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UFR : Littérature, Linguistique, Didactique Département : Didactique du Français Langue Etrangère Gestion des langues en présence dans une approche du plurilinguisme en UPE2A Mémoire de Master 2 Professionnel de Didactique des langues Spécialité : Illettrismes, interculturalité et FLE / FLS Eléonore THIBAUT Sous la direction de Madame C. MENDONCA DIAS Membre du jury : Madame P. TREVISIOL OKAMURA Soutenu en juillet 2016 1

Gestion des langues en présence dans une approche du

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UFR : Littérature, Linguistique, Didactique

Département : Didactique du Français Langue Etrangère

Gestion des langues en présence dans

une approche du plurilinguisme en UPE2A

Mémoire de Master 2 Professionnel de Didactique des langues

Spécialité : Illettrismes, interculturalité et FLE / FLS

Eléonore THIBAUT

Sous la direction de Madame C. MENDONCA DIAS

Membre du jury : Madame P. TREVISIOL OKAMURA

Soutenu en juillet 2016

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Page 2: Gestion des langues en présence dans une approche du

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier, tout d'abord, Catherine Mendonça Dias, ma directrice de recherche pour sa

disponibilité, sa bienveillance, ses conseils avisés et son soutien tout au long de cette recherche.

Merci également à Pascale Trévisiol Okamura pour le temps consacré à la lecture de ce travail.

Merci à Monsieur Beudaert, chef d'établissement du collège Louise Michel, pour m'avoir permis de

réaliser mon stage au sein de son établissement.

Merci tout particulièrement à Virginie Verhaeghe, enseignante titulaire de l'UPE2A, pour son

accueil chaleureux, ses précieux conseils, son dévouement, et son amitié.

Merci également aux élèves du dispositif pour leur attitude positive et leur implication qui

contribuèrent à une réalisation réussie des activités.

Merci aux enseignants de l'Université de la Sorbonne Nouvelle pour leurs enseignements,

enrichissants sur le plan intellectuel et personnel.

Enfin, un grand merci à mon entourage, pour tout le soutien et les encouragements qu'ils m'ont

apporté, et surtout à ma mère pour ses relectures éclairées.

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Page 3: Gestion des langues en présence dans une approche du

SommaireIntroduction..........................................................................................................................................4

Chapitre 1 - Fonctionnement, spécificités de l'enseignement, et dimension linguistique des UPE2A..............................................................................................................................................................7

1. Fonctionnement et spécificité des UPE2A..................................................................................71.1 Présentation du cadre institutionnel des UPE2A..................................................................81.2 Spécificité de l'enseignement en UPE2A............................................................................11

2. Un public spécifique..................................................................................................................122.1 Des élèves «nouvellement arrivés».....................................................................................122.2 Des élèves « allophones »...................................................................................................17

3. Apprentissage et enseignement du français dans un contexte de diversité linguistique............193.1 L'éducation plurilingue.......................................................................................................193.2 Utilisation des langues «déjà connues»: statuts et conséquences.......................................203.3 Et le français?......................................................................................................................293.4 Approches pédagogiques en lien avec le plurilinguisme ...................................................31

Chapitre 2 - Mise en place d'un matériel didactique plurilingue prenant en compte le terrain de stage............................................................................................................................................................33

1. Le terrain....................................................................................................................................331.1 Un dispositif d'un collège de banlieue parisienne...............................................................331.2 Présentation du matériel didactique utilisé.........................................................................341.3 Présentation des activités de classe observées....................................................................351.4 Présentation des activités créées et dispensées...................................................................43

2. Méthodologie de construction et d'analyse des données...........................................................502.1 Une méthode qualitative.....................................................................................................502.2 Le recueil des données........................................................................................................50

Chapitre 3 – Mise en lumière des conséquences de l'utilisation des langues en présence sur l'apprentissage et l'enseignement de l'UPE2A et de la gestion en découlant......................................51

1. Analyse des activités observées.................................................................................................511.1 Analyse des activités articulées autour du plurilinguisme..................................................541.2 Analyse des activités mobilisant le plurilinguisme.............................................................57

2. Analyse des activités dispensées................................................................................................652.1 Les boîtes : donner une place aux langues déjà connues....................................................652.2 La fleur des langues : représenter le plurilinguisme...........................................................662.3 Le bonhomme des langues : langues et représentations......................................................692.4 Le dessin réflexif : gestion des langues par les élèves........................................................732.5 La charte des langues: utilisation des langues premières et utilisation de la langue française....................................................................................................................................76

Conclusion..........................................................................................................................................78Bibliographie......................................................................................................................................81Sitographie..........................................................................................................................................82Annexe 1 : Déclaration sur l'honneur.................................................................................................84Annexe 2 : Convention de stage.........................................................................................................85Annexe 3 : Tableau réalisée lors de l'activité phonétique sur le son « oi »........................................86Annexe 4 : Fiche individuelle remplie lors de l'activité de la fleur des langues................................87Annexe 5 : Bonhomme des langues de Nadji.....................................................................................88Annexe 6 : Dessin réflexif de Simone................................................................................................89

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Page 4: Gestion des langues en présence dans une approche du

Introduction

Pendant mes trois années de licence de Langues, Littératures, et Civilisations Etrangères

(LLCE) spécialité Espagnol, j'ai souvent entendu la même phrase : « En espagnol s'il vous plaît ! ».

La langue qu'il fallait explicitement utiliser lors des cours, et plus particulièrement lors des

interventions orales, était l'espagnol, car elle était la langue cible de l'apprentissage. Cette phrase me

ramenait implicitement à considérer que le français n'avait pas sa place dans mon apprentissage, et

que je ne pouvais l'utiliser que de manière cachée. J'étais face à un problème de taille : le besoin de

m'appuyer sur la langue française pour m'approprier la langue espagnole, et l'interdiction d'y avoir

recours.

Le choix du sujet de ce mémoire résulte de la rencontre de mon expérience étudiante à mon

expérience professionnelle. En effet, lors d'une expérience professionnelle suivant cette licence, je

me suis retrouvée, en qualité d'enseignante, face à un public de migrants ayant recours à diverses

langues. Je me suis interrogée sur la possible utilisation de ces langues dans mon enseignement et

dans leur apprentissage du français.

Comme le précise Véronique Castellotti, reconnaître la présence et prendre en compte la (ou

les) langue(s) déjà connue(s) par les apprenants est un choix de l'enseignant : il peut décider de

« s'appuyer sur les acquis des apprentissages premiers pour les investir dans l'accès à une langue

étrangère » (Castellotti, 2001a : 7). Ces langues connues possèdent selon chaque apprenant un statut

différent, elles peuvent être langue de migration, langue du pays d'origine, ou celle des contacts

linguistiques dans le pays d'accueil. Dans le cadre de l'apprentissage du français, ces langues se

retrouvent confrontées à une autre langue, qui voit aussi son statut varié. Dans une Unité

Pédagogique pour Elèves Allophones nouvellement Arrivés (désormais UPE2A), le français peut

être langue étrangère, langue seconde, mais également langue de scolarisation et langue maternelle

avec les classes de rattachement. Face à cette multiplicité de statuts, la place du français dans

l'enseignement en UPE2A est questionnée, mais également, et surtout, la place des langues déjà

connues par les élèves. Ils sont en effet allophones, car ils parlent une ou d'autres langues que celle

de la communauté dans laquelle ils sont accueillis, mais disposent d'une richesse linguistique, qui

peut être développée dans des approches, comme les approches dites plurielles. L'exemple type

d'une approche plurielle est celle de Nathalie Auger : « Comparons nos langues ». Elle définit sa

démarche comme s'appuyant sur le postulat suivant : « tout apprentissage repose, consciemment ou

non, sur une comparaison entre le ou les systèmes langagiers préexistants et la langue à apprendre »

(Auger, 2005). Elle propose de « s'appuyer sur les scripts maternels des enfants pour aller vers le

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Page 5: Gestion des langues en présence dans une approche du

français » (ibid.), en centrant l'apprentissage sur la comparaison des langues en présence dans la

classe, de manière ponctuelle et non permanente, pour résoudre une erreur ou pour faciliter la

compréhension d'un point de langue. Elle favorise la réflexion des élèves et des enseignants sur la

dimension plurilingue et interculturelle, et favorise ainsi l'ouverture à l'altérité. Cette approche

entraîne donc l'utilisation de la langue française, en corrélation à celle des langues déjà connues par

les élèves, sans nier leurs existences, et en montrant les bénéfices que cette corrélation peut apporter

pour l'apprentissage du français. L'acquisition du français est en effet l'objectif principal d'une

UPE2A, comme le définit la circulaire de 2012 concernant l'organisation de la scolarité des Elèves

Allophones Nouvellement Arrivés (désormais EANA) : il doit être intensif, rapide, et utilisé «

comme discipline et comme langue instrumentale des autres disciplines qui ne saurait être

enseignée indépendamment d'une pratique de la discipline elle-même » (Circulaire, 2012). Mais la

liberté de fonctionnement des UPE2A et notamment la non définition d'un programme commun

laisse place à l'utilisation des langues déjà connues si l'enseignant le souhaite.

Afin de me rendre compte de l'application de cette approche pédagogique, j'ai choisi pour terrain de

stage une UPE2A du second degré, où l'enseignante titulaire la proposait. Après une semaine de

pure observation dans la classe, j'ai constaté que le plurilinguisme était bien présent et pris en

compte dans l'enseignement et l'apprentissage, dans le but de faciliter l'apprentissage du français et

de ne pas entraîner de rupture avec l'apprentissage encore en cours des langues déjà connues. Mais

j'ai également été amenée à repérer que l'utilisation du plurilinguisme entraînait des difficultés pour

les élèves comme pour l'enseignante, et qu'elle devait donc être gérée pour garder ses bienfaits.

Mais comment gérer l'utilisation des langues déjà connues des élèves dans l'enseignement et

l'apprentissage du français ?

Je me suis tout d'abord demandé s'il n'était pas possible de créer des activités pour faire

apparaître la notion de plurilinguisme aux élèves et leur faire prendre conscience du plurilinguisme

de la classe, mais également du leur ? Après avoir identifié le plurilinguisme, les élèves auraient

peut-être plus de facilité à le développer, et à avoir un regard réflexif sur celui-ci. Mais se posait

alors la question de savoir si les activités permettraient aussi de leur faire prendre conscience des

difficultés que posent le plurilinguisme, et de donner la clé, à l'enseignant comme aux élèves, pour

résoudre les problèmes apparus ?

Afin de répondre à ce questionnement, j'ai choisi de créer des activités, et d'en analyser les données

de manière qualitative, pour identifier aux mieux les problèmes rencontrés par l'utilisation du

plurilinguisme et les possibles outils de résolution.

Dans une première partie, nous nous intéresserons au fonctionnement des UPE2A, aux

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Page 6: Gestion des langues en présence dans une approche du

spécificités de l'enseignement en UPE2A, et au public des UPE2A. La dimension linguistique de ce

dispositif sera définie, et mise en relation avec l'enseignement et l'apprentissage du français dans

une approche plurilingue. Dans une deuxième partie, nous présenterons le terrain de stage et le

matériel didactique créé et utilisé, en adéquation avec le terrain, mais également avec une approche

plurilingue. Enfin, dans une troisième partie, nous analyserons les activités observées et dispensées

pour dégager les résultats obtenus par leurs réalisations.

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Page 7: Gestion des langues en présence dans une approche du

Chapitre 1 - Fonctionnement, spécificités de l'enseignement, et dimension linguistique des UPE2A

1. Fonctionnement et spécificité des UPE2A

1.1 Présentation du cadre institutionnel des UPE2A

1.1.1 Le CASNAV : accueil, positionnement et affectation des élèves

Le Centre Académique pour la Scolarisation des élèves allophones Nouvellement Arrivés et

des enfants issus de familles itinérantes et de Voyageurs (désormais CASNAV) est une structure (un

service du rectorat) chargée de l’accompagnement de la scolarisation, d’une part des élèves

nouvellement arrivés en France sans maîtrise suffisante de la langue française ou des apprentissages

scolaires, et d’autre part des enfants du voyage. Elle a pour but d'établir un diagnostic précis des

connaissances des élèves pour les orienter et les inclure au mieux dans le système éducatif français.

En plus d'organiser la scolarité des publics concernés, elle a également pour mission de former les

enseignants et les cadres en leur apportant une aide pédagogique sous forme de formations et de

diffusion de ressources pédagogiques.

Tous les jeunes de 11 à 16 ans arrivant sur le territoire français sont invités à se diriger vers

une cellule d'accueil qui établira un diagnostic de leurs connaissances. Le diagnostic s'effectue en

deux temps. Dans un premier temps, l'élève participe avec sa famille ou son représentant légal à un

entretien avec un(e) conseiller/ère d'orientation-psychologue du Centre d'Information et

d'Orientation (CIO), afin de recueillir toutes les informations importantes sur son parcours et de

tester si besoin la maîtrise de sa langue première de scolarisation pour vérifier s'il est lecteur ou non.

Dans un deuxième temps, l'élève passe un test de positionnement en mathématiques pour mesurer

son niveau de scolarisation antérieure et un test de positionnement en langue française pour mesurer

ses compétences et déterminer sa maîtrise de la langue à l'oral et à l'écrit. Les informations

recueillies lors de l'entretien et les résultats des tests sont synthétisés dans une fiche de liaison qui

sera transmise aux établissements d'accueil et à l'équipe éducative de celui-ci.

A l'aide de ces données, une proposition d'affectation est envoyée à l'Inspection

Académique, à un niveau de classe correspondant approximativement à l'âge et aux compétences

scolaires de l'élève. Il peut ainsi être affecté :

– en collège, sans UPE2A, si sa maîtrise de la langue française est suffisante

– dans un dispositif pour élèves Non Scolarisés Antérieurement (NSA) si son niveau scolaire est

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Page 8: Gestion des langues en présence dans une approche du

inférieur ou égal à celui du cycle 2 de l’école élémentaire et s'il ne maîtrise pas la lecture - écriture

dans sa langue d’origine

– dans une Unité Pédagogique pour Elèves Allophones Arrivants (désormais UPE2A) s'il doit

bénéficier de cours intensifs de français. Il est donc « en collège », mais il bénéficiera d’une double

inscription : en classe banale et en UPE2A.

1.1.2 Circulaire du 02/10/2012: fonctionnement des UPE2A

La circulaire du 02/10/2012 sur l'organisation de la scolarité des Elèves Allophones

Nouvellement Arrivés (désormais EANA) « vise à réaffirmer les principes mis en œuvre par l'école

quant à l'organisation de la scolarité des élèves allophones nouvellement arrivés » (Circulaire du

12/10/2012). Elle régit la scolarisation des EANA et définit le fonctionnement des dispositifs leurs

étant dédiés, notamment les UPE2A.

Le fonctionnement des UPE2A est tout d'abord spécifique par l'obligation d'inclusion des

élèves. Chaque élève doit être inclus dans une classe ordinaire, en plus d'être intégré dans une unité,

avec un écart d'âge maximum de 2 ans avec l'âge de référence. Cette inclusion en classe ordinaire

est en lien « avec l'enseignement de deux disciplines autres que le français (les mathématiques et les

langues de préférence) » que l'élève effectue dans sa classe ordinaire, et impose donc « une

adaptation des emplois du temps (en UPE2A) permettant (à l'élève) de suivre l'intégralité de

l'horaire d'une discipline » (ibid.) . L'élève reste au sein de l'UPE2A pour une durée maximum d'un

an et y reçoit « un enseignement intensif du français d'une durée hebdomadaire de 9 heures

minimum dans le premier degré et de 12 heures minimum dans le second degré » (ibid.). Le

français y est enseigné comme « discipline et comme langue instrumentale des autres disciplines qui

ne saurait être enseignée indépendamment d'une pratique de la discipline elle-même » (ibid.).

Cependant, si l'établissement ne dispose pas d'une UPE2A, un dispositif local doit être

organisé.

1.2 Spécificité de l'enseignement en UPE2A

1.2.1 Hétérogénéité et pédagogie différenciée

Un point commun à tous les élèves de ces unités est qu'ils sont tous des EANA, c'est à dire

des élèves qui maîtrisent une (ou des) langue(s) différente(s) de celle du pays d'accueil et du

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Page 9: Gestion des langues en présence dans une approche du

système scolaire d'accueil. Mais les différences sont nombreuses: le dispositif est fortement touché

par l'hétérogénéité à laquelle les élèves comme les enseignants sont confrontés.

Selon le dictionnaire Larousse en ligne, est hétérogène ce « qui manque d'unité, (ce) qui est

composé d'éléments de nature différente ». Dans les UPE2A, l'hétérogénéité est présente par la

disparité des profils linguistiques, scolaires et sociaux. Les élèves ont des profils différents selon :

– leurs âges (entre 11 et 16 ans)

– leurs parcours scolaires et leurs cultures éducatives

– leurs langues et cultures d'origines.

Leur apprentissage est aussi hétérogène, ceci étant dû à leurs divers niveaux en langue

française, mais aussi à leurs conditions de séjour sur le sol français. Ces conditions peuvent influer

sur leur motivation et sur leurs projets, et ainsi possiblement jouer sur leur progression scolaire et

linguistique. Les représentations qu'ils ont de la langue et de la culture française sont également des

facteurs d'hétérogénéité, de réussite scolaire voire même d'intégration.

Hétérogénéité signifie donc altérité, altérité à laquelle les élèves et les enseignants doivent

faire face, s'adapter et cohabiter. Mais l'hétérogénéité est aussi, en UPE2A, synonyme

d'aménagement de l'apprentissage et de l'enseignement. En effet, chaque élève dispose d'un emploi

du temps adapté et modifiable toute l'année. La classe d'UPE2A voit donc chaque heure le départ et

l'arrivée de nouveaux élèves qu'il faut intégrer aux activités en cours, sans oublier les partants qui

doivent pouvoir rattraper les activités manquées. En n'excluant pas le fait que de nouveaux arrivants

peuvent intégrer la classe et nécessiter d'une mise à niveau pour rattraper le groupe classe. La

difficulté est donc accrue pour le professeur qui doit veiller à ce que chaque élève reçoive le même

enseignement, qu'il ne lui manque aucun contenu, ceci dans le but d'atteindre l'objectif commun: la

mise à niveau linguistique et l'inclusion totale en classe ordinaire de chacun.

Les activités doivent donc parfois recevoir un traitement particulier pour être adaptées tant

au niveau linguistique que culturel et/ou des objectifs d'apprentissages. Ce traitement particulier est

en lien direct avec la pédagogie différenciée qui peut être opérée en UPE2A. Selon Pascale Jallerat,

« la pédagogie différenciée a pour objectif de permettre aux élèves de différents niveaux d'âges

différents d'atteindre des objectifs scolaires en communs, tout en développant des démarches

adaptées à chacun » (Jallerat, 2014). Elle apparaît nécessaire au sein des dispositifs, car, comme

mentionné auparavant, ils « regroupent des élèves d'origines culturelles, linguistiques et scolaires

variées pour lesquels il est important de mettre en place une différenciation qui les respecte tous »

(ibid.). Pascale Jallerat (2014) précise que cette démarche permet aux élèves de faire preuve d'une

grande autonomie et d'opérer un retour réflexif sur leurs apprentissages. Quant à l'enseignant, cette

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Page 10: Gestion des langues en présence dans une approche du

démarche lui impose de faire part sans cesse d'une grande inventivité mais également d'être un

soutien sans faille pour chaque élève, en l'aidant à réaliser un retour sur ses acquis qui soit positif.

1.2.2 Interdisciplinarité et bifocalisation

Le dispositif est, selon son objectif principal, un lieu d'apprentissage linguistique pour faire

progresser les élèves en langue française. Mais il est aussi en relation avec les apprentissages de

diverses disciplines dites non-linguistiques notamment les Arts Plastiques, l’Education Musicale,

l'Education Physique et Sportive (EPS) et éventuellement les mathématiques, où les élèves sont

inclus dès le début de leur scolarité sur le sol français.

Ces disciplines sont découvertes ou continuées par les élèves via leur classe de rattachement.

Comme le dispositif n'est pas soumis à un programme défini par l'Education Nationale mais

uniquement par des objectifs, l'enseignant peut choisir, dans l'intérêt de ses élèves, de faire

intervenir les disciplines non-linguistiques dans les activités menées et ceci en lien direct avec

l'apprentissage de la langue française. Ce décloisonnement des disciplines est nommé par El Hicheri

(2001) comme « l'interdisciplinarité », qui selon lui est « fondée sur le décloisonnement des

disciplines ». Il explique :

Les disciplines associées, tout en gardant une spécificité, participent à un projet collectif eny apportant leurs savoirs et leurs méthodes. Elles collaborent et échangent entre elles pourrépondre aux besoins de l'action et de la compréhension. L'interdisciplinarité est au servicedes disciplines dans un souci de retombée ou d'utilité directe à court ou moyen terme dansla discipline. (El Hicheri, 2001)

Dans le cas d'une UPE2A, les disciplines non-linguistiques sont au service de la discipline

du français dans le but d'améliorer les compétences de communication des élèves, mais également

de parvenir à leurs réussites scolaires, en maîtrisant le langage spécifique de chaque discipline en

plus du sens.

L'interdisciplinarité permet donc de raccrocher l'enseignement de la langue française à

l'enseignement de la classe de rattachement. Mais ce raccrochement peut créer une difficulté pour

l'enseignant comme pour l'élève, spécifique à la classe où la langue d'enseignement n'est pas la

langue maternelle, difficulté que Pierre Bange (1992) appelle la « bifocalisation ». Du point de vue

de l'apprenant, la bifocalisation intervient lorsqu'il apprend une discipline dans une langue

étrangère. Par exemple, lorsqu'il apprend les mathématiques en classe de rattachement ou en

UPE2A si l'activité s'y réfère, la difficulté se pose : doit-il se focaliser sur le contenu ou doit-il se

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Page 11: Gestion des langues en présence dans une approche du

focaliser sur la langue? L'écart entre la langue et le contenu véhiculé par la langue est avéré et

l'énergie cognitive pour que les deux se superposent est importante. Si le sens et la forme font lien,

alors l'appropriation est possible. Du point de vue de l'enseignant, la difficulté de la bifocalisation se

pose s'il n'est pas conscient de son existence, s'il n'y est pas formé. Il est indispensable qu'il sache

que l'accès à la discipline passe par l'accès à la langue, notamment face à un public d'EANA qui se

voit pour chaque activité confronté à ce choix de focalisation. Comme le précise Pierre Bange

(1992), la bifocalisation est surtout présente lors d'activité de communication où l'ambiguïté règne.

L'élève peut ne pas savoir s'il doit porter son attention sur le thème, sur le contenu de la

communication ou sur la communication elle-même, en se focalisant sur les erreurs possibles de

langue, sur la manière de formuler correctement ses phrases. « Le focus de l’attention des élèves se

trouve (...) porté vers la langue, vers les moyens de la communication et non vers ses buts ». En

conséquence, « l’objet thématique de la communication n ‘est plus au centre de l’attention ; celle-ci

se focalise sur la langue, l’objet thématique de la communication est rejeté à la périphérie, il n’est

plus qu’un prétexte » (Bange, 1992).

Une activité qui aurait pour but de mettre en exergue une thématique pourrait devenir

uniquement une activité reposant sur des objectifs linguistiques. L'enseignant doit donc être

conscient de cette bifocalisation pour pouvoir ajuster l'activité en cours ou la participation d'un

élève, en l'amenant à se focaliser sur les objectifs préalablement définis pour l'activité.

1.2.3 Inclusion et intégration

Les UPE2A ont pour particularité d'être un dispositif ouvert. Les élèves y sont inscrits mais

le sont également dans une classe de rattachement dès leur arrivée : c'est l'inclusion. La circulaire du

02/10/2012 l'indique d'emblée : « les élèves allophones arrivants ayant été scolarisés dans leur pays

d'origine (doivent être) inscrits dans les classes ordinaires correspondant à leur niveau scolaire sans

dépasser un écart d'âge de plus de deux ans avec l'âge de référence correspondant à ces classes »

(Circulaire du 02/10/2012, 2012). Dans cette classe de rattachement, l'élève suit l'enseignement

d'au minimum deux disciplines, pour lesquelles il a déjà des compétences ou pour d'autres ne

nécessitant pas une grande maîtrise de la langue française. L'inclusion est progressive et

régulièrement ajustée en suivant la progression scolaire de l'élève. L'inclusion totale est le but du

dispositif: l'inscription dans l'unité pédagogique est temporaire, pour mettre à niveau l'élève en

langue française, et ceci en une année. Selon la circulaire, « l'inclusion dans les classes ordinaires

constitue la modalité principale de scolarisation. Elle est le but à atteindre, même lorsqu'elle

11

Page 12: Gestion des langues en présence dans une approche du

nécessite temporairement des aménagements et des dispositifs particuliers » (ibid.). L'inclusion est

effective dès le départ pour permettre à l'élève de se familiariser avec les disciplines et la culture

éducative française et pour qu'il ne puisse pas s'enfermer dans un cocon trop protecteur qui nuirait à

son intégration.

En effet, ce système d'inclusion a pour but d'amener l'élève à s'intégrer dans le système

scolaire mais également dans la société d'accueil. Comme l'indique la circulaire du 02/10/2012,

« assurer les meilleures conditions de l'intégration des élèves allophones arrivant en France est un

devoir de la République et de son École » (ibid.). L'intégration est tout d'abord indispensable au sein

même de l'unité pédagogique où l'apprenant fait face à l'altérité et doit s'y intégrer. Elle lui permet

de prendre conscience de la culture éducative et des principes de fonctionnement de l'établissement

d'accueil, ceci étant renforcé par l'inclusion ; l'élève doit s'intégrer dans sa classe de rattachement où

ses pairs ne sont pas confrontés aux mêmes réalités que lui. Par cette intégration dans l'unité

pédagogique et dans la classe de rattachement, l'élève s'intègre au système scolaire français. Mais

l'intégration visée ne s'arrête pas là. L'élève doit également être préparé à s'intégrer à la société

d'accueil et à la transition du milieu scolaire au monde du travail de cette société. Toutes ces formes

d'intégration sont résumées par le Comité des Ministres, qui recommande aux gouvernements des

Etats Membres :

d’intégrer dans leurs politiques et leurs pratiques des dispositions visant à améliorerl’intégration des enfants primo-arrivants dans le système scolaire, à donner à ces enfants lescompétences linguistiques requises au niveau préscolaire, à préparer les enfants desmigrants ou issus de l’immigration arrivant en fin de scolarité à réussir la transition del’école au marché du travail et à surmonter les difficultés auxquelles sont confrontés lesenfants qui vivent dans des zones de ségrégation ou des quartiers défavorisés. (Conseil del'Europe, 2008)

L'UPE2A fait partie de ces dispositions préconisées par le Comité des Ministres. Elle permet

aux EANA de s'intégrer dans les meilleures conditions possible à leur pays d'accueil en l'occurrence

la France.

