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Génétique des pathologies psychiatriques de l’enfant et de l’adolescent Genetic aspects of psychiatric disorders of children and adolescents P. Gorwood (praticien hospitalier) a,b, *, M. Wohl (interne DES) a , D. Purper (chef de clinique) b,c a Service de psychiatrie, Hôpital Louis Mourier, 178, rue des Renouillers, 92700 Colombes, France b Cnrs UMR 7593- Paris VII, Personnalité et conduites adaptatives, 75013 Paris, France c Hôpital Robert Debré (Université Paris VII), Psychopathologie de l’enfant, 48, boulevard Sérurier, 75019 Paris, France MOTS CLÉS Héritabilité ; Anorexie mentale ; Hyperactivité-déficit de l’attention ; Autisme ; Gènes ; Agrégation familiale ; Jumeaux ; Vulnérabilité KEYWORDS Heritability; Anorexia nervosa; Hyperactivity-attention deficit; Autism; Gene; Aggregation; Résumé L’approche génétique a récemment pris une envergure certaine dans les recher- ches portant sur les troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent. Trois pathologies sont particulièrement évaluées pour les aspects génétiques du fait de leur forte hérita- bilité. En effet, 90 % des facteurs de vulnérabilité dans l’autisme passent par les facteurs génétiques, pour 80 % dans l’hyperactivité et 70 % dans l’anorexie mentale. Néanmoins, le poids majeur de l’héritabilité est loin de signifier la découverte de gène majeur. Il est vraisemblable que de nombreux gènes interviennent (dans l’autisme notamment), et que ceux-ci soient en interaction avec des facteurs environnementaux encore mal connus (dans l’hyperactivité par exemple). De plus, les troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent constituent des entités logiques et cohérentes au niveau clinique et/ou thérapeutique, mais cette validité clinique n’est pas opérante pour l’approche généti- que, du fait d’une très vraisemblable hétérogénéité de ces pathologies, tant génétique que phénotypique. L’analyse de gènes candidats, la focalisation sur des régions génomi- ques d’intérêt et les criblages du génome commencent à porter leurs fruits, permettant d’espérer d’une part finir par repérer des facteurs de risque explicites, et d’autre part de comprendre les interactions complexes entre l’environnement et le génome dans le déterminisme de ces pathologies multifactorielles. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Researches based on the genetic aspects of the different psychiatric disorders of children and adolescents recently had a large expansion. Three disorders were more specifically analysed for their genetic compound, namely autism, hyperactivity and anorexia nervosa. The heritability in the narrow sense has been estimated to be 90 % in autism, 80 % in hyperactivity-attention deficit, and 70 % in anorexia nervosa. Neverthe- less, there is a large gap between measuring the importance of genes in the vulnerability to a specific disorder and pinpointing the precise genes that are involved. One of the reasons is that there are many genes involved (particularly in autism), with important inter-genes and gene-environment interactions (particularly in hyperactivity). Further- * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Gorwood). EMC-Psychiatrie 1 (2004) 4–14 www.elsevier.com/locate/emcps © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/S1762-5718(03)00006-3

Génétique des pathologies psychiatriques de l'enfant et de l'adolescent

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Génétique des pathologies psychiatriquesde l’enfant et de l’adolescent

Genetic aspects of psychiatric disordersof children and adolescents

P. Gorwood (praticien hospitalier) a,b,*, M. Wohl (interne DES) a,D. Purper (chef de clinique) b,c

a Service de psychiatrie, Hôpital Louis Mourier, 178, rue des Renouillers, 92700 Colombes, Franceb Cnrs UMR 7593- Paris VII, Personnalité et conduites adaptatives, 75013 Paris, Francec Hôpital Robert Debré (Université Paris VII), Psychopathologie de l’enfant, 48, boulevard Sérurier,75019 Paris, France

MOTS CLÉSHéritabilité ;Anorexie mentale ;Hyperactivité-déficitde l’attention ;Autisme ;Gènes ;Agrégation familiale ;Jumeaux ;Vulnérabilité

KEYWORDSHeritability;Anorexia nervosa;Hyperactivity-attentiondeficit;Autism;Gene;Aggregation;

Résumé L’approche génétique a récemment pris une envergure certaine dans les recher-ches portant sur les troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent. Trois pathologiessont particulièrement évaluées pour les aspects génétiques du fait de leur forte hérita-bilité. En effet, 90 % des facteurs de vulnérabilité dans l’autisme passent par les facteursgénétiques, pour 80 % dans l’hyperactivité et 70 % dans l’anorexie mentale. Néanmoins, lepoids majeur de l’héritabilité est loin de signifier la découverte de gène majeur. Il estvraisemblable que de nombreux gènes interviennent (dans l’autisme notamment), et queceux-ci soient en interaction avec des facteurs environnementaux encore mal connus(dans l’hyperactivité par exemple). De plus, les troubles mentaux de l’enfant et del’adolescent constituent des entités logiques et cohérentes au niveau clinique et/outhérapeutique, mais cette validité clinique n’est pas opérante pour l’approche généti-que, du fait d’une très vraisemblable hétérogénéité de ces pathologies, tant génétiqueque phénotypique. L’analyse de gènes candidats, la focalisation sur des régions génomi-ques d’intérêt et les criblages du génome commencent à porter leurs fruits, permettantd’espérer d’une part finir par repérer des facteurs de risque explicites, et d’autre part decomprendre les interactions complexes entre l’environnement et le génome dans ledéterminisme de ces pathologies multifactorielles.

© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract Researches based on the genetic aspects of the different psychiatric disorders ofchildren and adolescents recently had a large expansion. Three disorders were morespecifically analysed for their genetic compound, namely autism, hyperactivity andanorexia nervosa. The heritability in the narrow sense has been estimated to be 90 % inautism, 80 % in hyperactivity-attention deficit, and 70 % in anorexia nervosa. Neverthe-less, there is a large gap between measuring the importance of genes in the vulnerabilityto a specific disorder and pinpointing the precise genes that are involved. One of thereasons is that there are many genes involved (particularly in autism), with importantinter-genes and gene-environment interactions (particularly in hyperactivity). Further-

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (P. Gorwood).

EMC-Psychiatrie 1 (2004) 4–14

www.elsevier.com/locate/emcps

© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi: 10.1016/S1762-5718(03)00006-3

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Twins;Vulnerability

more, diagnostic criteria of children and adolescents psychiatric disorders may have agood inter-clinician reliability, but their validity from the research and genetic studiespoint of view can be questioned, specifically regarding the large phenotypical heteroge-neity of these disorders. Looking at candidate genes, focusing on genomic area andscreening the entire genome are thus potentially fruitful approaches in order on the onehand to depict vulnerability factors, and on the other hand to further understand thecomplex interactions between genome and environment which lead to those multifacto-rial disorders.

© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Introduction : quelques conceptsde psychiatrie génétique

L’utilisation des données de la recherche en géné-tique pour mieux appréhender les facteurs de vul-nérabilité des troubles mentaux de l’enfant et del’adolescent doit amener à prendre en considéra-tion plusieurs concepts.

Notion de déterminisme génétique

La notion de déterminisme génétique ne s’appliquequ’aux pathologies polyfactorielles que représentela grande majorité des troubles mentaux de l’en-fant. Les facteurs génétiques actuellement incrimi-nés peuvent donc augmenter un risque, favoriserl’expression d’un trouble, modifier l’expression decette maladie, mais non l’expliquer totalement oula provoquer. On parle dorénavant de susceptibilitégénétique, de vulnérabilité génétique, de facteursgénétiques interagissant avec les autres facteursimpliqués (interaction environnement x gènes). Ilen découle que la génétique est une voie de recher-che dans la compréhension des facteurs étiologi-ques en cause, et nécessite donc une confrontationavec les autres voies de recherche. Ainsi, les trou-bles de la communication apparentés à l’autismeont permis de mieux comprendre le rôle des fac-teurs génétiques en cause. Il en est de même pourl’importance des interactions entre distorsion com-municative chez les parents adoptifs et schizophré-nie chez des enfants à risque.L’autre conséquence de la notion de vulnérabi-

lité est la possibilité d’intervenir de manière envi-ronnementale et/ou familiale sur une pathologiedont le déterminisme est essentiellement généti-que, ce qui peut paraître étonnant. On peut pren-dre l’exemple de la « maladie des os de verre »(l’Ehler-Danlos est une maladie monogénique) pourillustration. En effet, il s’agit d’une maladie exclu-sivement génétique mais ce sont des événementsde vie spécifiques (traumatismes accidentels) quirévèlent la pathologie (fractures). De plus, ce sontdes facteurs environnementaux (traitement desfractures, rééducation adaptée) et des facteurs

éducatifs (prévention des traumatismes) qui for-ment l’essentiel des aides thérapeutiques, et nonune intervention (jusqu’à ce jour) directe sur lesfacteurs génétiques. La prévention de ce type demaladie par « sélection génétique » aurait empêchéde bénéficier du talent d’un Toulouse-Lautrec...

Termes d’« héritabilité »

Les termes d’« héritabilité », de « poids des fac-teurs génétiques », de l’importance de la « va-riance expliquée par les facteurs génétiques » ren-voient à des concepts théoriques assez éloignés dece qui est généralement compris. Ainsi l’héritabi-lité correspond au pourcentage d’explication de lamaladie due aux différences (polymorphismes) in-terindividuelles du génome (ensemble des30 000 gènes qui nous constituent). On considère engénéral l’héritabilité au sens large, c’est-à-direcomprenant les facteurs génétiques additifs (lepoids de un ou plusieurs gènes, y compris leursinteractions). Cette distinction est importante carl’informativité apportée par les gènes en cause estinférieure à l’héritabilité totale. Ainsi, une fortehéritabilité ne signifie pas forcément qu’un gènecandidat (actuellement étudié) ait un poids consi-dérable.

Par exemple, l’anorexie mentale a une héritabi-lité estimée autour de 70 %, mais l’allèle de vulné-rabilité le plus impliqué à l’heure actuelle n’aug-mente le risque d’anorexie mentale que de 1,8(risque relatif). L’héritabilité doit donc plutôt êtreconsidérée comme le seuil maximal de ce que lagénétique peut apporter plutôt que la portée àvenir des gènes candidats révélés.

