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GER - KIOSQUE GERS, QUERCY, PÉRIGORD L’Express Par Mylène Sultan Mythes et légendes

GERS, QUERCY, PÉRIGORD - dordogne-perigord … · prenant les vieux récits et en leur ap-portant une connotation religieuse », prévient Jean-Luc Obereiner. ... fées, les miracles

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GERS, QUERCY, PÉRIGORD

L’Express

Par Mylène Sultan

Mythes et légendes

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Il y a mille manières de voyager et autant de façons de voir le monde. On peut rester àla surface d’un pays, se réjouir l’œil de ses paysages et les papilles de ses spécialités,aller à la rencontre des habitants et traquer tout ce qui fonde une identité singulière…Ou aller plus loin : chercher l’invisible, débusquer le caché, courser les ombres desfantômes, se méfier des grottes où dorment les esprits, accepter l’existence des féesqui habitent dans les fontaines et s’amuser des bonnes blagues que ces petits diablesde « dracs » adorent faire aux humains. Dans le Gers, dans le Périgord et le Quercy,comme partout dans cette vieille terre de France, les mythes et les légendes formentle socle d’une mentalité, un fonds psychologique qui ne saurait être réduit à de simplesanecdotes. Depuis la nuit des temps, lieux sacrés, monuments énigmatiques, bestiairefantastique et douces féeries nourrissent des histoires à dormir debout qui font rêverles hommes et les rapprochent des dieux. C’est ce fabuleux itinéraire du fantastiqueen pays occitan que L’Express vous conte dans ces pages.

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L’Express Gers, Quercy, Périgord

Il était une fois une ethnologuepassionnée qui avait passé sa vieà collecter les témoignages desgens du cru, à étudier les rituelspopulaires. Elle était capable de

vous entretenir des heures durant desfestivités particulières qui réunissentles villageois autour d’un grand feude joie durant la nuit de la Saint-Jean.Un jour qu’avec un de ses élèves ellechemine dans une forêt de Commingesà la recherche d’une grotte à « hados »– des créatures féminines liées à l’eau –signalée à maintes reprises par maintespersonnes, elle tombe sur un groupede chasseurs. Le maître et l’élève lesinterrogent :

« Vous auriez la gentillesse de nousdire où se trouve la grotte ?

— Oui, par là, tout près, affirme avecaplomb l’un des hommes. D’ailleurs, jevous y emmène. » Arrivé devant l’en-trée effondrée d’une galerie souter-raine, le quadragénaire poursuit :

« Oh, vous savez, ça a été habité ici.Il y avait des femmes, elles allaient laver le linge là, dans ce petit ruis-seau », explique-t-il en montrant dudoigt le filet d’eau qui coule au piedde la cavité…

« C’était extraordinaire, rapporteaujour d’hui l’ethnologue Isaure Gra-tacos, également professeur d’histoireet docteur ès lettres. Cet homme medisait cela en toute simplicité, sansavoir conscience qu’il exprimait lemythe. Sa mère et sa grand-mère lui

MYSTÈRES Des loups-garous à la « Bête de Sarlat », toute une faune fantastique a longtemps hanté l’imaginaire occitan. A dr., une des « tourraques », énigmatiquesmonuments funéraires gallo-romains, que l’on trouve particulièrement dans le Gers.

ANTÉDILUVIENCertaines grottes, foi de chasseur, ont bel etbien abrité des «hados», des créatures venues du fond des âges…

avaient transmis le souvenir de ces “hados”, venues du plus lointain desâges de la préhistoire. Mais, pour lui,ces êtres avaient bel et bien existé. »

Il en va de même pour tous ceux quise confient au magnétophone d’IsaureGratacos. « Même lorsque les gens parlent de la bête, cette créature qu’ondit mi-animal mi-humain, ils affirmentque telle personne qui habite tel villagel’a rencontrée. Les faits restent peuéloignés dans le temps, ils touchent desproches, ils sont circonscrits géogra-phiquement. Surtout, ils sont considéréscomme véridiques », explique-t-elle.

Ainsi, ce ne sont pas des histoires, c’estl’Histoire. Ainsi, ce n’est pas le mondede l’imagination, c’est le monde.

