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Droit Déontologie & Soin 10 (2010) 140–149 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Chronique Gestation pour autrui, faut-il réformer ? À quel prix ? Gilles Devers (Avocat au Barreau de Lyon) 22, rue Constantine, 69001 Lyon, France Disponible sur Internet le 24 juillet 2010 Résumé Depuis une vingtaine d’années, les techniques d’insémination artificielle et de fécondation in vitro per- mettent à une femme de porter un enfant conc ¸u avec les ovocytes d’une autre femme, en dehors de tout rapport charnel. Répondant à une demande sociale forte, la gestation pour autrui se développe dans de nom- breux pays. En France où cette pratique est interdite, le débat est très tranché et l’absence de consensus, au moment de la révision de la loi de bioéthique, augure mal d’une réforme. © 2010 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. 1. Les termes du débat 1.1. Des « mères porteuses » à la gestation pour autrui Il faut d’abord dissiper un malentendu. L’expression « mère porteuse » prête à confusion. À l’origine, on ne connait qu’une seule situation : insémination plus ou moins artificielle de la mère porteuse, qui se trouvera mère biologique, mais non intentionnelle, et qui remet l’enfant à la mère intentionnelle. Tout change avec la «fivette». L’enfant est fécondé in vitro à partir de gamètes provenant du couple et la mère qui porte l’enfant n’est pas la mère biologique. Il est alors préférable de parler de « gestation pour autrui » (GPA). L’enfant est séparé de la mère qui l’a porté, mais qui n’est pas sa mère biologique. L’intervention du législateur est attendue et les points à trancher ne manquent pas. Quel âge pour les parents ? Quel âge pour la mère porteuse ? Quel suivi médical ? Faut-il l’expérience d’une première grossesse ? Faut-il une formation ? Un examen psychologique ? Qui rédige les contrats ? Quid si les parents se séparent ? Quid si abandon de l’enfant par la mère intentionnelle ? Quelle indemnisation ? Quel statut pour les intermédiaires ? Quelle communication publique ? Quelles Adresse e-mail : [email protected]. 1629-6583/$ – see front matter © 2010 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.ddes.2010.06.006

Gestation pour autrui, faut-il réformer ? À quel prix ?

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Droit Déontologie & Soin 10 (2010) 140–149

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Chronique

Gestation pour autrui, faut-il réformer ? À quel prix ?

Gilles Devers (Avocat au Barreau de Lyon)22, rue Constantine, 69001 Lyon, France

Disponible sur Internet le 24 juillet 2010

Résumé

Depuis une vingtaine d’années, les techniques d’insémination artificielle et de fécondation in vitro per-mettent à une femme de porter un enfant concu avec les ovocytes d’une autre femme, en dehors de toutrapport charnel. Répondant à une demande sociale forte, la gestation pour autrui se développe dans de nom-breux pays. En France où cette pratique est interdite, le débat est très tranché et l’absence de consensus, aumoment de la révision de la loi de bioéthique, augure mal d’une réforme.© 2010 Publie par Elsevier Masson SAS.

1. Les termes du débat

1.1. Des « mères porteuses » à la gestation pour autrui

Il faut d’abord dissiper un malentendu. L’expression « mère porteuse » prête à confusion. Àl’origine, on ne connait qu’une seule situation : insémination plus ou moins artificielle de la mèreporteuse, qui se trouvera mère biologique, mais non intentionnelle, et qui remet l’enfant à la mèreintentionnelle. Tout change avec la « fivette ». L’enfant est fécondé in vitro à partir de gamètesprovenant du couple et la mère qui porte l’enfant n’est pas la mère biologique. Il est alors préférablede parler de « gestation pour autrui » (GPA). L’enfant est séparé de la mère qui l’a porté, mais quin’est pas sa mère biologique.

L’intervention du législateur est attendue et les points à trancher ne manquent pas. Quel âgepour les parents ? Quel âge pour la mère porteuse ? Quel suivi médical ? Faut-il l’expérience d’unepremière grossesse ? Faut-il une formation ? Un examen psychologique ? Qui rédige les contrats ?Quid si les parents se séparent ? Quid si abandon de l’enfant par la mère intentionnelle ? Quelleindemnisation ? Quel statut pour les intermédiaires ? Quelle communication publique ? Quelles

Adresse e-mail : [email protected].

1629-6583/$ – see front matter © 2010 Publie par Elsevier Masson SAS.doi:10.1016/j.ddes.2010.06.006

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garanties contre la marchandisation du corps ? Quel mode d’établissement pour la filiation del’enfant ?