Études d’agrégation familiale, de jumeauxet d’adoption

Les études d’agrégation familiale, de jumeaux etd’adoption permettent de repérer le poids des fac-teurs « génétiques », « familiaux » et « environne-

5Génétique des pathologies psychiatriques de l’enfant et de l’adolescent

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mentaux » avec une bonne précision. Néanmoinscette séparation reste artificielle. En effet, si ladéfinition des facteurs génétiques est intuitive-ment aisée (ressemblance entre apparentés due àl’importance des facteurs génétiques en commun),cela est plus complexe pour les facteurs familiauxet environnementaux. De fait, les facteurs fami-liaux correspondent aux facteurs partagés dans lamême cellule familiale éducative des apparentésétudiés. Il s’agit donc plutôt de facteurs dits « par-tagés ». Par exemple, le milieu socioprofessionnelest un facteur familial partagé, de même que le faitd’être élevé dans une famille monoparentale,d’avoir un parent atteint de telle ou telle patholo-gie. Pour les facteurs environnementaux, il s’agitdes facteurs « spécifiques » à l’individu. Cela com-prend les événements de vie spécifiques à un indi-vidu et vécus en dehors de la cellule familiale, larelation avec des pairs... mais aussi les interactionsfamiliales spécifiques avec l’un de ses deux pa-rents.

Les pathologies mentales de l’enfant et de l’ado-lescent, ici passées en revue, se focalisent sur lestrois troubles à la plus forte héritabilité, c’est-à-dire l’autisme, l’hyperactivité-déficit de l’atten-tion et l’anorexie mentale.

Autisme

L’autisme est une pathologie neuropsychiatriquesévère qui se caractérise par des anomalies perdu-rantes des relations sociales et du langage, souventassociées à des comportements répétitifs et stéréo-typés. L’autisme est trois fois plus fréquent chez legarçon que chez la fille.

Études familiales de l’autisme

Le risque dans la fratrie de sujets atteints estextrêmement élevé, de 40 à 100 fois supérieur àcelui de la population générale (pour revue40).Néanmoins, étant donné qu’il s’agit d’une patholo-gie relativement rare (2-5/10 000), la fréquenced’atteinte de la fratrie reste relativement mo-deste, proche de 3 % comme on le voit dans leTableau 1.La fréquence moyenne d’atteinte des apparen-

tés dans cette somme d’études (Tableau 1) estexactement de 3,26 % pour 0 % dans les différentespopulations contrôles. L’absence d’atteinte dans lapopulation contrôle ne permet pas de donner derisque relatif, mais si l’on prend en considération laprévalence sur la vie de l’autisme, le risque pour lesapparentés est bien augmenté d’environ 100 fois

Tableau 1 Études d’agrégation familiale de l’autisme

1er auteur Année Nombred’atteints

Nombre et fréquence d’atteintedes apparentés d’enfants autistes

Nombre d’atteints desapparentés de sujets contrôles

Fréquenced’atteinte

August 1981 41 autistes 15 trisomies 21 (0 %)(3,00 %)

Tsai 1981 102 autistes(2,00 %)

Baird 1985 29 autistes(5,90 %)

Delong 1988 51 autistes 8/1 929(0,40 %)

Ritvo 1989 233 autistes 48/554(8,60 %)

Piven 1990 37 autistes 2/67(3,00 %)

Jorde 1991 209 autistes 1/754(0,13 %)

Gillberg 1992 35 autistes 51 sains (0 %)(5,90 %)

Szatmari 1993 52 autistes 13 trisomies 21 (0 %)(5,30 %)

Bolton 1994 99 autistes 36 trisomies 21 (0 %)(5,80 %)

Pickles 1995 99 autistes 0/731 36 trisomies 21 0/138(0 %)(0,00 %)

Szatmari 1995 52 autistes 4/987 13 trisomies 21 (0 %)(0,40 %)

Boutin 1997 49 autistes 1/156 16 MR (0 %)(2,00 %)

6 P. Gorwood et al.

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pour la même maladie. La proximité familiale desapparentés42 a aussi un impact puisque le risqued’autisme est de 2,2 % pour la fratrie, 0,18 % pourles apparentés au deuxième degré, et enfin de0,12 % pour les apparentés au troisième degré. Unedécroissance aussi brutale dans le risque des appa-rentés est en général en faveur de l’existence deplusieurs gènes impliqués dans la pathologie.L’agrégation familiale pourrait être due à l’impor-tance des facteurs génétiques impliqués, ce donttémoignent les études de jumeaux.Les études de jumeaux permettent une estima-

tion intéressante de l’héritabilité du trouble (Ta-bleau 2) et donnent des indications importantes.L’autisme pourrait se définir par un trait complexeplus que par une entité unique, impliquant plu-sieurs loci38. Cette hypothèse est assez étayée parl’augmentation majeure du risque d’autisme chezles apparentés (fratrie ou jumeaux dizygotes) desujets atteints, ce qui est plus proche d’un modèlemultifactoriel (plusieurs types de facteurs impli-qués) que d’un modèle Mendelien (explication de lamaladie par un seul gène). De plus, le fait que laprévalence de l’autisme dans la fratrie des sujetsatteints augmente en même temps que la sévéritédu trouble du proposant est en faveur d’une patho-logie à plusieurs loci (donc de plusieurs gènes impli-qués). Enfin, la différence considérable de concor-dance entre monozygotes et dizygotes est en faveurd’un modèle épistatique, c’est-à-dire avec de nom-breuses interactions (les monozygotes partageanttous les gènes et donc toutes les interactions entreces gènes, les dizygotes partagent 50 % des gènes etdonc beaucoup moins d’interactions).L’ensemble de ces données doit donc amener à

la conclusion que, malgré les scores d’héritabilitéconsidérable de l’autisme (autour de 90 %), il nes’agit pas d’une entité homogène, et plusieurs gè-nes (en interaction) sont impliqués. Ce conceptoligogénique renvoie à un nombre de gènes comprisentre 2-3 et jusqu’à 20-50.La fréquence des troubles psychiatriques chez