« En fait, note Martine Bergues,ethno logue auprès du départementdu Lot, ce qui est frappant, c’est l’ab-sence de frontière entre le naturel etle surnaturel. Les fées habitent là, lesrevenants aussi. Et ils cohabitent toutnaturellement avec les humains. »

Dans le Gers comme dans le Lot ouen Dordogne, ces plaines qui s’étalentdes pieds des Pyrénées aux contre-forts extrêmes du Massif central, cesterritoires de passage qui ont connu la

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présence anglaise durant la guerre deCent Ans, cette terre du bon vivre, l’ima-ginaire se nourrit de références com-munes. Les dames blanches vont à lafontaine, la nuit, laver leurs habits delumière, les loups-garous cachent leurspeaux de bête sous une botte de pailleavant de sortir croquer quelques vic-times, les dolmens deviennent les tom-beaux de géants, les rochers ointsd’huile et garnis de fleurs protègentdes maladies hommes et animaux, ouapportent la pluie en période de séche-resse… Quant aux collines, aux lacs etaux montagnes, ils ont été façonnés parles géants qui habitaient le vieux pays« d’avant les hommes ».

Longtemps, les êtres humains ont évo-lué dans un univers enchanté, peupléde fées vêtues de soleil et fleuries derosée, qui s’enduisent le corps d’huileparfumée et s’envolent sur une formulemagique. Ils s’effrayaient de la « bectanegra », qui dort dans les puits et mangeles petits enfants désobéissants. Ils redoutaient les animaux fantastiquescomme la « taluca », cet oiseau

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•••TOMBEAUX L’allée couverte de Blanc, à Nojals-et-Clottes (canton de Beaumont-du-Périgord) : des dolmens dont on jurerait qu’ils abritent le sommeil de géants…

ÉPIQUE Gargantua, avant que Rabelais ne s’en empare, fut un héros légendaire dont les aventuresont laissé maintes traces, tel le fameux étron qu’il posa, après des agapes, à Gramat, dans le Quercy.

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formidable « qui viendra t’arracherla peau si tu ne te laves pas les mains »,le terrible « bisili » (basilic), né desamours du coq et du serpent, ou bienencore le monstre à sept têtes que l’oncroise du côté de Catus (Lot). « Ce sontdes histoires qui se racontaient encorelorsque j’étais enfant », se souvientFrancis Duranthon, directeur du Mu-seum d’histoire naturelle de Toulouse.

Dans cet imaginaire fantasmagorique,le monde souterrain reste une inépui-sable source d’inspiration. « C’est unlieu actif », estime Isaure Gratacos.Avec ses habitants, sa géologie parti-culière, sa circulation. Ainsi de ces« pertes », des ouvertures typiques dessols calcaires du Périgord et du Quercy,par lesquelles un cours d’eau disparaîtsous terre, pour ressurgir quelques ki-lomètres plus loin, transportant êtreset objets dans son courant. « Il y en avaitune sous le moulin de l’Ouysse, rap-porte l’ethno-historien Jean-Luc Obe-reiner. La jeune fille qui travaillait chezle meunier y glissait de pleines brasséesd’épis que son amoureux recevait à larésurgence de Cabouy… Un jour, sonpatron découvre ce petit jeu, et, furieux,précipite la fiancée dans la perte… Sonami la retrouve noyée, telle Ophélieglissant à la surface de l’eau, à l’endroitmême où il réceptionnait d’ordinaireles gerbes volées au meunier… » Dansle pays se raconte aussi l’histoire de cefils qui, placé dans une ferme, envoyaitde la nourriture à sa pauvre mère restéeau village en utilisant la fameuse perte.Las… Un soir, en guise de panier de victuailles, la mère trouve son enfantsans vie au bord de la rivière.

« Il y a une forme de morale dans laplupart des histoires, affirme GuilhemBoucher, conteur au sein de l’associa-tion La Granja. Il s’agit d’éprouverl’honnêteté de l’homme, son discerne-ment, son courage… » Il s’agit aussid’apporter une explication ou un sem-blant de réponse. « Le mythe légitime,rationalise, justifie un phénomène,avance pour sa part Isaure Gratacos.Il a pour fonction de rassembler les in-dividus, de les souder autour d’unecroyance commune. »

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MORALESous le moulin de l’Ouysse, petite rivière qui se jette dans la Dordogne, se trouve une «perte», par laquelle elle disparaît jusqu’à Cabouy et où le meunier précipita, dit-on, son employée déloyale.