Il va falloir entrer dans ces problématiques. Le plus simple serait de se parer des grandsprincipes, pour proclamer « non, jamais ». . . en sachant que c’est donner la prime à des réseauxet aux prises en charge à l’étranger, pour ceux qui peuvent financer.

De fait, nombre de pays ont légitimé, en les encadrant, ces pratiques : Grande-Bretagne, Bel-gique, Grèce, Pays-Bas, Danemark, Finlande, Île Maurice, Nouvelle Zélande, Afrique du Sud,certains États des États-Unis et du Canada. . . l’Espagne s’oriente vers une réforme.

En France, des points de vue très divers s’opposent et une affaire est venue relancer le débat,de manière très crue.

1.2. Une affaire illustre l’anachronisme

C’est une histoire de dix ans. En 1998, un couple de Francais (les époux Menesson) installé enCalifornie cherche à avoir des enfants et n’y parvient pas. Les examens parlent : l’épouse souffred’une malformation congénitale rendant impossible toute gestation. Maternité impossible. . . maisnaissance et filiation possibles avec la gestation pour autrui, qui est légale là-bas. En 2000, Mary,une Américaine rencontrée en Californie, accepte de porter l’enfant après une fécondation invitro : don d’ovocyte et sperme du mari.

Les démarches sont entreprises pendant la grossesse et le 14 juillet 2000 un jugement de laCour suprême de Californie dit que le mari et l’épouse seront « père et mère des enfants à naître »,le mari étant reconnu comme père génétique, l’épouse comme « mère légale ».

En octobre 2000, naissance en Californie de jumelles et les actes de naissance sont établisselon le jugement rendu : le mari et la femme sont le père et la mère.

Les parents demandent la transcription des actes de naissance des enfants sur les registresfrancais au consulat général de France à Los Angeles et les tracas commencent. Transcriptionimpossible car la mère ne produit pas un « certificat d’accouchement ».

Des années plus tard, le couple rentre en France. Les enfants sont Américains et ont despasseports américains : nées aux États-Unis, elles bénéficient de la nationalité américaine.

Au vu du jugement californien, les parents obtiennent la retranscription des actes de naissancedes jumelles sur les registres du service central d’état civil. Pas d’accord, dit le procureur de laRépublique de Créteil, où vit désormais la petite famille franco-américaine, qui assigne le coupledevant le tribunal de grande instance aux fins d’obtenir l’annulation de cette transcription.

Le tribunal de grande instance n’a pas la même lecture de « l’ordre public francais ». Il déclarel’action du ministère public irrecevable : il faut tirer les conséquences de la validité du jugementaméricain et des actes dressés en Californie. Et la cour d’appel de Paris confirme en mentionnantl’intérêt supérieur de l’enfant : « La non-transcription des actes de naissance aurait des consé-quences contraires à l’intérêt supérieur des enfants qui, au regard du droit francais, se verraientprivés d’acte civil indiquant leur lien de filiation, y compris à l’égard de leur père biologique ».

Pourvoi du Parquet, soutenant que « le ministère public peut agir pour la défense de l’intérêtpublic à l’occasion de faits qui portent atteinte à celui-ci », en l’occurrence le recours à uneconvention de mère porteuse.

Bien d’accord, dit la Cour de cassation dans son arrêt du 18 décembre 20081 : « Les énonciationsinscrites sur les actes d’état civil ne pouvaient résulter que d’une convention portant sur la

1 Cass. 1ère chambre civ., 17 décembre 2008.

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gestation pour autrui, de sorte que le ministère public justifiait d’un intérêt à agir en nullité destranscriptions. »

La question traitée, c’est la recevabilité de l’action du procureur à l’encontre de la retranscrip-tion d’actes de filiation établis à l’étranger. Le fait que leur validité ne soit pas contestable ne veutpas dire qu’ils ne sont pas contraires à l’ordre public francais. Ceux qui croyaient que tous lesdangers pour la famille venaient des pays musulmans doivent réorienter leur longue vue. Et oui,pour la douce mamie qui sommeille dans la France, le danger vient de partout.

Mais qu’est-ce donc que cet ordre public ? Cet ordre public. . . c’est la loi, répond la Cour decassation, qui vise l’article 16-7 du code civil, introduit avec les lois de bioéthique de 1994 : « Touteconvention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». Ordrepublic toujours, avec l’article 227-12 du code pénal, sanctionnant de six mois d’emprisonnementet de 7 500 D d’amende « le fait de s’entremettre entre une personne ou un couple désireuxd’accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leurremettre ».