les apparentés a ainsi amené à poser la question dulien entre l’autisme et les autres pathologies psy-

chiatriques. Ont été analysés, la phobie sociale, letrouble obsessionnel compulsif (TOC), la maladiemaniacodépressive (trouble bipolaire), la schizoph-rénie, l’alcoolodépendance, les tics et l’anorexiementale. Malgré de nombreuses études positives,peu de ces comorbidités peuvent être imputées àune réelle coagrégation (cotransmission d’une vul-nérabilité croisée), en dehors peut-être de la dé-pression, même en se focalisant sur les dépressionsprimaires arrivant chez les apparentés avant lanaissance d’une enfant autiste.

Gènes candidats impliqués dans l’autisme

À l’instar des résultats inauguraux sur l’HRAS (co-dant pour une guianosine triphosphate (GTP)aseintracellulaire, et donc impliqué dans la transmis-sion du signal des récepteurs couplés à la protéineG), plusieurs gènes candidats ont été impliquésdans l’autisme, sans réplication ultérieure. Tel futle cas du NF1 (impliqué dans les neurofibromatosesde type 1, pathologie retrouvée en excès chez lesenfants autistes), l’allèle court du transporteur dela sérotonine33, ou certains polymorphismes du hu-man leucocyte antigen (HLA) (antigènes tissulai-res). Dans ce type de travail, le risque qu’il s’agissed’un résultat par chance est important.

Régions candidates pour l’autisme

Si les gènes candidats sont peu nombreux et faible-ment étayés, la recherche de régions candidatespeut orienter les recherches sur certaines partiesdu génome. La sur-représentation des garçons dansl’autisme a tout naturellement orienté les étudessur les chromosomes sexuels, bien que, pour certai-nes familles, une transmission par un gène uniquelocalisé sur ce chromosome soit exclue (passage parle père à un garçon atteint)27. Une revue systéma-tique de la littérature sur le X-fragile entre 1983 et199416 montre que la fréquence de cette anomalieest relativement rare (4 %) chez les enfants autis-tes. Réciproquement, on trouve un diagnosticd’autisme chez 5 à 60 % des enfants ayant un

Tableau 2 Études de jumeaux dans l’autisme

1er auteur Phénotype Jumeaux MZ Jumeaux DZEffectifs Concordance Effectifs Concordance

Folstein, 1977 Autisme n = 11 36 % n =10 0 %Trouble cognitif 82 % 10 %

Steffenburg, 1989 Autisme n = 11 91 % n = 10 0 %Trouble cognitif 91 % 30 %

Bailey, 1995* Autisme n = 17 69 % n = 11 0 %Trouble cognitif 88 % 9 %

* Échantillon original uniquement.

7Génétique des pathologies psychiatriques de l’enfant et de l’adolescent

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syndrome de l’X-fragile, le diagnostic d’autismeétant difficile du fait du retard mental associé àl’X-fragile19. Les deux criblages des différents mar-queurs du chromosome X ont éliminé l’hypothèsed’un gène majeur situé sur cette région du gé-nome26,27. En revanche, un criblage spécifique dela région du Xp22.3 a localisé un gène candidatpotentiellement intéressant, le NLGN4, de la fa-mille des neuroligines qui sont des molécules ser-vant à l’adhésion cellulaire, notamment interneu-ronales. L’équipe du PARIS (Paris Autisme ResearchInternational Sibpair Study) a alors séquencé150 enfants souffrant d’autisme pour révéler deuxmutations rares sur le NLG4 et le NLGN3 publiéesdans Nature Genetics29. Du fait qu’il s’agisse degènes candidats, dans une région candidate, distin-guant les enfants autistes d’une large série desujets contrôles, on peut dire qu’il s’agit vraisem-blablement de la première série de gènes de vulné-rabilité découverts dans l’autisme.Plusieurs auteurs ont repéré la fréquence des

anomalies du chomosome 15 chez des enfants autis-tes20. Cette région est intéressante puisqu’on lasait impliquée dans les syndromes de Willi-Praderet d’Angelman, maladies neurodégénératives asso-ciées à l’autisme. Les anomalies du chromosome15 semblent bien les plus fréquentes (4 %), tou-chant essentiellement la partie centromérique dubras long39. Les sujets ayant cette anomalie caryo-typique se distinguent néanmoins du reste de lapopulation de malades par un retard mental plussévère et des crises d’épilepsie. Dans une approcheinverse (partant du caryotype vers le phénotype),la revue de la littérature montre que l’autisme estprésent chez 7 % des enfants ayant une duplicationinversée du chromosome 1539.Parmi les régions candidates se fondant sur les

analyses caryotypiques d’enfants autistes, un tra-vail46 a montré que les deux enfants autistes quiavaient en commun une translocation du chromo-

some 7 impliquaient une cassure localisée en7q31.3. Des auteurs se sont penchés sur cette ré-gion. De fait, le gène à la base de la cassure sur le7 intitulé RAY145 ne semble pas révéler de polymor-phismes spécifiquement présents dans une série de27 autistes.