SPECTRESMalheur à qui refuse son aide aux dames blanches qui, la nuit, vont

à la fontaine laver leurs habits.

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Autrefois, c’est à la veillée que cesmystères se colportaient. Lors des soi-rées de dénoisillage où se réunissentparfois jusqu’à une trentaine de per-sonnes pour casser les noix et en extraireles cerneaux, lorsque l’on dépouille lemaïs en famille ou que l’on effeuillele tabac afin de nouer les feuilles en manoque. Un ancien commence, en occitan, bien sûr… Et c’est parti ! Setransmettent la légende de ce veau farcid’or, caché au temps des Gaulois dansla grotte de Roc d’Aucor (Causses), oul’énigme des tourraques, ces tours gallo-romaines qui se dressent au milieu deschamps gersois, les histoires récurrentesde ces revenants qui se manifestent parforce bruits effrayants de vaisselle cas-sée et de meubles déplacés. On glorifiele courage de cette fille de châtelainqui échappe miraculeusement à sespoursuivants anglais durant la guerrede Cent Ans, en franchissant l’abîme

immortalisé sous le nom de « saut dela Pucelle » (Rocamadour). Ou encorela force prodigieuse de Roland, qui,avant de rendre l’âme au col de Ron-cevaux, lança son épée si fort, si loin,qu’elle alla se ficher dans le mur del’église dédiée à Notre-Dame de Ro-camadour (Lot). Ces veillées sont aussiune belle occasion pour raconter le pay-sage et rappeler les aventures de Gar-gantua, héros légendaire bien avant queRabelais ne s’en empare. Ici, il a avaléune gabarre (barge) au passage de laDordogne, là, il s’est désaltéré en vidantles résurgences de l’Alzou et a calmé safaim en avalant les vignes de Magès. Et,comme chacun sait en Quercy, aprèsces agapes monumentales, il a fait halteà Gramat, où il a déposé… un étron.

Se murmurent aussi les superstitions :les rites protecteurs pour échapper àl’orage, les processions à la fontaine deSainte-Rupine (Causses) pour attirerla clémence des puissances invisiblesqui régissent le don de l’eau, si précieuse.Pour en éloigner le mauvais œil, il étaitimportant d’envelopper un nouveau-né dans le châle aux motifs cachemireque portait sa mère le jour de ses noces…

Evidemment, le diable et les saintssont toujours de la partie. « Dès la findu XIXesiècle, les ecclésiastiques écriventnombre de recueils de légendes, en re-prenant les vieux récits et en leur ap-portant une connotation religieuse »,prévient Jean-Luc Obereiner. Ainsi, lesdivinités chrétiennes remplacent lesfées, les miracles apparaissent, les saintssuccèdent aux dieux païens. Voici sainteSpérie, réputée soigner les fièvres ; saintNamphaise, qui guérit l’épilepsie ; saintMartin, qui passe sa vie à lutter contrele diable pour racheter les âmes voléespar Lucifer… Ces aventures à rebon-dissements, pleines de suspense, sontaujourd’hui transmises lors de soiréesqu’organisent associations et com-munes. Avec un succès croissant, et passeulement auprès des touristes ! L’ex-plication de cet engouement ? Sansdoute un sacro-saint besoin de racines,ressenti plus vivement encore dans uneépoque déboussolée par le progrès àtout-va. Quand science et rationalitédictent leurs lois, les histoires de fées etde sorcières, d’animaux fantastiques etde phénomènes surnaturels deviennentterriblement rafraîchissantes.• M. S.

FABULEUX L’épée de Roland, fichée dans un mur de l’église de Notre-Dame-de-Rocamadour (Lot).