2. Un public spécifique

2.1 Des élèves «nouvellement arrivés»

A/ Identité et construction identitaire

Selon Michel Castra, l'identité est constituée par « l’ensemble des caractéristiques et des

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Page 13: Gestion des langues en présence dans une approche du

attributs qui font qu’un individu ou un groupe se perçoivent comme une entité spécifique et qu’ils

sont perçus comme telle par les autres » (Castra, 2012). Elle peut être personnelle ou collective.

L'identité personnelle est « le produit de la socialisation », elle naît des interactions sociales que

développent l'individu. L'identité personnelle n'est pas figée et est source d'un « travail identitaire »

sur le soi et sur la relation à autrui, l'identité personnelle résultant des expériences rencontrées par

les individus, d'une confrontation à l'altérité. L'individu se définit par son propre regard sur soi mais

également par le regard qu'autrui porte sur lui. Charadeau éclaire ce point :

Il n’y a pas de prise de conscience de sa propre existence sans perception de l’existenced’un autre qui soit différent. La perception de la différence de l’autre constitue d’abord lapreuve de sa propre identité. C’est le principe d’altérité. C’est cette différence de l’autre quim’oblige à me regarder en me comparant à lui, en cherchant à détecter les points deressemblance et de différence ; sinon comment percevoir des traits qui me seraientpropres ? (Charadeau, 2009)

L'identité collective, elle, provient des sentiments d'appartenance à des communautés (culture,

nation, ethnies …) et à des collectifs ayant des liens sociaux provisoires (famille, groupe de pairs,

travail, religion …). « L’individu appartient ainsi de manière simultanée ou successive, à des

groupes sociaux qui lui fournissent des ressources d’identification multiples » (Castra, 2012).

L'identité est donc une construction possiblement en évolution. Cette notion de construction

de l'identité est particulièrement appropriée dans le cadre d'une UPE2A du second degré. En effet, le

public est un public adolescent (entre onze et seize ans). La période de l'adolescence est une phase

de construction de l'identité. Selon Conne, elle est la période durant laquelle l'adolescent cherche à

« trouver sa voie entre l'affirmation d'un soi en devenir et la confrontation à l'autre et à la réalité »

(Conne, 2012). Moro (cité par Conne, 2012) souligne que la « recherche identitaire porte à la fois

sur des questions de filiations – qui suis-je ? -d’où viens-je ? et d’affiliations – avec qui ? et dans

quelle direction vais-je ? ».

Ce questionnement renvoie immédiatement au public des UPE2A qui en plus d'être

adolescent est constitué d'élèves « nouvellement arrivés ». Cette appellation, comme le dit Goï (Goï,

2015), permet de prendre en compte leurs parcours migratoires. Ces parcours migratoires appellent

à des réaménagements identitaires et à des possibles difficultés de résolution du questionnement

identitaire. L'élève, du fait de son statut de migrant, devient « un être en devenir, pris entre filiation,

affiliation et migration » (Conne, 2012). Il est « aux prises avec une construction identitaire

nécessairement cosmopolite, aux appartenances multiples » (ibid.). « Il est confronté dans sa

recherche identitaire à une double appartenance, celle issue de sa famille d’origine et celle que lui

propose son pays d’accueil » (ibid.).

13

Page 14: Gestion des langues en présence dans une approche du

La recherche identitaire au sein d'un pays d'accueil peut notamment amener à la recherche

d'une identité culturelle.

B/ L'identité culturelle

L'identité culturelle est ainsi définie par Phinney:

L’identité culturelle est un sentiment dynamique et complexe d’appartenance à un ouplusieurs groupes culturels, y compris les valeurs, attitudes et significations qui leur sontassociées. Elle définit la façon dont les individus se positionnent ou s’identifient en relationaux divers contextes culturels dans lesquels ils vivent, comme leur groupe ethnique et leurpays de résidence. (Phinney, 2008)

Dans un contexte de migration et d'arrivée dans un nouveau pays d'accueil, l'identité culturelle est

amenée à évoluer en entrant en contact direct avec l'altérité. Les migrants doivent notamment

apprendre à « négocier leurs différences dans diverses sphères, comme la maison, l'école et le

travail » (ibid.).

Les élèves nouvellement arrivés de l'UPE2A sont dans cette position. L'enseignant doit en

avoir conscience. Il doit savoir que de « telles situations peuvent déboucher sur une confusion voire

une crise identitaire » (ibid.). Il doit amener l'élève à appréhender son intégration culturelle dans des

environnements (le dispositif, le collège, la société) « où sa personne et/ou sa culture (peuvent ne

pas être) compris et/ou respectés » (ibid.). Il doit aider l'élève à se former une identité culturelle

adéquate et positive dans le pays d'accueil.

Comme l'explique Phinney (ibid.), trois situations peuvent se distinguer dans ce contexte : le

migrant peut nier la culture du pays d'accueil, s'assimiler à celle-ci ou se constituer une identité

biculturelle. L'enseignant doit tenter d'amener les élèves à devenir des individus biculturels pour

s'intégrer à la culture d'accueil, sans la rejeter, et surtout sans nier leurs propres cultures. Cette

identité est « la plus complexe, car elle implique un équilibre entre les cultures et une négociation

entre celles-ci » (ibid.).

Pour définir une personne biculturelle, Grosjean (Grosjean, 2013) propose de la caractériser

selon trois traits distincts :

- elle participe, au moins en partie, à la vie de deux cultures et ceci de manière régulière.

- elle sait adapter, partiellement ou de façon plus étendue, son comportement, ses habitudes, son

langage (s'il y a lieu) à un environnement culturel donné.

- elle combine et synthétise des traits de chacune des deux cultures. Certains traits (attitudes,

croyances, valeurs, comportements, etc.) proviennent de l'une ou l'autre culture (c'est la partie

14

Page 15: Gestion des langues en présence dans une approche du

combinaison) tandis que d'autres n'appartiennent plus ni à l'une ni à l'autre mais en sont une

synthèse.

La personne biculturelle ne serait donc pas la somme de sa culture d'origine et de sa culture

d'accueil mais « une entité qui combine et synthétise les aspects et les traits de ces deux cultures, et

ceci de façon originale et personnelle » (ibid.). Elle serait détentrice de sa propre compétence

pluriculturelle. Cependant, Grosjean admet que cette identité est souvent difficile à assumer pour un

individu, bousculé par un questionnement sur sa culture d'appartenance, par des attentes familiales

différentes des siennes et par une incompréhension sociétale de cette entité spécifique. Amener les

élèves à devenir biculturel sera un atout pour son intégration mais ce parcours rencontrera

nécessairement des obstacles à surmonter pour parvenir à ce statut spécifique.

C/ L'identité linguistique

L'identité est « ce qui fonde le groupe, ce qui l'unifie, mais aussi ce qui permet aux membres

de définir leur appartenance à ce groupe, de le reconnaître en tant que groupe d'appartenance, de le

délimiter et de le distinguer des autres » (Abdenour, 2008). Cette identité peut être culturelle,

comme développé auparavant, mais également linguistique. La langue peut être un marqueur

d'identité : « c’est bien dans et par la langue que l’être, puis le groupe, construisent leur identité, en

elle qu’ils se fondent, s’apparentent, par elle qu’ils se distinguent » (ibid.). Toutefois, l'identité

linguistique serait une construction sociale, basée sur une « conscientisation » des individus de leur

appartenance à un groupe, à une communauté linguistique. Comme développe Abdenour, l'identité

linguistique suppose que les locuteurs aient « conscience de la langue comme élément unificateur

du groupe, (comme) la représentation de ce groupe, (comme le témoin) de leur inclusion dans ce

groupe mais aussi (comme) ce qui le distingue des autres » (ibid.).

Dans une situation de plurilinguisme, de diversité linguistique, le rapport, au sein d'une

communauté linguistique entre les langues et entre les locuteurs qui parlent ces langues, évolue.

L'identité linguistique peut en être touchée. Elle peut être affirmée par un locuteur ou un groupe de

locuteurs pour pallier à « un sentiment de perte d’identité ressenti pour sa langue, (à) un sentiment

particulier d’insécurité linguistique » (ibid.), lorsque sa propre langue est dominée, comme dans une

situation de diglossie. Peut alors découler un rejet de la ou des langues autres pour ne pas perdre ni

rejeter sa propre identité. A l'inverse, pour les « locuteurs de langues représentées comme

« dominantes » et pour lesquels la question de la survie de la langue, a priori, ne se pose pas »,

l'identité linguistique n'est pas écorchée, car ils « ont une identité sociale qui est moins

consciemment associée à l'identité linguistique » (ibid.). Parallèlement à cette situation, le locuteur

15

Page 16: Gestion des langues en présence dans une approche du

peut aussi choisir de modifier son identité linguistique, en intégrant les autres langues en présence

dans sa propre identité et tenter de développer une compétence plurilingue.

D/ Une compétence plurilingue et pluriculturelle

La langue et la culture sont indissociables. Blanchet l'explique:

Toute langue véhicule et transmet, par l’arbitraire de son lexique, de sa syntaxe, de sesidiomatismes, les schèmes culturels du groupe qui la parle. Elle offre une « version dumonde » spécifique, différente de celle offerte par une autre langue (d’où la noncorrespondance terme à terme de langues différentes). Inversement, toute culture régit lespratiques linguistiques, qu’il s’agisse par exemple de l’arrière-plan historique du lexique,des expressions, des genres discursifs ou qu’il s’agisse des conventions collectives d’usagede la langue (règles de prise de parole, énoncés ritualisés, connotations des variétés et« registres » de la langue, etc.). (Blanchet, 2004)

La construction d'une identité culturelle est donc partiellement ou totalement en lien avec la

construction d'une identité linguistique. Dans une situation de diversité linguistique, afin que ces

constructions se réalisent positivement pour l'individu, et dans un souci de cohésion sociale, il est

préférable que celui-ci se crée et développe une compétence plurilingue et pluriculturelle :

On désignera par compétence plurilingue et pluriculturelle, la compétence à communiquerlangagièrement et à interagir culturellement, possédée par un locuteur qui maîtrise, à desdegrés divers, plusieurs langues et a, à des degrés divers, l’expérience de plusieurs cultures,tout en étant à même de gérer l’ensemble de ce capital langagier et culturel. L’optionmajeure est de considérer qu’il n’y a pas là superposition ou juxtaposition de compétencestoujours distinctes, mais bien existence d’une compétence plurielle, complexe, voirecomposite et hétérogène, qui inclut des compétences singulières, voire partielles, mais quiest une en tant que répertoire disponible pour l’acteur social concerné. (Coste, Moore etZarate, 1997)

Au sein d'une UPE2A, il est d'autant plus nécessaire de faire acquérir cette compétence aux élèves

qui sont face à une situation de forte diversité linguistique et culturelle au sein même de l'unité,

mais également au sein de la classe de rattachement et du collège dans sa globalité. Il est nécessaire

de les préparer à cette rencontre inévitable avec l'altérité culturelle et linguistique pour les amener à

l'appréhender positivement, de façon à s'en enrichir et à s'y intégrer dans le contexte scolaire, tout

comme dans la société en général.

16

Page 17: Gestion des langues en présence dans une approche du

2.2 Des élèves « allophones »

A/ Définition du terme « allophones »

Le public des UPE2A est désigné comme un public d'EANA. Pour Goï, cette notion

s'efforce de prendre en compte à la fois « le parcours migratoire des enfants (« élèves nouveaux

arrivants ») et les dimensions langagières et linguistiques en jeu dans les dynamiques scolaires »

(Goï, 2005), le terme d' « allophones » renvoyant aux dimensions langagières et linguistiques.

L'utilisation de ce terme entraîne un changement de pensée, mais également une nouvelle

considération des élèves. L'élève allophone devient « celui (ou celle) qui parle une autre langue ou

qui parle d'autres langues » (ibid.). Il n'est plus défini par ces lacunes ou son manque à combler en

langue française mais par ses compétences dans une ou des langues autres que le français. Ainsi, la

dénomination d'élève allophone « reconnaît implicitement la valeur accordée ou à accorder à ces

langues et implique que les compétences ou acquis de l'élève allophone sont une ressource (et non

un frein) sur laquelle les élèves et les enseignants vont pouvoir s'appuyer en vue de l'appropriation

de la langue de scolarisation » (Spaëth cité par Goï, 2OO5). En reconnaissant les compétences et les

parcours antérieurs des élèves, le « terme « EANA » invite donc à considérer ces élèves comme des

enfants potentiellement plurilingues » (Goï, 2005).

B/ Des élèves plurilingues

Dans le dictionnaire Larousse en ligne, un plurilingue est défini comme une personne « qui

peut utiliser couramment plusieurs langues ». Cette définition est actuelle, mais pour autant

réductrice, au vue des évolutions données à la définition et aux approches du bilinguisme et

plurilinguisme. Ces évolutions sont décrites par Billiez (Billiez, 2007) en trois phases, tout en

démontrant que d'un handicap, le bilinguisme est devenu un atout, suite aux études des situations

linguistiques des populations migrantes faites dans l'espace francophone européen à partir des

années 70.

La première approche pour définir le bilinguisme migratoire a été en terme de compétences.

Il était représenté « comme un état transitoire de passage d’un monolinguisme à un autre ».

L'appropriation de la deuxième langue était la focale, et la langue d'origine n'intervenait qu'en tant

qu' « élément perturbateur » pour la maîtrise de la deuxième langue. La langue d'origine n'était prise

en compte que pour se référer à des erreurs dans la langue en cours d'apprentissage. Les pratiques

des deux langues n'étaient quasiment pas étudiées dans les espaces familiaux. Si elles l'étaient,

17

Page 18: Gestion des langues en présence dans une approche du

« l’orientation privilégiée (était) celle de la comparaison avec des monolingues correspondants aux

deux langues usitées ». On parlait alors de « semilinguisme », pour définir le bilingue comme une

personne ne maîtrisant ni la langue d'origine ni la langue du pays d'accueil. Le bilinguisme était

ainsi représenté comme « la somme parfaite de deux monolinguismes qui seraient strictement

juxtaposés et équivalents ». Cette vision du bilinguisme « parfait » persiste encore aujourd'hui, et le

fait apparaître « comme sources de handicaps linguistiques voire sociaux ».

La deuxième approche s'est appuyée sur l'étude des pratiques bilingues, et a amené à la

conception de nouveaux outils et de nouvelles notions. Le bilinguisme est alors considéré comme le

fait de « vivre en deux langues ». Les locuteurs ne s'expriment pas en « deux langues rigides et

cloisonnées mais (…) en usent selon des modes variés parce que cela correspond à des besoins

communicatifs et discursifs ». Les locuteurs créent un « parler bilingue », qui résulte du contact

entre les répertoires verbaux partiellement identiques et / ou complémentaires dans certaines

situations d'interaction. Ce parler bilingue existe pour permettre et faciliter la communication et la

compréhension, et se caractérise notamment par un usage d'alternances codiques. Les alternances

codiques sont des « sauts d'une langue à l'autre » qui « se produisent en des points où les systèmes

des deux langues sont mutuellement compatibles ». Elles deviennent alors « une sorte de jonglage

avec des ressources langagières qui apporte un supplément de sens et qui se révèle donc tout à fait

fonctionnel et stratégique dans l’interaction ». Les alternances codiques montrent que les locuteurs

sont capables d'utiliser des ressources de leur répertoire verbal, dont ils savent disposer « au gré des

situations d’interaction auxquelles ils sont confrontés dans leur vie en société » ; le répertoire verbal

étant défini comme « l’ensemble des langues et variétés nationales, régionales, sociales et

fonctionnelles qu’un locuteur ou un groupe » possèdent et utilisent. Le bilinguisme tend alors vers

l'atout et non le handicap dans la société ou dans l'apprentissage.

Au passage vers le XXIème siècle a lieu la troisième phase. On passe d'une conception du

bilinguisme à celle du plurilinguisme: le bilinguisme devient un cas particulier du plurilinguisme.

Ce changement de locution permet alors « d’insister sur le fait que les ressources des répertoires

étant plurilingues, elles sont forcément partielles, hétérogènes tout en formant un tout pour

l’individu ». En effet, « les répertoires verbaux étudiés dans leurs fonctionnements se montrent le

plus souvent « pluri » (plus de deux) » et non uniquement binaire. Cette conception autorise « une

vision plus adaptée au caractère éminemment fluctuant des pratiques plurilingues à la fois dans le

temps et dans l’espace ». Elle permet également d'intégrer l’histoire langagière du sujet dans la

définition de son plurilinguisme.

Le bi-plurilinguisme est donc passé d'une situation de handicap à un atout pour les locuteurs.

Cependant, la définition du bilinguisme idéal persiste dans les représentations de certains locuteurs

18

Page 19: Gestion des langues en présence dans une approche du

bi-plurilingues, et dans celles d'enseignants. Les locuteurs eux-mêmes sont amenés par cette

représentation à « ne pas se reconnaître comme plurilingues alors qu’ils le sont effectivement dans

leur vie de tous les jours » et les enseignants peuvent également nier aux locuteurs ses compétences

dans leurs apprentissages des langues. « Leurs représentations des langues hiérarchisées en termes

de statuts (…) les constituent à leurs propres yeux comme des êtres singuliers marqués du sceau de

l’incomplétude alors qu’ils sont dotés de ressources et d’atouts liés à leur vie plurilingue ». Ces

représentations peuvent également avoir des conséquences sur leurs appartenances identitaires, qui

au lieu d'être plurielles se réduisent à une seule qu'ils doivent choisir.

Cette définition du bilinguisme et plurilinguisme laisse entrevoir les difficultés possibles

d'apprentissage du français dans le contexte d'une UPE2A, où la diversité linguistique est présente

ainsi que de multiples représentations. L'enseignant doit mettre en place une didactique du

plurilinguisme que Coste caractérise comme une didactique « censée œuvrer au développement de

capacités à agir dans et avec plusieurs langues » (Troncy, 2014). L'enseignant doit mettre en avant

le bi-plurilinguisme des élèves, en le définissant, et en développant leurs compétences, pour qu'il

devienne un atout dans l'apprentissage des langues et notamment celui du français. Mais il doit

également faire attention à ne pas mettre à mal des identités, quelles soient sociales, culturelles ou

linguistiques.

3. Apprentissage et enseignement du français dans un contexte de diversité linguistique

3.1 L'éducation plurilingue

La diversité linguistique est fortement présente dans une UPE2A. En effet, le dispositif

rassemble des élèves qui sont tous détenteurs d'un répertoire linguistique distinct, ayant ou non des

similitudes avec ceux des autres locuteurs. Le Conseil de l'Europe préconise aux dispositifs

d'assurer « les conditions d’une reconfiguration réussie de leur répertoire linguistique et d'utiliser au

maximum les ressources données par ces répertoires ». Il parle « d'éducation plurilingue pour

tous ».

Selon le Conseil de l'Europe, l'enseignement des langues a pour objectif ceux de l'éducation

plurilingue :

Celle-ci vise à valoriser le répertoire de langues de chacun, en particulier la / les langues

19

Page 20: Gestion des langues en présence dans une approche du

déjà présentes, au moins pour éviter qu’elles ne deviennent, pour les adultes migrants eux-mêmes et leurs enfants, un signe de marginalité. Elle a aussi pour objet de développer lerépertoire, en fonction des besoins, des attentes, des curiosités et des désirs de chacun et durôle que chacun entend donner à « ses » langues dans la constitution de la pluralité de sesappartenances, qui instaurent l’acteur social dans son unicité culturelle. La centralité duplurilinguisme constitue, de la sorte, l’un des fondements d'une éducation critique à latolérance linguistique, en tant qu'éducation interculturelle. (Conseil de l'Europe)

Cette éducation plurilingue est parfaitement exploitable au sein d'une UPE2A pour valoriser les

répertoires linguistiques, valoriser les identités, et valoriser l'apprentissage d'une langue nouvelle.

Elle vise à maîtriser l'altérité pour en faire une force et non une difficulté.

3.2 Utilisation des langues «déjà connues»: statuts et conséquences

L'éducation plurilingue prône donc l'utilisation des langues déjà présentes dans les

répertoires linguistiques, des langues déjà connues par les élèves. On peut alors se demander quelles

sont ces langues, quels sont leurs statuts pour les élèves? Leur utilisation peut-elle avoir des

conséquences sur l'enseignement et l'apprentissage des langues et notamment celui du français?

3.2.1 Statut et nature des langues déjà connues

Dans l'environnement plurilingue qu'est l'UPE2A, les langues déjà connues renvoient à des

réalités diverses. Il peut s'agir de « première(s) langue(s) acquise(s), (de) langue(s) parlée(s)

majoritairement en famille, (de) langue(s) identitaire(s), mais aussi, dans certains cas, (de) langue(s)

officielle(s) ou (de) langue(s) de scolarisation » (Castellotti, 2001b). L'élève possède, en plus de la

langue de contact dans le pays d'accueil et en cours d'apprentissage dans l'unité, une ou plusieurs

langues ayant été « le vecteur de ses apprentissages familiaux, sociaux, et éventuellement

scolaires » (Goï, 2005). Toutes ses réalités rentrent en confrontation avec la notion de langue

maternelle qui semble trop réductrice pour englober celle de « langues déjà connues ».

La langue maternelle a vu sa définition évoluer, comme le présente Castelotti (Castellotti,

2001a). Elle était tout d'abord la langue « liée à la mère ». Un critère s'est ensuite ajouté, celui de

« l'antériorité d'appropriation liée au mode d'acquisition ». La langue maternelle est alors la langue

acquise en premier, de manière naturelle, et dès le plus jeune âge. Grâce à ces trois éléments, le

locuteur entretient une relation avec elle comprenant « un certain nombre de qualités intrinsèques,

20

Page 21: Gestion des langues en présence dans une approche du

en particulier d'être celle maîtrisée avec le plus haut degré de compétence et de permettre

d'exprimer sa pensée de la façon la plus précise possible ». Pour finir, la dernière évolution

considère la langue maternelle selon un critère d'ordre fonctionnel et identitaire. Elle est alors

considérée comme la langue « que le locuteur emploie le plus, dans les sphères d'activités les plus

diverses, ou encore celle à laquelle il s'identifiera de manière privilégiée, parce que c'est la langue

emblématique du groupe ou de la communauté auxquels il adhère ».

Cependant, comme le précise Castellotti (Castellotti, 2001b), « la langue maternelle ne

remplit pas toujours, seule, les différents rôles de soutien, de relais, de ressource privilégiée et de

référence obligée dans l'apprentissage d'une autre langue ». De même, « dans la mise en œuvre

d'une compétence plurilingue, ce n'est pas toujours la langue (étrangère) la mieux maîtrisée ou la

plus anciennement appropriée ou la plus « naturellement » acquise qui se voit érigée comme

support ou matrice privilégiée entre les langues (étrangères) pour le travail ou l'usage d'une

nouvelle ». Les langues déjà connues sont donc possiblement une langue maternelle mais aussi des

langues en cours d'apprentissage ou des langues considérées comme étrangères (s'opposant à celle

de maternelle) par les locuteurs. Les locuteurs peuvent avoir différentes langues maternelles, la

langue maternelle pouvant changer au cours de leur vie, selon les critères de « la compétence (la

[les] langue[s] la [les] mieux connue[s]), (de) la fonction (la [les] langue[s] qu’on utilise le plus),

(de) l’identification interne (la [les] langue[s] avec la[les]quelle[s] on s’identifie), (et de)

l’identification externe (la [les] langue[s] qui serve[nt] à d’autres pour identifier le locuteur en tant

que natif) » que propose Moore (Moore, 2006).

Pour ce référer aux langues déjà connues des élèves, est proposée la notion de répertoire

verbal. Gumperz la définit ainsi :

(Le répertoire verbal) permet de (sic) d'englober l'ensemble des compétences langagières del'individu, qui s'organisent et se structurent selon un éventail d'utilisations liées aussi bienaux statuts des différentes langues en présence qu'à leurs fonctions dans la communicationet dans les choix identitaires des locuteurs. Ce répertoire n'est pas constitué au moyen del'addition des langues en présence, mais s'organise plutôt en fonction d'opérations decombinaisons, diverses selon les sujets, les situations et les différentes langues, dont lamaîtrise n'est pas nécessairement équivalente. (Gumperz, cité par Castellotti, 2001a)

3.2.2 Utilisation des langues déjà connues: atouts

Les « rôles de soutien, de relais, de ressource privilégiée et de référence » et la mise en

œuvre d'une « compétence plurilingue » évoqués au point précédent sont des conséquences directes

21

Page 22: Gestion des langues en présence dans une approche du

et complémentaires de l'utilisation des langues déjà connues des élèves dans leur apprentissage

d'une ou plusieurs autres langues, tel que le français dans les UPE2A et les langues apprises dans les

classes de rattachement, si elle est tolérée par l'enseignant.

La compétence plurilingue est « l'ensemble des connaissances et des capacités qui

permettent de mobiliser les ressources d'un répertoire plurilingue et qui contribuent en outre à la

construction, à l'évolution et à la reconfiguration éventuelle du dit répertoire » (Coste, 2001b). Le

répertoire plurilingue étant le répertoire linguistique d'un locuteur comprenant des variétés plus ou

moins élaborées de plusieurs systèmes linguistiques. La compétence plurilingue admet l'utilisation

d'un « répertoire relativement hétérogène de connaissances et de savoir faire dans différentes

langues » qui constitue « un ensemble que l'acteur social gère » et avec lequel « il peut jouer, de

manière plus ou moins volontaire et réfléchie » (Coste, 2001a). Dans le contexte scolaire et

notamment celui de l'apprentissage d'une nouvelle langue, les élèves peuvent développer une

compétence plurilingue grâce à leurs répertoires plurilingues. Pour cela, ils doivent sortir d'un

« face à face entre langue première (langue maternelle) et langue en cours d'apprentissage » (Coste,

2001a) en activant spontanément des connaissances d'une ou plusieurs autres langues tierces mais

cependant non exclues de l'apprentissage. L'apprentissage des langues se voit décloisonné. En effet,

grâce aux langues déjà connues et donc « déjà-là », les élèves ont « la possibilité de diversifier les

sources et les repères » pour leur apprentissage d'une nouvelle langue. Ils peuvent ainsi « construire

de nouveaux apprentissages au moyen d'ancrages multiples auxquels ils feront appel de manière

différenciée et sélective en fonction de leur répertoire propre, des contextes d'appropriation et des

objets à traiter » (Castellotti, 2001b). L'ensemble des savoirs et savoir faire des répertoires

plurilingues peut être mobilisé dans le but de faciliter et améliorer l'apprentissage de la langue

nouvelle s'ajoutant aux autres. La langue maternelle n'est donc pas l'unique langue qui peut se voir

érigée « comme support ou matrice privilégiée entre les langues (étrangères) pour le travail ou

l'usage d'une nouvelle » (Coste, 2001a). Il apparaît « fondamental que d'autres repères s'installent

(que ceux de la L1ère), quitte à constituer des « balises plus flottantes ». C'est en effet par rapport à

de tels repères que le nouveau, l'inconnu et le changement sont abordés et traités et il y faut une

certaine zone de tolérance, de catégorisations certes disponibles, mais non toutes figées » (Coste,

2001a).