Criblage du génome dans l’autisme

Une approche consiste à cribler le génome avec desmarqueurs régulièrement espacés pour repérer unexcès de transmission des parents à l’enfant atteintd’un segment chromosomique (haplotype). La pre-mière du genre fut publiée par le Consortium inter-national sur l’étude de génétique moléculaire del’autisme28 à partir de 100 familles ayant (pour laplupart) plusieurs atteints, et une carte assezdense. Sur cet échantillon de fratrie avec deuxatteints, seules deux régions étaient compatiblesavec un excès de transmission aux sujets atteints,le bras long du chromosome 7 (7q), ainsi que le brascourt du chromosome 16 (16p). Ces deux régionscontiennent certains gènes candidats, mais le plusimportant reste la recherche d’une réplication in-dépendante. Un travail français36 sur une cinquan-taine de familles multiplex européennes utilisaitaussi la technique des sibpairs (si des sujets de lamême fratrie se ressemblent pour la maladie, alorsse ressemblent-ils aussi plus souvent que ne levoudrait le hasard pour le génotype incriminé ?).Plusieurs régions semblent potentiellement impli-quées, mais il est intéressant de constater que lesrégions du 7q, 15q et 16p semblent aussi liées auphénotype autisme, quoique ce lien soit de faibleintensité. D’autres criblages du génome ont étépubliés depuis4,5,6,38, les différentes régions incri-minées étant le plus souvent non identiques. Uncertain nombre d’études ont pourtant impliqué, àdifférents niveaux, le chromosome 7q (Tableau 3).Cette partie du chromosome 7 devient une région

Tableau 3 Les régions du chromosome 7 incriminées dans l’autisme

cM Marqueur MLS Auteurs104,0 D7S1813 2,20 CLSA125,8 CFTR*130,8 D7S2527 1,77 Ashley-Koch et al.135,3 0,83 Philippe et al.137,7 D7S640 2,01 Ashley-Koch et al.139,3 D7S1804 0,93 Risch et al.139,3 D7S1804 0,00 Auranen144,7 2,53 IMGSAC149,6 D7S684 0,63 Risch et al.150,0 GATA32C12 0,80 CLSA

* Gène régulateur de la conductance trans-membranaire dans la mucoviscidose, gène impliqué dans les troubles du langage(Fisher et al., 1998). cM = centimorgan, MLS = maximum lodscore.

8 P. Gorwood et al.

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des plus intéressantes puisque plusieurs études yont trouvé des éléments en faveur d’une implica-tion dans l’autisme44.

Hyperactivité-déficit de l’attention

Le trouble hyperactivité-déficit de l’attention(THADA) touche de 2 à 9 % des enfants en âgescolaire à travers le monde1 et représente unealtération des processus attentionnels, de l’activitémotrice, du contrôle des impulsions et de la dis-tractibilité.

Études familiales du troublehyperactivité-déficit de l’attention

Les études d’agrégations familiales sont nombreu-ses, et montrent de manière convergente un excèsd’atteinte chez les apparentés de sujets hyperac-tifs par rapport aux apparentés de sujets contrôles(Tableau 4). La revue de ces études montre que12,5 % des apparentés au premier degré de sujetsatteints souffrent de la même pathologie contre 3 %des apparentés de sujets contrôles. Cela revient àdire que les apparentés au premier degré (parexemple les autres membres de la fratrie) sontquatre fois plus à risque de présenter la maladie.Les études d’adoption sont difficiles pour l’hyper-

activité. Le travail de Cadoret9, le plus souvent citéen référence, démontre un lien explicite entredélinquance et criminalité chez les parents biologi-ques (n’élevant pas leurs enfants) et hyperactivitéchez l’enfant (adopté) (Odds-ratio = 2,1). Néan-moins, ce type d’études repère la sémiologie desparents biologiques sur des registres légaux sansdossier médical, et l’hyperactivité des parents bio-logiques n’est pas repérable. L’étude méthodologi-quement la plus rigoureuse est celle de Cantwell10

portant sur deux échantillons d’enfants hyperac-tifs. Un groupe contrôle de 50 enfants hyperactifs(et leurs parents biologiques) a été comparé à

39 enfants hyperactifs (et leurs parents adoptifs),l’adoption étant mise en place à moins de 1 moisaprès la naissance. Les parents ont tous été évaluésà l’aide d’un entretien structuré en face-à-face. Sil’on se limite aux hommes, on remarque que lesparents biologiques des enfants hyperactifs ont,dans 16 % des cas, une hyperactivité (présente oupassée), contre 3 % des pères adoptifs et 2 % dessujets contrôles. On peut en conclure non seule-ment que les facteurs biologiques sont plus déter-minants que les facteurs éducatifs, mais aussi qu’ilexiste une certaine stabilité dans la fréquenced’atteinte des apparentés de malades malgré lesdegrés de parentés plus élevés, élément en faveurde l’existence de gène(s) majeur(s). Ces donnéessont confirmées par l’étude élégante de Plomin37

qui différencie les enfants élevés par des parentsbiologiques de ceux élevés par un beau-parent (re-mariage précoce). Opposant ainsi l’impact de lapathologie chez les parents adoptifs et parentséducateurs non biologiques, Plomin a pu montrerune héritabilité de 74 % si l’on se fonde sur lacotation des instituteurs, et de 39 % si l’on se fondesur le jugement des cliniciens.Les études de jumeaux (Tableau 5) sont particu-

lièrement informatives, puisque les jumeaux ne sedistinguent pas de la population générale pour lagrande majorité des paramètres évalués (concer-nant les processus attentionnels et l’activité)22.