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… et fatsilières

Celles qui jettent un sort (fat en vieil occitan) sont les descendantes des féesdes Gaulois. Dotées d’une puissancediabolique, les fachilheras, en occitan,habitent dans les dolmens et les menhirs,aiment chanter, siffler, danser et s’en-voler sur leurs balais. Leur gentillesseest parfois confondante : un soir, l’uned’elles, déguisée en vieille femme, toqueà la porte de la maison d’un pauvrehomme qui a déjà bien du mal à nourrirsa famille. Il partage néanmoins sa mai-gre pitance avec la vagabonde, qui, avantde partir, lui fait don de quelquesgraines… de truffe [sic]. La fortune dupauvre bougre est assurée! Hélas, il semurmure que « depuis que sonne l’an-gélus » les fatsilières auraient disparu.Ceci est d’autant plus dommage qu’enjouant à attraper les nuages ces créaturesfaisaient la pluie et le beau temps.

La main du diable

La construction d’un ouvrage d’art esttoujours difficile, longue, coûteuse, dan-gereuse, et la croyance populaire a long-temps été tentée de voir la main de Satan dans tout pont jeté sur une rivière.Comme ailleurs en France ou en Eu-rope, il est alors question de pacte concluavec le bâtisseur, de travail achevé enun clin d’œil, de prix exorbitant et, par-fois, de malice humaine. A Lannepax(Gers), la légende rapporte qu’au tempsdes Romains un entrepreneur se déso -lait de ne pas réussir à relier les deuxrives de la Rieuze. Le voyant triste etpensif près de la passerelle inachevée,un étranger l’aborde et lui assure que,grâce à son aide, l’ouvrage sera terminéle lendemain matin. Pour prix de sontravail, il demande simplement que lepremier être qui traversera le pont luiappartienne, étant entendu que l’archi-tecte doit être le premier à tester la solidité de l’ouvrage. Ainsi est fait…Mais, grâce aux conseils judicieux de

De La Romieu à Cahors, en passant par

Caniac-du-Causse…inventaire des pluscélèbres croyances.

Où le diable n’est jamaisloin, mais où les sorcières

et les saints font aussi des miracles.

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PACTE Le pont Valentré, à Cahors, construit par un architecte qui avait vendu son âme au diable...à condition que ce dernier lui obéisse en tout. Le démon en fut pour ses frais.

Esprits malins ou bienfaisants

Dracs…

A ce qu’il paraît, le drac serait le fils dudiable et d’une humaine. Et, si l’on encroit le conteur Guilhem Boucher, « ilne serait pas aussi mauvais que son père,ni aussi aimable que sa mère ». Entre lebien et le mal, le drac a choisi la malice,la farce, les bonnes blagues. Esprit malinet parfois méchant, il peut se métamor-phoser en mille objets et toutes sortesd’animaux. C’est un cheval qui offre sacroupe généreuse à une bande de jeunesrentrant d’une nuit de fête et les noieau milieu de la rivière, c’est une bobinede fil utilisée pour coudre une robe demariée… qui va se défaire devant l’au-tel... Le drac rend chèvres les humains.Bon à savoir : ce coquin est d’une ma-niaquerie scrupuleuse et, pour le coincer,il suffit de laisser traîner un plat de len-tilles… Le drac se fera une obligationde les trier avec minutie. Autant de tempspassé à ne plus embêter les hommes!

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son épouse, avant de s’engager sur lepont, l’entrepreneur libère un chat tenudans un sac, qui traverse en quelquesbonds! On raconte que le diable s’enfuitavec le matou, mais rouge de fureur.

Au début du XIVe siècle, la ville de Cahors (Lot) se dote de l’un des plusbeaux ouvrages fortifiés qui existentaujourd’hui en France. Long de 138mè-tres, flanqué de trois tours carrées etdominant le Lot du haut de ses 46 mè-tres, le pont Valentré est achevé au termede travaux qui auront duré soixante-dix ans! La légende rapporte que c’estnaturellement le diable qui met la der-nière main à l’ouvrage. Il a toutefois àcomposer avec un architecte particu-lièrement malin, qui promet son âme,prix habituel exigé par Satan, mais àcondition que celui-ci lui obéisse entout. Ainsi est fait. Le pont étant quasiachevé, l’ingénieur demande au démonde porter de l’eau aux maçons à l’aide…d’un tamis. Une fois, dix fois, cent fois,le diable s’attelle à la tâche. Puis, furieux,tourne les talons. A la fin du XIXesiècle,l’architecte chargé de la restaurationdu pont Valentré immortalise cette lé-gende en installant une pierre sculptéereprésentant le diable… Bel hommage.