Une langue « déjà quelque peu là » (Castellotti, 2001b) peut donc devenir un recours dans

l'apprentissage d'une autre langue en construction. Bien que la langue déjà là puisse être différente

de la langue maternelle et / ou être multiple, il est possible d'entrevoir en contexte scolaire

l'apparition d'une unique langue ayant un rôle prépondérant.

22

Page 23: Gestion des langues en présence dans une approche du

Coste (Coste, 2001a) distingue alors différents types de cette langue selon son usage :

- la langue ressource, quand il y a suppléance ponctuelle avec une alternance codique de dépannage

- la langue de référence, pour une amorce de réflexion linguistique contrastive

- la langue support ou matrice, quand la mise en place de certains fonctionnements de la langue

apprise se fait sur le modèle et dans le moule de telle autre langue mieux connue

- la langue pivot, quand une langue fonctionne comme relais ou passage entre deux autres.

Ces différentes fonctions permettent à la langue étant l'unique référente de devenir celle « autour de

laquelle s'échafaudent et s'entrecroisent l'ensemble des apprentissages langagiers » (Castellotti,

2001b).

La compétence plurilingue met donc en œuvre l'utilisation de diverses langues ou d'une

seule langue dans des buts précis. L'apprentissage d'une nouvelle langue devient donc « susceptible

de modifier les équilibres, instables par eux mêmes des répertoires » plurilingues des élèves. Dans

un contexte scolaire ordinaire d'apprentissage d'une langue étrangère, « le répertoire s'élargit sans

conséquences autres, sinon la perception accrue de transversalités entre les langues existantes »

(Conseil de l'Europe). Cependant, dans le cadre d'une UPE2A où les élèves sont tous migrants, la

réorganisation des répertoires plurilingues est plus complexe car « l’acquisition de la langue

majoritaire constitue un enjeu important » et « de nature fondamentalement identitaire qui

s’effectue sous le regard des natifs » (ibid.). L'acquisition de la langue a pour but l'intégration

linguistique qui est l'une des formes possibles de réorganisation des répertoires, caractérisée par sa

réalisation faite sous pression : « celle de communiquer efficacement dans un espace social nouveau

et d’y construire une (nouvelle ?) identité linguistique et culturelle » (ibid.), cette pression pouvant

amener des difficultés dans l'apprentissage du français.

3.2.3 Difficultés dans l'apprentissage du français

En UPE2A, contexte de diversité linguistique et d'utilisation du plurilinguisme,

l'apprentissage du français peut rencontrer des blocages, des difficultés de la part de certains élèves.

Blocages par le fait même d'apprendre:

Apprendre, c'est se lancer dans l'inconnu, c'est faire "le voyage de l'altérité", c'est aller versl'autre, l'ailleurs, l'autrement … C'est prendre le risque de l'inconnu avec tous les dangers,réels ou imaginaires, qui guettent: changer, s'éloigner de ceux qu'on aime, remettre en causece qui paraissait immuable. (Goï, 2005)

Amener les élèves à se décentrer peut être problématique mais nécessaire, la décentration étant « la

23

Page 24: Gestion des langues en présence dans une approche du

capacité pour les apprenants d'intégrer le fait qu'il y a d'autres modes de penser, d'autres visions du

monde, d'autres façons de dire ce qu'on a à dire, et enfin de compte d'autres façons d'être soi »

(Porcher cité par Castellotti, 2001b). Pour faire ce « voyage de l'altérité » et atteindre la

décentration, les élèves et les enseignants doivent parfois faire face à des obstacles.

A/ Les représentations: déterminantes dans l'apprentissage et dans les attitudes

La notion de représentations nous renvoie tout d'abord aux représentations stéréotypées

adressées au bi-plurilinguisme et par conséquent à l'enseignement le prenant en compte. Elles sont

les suivantes :

- grandir avec deux ou plusieurs langues représenterait une surcharge cognitive : l'enfant risquerait

de ne maîtriser aucune des deux ou plusieurs langues apprises

- apprendre deux ou plusieurs langues ferait perdre en partie aux enfants leur identité linguistique et

culturelle : leur insertion sociale en deviendrait difficile

- apprendre deux langues (a et b) entraîne le passage d'un monolinguisme en langue A à un

monolinguisme en langue B et ainsi de suite si d'autres langues s'ajoutent à l'apprentissage.

Ces représentations sont notamment enclines dans les croyances parentales et parfois transmises aux

enfants. Il est donc essentiel de présenter et d'expliquer l'approche plurilingue aux parents et aux

élèves afin qu'ils prennent conscience que le plurilinguisme est un atout et non un obstacle pour

l'apprentissage du français (et la vie quotidienne). Il faut que « leurs représentations évoluent dans

le sens de l'acceptation de la langue (et de la culture) de l'autre » (Loannitou, 2014), afin qu'ils

puissent tirer parti de la richesse de la diversité linguistique (et culturelle). L'accès au français serait

ainsi facilité si les parents ne s'y opposent pas par crainte, et le bi-plurilinguisme pourrait devenir

dans le meilleur des cas reconnu, revendiqué, et assuré.

Il faut ainsi souligner que les parents peuvent jouer un rôle important dans l'apprentissage

des élèves. Ils peuvent être porteurs de cet apprentissage et de sa réussite, mais aussi être un frein

voire un blocage pour celle-ci. Les parents sont en effet une référence pour les enfants qui se

retrouvent parfois face à un conflit de loyauté. Ils peuvent avoir peur de « se montrer infidèle(s) à la

langue première, à la culture, à l'origine » (Goï, 2005), à celles des parents.

Rentrer dans une autre langue serait trahir sa langue d'origine, celle de ses parents. Goï explique ce

qui peut en découler:

Lorsque l'enfant étranger est amené à vivre sa réussite en France et en français comme unetrahison à l'encontre de la culture et de la langue de ses parents, il se trouve alors dans uneimpasse: ou bien il rompt avec la dynamique de réussite pour ne pas trahir, ou bien il va au

24

Page 25: Gestion des langues en présence dans une approche du

bout de celle-ci avec le risque de déloyauté. (Goï, 2005)

Il est donc essentiel pour remédier au possible conflit de loyauté de créer un bilinguisme et de

faciliter l'entrée dans la langue française. Il faut que l'école ne soit pas le lieu d'effacement de la

langue (et culture) des parents, mais le lieu pour le (les) transcender. L'école, et l'UPE2A doivent

être un monde complémentaire à celui du familial et non son opposé.

Dans l'apprentissage des langues étrangères, la notion de représentations renvoient

également aux « images que se forment les apprenants de ces langues, de leurs locuteurs et des pays

dans lesquels elles sont pratiquées » (Castellotti, 2001b). Elles peuvent s'être formées dans le pays

d'origine, dans les pays de la migration, tout comme dans le pays d'accueil (ici la France), et

« prennent naissance et se perpétuent dans le corps social au moyen de divers canaux (médias,

littérature, dépliants touristiques, guides à l'usage de certaines professions, etc.) » (ibid.). Elles ne

sont pas « absentes des classes de langue, où la personnalité, l'attitude et les discours du professeur

les relaient de manière plus ou moins manifeste » (ibid.).

« Ces images, très fortement stéréotypées recèlent un pouvoir valorisant ou, a contrario, inhibant

vis-à-vis de l'apprentissage lui-même » (Castellotti, 2001a). L'élève crée une corrélation « entre

l'image qu'il s'est forgé d'un pays et les représentations qu'il a construit à propos de son propre

apprentissage de la langue de ce pays » (Castellotti, 2001b). Que les représentations soient d'un

ordre positif ou négatif, d'un ordre individuel ou collectif, elles influencent largement les procédures

et les stratégies que les élèves développent et mettent en œuvre pour apprendre une langue et

l'utiliser dans des situations de communication diverses. Il est donc nécessaire que l'enseignant soit

conscient de leurs présences au sein du dispositif, par le biais des élèves mais également par le sien,

et qu'il aide les élèves à les modifier si besoin pour permettre la réussite de leur apprentissage et ce

qui en découle, leur intégration. La prise en compte des représentations est nécessaire « pour

construire et asseoir de nouvelles connaissances » (Castellotti, 2001a), dans une discipline qui

demande d'acquérir un savoir, mais également des « usages contextualisés et diversifiés (…), en

particulier dans des processus d'interaction communicative » (ibid.). « Interviennent alors de façon

significative des facteurs d'ordre psychologique, social, cognitif, idéologique ou affectif notamment,

qui font apparaître de manière massive le rôle des représentations » (ibid.).

Dans ces représentations, la langue (-culture) source des élèves a un rôle central : elle

constitue « le mètre-étalon au moyen duquel les autres langues (-cultures) seront appréhendées »

(Castellotti, 2001a). « Les représentations sont en effet le plus souvent élaborées à partir d'un

processus où le déjà connu, le familier, le rassurant, sert de point d'évaluation et de comparaison »

(ibid.). Comme l'explique Castellotti (Castellotti, 2001b), quelle que soit la langue étrangère

25

Page 26: Gestion des langues en présence dans une approche du

considérée et le mode d'accès privilégié à celle-ci, les relations entre la (les) langue(s) à apprendre

et la langue première s'établissent et se développent toujours à partir de plusieurs ensembles de

conceptions :

• les représentations de l'apprentissage en général et de celui des langues en particulier qui se

constituent elles aussi à partir des expériences antérieures des sujets, dans laquelle

l'acquisition de la langue première et son apprentissage scolaire occupent une place de

choix ;

• les représentations de ce qu'est une langue, d'un point de vue général : ces représentations

s'élaborent, se sédimentent à partir du substrat de la langue première et, plus

particulièrement, des représentations métalinguistiques qui se sont accumulées, superposées,

imbriquées tout au long de son acquisition ;

• les représentations de la langue / culture à apprendre, de ses locuteurs, des pays dans

lesquels on la parle, du statut qu'elle occupe sur le plan international, etc. Ces conceptions

sont fonction des représentations sociales dominantes dans la langue / culture première des

apprenants ;

• la perception de la distance ou de la proximité interlinguistique qui sépare les langues en

présence et le déploiement de stratégies de tous ordres mises en œuvre pour évaluer, réduire,

voir augmenter ou même, dans des cas extrêmes, effacer cette distance.

L'utilisation de la langue première ne peut donc être ignorée dans l'apprentissage du français, car

elle figure « au centre de leurs représentations (aux élèves) et, à ce titre, constitue toujours un point

d'ancrage » (ibid.). Le recours à celle-ci est souvent vu comme « une source d'erreurs, d'obstacles et

de confusion » (Castellotti, 2001b), et est une représentation qu'il faut combattre. Au contraire, la

langue première peut devenir « un auxiliaire de premier plan dans l'accès à d'autres langues, plus ou

moins étrangères », si elle est acceptée comme « point de départ ou de référence » (ibid.). Il faut que

la langue première permette à l'élève de constituer des capacités métalinguistiques et méta-

communicatives, qui soient ensuite « réinjectées dans l'approche d'une nouvelle langue et offrent

des outils heuristiques pour entrer dans cette langue et y élargir ses compétences » (Castellotti,

2001a). L'élève doit pouvoir s'appuyer sur ces connaissances en langue première et être sensibilisé à

diverses langues, pour lui permettre « de postuler l'existence d'un fonctionnement lié à une nouvelle

langue totalement inconnue » (ibid.) Il doit devenir capable « de mettre en œuvre des stratégies

d'approche des langues qui tiennent compte à la fois de similitudes et de la diversité » (ibid.). Ainsi,

ces pratiques (de plurilingue en devenir) devanceraient ses représentations.

26

Page 27: Gestion des langues en présence dans une approche du

B/ La diglossie: bilinguisme soustractif et remise en cause identitaire

La notion de diglossie a connu une évolution dans sa définition. La première fut par

Fergusson en 1959, pour évoquer « une situation où il y avait deux dialectes en présence » (Legros

et Maître de Pembroke, 2012). Il y avait alors diglossie « lorsque deux variétés d'une même langue

coexistent dans une même communauté de façon relativement stable (…) et lorsque l'une fait l'objet

d'un enseignement formel et codifié, tandis que l'autre est utilisé pour les échanges ordinaires »

(ibid.). Aujourd'hui, la définition s'est élargie, et s'applique « non seulement à des situations mettant

en présence des variétés d'une même langue, mais aussi à des situations mettant en présence des

langues différentes » (ibid.). Une situation diglossique a donc lieu « lorsque deux langues coexistent

sur un même territoire » (ibid.), cette coexistence pouvant amener ou non à une situation

conflictuelle.

La diglossie a pour principale caractéristique de donner des fonctions aux langues, variant

selon les sociétés. Elle renvoie à un consensus social « consistant à préférer l'emploi de la langue A

dans certains domaines (par exemple privé) et l'emploi de la langue B dans d'autres domaines (par

exemple l'école) » (ibid.). Ces fonctions peuvent amener à donner un prestige social à une langue et

ainsi à dévaloriser l'autre langue en présence. La diglossie devient alors conflictuelle. La situation

deviendrait alors problématique pour les enseignants s'ils faisaient face à l'apparition d'un

bilinguisme soustractif chez leurs élèves. Si l'élève possède comme langue première une langue

« dominante et prestigieuse » (ibid.), celle-ci n'est pas mise en danger, et est alors mis en place un

bilinguisme additif. Au contraire, si la langue première n'est ni prestigieuse ni dominante, elle peut

être « progressivement remplacée par la langue seconde plus prestigieuse » (ibid.), et s’établit alors

un bilinguisme soustractif. « Cette situation risque(rait) de poser des difficultés identitaires et

d’apprentissage de par le risque de dévalorisation de l’identité native et l’abandon d’une langue

vécu comme une perte qui n’est pas forcément souhaitée » (Puig Moreno cité par Legros et Maître

de Pembroke, 2012). Il est donc important et essentiel que l'enseignant respecte les langues de ses

élèves avec « la même dignité, la même équité et cohérence » (ibid.) entre elles mais également

avec le français. Au niveau scolaire, il serait ainsi prôné de « remplacer une politique visant à

l'unilinguisme par une politique visant un plurilinguisme généralisé. Dans cette perspective, « la

possession d’une langue serait toujours vécue comme une richesse et non comme un handicap »

(Legros et Maître de Pembroke, 2012).

27

Page 28: Gestion des langues en présence dans une approche du

C/ L'insécurité linguistique: difficulté dans l'apprentissage du français et pour l'intégration

La notion de diglossie et les représentations sont en lien avec celle de l'insécurité, qu'elle soit

culturelle ou linguistique.

Selon Goï (Goï, 2005), « des enfants en situation de « sécurité culturelle » ne doutent pas de

ce qu'ils sont ni de ce qui les lie à leur culture première ». La confrontation à l'altérité n'est donc pas

potentiellement dangereuse pour eux et ne remet pas en cause leur intégrité. « A l'inverse,

l'insécurité rend frileux, inquiet, méfiant... Le lien à la langue et la culture première peut donc

hypothéquer ou au contraire favoriser le lien à la langue et la culture du pays d'accueil » (ibid.).

L'insécurité culturelle aurait diverses conséquences:

Lorsque l'enfant n'est pas "plein" de sa culture première – par éloignement, par l'absence demembres de la communauté, par perte de la langue d'origine –, il peut se trouver engluerdans une certaine forme de culpabilité et pris dans une impasse où il ne peut rien s'autoriser.Si le lien noué à la culture première se révèle trop ténu, l'intrusion de la culture seconde,chaque élément d'acculturation peut constituer une remise en question fondamentale de sonidentité première. Cette situation le conduirait à payer une "dette à l'origine", enl'empêchant d'aller vers une autre langue ou une autre culture. (Goï, 2005)

L'insécurité linguistique est liée au représentations et à la diglossie. Elle peut être pensée

comme l'expression « de rapports conflictuels construits à des langues socialement dotées de statuts

et de reconnaissances inégalitaires » (Bretegnier, 2014). La valorisation, la stigmatisation et

l'occultation, dont les langues des élèves font socialement l'objet, marquent les représentations et les

sentiments de ceux-ci, à la fois sur les langues mais également sur les pratiques dans ces langues.

Les élèves en UPE2A se trouvent dans une situation de pluralité linguistique inégalitaire qui est

« susceptible de « compliquer » les rapports construits aux langues, (et) de générer des sentiments

d'IL (insécurité linguistique) entravant à la fois l'appropriation du français et l'inscription en logique

d'insertion/intégration » (ibid.). Dans un environnement où apprendre le français apparaît comme

indispensable, il peut également apparaître comme « impossible à réaliser, tant le marquage social

est fort, le moderne normatif, et l'interlangue (...) culpabilisant » (ibid.). Cette situation peut

entraîner des « blocages, des sentiments d'incapacité ou des résistances, entravant les dynamiques

d'appropriation linguistique et d'intégration » (ibid.).

Il est donc primordial que l'enseignant déculpabilise les élèves qui « considèrent leur façon

de parler comme peu valorisante et ont en tête un autre modèle plus prestigieux mais qu'ils ne

pratiquent pas » (Calvet, 1993) correspondant à la norme. La norme étant comprise comme

« l'usage d'une variété de langue donnée comportant un ensemble de règles et perçue comme le

modèle auquel doivent se conformer les utilisateurs » (Dossou, 2010). Il faut que l'enseignant leur

28

Page 29: Gestion des langues en présence dans une approche du

fasse prendre conscience que la norme n'est pas le but à atteindre, car il reviendrait à réaliser le

mythe du « bilinguisme parfait », qui est une représentation très présente, mais impossible à

atteindre pour tout locuteur. L'enseignant doit au contraire valoriser leurs interlangues. Les

interlangues sont « la connaissance et l’utilisation non-natives d’une langue quelconque par un sujet

non-natif et non-équilingue, c’est-à-dire un système autre que celui de la langue cible mais qui, à

quelque stade d’apprentissage qu’on l’appréhende, en comporte certaines composantes » (Besse et

Porquier cités par Galligani, 2003). Il est essentiel que les langues des répertoires linguistiques des

élèves soient aussi valorisées, car elles laissent des traces dans les interlangues, et sont le signe

d'une langue en construction, et d'un possible bi-plurilinguisme en construction.

3.3 Et le français?

Il faut tout d'abord préciser que les élèves arrivant dans l'UPE2A ont déjà été en contact avec

la langue française. Certains dans leur pays d'origine, par le biais de l'école ou non, et tous sur le

territoire du pays d'accueil, la France, à des degrés divers. Ils sont tous présents, depuis un délai

plus ou moins long, sur le sol français avant d'être scolarisés. Ils ont déjà pu prendre conscience de

l'enjeu d'apprendre le français. Cependant, ils vont s'apercevoir que la nature et le statut du français

diverge selon les lieux et les locuteurs qui l'emploient. Ils peuvent alors avoir l'impression

d'apprendre plusieurs français dont ils feront usage différemment, selon les interlocuteurs et les

lieux, faisant émerger diverses représentations, sociales et préconçues et / ou individuelles en

construction. En parallèle de leur apprentissage et de leur scolarité, les élèves ont une « expérience

non scolaire intense de la langue » (Vigner, 2006) qu'il faut prendre en compte dans

l'enseignement / l'apprentissage, comme le fait que « le passage au français est lié à un changement

de contexte » (ibid.) : les élèves et leurs familles s'installent dans un pays majoritairement

francophone, cette installation étant ou non un choix de l'élève lui-même.

L'apprentissage du français est intensif et l'objectif majeur de leur scolarité en UPE2A, pour

s'intégrer scolairement, et socialement. « On présume ainsi que l'appropriation et la maîtrise du

français sont des garants de la réussite des élèves allophones » (Goï, 2005). Mais quel français leur

est enseigné? Les différents concepts utilisés pour répondre à cette question sont différents, par

leurs objectifs, leurs publics et leurs méthodologies mais la langue est la même : le français.

Dans le contexte scolaire, les élèves sont confrontés au Français Langue Maternelle

(désormais FLM) dans les classes de rattachement. Le FLM est « l'appellation usuelle pour désigner

le français enseigné aux élèves de France dans les classes ordinaires » (ibid.). Même si la

29

Page 30: Gestion des langues en présence dans une approche du

dénomination ne prend pas en considération le fait que certains élèves ne parlent pas ou ne parlent

pas seulement le français en famille, le FLM reste « la discipline scolaire étudiée par l'élève dès sa

scolarisation » (ibid.), en considérant que l'appropriation du langage se fait « par et simultanément à

l'appropriation de la langue française ». Le FLM serait donc le français des natifs. Mais les EANA

ne sont pas des natifs. Pour eux, « le français n'est pas une langue maternelle mais il n'est pas non

plus simplement une langue seconde ou une langue de scolarisation. Il participe plutôt des trois à la

fois parce que la circulation des langues se fait dans la fluidité, dans le changement de code d'un

interlocuteur à l'autre, dans le brassage » (Bertucci, 2004).

Le français enseigné au sein de l'UPE2A est donc enclin à plusieurs méthodologies selon les

progressions des élèves, mais avec le même objectif commun : son appropriation la meilleure et la

plus rapide. Dans la première phase d'apprentissage, une démarche de type FLE peut être

pertinente : « elle permet d'acquérir dans de très brefs délais les automatismes nécessaires à la

maîtrise des opérations de base et de se constituer les premiers éléments d'une grammaire

intériorisée du français » (Vigner, 2006). Cette démarche entraîne la création « de toutes pièces

(d')un environnement langagier » (ibid.) qui devient rapidement insuffisant et inadapté pour pallier à

une immersion quotidienne en langue française dans le milieu scolaire mais également sociétal.

« L'enfant étranger devra maîtriser une langue qui lui permettra de communiquer et de s'intégrer à

son environnement, notamment scolaire » (Goï, 2005) et la pédagogie adaptée et à développer serait

alors celle du Français Langue Seconde (désormais FLS). Le FLS fondant « ses apprentissages sur

une pratique de la langue plus que sur l'analyse des formes qui la constituent et des productions

langagières qui en découlent » (Vigner, 2006) est approprié aux publics des EANA, qui ont besoin

d'apprendre le français comme une langue de communication qui leurs permettent de s'intégrer

scolairement et dans la société. La parfaite maîtrise de la langue n'est pas le but de l'apprentissage,

le but est l'intégration, la langue française étant officiellement sur le territoire national « la langue

d'enseignement en même temps que la langue pratiquée au quotidien avec tout l'environnement

autre que le familial des EANA » (Goï, 2005) voire parfois une langue pratiquée avec la famille si

elle la maîtrise quelque peu. « Si l'enfant étranger se construit dans une langue première qui est

celle de ses parents et de ses empreintes culturelles initiales, il est aussi amené à se construire dans

son pays d'accueil sur le plan amical, social et cognitif. (…) Son pays d'accueil devient pour lui une

« origine seconde » et (...) la langue française devient alors une langue seconde » (ibid.). Il est donc

essentiel que l'enseignant soit conscient de cette dimension du français pour que les élèves migrants

puissent « s'approprier la langue de l'école comme langue sociale, mais aussi comme langue support

des apprentissages, à la fois langue à étudier, langue de l'étude et langue de l'évaluation des savoirs

construits par et dans cette langue » (Verdelhan-Bourgade citée par Goï, 2005). Cette définition

30

Page 31: Gestion des langues en présence dans une approche du

renvoie au Français Langue de Scolarisation (désormais FLSco), qui est présent dans l'UPE2A

comme dans les classes de rattachement, et qui peut être défini comme la langue de l'école, « la

langue qui s'apprend à l'école et pour l'école » (Verdelhan, 2002). Elle a été définie par Vigner en

1989 pour désigner « la langue enseignée et apprise pour apprendre d'autres matières qu'elle-

même » (ibid.). Elle représente notamment le langage des consignes et le langage des disciplines.

Enseigner le FLSco n'est donc pas exclusif au dispositif : « Si l'enseignement du FLS est la mission

première des enseignants d'UPE2A, celui de la langue de scolarisation est l'affaire de tous. Chaque

enseignant des disciplines est donc aussi un enseignant de français » (Goï, 2005).

3.4 Approches pédagogiques en lien avec le plurilinguisme

Pour rendre l'apprentissage et l'enseignement du français toujours plus pertinent et efficace

face à un public d'EANA, différentes démarches et outils pédagogiques ont été mis en œuvre. Ces

démarches et outils agissant tous selon une perspective actionnelle prenant en compte la diversité,

les publics plurilingues, et les contextes interculturels.

3.4.1 La méthode « Comparons nos langues »

La méthode « Comparons nos langues » de Nathalie Auger se définit comme une démarche

d'apprentissage du français auprès d'enfants nouvellement arrivés. Elle s'inscrit dans les approches

dites plurielles. Suivant Michel Candelier :

Par définition, on appellera approche plurielle toute approche mettant en œuvre desactivités impliquant à la fois plusieurs variétés linguistiques et culturelles. En tant que telle,une approche plurielle se distingue d’une approche singulière, dans laquelle le seul objetd’attention est une langue ou une culture particulière, prise isolément. (Candelier cité parTroncy, 2014 : 388)

La méthode « Comparons nos langues » est une approche plurielle car elle s'appuie sur le postulat

suivant : « tout apprentissage repose, consciemment ou non, sur une comparaison entre le ou les

systèmes langagiers préexistants et la langue à apprendre » (Auger, 2005). Un lien entre les langues

préexistantes dans le répertoire linguistique des élèves et la langue française à apprendre est donc

indéniable, et doit être exploité : selon Auger, il est préconisé de « s'appuyer sur les scripts

maternels des enfants pour aller vers le français » (Auger, 2005). Cet appui permettrait tout d'abord

de créer un lien entre leur langue(s) du pays d'origine et la langue du pays d'accueil.

