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7/26/2019 GARIN, Eugenio. Moyen ge Et Renaissance
1/141
-- 4.
WGENIO GARIN
-
; . . .
A
m oy en ag e
e t r en a is s an c e
Troduit de I'italien par Cloude Carme
Des limites antrieures que les historiens fixent aux dbuts de Ia
Renaissance dpend le sens que prend Ia premire
rnodernit
de l'Europe. Depuis Michelet on n'a cess d'en discuter, reculant
porfois ces limites jusqu'au XI I I
si cl e
et niant du
rnrne
coup
I'originalit du Quattrocento.
Cette suife d'tudes sur Ia crise de Ia pense
rndivole ,
Ia
mythologie antique et le rle du latin, Ia place de Ia magie et de
I'asfrologie, le rle de I'histoire dons Ia culture italienne de Ia
Renaissance claire Ia formation, ou
x v
sicle, d'une ducation
neuve, ne en dehors des coles et dont les tenonts vont
maitriser
les
exercices d' cole.
Voil I'humanisme camp comme une activit de penseurs, non
de simples philologues; mais aussi de condottieri, de mor-
chands, de praticiens des arts, d'administrateurs et d'hommes
d'action qui, notamment dons Ia Flor . .. . e
Lonord de Vinci, dcouvrent dons I
1 1 1 / 1 / 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1
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~i~~~en~t~~e~t ~n~i~~:~ir: ~~~~;teus 9 782070718405
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M O r E N A G E E 1 R E a I S S
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~ ~ ~ 1
Uccello: Soint Georges t~ant le d
MuseJacquemart-Andr .Poris.
I 1 1 1
9 782070 718405 90-1
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I S B N
2-07-07'840-9
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GARIN
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r ncisscnce
Il l
gallimard
7/26/2019 GARIN, Eugenio. Moyen ge Et Renaissance
2/141
COLLECTION TEL
7/26/2019 GARIN, Eugenio. Moyen ge Et Renaissance
3/141
ugen io arin
oyen ge
et Renaissance
TRADUIT DE L'ITALIEN
PAR CLAUDE CARME
allimard
7/26/2019 GARIN, Eugenio. Moyen ge Et Renaissance
4/141
Eugenio Cllrin. n en 1909. a
t
professeur d'histoire et de philosophie
mdivale li ll 'niversit de Florence, ain i qu' l'cole norrnale suprieure
de Pise. Direrteur de Ia revue Rinasc im ent o, animateur de grandes
collections de rextes (Pie de Ia ~irandole, Alberti), de traductions de
plailobOphl'b Plutun, Descartes, Fichte) et d'historiens (Burckhardt, Voigt,
Huizinga, Walser), son ceuvre personnelle trs ahondante, qui traite aussi
de Ia rulture iialienne apres l'Unit, a ait de lui un maitre incontest et une
auioriu' in u-rnarional e .
UFRJ IFrs - pt.
o
de H istria
P rog ram a
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H is t ria
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D ata
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UF '~J/CFCH/IFCS
REG. AUTO:-lAO
FORN.
Titre original :
MEDIOEV O E RI N ASC IMENTO
Gius: ~aterza ~ Pi gli Spa , Roma-Bari , 1954, 1985, 1987.
tdlllOns
Oallimard ,
1969,
p ou r Ia tradu cuon
franaise.
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AVERTISS.EMENT
Les essaisrunis ici ont t choisisparmi de nombreux crits
composs entre 1950 et 1953 : confrences, articles occason-
neIs, notes destines noncer Ies rsultats de recherches par-
tielles. Leur origine peut expliquer, sinon justifier, l'aspect
fragmentaire et Ia diffrencede tonoChacun d'eux a t l'objetd'une mise au point minutieuse. On trouvera trace de tout
cela. Mais, en rgle gnrale, c'est Ie texte original qui a t
reproduit, auqueI on a seulement ajout notes; rfrences et
indications bibliographiques 1. La documentation proprement
dite, qu'entre-temps j'ai runie et publie ailleurs, n'est pas
mentionne ici.
Presque entirement nouveau, par contre, est Ie portrait
dtaill de Donato Acciaiuoli, tabli sur des matriaux en
grande partie inexploits jusqu' prsent, mais qui ne sont
peut-tre pas inutiles pour illustrer un moment original de Ia
culture florentine du Quattrocento. L'essai sur Ia rhtorique
a t profondment modifi dans sa forme mme.
II est inutile de parler ici des intentions trop videntes de
1. Les essais n
oa
1 et de Ia premire par ti e parurent dans le petit volume
Dal
Medioevo ai Rinaseimento, Florence, Sansoni, 1950; le numro 2, dans Ia revue
Paragone
de Roberto Longhi , 3
e
anne, no 32, aot 1952, pp. 3-15 ; le numro 3 ,
dans Ia Rassegna della leueratura italiana de 1953, no, ,; le numro 3 de Ia seconde
partie et les numros 2 et 3 de Ia troisime pa rtie lurent publis dans Beljagor,
respectivement en 1950 (pp. 657-667), en 1951 (pp. 289-301), en 1952 (pp. 272-
289); le numero de Ia seconde partie reproduit sous une forme modifie quelques
pages de ce que j'ai crit en commentaire aux tex tes rhtoriques dans Archivio
di filosofia, 1953; les premires pages du numro 1 de Ia troisime partie, plusieurs
foi s publi es, vi rent le jour dans Rinascimento de 1950. Enfin le numro 1 de Ia
seconde partie est I 'introduction du recueil Prosatori latini dei Quattrocento dans
Ia colleclion La Letteratura Italiana - Storia e testi de I'diteur Ricciardo
Ricciardi. A ce dernier, e t aux dit ions Sansoni j' exprime Ia plus v ive gratitude
pour avoir permis Ia reproduction d'tudes dj publies - de mme qu'aux
revues qui m'accueillirent.
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8
Moyen Age et Renaissanee
A
venissemeni
9
cette t ?de : d'une part, approfondir sur des points dfinis
Ie probleme des rapports de J'humanisme du xve sicle avec
I~ cultura des sie?les prcdents; de J'autre, vrifier dans deux
dlrectlOns. essentielles J'apport efTectif de Ia pense des xve
ct XVle
s ic les :
studia humanitatis et sciences de Ia nature
e~ gardant bien pr~ent l'esprit Ie fait que sous Ie signe de ce~
liuerae
se rassemblasnt .toutes Ies disciplines du Iangage et du
discours (de Ia grammaire
Ia logique) et toutes Ies sciences
morales : conomie, thique, politique.
Parta~t de l, on a insist. sur Ie rapport ambigu entre Ia
spculation labore et subtile des
coles du XIVesiele et
l~ nouvelle, et tout . fait. di~r~nte, problmatique huma-
n~ste. De:v~~ ceux qui, et II s agt de savants minents, ont
m Ia I~gltlm.lt de cette comparaison, - en soulignant J'ht-
r,ognlt~ qUI existe ent~e Ia philosophie des
coles et
I humanisme de Ia Henaissanea - et Ia continuit existant
a~ c0 ltralre entre ces coles et Ia culture philosophique et
scientiflque du monde moderne, on a tenu rpter comment
s'afflrmait u.n~ nouvelle vision de I'homme propre
J'Huma-
msme et mune en dehors des acadmies . Et J'on a vouJu
seulement dire une fois encore comment cette vision de
I'homme, ne sur un terrain non
scoIastique est venue
fortement influer sur Ies mthodes de recherche ei les modes
de pense. SeuIe une culture qui concevait d'une manrs
entiremsnt diffrente les rapports de J'homme avec le monde
russit ~e servir utilement mme de ces subtils exercice~
d'coIe gUl, dans les applications traditionnelles, s'puisaient
sans fruit.
Rpter, com~e on l'a fait, que I'Humanisme fut un phno-
mne non philosophique , purement littraire et rhtori-
que; que Ies humanistes furent seuJement des maitres d'lo-
quence et des grammarens 1, revient avant tout donner
p ur pacifique une vision de l'acte
?
p~ilosophique qui est
HU contrare en dscussion; et cela signife en mme temps
qu'on ne voit pas bien clair dans ces stui a
humaniuuis,
tte
rhtorique et ces
lettres
I).
C'est oublier aussi que ce mouvement de culture s'affirma
avant tout hors de l'
cole , chez des hommes d'action, des
politiciens, des nobles, des chanceliers de rp~bliques, jusqu.e
.hez des condottieri et des marchands, des artistes et des arti-
sans. C'est travers les disciplines Iogiques et morales qu'il
y entra; travers un nouveau lan.gage et l'tablissement .de
nouveaux rapports. La philosophie que dendent cer~ams
historiens, Ia thologie des coles mdivales - qui fut
certes une trs grande chose - :V0yalt vr;ument alors ses ~alles
de cours devenir dsertes, et diminuer I cho de ses enseigne-
ments. Aprs que, pendant des sicles - et ce furent ~~ grands
ei c les -Ia pense humaine se fu~ ~fTorcesu~tout d elaborer
une philosophie de J'esprance religieuse - slg,ne sous lequ~l
on avait considr toutes choses -Ia raison de I homme tandit
tous ses efTorts vers J'homme
pote
I),
vers sa
cit , vers
cette nature mondaine que 1'on tait en train de conqurir.
S'il est absurde d'imaginer une philosophie mdivale dta-
che de Ia religion, il est tout aussi absurde de ne .P~s .oir
qu'avec Ia renaissance Ia philosophie e~t un~ me.dltat ~n
sur les nouvelles sciences J) - c ell es -l memes a qUI Gahlee
et Vico consacrerent leurs livres. Ce n'est pas par hasard du
reste si ds son apparition le mythe de J'antique rendit un son
I( paen , non pas tellement parce .qu',i.mpi~, 8:the ou anti-
chrtien, mais parce qu'il cherchait 1 inspiration d~ns une
mthode de pense et une poque auxquelles avalent. t
parfaitement trangeres les proccupations qUI se trouvaient
alors depuis des siecles au centre de Ia culture. Quand on
cherche chez un Ptrarque ou chez un Salutati 1'aurore d'un
nouveau savoir on n'entend pas tracer une gnalogie par
laquelle, d'une' page d'art ou de p.olitique, doivent jaillir
une loi physique ou une formule lo.glque. On entend met~re
en vidence un autre mode de sentir et de penser, une pnse
de conscience difTrente, que 1'homme est en train d'laborer,
de sa situation dana le monde et sans laquelle ne s'explique-
1. Car le mot
humaniste Corm sur le modle de termes semblables entrait
dans le lan~age scolastique pour dsigner celui qui enseignait les e hum'anits.
ainsi que I ont dmontr Augusto CAMPANA 'I'he origin o C word humanist ;
(Journal of lhe Warburg an Courtauld Instiuues,
IX - 1946 pp. 60-73) et
P: O. KRISTELLER :
Um anes m o
escolastica nel Rinascimento italiano. inHuma.
nUM,
V - 1950, p. 20 de I'extrat cit c C l'original anglais in Byzantion,
~ol. XVII, p. 366, no 62). On peut ajouter un exemplo de ce sens singulirement
Jnlressant. ceux ~aPJlorl~ par ces deux minents savants. Dans Ia correspon-
dan~e omcl~lle ~e I ~mversll de Pise (Arch. de l'Etat de Florence, Documents
oipClels de I Unversit, no 7 : Mlscellan~e.s de documents regardant l 'J
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M oy en A ge et R enaissanee
A oertissement
11
raient pas certaines transformations profondes de ses centres
d'intrt et de ses prises de position. Ce n'est pas fortuite-
ment que Cassirer lui-mme a crit qu' l'intrieur mme
de Ia pense humaniste se multiplient Ies signes du passage ..
