Géopolitique de la France (Première partie / 2008-2011)

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Synthèse d'articles tirés de mon blog @Geographedumond

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Gopolitique de la France

(Premire partie / janvier 2008 - mai 2011)

16 janvier 2008. Le rapport Attali sur la rforme territoriale. La guerre des dpartements n'aura pas lieu : Laurent de Boissieu, Antoine Fouchet et Matthieu Castagnet ne questionnent pas. Pour pasticher Giraudoux, ils cartent toute nuance [La Croix du 15 janvier 2008 / P.4]. N'est-ce pas l pourtant un vieux dossier transmis d'un gouvernement l'autre, dcennie aprs dcennie ? En prs de trente ans, l'Etat s'est graduellement dessaisi d'un certain nombre de comptences, au profit des collectivits locales. Les crateurs des dpartements aplanissaient les carts entre pays d'lection et pays d'Etat, abolissaient les privilges provinciaux. Ils affirmaient l'autorit de Paris sur l'Hexagone, ainsi que l'entendirent les prfets nomms par le premier Consul aprs 1800.

En 1960, le lgislateur a forg avec les rgions un nouvel chelon. Sans mme voquer ici les consquences de l'intercommunalit, un autre volet important de la dcentralisation, leur naissance provoque la contradiction. La rgion runit plusieurs dpartements, mais n'en dissout pas un. Les conseils rgionaux finissent bien par se mnager une place, mais sans obtenir un seul transfert intgral. Les personnels des Frac (exemple en Bourgogne ou dans le Centre) coexistent avec ceux du ministre de la Culture.

De la mme faon, la gestion de l'infrastructure des lyces ne remet pas en cause la prise en charge par les rectorats de la quasi totalit des personnels enseignants et administratifs. Ces quelques remarques signent en gnral les centres d'intrt de l'auteur. Il ne sera pas dit toutefois que je minimise les dsagrments de l'organisation dpartementale par passion jacobine : les rgions ont mon sens apport une bouffe d'air frais.

"Imagins par des nationalistes avant-gardistes, les dpartements symbolisent dsormais le nationalisme chauvin, le pass rvolu. Ils nont pas volu avec un territoire marqu par le dveloppement des grandes aires urbaines et laffaissement des densits dans le monde rural profond."

A l'issue de dcennies de dcentralisation, aucun bilan global n'existe. Peu de ministres ont vit la suppression de tel ou tel service, de tel ou tel domaine d'intervention. Les rserves de dpart demeurent cependant. Et si en vertu de ce qu'ont apport toutes les utopies, on murmure que la dcentralisation n'a rien apport en dehors d'un fardeau budgtaire de 170 milliards d'euros et la prise en charge par le contribuable d'1,8 millions de fonctionnaires territoriaux ?

Claudy Lebreton, prsident de l'Assemble des dpartements de France interrog par les journalistes de La Croix dispose d'une rponse toute prte. Il lche ces chiffres comme on glisse un renseignement anodin au dtour d'une phrase. Le montant cit par le prsident du Conseil Gnral des Ctes-d'Armor reprsente prs de 250 milliards de dollars au cours de janvier 2008. Alors que l'on ignore quel point le transfert des comptences de l'Etat au profit des collectivits territoriales a amlior la gestion des affaires publiques, l'quivalent du PIB de l'Afrique du Sud, la premire puissance conomique africaine, s'vapore chaque anne...

Malgr l'enthousiasme originel, la dcentralisation s'est heurte une difficult majeure : doit-on remplacer un fonctionnaire parisien par 22, 102 ou 36.000 ? Qui se charge d'harmoniser les dcisions afin de faire respecter l'galit de tous sur l'ensemble du territoire national ? A la prfecture de Lyon (Rhne /1.500.000 habitants) travaille-t-on de la mme faon qu' Mende (Lozre / 73 000 habitants) ? Un fonctionnaire alsacien (Alsace / 8.300 km) quivaut-il un fonctionnaire bas en Midi-Pyrnes (45.000 km) ?

Les dcentralisateurs ont constamment renvoy leurs contradicteurs des ides simples : quel fou oserait s'opposer l'instauration d'un paradis sur terre ? La dcentralisation, c'est bien et le centralisme, c'est trs mal. Le dogme impose de ne critiquer aucune redondance administrative et de ne pas lsiner sur la dpense. 'Ceux qui rvent de supprimer les dpartements ne cherchent pas une meilleure efficacit [procs d'intention]. Ils esprent simplement faire des conomies.' [Claudy Lebreton / Id.] Le substantif ne m'effraie pas, je ne le cache pas.

Seulement voil, le rapport Attali bat en brche l'difice patiemment lev. Il inclut selon toutes vraisemblances la proposition de supprimer les dpartements. Matthieu Castagnet demande Claudy Lebreton d'o vient que l'on dsire s'en prendre cet chelon administratif. Le parisianisme camoufle ici sa mdiocrit dans un babillage provincialiste, du style Mettez vos bottes, province boueuse.

"C'est une attaque de bobos qui n'ont jamais eu de terres leurs godasses. Ces gens ne connaissent rien au-del du priphrique parisien, ne savent rien de la ralit des dpartements."

Attendons. L'article de La Croix ne livre pas les conclusions du rapport Attali. Il imite les journaux stipendis qui glissent avant leurs publications les bonnes feuilles d'un roman attendu pour la rentre littraire. Laurent de Boissieu, Antoine Fouchet et Matthieu Castagnet se font l'cho d'un incendie venir, moins qu'il ne s'agisse d'un simple contre-feu. Ils interrogent ces lus de proximit qui dfendent l leur raison sociale plutt que l'intrt gnral. Ces derniers parlent d'une seule voix, cette unanimit provoquant l'agacement davantage que l'assentiment. Tout est parfait, et tout le monde indispensable, comme les cimetires bien remplis...

Un chelon administratif qui passe le plus clair de son temps justifier son existence n'en court pas moins qu'une autre le risque de disparatre. Mais le martlement des arguments suscite la longue l'autopersuasion. Pour le rformateur, un danger s'ajoute alors la lourdeur de la tche administrative. Car le jour o la dcision tant redoute finit par tomber, elle suscite une incomprhension qui n'est pas feinte, le fameux comment osez-vous ? Elle peut aussi dclencher une colre source de tous les dbordements chez les prbendiers de la veille. Craignons que les conseillers gnraux ne revtent bientt les habits des privilgis d'hier, bousculs par Turgot... Ou bien par Calonne ?

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24 octobre 2008. Collectivits locales et (sur)endettement public. Avez-vous got le spectacle du cirque mdiatique autour de la crise financire, les dclarations l'emporte-pice devant les camras ou dans les journaux, les numros d'quilibristes d'experts ignorants ? Vous redoublerez de plaisir la lecture des papiers de Localtis.com, un site consacr aux collectivits locales sponsoris par Dexia. Deux d'entre eux ont retenu mon attention, qui s'aventurent sur le thme du risque des dsquilibres financiers. La tonalit ne varie pas, comme dans la chanson d'avant-guerre Tout va trs bien... Point de marquise, mais quelques laquais : 'Attention ne pas tomber dans l'amalgame !' recommandent en effet les spcialistes des finances locales.

L'un d'entre eux cit par Localtis recourt tout btement l'argument d'autorit : 'La crise financire, aujourd'hui c'est la crise bancaire, ce n'est pas la crise des collectivits locales, dont la situation financire est satisfaisante.' Tout juste s'attend-il pour les dites collectivits 'une restriction et un renchrissement du crdit'. Et si les banques manquaient l'appel dans les prochaines semaines ? "C'est 'quelque chose sur lequel on travaille', a indiqu Jean-Christophe Moraud [le sous-directeur la Direction Gnrale pour les Collectivits Locales]"

Malheureusement, les journalistes exagrant toujours on sait quel point ce dfaut handicape cette corporation en France (...) les rumeurs vont bon train. Mais Jean-Christophe Moraud n'en dmord pas. Du point de vue de l'endettement, 'avec les produits structurs, il n'y a pas de risque, si ce n'est un renchrissement des prix'. Mais que peut-on craindre de plus catastrophique en empruntant de l'argent, qu'une fin de remboursement retarde et un loyer renchri pour cause de hausse des taux d'intrt ? Le vice-prsident de l'Association des maires de France ne se contente pas de reprendre son compte les arguments prcdents.

Les 5 milliards promis lundi par le gouvernement ne sont pas destins ' sauver les collectivits de la faillite', a-t-il indiqu. 'Le seul risque' de la crise financire,c'est que le crdit 'cote plus cher' aux collectivits, a-t-il dclar, en ajoutant d'ailleurs qu'il n'tait 'pas certain que cela dure'. Pour Philippe Laurent, la crise financire est 'l'arbre qui cache lafort' .

En bref, les flammes montent mais l'incendie restera circonscrit : en fermant les yeux et en se bouchant les oreilles. Dans une page du site un peu plus ancienne qui remonte la mi septembre, Clmence Villedieu nuance : 'Les premiers effets du ralentissement conomique se font sentir sur les budgets locaux.' Elle tire sa conviction de l'analyse de deux cadres de la banque Dexia. L'un deux voque une crise intervenant sur un corps en bonne sant. La journaliste en arrive cependant vite la faille centrale des collectivits territoriales, leur mdiocre capacit d'autofinancement.

En septembre 2007, la note de conjoncture mettait dj en avant le tassement de la croissance de droits de mutation li une inflexion relle de la hausse des prix de l'immobilier. Aprs des annes de trs forte augmentation (+16% en 2004, +14% en 2005 et +13% en 2006), pour la premire anne, en 2008, le produit des droits de mutation (DMTO) pourrait enregistrer une baisse value 3%.

Les DMTO (Droits de Mutation Titres Onreux) perus sur chaque transaction immobilire ont t une poule aux oeufs d'or pour les collectivits depuis que les prix de l'immobilier grimpent. Entre 2000 et 2005, le montant total est pass de 3,7 7 milliards d'euros : + 10 % par an en moyenne depuis 1997. Les bnficiaires se rpartissent comme suit : le dpartement (72 %), la commune sur laquelle se situe le bien (32 %) et l'Etat (6 %). La part prise par les droits de mutation dans les recettes des conseils gnraux atteint dans certains cas 32 % [source].

Clmence Villedieu s'gare par la suite dans l'expos des dpenses. Cherche-t-elle mnager son lectorat ? Elle justifie en tout cas leur augmentation par le transfert de comptences de l'Etat (gestion des agents d'entretien grs jusqu' aujourd'hui par l'Education Nationale ou des personnels de la DDE) et par la hausse des prix de l'nergie. S'y ajoute tout de mme le service de la dette. L'Etat ne donne pas suffisamment ? On reste sur sa faim en s'arrtant cette question trop souvent pose.

" Les intrts de la dette augmentent cette anne de 10 %. [...] Cette anne, l'encours de dette s'tablirait 126 milliards d'euros fin 2008 et enregistrait une progression de 5,6% par rapport 2007. Pour la sixime anne conscutive, les collectivits sont en situation d'endettement."

De fait, le Monde ramne peu de choses les thories de Localtis.com, dans une page consacre le 5 octobre dernier aux fameux cinq milliards d'euros. Xavier Ternisien se penche sur le cas de la Seine-Saint-Denis [1]. Claude Bartolone prend beaucoup de pincettes parce qu'il ne souhaite manifestement pas accabler Herv Bramy, son prdcesseur communiste, qui lui garantit probablement une majorit au conseil gnral. Il dirige par consquent ses piques sur les commerciaux de la banque Dexia.

