:qu’il feut contrainct soy reposer suz lestours de l’eglise nostre dame. Auquel lieu estant, & voyant tant de gens,

[46v]

a l’entour de soy: dist clerement:

Je croy que ces marroufles voulentque je leurs paye icy ma bien venue &mon proficiat. C’est raison. Je leur voysdonner le vin. Mais ce ne sera que par rys.

Lors en soubriant destacha sa bellebraguette, & tirant sa mentule en l’air lescompissa si aigrement, qu’il en noya deuxcens soixante mille, quatre cens dix &huyt. Sans les femmes & petiz enfans.

Quelque nombre d’iceulx evada cepissefort a legiereté des pieds. Et quandfurent au plus hault de l’université,suans, toussans, crachans, & hors d’ha-lene, commencerent a renier & jurer lesungs en cholere, les aultres par rys, Carymary, Carymara, Par saincte mamye, nous son baignez par rys, dont futdepuis la ville nommee Paris laquelleau paravant on appelloit Leucece. Comme dist Strabo lib. iiij. C’est a dire en

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Grec, Blanchette, pour les blanchescuisses des dames dudict lieu.

Et par autant que a ceste nouvelle

Fu.47.

imposition du nom tous les assistansjurerent chascun les saincts de sa pa-roisse: les Parisiens, qui sont faictz detoutes gens & toutes pieces, sont par nature & bons jureurs & bons juristes, &quelque peu oultrecuydez. Dont estimeJoaninus de Barranco, libro, de copiositate reverentiarum, que sont dictzParrhesiens en Grecisme, c’est a direfiers en parler.

Ce faict considera les grosses clo-ches que estoient esdictes tours: & lesfeist sonner bien harmonieusement. Ceque faisant luy vint en pensee qu’elles serviroient bien de campanes au coul de sajument, laquelle il vouloit renvoier a sonpere toute chargee de froumaiges deBrye & de harans frays. De faict lesemporta en son logis.

Ce pendent vint un commandeur jambonnier de sainct Antoine pour faire saqueste suille: lequel pour se faire enten-dre de loing, & faire trembler le lard, aucharnier, les voulut emporter furtive-

[47v]

ment. Mais par honnesteté les laissa,non par ce qu’elles estoient trop chaul-des, mais par ce qu’elles estoient quel-que peu trop pesantes a la portee. Cilne fut pas celluy de Bourg. Car il esttrop de mes amys.

Toute la ville feut esmeue en seditioncomme vous scavez que a ce ilz sont tant

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faciles, que les nations estranges s’es-bahissent de la patience des Roys deFrance, lesquelz aultrement par bon-ne justice ne les refrenent: veuz les inconveniens qui en sortent de jour en jour.Pleust a dieu, que je sceusse l’officine enlaquelle sont forgez ces chismes & mo-nopoles, pour les mettre en evidence esconfraries de ma paroisse. Croyez quele lieu auquel convint le peuple tout fol-fre & habaline, feut Nesle ou lors estoit,maintenant n’est plus, l’oracle de Lucece.La feut proposé le cas, & remonstré l’inconvenient des cloches transportees.

Apres avoir bien ergote pro & contrafeut conclud en Baralipton, que l’on en

Fu.48.

voyroit le plus vieux & suffisant de lafaculté vers Gargantua pour luy re-monstrer l’horrible inconvenient de laperte d’icelles cloches. Et nonobstantla remonstrance d’aulcuns de l’univer-sit, qui alleguoient que ceste chargemieulx competoit a un orateur, que aun Sophiste, feut a cest affaire esleu nostre maistre Janotus de Bragmardo.

Comment Janotus de Bragmardofeut envoye pour recouvrer de

Gargantua les grossescloches. Chap. xviij.

MAistre Janotus tondu a la Cesarine, vestu de son lyripipiona l’antique, & bien antidoté l’e-stomac de coudignac de four, & eau be-niste de cave, se transporta au logis deGargantua, touchant davant soy troysvedeaulx a rouge muzeau, & trainantapres cinq ou six maistres inertes biencrottez a profit de mesnaige.

A l’entree les rencontra Ponocrates:

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[48v]

& eut frayeur en soy les voyant ainsi desguisez, & pensoit que feussent quelquesmasques hors du sens. Puis s’enquestaa quelqun desdictz maistres inertes dela bande, que queroit ceste mommerie?Il luy feut respondu, qu’ilz demandoientles cloches leurs estre rendues.

Soubdain ce propos entendu Ponocrates courut dire les nouvelles a Gargantua: affin qu’il feust prest de la res-ponce, & deliberast sur le champ ce queestoit de faire. Gargantua admonestédu cas appella a part Ponocrates sonprecepteur, Philotomie son maistre d’hostel, Gymnaste son escuyer, & Eudemon& sommairement confera avecques eulxsus ce que estoit tant a faire que a respondre.

Tous feurent d’advis que on les menast au retraist du goubelet & la on lesfeist boyre rustrement, & affin que ce tousseux n’entrast en vaine gloire pour a sarequeste avoir rendu les cloches, l’on mandast ce pendent qu’il chopineroit querirle Prevost de la ville, le Recteur de la

Fu.49.

faculte, le vicaire de l’eglise: esquelz da-vant que le sophiste eust proposé sa commission, l’on delivreroit les cloches. A-pres ce iceulx presens l’on oyroit sa bel-le harangue. Ce que fut faict, & les susdictz arrivez, le Sophiste feut en plenesalle introduict, & commenca ainsi ques’ensuit en toussant.

La harangue de maistre Janotus deBragmardo faicte a Gargantua

pour recouvrer les cloches.Chapitre. xix.

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EHen, hen, hen, Mna dies Mon-sieur, Mna dies. Et vobis mes-sieurs, Ce ne seroyt que bon que

G

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nous rendissiez noz cloches, Car ellesnous font bien besoing. Hen, hen, hasch.Nous en avions bien aultresfoys refuse de bon argent de ceulx de Londres enCahors, sy avions nous de ceulx deBourdeaulx en Brye, qui les vouloientachapter pour la substantificque qua-lite de la complexion elementaire, queest intronificquee en la terre sterite deleur nature quidditative pour extra-neizer les halotz & les turbines suz nozvignes, vrayement non pas nostres, maisd’icy aupres. Car si nous perdons le piotnous perdons tout & sens & loy. Si vousnous les rendez a ma requeste, je y guaigneray six pans de saulcices, & une bon-ne paire de chausses, que me feront grantbien a mes jambes, ou ilz ne me tiendrontpas promesse. Ho par Dieu domine, unepair de chausses est bon. Et vir sapiensnon abhorrebit eam. Ha, ha, Il n’a paspair de chausses qui veult. Je le scaybien quant est de moy. Advisez domine,il y a dix huyt jours que je suis a mata-

Fu.50.

graboliser ceste belle harangue. Redditeque sunt Cesaris Cesari, & que sunt deideo Ibi jacet lepus.

Par ma foy domine, si voulez sou-per avecques moy, in camera par le corpsDieu charitatis, nos faciemus bonumcherubin. Ego occidi unum porcum, & egohabet bon vino, Mais de bon vin on ne

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peult faire maulvais latin.

Or sus de parte dei, date nobis clo-chas nostras. Tenez je vous donne depar la faculte ung sermones de Utinoque utinam vous nous baillez nos clo-ches. Vultis etiam pardonos? per diemvos habebitis, & nihil poyabitis.

O monsieur domine, clochidonnaminornobis. Dea est bonum urbis. Tout le monde s’en sert. Si vostre jument s’en trouvebien: aussi faict nostre faculte, que com-parata est jumentis insipientibus: & si-milis facta est eis, psalmo nescio quo, sil’avoys je bien quotté en mon paperat,& est unum bonum Achilles, Hen, hen,ehen, hasch.

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[50v]

Ca je vous prouve que me les doib-vez bailler. Ego sic argumentor.

Omnis clocha clochabilis in clocherio clochando clochans clochativo clo-chare facit clochabiliter clochantes. Parisius habet clochas. Ergo gluc, Ha, haha. C’est parle cela. Il est in tertio primeen Darii ou ailleurs. Par mon ame,j’ay veu le temps que je faisois diablesde arguer. Mais de present je ne faisplus que resver. Et ne me fault plus dorenavant, que bon vin, bon lict, le dosau feu, le ventre a table, & escuelle bienprofonde.

Hay domine: je vous pry in nominepatris & filii & spiritus sancti Amen.Que vous rendez noz cloches: & Dieuvous guard de mal, & nostre dame desante, qui vivit & regnat per omnia se-cula seculorum, Amen, Hen hasch ehaschgrenhenhasch.

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Verum enim vero quando quidemdubio procul Edepol quoniam ita certemeus deus sidus, une ville sans cloches

Fu.51.

est comme un aveugle sans baston, unasne sans cropiere, & une vache sanscymbales. Jusques a ce que nous lesayez rendues nous ne cesserons de crierapres vous, comme un aveugle qui a perdu son baston, de braisler, comme un asnesans cropiere, & de bramer, comme unevache sans cymbales.

Un quidam latinisateur demourantpres l’hostel Dieu, dist une foys, allegantl’autorite d’ung Taponnus, je faulx: c’estoit Pontanus poete seculier, qu’il de-siroit qu’elles feussent de plume, & le ba-tail feust d’une queue de renard: pourcequ’elles luy engendroient la chroniqueaux tripes du cerveau, quand il composoit ses vers carminiformes. Mais nacpetitin petetac ticque, torche, lorne, ilfeut declaire Hereticque. Nous les faisons comme de cire. Et plus n’en dict ledeposant. Valete & plaudite. Calepi-nus recensui.

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[51v]

Comment le Sophiste emporta sondrap, & comment il eut proces con

tre les aultres maistres.Chapitre. xx.

LE Sophiste n’eut si toust a-chevé que Ponocrates & Eu

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demon s’esclafferent de riretant profondement, que en cuiderent rendre l’ame a dieu, ne plus, nemoins que Crassus voyant un asne couillart qui mangeoit des chardons: & com-me Philemon voyant un asne qui man-geoit les figues qu’on avoit apresté pourle disner, mourut de force de rire. En-semble eulx, commenca rire maistre Ja-notus, a qui mieulx, mieulx, tant queles larmes leurs venoient es yeulx: parla vehemente concution de la substancedu cerveau: a laquelle furent exprimeesces humiditez lachrymales, & transcoullees jouxte les nerfz optiques. En quoypar eulx estoyt Democrite Heraclitizant,& Heraclyte Democritizant representé.

Fu.52.

Ces rys du tout sedez, consulta Gargantua avecques ses gens sur ce qu’e-stoit de faire. La feut Ponocrates d’advis, qu’on feist reboyre ce bel orateur. Etveu qu’il leurs avoit donné de passetemps, & plus faict rire que n’eust Songecreux, qu’on luy baillast les dix pansde saulcice mentionnez en la joyeuse harangue, avecques une paire de chausses,troys cens de gros boys de moulle, vingt& cinq muitz de vin, Un lict a triple cou-che de plume anserine, & une escuellebien capable & profonde, lesquelles di-soit estre a sa vieillesse necessaires.

Le tout fut faist ainsi que avoit estedeliberé: Excepte que Gargantua doubtant que on ne trouvast a l’heure chaus-ses commodes pour ses jambes: doub-tant aussy de quelle facon mieulx duy-roient audict orateur, ou a la martin-galle qui est un pont levis de cul pourplus aisement fianter, ou a la marinie-re, pour mieulx soulaiger les roignonsou a la Souice pour tenir chaulde la be

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[52v]

dondaine, ou a queue de merluz, de peurd’eschauffer les reins: luy feist livrersept aulnes de drap noir & troys de blanchet pour la doubleure. Le boys feutporte par les guaingnedeniers, les maistres es ars porterent les saulcices &escuelles. Maistre Janot voulut por-ter le drap.

Un desdictz maistres nomme maistreJousse Bandouille luy remonstroit quece n’estoit honeste ny decent son estat, &qu’il le baillast a quelqund’entre eulx.

Ha (dist Janotus) Baudet Baudet,tu ne concluds poinct in modo & figura.Voyla dequoy servent les suppositions,& parva logicalia. Panus pro quo supponit? Confuse (dist Bandouille) & distributive, Je ne te demande pas (dist Janotus) Baudet, quo modo supponit, mais proquo, c’est Baudet pro tibiis meis. Et pource le porteray je egomet, sicut suppositumportat adpositum. Ainsi l’emporta en tapinois, comme feist Patelin son drap.

Le bon feut quand le tousseux glo-

Fu.53.

rieusement en plein acte tenu chez lesmathurins requist ses chausses & saul-cices, Car peremptoirement luy feu-rent deniez, par autant qu’il les avoiteu de Gargantua selon les informa-tions sur ce faictes. Il leurs remonstraque ce avoit este de gratis & de sa liberalite par laquelle ilz n’estoient mie absoubzde leurs promesses.

Ce nonobstant luy fut respondu qu’ilse contentast de raison, & que aultre bri-be n’en auroit.

Raison? (dist Janotus) Nous n’enusons poinct ceans. Traistres malheureux vous ne valez rien. La terre ne por

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te gens plus meschans que vous estes.Je le scay bien: ne clochez pas devantles boyteux. J’ay exercé la meschanceteavecques vous. Par la ratte Dieu, jeadvertiray le Roy des enormes abusque sont forgez ceans, & par voz mains& meneez. Et que je soye ladre s’il ne vousfaict tous vifz brusler comme bougres,traistres, hereticques, & seducteurs, en

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[53v]

nemys de dieu & de vertus.

A ces motz prindrent articles contreluy, Luy de l’autre coste les feist adjourner. Somme, le proces fut retenu par lacourt, & y est encores. Les magistres surce poinct feirent veu de ne soy descrotermaistre Janot avecques ses adherensfeist veu de ne se mouscher, jusques a cequ’en feust dict par arrest definitif.

Par ces veuz sont jusques a presentdemourez & croteux & morveux, car lacourt n’a encores bien grabelé toutes lespieces. L’arrest sera donne es prochainesCelendes Grecques. C’est a dire: jamaisComme vous scavez qu’ilz font plus quenature, & contre leurs articles propres.Les articles de Paris, chantent que dieuseul peult faire choses infinies. Natu-re, rien ne faict imortel: car elle mect fin& periode a toutes choses par elle pro-duictes. Car omnia orta cadunt &c.

Mais ces avalleurs de frimars fontles proces davant eux pendens, & infiniz,& imortelz. Ce que faisans ont donue lieu,

Fu.54.

& verifie le dict de Chilon Lacedemo-nien consacré en Delphes, disant mise-

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re estre compaigne de proces: & gens playdoiens miserables. Car plus tost ontfin de leur vie, que de leur droict pretendu.

L’estude de Gargantua, selon la disci-pline de ses precepteurs Sophi-

stes. Chapitre. xxj.

LEs premiers jours ainsi passez, &les cloches remises en leur lieu:les citoyens de Paris par recon-gnoissance de ceste honnesteté se offri-rent d’entretenir & nourrir sa jument tantqu’il luy plairoit. Ce que Gargantua

[54v]

print bien a gré. Et l’envoyerent vivreen la forest de Biere. je croy qu’elle n’ysoyt plus maintenant.

Ce faict voulut de tout son sens estudier a la discretion de Ponocrates,Mais icelluy pour le commencement or-donna, qu’il feroit a sa maniere accou-stumee: affin d’entendre par quel moyenen si long temps ses antiques precep-teurs l’avoient rendu tant fat, niays, &ignorant.

Il dispensoit doncques son temps entelle facon, que ordinairement il s’esveil-loit entre huyt & neuf heures, feust jourou non, ainsi l’avoient ordonne ses regensantiques, alleguans ce que dict David:Vanum est vobis ante lucem surgere.

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Puis se guambayoit, penadoit, & pail-lardoit parmy le lict quelque temps, pourmieulx esbaudir ses esperitz animaulx& se habiloit selon la saison; mais vo-luntiers portoit il une grande & longuerobbe de grosse frize fourree de renardsapres se peignoit du peigne de Almain,

Fu.55.

c’estoit des quatre doigtz & le poulce.Car ses precepteurs disoient, que soyaultrement pigner, laver, & nettoyer,estoit perdre temps en ce monde.

Puis fiantoit, pissoyt, rendoyt sa gorge, rottoit, pettoyt, baisloyt, crachoyt,toussoyt, sangloutoyt, esternuoit, & semorvoyt en archidiacre, & desjeunoytpour abatre la rouzee & maulvais aer:belles tripes frites, belles charbonnadesbeaulx jambons, belles cabirotades, &forces soupes de prime.

Ponocrates luy remonstroit, que tantsoubdain ne debvoit repaistre au par-tir du lict, sans avoir premierement faictquelque exercice. Gargantua respon-dit. Quoy? N’ay je faict suffisant exer-cice? Je me suis vaultre six ou sept toursparmy le lict, davant que me lever. Neest ce assez? Le pape Alexandre ainsi fai-soit par le conseil de son medicin Juif:& vesquit jusques a la mort, en despitdes envieux: mes premiers maistres mey ont acoustumé, disans que le desjeu-

[55v]

ner faisoit bonne memoire, pourtant ybeuvoient les premiers. Je m’en trouvefort bien, & n’en disne que mieulx.

Et me disoit maistre Tubal (qui feut

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premier de sa licence a Paris) que ce n’esttout l’advantaige de courir bien toust,mais bien de partir de bonne heure: aussin’est ce la santé totale de nostre humanite, boyre a tas, a tas, a tas, comme ca-nes: mais ouy bien de boyre matin.

Unde versus.

Lever matin, n’est poinct bon heur,Boire matin est le meilleur.

Apres avoir bien apoinct desjeuné,alloit a l’eglise, & luy pourtoit on dedansun grand penier un gros breviaire em-pantophle, pesant tant en gresse que enfremoirs & parchemin poy plus poymoins unze quintaulx six livres. Laoyoit vingt & six ou trente messes, ce pendent venoit son diseur d’heures en placeempaletocque comme une duppe, & tres-bien antidoté son alaine a force syropvignolat, Avecques icelluy marmon-

Fu.56.

noit toutes ces Kyrielles: & tant curieusement les espluchoit, qu’il n’en tomboitun seul grain en terre.

Au partir de l’eglise, on luy amenoitsur une traine a beufz un faratz de pa-tenostres de sainct Claude, aussi gros-ses chascune qu’est le moulle d’un bonnet& se pourmenant par les cloistres, ga-leries ou jardin en disoit plus que sezehermites.

Puis estudioit quelque meschante demye heure, les yeulx assis dessus son livre, mais (comme dict le Comicque) soname estoit en la cuysine.

Pissant doncq plein urinal se asseoyta table. Et par ce qu’il estoit naturelle-ment phlegmaticque, commencoit sonrepas, par quelques douzeines de jam-bons, de langues de beuf fumees, de boutargues, d’andouilles, & telz aultres avantcoureurs de vin.

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Ce pendent quatre de ses gens luy gettoient en la bouche l’un apres l’aultre continuement moustarde a pleines palerees

[56v]

puis beuvoit un horrificque traict de vinblanc, pour luy soulaiger les roignons.Apres mangeoit selon la saison viandesa son appetit, & lors cessoit de mangerquand le ventre luy tiroit.

A boyre n’avoit poinct, fin, ny canon.Car il disoit que les metes & bournesde boyre estoient quand la personne beuvant, le liege de ses pantoufles enfloiten hault d’un demy pied.

Les jeux de Gargantua.Chapitre. xxij.

PUis tout lordement grignotantd’un transon de graces, se lavoitles mains de vin frais, s’escuroitles dens avec un pied de porc, & devisoitjoyeusement avec ses gens: puis le verdestendu l’on desployoit force chartes, for-ce dez, & renfort de tabliers. La jouoyt,Au fluxA la primeA la voleA la pille

Fu.57.

A la triumpheA la picardieAu centA l’espinayA la malheureuse

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Au fourbyA passe dixA trente & ung.A pair & sequenceA troys censAu malheureuxA la condemnadeA la charte viradeAu maucontentAu lansquenetAu cocuA qui a si parleA pille, nade, jocque, foreA mariaigeAu gayA l’opinionA qui faict l’ung faict l’aultreA la sequenceAu luettes

H

[57v]

Au tarauA coquinbert qui gaigne perdAu belineAu tormentA la ronfleAu glicAux honneursA la mourreAux eschetzAu renardAu marellesAu vaschesA la blancheA la chanceA trois dezAu tablesA la nicnocqueAu lourcheA la renetteAu barigninAu trictracA toutes tablesAu tables rabatuesAu reniguebieu

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Fu.58.

Au forceAu damesA la babouA primus secundusAu pied du cousteauAu clefzAu franc du carreauA pair ou nonA croix ou pilleAu martresAu pingresA la billeAu savatierAu hybouAu dorelot du lievreA la tirelitantaineA cochonnet va devantAu piesA la corneAu beuf violeA la chevecheA je te pinse sans rireA picoterA deferrer l’asne

H ij

[58v]

A la jautruAu bourry bourry zouA je m’assisA la barbe d’oribusA la bousquineA tire la brocheA la boutte foyreA compere prestez moy vostre sacA la couille de belierA boute horsA figues de marseilleA la mousqueA l’archer truA escorcher le renardA la ramasseAu croc madameA vendre l’ovoineA souffler le charbon

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Au responsaillesAu juge vif, & juge mortA tirer les fers du fourAu fault villainAu cailleteauxAu bossu aulican

Fu.59.

A sainct trouveA pinse morilleAu poirierA pimpompetAu trioriAu cercleA la truyeA ventre contre ventreAux combesA la vergetteAu paletAu j’en suisA foucquetAu quillesAu rapeauA la boulle plateAu viretonAu picquaromeA rouchemerdeA angenartA la courte boulleA la griescheA la recoquilletteAu cassepot

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[59v]

A montalentA la pyroueteAu joncheesAu court bastonAu pyrevolletA cline muzete

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Au picquetA la blancqueAu furonA la seguetteAu chasteletA la rengeeA la fousseteAu ronflartA la trompeAu moyneAu tenebryA l’esbahyA la soulleA la navetteA fessartAu ballayA sainct Cosme je te viens adorerA escharbot le brun

Fu.60.

A je vous prens sans verdA bien & beau s’en va quaresmeAu chesne forchuAu chevau fonduA la queue au loupA pet en gueulleA Guillemin baille my ma lanceA la brandelleAu treseauAu bouleauA la mouscheA la migne migne beufAu propousA neuf mainsAu chapifouAu pontz cheuzA colin brideA la grolleAu cocquantinA Colin maillardA myrelimofleA mouschartAu crapaultA la crosse

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[60v]

Au pistonAu bille boucquetAu roynesAu mestiersA teste a teste bechevelAu pinotA male mortAux croquinollesA laver la coiffe ma dameAu belusteauA semer l’avoyneA briffaultAu molinetA defendoA la virevousteA la baculeAu laboureurA la chevecheAu escoublettes enraigeesA la beste morteA montemonte l’escheletteAu pourceau moryA cul salleAu pigonnet

Fu.61.

Au tiersA la bourreeAu sault du buissonA croyzerA la cutte cacheA la maille bourse en culAu nid de la bondreeAu passavantA la figueAu petarradesA pillemoustardeA cambosA la recheuteAu picandeauA croquetesteA la grolleA la grue

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A taillecoupAu nazardesAux allouettesAux chinquenaudes.

Apres avoir bien joué sessé passé & beluté temps, convenoit boyre quelquepeu, c’estoient unze peguadz pour hom-

H v

[61v]

me, & soubdain apres bancqueter c’estoitsus un beau banc, ou en beau plein licts’estendre & dormir deux ou troys heu-res sans mal penser, ny mal dire.

Luy esveille secouoit un peu les au-reilles: ce pendent estoit apporte vinfrais, la beuvoit mieulx que jamais.

Ponocrates luy remonstroit, quec’estoit mauvaise diete, ainsi boyre apresdormir. C’est (respondist Gargantua)la vraye vie des peres. Car de ma na-ture je dors sallé: & le dormir m’a valuautant de jambon.

Puis commencoit estudier quelquepeu, & patenostres en avant, pour les-quelles mieulx en forme expedier, montoit sus une vieille mulle, laquelle avoitservy neuf Roys, ainsi marmotant dela bouche & dodelinant de la teste, al-loit veoir prendre quelque connil auxfilletz.

Au retour se transportoit en la cuy-sine pour scavoir quel roust estoit enbroche.

Fu.62.

Et souppoit tresbien par ma conscience, & voluntiers convioit quelques beu-veurs de ses voisins, avec lesquelz beu-

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vant d’autant, comptoient des vieuxjusques es nouveaulx.

Entre aultres avoit pour domestic-ques les seigneurs du Fou, de Gourville, de Grignault & de Marigny.

Apres souper venoient en place lesbeaux evangiles de boys, c’est a direforce tabliers, ou le beau flux, un, deuxtroys: ou a toutes restes pour abreger,ou bien alloient veoir les garses d’en-

tour, & petitz bancquetz parmy collations & arrierecollations.

Puis dormoit sans des-brider, jusques au

lendemainhuict

heures.

[62v]

Comment Gargantua feut insti-tué par Ponocrates en telle

discipline, qu’il ne per-doit heure du jour.