Ia renaissance des sciences mathmatiques et naturelles 1.
Ce qui n'empche pas, si 1'0n veut sortir des rapprochements
gnraux, qu'iI soit gaIement neessaire d'essayer Ia voie des
recherches prcises, sans s'arrter aux opinions anciennes, sans
donner pour acquis au dpart qu'il faille tout attribuer aux
rhtoriques, ou aux recherches et discussions logico-dialec-
tiques, ou aux travaux Iinguistiques et historiques des huma-
nistes. Sans se Iaisser sduire non pIus, en bien comme en mal,
par tout ce qui compose I'hrdit, manifeste ou cache, de Ia
Iongue et non
dsintresse polmique sur Ia Renaissance :
c'est--dire en cherchant se librer de Ia trs ancienne anti-
thse tnehres-lumire, avec tout ce qu'elle comporte impli-
citement de conflits religieux pas toujours justifis ni fonds;
en cherchant comprendre Ia diversit des formes de vie et de
pense, le dclin de certains problmes et I'apparition sou-
daine de nouveaux, Ia faon diffrente de vivre (y compris
Ia vie religieuse) et mme de sentir les ternels problemes
de Ia vie et de Ia mort
2.
Lorsqu'on aborde ces derniers, i l n'est
pas encore prouv - comme il semble certains - que celui
qui a difi des thories pompeuses et systmatiques, bien
rui onnes selon tous Ies canons de Ia mtaphysique et de Ia
logique classiques, soit plus grand philosophe qu'un Socrate,
dont Ie dmon continue nous tourmenter, ou qu'un VICO,
m rL professeur de r~torique. ~e pas penserainsi est n?es-
uirement un kokeuieren tabh sur des positons de deca-
d ntisme no-romantique ou pseudo-existentialiste.
Et puisque notre propos nous. ramne ~ Ia
philos?p,hie
,
il n'est pas non plus exact de dire que, ~ ayant,pas ete ~ro:
r sseurs de philosophie , les hum lUlstes n eurent .amsl
nulle intention de faire reuvre de philosophes. A partir de
PLrarque iIs savent bien qu'un renouvellement profond
commenc~ et prend forme Ieur cole, et que Ies bonae artes ))
Lendent Ieur influence tous les domaines de Ia pense. 11
s'agit certes chez eux d.'une philosophie ~orale ))'. civile
t logique; mais quand .lIsI~reC?nnalsse~t ils ~e croient nulle-
ment indiquer une limite; ils tiennent a rpeter que de leur
cole sortira une humanit lihre, capable d'affronter tous les
problmes de Ia vie : des hommes libres dans une cit libre
1,
II est trop facile d'ironise~ aujourd'hui sur. celui q:ui souli
9
ne
avec nergie Ie rle et l'importance philosophique )) d un
Valla ou d'un Ramus; car c'est une ironie qui ne tient pas
compte du rle jou dans l'histoire de Ia pense occidentale
par ces amoureux de l'Antiquit, qui liquidrent avec Ieurs
pages irrespectueuses et eonoclastes les autorits )) scu-
laires, qu'il s'agisse d'Arist?te ou des docteurs consaers de
I'
cole
,
Car il est paraitement exact - soit dit avec Ia
permission de ceux qui, sous une apparente libert de langage,
conservent le respect servile de tous les lieux communs les
plus prouvs - qu'avec le retour l'antique naquit un sens
trs vif de l'histoire 2.
Politien qui fut, en plus d'un dlicieux poete, un .des
esprits les plus su?tiI~ de son temp~,. dans Ies pages e~qUlses
et scintillantes d'ironie de La Sorcire par lesquelles li com-
mena un cours de logique sur les Analytiques premiers ))-
ou il traite du grammairien qui se mle de philosophie sans
Ia moindre comptence - indique quelle est sa nouvelle
mthode philosophique : critique
,
comme iI dit, c'est--dire
science de ce discours humain que se partagent potes et
historiens orateurs et philosophes, mdecins et juristes.
Cepend:mt I'Humanisme est rest avant tout une cole
,. O. Pret i observe avec justesse, en conclusion
son tude sur DialeUica
terministica e probabilismo nel pensiero medievale (dans le volume de mlanges
sur La crisi delCuso dogmatico della ragione - MiJan-Rome, 1953, p. 97) : Pour
autan t qu 'iJ soi t exact, e t mme parfa itement exact, que le bond en avant de Ia
science moderne ait t.largement prparpar les recherches sur Ia physique des
dermers scolastiques, 11est gaIement vrai que, pour que se ralise cette volu-
t ion, une rforme en profondeur du concept de vrit, des catgories de Ia
connaissance et des conceptions mthodologiques fu t ncessaire . li n'est pas
moins impor tant de dterminer comment s 'est produit cetle transformation en
profondeur dans le concept mme de vrit, que de retrouver les apports, mi-
nents certes, des derniers scolastiques. Mais j)importe surtout de ne pas confondre
des postons entre lesquelIes, outre certaines ressemblances, demeurent des
difTrences de perspective essentielIes. C'est encore Preti
(op. cit.,
p. 81 et 86) qui
fait aIlusion en termes prcis quelques aspects de l 'influence indirecte des huma-
nistes sur Ia dcadence sereine de Ia scolastique, e t sur Ia nouvelIe utilisation-
qu'ls taient en train de promouvoir - d'acquisitions anciennes. Avant tout
cependant, j) soul igne bien Ia distance, e t mrne le contraste qu'j) y a entre ceux
qu'on appelIe les prcurseurs du Moyen Age et les savants modernes. Quant
faire Iitire, souvent mrne injustement, de
cette mer d'arguties, de non-sens,
de superstitions, de citations d'autorit \assez f rquemment r idicules) cela
fut vraiment I 'eeuvre des humanistes, avec eur haine sans discrimination pour les
barbares '. C'est autre chose de retrouver d'emble dans Ia scolastique du
) lV
sicle Locke ... et D. Hume ... et les empiriocriticistes modernes
sl
(Cf. O. MAR-
TANO: La parola deI passato, fase. XX; 1951, p. 400).
2. Cf. A. TENENTI: La oie et Ia mort
t raoer I'an .du XV sicle, Paris 1952.On trouvera une prsentat ion intressante de certains thmes dans R. 'SPON-
GANO:
L'umanesimo e le sue origini (in Giom. st. d. lett.
is .,
CXXX, 1953,
pp. 289-310).
,. Leonardo Bruni s'crle
propos des scienees morales : At oero haec altera
philosophia tota, ut a dixerim, de re nOSlraest. Et c'est cela, trs exaetement,
philQsophia. .
d'Ub D b .
2. Entre autres exemples, ef. le dbut du De republica erto ecem rIO
(ms Ambros. B. 123 sup. C. 80 r.).
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2
Moyen Age et Renaissance
3
A vertissement
s l es a es ui suivent, Ia vie culturelle de Flor~nce est
pan mm~ ~aseqde rfrence, au cours d'une tsntatve qui
p~lse
CO
rofondir une poque bien dfinie, CJ;U.elque,sues-
v se af~ arf~ismmeavecun soucid 'rudltlon detallle.
~~~;l~s;~f;' t que le lecteur tire au moins quelque profit
d Ia dcouverte d'un certain nombre de textes nouveaux
t
de documents peu connus.
pour une nouvelle ducation de l'homme, apparue pour
rpondre aux besoins d'une socit parvenue
maturit et
de claeses ayant accd au pouvoir. De cette luxuriance cul-
turelle sortirent les artistes et les crivains qui conquirent
l'Europe, et les sciencesnouvelles qui devront leur rputation
Galile et Vico.
Aux tudes faites sur ces questiona sont venues s'ajouter
des accusations diverses et contradictoires, n'ayant rien
voir avec des recherches de pure rudition et manifestant
mme je ne sais quelle indulgence dans des digressions arca-
diennes et rhtoriques, quand elles ne sont pas irrationnelles
et mystiques. A vrai dire, il vient plutt l'esprit, tort peut-
tre, un texte dont il semble qu'on ne fasse pas souvent men-
tion, et qui est pourtant dans le ton de cet engouement pour
l'tude de l'historiographie de Ia Renaissance. C'est une page
de Cattaneo, consacre
cette civilisation florentine de Ia
Renaissance dont on va traiter pIus Ionguement dans cet
ouvrage.
Ce qui caractrise Ies cits toscanes, et surtoutFIorence, c'est Ie fait d'avoir rpandu jusque dans Ie bas
peuple, le sens du droit et de Ia dignit civiIe... L'artiste
florentin fut le premier en Europe participer
Ia culture
scientifique. Les arts mcaniques et Ies beaux-arts devinrent
troitement lis... L'ooil et Ia main prparent Ies premiers
Iments de Ia science de l'intellect, et toute Ia pense
s'ordonne peu
peu en une speulation non pas superbe
et strile, mais que Bacon appela pIus tard Ia s ci en ti a act ioa . .
C'est cela Ia vritable force intrieure qui lve l'Europe
moderne au-dessus de l'Antiquit et du Moyen Age, au-del
d'une intelligence statique et sclrose... AppIique Ia
vie sociale tout entire, elle devient cette ide du progrs
qui est Ia foi commune du monde civilis.
Et, selon Ie rac-
courci saisissant de Cattaneo, Ies sources de Ia science vive
ne sont pas dans les subtilits de Ia logique, ni dans Ia
prc-
sion scolastique; elles ne sont mme pas dans Ie doute de
Descartes
,
mais dans Ia mthode de Galile troitement
lie
Ia sagesse civile des politiques. L'cole qui a vu le jour
et prospr avec une Iongue ferveur dans Ia cit toscane ne se
limite pas aux
phnomne s
natureIs, mais... elle va au coour
des phnomnes de Ia socit humaine. Ce n'est pas par
hasard que Cattaneo a vu en Vico Ie dernier reprsentant de
cette ligne idale,
propos de laquelle, voici un
s ic le ,
il
incitait aux recherches d'une manire bien significative :
Nous demandons que Ies savants mnent
son terme cette
recherche des sources de Ia science exprimentale au sein de
nos cits.
FIorence, janvier 1954.
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PREMIERE PARTIE
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Crise de l
pense
mdivale
Dans son discours acadmique sur Ia
Vie contemplatioe,
Ir nz BoIl considrait et exaItait comme une conqute carac-
tt'lristique du gnie grec Ia formuIation d'un idaI philoso-
ihique dans lequeI Ia vie apparaissait consacre tout entire
Ia connaissance pure
1.
Ainsi se dfaisait Ie Iien existant
Intre Ies aspirations thoriques et Ies besoins pratiques
( x o c - r ' l L 1 t op to c V & (J . O C x oc t x oc - r X 6 e ;w p ( o cv ) soulign par Aristote 2.
Un fragment d'Euripide dit loquemment : Heureux celui
III
possde l'esprit de recherche... , attentif contempIer
Iordre ternel de Ia nature immorteIle, et soucieux de savoir
oornment il s'est form et queIle est son originea.