Bref, la cour d’appel de Paris s’était laissé attendrir. L’intérêt supérieur de l’enfant, avaient ditles juges. Oui, certes, répond la Cour de cassation, mais l’intérêt de l’enfant ne peut pas dissoudrel’article 16-7. La Cour se braque devant les réalités de fait : tout ce qui se passe de bien dans cettefamille ne peut suffire à ouvrir une brèche dans le droit, la loi ayant clairement dit que l’enfantn’a de mère que celle qui l’a porté.

L’affaire est revenue devant la cour d’appel de Paris qui, le 18 mars 2010, a rendu son arrêt. Ellereconnaît la filiation mais refuse la transcription à l’état civil de leurs actes de naissance, rejetantl’argument de « l’intérêt supérieur de l’enfant » avancé par les époux Mennesson. Le couple s’estpourvu en cassation.

Plus d’un magistrat de la Cour de cassation pensent sans doute que l’intérêt de l’enfant est, danscette affaire, que la retranscription soit admise. Parce que dans le cas de cette famille, l’intérêtdes enfants est manifestement d’avoir un état civil francais, qui correspond à l’état civil américainet au jugement rendu par la Cour suprême de Californie. De telle sorte, on voit entre la courd’appel et la Cour de cassation deux approches. La première estime que, devant l’enfant qui estlà, la prise en compte de son intérêt supérieur permet d’admettre une exception à la loi, avec cetteperspective : s’agissant de la gestation pour autrui, le juge pourra, au cas par cas, et au vu desprincipes, définir progressivement un régime. Pour la Cour de cassation, les intérêts ne sont passuffisants pour remettre en cause la loi. C’est au législateur, s’il l’estime opportun, de fixer unnouveau cadre. Parce que, quoiqu’on en pense, la réponse est moins « pour » ou « contre », que« selon quelles modalités ? »

1.3. Du côté du législateur

Du côté du législateur, il y a eu un mouvement ces derniers temps, avec une commissionsénatoriale dont Henri de Richemont, UMP, est le rapporteur, et Michèle André, PS, la présidente.Son rapport, déposé en juin 2008 estime hypocrite l’interdiction légale d’un procédé qui se répand,et cherche à apporter des réponses aux problèmes posés, avec trois préoccupations :

- le respect des principes de non-patrimonialité et de l’indisponibilité du corps humain et de l’étatdes personnes ;

- la volonté d’empêcher l’exploitation des femmes démunies et la marchandisation à travers lagratuité de la GPA et la notion de don de soi ;

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- la gestion de l’incertitude qui pèse sur les conséquences sanitaires et psychologiques pourl’enfant à naître et la femme qui l’a porté.

Ont suivi deux propositions de loi, strictement identiques, émanant de groupes de sénateursde droite et de gauche. Mais dans le même temps, le rapport parlementaire sur la révision deslois bioéthiques prend position contre une réforme, avec l’appui de l’Ordre des médecins et del’Agence de biomédecine. Le débat est ouvert. . .

2. Les propositions du Sénat

Il s’agit des propositions no 233 et 234 tendant à encadrer la gestation pour autrui. On trouveraci-dessous l’exposé des motifs.

2.1. Une antériorité

La maternité pour autrui constitue probablement une pratique séculaire permettant de remédierà l’infertilité d’une femme.

Longtemps tolérée, parce que pratiquée de manière occulte, dans le secret des familles, ellen’en remettait pas moins en cause l’adage « Mater semper certa est » : la mère, désignée parl’accouchement, était toujours certaine, à la différence du père. Mais les progrès de la génétiquepermettent désormais de désigner celui-ci de manière tout aussi certaine, ce qui constitue en soiune première révolution pour le droit de la filiation, qui peut désormais s’appuyer sur la véritébiologique dans les deux lignes maternelle et paternelle. Néanmoins, dans la plupart des Étatsoccidentaux, la règle selon laquelle la maternité légale résulte de l’accouchement demeure l’undes fondements de la filiation, alors que la paternité légale repose encore essentiellement sur unacte de volonté du père, la vérité biologique n’étant pas vérifiée en l’absence de contestation.

Paradoxalement, les progrès de la génétique qui rendent possible la dissociation entre mater-nité génétique et maternité utérine ont ébranlé cette certitude ancestrale. Depuis une vingtained’années, les techniques d’insémination artificielle et de fécondation in vitro permettent en effetà une femme de porter un enfant concu en dehors de tout rapport charnel, avec les ovocytesd’une autre femme. Ainsi, ces nouvelles connaissances, qui donnent la certitude de la filiationbiologique, permettent également de contredire les règles de la nature et contraignent à raisonnerautrement en matière de filiation, non plus à partir de ces règles, mais à partir de principes éthiques.