Chap. xxiij.

QUand Ponocrates congneutla vitieuse maniere de vivre deGargantua, delibera aultre-ment le instituer en lettres, mais pourles premiers jours le tolera: considerantque nature ne endure mutations soub-daines, sans grande violence.

Pour doncques mieulx son oeuvrecommencer, supplia un scavant medi-cin de celluy temps, nomme maistre Theo-

Fu.63.

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dore: a ce qu’il considerast si possible estoitremettre Gargantua en meilleure vo-ye. Lequel le purgea canonicquementavec Elebore de Anticyre, & par ce medicament luy nettoya toute l’alteration &perverse habitude du cerveau. Par cemoyen aussi Ponocrates luy feist ou-blier tout ce qu’il avoit apris soubz sesantiques precepteurs, comme faisoit Thimote a ses disciples qui avoient este in-struictz soubz aultres musiciens.

Pour mieulx ce faire, l’introduisoites compaignies des gens scavans, quela estoient, a l’emulation desquelz luycreust l’esperit & le desir de estudier aul-trement & se faire valoir.

Apres en tel train d’estude le mist qu’ilne perdoit heure quelconques du jour:ains tout son temps consommoit en lettres & honeste scavoir.

Se esveilloit doncques Gargantuaenviron quatre heures du matin. Cependent qu’on le frotoit, luy estoit leuequelque pagine de la divine escripture

[63v]

haultement & clerement avec pronunciationcompetente a la matiere, & a ce estoit commisun jeune paige natif de Basche, nommeAnagnostes. Selon le propos & argu-ment de ceste lecon, souventesfoys se adonnoit a reverer, adorer, prier, & supplier lebon Dieu: duquel la lecture monstroitla majeste & jugemens merveilleux.

Puis alloit es lieux secretz faire ex-cretion des digestions naturelles. Lason precepteur repetoit ce que avoit esteleu: luy exposant les poinctz plus ob-scurs & difficiles.

Eulx retornans consideroient l’estatdu ciel, si tel estoit comme l’avoient notéau soir precedent: & quelz signes entroit lesoleil, aussi la lune pour icelle journee.

Ce faict estoit habille, peigne, testonné

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accoustré, & parfumé, durant lequel tempson luy repetoit les lecons du jour d’avantLuy mesmes les disoit par cueur: & yfondoit quelque cas practiques & con-cernens l’estat humain lesquelz ilz estendoient aulcunes foys jusques deux ou

Fu.64.

troys heures, mais ordinairement ces-soient lors qu’il estoit du tout habille.

Puis par troys bonnes heures luyestoit faicte lecture.

Ce faict yssoient hors, tousjours conferens des propoz de la lecture: & se des-portoient en Bracque ou es prez, & jouoient a la ballé a la paulme a la pile tri-gone galentement se exercens les corpscomme ilz avoient les ames au para-vant exerce.

Tout leur jeu n’estoit qu’en liberte:car ilz laissoient la partie quant leurplaisoit, & cessoient ordinairement lorsque suoient parmy le corps, ou estoientaultrement las. Adoncq estoient tres-bien essuez, & frottez, changeoient de che-mise: & doulcement se pourmenans al-loient veoir sy le disner estoit prest. Laattendens recitoient clerement & elo-quentement quelques sentences rete-nues de la lecon.

Ce pendent monsieur l’appetit venoit& par bonne oportunité s’asseoient a table.

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Au commencement du repas estoit leuequelque histoire plaisante des anciennesprouesses: jusques a ce qu’il eust prinsson vin. Lors (si bon sembloit) on conti-nuoit la lecture: ou commenceoient a divi

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ser joyeusement ensemble, parlans pourles premiers moys de la vertus, propriete, efficace, & nature, de tout ce que leurestoit servy a table. Du pain, du vin, del’eau, du sel, des viandes, poissons, fruictzherbes, racines, & de l’aprest d’icelles. Ceque faisant aprint en peu de temps tousles passaiges a ce competens en Pline,Athene, Dioscorides, Jullius pollux,Galen, Porphyre, Opian, Polybe, He-liodore, Aristoteles, Aelian, & aultres.Iceulx propos tenus faisoient souventpour plus estre asseurez, apporter les livres susdictz a table. Et si bien & entie-rement retint en sa memoire les chosesdictes, que pour lors n’estoit medicin, quien sceust a la moytié tant comme il faisoit.

Apres devisoient des lecons leues aumatin, & parachevant leur repas par

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quelque confection de cotoniat, secouroitles dens avecques un trou de Lentisce,se lavoit les mains & les yeulx de belleeaue fraische: & rendoient graces a dieupar quelques beaulx canticques faictza la louange de la munificence & beni-gnité divine. Ce faict on apportoit deschartes, non pour jouer, mais pour yapprendre mille petites gentillesses, & in-ventions nouvelles. Lesquelles toutesyssoient de Arithmetique.

En ce moyen entra en affection deicelle science numerale, & tous les joursapres disner & souper y passoit tempsaussi plaisantement, qu’il souloit en dezou es chartes. A tant sceut d’icelle & theoricque & practique, si bien que TunstalAngloys, qui en avoit amplement escriptconfessa que vrayement en comparai-son de luy il n’y entendoit que le haultAlemant.

Et non seulement d’icelle, mais desaultres sciences mathematicques, com-me Geometrie, Astronomie, & Musicque.

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Car attendens la concoction & digestionde son past, ilz faisoient mille joyeux instrumens & figures Geometricques, &de mesmes praticquoient les canonsAstronomicques, Apres se esbaudisso-ient a chanter musicalement a quatre &cinq parties, ou sus un theme a plaisirde gorge.

Au reguard des instrumens de mu-sicque, il aprint jouer du luc, de l’espinette, de la harpe, de la flutte de Alemant& a neuf trouz, de la viole, & de la sac-queboutte.

Ceste heure ainsi employee, la dige-stion parachevee, se pnrgoit des excremensnaturelz: puis se remettoit a son estudeprincipal par troys heures ou davan-taige: tant a repeter la lecture matutinale, que a poursuyvre le livre entreprinsque aussi a escripre & bien traire & for-mer les antiques & Romaines lettres.

Ce faict yssoient hors leur hostel avecques eulx un jeune gentilhomme de Touraine nomme l’escuyer Gymnaste, lequel

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luy monstroit l’art de chevalerie.

Changeant doncques de vestemensmonstoit sus un coursier, sus un roussin,sus un genet, sus un cheval barbe che-val legier: & luy donnoit cent quarieresle faisoit voltiger en l’air, franchir le fosse, saulter le palys, court tourner enun cercle, tant a dextre comme a senestre.

La rompoit non la lance. Car c’est laplus grande resverye du monde, dire, J’ayrompu dix lances en tournoy, ou en bataille: un charpentier le feroit bien. Mais

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louable gloire est d’une lance avoir rompu dix de ses ennemys.

De sa lance doncq asseree, verde, &roide, rompoit un huys, enfoncoit un harnoys, acculloyt une arbre, enclavoytun aneau, enlevoit une selle d’armes, unaubert, un gantelet.

Le tout faisoit armé de pied en cap.Au reguard de fanfarer & faire les petitzpopismes sus un cheval nul ne le feistmieulx que luy. Le voltiger de Ferraren’estoitq’un singe en comparaison. Singu

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lierement estoit aprins a saulter hasti-vement d’un cheval sus l’aultre sans prendre terre. Et nommoit on ces chevaulxdesultoyres, & de chascun cousté la lan-ce au poing, monter sans estriviers, &sans bride, guider le cheval a son plaisirCar telles choses servent a disciplinemilitaire.

Un aultre jour se exerceoit a la hasche. Laquelle tant bien coulloyt, tantverdement de tous pics reserroyt, tantsoupplement avalloit en taille ronde,qu’il feut passe chevalier d’armes en campaigne, & en tous essays.

Puis bransloit la picque, sacquoit del’espee a deux mains, de l’espee bastarde,de l’espagnole, de la dague, & du poi-gnard, armé, non armé, au boucler, a lacappe, a la rondelle.

Couroit le cerf, le chevreuil, l’ours,le dain, le sanglier, le lievre, la perdrys,le faisant, l’otarde. Jouoit a la grosseballe, & la faisoit bondir en l’air autantdu pied, que du poing.

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Luctoit: couroit: saultoit: non atroys pas un sault, non a clochepied,non au sault d’alemant. Car (disoit Gymnaste) telz saulx sont inutiles, & de nulbien en guerre, Mais d’un sault persoitun fousse: volloit sus une haye, montoitsix pas encontre une muraille & ram-poit en ceste facon a une fenestre de lahaulteur d’une lance.

Nageoit en parfonde eau, a l’endroict,a l’envers, de couste: de tout le corps:des seulz pieds. Une main en l’air, en la-quelle tenant un livre transpassoit tou-te la riviere de Seine sans icelluy mo-uiller & tyrant par les dens son manteau,comme faisoit Jules Cesar, puis d’unemain entroit par grande force en basteaud’icelluy se gettoit de rechief en l’eaue lateste premiere, sondoit le parfond, creu-zoyt les rochiers, plongeoit es abysmes& goufres. Puis icelluy basteau tour-noit, gouvernoit: menoit hastivement,lentement, a fil d’eau, contre cours, le re-tenoit en pleine escluse, d’une main le

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guidoit, de l’aultre s’escrimoit avec ungrand aviron, tendoit le vele: montoit aumatz par les traictz: courroit sus lesbrancquars, adjoustoit la boussole, contreventoit les bulines, bendoit le gouvernail

Issant de l’eau roidement montoit encontre la montaigne, & devalloit aussifranchement, gravoit es arbres commeun chat saultoit de l’une en l’aultre comme un escurieux: abastoit les gros ra-meaulx comme un aultre Milo: avecdeux poignards asserez & deux poin-sons esprouvez, montoit au hault d’unemaison comme un rat, descendoit puisdu hault en bas en telle compositiondes membres, que de la cheute n’estoitaulcunement grevé.

Jectoit le dart, la barre, la pierre: lajaveline: l’espieu: la halebarde, enfon-

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ceoit l’arc, bandoit es reins les fortes arbalestes de passe, visoit de l’arquebousea l’oeil, affeustoit le canon, tyroit a labutte, au papeguay, du bas en mont, d’amont en val, devant, de couste, en arrie-

Fu.68.

re, comme les Parthes.

On luy atachoit un cable en quel-que haulte tour pendent en terre: paricelluy avecques deux mains montoit,puis devaloit sy roidement, & sy asseu-rement, que plus ne pourriez parmy unpré bien eguallé.

On luy mettoit une grosse percheapoyee a deux arbres a icelle se pendoitpar les mains, & d’icelle alloit & venoitsans des pieds a rien toucher, que a grandecourse on ne l’eust peu aconcepvoir.

Et pour se exercer le thorax & pul-mon crioit comme tous les diables. Jel’ouy une foys appellant Eudemon de-puis la porte sainct Victor jusques aMont matre. Stentor n’eut oncquestelle voix a la bataille de Troye.

Et pour gualentir les nerfz, on luyavoit faict deux grosses saulmones deplomb chascune du poys de huyt millesept cens quintaulx lesquelles il nom-moit alteres. Icelles prenoit de terre enchascune main & les elevoit en l’air au

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dessus de la teste, & les tenoit ainsi sanssoy remuer troys quars d’heure & davantaige, que estoit une force inimitable.

Jouoit aux barres avecques les plusfors. Et quand le poinct advenoit, se te

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noit sus ses pieds tant roiddement qu’ilse abandonnoit es plus adventureuxen cas qu’ilz le feissent mouvoir de sa place. Comme jadis faisoit Milo.

A l’imitation duquel aussi tenoit unepomme de grenade en sa main, & la donnoit a qui luy pourroit ouster.

Le temps ainsi employé, luy froté,nettoyé, & refraischy d’habillemens, toutdoulcement retournoit & passans parquelques prez, ou aultres lieux herbuzvisitoient les arbres & plantes, les con-ferens avec les livres des anciens quien ont escript comme Theophraste, Dioscorides, Marinus, Pline, Nicander Macer, & Galen, & en emportoient leurs plenes mains au logis, desquelles avoit lacharge un jeune page nomme Rhizotome, ensemble des marrochons, des pio-

Fu.69.

ches, cerfouettes, beches, tranches, & aultres instrumens requis a bien arborizer.

Eulx arrivez au logis ce pendentqu’on aprestoit le souper repetoient quelques passaiges de ce qu’avoit esté leu &s’asseoient a table.

Notez icy que son disner estoit sobre& frugal, car tant seulement mangeoitpour refrener les haboys de l’estomach,mais le soupper estoit copieux & large.Car tant en prenoit que luy estoit de besoing a soy entretenir & nourrir. Ce queest la vraye diete prescripte par l’art debonne & seure medicine, quoy q’un tas debadaulx medicins herselez en l’officinedes Sophistes conseillent le contraire.

Durant icelluy repas estoit conti-nuee la lecon du disner: tant que bonsembloit: le reste estoit consomme en bonspropous tous lettrez & utiles.

Apres graces rendues se adonnoienta chanter musicalement: a jouer d’instrumens harmonieux: ou de ces petitz passetemps qu’on faict es chartes: es dez: &

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guobeletz: & la demouroient faisansgrand chere & s’esbaudissans aulcunes-foys jusques a l’heure de dormir, quel-que foys alloient visiter les compai-gnies des gens lettrez: ou de gens queeussent veu pays estranges.

En pleine nuict davant que soy re-tirer alloient au lieu de leur logis leplus descouvert veoir la face du ciel: &la notoient les cometes sy aulcunes estoient: les figures: situations: aspectz: oppositions: & conjunctions des astres.

Puis avec son precepteur recapitu-loit briefvement a la mode des Pytha-goricques tout ce qu’il avoit leu: veu,sceu: faict: & entendu au decours de toute la journee.

Si prioient dieu le createur en l’ado-rant, & ratifiant leur foy envers luy: &le glorifiant de sa bonte immense: & luyrendant grace de tout le temps passe,se recommandoient a sa divine clemen-ce pour tout l’advenir. Ce faict entroient en leur repous.

Fu.70.

Comment Gargantua employoitle temps quand l’air estoit plu-

vieux. Chap. xxiiij.

S’Il advenoit quel’air feust pluvieux& intemperé, tout le temps d’avantdisner estoit employe comme de cou-stume, excepte qu’il faisoit allumer unbeau & clair feu, pour corriger l’intempe-

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rie de l’air. Mais apres disner en lieudes exercitations: ilz demouroient en lamaison & par maniere de Apotherapics’esbatoient a boteler du foin, a fendre & seier du boys & a batre les gerbes en lagrange. Puys estudioient en l’art depaincture: & sculpture: ou revocquo-ient en usage l’anticque jeu des tables,ainsi qu’en a escript Leonicus, & comme yjoue nostre bon amy Lascaris.

En y jouant recoloient les passaigesdes auteurs anciens es quelz est faictemention ou prinse quelque metaphoresus iceluy jeu: Semblablement ou alloient veoir comment on tiroit les metaulx

[70v]

ou comment on fondoit l’artillerye: ou al-loient veoir les lapidaires, orfevres &tailleurs de pierreries, ou les Alchymi-stes & monoyeurs, ou les haultelissiers,les tissotiers, les velotiers, les horolo-giers, miralliers, Imprimeurs, organi-stes, tinturiers, & aultres telles sortesd’ouvriers, & par tout donnans le vin,aprenoient, & consideroient l’industrie &invention des mestiers.

Alloient ouir les lecons publicques,les actes solennelz, les repetitions, lesdeclamations, les playdoiez des gentilzadvocatz, les concions des prescheursevangeliques.

Passoit par les salles & lieux ordonnez pour l’escrime, & la contre les mai-stres essayoit de tous bastons, & leursmonstroit par evidence, que autant voyre plus en scavoit que iceulx.

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Et au lieu de arboriser, visitoient lesbouticques des drogueurs, herbiers &apothecaires, & soigneusement conside-roient les fruictz, racines, fueilles, gom

Fu.71.

mes, semences, axunges, peregrines, ensemble aussi comment on les adulteroit.

Alloit veoir les basteleurs, trejectai-res & theriacleurs, & consideroit leursgestes, leurs ruses, leurs sobressaulx, &beau parler: singulierement de ceulx deChaunys en Picardie, car ilz sont denature grands jaseurs & beaulx bail-leurs de baillivernes en matiere de cinges verds.

Eulx retournez pour soupper, man-geoient plus sobrement que es aultresjours, & viandes plus desiccatives & extenuantes: affin que l’intemperie humi-de de l’air, communicque au corps par ne-cessaire confinité, feust par ce moyen cor-rigee & ne leurs feust incommode parne soy estre exercitez: comme avoientde coustume.

Ainsi fut gouverné Gargantua & continuoit ce proces de jour en jour, profi-tant comme entendez que peut faire unjeune homme scelon son aage de bonsens, en tel exercice, ainsi continué. Le-

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quel combien que semblast pour le commencement difficile, en la continuationtant doulx fut, legier, & delectable, quemieulx ressembloit un passetemps deroy, que l’estude d’un escholier.

Toutesfoys: Ponocrates pour le sejourner de ceste vehemente intention des

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esperitz, advisoit une foys le moys quelque jour bien clair & serain, auquel bougeoient au matin de la ville, & alloient ou aGentily, ou a Boloigne, ou a Montrou-ge, ou au pont Charanton, ou a Vanves,ou a sainct Clou. Et la passoient tou-te la journee a faire la plus grande chere dont ilz se pouvoient adviser: raillansgaudissans: beuvans d’aultant: jouans chan-tans: dansans: se voytrans: en quel-que beau pre: deniceans des passereaulxprenans des cailles: peschans aux grenoilles: & escrevisses.

Mais encores que icelle journee feustpassee sans livres & lectures: poinct ellen’estoit passee sans proffit. Car en beaupré ilz recoloient par cueur quelques plai

Fu.72.

sans vers: de l’agriculture de Virgile:de Hesiode: du Rusticque de Politian: des-cripvoient quelques plaisans epigram-mes en latin: puis le mettoient par rondeaux & ballades en langue Francoyse.

En banquetant du vin aisgue sepa-roient l’eau: comme l’enseigne Cato dere rustica. & Pline: avecques un guobeletde Lyerre: lavoient le vin en plain bassin d’eau: puis le retiroient avec un em-but: faisoient aller l’eau d’un verre enaultre: bastisoient plusieurs petitz en-gins automates: c’est a dire: soy mou-vens eulx mesmes.

Comment feut meu entre les fouaciersde Lerne, & ceulx du pays de Gar

gantua le grand debat, dontfurent faictes grosses

guerres. Cha-pitre. xxv.

EN cestuy temps qui fut la saison devendanges au commencement de automne, les bergiers de la contree

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estoient a guarder les vines, & empes-cher que les estourneaux ne mangeas-sent les raisins.

Onquel temps les fouaciers de Lerné passoient le grand quarroy menans dixou douze charges de fouaces a la ville.

Lesdictz bergiers les requirent cour-toisement leurs en bailler pour leur ar-gent, au pris du marche.

Car notez que c’est viande celeste, manger a desjeuner raisins avec fouace fraiche, mesmement des pineaulx, des fiers,des muscadeaulx, de la bicane, & des foyrars pour ceulx qui sont constipez deventre. Car ilz les font aller long comme un vouge: & souvent cuidans peterilz se conchient, dont sont nommez lescuideurs des vendanges.

A leur requeste ne feurent aulcune-ment enclinez les fouaciers, mais (quepis est) les oultragerent grandement lesappellans Trop diteulx, Breschedens,Plaisans rousseaulx, Galliers, Chien-lictz, Averlans, Limessourdes, Faict-

Fu.73.

neans, Friandeaulx, Bustarins, Tal-vassiers, Riennevaulx, Rustres, Challans, Hapelopins, Trainneguainnes,gentilz Flocquetz, Copieux, Landores,Malotruz, Dendins, Baugears, TezezGaubregeux, Gogueluz, ClaquedansBoyers d’etrons, Bergiers de merde: &aultres telz epithetes diffamatoires, adjoustans que poinct a eulx n’aparte-noit manger de ces belles fouaces: maisqu’ilz se debvoient contenter de gros pain,balle, & de tourte.

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Auquel oultraige un d’entr’eulx nom-me Frogier, bien honneste homme de sapersonne, & notable bacchelier respon-dit doulcement. Depuis quand avezvous prins cornes, qu’estes tant roguesdevenuz? Dea vous nous en souliez voluntiers bailler, & maintenant y refusez?Ce n’est faict de bons voisins, & ainsi nevous faisons nous, quand venez icy a-chapter nostre beau frument duquelvous faictes voz gasteaux & fouaces:encores par le marché, vous eussions

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nous donné de noz raisins: mais parla mer de vous en pourriez repentir, & aurez quelque jour affaire de nous, lorsnous ferons envers vous a la pareille,& vous en soubvienne.

Adoncq Marquet grand bastonnierde la confrairie des fouaciers luy dist.Vrayement tu es bien acresté a ce ma-tin: tu mengeas her soir trop de mil. Vienca, vien ca, je te donneray de ma fouaceLors Forgier en toute simplesse appro-cha tirant un unzain de son baudrier,pensant que Marquet luy deust deposcherde ses fouaces, mais il luy bailla de sonfouet a travers les jambes si rudement queles noudz y apparoissoient: puis voulutgaigner a la fuyte: mais Forgier s’escriaau meurtre: & a la force tant qu’il peut, ensemble luy getta un gros tribard qu’il portoit soubz son escelle, & le attainct par lajoincture coronale de la teste, sus l’arterecrotaphique, du couste dextre: en telle sor-te que Marquet tomba de sa jument: mieulxsembloit homme mort que vif.

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Ce pendent les mestaiers, qui la aupreschalloient les noiz, accoururent avecleurs grandes gaules & frapperent sus cesfouaciers comme sus seigle verd. Les aultres bergiers & bergieres, ouyans le cryde Forgier, y vindrent avec leurs fondes &brassiers, & les suyvirent a grands coupsde pierres tant menuz qu’il sembloit que ce feustgresle Finablement les aconceurent, & cousterent de leurs fouaces environ quatre oucinq douzeines, toutesfoys ilz les paye-rent au pris acoustumé, & leurs donnerentun cens de quecas, & troys panerees deFrancs aubiers. Puis les fouaciers ayderent a monter Marquet, qui estoit villai-nement blesse. & retournerent a Lerne sanspoursuivre le chemin de Pareille menassans fort & ferme les boviers, bergiers,& mestaiers de Seuille & de Synays.

Ce faict & bergiers & bergieres feirentchere lye avecques ces fouaces & beaulxraisins, & se rigollerent ensemble au sonde la belle bouzine: se mocquans de cesbeaulx fouaciers glorieux, qui avoient

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trouve male encontre, par faulte de s’e-stre seignez de la bonne main au matinEt avec gros raisins chenins estuve-rent les jambes de Forgier mignonne-ment, si bien qu’il feut tantost guery.

Comment les habitans de Lerne parle commandement de Picrochole

leur roy assallirent au des-pourveu les bergiers

de Gargantua.Chap. xxvj.

LEs fouaciers retournez aLerné soubdain davant boyre ny manger, se transporte-rent au capitoly, & la davantleur roy nomme Picrochole, tiers de cenom, proposerent leur complainte, mon-

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strans leurs paniers rompuz, leurs bonnetz foupiz, leurs robbes dessirees, leursfouaces destroussees, & singulierementMarquet blesse enormement, disans letout avoir este faict par les bergiers &mestaiers de Grandgousier, pres le

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grand carroy par dela Seuille.

Lequel incontinent entra en cour-roux furieux, & sans plus oultre se in-terroguer quoy ne comment, feist crierpar son pays ban & arriere ban, & queun chascun sur peine de la hart convinten armes en la grand place, devant lechasteau, a heure de midy.

Pour mieulx confermer son entreprin-se, envoya sonner le tabourin a l’entourde la ville, luy mesmes ce pendent qu’onaprestoit son disner, alla faire affusterson artillerie, desployer son enseigne &oriflant, & charger force munitions, tantde harnoys d’armes que de gueulles.

En disnant bailla les commissions & feutpar son edict constitue le seigneur Tre-pelu sus l’avantguarde, en laquelle fu-rent contez seize mille quatorze hacque-butiers, trente cinq mille & unze avan-turiers.

A l’artilerie fut commis le grand escu-yer Toucquedillon, en laquelle feurentcontees neuf cens quatorze grosses pie-

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ces de bronze, en canons, doubles canons,baselicz, serpentines, couleuvrines, bombardes, faulcons, passevolans, spiroles,& aultres pieces. L’arriere guarde feutbaillee au duc Racquedenare. En la ba

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taille se tint le roy & les princes de sonroyaulme.

Ainsi sommairement acoustrez davantque se mettre en voye, envoyerent troyscens chevaulx legiers soubz la conduictedu capitaine Engoulevent, pour descouvrir le pays, & scavoir si embuche aulcuneestoyt par le contree. Mais apres avoirdiligemment recherche trouverent toutle pays a l’environ en paix & silence, sansassemblee quelconque.

Ce que entendent Picrochole com-menda q’un chascun marchast soubz sonenseigne hastivement.