Toutefois, toujours selon BoIl et en partie selon MondoIfo,
, t idaI de vie contempIative avait dj des tenants parmi Ies
plus anciens penseurs grecs - Thals, Pythagore, Parmnide,
Anaxagore. W. Jger a cherch montrer, avec succs,
que l'image du sage marchant lesyeux tourns vers les toiles
t tombant dans un puits parmi Ies rires des servantes de
Thrace, prit forme aprs Platon seulement et sous l'influence
de sa philosophie. L'idal du ~(O t; vou Ia connaissance
doit sa gense PIaton, dont l'thique propose et oppose
pIusieurs modes devie, pour aboutir au choix du moins mpar-
1.. Franz BOLL : Vila contemplatipa {Festrede zum zehnjll.hrigen StiftungCeste
der Heidelberger Akademie der WissenschaCten
(21o
avril,
19 20 ),
Heidelberg,
19 22.
Les pages qui suivent rejoignent les rflexions de W. JAEG ER sur Ia Cenese de
l 'idal philosophique de Ia pie (1928) et les
c rits
de R. MON D OLF O : L'origine
dell'ideale fllosoflco della vta
s,
extrait des
Reniconti della
11.
Acc. delle Seienu di
Bologna, srie
IV ,
vol. 1,1938.
Cr .
Nota sul genro ellenica, dans l'dition de Zeller,
Florence, 1932 , vol. I, pp. 30 6 365.
2. A6 l) LC ,, .
O'T '.
XI (d, Blass-Thalhem, p. 1 2, 8 9 ) :
& , , 0 8 7 1 1 L ( t1tO'1i ,TO
''t' t lL o P t cx . tI L ' xcxl
O . , pE cx v . ~
A(yu1tTOv. Cr . M ON D OL F O : L'origine dell'ideale
fllosoflco p. 1 0
3. Fragment 9tO Nauck, in
MOIIDOLPO, op
eu., pp. tO-11.
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11/141
18 Moyen Age et Renaissance
fait
1. ))
En fait, comme l'a prcis Mondolfo PIaton est ceIui
~ui a, e:x;pri -?-e pIus, clairement un system~ dont l'appari-
ton tait lie aux 'preo~cupatIOns .reIatives l'me; prenant
Ie c?nt~e-pled des intrts de Ia VIe terrestre, PIaton partait
de I antithse mystIque.entre Ie corps et l'me, et de l'exigence
de saIut de ?ette dernire . SaIut qui consiste en un dta-
ch,eme,nt, pUI~,au C?OIX~l'u~e autre voie (a6e;), celIe qui
me~e a Ia}umlere et ~ I.avie (oabe;'roli ~(ou) grce une purifi-
ca~IOn (x
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2
M oyen A ge et H enaissance
L a C rise de la pense mdivale
efTet sur Ia ralit, et lu restent extrieurs telle une vaine
agitation d'ombres 1.
~'ida~ mtaphysique de V labor~ par Ie gnie grec expri-
mat plernement, dans Ia brlliante vision de l'instant ternel
- t ~l X( cp V 1J : t~ ~ IX L o /E :,. disait Platon 2 - Ie concept mta-
physiqua qui en constituait le fond. C'est ainsi que Ia
pol-
mI.que contre cette conception de l'tre prendra son tour
naissance d'une thorie de Ia ralit de Ia personne ou si
l'on veut, de l'tre comme personne. A ce propos o~ peut
encore se rfrer, vu Ia prcision rigoureuse des termes, un
au~eur du Quattrocento dont on vante d'habitude le strict
ratonalisme : Laurent ValIa, qui parle ainsi de Ia philosophie
classique : ({Nous ne pouvons connaitre Ies causes des choses?
et qu'importe C'est dans Ia foi que nous trouvons Ia soIidit
e~ non dans la simpIe probabilit de connaissance qui nou~
vI~nt de Ia raison, Le savoir contribue-t-il rafTermir Ia foi? ..
Scientia inflat
charitas
aedificat .. Ne cherchons pas
trop
savoir, et gardons-nous de ressembler aux philosophes qui
dans I~ur prtention . tre des savants, n'ont abouti qu'
I~ sottise; car pour Iare voir que nous savons tout nous
disputons de tout, dirigeant notre curiosit jusqu'a~ eiel
dans Ie dsir de l'escalader, et pour ainsi dire de Ie violer'
cOI?me ces ~ants ~r~u~illeux et tmraires que Ie bra~
pussant de Dieu prcipits sur terre et ensevelis aux enfers.
Un des premiers fut Aristote, en qui Dieu a dcouvert et
damn Ia superhe tmr~ire de tous Ies philosophes
3.
Or
quand Ie critique et Ie philologue Ie plus conscient de tout Ie
Quattrocento crivait de Ia sorte, il ne trahissait nullement ses
positions ; au contrare, avec une rare lucidit et une conscience
~Isto~Iqu~ment d.finie ~es diverses prises de position de
I esprit, il opposat I orgueilleuss et soIitaire science de
l'tre, l'humble Iabeur terrestre, un savoir fait d'exprience
et proccup des rapports personneIs de l'homme avec ses
sembl~les. II 0J?posait, insistons-y, une science qui prtend .
tre utile Ia vie des hommes,
Ia vision ({dsintresse
d'un esprit qui s'puise dans Ia contemplation de l'tre de
son unicit sans faille, immobile et absolue. '
La rupture. chrtienne, opposant nettement un Dieu per-
sonnel, un Dieu homme, aux dnominations abstraites des
Grecs, avait rfut purement et simplement .I~ conception
antque, contrihuant a sonner Ie glas de cette VISlOnclassique
1 . F IC IN I : Opera~Basi leae , 1561, p. 31.
F1
2 . P LA TO N : Eplt. V II, 34 1 c, 34 4 b. (Cl . PASQUALI Le l iuere d i Pla tone
o r en c e, 1 9 38 , p. 83 s q q .) ,
3 . L . V A L LA E,De libero arbitrio, d . M . A n C os s i, F l or en c e,
193i,
p p. 5 1- 52 .
li l'homme et du r e l '. Mais Ia nouvelle culture l'emporta
c I( finitivement sur le monde classique dans le moment
JII me ou elle s'en dtacha pour le contempler du dehors -
t t ce Iut Ia Renaissance. Entre I'Antiquit et elle il y eut des
11 1 eles de mditation, pendant lesquels chaque terme fut dis-
cut, analys, puis. Un dsaccord re~onnu sans remde en~re
I roi et Ia raison ne pouvait que aire chouer Ia tentative
d'assimiler Ia scolastique Ia philosophie grecque son
upoge .
Dfaite galement que l'essai d'atteindre Ia sur-
li ture par une transfiguration, une intgration ou une restau-
ration de Ia nature. La Scolastique signifie plutt, en plus
d'une brusque rupture et d'une opposition, Ia critique intr~-
igeante, et toujours plus sre d'el~e-mme, de Ia concept~on
classique et, dans Ia mme demarche, Ia Iormulation
consciente, c'est--dire philosophique, d~s. c0 lcepts et du
mode de raisonnement propres au Christianisme. Comme
dans toute rvolte, Ia victoire devenait toujours plus assure
mesure qu'elle reprenait son compte et faisait siennes les
armes de l'adversaire, au risque mme, en descendant sur
son terrain et en usant de ses moyens, de se confondre avec
lui. C'est l'impression que donne, depuis Ia patristique, t~ute
11 1
pense mdivale, faite de re~ours ap~arents e~ de cuneux
mlanges : platonisme, stotesme, neo-platO?ISme, ~ver-
rhoisme. Mais si on se livre
un examen attenti, on VOlt Ies
ides
reprises, scrut~s, dis?utes ju~qu' puise~ent, mme
ai rsiste une concepton antique du reeI, ou du moms quelques-
uns de ses aspects. Ce n'est pas par hasard que survient si
souvent, presque titre prliminaire, ?e dba~ sur l 'individuel
t l'universel, Ia fois logique et mtaphysique, mais ~USSI
grammatical et juridique, esthtique et moral. Tel tait le
terrain du conflit entre I'ide de l'~tre qui est, ternel et
immuable et cet autre Dieu, trangement paradoxal, qui se
fit homme et mourut sur Ia croix. Quels que soient le biais
mprunt ou Ia question dbattue dans le monde mdival,
on en arrive toujours au mme problme, opposant, sous des
noms difTrents, les mmes positions. Tout aboutit en dfim-
tive au mystre de I'Incarnation, qui est le problme ~I?e
de Ia mdiation. C'est l {{e point le plus dbattu de Ia civili-
sation chrtienne, sur lequel se sont engags partioulirement
1 .
Cf . ce
s uje t I a p os it io n a dv er se v ig o ur eu se ll en t d Cen d~ e p ar L AB ~R -
THO NN IBREn c D i eu d 'A ri st ot e, D i eu d e ' ll co le , D eu des Ch rtlens
(Archwes
de pnilosophie
1933, p. 1 0) : c A r is to te , c o mm e l es p hi lc s op hes g re cs e n g , r ~,
c on sid er e le s h om m e s d u d eh or s, p ar r ap po rt a u m o n de pris d a ns s o n e x t ri or it
c om m e s ys t m e d e fo rm e s. E t e n p ro cla m an t q ue le m o nd e
c
e s t te rn el le m e nt c e
q u 'i e st i l e s s u bo r d on n e l 'o rd re d u m o nd e .
7/26/2019 GARIN, Eugenio. Moyen ge Et Renaissance
13/141
22
M oyen Age et
Renaissanee
La Crise de Ia pense mdicale
23
ceux qui ne peuvent pas ne pas se dire chrtiens - c'est dire
que cela concerne en fait toute Ia pense occidentale 1
.
Vieux dbat, mais dj significatif ds Ies premiers temps
alors que triomphait ce qu'il est d'usage d'appeIer Ie pIato~
nisme des Pres. Ainsi, si l'on fait appeI l'un des plus grands
Grgoire de Nysse, et pIus prcisment un des themes'
de caractre nettement platonicien, qui lui tiennent Ie pIus
cceur - ceIui de Ia catharsis,
travers Iaquelle l 'me retrouve
Dieu - on aperoit dans l'identit mme des termes une diff-
r~nce radicale, ~a cat~ro:sis platonicienne a une signification
bien ?fime : I me, divine par sa nature mme, ne peroit
pas I essence pure
cause du revtement corporel. Mais
qu'e~Ie. se lave de cette. f~ge, et
voil
que brille nouveau
Ia divine splendeur orlgm~lle. Chez Grgoire de Nysse on
t~ouve tou~es ,.Ies express~ons chres Ia tradition ploti-
menne. MaIS I'image de Dieu recouvrer c'est Ia vie divine
a~tei~dre, et Ia vie di~ne c'est le don de Ia grce qui amne
I umon avec Ie Christ : Christianus alter Christus tout
Chrtien est un autre Christ . Au rythme que prs;nte Ia
ncessit cycIique d'un retour inIuctabIe ce qui tait dj
donn naturellement, s'oppose Ie risque absoIu d'un libre
choix et l'invocation de Ia grce 8.
Ce .processus continu de dfinition de soi, que Ia pense
chrtienne en~r~~rend en partant de positions avec Iesquelles
elle semble initialement se. confondre, atteint son point
culminant, partir du xm
e
sc le ,
dans l 'histoire de l 'aristo-
tlisme et dans. l'attitude pri~e
I'gard des phiIosophes
arabes. Ces derniers ayant subtilement tir parti de l'hritage
tant aristotlien que platonicien, constiturent Ies ractifs
ncessaires Ia dcantation de Ia pense occidentaIe. A
cet gard Roger Bacon apparatt presque exempIaire dans ses
prises de position, avec son enthousiasme pour Ies Grecs Ies
Arabes et Ies Juifs, et pIus particulirement pour Avice~ne
qu'iI dcIare profondment chrtien pour avoir reconnu bie~
que sectateur de Mahomet, l'autorit suprme du P~ntife
romain qui dans Ies affaires temporelles et spi.ritu.elles a
plein pouvoir en tant q?e
De1U
humanus
1. Auss , vOlt?n Ie
fin connaisseur de Ia philosophie du Moyen Age qu est G~Ison
ne pas hsiter
Ie dfinir comme Ie reprsentant parfat de
l'avicennisme 2.