"Un audit ralis par le cabinet Klopfer a rvl que 97 % de l'encours de la dette de son dpartement tait constitu de produits structurs, autrement dit d'emprunts toxiques indexs sur des taux aussi exotiques que le change du yen, du dollar ou du franc suisse. Le prsident (PS) du conseil gnral de Seine-Saint-Denis estime que, dans le pire des cas, les intrts de la dette de sa collectivit pourraient grimper de 21 millions d'euros en 2009 39 millions en 2011, pour un encours total de 808 millions. "

Vus les montants concerns, on imagine des vilains besogneux en costume trop serr et cravate acrylique, faisant le porte porte pour vendre des encyclopdies en 21 volumes et contournant l'pargne de vieux retraits : un million par volume, voil une bonne affaire ! Claude Bartolone fustige galement la Direction Gnrale des Collectivits Locales. En dernier recours, il admet du bout des lvres qu'Herv Bramy a agi avec lgret. Ce dernier ne souhaite pourtant pas faire amende honorable. La commission permanente qui comprenait des lus de l'opposition a en effet vot l'unanimit les emprunts. Il affirme avoir fait baisser la dette, mais confond celle-ci avec les mensualits de remboursement. Sa conclusion mle populisme et incantation : 'Il n'est pas question que la population de Seine-Saint-Denis paye les frais de la crise bancaire.' Dans un entrefilet [2], le lecteur dcouvre qu' ct de la Seine-Saint-Denis, la mairie de Paris a l'intention de lever plus d'impt l'an prochain (+ 9 % ?). Elle emploie en 2007 8.000 agents de plus qu'en 2001.

En conclusion, les recettes vont diminuer, mais combien de responsables de collectivits prennent la mesure de la situation ? Les lus locaux sont en ralit nos lus nationaux. Les maires de Paris, les prsidents de Poitou-Charente, l'ancien prsident des Hauts-de-Seine, et combien de ministres (aujourd'hui ou dans un pass proche) constituent autant d'exemples d'lus locaux parvenus ou ambitionnant de l'tre. Ceux-ci se retrouvent dans les mmes associations : celle des Maires de France en est une. Entre Paris et les collectivits, le donnant - donnant fonctionne merveille, ce dont tmoigne l'aide de cinq milliards d'euros prvue par le gouvernement. Le prsident de la rgion Aquitaine Alain Rousset l'annonce dans le Monde du 23 octobre : Etat et rgions, ensemble face la crise. A la veille d'une probable rupture du financement des collectivits locales, les provinciaux de Paris ne peuvent dsormais cacher leurs dfaillances. L'heure vient-elle d'une remise plat ? Il s'agit sans doute d'une rforme impossible [3].

[1] 'En Seine-Saint-Denis la quasi totalit de la dette est constituee d'emprunts toxiques' / Xavier Ternisien / Le Monde / 21 octobre 2008.

[2] 'A Paris, Bertrand Delano assume une hausse de 9 % des impts locaux, sur fond de crise' / Batrice Jrome / Le Monde / 21 octobre 2008.

[3] 'Collectivits territoriales, la rforme impossible ?' / Romain Pasquier / Le Monde / 16 octobre 2008.

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31 octobre 2008. Surpopulation carcrale (l'Etat face la crise d'un pouvoir rgalien) La Croix consacre une double page l'enfer des prisons franaises. Si l'on pense au nombre de suicides de prisonniers, le journal s'intresse un thme d'actualit mais fait en mme temps la promotion d'un documentaire sorti cette semaine dans les salles obscures. A ct offre manifestement l'occasion de rflchir sur la situation des familles d'incarcrs. Bruno Bouvet rdige une critique logieuse, l'aune de la note indique sous le titre : trois toiles prometteuses. Dans le documentaire de Stphane Mercurio, les camras suivent des femmes spares de leur conjoint par les murs de prison.

Car elles continuent d'aimer, malgr les difficults matrielles et la sparation. Le rythme carcral s'imposent elles sans qu'elles puissent bnficier du moindre accommodement : aprs l'heure c'est plus l'heure, semble dire l'administration celles qui se prsentent en retard. Les femmes qui cherchent amliorer le quotidien des dtenus se heurtent souvent aux prescriptions tatillonnes concernant les paquets. En bref, et sans connatre A ct, on voit bien que le documentariste se foculise sur une vidence malheureusement perdue de vue. L'emprisonnement produit une souffrance qui surpasse le condamn.

Il y a l mon sens une occasion inespre de mettre en perspective la tentation de la victimisation instrumentalise par le candidat l'lection prsidentielle de 2007. Mon sentiment est au contraire que la victimisation conduit une impasse. La seule lecture de la critique de Bruno Bouvet je ne prjuge bien sr pas de la qualit d'A ct ne peut que susciter une raction primaire : la prison, quelle horreur ! Oui, donc elle dissuade... Ou encore : ils souffrent ? Oui, mais ils le mritent puisqu'ils se retrouvent l. Car le lecteur intgre l'ide de punition inflige par un tribunal, lui-mme charg de faire respecter la loi et d'indemniser le plaignant ; la victime, justement. Qui tranchera entre la douleur des uns et celle des autres ? La victimisation porte donc en elle-mme les germes de sa nullit.

Dans l'entretien que Jean-Marie Delarue donne La Croix, le Contrleur gnral des lieux de privation de libert - c'est son titre - rcemment nomm ce poste pour six ans et charg de dresser un bilan annuel, ne vient aucunement lever l'ambigut. Confront une suite d'incantations, le lecteur ignore s'il y aura une application, et quand ?

"Le tlphone a fait son apparition dans certains centres de dtention, il est dsormais temps d'en gnraliser l'accs. [...] Mon constat est identique concernant les units de vie familiales [...] il faut rflchir la mise en place d'aides financires en direction des familles les plus dmunies. [...] Il n'est pas acceptable en effet que l'on renvoie des proches ayant fait plusieurs centaines de kilomtres sous prtexte qu'ils ont quelques minutes de retard. [...] A l'avenir, il faudrait toutefois prvoir des dispositifs mettant en lien les services d'insertion et de probation, qui ont la charge des dtenus, et les services sociaux suivant les familles. [... Des visiteurs de prisons manquent en grand nombre ?] Reste souhaiter que davantage de citoyens se proposent pour devenir visiteurs de prison. "

En 2008, qu'est-ce qui diffrencie la communication de la politique ? La question se pose non pas propos de Jean-Marie Delarue mais cause de ceux qui ont cr son poste. Ici, le prsident de la Rpublique n'assume pas sa politique de fermet, concernant les rcidivistes ou les dlinquants sexuels. En mme temps qu'il satisfait son lectorat conservateur, il cherche en fait sduire les motifs. Pendant ce temps, un an et demi aprs sa prise de fonction, la surpopulation carcrale svit toujours.

A juste titre, Jean-Marie Delarue tente de poser les limites de ses prescriptions. Le problme carcral relve autant de l'conomie (le cot) que de la gographie. Il estime que les dtenus regrettent la logique centralisatrice des prisons franaises. Celles-ci les loigneraient de leurs familles [1]. Pourtant, les prisons de proximit existent : rares sont les dpartements dpourvus. Quand bien mme. Le gouvernement accepterait de financer les tablissements manquants, ce qui ne semble pour l'instant pas prvu , le problme demeurerait entier : 'aucun maire n'accepte en effet l'implantation de centres pnitentiaires au coeur de sa ville' reconnat le contrleur gnral des prisons.

Les Nancens collent bien cette description [voir Ne pas confondre : changer les Hauts du Livre et poser un lapin]. En somme, le discours politique ne dbouche sur aucune solution : rflexe nimby oblige. La politique tant l'art du possible, une conclusion se dessine. Il faut trouver des peines de substitution l'emprisonnement. Je devrais dire la raison justifie une telle politique. Dans les faits, les problmes demeurent, parce qu'une minorit de personnes seulement s'meuvent du sort des prisonniers. Ceux-ci ne sont pas des victimes reconnues comme telles...

Allons un peu plus loin, avec l'article principal de La Croix [2]. L'ide suivant laquelle une meilleure prise en compte des familles de dtenus s'impose tombe d'elle-mme... Marie Boton dmontre en effet que la moiti des dtenus ne reoivent aucune visite. On peut toujours affirmer que l'loignement entre lieux de dtention et lieux de rsidence provoque cette tragdie. Mais la journaliste affaiblit de toutes faons l'argumentation en montrant que beaucoup de gens refusent de rendre visite leur proche emprisonn. Ils s'approprient d'une certaine faon la dimension morale de la peine, mme si leur rprobation se rpercute d'une manire particulirement cruelle. Non seulement le dtenu perd sa libert, mais il subit de surcrot une forme de bannissement... Ainsi s'opre un retournement par rapport au projet initial. Les familles peuvent-elles rclamer un statut gnral de victimes si un grand nombre d'entre elles se dsintressent de ceux qui souffrent vraiment, placs entre quatre murs ?

Car y bien regarder, La Croix se tait sur la recrudescence des tentatives de suicide, et mme sur les suicides russis. On en dnombrerait 90 en France depuis le dbut de l'anne... [Le Parisien]. Les affaires se succdent mais suscitent des articles si isols les uns des autres que l'on ne peut parler de campagne de presse [ la mi-octobre, le Monde s'inquite d'un cas en Alsace / Voir aussi ceci]. La surpopulation carcrale renvoie l'ide de punition. Ne soulevant pas l'indignation, les journaux ne traite cette information qu' la marge. En cela, la socit justifie plus qu'elle ne rprouve l'attitude des proches refusant de visiter leur dtenu. La journaliste de La Croix veut faire un instantan l'intrieur d'un centre de dtention ( Fleury-Mrogis). Mais elle choisit le plus grand d'Europe en superficie, situ en rgion parisienne : est-il totalement reprsentatif, alors que des dizaines d'autres s'parpillent sur l'ensemble du territoire national [Nicolas Derasse / historique et carte ] ?

On y rencontre un Uruguayen, pour illustrer l'ide de la surreprsentation des trangers. Le fait que son pays se trouve dans l'autre hmisphre et sur un autre continent permet d'insister sur l'loignement : sa famille ne lui donne aucune nouvelle. Pour rsumer, 'on compte parmi eux [les dtenus] une trs large proportion de personnes trangres, mais aussi de sans-domicile-fixe, de malades mentaux et parfois de grands criminels sexuels.' La journaliste tombe donc dans le panneau et les clichs. Qu'isolent en effet de caractristique les enqutes sociologiques ? Les dtenus sont plus de 90 % des hommes. La trs grande majorit ont moins de trente ans, sont sortis prcocment du systme scolaire, et appartiennent des milieux dfavoriss [source]. Evoquer la grande pauvret ne signifie pourtant pas que l'on excuse les crimes et les dlits. C'est un fait. Il semble nanmoins que les criminels sexuels constituent les btes de foire de notre poque. Peu importe leur non reprsentativit l'chelle de la population carcrale : ils procurent le mme frisson d'angoisse.