Adoncques sans ordre & mesure prindrent les champs les uns parmy les aultres, gastans & dissipans tout par ou ilzpassoient, sans espargner ny pauvre nyriche, ny lieu sacre, ny prophane, emme-

Fu.76.

noient beufz, vaches, thoreaux, veaulxgenisses, brebis, moutons, chevres &boucqs: poulles, chappons, poulletz, oy-sons, jards: oyes, porcs: truyes, guoretz:abastans les noix, vendeangeans les vignesemportans les seps, croullans tous lesfruictz des arbres. C’estoit un desordreincomparable de ce qu’ilz faisoient.

Et ne trouverent personne qui leursresistast, mais un chascun se mettoit aleur mercy, les suppliant estre traictezplus humainement, en consideration dece qu’ilz avoient de tous temps este bons& amiables voisins, & que jamais en-vers eulx ne commirent exces ne oul-traige, pour ainsi soubdainement estrepar iceulx mal vexez, & que dieu les enpuniroit de brief. Es quelles remon-

strances, rien plus ne respondoient,si non qu’ilz leurs vouloient a-

prendre a mangerde la fo-

uace.K iiij

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[76v]

Comment un moine de Seuillesaulva le cloz de l’abbaye du

sac des ennemys.Chap. xxvij.

TAnt feirent & tracasserent pillant& larronnant, qu’ilz arriverent aSeuille: & detrousserent hommes& femmes, & prindrent ce qu’ilz peurent,rien ne leurs feut ne trop chault ne troppesant. Combien que la peste y feust parla plus grande part des moisons, ilz entroient par tout, ravissoient tout ce qu’estoit dedans, & jamais nul n’en print dangier. Qui est cas assez merveilleux, Carles curez: vicaires, prescheurs, medicinschirugiens & apothecaires: qui alloientvisiter: penser: guerir: prescher & admon-nester les malades, estoient tous morsde l’infection, & ces diables pilleurs &meurtriers oncques n’y prindrent mal.Dont vient cela messieurs? pensez y jevous pry.

Le bourg ainsi pillé, se transporterent

Fu.77.

en l’abbaye avecques horrible tumulte:mais la trouverent bien reserree & fer-mee: dont l’armee principale marcha oultre vers le gué de Vede: exceptez septenseignes de gens de pied & deux censlances qui la resterent & rompirent lesmurailles du cloz affin de guaster tou-te la vendange.

Les pauvres diables de moines nescavoient auquel de leurs saincts se vo

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uer, a toutes adventures feirent sonnerad capitulum capitulantes: la feut decreté qu’ilz feroient une belle procession,renforcee de beaulx preschans & leta-nies contra hostium insidias: & beaulxresponds pro pace.

En l’abbaye estoit pour lors un moine claustrier nomme frere Jean des entommeures, jeune guallant: frisque: dehayt: bien a dextre, hardy: adventureux,deliberé: hault, maigre, bien fendu degueule, bien adventagé en nez, beau despescheur d’heures, beau desbrideur demesses, beau descroteur de vigiles, pour

K v

[77v]

tout dire sommairement, vray moyne sioncques en feut depuys que le monde moy-nant moyna de moynerie. Au reste: clercjusques es dents en matiere de breviaire.

Icelluy entendent le bruyt que faiso-yent les ennemys par le cloz de leur vi-ne, sortit hors pour veoir ce qu’ilz faisoient.Et advisant qu’ilz vendangeoient leur clozau quel estoyt leur boyte de tout l’an fondee, retourne au cueur de l’eglise ou estoient les aultres moynes tous estonnezcomme fondeurs de cloches, lesquelz vo-yant chanter, ini, nim, pe, ne, ne, ne, ne, ne,ne, tum, ne, num, num, ini, i, mi, i, mi, co, o, ne,no, o, o, ne, no, ne, no, no, no, rum, ne, num,num. C’est, dist il, bien chien chante. Vertus Dieu: que ne chantez vous. A dieupaniers, vendanges sont faictes? Je medonne au Diable, s’ilz ne sont en nostrecloz, & tant bien couppent & seps & rai-sins, qu’il n’y aura par le corps Dieu dequatre annees que halleboter dedans.Ventre sainct Jacques que boyrons nousce pendent, nous aultres pauvres dia-

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Fu.78.

bles? Seigneur Dieu da mihi potum.

Lors dist le prieur claustral. Que fera cest hyvrogne icy? Qu’on me le meneen prison, troubler ainsi le service divin?

Mais: (dist le moyne) le service duvin faisons tant qu’il ne soit troublé, carvous mesmes monsieur le prieur, aymezboyre du meilleur, sy faict tout homme debien, Jamais homme noble ne hayst lebon vin, c’est un apophthegme monachalMais ces responds que chantez ycy nesont par Dieu poinct de saison.

Pour quoy sont noz heures en tempsde moissons & vendenges courtes, enL’advent & tout Hyver longues?

Feu de bonne memoire frere Mace Pelosse, vray zelateur (ou je me donne auDiable) de nostre religion me dist, il m’en soubvient, que la raison estoyt, affin qu’en cestesaison nous facions bien serrer & fairele vin, & qu’en Hyver nous les humons.

Escoutez messieurs vous aultres: qui aymez le vin, le corps Dieu sy me suyvez:car hardiment que sainct Antoine me arde sy

[78v]

ceulx tastent du pyot qui n’auront se-couru la vigne. Ventre Dieu, les biensde l’eglise? ha non non. Diable sainctThomas L’angloys voulut bien pouryceulx mourir, si je y mouroys ne se-roys je sainct de mesmes? Je n’y mou-ray ja pourtant, car c’est moy qui le foys,es aultres.

Ce disant mist bas son grand habit& se saisist du baston de la Croix, quiestoyt de cueur de cormier long commeune lance, rond a plain poing & quelquepeu semé de fleurs de lys toutes pres-que effacees. Ainsi sortit en beau sayonmist son froc en escharpe. Et de son baston de la Croix donna sy brusquementsus les ennemys qui sans ordre ne en-

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seigne, ne trompette, ne tabourin, par-my le cloz vendangeoient. Car les por-teguydons & portenseignes avoient mysleurs guidons & enseignes l’oree desmurs, les tabourineurs avoient defonce leurs tabourins d’un cousté, pour lesemplir de raisins, les trompettes estoient

Fu.79.

chargez de moussines: chascun estoytdesrayé, Il chocqua doncques si royde-ment sus eulx sans dyre guare, qu’il lesrenversoyt comme porcs frapant a tors& a travers a vieille escrime.

Es uns escarbouilloyt la cervelle, esaultres rompoyt bras & jambes, es aultres deslochoyt les spondyles du coul,es aultres demoulloyt les reins, aval-loyt le nez, poschoyt les yeulx, fendoytles mandibules, enfoncoyt les dens enla gueule, descroulloyt les omoplates,sphaceloyt les greves, desgondoit lesischies: debezilloit les fauciles.

Si quelqun se vouloyt cascher en-tre les sepes plus espes, a icelluy freus-soit toute l’areste du douz: & l’esrenoitcomme un chien.

Si aulcun saulver se vouloyt en fuyanta icelluy faisoyt voler la teste en piecespar la commissure labdoide.

Sy quelqun gravoyt en une arbrepensant y estre en seurete, icelluy de sonbaston empaloyt par le fondement.

[79v]

Si quelqun de sa vieille congnoissance luy crioyt. Ha frere Jean mon amy,frere Jean je me rend. Il t’est (disoyt il)

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bien force. Mais ensemble tu rendrasl’ame a tous les Diables. Et soubdainluy donnoit dronos. Et si personne tantfeust esprins de temerite qu’il luy voulustresister en face, la monstroyt il la force deses muscles. Car il leurs transpercoytla poictrine par le mediastine & par lecueur: a d’aultres donnant suz la faultedes coustes, leurs subvertissoyt l’esto-mach, & mouroient soubdainement, es aultres tant fierement frappoyt par le nombril, qu’ilz leurs faisoyt sortir les tripes, esaultres parmy les couillons persoyt leboiau cullier. Croiez que c’estoyt le plushorrible spectacle qu’on veit oncques.Les uns cryoient saincte Barbe.Les aultres sainct George,Les aultres saincte Nytouche.Les aultres nostre Dame de Cunault,De Laurette. De bonnes nouvelles. Dela lenou. De riviere. Les ungs se vouo

Fu.80.

yent a sainct Jacques. Les aultres ausainct Suaire de Chambery, mais ilbrusla troys moys apres si bien qu’onn’en peut saulver un seul brin.Les aultres a Cadouyn.Les aultres a sainct Jean d’angery.Les aultres a sainct Eutrope de Xainctes, a sainct Mesmes de Chinon, a sainctMartin de Candes, a sainct Clouaudde Sinays:es reliques de lavrezay: &mille aultres bons petitz sainctz.Les ungs mouroient sans parler. Lesaultres parloient sans mourir les ungsmouroient en parlant, Les aultres parlant en mourant.Les aultres crioient a haulte voix confes.Confession. Confiteor. miserere. In manus.

Tant fut grand le cris des navrezque le prieur de l’abbaye avec tous sesmoines sortirent. Lesquelz quand apperceurent ces pauvres gens ainsi ruez parmy la vigne & blessez a mort, en confes-serent quelques ungs. Mais ce pendent que

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les prebstres se amusoient a confesser: les

[80v]

petitz moinetons coururent au lieu ouestoit frere Jean, & luy demanderent enquoy il vouloit qu’ilz luy aydassent?

A quoy respondit, qu’ilz esguorgetas-sent ceulx qui estoient portez par terre.Adoncques laissans leurs grandes cappes sus une treille au plus pres, com-mencerent esgourgeter, & achever ceulxqu’il avoit desja meurtriz. Scavez vousde quelz ferremens? A beaulx gouvetz quisont petitz demy cousteaux dont les pe-titz enfans de nostre pays cernent les noix.

Puis a tout son baston de croix,guaingna la breche qu’avoient faict lesennemys. Aulcuns des moinetons emporterent les enseignes & guydons enleurs chambres pour en faire des jar-tiers, Mais quand ceulx qui s’estoientconfessez vouleurent sortir par icellebresche, le moyne les assommoit de coupsdisant ceulx cy sont confes & repentans& ont guaigne les pardons: ilz s’en vonten Paradis aussy droict comme une faucille, & comme est le chemin de Faye. Ain-

Fu.81.

si par sa prouesse feurent desconfiz tousceulx de l’armee qui estoient entrez de-dans le clous jusques au nombre de treze mille six cens vingt & deux, sans lesfemmes & petitz enfans, cela s’entendtousjours.

Jamais Maugis hermite ne se por-ta sy vaillamment a tout son bourdoncontre les Sarrasins des quelz est es-cript es gestes des quatre filz Haymon,

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comme feist le moine a l’encontre des ennemys avec le baston de la croix.

Comment Picrochole print d’assaultla roche Clermauld & le regret etdifficulte que feist Grandgousier

de entreprendre guerre.Chapitre. xxviij.

CE pendent que le moine s’escarmouchoit comme avonsdict contre ceulx qui esto-ient entrez le clous, Picro-chole a grande hastivete passa le gue de Vede avec ses gens & assail

L

[81v]

lit la roche Clermauld, au quel lieu neluy feut faicte resistance queconques,& par ce qu’il estoit ja nuict delibera enicelle ville se heberger soy & ses gens &refraischir de sa cholere pungitive[sic].

Au matin print d’assault les boulle-vars & chasteau & le rempara tresbien: &le proveut de munitions requises pensantla faire sa retraicte si d’ailleurs estoitassailly. Car le lieu estoit fort & par art &par nature, a cause de la situation, & assiete

Or laissons les la, & retournons a nostre bon Gargantua qui est a Paris bieninstant a l’estude de bonnes lettres & exercitations athletiques, & le vieux bon homme Grandgousier son pere, qui apres souper se chauffe les couiles a un beau clair& grand feu & attendent graisler des cha-staines, escript au foyer avec un bastonbrusle d’un bout, dont on escharbotte lefeu: faisant a sa femme & famille debeaulx contes du temps jadis.

Un des bergiers qui gardoient les vi-gnes nomme Pillot: se transporta devers

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Fu.82.

luy en icelle heure, & raconta entiere-ment les exces & pillaiges que faisoitPicrochole Roy de Lerne en ses ter-res & dommaines & comment il avoitpille, gaste, saccage tout le pays, excep-te le clous de Seuille que frere Jeandes entomneurs avoit saulve a son honneur, & de present estoit ledict roy en laroche Clermaud: & la en grande instance se remparoit, luy & ses gens.

Holos, holos, dist Grandgousier, qu’estcecy bonnes gens? Songe je, ou si vrayest ce qu’on me dict? Picrochole mon amyancien, de tout temps, de toute race & al-liance me vient il assaillir? Qui le meutqui le poinct? qui le conduict? qui l’a ainsi conseille? Ho, ho, ho, ho, ho Mon dieumon saulveur, ayde moy, inspire moy,conseille moy a ce qu’est de faire.

Je proteste, je jure davant toy: ainsi mesoys tu favorable, sy jamais a luy des-plaisir ne a ses gens dommaige, ne en sesterres je feis pillerie, mais bien au contraireje l’ay secouru de gens, d’argent, de faveur

L ij

[82v]

& de conseil, en tous cas que ay peu congnoistre son adventaige. Qu’il me aytdoncques en ce poinct oultraige, ce nepeut estre que par l’esprit maling. Bondieu tu congnois mon couraige, car atoy rien ne peut estre cele. Si par cas ilestoit devenu furieux, & que pour luy rehabilliter son cerveau tu me l’eusse icyenvoye: donne moy & pouvoir, & scavoirle rendre au joug de ton sainct vouloirpar bonne discipline.

Ho, ho, ho, Mes bonnes gens mesamys, & mes feaulx serviteurs, fauldrail que je vous empesche a me y ayder?Las, ma vieillesse ne requerroit dorenavant que repous, & toute ma vie n’ay

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rien tant procure que paix. Mais il faultje le voy bien, que maintenant de har-noys je charge mes pauvres espauleslasses & foibles, & en ma main tremblan-te je preigne la lance & la masse, pour secourir & guarantir mes pauvres sub-jectz. La raison le veult ainsi, car deleur labeur je suis entretenu, & de leur

Fu.83.

sueur je suis nourry moy, mes enfans& ma famille.

Ce non obstant, je n’entreprendrayguerre, que je n’aye essaye tous les ars &moyens de paix, la je me resouls.

Adoncques feist convocquer son conseil & propousa l’affaire tel comme ilestoit. Et fut conclud qu’on envoiroitquelque homme prudent devers Picrochole, scavoir pourquoy ainsi soubdai-nement estoit party de son repous, & envahy les terres, es quelles n’avoit droictquicquonques. Davantaige qu’on en-voyast querir Gargantua & ses gens,affin de maintenir le pays, & defendre ace besoing. Le tout pleut a Grandgou-sier & commenda que ainsi feust faict.

Dont sus l’heure envoya le Bas-que son laquays querir a tou

te diligence Gargan-tua. Et luy escrip-

voit commes’ensuit.

L iij

[83v]

Le teneur des lettres que Grand-

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gousier escripvoit a Gar-gantua. Cha-pitre. xxjx.

LA ferveur de tes estudes reque-roit que de long temps ne te re-vocasse de cestuy philosophicquerepous, sy la confiance de noz amys &anciens confederez n’eust de present frustre la seurete de ma vieillesse. Maispuis que telle est ceste fatale destinee,que par iceulx soye inquiete: es quelzplus je me repousoye, force me est te rappeller au subside des gens & biens quite sont par droict naturel affiez.

Fu.84.

Car ainsi comme debiles sont lesarmes au dehors, si le conseil n’est en lamaison: aussi vaine est l’estude & le con-seil inutile: qui en temps oportun par vertus n’est execute & a son effect reduict.

Ma deliberation n’est de provocquerains de apaiser: d’assaillir, mais defen-dre: de conquester, mais de guarder mesfeaulx subjectz & terres hereditaires.Es quelles est hostillement entre Pi-crochole, sans cause ny occasion, & dejour en jour poursuit sa furieuse entre-prinse, avecques exces non tolerablesa personnes liberes.

Je me suis en devoir mis pour mo-derer sa cholere tyrannicque, luy of-frent tout ce que je pensois luy povoirestre en contentement, & par plusieursfoys ay envoye amiablement deversluy pour entendre en quoy, par qui, &comment il se sentoit oultrage, mais deluy n’ay eu responce que de voluntai-re deffiance, & que en mes terres pretendoit seulement droict de bien seance.

L iiij

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[84v]

Dont j’ay congneu que dieu eternel l’alaisse au gouvernail de son franc arbi-tre & propre sens, qui ne peult estre quemeschant sy par grace divine n’est con-tinuellement guide: & pour le conteniren office & reduire a congnoissance mel’a icy envoye a molestes enseignes.

Pourtant mon filz bien ayme le plustost que faire pouras ces lettres veuesretourne a diligence secourir non tantmoy (ce que toutesfoys par pitie natu-rellement tu doibs) que les tiens, les-quelz par raison tu peuz saulver & guarder. L’exploict sera faict a moindre effusion de sang que sera possible. Et si possible est par engins plus expediens, cauteles, & ruzes de guerre nous saulve-rons toutes les ames: & les envoyeronsjoyeux a leurs domiciles.

Treschier filz la paix de Christ no-stre redempteur soyt avecques toy. Sa-lue Ponocrates, Gymnaste, & Eude-mon de par moy. Du vingtiesme deSeptembre. Ton pere Grandgousier.

Fu.85.

Comment Ulrich Gallet fut en-voyé devers Picrochole.

Chapitre. xxx.

LEs lettres dictees & signees,Grandgousier ordonna queUlrich Gallet, maistre deses requestes homme sai-ge & discret, du quel en divers & conten-cieux affaires il avoit esprouve la ver-tus & bon advis: allast devers Picro-chole, pour luy remonstrer ce que pareux avoit este decrete.

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En celle heure partit le bon hommeGallet, & passe le gue demanda au meusnier, de l’estat de Picrochole: lequelluy feist responce que ses gens ne luyavoient laisse ny coq ny geline & qu’ilzs’estoient enserrez en la roche Clermauld& qu’il ne luy conseilloit poinct de pro-ceder oultre de peur du guet, car leurfureur estoit enorme. Ce que facilementil creut, & pour celle nuict herbergeaavecques le meusnier.

L v

[85v]

Au lendemain matin, se transportaavecques la trompette a la porte du cha-steau, & requist es guardes, qu’ilz le feis-sent parler au roy pour son profit.

Les parolles annoncees au roy ne consentit aulcunement qu’on luy ouvrist la porte, mais se transporta sus le bolevard &dist a l’embassadeur: Qu’i a il de nou-veau? que voulez vous dire? Adoncquesl’embassadeur propousa commes’ensuit.

La harangue faicte par Gal-let a Picrochole.

Chap. xxxj.

PLus juste cause de douleur nai-stre ne peut entre les humains, quesi du lieu dont par droicture esperoient grace & benevolence, ilz recep-vent ennuy & dommaige. Et non sanscause (combien que sans raison) plu-sieurs venuz en tel accident, ont ceste indignite moins estime tolerable, que leurvie propre, & en cas que par force ny aul

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Fu.86.

tre engin ne l’ont peu corriger, se sonteulx mesmes privez de ceste lumiere.

Doncques merveille n’est si le royGrandgousier mon maistre est a ta fu-rieuse & hostile venue saisy de grand desplaisir & perturbe en son entendement.merveille seroit si ne l’avoient esmeu lesexces incomparables, qui en ses terres, &subjectz ont este par toy, & tes gens commis, es quelz n’a este obmis exemple aulcund’inhumainite. Ce que luy est tant griefde soy par la cordiale affection, de la-quelle tousjours a chery ses subjectzque a mortel homme plus estre ne scau-roit, toutesfoys sus l’estimation humaineplus grief luy est, en tant que par toy, &les tiens ont este ces griefz, & tords faictz.

Qui de toute memoire & ancienneteaviez toy & tes peres une amitie avec-ques luy, & tous ses encestres conceu, la-quelle jusques a present comme sacree ensemble aviez inviolablement maintenue,guardee, & entretenue, si bien que non luyseulement, ny les siens, mais les nations

[86v]

Barbares, Poictevins, Bretons Manseaux, & ceulx qui habitent oultre lesisles de Canarre, & Isabella, ont esti-me aussi facile demollir le firmament, &les abysmes eriger au dessus des nues,que desemparer vostre alliance: & tantl’ont redoubtee en leurs entreprinsesque n’ont jamais auze provoquer, irri-ter, ny endommaiger l’ung, par crain-cte de l’aultre.

Plus y a. Ceste sacree amitie tanta emply ce ciel, que peu de gens sont aujourdhuy habitans par tout le conti-nent & isles de L’ocean, qui ne ayent ambitieusement aspire estre receuz en icellea pactes par vous mesmes condition-nez: autant estimans vostre confedera-tion que leurs propres terres, & dommai-nes. En sorte que de toute memoire n’a

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este prince ny ligue tant efferee, ou su-perbe qui ait auze courir sus, je ne dispoinct voz terres, mais celles de voz con-federez. Et si par conseil precipite, ontencontre eulx attempte quelque cas de

Fu.87.

nouvellete, le nom & tiltre de vostre al-liance entendu, ont soubdain desiste deleurs entreprinses. Quelle furie doncques te esmeut maintenant, toute alliance brisee, toute amitie conculquee, toutdroict trespasse, envahir hostilement sesterres, sans en rien avoir este par luyny les siens endommaige, irrite, ny provocqué? Ou est foy? ou est loy? ou est raison? ou est humanite? ou est craincte dedieu? Cuyde tu ces oultraiges estre recelles es esperitz eternelz, & au Dieu souverain, qui est juste retributeur de nozentreprinses? Si le cuyde, tu te trompe,car toutes choses viendront a son juge-ment. Sont ce fatales destinees, ouinfluences des astres qui voulent met-tre fin a tes ayzes & repous? Ainsi onttoutes choses leur fin & periode. Etquand elles sont venues a leur poinctsuppellatif, elles sont en bas ruines,car elles ne peuvent long temps en telestat demourer, C’est la fin de ceulx quileurs fortunes & prosperitez ne peuvent

[87v]

par raison & temperance moderer.

Mais si ainsi estoit phee, & deust oreston heur & repos prendre fin, failloit ilque ce feust en incommodant a mon Roycelluy par lequel tu estois estably? Sita maison debvoit ruiner, failloit il qu’ensa ruine elle tombast suz les atres de cel

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luy qui l’avoit aornee? La chose est tanthors les metes de raison, tant abhorrente de sens commun, que apeine peut elleestre par humain entendement conceue, &jusques a ce demourera non croiableentre les estrangiers, que l’effect asseure& tesmoigne leur donne a entendre, querien n’est ny sainct, ny sacre a ceulx quise sont emancipez de dieu & raison, poursuyvre leurs affections perverses.

Si quelque tort eust este par nous faicten tes subjectz, & dommaines, si par nouseust este porte faveur a tes mal vouluz,si en tes affaires ne te eussions secourusi par nous ton nom & honneur eust esteblesse: Ou pour mieulx dire: si l’esperitcalumniateur tentant a mal te tirer

Fu.88.

eust par fallaces especes, & phantasmesludificatoyres mis en ton entendementque envers toy eussions faict chose nondigne de nostre ancienne amitie: Tudebvois premier enquerir de la verite,puis nous en admonester. Et nous eussions tant a ton gre satisfaict, que eusseeu occasion de toy contenter. Mais (odieu eternel) quelle est ton entreprinse?

Vouldroys tu comme tyrant perfi-de pillier ainsi, & dissiper le royaulmede mon maistre? Le as tu esprouvetant ignave, & stupide, qu’il ne voulust:ou tant destitue de gens, d’argent, de conseil, & d’art militaire, qu’il ne peust resi-ster a tes iniques assaulx? Deparsd’icy presentement, & demain pour toutle jour soye retire en tes terres, sanspar le chemin faire aulcun tumulte neforce. Et paye mille bezans d’or pourles dommaiges que as faict en ces ter-res. La moytie bailleras demain l’aul-tre moytie payeras es Ides de Mayprochainement venant: nous delaissant

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ce pendent pour houltaige les Ducsde Tournemoule, de Basdefesses, & deMenuail, ensemble le prince de Gratelles, & le viconte de Morpiaille.

Comment Grandgousier pourachapter paix feist rendre

les fouaces. Cha-pitre. xxxij.

A Tant se teut le bon homme Gallet, mais Picro-chole a tous ses proposne respond aultre chose,si non Venez les querir:venez les querir. Ilz ontbelle couille & molle. Ilz vous brayerontde la fouace. Adoncques retourne versGrandgousier, lequel trouva a genousteste nue, encline en un petit coing de soncabinet, priant dieu, qu’il vouzist amol-lir la cholere de Picrochole, & le mettreau poinct de raison, sans y proceder parforce. Quand veit le bon homme de retouril luy demanda. Ha mon amy, mon amy,

Fu.89.

quelles nouvelles m’apportez vous? Iln’y a, dist Gallet, ordre, cest homme est dutout hors du sens & delaisse de dieuVoyre mais dist Grandgousier, monamy quelle cause pretend il de cest exces?