Or si nous ouvrons Ie livre
D e l' me
attribu
Gundisalino,
qui ~st sans doute un texte c.apitaI de l'avicenni~me latin,
au chapitre x
[
Des vertus qUI so~t Ie propre de 1ho~me
~
nous pouvons lire que po~r acqurir Ia vra~e sagesse, c es~~-
dire Ia batitude qui consiste dans Ia oonnaissance deIa dIVI-
nit iI suffit de refuser toute corporit, tout ce qui vient des
sen;, et de nous fermer
tout contact terrestre pour e~gafer
II dans Ie secret du cceur, un dialogue entre SOl et Dieu .
Et I'auteur insiste au reste sans rien d'original dans Ies termes,
sur l'exaltation d~ cette solitaire ascse vers Ia vision parfaite.
Bacon semble au contraire s'engager dans une direction toute
diffrente quand iI traite longuement d'un ~hme emprunt
Sneq ue -
qu'il admire fort : II II n'est nen de bon dans
l'agrment de possder [un bien spirituel] s'il n'est partag.s
I)
Par un renversement de valeurs, iI considere l'accs
.Ia
sagesse comme une ducation progressive du genre humam,
une conqute collective dans le temps o~ s'~pre Ia lente
dification de Ia science, dont chacun sera a me~e ~e go~te~
les fruits. II Viendra Ie temps ou Ies secrets d a~Jourd hui
apparaitront en pleine lumire, grce aux efforts assidus d'une
longue qute
5.
Bacon traduit le savoir en ter~e~ pratl~u~s :
il sert
se sauver et
sauver, non dans une VISlOnsolitaire,
t. E. DE NEGRI : I principi di Hegel, F1orence, 1949, p. 19.
2. Pour tout es ces rCrences Grgoire de Nysse, voir le livre de J. DANlt-
LOU: Plaumisme et thologie mystique, Paris, 1945,
J .
8. Sur Ia problmatique
comme caractre de notre action, A. TILGBER 8 ta it subti lement attach
retracer Ia dcouverte chrtienne devant le monde grec
(< ersonne humaine en trois ou quatre ralits
absolues. en SOl~t juxtaposss, sinon opposes, tout en refusant
t?u~e dIfTre.nCl~tlOn l'intrieur de chacune d'elles 1 li
SI I on exaI?me a pr~e~t sous le mme elairage les centro-
verses
subti les
des
Iog ic iens
et des physiciens du XIV
e
sicle
on bute sur Ia difficult d'expliquer le mouvement le devenir '
Ia qualit et de ~ort.ir du rgne de Ia quantit 2. ' ,
On a dit que I umvers d'Averrhos comme celui d'Occam
- .ces deux noms servant indiquer deux positions exem-
plaires - sont des univers sans posie. On peut peut-tre
~Ir~, ~our, paradoxal que cela paraisse, que dans les deux
cas
il s ag t d un umvers conu de faon cohrente d' o i l appa-
rait en fin ~e compte qu.e l'homme aussi bien que Dieu sont
absents. Mais Ia valeur Irremplaable de ces deux positions
- ,et ce n'est pa~ par hasard, rptons-Ie, qu'on a tabli Ia
rference Ia
r au on A ch il les
et Ia vrit de Dmocrite _
rside vrai dire dans le fait d'avoir amen leurs limites
l~s c~nsque~ces implicites d'un
a priori
mtaphysique, et
d ~volr donne form,e. .quelque chose qui n'tait pas en lui
pretant les caractristiques qu'on y voulait trouver. La
La C rise de la pense mdioale
dshumanisation intgrale du monde aristotlicien en arrivait
dmontrer Ia fonction essentielJe de Ia personne, qui est de
tendro so spiritualiser. Par contraste, Ia position de l'homme
comme personne active et sa valeur dans le monde ne sont
plus entrevues confusment, et ne s'appuient plus sur des
bases qui ne pouvaient qu'en fausser les caractristiques.
L'analyse mdivale avait
pui s
toutes les possibilits
incluses dans les prises de position
c las s iq ues ;
elle tait vrai-
ment arrive une limite, Mais entre son chant du cygne et
les premires manifestations des courants nouveaux qui se
faisaient jour, il ne faut pas oublier que dans ce XIV
e
s i c le si
complexe il y a Ia mme obsdante divergence - pour prendre
une comparaison de l'poque - qu'entre un corps au repos
et sa mise en mouvement, entre le dernier instant d'une mala-
die et le premier signe de sa gurison, entre l'ultime souffle
de vie et le premier instant de Ia mort : il s'agit d'un saut, d'une
transition brusque. C'est un passage de Ia vision de I'tre
ferm sur lui-mme Ia ralit de I'homme-pote, c'est--dire
crateur. A l'homme qui
n'a
pas contempler un ordre donn,
in ca rn er une essence pr tablie de toute ternit, mais qui a
devant lui des possibilits infinies, qui est virtualit sans
limites. Le monde, loin d'tre fig dans des formes fixes, est
mallable l'infini. Qu'importe s'il s'y produit quelque
Ilure, il n'est forme qui ne se transforme. Et parler de libert
propos de l'homme, c'est parler d'un tre dont le visage
n'est jamais dfini.
Dans une lettre de Ia fin du XIV
e
s c le,
Coluccio Salutati
s'adresse un c lebr e tenant de Ia logique dductive, de Ia
sophistique, de Ia physique des qu aes tiones de primo et u lt im o .
instanti - Pierre des Albons , de Mantoue, qui enseignait
l'Universit de Bologne. Ce n'est point l qu'il faut chercher
Ia vrit, lui dit-il, c'est avant tout Ia posie qu'il faut Ia
demander, Ia posie qui a prminence sur tout ce que nous
sommes mme de connaitre, et qui seule permet de parler
de Dieu 1 , Coluccio donnai t Ia posie une signification
fort tendue. Elle reprsentait pour lui l'activit humaine dans
sa plnitude, l'oouvre de l'homme dans son parfait acheve-
leis im 14 . J ahr hunde r t. Studien zur N aturphiloso phie de r Spatsch olas tik
Rom e , 1949 . N ous avons fait d e larges e mprun ts c e t o uv ra ge et nous y ren :
voy on s. Pour un e analy se et un e ex po s itio n des rsul ta ts att e in ts ju sq u' pr-
~en t,
c C
OlaC PET~RSEN. : Th e dev e lopm en t o f n atu ral ph iIo soph y 1250.1350.
10
Classica et Meiaeoalia 1953,
XIV,
pp . 87-155. ' ,
1. P our tout e c ette queston se repor te r au x conc lu s ion s sugg estiv e s de Da
LA GARD E
c C
g a lem en t c e q ue nous en avon s d it in Giornaie crit d filos iu
1950, XXIX,
pp .
96-103). .. . .,
2.. L-d es su s o ~ .c onsul te ra enc or e avec pr oflt P . DUREM:
tudes $ur Lonard
de Vmcl; ceux qu I/ a lua et ceux qu i l'ont lu, (v o l. I-IH, P ari s, 1906-1913) repris
p .ar K os tan ty n M IC IIALSKI t Anne l ies e MAIER.Sur le rapport de c e rtam e s q ues-
t ions avec Ia pr ob m at iqu e. de s a str oIo gu es , nous nous perm ett ons d e r envoyer
no tr e c om m ent a ra aux Disputaiiones d e P ie d e Ia M ira nd ole e t e n pa rtic ulie r
au v ol. 1 1 ( F Ioren ce , 1952).
1. Sur P ie rr e de Mant oue vo ir P . O . KR ISTELLER H um ani sm and scho la s -
tic ism in th e lt a li an Rena iss an ce ( in Byzantion, XVII, pp . 346-3741 ains i q ue
no s n ote s dans Ie Giornale critico della filosofia italiana, 1948, XXVI , pp . 202-
203 e t 389; cr. gaIem ent SALU TATI Epistolario (M. Nova t i , IIl, p. 318 sqq.) e t
D. P.
LOCK W OO D Ugo Benzi nediaeoai philosopher and physician, 1378-1439
(C hic ag o , 1951, p. 151). N ous av on s pr is Ia lib ert d 'utili se r ce rta in es de nos cons -
d ration s publ ies dans Lo Spetuuore italian0J..1950, l l I , pp . 84-86 et n ous ren -
v oy ons au x p ,e rt inen tes rem arq ues de
V.
do Capr ari is sur
l'tude
do R. W eis s
po rt an t sur I h um ani sm e d u X IV s ic le (R . W EISS : II primo secolodell'umansmo;
studi e testi, Rom e, 1949).
33
7/26/2019 GARIN, Eugenio. Moyen ge Et Renaissance
19/141
34
M oyen A ge et R enaissance
ment; de mme qu' ses yeux taient posie Ia cration divine
et les critures. Quoi qu'il en soit, ce fut dans Ie sens de cette
c0J?cep.tion de I~ ~osie d'~ne part, de Ia magie de I'autre -
qUI unit Ie savoir a une action sur Ies choses - que se dessina
un nouveau courant de pense prt cIbrer de toutes Ies
m~nieres non pIus Ie solitaire en contemplation mais I'homme
qUI, sans cesse expos aux pIus hauts prils, transforme Ie
monde et
l u i -mme .
Ainsi Ia nouveIle phiIosophie, quand eIle
se fut vraiment constitue, prit appui sur une science et une
phiIoIogie entierement renouveles.
Lorsqu'on considere ce point essentieI pour I'histoire de
notre civilisation, il importe de se garder de deux erreurs
possibles. D'abord il ne faut pas ngliger I'ampleur de ce
b0 ld en avant; car il constitue une vritable rupture que ne
doivent pas cacher Ies analogies certes indniabIes entre Ies
motifs d'inspiration, de mme que Ies pressentiments et Ies
pr~sages qu'il est trop facile de dcouvrir ou de deviner, une
fOIS que cette pense nouveIle - dont ils constituent Ies
signes avant-coureurs - se fut panouie. C'est l I'erreur que
commettent souvent certains tenants de Ia continuit entre
Ie Moyen Age et Ies Temps Modernes.
L~ se~on~e mprise, qui du reste rejoint Ia premire,
consete a situer I apport essentiel de Ia Renaissance sur Ie
seul plan des lettres et des arts. Ce mouvement nouveau se
serait exerc dans ce domaine sans avoir d'influence, sinon
de faon minime et tout fait indirecte, sur l'histoire de Ia
phil~sophie et de Ia pense scientifique, lesqueIles auraient
contmu se dvelopper sans changements sensibles suivant
Ieu.r mouyement propre. Et I'on. ne s'aperoit pas que Ia
philosophe dont on parIe parfois, celle d'un Nifo, d'un
Zimara, d'un Boccaferro, d'un Pendasio, d'un Montecatini,
d'un Gianini, d'un Liceti, souleva peut-tre un concert
oiseux de bavardages acadmiques entre Padoue et Bologne,
mais souvent n'arriva mme pas jusqu'aux tudiants, toujours
trop dociles, qui dserterent Ies saIles de cours et firent ren-
voyer quelques-uns de ces clebres maitres.