Le commentaire de la journaliste laisse s'ouvrir une faille. Celle-ci concerne les immigrs en situation irrgulire... "'Ils font tout pour cacher leur nationalit afin de ne pas tre renvoys dans leur pays, prcise Jean-Marc Dupeux, pasteur et aumnier national des prisons." Quel est en fin de compte l'intrt de la collectivit de garder en prison des personnes irrgulires alors mme que l'on clame l'urgente ncessit d'en renvoyer d'autres, celles qui ont commis comme seul dlit de ne pas avoir de papiers d'identit ! L'administration pnitentiaire reconnat la saturation de sa capacit d'accueil tandis que le Parlement se garde de lgifrer pour encadrer la dtention prventive ou encore pour adoucir les lois de prohibition sur les drogues et stupfiants. Au fond, la tentative de victimiser les familles de dtenus ne fonctionne pas. A tout prendre, et si l'on tient dterminer des catgories, la socit est en ralit plus bourreau que victime...

Quant la politique carcrale franaise, elle est inconsquente, coteuse, et potentiellement dangereuse. Que l'on se rappelle en effet que les prisons de Napolon III ont form les cadres de la Commune... Le bonapartisme a bonne presse il est vrai.

[1] Sur les 63 000 dtenus actuellement en prison, des milliers vivent, comme lui, totalement coups des leurs. Il leur faut affronter lisolement carcral autant que lisolement affectif. Selon une tude publie dans les Cahiers de dmographie pnitentiaire, en 1998, 47 % des personnes incarcres navaient pas t appeles un seul parloir durant toute leur dtention. / Prs d'un dtenu sur deux oubli derrire les barreaux. / Marie Boton / La Croix du 29 octobre 2008.

[2] Id.

[3] Id.

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14 janvier 2009. Ruralit rve, (no)ruralit pratique. A l'occasion de sa dernire estimation de population (2006) rcemment rendue publique, l'Insee a mis en ligne ses statistiques concernant la population franaise : la fois par dpartements et par rgions, avec distinction possible de l'ge et du sexe. Les tableaux de l'Insee serviront dsormais de base de donnes pour les collectivits territoriales mais aussi pour les ministres, en particulier pour celui des Finances. Il est intressant d'tudier l'volution de la rpartition de la population et des dynamiques dmographiques grce aux archives galement disponibles partir de 1990. J'ai retenu ici quatre tapes, une tous les cinq ans : 1991, 1996, 2001 et 2006.

Au cours des quinze dernires annes, la population mtropolitaine n'a cess d'augmenter, de 56,84 millions d'habitants en 1991 (57,93 en 1996, 59,25 en 2001) 61,17 millions d'habitants en 2006. Sans mme voquer les DOM - ils gagnent dans l'intervalle 360.000 habitants - le nombre de dpartements qui voient leur population crotre rgulirement est de 66. Ceux dont la population diminue ne sont que sept, la Nivre, la Meuse, la Haute-Marne, la Creuse, le Cantal, les Ardennes et l'Allier. Ce double constat provoque l'tonnement pour qui garde en mmoire l'histoire dmographique franaise contemporaine.

Dans l'Atlas Bordas Gographique et Historique (1989), le dclin dmographique de la province apparat trs clairement. Entre 1851 et 1901, la carte tmoigne du dclin des dpartements ruraux, dans le bassin parisien et l'est breton, le bassin aquitain, et dans toute la moyenne montagne. Entre 1951 et 1954 le phnomne s'accentue. Il s'inverse en revanche aprs cette date, grce au baby-boom. Entre 1954 et 1982, on compte tout de mme prs d'une vingtaine de dpartements dcroissants. Aux sept dcrits plus haut s'ajoutent la Haute Corse et la Corse du Sud, Paris, l'Indre, la Dordogne, la Corrze, l'Aveyron, la Lozre, la Haute-Loire, le Gers et l'Arige. Malgr son caractre relatif, le dclin semble conjur, en dehors des espaces les plus loigns des grandes agglomrations.

Avant d'en venir aux zones les plus dynamiques, arrtons-nous quelques instants sur la vingtaine de dpartements qui appartiennent une sorte de ventre mou. Deux tendances s'y succdent et s'y contredisent mme parfois entre 1991 et 2006. Une hausse annule la baisse, ou l'inverse. Il s'agit des Vosges, du Tarn, des Deux-Svres, de Paris, de la Sane et Loire, des Hautes Pyrnes, de l'Orne, de la Marne, de la Lozre, du Lot-et-Garonne, de la Loire, de l'Indre, du Gers, de la Dordogne, des Ctes d'Armor, de la Corrze, du Cher, de l'Aveyron, de l'Arige et enfin de l'Aisne. Les annes 2000 marquent semble-t-il un tournant. Plusieurs dpartements connaissent en effet une progression brusque entre 2001 et 2006, en particulier l'Arige, les Ctes d'Armor, la Dordogne, le Gers, le Lot-et-Garonne, la Lozre, les Hautes-Pyrnes, Paris, les Deux-Svres et le Tarn.

Cette liste mle deux types de territoires bien diffrents. Les Ctes d'Armor profitent visiblement de leur littoral considr jusqu' une priode rcente comme trop frais ou trop excentr. Les maisons et appartements face la Manche sont moins inaccessibles qu'ailleurs. Dans la zone francilienne, Paris engrange depuis dix ans les effets de la gentryfication. Pour la premire fois depuis l'entre-deux-guerres, le nombre de Parisiens s'accrot : + 20.000 habitants entre 1996 et 2001, et + 30.000 entre 2001 et 2006 2,17 millions d'habitants. L'embourgeoisement de Paris ne s'accompagne cependant pas d'une chute de la fcondit des Parisiens : 305.700 enfants de moins de quinze ans en 1991 contre 307.000 en 2005.

La zone restante correspond un Sud-Ouest largi, s'tendant de la Lozre (48) aux Deux-Svres (79). Ici l'activit agricole ne peut expliquer elle seule le frmissement des statistiques. En revanche, de nouveaux arrivants viennent au secours des populations en dclin plus ou moins marqu. Ce ne sont pas forcment les trangers rendus responsables de la pousse des prix de l'immobilier qui sont en cause. Les Britanniques ou les Hollandais - supposer que cette installation dbouche sur l'obtention de la nationalit franaise - tirent vers le haut le bilan dmographique des dpartements concerns. Ils ne sont pas seuls, car l'effectif des plus de 60 ans varie peu.

Mais des familles quittent leur rgion d'origine pour habiter dans le Sud-Ouest. Ils viennent avec des enfants. D'autres naissent probablement, comme l'illustre la stabilit du nombre des moins de quinze ans entre 1991 et 2005, dans une rgion aux taux de natalit globalement faibles (voir ). En Dordogne, dans cette catgorie des moins de 15 ans, on dnombre 32.000 garons (- 1.000 par rapport 1991) et 31.000 filles (- 1.000), dans le Gers 14.000 (g / 0) et 13.000 (f / + 500), en Lozre 6.500 (g / 0) et 6.000 (f / 0), dans le Tarn 31.000 (g / 0) et 29.000 (f / 0). La stabilit dmographique tient finalement peu de choses. L'embellie ne se perptuera qu' une condition, le maintien du got pour le Sud-Ouest l'extrieur de la rgion. Dans le film Le bonheur est dans le pr (voir photo de tte) le personnage interprt parMichel Serrault a abandonn jusqu' sa propre femme (Sabine Azma) pour rpondre cet appel... !

La population franaise est passe de 56,8 61,2 millions. Or les quatre millions gagns dans l'intervalle se rpartissent, puisque sur les deux tiers du territoire hexagonal, on observe un taux de croissance suprieur zro. Rappelons qu'entre 1901 et 1954, seuls les dpartements accueillant les grandes agglomrations (Paris, Lyon, Marseille, Lille, Nice, Toulouse, Bordeaux, Nancy et Metz) connaissaient un crot positif. Ce trait demeure. Parmi les plus fortes augmentations de population, on trouve les dpartements de la grande Couronne parisienne. Chacun d'entre eux gagne plus de 100.000 habitants : le Val d'Oise, la Seine Saint-Denis, les Hauts-de-Seine (140.000 habitants de plus entre 1991 et 2006), l'Essonne, les Yvelines (84.000), la Seine-et-Marne (170.000) et l'Oise (60.000).

En province, les agglomrations cites plus haut assurent toujours le dveloppement dmographique de leurs dpartements respectifs. D'autres, de moindre importance produisent un effet quivalent, comme Nantes, Grenoble, Toulon, Strasbourg, Montpellier, Angers, Mulhouse, Bayonne-Anglet-Biarritz, Orlans ou Annecy... Tous les dpartements donnant sur la mer Mditerrane, l'Atlantique ou la Manche connaissent peu ou prou les mmes volutions. La Charente-Maritime gagne par exemple 65.000 habitants entre 1991 et 2006, et les deux dpartements corses 27.000 habitants dans la mme priode [1]. La pression dmographique pse sur le march immobilier, avec des rpercussions politiques dans l'le de Beaut.

Faut-il pour autant crier victoire ? L'tude de la natalit [Ined] indique que dans un nombre notable de dpartements, la population vieillit. Le seuil de renouvellement des gnrations (2,1 enfants par femme) n'est dpass en 2004 que dans une poigne de dpartements. En dehors de la rgion parisienne (Val d'Oise, Essonne, et Seine-Saint-Denis), il s'agit de la Mayenne, de la Vende et du Tarn-et-Garonne. Au cours de la dcennie 2000, le crot naturel des Franais repose sur un facteur phmre, puisqu'il dpend en partie de la forte fcondit des 35 -45 ans : un enfant sur cinq en 2008 contre un sur six dix ans plus tt [source]. Que la mode se perptue importe peu. Car les filles du Baby-boom cderont la place dans les annes qui viennent d'autres, nes aprs 1975, beaucoup moins nombreuses. De la mme faon, la vitalit de bien des dpartements repose sur des mcanismes susceptibles de se retourner.

Les aires urbaines se sont tales, par grossissement de communes rurales priphriques. Elles signent une poque. Se sont conjugus une prosprit conomique durable, un prix bas des carburants assurant l'essor de l'automobile individuelle, et un investissement public quasi continu dans les infrastructures. Mais la priurbanisation n'est qu'une redistribution des densits au sein d'aires urbaines reprsentant une petite partie du territoire. Le mouvement de reconcentration observ Paris (voir plus haut) la contredit depuis au moins une dcennie. Plus inquitante sans doute, la crise conomique qui s'annonce risque fort de remettre en cause ces volutions, ne serait-ce que par dsengagement de l'Etat. Viendra peut-tre le temps d'une reconqute de territoires sacrifis sur l'autel du tout citadin et du corporatisme agricole, transforms en rserves indiennes pudiquement baptises parcs naturels dans lesquels les rsidents sont pris de cohabiter avec des prdateurs rintroduits (ours, loups, rapaces, etc.) ou plus simplement abandonns la fort de rsineux.

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6 mars 2009. Les limites administratives de la Bretagne. Vieilles rclamations. Pour mes lecteurs trangers - Dieu sait combien de cohortes ils forment (...) - j'voquais rcemment le cas du fantme des Tuileries. Il illustrait mon sens un aspect essentiel du village gaulois. Pour rsumer, les villageois prtent une attention distraite des enjeux majeurs, aux engagements internationaux de la France dans le cadre de l'Otan, aux consquences macro-conomiques de la crise qui dvaste nombre de pays occidentaux avancs, la faillite du modle familial, au dclin du sacr, la disparition des appartenances collectives, la remise en cause du modle urbain tal et du tout-voiture, etc. Aucune de ces grandes questions n'occupe durablement leurs esprits. En revanche, des dbats ne mobilisant que les initis et dont la majorit se dsintresse, comblent les colonnes de journaux et servent d'arguments lectoraux des hommes politiques en mal de lgitimit.