On distingue ainsi la procréation pour autrui de la gestation pour autrui : dans le premier cas,la femme qui porte l’enfant est sa mère génétique ; dans le second, elle n’en est que la gestatrice,l’enfant ayant été concu avec les gamètes du couple demandeur ou de tiers donneurs. Telle estla raison pour laquelle les expressions génériques « maternité pour autrui » et « maternité desubstitution » sont souvent employées.

2.2. Une prohibition contournée

La gestation et la procréation pour autrui sont des pratiques strictement prohibées en France– la loi de bioéthique de 1994 les a rendu passibles de sanctions civiles et pénales – au nom desprincipes de l’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes, de la volonté d’empêcherl’exploitation des femmes démunies et de l’incertitude qui pèse sur leurs conséquences sanitaireset psychologiques pour l’enfant à naître et la femme qui l’a porté.

En dépit de cette prohibition, de nombreux couples confrontés à la stérilité de la femme(certaines évaluations font état de 400 couples par an) n’hésitent pas à se rendre à l’étranger, dans

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les pays où la maternité pour autrui est légale ou tolérée – principalement dans certains Étatsdes États-Unis, du Canada, au Royaume-Uni ou en Belgique, mais aussi dans des pays d’Europeorientale, Géorgie et Ukraine, notamment. À leur retour en France, ces couples ne peuvent pasfaire inscrire à l’état civil la mère dite « d’intention » et partant, établir la filiation de l’enfantà l’égard de celle-ci. L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 25 octobre 2007 qui avait validé latranscription sur les registres de l’état civil francais des actes de naissance américains de jumellesnées en Californie en application d’une convention de gestation pour autrui a été récemment cassépar un arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 2008. Cet arrêt énonce que le ministère publicjustifiait d’un intérêt à agir en nullité des transcriptions des actes de naissance californiens quine pouvaient résulter que d’une convention portant sur la gestation pour autrui. Cet arrêt devraitporter un coup sévère aux velléités de tourisme procréatif. Mais il est certain qu’il n’y mettrapas fin. Et la question reste posée du devenir de tous les enfants nés dans ces conditions qui nepourront pas être les enfants de leur mère, celle qui les a voulu et sans la volonté de laquelle ilsne seraient pas nés. Avec toutes les conséquences qui peuvent en résulter, au-delà des règles dedroit sur leur développement psychique et leur devenir d’adulte.

2.3. Les travaux du Sénat

Les travaux du groupe de travail, constitué de 16 membres, créé au mois de janvier 2008 parla commission des affaires sociales et la commission des lois du Sénat sur l’initiative de leursprésidents respectifs MM. Nicolas About et Jean-Jacques Hyest, à la suite de l’arrêt de la courd’appel de Paris et sans attendre la révision des lois de bioéthique qui doit intervenir en 2010, n’enont que plus d’importance. En effet, il revient au législateur de se préoccuper de toute urgence dusort de ces enfants.

Les membres de ce groupe de travail se sont tout particulièrement penchés sur la question dela levée ou du maintien de l’interdiction de la maternité pour autrui, d’une part, et sur celle dusort à réserver aux enfants nés en violation de la loi francaise, d’autre part. Après avoir organiséune cinquantaine d’auditions ainsi qu’un déplacement au Royaume-Uni, la majorité d’entre euxa préconisé d’autoriser, sous des conditions strictes, la gestation pour autrui.

2.4. La proposition de loi

La proposition de loi a pour objet de donner une traduction législative aux recommandationsdu groupe de travail sénatorial.

L’article 1 modifie le code de la santé publique afin d’inscrire la gestation pour autrui dans lecadre de l’assistance médicale à la procréation. Elle deviendrait un instrument supplémentaire auservice de la lutte contre l’infertilité, sans que soit reconnu pour autant un « droit à l’enfant ».

– Aux termes du texte proposé pour l’article L. 2143-2, seuls pourraient bénéficier d’une gestationpour autrui les couples composés de personnes de sexe différent, mariées ou en mesure dejustifier d’une vie commune d’au moins deux années, en âge de procréer et domiciliées enFrance. La femme devrait se trouver dans l’impossibilité de mener une grossesse à terme ou nepouvoir la mener sans un risque d’une particulière gravité pour sa santé ou pour celle de l’enfantà naître. L’un des deux membres du couple au moins devrait être le parent génétique de l’enfant.