Gènes candidats dans l’hyperactivité

Les gènes candidats se sont tournés rapidementvers la voie dopaminergique. L’efficacité des am-phétaminiques est en faveur de l’implication desvoies dopaminergiques dans la physiopathologie duTHADA8. Des études en imagerie cérébrale ontmontré que les circuits de régulations dopaminer-giques dans les aires préfrontales et dans les gan-glions de la base sont réduites de 10 % chez lesenfants hyperactifs11,41. Plus précisément, le gènecodant pour le récepteur dopaminergique D4 a étéétudié dans l’hyperactivité, avec de nombreuses

Tableau 4 Études d’agrégation familiale dans l’hyperactivité

1er auteur Malades Contrôles Apparentés du groupe des malades Apparentés du groupe des contrôlesn (%) n (%)

Morrison et Stewart(1971)

n = 50 n = 41 12/118 (20,0) 2/82 (5,0)

Cantwell (1972) n = 50 n = 50 61/966 (6,3) 6/931 (0,6)Welner (1977) n = 43 n = 38 11/42 (26,0) 5/54 (9,0)Biederman (1986) n = 22 n = 20 24/73 (31,5) 4/ 70 (5,7)Biederman (1992) n =73 n = 26 66/264 (25,1) 4/92 (4,6)Faraone (1997) n = 140 n = 120 85/428 (19,9) 14/304 (4,6)Faraone (1994) n = 140 n = 120 63/1201 (5,2) 28/959 (3,0)Faraone (2001) n = 280 n = 242 174/871 (20,0) 35/737 (5,0)

9Génétique des pathologies psychiatriques de l’enfant et de l’adolescent

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études positives (pour revue18). Ce marqueur estd’autant plus intéressant qu’il a fait l’objet detravaux chez le sujet sain, avec une associationentre l’allèle « 7 répétitions » et le trait « recher-che de nouveauté »7, trait associé à l’hyperactivitéde l’adulte8. Une association de cet allèle avec ladépendance à l’héroïne a aussi été montré, leTHADA étant un facteur de risque connu pour lesdépendances35.Le rôle exact de la mutation analysée est encore

inconnu, mais l’allèle « 7 répétitions » pourrait êtreassocié à une différence d’affinité de ce récepteurpour la dopamine2,3 ou à une modification du signalintracellulaire4.Les études sont maintenant très nombreuses sur

le D4 dans l’hyperactivité, avec un taux d’étudespositives rarement (jamais ?) atteint en psychiatriegénétique. La méta-analyse des études publiées surle D4 est extrêmement positive (p < 0,0001), il estdonc maintenant bien admis que les polymorphis-mes génétiques du D4 ont un lien avec la vulnéra-bilité à l’hyperactivité. Néanmoins, dans quelleproportion cet allèle participe au THADA, pour quelphénotype exact, et en interaction avec quelsautres facteurs étiologiques restent encore incon-nus.Les données semblent nettement moins claires

pour le gène qui code pour le transporteur de ladopamine (DAT), avec quelques études modéré-ment positives mais de nombreuses études négati-ves. Le troisième gène candidat testé dans l’hypo-thèse dopaminergique est le gène codant pourl’enzyme catéchol-O-méthyltranférase (COMT),enzyme qui participe à la dégradation des catécho-lamines, dont la dopamine. Nous manquons de re-cul pour l’intérêt de gène, comme pour le gènecodant pour la monoamine-oxydase, et ladopamine-bêta-hydroxylase.

Conclusions sur le troublehyperactivité-déficit de l’attention

L’hyperactivité-déficit de l’attention est une pa-thologie à forte héritabilité (autour de 80 %), et

vraisemblablement paucigénique (quelques gènesen cause et non une multitude). De plus, un desgènes participant (modestement) à la vulnérabilitédu trouble semble à peu près unanimement admiscomme réellement impliqué (DRD4). Si la prédicti-bilité des polymorphismes incriminés est faible (ris-que relatif = 3), et l’existence d’ancétédents fami-liaux modestement informatives (risquerelatif = 4), il est à parier que la meilleure connais-sance du phénotype hyperactivité et des dimen-sions tempéramentales qui lui sont liées et l’exis-tence de recherche sur l’interaction gène-environnement permettront une réelle utilisationde la génétique dans la reconnaissance et la com-préhension du trouble... dans un avenir plus oumoins lointain.

Anorexie mentale

Les troubles du comportement alimentaire sont defréquence et de gravité variables. La prévalence del’anorexie mentale dans les pays dits « dévelop-pés » est généralement autour de 1/1 000, avec dixfois plus de femmes que d’hommes souffrant decette pathologie. Il s’agit d’une maladie sévèrepuisque le taux de mortalité est entre 10 et 15 %,touchant, qui plus est, des femmes jeunes.