Le plus célèbre saint localFigure majeure de l’imaginaire quer-cynois, Namphaise sert comme officierdans l’armée de Charlemagne, son

oncle, avant de se retirer sur les terresdes causses pour y mener une vie d’er-mite. La légende raconte qu’il creusedans la roche, pour le bien des hommeset des animaux, des mares – on les appelle lacs de Saint-Namphaise –,jusqu’au jour où sa route croise celled’un taureau furieux. Avant de rendrel’âme, le saint homme n’a que le tempsde jeter le plus loin possible son marteau de mineur… qui retombe à Caniac, là où une église sera élevée, auXIesiècle. « Namphaise était considérécomme le guérisseur des “âmes enfer-mées”, c’est-à-dire des épileptiques, explique Jean-Luc Obereiner, auteurd’un ouvrage sur le saint. Un pèlerinagecommence alors dans ce village du Lot.« La tradition imposait que l’on s’age-nouille et que l’on passe sous la châssecontenant les reliques du saint, unepratique qui reprend une vieille habi-tude celte où le croyant traverse un arbre creux ou un rocher pour devenirun homme nouveau », précise Jean-Luc Obereiner. Etonnante continuitédes gestes pieux.

Chats perchésLa vieille cité de La Romieu (Gers) estréputée pour sa collégiale Saint-Pierre,édifiée au début du XIVesiècle et… pourses chats de pierre omniprésents. Fichésdans l’anfractuosité d’un mur, sculptéssur un portail, posés sur une fenêtre,

ils guident le visiteur. S’ils pouvaientparler, ils raconteraient que c’est grâceà eux que La Romieu fut sauvée. Eneffet, dans les années 1342-1345, labourgade gasconne connaît une disettetelle que les habitants mangent tousles chats du village… Sauf un couple,qu’Angeline, jeune orpheline éprise defélins, cache dans son grenier. Lorsquela famine prend fin, un autre fléau s’abatsur La Romieu : les rats envahissentles rues et s’attaquent aux récoltes.Heureusement, les matous qu’Angelinea mis à l’abri ont fait des petits… Et,avec l’accord des habitants, trop heu-reux, Angeline libère les chatons. Unejolie légende médiévale exhumée il ya une vingtaine d’années par un artisteorléanais, Maurice Serreau, amoureuxdu Gers et des chats ! • M. S.

À LIRE

Guide de la France mystérieuse,

ouvrage collectif. Monuments

énigmatiques, fêtes locales singulières,

lieux hantés… Une bible passionnante.

Sand, 1023 p., 25 €.

Contes et légendes du Quercy,

par Jean-Luc Obereiner. Une centaine de récits légendaires

consacrés à l’imaginaire du Quercy.

Un grand classique. Quercy-Recherche,

Cahors, 246 p., 22,90 €.

Au cœur de l’histoire religieuse

du Quercy, Saint-Namphaise,

par Jean-Luc Obereiner. La légende

du plus célèbre des saints quercynois,

décryptée par son meilleur connaisseur.

Quercy-Recherche, 300 p., 28,90 €.

Contes de Gascogne,

par Jean-François Bladé. Rapportés par un magistrat,

historien et folkloriste français

de la fin du XIXe. Un solide témoignage

du patrimoine oral de la Gascogne.

Ouest-France, 305 p., 8 €.

Les Mystères du Gers,

par Patrick Caujolle.Dames blanches, êtres mystérieux,

fantômes de Bassoues… racontés

d’une plume alerte. Brrr!

Ed. de Borée, 377 p., 26 €.

Fées et gestes, par Isaure Gratacos. Une passionnante étude sociologique

sur les femmes pyrénéennes,

qui tord le cou à bien des idées reçues.

Privat, 255 p., 21,30 €.

EMBLÉMATIQUES La collégiale Saint-Pierre, monument réputé de La Romieu, tout comme ses chatsde pierre (page de gauche), omniprésents dans la cité.

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Mythes, contes et légendes… Que désignent ces termes? ֏ Le mythe est réservé aux originesdu monde, la légende est ce qui imprègneune société, le conte est le récit formel,une histoire bien constituée telle qu’ellese transmettait lors des veillées. Lepoint commun de ces trois appellationsest cet « autrefois » où évoluent les per-sonnages et les mille versions d’unemême histoire que l’on retrouve. Car ily a autant de récits que de conteurs!