Il ne me a, dist Gallet, cause queconques expose. Si non qu’il m’a dict encholere quelques motz de fouaces. Jene scay si l’on auroit poinct faict oultrage a ses fouaciers. Je le veulx, distGrandgousier, bien entendre davantqu’aultre chose deliberer sur ce que se-roit de faire. Alors manda scavoir de

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cest affaire: & trouva pour vray qu’onavoit prins par force quelques fouacesde ses gens, & que Marquet avoit rep-ceu un coup de tribard sus la teste.Toutesfoys que le tout avoit estebien paye, & que ledict Marquet avoitpremier blesse Forgier de son fouet parles jambes. Et sembla a tout son con-seil que en toute force il se doibvoit de-fendre. Ce non ostant, dist Grand-gousier, Puis qu’il n’est question que de

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quelques fouaces, je essayeray le con-tenter, car il me desplaist par trop de lever guerre. Adoncques s’enquesta com-bien on avoit prins de fouaces, & enten-dent quatre ou cinq douzaines, commen-da qu’on en feist cinq charretees en icel-le nuict, & que l’une feust de fouaces fai-ctes a beau beurre, beau moyeux d’eufzbeau saffran, & belles espices pour estredistribuees a Marquet, & que pour sesinterestz, il luy donnoit sept cens mille& troys Philippus pour payer les barbiers qui l’auroient pense, & d’abondantluy donnoit la mestayrie de la Pomardiere a perpetuite franche pour luy &les siens. Pour le tout conduyre & pas-ser fut envoye Gallet. Lequel par lechemin, feist cuillir pres de la sauloyeforce grands rameaux de cannes & rouzeaux & en feist armer autour leurs charrettes, & chascun des chartiers, luy mesmes en tint un en sa main: par ce vou-lant donner a congnoistre qu’ilz ne de-mandoient que paix, & qu’ilz venoient

Fu.90.

pour l’achapter. Eulx venuz a la por

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te requirent parler a Picrochole de parGrandgousier. Picrochole ne vou-lut oncques les laisser entrer, ny aller aeulx parler, & leurs manda qu’il estoitempesche, mais qu’ilz dissent ce qu’ilzvouldroient au capitaine Toucquedillon, lequel affustoit quelque piece susles murailles. Adonc luy dict le bonhomme. Seigneur pour vous retirerde tout ce debat & ouster toute excuseque ne retournez en nostre premiere al-liance, nous vous rendons presente-ment les fouaces, dont est la controverse. Cinq douzaines en prindrent nozgens: elles furent tresbien payees, nousaymons tant la paix que nous en ren-dons cinq charrettes: desquelles cesteicy sera pour Marquet qui plus seplainct. Dadvantaige pour le con-tenter entierement, voy la sept cens mille & troys Philippus que je luy livre, &pour l’interest qu’il pourroit pretendre,je luy cede la mestayrie de la Pomar-

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diere, a perpetuite pour luy & les sienspossedable en franc alloy. Voyez cy le con-tract de la transaction. Et pour dieuvivons dorenavant en paix, & vous re-tirez en voz terres joyeusement: cedansceste place icy, en laquelle n’avez droictquelconques, comme bien le confessez.Et amis comme paravant. Toucquedillon raconta le tout a Picrochole, &de plus en plus envenima son courai-ge luy disant: Ces rustres ont bellepaour. Par dieu Grandgousier se conchie, le pouvre beuveur, ce n’est son artaller en guerre, mais ouy bien vuiderles flascons. Je suis d’opinion que retournons ces fouaces & l’argent, & aureste nous hastons de remparer icy &poursuivre nostre fortune, Mais pen-sent ilz bien avoir affaire a une duppe,de vous paistre de ces fouaces: voylaque c’est, le bon traictement & la grandefamiliarite que leurs avez par cy da-vant tenue, vous ont rendu envers eulx

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contemptible. Oignez villain, il vous

Fu.91.

poindra. Poignez villain, il vous oin-dra. Ca, ca, ca, dist Picrochole, sainctJacques ilz en auront faict ainsi qu’a-vez dict. D’une chose, dist Toucque-dillon, vous veux je advertir. Noussommes icy assez mal avituaillez: & pourveuz maigrement des harnoys de gueule. Si Grandgousier nous mettoitsiege, des a present m’en irois faire ar-racher les dents toutes, seulement quetroys me restassent, autant a voz genscomme a moy, avec icelles nous n’avan-gerons que trop a manger noz muni-tions. Nous, dist Picrochole, n’auronsque trop mangeailles. Sommes nous icypour manger ou pour batailler? Pourbatailler vrayement dist Toucquedil-lon. Mais de la pance vient la dance.Et ou faim regne: force exule, Tant ja-zer: dist Picrochole. Saisissez ce qu’ilzont amene. Adoncques prindrent argent & fouaces & beufz & charrettes, &les renvoyerent sans mot dire, si nonque plus n’aprochassent de si pres pour

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[91v]

la cause qu’on leur diroit demain. Ainsi sans rien faire retournerent deversGrandgousier, & luy conterent le tout:adjoustans qu’il n’estoit aulcun espoir, de lestirer a paix, sinon a vive & forte guerre.

Comment certains gouverneurs dePicrochole par conseil preci-

pite le mirent au dernierperil. Chapi-tre. xxxiij.

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LEs fouaces destroussees comparurent davant Picrochole, les duc de Menuail, comteSpadassin, & capitaine Merdaille, & luy dirent. Cyre aujourdhuynous vous rendons le plus heureux,plus chevaleureux prince qui oncquesfeust depuis la mort de Alexandre Macedo. Couvrez couvrez vous dist Picrochole. Grand mercy (dirent ilz) Cy-re, nous sommes a nostre debvoir. Lemoyen est tel, vous laisserez icy quelquecapitaine en garnison avec petite ban-

Fu.92.

de de gens, pour garder la place, laquelle nous semble assez forte tant par na-ture, que par les rampars faictz a vo-stre invention. Vostre armee partirezen deux, comme trop mieulx l’entendez.

L’une partie ira ruer sur ce Grand-gousier, & ses gens. Par icelle sera deprime abordee facilement desconfi. Larecouvrerez argent a tas. Car le vi-lain en a du content, vilain, disons nousPar ce que un noble prince n’a jamaisun sou. Thesaurizer, est faict de vilain.

L’aultre partie ce pendent tirera versOnys, Sanctonge, Angomoys, & Gascoigne: ensemble Perigot, Medoc, &Elanes. Sans resistence prendrontvilles, chasteaux, & forteresses. A Ba-yonne, a sainct Jean de Luc, & Fonta-rabie sayzirez toutes les naufz, & cou-stoyant vers Galice, & Portugal, pillerez tous les lieux maritimes, jusques aUisbonne, ou aurez renfort de toutequipage requis a un conquerent. Parle corbieu Hespaigne se rendra, car ce ne

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sont que Madourrez. Vous passerezpar l'estroict de Sibyle, & la erigerezdeux colomnes plus magnificques quecelles de Hercules, a perpetuelle me-moire de vostre nom. Et sera nomme cestuy destroict la mer Picrocholine.

Passee la mer Picrocholine, voicy Barberousse qui se rend vostre esclave. Je (distPicrochole) le prendray a mercy. Voyre (dirent ilz) pourveu qu’il se face baptiser. Et oppugnerez les royaulmes deTunic, de Hippes, Argiere, Bone: Co-rone, hardiment toute Barbarié. Passant oultre retiendrez en vostre mainMajorque, Minorque, Sardaine, Corsicque, & aultres isles de la mer Ligu-sticque & Baleare. Coustoyant a gausche, dominerez toute la Gaule Narbo-nicque, Provence, & Allobroges, Genes,Florence, Lucques, & a dieu seas Ro-me. (Le pauvre monsieur du pape meurtdesja de peur. Par ma foy dist Pi-crochole, je ne luy baiseray ja sa pan-toufle) Prinze Italie voyla Naples,

Fu.93.

Calabre, Appoulle & Sicile toutes asac, & Malthe avec. Je vouldrois bienque les plaisans chevaliers jadis Rhodiens vous resistassent, pour veoir deleur urine. Je iroys (dict Picrocho-le) voluntiers a Laurette. Rien rien,dirent ilz, ce sera au retour. De la prendrons Candide, Cypre, Rhodes, & lesisles Cyclades, & donnerons sus laMoree. Nous la tenons. Sainct Treignan dieu gard Hierusalem, car le Soubdan n’est pas comparable a votre puissance. Je (dist il) feray doncques ba-stir le temple de Salomon. Non, direntilz, encores, attendez un peu: ne soyez ja-mais tant soubdain a voz entreprinses.

Scavez vous que disoit OctavianAuguste? Festina lente. Il vous convient premierement avoir L’asie minor,

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Carie, Lycie, Pamphile, Celicie, Ly-die, phrygie, Mysie, Betune, CharazieSatalie, Samagarie, Castamena, Luga, Savasta: jusques a Euphrates.Voyrons nous, dist Picrochole, Ba-

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bylone, & le mont Sinay? Il n’est direntilz, ja besoing pour ceste heure. N’estce pas assez tracasse dea avoir transfre-te la mer Hircane, chevauche les deuxArmenies, & les troys Arabies?Par ma foy, dist il, nous sommes affo-lez. Ha pauvres gens (Quoy? dirent ilz)Que boyrons nous par ces desers. CarJulian Auguste & tout son oust y mou-rurent de soif, comme l’on dict. Nous (di-rent ilz) avons ja donne ordre a tout. Parla mer Siriace vous avez neuf millequatorze grands naufz chargees desmeilleurs vins du monde, elles arrive-rent a Japhes. La se sont trouvez vingt& deux cens mille chameaulx, & seize censElephans, lesquelz aurez prins a unechasse environ Sigeilmes, lors que en-trastes en Libye: & d’abondant eustestoute la Garavane de Lamecha. Nevous fournirent ilz de vin a suffisance?

Voyre mais, dist il, nous ne beumespoinct frais. Par la vertus, dirent ilznon pas d’un petit poisson un preux, un

Fu.94.

conquerent, un pretendent & aspirant al’empire univers, ne peut tousjours avoirses aizes. Dieu soit loue que estes venu vous & voz gens saufz & entiers jus-ques’au fleuve du Tigre. Mais distil, que faict ce pendent la part de nostrearmee qui desconfit ce villain humeux

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Grandgousier? Ilz ne chomment pas(dirent ilz) nous les recontrerons tan-tost. Ilz vous ont pris Bretaigne, Normandie, Flandres Haynault, Brabant,Artoys, Hollande, Selande, ilz ont passele Rhein par sus le ventre des Suices& Lansquenetz, & par d’entre eulx ontdompte Luxembourg: Lorraine, la Champaigne, Savoye jusques a Lyon, au-quel lieu ont trouve voz garnisons re-tournans des conquestes navales dela mer Mediterranee. Et se sont reassemblez en Boheme, apres avoir mis asac Soueve, Vuitemberg, Bavieres,Austriche, Moravie & Stirie. Puisont donne fierement ensemble sus Lu-bek Norwerge, Sweden, Rich[sic], Da-

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ce, Gotthie, Engroneland, les Estre-lins, jusques a la Mer Glaciale. Cefaict conquesterent les isles Orcha-des, & subjuguerent Escosse, Angleter-re, & Irlande. De la navigans parla mer sabuleuse, & par les Sarmates,ont vaincu & domine Prussie, PolonieLitwanie, russie, Valache, la Transsilvane & Hongrie, Bulgarie, Turquie, & sonta Constantinoble. Allons nous, dist Picrochole, rendre a eulx le plus toust, carje veulx estre aussi empereur de Thebizonde. Ne tuerons nous pas tous ceschiens Turcs & Mahumetistes? Quediable, dirent ilz, ferons nous doncques?

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Et donnerez leurs biens & terres, aceulx qui vous auront servy honneste-ment. La raison (dist il) le veult, c’estequite. Je vous donne la CarmaigneSurie, & toute Palestine. Ha direntilz, Cyre, c’est du bien de vous: grandmercy. Dieu vous face bien tousjoursprosperer. La present estoit un vieuxgentil homme esprouve en divers ha-

Fu.95.

zars, & vray routier de guerre, nommeEchephron, lequel ouyant ces propousdist. J’ay grand peur que toute cesteentreprinse sera semblable a la farcedu pot au laict, duquel un cordouan-nier se faisoit riche par resverie: puis lepot casse n’eut de quoy disner. Quepretendez vous par ces belles conque-stes? Quelle sera la fin de tant de tra-vaulx & traverses? Ce sera: dist Picrochole, que nous retournez repouseronsa noz aizes, dont dist Echephron, & si parcas jamais n’en retournez? Car le vo-yage est long & pereilleux. N’est ce mieulxque des maintenant nous repousons,sans nous mettre en ces hazars? Odist spadassin, par dieu voicy un bon resveux, mais allons nous cacher au coingde la cheminee: & la passons avec lesdames nostre vie & nostre temps, a en-filler des perles, ou a filler comme Sardanapalus. Qui ne se adventure n’acheval ny mule. Ce dist Salomon.Qui trop (dist Echephron) se adventure

[95v]

perd cheval & mulle. Respondit Mal-con. Baste, dist Picrochole passonsoultre. Je ne crains que ces diables de

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legions de Grandgousier, ce pendentque nous sommes en Mesopotamies’ilz nous donnoient sus la queue quelremede? Tresbon, dist Merdaille, unebelle petite commission, laquelle vousenvoirez es Moscovites, vous mettraen camp, pour un moment quatre censcinquante mille combatans d’eslite. Osi vous me y faictes vostre lieutenant,je tueroys un pigne pour un mereier. Jemors, je rue, je frappe, je attrape, je tue,je renye. Sus, sus, dict Picrochole,qu’on despesche tout, & qui me ayme sime suyve.

Comment Gargantua laissa la ville deParis pour secourir son pais etcomment Gymnaste rencon-

tra les ennemys.Chap. xxxiv.

Fu.96.

EN ceste mesme heure Gargantua qui estoyt yssu de Paris soub-dain les lettres de son pere leuessus sa grand jument venant avoit ja pas-se le pont de la nonnain, luy Ponocrates, Gymnaste & Eudemon, lesquelzpour le suivre avoient prins chevaulxde poste, le reste de son train, venoit a justes journees, amene tous ses livres& instrument philosaphique. Luy arrive a Parille, fut adverty par le me-stayer de Gouguet, comment Picrocho-le s’estoit rempare a la Rocheclermaud& avoit envoye le capitaine Tripet:avec grosse armee: assaillir le boys deVede: & Vaugaudry: & qu’ilz avoientcouru la poulle, jusques au pressouerBillard: & que c’estoit chose estrange &difficile a croyre des exces qu’ilz faiso-ient par le pays Tant qu’il luy feistpaour, & ne scavoit bien que dire ny quefaire. Mais Ponocrates luy conseilla qu’ilz se transportassent vers le sei-

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gneur de la Vauguyon, qui de tous

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temps avoit este leur amy & confedere& par luy seroient mieulx advisez detous affaires, ce qu’ilz feirent incon-tinent, & le trouverent en bonne delibe-ration de leur secourir: & feut de opinionque il envoyroit quelcun de ses genspour descouvrir le pays & scavoir enquel estat estoient les ennemys, affinde y proceder par conseil prins scelonla forme de l’heure presente. Gymnaste se offrit d’y aller, mais il feut con-clud, que pour le meilleur il menast avecques soy quelqun qui congneust les voyes & destorses, & les rivieres de l’entour.

Adoncques partirent luy & Prelin-guand escuyer de Vauguyon, & sanseffroy espierent de tous coustez. Cependent Gargantua se refraischit, & repeut quelque peu avecques ses gens, &feist donner a sa jument un picotin d’avoyne, c’estoient soisante & quatorzemuys troys boisseaux. Gymnaste &son compaignon tant chevaucherentqu’ilz rencontrerent les ennemys tous

Fu.97.

espars & mal en ordre, pillans & desro-bans tout ce qu’ilz povoient: & de tantloing qu’ilz l’aperceurent, accoururentsus luy a la foulle pour le destrouser:adonc il leurs cria, messieurs je suyspauvre Diable, je vous requiers qu’a-yez de moy mercy. J’ay encores quelqueescu nous le boyrons, car c’est aurumpotabile & ce cheval icy sera vendupour payer ma bien venue: cela faictretenez moy des vostres, car jamais

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homme ne sceut mieulx prendre larder,roustir, & aprester, voyre par Dieu de-membrer, & gourmander poulle quemoy qui suys icy, & pour mon profi-ciat je boy a tous bons compaignons.

Lors descouvrit sa ferriere, & sansmettre le nez dedans, beuvoyt assezhonnestement. Les maroufles le regardoient ouvrans la gueule d’un grandpied, & tirans les langues comme le-vriers en attente de boyre apres: maisTripet le capitaine sus ce poinct ac-courut veoir que c’estoit. A luy Gym

N

[97v]

naste offrit sa bouteille, disant. Tenezcapitaine, beuvez en hardiment, j’en ayfaict l’essay, c’est vin de la Faye monjau.

Quoy, dist Tripet, ce gaustier icyse guabele de nous. Qui est tu? Jesuis (dist Gymnaste) pauvre Diable.Ha, dist Tripet, puis que tu es pau-vre Diable, c’est raison que passes oul-tre, car tout pauvre Diable passe partout sans peage ny gabelle, Mais cen’est de coustume que pauvres Dia-bles soient si bien monstez: pourtantmonsieur le Diable descendez, que je

aye le roussin, & si bien il ne meporte, vous maistre Diableme porterez. Car j’ayme

fort q’un Diabletel m’em-

porte.

Fu.98.

Comment Gymnaste soupplementtua le capitaine Tripet, & aul-

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tres gens de Picrochole.Chapitre. xxxv.

CEs motz entenduz, aulcunsd’entre eulx commencerentavoir frayeur, & se seigno-ient de toutes mains pen-sans que ce feust un Dia-ble desguise, & quelqun d’eulx nommeBon Joan, capitaine des franctopins,tyra ses heures de sa braguette & criaassez hault, Agios hotheos. Si tu es deDieu sy parle, sy tu es de l’aultre sy t’enva. Et pas ne s’en alloit, ce que enten-

N ij

[98v]

dirent plusieurs de la bande, & depar-toient de la compaignie. Le tout no-tant & considerant Gymnaste. Pour-tant feist semblant descendre de cheval,& quand feut pendent du couste du mon-touer feist soupplement le tour de l’e-striviere, son espee bastarde au couste, &par dessoubz passe se lanca en l’air, & setint des deux piedz sus la scelle le cultourne vers la teste du cheval. Puisdist. Mon cas va au rebours. Adoncqen tel poinct qu’il estoit feist la guambade sus un pied, & tournant a senestre, nefaillit oncq de rencontrer sa propre as-siete sans en rien varier. Dont distTripet, Ha ne feray pas cestuy la pourceste heure, & pour cause. Bren distGymnaste, j’ay failly, je voys defairecestuy sault. Lors par grande force &agilite feist en tournant a dextre la gambade comme davant. Ce faict mist lepoulce de la dextre sus l’arcon de la scelle, & leva tout le corps en l’air, se souste-nant tout le corps sus le muscle, & nerf

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Fu.99.

dudict poulce: & ainsi se tourna troysfoys, a la quatriesme se renversanttout le corps sans a rien toucher seguinda entre les deux aureilles du che-val, soudant tout le corps en l’air susle poulce de la senestre: & en cest estatfeist le tour du moulinet, puis frappantdu plat de la main dextre sus le meil-lieu de la selle se donna tel branle qu’ilse assist sus la crope, comme font lesdamoiselles. Ce faict tout a l’aisepasse la jambe droicte par sus la sel-le, & se mist en estat de chevaucheur,sus la croppe. Mais (dist il) mieulxvault que je me mette entre les arsons:adoncq se appoyant sus les poulcesdes deux mains a la crope davant soy,se renversa cul sus teste en l’air, & setrouva entre les arsons en bon main-tien, puis d’un sobresault leva toutle corps en l’air, & ainsi se tint piedzjoinctz entre les arsons, & la tournoyaplus de cent tours les bras estenduzen croix, & crioit ce faisant a haulte

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voix. J’enrage diables j’enrage,j’enrage, tenez moy diables tenez moytenez. Tandis qu’ainsi voltigeoit, lesmarroufles en grand esbahissement disoient l’ung a l’aultre. Par la mer dé c’estun lutin, ou un diable ainsi deguise. Abhoste maligno libera nos domine: & fu-yoient a la route regardans darrieresoy, comme un chien qui emporte un plumail. Lors Gymnaste voyant sonadvantaige descend de cheval: des-guaigne son espee, & a grands coupschargea sus les plus huppes, & les ruoita grands monceaulx blessez, navrez, &meurtriz, sans que nul luy resistast, pen-sans que ce feust un diable affame, tantpar les merveilleux voltigemens qu’ilavoit faict: que par les propos que luyavoit tenu Tripet, en l’appellant pau-vre diable. Si non que Tripet en tra

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hison luy voulut fendre la cervelle deson espee lansquenette, mais il estoitbien armé, & de cestuy coup ne sentitque le chargement, & soubdain se tour-

Fu.100.

nant, lancea un estoc volant audictTripet, & ce pendent que icelluy se cou-vroit en hault, luy tailla d’un coup l’estomac, le colon, & la moytie du foye, donttomba par terre, & tombant rendit plusde quatre potees de souppes, & l’amemeslee parmy les souppes. Ce faictGymnaste se retyre considerant queles cas de hazart jamais ne fault poursuyvre jusques a leur periode: & qu’ilconvient a tous chevaliers reverentementtraicter leur bonne fortune, sans la molester ny gehainer. Et monstant sus soncheval luy donne des esperons tyrantdroict son chemin vers la Vauguyon,& Prelinguand avecques luy.

Comment Gargantua demollitle chasteau du Gue de Vede, et

comment ilz passerent leGue. Chap. xxxvj.

VEnu que fut raconta l’estat onquel avoit trouve les ennemys& du Stratageme qu’il avoit

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[100v]

faict, luy seul contre toute leur caterveafferment que ilz n’estoient que maraulx,pilleurs & brigans, ignorans de toutediscipline militaire, & que hardiment ilzse missent en voye, car il leurs seroit

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tresfacile de les assommer comme bestes.

Adoncques monta Gargantua sussa grande jument, accompaigne commedavant avons dict. Et trouvant en sonchemin un hault & grand arbre, (lequelcommunement on nommoit l’arbre desainct Martin, pource qu’ainsi estoitcreu un bourdon que jadis sainct Martin y planta) dist. Voicy ce qu’il me failloit. Cest arbre me servira de bourdon& de lance. Et l’arrachit facillementde terre & en ousta les rameaux, & le para pour son plaisir. Ce pendent sajument pissa pour se lascher le ventre:mais ce fut en telle abondance: qu’elleen feist sept lieues de deluge, & derivatout le pissat au gué de Vede & tant l’enfla devers le fil de l’eau, que toute cestebande des ennemys furent en grand

Fu.101.

horreur noyez, exceptez aulcuns quiavoient prins le chemin vers les cou-steaux a gauche. Gargantua venua l’endroit du boys de Vede feut advisepar Eudemon que dedans le chasteauestoit quelque reste des ennemys, pourlaquelle chose scavoir Gargantua s’es-cria tant qu’il peut. Estez vous la, oun’y estez pas? Si vous y estez, n’y soyezplus: si n’y estez: je n’ay que dire. Maisun ribauld canonnier qui estoit au ma-chicoulys: luy tyra un coup de canon, &le attainct par la temple dextre furieu-sement: toutesfoys ne luy feist pourcemal en plus que s’il luy eust gette uneprune. Qu’est ce la? dist Gargantua,nous gettez vous icy des grains de rai-sins? La vendange vous coustera cher.pensant de vray que le boulet feust ungrain de raisin. Ceulx qui estoientdedans le chasteau amuzez a la pille entendant le bruit coururent aux tours, &forteresses, & luy tirerent plus de neufmille vingt & cinq coups de faulcon-

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neaux, & arquebouzes, visans tous a sateste: & si menu tiroient contre luy, qu’ils’escria. Ponocrates mon amy ces mousches icy me aveuglent, baillez moy quelque rameau de ses saulles pour les chasser. Pensant des plombees & pierresd’artillerie que feussent mousches bovi-nes. Ponocrates l’advisa que n’estoientaultres mousches que les coups d’artillerye que l’on tiroit du chasteau. Alorschocqua de son grand arbre contre lechasteau, & a grans coups abastit ettours, & forteresses, & ruyna tout par terre. Par ce moyen feurent tous rompuz, &mis en pieces ceulx qui estoient en icelluy. De la partans arriverent aupont du moulin, & trouverent tout legue couvert de corps mors, en telle foulle qu’ilz avoient enguorge le cours dumoulin, & c’estoient ceulx qui estoient peritz au deluge urinal de la jument. Lafeurent en pensement comment ilz pourroient passer, veu l’empeschement de cescadavres. Mais Gymnaste dist. Si

Fu.102.

les diables y ont passe, je y passerayfort bien. Les diables (dist Eudemon) yont passe pour en emporter les ames damnees: sainct Treignan (dist Ponocra-tes) par doncques consequence necessai-re il y passera. Voyre, voyre dist Gymnaste, ou je demoureray en chemin. Et donnant des esperons a son cheval passafranchement oultre, sans que jamaisson cheval eust fraieur des corps mors.Car il l’avoit acoustume (selon la doc-trine de Aelian) a ne craindre les amesny corps mors. Non en tuant les gens,comme Diomedes tuoyt les Traces, &Ulysses mettoit les corps de ses enne-mys es pieds de ses chevaulx, ainsi queraconte Homere: mais en luy mettantun phantosme parmy son foin, & le fai-

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sant ordinairement passer sus icelluyquand il luy bailloit son avoyne. Lestroys aultres le suyvirent sans faillir,excepte Eudemon, duquel le cheval en-foncea le pied droict jusques au genoildedans la pance d’un gros & gras villain

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qui estoit la noye a l’envers, & ne le po-voit tirer hors: ainsi demoureroit empestré, jusques a ce que Gargantua dubout de son baston enfondra le reste destripes du villain en l’eau, ce pendent quele cheval levoit le pied. Et (qui estchose merveilleuse en hippiatrie) feutledict cheval guery d’un surot qu’il avoiten celluy pied, par l’atouchementdes boyaux de ces gros marroufles.