31

Page 32: Gestion des langues en présence dans une approche du

Alaoui précise :

Les élèves d'accueil [ou EANA] mettent plus ou moins de temps à partir, où si l'on veut de façon moins sibylline, ils mettent du temps à quitter suffisamment leur pays pour se donner une chance d'être "accueillis". Leur permettre de parler leur langue, de dire leur langue agit en cela de façon formidable. Utiliser leur langue dans la classe et l'accepter, c'est leur laisserle temps d'arriver. » (Alaoui, 2007)

Utiliser la ou les langues des élèves comme appui dans l'apprentissage du français leur permettrait

de devenir acteurs et actifs dans leur apprentissage, en développant « une conscience

métalinguistique entre les systèmes et leurs usages sociaux afin de renforcer une attitude positive

face à l'altérité » (Auger, 2005). Dans cette perspective de comparaison des langues et également

des habitudes culturelles en matière de communication, les langues ne connaissent ni

hiérarchisation ni dévalorisation au profit de la langue cible. L'élève adopte le rôle d'expert :

l'enseignant n'est plus le seul détenteur du savoir. Une relation de confiance entre pairs, et entre

pairs et enseignant, se met en place. L'apprentissage en ressort donc motivant et valorisant pour

chaque élève, qui prend du plaisir à construire un lien entre leur(s) langue(s) et le français.

Cependant, face à ces nombreux atouts, Alaoui nous met en garde : « il nous semble que

l'utilisation de la langue maternelle ne va pas de soi et qu'il faut prendre en compte les phénomènes

divers de résistance et les respecter, parce qu'ils relèvent toujours d'une profondeur qu'à notre avis

on ne peut avoir le droit d'explorer que si l'apprenant nous y invite » (Alaoui, 2007). Il est en effet

possible que des élèves refusent de se référer à leur(s) langue(s) maternelle(s), et que la démarche

soit inapplicable. A ce refus des élèves peut aussi s'ajouter le refus des enseignants eux-mêmes, qui

peuvent être partisans d'une approche singulière (selon la définition de Michel Candelier),

consciemment ou inconsciemment.

3.4.2 Le dessin réflexif

Le dessin réflexif est défini par Muriel Molinié comme un « outil pour (faire) comprendre et

(faire) analyser un certain nombre de phénomènes associés à la mobilité [...], à partir de pratiques

menées au carrefour de la didactique des langues et de la sociolinguistique » (Molinié M. 2009 :

11). Un des phénomènes associé à la mobilité peut être, en ce qui nous concerne, la construction

d'un plurilinguisme et sa gestion. Le dessin devient une représentation de l'apprentissage, auquel

une dimension réflexive est apportée. Dessiner est un acte de langage, et l'élève devient interprète

de son dessin, pour conscientiser son plurilinguisme et assumer son répertoire. Cette réflexion sera

interrogée à partir des dessins et des verbalisations en interaction avec l'enseignant et les élèves de

32

Page 33: Gestion des langues en présence dans une approche du

l'UPE2A. L'objectif recherché sera la co-construction du sens donnée aux expériences de mobilité

vécues par les EANA, via les dessins et la mise en commun menés à leur propos.

La notion de dessin réflexif est entrée dans le Guide de la recherche en didactique des

langues et des cultures (Castellotti & Moore, 2011 ; Molinié, 2011) pour désigner « un dispositif de

recherche-action-formation comprenant : la transmission d’une consigne (...), la réalisation du

dessin par un enfant, un adolescent ou un adulte, la conduite d’un entretien d’exploration du dessin

(entre le dessinateur et le praticien/chercheur ou entre pairs) ». Il permet de concrétiser trois

objectifs. Tout d'abord, il permet « de rendre visibles et de prendre acte des déterminants

sociolinguistiques et de leur circulation dans le milieu dans lequel vit l’acteur ». Puis il permet « de

conduire des processus de verbalisation, de mutualisation, de conscientisation sur ces schèmes et

ces déterminants ». Enfin, il permet « d’ouvrir la voie à la remédiation et à la production de

nouvelles représentations (Blanchet & Chardenet, 2011 : 450) » (Molinié, 2014).

Cet outil est donc « un outil de médiation du rapport aux langues de l’apprenant, et

notamment à la langue qu’il est en train d’apprendre dans un moment spécifique de sa vie, tout

autant que de relations, entre l’individu plurilingue, dessinateur, le dessin lui-même, et les autres

personnes destinées à visionner et comprendre ce dessin » (Molinié, 2014 : 123). Il devient ainsi un

possible atout dans l'apprentissage d'une langue, et un possible outil important dans l'enseignement

de cette langue.

Chapitre 2 - Mise en place d'un matériel didactique plurilingue prenant en compte le terrain de stage

1. Le terrain

1.1 Un dispositif d'un collège de banlieue parisienne

La recherche a été effectuée dans un établissement de l'Essonne, classé en Réseau

d'Education Prioritaire (REP) : le collège Louise Michel de Corbeil-Essonnes. Ce collège est situé à

la périphérie de la ville dans un quartier où se mélangent zones pavillonnaires et immeubles.

L'UPE2A est rattachée au CASNAV de Versailles et implantée par celui-ci récemment, en

septembre 2014. L'enseignante titulaire de l'unité pédagogique est la professeur qui a été chargée de

mettre en œuvre le dispositif. Aujourd'hui, l'établissement possède une UPE2A dans laquelle les

33

Page 34: Gestion des langues en présence dans une approche du

EANA sont inscrits pour une année mais également une unité pédagogique de soutien linguistique

dans laquelle sont inscrits, si besoin, les élèves de l'UPE2A pour une année supplémentaire.

L'UPE2A a pour double objectif de :

– faire acquérir rapidement aux élèves des compétences indispensables en langue française pour

s'intégrer dans le système scolaire et leurs classes de rattachement

– offrir aux élèves un lieu sécurisant dans l'école.

L'unité pédagogique de soutien scolaire a pour objectif de renforcer les compétences linguistiques

déjà acquises, et d'amener à une progression scolaire toujours plus importante.

Ces unités accueillent des adolescents de 11 à 16 ans, tous allophones en UPE2A et tous

disposant d'un certain niveau en langue française pour l'unité pédagogique de soutien linguistique.

Le public y est néanmoins multiculturel et multilingue, les élèves venant de pays différents.

Au sein de l'UPE2A se distingue la présence d'un groupe majoritaire formé par les

lusophones (portugais, brésilien, angolais et cap-verdiens) qui fait face à différents autres groupes,

minoritaires mais revendiqués. Durant la recherche, l'unité fut marquée par l'arrivée de trois

nouveaux élèves. Se confronter à l'altérité et la respecter devint un des enjeux essentiel de cette

UPE2A, en plus de celui d'un apprentissage rapide de la langue française pour intégrer le plus vite

possible les élèves dans toutes les disciplines dispensées par le collège. Les élèves ont tous un

emploi du temps personnalisé et adapté à leurs besoins. Cependant ils suivent tous sans exception,

en plus des cours de français de l'unité, les cours d'EPS, d'Arts Plastiques et de Technologie, comme

le souhaite l'enseignante titulaire. Au sein de l'unité pédagogique de soutien linguistique, l'altérité

est présente mais déjà acceptée et les élèves sont centrés sur leur perfectionnement en langue

française. Ils suivent tous une scolarité ordinaire (excluant la discipline du français) et disposent en

plus de ces cours de soutien.

1.2 Présentation du matériel didactique utilisé

Le matériel utilisé s'inscrit dans une démarche plurilingue. Il met en œuvre un regroupement

d'activités pédagogiques déjà expérimentées. Elles sont toutes mises en lien pour permettre

l'apparition des plurilinguismes, individuel et collectif, présent dans le dispositif, celle-ci permettant

d'améliorer l'enseignement et l'apprentissage de la langue française. Il s'appuie sur l'histoire et sur

les connaissances langagières de chaque élève, en les incitant à les partager entre élèves, mais

également avec l'enseignant. Il cherche ainsi à valoriser les langues respectives de chacun, et a

respecté une continuité de leur histoire langagière. Cette continuité permet d'éviter possiblement

34

Page 35: Gestion des langues en présence dans une approche du

une négation de ces langues, tout comme des situations de bilinguisme soustractif, de diglossie, ou

encore de conflit de loyauté. L'identité langagière des élèves n'est pas niée mais enrichie. Le

matériel propose également aux élèves et à l’enseignant de s'appuyer sur leurs compétences

langagières pour élaborer des stratégies d'apprentissage et d'enseignement, notamment dans le but

de faciliter l'accès à la langue française, qui reste la visée essentielle du dispositif et du matériel. Les

élèves prennent ainsi conscience du potentiel acquis et à acquérir de leurs compétences en langues,

et du fait que le plurilinguisme peut être un atout non négligeable dans l'acquisition de nouvelles

langues telle que le français. Ils sont invités à réfléchir ensemble sur leurs représentations des

langues, et sur leur compréhension de celles-ci. La dimension culturelle n'est pas non plus négligée,

et est présente en filigrane tout au long des activités. Les élèves sont confrontés à l'altérité

linguistique, mais également à l'altérité culturelle. Ils doivent ainsi effectuer un va-et-vient constant

entre leur propre identité culturelle et linguistique, et celles de leurs camarades. En permettant

toutes ces réflexion, les difficultés (et facilités) liées à l'utilisation des langues des répertoires

linguistiques des élèves dans l'enseignement et l'apprentissage du français sont mises en exergue, et

permettent de mettre en place une gestion appropriée et efficace de celle utilisation.

1.3 Présentation des activités de classe observées

Les différentes activités présentées par la suite ont toutes été dispensées dans leur globalité

par l'enseignante titulaire du dispositif. Elles étaient de deux types : articulées autour du

plurilinguisme et mobilisant le plurilinguisme. Les activités articulées autour du plurilinguisme ont

pour unique objet le plurilinguisme, tandis que les activités le mobilisant ne le font apparaître qu'en

marge de leur objectif propre, comme un objet d'apprentissage et / ou d'enseignement

supplémentaire et non central.

Selon l'enseignante elle-même, les pratiques de classe en lien avec le plurilinguisme qu'elle

met en œuvre s'appuient sur la démarche « Comparons nos langues » de Nathalie Auger. Ces

activités consistent en des activités comparatives entre les langues et cultures premières des EANA

et la langue cible qu'est le français pour atteindre divers objectifs :

- valoriser les langues et cultures premières des élèves, dans un souci de poursuite de leur

construction identitaire

- ouvrir les élèves à la diversité des langues-cultures de leurs pairs

- aider les élèves à prendre conscience des points communs entre les systèmes linguistiques des

langues qu'ils maîtrisent et le français, pour un possible gain de temps dans l'apprentissage

35

Page 36: Gestion des langues en présence dans une approche du

- montrer aux élèves qu'ils peuvent prendre appui sur ces langues pour apprendre plus vite

- faire prendre conscience aux élèves de la relativité des représentations et de l'impact culturel sur

ces représentations, pour qu'ils gagnent en tolérance

- permettre à l'enseignant de mieux comprendre certains transferts impertinents, certains blocages

rencontrés par les élèves ou certaines erreurs récurrentes et attirer leur attention sur ces points.

Pour la conception des activités, l'enseignante prend en compte différents aspects linguistiques :

- les ressemblances et différences phonologiques, le rapport phonie-graphie

- la structuration de la phrase

- les mots transparents

Elle prend également en compte des aspects culturels : elle affectionne faire un « tour du monde »

des pratiques et / ou des représentations culturelles autour d'un même thème, comme par exemple la

journée international des droits de la femme, qui permit de confronter les propres visions des élèves

à ceux de leurs pairs.

1.2.1 Observation d'activités articulées autour du plurilinguisme

A/ Dessiner le mot « femme »

En lien avec la Journée internationale des droits des femmes, une séquence pédagogique a été

dédiée à la Femme. Elle a regroupé diverses séances s'articulant autour de l'interculturalité et du

plurilinguisme. Différentes activités ont été proposées : l'étude d'une affiche présentant le

programme de la mairie de Paris pour le 8 mars 2012, l'étude d'un extrait vidéo d'un journal télévisé

proposant un micro-trottoir traitant des inégalités hommes / femmes, un échange collectif sur

l'existence et les coutumes de la Journée de la Femme dans les pays d'origines des élèves, un débat

collectif sur la persistance des inégalités hommes / femmes, et le dessin du mot « femme ».

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Image 1 : Dessin de Kaba représentant le mot "femme"

Page 37: Gestion des langues en présence dans une approche du

L'activité consistant à dessiner le mot « femme » a été la première activité de cette séquence,

pour introduire le thème. Elle avait pour objets l'interculturalité et le plurilinguisme, et pour objectif

de montrer qu'une langue est porteuse de représentations, et notamment de représentations

culturelles. Dans un premier temps, trois consignes ont été proposées aux élèves :

– consigne 1 : « dessine ce que t'inspire le mot que je vais écrire au tableau ».

– consigne 2 : « traduis ce mot dans ta langue première ».

– consigne 3 : « si j'avais écris ce mot au tableau (mot en langue première), aurais-tu fais un autre

dessin ? »

1. Si oui, dessine-le en inscrivant en dessous le mot « femme » traduit en langue première.

2. Si non, écris en dessous du mot femme en langue première la traduction du mot femme traduit en

langue première.

Dans un deuxième temps, l'enseignante a demandé aux élèves de poursuivre le travail en présentant

oralement leurs réalisations devant le collectif, dans une idée de partage et d'échange interculturel.

La consigne était la suivante : décris ton dessin (la personne, le lieu, l'action), justifie tes choix, et

compare tes deux dessins s'il y a.

Différentes difficultés sont apparues lors de cette activité. Pour la première étape, certains

élèves ont vu comme compliqué de définir et dessiner le mot « femme ». Pour la deuxième étape, la

difficulté a été pour l'enseignante. Elle a du gérer le groupe durant les présentations, dans un souci

d'écoute et de respect, et gérer les présentations orales, en motivant et facilitant la parole des élèves.

B/ Phonétique : le son « oi »

Après avoir remarqué une erreur récurrente de prononciation du son « oi » en français par

les élèves, l'enseignante a décidé, au pied levé, de mettre en œuvre une activité de phonétique. Pour

travailler sur le son « oi », l'enseignante proposa d'effectuer collectivement un tableau au tableau,

regroupant le son « oi », le son « o », et le son « i ». L'Alphabet Phonétique International (API) ne

fut pas utilisé, car les élèves n'en n'avait pas connaissance, et il avait été dit dès la conception du

tableau que ce qui était écrit représentait la prononciation, l'oral, et non l'écrit. L'acquisition visée

était celle du son « oi », en passant par un travail de prononciation des deux sons qui le

composaient, soit le son « o » et « i ». L'objectif était que les élèves puissent discriminer ses sons

entre eux, les reconnaître et les prononcer correctement. Pour faciliter la tâche, l'enseignante a

ajouté une dimension plurilingue à l'activité, en faisant apparaître l'existence ou non de ces sons

dans les autres langues des répertoires linguistiques des élèves. Cette dimension plurilingue avait

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Page 38: Gestion des langues en présence dans une approche du

pour but de faire prendre conscience aux élèves des ressemblances et / ou des divergences entre les

langues citées et le français, pour pouvoir s'appuyer sur celles-ci et s'appliquer lors d'une possible

prononciation d'un mot comportant les sons étudiés. Un représentant pour chaque langue introduite

dans le tableau fut élu, les élèves choisissant quelle langue ils voulaient représenter. Chaque

représentant était appelé au tableau pour compléter la colonne correspondant à la langue choisie, et

les élèves pouvaient faire part de leur opinion sur ce qui était écrit s'ils avaient eu aussi

connaissance de la langue. La difficulté a résidé dans le fait que les élèves avait parfois du mal à

identifier dans une langue les sons demandés, et devaient parfois faire appel au dictionnaire bilingue

pour vérifier l'existence du son dans certains mots.

Après avoir comparé les différentes phonétiques entre les différentes langues, l'enseignante a

demandé aux élèves de venir au tableau écrire les différentes formes écrites des sons étudiées au

tableau s'il en existait, et a elle-même complété la colonne du français en se désignant représentante.

L'enseignante a porté l'attention des élèves sur le fait que le français n'était pas une langue

phonétique, qu'un même son pouvait s'écrire sous différentes formes. Le but était de faire comparer

ce fait avec son existence ou non dans les autres langues, pour les amener à prendre conscience qu'il

peut être une difficulté qui réside ou non dans les langues de leurs répertoires linguistiques, et qu'en

production écrite en français il faut y prêter attention.

Pour prolonger l'activité, l'enseignante et les élèves ont travaillé ensemble sur l'élaboration

d'une liste de mots en français comportant les différents sons du tableau. Suite à l'établissement de

cette liste, les élèves ont du l'apprendre à la maison en vue d'une dictée. L'enseignante a dicté le

lendemain mot par mot la liste, et la correction a été réalisée au tableau de manière collective. Les

élèves devaient donc après avoir précédemment discriminer les phonèmes les reconnaître, et les

écrire correctement.

L'enseignante reconnue que l'activité aurait pu être plus pertinente si elle avait été au

préalable préparée, pour être en lien avec une autre activité. Les mots de la dictée aurait pu par

exemple provenir d'un texte étudié, et non sortis de l'imagination des élèves et de l'enseignante elle-

même. Cependant, elle prit le parti de recommencer régulièrement ce type d'activité phonétique

pour aider les élèves, et commença avec eux la construction d'un tableau récapitulatif accroché sur

un mur de la classe, qui serait complété au fur et à mesure de l'étude des sons.

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Page 39: Gestion des langues en présence dans une approche du

1.2.2 Observation d'activités mobilisant le plurilinguisme

A/ Activités incluant de nouveaux élèves du dispositif

L'UPE2A a vu l'arrivée de quatre nouveaux élèves : Najm Edin, Ricky, Ana et Guillerm, tous

allophones. Arabophone, anglophone, et lusophones, ils ont du tous les quatre s'intégrer rapidement

dans le dispositif, que ce soit en intégrant les activités en cours qu'en rattrapant le niveau en langue

française du groupe classe. Ils ont du mettre en place une double progression, linguistique et

scolaire. Pour faciliter leurs progressions, l'enseignante a mis en place des stratégies

d'enseignement, et les élèves des stratégies d'apprentissage, consciemment ou inconsciemment. Une

de ses stratégies était l'utilisation du plurilinguisme, présent dans les activités présentées par la

suite.

1/ Activités en binôme : Najm Edin et Ricky

Chronologiquement, Najm Edin est arrivé avant Ricky dans le dispositif. Najm Edin est

arabophone et ne maîtrise pas le français. Ricky est anglophone et sans maîtrise également du

français. Mais tous les deux ont pour point commun de maîtriser plus ou moins l'anglais, Ricky

étant anglophone, et Najm Edin l'ayant appris devant les dessins animés au cours de ses migrations.

Cette maîtrise de l'anglais fut exploitée par l'enseignante, et par les élèves eux-même, pour faciliter

leur accès à la langue française.

Lors de l'arrivée de Ricky, l'enseignante a fait le choix de prendre à part et en binôme Najm

Edin et lui, pour les aider, parallèlement à la prise en cours des activités, à apprendre les

fondamentaux de son programme. Les élèves ont travaillé ensemble sur l'identité, sur la description

physique, sur les nombres, les couleurs etc. La difficulté était de faire progresser rapidement les

deux élèves en langue française afin qu'ils accèdent rapidement au sens et donc à l'appropriation.

Pour y arriver, les activités ont été dispensée en deux langues : en français, et en anglais. Le français

était la langue visée, mais l'anglais était un appui non négligeable et nécessaire pour les deux élèves.

Le dialogue élève / élève et élèves / enseignante étaient toujours en anglais pour donner ou

demander des explications, et pour l'entraide. Si l'enseignante utilisait le tableau, elle y écrivait les

mots en français, tout en notant entre parenthèses leurs traductions en anglais. Les élèves

traduisaient systématiquement les mots en anglais à côté des mots non compris dans les activités.

Dans leur cahier, ils recopiaient en anglais (et en plus en arabe pour Najm Edin) les points qui leur

paraissaient importants, et l'enseignante les obligeait à les écrire également en français, car la

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Page 40: Gestion des langues en présence dans une approche du

langue visée était bien le français. La difficulté était de faire prendre conscience à ses élèves que

l'anglais était une aide pour l'accession au français, mais qu'elle ne devait pas le dominer.

2/ Activité en groupe : les portraits de femmes

En lien avec la Journée de la Femme, une séquence didactique a été dédiée au thème de la

Femme. L'une des activités de cette séquence fut la conception de portraits de femmes par les

élèves. Elle fut réalisée en plusieurs séances en différents groupes.

Le groupe qui nous intéresse a été celui se composant de Ana, Guillerm, et de deux autres

élèves. Tous les quatre étaient lusophones. Seule l'enseignante ne maîtrisait pas le portugais.

L'activité consistait à différencier différents types de portrait (peinture, photographie, littérature), et

à présenter et décrire les portraits proposés. L'attention était particulièrement porté sur le portrait

littéraire. Les élèves ont du lire le texte et le comprendre, pour procéder ensuite à l'écriture d'un

portrait d'une femme de leur entourage représentant pour eux la Journée de la Femme et des valeurs

qu'elle veut transmettre. Lors de la réalisation de ces deux exercices, l'enseignante a du faire face

aux difficultés de compréhension et de rédaction des quatre élèves, et surtout de celles des deux

nouveaux. Pour essayer d'y faire face, les élèves et l'enseignante ont mis en place une stratégie, celle

de l'utilisation du portugais. Il était la langue de traduction, d'accès au sens. Les nouveaux avaient le

droit de demander aux autres si besoin une explication, et les élèves avaient le droit de leur répondre

en portugais. Et l'enseignante reformulait tout en français également, pour faire le lien entre le

portugais et le français. La difficulté fut de faire ce lien, mais également de gérer l'utilisation du

portugais, pour qu'il reste un facteur de cohésion du groupe pour l'apprentissage du français, et non

pour des bavardages non constructifs.

3/ Activité en classe entière : les expressions

Les élèves ont participé à une activité dite du bonhomme des langues, présentée par la suite

(voir 1.3.3). Ils ont été amenés à travailler sur des expressions françaises comportant dans leur

intitulé une partie du corps humain. En binômes, les élèves ont regroupé des étiquettes comprenant

la définition et l'intitulé d'une expression. La suite de l'exercice consistait ensuite à faire part de

leurs réponses au groupe classe. Les élèves devaient à voix haute présenter leurs expressions et

définitions, en les lisant. La lecture a été une difficulté pour Ricky. La compréhension des

expressions aussi, ainsi que pour Najm Edin. Afin de les aider, l'anglais a été utilisé, ainsi que

l'arabe pour Najm Edin. Pour l'anglais, les élèves le maîtrisant ont été des aides, tout comme

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Page 41: Gestion des langues en présence dans une approche du

l'enseignante. Pour l'arabe, les élèves le maîtrisant ont été appelé, l'enseignante n'en ayant aucune

maîtrise. Mais d'autres langues ont aussi fait leur apparition, comme le portugais. Des élèves

passaient également par cette langue pour accéder au sens. La difficulté fut donc de maîtriser la

prédominance des langues autres que le français, pour fixer les connaissances en français et non

dans ces langues.

B/ Activités effectuées en groupe

1/ Groupe plurilingue : constituer des phrases reprenant le vocabulaire

Pour poursuivre l'activité au départ phonétique sur les phonèmes « oi », « i » et « o »

présentée précédemment (voir 1.2.1), l'enseignante a réparti les élèves de la classe en différents

groupes de travail. La tâche était de reprendre les mots de la dictée effectuée auparavant, et d'inclure

chacun de ces mots dans une phrase de leur invention. Puis la tâche suivante consistait à regrouper

toutes ces phrases en un paragraphe, pour créer une histoire. La difficulté était le principe même du

travail en groupe : faire le travail collectivement, et non en petits groupes dans le groupe ou

individuellement. A cette difficulté de travail en collectivité s'ajoutait la difficulté de la

compréhension de la consigne, et de la réalisation de l'activité demandée en langue française.

Un des groupes était composé de cinq personnes, quatre lusophones et deux anglophones : le

groupe était plurilingue. Un chef de groupe fut désigné : il avait pour consigne de gérer la cohésion

du groupe, et la bonne réalisation collective du travail demandé. Instinctivement les élèves se

réunirent par groupes de langues. Deux groupes étaient constitués : celui des lusophones et celui des

anglophones. Chaque groupe utilisait l'anglais et le portugais pour essayer de comprendre et réaliser

les tâches, et pour bavarder. L'unité du groupe était dissous. L'enseignante ayant vu ces

regroupements est intervenue en s'adressant directement à la chef de groupe. Elle a tenté de faire

prendre conscience à la chef de groupe, et donc au groupe, que le choix de la langue utilisée était

primordiale pour diviser ou rassembler le groupe. Et que pour réaliser un travail collectif tout élève

compte, qu'il ne fallait exclure ni par affinités ni par choix linguistique un élève. Suite à cette

intervention, le travail repris collectivement.

2/ Groupe unilingue : rédiger une histoire

La tâche demandée par l'enseignante est de rédiger une histoire. La réalisation de l'activité

s'est fait en groupe. Deux élèves et amies ont décidé de se mettre ensemble. Elles étaient également

toutes les deux lusophones. Leur difficulté a été de créer conjointement une histoire, et de rédiger

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Page 42: Gestion des langues en présence dans une approche du

correctement cette histoire en français. Elles ont choisi de travailler de la manière suivante :

chacune écrit en portugais une histoire, puis elles les mettent en commun pour en faire une seule

histoire en portugais, et la traduise en français. Elles ont justifié cette stratégie d'utilisation du

portugais en disant « on n'est pas sûre en français ». Cependant, l'enseignante n'est pas intervenue

pendant leur travail, et a uniquement vu et corrigé le résultat final.

C/ Activités de l'unité pédagogique de soutien linguistique

Les élèves de cette unité pédagogique maîtrisent tous suffisamment la langue française pour

être totalement intégrés aux disciplines proposées par le collège, sauf celle du français. Ils suivent

tous une scolarité dite ordinaire, et se perfectionne en français au sein de l'unité. Ils conservent

néanmoins leur plurilinguisme, en dehors du contexte scolaire, mais également au sein de celui-ci.

Il est en effet possible de le voir apparaître au sein de l'unité pédagogique lors de diverses activités,

uniquement pour résoudre un problème de compréhension. Les langues du répertoire linguistique

des élèves sont utilisées en comparaison avec le français, pour expliquer et résoudre

l'incompréhension.