– Selon le texte proposé pour l’article L. 2143-3, seule pourrait porter en elle un ou plusieursenfants pour autrui, la femme majeure, domiciliée en France et ayant déjà accouché d’un enfantau moins sans avoir rencontré de difficulté particulière durant la grossesse puis l’accouchement.

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De surcroît, une femme ne pourrait ni porter pour autrui un enfant concu avec ses propresovocytes, ni porter un enfant pour sa fille, ni mener plus de deux grossesses pour autrui.

– Enfin, selon le texte proposé pour l’article L. 2143-4, les couples désireux de bénéficier d’unegestation pour autrui et les femmes disposées à porter en elles un ou plusieurs enfants pourautrui devraient obtenir l’agrément de l’Agence de la biomédecine, cet agrément étant destinéà vérifier leur état de santé physique, notamment le respect des conditions posées aux articlesL. 2143-2 et L. 2143-3, mais également psychique.

– Le texte proposé pour l’article L. 2143-5 autorise la mise en relation d’un ou de plusieurscouples désireux de bénéficier d’une gestation pour autrui et d’une ou de plusieurs femmesdisposées à porter en elles un ou plusieurs enfants pour autrui, à condition qu’elle ne donnelieu ni à publicité ni à rémunération. Cette mise en relation ne pourrait, de surcroît, êtreréalisée à titre habituel qu’avec l’agrément de l’Agence de la biomédecine.

– Le texte proposé pour l’article L. 2143-6 subordonne le transfert d’embryons à une autorisationdu juge judiciaire. Conformément aux recommandations du groupe de travail, le magistratdevrait vérifier les agréments, recueillir les consentements écrits des parents intentionnels etde la gestatrice ainsi que, le cas échéant, celui du conjoint, du concubin ou du partenaire dePACS de cette dernière, après les avoir informés des conséquences de leur engagement auregard notamment du droit de la filiation. Il fixerait également la somme devant être versée parle couple bénéficiaire à la gestatrice afin de couvrir les frais liés à la grossesse qui ne seraientpas pris en charge par l’organisme de sécurité sociale et les organismes complémentairesd’assurance maladie. Cette somme pourrait être révisée en cas d’événement imprévu au coursde la grossesse. La gestation pour autrui ne pouvant être admise qu’en tant que don de soi,aucun autre paiement, quelle qu’en soit la forme, ne pourrait être alloué.

– En vertu du texte proposé pour l’article L. 2143-7, il appartiendrait à la gestatrice et à elle seulede prendre, le cas échéant, toute décision relative à une interruption volontaire de la grossesse.

– Enfin, le texte proposé pour l’article L. 2143-8 fait interdiction aux membres du couple bénéfi-ciaire d’une gestation pour autrui ou à l’un d’entre eux, d’engager une action en responsabilité àl’encontre de la femme ayant accepté de porter en elle un ou plusieurs enfants pour leur compte.

– Les modifications proposées aux articles L. 1418-1 et L. 1418-3 opèrent des coordinationsdans les dispositions du code de la santé publique relatives aux compétences, à l’organisationet au fonctionnement de l’Agence de la biomédecine.

L’article 2 modifie le code de la sécurité sociale afin de définir les droits sociaux respectifs dela gestatrice et du couple bénéficiaire de la gestation pour autrui.

Conformément aux recommandations du groupe de travail, la gestatrice bénéficierait de tousles droits sociaux afférents à la maternité (article L. 331-8 du code de la sécurité sociale). En outre,et sans qu’il soit besoin de modifier la loi, elle ne pourrait bénéficier de droits supplémentaires àla retraite dès lors qu’elle n’élèverait pas l’enfant.

Le texte proposé pour l’article L. 1225-28-1 du code du travail ouvre également le droit à uncongé de six semaines à la femme du couple de parents intentionnels. Celle-ci bénéficierait enplus de l’indemnité journalière de repos pendant six semaines à compter de l’arrivée de l’enfantau foyer, à condition qu’elle cesse tout travail salarié durant la période d’indemnisation.

L’article 3 modifie le code civil afin de déterminer les règles relatives à la filiation des enfantsnés d’une gestation pour autrui.

Le texte proposé pour l’article L. 311-20-1 prévoit que les noms des parents intentionnels soientautomatiquement inscrits sur les registres de l’état civil en exécution de la décision judiciaire ayantautorisé le transfert d’embryons et sur présentation de celle-ci par toute personne intéressée,

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notamment le représentant du ministère public. La filiation du ou des enfants à leur égard neserait susceptible d’aucune contestation.