Comment Gargantua soy peignantfaisoit tomber de ses cheveulx

les boulletz d’artillerye.Chapitre. xxxvij.

ISsuz la rive de Vede peude temps apres aborderentau chasteau de Grandgou-zier, qui les attendoit en granddesir. A sa venue ilz le festoyerent atour de bras, jamais on ne veit gens plusjoyeux, Car SupplementumSupplementi chronicorum, dict queGargamelle y mourut de joye, je n’en

Fu.103.

scay rien de ma part, & bien peu me soucie ny d’elle ny d’aultre. La verite futque Gargantua se refraischissant d’ha-

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billemens, & se testonnant de son pigne (quiestoit grand de cent cannes, appoinctéde grandes dens de Elephans toutesentieres) faisoit tomber a chascun coupplus de sept balles de bouletz qui luy estoient demourez entre ses cheveulx a lademolition du boys de Vede. Ce quevoyant Grandgousier son pere, pensoitque feussent pous, & luy dist. Dea monbon filz nous as tu aporte jusques icydes esparviers de Montagu? Je n’en-tendoys que la tu feisse residence. AdoncPonocrates respondit. Seigneur ne pen-sez que je l’aye mis au colliege de pouilleriequ’on nomme Montagu, mieulx le eusse voulu mettre entre les guenaux de sainctInnocent, pour l’enorme cruaulté & villennie que je y ay congneu. Car trop mieulxsont traictez les forcez entre les Mau-res & Tartares, les meurtriers en laprison criminelle, voyre certes les chiens

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en vostre maison, que ne sont ces malautruz audict colliege. Et si j’estoys royde Paris, le diable m’emport si je ne metoys le feu dedans & faisoys brusler &principal & regens, qui endurent ceste inhumanite davant leurs yeulx estre exercee.

Lors levant un de ces boulletz dist, cesont coups de canon que n’a guyeres a repceu vostre filz Gargantua passant da-vant le boys de Vede par la trahison devos ennemys. Mais ilz en eurent telle recompense qu’ilz sont tous periz enla ruine du chasteau: comme les Philistins par l’engin de Sanson, & ceulx queopprima la tour de Siloe, desquelz estescript Luce. xiij. Iceulx je suis d’advis que nous poursuyvons ce pendent quel’heur est pour nous. Car l’occasiona tous ses cheveulx au front, quand elleest oultre passee, vous ne la povez plusrevocquer, elle est chauve par le darrierede la teste, & jamais plus ne retourne.

Vrayement dist Grandgousier, ce ne se-ra pas a ceste heure, car je veulx vous

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Fu.104.

festoyer pour ce soir, & soyez les tresbienvenuz. Ce dict on apresta le soupper& de surcroist feurent roustiz seze beufztroys genisses, trente & deux veaux, soi-xante & troys chevreaux moissonniersquatre vingt quinze moutons, troys censgourretz de laict a beau moust, unze vingtperdrys, sept cens becasses, quatre censchappons de Loudunoys & Corno-uaille, six mille poulletz & autant de pi-geons, six cens gualinottes, quatorzecens levraux, troys cens & troys hostardes, & mille sept cens hutaudeaux, de venaison l’on ne peut tant soubdain recouvrir, fors unze sangliers, qu’envoya l’abbe de Turpenay, & dix & huict bestesfauves que donna le seigneur de Grandmont: ensemble sept vingt faisans qu’envoya le seigneur des Essars, & quelquesdouzaines de Ramiers, de oiseaux deriviere, de Cercelles, Buours, Courtes,Pluviers, Francolys, Cravans, Tyransons, Vanereaux, Tadournes, poche-cullieres, pouacres, Hegronneaux, Foul

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ques, Aigrettes, Cigouingnes, Cannespetieres, Oranges, Flammans, (qui sontphoenicopteres) Terrigoles, poulles deInde force Coscossons, & renfort de potages. Sans poinct de faulte y estoit devivres abondance & feurent aprestez honnestement par Fripesaulce, Hoschepot& pilleverjus cuisiniers de Grandgou-sier. Janot Micquel & Verrenet apre-sterent fort bien a boyre.

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Comment Gargantua mangea en salladesix pelerins. Chap. xxxviij.

LE propos requiert, que racontonsce qu’advint a six pelerins qui venoient de sainct Sebastien pres

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de Nantes, & pour soy herberger cellenuict de peur des ennemys s’estoientmussez au jardin dessus les poyzars entre les choulx & lectues. Gargantua setrouva quelque peu altere & demandasi l’on pourroit trouver de lectues pourfaire sallade. Et entendent qu’il y enavoit des plus belles & grandes du payscar elles estoient grandes comme pruniersou noyers: y voulut aller luy mesmes& en emporta en sa main ce que bon luysembla, ensemble emporta les six pele-rins, lesquelz avoient si grand paour,qu’ilz ne ausoient ny parler ny tousser.

Les lavant doncques premierementen la fontaine, les pelerins disoient envoix basse l’un a l’aultre. Qu’est il defaire? nous noyons icy entre ces lectuesparlerons nous: mais si nous parlonsil nous tuera comme espies. Et comme ilzdeliberoient ainsi, Gargantua les mistavecques ses lectues dedans un plat dela maison, grand comme la tonne deCisteaulx & avecques huille, & vinaigre

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& sel, les mangeoit pour soy refraischirdavant souper, & avoit ja engoulle cinqdes pelerins, le sixiesme estoit dedansle plat cache soubz une lectue, excepteson bourdon qui apparoissoit au dessus.

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Lequel voyant Grandgousier dist aGargantua. Je croy que c’est la une corne de limasson ne le mangez poinct.

Pour quoy? dist Gargantua. Ilzsont bons tout ce moys. Et tyrant lebourdon ensemble enleva le pelerin etle mangeoit tresbien. Puis beut unhorrible traict de vin pineau & attendirentque l’on apprestast le souper. Les pe-lerins ainsi devorez se tirerent hors lesmeulles de ses dents les mieulx que faire peurent, & pensoient qu’on les eustmys en quelque basse fousse des prisonsEt lors que Gargantua beut le grandtraict, cuyderent noyer en sa bouche, &le torrent du vin presque les emporta augouffre de son estomach, toutesfoyssaultans avec leurs bourdons commefont les micquelotz se mirent en fran-

Fu.106.

chise l’oree des dentz. Mais par ma-lheur l’un d’eux tastant avecques sonbourdon le pays a scavoir s’ilz estoienten sceurete, frappa rudement en la faulte d’une dent creuze, & ferut le nerf dela mandibule, dont feist tresforte dou-leur a Gargantua & commenca crierde raige qu’il enduroit. Pour donc-ques se soulaiger du mal feist aporterson curedentz, & sortant vers le noyer grollier vous denigea messieurs les pelerins.

Car il arrapoit l’un par les jambes,l’aultre par les espaules, l’aultre par labezace, l’aultre par la foilluze, l’aultrepar l’escharpe, & le pauvre haire qui l’a-voit feru du bourdon le accrochea parla braguette, toutesfoys ce luy fut ungrand heur, car il luy percea une bossechancreuze, qui le martyrisoit depuisle temps qu’ilz eurent passe Ancenys.

Ainsi les pelerins denigez s’en fuy-rent a travers la plante a beau trot, &appaisa la douleur. En laquelle heure feut appelle par Eudemon pour

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soupper car tout estoit prest. Je m’envoys doncques (dist il) pisser mon ma-lheur. Lors pissa si copieusement, quel’urine trancha le chemin aux pelerins,& furent contrainctz passer la grandeboyre. Passans de la par l’oree de latouche en plain chemin, tomberent tousexcepte Fournillier, en une trape qu’onavoit faicte pour prandre les loups a latrainnee. Dont escapperent moyen-nant l’industrie dudict Fournillier, quirompit tous les lacz & cordages. Dela issus pour le reste de celle nuyct cou-cherent en une loge pres le Couldray.

Et la feurent reconfortez de leur malheur par les bonnes parolles d’un deleur compaignie nomme, Lasdaller, le-quel leur remonstra que ceste adventu-re avoit este predicte par David p ̄sCum exurgerent homines in nos, for-te vivos deglutissent nos, quand nousfeusmes mangez en salade au grain dusel. Cum irasceretur furor eorum innos: forsitan aqua absorbuisset nos.

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quand il beut le grand traict. Tor-rentem pertransivit anima nostra, quandnous passames la grande boyre, for-sitan pertransisset anima nostra aquamintolerabilem, de son urine. dont il noustailla le chemin. Benedictus domi-nus qui non dedit nos in captionemdentibus eorum. Anima nostra sicutpasser erepta est de laqueo venantiumquand nous tombasmes en la trape.Laqueus contritus est, par Fournillier, &nos liberati sumus. Adjutorium nostrum &c.

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Comment le Moyne feut festoyepar Gargantua, & des beaulxpropos qu’il tient en soup-

pant. Chapitre.xxxix.

QUand Gargantua feut a ta-ble & la premiere poincte desmorceaux feut baufree, Grandgousier commenca raconter la source &la cause de la guerre meue entre luy &Picrochole, & vint au poinct de narrer

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comment frere Jean des entommeursavoit triumphe a la defence du clousde l’abbaye, & le loua au dessus des prouesses de Camille, Scipion, Pompee,Cesar, & Themistocles. Adoncquesrequist Gargantua que sus l’heure feustenvoye querir, affin qu’avecques luy onconsultast de ce qu’estoit a faire. Parleur vouloir l’alla querir son maistred’hostel & l’admena joyeusement avec-ques son baston de croix sus la mullede Grandgousier. Quand il feut venu,mille charesses, mille embrassemens, mille bons jours feurent donnez. Hes fre-re Jan mon amy. Frere Jan mongrand cousin, frere Jan de par le dia-ble. L’acollee, mon amy. A moy la bras-see. Cza couillon que je te estrene de force de t’acoller? Et frere Jan de rigollerjamais homme ne feut tant courtoysny gracieux. Cza, cza, dist Gargan-tua, une escabelle icy aupres de moy,a ce bout. Je le veulx bien (dist le Moyne) puis qu’ainsi vous plaist. Page de

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l’eau: boute mon enfant boute elle me refraischira le faye, Baille icy que je guar-garize. Deposita cappa. dist Gymna-ste, oustons ce froc. Ho par dieu (distle Moyne) mon gentil homme il y a unchapitre in statutis ordinis: auquel neplairoit le cas. Bren (dist Gymnaste)bren, pour vostre chapitre. Ce froc vousromp les deux espaules. Mettez bas.Mon amy (dist le moyne) laisse le moycar par dieu je n’en boy que mieulx. Ilme faict le corps tout joyeux. Si je lelaisse, messieurs les pages en feront desjarretieres: comme il me feut faict unefoys a Coulaines. Davantaige je n’auray nul appetit. Mais si en cest habitje m’assys a table, je boiray par dieu & atoy, & a ton cheval, Et de hayt. Dieuguard de mal la compaignie. Je avoyssouppe. Mais pource ne mangeray jepoinct moins. Car j’ay un estomac pa-ve, creux comme la botte sainct Benoist,tousjours ouvert comme la gibbessiered’un advocat. De tous poissons fors

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que la tanche, prenez l’aesle de la Per-drys, ou la cuisse d’une Nonnain, n’est cefalotement mourir quand on meurt lecaiche roidde? Nostre prieur ayme fortle blanc de chappon. En cela (dist Gymnaste) il ne semble poinct aux renars:car des chappons, poules, pouletz qu’ilzprenent jamais ne mangent le blanc.Pourquoy? (dist le moine) par ce (res-pondit Gymnaste) qu’ilz n’ont poinct decuisiniers a les cuyre. Et s’ilz ne sont competentement cuitz il demeurent rouge &non blanc. La rougeur des viandesest indice qu’elles ne sont assez cuytes.Exceptez les gammares & escrivices quel’on cardinalize a la cuyte. Feste Dieubayart, dist le moyne, l’enfermier de nostre abbaye n’a doncques la teste biencuyte, car il a les yeulx rouges commeun jadeau de vergne. Ceste cuisse de-Levrault est bonne pour les goutteux.

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A propos truelle, pourquoy est ce queles cuisses d’une damoizelle sont tous-jours fraisches? Ce problesme (dist Gar

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gantua) n’est ny en Aristoteles ny enAlexandre Aphrodise: ny en Plutarque.

C’est (dist le Moyne) Pour trois causes: par lesquelles un lieu est naturel-lement refraischy. Primo: pour ceque l’eau decourt tout du long. Se-cundo, pour ce que c’est un lieu umbra-geux, obscur, & tenebreux, auquel ja-mais le Soleil ve luist. Et tiercementpour ce qu’il est continuellement esven-te des ventz du trou, de bize, de chemise,& d’abondant de la braguette. Et de-hayt. Page a la humerie. Crac, crac,crac, Que dieu est bon, qui nous donnece bon piot. J’advoue dieu, si j’eusse esteau temps de Jesuchrist, j’eusse bien en-garde que les juifz ne l’eussent prins aujardin de Olivet. Ensemble le dia-ble me faille: si j’eusse failly de coupperles jarretz a messieurs les Apostres quifuyrent tant laschement apres qu’ilz eurent bien souppe, & laisserent leur bonmaistre au besoing. Je hayz plus quepoizon un homme qui fuyt quand il fault

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jouer de cousteaux. Hon que je ne suisroy de France pour quatre vingtz oucent ans. Par dieu je vous metroysen chien courtault les fuyars de Pa-vye. Leur fiebvre quartaine. Pour-quoy ne mouroient ilz la plus tost quelaisser leur bon prince en ceste necessite?N’est il meilleur & plus honorable mourrir vertueusement bataillant, que vivre

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fuyant villainement? Nous ne mangerons gueres d’oysons ceste annee. Hamon amy, baille de ce cochon. Diavol.il n’y a plus de moust. Germinavit ra-dix Jesse. Je renye ma vie je meurs desoif. Ce vin n’est de pires. Quel vinbeuviez vous a Paris? Je me donne audiable, si je n’y tins plus de six moyspour un temps maison ouverte a tousvenens. Congnoissez vous frere Claude des haulx Barrois? O le bon compaignon que c’est. Mais quelle mouschel’a picqué? Il ne faict rien que estudierde puis je ne scay quand. Je n’estudiepoinct de ma part. En nostre abbaye

Fu.110.

nous ne estudions jamais, de peur desauripeaux. Nostre feu abbé disoitque c’est chose monstrueuse veoir un moyne scavant. Par dieu monsieur monamy magis magnos clericos non suntmagis magnos sapientes. Vous ne veistes oncques tant de lievres comme il y ena ceste annee. Je n’ay peu recouvrir nyAultour, ny tiercelet de lieu du monde.Monsieur de la Bellonniere m’avoit promis un Lanier, mais il m’escripvit n’agueres qu’il estoit devenu patays. Lesperdris nous mangeront les aureillesmesouan. Je ne prens poinct de plaisira la tonnelle. Car je y morfonds. Sije ne cours, si je ne tracasse, je ne suispoinct a mon aize. Vray est que saultant les hayes & buissons, mon froc ylaisse du poil. J’ay recouver un gentillevrier. Je donne au diable si luy es-chappe lievre. Un lacquays le me-noit a monsieur de Maulevrier: je ledestroussay: feis je mal? Nennyfrere Jean (dist Gymnaste) nenny de par

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tous les diables nenny. Ainsi dist lemoyne a ces diables: ce pendent qu’ilzdurent. Vertus dieu qu’en eust faictce boyteux? Le cor dieu il prent plusde plaisir quand on luy faict presentd’un bon couble de beufz. Comment(dist Ponocrates) vous jurez frere Jean?

Ce n’est (dist le moyne) que pour ornermon langaige. Ce sont couleurs de re-thorique Ciceroniane.

Pourquoy les Moynes sont re-fuyz du monde, & pourquoy

les ungs ont le nez plusgrand que les aul-

tres. Chapitre.xxxx.

FOy de christian (dist Eudemon)je entre en grande resverie consi-derant l’honnestete de ce moyne.Car il nous esbaudist icy tous. Et com-ment doncques est ce qu’on rechasse lesmoynes de toutes bonnes compaignies?les appellans Trouble feste, comme abeil

Fu.111.

les chassent les freslons d’entour leursrousches. Ignavum fucos pecus (distMaro) a presepibus arcent. A quoyrespondit Gargantua. Il n’y a rien sivray que le froc, & la cogule tire a soyles opprobres, injures & maledictionsdu monde, tout ainsi comme le vent dictCecias attire les nues. La raison peremptoire est: par ce qu’ilz mangent lamerde du monde, c’est a dire les pechez, &comme machemerdes l’on les rejecte enleurs retraictz: ce sont leurs conventz &abbayes, separez de conversation poli-ticque comme sont les retraictz d’unemaison. Mais si entendez pourquoy

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un cinge en une famille est tousjoursmocque & hersele: vous entendrez pour-quoy les moynes sont de tous refuys,& des vieux & des jeunes. Le cinge neguarde poinct la maison, comme un chienil ne tire pas l’aroy, comme le beuf, il neproduict ny laict, ny layne, comme la brebis: il ne porte pas le faiz comme le cheval.

Ce qu’il faict est tout conchier & de-

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gaster, qui est la cause pourquoy de tousrepceoyt mocqueries & bastonnades.

Semblablement un moyne (j’entendsde ces ocieux moynes) ne laboure, comme le paisant: ne garde le pays, commel’homme de guerre: ne guerist les mala-des, comme le medicin: ne presche ny en-doctrine le monde, comme le bon docteurevangelicque & pedagoge: ne porte lescommoditez & choses necessaires a la republicque, comme le marchant. Ceest la cause pourquoy de tous sont huez& abhorrys. Voyre mais (dist Grand-gousier) ilz prient dieu pour nous. Rienmoins (respondit Gargantua) Vrayest qu’ilz molestent tout leur voisinagea force de trinqueballer leurs cloches.

(Voyre dist le Moyne, une messe,unes matines, unes vespres bien son-neez, sont a demy dictes,) Ilz marmonnent grand renfort de legendes & pseaul-mes nullement par eulx entenduz. Ilzcontent force patenostres entrelardeesde longs Ave mariaz, sans y penser ny

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entendre. Et ce je appelle mocquedieunon oraison. Mais ainsi leurs ayde

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dieu s’ilz prient pour nous, & non parpaour de perdre leurs miches & soup-pes grasses. Tous vrays Christiansde tous estatz, en tous lieux, en toustemps prient dieu, & l’esperit prie & inter-pelle pour iceulx: & dieu les prent en graceMaintenant tel est nostre bon frere Jean.Pourtant chascun le soubhaite en sacompaignie.

Il n’est poinct bigot, il n’est poinct dessire, ilest honeste, joyeux, delibere, bon compaignon

Il travaille, il labeure, il defent lesopprimez, il conforte les affligez, il sub-vient es souffreteux, il garde les clousde l’abbaye. Je foys (dist le moyne)bien dadvantaige. Car en despes-chant nos matines & anniversaires oncueur, ensemble je fois des chordes d’arbaleste, je polys des matraz & guarrotz,je foys des retz & des poches a prendreles connis. Jamais je ne suis oisif.Mais or cza a boyre, a boyre, cza. Aporte

[112v]

le fruict. Ce sont chastaignes du boysD’estrocz. Avec bon vin nouveau, voyvous la composeur de petz. Vous n’estezencores ceans amoustillez? Par dieu jeboy a tous guez, comme un cheval depromoteur. Gymnaste luy dist. Fre-re Jean oustez ceste rouppie que vouspend au nez. Ha, ha, (dist le Moyne) se-rois je en dangier de noyer? veu que suisen l’eau jusques au nez. Non, non. QuareQui a elle en sort bien, mais poinct n’yentre. Car il est bien antidote de pampre.

O mon amy, qui auroit bottes d’hy-ver de tel cuir: hardiment pourroit ilpescher aux huytres. Car jamais neprendroient eau. Pourquoy (dist Gargantua) est ce, que frere Jean a si beaunez. Par ce (respondit Grandgou-sier) que ainsi dieu l’a voulu, lequel nousfaict en telle forme & telle fin selon sondivin arbitre, que faict un potier sesvaisseaulx. Par ce (dist Ponocra-tes) qu’il feut de premieres a la foyre des

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nez. Il print des plus beaulx & plus

Fu.113.

grands. Trut avant (dist le moyne) se-lon vraye Philosophe monasticque c’estpar ce que ma nourrice avoit les tetinsmoletz, en la laictant mon nez y enfon-droit comme en beurre, & la s’eslevoit &croissoit comme la paste dedans la met.

Les durs tetins de nourrices fontles enfans camuz. Mais guay, guay,ad formam nasi cognoscitur ad te levavi. Je ne mange jamais de confitures.Page a la humerie. Item rousties.

Comment le moyne feist dormirGargantua, & de ses heu-

res et breviaire. Cha-pitre. xxxxj.

LE souper acheve consulte-rent sus l’affaire instant etfeut conclud que environ laminuict ilz sortiroient a l’escarmouche pour scavoir quel guet & dili-gence faisoient leurs ennemys. En cependent qu’il se reposeroient quelque peupour estre plus frais. Mais Gargan

P

[113v]

tua ne povoit dormir en quelque faconqu’il se mist. Dont luy dist le moyne.Je ne dors jamais bien a mon aise, sinon quand je suis au sermon, ou quandje prie dieu. Je vous supplye commen-cons vous & moy les sept pseaulmespour veoir si tantost ne serez endormy.

L’invention pleut tresbien a Gargantua

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Et commenceant le premier pseaulmesus le poinct de Beati quorum, s’endor-mirent & l’un & l’aultre. Mais le moyne faillit oncques a s’esveiller avantla minuict, tant il estoit habitue a l’heu-re des matines claustralles. Luy es-veille tous les aultres esveilla, chantanta pleine voix la chanson. Ho regnaultreveille toy veille, O Regnault reveilletoy. Quand tous furent esveillez, ildict. Messieurs l’on dict, que matinescommencent par tousser & souper, parboyre. Faisons au rebours commenconsmaintenant noz matines, par boyre, &de soir a l’entree de souper nous tousse-rons a qui mieulx mieulx. Dont dist

Fu.114.

Gargantua. Boyre si tost apres le dor-mir? Ce n’est vescu en diete de medicine.Il se fault premier escurer l’estomachdes superfluitez & excremens.

C’est dist le moyne bien mediciné.

Cent diables me saultent au corpss’il n’y a plus de vieulx hyvrognes, qu’iln’y a de vieulx medicins. J’ay composeavecques mon appetit en telle paction,que tousjours il se couche avecques moy& a cela je donne bon ordre le jour durantaussy avecques moy il se lieve. Rendeztant que vouldrez voz cures, je m’en voysapres mon tyrouer. Quel tyrouer(dist Gargantua) entendez vous? Monbreviaire, dist le Moyne. Car toutainsi que les faulconniers davant quepaistre leurs oyseaux les font tyrerquelque pied de poulle, pour leurs pur-ger le cerveau des phlegmes, & pour lesmettre en appetit, ainsi prenant ce joyeuxpetit breviaire au matin, je m’escure toutle poulmon, & voy me la prest a boyre.

A quel usaige (dist Gargantua) dictezP ij

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[114v]

vous ces belles heures. A l’usaige (distle moyne) de Fecan a troys pseaulmes& troys lecons, ou rien du tout qui neveult. Jamais je ne me assubjectis a heures, les heures sont faictez pour l’hom-me, & non l’homme pour les heures. Pourtant je foys des miennes a guise d’estri-vieres, je les acourcis ou allonge quandbon me semble. Brevis oratio penetratcelos, longua potatio evacuat cyphos.

Ou est escript cela? Par ma foy (distPonocrates) je ne scay mon petit couillaust, mais tu vaulx trop. En cela(dist le Moyne) je vous ressemble. MaisVenite apotemus. L’on apresta car-bonnades a force & belles souppes deprimes, & beut le moyne a son plaisir.