Lors de travaux sur les temps du passé, de l'imparfait et du passé-composé, l'enseignante a

du procédé à une comparaison des systèmes linguistiques pour identifier et résoudre des

incompréhensions. Ceci dans le but de faciliter l'acquisition des temps en français. Une élève avait

des difficultés pour comprendre l'existence de deux temps en français pour parler au passé.

L'enseignante lui a demandé de comparer avec l'ukrainien, à savoir s'il existait un ou deux temps

pour s'exprimer au passé. Grâce à cette réflexion, l'élève a réussit à comprendre d'où venait sa

difficulté, et a passer au dessus. Dans une autre activité, les élèves devaient rédiger un texte au

passé racontant un souvenir. Une élève proposa son texte au tableau, et la correction fut collective.

Pour corriger l'erreur de la phrase « après, comment ça faisait mauvais temps », l'enseignante

demanda a l'élève de traduire en portugais des phrases contenant « comment » et « comme ».

Identiques en portugais, l'enseignante lui expliqua qu'en français une différence existait entre les

deux, et qu'elle devait donc y prêter attention afin de ne pas reproduire son erreur. Les langues

pouvait donc être un appui pour faciliter la compréhension et l'appropriation par les élèves des

temps du passé en français.

D/ Quelles langues dans les cahiers ?

A divers moments, l'enseignante a ramassé les cahiers des élèves, afin de corriger des

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Page 43: Gestion des langues en présence dans une approche du

possibles erreurs et de noter leur entretien.

Lors de cette inspection, l'enseignante a pu constater que différentes langues du répertoire

linguistique des élèves apparaissaient à côté du français dans ces écrits. L'utilisation de ces langues

dans les cahiers est un choix propre aux élèves. La seule obligation est de noter et coller toutes les

activités et leçons, et de les noter en français obligatoirement. Une élève anglophone a créé, à la fin

de son cahier, un espace dédié au lexique. Elle y écrit du vocabulaire en français traduits en anglais,

mais également des mots en Igbo et Yoruba sans traduction. Un élève arabophone a quant à lui fait

apparaître une langue qu'il apprend dans sa classe de rattachement : l'espagnol. Il y fait référence

pour traduire divers exercices en français, ou pour faire des correspondances entre le français et

l'espagnol. Cependant, l'enseignante a aussi pu constater que certains élèves faisaient le choix de

faire apparaître uniquement le français dans leur cahier.

1.4 Présentation des activités créées et dispensées

Les activités ont été réfléchies dans leur globalité, comme un ensemble. Elles ont été

conçues pour être dispensées dans un ordre chronologique précis, afin de respecter une volonté de

progression dans les objectifs, et une volonté d'ajustement possible des activités. Chaque activité a

été en lien avec une autre.

La première activité, l'activité des boîtes, a permis de trouver un élément de départ

provenant des élèves eux-mêmes à l'activité suivante, celle de la fleur des langues, et a permis un

ajustement et des modifications à toutes les activités proposées par la suite. L'activité de la fleur des

langues a permis d'obtenir un document qui a été réinvesti dans les activités du bonhomme des

langues et du dessin réflexif. L'activité du bonhomme des langues a permis de donner des éléments

pour ajuster l'activité de la charte des langues. L'activité du dessin réflexif a permis d’approfondir

les données obtenues par l'activité du bonhomme des langues. Et la charte des langues a été basée et

réajustée grâce à toutes les activités. Chaque activité a nécessité l'accomplissement de l'activité

précédente pour faire sens et être la plus fidèle aux objectifs déterminés au préalable et aux réalités

de l'unité pédagogique et de ses élèves.

Ci-dessous, un tableau récapitulatif de l'organisation des activités et de leurs réalisations,

selon les semaines et leurs durées.

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Page 44: Gestion des langues en présence dans une approche du

Activité Semaine 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Boîtes Une heure

Fleur des langues Trois heures

Bonhomme des langues

Quatreheures

Deux heures

Une heure

Dessin réflexif Quatreheures

Charte des langues

Trois heures

Tableau 1: Organisation temporelle des activités

1.4.1 Activité 1: les boîtes

La première activité a consisté à la conception de trois boîtes: une boîte « messages », une

boîte « remarques / avis», et une boîte « questions ». Les boîtes ont été mises à la disposition des

élèves au fond de la classe pour qu'ils puissent y accéder facilement et présentées comme un espace

d'expression qui leur était dédié, sur le thème des langues. Une première rédaction de papiers a été

obligatoire et suivie de rappels pour les inciter à écrire si besoin, notamment lors des activités

mobilisant le plurilinguisme. L'activité consistait à établir un possible dialogue permanent avec les

élèves qui provienne d'eux et qui ne soit pas toujours le résultat d'une demande. Pour que

l'expression des élèves soit la plus facile possible, les messages pouvaient être anonymes et rédiger

dans la langue de leur choix. L'anonymat devait permettre aux élèves de ne pas mettre de barrière

trop importante à leur pensée et de ne pas avoir peur de représailles. Le choix de la langue devait

aussi faire tomber une barrière, celle justement de la langue, et faire apparaître dès le départ le

plurilinguisme car il était question de toutes les langues des répertoires linguistiques des élèves. Ces

dispositions devaient amener à un dialogue sans frein pour que les élèves nous sentent à leur écoute.

L'objectif de l'activité était donc respecté : rendre possible un dialogue élève / enseignant constructif

afin de donner de la matière aux activités futures et de permettre un ajustement de celles en cours.

44

Page 45: Gestion des langues en présence dans une approche du

1.4.2 Activité 2: la fleur des langues

L'activité a pour objectif final de faire prendre conscience aux élèves de l'existence du

plurilinguisme à deux niveaux : celui du groupe classe et celui des individualités. Pour accéder à cet

objectif, différentes étapes ont été réalisées. La première a été d'amener à une comparaison des

langues entre elles et de faire apparaître les compétences langagières. La seconde a été de dresser

l'état des lieux du répertoire linguistique de chaque élève. La troisième à été de réaliser

collectivement un objet représentant le plurilinguisme.

Le déroulement des activités a été le suivant : un message de la boîte «messages» a été

choisi et inscrit au tableau. Il s'agit d'une phrase en arabe, en écriture arabe, signifiant « je suis

content d'être à l'école aujourd'hui ». Les élèves ont été invités à deviner le sens de la phrase.

L'élève qui a déposé ce papier dans la boîte a été appelé au tableau et désigné comme expert de la

langue arabe. Il a prononcé la phrase et accepté ou non les traductions proposées par les autres

élèves. Face à plusieurs échecs, les élèves ont été invités à se demander pourquoi ils ne parviennent

pas à traduire la phrase, à faire l'état des lieux des différences entre le français, les langues de leur

choix et l'arabe. La traduction exacte a été dévoilée par l'élève et les autres sont venus au tableau

écrire la même phrase dans la langue de leur choix. S'effectua alors un travail de comparaison entre

les diverses langues présentes au tableau, le but étant de faire apparaître les divergences et les points

communs entre les langues à plusieurs niveaux linguistiques (syntaxe, écriture, phonétique etc.).

Les divergences et points communs établis, les élèves ont dressé une liste résumant ce qu'ils avaient

pu faire ou non avec les langues. Une fiche leur a ensuite été distribuée et expliquée. Les élèves

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Image 2 : la fleur des langues

Page 46: Gestion des langues en présence dans une approche du

l'ont remplie individuellement. Sur celle-ci se trouvait la liste des compétences dressée auparavant,

avec un espace blanc où mettre la ou les langue(s) dans laquelle (lesquelles) chaque élève possédait

la compétence donnée. La fiche a été collée dans le cahier pour pouvoir être réutilisée par la suite.

Ces activités ont un objectif : dresser l'état des lieux des langues en présence dans la classe

et par élève et découvrir les compétences en langue et par langue. Pour avoir un objet représentatif

et collectif de ces activités, des pétales ont été distribuées aux élèves pour créer une fleur, appelée

« fleur des langues ». Les élèves ont rempli chacun une pétale en inscrivant le nom des langues

selon un code couleur précis : une compétence pour une couleur mais autant de langues qu'ils le

souhaitent par compétence. Les pétales ont été assemblés autour d'un cœur où se trouve les

compétences et le code couleur. La fleur a ensuite été accrochée sur la porte de la classe, côté

extérieur, à la vue de tous. La difficulté réside dans le fait de faire prendre conscience aux élèves de

leur propre plurilinguisme mais également de ne pas oublier la dimension collective de celui-ci.

1.4.3 Activité 3: le bonhomme des langues

La finalité de cette activité a été de faire réaliser à chaque élève un dessin permettant de faire

ressortir les représentations de chacun vis-à-vis des langues de leur propre répertoire linguistique.

Elle s'est déroulée en différentes étapes.

Dans un premier temps, deux images ont été projetées au tableau. Elles représentaient

l'expression « il pleut des cordes » sous forme de dessins dans deux langues distinctes : le français

et l'anglais. Collectivement, les élèves ont décrit et comparé les images. Ils se sont interrogés alors

sur le sens de celles-ci, en ayant pour seule indice le fait qu'elles représentent une expression. Le

mot expression restant à définir, il l'a été par le biais d'invention de titres à l'image comme « la pluie

imaginaire ». L'expression ainsi devinée en français et en anglais, les élèves ont pu alors donner

cette expression dans une autre langue connue mais également des expressions du même ordre.

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Image 3 : Dessin de Nedka

Page 47: Gestion des langues en présence dans une approche du

Elles ont été données en français et dans d'autres langues. Chacune a été écrite au tableau par

l'élève, lue par l'élève et expliquée en français par l'élève, pour donner accès au sens à ses

camarades. L'objectif est de remettre à profit les connaissances des élèves pour décrire et comparer

une image.

Dans un deuxième temps, l'activité a porté sur les parties du corps humain et du visage en

français, avec de nouveau un travail sur les expressions. Les élèves ont du compléter un dessin de

corps humain et un autre d'un visage avec le vocabulaire approprié, les parties voulues étant

pointées par des flèches. Suite à une correction commune, il a été demandé aux élèves s'ils

connaissent des expressions en français comportant des parties du corps. Pour compléter leurs

connaissances, ils ont du par groupes regrouper des étiquettes, regrouper l'expression et sa

définition. Après vérification s'est effectué alors un échange collectif autour des expressions

trouvées. Puis il a été demandé aux élèves de réfléchir aux expressions qu'ils pourraient utiliser

pour mettre en relation leur représentation d'une langue et une partie de leur corps.

Par exemple, associer l'expression « traîner des pieds » à la partie du corps des pieds en fléchant la

langue anglaise, pour exprimer le manque d'envie d'apprendre cette langue. Ils se sont représentés

sur un dessin et ont fléché selon leur choix les langues pour les associer à une partie de leur corps.

Les langues qui doivent figurer sur le dessin sont les langues citées auparavant sur la fiche

individuelle remplie lors de l'activité de la fleur des langues, car elles représentent le répertoire

linguistique de chaque élève. Pour pouvoir prendre connaissance de ces représentations, des

entretiens individuels ont été réalisés par la suite. Chacun à leur tour, les élèves ont été appelés

pour réaliser un entretien avec l'enseignant. La difficulté a été de faire s'exprimer les élèves le plus

librement et le plus sincèrement possible en créant un espace propice à une expression libre et

spontanée. Pour cela, des paravents ont été disposés autour de la table pour les isoler du reste du

groupe. Le questionnaire de l'entretien n'était pas prédéfini, pour rebondir sur chaque intervention

de l'élève et ne pas manquer d'à propos ou de réflexion. L'objectif était de faire ressortir les

représentations des langues des élèves (comprenant celles du français), pour qu'ils se rendent

compte que ces représentations intervenaient et influençaient leur apprentissage du français et des

langues en général et que l'enseignant puisse connaître ces représentations et en tenir compte dans

son enseignement. L'entretien découlant des propos des élèves, nous pouvons également préparer

les activités à venir en fonction, et poser des questions auxquelles nous n'avions pas forcément

pensé (comme par exemples le lieu d'utilisation des langues, les personnes avec qui les langues sont

utilisées etc.).

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Page 48: Gestion des langues en présence dans une approche du

1.4.4 Activité 4: le dessin réflexif

Il a été demandé aux élèves du dispositif de dessiner leur plurilinguisme puis de le

commenter et le décrire devant le collectif. L'objectif de ce dessin a été d'amener les élèves à

réfléchir sur leur utilisation des langues et plus particulièrement sur la gestion de cette utilisation

qu'ils mettaient en œuvre selon les contextes. Une question leur a été posée : « comment gérez-vous

vos langues dans votre tête? ». Pour les aider dans leur réalisation, un rappel des activités effectuées

a été organisé, en utilisant et guidant les souvenirs des élèves sur celles-ci. Le but de ce récapitulatif

était de faire ressortir les notions de compétences, de représentations et de choix d'utilisation d'une

langue selon le lieu et/ou l'interlocuteur, écrites au tableau. La notion de plurilinguisme a également

été définie et posée pour les amener à voir que toutes ces notions intervenaient dans leur gestion

d'utilisation des langues et donc qu'ils géraient tous d'une manière personnelle leurs langues. Un

exemple a également été donné par l'enseignant qui a expliqué son propre dessin réflexif répondant

à la question posée et a présenté la proposition de deux autres dessins afin de donner des pistes aux

élèves. L'échange collectif qui a suivi la réalisation des dessins réflexifs a permis aux élèves de

décrire et d'expliquer leur gestion des langues, en ayant la possibilité d'interroger l'élève passant

devant le groupe pour approfondir ou éclaircir un point, tout comme l'enseignant. Des entretiens

individuels avec l'enseignant pour dialoguer sur le dessin aurait pu être une troisième étape mais

n'ont pas eu lieu, par manque de temps. Les éléments donnés dans les entretiens précédents couplés

aux informations données par la mise en commun collective ont pour autant été assez suffisants

pour définir les réponses de chaque élève.

48

Image 4 : Dessin réflexif d'Edna

Page 49: Gestion des langues en présence dans une approche du

1.4.5 Activité 5: la charte des langues

L'objectif de l'activité était de produire une charte régissant l'utilisation des langues au sein

d'un contexte plurilingue, celui de l'UPE2A. Les élèves devaient prendre conscience qu'une gestion

de l'utilisation des langues était nécessaire dans un contexte plurilingue et notamment dans un

contexte d'apprentissage du français plus spécifiquement. L'objectif a été présenté aux élèves en

définissant le mot « charte » qui a pris sens grâce à la charte du collège présente dans le carnet de

correspondance de chaque élève. Pour approfondir le thème de la charte, un diagramme circulaire a

été projeté au tableau. Il représentait les langues en présence dans la classe (en excluant le français)

selon le nombre de locuteurs de ces langues (majoritairement lusophones puis arabophones). Les

élèves ont commenté ce diagramme, en remarquant que les langues sont classées de la majorité à la

minorité. Ils ont été ensuite orientés sur les conséquences positives et négatives possibles de

l'utilisation des différentes langues dans la classe. Naturellement et grâce au sujet de la

prédominance de certaines langues qui a été abordé pendant l'entretien de l'activité du bonhomme

des langues, ils ont échangé sur les problèmes apparus en classe sans altercation et s'écoutant avec

attention. Ils ont pu conclure que l'utilisation des langues, autres que le français partagé par tous,

peut, si celles-ci sont utilisées à mauvais escient, provoquer des tensions, des violences et de

l'exclusion. Ils ont contextualisé ces répercussions au sein de l'UPE2A comme au sein du collège ou

de la société en générale, ce qui a permis de faire apparaître la nécessité d'un choix de langues non

seulement au sein de l'UPE2A mais également en dehors de celle-ci. Ils ont été unanimes sur la

nécessité de réguler l'utilisation des langues et sur le bienfait qu'apporterait une charte pour

améliorer la cohésion du groupe et améliorer l'ambiance de travail. Ils se sont tous engagés à signer

49

Image 5 : Charte d'utilisation des langues premières

Page 50: Gestion des langues en présence dans une approche du

la charte, accrochée par la suite dans la classe.

L'utilisation des langues a été divisée en trois pôles : travail en groupe, travail collectif et

travail individuel. Un premier groupe s'est occupé de définir la première charte concernant les

langues autres que le français, en mettant comme entête : « J'utilise les langues pour ... ». Une

version papier a été conçue par la moitié du groupe pendant que le groupe restant concevait une

version informatique, imprimée et collée dans le cahier de tous. Un deuxième groupe s'est occupé

de définir la charte concernant l'utilisation du français, en mettant comme entête : « Je privilégie le

français pour ... ». Une version papier et une version informatique ont été également réalisées.

Cette activité a permis aux élèves de prendre conscience de l'importance des choix de

langues dans un contexte plurilingue d'apprentissage mais également dans un contexte sociétal

plurilingue lui aussi. Elle a également permis à l'enseignant de réduire les tensions possibles en

améliorant la cohésion du groupe classe, en se référant si besoin à cette charte qui, signée, devient

un engagement pris par les élèves de la respecter.

2. Méthodologie de construction et d'analyse des données

2.1 Une méthode qualitative

Nous avons adopté une démarche qualitative pour produire et analyser des données à partir

des réactions des élèves participant aux activités précédemment développées et de leurs

productions. L'objectif de ces analyses était, dans un premier temps, d'identifier les difficultés et

bénéfices engendrées par l'utilisation des langues des répertoires linguistiques des élèves dans

l'enseignement et l'apprentissage du français. Dans un deuxième temps, l'objectif était d'analyser les

conséquences de cette identification dans la gestion de l'utilisation des langues de la part de

l'enseignante mais également de la part des élèves, entraînant parfois une évolution des pratiques

d'enseignement et d'apprentissage.

2.2 Le recueil des données

Au cours des activités précédemment développées nous avons collecté et sélectionné

quelques dessins réflexifs, ainsi que les prises de notes concernant les observations et les entretiens

réalisés. Le recueil de ces données avait pour but de permettre l'analyse des activités, et de mettre en

exergue les résultats de celles-ci sur l'utilisation des langues en présence et leur gestion au sein du

dispositif.

50

Page 51: Gestion des langues en présence dans une approche du

Chapitre 3 – Mise en lumière des conséquences de l'utilisation des langues en présence sur l'apprentissage et l'enseignement de l'UPE2A et de la gestion en découlant

1. Analyse des activités observées

1.1 Analyse des activités articulées autour du plurilinguisme

1.1.2 Dessiner le mot femme : représentations, langues, et cultures

Lors d'une séquence dédiée à la Femme, la première consigne a été la suivante : dessiner le

mot « femme ». La réalisation est individuelle et la présentation (et explication) orale du dessin

réalisé est collective. Cette activité s'inspirait du dessin réflexif, « outil pour (faire) comprendre et

(faire) analyser un certain nombre de phénomènes associés à la mobilité [...] » (Molinié M. 2009 :

11). Ici, l'objectif initial de l'enseignante est de faire découvrir aux élèves les stéréotypes et les

représentations qu'ils ont sur la femme en général. Après réflexion, elle y a ajouté une seconde

consigne, incluant une approche plurilingue : en plus de demander aux élèves de dessiner le mot

femme, elle leur a demandé de dessiner également le mot « femme » traduit dans une langue de leur

choix. Le résultat attendu est le même : faire prendre conscience aux élèves de leurs stéréotypes et

représentations, en ajoutant un lien possible entre langue et culture, une langue pouvant être

porteuse de représentations et stéréotypes culturels. Les élèves ont donc du réfléchir à leurs images,

leurs « préjugés » à partir de leurs langues et de leurs cultures pour faire le lien entre toutes ces

notions. Quant à l'enseignante, elle a du, elle aussi, réfléchir sur ses propres projections sur les

cultures présentes dans la classe et ainsi requestionner son positionnement par les différents

éléments de réflexion qu'apportent les élèves au travers de leurs réponses.

La réalisation individuelle des dessins a posé quelques problèmes pour les élèves car elle

n'était pas prévue et pas préparée par eux. L'enseignante n'a délibérément pas prévenu ces élèves de

l'activité et a dévoilé le mot « femme » au tableau au dernier moment. La surprise était l'effet

recherché pour que les dessins et réactions soient les plus spontanés et les plus naturels possibles.

L'élève n'a pas eu le temps de réfléchir auparavant au dessin qu'il allait créer, imaginer, et n'a pas eu

le temps d'en parler avec ces pairs et de possiblement modifier ses choix. Cependant, l'activité ayant

duré plusieurs séances, il est évident que ces précautions ont été compromises au fur et à mesure des

séances car ils ont pu en échanger entre chaque. Cette difficulté du dessin réflexif est presque

inévitable, l'important étant que l'enseignante en tienne compte et conserve le fil conducteur de la

51

Page 52: Gestion des langues en présence dans une approche du

première consigne. Les activités sont longues et les entrées et les sorties presque constantes de la

classe sont un paramètre supplémentaire à intégrer dans le suivi de cette activité.

La difficulté de représenter le mot femme a été majeure pour Diana, adolescente venant de Madère,

qui a peiné pour sa conception. Elle dessine le décor par un nuage et un soleil puis dessine, gomme,

redessine, regomme, en manifestant sa gêne par un soupir. L'enseignante lui demande ce qui ne va

pas: « je ne sais pas quoi dessiner ». Pour l'apaiser, elle lui donne la possibilité de dessiner un point

d'interrogation pour manifester son trouble. Diana refuse et finit par réaliser un dessin. Si tous les

autres élèves ont réussi à dessiner, l'enseignante, comme les élèves, ont eu du mal à mettre en image

une représentation, de conscientiser celle-ci afin de pouvoir la dessiner. Le dessin est une autre

forme d'expression difficile à appréhender mais permettant de montrer que les mots ne sont pas le

seul moyen de communiquer ou d’exprimer une pensée, un ressenti.

La deuxième étape a été de traduire le mot femme : la difficulté est venue du choix de la langue, de

la langue en elle-même en identifiant si oui ou non un changement de vision / de représentation

intervenait selon la langue utilisée.

Certains élèves ont eu beaucoup de difficultés pour choisir la langue du deuxième dessin, comme

Alou et Precious. Si Precious réussit à choisir une unique langue, cela n' a pas été le cas d'Alou

décidant, malgré les consignes, d'utiliser deux langues et non une. Cette étape montre le lien affectif

des élèves avec leurs langues et l'impossibilité de choisir, comme si leur identité était plurielle et

non unique. Precious a pu se résoudre à utiliser une langue, une identité, tandis qu'Alou, lui, n'a pas

pu mettre en second plan une identité « double » et s'en séparer symboliquement pour l'activité.

Ricky, lui, a choisi l'anglais. Sa difficulté a été de déterminer si le mot femme en français se

traduisait par « woman » ou « female ». L'enseignante a alors tenté de comprendre avec lui si les

deux mots représentaient la même chose en anglais d'abord, et si l'un des deux correspondait mieux

à la définition qu'il avait du mot femme en français, pour choisir le plus adéquat. Après analyse, il a

choisi le mot « woman » et l'a dessiné facilement.

Après avoir défini quelle langue serait utilisée pour le deuxième dessin, les élèves se sont interrogés

sur le fait de créer ou non un nouveau dessin, en se demandant si le changement de langue entraîne

pour eux un changement de représentation de la femme et donc un dessin différent du premier. La

majorité des élèves ont été catégoriques : le dessin change et ils dessinent le nouveau ou bien le

dessin ne change pas et ils ajoutent à côté du mot femme la traduction dans leur langue.

Pour Nadji, la frontière entre sa représentation du mot français et du mot en arabe est floue, il a du

mal à définir clairement les différences qu'il pourrait apporter à ses dessins. Cependant, après

réflexion, il décide quand même de faire deux dessins malgré le peu de clarté de ce choix. Il est

possible que dessiner ses représentations lui ait créé une difficulté, qu'il ait eu du mal à surmonter la

52

Page 53: Gestion des langues en présence dans une approche du

mise en dessin de ces pensées. Mais qu'il décide de dessiner deux dessins pour rendre présente la

langue arabe semble démontrer, comme pour Alou auparavant, la volonté de ne pas mettre à part

une langue et une identité. Pour Zineb, la réalisation du premier dessin a été rapide. L'enseignante

lui propose alors de faire d'abord la deuxième étape, de traduire ce mot et de faire ou non un autre

dessin correspondant. Zineb a alors gommé le mot femme de son premier dessin et l'a remplacé par

le mot en arabe et en kabyle puis elle a entrepris la conception d'un nouveau dessin pour « sa

nouvelle représentation » du mot en français. La double traduction affiche clairement un

attachement et une identité linguistique forte et revendiquée. Le fait de gommer le mot français pour

le remplacer par ses traductions montre que ses représentations restent dans ce cas centrées sur ses

langues (arabe et kabyle) d'où elles découlent et qu'elle n'a pas encore effectué de pont entre celles-

ci et celles associées au français. Ce n'est qu'en ayant la consigne de représenter le mot en d'autres

langues qu'elle a pris conscience, comme l'enseignante, du fait qu'elle avait bien une représentation

pour la langue française dissociée de ses autres langues. Elle a alors effectué un décloisonnement

dans ses représentations, en les associant à une partie de son répertoire linguistique, en ne prenant

plus seulement en compte celle de l'arabe et du kabyle auxquelles elle s'identifie spontanément.

La présentation orale et collective des dessins a permis aux élèves et à l'enseignante d'être

confrontés à l'altérité, de pouvoir la questionner et la remettre en question. La présentation est en

effet suivi d'une discussion collective, pour répondre aux diverses questions, pour permettre un

échange d'avis et de points de vue mais également pour partager des anecdotes, des faits culturels

présent au travers des dessins. La description des dessins permet aussi de réinvestir du lexique déjà

connu et d'en apprendre du nouveau. Pour rendre la présentation orale et la mise en commun

efficace et productive, l'enseignante a posé certaines règles : être à l'écoute et parler en français. Elle

rappelle que l'utilisation des langues autres peut créer des tensions, que le français est la langue qui

unit le groupe et que tout le monde le comprend et le parle. Il a été important de rappeler ce postulat

et surtout dans une approche plurilingue de montrer que la langue française n'est pas supérieure aux

autres mais uniquement celle de l'union et celle visée par l'apprentissage. L'usage des langues autres

a été cependant autorisé pour demander une traduction à des pairs, dans le but d'être

compréhensible par tous et compris. L'enseignante a également soutenu les élèves dans leur

présentation, en les guidant, en leur posant des questions, pour les aider à mettre en mots leurs

idées. Les guider est aussi le moyen de les aider à faire apparaître des représentations et/ou des

stéréotypes, qu'ils auraient pu omettre ou ne pas dire par un simple manque de vocabulaire par

exemple.