Ainsi, l’enfant ne pourrait être privé de filiation et les bénéficiaires de la gestation pour autruine pourraient se rétracter au dernier moment, au motif par exemple qu’ils se seraient séparés ouque l’enfant serait handicapé, pour se soustraire à leurs obligations légales de parents.

L’article 16-7 du code civil, qui prohibe à peine de nullité toute convention portant sur laprocréation ou la gestation pour le compte d’autrui, resterait inchangé, conformément à la volontédu groupe de travail de mettre en place un régime légal et non contractuel.

L’article 4 modifie le code pénal afin de tirer la conséquence de la légalisation et del’encadrement strict de la gestation pour autrui.

Les délits de provocation à l’abandon d’enfant et d’entremise en vue d’une gestation pourautrui seraient maintenus pour celles et ceux qui ne respecteraient pas les règles ainsi définies.

Conformément aux recommandations du groupe de travail, l’article 5 comporte des dispositionstransitoires permettant l’établissement de la filiation d’un enfant né d’une gestation pour autruiavant l’entrée en vigueur de la réforme proposée à l’égard de l’homme et de la femme quiremplissaient, au moment de la naissance, les conditions d’éligibilité prévues au nouvel articleL. 2143-2 du code de la santé publique : le membre du couple à l’égard duquel la filiation del’enfant ne serait pas établie devrait saisir le tribunal de grande instance dans un délai de cinqans à compter de la promulgation de la loi ; toutefois, l’action ne serait pas recevable si une autrefiliation était déjà établie.

Pour l’avenir, l’interdiction d’établir la filiation maternelle des enfants nés de maternités pourautrui pratiquées à l’étranger en violation des règles d’ordre public édictées par la loi francaiseserait maintenue, ce caractère d’ordre public étant destiné à éviter de reconnaître les effets enFrance de pratiques contraires au principe de dignité de la personne humaine.

Enfin, l’article 6 gage les conséquences financières éventuelles de la réforme proposée sur lesfinances publiques.

3. Position du Conseil national de l’Ordre des médecins

Le débat sur la gestation pour autrui ne peut pas laisser le médecin indifférent. La professionmédicale a pour vocation de porter remède aux maladies et accidents de la vie qui atteignentl’homme dans son corps comme dans son esprit. La stérilité d’un couple concerne le médecin parce qu’elle comporte de frustration compréhensible et de désarroi. Les médecins ne peuvent pasrester insensibles à la détresse de ces couples en désir d’enfant.

Est-ce à dire que tous les moyens que la science offre pour remédier à cette situation sontmoralement envisageables et, socialement comme médicalement, dénués de risques ? Le désird’enfant est présent chez la plupart des humains et particulièrement, bien sûr, chez ceux quivivent en couple.

Ce désir d’enfant a des motivations profondes :

- désir de s’inscrire dans une lignée qui remonte aux origines de l’humanité et qui de nos joursencore se manifeste par exemple au travers le succès des arbres généalogiques sur Internet ;

- désir de se survivre à travers sa progéniture, désir, qui à l’extrême, conduit au clonage humain ;- désir de donner vie à sa relation de couple.

Existe-il pour autant un « droit à l’enfant » qui serait absolu ? Avant de le proclamer ne faut-ilpas mesurer l’enjeu éthique, médical, physique et psychique ainsi que social ?

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3.1. L’enjeu éthique

L’ampleur du débat, tel qu’il s’est institué, donne la mesure de l’enjeu éthique de la pratique dela GPA. Cet enjeu intéresse la femme qui porte l’enfant mais aussi l’enfant à naître et au traversd’eux la société toute entière, en ce que c’est le regard que nous portons sur la dignité humainequi est en cause.

La femme qui porte l’enfant dans le cas de GPA se trouve en quelque sorte réduite à un« instrument » de gestation. « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans tapersonne que dans celle d’autrui toujours comme une fin et jamais simplement comme un moyen »(Kant, deuxième impératif catégorique). La femme qui prête son utérus est réduite à l’état demoyen, elle est instrumentalisée.

L’enfant ainsi concu est l’objet d’un contrat qui peut prévoir, sinon un salaire, au moins uneindemnisation. Là encore revenons à Emmanuel Kant : « Dans le règne des fins tout a un prixou une dignité. Ce qui a un prix peut tout aussi bien être remplacé par quelque chose d’autreà titre d’équivalent ; au contraire ce qui est supérieur à tout prix, ce qui par suite n’admet pasd’équivalent, c’est ce qui a une dignité » (Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs).