Dans le cas prcis des Tuileries, s'entredchirent des partisans d'une reconstruction coteuse, difficile mettre en uvre, mais potentiellement ralisable, des opposants tout aussi farouches. Ces derniers plaident pour la sauvegarde des jardins depuis crs, et s'insurgent contre la construction d'un pastiche jug l'avance inesthtique. Le micro-dbat passionn, voire violent, passe par un engagement forcen des participants, comme si l'avenir du monde tournait autour de la question traite. Mais il implique aussi paradoxalement l'omission des effets de telle ou telle dcision. Dans le village gaulois, personne ne sait s'il y a un besoin d'espace construit cet endroit, face au muse du Louvre, et ce que l'on compte faire de ses salles vides si l'ancien Palais ressurgit. Au fond, la reconstruction assez hypothtique des Tuileries l'poque de la Troisime Rpublique aurait fait grincer des dents. Elle serait cependant intervenue dans une ville encore populeuse et ouvrire. En 2009, au cur d'un Paris embourgeois, une seule question me semble pertinente : l'ouverture d'un chantier de rdification n'apparatra t-elle pas comme un cadeau supplmentaire offert aux riches et aux puissants, alors que les cits remuent () et que les banlieusards pataugent dans leurs difficults. Il est des symboles moins encombrants politiquement.

Un nouvel pisode se droule sous nos yeux bahis, dans la ligne des contreverses du village gaulois. Le comit Balladur divulgue en ce dbut du mois de mars 2009 ses vingt propositions pour simplifier l'empilement administratif franais. De fait, l'expression simplification territoriale introduit la possibilit d'une fausse interprtation, car on ne peut au mieux que dplacer des frontires administratives. La rforme vise pourtant raffecter les personnels, et supprimer les comptences croises. Cette dmarche est crdible grce la flexibilit des propositions. En substance, se prononcera qui voudra. Ainsi, l'ancien premier ministre et ceux qui l'ont entour ont vit de diaboliser le dpartement ou la rgion, laissant entendre que l'un peut s'imposer ici, et l'autre ailleurs.

A la faveur de ce contexte, nanmoins, les dfenseurs d'un dpartement basque (voir ici), d'une autonomie alsacienne (ici) ou d'une runification normande s'engouffrent dans la faille. Leurs alter ego ne manquent pas dans le reste de l'Europe [1]. L'intrt gnral est le cadet de leurs soucis. Les particularistes voient surtout l'occasion de scander leurs vieux slogans. Les partisans du rattachement de la Loire Atlantique la Bretagne rentrent dans cette catgorie. Et le vieux bcher de s'enflammer nouveau... Pierre Mhaignerie, une des ttes pensantes de l'UMP (...), et une personnalit de poids dans le srail politique de l'Ouest, scandalise jusqu' ses plus chauds partisans : dans la rgion, a t-il gliss un journaliste, 'le rfrendum est dans les ttes' [Ouest-France].

Sur Internet, les tenants du pour et ceux du contre s'charpent copieusement : ici ou l. L'histoire sert de rserve d'arguments, mais ne bnficie jamais d'un traitement spar, dans sa linarit. On se jette la figure la Seconde Guerre Mondiale. Les uns clament que le dcret publi Vichy le 1er juillet 1941 marque le crime ultime de la France contre la Bretagne, tandis que les autres dnoncent la collusion entre les autonomistes bretons et l'occupant allemand. Or le dcret cit ne mentionnait pas plus le nom de la Bretagne que ceux de l'Anjou ou de l'Orlanais, tandis que la cration des rgions date de 1960. Les collabos - pour reprendre l'injure de l'poque - se rpartissaient d'autre part sur l'ensemble du territoire, sans concentration spcifique dans la pninsule bretonne. Pour prendre un autre exemple d'histoire mise contribution, les partisans du rattachement de la Loire-Atlantique la Bretagne portent une affection particulire la priode mdivale et ses figures politiques. Mais quel sens donnait-on la nation l'poque de la querelle de succession, dans la premire moiti du XIVme sicle ? Certes, la Bretagne exacerbait alors les rivalits entre les couronnes de France et d'Angleterre, au point de se transformer en un thtre d'opration secondaire de la guerre de Cent-Ans : aller au-del relve de la pure spculation.

La langue alimente elle aussi des discussions sans fin. Si l'on voque le gallo, langue usuelle Rennes et Nantes avant le triomphe du franais, les bretonnants enrags rtorquent rpression, colonialisme... Florence Pagneux dans la Croix du 5 mars 2009 s'escrime prsenter les belligrants quitablement. Elle russit seulement donner la mesure de l'affaiblissement idologique du Parti Socialiste, ici directement en cause. Car les hirarques locaux du PS se disputent au vu et au su de tous, sur l'avenir de la Loire Atlantique. Patrick Mareschal - prsident du conseil gnral se range parmi les rattachistes. 'Nous avons besoin dun territoire conscient de son identit pour y dvelopper des projets'. Le reprsentant d'une association ad hoc recommande le rattachement de son dpartement sa rgion ftiche, et le renvoi de la Vende la rgion Poitou-Charentes. A le suivre, il suffira d'adjoindre judicieusement (...) les restes de la rgion Pays de Loire la rgion Centre-Val-de-Loire si charge d'histoire (...). Ainsi, les dpartements de la Mayenne et de la Sarthe ne toucheront pas le fleuve ponyme, mais on retirera dans le mme temps la Loire Atlantique du groupe des dpartements de l'ex-rgion Pays-de-Loire. Ceux qui ne rsident pas Nantes, allez comprendre !

Le prsident PS du conseil rgional des Pays de la Loire, et maire de La Roche-sur-Yon (Jacques Auxiette) ne l'entend pas de cette oreille 'Ce dpartement de 1,2 million dhabitants a une ralit conomique et industrielle sur lestuaire de la Loire. Si on le rattache la Bretagne, on tue la rgion Pays de la Loire et on raye cinquante ans de travail en commun.' Mais il ressort de la suite de l'entretien avec Jacques Auxiette l'impression que tout fonctionne aujourd'hui, condition d'incorporer la cuisine politique un zeste de gestion transversale. Au lieu de reconnatre que l'Etat assure par principe et en dernier recours le suivi des dossiers lorsque s'entredchirent plusieurs collectivits locales, l'lu socialiste vend des chteaux en Espagne. Ce dernier se comporte en opposant non - proposant...

Cette histoire de cornecul resterait d'un intrt mineur, en l'absence de Nantes, l'une des dix plus grandes agglomrations franaises. Il apparat bizarrement que les rattachistes dithyrambiques sur le dpartement en tant que territoire, ou sur la partie centrale et patrimionale de la ville (le chteau des Ducs) sont gns par la ralit de l'agglomration, son extension et son dynamisme. Au cours des dernires dcennies, l'aire urbaine nantaise a au minimum doubl, en lien avec son accroissement dmographique. En 1946, l'aire urbaine telle qu'elle apparat aujourd'hui regroupait 280.000 habitants. En 2009, on value la population 590.000 habitants, selon les estimations de l'Insee. Le long de l'Erdre (La Chapelle sur E.) et surtout de la Loire (Saint-Herblain ou Couron), des communes priurbaines ont vu le jour. Les grands axes ont provoqu les mmes effets, au nord (Orvault) autant qu'au sud (Vertou ou Bouguenais). Dans les annes 1960, on ne franchissait les bras de la Loire que par deux ponts successifs tranglant tout dveloppement de la ville. Depuis, l'agglomration dispose des atouts des grandes mtropoles, un contournement entier, des universits et grandes coles, des services (gares, stades, zones commerciales, etc.) et des activits diversifies.

En conclusion, Nantes ne prsente pas plus un profil breton que venden. Nantes est nantaise, au milieu du pays nantais. Dans le village gaulois, combien ont pourtant not que Nantes s'explique par elle-mme, et que la Loire-Atlantique correspond au plus une donne administrative (voir les cartes Michelin qui suivent, successivement de 1965 et 2002) ? En mme temps, et pour tre juste, sans abuser de la position du faux sage, ce dbat ouvre aussi des perspectives d'criture !

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22 avril 2009. Inscurit, sujet dmagogique. Le Figaro a vendu la mche un peu trop tt. Avant le discours prsidentiel de Nice, le journal place en une ce titre, le 17 avril 2009. La nouvelle carte de France de l'inscurit rvle combien, mais aussi o elle svit. Quatre tableaux accompagnent la carte de l'Hexagone. La Corse se glisse bien un peu en bas, droite, mais trs discrtement, recouverte d'une couleur grise passe-partout, celle des dpartements o des Franais coulent des jours heureux, bien en scurit.

La Corse du Sud et la Haute-Corse rentrent en effet dans la tranche des dpartements en-dessous des moyennes. A l'chelle nationale, personne ne recense les accidents domestiques avec des cordes linge enroules autour du cou, les chutes du haut d'une falaise les pieds dans le ciment, ou les ruptures de frein sur voitures neuves. En dehors de Bastia ou d'Ajaccio, peu de Franais meurent tus au fusil lunette sur la terrasse d'un caf, ou mitraills au volant de leur vhicule. Dans quels dpartements, les btiments publics explosent-ils ? Sur quelles faades tire-t-on l'arme de guerre ? Le 20 avril, la suite d'une nouvelle fusillade meurtrire, Romain Rice de France-Soir met jour ses propres statistiques insulaires : 'Quatre morts en une semaine. Neuf depuis le dbut de lanne.' En Corse, l'Observatoire national de la Dlinquance (OND) et le Figaro jugent nanmoins la situation matrise et satisfaisante.

Dans le Figaro, un tableau en orange soutenu recense les dix dpartements franais dans lesquels - toutes fautes confondues - les chiffres de l'inscurit atteignent des sommets. Ceux-ci restent infrieurs 19 cas pour 1.000 habitants (chiffres de 2008). Ce classement dissimule de profondes disparits. Seul un des trois tableaux secondaires - intitul Menaces de violence - est le plus proche du tableau de synthse. Sur la carte place au centre de la page, aucune agglomration de plus d'un million habitants n'chappe au classement... En revanche, les zones montagneuses et la moiti ouest du pays regroupent les dpartements recenss comme les plus srs. Sans doute y vit-on mieux qu'ailleurs ?! Mais les densits s'y trouvent le plus souvent trs en de des moyennes nationales. En Lozre ou dans la Creuse, les habitants ne souffrent certes pas d'inscurit, mais plutt de l'isolement. Certains limousins perdus sur le plateau de Millevaches n'esprent-ils pas une petite algarade, juste une, pour avoir l'occasion de rencontrer un nouveau visage dans la semaine !?

Dans la catgorie Destructions et dgradations, la Seine - Saint-Denis occupe aussi la premire place. Plutt que de limiter l'analyse des causes la prsence de populations d'origine trangre, il me parat plus judicieux d'unir les dpartements franciliens et les dpartements d'outre-mer [1] du point de vue de la structure par ge. 35 % des habitants de Seine Saint-Denis ont moins de 25 ans [source]. Au recensement de 1999, 43 % des Guyanais avaient moins de 20 ans [source] ! Les statistiques de l'inscurit parlent d'une France plus jeune que la moyenne. S'agit-il d'une jeunesse insoumise, ou d'une jeunesse qui s'ennuie, en marge d'un pays vieillissant ? En France, le nombre des plus de soixante-cinq ans augmente en effet quand celui des moins de vingt ans rgresse (Les lendemains qui chantent...). Entre 1990 et 2010, le rapport entre les deux groupes tend s'quilibrer, de 13,9 (pourcentage des + de 65 a. par rapport la population totale) / 27,8 (pourcentage des 0 - 19 a. par rapport la population totale) 16,7 / 24,3 [Insee].