Aulcuns luy tindrent compaignie,les aultres s’en deporterent. Apreschascun commenca soy armer & accou-strer. Et armerent le moyne contre sonvouloir, car il ne vouloit aultres armesque son froc davant son estomach, & lebaston de la croix en son poing. Tou-

Fu.115.

tesfoys a leur plaisir feut arme de pieden cap, & monte sus un bon coursier duroyaulme, & un gros braquemart aucouste. Ensemble Gargantua, Po-nocrates, Gymnaste, Eudemon, & vingt& cinq des plus adventureux de la maison de Grandgousier, tous armez a l’advantaige la lance au poing montez com-me sainct George: chascun ayant unHarquebouzier en crope.

Comment le Moyne donne cou-raige a ses compaignons, & com-

ment il pendit a une arbre.Chapitre. xlij.

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OR s’en vont les nobles champions a leur adventure, biendeliberez d’entendre quelle rencontre fauldra poursuyvre,& de quoy se fauldra contregarder, quandviendra la journee de la grande & horrible bataille. Et le Moyne leur donnecouraige, disant, Enfans n’ayez ny paourny doubte, Je vous conduiray seurement.

P iij

[115v]

Dieu & sainct Benoist soient avecquesnous. Si j’avoys la force de mesmes lecouraige, par la mort bieu je vous lesplumeroys comme un canart. Je necrains rien fors l’artillerie. Toutesfoysje scay quelque oraison, que m’a baille lesoubsecretain de nostre abbaye, laquel-le guarentist la personne de toutes bouches a feu. Mais elle ne me profitera derien, Car je n’ay adjouste poinct de foy.Toutesfoys mon baston de croix feradiables. Par dieu, qui fera la canede vous aultres, je me donne au diablesi je ne le fays moyne en mon lieu & l’en-chevestre de mon froc. Il porte medicinea couhardise de gens. Avez point ouyparler du levrier de monsieur de Meurles, qui ne valloit rien pour les champs,il luy mist un froc au col, par le corpsdieu il n’eschappoit ny lievre ny regnarddevant luy, & que plus est couvrit tou-tes les chiennes du pays, qui au para-vant estoit esrene, & frigidis & maleficiatis. Le Moyne disant ces parolles

Fu.116.

en cholere passa soubz un noyer tyrantvers la saullaye, & embrocha la visiere

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de son heaulme a la roupte d’une grossebranche du noyer. Ce non obstant donna fierement des esperons a son chevallequel estoit chastouilleur a la poincte,en maniere que le cheval bondit enavant, & le moyne voulant deffaire savisiere du croc, lasche la bride, & de lamain se pend aux branches: ce pendentque le cheval se desrobe dessoubz luy.

Par ce moyen demoura le Moynependent au noyer, & criant a l’aide & aumeurtre, protestant aussi de trahison.Eudemon premier l’aperceut, & appel-lant Gargantua. Sire venez & voyezAbsalon pendu. Gargantua venu considera la contenence du moyne: & la forme dont il pendoit, & dist a Eudemon,Vous avez mal rencontre le comparanta Absalon. Car Absalon se pendit parles cheveux, mais le moyne ras de testes’est pendu par les aureilles, Aydez moy(dist le Moyne) de par le diable. N’est il

P iiij

[116v]

pas bien le temps de jazer? Vous mesemblez les prescheurs decretalistes, quidisent que quiconques voira son pro-chain en dangier de mort, il le doibt suspeine d’excommunication trisulce plustoust admonnester de soy confesser & mettre en estat de grace que de luy ayder.

Quand doncques je les voiray tombez en la riviere, & prestz d’estre noyez, enlieu de les aller querir & bailler la mainje leur feray un beau & long sermon decontemptu mundi, & fuga seculi. & lorsqu’ilz seront roides mors, je les iray pes-cher. Ne bouge (dist Gymnaste) mon mignon je te voys querir, car tu es gentilpetit monachus. Monachus in claustronon valet ova duo, sed quando est extrabene valet triginta. J’ay veu des pendusplus de cinq cens, mais je n’en veis onc-ques qui eust meilleure grace en pendi-lant, & si je l’avoys aussi bonne je voul-droys ainsi pendre toute ma vye. Aurezvous (dist le Moyne) tantost assez pres-

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che? Aidez moy de par dieu, puis que

Fu.117.

de par l’aultre ne voulez. Par l’habit queje porte vous en repentirez tempore & loco prelibatis. Allors descendit Gymnaste de son cheval, & montant au no-yer souleva le moyne par les goussetzd’une main & de l’autre deffist sa visieredu croc de l’arbre, & ainsi le laissa tomberen terre, & soy apres. Descendu que feutle Moyne se deffist de tout son arnoys& getta l’une piece apres l’autre parmyle champ & reprenant son baston de lacroix remonta sus son cheval, lequelEudemon avoit retenu a la fuite. Ain-si s’en vont joyeusement tenans le che-min de la saullaye.

Comment l’escharmouche de Picrocho-le feut rencontre par Gargantua.

Et Comment le Moyne tua lecapitaine Tyravant, & puis

fut prisonnier entreles ennemys.

Chapitre.xliij.

P v

[117v]

PIcrochole a la relation de ceulxqui avoient evade a la rouptelors que Tripet fut estripe feutesprins de grand courroux, ouyant queles diables avoient couru suz ses gens,& tint son conseil toute la nuict, au quelHastiveau & Toucquedillon conclurentque sa puissance estoit telle qu’il pour-roit defaire tous les diables d’enfer s’ilzy venoient. Ce que Picrochole ne cro-

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yoit du tout, aussy ne s’en defioit il.

Pourtant envoya soubz la conduictedu conte Tyravant pour descouvrir lepays seize cens chevaliers tous montezsus chevaulx legiers en escarmousche,tous bien aspergez d’eau beniste, & cha-scun ayant pour leur signe une estolle enescharpe, a toutes adventures s’ilz ren-controient les diables, que par vertustant de ceste eau Gringorienne, que desestolles, yceulx feissent disparoir & esvanouyr. Coururent doncques jusquespres la vau Guyon, & la maladerye,mais oncques ne trouverent personne

Fu.118.

a qui parler, dont repasserent par le dessus, & en la loge & tugure pastoral, presle Couldray trouverent les cinq pele-rins. Lesquelz liez & baffouez emmene-rent, comme s’ilz feussent espies, non obstant les exclamations, adjurations,& requestes qu’ilz feissent. Descendusde la vers Seuille, furent entenduz parGargantua. Lequel dist a ses gens. Compaignons il y a icy rencontre & sont ennombre trop plus dix foys que nous,chocquerons nous sus eulx? Que dia-ble (dist le moyne) ferons nous doncq?Estimez vous les hommes par nombre,& non par vertus & hardiesse. Puiss’escria. Chocquons diables, chocquons.Ce que entendens les ennemys penso-ient certainement que feussent vraysdiables, dont commencerent fuyr a brideavallee, excepte Tyravant, lequel cou-cha sa lance en l’arrest, & en ferut a touteoultrance le moyne au milieu de la poic-trine, mais rencontrant le froc horrifique,rebouscha par le fer, comme si vous frap

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[118v]

piez d’une petite bougie contre une en-clume. Adoncq le moyne avec son baston de croix luy donna entre col & col-let sus l’os Acromion si rudement qu’ill’estonna: & feist perdre tout sens & mo-vement, & tomba es piedz du cheval.

Et voyant l’estolle qu’il portoit en es-charpe, dist a Gargantua. Ceulx cy nesont que prebstres, ce n’est q’un commen-cement de moyne, par sainct Jean je suismoyne parfaict, je vous en tueray comme de mousches. Puis le grand gua-lot courut apres, tant qu’il atrapa lesderniers & les abbastoit comme seille frapant a tors & a travers. Gymnaste in-terrogua sus l’heure Gargantua, s’ilzles debvoient poursuyvre. A quoy distGargantua, Nullement. Car selonvraye discipline militaire, jamais nefault mettre son ennemy en lieu de des-espoir. Par ce que telle necessité luy mul-tiplie sa force, & accroist le couraige, quija estoit deject & failly Et n’y a meilleurremede de salut a gens estommiz & re-

Fu.119.

creuz que de ne esperer salut aulcun.Quantes victoires ont este tollues desmains des vaincqueurs par les vain-cuz, quand il ne se sont contentes de raison: mais ont attempte du tout mettre a internition & destruire totallement leurs ennemys, sans en vouloir laisser un seulpour en porter les nouvelles. Ouvreztousjours a voz ennemys toutes les portes & chemins, & plus tost leurs faictesun pont d’argent, affin de les renvoyer.

Voyre mais (dist Gymnaste) ilz ont lemoyne. Ont ilz (dist Gargantua) le moyne? Sus mon honneur, que ce sera a leurdommaige. Mais affin de survenir atous azars, ne nous retirons pas enco-res attendons icy en silence. Car je pense ja assez congnoistre l’engin de noz en-

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nemys, il se guident par sort non par conseil. Iceulx ainsi attendens soubzles noiers, ce pendent le moyne pour-suyvoit chocquant tous ceulx qu’il ren-controit sans de nully avoir mercy.Jusque a ce qu’il rencontra un chevalier

[119v]

qui portoit en crope un des pauvres pelerins, & la le voulent mettre a sac s’escriale pelerin. Ha monsieur le priour monamy, monsieur le priour sauvez moy jevous en prie. Laquelle parolle entenduese retournerent arriere les ennemys &voyans que la n’estoit que le moyne, quifaisoit cest esclandre, le chargerent decoups, comme on faict un asne de boys,mais de tout rien ne sentoit, mesmementquand ilz frapoient sus son froc, tant ilavoit la peau dure. Puis le baillerenta guarder a deux archiers, & tournansbride ne veirent porsonne[sic] contre eulxdont exstimerent que Gargantua estoitfuy avecques sa bande. Adoncques coururent vers les noyrettes tant roidde-ment qu’ilz peurent pour les recontrer,& laisserent la le moyne seul avecquesdeux archiers de guarde. Gargantuaentendit le bruit, & hennissement des che-vaulx, & dict a ses gens. Compaignonsj’entends le trac de noz ennemys, & ja appercoy aulcuns d’iceulx qui viennent

Fu.120.

contre nous a la foulle serrons nousicy, & tenons le chemin en bon ranc, parce moyen nous les pourrons recepvoira leur perte & a nostre honneur.

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Comment le Moyne se deffistde ses guardes, & comment l’es-

carmouche de Picrochole feut deffaicte.

Chap. xliiij.

LE Moyne les voyant ainsi departir en desordre, conjectura qu’ilzalloient charger sus Gargan-tua & ses gens, & se contristoit merveil-

[120v]

leusement de ce qu’il ne les povoit secourir. Puis advisa la contenence de sesdeux archiers de guarde, lesquelz eus-sent voluntiers couru apres la troupepour y butiner quelque chose & tous-jours regardoient vers la vallee en la-quelle ilz descendoient. Dadvantai-ge syllogisoit disant, ces gens icy sontbien mal exercez en faictz d’armes. Caroncques ne me ont demande ma foy, &ne me ont ouste mon braquemart.

Soubdain apres tyra son dict braque-mart, & en ferut l’archier qui le tenoit a dextre luy coupant entierement les venesjugulaires, & arteres spagitides du col,avecques le guarguareon, jusques esdeux adenes: & retirant le coup luy en-treouvrit le mouelle spinale entre la seconde & tierce vertebre, la tomba l’ar-chier tout mort. Et le moyne detournant son cheval a gauche courut susl’aultre, lequel voyant son compaignonmort & le moyne adventaige sus soycryoit a haulte voix. Ha monsieur le

Fu.121.

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priour je me rendz, monsieur le priourmon bon amy, monsieur le priour. Et lemoyne cryoit de mesmes. Monsieur leposteriour mon amy, monsieur le posteriour, vous aurez sus voz pesteres.

Ha (disoit l’archier) monsieur le priourmon mignon, monsieur le priour, que dieuvous face abbe. Par l’habit (disoit lemoyne) que je porte je vous feray icy cardinal, Renczonnez vous les gens de re-ligion? Vous aurez un chapeau rougea ceste heure de ma main. Et l’archiercryoit, Monsieur le priour, monsieur lepriour, monsieur l’abbe futeur, monsieurle cardinal, monsieur le tout. Ha, ha, hes,non Monsieur le priour, mon bon petitseigneur le priour je me rends a vous.Et je te rends (dist le moyne) a tous lesdiables. Lors d’un coup luy tranchitla teste, luy coupant le test sus les ospetrux & en levant les deux os breg-matis & la commissure sagittale, avec-ques grande partie de l’os coronal, ceque faisant luy tranchit les deux me-

Q

[121v]

ninges & ouvrit profondement lesdeux posterieurs ventricules du cer-veau & demoura le craine pendent susles espaules a la peau du pericaranepar derriere, en forme d’un bonnet docto-ral, noir par dessus, rouge par dedans.Ainsi tomba roidde mort en terre. Cefaict, le Moyne donne des esperons ason cheval & poursuyt la voye que tenoient les ennemys, lesquelz avoient ren-contre Gargantua & ses compaignonsau grand chemin, & tant estoient dimi-nuez au nombre pour l’enorme meutre[sic]que y avoit faict Gargantua avecquesson grand arbre, Gymnaste, Ponocrates, Eudemon, & les aultres, qu’ilz com-mencoient soy retirer a diligence, touseffrayez & perturbez de sens & entende-ment comme s’ilz veissent la propre espece & forme de mort davant leurs yeulx.

Et comme vous voyez un asne quand

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il a au cul un oestre Junonicque, ouune mouche qui le poinct, courir ca & lasans voye ny chemin gettant sa charge

Fu.122.

par terre, rompant son frain & renes,sans aulcunement respirer ny prandrerepos, & ne scayt on qui le meut, car l’onne veoit rien qui le touche. Ainsi fuyo-ient ces gens de sens desprouveuz, sansscavoir cause de fuyr tant seulement lespoursuit une terreur Panice laquelleavoient conceue en leurs ames. Voyant le moyne que toute leur pensee n’e-stoit si non a guaigner au pied, descendde son cheval, & monte sus une grosse roche qui estoit sus le chemin, & avecquesson grand braquemart, frappoit sus cesfuyars a grand tour de bras sans sefaindre ny espargner. Tant en tua& mist par terre, que son braquemartrompit en deux pieces. Adoncques pensa en soy mesmes que c’estoit assez mas-sacre & tue, & que le reste debvoit eschapper pour en porter les nouvelles. Pourtant saisit en son poing une hasche deceulx qui la gisoient mors, & se retour-na de rechief sus la roche, passant tempsa veoir fouyr les ennemys, & cullebuter

Q ij

[122v]

entre les corps mors, excepte que a tousfaisoit laisser leurs picques, espees, lances & hacquebutes & ceulx qui portoientles pelerins liez, il les mettoit a pied etdelivroit leurs chevaulx au dictz pele-rins, les retenent avecques soy l’oree dela haye. Et Toucquedillon, lequel ilretint prisonnier.

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Comment le moyne amena les pe-lerins & les bonnes parol-les que leur dist Grand-

gousier. Chap. xlv.

CEste escarmouche parachevee se retyra Gargantuaavecques ses gens exceptele Moyne, & sus la poinctedu jour se rendirent a Grandgousier, lequel en son lict prioit dieupour leur salut & victoire. Et les voyanttous saulfz & entiers les embrassa debon amour, & demanda nouvelles dumoyne. Mais Gargantua luy respondit que sans doubte leurs ennemys avo

Fu.123.

ient le moyne. Ilz auront (dist Grand-gousier) doncques male encontre. Ceque avoit este bien vray. Pourtantencores est le proverbe en usaige, de bailler le moyne a quelcun. A doncquescommenda qu’on aprestast tresbien a des-jeuner, pour les refraischir, Le tout a-preste l’on appella Gargantua maistant luy grevoit de ce que le moyne necomparoit aulcunement, qu’il ne vouloitny boyre ny manger. Tout soubdainle moyne arrive, & des la porte de la basse court, s’escria, vin frays, vin frays,Gymnaste mon amy. Gymnaste sortit& veit que c’estoit frere Jan qui amenoitcinq pelerins, & Toucquedillon prison-nier, dont Gargantua sortit au davant& luy feirent le meilleur recueil que peurent, & le menerent davant Grandgou-sier, lequel l’interrogea de toute son ad-venture. Le moyne luy disoit tout: &comment on l’avoit prins, & comment ils’estoit deffaict des archiers, & la boucherie qu’il avoit faict par le chemin, & com

Q iij

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[123v]

ment il avoit recouvert les pelerins, etamene le capitaine Toucquedillon.

Puis se mirent a bancqueter joyeu-sement tous ensemble. Ce pendent Grandgousier interrogeoit les pelerins, dequel pays ilz estoient, dont il venoient,& ou ilz alloient. Lasdaller pour tousrespondit. Seigneur je suis de sainctGenou en Berry,Cestuy cy est de Paluau,Cestuy cy est de Onzay,Cestuy cy est de Argy,Et cestuy cy est de Villebrenin. Nousvenons de sainct Sebastian pres de Nantes, & nous en retournons par noz peti-tes journees. Voyre mais (dist Grand-gousier) qu’alliez vous faire a sainct Sebastian? Nous allions (dist Lasdal-ler) luy offrir noz votes contre la peste.

O (dist Grandgousier) pauvres gens,estimez vous que la peste vienne de sainctSebastian? Ouy vrayement (responditLasdaler) noz prescheurs nous l’afferment.

Ouy (dist Grandgousier) les faulx

Fu.124.

prophetes vous annoncent ilz telz abuz?Blasphement ilz en ceste facon les ju-stes & sainctz de dieu, qu’ilz les font semblables aux diables, qui ne font quemal entre les humains? Comme Ho-mere escript que la peste fut mise enl’oust des Gregoys par Apolo, & com-me les Poetes faignent un grand tasde Vejoves & dieux malfaisans. Ain-si preschoit a Sinays un Caphart, quesainct Antoine mettoit le feu es jambes.Sainct Eutrope, faisoit les hydropiques.Sainct Gildas les folz.Sainct Genou les gouttes. Mais jele puniz en tel exemple quoy qu’il meappellast Heretique, que depuis ce temps

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Caphart quiconques n’est auze entreren mes terres. Et m’esbahys si vostreroy les laisse prescher par son royaul-me telz scandales. Car plus sont a punirque ceulx qui par art magicque ou aultre engin auroient mis la peste par lepays. La peste ne tue que le corps. Maistelz imposteurs empoisonnent les ames.

Q iiij

[124v]

Luy disans ces parolles entra le moyne tout delibere, & leurs demanda. Donteste vous, vous aultres pauvres hayres?De sainct Genou, dirent ilz. Et com-ment (dist le moyne) se porte l’abbe Tranchelion le bon beuveur. Et les moynes,quelle chere font ilz? Le cor dieu ilz biscotent voz femmes ce pendent que estes enromivage. Hinhen (dist Lasdaller) jen’ay pas peur de la mienne. Car qui laverra de jour, ne se rompera ja le colpour l’aller visiter la nuict. C’est (distle moyne) bien rentre de picques. Ellepourroit estre aussi layde que Proserpine, elle aura par dieu la saccade puisqu’il y a moynes au tour. Car un bonouvrier mect indifferentement toutespieces en oeuvre. Que j’aye la verolle,en cas que ne les trouviez engroisseesa vostre retour. Car seulement l’ombredu clochier d’une abbaye est feconde.

C’est (dist Gargantua) comme l’eaudu Nile en Egypte, si vous croyez Strabo, & Pline lib. vij. chap. iij. advise que

Fu.125.

c’est de la miche, des habitz, & des corps.

Lors dist Grandgousier. Allez vousen pauvres gens au nom de dieu le createur, lequel vous soit en guide perpetuel

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le. Et dorenavant ne soyez faciles a cesotieux & inutilles voyages. Entretenezvoz familles, travaillez chascun en savocation, instruez voz enfans, & vivez comme vous enseigne le bon Apostre sainctPaoul. Ce faisans vous aurez la garde de dieu, des anges, & des sainctz avecques vous, & n’y aura peste ny mal quivous porte nuysance. Puis les menaGargantua prendre leur refection en lasalle: mais les pelerins ne faisoient quesouspirer, & dirent a Gargantua. Oque heureux est le pays qui a pour seigneurun tel homme. Nous sommes plus edifiez& instruictz en ces propos qu’il nous a tenu, qu’en tous les sermons que jamais nousfeurent preschez en nostre ville. C’est(dist Gargantua) ce que dict Platon lib. v.de rep. que lors les republiques seroient heureuses, quand les roys philosopheroient

Q v

[125v]

ou les philosophes regneroient. Puisleur feist emplir leurs bezaces de vivresleurs bouteilles de vin, & a chascun donnacheval pour soy soulager au reste duchemin, & quelques carolus pour vivre.

Comment Grandgousier traictahumainement Toucquedil-

lon prisonnier. Cha-pitre. xlvj.

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TOucquedillon fut presente a Grandgousier, & interroge par icelluysus l’entreprinze & affaires dePicrochole, quelle fin il pretendoit parce tumultaire vacarme, A quoy respon

Fu.126.

dit que sa fin & sa destinee estoit de con-quester tout le pays s’il povoit, pour l’injure faicte a ses fouaciers. C’est (distGrandgousier) trop entreprint, qui tropembrasse peu estrainct, Le temps n’estplus d’ainsi conquester les royaulmesavecques dommaige de son prochain frere christian, ceste imitation des anciensHercules, Alexandres, Hannibalz, Scipions, Cesars & aultres telz est contraire a la profession de l’evangile, par lequelnous est commande, guarder, saulver,regir & administrer chascun ses pays &terres, non hostilement envahir les aultres. Et ce que les Sarazins & Barbares jadis appelloient prouesses, maintenant nous appellons briguanderies, &mechansetez. Mieulx eust il faict soycontenir en sa maison royallement lagouvernant: que insulter en la mienne,hostillement la pillant, car par bien lagouverner l’eust augmentee, par me piller sera destruict. Allez vous en au nomde dieu: suyvez bonne entreprinse, remon

[126v]

strez a vostre roy les erreurs que con-gnoistrez, & jamais ne le conseillez, ayantesgard a vostre profit particulier, caravecques le commun est aussy le propre

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perdu. Quand est de vostre ranczon,je vous la donne entierement, & veulxque vous soient rendues armes & che-val, ainsi fault il faire entre voisins etanciens amys, veu que ceste nostre difference, n’est poinct guerre proprement.

Comme Platon. li v de rep. vouloitestre non guerre nommee, ains seditionquand les Grecz meuvoient armes lesungs contre les aultres. Ce que si parmale fortune advenoit, il commandequ’on use de toute modestie. Si gnerrela nommez, elle n’est que superficiaire: elle n’entre poinct au profond cabinet denoz cueurs. Car nul de nous n’est oul-traige en son honneur: & n’est questionen somme totale, que de rabiller quelquefaulte commise par nos gens, j’entendz &vostres & nostres. Laquelle encores quecongneussiez, vous doibvez laisser couler

Fu.127.

oultre, car les personnages querelansestoient plus a contempner, que a ramentevoir, mesmement leurs satisfaisant selon le grief, comme je me suis offert. Dieusera juste estimateur de nostre different,lequel je supplye plus tost par mort metollir de ceste vie, & mes biens deperirdavant mes yeulx, que par moy ny lesmiens en rien soit offensé. Ces pa-rolles achevees appella le moyne, & davant tous luy demanda, frere Jan monbon amy estez vous qui avez prins le capitaine Toucquedillon icy present? Syre (dist le moyne) il est present, il a eage &discretion, j’ayme mieulx que le sachezpar sa confession, que par ma parolle.A doncques dist Toucquedillon. Seigneurc’est luy veritablement qui m’a prins, & jeme rends son prisonnier franchement.

L’avez vous (dist Grandgousier aumoyne) mis a rancon? Non, dist le moyne. De cela je ne me soucie. Combien (distGrandgousier) voudriez vous de saprinse? Rien rien (dist le moyne) cela ne

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me mene pas. Lors commenda Grand-gousier, que present Toucquedillon feussent contez au moyne soixante & deuxmille saluz, pour celle prinse. Ce que feutfaict ce pendent qu’on feist la collationau dict Toucquedillon, au quel demanda Grandgousier s’il vouloit demoureravecques luy, ou si mieulx aymoit re-tourner a son roy? Toucquedillon res-pondit, qu’il tiendroit le party lequel illuy conseilleroit. Doncques (dist Grandgousier) retournez a vostre roy, & dieusoit avecques vous. Puis luy donnaune belle espee de Vienne, avecques lefourreau d’or faict a belles vignettesd’orfeverie, & un collier d’or pesant septcens deux mille marcz, garny de finespierreries, a l’estimation de cent soixantemille ducatz, & dix mille escuz presenthonorable. Apres ces propos montaToucquedillon sus son cheval Gar-gantua pour sa seurete luy bailla tren-te hommes d’armes, & six vingt archierssoubz la conduite de Gymnaste, pour le

Fu.128.

mener jusques es portes de la Rocheclermaud, si besoing estoit. Icelluy de-party le moyne rendit a Grandgousierles soixante & deux mille salutz qu’ilavoit repceu, disant. Syre ce n’est ores,que vous doibvez faire telz dons. Atten-dez la fin de ceste guerre, car l’on ne scaitquelz affaires pourroient survenir. Etguerre faicte sans bonne provision d’argent, n’a’ q’un souspirail de vigueur.