Les conditions dans lesquelles des femmes prêtent ou louent leur utérus dans des pays étran-gers où existent maintenant des cliniques spécialisées dans ce domaine, montrent le risqued’instrumentalisation du corps de la femme auquel on s’expose. Certains ne voient, entre ledon de gamètes et, particulièrement le don d’ovocytes, qu’une différence de degré avec le prêtd’utérus.

Certes la question se pose mais le don d’ovocytes même s’il nécessite une intervention médicaleet peut avoir un caractère douloureux est un geste instantané et ne demande pas la mise à dispositionde son corps pendant plusieurs mois ; cela dit, il n’est pas non plus sans poser de question éthiquedu fait même de cette intervention et de possibles accidents et l’on sait que dans certains pays ilfait l’objet d’un véritable commerce.

On ne peut garantir la parfaite indépendance d’une femme qui accepte de porter un enfant pourune autre. En dehors d’une éventuelle rémunération, si le geste est gratuit, on ne peut garantirl’absence de pressions affectives ou sociales, qu’elles soient conscientes ou inconscientes.

Le statut de l’enfant dans cette situation est lui aussi préoccupant. Un enfant est une personnehumaine dont on ne peut disposer librement. Prévoir, par contrat, son abandon à la naissance etprévoir pour la femme qui l’a porté le droit de décider de le conserver dans les trois premiersjours, c’est accepter de le considérer comme objet.

3.2. L’enjeu médical

À côté de cet aspect fondamental de l’enjeu éthique, il faut également aborder l’enjeu médicalphysique et psychologique.

La grossesse n’est pas un simple mécanisme de gestation où une femme permettrait àun embryon de se développer indépendamment de son propre organisme. Chacun connaitl’interaction qui s’exerce entre la mère et l’enfant. Au cours de la gestation, l’organisme maternelse modifie considérablement avec d’importantes conséquences physiques et psychologiques qui sepoursuivront même après l’accouchement. Ces modifications peuvent être à l’origine d’accidentsmédicaux majeurs. Le médecin est-il en droit de faire prendre de tels risques à une femme pourporter l’enfant d’une autre ?

L’état physique et psychologique de la mère a une grande influence sur la santé de l’enfant ànaître, ses habitudes alimentaires par exemple, d’éventuelles addictions sont autant de facteurs qui

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vont influencer le déroulement de la grossesse et l’avenir de l’enfant. Les émotions de la gestatricequi se traduisent par des libérations de neurotransmetteurs, envoient au fœtus des messages qui sontmémorisés. Les intonations de langage, comme il a été démontré récemment, sont enregistréespar l’enfant à naître et influenceront sa facon de parler et sa réceptivité au langage d’autrui.Ces influences réciproques de la mère et de l’enfant sont maintenant connues, peut-être n’enmesure-t-on pas encore toute l’importance.

Mais les conséquences psychologiques peuvent également atteindre l’entourage de la mèrequi porte l’enfant : son éventuel conjoint, ses enfants déjà nés ne seront pas indifférents à cettegrossesse et à ses conséquences sur la vie du couple et de la famille. Le couple demandeur lui-même ne peut être épargné par cette grossesse par délégation. La femme donneuse d’ovocyte nepeut voir son enfant porté par une autre sans ressentir une frustration importante.

3.3. L’enjeu social et juridique

À côté de ces enjeux fondamentaux que sont les aspects éthiques et médicaux se posent aussides questions d’ordre social et juridique : la grossesse, nous l’avons dit est une période non dénuéede risques dans la vie d’une femme. Des accidents peuvent survenir tout au long de ces neuf moisavec des conséquences parfois graves pour la femme. Dans quelle mesure ces accidents pourraient-ils être indemnisés en cas de GPA ? Quelle responsabilité morale et pécuniaire reposerait sur lecouple demandeur ?

Par ailleurs, quelle pourrait être la responsabilité de la mère qui porte l’enfant si de son fait,de pratiques addictives ou d’imprudence d’autre sorte, il en résultait un dommage pour l’enfant ?Devra-t-elle par contrat s’engager à ne pas fumer ou ne pas boire d’alcool ? Devra-t-elle parcontrat respecter une hygiène de vie et une prudence particulière ? Si l’enfant au terme de cettegrossesse présente une quelconque pathologie, qui le prendra en charge si les parents biologiquesn’en veulent plus ? Devra-t-on considérer qu’un enfant né dans de telles conditions doit êtreparfait ?