Facteurs familiaux de l’anorexie mentale

Les données épidémiologiques sont en faveur de laparticipation de facteurs familiaux dans le risqued’anorexie mentale. Ainsi, de nombreuses étudesont montré que le risque de développer une ano-rexie mentale est d’autant plus important qu’ilexiste un sujet proche atteint dans la famille43, lafréquence d’atteinte des apparentés variant entre1 et 10 % dans les études non contrôlées14 contreune fréquence théorique attendue de 0,1 %. Deplus, les huit études contrôlées (Tableau 6) mon-trent une fréquence de 3,12 % chez les apparentésau premier degré de femmes anorexiques(40/1 283) pour 0,2 % chez les apparentés au pre-

Tableau 5 Études de jumeaux dans l’hyperactivité

1er auteur Effectifs des jumeaux Taux de concordance HéritabilitéMZ DZ MZ DZ

Lopez (1965) n = 4 n = 6 100 % 17 %Goodman (1989) n = 29 n = 45 51 % 33 % h2 = 50 %Stevenson (1992) n = 31 n = 47 NA NA h2 = 75 %Gillis (1992) n = 37 n = 37 79 % 32 % h2 = 91 %Gilger (1992) n = 71 n = 48 81 % 29 %Thapar (1995) n = 9 n = 20 44,4 % 10,0 %Levy (1997) n = 583 82,7 % 46,8 % h2 = 91 %

10 P. Gorwood et al.

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mier degré de femmes contrôles (4/1 914), c’est-à-dire un risque multiplié par 16 chez les apparentésd’un sujet souffrant d’anorexie mentale.Les données de concentration familiale ont aussi

permis de mettre en question le phénotype consi-déré. En effet, la concentration familiale43 estd’autant plus forte chez les femmes anorexiques,et la concordance pour la maladie est d’autant plusfréquente chez les jumelles anorexiques, que l’onconsidère l’anorexie mentale avec une perte depoids majeure (moins de 15 kg/m2) et un débutprécoce (avant 17 ans). On a montré de plus quec’est l’anorexie restrictive (et non l’anorexie aveccomportements boulimiques et vomissements pro-voqués) qui augmente significativement le risqued’anorexie mentale chez les apparentés21. Enfin,des troubles du comportement alimentaire infracli-niques sont souvent retrouvés chez les apparentésféminins des femmes anorexiques34.Un des problèmes qui peut être abordé dans les

études de concentration familiale concerne la spé-cificité du spectre phénotypique, notamment pource qui concerne les liens entre anorexie mentale,TOC, boulimie, dépression, psychose et alcoolisme.Seuls TOC et personnalité obsessionnelle (essen-tiellement via le trait tempéramental « perfection-nisme ») d’une part et boulimie (dans le spectre destroubles du comportement alimentaire) d’autrepart pourraient être liés à l’anorexie mentale.En reprenant, de la manière la plus exhaustive

possible, l’ensemble des cas uniques (ou de petitesséries de recrutement non systématique) de ju-meaux publiés dans la littérature (soit 55 référen-ces mondiales, représentant 90 paires de ju-meaux), on note30 un taux de concordance plusélevé chez les jumeaux monozygotes (44 %, soit29 paires concordantes pour un total de 66) quechez les jumeaux dizygotes (12,5 %, soit trois pairesconcordantes pour un total de 24). Les études por-tant sur des séries de jumeaux de recrutementsystématique sont plus représentatives. L’ensem-ble de ces études montre que sur 95 paires de

jumeaux monozygotes, 54 sont concordantes pourla maladie (soit 57 %), alors que sur les 79 paires dejumeaux dizygotes, seules deux sont concordantespour la maladie (soit 3 %).L’analyse des différentes études de jumeaux

permet d’évaluer le poids de ces facteurs généti-ques32. Ainsi la cotransmission à un jumeau del’anorexie mentale est évaluée dépendante pour19 % de facteurs environnementaux communs, etpour 76 % de facteurs génétiques. Ces dernierssemblent donc prédominer par rapport aux facteursfamiliaux. Sur l’ensemble des cas publiés à ce jouret repris dans les Tableaux 4 et 5 (avec les limita-tions précitées en ce qui concerne leur validité etsurtout leur représentativité), on peut estimer auxenviron de 70 % l’héritabilité de l’anorexie men-tale, si l’on considère une prévalence globaleautour de 0,1 % dans la population générale30.

Anorexie mentale et gènes candidats

L’avancée des connaissances sur les monoamines etd’autres neuromédiateurs permet de suspecter plu-sieurs pistes explorant les mécanismes physiopa-thologiques de l’anorexie mentale24. Peuvent ainsiêtre considérés comme des gènes candidats ceuxayant un rôle dans l’appétit et la satiété, la gestiondu stress, et certains tempéraments spécifiques.Cholecystokinine, sérotonine, dopamine et endor-phines ont été particulièrement analysés. Une despistes les plus souvent envisagées pour la physiopa-thologie de l’anorexie mentale est celle de la séro-tonine. La libération neuronale de sérotonine in-duite par la d-fenfluramine diminue à la foisl’appétit et le seuil de satiété15. De plus, l’anorexieinduite par la fenfluramine peut être neutraliséechez l’homme par la metergoline, antagoniste nonselectif des récepteurs des classes 5-HT1 et 5-HT2de la sérotonine, et la ritansérine, qui bloque lesrécepteurs 5-HT2A et 5-HT2C

23. Cowen et al.13 ontmontré qu’un régime hypocalorique (même mo-déré) provoquait une hypersensibilité des récep-

Tableau 6 Fréquence de l’anorexie mentale chez les apparentés de sujets anorexiques à partir des études contrôlées

Morbidité parmi les apparentés au premier degré deAnorexiques Contrôles

1er auteur Année Proposants Apparentés Atteints Proposants Apparentés Atteintsn n (%) n n (%)