Les nerfz des batailles sont les pecunes. Doncques (dist Grandgousier) a la finje vous contenteray par honneste recompense,

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& tous ceulx qui me auront bien servy.

Comment Grandgousier manda que-rir ses legions, & comment Toucque

dillon tua Hastiveau, puis futtue par le commande-ment de Picrochole.

Chap. xlvij.

EN ces mesmes jours, ceulx deBesse, du Marche vieux, dubourg sainct Jacques du Train

[128v]

neau, de Parille, de riviere, des ro-ches sainct Paoul, du Vau breton, dePautille, du Brehemont, du pont deClam, de Cravant, de Grandmont, desBourdes de la ville au Mere, de Huy-mes de Serge, de Husse, de sainct Lo-uant, de Panzoust, des Coldreaux, deVerron, de Coulaines, de chose, de Varenes, de Bourgueil, de l’isle Boucard,du Croulay, de Narsy, de Cande, deMontsoreau, & aultres lieux confins envoierent devers Grandgousier ambassades, pour luy dire qu’ilz estoient advertis des tordz que luy faisoit Picrochole& pour leur ancienne confederation, ilzluy offroient tout leur povoir tant degens, que d’argent, & aultres munitionsde guerre. L’argent de tous montoitpar les pactes qu’ilz luy avoient, sixvingt quatorze millions deux escuz etdemy d’or. Les gens estoient quinze mille hommes d’armes, trente & deux millechevaux legiers, quatre vingtz neuf mille harquebousiers, cent quarante mille ad-

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venturiers, unze mille deux cens canons,doubles canons, basilicz & spiroles.Pionniers quarante sept mille, le toutsouldoye & avitaille pour six moys &quatre jours. Lequel offre Gargan-tua ne refusa, ny accepta du tout.

Mais grandement les remerciant,dist, qu’il composeroit ceste guerre partel engin que besoing ne seroit tant empescher de gens de bien. Seulementenvoya qui ameneroit en ordre les le-gions lesquelles entretenoit ordinaire-ment en ses places de la deviniere, deChaviny, de Gravot, & Quinquenaysmontant en nombre deux mille cinq censhommes d’armes soixante & six millehommes de pied vingt & six mille arquebuziers, deux cens grosses pieces d’ar-tillerye, vingt & deux mille Pionniers,& six mille chevaulx legiers, tous parbandes, tant bien assorties de leurs thesauriers, de vivandiers, de mareschaulxde armuriers, & aultres gens necessai-res au trac de bataille: tant bien instruict

R

[129v]

en art militaire, tant bien armez, tantbien recongnoissans & suivans leursenseignes, tant soubdains a entendre etobeir a leurs capitaines. tant expedieza courir, tant fors a chocquer, tant pru-dens a l’adventure, que mieulx ressem-bloient une harmonie d’orgues & concordante d’horologe, q’une armee, ou gens-darmerie Toucquedillon arrive sepresenta a Picrochole, & luy compta aulong ce qu’il avoit & faict & veu. A la finconseilloit par fortes parolles qu’on feistapoinctement avecques Grandgousierlequel il avoit esprouve le plus hommede bien du monde, adjoustant que ce n’e-stoit ny preu, ny raison molester ainsises voisins, desquelz jamais n’avoienteu que tout bien. Et au reguard du principal: que jamais ne sortiroient de cesteentreprinse que a leur grand dommaige

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& malheur Car la puissance de Picrochole n’estoit telle, que aisement neles peust Grandgousier mettre a sac.Il n’eust acheve ceste parolle, que Ha-

Fu.130.

stiveau dist tout hault. Bien malheu-reux est le prince qui est de telz gens servy, qui tant facilement sont corrompuzcomme je congnoys Toucquedillon. Carje voy son couraige tant change que voluntiers se feust adjoinct a noz ennemyspour contre nous batailler & nous tra-hir, s’ilz l’eussent voulu retenir: mais com-me vertus est de tous tant amys que ennemys louee & estimee, aussi meschanteest tost congneue & suspecte. Et pose qued’icelle les ennemys se servent a leur profit si ont ilz tousjours les meschans ettraistres en abhomination. A ces parolles Toucquedillon impatient tyrason espee, & en transperca Hastiveau unpeu au dessus de la mammelle guauchedont mourut incontinent. Et tyrantson coup du corps, dist franchement.Ainsi perisse qui feaulx serviteurs blasmera. Picrochole soubdain entra enfureur, & voyant l’espee & fourreau tantdiapre, dist. Te avoit on donne ce ba-ston, pour en ma presence tuer maligne

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[130v]

ment mon tant bon amy Hastiveau.

Lors commenda a ses archiers qu’ilz lemeissent en pieces. Ce que feut faict susl’heure, tant cruellement que la chambre estoittoute pavee de sang. Puis feist honorablement inhumer le corps de Hastiveau& celluy de Toucquedillon getter parsus les murailles en la vallee. Les

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nouvelles de ces oultraiges feurentsceues par toute l’arme, dont plusieurscommencerent murmurer contre Picrochole, tant que Grippe pinault luy dist.Seigneur je ne scay quelle yssue sera deceste entreprinse. Je voy voz gens peuconfermes en leurs couraiges. Ilz considerent que sommes icy mal pourveuzde vivres, & ja beaucoup diminuez ennombre, par deux ou troys yssues.

Davantaige il vient grand renfortde gens a voz ennemys. Si nous som-mes assiegez une foys, je ne voy poinctcomment ce ne soit a nostre ruyne to-tale. Bren, bren, dist Picrochole, voussemblez les anguillez de Melun. vous

Fu.131.

criez davant qu’on vous escorche, laissesles seulement venir.

Comment Gargantua assaillitPicrochole dedans la Rocheclermaud & defist l’armee

dudict Picrochole.Chap. xlviij.

GArgantua eut la charge totale de l’armee, son pere de-moura en son fort. Et leurdonnant couraige par bonnes parolles, promist grandzdons a ceulx qui feroient quelques prouesses. Puis gaignerent le gué de Vede, & par basteaulx & pons legierementfaictz passerent oultre d’une traicte. Puisconsiderant l’assiete de la ville que estoiten lieu hault & adventageux, deliberacelle nuyct sus ce qu’estoit de faire. MaisGymnaste luy dist Seigneur telle estla nature & complexion des Francoys,que ilz ne valent que a la premiere poinc-te. Lors ils sont pires que diables. Mais

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[131v]

s’ilz sejournent ilz sont moins que fem-mes. Je suis d’advis que a l’heure presente apres que voz gens auront quelquepeu respire & repeu, faciez donner l’as-sault. L’advis feut trouve bon. Adoncques produict toute son armee en plaincamp, mettant les susdictes du coustede la montee. Le moyne print avecques luy six enseignes de gens de pied,& deux cens hommes d’armes, & en gran-de diligence traversa les marays, & gain-gna au dessus le puy jusques au grandchemin de Loudun. Ce pendent l’as-sault continuoit, les gens de Picrochole ne scavoient si le meilleur estoit sortirhors & les recepvoir, ou bien guarder laville sans bouger. Mais furieuse-ment sortit avecques quelque banded’hommes d’armes de sa maison: & lafeut receu & festoye a grandz coups decanon qui gresloient devers les cou-staux, dont les Gargantuistes se reti-rerent au val, pour mieulx donner lieua l’artillerye. Ceulx de la ville defen-

Fu.132.

doient le mieulx que povoient, mais lestraictz passoient oultre par dessus sansnul ferir. Aulcuns de la bande saulvezde l’artillerie donnerent fierement susnos gens, mais peu profiterent, car tousfeurent repceuz entre les ordres, & la ruezpar terre. Ce que voyans se vouloientretirer, mais ce pendent le moyne avoitoccupe la passaige. Parquoy se mi-rent en fuyte sans ordre ny maintien.Aulcuns vouloient leur donner la chas-se, mais le moyne les retint craignantque suyvant les fuyans perdissent leursrancz, & que sus ce poinct ceulx de la ville chargeassent sus eulx. Puis atten-dant quelque espace, & nul ne comparanta l’encontre, envoya le duc Phrontistepour admonnester Gargantua a ce qu’il

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avanceast pour gaigner le cousteau ala gauche pour empescher la retraictede Picrochole par celle porte. Ce quefeist Gargantua en toute diligence, & yenvoya quatre legions de la compaigniede Sebaste, mais si tost ne peurent gai-

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[132v]

gner le hault, qu’ilz ne rencontrassenten barbe Picrochole & ceulx qui avec-ques luy s’estoient espars. Lors chargerent sus roiddement, toutesfoys gran-dement feurent endommaigez par ceulxqui estoient sus les murs en coupz detraict & artillerie. Quoy voyant Gargantua en grande puissance alla les secourir, & commenca son artillerie a hurter sus ce quartier de murailles, tantque toute la force de la ville y feut re-vocquee. Le moyne voyant celluy couste lequel il tenoit assiege, denué de gens& guardes, magnanimement tyra versle fort & tant feist qu’il monta sus luy &aulcuns de ses gens pensant que plusde crainte & de frayeur donnent ceulxqui surviennent a un conflict, que ceulxqui lors a leur force combattent. Toutesfoys ne feist oncques effroy, jusquesa ce que tous les siens eussent guaignela muraille excepte les deux cens hommes d’armes qu’il laissa hors pour leshazars. Puis s’escria horriblement et

Fu.133.

les siens ensemble, & sans resistence tuerent les guardes d’icelle porte, & la ou-vrirent hommes d’armes & en toute fie-rete coururent ensemble vers la portede L’orient, ou estoit le desarroy. Etpar derriere renverserent toute leur

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force. Voyans les assiegez de touscoustez, & les Gargantuistes avoir gaigne la ville, se rendirent au moyne a mercy. Le moyne leurs feist rendre les bastons & armes & tous retirer & reserrerpar les eglises saisissant tous les bastonsdes croix, & commettant gens es portespour les garder de yssir. Puis ouvrantcelle porte orientale sortit au secours deGargantua. Mais Picrochole pen-soit que le secours luy venoit de la ville& par oultrecuidance se hazarda plusque devant: jusques a ce que Gargan-tua s’escrya. Frere Jan mon amy, frereJan en bon heure soyez venu. Adoncques congnoissant Picrochole & sesgens que tout estoit desespere, prindrentla fuyte en tous endroictz. Gargantua

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[133v]

les poursuyvit jusques pres Vaugau-dry tuant & massacrant, puis sonna laretraicte.

Comment Picrochole fuiant feutsurprins de males fortunes

et ce que feit Gargan-tua apres la bataille.

Chap. xlix.

PIcrochole ainsi desespere s’en fuytvers L'isle Bouchart, & au che-min de Riviere son cheval brun-cha par terre, a quoy tant feut indigneque de son espee le tua en sa chole, puisne trouvant personne qui le remontastvoulut prendre un asne du moulin quila aupres estoit, mais les meusniers lemeurtrirent tout de coups, & le destrous-serent de ses habillemens, & luy baille-rent pour soy couvrir une meschantesequenye. Ainsi s’en alla le pauvrecholericque, puis passant l’eau au portHuaux, & racontant ses males fortunesfeut advise par une vieille Lourpidon,

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Fu.134.

que son royaulme luy seroit rendu, a lavenue des Cocquecigrues; depuis nescait on qu’il est devenu. Toutesfoysl’on m’a dict qu’il est de present pauvregaignedenier a Lyon cholere comme da-vant. Et tousjours se guemente a tousestrangiers de la vonue des Cocqueci-grues, esperant certainement scelon laprophetie de la vieille, estre a leur venuereintegre a son royaulme. Apres leurretraicte Gargantua premierement recensa les gens, & trouva que peu d’iceulxestoient peryz en la bataille, scavoir estquelques gens de pied de la bande ducapitaine Tolmere, & Ponocrates quiavoit un coup de harquebouze en sonpourpoinct. Puis les feist refraischerchascun par sa bande & commanda esthesauriers que ce repas leur feust de-fraye & paye, & que l’on ne feist oultragequelconques en la ville, veu qu’elle estoitsienne, & apres leur repas ilz comparussent en la place davant le chasteau, & laseroient payez pour six moys. Ce que

[134v]

feut faict, puis feist convenir davantsoy en ladicte place tous ceulx qui la restoient de la part de Picrochole, esquelzpresens tous ses Princes & capitainesparla comme s’ensuyt.

La contion que feist Gargan-tua es vaincus.

Chap. l.

NOs peres, ayeulx, & ancestres

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de toute memoyre, ont este de cesens & ceste nature: que des ba-tailles par eulx consommees ont poursigne memorial des triumphes & victoi-res plus voluntiers erige trophees etmonumens es cueurs des vaincuz pargrace: que es terres par eulx conque-stees par architecture. Car plus esti-moient la vive souvenance des humainsacquise par liberalite, que la mute inscription des arcs, colomnes, & pyramidessubjecte es calamitez de l’air, & envie d’unchascun. Souvenir assez vous peut dela mansuetude, dont ilz userent envers

Fu.135,

les Bretons a la journee de sainct Au-bin du Cormier: & a la demolition deParthenay. Vous avez entendu, & en-tendent admirez le bon traictement qu’ilfeirent es Bares de Spagnola, quiavoient pille, depopule, & saccaige les finsmaritimes de Olone & Thalmondoys.

Tout ce ciel a este remply des louanges & gratulations que vous mesmes &vos peres feistes lors que Alpharbalroy de Canarre non assovy de ses for-tunes envahyt furieusement le pays deOnys exercent la piraticque en toutesles isles Armoricques & regions confines.Il feut en juste bataille navale prins &vaincu de mon pere, au quel Dieu soitgarde & protecteur. Mais quoy? Au casque les aultres roys & Empereurs, voyre qui se font nommer Catholicquesl’eussent miserablement traicte, durementemprisonne, & ranconne extremement: ille traicta courtoisement, amiablementle logea avecques soy en son palays, &par incroyable debonnaireté le renvo-

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ya en saufconduyt, charge de dons, charge de graces, charge de toutes officesd’amytie. Qu’en est il advenu? Luy retourne en ses terres feist assembler tousles princes & estatz de son royaulme,leurs exposa l’humanite qu’il avoit ennous congneu & les pria sur ce delibereren facon que le monde y eust exemple,comme avoit ja en nous de gracieusetehoneste: aussi en eulx de honestete gra-cieuse. La feut decrete par consente-ment unanime, que l’on offreroit entierement leurs terres dommaines & roy-aulme, a en faire selon nostre arbitre.

Alpharbal en propre personne soubdain retourna avecques neuf mille tren-te & huyt grandes naufz oneraires, me-nant non seulement les thesors de samaison & lignee royalle, mais pres quede tout le pays. Car soy embarquantpour faire voille au vent Vesten Nordest: chascun a la foulle gettoit dedansicelle or, argent, bagues, joyaulx, espice-ries, drogues & odeurs aromaticques.

Fu.136.

Papegays, Pelicans, Guenons, Ci-vettes, Genettes, Porczespicz. Poinctn’estoit filz de bonne mere repute, quidedans ne gettast ce que avoit de singulier. Arrive que feut vouloit baiser lespiedz de mondict pere, le faict fut esti-me indigne: & ne feut tolere: ains fut embrasse socialement: offrit ses presens, ilzne feurent receupz, par trop estre exces-sifz, se donna mancipe & serf voluntaire,soy & sa posterite: ce ne feut accepte parne sembler equitable: ceda par le decretdes estatz ses terres & royaulme offrantla transaction & transport signee, seelle& ratifie de tous ceulx qui faire le deb-voient: ce fut totalement refuse, & lescontractz gettes au feu. La fin feut,que mon dict pere commenca lamenterde pitie & pleurer copieusement, conside

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rant le franc vouloir & simplicite desCanarriens: & par motz exquis & sen-tences congrues diminuoit le bon tourqu’il leur avoit faict, disant ne leur avoitfaict bien qui feut a l’estimation d’un bou

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ton, & si rien d’honnestete leur avoit monstre, il estoit tenu de ce faire. Mais tantplus l’augmentoit Alpharbal. Quellefeut l’yssue? En lieu que pour sa ran-con prinze a toute extremite, eussent peutyrannicquement exiger vingt foys centmille escutz & retenir pour houstaigersses enfants aisnez. Ilz se sont faictz tri-butaires perpetuelz, & obligez nous bailler par chascun an deux millions d’oraffine a vingt quatre Karatz, Ilz nousfeurent l’annee premiere icy payez: la seconde de franc vouloir en paierent.xxiijcens mille escuz la tierce.xxvj cens mille, la quarte troys millions, & tant tous-jours croissent de leur bon gre, que se-rons contrainctz leurs inhiber de rienplus nous apporter. C’est la naturede gratuite. Car le temps qui touteschoses ronge & diminue, augmente, & accroist les biensfaictz, par ce q’un bon tourliberalement faict a homme de raison,croist continuement par noble pensee &remembrance. Ne voulant doncques

Fu.137.

aulcunement degenerer de la debonnairete hereditaire de mes parens, maintenant je vous absoluz & delivre, & vousrends francs & liberes comme par avant.

D’abondant serez a l’yssue des portespayez chascun pour troys moys, pourvous pouvoir retirer en voz maisons &

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familles, & vous conduiront en saulve-te six cens hommes d’armes & huyct millehommes de pied soubz la conduicte demon escuyer Alexandre, affin que parles paisans ne soyez oultragez. Dieusoit avecques vous. Je regrette de toutmon cueur que n’est icy Picrochole. Carje luy eusse donne a entendre que sansmon vouloir, sans espoir de accroistreny mon bien, ny mon nom, estoit faicteceste guerre. Mais puis qu’il est esper-du, & ne scayt on ou, ny comment est es-vanouy, je veulx que son royaulme demeure entier a son filz. Lequel par cequ’est par trop bas d’eage, (car il n’a en-cores cinq ans accomplyz) sera gouverne & instruict par les anciens princes &

S

[137v]

gens scavans du royaulme. Et parautant q’un royaulme ainsi desole, seroitfacilement ruine, si on ne refrenoit laconvoytise & avarice des administra-teurs d’icelluy: je ordonne & veux que Ponocrates soit sus tous ses gouverneursentendant, avecques auctorite a ce re-quise, & assidu avecques l’enfant: jusquesa ce qu’il le congnoistra idoine de povoirpar soy regir & regner. Je considereque facilite trop enervee & dissolue depardonner es malfaisans, leur est occasion de plus legierement de rechief malfaire, par ceste pernicieuse confiance degrace. Je considere que Moyse, le plusdoulx homme qui de son temps feust susle terre, aigrement punissoit les mutins& seditieux peuple de Israel. Je con-sidere que Jules Cesar empereur tantdebonnaire, que de luy dict Ciceron, quesa fortune rien plus souverain n’avoit,si non qu’il pouvoit: & sa vertus meilleurn’avoit, sinon qu’il vouloit tousjourssauver, & pardonner a un chascun. Icel-

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Fu.138.

luy toutesfoys ce non obstant en cer-tains endroictz punit rigoureusement lesaucteurs de rebellion. A ces exem-ples je veulx que me livrez avant le departir: premierement ce beau Marquet,qui a este source & cause premiere de ce-ste guerre par sa vaine oultrecuidance,Secondement ses compaignons foua-ciers, qui feurent negligens de corrigersa teste folle sus l’instant. Et finablementtous les conseillers, capitaines officiers& domestiques de Picrochole: lesquelzle auroient incite, loue, ou conseille de sor-tir ses limites pour ainsi nous inquieter.

Comment les victeurs Gargan-tuistes feurent recompen-

sez apres la bataille.Chapitre. lj.

CEste concion faicte par Gargantua, feurent livrez lessediteux par luy requis:exceptez Spadassin, Merdaille & Menuail: lesquelz

S ij

[138v]

estoient fuyz six heures davant la ba-taille L’un jusques au col de laignel,d’une traicte, l’aultre jusques au val devyre, l’aultre jusques a Logroine sansderriere soy reguarder, ny prandre alaine par chemin & deux fouaciers, les-quelz perirent en la journee. Aultremal ne leurs feist Gargantua: sinonqu’il les ordonna pour tirer les pressesa son imprimerie: laquelle il avoit nou-vellement instituee. Puis ceulx quila estoient mors il feist honorablementinhumer en la vallee des Noirettes, etau camp de Bruslevieille. Les navresil feist panser & traicter en son grandNosocome. Apres advisa es dommaiges

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faictz en la ville & habitans: & les feistrembourcer de tous leurs interest a leurconfession & serment. Et y feist bastirun fort chasteau: y commettant gens &guet pour a l’advenir mieulx soy defendre contre les soubdaines esmeutes.

Au departir remercia gratieusementtous les soubdars de ses legions: qui

Fu.139.

avoient este a ceste defaicte, & les renvoya hyverner en leurs stations & guar-nisons. Exceptez aulcuns de la legionDecumane, lesquelz il avoit veu en lajournee faire quelques prouesses: & lescapitaines des bandes lesquelz il ame-na avecques soy devers Grandgousier.

A la veue & venue d’iceulx le bon hom-me feut tant joyeux, que possible ne se-roit le descripre. Adonc leurs feist unfestin le plus magnificque, le plus abun-dant & plus delitieux, que feust veu de-puis le temps du roy Assuere. A l’issuede table il distribua a chascun d’iceulxtout le parement de son buffet qui estoitau poys de dishuyt cent mille quatorzebezans d’or: en grand vases d’antique,grands pontz, grans bassins, grandstasses, couppes, potetz, candelabres, calathes, nacelles, violiers, drageouoirs,& aultre telle vaisselle toute d’or massif,oultre la pierrerie, esmail & ouvraige,qui par estime de tous excedoit en prisla matiere d’iceulx. Plus, leurs feist con

S iij

[139v]

ter, de ses coffres a chascun douze censmille escutz contens. Et d’abundant achascun d’iceulx donna a perpetuite (excepte s’ilz mouroient sans hoirs) ses cha

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steaulx, & terres voizines selon que plusleurs estoient commodes. A Ponocra-tes donna la Rocheclermaud, a Gymnaste le Couldray, a Eudemon, Montpensier. Le Rivau, a Tolmere, a Ithybole, Montsoreau, a Acamas Cande,Varenes, a Chironacte, Gravot, a Sebaste, Quinquenays, a Alexandre, Ligre aSophrone & ainsi de ses aultres places.

Comment Gargantua feist ba-stir pour le moyne l’abbaye

de Theleme. Cha-pitre. lij.

REstoit seulement le moynea pourvoir. Lequel Gargantua vouloit faire abbe deSeuille: mais il le refusa.Il luy voulut donner l’abbaye de Bourgueil ou de sainct Florent, laquelle mieulx

Fu.140.

luy duiroit, ou toutes deux, s’il les prenoit a gre. Mais le moyne luy fist res-ponce peremptoire, que de moyne il nevouloit charge ny gouvernement, Carcomment (disoit il) pourroy je gouverneraultruy, qui moymesmes gouverner nescaurois? Si vous semblez que je vousaye faict, & que puisse a l’advenir faireservice agreable, oultroyez moy de fonder une abbaye a mon devis. La de-mande pleut a Gargantua & offrit toutson pays de Theleme jouste la rivierede Loyre, a deux lieues de la grande forest du port Huault Et requist a Gar-gantua qu’il instituast sa religion au contraire de toutes aultres. Premiere-ment doncques (dist Gargantua) il n’yfauldra ja bastir murailles au circuit:car toutes aultres abbayes sont fiere-ment murees. Voyre, dist le moyne. Etnon sans cause ou mur y a & davant etderriere, y a force murmur, envie, & cons-piration mutue. Davantaige veu que

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en certains convents de ce monde est enS iiij

[140v]

usance: que si femme aulcune y entre(j’entends des preudes & publicques) onnettoye la place par laquelle elles ontpasse, feut ordonne que si religieux oureligieuse y entroit par cas fortuit, onnettoiroit curieusement tous les lieulxpar lesquelz auroient passe. Et parce que es religions de ce monde tout com-passe, limite, & reigle par heures, feut decreté que la ne seroit horrologe ny qua-drant aulcun. Mais selon les occa-sions & oportunitez seroient toutes lesoeuvres dispensees. Car (disoit Gargantua) la plus vraye perte du tempsqu’il sceust estoit de compter les heures.Quel bien en vient il? & la plus granderesverie du monde estoit soy gouvernerau son d’une cloche, & non au dicte debon sens & entendement. Item par cequ’en icelluy temps on ne mettoit en religion des femmes, si non celles que esto-ient borgnes, boyteuses, bossues, laydes,defaictes, folles, insensees, maleficies, &tarees: ny les hommes si non catarrez,

Fu.141.

mal nez, niays & empesche de maison.