S’agit-il toujours de récitsimmémoriaux?֏ Pas du tout! Contrairement à ce quel’on imagine, ces récits ont été pour laplupart fabriqués entre 1890 et le pre-mier quart du XXesiècle. Ils sont nés avecl’essor du tourisme, dans un souci de va-lorisation de la province, un peu commela gastronomie, au fond. Prenez le gouf-fre de Padirac : avant qu’il soit exploitécommercialement, c’était un lieu réputédangereux pour les brebis, qui risquaientd’y tomber, et diverses superstitionsl’entouraient. A la fin du XIXe siècle,Edouard-Alfred Martel et son associé,George Beamish, décident de l’ouvrirau public et confient carrément à desérudits locaux le soin de construire unelégende ! L’opération a si bien fonc-tionné que, dans les années 1950, lesguides touristiques indiquaient encorela trace du sabot de la mule du bonsaintMartin, qui d’un bond prodigieux,avait sauté de l’autre côté du gouffrecréé par Lucifer ! Sauvant ainsi de ladamnation les âmes des paysans que lediable s’apprêtait à conduire en enfer.

Ces histoires mettent souvent en scène des combatsentre Lucifer et les saints… ֏ C’est bien normal : la plupart desrécits ont été rédigés par des ecclésias-tiques, tels les chanoines Albe et Sol,

ou Monseigneur Calvet… Ils ont in-troduit l’imagerie religieuse, le cultedes pèlerinages et la morale. A Roca-madour, la vieille légende de l’ermiteAmadour a été supplantée par le culterendu à une Vierge noire et dans biendes endroits, les miracles, attribuésjadis aux déesses, sont devenus le faitde saintes… C’est particulièrementvrai pour les fontaines, domaine desfées. L’amusant, c’est que ces versionsont été tellement diffusées qu’elles ontfini par recouvrir les anciennes, jusqu’àêtre totalement intégrées à l’imaginairedes habitants !

Comment les légendes ont-elles évolué?֏ Longtemps, elles sont restées quasiimmuables, évoluant au gré des fantai-sies des conteurs, qui ajoutaient tel outel ingrédient pour pimenter leur récitet tenir leur auditoire en haleine. Maisl’essentiel demeurait. La centralisationà la française a peu à peu recouvert lesvieilles traditions locales sous une his-toire commune. De même, en interdi-sant l’usage de l’occitan à l’école, JulesFerry a supprimé l’idiome qui véhiculaitce monde de légendes. A l’époque, lascience et la marche vers le progrès incitaient à considérer les vieillescroyances comme relevant de l’obscu-rantisme. Cela ajouté à la christianisa-tion des anciens contes, réalisée par lesecclésiastiques écrivains, a passable-ment changé les récits, faisant dispa-raître les croyances les plus anciennes,dont certaines remontaient au néo -lithique, c’est-à-dire il y a quelque sixà dix millénaires… Si l’on en croit lesethnologues, c’est au moment oùl’homme se sédentarise – passant d’uneéconomie fondée sur la chasse à unmode de vie organisé autour de l’agri-culture et de l’élevage – qu’il crée desgénies, des esprits, des rituels… Ainsia démarré cette coutume d’enterrerun chat noir sous les fondations d’unemaison en construction pour porterchance à ses futurs habitants. C’est uneforme de sacrifice que l’on pratiqueencore aujourd’hui. Ainsi de ce rite defertilité, transmis de mère en fille depuisdes millénaires, qui consiste à frotterson ventre stérile contre une pierre levée... Cette croyance en la peyra levada,dont la symbolique est évidente, a dis-paru de nos jours. Elle a pourtant tra-versé les époques jusqu’au XIXe siècle,malgré la destruction d’un grand nom-bre de menhirs au XVIIesiècle, en Quercy,

Fondateur de l’écomuséede Cuzals (Lot), Jean-LucObereiner est considéré

comme l’un des meilleursconnaisseurs des

histoires enchantées du pays occitan. Il revientaux sources de ce monde

de merveilles et en explique les enjeux.