~runo, CampaneIla, et plus tard Vico; Bacon et Descartes,
pUIS Hume et Rousseau, suivirent une tout autre voie, agite-
rent des problemes fort difTrents, et se recommandrent de
maitres trs diverso Mais tous taient les fils spirituels
mme s'ils en furent parfois oublieux, de cette nouvell~
orientation humaniste issue d'un courant de pense dj bien
vivant Ia fin du XIV
e
secle.
Partant de l, il n'est peut-tre pas tout fait exact, au
moins dans I'expression, d'appeler philosophie Ia prose de
La C rise de Ia pense mdivale
35
Gentile, d'une loquence remarquable dans sa description de
I'Rumanisme. De mme n'est-iI peut-tre pas fond d'appeler
de ce nom cette inconsciente philosophie de non-spcialistes
qui fut ceIle des humanistes - poetes, crivains, juristes,
politiques et mme prdicateurs ~t pro~hetes ~ et qUI
s 'opposait tout en Ia ruinant Ia philosophie des philosophes.
C'est peu de chose en soi, philosophiquement p~lant, que l~
Iogique de ~alla, l'thI~e de ~alutatl,' de .Bruru,. d,e Mll?ettl,ou Ia rhtorique de Politien. SI cela n avait pas ete vraiment
de Ia philosophie, mais seulement d~ . Ia rh~o~ique, de. Ia
posie, de Ia littrature ou de l'homehe, I~ vritable philo-
sophie n'aurait pas t branle par des invectives e.t des
railleries qui avaient dbut bien avant les
= :
et x~e sle~les.
En fait c'est bien un renouveau de Ia philosophie qUI se
dessinait I 'et prenait son essor, s'appuy~nt su~ ~ne ~ppr?h~n-
sion indite de Ia ralit
conue s ub spe ci e
hominis, c est-a-dire
en termes de libert, de volont et d'action. On abandonnait
l'ide d'un monde statique, dfini dans tous ses rouages,
l'ide d'une histoire prvisible et subie, pour une conception
dynamique du rel, avec ses possibilits quasi miraculeuses
de transformation et les risques, en mme temps que Ia gran-
deur, que cela implique.
A l'image de l'tre humain, Ies astres, le monde entier
devenaient des entits vivantes :
Scrissero le genti a te senso e ciia neganda .
T em plo i o se i, sta tu a e o en era bile oolio .
On discourait de toi, te dniant sensibilit et vie .
Tu es temple vivant, statue et visage vnrable .
Dieu l u i -mme est comme un tre vivant, il est volont
agissante. L'oouvre magique se manifeste en tous lieu~, .et
jusque dans ses structures profondes tout en elle est activit
constructive et consciente :
m a p ro du ce ss e b ia de I a c am pa gn a,
s'a lza sse a lla m on ta gn a il fu mm o e l'o nd a
a rte p ro fo nd a d i d op pi
alambicchi.
mais Ies charnps mrissent Ie bl,
Ia brume et l'onde s'levent jusqu'aux monts
art profond de doubles alambics.
11est significatif qu' l'poque de Descartes Irre Thomas
CampaneIla, dominicain et rformateur, al.t donn ?ette
vision, dans des recueils de vers et des traits de
mag ie ,
Ia
caution et l'autorit de sa plume.
7/26/2019 GARIN, Eugenio. Moyen ge Et Renaissance
20/141
App end ice I
37
APPENDICE I
revt en outre un intrt singulier par ses rIrences l'exp-
rience de mdecin que possdait l'auteur. II y parle de Ia
prophtie l'tat de veille et de Ia divination par Ies songes,
d'incan tatio et de [ascinatio, et il cherche Ies causes naturelles
de ces phnomnes. II en donne Ia dflnition; quant leur
efficacit, un bon mdecin ne saurait Ia mettre en doute.
A ce propos, il n'est peut-tre pas inutile de faire un rappro-
chement avec ce que dit Antonio Benivieni, mdecin d'une
tout autre notorit, sur les gurisons miraculeuses dans le
D e
abditis
nonnu llis ac mirandis morbo rum et sanationum
ca usis
(
de quelques causes caches et merveilleuses des
maladies et de leur gurison }, publi Florence en 1507
par son Irre Jrme. Voici, choisies parmi d'autres, deux gu-
risons opres par le compagnon de Savonarole, frre Domi-
nique de Pescia. Dans le premier cas le patient est un person-
nage connu dans I'histoire de Ia culture : Robert Salviati,
souITrant d'un genou. Frre Dominique se met en prire avec
le malade, Iait un signe de croix sur le genou dcouvert
en disant :
Qu'il te soit fait selon ma foi )),et le mal disparait
aussi tt. Dans le second cas le processus est analogue, une
prire et un signe de croix entrainent Ia gurison. II y a lieu
galement de se rappeler Ia valeur attribue Ia Croix dans
Ies pratiques de magie et d'astrologie en gnral. C'est ce que
dveIoppe MarsiIe Ficin dans son
D e ci ta
(ch. 1Il, 18 et 20),
qu'il crivit en tant que mdecin et dans lequeI il traite de
I'inluence des astres sur Ies aITections corporelles et sur
l'esprit du maIade. Les textes mdicaux se fondent tous sur
l'ide que Ia conjonction entre l'esprit et Ie corps entraine des
modifications corporelIes (c. Physiognomica, chap. I, Aris to-
telis O pera ,
Lugduni, 1580, nr, p. 439, ainsi que Ie
D e natura -
lium etJ ec tuu m admirandoru m causis, BasiIae, 1567, pp. 52-53,
rdig en 1520 par Pomponazzi
Ia demande d'un mdecin).
On voit que ce sont l des tentatives pour expIiquer par des
causes naturelles des phnomenes tonnants tenus pour
miracuIeux.
Quoi qu'iI en soit, pour revenir l'avicennisme de Cattani,
c'est probablement l un des exemples les plus caractris-
tiques de I'influence exerce par Avicenne philosophe sur Ia
culture florentine. MarsiIe Ficin le cite Ionguement, Pie de Ia
MirandoIe aus i, bien que dans une moindre mesure. Sur Ia
foi d'une assertion douteuse de C. MoreIli, M. Heitzman parIe
d'une association pour l'tude d'Avicenne dont Ficin aurait
t
Ie promoteur (cf. Heitzman : L'agostinismo avicenniz-
zante e il punto di partenza deIla filosofia di M. Ficino
,
in
Giornale critic o della fit os . i ta l. ,
1936, XVII, p. .). Mais il
Dans un, texte, d.es premires annes du
XVle
sicle, auquel il
sembIe qu on n at pas. accord l'attention qu'il mrite, se
trouve un document mtressant concernant Avicenne et
l'tude don~ il tait yo~jet.
Florence. II s'agit de l 'ouvrage
d'un mdecin, sans indication de dato ni d'diteur, mais qui
parut probablemsnt vers 1504 (Iadernire dition du catalogue
du British Musoum mentionne 1505). La page de garde porte
seulement le nom de l'auteur et le titre :
ANDREAE CAT-
T ~ ~ li 1Mo L EN SI S - Opus de intellectu et de causis m ira-
bilium etJ ectuum.
La lettre de ddicace est adresse
ad
Petru ,: Soderin um . urb is . Fl oren tin ae p erpetuum e xillijeru m
( < pCX~LOV
rreov, o() -r e: - rte; { ) L 'I e: a 7 tc .> - rw v
j 3 E :
7tO(1)'l5 ' cure 7 to -r e: U (l.V1)ae:L
~cx-r' o#cxv1 C'est un hymne
ce monde idal qu~ voulure~t
ds lors chanter les potes, car Ia lumire du Ssigneur tait
descendue sur cux :
Ad l'enit oerita s, um bra p raeteriii,
p os t n oc tem cla rita s diei subiit, .
a d o rt um nuilont superni lumtntS
l eg is m y steria p lena caliginis
IJe lamen exu un t fig ur ae myst tCae ...
La vrit clato,l'ombre se ?issipe,
Ia nuit succedeIa clart du
jour,
dans Ia lurnirequi vient du ciel .
brillent les rnystres obsoursde I~loi, .
les allgoriesmystiques se dpouillentde leurs vo l es . ..
Et le jardin ternel d'Alain de Lille est aussi loign de
notre temps et de notre espace, de notre cielet de nos nuages,
1 . Phre, 247
C.
(cf.
PLOTIN :
Ennae, 5, 8
=
r. Ci lento, l I, 71).
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28/141
M oy en Age et R enaissance
de I'amour et de Ia mort l' .
Platon. L, tout n'est qU'ha
que
~st le ciel des
Id es
cher
vive, mais toute participati;:~llJe ~e reses, de chants, d'eau
umame en est bannie.
N on ib i nascetui s expira t
gratia
fl oris
nascendo monens ' ne .
oespere
languet a~us
~ ~ d
~l ~n ros a mane
puella
ga .ud ens, aetern i iu v; nescit m ::n ;~ ':tee;:.odem
I?l, Ia fleur.n'expire pas
peine ne
m Ia rose, [ouvencelle au matin
ne se fane, dfaite le si .
elIe jouit des dons' d'u~ ~t~~nneuI'~ltstoujours pareille
prm emps.
Prennit dos roses ternel .
du jardin ternel )) de P liti prmtempsl Si loin pourtant
I~rmo~ tendent des
pi gos
s~~sl~n, pre~que identique, ou les
diversit des roses; fleur tt ' I e sounre d.es fleurs, parmi Ia
bref
c lat,
mais bientt ec ose, elle brille prsent d'un
langu~da cade e il bel pra tel lo
infiora.
languissante elle tombe et fleurit Ia belIe prairie.
Le jardin ternel de Politie ' .
Une vision nouvelle une n es~ dsormais autre chose
et Ia mort ne se li~ent perspectl'v:
e
difTrente, ou Ia vi~
pote antique, mais se r~~~g: trd
ble
due~ chant par le
douleurs et dea joies que no en .ans le. J.eu altern des
et Ia mort, mles dans une y s conl -a~ssons.e i- bas , ou Ia vie
dune.le signe de son contrair~a~~m;e t~gIque, portent cha-
e VIe d'o Ia mort est absenie u oppos.~ de ce jardin
royaume de Ia morto ' le po te m di v al voyait le
52
Ifrgo spirans flos ex pira
Upallorem dum delirat
or ien o moriens, '
simul
ve tu s et
novella,
simul se nex et pu ella
ros a maree t oriens. '
Ainsi, vivante, Ia fleur expire
et s~ fane en ternissant
rnoribonde siLt
ne: '
cn m~me temps vieiile et nouvelle
en rneme temps aieule et fille '
Ia rose, en naissant, est flLri~.
Ces deux mondes, celui des
f .
sables; ces deux visions et ces Jrmeshet celui des choses
pris-
eux c ants tendent s'exclure
posie et ph il osoph ie du M oyen Age latin
53
l'un l'autre, se rfrant chacun son propre absolu. 11convient
de ruir le royaume de mort, et de le regarder de haut, avec
I'me victorieuse du martyr.
. . . tram ite ca nd ido
miratur orb em
sub
pedibll
S
situm ,
spectat tenebras
arua
su bditas,
rid et, so li s q l lo d ro ta circuit,
quod mundus omnis volvit et implicat,
rerum quo d atro turb ine vivitur ,
qu od van a s aec lum mobilitas rapit.
. .. pur, d'un Rentier
l'carL,
il contemple le monde ses pieds
eLles tnebres qui s'tendent sous les hauteurs,
il riL de voir Ia roue du soleil,
le monde entier tourner avec elle,
le noir tourbillon des choses,
Ia vaine agitaLion qui emporte le sicle.