La présentation orale et la mise en commun ont permis de faire ressortir plusieurs éléments. Tout

53

Page 54: Gestion des langues en présence dans une approche du

d'abord, la majorité des élèves voient leurs représentations de la femme changées selon la langue

utilisée pour en faire le dessin. Les autres, comme Mohamed, disent simplement « une femme reste

une femme », avec une vision universelle de celle-ci. Ce changement est principalement du au fait

que les élèves placent derrière la langue une culture et un pays précis. La langue est parlé dans tel

pays, elle représente de fait la culture de ce pays. Une langue est associée à un pays, comme

Precious et l'igbo au Nigéria, ou Mariam avec le soninké au Mali. La langue peut également être

associée à une ville, comme Kaba et le bambara / soninké à Bamako. Permettre aux élèves de

choisir la langue pour concrétiser le concept « femme » a obligatoirement fait apparaître des

éléments personnels comme des souvenirs du pays d'origine et des souvenirs familiaux. Mariam a

représenté la femme de Bamako dans sa chambre, avec toute la décoration et les accessoires

dessinés. Elle a alors raconté le souvenir du parfum d'intérieur (qu'elle a apporté au cours suivant

pour le faire sentir à la classe) ou encore le souvenir des murs colorés des maisons. Sa sœur

Mariam, quant à elle, a représenté sa mère au Mali lorsqu'elle était petite, en détaillant sa tenue et

son maquillage et en précisant « ça c'est avant qu'on vienne France ». Ces remarques font émergé

des éléments culturels et familiaux passionnants pour la classe exprimant aussi avec émotion la

migration et le poids des souvenirs. L'histoire culturelle et langagière des élèves sont prises en

compte, et permettent aux élèves de faire part à leurs pairs de celles-ci. Une langue est aussi

porteuse du parcours migratoire des élèves, et des raisons de cette migration, comme chez Najm

Edin. Son dessin représente le mot « femme » en langue arabe, et place la femme en Syrie, sur le

marché, dans une tenue particulière qu'il a voulu décrire et expliquer. Avec l'aide de l'anglais et de

l'arabe, la classe a compris que la tenue représentée était la tenue des femmes avant le conflit syrien

et que celle-ci a aujourd'hui évolué à cause du conflit. La raison de sa migration vers la France a été

évoquée, ce qui a été très rarement le cas, le traumatisme étant encore très prégnant. Il a été

essentiel de laisser l'adolescent s'exprimer et de briser la barrière de la langue pour le laisser parler

librement et lui permettre de lâcher des émotions ancrées à lui.

Les représentations de la femme ont été parfois identiques, comme pour Edna et Nedina, qui ont

dessiné «la mudjer» (créole portugais) dans des plantations et dans la même tenue vestimentaire,

typique de leur pays d'origine, le Cap-Vert. Une langue peut donc amener à des représentations

identiques. Le mot « femme » en français est également porteur de représentations. Dans le cas de

Nedina, le mot « femme » a pris la forme d'une patineuse et s'y est totalement identifiée. La

patineuse aurait pu être elle. Pour Simone, la femme c'est sa mère au parc avec elle à ses côtés. Lors

de ces explications, elle a situé son dessin au Portugal, le deuxième dessin («la mulher» en

portugais) est sis au Cap-Vert, toujours en se représentant, avec sa sœur cette fois.

L'enseignante lui a alors posé diverses questions et Simone a pu dire que oui elle est « restée au

54

Page 55: Gestion des langues en présence dans une approche du

Portugal ». Elle ne parvient pas à se projeter dans son pays d'accueil mais dans son pays d'origine,

le Cap-Vert, et aussi dans son premier pays d'accueil, le Portugal. Cette impossibilité à se projeter

en France traduit visiblement un rejet en lien avec difficulté de s'intégrer, de se sentir « chez soi ».

Pour terminer, l'enseignante a effectué durant la séance un point avec les élèves, pour les aider à

prendre conscience du lien souvent décrit entre langue-culture-pays et le « poids » de la culture dans

une langue. Elle leur a montré que l'activité aurait pu être poursuivie par l'introduction d'une

troisième consigne : représenter la femme en France. En n'utilisant pas la représentation de la

« femme » écrit en français, mais de la femme écrit dans une autre langue. Cette activité aurait pu

permettre aux élèves de continuer leur réflexion, et de voir possiblement leur vision de l'intégration

en France.

1.1.2 Le son « oi » : activité phonétique et démarche comparative

L'activité a été mise en place de manière spontanée par l'enseignante pour corriger une

erreur de prononciation récurrente chez les élèves, celle du son « oi ». Elle a appliqué la méthode de

Nathalie Auger et a proposé une comparaison des systèmes phonétiques de la langue française et

d'autres langues en présence dans le dispositif, par le biais d'un tableau à construire. En effet, « tout

apprentissage repose, consciemment ou non, sur une comparaison entre le ou les systèmes

langagiers préexistants et la langue à apprendre » (Auger, 2005). L'erreur de prononciation devient

le moteur de l'apprentissage et de l'enseignement et permet une comparaison entraînant un travail

sur les similitudes et les différences des systèmes phonétiques étudiés. L'activité renforce « (la)

capacité d’observation, d’analyse, (et) de mise en relation des langues » (ibid.). La réalisation de

cette activité a fait apparaître des difficultés pour l'enseignante comme pour les élèves, mais

également des surprises.

La spontanéité de la mise en place de l'activité a en fait créé une difficulté. Elle est dans

l'approche plurilingue : une erreur, une difficulté peut apparaître sans crier gare et devoir être traitée

« sur le tas ». Aucune préparation n'a été faite et le risque pris est que l'activité ne soit pas adaptée et

soit incomprise par les élèves et donc finalement non productive. Le fait de ne pas la préparer peut

également rendre moins lisible l'attrait de l'activité. Capter l'attention et l'intérêt des élèves par des

supports inexistants ou du moins non préparés devient plus aléatoire.

La mise en place d'une activité phonétique est aussi une difficulté supplémentaire que

l'enseignante contourne en refusant d'utiliser l'Alphabet Phonétique International (API) non maîtrisé

par les élèves et mais qui peut faciliter l'accès au sens et à la réalisation de l'activité. Le son « oi »

55

Page 56: Gestion des langues en présence dans une approche du

étant composé de deux phonèmes, l'enseignante a pris le parti de simplifier l'activité en découpant

ce phonème en deux : le phonème « o » et le phonème « i », afin que les élèves prennent conscience

de leurs réalisations phonétiques seules et rassemblées et leur montrer que l'assemblage de ces deux

sons produit le son « oi ». Un tableau a été dessiné et complété au tableau (annexe 3).

La comparaison s'appuie sur le système phonétique français et celui d'autres langues en présence

dans le dispositif. L'enseignante laisse le choix aux élèves pour élire les langues qu'ils souhaitent

voir apparaître dans l'activité. Cette liberté est une difficulté en plus pour l'enseignante qui doit

gérer l'afflux de proposition, chaque élève proposant une voire plusieurs langues. Afin de faciliter la

réalisation de cette activité, elle a donc demandé qu'un seul élève se porte volontaire pour

représenter une langue et compléter la case correspondante dans le tableau. Pour gérer une certaine

frustration chez certains élèves locuteurs de ces langues, elle propose parallèlement à un autre élève

d'être attitré comme correcteur, comme la personne qui validerait ou invaliderait la proposition faite

au tableau. L'élève représentant et l'élève correcteur sont tous deux placés dans un rôle d'expert, les

rendant ainsi « plus actif(s) dans le processus d'apprentissage » (ibid.) et plus légitimes. Ce rôle

d'expert peut être positif pour l'apprentissage du français mais peut également représenter une

difficulté pour l'enseignante et un frein pour les élèves. En effet, donner le rôle d'expert aux élèves

entraîne la perte de ce rôle pour l'enseignante elle-même qui doit accepter de ne plus être maître du

savoir et faire confiance à ses élèves. Une relation de confiance se créée et bénéficie positivement à

l'apprentissage. Néanmoins, ce rôle d'expert peut aussi être remis en cause par les élèves eux-

même : lors de l'activité, ils ont reconnu avoir parfois des difficultés pour identifier les sons dans

une langue donnée. Cependant, ce rôle d'expert les valorisant et les motivant, ils ont trouvé les

moyens de contourner la difficulté en utilisant par exemple le dictionnaire bilingue ou unilingue à

leur disposition. Pour gérer les nombreuses propositions, l'enseignante a du parfois se confronter à

la frustration des élèves et leur apprendre à la gérer. Elle a refusé, par exemple, de mettre toutes les

langues proposées lorsque le tableau a été complet. Chaque élève a le désir de représenter sa ou ses

propres langues qu'ils voient comme représentative(s) de son identité linguistique. Ne pas la voir

inscrite au tableau peut les frustrer et provoquer un repli identitaire, qui n'est évidemment pas le but.

L'affect est en effet très lié aux langues, comme par exemple pour Ketia qui demande à mettre dans

le tableau « le français congolais » qui est la même langue, avec des variantes, mais pour elle une

langue différente puisque sa langue. Une frustration d'un autre genre est exprimé avec Mariam, qui

se trouve confronté au fait de ne pas savoir écrire le soninké, la langue qu'elle souhaite représenter,

sa langue. Elle est triste et se sent à part des autres élèves car « sa » langue ne pourra jamais

apparaître au tableau sous forme écrite et donc ne pourra laisser une trace durable, au contraire des

autres langues. L'identification a cette langue est forte, revendiquée, mais limitée par cette

56

Page 57: Gestion des langues en présence dans une approche du

incapacité à l'écrire. Afin de l'aider dans sa quête d'identité et de reconnaissance, nous avons réussi à

trouver l'alphabet soninké ainsi qu'un imagier. A travers ces documents, elle a pu apprendre avec

son père comment écrire le soninké et venait à chaque cours avec ceux-ci pour pouvoir écrire si

besoin. Contrairement à ces élèves, Diana refuse, elle, de faire apparaître le papiamento au tableau.

Frustration, identité et refus d'utilisation sont des réalités à prendre en compte dans l'activité.

Lors de la conception du tableau et du choix de langues (majoritairement langues premières /

maternelles ou en cours d'apprentissage), Miguel, lusophone, a voulu remplir la case de la langue

arabe. Nadji, arabophone, est choisi comme correcteur. Nadji a été surpris de la quasi exactitude de

la réponse : « c'est presque ». La deuxième surprise a été pour l'enseignante en constatant un

changement radical dans l'attitude de Miguel. Auto-centré sur le portugais l'année précédente, il est

fier maintenant de maîtriser quelque peu l'arabe : « je suis trop fort en arabe wallai ». L'enseignante

a constaté objectivement son ouverture à l'altérité et l'en a félicité. Ce cas cité montre que les élèves

dans et hors de la classe ont des contacts linguistiques divers et s'en enrichissent mutuellement,

qu'une identité linguistique peut évoluer, et qu'un rejet peut s'estomper et se transformer en

enrichissement. On observe au travers de ce dispositif que les langues sont objets de curiosités pour

beaucoup et qu'apprendre d'autres langues ou les langues des ami(e)s est un objectif recherché par

certains.

Cette activité a été un succès, réitérée par la suite. En effet, impliquer chaque apprenant dans

l'apprentissage et impliquer l'identité de chacun permet d'aiguiser leur attention et leur envie de

découvrir encore mieux sa (ou ses) propre(s) langue(s) et celle(s) de (ou des) autre(s).

1.2 Analyse des activités mobilisant le plurilinguisme

1.2.1 Activités favorisant l'inclusion des nouveaux élèves

A/ Prise en binôme de Najm Edin et Ricky : favoriser l'entraide

L'arrivée de nouveaux élèves dans l'unité reste une difficulté pour l'enseignant comme pour

les élèves arrivants. S'intégrer et les intégrer au dispositif est essentiel et parfois compliqué car il est

nécessaire de faciliter leur intégration dans un groupe déjà constitué et de les amener rapidement au

même niveau d'apprentissage que les plus anciens. Afin de pallier à ces difficultés, l'enseignante

décide alors de prendre en binôme Najm Edin (arrivé mais n'ayant quasiment aucune maîtrise du

français) et Ricky (arrivant et sans maîtrise du français). Pour que l'enseignement soit efficace et

57

Page 58: Gestion des langues en présence dans une approche du

permette un accès rapide au français, l'enseignante décide de mettre en place une stratégie en

s'appuyant sur l'anglais maîtrisé par les deux élèves. Cette stratégie, adéquate, était comme imposée

par les élèves : à l'écrit comme à l'oral, pour communiquer, se comprendre et se faire comprendre,

les élèves usent de l'anglais. Elle est leur langue d'appui pour l'accès au français et la langue qui

permet de se l'approprier. La difficulté est de faire prendre conscience aux élèves que l'anglais n'est

qu'une langue d'appui, une aide pour leur apprentissage du français et non la langue visée. Elle ne

doit pas dominer le français mais l'enrichir, les porter vers la réussite. Après un certain temps,

l'enseignante a du prendre des dispositions avec ces deux élèves, en leur imposant l'entrée dans la

langue française : elle interdit aux élèves (et à leurs pairs) d'utiliser l'anglais. La décision est

clairement autoritaire mais se révèle positive en évitant un repli sur l'anglais et en créant un accès au

français que les élèves semblent dorénavant mieux maîtriser et utiliser spontanément. Le

regroupement en binôme est aussi positif pour Najm Edin. Dans une position difficile et

dévalorisante au sein de l'unité depuis son arrivée, n'ayant aucune maîtrise du français et ne pouvant

être suivi individuellement, il a été confronté à une incompréhension face aux apprentissages et de

fait à une intégration difficile. Son isolement, palpable, est difficile à vivre : il essaie constamment

d'attirer l'attention sur lui, en se levant, en parlant etc. La construction de ce binôme lui a donné un

rôle de parrain pour Ricky et c'est lui pour la première fois qui aide. Il entre dans une position

valorisante avec le sentiment de posséder des compétences en français qu'il peut maintenant

transmettre. Il en ressort plus confiant envers ses capacités et ce changement de posture se voit

immédiatement dans sa maîtrise du français qui paraît plus solide.

B/ Inclure dans une activité en groupe : usage d'une langue vernaculaire

Dans le cadre de la séquence didactique sur la Femme, les élèves ont suivi des activités

amenant à la conception de portraits de femmes. L'activité qui nous préoccupe consiste à

différencier différents types de portrait (peinture, photographie, littérature), en les présentant et en

les décrivant. Elle a été réalisée en plusieurs groupes.

Un des groupes est un groupe unilingue, composé de quatre élèves lusophones dont deux

nouveaux arrivés. Pour les élèves, les difficultés ont été de comprendre les consignes, les

explications, les descriptions et de rédiger en français leurs portraits. Les difficultés sont plus ou

moins importantes selon les élèves: les anciens peuvent aider les nouveaux. L'entraide est réelle

notamment grâce à l'utilisation du portugais autorisée par l'enseignante pour faciliter l'apprentissage

et non faciliter les bavardages. Le portugais doit favoriser la cohésion du groupe mais ne pas

empêcher la présence du français. Le portugais est la langue d'appui, pour tous, et la langue d'accès

58

Page 59: Gestion des langues en présence dans une approche du

au sens pour le français. L'enseignante a du prêter particulièrement attention à faire le lien entre le

portugais et le français, que ce soit à l'oral ou à l'écrit. En expliquant et faisant traduire le portrait

littéraire ou en présentant et décrivant les autres, elle devait passer au dessus du sens. Les élèves

doivent comprendre ce qui est dit et écrit mais doivent également faire la correspondance entre le

sens portugais et l'écrit ou oral en français. La méthode s'appuyant sur l'usage d'une langue

vernaculaire peut poser des difficultés à l'enseignante car ne la maîtrisant pas, elle ne peut pas tout

contrôler et vérifier. Mais le choix d'employer la langue vernaculaire pouvait également poser des

difficultés aux élèves eux-mêmes, en risquant de fixer des connaissances uniquement dans cette

langue et non en français.

C/ Inclure en classe entière : apparitions de plusieurs difficultés

Afin de mener à bien l'activité du bonhomme des langues (voir 1.3.3, chapitre 2), une des

étapes réalisée est une activité sur des expressions françaises en lien avec les parties du corps. Au

départ, l'activité est en binôme pour regrouper des étiquettes entre expressions et définitions. La

mise en commun est collective. Chaque élève doit lire aux autres une expression et sa définition,

pour travailler la lecture et la phonétique. Ricky, nouvel élève, refuse de lire. Par timidité ? Par

difficulté ? L'enseignante lui propose alors de lire pour elle, se place à ses côtés pour créer une

forme d' intimité et qu'il accepte ainsi de réaliser l'exercice. Le regard des autres est un paramètre

majeur à prendre en compte dans l'apprentissage : le sentiment de honte possible face aux autres

(souvent en lien avec une insécurité linguistique très présente), à un âge auquel l'importance du

regard des autres sur soi est capital sont des points importants à comprendre et respecter dans le

quotidien. Cette insécurité linguistique est illustrée avec Diana qui pose une question à ses amies en

portugais et qui refuse de la traduire en français car selon ses mots elle « ne savait pas ».

L'enseignante ne peut à ce moment précis lui apporter son aide. L'usage des langues déjà connues

est dans ce cas un frein à l'enseignement. Par la suite, l'utilisation des langues en présence a été un

frein à l'apprentissage. Simone, lusophone, utilise le portugais de manière continue. Elle ne faisait

pas l'effort de parler en français, par confort ou par difficulté ? La question était donc pour

l'enseignante de comprendre pourquoi Simone privilégie en permanence l'usage du portugais afin

d'éviter un possible repli identitaire et linguistique. Pour s'approprier le français, il est indispensable

qu'elle accepte d'entrer dans la langue et d'utiliser à bon escient le portugais.

La présence de Ricky et de Najm Edin entraîne également l'utilisation de l'anglais pouvant aider à la

compréhension de l'activité. Pour Najm Edin, l'arabe est également une langue de soutien, d'appui

pour la compréhension. L'usage de l'arabe créée une situation d'entraide avec les autres élèves

59

Page 60: Gestion des langues en présence dans une approche du

arabophones et le désigne spontanément comme expert et comme « enseignant », puisque

l'enseignante elle-même ne maîtrise pas la langue. Cette situation d'expert est positive pour les

élèves qui se sentent valorisés et plus confiants dans leur apprentissage du français. Mais est

apparue lors de cette activité une controverse amenée par Mohamed qui dit « en avoir marre de

traduire pour Najm Edin ». Aider un pair par l'usage d'une langue peut aussi vécu comme une

compétition et devient un obstacle dans l'usage du plurilinguisme. Cette rivalité se concrétise par un

refus d'utiliser une ou des langues. Face à toutes ses langues, l'enseignante doit maîtriser la

prédominance des langues pour laisser sa place au français qui, malgré l'utilisation du

plurilinguisme, reste l'objectif d’apprentissage du dispositif.

1.2.2 Activités réalisées en groupe

A/ Groupe plurilingue : lutte contre le communautarisme et exclusion

Afin de réaliser une activité, la classe est découpée en plusieurs groupes par l'enseignante.

La tâche est d'écrire collectivement des phrases comprenant les mots d'une dictée effectuée

précédemment et de réunir collectivement ces phrases pour en faire un paragraphe et créer une

histoire. Le groupe observé est constitué de cinq personnes, trois lusophones et deux anglophones :

le groupe est donc plurilingue. Pour veiller à la cohésion et à la réalisation collective du travail

demandé, un chef de groupe est désigné par l'enseignante.

La première constatation a été de voir les élèves se regrouper instinctivement en groupes de

langues : celui des lusophones et celui des anglophones. Le groupe n'est plus une entité mais

divisée en deux par l'utilisation de langues différentes pour réaliser la tâche mais également pour

bavarder. La création d'un groupe plurilingue a entraîné le regroupement communautaire et

linguistique des élèves, constat négatif tant pour les élèves que pour l'enseignante. En effet, la

consigne d'effectuer collectivement la tâche n'est pas respectée et l'unité désirée du groupe est

inexistante. L'utilisation des langues des répertoires linguistiques autres que le français nuit à la

cohésion et à la réalisation collective de l'activité. L'enseignante est donc intervenue pour réguler

l'utilisation des langues et faire prendre conscience aux élèves, qu'en plus de ne pas respecter la

consigne, ils étaient dans une dimension négative du plurilinguisme, qui au lieu de réunir exclut.

Elle s'adresse alors au chef du groupe, Nedina, en lui demandant quelle langue il faudrait utiliser

pour que tous les élèves du groupe puissent communiquer et participer ensemble à la réalisation de

la tâche. La réponse a été le portugais et l'anglais, certains élèves maîtrisant l'une ou l'autre.

60

Page 61: Gestion des langues en présence dans une approche du

L'intention est bonne pour elle, pour communiquer avec chaque élève du groupe choisi, mais pas

avec l'ensemble du groupe. L'enseignante a du lui expliquer, comme à tout le groupe, que faire ce

choix allait toujours exclure des élèves et qu'il fallait trouver la langue qui allait unir. Le choix s'est

donc porté sur le français qu'ils reconnaissent comme appartenant aux répertoires linguistiques de

tous. Les élève ont pris conscience que le choix de langue était donc important pour travailler en

groupe, pour ne pas exclure (en plus des affinités) une ou plusieurs personnes par un choix

linguistique inapproprié. L'enseignante quant à elle a pris conscience que les groupes plurilingues

pouvaient devenir une source d'exclusion et de difficultés et qu'il sera nécessaire que les élèves

apprennent à travailler ensemble. Pour anticiper ce risque d'exclusion, elle a modifié, pour certains

cours, la disposition de la classe afin de « mélanger » les élèves, en luttant contre le

communautarisme et le regroupement linguistique et en privilégiant pour certaines activités les

groupes plurilingues plutôt qu'unilingues.

En démontrant aux élèves l'importance d'un choix de langue(s) selon les interlocuteurs,

l'enseignante a constaté d'autres difficultés. Elle explique que l'utilisation d'une langue qu'un

interlocuteur ne comprend pas peut le mettre mal à l'aise, peut le faire mal interpréter les propos, et

risquer ainsi d'en plus de se sentir exclu, avoir le sentiment d'être insulté, moqué. Faisant cela, elle a

été confrontée à la relation affective qu'entretiennent certains élèves à leurs langues. Simone,

lusophone, réagit à cette intervention en se sentant visée personnellement : « Pourquoi quand je

parle portugais les gens pensent qu'on les insulte? ». Elle explique qu'elle a l'impression qu'utiliser

le portugais est toujours mal vu par les autres élèves et de fait mal vécu par elle-même. Il a fallu que

l'enseignante exemplifie la situation par un exemple avec une autre langue pour que Simone

comprenne que le problème n'était pas « sa » langue mais les malentendus dus à l'incompréhension.

Il est important d'éviter qu'elle rejette sa langue, la voyant comme un problème pour l'apprentissage

et le quotidien, ou au contraire qu'elle rejette le français par peur de perdre cette langue et son

identité linguistique associée. La langue utilisée pour donner un exemple autre que l'usage du

portugais a été le bulgare. L'enseignante a demandé à Nedka de prononcer une phrase en prenant

une intonation pouvant faire penser à une insulte, une moquerie. Elle refuse. Apparaît une nouvelle

difficulté : l'élève semble avoir honte de parler en bulgare et refuse de l'utiliser. Pour qu'elle dépasse

son blocage, l'enseignante lui propose de lui prononcer à elle pour qu'elle puisse répéter aux autres.

Nedka accepta. L'utilisation des langues déjà connues dans l'apprentissage (et l'enseignement) du

français apparaît comme un frein à celui-ci, l'utilisation pouvant être rejetée par l'élève, pour des

raisons qui restent inconnues, l'élève ne l'ayant pas expliqué. Il est apparu alors à l'enseignante

comme aux apprenants que cette réaction était possible, même au sein d'un dispositif valorisant les

langues de chacun.

61

Page 62: Gestion des langues en présence dans une approche du

B/ Groupe unilingue : mise en place de stratégies d'apprentissage pour surpasser l'insécurité

linguistique

L'activité consiste à rédiger une histoire en groupe, la constitution de celui-ci étant libre.

Nedina et Edna décident de se mettre ensemble. Ce choix est révélateur pour l'enseignante. Il

s'effectue par affinités mais également en lien avec la langue : les deux élèves sont lusophones. Ce

choix peut renvoyer à un regroupement linguistique et communautaire, qui peut être un atout

comme un point faible pour l'apprentissage du français. Dans ce cas particulier, le regroupement des

deux élèves est vu comme un point fort par elles-mêmes. Elles le disent ainsi : « on n'est pas sûre en

français ». L'insécurité linguistique est présente, elles doutent et ont peur de l'erreur. Pour y faire

face elles développent une stratégie, celle d'écrire d'abord chacune de son côté une histoire en

portugais, puis de les mettre en commun, et pour finir de traduire ensemble l'histoire commune en

français. Que la stratégie soit efficace ou non, elle permet aux élèves d'en développer une, de mettre

à profit leurs compétences pour essayer d'améliorer leur apprentissage du français et de réaliser le

plus correctement possible la tâche demandée. En utilisant le portugais et en effectuant la traduction

en groupe, elles contournent la difficulté de leur maîtrise du français qu'elles jugent insécure et

tentent donc de dépasser par elles-mêmes leur propre insécurité linguistique. N'étant pas intervenue

pendant la réalisation de l'activité, l'enseignante a permis aux élèves de mettre en place une stratégie

d'apprentissage de leur propre initiative. En leur demandant pourquoi elles l'ont fait ainsi, elle leur a

permis de mettre en mots leur insécurité linguistique. Le travail en groupe de ces deux élèves se

révèle productif et enrichissant pour leur apprentissage du français en leur permettant de prendre en

compte leurs compétences et en utilisant une langue en commun de leurs répertoires linguistiques

(le portugais) d'en faire une force. Le travail en autonomie des élèves apparaît essentiel dans

l'apprentissage du français.

1.2.3 Activités de l'unité de soutien linguistique : remédiation aux difficultés par une démarche comparative

Lors de l'observation des activités proposées au sein de l'unité de soutien linguistique,

l'utilisation du plurilinguisme des élèves est apparu comme uniquement voué à résoudre une

incompréhension, une difficulté, une erreur récurrente des élèves en français. Contrairement à

l'UPE2A, les langues autres que le français sont rarement convoquées et n'apparaissent plus comme

un objet de curiosité. Le français domine. L'usage des langues déjà connues des élèves est

62

Page 63: Gestion des langues en présence dans une approche du

uniquement destiné à entreprendre une comparaison des systèmes linguistiques afin de résoudre le

problème donné. Cette démarche est une démarche comparative, correspondant à celle de Nathalie

Auger, « Comparons nos langues ». Elle est en effet « «centrée sur la comparaison des langues en

présence dans le dispositif UPE2A » (Auger, 2005), et s'appuie sur le postulat que « tout

apprentissage repose, consciemment ou non, sur une comparaison entre le ou les systèmes

langagiers préexistants et la langue à apprendre » (ibid.), en l'occurrence le français. Comme le

préconise Auger, l'usage de cette méthode n'est pas à pratiquer de manière permanente par

l'enseignante mais à utiliser « quand une erreur surgit, qu'un nouveau point (grammatical,

orthographique …) semble délicat à adopter (et) que les enfants ne paraissent plus entrevoir la

raison de tel ou tel apprentissage » (ibid.).