La Marne (deuxime), le Nord (troisime), le Rhne (neuvime) ou la Loire-Atlantique (dixime) arrivent en tout cas dans le peloton de tte des dpartements pour les destructions et dgradations. Ils n'appartiennent pas la rgion le-de France, brouillant ainsi l'image d'une inscurit cantonne aux banlieues parisiennes. Au sujet des Violences sexuelles, la prsence du Territoire de Belfort (premier), de la Haute-Marne (sixime), de la Somme (septime), du Pas-de-Calais (huitime), du Tarn-et-Garonne (neuvime) et de l'Yonne (dixime) figure la mme dispersion l'chelle de l'ensemble du territoire franais. [Voir aussi]

Une France des villes moyennes se dessine, du dsuvrement et du dclassement social. Les jeunes issus de l'immigration n'y envahissent pas les rues. Ces dpartements de l'essoufflement industriel, du chmage ou d'une agriculture tellement intensive qu'elle se passe de main d'oeuvre, remplissent les colonnes de faits divers, dont sont si friands les lecteurs de journaux rgionaux. A Chlons en Champagne, une fillette meurt la fin du mois de mars mordue par les deux chiens de la famille. A Vitry-le-Franois, les voitures brlent chaque anne par dizaines. A Villefranche-sur-Sane, les prisonniers de la maison d'arrt se plaignent, et le contrleur gnral des prisons leur donne raison ! A Hnin-Beaumont, le maire tape dans les caisses municipales pour secourir les dsesprs de la ville... [Le Monde]

Le Figaro met ensuite en situation la lutte contre l'inscurit l'chelle locale, et plus prcisment Nice. Les vols la tire se multiplient sur la Cte d'Azur. 'Ce sont des gens de l'Est, des Roumains, des Bulgares, des Croates, des Bosniaques, et depuis peu des Tchtchnes', analyse finement Jean-Benot Vion. Le premier adjoint au maire, ancien officier de gendarmerie opine du chef. Deux cents camras surveillent d'ores et dj les rues et la Promenade. On en dnombrera cinq cents en 2010. La fin de l'article laisse encore plus perplexe. Les voleurs chouent en effet parfois devant le bureau du juge. Or celui-ci gmit de son impuissance. En quoi les vidos arrangeront-elles les problmes juridiques poss par les mineurs dlinquants ? L'adjoint au maire de Nice n'en dmord pas, cependant, car la recette fonctionne Monaco. Le journaliste glisse sur le fait que l'ancien gendarme voque les camras ET des policiers omniprsents. Peut-tre pense-t-il des forces de l'ordre arpentant les rues pied, et non aux uniformes bleus patrouillant en voiture ou chassant les contrevenants du code de la route ?

Plus souvent qu' son tour, le mot inscurit sort de la bouche de Christian Estrosi, maire de Nice et ancien prsident du Conseil Gnral. Les Alpes Maritimes arrivent pourtant la septime place dans le Top 10 de l'inscurit ! Ceci explique-t-il cela (?), le littoral mditerranen, de Saint-Raphal Vintimille attire les retraits, les grosses fortunes (source) et les malfrats argents. Un sous-prfet conclut finalement sur autre chose. Il regrette que ses services peinent combattre 'les trafics de stupfiants, l'conomie souterraine et les violences intraconjugales.' Or le crime organis prospre parce que des consommateurs achtent de la drogue. Les Alpes Maritimes comptent pour cela une clientle sre. Les camras ne devraient pas les dpayser. Concernant les violences conjugales, le Figaro du mme jour informe ses lecteurs qu'un ancien champion du monde de VTT g de 32 ans a t condamn quatre mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Draguignan. Un maire d'une petite commune de l'arrire-pays niois trs apprcie des peintres a rpondu devant les tribunaux dbut avril de l'accusation de viol sur son petit-fils... [source]

Pendant ce temps, aux sons des trompettes, la mairie de Nice quipe ses policiers municipaux de pistolets lectriques (Taser). Aux Niois qui mal y pensent, le maire rpond au fond sa manire. Matre Eolas se dit peu convaincu. Le fervent hraut du prsident de la Rpublique n'en a cure et rve voix haute d'obtenir un ministre. Il ambitionnerait la place Beauvau, rien de moins. Ses tats de service plaident pour lui... Geographedumonde a en son temps dcrit la principale menace pesant sur Nice. Elle ne vient pas des gens de l'Est mais des entrailles de la terre : Salade nioise sauce citron.

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18 mai 2009. Chmage et vieillissement de la population active. Le supplment Economie du Monde dat du mardi 19 mai 2009 consacre son dossier central au chmage des jeunes en France et en Europe. Antoine Reverchon refuse l'alarmisme : il ne faut pas que les jeunes actifs se dsesprent. Il commence par les chiffres du mois de mars, et l'augmentation forte du nombre de chmeurs de moins de vingt ans, de 330.000 (03/08) 450.000 (03/09). De faon perfide - pourquoi s'en priverait-il ? - le journaliste se moque ensuite d'une tradition gouvernementale vieille d'une trentaine d'annes. On ne sait combien de gouvernements ont annonc de Plans Jeunes. Le premier remonte 1977, l'poque de feu Raymond Barre.

En France, des dbats furieux prcdent et/ou suivent gnralement l'annonce de ces plans, les uns esprant une rforme du lyce en vue de l'adapter l'entre dans la vie professionnelle, les autres fustigeant toute concertation entre monde de l'enseignement et monde de l'entreprise. Antoine Reverchon dpasse ces querelles pour montrer le caractre occidental du problme. Il ne dissimule pas son scepticisme vis--vis de politiques englobant une population htroclite, du fait de l'ge, des comptences et des attentes. Car moins on est qualifi, plus on a de risque de chercher longtemps un emploi, et plus cet emploi sera prcaire et mal pay.

"Ds lors, une formation gnrale solide suivie d'une entre progressive dans le monde du travail par la voie de l'alternance semble tre le moyen de concilier ce qui paraissait inconciliable." [1]

Polmique, Antoine Reverchon dgonfle un certain nombre de baudruches. Oui, un jeune actif sur quatre est au chmage, mais ce pourcentage n'a pas sensiblement volu depuis trois dcennies. Il reflte une situation vcue par les personnes en manque d'exprience ou non diplmes, davantage que par les jeunes en gnral. Six sur dix poursuivent en moyenne leurs tudes entre 15 et 24 ans. Non, les jeunes Franais ne souffrent pas plus de leur ge que leurs voisins europens. Il se trouve qu' l'tranger, nombre de pays rangent leurs jeunes en formation professionnelle dans la catgorie des actifs et non des scolaires. Oui, le diplme continue de donner son titulaire un avantage irremplaable.

"En 2007, la proportion de jeunes au chmage dans la gnration 2004 tait cinq fois plus importante pour les non-diplms que pour les titulaires de masters. [...] Pourtant, trois ans aprs la sortie de l'cole, les deux tiers de la gnration 2004 travaillaient en CDI, et 87 % temps complet. [... N]ombre de secteurs peuvent pallier les dparts par le recours aux technologies, aux dlocalisations ou l'immigration. " [2]

Oui, le nombre des emplois prcaires s'accrot. La part des contrats dure dtermine est passe d'un quart en 1984, aux trois quarts en 2004. L'abaissement de la fiscalit pour les entreprises embauchant un jeune et l'autorisation du travail non (ou sous-) rmunr ont produit l'effet inverse celui recherch, par effet d'aubaine. Non, les diplms, n'ont pas d'emplois dqualifis. Aprs une phase probatoire d'une dure moyenne de trois annes -le Cereq (Centre d'Etude et de Recherches sur les Qualifications) value un quart les ouvriers qualifis bacheliers, et prs de la moiti les employs/OS titulaires d'un diplme du suprieur : les entreprises tiennent compte des comptences des uns et des autres, souvent dans une direction bien loigne de la filire choisie au dpart par le diplm.

Non, les grandes entreprises n'ont pas cess de recruter, au contraire mme. A la fin de la dcennie 1990, le bilan des PME franaises a cependant t ngatif, avec plus d'emplois perdus que crs. Depuis une vingtaine d'annes, les entreprises lies des grands groupes, soit juridiquement soit par le carnet de commandes, ont plus que d'autres contribu crer des emplois en France. Ainsi les grands groupes ont alli stratgies externes (sous-traitance) et internes, caractrises par un recrutement minimaliste qui exclut au maximum les carrires longues : les quinquagnaires en sont pour leurs frais, j'y reviendrai. De toutes faons, Antoine Reverchon conclut sur un espoir vain. Le dpart des Baby-boomers ne produira pas d'effets globaux, mais ventuellement sectoriels - l'industrie automobile vieillissante risque par exemple d'embaucher moins que le secteur informatique - et en fonction des gains de productivit.

Pour le lecteur insatisfait par le remarquable travail d'Antoine Revenchon, le supplment du Monde consacre deux autres articles la situation des jeunes actifs en dehors de France. Au Royaume-Uni, Virginie Malingre indique que 676.000 jeunes actifs de 18 25 ans cherchent un emploi aujourd'hui, c'est--dire prs d'un jeune actif sur six. Il est craindre que la situation dj politiquement prilleuse pour le gouvernement ne devienne explosive. La journaliste voque des projections particulirement sombres : trois millions de chmeurs en 2010, parmi lesquels 40 % gs de 18 25 ans. N'en dplaise la journaliste, les diplms sortent quand mme leur pingle du jeu. Selon l'OCDE en 2007, 55 % des jeunes actifs sans qualifications sont au chmage un an aprs leur sortie du systme scolaire, au Royaume-Uni. Or la part des Britanniques ne poursuivant aucune tude suprieure a progress au cours des annes 1990 et 2000.

En Sude, Olivier Truc, relve qu'un quart des actifs de 15 24 ans sont au chmage, l aussi avec une courbe dfavorable. L'Institut des statistiques sudois note que si l'on entrait dans la vie professionnelle 21 ans en Sude en 1989, on y entre dsormais 26 ans, avec un emploi prcaire quasi garanti. En Sude comme ailleurs, la vie des non-diplms s'est nettement dtriore dans le mme laps de temps. Les personnes interviewes par Olivier Truc, qu'il s'agisse d'un fonctionnaire, d'un syndicaliste ou d'un reprsentant du patronat sudois, manient sans vergogne les lieux communs dnoncs par Antoine Reverchon : diplmes inutiles, jeunesse opprime, utilit des aides aux entreprises embauchant des jeunes !

Donc les gouvernants mentent lorsqu'ils prtendent remdier au problme du chmage des jeunes actifs. Avec La Croix, il me faut nanmoins boire le calice jusqu' la lie. Le quotidien traite en page deux et trois du chmage des seniors. Des deux articles priphriques, il n'y a pas grand chose redire : d'un ct un lectricien de 58 ans bnficie d'une loi l'autorisant poursuivre une activit comme artisan (pourquoi pas...), de l'autre la prsidente du mouvement Ethic (Entreprises de taille humaine indpendante et de croissance) critique le systme franais de pr-retraite. Elle se flicite d'une mesure rcemment annonce par le gouvernement pour taxer les entreprises licenciant des seniors, alors que celle-ci risque fort de bloquer davantage le recrutement des quinquagnaires. Bref.