Le sourire d'Agns - jeune fiBe qui, chappe au ~artyre,
regarde, sereine, le mouvemont dos sphres tel un
jeu
mer-veilleux _ est le signe de cette vision profonde, dlivrante,
des formes pures de l'tre, l'~tre vers qui tend l'exprience
suprme de l'homme : c'est ici le lieu de Ia posie david.ique
dont parle Sedulius, celui de Ia foi qui va au-del de Ia raISO
n
,
eelui des chants psalmodis par Pierre Damien de Ravenn~.
Et cette vision s'oppose l'autre, ceBe des sens; cette posIe
dtache de toute considration terrestre difTere en tout du
Iyrisme mondain ))et profane, si charnel. Ce sont les anciens
dieux face au vrai Dieu- Dieux paens, diabolique mythoIogie
paienne. Cette tension qui court
travers tout le Moyen Age
et cartele l'homme entre le divin et le satanique se retrouve
dans Ia vision du poete. Les Muses n'ont pIus.l
a
significa~ion
humaine que leur attribue Cicron :
humant tas et doc tnna.
Il s'y ajoute une dimension nouveBe, qui s'exerce vers le haut
ou vers le bas, selon qu'on est possd par Dieu ou par Satan.
D'un ct s'leve dans le ravissement le chant de l'me qui se
fait demeure du Christ :
Q uis est hic
qu i pulsat ad os tium
noclis r llm pens so mnium
me vocal? 'O
vi rginum pulcherr ima,
soror, co nill nx,
gemma spendidiss ima,
c ito s urge ns
ap er i, d u lc is s ima . '
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29/141
54
M oyen Age et Henaissance
Qui.est-ce
qui frappe
Ia porte,
m'arrachant aux rves nocturnes
et m'appelle? 'O
Ia plus belle des vierges,
soeur, pouse,
gemme tincelante,
je me leve sans retard,
ouvre, bien-aime.'
De l'autre retentit Ie chant rude de
l'Archipote
de CoIogne :
F ac tu s d e m ate ria le cis e le me nti
folio sum sim ilis, de quo ludunt v en ...
m eum est propositum in tab erna m ori,
ut sint v ina proxim a m orientis ori.
Fait de matiere lgere,
je suis pareil Ia feuille dont se jouent Ies venta ...
j 'ai l 'intention de mourir au cabaret,
pour que les vins soient plus pres de ma bouche de moribond
11.
Mac Keon observe pertinemment, dana l'essai dj cit,
que
Ia posie mdivaIe, comme toute grande posie, peut
tre juge en partant de critres autres que ceux qui furent
son origine
,
Mais il est certain qu'elle demeure Iie un mode
de pense, un monde et un temps qu'elle traduit admira-
bIement, et auxquels ne s'appliqueraient pas sans dommage
des critres extrinsques. Et comme l'a observ Gilson,
c'est courir Ie risque de passer ct des plus hautes formes
de Ia posie du Moyen Age que Ia chercher seulement I ou
ne rside aucune
ide II philosophique ou thoIogique, ou
que I'isoIer de sa fonction de rvlation. II ne faut pas oubIier
que Ia grande polmique sur Ia posie qui vit le jour au temps
de Boccace et se continua au xv
e
sicle fut Iie
celle reIative
aux
dieux des Gentils
,
Ainsi que le vit Giovanni Dominici,
ce fut un conflit non pas entre Ia posie et Ia thologie, mais
entre deux sortes de thologie. II s'agissait d'une conception
de Ia vie qui s'exprimait dans un chant, en face d'une autre
conception et d'un autre chant : Ia
Comdie
de Dante d'un
ct, les
Sonnets
de Ptrarque de l'autre. Ou si l'on veut, sur
i. VI CCRI : Poesia latina medie9ale, pp. 137 et 274-275. Raby tabl it un paral -
l le sai sis sant ent re l 'image qu 'Alain de LiI le donne du jardin ternel et Ia
description en vers qu'en Cai tun contemporain anonyme, qui si tue dans un pay-
sage nocturne Ia demeure secrte et b ien garde de Ia Nature , v ierge et inv iofable
(HABY,
op. cito H, pp.
22-23).
On pourrai t en dire autant du pome phiJosophique
de B. Silvestre, o alternent Ies thmes pIatoniciens et Ies traits d 'une sensuaJit
affirme (cf.l 'di tion Barach, Innsbruck, 1876, p. 69).
Posie
e t philosophie
du
M oyen Age
lan 55
Ie mode mineur, on trouve d'un ct Ia certitude sereine de
Hildebert:
m e re ce pte t S io n illa
u rb s c oe le st is , u rb s b ea ta ,
que m'accueille Sion,
cette ville cleste, cette ville heureuse,
tandis que l'humaniste note sur ses tablettes, en l'honneur
de Ia dame morte:
S i p en sa re a nim as
s in er en t c redu la f at a,
e t p osse t re dim i m orte
a li en a s al us ,
q ua nt ula cu nq ue m ea e.
d ebent ur t empora vuae
pensassem pro te, cara,
. .. l ib ens .
Si Ie destin, dans sa bienveillance,
permettait d'acheter les mes,
et s' il tait possible de racheter Ia mort
une autre existence,
Pour minime que soit
le temps de vie qui m'est accord,
[e t'en ferais don, bien-aime,
... avec joie.
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30/141
111
La mythologie antique
Les ditions, qui se succderent rapidement, de Ia
Gna-
logie des Dieux
de Boccace, de
l'Hercule
de SaIutati et des
Hymnes naturels
de MarulIe, posent de nouveau et sans qui-
voque, un problms au~ueI I'essai, du reste ~xceIIent, que
Jean Seznec consacra, a
La sur~w~nce des dieux antiques
(1~40) ne ~onne peut-etre .pas une reponse tout fait satis-
Iaisants. D autre part Ies hvres rcents d~Augustin Renaudet
et Y,von~e ~a~ard insistent, propos de Dante, sur Ies mythes
de I AntlqUlte et sur Ia pIace faite aux dieux des GentiIs.
Renaudet, parIant avec Ioquence de Dante humaniste
et. de Ia recon~cration des mythes cIassiques, en vient li-
mmer toute divergenea de. fond entre Ies conceptions mdi-
vales. et celIes de Ia RenaIssance. Et Nancy Lenkeith, dans
son l ivre sur
Dante and lhe Legend o] Rome
dcIare avo ir
vouIu ~ontrer. sans quivoque l'humanisme' de Dante ... _
humansms pns dans le sens de gIorification de Ia cultura
antiqus et de I.'~ritage cIassique
1.
. B. Croce, crtquant Ie livre de Seznec en 1946 voit fort
Justemen~ dans une proccupation ,d~ c.egenre Ia r~ison pour
lague~Ie I ~ude de ces questiona ~
t
SImal conduite. Seznec
IUl-meme. s est en ~fTet preoccupe. surtout de dmontrer que,
comparatlvement a Ia mythologa patenno, il n'y a aucun
1 . G . BOCCACIO : Cenealogia deorum gentilium libri, pu bli par V . ROMAN O
2.vo l. B ar , 1951 ; C . SALUTA TI : De laboribus Herculis 2 vo l. d. B . L . V I/m an '
ZurlCh, .19 51 ; M . MARULLO : Carmina, d . P e ro s a, Zri c h , 195 1 ; J. S EZ N EC ;
f : > Surwa~ee
des dieux
anllques, Lon~res , 19 '.0 : A. H EN A U D ET :
Dante hurnaniste
arrs,
.1952 , .Y. BATA RO :
Dante, Mtnere et Apollon. Les imagas de Ia Dicine
CO m '. ,e,
P ari s, 1952 ;
N.
LEI ' KE ITI I
:
D an le and lh e Leg end o t Ro rn e
Lond res
195 2
(10
Med,aea/ and Renaissanee Studies, s upp l. 11 1 ) .
La mythologie antique
57
changement essentieI entre Ies positions du Moyen Age et Ies
thmes de Ia Renaissance 1.
Les dieux ne ressuscitent pas, parce qu'iIs n'ont jamais
disparu de Ia mmoire et de I'imagination des homm~s. )) .
Que Ies dieux de Ia Gr c e et. de Rom~ ne fussent Jam.als
morts c'tait une chose admise depuis Iongte~ps, bien
avant ' mme que J. Huizinga crive se~ o?ServatlOI s JUdl-
cieuses sur Ia prsence constante dans Ia htterature medIe.vale
d'expressions rendant un son paen.
Quand les. humanistes
appel lent Dieu
princeps
su peram. ou M~rIe
genurux
ton~ns,
iIs ne disent rien d'original. L'usage d'apphquer, d'une manire
tout extrieure, aux personnes de foi chrtie.nne de~ appella-
tions de Ia mythoIogie paenne est trs ancien, et 11signifie
fort peu sur Ie pIan du sentiment rel gieux
2. ))
Les exemple~
rapports par Huizinga. - L'Ar.chIpoet~ de Cologne. qUI
appelle Dieu Ie Pre Jupiter, et Vlllon qUI appelI~ I~ Vle~ge
haulte desse ))- ne sont peut-tre pas Ies plus signiflcatifs,
tant donn Ie temprament particulier ~es deux. ~oetes.
II nous vient I'esprit Ie Jupiter souveraII~.... crucifi pour
nous sur terre
I),
qui Renaudet et Lenkeith consacrre~t
de nombreuses pages dans Ieurs ouvrag.os., Une gra~de part ie
du paganisme qui se fait jo~: dans ~a htteratu~e. meme de Ia
Renaissance ne mrite pas d etre .prIS plu.s .au serlell;x.que ~~s
expressions )), concluait juste titre Huizinga. Ma~s Ie yer~-
table problme n'est pas dans ces flgures ~e ~tyIe qUIne sigru-
fient rien par elles-mmes. Salutati, qUI crivit Ie
De Hercule
pour dfendre Ia posie classique et ses mythes contre Ia
condamnation des intransigeants, s'lve au dbut .du
De fato
contre I'impit des formules. pa'ienn~s. La queston est, de
savoir si I'attitude envers Ies dieux antiques est reste Ia m~me
ou si Ia faon de considrer Ies croyances paennes a radica-
Iement chang.
Dj Huizinga trouvait dans Ia Renaissance u?e nouveaut~ :
L'infiltration d'un esprit nouveau, une certame reconnm~-
sance de Ia valeur de Ia foi patenne et spcialement du sacn-
fice paen.
Seznec, maIgr ses asserti~?s, ?ut admettre
une chose encore plus importante lorsqu il declara qu~ Ies
expressions traditionnelles relatives I~ mor~ )) de,s ~Ieux
Ia fin du monde antique, et l~ur . rsurrecton )).a I a~be
de Ia Renaissance italienne, se justifient par Ie mt qu au
Moyen Age (( seul survivait le contenu de ces locutions
I).
Les
1. B . CR OCE : Gli D e i ant ichi lell a tr a~ izi one m it o lo~ ica de r ~edi o Evo e dei
Ri nas c im ent o ',in
Variel
di
SIOrL a
leueraria e cioile, S ri e Il B ari , 194 9 , pp . 50 -
6 5 (publi d 'abo rd dan s
La parola dei passeio,
194 .6 ,
III,
pp . 273-285 ) .
2 .
J.
HUIZINCA :
Le Dclin du Moyen Age.