Les activités portent sur les temps du passé, plus précisément sur l'imparfait et le passé-

composé. Lors d'une activité, une élève éprouve des difficultés à comprendre l'existence de deux

temps différents pour évoquer le passé. L'enseignante a donc mis en place une démarche

comparative en tentant de voir si la difficulté venait d'une différence entre le système linguistique

français et le système linguistique ukrainien, langue choisie par l'élève pour effectuer cette

comparaison. Grâce à l'identification de cette différence, l'élève a compris d'où venait sa difficulté et

a pu la dépasser. Elle est désormais consciente de devoir être plus attentive lorsqu'elle utilise les

temps du passé pour ne pas faire d'erreur provenant directement de transferts entre l'ukrainien et le

français. Lors d'un autre exercice, les élèves doivent rédiger un texte au passé racontant un souvenir.

Une élève propose son texte au tableau et la correction est collective. Une difficulté est apparu sur

la différence non perçue par l'élève entre « comme » et « comment » : « après, comment ça faisait

mauvais temps ». Afin de chercher si la cause de l'erreur a pour source la langue portugaise,

l'enseignante propose de nouveau une approche comparative. L'élève écrit alors en portugais une

phrase avec « comme » et une phrase avec « comment ». Les deux termes sont identiques,

« como ». L'élève fait, elle aussi, des transferts du portugais au français et doit donc être vigilante

sur l'utilisation de ces deux mots en français. Les élèves ont compris que les langues déjà connues

peuvent être un appui pour faciliter la compréhension des erreurs mais qu'elles peuvent également

être porteuses d'erreurs par des calques erronés. Il aurait pu être pertinent de montrer aux élèves que

ces erreurs faisaient parti de leur interlangue, représentant leur langue à l'instant T. Cette interlangue

admettant des interférences entre les langues de leur répertoire linguistique, il aurait pu être ainsi

valorisé, comme l'erreur. L'interlangue est possiblement évolutif : si l'erreur est découverte et

expliquée, elle peut être corrigée. L'interlangue et les erreurs peuvent être une force dans

l'apprentissage du français. L'interlangue est une réalité pour tout locuteur, et pas seulement porteur

d'erreur : il peut être une richesse pour l'apprentissage.

63

Page 64: Gestion des langues en présence dans une approche du

1.2.4 Les cahiers : gestion écrite des langues

Le ramassage des cahiers est un rituel organisé par l'enseignante, plusieurs fois au cours de

l'année, afin de vérifier leur entretien et de corriger de possibles erreurs. Ce ramassage régulier est

le seul moyen de repérer et de conserver une trace écrite du plurilinguisme des élèves, le second

étant le tableau ou les brouillons des élèves qui sont jetés ou effacés suite à la réalisation d'activités,

le français étant obligatoire et l'unique langue des évaluations. Le plurilinguisme apparaît par la

présence de différentes langues du répertoire linguistique de certains élèves autre que le français. La

présence de ces langues est un choix personnel des élèves car elle n'est soumise à aucune

interdiction dans le cadre du cahier. Le français est obligatoire mais les autres langues sont

autorisées.

Lors du ramassage observé, quatre cahiers sont concernés : celui de Razi, Mariam, Precious,

et Nadji. Dans les cahiers de Razi et Mariam, seule la langue française apparaît. Cette unique

utilisation permet à l'enseignant de s'interroger sur ce choix des élèves. Pourquoi n'utilisent-ils que

le français ? Cela vient-il du fait que le cahier est celui du français et ils leur semblent donc normal

de n'utiliser que le français ? Ou y a-t-il d'autres raisons : le français devient-il dominant ? Les

élèves jugent-ils inutile de s'aider d'autres langues, à l'écrit ? L'enseignante doit tenter de répondre à

ces questions pour si besoin permettre un ajustement. Pour cela, il faudra donc qu'elle interroge les

élèves sur ce choix, qu'ils explicitent la (les) raison(s) de cette utilisation unique de la langue

française. L'inspection des cahiers est un outil utile pour l'enseignante. Elle a pour limite qu'elle

peut ne rien apporter à l'élève lui-même car cette vérification des cahiers ne demande pas à l'élève

une réflexion, une explicitation des choix, et donc ne permet pas une prise de conscience.

Cependant, il se peut également que les élèves soient conscients des motivations les amenant à faire

un choix de langue, mais il ne l'explicite que si l'enseignante leur demande. Si l'on prend en compte

son impact possiblement nul sur les élèves, l'inspection des cahiers s'avère limité dans son

utilisation.

Dans les cahiers de Precious et Nadji, le constat est différent : d'autres langues que le

français apparaissent. Le plurilinguisme représente uniquement un plurilinguisme personnel et non

celui de la classe : les langues utilisées appartiennent aux répertoires linguistiques de chaque élève.

La différence entre les deux cahiers est que Precious utilise l'anglais et l'igbo, qui sont des langues

qu'elle maîtrise et que l'on pourrait qualifier de langues maternelles, alors que Nadji utilise

l'espagnol, une langue aujourd'hui en cours d'apprentissage au collège. Cette différence montre bien

à l'enseignante que la langue maternelle peut être ou non un repère, un recours dans l'apprentissage

de la langue française car une langue « déjà quelque peu là » (Castellotti, 2001b) peut le devenir

64

Page 65: Gestion des langues en présence dans une approche du

également. L'enseignante peut donc identifier des langues auxquelles se réfèrent les élèves à cet

instant « T » et ajuster ainsi ces activités en fonction, pour renforcer cet appui et améliorer ainsi leur

apprentissage du français.

2. Analyse des activités dispensées

2.1 Les boîtes : donner une place aux langues déjà connues

La première activité mise en place est présentée sous forme de trois boîtes : une boîte

« messages », une boîte « remarques/avis » et une boîte « questions ». Le principe est simple : les

élèves sont invités à déposer des papiers dans ces boîtes s'ils veulent s'exprimer (principalement) sur

un point abordé en classe. Cette activité est le point de départ d'une séquence dédiée au

plurilinguisme et conçue selon une approche plurilingue. Elle a pour objectif principal de donner

leurs places aux langues déjà connues et en cours d'apprentissage et ceci dès le début. L'acquisition

du français étant l'objectif du dispositif, il faut pour autant reconnaître l'existence et l'utilisation de

tous les répertoires linguistiques et non uniquement du français pour apprendre le français. Pour

cela, les messages peuvent être écrits dans la langue choisie par l'élève lui-même. Les réactions ont

été assez nombreuses et régulées par les activités développées par la suite qui attisent la curiosité et

un questionnement de la part des élèves.

Cette activité a plusieurs bénéfices pour l'enseignante. Elle permet une réflexivité sur son

propre enseignement et d'ajuster si besoin les activités en cours ou celles à venir. Elle permet aussi

de se rendre compte de l'état d'esprit des élèves face à l'apprentissage, face à leur scolarité en

décodant des remarques comme par exemple : « J'aime beaucoup l'école. J'espère qu'un jour je serai

médecin pour sauver des vies. » (message en créole portugais et en portugais d'Edna), « J'aime

l'école car je suis une bonne élève » (message en anglais et en igbo de Precious). Néanmoins,

l'activité nécessite une préparation permettant d'anticiper les difficultés : l'usage des langues autre

que le français implique une recherche de traduction (et de traducteurs) obligatoire par

l'enseignante, qui pose plus ou moins de difficultés selon les langues utilisées. L'activité est aussi un

risque pris par l'enseignante de recevoir des remarques hors sujets, désobligeantes, l'anonymat étant

toléré voire préconisé pour une expression moins limitée et par la totale autonomie donnée.

Du point de vue des apprenants, l'activité a eu des répercussions uniquement positives. En

permettant aux élèves de déposer des messages librement et anonymement, ils ont pu ainsi

s'exprimer, poser des questions et aussi demander de l'aide. Par exemple, Najm Edin a écrit un

65

Page 66: Gestion des langues en présence dans une approche du

message (en arabe) pour dire qu'il ne comprenait pas la leçon. L'usage de toutes les langues leur a

permis de ne pas se heurter à la barrière de la langue et surtout de se sentir valoriser. Il est en effet

important aux élèves d'affirmer leur langue, en laissant des messages tel que « bonjour » en bulgare,

en bambara et en soninké. Mariam a, par exemple, laissé un message avec écrit seulement

« soninké ». L'enseignante n'a pas immédiatement compris la raison de ce dépôt mais on peut

penser que Mariam veut simplement nommer sa langue, en mettant au départ sa seule dénomination

puisqu'elle ne sait pas l'écrire. Veut-elle aussi montrer sa tristesse de ne pas savoir l'écrire ( comme

il a été possible de s'en rendre compte plus tard) ? Lorsqu'elle a eu l'occasion d'apprendre à écrire le

soninké, deux nouveaux messages ont surgi: le mot pied et bonjour en soninké.

L'usage du bulgare a aussi été une surprise car à l'oral l'élève refuse de l'utiliser. Elle a exprimé par

ce biais, son attachement à sa langue par l'écrit, en le partageant avec l'enseignante.

Les questions, toutes écrites en français, reflètent le questionnement et la réflexion dont les élèves

font part au cours de leur apprentissage. Elles sont en lien avec leurs pays d'origines mais également

avec le pays d'accueil ou le pays de pairs. Par exemple : « pourquoi on parle français dans notre

pays? (référence à l'Algérie) », « est-ce que le créole français est un mélange de langues

africaines? », autant de questions reflétant le besoin des élèves de comprendre le sens des langages

employés dans tel ou tel pays. Ces attitudes constructives et spontanées montre que l'altérité est

respectée, source de curiosité et enrichie par les réponses apportées.

La limite de cette activité est en premier lieu l'impossibilité de répondre à toutes les questions

posées à cause du manque de temps et que l'anonymat rend difficile un retour possible (si

nécessaire) sauf si l'identité peut être devinée.

2.2 La fleur des langues : représenter le plurilinguisme

Cette activité s'est déroulée en trois étapes : une analyse comparative, un remplissage de

fiches individuelles et une conception de pétales assemblées pour former la fleur. L'objectif final de

l'activité est de créer un objet collectif représentant les plurilinguismes individuels et le

plurilinguisme collectif du dispositif. Chaque étape a ses propres objectifs, et implique un

cheminement vers l'apparition et la prise de conscience des plurilinguismes.

En premier lieu, une analyse comparative des différentes langues en présence dans le

dispositif a été organisée. Elle a pour but d'amener les élèves à réfléchir, analyser et parler sur les

langues et leurs langues et dans le même temps de faire apparaître les compétences langagières. Ce

premier travail s'inspire de la méthode « Comparons nos langues » de Nathalie Auger, prônant

66

Page 67: Gestion des langues en présence dans une approche du

l'analyse comparative des systèmes linguistiques pour impliquer l'élève dans son apprentissage et

lui faire acquérir des compétences métalinguistiques (et linguistiques). Afin de créer et montrer le

lien entre les cinq différentes activités « plurilingues », la base de l'activité de comparaison a été un

message pris dans une boîte. Le message est en arabe et écrit en calligraphie arabe. L'élève qui a

déposé ce message, Mohamed, a été invité par l'enseignante à venir au tableau et à devenir expert et

représentant de la langue arabe. Ce déroulement a suscité un réel intérêt de la part des élèves, tous

très actifs. Deviner ce que peut signifier la phrase, proposer la phrase dans leur langue, définir les

différences et similarités entre les langues a créé une participation collective dynamique et sans

conflit. L'altérité est présente, respectée par tous et objet de curiosité. Par cette phase de

comparaison, les élèves ont pu prendre du recul sur leur(s) propre(s) langue(s) pour la (les)

comprendre et l'(les) analyser, mais également pratiquer sur d'autres langues pour enrichir leurs

connaissances ou en créer. L'enseignante, en retrait, régule l'activité pour orienter si besoin les

interventions des élèves vers les points essentiels de différenciation et convergence des langues et

pour mettre en mots les compétences langagières. En faisant face à leurs difficultés pour

comprendre le message inscrit au tableau, les élèves ont abordé différents points des systèmes

linguistiques tel que la syntaxe, le sens d'écriture, les alphabets ou encore la phonétique. A la

question de l'enseignante, « d'après vous, pourquoi je vous fait faire ça » (travail de comparaison),

les élèves ont répondu:

- « pour comprendre les règles dans les langues »

- « on va apprendre un peu la langue des autres »

- « pour découvrir des choses ».

Ils ont découvert dixit « comment on écrit dans d'autres langues, comment on lit, comment on

prononce ». Ils sont alors capables de définir les bénéfices que leur apporte cette analyse

comparative et de définir certaines compétences langagières, sans que l'enseignante ne les aide. Les

élèves prennent conscience et utilisent leurs propres connaissances, leurs compétences déjà

acquises, qu'elles soient linguistiques ou métalinguistiques. Ils mettent en place, de manière quasi

autonome, une compétence plurilingue en faisant des déductions, des liens entre les systèmes

linguistiques en s'appuyant sur les leurs. Grâce au travail fait quasiment en autonomie, les élèves

s'impliquent et se définissent comme experts, valorisant ainsi leurs savoirs.

Malgré l'investissement certain des élèves et le bon déroulement de l'activité, l'enseignante a

pourtant rencontré des difficultés, et a du se remettre en question pour ajuster son enseignement. Le

principal obstacle identifié est tout d'abord que l'activité se fait à l'aveugle. La langue sur laquelle

elle se base n'est pas connue de l'enseignante hormis la traduction. Elle a du se baser sur ses propres

acquis et sur des déductions. Les objectifs sont définis mais la réalisation est entièrement

67

Page 68: Gestion des langues en présence dans une approche du

dépendante des élèves et de leurs réactions. Le but n'est pas de donner les réponses aux élèves, mais

de les faire trouver par eux-mêmes, en les faisant réfléchir et analyser indépendamment de l'adulte

présent. Ce choix entraîne une planification à minima de l'activité et une position de retrait pour

l'enseignante qui confie presque totalement son rôle d'expert aux élèves. Pour la première fois

confrontée aux langues en présence, l'enseignante a eu du mal à gérer l'afflux de celles-ci. Le

recentrage sur les compétences langagières a été difficile et sûrement pas assez contraignant. La

comparaison doit en effet être sous-jacente à la recherche de celles-ci et non dominante. De plus, la

trace écrite, importante pour fixer les savoirs des élèves, n'a pas pu être définie avant mais s'est faite

en fonction des interventions. L’enseignante a hésité et pas ne s'est pas montré suffisamment

explicite suffisamment explicite. Un compte-rendu aurait du être distribué antérieurement pour

compléter cette trace écrite. Ce compte-rendu aurait également pu rendre une place à l'apprentissage

du français un peu plus grande, en demandant par exemple aux élèves d'écrire les comparaisons

entre les langues en présence et le français, invoquées à l'oral mais sans trace écrite. Ce travail

aurait également pu faire l'objet d'un travail en groupe plurilingue, pour accentuer le lien entre

langue identitaire et langue française.

Suite à l'analyse comparative, les élèves ont complété une fiche individuelle présentant les

différentes compétences langagières définies antérieurement (annexe 4). L'objectif est pour

l'enseignante de dresser l'état des lieux des langues en présence dans le dispositif et de faire

apparaître aux élèves leur plurilinguisme. Les élèves remplissent en effet chaque compétence

langagière par la (ou les) langue(s) correspondante(s). Ils précisent leur propre répertoire

linguistique, qui n'est plus uniquement constitué de leurs langues maternelles mais également de

langues en cours d'apprentissage, et / ou de langues de leurs pairs. Ils découvrent que le

plurilinguisme n'est pas « parfait » mais qu'il est un ensemble de langues disposant de compétences

potentiellement différentes. La réalisation des pétales individuelles a permis de représenter ce

répertoire linguistique selon un code couleur. L'analyse des pétales a permis à l'enseignante de

constater la présence de 21 langues dans l'unité et des trois langues majoritaires en nombre de

locuteurs: le portugais, l'arabe et l'anglais. Elle a pu ainsi avoir une vue d'ensemble du répertoire

linguistique collectif et voir où les difficultés peuvent apparaître : les langues porteuses de conflits

par leur usage majoritaire, les possibles regroupements communautaires, les éventuelles exclusions,

le possible afflux de langues lors d'activités. Les pétales permettent aussi à l'enseignante de voir la

place du français dans le répertoire linguistique de chaque élève, à quelles compétences ils sont

associés et ainsi les apprenants définissent leurs difficultés en langue française, pour en tenir

compte par la suite dans les activités collectives mais surtout individuelle pour améliorer

l'apprentissage de chacun en mettant plus ou moins l'accent sur le développement de certaines

68

Page 69: Gestion des langues en présence dans une approche du

compétences. Le français manquait également sur trois pétales, posant l'interrogation de cette non

présence, oubli ou volontaire ?

Enfin, pour ne pas oublier la dimension collective du plurilinguisme, les pétales furent toutes

assemblées pour créer une fleur. La fleur fut accrochée sur la porte de la classe, côté extérieur, pour

valoriser les langues et le plurilinguisme, et représenté l'UPE2A comme un lieu de diversité

linguistique positive revendiquée.

2.3 Le bonhomme des langues : langues et représentations

L'objectif de cette autre activité est de faire apparaître, aux élèves et à l'enseignante, les

représentations en rapport avec les langues des répertoires linguistiques du dispositif. Diverses

séances ont été nécessaires et l'activité a été divisée en quatre autres : décrire et comparer des

images, travailler le lexique du corps humain, réaliser un dessin et réaliser un entretien individuel

entre élève et enseignante.

L'exercice de description et comparaison des images a permis de mettre en place la

définition du mot « expression », avec la notion d'imaginaire, de représentation, indispensable pour

réaliser par la suite le dessin demandé. Elle a permis également de réinvestir des connaissances pour

décrire, comparer, mettre en lien l'activité avec celles proposées par l'enseignante titulaire. Le

plurilinguisme apparaît évidemment, en permettant un échange sur les expressions dans différentes

langues et celles en français, pour déjà faire prendre conscience aux élèves de certaines

représentations associées aux imaginaires des langues. Le travail sur le lexique du corps humain et

du visage a permis de recentrer l'activité sur la langue française en travaillant uniquement sur des

expressions et du lexique en français, dans le but de préparer les élèves à l'entretien et de rester dans

une dynamique d'apprentissage du français. Cette activité a également été rattachée à

l'interdisciplinarité, le lexique pouvant être réinvesti dans d'autres disciplines telle que les Sciences

de la Vie et de la Terre (SVT). Apparaît également une dimension importante de l'enseignement en

UPE2A : la différenciation pédagogique. L'activité propose aux nouveaux élèves et aux élèves en

cours d'alphabétisation de disposer d'étiquettes comportant le lexique pour center le travail sur la

reconnaissance et la mise en lien avec l'image et non sur l'écriture ou la recherche de lexique. La

tâche est ainsi adaptée aux apprentissages en améliorant l'accès au sens et l'acquisition du lexique en

français. Après avoir travaillé sur le lexique, l'exercice est recentré à nouveau sur le plurilinguisme

et rattaché à la thématique des expressions. Les élèves doivent réaliser leur dessin, nommé

« bonhomme des langues », en se représentant et en reliant une ou plusieurs langues à une ou

69

Page 70: Gestion des langues en présence dans une approche du

plusieurs parties de leur corps. La fiche individuelle de l'activité de la fleur des langues est

réinvestie et les langues sont présentes sous un angle différent : celui des représentations.

L'enseignante a proposé son propre dessin pour expliquer la consigne et les attentes et permettre aux

élèves de bien comprendre avec un exemple concret. Il a fallu cette explication pour que les élèves

puissent réaliser leurs dessins. Beaucoup de réflexions ont nécessaires aux élèves pour associer

langue, partie du corps et ressenti (sous la forme de l'expression). La difficulté émerge au moment

de mettre en lien leurs représentations / leurs ressentis sur les langues, mais également sur

l'utilisation d'expressions françaises en cours d'acquisition. Afin de dépasser des blocages probables

liés à la langue, l'enseignante leur a proposé de ne pas obligatoirement utiliser d'expressions si

d'autres mots pouvaient les définir sous une autre forme.

Après ce premier travail, des entretiens individuels ont été organisé. L'enseignante a créé un

espace isolé dans la classe pour être à l'abri du regards et des oreilles des pairs et pour éviter de

possibles interruptions. L'élève, par cette installation, se sent plus à l'aise et se peut confier s'il en

ressent le besoin dans un cadre formalisé. La préparation de ces entretiens par l'enseignante a été

minime. Elle a fait le choix de rebondir instantanément sur les propos des élèves, tout en sachant

que ses interventions sont là pour guider l'élève à expliquer le mieux possible ses choix et ses

représentations. Les seules questions préparées sont celles demandant l'avis des élèves sur les

activités développées précédemment et leur avis sur la prédominance de certaines langues, ceci dans

le but de préparer l'activité de la charte. La prédominance a été découverte grâce à la fleur des

langues mais également par la vie de classe. L'utilisation du portugais a été notamment visé par des

critiques et créatrice de conflits. Il a été nécessaire que l'enseignante « prépare le terrain » pour la

charte, en ayant déjà recueilli des éléments de lusophones et de non lusophones et en tentant de voir

si les représentations changent sur cette langue par exemple ou si cette prédominance peut nuire à

l'apprentissage du français. Ces questions permettent à l'enseignante d'ajuster l'utilisation du

plurilinguisme et aux élèves de mettre des mots sur leurs émotions.

L'activité a été adaptée pour Ricky, nouvellement arrivé et sans maîtrise du français. Les activités ne

doivent pas exclure mais au contraire permettre à tous de participer et de réfléchir. La difficulté

pour Ricky est uniquement la langue : l'enseignante lui demande quelle langue il souhaite

communiquer, l'anglais ou le français. Il propose que l'enseignante lui parle en anglais et que lui, lui

réponde en français. Il a ainsi accès au sens par l'anglais et peut néanmoins apprendre en français en

tentant de s'exprimer dans cette langue. La réalisation a été difficile, mais de gros efforts sont

déployés. Cette activité a aussi permis l'apparition d'une nouvelle langue dans un répertoire

linguistique, celui de Beatriz. Elle a mis sur son dessin le madérien. Elle explique le mettre

uniquement maintenant car elle n'avait pas la traduction de ce mot en français. L'activité est donc

70

Page 71: Gestion des langues en présence dans une approche du

propice à une réflexion déjà mise en place, sur les langues présentes dans les répertoires

linguistiques des élèves.

2.3.1 Représentations des élèves et langue française

Dans un dispositif visant l'acquisition du français, il est évident que les représentations que

se font les élèves de cette langue importent, non seulement aux élèves, mais aussi à l'enseignante.

Les représentations positives ou négatives jouant forcément dans l'apprentissage, l'enseignante, en

les connaissant, peut ajuster son enseignement pour si besoin le modifier. Les attitudes des élèves

face à leur apprentissage peuvent découler de ces représentations, être un élément de motivation ou

au contraire un frein.

Sur les neuf élèves ayant passé l'entretien, seule une élève, Helin, n'a pas placé le français

sur son dessin. Cette élève est également celle qui n'a pas mis le français sur sa pétale (activité de la

fleur des langues). L'enseignante peut alors penser qu'Helin ne considère pas le français comme

faisant partie de son répertoire linguistique. En discutant avec l'enseignante titulaire, l'explication

éventuelle peut venir du fait qu'Helin a mis plus d'une année à rentrer dans le français, avec de

grosses difficultés, et que le travail est encore en cours. Pour les huit autres, le français est

représenté et associé à différentes parties du corps : la main, le pied, la tête ou encore le cœur. Le

français est mis en relation avec leurs sentiments, leurs compétences et leurs besoins. Le français est

décrit comme une langue aimée, appréciée, ou au contraire « pas trop » pour ce qui concerne

Simone. L'affectif est un facteur prédominant dans leur apprentissage. Le français est aussi vu en

rapport avec les compétences : certains élèves ont pu évoqué leurs difficultés à l'écrire et / ou à la

parler, ce qui peut influer sur leurs ressentis. Mais malgré les difficultés, les élèves ne disent pas

pour autant ne pas aimer le français. Pour finir, les élèves ont désigné le français pour se faire

comprendre des autres, pour travailler à l'école ou encore pour s'intégrer. Mohamed place alors le

français à ses pieds en le justifiant ainsi : « Mis à mes pieds, car j'ai besoin de mes pieds, j'ai besoin

de la langue ».

2.3.2 Avis des élèves sur les activités menées

L'entretien a permis à l'enseignante de demander aux élèves leurs avis sur les activités

menées afin de pouvoir les ajuster et analyser les effets de l'approche plurilingue sur les élèves.

71

Page 72: Gestion des langues en présence dans une approche du

Un seul avis négatif a été formulé, celui de Mourad : (les activités) « ça sert à rien ». Les

autres sont positifs avec des justifications diverses : pour certains, les activités leur permettent de

découvrir des nouvelles langues et d'en apprendre, l'apprentissage de nouvelles langues étant vu

important et utile pour voyager. Pour d'autres, elles permettent d'aider à comprendre les langues et

le français. Plusieurs élèves ont également défini ces activités nouvelles et intéressantes. Beatriz a

pu dire qu'elle n'avait jamais fait ce genre d'activités auparavant, à Madère. Pour finir, une élève a

fait part de son envie de voir les langues valorisées et présentes dans la classe de rattachement:

« j'aimerais que ça arrive dans les autres classes » (Helin). L'enseignante a pu conclure sur un

résultat majoritairement positif de cette approche plurilingue, l'intérêt et les utilités possibles étant

citées par tous. La seule réserve reste que les élèves sont centrés essentiellement sur les langues

autres que les langues de leurs propres répertoires linguistiques. Il faudra donc modifier et affiner

l'approche pédagogique pour montrer aux apprenants que ces activités peuvent également leur être

utiles pour analyser et comprendre leurs propres langues et le français, et pas uniquement des

nouvelles.