Marie Dancer s'embrouille un peu malheureusement. L'emploi des seniors se dgrade sous l'effet de la crise annonce t-elle en effet. Une nouvelle catgorie de victimes serait ne. 'Aprs les jeunes, les seniors ? Les salaris de 55 ans et plus vont-ils leur tour faire les frais de la crise, aux cts des moins de 25 ans, des intrimaires et des personnes en fin de contrat dure dtermine (CDD) ?' Les spcialistes dment consults abondent dans son sens, en mettant soigneusement de ct la question de la qualification, l'un expliquant que les jeunes et les seniors souffrent de la hausse du chmage (sic.), l'autre convoquant toutes les ressources de la sociologie de comptoir ('rflexe culturel ancr dans la socit franaise'). Et tout le monde larmoie sur la France la trane, en se rfrant aux donnes statistiques : les quinquagnaires franais travaillent moins, mais qu'en tait-il des mmes personnes il y a trente ans ? Quelle est la productivit moyenne d'un actif en France et dans d'autres pays europens ? etc.

Ne voulant heurter personne, Marie Dancer veut montrer un gouvernement combattif et compatissant vis--vis des actifs les plus gs. Et voil justifi le renvoi aux calendes grecques de la suppression de l'Allocation Equivalent Retraite. Car la pr-retraite co-finance par l'Etat arrange la fois les chefs d'entreprises satisfaits de ne plus payer des salaires peu comptitifs et flatte des syndicalistes soucieux de plaire leurs troupes.

"Lors des derniers plans de licenciement que jai contribu tablir, raconte ainsi une avocate demployeurs cite par Marie Dancier, ce sont les organisations syndicales qui mont presse de prvoir des conditions de dpart particulirement attractives pour les plus gs. Et les personnes directement concernes taient elles-mmes demandeuses."

Que le dpart des prretraits n'apporte aucune solution au chmage des jeunes semble n'intresser personne. Les quinquagnaires pr-retraits de demain viendront gonfler les rangs des travailleurs non dclars et concurrenceront ceux qui travaillent lgalement. En France, l'Etat s'endette donc pour se priver dans un second temps de ressources fiscales. Alors que le financement des retraites suscite de nombreuses interrogations.

En Allemagne, pays autrement alert par le vieillissement, le correspondant de La Croix raconte que les trois quarts des Allemands interrogs se sentent en forme. Le nombre de retraits actifs a cru fortement au cours des dernires annes : de 506.000 702.000, depuis 2002. En Allemagne, le ministre du travail de la Chancelire Angela Merkel a lanc un programme destin aux actifs gs, baptis perspective 50 ans +. Plus de la moiti (53 %) des 55 - 64 ans occupent d'ores et dj un emploi, contre un peu plus d'un tiers (38 %) en France. Je dois bien avouer que le plan pr-retraite fonctionne mieux que les plans - jeunes... Comme dans cette incrustation.

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8 juin 2009. Surpopulation carcrale (suite) et augmentation des longues peines. Dans le journal La Croix du mercredi 3 juin 2009, on trouvera en pages intrieures (deux et trois) un trs difiant dossier consacr au double problme des longues peines et du vieillissement des prisonniers en France. Il s'agit d'un trait commun la majorit des pays occidentaux, mais notre pays prsente d'attristantes caractristiques. La proportion des personnes ges de plus de 60 ans emprisonnes demeure encore exceptionnelle : 2.364 (chiffres de 2007) sur 63.397 (chiffres de 2009), c'est--dire entre 3 et 4 % de la population totale. Ce nombre de vieux prisonniers progresse cependant beaucoup plus vite que le nombre total, alors mme que leur sant tend se dtriorer. [Des tablissements pnitentiaires inadapts aux dtenus les plus gs]

Marie Boton consacre un article leur situation concrte, abordant ds le dbut le problme crucial des cellules collectives. Sans prononcer cette expression, la journaliste voque une double peine pour les codtenus, privs pralablement de libert : l'un doit prendre en charge la toilette, l'autre le transport dans les bras d'un paralys jusqu'aux douches. En ralit, l'administration pnitentiaire ferme les yeux sur un travail non dclar l'intrieur mme des prisons. Encore faut-il que les dtenus handicaps ou mobilit rduite disposent des moyens financiers pour se faire aider parmi leurs compagnons d'infortune. Les plus pauvres s'en passent.

En attendant, les maisons de retraite rechigneraient accueillir des repris de justice (?) On ne voit pas trs bien quel titre ! La difficult d'entrer en maison de retraite s'explique plus srement dans le rsultat concret de l'emprisonnement, c'est--dire l'absence de retraite, et plus gnralement de moyens financiers. Faute d'avoir pu travailler et cotiser, les prisonniers gs en fin de peine sortent compltement dmunis financirement, sauf cas exceptionnels (fortunes personnelles, environnement familial). Marie Boton signale donc un effet doublement dsastreux, au plan conomique et au plan moral. D'une part la collectivit assure la pnurie de structures d'accueil, gnralement par un ajournement des audiences de suspension de peine.

Certes quelques maisons d'arrt se sont quipes de cellules spcialement conues pour personnes handicapes. Mais la demande excde largement l'offre, ce qui signifie qu'une proportion (?) de prisonniers gs vulnrables tombent sous la coupe de plus jeunes et de plus violents s'ils se rendent la cour de promenade. La collectivit accepte d'autre part des formes de travail en milieu carcral comme pis-aller. Ceux qui aident un codtenu grabataire ou diminu contre salaire ne se constituent pas pour autant une retraite. Jean-Pierre Escarfail interrog en marge de ce dossier ne tremble nanmoins pas.

"Que le code pnal ait, rcemment, allong les priodes de sret des criminels les plus dangereux ne doit pas faire oublier que trs peu de dtenus passent, de fait, toute leur vie en prison. Pour exemple, ceux condamns la rclusion perptuit font, en moyenne, peu prs 17 ans de prison. Ainsi, la perptuit relle, c'est--dire l'impossibilit absolue pour un prisonnier de sortir de dtention, n'existe pas en France. Les associations de victimes ne demandent d'ailleurs pas qu'on empche les condamns perptuit de recouvrer la libert. Elles attendent avant tout que la dangerosit des dtenus soit mieux value au moment de leur sortie. " [La Croix / 3 juin 2009].

De problmes, point. A couter J.-P. Escarfail, la perptuit ne fonctionne pas vraiment. Souhaite t-il son application ? La prcision ne vient pas. Qui procde l'valuation d'un dtenu enferm pendant dix-sept ans, et en vertu de quels critres ? Avec cette conclusion apparemment rationnelle, le reprsentant d'association leurre son auditoire. Plus grave, il nie que les associations de victimes - quelles que soient les tragdies en cause - demandent la socit de payer la place des condamns.

La France est-elle devenue dangereuse ? Les statistiques refltent une ralit trs contraste. Le taux d'homicides se tasse, de 3,3 pour 100.000 Franais il y a quinze ans 2,9 en 2007, comme les peines de prison prononces pour ce mme motif : 513 en 2002 pour 491 en 2006. Cette tendance entame il y a trente ans semble corroborer les travaux des Amricains Donohue et Levit sur les consquences de la lgalisation de l'avortement, touchant en moyenne davantage des populations dites problmes [Universit de Chicago]. Les conomistes ont dclench une vive polmique parce qu'ils ont rduit peu de choses l'utilit des politiques dites de tolrance zro pratique en particulier New York.

La Croix indique en parallle une forte augmentation du nombre de viols dclars : 12.280 en 2008 contre 7.830 en 1998. Vu que les trois quarts des victimes connaissent leurs violeurs et que dans les deux tiers des cas, le viol se produit au domicile mme de la victime [SOS Femmes Accueil], les chiffres communiqus par L'Annuaire statistique de la justice talonne la dtrioration des relations intra-familiales, le couple n'tant en effet pas seul concern. On reste bahi devant le doublement des peines pour crimes et dlits sexuels entre 1984 et 2004 (de 5.080 10.700), sans vraiment savoir si cette volution provient d'un changement de la socit ou d'une prise de conscience des juges soudain plus svres...

Sur la pression conjugue d'associations, d'organes de presse friands de faits divers sanglants et d'hommes politiques prts caresser le grand public dans le sens du poil, les longues peines de prison ne cessent d'augmenter. Le lgislateur a allong les priodes de sret au cours desquelles le condamn ne peut solliciter une libration conditionnelle. Il a grandement rduit cette possibilit en cas de rcidive. Le ministre pse en outre sur les juges d'application des peines, surtout pour les cas sensibles, par crainte d'un emballement mdiatique. La loi sur la rtention de sret pose les jalons d'une seconde incarcration molle pour les personnes classes comme dfinitivement dangereuses. Il faudra pour cela ouvrir des centres socio - mdicaux - judiciaires.

Les JAP se retrouvent d'autant plus seuls que les experts mdicaux se prmunissent au maximum et font assaut de formules alambiques. Qui peut de toutes faons se prononcer sans une once d'hsitation sur le comportement venir d'un dtenu libr ? Certes, il s'agit de ne pas exagrer le phnomne. Les longues peines touchent moins de 15 % des dtenus franais. Environ 6.000 sur 60.000 effectuent une peine de rclusion perptuit infrieure vingt ans. La rclusion suprieure vingt ans concerne 2.100 prisonniers (2007), en augmentation nette depuis vingt ans (1.800 en 1987). Cette progression suivant nanmoins celle de la population carcrale totale, on pourrait en dduire que, pour l'administration pnitentiaire, c'est un problme grer parmi d'autres. Dieu sait qu'elle n'en manque pas... [Les portes du pnitencier continuent de se refermer]

La population carcrale, pour reprendre l'euphmisme habituel, s'accrot avec une impression fcheuse de gachis et d'inefficacit. Mme minoritaires, les longues peines psent sur l'ensemble du systme pnitentiaire. Elles ouvrent les portes du dsespoir, dont tmoigne chaque nouveau suicide. Pire, elles alimentent la violence de ceux qui savent qu'ils n'ont plus rien perdre : sur eux-mmes, sur les autres dtenus, sur les surveillants, ou dans les tentatives d'vasion. Dans la pyramide carcrale, le sommet donne le contre-exemple pour la base des dlinquants et petits trafiquants.

Ayant en tte Paris pendant la Rvolution ou la Commune, Moscou et Petrograd aprs la Rvolution d'Octobre 1917, ou encore Madrid et Barcelone en juillet 1936, j'ajouterai que les Franais ont consciencieusement fix au-dessus de leur tte une pe de Damocls : les hommes de main, les tortionnaires et les bourreaux font souvent leurs classes derrire les barreaux. La situation prvaut ailleurs en Europe et en Amrique du Nord ? Cela ne me rassure pas pour autant...

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25 juin 2009. Amnagement du territoire (contestable) La Croix du 24 juin consacre une double page intrieure (8 et 9) une question pour l'heure saugrenue. Des priorits pour prparer l'aprs-crise : ou comment expliquer qu' peine entame, LA crise s'annonce presque termine. Cela fait penser aux gens qui ont dcid de se promener en short sur des plages bretonnes au prtexte que l't a commenc. La pluie les surprend en flagrant dlit d'inconsquence, et les mouille aussitt. Science divinatoire, quand tu nous tiens ! Que ferons-nous quand le soleil reparatra, pardon, lorsque la crise aura cess de proccuper le monde et tout son train ?