« Bien des récits ont été écritsentre 1890 et 1920»

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SYNCRÉTISME La Vierge noire de Rocamadour,où elle a ravi la vedette à l’ermite saint Amadour…

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Musées et expositionsMaison des contes du Périgord (café Lébérou,

Saint-Julien-de-Lampon, Dordogne).

Exposition permanente, avec œuvres

d’artistes locaux et vidéos de conteurs,

et une bibliothèque. Accès gratuit.

Informations : 05-53-29-40-31 et

http://lhomond.conteur.free.fr/index.php/

maisoncontes/la-maison-des-contes/

Musée d’Artagnan, Lupiac (Gers)

Casques audio, fond sonore, mannequins

de cire et statues recréent l’univers

romanesque du héros de Dumas,

natif de Lupiac. A partir de 5,50 €.

Informations : 05-62-09-24-09 et

www.tourisme-gers.com/visiter_musees_tout

_tout_49908_musee-d-artagnan-lupiac.html

Légendes du Quercy,

fées, dracs et autres merveilles

Créée pour l’écomusée de plein air de

Cuzals (à Sauliac-sur-Célé, dans le Lot),

cette très riche exposition voyage sur

le territoire et investit médiathèques ou

maisons de retraite. Des conteurs relatent

les légendes autour des sources

et des fontaines, des fées et des dracs,

des combats entre le diable et saint Martin…

Informations : écomusée de Cuzals (Lot),

05-65-31-36-43 et

http://musees.lot.fr/ecomusee-de-cuzals

ConteursAssociation La Granja,

la Grange du Causse, Soulomès (Lot)

Guilhem Boucher, l’animateur phare

de l’association, plonge son auditoire

au cœur du patrimoine oral du Quercy,

via des ateliers de chant et de danse, des

projections de films, des séances de lecture…

Informations : 05-65-22-97-32 et

www.associationlagranja.com/nous-contacter/

Clément Bouscarel (Lot)

Guide touristique et conteur,

Clément Bouscarel partage les mythes,

légendes, us et coutumes qui ont bercé

son enfance auprès d’associations,

d’écoles ou durant les festivals.

Informations : 06-89-59-46-69

et www.clementbouscarel.fr

Daniel Chavaroche, Sarlat (Dordogne)

Professeur d’occitan, Daniel Chavaroche

conte les traditions de son

Périgord natal, notamment de Sarlat.

Informations : 05-53-50-74-03 et

[email protected]

Et aussi…L’Arbre aux secrets, Fleurance (Gers)

Tous les ans, la jolie ville de Fleurance

consacre une soirée aux contes et légendes

du Gers. Au clair de lune, un conteur se met

en scène et L’Arbre aux secrets fleurit…

Commence alors un fabuleux voyage.

Le 12 août. Accès gratuit.

Informations : 05-62-64-00-00

et www.tourisme-fleurance.com

Les chemins qui parlent (Lot)

Les vallées du Lot et du Célé sont

parcourues par quatre sentiers

de randonnée. Des guides accompagnent

les marcheurs qui s’y aventurent.

Informations : 05-65-31-31-31 et

www.saint-cirqlapopie.com/nature/

randonnees-et-balades/les-chemins-qui-parlent

SUR LA PISTE DES LÉGENDES

N° 3340 / 8 juillet 2015

par Alain de Solminihac, évêque dudiocèse de Cahors [1636-1659].

Quels sont les thèmes récurrentsdans l’imaginaire occitan?֏ Les grands classiques ont trait auxfontaines, aux grottes, qui parlent dumonde souterrain, aux ponts, qui sontsouvent l’œuvre du diable, aux dracs,ces esprits facétieux qui prennent dif-férentes formes et s’amusent à fairedes blagues aux humains, aux fachil-hera, ces fées sorcières qui jettent dessorts… Nous avons aussi un grandnombre de saints locaux – saint Nam-phaise est l’un des plus fameux – etquelques héros. Roland, preux neveude Charlemagne, Gargantua, qui estpassé par ici en quittant le Limousin,d’Artagnan, bien sûr, le légendairemousquetaire. Il est sans doute né auchâteau de Castelmore, à Lupiac [dansle Gers actuel]. Pour le reste, l’imagi-naire des hommes dicte sa loi ! •

Propos recueillis par Mylène SultanTOURISME La légende du gouffre de Padirac a été créée de toutes pièces lors de son ouverture au public.

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