Bien sûr le droit peut prévoir à peu près toutes ces situations mais le seul fait de les évoquermontre à quel point cette méthode de procréation est troublante.

En conclusion, si l’on peut comprendre et accompagner le désir de procréation légitime etnaturel des couples stériles et si la procréation médicalement assistée est admise par la loi, desméthodes de procréation qui mettent en jeu le corps et la santé d’autrui ne sont éthiquement etmédicalement pas justifiées.

L’utilisation du corps d’autrui porte atteinte à la notion même de dignité humaine garantie parla déclaration universelle des droits de l’homme. Tous les hommes « naissent égaux en dignité eten droits » mais ils ne sont pas égaux devant le destin.

Le rôle du médecin est, bien sûr, de remédier à ces différences dans la mesure du possible maisil ne peut le faire au prix d’une atteinte à la dignité d’autres êtres humains et au travers d’eux à ladignité de l’espèce toute entière.

4. Autres avis

4.1. Avis négatif de l’Agence de biomédecine

Le conseil d’orientation de l’Agence de biomédecine (ABM) a dressé dans un avis la liste desdifficultés concrètes que présenteraient la mise en œuvre et le contrôle de la pratique des mèresporteuses si celle-ci était autorisée par la loi.

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En ce qui concerne l’indication, à supposer que la gestation pour autrui soit réservée aux femmessouffrant d’infertilité utérine, « la définition de cette indication, malaisée, rendrait probable uneappréciation au cas par cas (. . .) dont on sait les risques d’inéquité ». Par ailleurs, si la GPA étaitréservée aux couples hétérosexuels, un certain nombre de tentatives resteraient clandestines.

Le Conseil d’orientation estime également qu’il serait très difficile de créer une commis-sion d’éthique chargée de contrôler cette pratique faute de critères pertinents qui permettraientd’habiliter les praticiens et les intermédiaires spécialisés et d’agréer les gestatrices et les « parentsd’intention » : « Il paraît difficile d’établir des critères qui seraient pertinents pour l’appréciationdes motivations de la gestatrice et de sa capacité à confier l’enfant aux parents d’intention auterme de la grossesse » comme d’apprécier « les risques/bénéfices pour elle en fonction de sonéquilibre psychologique, familial, social ».

L’Agence de biomédecine s’interroge également sur le rôle que pourraient avoir les différentsacteurs du système : médecins, associations et magistrats. Quel serait le rôle du médecin face « àdes situations de conflit au cours de la grossesse ou de l’accouchement, ou en cas d’événementindésirable » ? Les associations pourraient-elles mettre en contact « candidates à la GPA et couplesdemandeurs » voire « recruter des gestatrices » ? Quels critères pourraient retenir les magistratspour statuer sur la convention de GPA, « première convention portant sur le corps humain, enviolation du principe d’indisponibilité » ?

Enfin, le texte souligne les risques nombreux de litiges : contrôle du comportement de la mèreporteuse par les commanditaires, refus de remettre l’enfant, refus de l’accueillir pour cause dehandicap ou autre. . .

En conclusion, l’ABM avertit le législateur de « la tâche qui lui incomberait pour rendre uneéventuelle loi applicable dans des conditions éthiques ».

4.2. Avis négatif du Collège national des sages-femmes (CNSF)

Le Collège national des sages-femmes (CNSF) fait part de ses réserves à l’égard de la gestationpour autrui (GPA) dans un communiqué. Connaissant bien les femmes et proches d’elles, lesprofessionnelles de la naissance posent dix questions pour alimenter le débat et alertent les femmessur cette pratique qui, « loin de représenter une avancée en termes de droits des femmes, privilégiele droit à l’enfant aux dépens des droits de l’enfant ».

Est-ce le rôle de la science et de la médecine de « pallier tous les manques au nom de lacompassion » ? Qu’en est-il des « liens affectifs entre la gestante et le fœtus ? » Comment gérerles risques inhérents à toute grossesse ? « Quelles souffrances psychiques en cas d’anomalies dufœtus, voire d’interruption médicale de grossesse ? » sont quelques-unes des interrogations misesen avant par les sages-femmes qui espèrent, en plus d’un débat, une réflexion plus large sur lasociété de demain : « si les repères structurels changent, quels types de liens mettons-nous enplace ? Quelles valeurs devons-nous cultiver ? »

5. En guise de conclusion

Après cet exposé des positions des différentes instances, il appartient désormais à chacun dese forger un point de vue. . .