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58
Moyen Age et Renaissance
anci.en~ dieux {(~ervaient de vhicule des ides si profondes
et Si vrvaces qu eIles ne pouvaient prir ... Le revtement Ia
forme cla~s~que avai~nt. disparu. EIles s'en taient dpouiIles
pour revtir des degmsements barbares qui les rendaient
mconnaissahles )). Ce qui revient dire que le Moyen Age
continua ressentir des mouvements et des impulsions uni-
,:~rs~Ilement ~un;tains, les mmes qui, dans Ie monde antique,
s taient exprimes sous des formes compltement difIrentes.
Ce sont prcisment ces formes que Ia Renaissance voulut
restaurer. La citation que Seznec fait des vers clebres de
Hildebert de Lavardin sur les ruines de Rome est significa-
tive
1:
Hic superum formas superi mirantur et ipsi
et cupiunt fictis oultibus essepares.
Non potuit natura deoshoc ore creare
quo miranda deum signa creaoit homo.
Vultus adest his numinibus potiusque coluntur
artificium.
studio quam deitate sua.
Ici les dieux eux-mmes admirent les formes des dieux
et dsirent s'galer leur apparence fictive.
La nature fut impuissante
leur prter l'aspect
que l'homme sut donner
leurs statues sublimes.
Un visage reste
ces dieux, et Ia vnration qui les entoure
va bien plutt au gnie des artistes qu ' leur divinit mme.
Peut-tre aussi y a-t-il dans ces vers autre chose que ce
qu'y trouve Seznec, et avant tout une opposition entre
I~s.{ (formes )).reprsentes et les {(dieux )) - contraste que
I historien croit un peu htivement rsolu dans Ia synthse
pacifique de Ia Renaissance : Celle-ci apparait non pas
c?mme une crise soudaine, mais comme Ia fin d'un long
divorce; non comme une rsurrection, mais comme une
synthse. ))A vrai dire, et pour rester dans le domaine des
suggestons inspir?es par le texte d'Hildebert, on apprcie
au contrare et I on commente durant Ia Renaissance les
textes hermtiques ou l'on parle de l'homme artisan )),qui
modele des statues vivantes de divinits
[
l'humanit se
reprsente les dieux sa ressemblance... des statues animes
et sensibles, et habites par I'esprit 2
].
Et tandis que dans
l'empyre les dieux n'envient plus les marbres briss et Ia
beaut perdue, les hommes, tout en prouvant devant les
ruines un sentiment de tristesse, crent une beaut neuve
1. 8EZNEC,
op. cit., p.
181.
2. Asclepus s in Corpus Hermeticum. (d. A.-D. Nock, Paris, 19~5), lI, p. 326.
La mythologie antique
59
non indigne de l'antique. Ces vers clebres, si pleins d'admi-
ration pour Ia
forme classique, indiquent I'attitude tout
fait difIrente de l'Humanisme authentique vis--vis des
spculations pneumatologiques. II n'y a d'ailleurs nuIle qui-
voque possible dans Ia signification de cette lgie souvent
cite et compare aux textes des humanistes : elIe exprime
un contraste entre Ia Rome paienne et Ia Rome chrtienne,
dans IequeI il n'y a plus une tentative de rachat des numina
(Jana
et des
arae supers t it iosae,
des dieux vains et des auteIs
de Ia superstition, mais une antithse marque entre Ies corps
et Ies mes, entre Ie pouvoir profane et le domaine spirituel.
Et tout Ie pome, qui est trs beau, se termine sur ces vers :
Quis gladio Caesar, quis sollicitudine consul,
quis rhetor lingua, quae mea castra manu
tanta dederemihi? Studiis et legibus horum
obtinui terras; crux dedit una polum.
Quel Csar par son glaive, quel consul par sa faveur,
quel rhteur par son loquence, quelle ceuvre de mes mains
me donnerenf de si grands biens? Par leurs scins et leurs lois
j'ai gagn Ia terre; Ia croix seule m'a ouvert le ciel,
Ce n'est pas l une conclusion d'humaniste. Le ton dilre
de celui qu'on trouve en maintes pages, parfois trs beIles,
que Ie xv
e
sicle a crites sur Ies ruines. Pie 11 n'oppose pas
aux lits de pourpre des reines antiques et aux palais des consuls
Ies triomphes de I'glise et Ies clestes sjours, mais Ies murs
croulants et Ies rats qui se multiplient cause de l 'incurie
de moines frustes. Et s'il y a chez lui, comme chez Ie Pogge,
Ia mlancolie du temps qui passe, il y a aussi Ia volont ferme
d'difier des temples neufs rivalisant avec ceux de l'Antiquit.
11 s'agit donc non d'une renonciation rsigne aux choses
terrestres mais d'une conqute de Ia terre.
C'est
l
une inspiration difIrente non seulement de ceIle
d'Hildebert mais aussi de ceIle de Dante, qu'Augustin Renau-
det a comment avec une telIe passion. II faut y voir Ia raison
de l'immixtion de Ia thologie des Gentils et de leurs dieux
dans Ia rdemption progressive du genre humain accomplie
par Ie Christ. Dante ne croit pas qu'entre l'antiquit hro-
que des temps grco-romains et les gnrations illumines et
rachetes par le Christ s'ouvre un abime; et qu'une brusque
et tragique rupture spare Ia fin du monde antique et Ia nais-
sance du monde moderne. L'humanisme de Dante ... ne peut
ni ne veut renoncer au principe de Ia continuit de l'esprit
humain dans son effort vers Ia vrit. C'est pour cela que les
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60 M oyen Age et Renaissance
dieux du panthon grco-romain tiennent dans le
po m e
sacr
une si vaste place. C'est pour cela que Dante reconnait Ia
grandeur du Jupite,r antique. C'est pour cela que le
po m e
sa c r Invoque aI debut de .chacun de ses trois cantiques, et
Jusql e sur I.es~UlI,du Paradis, l'Apollon hellnique .
S?lt, mais 1 1 n en demeure pas moins que dans Ies vers
d'HIldebert voqus par Seznec Ies dieux de Ia
Gr c e
et
de Horne sont morts parce que le Christ a triomph. Et dans
Ia -ylslOn de Dante ~e ~ous ofTre Renaudet, Ia thologie
antique est une te~~atIVe insufflsants faite par l'intelligence
humaina . .pour saisir les Iois de Ia stabilit cleste et de Ia
justice divina . Or, l mme ou les positions semblent ana-
Iogues, l'attitude de Ia Renaissance est difTrente. On tudie
Ies
ruines ))pour les comprendre et Ies imiter et ainsi que nous
Ia rappelle Vasari, Brunellesco et Donatello v~nt Ies contem-
pler,. dans Rome et au-dehors, s'astreignant mesurer Ies
cormches .et relevar Ie plan des difices , On peut considrer
Ia th o log ie antiqus comme un,.mythe potique et en] apprcier
Ia parfaite beaut , et on peut I nt e rp r te r comme une ((science
sec r te
,
capable d'une vision totale de
l ' tr e
mme si elIe
'd ' hens ,
n.el onne .qu une ap'pr ension partielIe, de sorte que Ia
VISlOnhumame est toujours unilatrale. ((Si l'on regarde avec
les. yeux du corps tra.vers un verre rouge, tout ce qu'on
~Olt seI?b e roug~j de meme ave c Ias yeux de l'esprit, soumis
a ?es limites e~ influenes par Ies passions, tu apparais to i-
meme, qUI es I.objet de ton propre jugement, conforme Ia
nature de,ces limites et de ces. passions, car I'homme ne peut
porter ,.qu un Juge~ent humain. II en est de mme pour Ie
lion, s il te donnait un visage, ce serait sa ressemblance
de mme Ie bceuf, de mme I'aigla, O Dieu, queI merveilleu~
visage que Ie tien I Pour s'en faire une ide Ie jeune homme se
le reprs~n.te jeune ; pour l'homme, iI a un visage mle; et
pour Ie vieillard, une t te vnrable
1. ))
C'est finalement cela
I'humanisme : ?'est l'accent mis sur Ia capacit de comprhen-
sron, de sensaton et de reprsentation inhrente Ia nature
humaine. C'est une recherche devenue objet de mditation
~~ regard tourfol vers l'~omme. qui invoque et non ver~
I insaisissable .0bJet de son mvocation. C'est chaque invocation
rachets, r~dlme. sous toutes ses formes par Ia sincrit
humame qUI est IDIse en elle, de l'antique accusation de faus-
L a m yth ologie a ntiq ue 6
set et de mensonge. Ainsi, non seulement les dieux faux et
menteurs reoivent une nouvelle conscration, mais les
((mythes ))deviennent, outre l'expression d'un idal recon-
qurir jusqu'au bout, un problme de comprhension humaine
et d'apprciation historique 1.
2
Pour reprendre l'image de Seznec, l'intrt dominant de
l'interprtation nouvelle des mythes antiques l'poque de Ia
Renaissance rside - avant mme leur utilisation dans l' c o-
nomie du christianisme et avant toute ex g es e physique ou
morale - dans Ia ((restauration
d'une (( forme
,
dans Ia
dcouverte et Ia dfense d'une valeur (( potique
,
Ce n'est
pas sans raison que Ia grande polmique autour de Ia posie
classique est indissolublement lie Ia polmique relative aux
dieux du paganisme. C'est sur une dfense de Ia posie que
se termine Ia Gnalogie de Boccace et que s'ouvre I'Hercule
de Salutati, et dans Ia
Lucu la noc ti s
Dominici prend les armes
contre Ia posie classique parce qu'il s'y mle une thologie
impie 2. Dj Mussato et
frre
Giovannino de Mantoue avaient
de Ia o n fort nette dclar Ia mme chose : Ia posie ne vient
pas de Dieu, elle est une invention humaine, et ses mythes
ne concordent pas avec les critures mais avec Ia thologie
paienne. Qui dit thologie dit posie, et une seule reste possible,
Ia posie cbrtienne. Dans les deux cas le point de dpart
est le mme : comme l'a observ Vinay propos de Ia pol-
mique ouverte par Mussato, ((Ia posie est une forme de
r v-
lation ... elIe exprime non Ia science qui se fait, qui parcourt
l'chelle des concepts, mais Ia science ternelIe que tout
homme porte cache au trfonds de lui-mme , Ou bien,
pour employer l'expression de
Boc e,
le poete (( se souvient
1. Cesont les paroles de Nieolas de Cusa,
De visione Dei,
VI,
ct
et eomment
par Cassirer :
Indioidun e cosmo nella filosofia dei Rinascimento
trad. ital Flo-
ren e, 1935, pp. 85-89. ' .,
1. Mais Ia eomprhension de Ia nouveaut que reprsentent les modes de
pense propres I'Humanisme historique n'est pas possible si l'on eonsidre
sculemcnt les passages rhtoriques, reeherehs systmatiqucment depuis les Orees
jusqu' nous, et re ce ns s sans tenir eompte des eeuvres, des hommes, de I'po-
que. C'ost eomme si l'on mettait sur le mme plan Sapho, Dante et Lopardi, sous
prlexte qu'ils ont tous trois clbr le elair de lune. Retrouver un texte d'inspi-
ration semblable dans I'Asclepius, chez B. Silvestre et chez Fiein, est un pointde
dpart et non un aboutissement pour I'historien, et c'est dnier I'originalit d'une
position sous le seul prtexte qu'elle utilise des thmes traits prcdemment,
mais dans un contexte difTrent et avec une valeur et une signilication autres;
c'est en un mot Caire preuve d'une ~rande navet critique.
2.
Lucula noe/is,
M. Coulon, Pars, 1908, p. 179.
CC.