Gershon 1983 24 2/99 (2,0) 43 0/265 (0,0)Herpertz 1988 42 3/69 (4,0) 37 0/61 (0,0)Logue 1989 17 0/132 (0,0) 13 0/107 (0,0)Stern 1992 34 2/153 (1,3) 34 0/140 (0,0)Strober 1985 60 6/60 (10,0) 95 3/95 (3,2)Strober 1990 97 16/387 (2,1) 107 0/738 (0,0)Lilenfeld 1998 26 1/93 (1,1) 44 0/190 (0,0)Strober 2000 152 10/290 (3,4) 181 1/318 (0,3)

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teurs postsynaptiques 5-HT2C, probablement viaune baisse de concentration sanguine du trypto-phane, précurseur de la sérotonine. L’hypothèse durôle majeur de la sérotonine dans l’anorexie men-tale est d’autant plus intéressante que beaucoupde circuits sérotoninergiques montrent des varia-tions selon le sexe («gender dimorphism »), notam-ment quant aux effets sur l’appétit. Une premièreassociation significative entre l’anorexie mentaleet un polymorphisme du gène codant pour le récep-teur sérotoninergique 5-HT2A a été publiée en199712. Ce résultat promoteur a été répliqué plu-sieurs fois, et semble particulièrement significatifdans un sous-groupe de sujets anorexiques avec uneforte dimension obsessionnelle. Cependant, asso-ciation (fréquence d’un allèle supérieur chez dessujets atteints par rapport à des sujets contrôles)n’est pas liaison (transmission d’un allèle des pa-rents hétérozygotes à l’enfant atteint). Une largeétude européenne a ainsi montré, à partir de plusde 300 familles nucléaires, que l’allèle A n’était pasplus souvent transmis aux patients souffrant d’ano-rexie que ne le voudrait le hasard25. Une hypothèsea donc été que cet allèle A ait un rôle uniquementdans un sous-groupe de patients (hétérogénéitéphénotypique de l’anorexie mentale), puisque l’al-lèle A est associé à un âge de début tardif, rôlecette fois mis en évidence sur le mode associatif(en moyenne, les patientes ayant l’allèle A ont unâge de début plus tardif) et de liaison (lorsquel’allèle A est transmis d’un parent à l’enfant at-teint, celui-ci a en moyenne un âge de début moinsprécoce)31.

Conclusions sur l’anorexie mentale

Les études sur la génétique de l’anorexie mentalesont très récentes et largement étayées par lesétudes d’agrégation familiale et de jumeaux. Lesdonnées sont néanmoins limitées par la rareté de lamaladie. Il est vraisemblable que le groupe destroubles du comportement alimentaire fournisse ungroupe hétérogène et complexe, les facteurs géné-tiques ne jouant un rôle que sur certains troubles(au moins pour l’anorexie mentale restrictive) etplus spécifiquement certaines dimensions qui y sontrattachées (par exemple le perfectionnisme). Avec70 % d’héritabilité, un début précoce, un retentis-sement sévère, et de nombreuses données expéri-mentales et animales, il est vraisemblable que lesdonnées de la génétique moléculaire apporterontune participation non négligeable à la compréhen-sion des processus morbides en cause.

Conclusions

Ce que l’on peut attendre de la recherche en géné-tique pour la pédopsychiatrie est de quatre ordres.

Tout d’abord (1) une aide à la compréhension desfacteurs génétiques. En effet, mieux comprendre lerôle des facteurs génétiques facilite la compréhen-sion du rôle des autres facteurs, familiaux et envi-ronnementaux. Les études portant sur les interac-tions gènes-environnement débutent d’ailleursdans différentes pathologies avec des résultats par-ticulièrement intéressants. Ensuite, des modèlesintégratifs (2) des troubles mentaux chez l’enfantseront vraisemblablement proposés à partir d’unemeilleure connaissance des différents gènes impli-qués. En cela, une vision plus complexe et dynami-que des facteurs étiopathologiques des maladiesmentales de l’enfant amènera probablement àabandonner des explications réductrices fréquem-ment proposées. De manière plus pragmatique, larévélation de gènes impliqués donne surtout l’occa-sion de repérer quelles sont les protéines déficien-tes impliquées, et donc d’envisager de nouvellesstratégies thérapeutiques (3) jusque-là ignorées.Loin du fantasme de la « thérapie génique », le butest surtout de connaître quels sont les gènes mutés,donc les protéines déficientes, et par conséquentcibler une aide thérapeutique spécifique à l’indi-vidu (en fonction de son patrimoine génétique).Enfin, et cela intéresse spécifiquement le clinicien,il est vraisemblable que la nosologie actuellementproposée soit refondée (4) suite à la connaissancedes facteurs (génétiques et autres) impliqués. Eneffet, il semble que les analyses dimensionnelles etnon catégorielles aient plus de validité, et que lesregroupements par types de syndromes (dépressionversus troubles anxieux par exemple) n’aient pasbeaucoup de cohérence si l’on se fonde sur lesfacteurs étiopathologiques potentiellement encause.Les aspects génétiques des différents troubles

psychiatriques de l’enfant et l’adolescent sont don-nés par ordre décroissant du poids des facteursgénétiques impliqués (héritabilité), c’est-à-diredébutant par l’autisme (90 % d’héritabilité), puisl’hyperactivité avec déficit de l’attention (80 %), etenfin l’anorexie mentale (70 %). Les facteurs géné-tiques des troubles de l’humeur, des troubles an-xieux et de la schizophrénie sont plus fréquemmentétudiés chez l’adulte, même si certaines de cespathologies peuvent avoir de fortes spécificitéslorsqu’elles débutent avant l’âge adulte (pour re-vue, voir l’expertise collective de l’Inserm17).

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