Le directeur de l'Institut de recherches conomiques et sociales (Ires) ne jure que par les biotechnologies et les nanotechnologies. Un physicien recommande un grand emprunt pour les chercheurs et une taxe sur les activits polluantes. Un expert climat nergie (sic) verrait d'un bon il des investissements dans l'habitat, la filire bois, dans la recherche sur les batteries lectriques et le stockage de carbone. Il s'attriste de l'talement urbain - dont acte - mais appelle de ses vux le renforcement des 'grands champions industriels de l'automobile, du BTP ou de la gestion de l'eau'. Que ces derniers aient en bonne partie profit du pavillon priurbain lui chappe-t-il ? A moins qu'il ne cherche mnager des clients potentiels ? J'extrapole. Le quatrime larron du dossier est un universitaire, professeur d'amnagement du territoire Paris I Panthon - Sorbonne.

"Les spcialistes trangers sont surpris que notre pays comporte encore 80 % de territoires ruraux. Or, depuis une vingtaine dannes, la tendance est regrouper les activits autour de quelques capitales rgionales. On a atteint les limites de ce systme : le moindre investissement y est devenu si cher que lon ne peut plus gure amliorer la vie des citoyens. Ces derniers se tournent deux-mmes vers le tissu rural qui se repeuple, mais les pouvoirs publics nont pas pris la mesure du phnomne. Il faut donc avant tout investir dans les maillages de transport avec des trains, des trams ou des bus pour desservir ces pans de territoire. Tout cela cote trs cher mais peut dynamiser le logement et donc le btiment, tout comme le dveloppement du commerce et des services. Il y a trois grands territoires en danger : la 'diagonale du vide' qui va des Landes la Meuse, le Massif central et le Grand Bassin parisien au-del de lle-de-France. Faisons en sorte que lon puisse prendre un TGV pour Clermont ou quon puisse aller facilement Alenon. Ce sera dj un pas norme. "

Oui, je le confesse, j'ai relu plusieurs fois le passage. Ai balanc entre le rire dents serres et les pleurs en sautant sur ma terrasse. Non, je ne jetterai pas l'anathme contre ce professeur, partant du principe que ce paragraphe rsulte probablement d'un entretien tlphonique, forcment rducteur. Ceci tant dit, une pense tient parfois en peu de mots, surtout lorsque ressurgissent de vieilles thmatiques. L'adjectif vieilles renvoie la France de 1871 ou de 1945. Par centaines, des crivains, des hauts fonctionnaires, des hommes politiques ont tent l'poque d'analyser ce qui n'allait pas. Les checs militaires immdiats ou mal digrs donnaient l'occasion un dchainement. Les conclusions ont gnralement converg. La dfaite signifiait que la modernit avait camp aux abords de nos frontires, et que la France cumulait les archasmes : trop paysanne, trop arc-boute sur des privilges, bref, trop fige. Il fallait dsormais jouer un vieil air - Du pass faisons table rase - sous un mode mineur.

En 1963, la Datar (Dlgation l'Amnagement du Territoire et l'Action Rgionale) a incarn la volont politique du fondateur de la Vme Rpublique. Charles de Gaulle entend moderniser la France marche force, c'est--dire sans passer par la loi. De simples dcrets ont donc guid la main des prfets pour agir dans les plus brefs dlais. Olivier Guichard porte l'organisme sur les fonts baptismaux, avant de devenir ministre en charge du dossier : ministre du Plan et de l'Amnagement du territoire (1968 - 1969), puis ministre de l'Equipement et de l'Amnagement du territoire (1969 - 1972). A ce poste, il autorise les constructions d'autoroutes concessions. Signalons l'ouverture de l'avant-port de Fos sur mer (Port Autonome de Marseille) ou du March d'Intrt National de Rungis la place des Halles parisiennes, il y a 40 ans cette anne.

Au nom de l'Amnagement du territoire, bien d'autres oprations ont toutefois vu le jour, pour beaucoup encore contestes. J'en isole quelques unes. En 1963, la Mission Interministrielle d'Amnagement Touristique du Littoral de Languedoc-Roussillon - galement appele Mission Racine - lance le chantier des nouvelles stations balnaires censes rpondre aux besoins des Franais privs d'une Cte d'Azur sature : la Grande Motte, Port-Camargue, le Cap d'Agde, Gruissan, Port-Barcars, Port-Leucate et Saint-Cyprien. En ralit l'ensemble des littoraux franais subit la mme priode la pression des amnageurs et des promoteurs. Le maire de La Baule, Olivier Guichard, n'y rsiste pas plus que d'autres. Pour les sports d'hiver, le Plan neige vise quelques mois plus tard multiplier les stations modernes, en rupture avec les anciens villages d'altitude (le Service d'Etude et d'Amnagement Touristique de la Montagne date d'aot 1964 / Voir ici).

Aucun secteur n'est vraiment nglig. A la campagne, l'Etat remembre, fait couper les haies, pousse les feux de l'intensivit et de la mcanisation (Les villes boulimiques se nourrissent de campagnes anorexiques). A la ville, il commande de nouveaux aroports : Roissy, programm trois ans aprs l'ouverture d'Orly (inaugur en fvrier 1961), ou encore l'aroport de Nice, plusieurs fois agrandi dans les annes 1960, malgr les risques de raz de mare et de tremblements de terre (Salade nioise sauce citron). Dans la valle de la Durance on difie Serre-Ponon, barrage achev la mi - 1961. Autour de Paris naissent les villes nouvelles au succs mitig (Ne pas confondre vieille ville nouvelle et ville nouvelle dart et dhistoire). Les aires urbaines explosent et les paysages priurbains s'enlaidissent grande vitesse. Quel a t le bilan du cocktail bton et argent public ? Il me semble assez dlicat tablir. Je croyais simplement que l'on tait enfin revenu de la logorrhe amnageuse. Bien sr certains attendus du Grenelle m'ont interpell (Ne pas confondre Grenelle de lenvironnement et festival des grands travaux subventionns) mais mon sentiment tait que le rgne de l'ingnieur appartenait au pass.

C'tait une douce illusion. L'ide que l'espace rural mrite toute l'attention des amnageurs me fait penser au gouvernement japonais plaidant pour le maintien de l'tude scientifique des baleines. La diagonale du vide serait donc la cible privilgie des candidats l'investissement de long terme. Ah, la bonne diagonale. Que va t-on imaginer ? Un port en eaux profondes dans les Landes, un centre de congrs international dans la Meuse, un technople du lacet dans le Limousin, un centre de recherches sur les moteurs eau dans l'Aube, une plate-forme polinodale dans les Ardennes ? Rien n'est trop grand pour dpenser de l'argent public utilement. Pour cela, il suffit de ressortir les recettes moisies du placard.

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23 juin 2010. Promesses d'conomies. A Londres, une quipe gouvernementale s'est installe autour du nouveau locataire du 10 Downing Street, David Cameron. Elle a beau jeu d'agir dans la foule des lections gnrales qui l'ont porte au pouvoir. Si elle attendait, les contestataires s'organiseraient, et mettraient en cause l'esprit mme des mesures annonces pendant la campagne. Les recettes ne suffisent plus et les dpenses ne conviennent pas l'urgence du moment. On annonce donc une diminution du train de vie de l'Etat. Les coaliss du moment - conservateurs et libraux - souhaitent cependant que leurs prdcesseurs portent le chapeau : c'est de bonne guerre d'accabler l'quipe sortante pour mieux se parer des vertus de l'ordre. Le gouvernement britannique refuse d'assumer la responsabilit d'une coupe drastique, mais rien n'annonce que les Britanniques sentiront celle-ci comme ncessaire et non cruelle.

Que se passera-t-il exactement ? Les indiscrtions savemment doses dans la presse permettent de se faire une ide prcise avant mme la confrence de presse du Chancelier de l'Echiquier. Les allocations sociales et les salaires des fonctionnaires diminueront. Les recettes augmenteront, grce la cration de nouvelles taxes (sur les plus-values et sur les oprations bancaires) et par relvement du taux de la TVA. 'Beaucoup d'analystes s'attendent ce qu'elle soit releve de deux points et demi, de 17,5 % 20 %, ce qui rapporterait 11 milliards de livres l'Etat et constituerait l'une des plus importantes dispositions du nouveau budget. ' [Grande-Bretagne : un budget d'austrit sans prcdent]. Le gouvernement Cameron veut prenniser la capacit de l'Etat britannique s'endetter aux meilleurs taux. Personne ne contestera ce dernier point.

L'ancien Chancelier de l'Echiquier s'insurge contre une politique injuste, parce qu'elle vise les fonctionnaires et les bnficiaires d'aides publiques, et contre une politique qu'il juge non visionnaire. Le travailliste prdit le pire sur l'antenne de la BBC. 'Le risque est de faire drailler la reprise'. Cet argument renvoie la thorie conomique analyse par Keynes lui-mme. Pour tre pleinement efficaces, les dpenses publiques doivent intervenir rebours du cycle conomique. Ainsi, en priode de crise, l'Etat doit-il redistribuer davantage qu'en priode de prosprit. Il y a malheureusement un revers la mdaille, dont ne manqueront pas de se saisir les partisans de David Cameron.

Les travaillistes ont-ils profit de la prosprit prcdente pour raliser des coupes comptitives dans le budget de l'Etat ? N'ont-ils pas plutt creus l'endettement public, l'poque de Tony Blair puis de Gordon Brown ? En ralit, la dette a atteint son plus bas niveau en 2000 - 2001, tombant en dessous du seuil des 30 % du Produit National Brut. Fin 2010, tout porte croire que la dette sera proche des 55 % [National Statistics Online]. La dcennie coule devrait inciter les sortants plus de retenue dans la critique. A l'automne 2009, le mme Alistair Darling ne coupait pas les cheveux en quatre pour dcrire la situation des finances de son pays [Figaro]. En dmocratie, seuls les suffrages sortis des urnes sanctionnent les fautifs et les perdants. Cette rgle souffre malheureusement quelques exceptions.

Transposons, faute de mieux. Pour l'heure, le gouvernement franais prfre laisser s'couler les deux mois d't pour dtailler des restrictions budgtaires quivalentes celles que l'on vient d'voquer. La presse fait flche de tout bois pour capter des lecteurs toujours attentifs aux indiscrtions sur le train de vie des puissants, les appartements de fonction, les salaires des ministres ou leurs voyages dfrays, les liens qu'entretiennent hommes politiques et chefs d'entreprise, etc. L'anne scolaire 2009-2010 se termine donc, et l'on repousse les chances, quitte jouer sur le mot rigueur. 'De rigueur en rigueur on va rentrer en rcession' a prononc le prsident de la Rpublique [TF1] Le verbe cre. Le verbe protge. Son absence produit mme des effets bnfiques.