Savonarole :
De poeticae
artis ratione (/n poeticen apologeiicus},
Venctiis, 15~2, p. 5~, contre les livres
pajens,
qui eontiennent les louanges des Cauxdieux '.
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33/141
62 M oyen A ge et R enaissance
L a m ytlw lo gie a ntiq ue
63
des choses oublies1. Si c'est cela Ia posie, il est vident
qu'elIe ne pourra s'exercer hors du domaine des choses
sacres : elIe est vision intuitive, mais du vrai Dieu.
Il n'y a d'autre place pour les dieux que celIe qui leur est faite
selon l'conomie tablie par les thologiens
-Iel\-dmons,
Ies intelligences clestes (il s'agit en fait d'unerhabilitation
de l'astrologie et mme de Ia magie) s'intgrant au domaine
providentiel du Dieu des chrtiens.
Or, chez Boccace dj ( Ia suite de Ptrarque d'ailleurs)
et plus encore peut-tre chez Salutati, nous assistons une
tentative pour justifier Ies mythes qui, Ies considrer
comme des rves, comme le produit de l'imagination, sont
choses permises. Solution qui exposait Ies poetes tre au
moins proscrits comme inutiles, car quoi servent les rves?
Sont-ils autre chose que des divagations et des enfantillages
pareiIs des plaisanteries de bateleur? Ce que voulait Boc-
cace, et plus tard Salutati, c'tait revendiquer une autonomie
de Ia posie paenne analogue celle obtenue pour Ia philo-
sophie paenne. Vous vous gargarisez du nom des philosophes
antiques - s'crie en substance Boccace - et comment ne
vous apercevez-vous pas que Ia mme inspiration anime les
poetes classiques?
Pourquoi donc, alors que nous avons Ia bouche pleine des
philosophes pajens, que nous observons leurs maximes et
que nous n'osons presque rien aflirmer sans Ia caution de leur
autorit, sommes-nous horrifis par les po te s et par leurs
reuvres? Nous vantons Socrate, nous rvrons Platon, nous
cultivons Aristote, pour ne rien dire des autres, qui furent
tous des paens et des hommes condamns tr s souvent pour
leurs opinions errones. Nous repoussons Homere, nous
condamnons Hsiode, nous ddaignons Virgile et Flaccus,
dont Ies fictions ne disent pourtant rien d'autre que Ies
raisonnements des philosophes
2.
Salutati ira plus Ioin quand il renversera les positions en
montrant tout simplement l'impit d'Aristote face Ia
pit des potes 3. Boccace avait t plus fideleIa tradition,
et plus prs deMussato et dePtrarque+, dont nous retrouvons
les arguments
mm e
s'iIs sont reproduits
sous une autre
forme et avec un accent original, ainsi que le note Sapegno 1.
Mais ce qui importe surtout c'est cet accent mis sur l'auto-
nomie
de Ia posie face Ia philosophis. Les philosophes
disputent dans des gymnases; Ies potes chantent dans Ia
soIitude. Le po te n'est pas Ie singe des philosophes. A Ia
rigueur affirmer que Ies poetes sont les singes de Ia nature
serait tolrahle, parce que Ie pote, quand ille peut, cherche
dcrire en vers solenneIs ce que Ia nature fait, les modif-
cations incessantes qu'elIe opere pour son bon quilibre.
Et pour peu qu'on regarde, voici Ies formes, Ies costumes, les
paroles, les actes de tous Ies tres anims, les mouvements
du ciel et des toiles, les bourrasques hurlantes des vents, le
crpitement du feu, Ies rumeurs de l'onde, Ia hauteur des
monts, I'ombre des bois, Ie cours des fleuves; et tout cela
dpeint de telIe sorte que les choses semblent rsider relle-
ment dans les mots du poeme. Comme cela, je veux bien
admettre que le
pote
soit le singe de Ia nature, car je consi-
dere que tenter par l'art ce que Ia nature a Iepouvoir de faire
est chose digne d'estime 2.
S ci en tia o en er an a p oe sis I
La posie... est Ie dsir ardent
de faire des dcouvertes rares pour les exprimer par des
paroles ou par des crits. ElIe vient du sein de Dieu et elIe est
accorde peu... Sublimes sont Ies rsultats de cette ardeur :
l 'esprit est po(s dpar Ie dsir de s'exprimer, de trouver des
mots singuliers et inous, de les arranger en un ordre prcis,
de Ies orner dans un assemblage indit de mots et de phrases,
et d'en voiler Ie vrai sous de belles fables. Si Ie sujet l'exige,
voici les rois en armes, les guerres, les escadres, des descrip-
tions des cieux, des terres et des mers, et des vierges ceintes
de couronnes de fleurs, et des hommes dpeints dans I'attitude
convenant chaque situation; et voici Ia posie suscitant des
troubles, donnant du ceeuraux Iches, retenant les tmraires,
atteignant Ies coupables, dcernant aux meilleurs de justes
loges... Rien n'chappe l'attention du pote; il recre tous
les arts et en Iait passer Ies rsultats dans Ia cration
3.
On a revendiqu pour Ia philosophie antique une place de
plein droit ct de Ia religion du Christ; iI appartient de
mme Ia posie classique d'avoir sa place aupres de Ia phi-
losophie, Cette philosophie est celle des possibilits humaines,
et cette posieest celle de l'humain.
L ,
des concepts humains,
hora de toute intervention surnaturelle; ici, des poemes
1.
Al berlin i MUSS AT I :
Epistolae,
V enetiis,
1636,
p.
71.
cr.
G.
VINAY :
Studi
dei MUSSCllO,
; 11 Muss ato e l'es teuca m edi evale ., in
Giornale Storico
delta
Leuertuura iu., vol. CXXVI, 1949, pp . 144-145, et A. Bu cs : Ltalienische Dich-
tungslehren pom Mittelalter bis zum Ausgang der Henaissance,
Tbingen , 1952,
p.70.
2. Genealogia, XIV, 18
( d . R om a no ,
p. ?35).3. De laboribus Herculis, I,
XII,
21
( d . Ul lman ,
p. 67).
4.
Cf .
les
1nvective contra medicum.
1.
S APE G NO :
II Trecento,
Milan,
1942,
pp .
384-385.
2. Ge.nealolfia, XIV, 17, pp. 73t-?33.
3.
uu.
XIV, 7,
pp .
699-700.
7/26/2019 GARIN, Eugenio. Moyen ge Et Renaissance
34/141
64
M oyen Age et Renaissance
humains, clbrant une certaine image de Dieu et une cer-
taine foi, une foi qui s'est constitue sans Ia moindre inter-
vention directe de Dieu, une foi
fausse
1
,
Boccace donnait l une belIe dfense de Ia posie et de Ia
mythologie considre comme une potique thologique ,
Exploitant Ie theme connu de Ia Mtaphysique d'Aristote,
il dclare que les potes paens furent des thologiens de
mythes,
c'est--dire
des mythologues. II insiste en mme
temps, fdle Ia tradition, sur Ia signification cache sub
co rt ic e [abu la rum , sous l'apparence des fables, proccup
plutt d'accumuler que de coordonner les arguments 2. Car
s'il faut croire, comme lui-mme l'affirme, que les poetes
antiques
ont toujours cach un sens profond dans Ieurs
vers
,
on risque de perdre de vue I'originalit qu'on avait
revendique pour Ia posie en face de Ia philosophie.
D'autre part le problme du fond, c'est--dire celui du rap-
port entre Ia posie
et Ies mythes divins
qui pouvait
devenir celui de l'origine
fantastique des religions [ car Ia
parabole est plus ancienne que Ie raisonnement, de mme que
les hiroglyphes sont antrieurs aux Iettres
3 )))
reste chez
Boccace comme en suspens. Seznec, qui reconnait pourtant
son dveloppement
quelque symptme d'esprit nouveau ,
releve comment, dans le cours de son livre, Boccace se proc-
cupe surtout d'ofTrir Ie rpertoire Ie plus riche et Ie plus
complet possible. Ainsi - et c'est dj une caractristique
du troisime mythographe du Vatican - on y trouve ga-
Iement les reprsentations et les dformations astrologiques,
des rfrences Alboumasar et I'utilisation de thmes de
l'astrologie mdivale qui figureront demain encore dans Ia
prose de Ficin et dans Ies po m es de Pontanus. Voici par
exemple Saturne,
vieux, sombre, d'aspect repoussant, Ia
tte couverte d'un voile, apathique et veule, et arm d'une
faux . On retrouvera plus tard cette description dans Ies vers
d' Urania, suivant l'image astrologique bien connue :
N ig ra se ni [ ac ie s, t ar da s g ra du s, h orr id a b ar ba ,
E t c an i c rin es, e t m em bra o U re ta s en ecta .
Le teint sombred'un vieillard,Ia dmarchelourde, Ia barbe
[broussailleuse,
Lescheveuxblancs, Iesmembresdcrpitset sales.
1. Ibid., XIV, 18, p. 733.
2. Ibid., XIV, 8, ct . XIV, 10. Et pour tout ce qui prcde voir Vila d i Dante,
d. Guerri (Ba ri, 1918), I, p. 37, sqq.
3. BAcoN: DeSapientia peterum (1609), prrace (The Works, d. Spedding, Ellis,
Heath, Boston, 1860, vol. XII, p. ~31). er. P. ROSSl : L'irtterpretazione
baconiana
delle
fapole antiche, Rome-Milan, 19M.
L a m yth olo gie a ntiq ue 65
Mais, alors que pour Alboumazar ces images sont vraiment
dessines dans le ciel, ou sont de puissantes divinits astrales,
pour Boccace tous les dieux de Ia posie antique sont des
fictions potiques
,
des fables alimentes par Ies premiers
potes mythologues dont parle Aristote, qui considrait
comme divinits premires ) celIes qu'il supposait tre Ia
cause
premire de Ia ralit. Boccace toutefois ne dfend
pas les dieux antiques en tant que.
mythes ) potiql e~,mais
bien en tant qu'hypothse physique et morale dissimule
sous un revtement potique. De sorte que Ia posie patenne
- qui, comme toute posie, est sacrale mais non
sacre )),
puisque son objet rel n'est pas Dieu mais Ia nature et l'homme
- releve plus de Ia physique ou de l'thope que de Ia tho-
Iogie9 , Vis--vis de Ia thologie
sacre )) et de Ia philo-
sophie, son importance rside dans Ie fait qu'elle constitue
Ia transfiguration imaginaire du monde physique et moral.
Ce n'est pas Dieu qui est I'objet de Ia posie, mais Ies mer-
veilles de Ia nature et de I'homme , dcrtes osuvre parfaite
par une imagination brillante qui Ies divinise et les place dans
un Olympe bien difTrent des cieux chrtiens. La posie
paienne, mme si elIe semble s'exercer sur un plan tholo-
gique, consacre en ralit Ie monde d'ici-bas en le projetant
dans une sphre divine.
Le parallele avec l'indpendance revendique par Ia philo-
sophie - IaquelIe s'exerce de aon purement rationnelIe
sur Iaralit profane - s'accentue dans Iepassage de I'identit
posie-thologie
(
on peut dire queIa thologie et Iaposie sont
presque une seule et mme chose larduction de Iathologie
paienne considre comme une vision pure~ent im~gin~re et
potique de Ia nature et de I'homme [ po tiu s p hy sw lo gL a a ut
e th olo g ia q u am th eo lo g ia 1). Et comme travers Aristote Ia
philosophie se dtache de Ia thologie jusqu' s'opposer elIe,
de mme, avec Homre , Virgile, Ovide, Horace et demain
Lucrce, Ia posie se