A propos (dist le moyne) une femmequi n’est ny belle ny bonne, a quoy vaulttoille? A mettre en religion, dist Gargan-tua. Voyre, dist le moyne, & a faire deschemises? Feut ordonne que la ne seroientrepceues si non les belles, bien formees,& bien naturees: & les beaulx bien for-mez, & bien naturez. Item par ce quees conventz des femmes ne entroientles hommes si non a l’emblee & clande-

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stinement: feut decrete que ja ne seroientla les femmes au cas que n’y feussentles hommes? ny les hommes en cas quen’y feussent les femmes. Item par ceque tant hommes que tant femmes unefoys repceuez en religion apres l’an deprobation estoient forcez & astrinctz y demeurer perpetuellement leur vie durantefeust estably que tant hommes que fem-mes la repceuz, sortiroient quand bonleurs sembleroit franchement & entierement. Item par ce que ordinairementles religieux faisoient troys veuz: sca-

S v

[141v]

voir est de chastete, pauvrete, & obedience: fut constitue, que la honorablementon peult estre marie, que chascun feut riche, & vesquist en liberte: Au reguardde l’eage legitime, les femmes y estoientrepceues depuis dix jusques a quinzeans: les hommes depuis douze jusquesa dix & huict.

Comment feust bastie & dotee l’ab-baye des Thelemites.

Chapitre. liij.

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POur le bastiment, & assortimentde l’abbaye Gargantua feist li-vrer de content vingt & sept centmille huyt cent trente & un mouton a lagrand laine, & par chascun an jusquesa ce que le tout feust parfaict assignasus la recepte de la Dive seze cent soi-xante & neuf mille escuz au soleil & au-tant a l’estoille poussiniere: Pour lafondation & entretenement d’icelle don-na a perpetuite vingt troys cent soixan-te neuf mille cinq cens quatorze nobles,

Fu.142.

a la rose de rente fonciere indemnez, amor-tyz, & solvables par chascun an a la porte de l’abbaye Et de ce leurs passa bel-les lettres. Le bastiment feut en figures[sic] exagone en telle facon que a chas-cun angle estoit bastie une grosse tourronde: a la capacite de soixante pasen diametre. Et estoient toutes pareillesen grosseur & protraict. La riviere deLoyre decoulloit sus l’aspect de Septen-trion. Au pied d’icelle estoit une des toursassise, nommee Artice. Et tirant vers L’orient estoit une aultre nommee Calaer.L’aultre ensuivant Anatole. L’aultreapres Mesembrine, l’aultre apres hesperie. La derniere, Cryere. Entre chascune tour estoit espace de troys cent douze pas. Le tout basty a six estages, comprenent les caves soubz terre pour un.Le second estoit voulte a la forme d’uneanse de panier. Le reste estoit embrun-che de guy de Flandres a forme de culzde lampes, Le dessus couvert D’ardoi-ze fine: avec l’endousseure de plomb a fi

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[142v]

gures de petitz manequins & animaulxbien assortiz & dorez avec les goutieresque yssoient hors la muraille entre lescroyzees, pinctes en figure diagonalede or & azur, jusques en terre, ou finisso-ient en grands eschenaulx qui tous conduisoient en la riviere par dessoubz lelogis. Ledict bastiment estoit cent foysplus magnificque que n’est Bonivet, neChambourg, ne Chantilly. Car en ycelluy estoient neuf mille troys cens tren-te & deux chambres: chascune guarniede arriere chambre, cabinet, guarderob-be, chapelle, & yssue en un grande salle.Entre chascune tour au mylieu dudictcorps de logis estoit une viz brizee dedansicelluy mesmes corps. De laquelleles marches estoient part de porphyre,part de pierre Numidicque, part de marbre serpentin: longues de xxij. piedz: l’espesseur estoit de troys doigtz, l’assiete parnombre de douze entre chascun repous.En chascun repous estoient deux beaulxarceaux d’antique, par lesquelz estoit

Fu.143.

repceu la clarte: & par iceulx on entroiten un cabinet faict a clere voys de lar-geur de ladicte viz: & montoit jusquesau dessus la couverture, & la finoit enpavillon. Par icelle viz on entroit dechascun couste en une grande salle, & dessalles es chambres. Depuis la tourArtice jusques a Cryere estoient lesbelles grandes librairies en Grec, Latin,Hebrieu, Francoys, Tuscan, & Hespai-gnol: disparties par les divers estaignesselon iceulx langaiges. Au mylieuestoit une merveilleuse viz, de laquellel’entree estoit par le dehors du logis enun arceau large de six toizes. Icelle e-stoit faicte en telle symmetrie & capacite, que six hommes d’armes la lance susla cuisse povoient de fronc ensemble monter jusques au dessus de tout le basti-ment. Depuis la tour Anatole jus-

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ques a Mesembrine estoient belles grandes galleries toutes pinctes des antiquesprouesses histoires & descriptions de laterre. Au milieu estoit une pareille mon

[143v]

tee & porte comme avons dict du coustede la riviere. Sus icelle porte estoit es-cript en grosses lettres antiques ceque s’ensuit.

Inscription mise sus la grandeporte de Theleme.

Chapitre. liiij.

CY n’entrez pas hypocrites, bi- (gotz,Vieulx matagotz,marmiteux borsouflez.Torcoulx, badaulx plusque n’estoient les Gotz.Ny Ostrogotz, precurseurs des magotz;Haires, cagotz, caffars empantouflez.Gueux mitouflez, frapars escorniflez,Befflez, enflez, fagoteurs de tabusTirez ailleurs pour vendre voz abus.

Voz abus meschans.Rempliroient mes campsDe meschancete.Et par faulseteTroubleroient mes chantsVos abus meschans.

Fu.144.

Cy n’entrez pas maschefains practiciens,Clers, basauchiens mangeurs du popu- (laire.Officiaulx, scribes, & pharisiensJuges, anciens, qui les bons parroiciensAinsi que chiens mettez au capulaire.

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Vostre salaire est au patibulaire.Allez y braire: icy n’est faict exces,Dont en voz cours on deust mouvoir pro- ces.

Proces & debatzPeu font cy d’ebatzOu l’on vient s’esbatre.A vous pour debatreSoient en pleins cabatzProces & debatz.

Cy n’entrez pas vous usuriers chichars,Briffaulx, leschars, qui tousjours amassez,Grippeminaulx, avalleurs de frimarsCourbez, camars, qui en vous coquemarsDe mille marcs ja n’auriez assez.Poinct esguassez n’estes quand cabassezEt entassez poiltrons a chicheface.La male mort en ce pas vous deface.

[144v]

Face non humaineDe telz gens qu’on maineRaire ailleurs: ceansNe seroit seans.Vuidez ce dommaineFace non humaine.

Cy n’entrez pas vous rassotez mastinsSoirs ny matins, vieux chagrins & jalous.Ny vous aussi seditieux mutinsLarves, lutins, de dangier palatins,Grecz ou Latins plus a craindre que LoupsNy vous gualous verollez jusqu’a l’ousPortez voz loups ailleurs paistre en bon (heurCroustelevez remplis de deshonneur

Honneur, los, deduictCeans est deduictPar joyeux acords.Tous sont sains au corps.Par ce bien leur dictHonneur, los, deduict.

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Cy entrez vous, & bien soyez venuzEt parvenuz tous nobles chevaliers.

Fu.145.

Cy est le lieu ou sont les revenuzBien advenuz: affin que entretenuzGrands & menuz, tous soyez a milliers.Mes familiers serez & peculiersFrisques gualliers, joyeux, plaisans mi- (gnonsEn general tous gentilz compaignons.

Compaignons gentilzSerains & subtilzHors de vilité,De civilitéCy sont les oustilzCompaignons gentilz.

Cy entrez vous qui le sainct evangileEn sens agile annoncez, quoy qu’on grondeCeans aurez un refuge & bastilleContre l’hostile erreur, qui tant postillePar son faulx stile empoizonner le mondeEntrez, qu’on fonde icy la foy profondePuis qu’on confonde & par voix, & par rolleLes ennemys de la saincte parolle.

La parolle saincte,Ja ne soit extaincte

T

[145v]

En ce lieu tressainct.Chascun en soit ceinct,Chascune ay enceincteLa parolle saincte.

Cy entrez vous dames de hault paraigeEn franc couraige. Entrez y en bon heur.Fleurs de beaulté, a celeste visaige,A droit corsaige, a maintien prude & saigeEn ce passaige est le sejour d’honneur.Le hault seigneur, qui du lieu fut donneur

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Et guerdonneur, pour vous l’a ordonné,Et pour frayer a tout prou or donné,

Or donne par donOrdonne pardonA cil qui le donne.Et tresbien guerdonneTout mortel preu d’homOr donne par don.

Comment estoit le manoirdes Thelemites. Cha-

pitre. lv.

Fu.146.

AU millieu de la bassecourt estoit une fontainemagnificque de bel Ala-bastre. Au dessus lestroys Graces avecquescornes d’abondance. Et gettoient l’eau parles mamelles, bouche, aureilles, yeulx, &aultres ouvertures du corps.

Le dedans du logis sus ladicte bas-se court estoit sus gros pilliers de Cassidoine & Porphyre, a beaulx ars d’an-tique. Au dedans desquelz estoient bel-les gualeries longues & amples, aor-nées de pinctures, & cornes de cerfz, licornes. Rhinoceros, Hippopotames, densde Elephans, & aultres choses specta-bles. Le logis des dames comprenoitdepuis la tour Artice, jusques a la por-te Mesembrine. Les hommes occupoientle reste. Devant ledict logis des da-mes, affin qu’elles eussent l’esbatement,entre les deux premieres tours: au de-hors estoient les lices, l’hippodrome, letheatre, & natatoires, avecques les bains

T ij

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[146v]

mirificques a triple solier, bien garnizde tous assortemens & foyzon d’eau deMyre, jouxte la riviere estoit le beaujardin de plaisance. Au millieu d’icelluyle beau Labirynte. Entre les deuxaultres tours estoient les jeux de paulme & de grosse balle. Du couste de latour Cryere estoit le vergier plein detous arbres fructiers, toutes ordonnéesen ordre quincunce. Au bout estoit legrand parc, foizonnant en toute sauvagine. Entre les tierces tours estoientles butes pour l’arquebuse, l’arc, & l’ar-baleste. Les offices hors la tour Hespe-rie a simple estaige. L’escurye au delades offices. La faulconnerie au da-vant d’icelles, gouvernée par asturciersbien expers en l’art. Et estoit an-nuellement fournie par les Candiens,Venitiens, & Sarmates de toutes sortes d’oiseaux paragons.

Aigles, Gerfaulx, Autours,Sacres, Laniers, Faulcons,Esparviers, Esmerillons,

Fu.147.

Et aultres: tant bien faictz & dome-sticquez que partans du chasteau pours’esbatre es champs prenoient tout ceque rencontroient. La venerie estoitun peu plus loing tyrant vers le parc.

Toutes les salles, chambres, & cabinetz estoient tapissez en diverses sortesselon les saisons de l’annee. Tout lepave estoit couvert de drap verd. Leslictz estoient de broderie. En chascu-ne arriere chambre estoit un miroir dechristallin enchassé en or fin, au tourgarny de perles, & estoit de telle gran-deur, qu’il povoit veritablement repre-senter toute la personne. A l’issue dessalles du logis des dames estoient lesparfumeurs & testonneurs, par lesmains desquelz passoient les hommesquant ilz visitoient les dames. Iceulx

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fournissoient par chascun matin leschambres des dames, d’eau rose, d’eaude naphe, & d’eau d’ange, & a chascune laprecieuse cassollette vaporante de tou-tes drogues aromatiques.

T iij

[147v]

Comment estoient vestuz les re-ligieux et religieuses de

Theleme. Cha-pitre. lvj.

LEs dames au commencementde la fondation se habilloienta leur plaisir & arbitre. De-puis feurent reformeez parleur franc vouloir en la facon que s’en-suyt. Elles portoient chausses d’escar-latte, ou de migraine, & passoient les-dictes chausses le genoul au dessus partroys doigtz, justement. Et ceste liziereestoit de quelques belles broderies & descoupeures. Les jartieres estoient dela couleur de leurs bracelletz, & comprenoient le genoul au dessus & dessoubz.

Les souliers, escarpins, & pantouflesde velours cramoizi rouge, ou violet,deschicquettées a barbe d’escrevisse.

Au dessus de la chemise vestoient labelle Vasquine de quelque beau came-lot de soye. Sus icelle vestoient la

Fu.148.

Verdugale de tafetas blanc, rouge, tan-né grys &c. Au dessus, la cotte de ta-

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fetas d’argent faict a broderies de fin or& a l’agueille entortillé, ou selon que bonleur sembloit & correspondent a la dis-position de l’air, de satin, damas, veloursorange, tanné, verd, cendré, bleu, jaune,clair, rouge, cramoyzi, blanc, drap d’or,toille d’argent, de canetille, de brodureselon les festes. Les robbes selon lasaison, de toille d’or a frizure d’argent, desatin rouge couvert de canetille d’or, detafetas blanc, bleu, noir, tanné, sarge desoye, camelot de soye, velours, drap d’argent, toille d’argent, or traict, veloursou satin porfilé d’or en diverses protraictures. En esté quelques jours en lieude robbes portoient belles Marlottesdes parures susdictes, ou quelques bernes a la Moresque de velours violet afrizure d’or sus canetille d’argent, ou acordelieres d’or garnies aux rencontresde petites perles Indicques. Et tous-jours le beau panache scelon les cou-

T iiij

[148v]

leurs des manchons & bien guarny depapillettes d’or. En hyver robbes detafetas des couleurs comme dessus: fourrées de loups cerviers, genettes noires,martres de Calabre zibelines, & aul-tres fourrures precieuses. Les pate-nostres, anneaulx, jazerans, carcans,estoient de fines pierreries, escarbou-cles, rubys, balays, diamans saphiz, esmeraudes, turquoyzes, grenatz, agathes,berilles, perles & unions d’excellence.

L’acoustrement de la teste estoit selonle temps. En hyver a la mode Francoyse. Au prin temps a L’espagnole. Enesté a la Tusque. Exceptez les festes &dimanches, esquelz portoient accoustrement Francoys, par ce qu’il est plus honorable, & mieulx sent la pudicité ma-tronale. Les hommes estoient habillez a leur mode, chausses pour le bas d’estamet ou serge drape d’escarlatte, demigraine, blanc ou noir. Les haultde velours d’icelles couleurs ou bien presapprochantes: brodées & deschicquetées

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Fu.149.

selon leur invention. Le pourpointde drap d’or, d’argent, de velours, satin,damas, tafetas, de mesmes couleurs,deschicquettés, broudez, & acoustrez enparagon. Les aguillettes de soye demesmes couleurs, les fers d’or bien es-maillez. Les sayez et chamarres dedrap d’or, toille d’or, drap d’argent, veloursporfilé a plaisir. Les robbes autant precieuses comme des dames. Les ceinctu-res de soye de couleurs du pourpoinct,chascun la belle espée au cousté, la poi-gnee dorée, le fourreau de velours de lacouleur des chausses, le bout d’or, & deorfevrerie. Le poignart de mesmes.

Le bonnet de velours noir, garny deforce bagues & boutons d’or. La plume blanche par dessus mignonnement,partie a paillettes d’or: au bout desquelles pendoient en papillettes, beaulx rubiz, esmerauldes &c. Mais telle sympathie estoit entre les hommes & les femmes, que par chascun jour ilz estoientvestuz de semblable parure. Et pour a

T v

[149v]

ce ne faillir estoient certains gentilz hom-mes ordonnez pour dire es hommes parchascun matin, quelle livree les damesvouloient en icelle journée porter. Carle tout estoit faict selon l’arbitre des dames. En ces vestements tant propres &accoustremens tant riches, ne pensez queeulx ny elles perdissent temps aulcun,car les maistres des garderobbes avo-ient toute la vesture tant preste par chascun matin: & les dames de chambre tantbien estoient aprinses, que en un mo-

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ment elles estoient prestes & habillez depied en cap. Et pour iceulx acoustremens avoir en meilleur oportunité.

Au tour du boys de Theleme estoitun grand corps de maison long de de-mye lieue, bien clair & assorty, en laquelle demouroient les orfevres, lapidairesbrodeurs, tailleurs, tireurs d’or, velou-tiers, tapissiers, & aultelissiers, & la oeuvroient chascun de son mestier, & le toutpour les susdictz religieux & religieuses.

Iceulx estoient fourniz de matiere &

Fu.150.

estoffe par les mains du seigneur Nausiclete, lequel par chascun an leurs rendoit sept navires des Isles de Perlas& Canibales, chargées de lingotz d’or,de soye crue, de perles & pierreries. Siquelques unions tendoient a vetuste, &changeoient de naifve blancheur: icellespar leur art renouvelloient en les don-nant a manger a quelques beaulx cocqs,comme on baille cure es faulcons.

Comment estoient reiglez les The-lemites a leur maniere de vi-

vre. Chapitre. lvij.

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TOute leur vie estoit employéenon par loix, statuz ou reiglesmais selon leur vouloir & francarbitre. Se levoient du lict quand bonleur sembloit: beuvoient, mangeoient, tra-vailloient, dormoient quand le desir leurvenoit. Nul ne les esveilloit nul ne lesparforceoit ny a boyre, ny a manger, nya faire chose aultre quelconques. Ainsil’avoit estably Gargantua. En leur rei-

[150v]

gle n’estoit que ceste clause. Fay ce quevouldras. Par ce que gens liberes,bien néz, bien instruictz, conversans encompaignies honnestes ont par natureun instinct, & aguillon, qui tousjours lespoulse a faictz vertueux, & retire de vi-ce lequel ilz nommoient honneur. Iceulxquand par vile subjection & contrainctesont deprimez & asserviz, detournent lanoble affection par laquelle a vertuzfranchement tendoient, a deposer & en-fraindre ce joug de servitude. Car nousentreprenons tousjours choses defendues& couvoitons ce que nous est denié.

Par ceste liberté entrerent en loua-ble emulation de faire tous ce que a unseul voyoient plaire. Si quelqun ouquelcune disoit beuvons, tous buvoient.Si disoit jouons, tous jouoient. Si di-soit allons a l’esbat es champs, tous yalloient. Si c’estoit pour voller ou chasserles dames montées sus belles hacque-nées avecques leurs palefroy gourriersus le poing mignonement enguantelé

Fu.151.

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portoient chascune, ou un Esparvier, ouun Laneret, ou un Esmerillon: les hommes portoient les aultres oyseaulx.

Tant noblement apprins, qu’il n’e-stoit entre eulx celluy, ne celle qui nesceust lire, escripre, chanter, jouer d’in-strumens harmonieux, parler de cinq& six langaiges, & en iceulx composertant en carme que en oraison solue.

Jamais ne feurent veuz chevalierstant preux, tant gualans, tant dextresa pied, & a cheval, plus vers, mieulx re-muans, mieulx manians tous bastonsque la estoient. Jamais ne feurentveues dames tant propres, tant mi-gnonnes, moins fascheuses, plus doctesa la main, a l’agueille, a tout acte mu-liebre honneste & libere, que la estoient.

Par ceste raison quand le temps venu estoit que aulcun d’icelle abbaye, oua la requeste de ses parens, ou pouraultres causes voulust issir hors, avec-ques soy il emmenoit une des dames,celle laquelle l’auroit prins pour son de

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vot, & estoient ensemble mariez. Et si bienavoient vescu a Theleme en devotion etamytié: encores mieulx la continuoientilz en mariaige, d’autant se entreaymoientilz a la fin de leurs jours, comme le premierde leurs nopces. Je ne veulx oubliervous descripre un enigme qui fut trouveaux fondemens de l’abbaye, en une grandelame de bronze. Tel estoit comme s’ensuyt.

Enigme en prophetie.Chapitre. lviij.

PAuvres humains qui bon heur attendezLevez vos cueurs, & mes dictzentendez.

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Fu.152.

S’il est permis de croyre fermementQue par les corps qui sont au firmament,Humain esprit de soy puisse advenirA prononcer les choses a venir:Ou si l’on peut par divine puissanceDu sort futur avoir la congnoissance,Tant que l’on juge en asseuré discoursDes ans loingtains la destinée & cours,Je fois scavoir a qui le veult entendre,Que cest Hyver prochain sans plusattendre

Voyre plus tost en ce lieu ou noussommes.

Il sortira une maniere d’hommes.Las du repoz, & faschez du sejour,Qui franchement iront, & de plein jourSubourner gens de toutes qualitezA different & partialitez.Et qui vouldra les croyre & escouter:(Quoy qu’il en doibve advenir & couster)Ilz feront mettre en debatz apparentzAmys entre eulx & les proches parents,Le filz hardy ne craindra l’impropereDe se bender contre son propre pere,

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Mesmes les grandz de noble lieu saillizDe leurs subjectz se verront assailliz.Et le debvoir d’honneur & reverencePerdra pour lors tout ordre & difference,Car ilz diront que chascun a son tourDoibt aller hault, & puis faire retour.Et sur ce poinct aura tant de meslées,Tant de discordz, venues, & allees,Que nulle histoyre, ou sont les grandsmerveilles.

A faict recit d’esmotions pareilles,Lors se verra maint homme de valeurPar l’esguillon de jeunesse & chaleurEt croire trop ce fervent appetitMourir en fleur, & vivre bien petitEt ne pourra nul laisser cest ouvrage.Si une fois il y met le couraige:

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Qu’il n’ayt emply par noises & debatz.Le ciel de bruit, & la terre de pas.Alors auront non moindre authoritéHommes sans foy, que gens de verité:Car tous suyvront la creance & estudeDe l’ignorante & sotte multitude.Dont le plus lourd sera receu pour juge.

Fu.153.

O dommaigeable & penible deluge,Deluge (dy je) & a bonne raison,Car ce travail ne perdra sa saisonNy n’en sera delivrée la terre:Jusques a tant qu’il en sorte a grand erreSoubdaines eaux, dont les plus at-trempez

En combatant seront pris & trempez,Et a bon droict: car leur Cueur adonnéA ce combat, n’aura point perdonnéMesme aux troppeaux des innocen-tes bestes

Que de leurs nerfz, & boyaulx deshonnestes

Il ne soit faict, non aux dieux sacrificeMais au mortelz ordinaire service.Or maintenant je vous laisse penserComment le tout se pourra dispenser.Et quel repoz en noise si profondeAura le corps de la machine ronde.Les plus heureux qui plus d’elle tien-dront

Moins de la perdre & gaster s’abstien-dront,

U

[153v]

Et tascheront en plus d’une maniereA l’asservir & rendre prisonniere,En tel endroict que la pauvre deffaicteN’aura recours que a celluy qui l’afaicte

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Et pour le pis de son triste accidentLe clair Soleil, ains que estre en occi-dent

Lairra espandre obscurité sur elle.Plus que d’eclipse, ou de nuyct natu-relle.

Dont en un coup perdra sa liberté,Et du hault ciel la faveur & clarté.Ou pour le moins demeurera deserte,Mais elle avant ceste ruyne & perteAura long temps monstré sensiblementUn violent & si grand tremblement,Que lors Ethna ne feust tant agitée,Quand sur un filz de Titan fut jectée.Et plus soubdain ne doibt estre estiméLe mouvement que feit InariméQuand Tiphoeus si fort se despita,Que dens[sic] la mer les montz precipita.Ainsi sera en peu d’heure rengée

Fu.154.

A triste estat, & si souvent changée,Que mesme ceulx qui tenue l’aurontAulx survenans occuper la lairrontLors sera pres le temps bon a propiceDe mettre fin a ce long exercice:Car les grans eaulx dont oyez deviserFeront chascun la retraicte adviserEt toutesfoys devant le partementOn pourra veoir en l’air apertementL’aspre chaleur d’une grand flammeesprise,

Pour mettre a fin les eaux & l’entre-prise.

Reste en apres ces accidens parfaictzQue les esleuz joyeusement refaictzSoient de tous biens, & de manne celesteEt d’abondant par recompense honesteEnrichiz soient. Les aultres en la finSoient denuez. C’est la raison, affinQue ce travail en tel poinct terminéUn chascun ayt son sort predestiné.Tel feut l’accord. O qu’est a reverer.Cil qui en fin pourra perseverer.

La lecture de cestuy monument paraU ij

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chevée. Gargantua souspira profon-dement, & dist es assistans.

Ce n’est de maintenant que les gensreduictz a la creance evangelique sontpersecutez. Mais bien heureux est cel-luy qui ne sera scandalizé & qui tousjourstendra au but, au blanc, que Dieu parson cher filz nous a prefix, sans par sesaffections charnelles estre distraict nydiverty. Le Moyne dist. Que pensezvous en vostre entendement estre parcest enigme designé & signifié. Quoy,dist Gargantua, le decours & maintiende verité divine. Par sainct Goderan(dist le Moyne) Telle n’est mon exposition. le stille est de Merlin le prophete.donnez y allegories & intelligences tantgraves que vouldrez Et y ravassez vous& tout le monde ainsy que vouldrez Dema part je n’y pense aultre sens enclous,q’une description du jeu de Paulmesoubz obscures parolles. Les subor-neurs de gens, sont les faiseurs de parties,qui sont ordinairement amys. Et apres

Fu.155

les deux chasses faictes, sort hors le jeucelluy qui y estoyt, & l’aultre y entre. Oncroyt le premier qui dict si l’esteuf es susou soubs la chorde. Les eaulx sont lessueurs. les chordes des raquestes sontfaictes de boyaux de moutons ou dechevres. La machine ronde est la peloteou l’esteuf. Apres le jeu on se refraischit

davant un clair feu & changel’on de chemise. Et voluntiers

bancquete l’on, mais plusjoyeusement ceulx qui

ont guaingné. Etgrand chere.

FIN

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Imprimé a Lyon par Francoys Juste.

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