Les Echos valuent 100.000 le nombre d'emplois publics supprimer entre 2011 et 2013. 'Nous devons faire plus, bien sr. Beaucoup plus' prcise quant lui le secrtaire gnral de l'Elyse [France 24]. A quelle catgorie ou communaut Claude Guant s'associe-t-il en utilisant la premire personne du pluriel ? Prfet hors-classe la retraite depuis la mi-janvier 2010 [source], il s'adresse peut-tre ses contemporains du mme ge et qui sortent eux-aussi de la vie professionnelle, angoisss l'ide de voir leur pension ne plus leur suffire. Le gouvernement propose justement de revenir sur les dispositions lgales garantissant le droit la retraite pour des actifs ayant cotis durant quarante ans. La rforme des retraites a t prsente comme la grande rforme de l'anne [Le Monde]. Elle justifie elle seule que l'annonce de la rduction des dpenses publiques soit repousse... Le fait de retarder l'ge lgal permettrait en tout cas de sauver le financement du systme des retraites par rpartition, si l'on en juge par les dclarations gouvernementales.

Mon interrogation personnelle intervient ce niveau. Que les retraits aux droits rogns se plaignent n'tonnera personne. Les Franais sonds disent que le gouvernement prend en tout cas les mesures ncessaires. Mme la mthode leur convient. Frdric Lefebvre l'interprte en tout cas comme cela ! Pourtant, personne ne considre qu'en moyenne les pensions alloues aux retraits crvent le plafond. D'o provient dans ces conditions l'impression que des personnes partageant peu ou prou le mme niveau de vie n'y rentrent pas tout fait ? Pour poser la question plus brutalement, existe-t-il des privilgis d'un nouveau genre en France ?

A cette question, le Conseil d'Orientation des Retraites a rpondu l'avance dans un document mis en ligne en 2006. Il concerne la situation des retraits du point de vue du patrimoine. Les auteurs partent d'un constat simple, selon lequel les mnages s'enrichissent au fur et mesure de leur vie active : 60.000 euros entre 30 et 34 ans, 130.000 entre 45 et 49 ans, 170.000 entre 55 et 59 [Chiffres Insee - Enqute Patrimoine 2004]. Par la suite, le patrimoine suit la courbe rigoureusement inverse, cause du dcs d'un des conjoints, parce que les mnages doivent engager des dpenses supplmentaires (sant, garde, quipements, etc) ou encore la suite de legs aux enfants ou petits-enfants. Ainsi, le patrimoine moyen des 70-74 ans ne s'lve plus qu' 120.000 euros.

L'cart entre actifs et retraits apparat cependant un autre niveau. Il touche au volet immobilier du patrimoine. La moiti des actifs sont propritaires de leur rsidence principale (un peu plus pour les indpendants). C'est trs nettement en-dessous des retraits : 62 % pour ceux du secteur priv, 70 % pour ceux du secteur public et 74 % pour les retraits indpendants. Les chiffres de l'endettement des mnages confirment cette situation. Entre 62 (secteur priv) et 65 (indpendants) % des actifs sont endetts titre priv contre 16 (indpendants) 27 (publics) % des retraits. On voit bien d'un ct ceux qui remboursent leur emprunt immobilier, et de l'autre ceux qui ont fini de le payer. La situation n'a eu de cesse de s'accentuer. Le patrimoine des seniors a rgulirement gonfl jusqu' une priode rcente. 'Ainsi, pour la tranche des 65-69 ans, le taux de propritaires tait de 58 % en 1973, 62 % en 1984, 71 % en 1992 et de 76 % en 2002. Cette hausse du taux de propritaires a concern pour l'essentiel les ges suprieurs 40 ans. Les gnrations les plus jeunes n'en ont pas bnfici.'

Reprenons le mcanisme. Dans quelques mois, le gouvernement dcidera d'appliquer un programme de rigueur. Le nombre de fonctionnaires continuera de diminuer, avec des salaires matriss. Les fonctionnaires devront alors accepter un allongement de leurs emprunts immobiliers, si toutefois ils peuvent ajouter des trimestres de mensualits supplmentaires pour devenir eux-mmes propritaires. Les retraits dj propritaires, et ayant pleinement bnfici de l'augmentation rgulire des prix de l'immobilier, devraient quant eux dormir tranquilles. L'Etat gnreux a depuis longtemps garanti leur situation.

Mais il y a aussi une autre possibilit envisager, si la bulle immobilire se dgonfle la faveur d'un retrait des fonctionnaires devenus peu peu impcunieux, alors que la situation de beaucoup d'actifs du priv se dtriore. En mars 2010, la France compte un taux de chmage de 10 % [Figaro]. Les prix des logements ne pouvant durablement s'carter des niveaux de salaires, ils finiront par baisser. Les actifs pourront nouveau devenir propritaires dans des conditions normales. Si tout cela s'avrait exact, la sentence de monsieur Guant se rvlerait juste, avec un dgonflement du patrimoine des retraits, et une rigueur quitablement rpartie entre actifs et inactifs. La prescience lysenne est cependant cruelle pour tous ceux qui croyaient aux slogans de la France propritaire... Le Point s'en inquitait il y a deux ans dj !

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11 octobre 2010. Les ports de commerce franais. Le Parlement a ratifi en fin de semaine un accord binational conclu entre les gouvernements franais et roumain. Celui-ci traite des mineurs isols originaires de Roumanie.

"Evoquant la prostitution la Gare du Nord, les enfants forcs voler dans le mtro ou ceux obligs mendier devant les distributeurs de billets, le secrtaire d'Etat aux Affaires europennes, Pierre Lellouche a estim qu'il tait temps d'en finir avec le scandale des enfants exploits dans nos rues, victimes des trafiquants. Quelque 3 000 mineurs roumains, gs en moyenne de 14 15 ans, sont considrs comme isols, selon des chiffres du ministre de la Justice."

Ces mineurs sont tellement isols quils pourront dsormais tre renvoys dans leur pays dorigine. Comme ils ont manifest par leur prsence en France leur amour de la Roumanie, chacun imagine quils tireront le meilleur souvenir de cette exprience franaise sans jamais rver de revenir y vivre [Dernires Nouvelles dAlsace]. L'quipe de football de Roumanie a elle aussi pris un avion en direction de Bucarest, aprs sa dfaite 2 - 0 contre lquipe de France. Les joueurs en bleus hier accabls de quolibets ont retrouv le chemin des buts adverses - filer la mtaphore sportive, quel plaisir ! - et du mme coup les faveurs de la presse [Le Parisien].

Cette France coupe de la Roumanie et du monde se retrouve dans lannonce dun prochain blocage des ports ptroliers. En Corse et Marseille, lhistoire a commenc il y a une dizaine de jours, dans lindiffrence gnrale. Selon les mdias, la journe du 12 octobre donnera lide de la poursuite du mouvement, pour reprendre lexpression dsormais consacre. Au cours des dernires annes, les syndicats, CGT en tte, ont brandi la menace dun blocage. Ils ont chaque fois obtempr. Rien ne permet, lheure o je tape ces quelques mots de prvoir la suite. Pour le gographe, il y a en tout cas une occasion de revenir sur le transport de ptrole dans l'Hexagone. Comme la plupart des pays industrialiss, en Europe continentale et au Japon, la France dpend de ses approvisionnements ptroliers.

Les ports franais importent du brut et exportent du ptrole transform par distillation, craquage ou rformage [source]. A Marseille - Fos, en 2009, 55,3 millions de tonnes de ptrole ont t dcharges (- 10 % par rapport 2008) et 7,8 millions de tonnes embarques (- 6 %). En cas de rupture des approvisionnements, les raffineries franaises perdent immdiatement des parts de march au profit de leurs concurrentes europennes. En Mditerrane, lorsque les dockers de Marseille-Fos-Lavera bloquent le port, Gnes, Barcelone ou Alicante prennent sa place [Yahoo]. Certains pays industrialiss bnficient il est vrai dune production nationale, au contraire de la France.

Aux Etats-Unis, au Canada, en Chine, en Norvge (rapprochement ne plus envisager) ou au Royaume-Uni, des oloducs expdient le ptrole brut en direction des raffineries plus ou moins proches des gisements, quils se trouvent sur la terre ferme ou en mer. Ainsi, quelques grands ports ptroliers donnant sur le Golfe du Mexique, traitent indistinctement le brut des plates-formes amricaines, mexicaines ou le brut lourd export par le Venezuela. Dans un pays comme la France presque totalement dpendant de ses importations, la production annuelle de ptrole du bassin aquitain (Parentis) ou du bassin parisien reprsente moins dune journe de production de lOpep. Le vice-prsident de la socit Toreador et demi-frre du dput des Hauts-de-Seine, Julien Balkany a il est vrai annonc en mai 2010 une reprise de lexploration des ptroles non-conventionnels dans le bassin parisien : peut-tre dans le sous-sol de Levallois-Perret ? [source].

LUnion Franaise des Industries Ptrolires valuait moins de 15 millions de tonnes les rserves franaises, cest--dire 0,077 % des rserves mondiales [source]. Le cot des importations ptrolires a connu une progression rgulire, passant de 8 milliards deuros en 1995 46,5 milliards deuros en 2008, en lger retrait ces derniers mois [source]. Cela tant, lAllemagne, le Japon, lItalie, la Core du Sud et dautres pays dvelopps se trouvent dans la mme situation nergtique que celle de la France : sans gne apparente. A linverse, de trs nombreux pays qui exportent depuis des dcennies nen retirent rien en terme denrichissement interne et de dveloppement conomique. Cest le cas de lIran de la Rvolution Islamique, en particulier.

En France, quatre ports concentrent lessentiel des activits ptrolires. Cette situation rsulte dune action combine des multinationales et des pouvoirs publics longtemps gestionnaires des ports autonomes. Depuis le vote des lois de dcentralisation de 2004 et 2008, ceux-ci portent thoriquement un nom en rapport avec leur situation. Dans les faits, les diffrents gouvernements ont men une rforme qui a consist changer les statuts de gestion administrative sans rvolutionner la gestion des personnels. Ainsi, les grvistes contestent la dcision du Directoire du Grand Port Maritime de Marseille de crer une filiale ddie la gestion des terminaux ptrolier. Les premiers n'en veulent pas. Le second voque une filiale 40% prive. Le Directoire veut des subsides, mais sans rogner une once de son pouvoir [source]. En 2008, 384 millions de tonnes de marchandises ont transit par les ports autonomes franais. La part des hydrocarbures slve 43 % (165 millions de tonnes). De fait, les raffineries franaises revendent leurs produits au-del des frontires nationales. Pour Marseille-Fos on peut citer les stations-services et industriels suisses, allemands ou luxembourgeois desservis par le pipe-line sud-europen [source]. France - Luxembourg : combien ?

Alors que pendant des dcennies, au nom de lindpendance de la France et en complet accord avec les syndicats [1], les gouvernements ont pouss le raffinage ptrolier franais, les directions des ports autonomes souhaitent dsormais tourner la page. Elles souhaitent augmenter la part prise par les conteneurs (10 % environ du total) et visent plus les produits haute valeur ajoute que les matires premires en vrac. Elles recourent de plus en plus aux intrimaires et aux socits sous-traitantes quand les syndicats de dockers sy opposent. Mais le rapport de force tourne lavantage des premiers (30.000 emplois directs) et non des seconds. On dnombre en effet 6.500 dockers et 3.500 employs administratifs dans les Etablissements publics portuaires franais [source].

Concernant le trafic ptrolier, la droute des ports hexagonaux ne suscite aucune discussion. Le premier port franais, Marseille - Fos, recule fortement (voir au-dessus). Au Havre, cest la quasi stagnation (34,2 millions de tonnes en 2006). A Saint-Nazaire, on est pass de 9,8 7,6 millions de tonnes de ptrole entre 2007 et 2009 (- 22 %). A Dunkerque, la fermeture de la raffinerie Total a entran un quasi a