2.3.3 Entretien individuel avec Nadji

Sur son dessin (annexe 5), Nadji a choisi de faire apparaître cinq langues : l'espagnol, le turc,

le français, l'indien, et l'arabe algérien.

Il a choisi de commencer l'explication de son dessin par le français. Il rapporte avoir oublié

de le placer lors de la conception du dessin, alors qu'elle est « le plus important », car c'est la langue

qu'il apprend. Il la place dans le cœur car il aime cette langue, et « parce qu'(il est) dans la France

pour apprendre le français, qui est une langue facile à apprendre ». L'enjeu de l'apprentissage du

français est pour lui l'intégration dans son pays d'accueil.

L'arabe est quant à lui qualifié d'arabe « algérien », car « il vient d'Algérie ». Il tient à

différencier l'arabe algérien de l'arabe. La langue est placé dans le cœur « parce que je l'aime» et

« parce que dans mon pays j'apprends l'arabe ». Le lien affectif pour une langue et le sentiment

d'appartenance à celle-ci et à un pays est ici fortement exprimé. Le lien avec le lieu d'utilisation de

cette langue est également évoqué ainsi que les interlocuteurs avec qui il l'utilisait. L'arabe est la

langue qu'il parle à la maison et avec les « autres algériens », notamment ses camarades de

l'UPE2A. Placée dans sa tête ce positionnement traduit aussi qu'elle reste dans sa tête, qu'il ne

l'oublie pas et ce grâce à l'utilisation faite à la maison. Il ajoute que l'arabe est aussi un objet de

curiosité pour ses pairs, en UPE2A et dans la classe de rattachement, qui lui demandent parfois de

72

Page 73: Gestion des langues en présence dans une approche du

leur apprendre des mots, jeu auquel il se prête volontiers, ces demandes valorisant sa langue et son

identité. Grâce à cela, le français peut être à la même place que l'arabe, Nadji précisant ne faire

aucune préférence entre l'une ou l'autre. Une langue constituant son identité linguistique peut donc

recevoir les mêmes considérations qu'une langue en cours d'apprentissage.

L'espagnol est placé dans les épaules. « C'est la première fois que je l'apprends » et elle

« ressemble un peu au français et un peu à l'algérien ». L'espagnol est en effet une langue en cours

d'apprentissage dans sa classe de rattachement depuis le début de l'année. Parler des ressemblances

entre les langues permet de comprendre que Nadji est conscient du réinvestissement possible de ses

compétences déjà acquises en langue dans l'apprentissage d'une nouvelle, d'où la présence de

l'espagnol dans son cahier.

Le turc est situé au même endroit que l'espagnol, dans les épaules. Il a entendu cette langue

grâce à sa camarade Helin et d'autres élèves de sa classe de rattachement. Cette langue est un objet

de curiosité, et d'intérêt. Des ressemblances sont repérées comme la manière identique de dire

bonjour en turc ou en arabe. Nadji est ouvert à l'altérité et semble s'en enrichir d'un point de vue

langagier mais aussi culturel.

Cette ouverture à l'altérité est également représenté par l'indien, langue qu'il entend « dans la

ville ». Cette remarque montre sa sensibilité au plurilinguisme dans son quotidien hors scolaire. Il

sait qu'il ne peut pas le parler ou le comprendre mais il aime le reconnaître.

2.4 Le dessin réflexif : gestion des langues par les élèves

Dans une approche plurilingue cherchant à faire ressortir la gestion de celui-ci, il a été

indispensable de proposer aux élèves une activité leur permettant d’appréhender la gestion de leur

propre répertoire linguistique. Cette activité est celle du dessin réflexif. La question posée par

l'enseignante est la suivante: « comment gérez-vous vos langues dans votre tête? ». Les élèves ont

du y répondre sous forme de dessins.

L'activité commence par un récapitulatif des trois activités précédentes pour rappeler les

notions de compétence et de représentation. Le terme « bilingue » est évoqué pour la première fois

par Nedina. L'enseignante définit ce terme aux autres élèves et propose celle de plurilingue. Les

élèves se reconnaissent comme tels. Il est en effet important que les élèves connaissent cette notion

pour se définir et définir leur identité plurilingue.

La question sema le trouble parmi les élèves. Comprendre le sens de la question et la

consigne a été difficile. Pour leur donner des pistes et un accès à la compréhension, l'enseignante

73

Page 74: Gestion des langues en présence dans une approche du

propose à la demande des élèves (et parce qu' elle l'avait aussi prévu) plusieurs exemples de dessins

répondant à la question (son propre dessin et deux autres réalisés au même moment). La difficulté

étant de ne pas influencer les élèves, et de risquer d'être uniquement copié, que les dessins ne

représentent pas la propre réflexion de l'élève mais celles des auteurs des exemples proposés. Il a

été difficile pour les élèves de répondre spontanément et sans réflexion préalable à cette consigne.

Le manque de temps pour cette activité a un impact dans sa réalisation, avec une réflexion peu

poussée et probablement des points non abordés car non réfléchis. Cependant, grâce à la mise en

commun, les élèves comme l'enseignante ont pu se faire une idée suffisante et voir apparaître les

différentes gestions personnelles des langues. Les élèves réalisent qu'ils sont capables de développer

une gestion personnelle efficace de la langue, tout comme l'enseignante. Nous allons maintenant

analyser un dessin, pour illustrer une réponse et faire un récapitulatif de l'échange collectif.

2.4.1 Dessin réflexif de Simone

Le dessin de Simone (annexe 6) représente un paysage. Elle y fait apparaître plusieurs

langues : l'espagnol, le portugais, l'anglais, le créole et le français. Le choix de ces langues indique

que Simone possède une gestion spécifique pour ces langues là et pas pour toutes les langues

évoquées dans sa fiche individuelle (activité de la fleur des langues). Elle exclut donc ces langues

de sa gestion et de « ses langues » (en référence à la question posée). Exclure devient ainsi une

forme de gestion des langues, celles-ci ne lui paraissant pas essentielles. Sur le dessin, elle se

représente avec sa sœur. Un lien avec sa vie personnelle est effectué pour définir sa propre gestion

des langues. Le rapport avec la question posée est qu'elle montre ainsi qu'elle fait le choix d'utiliser

une langue ou une autre selon l'interlocuteur (dans le cas de sa sœur, le portugais). En pensant

gestion des langues, Simone pense également à sa migration et met le portugais dans les nuages

pour représenter le fait que lorsqu'elle voit un avion elle pense au Portugal. La langue est donc

associée au pays dans lequel elle est parlée. Le lieu serait alors possiblement déterminant pour

l'utilisation d'une langue. Cette réflexion est poursuivie par le placement du français dans les

arbres : « il y a beaucoup d'arbres en France ». De plus, la gestion des langues est clairement liée à

l'affectif : le créole est placé sous sa silhouette car elle est la langue qu'elle aime, et qu'elle pense

toujours en créole. Les langues sont donc contraintes à une hiérarchisation, affective et également

posée en terme de compétence. Elle pense toujours en créole, cette langue serait donc la plus

maîtrisée et sûrement la plus présente dans ses apprentissages en langue.

74

Page 75: Gestion des langues en présence dans une approche du

2.4.2 Récapitulatif de la mise en commun

Pour répondre à la question « comment gérez-vous vos langues dans votre tête? », la

majorité des élèves a proposé un dessin représentant leurs têtes, certains autres non, en choisissant

de placer leur gestion des langues dans un paysage, dans un arbre, sur la Lune ou encore dans des

objets. L'imaginaire est ainsi convoqué. Par exemple, Nadji représente la Lune en rapport avec un

fait historique : les premiers pas sur la Lune et le dépôt d'un drapeau sur celle-ci. Cette illustration

peut laisser penser que l'apprentissage des langues ou sa gestion est assimilée à une découverte, à

une aventure. Peu importe la forme, des éléments de réponses communs apparaissent. La

valorisation de certaines langues, et donc une certaine hiérarchisation de celles-ci, transparaît dans

divers dessins, sous la forme de cœur, d'étoile, de smileys représentant les sentiments des élèves

pour ces langues. L'affectif fait inconsciemment partie du choix d'utiliser ou non des langues.

Mariam l'explique ainsi: « je l'aime mais pas comme celle là », en comparant deux langues. Les

interlocuteurs et les lieux sont également source de gestion. Plusieurs dessins montrent des langues

reliées à des lieux ou à des personnes. Par exemple, le dessin de Mohamed relie par une flèche

l'arabe à la maison et le français à l'école. Un rapport à la migration et au pays d'accueil est aussi

évoqué : Mariam dessine sous le soninké des maisons du Mali et sous le français des immeubles de

France. La langue définit donc le pays où elle est parlée. Pour terminer, les dessins proposent aussi

une gestion spécifique des langues et différente pour chacun : si Mariam présente ses langues dans

un ordinateur pour montrer qu'une langue correspond à un dossier, Helin, elle, les présente dans une

bibliothèque, avec un livre pour chaque langue. Diana relie des langues par des flèches à double

sens . Mariam et Helin voient donc leur gestion des langues comme compartimentée, chaque langue

ayant sa propre gestion. Au contraire, Diana met en lien ses langues, chacune pouvant influencer

l'autre ; le lien étant représenté par des flèches à double sens. La gestion est donc complémentaire.

Malgré la réalisation de ces dessins, certains autres élèves ont eu de réelles difficultés à

proposer une image de leur gestion des langues : deux dessins sont inachevés, le premier

représentant un carré vide et le deuxième un bout de visage. Les deux élèves ont pu expliquer

qu'elles ne savaient pas définir comment elles géraient les langues dans leurs têtes et quelles ne

savaient donc pas comment la représenter.

75

Page 76: Gestion des langues en présence dans une approche du

2.5 La charte des langues: utilisation des langues premières et utilisation de la langue française

La dernière activité dispensée aux élèves une rédaction collective de deux chartes, la

première définissant l'utilisation du français et la seconde celle des autres langues. L'idée de cette

activité émane directement des observations faites en classe sur la gestion du plurilinguisme. Il est

en effet apparu que l'utilisation des langues n'est pas totalement libre par les élèves sachant que les

règles ne sont pas définies suffisamment clairement. Cette confusion a des répercussions sur les

conditions de travail de la classe et parfois même sur les relations entre pairs. Des tensions et des

conflits apparaissent. Imposer l'utilisation du français est en contradiction totale avec le principe

même d'une approche plurilingue. Il a donc été nécessaire de faire prendre conscience aux élèves de

la nécessité d'opérer un choix de langues selon les situations, en définissant des règles et en les

respectant au maximum. Les élèves sont ainsi responsabilisés et de nouveau acteurs pour

l'amélioration de leur apprentissage et de celui du collectif de l'UPE2A.

Après avoir défini la prédominance de certaines langues par leur nombre de locuteurs, un

dialogue a été instauré pour faire échanger les élèves sur les conséquences de cette prédominance.

L'échange est serein, sans altercation, probablement grâce aux échanges déjà effectués lors des

entretiens de l'activité du bonhomme des langues. Ces entretiens ont permis aux apprenants de

mettre en mot leur malaise face à certaines situations, leurs ressentis et canaliser ainsi leurs

émotions. Ils ont pu prendre du recul sur ces faits passés et comprendre qu'une utilisation mal

appropriée des langues pouvait en être la cause. Ils ont parlé des tensions, des conflits, des

malentendus et des exclusions. Tous ont été unanimes pour dire qu'une charte est nécessaire pour

arrêter « les guerres » dans le dispositif. Certaines interventions ont dépassé le cadre même de

l'UPE2A, en parlant de situations rencontrées à la récré mais également hors du milieu scolaire.

Diana cita par exemple son arrivée en France et son mal-être dans un magasin: les personnes

présentes n'ont pas cherché pas à comprendre ses parents ni même à les aider en interpellant un

éventuel « traducteur » présent sur les lieux. Diana évoque sa tristesse face à cette situation et face

au fait que certaines personnes parlent uniquement « français français ». L'enseignante titulaire a

expliqué qu'en France, le français reste prédominant dans les mentalités et posé comme étant

« supérieur » aux autres langues. Elle a ajouté que cependant des efforts sont maintenant faits pour

valoriser d'autres langues, notamment à l'école, et qu'il est possible de choisir une langue pour se

comprendre. Utiliser une langue connue de tous les interlocuteurs peut être une solution, un moyen

de dépasser un possible blocage et de prévenir ainsi troubles et tensions pouvant découler de

l'incompréhension. Les élèves, conscients des enjeux, sont favorables et motivés par l'écriture des

76

Page 77: Gestion des langues en présence dans une approche du

chartes.

Les chartes ont été réalisées sur deux affiches. Les entêtes utilisées pour chacune sont les

suivantes : « J'utilise ma langue première pour … » et « Je privilégie le français pour ... », le but

étant de ne pas positionner le français comme dominant mais seulement plus approprié selon les

situations. L'activité a démontré aux élèves que l'utilisation de plusieurs langues dans la classe doit

être accompagné d'une gestion particulière de celle-ci: un choix de langue approprié selon divers

contextes. Ceux-ci sont identifiés : lors de travail en groupe, en collectif ou en individuel.

Cependant, les élèves ont du définir eux-mêmes ce qu'ils pouvaient faire avec les langues: par

exemple, le choix d'utiliser le français est préconisé pour parler au professeur et le choix d'utiliser

une langue première peut l'être pour noter le vocabulaire lors d'un travail individuel. La réalisation

de ces chartes a permis aux élèves réaliser qu'un choix de langue peut être bénéfique à leur

apprentissage et également à celui des autres. Une utilisation appropriée des langues permet d'éviter

des conflits, des malentendus, des malaises. Et elle permet de réunir les élèves, d'améliorer la

cohésion lors des activités collectives et d'inclure les nouveaux.

77

Page 78: Gestion des langues en présence dans une approche du

Conclusion

L'objectif principal établi d'une UPE2A est l'acquisition de la langue française.

L'enseignement et l'apprentissage au sein de cette classe sont spécifiques au regard de la spécificité

du public et de la présence d'une diversité, linguistique et culturelle, forte. Les élèves, adolescents,

allophones et nouvellement arrivés, sont confrontés à l'altérité, dans en période de construction

identitaire majeure et remise en cause par la migration souvent imprévue et non anticipée.

L'acquisition du français est donc primordial dans ce contexte d'arrivée « brutale » dans un pays

dont ils ne connaissant pas la langue et les réalités du public accueilli nécessitent une prise en

compte attentive et bienveillante de leurs situations. La première réalité posée est la diversité

linguistique: chaque élève est détenteur d'un répertoire linguistique qui lui est propre et possède des

connaissances et compétences dans des langues « déjà-là », déjà connues. Inscrire l'enseignement

dans une approche plurilingue semble alors adaptée et exploitable, pour valoriser les répertoires

linguistiques, valoriser les identités et valoriser l'apprentissage de la nouvelle langue, en

l’occurrence le français. Continuer l'apprentissage des langues déjà connues et y ajouter celui du

français permet aux élèves de mettre en place une compétence plurilingue et de ne pas créer de

rupture avec leur identité en place et/ou en construction mais au contraire de l'enrichir par ce nouvel

apport. Prendre conscience de leur plurilinguisme et le reconnaître comme un atout est donc

essentiel pour les élèves doit transparaître dans l'enseignement et l'apprentissage du français. La

mise en place d'activités dédiées au plurilinguisme ou en lien avec celui-ci a été le moyen employé

pour le mettre en exergue et le valoriser. Les élèves ont pu identifier leur propre plurilinguisme mais

également celui du collectif. L'altérité linguistique est reconnue, acceptée et l'utilisation des langues

déjà connues est présentée comme positive et enrichissante pour l'apprentissage du français mais

également pour participer à une construction identitaire saine et susciter encore plus le désir

d'intégration. L'usage des langues déjà connues entraîne néanmoins de possibles difficultés à la fois

dans la démarche de recherche identitaire mais également dans la démarche d'apprentissage.

Les activités ont fait prendre conscience aux élèves comme à l'enseignante qu'une gestion de cet

usage est donc nécessaire. Les gestions ont été différentes. Pour l'enseignante, la gestion est

intervenue à différents moments de la recherche: pendant la construction, pendant la réalisation et

après la réalisation des activités. La gestion pouvait être réfléchie, spontanée, ou réflexive et

majoritairement en lien avec les réactions des élèves. La gestion est aussi intervenue à des niveaux

différents pour répondre à l'apparition de difficultés et problèmes liés à l'utilisation des langues déjà

connues. L'enseignante s'est souvent interrogée pour évaluer la justesse et l'efficacité de ces

activités et évaluer son aisance dans sa pratique. Concernant les élèves, elle a pris le parti de

78

Page 79: Gestion des langues en présence dans une approche du

modifier selon les activités la disposition de la classe, en favorisant la mixité linguistique ou non et

en imposant le français à certains élèves. Le but recherché est de contrecarrer des problèmes comme

le regroupement communautaire (et linguistique) ou encore le bilinguisme soustractif et la

hiérarchisation des langues.

Quant aux élèves, l'analyse des activités a démontré que la gestion de l'utilisation des langues était

également propre à chacun mais surtout mise en place après une conscientisation. Les élèves ont

compris progressivement les effets du plurilinguisme et de son utilisation par la réalisation des

activités, par la mise en mots. Les différents ateliers ont permis aux élèves d'intégrer la nécessité

d'une gestion individuelle et collective des langues déjà connues, ceci dans l'apprentissage du

français individuel et collectif. Ils ont alors cherché à mettre en place une utilisation adéquate des

langues selon les interlocuteurs et les situations de communication.

Malgré des résultats dans l'ensemble positif pour l'enseignement et l'apprentissage du

français au sein de l'UPE2A et la définition d'une gestion spécifique à celle-ci, des limites et des

manques apparaissent dans la recherche. Les limites sont tout d'abord qu'elle a été effectuée sur un

petit échantillon, une seule UPE2A et dans un laps de temps court. La gestion est définie pour les

élèves de cette UPE2A et pour son enseignante, mais leur reste associée. Il semble en effet assez

difficile de proposer cette gestion dans d'autres dispositifs, sachant qu'elle découle majoritairement

des réactions des élèves et des situations de classe. L'appliquer dans d'autres unités pédagogiques

pourraient s'avérer inefficace et possiblement perturber l'apprentissage du français au lieu de le

bonifier. Le laps de temps de réalisation trop court a empêché l'aboutissement de certaines activités,

comme celle du dessin réflexif à la suite duquel l'entretien individuel n'a pas pu se mettre en place,

entretien qui aurait pu apporter de nouvelles données à la recherche. Le manque

d’approfondissement des activités en lien avec ce paramètre « temps » a nui, de fait, à la qualité de

la recherche en ne permettant pas de récolter le maximum d'informations pour enrichir l'analyse.

La recherche et l'approche plurilingue auraient pu également être ouvertes aux classes de

rattachement. En effet, la diversité linguistique est présente dans le dispositif mais également dans

les classes de rattachement. Chaque élève de ces classes dispose en effet d'un répertoire linguistique

propre et apprend également le français (en tant que FLM) et d'autres langues dispensées dans le

collège. Le jeune peut également parler une ou des autres langues à la maison et dans son quotidien.

Les élèves de l'unité pédagogique et des classes de rattachement sont tous confrontés à l'altérité, à la

diversité linguistique et à un apprentissage des langues. Ils peuvent donc tous enrichir leur

apprentissage par une approche plurilingue et s'enrichir réciproquement. Ce désir d'ouverture est

même demandé par les élèves de l'UPE2A manifestant l'envie d'utiliser les langues au sein des

classes de rattachement. Ce désir est aussi exprimé dans les classes de rattachement, les élèves

79

Page 80: Gestion des langues en présence dans une approche du

manifestant leur intérêt et leur envie d'apprendre les autres langues auprès élèves de l'UPE2A.

Cette réciprocité permettrait aux élèves de l'UPE2A une intégration favorisée par cette approche

devenant commune et de s'inclure ainsi plus facilement dans leur environnement hors du contexte

scolaire, en appréhendant mieux l'altérité. Les élèves des classes de rattachement, eux, pourraient

simultanément connaître également l'altérité, s'y confronter, ne pas la rejeter mais au contraire s'en

enrichir.

L'équipe pédagogique au complet pourrait ainsi mettre en relation des enseignements dispensés

dans leurs disciplines mais également des enseignements communs, favorisant un lien constant

entre dispositif et classes banales. L'UPE2A ne serait plus le seul lieu d'interdisciplinarité, mais les

classes banales également. L'apprentissage des langues seraient alors pluridisciplinaires, enrichis, et

enrichissants pour tous les apprenants et leur apprentissage.

80

Page 81: Gestion des langues en présence dans une approche du

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Page 84: Gestion des langues en présence dans une approche du

Annexe 1 : Déclaration sur l'honneur

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Page 85: Gestion des langues en présence dans une approche du

Annexe 2 : Convention de stage

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Page 86: Gestion des langues en présence dans une approche du

Annexe 3 : Tableau réalisée lors de l'activité phonétique sur le son « oi »

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Page 87: Gestion des langues en présence dans une approche du

Annexe 4 : Fiche individuelle remplie lors de l'activité de la fleur des langues

MES LANGUES

Je parle: .................................................................................................................................................

Je ne parle pas mais je comprends: .......................................................................................................

Je lis et j'écris: .......................................................................................................................................

Je parle mais je n'écris pas: ...................................................................................................................

Je ne parle pas mais j'ai entendu: ..........................................................................................................

Je ne parle pas mais j'ai vu écrite: ........................................................................................................

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Annexe 5 : Bonhomme des langues de Nadji

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Annexe 6 : Dessin réflexif de Simone

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Table des matièresIntroduction..........................................................................................................................................4

Chapitre 1 - Fonctionnement, spécificités de l'enseignement, et dimension linguistique des UPE2A 71. Fonctionnement et spécificité des UPE2A..................................................................................7

1.1 Présentation du cadre institutionnel des UPE2A..................................................................71.1.1 Le CASNAV : accueil, positionnement et affectation des élèves..................................71.1.2 Circulaire du 02/10/2012: fonctionnement des UPE2A................................................8

1.2 Spécificité de l'enseignement en UPE2A..............................................................................81.2.1 Hétérogénéité et pédagogie différenciée.......................................................................81.2.2 Interdisciplinarité et bifocalisation..............................................................................101.2.3 Inclusion et intégration................................................................................................11

2. Un public spécifique..................................................................................................................122.1 Des élèves «nouvellement arrivés».....................................................................................122.2 Des élèves « allophones »...................................................................................................17

3. Apprentissage et enseignement du français dans un contexte de diversité linguistique............193.1 L'éducation plurilingue.......................................................................................................193.2 Utilisation des langues «déjà connues»: statuts et conséquences.......................................20

3.2.1 Statut et nature des langues déjà connues...................................................................203.2.2 Utilisation des langues déjà connues: atouts...............................................................213.2.3 Difficultés dans l'apprentissage du français................................................................23

3.3 Et le français?......................................................................................................................293.4 Approches pédagogiques en lien avec le plurilinguisme ...................................................31

3.4.1 La méthode « Comparons nos langues ».....................................................................313.4.2 Le dessin réflexif ........................................................................................................32

Chapitre 2 - Mise en place d'un matériel didactique plurilingue prenant en compte le terrain de stage............................................................................................................................................................33

1. Le terrain....................................................................................................................................331.1 Un dispositif d'un collège de banlieue parisienne...............................................................331.2 Présentation du matériel didactique utilisé.........................................................................341.3 Présentation des activités de classe observées....................................................................35

1.2.1 Observation d'activités articulées autour du plurilinguisme........................................361.2.2 Observation d'activités mobilisant le plurilinguisme..................................................39

1.4 Présentation des activités créées et dispensées...................................................................431.4.1 Activité 1: les boîtes....................................................................................................441.4.2 Activité 2: la fleur des langues....................................................................................451.4.3 Activité 3: le bonhomme des langues..........................................................................461.4.4 Activité 4: le dessin réflexif.........................................................................................481.4.5 Activité 5: la charte des langues..................................................................................49

2. Méthodologie de construction et d'analyse des données...........................................................502.1 Une méthode qualitative.....................................................................................................502.2 Le recueil des données........................................................................................................50

Chapitre 3 – Mise en lumière des conséquences de l'utilisation des langues en présence sur l'apprentissage et l'enseignement de l'UPE2A et de la gestion en découlant......................................51

1. Analyse des activités observées.................................................................................................511.1 Analyse des activités articulées autour du plurilinguisme..................................................51

1.1.2 Dessiner le mot femme : représentations, langues, et cultures....................................51

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1.1.2 Le son « oi » : activité phonétique et démarche comparative.....................................551.2 Analyse des activités mobilisant le plurilinguisme.............................................................57

1.2.1 Activités favorisant l'inclusion des nouveaux élèves..................................................571.2.2 Activités réalisées en groupe.......................................................................................601.2.3 Activités de l'unité de soutien linguistique : remédiation aux difficultés par une démarche comparative..........................................................................................................621.2.4 Les cahiers : gestion écrite des langues.......................................................................64

2. Analyse des activités dispensées................................................................................................652.1 Les boîtes : donner une place aux langues déjà connues....................................................652.2 La fleur des langues : représenter le plurilinguisme...........................................................662.3 Le bonhomme des langues : langues et représentations......................................................69

2.3.1 Représentations des élèves et langue française...........................................................712.3.2 Avis des élèves sur les activités menées......................................................................712.3.3 Entretien individuel avec Nadji ..................................................................................72

2.4 Le dessin réflexif : gestion des langues par les élèves........................................................732.4.1 Dessin réflexif de Simone...........................................................................................742.4.2 Récapitulatif de la mise en commun...........................................................................75

2.5 La charte des langues: utilisation des langues premières et utilisation de la langue française....................................................................................................................................76

Conclusion..........................................................................................................................................78Bibliographie......................................................................................................................................81Sitographie..........................................................................................................................................82Annexe 1 : Déclaration sur l'honneur.................................................................................................84Annexe 2 : Convention de stage.........................................................................................................85Annexe 3 : Tableau réalisée lors de l'activité phonétique sur le son « oi »........................................86Annexe 4 : Fiche individuelle remplie lors de l'activité de la fleur des langues................................87Annexe 5 : Bonhomme des langues de Nadji.....................................................................................88Annexe 6 : Dessin réflexif de Simone................................................................................................89

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Résumé

Les Unités Pédagogiques pour Elèves Allophones Arrivants (UPE2A) sont des dispositifs mis en

place dans le milieu scolaire français pour recevoir les Elèves Allophones Nouvellement Arrivés

(EANA), afin de leur apporter un apprentissage du français et de favoriser leur intégration. Par dé-

finition, les UPE2A font état d'une grande diversité culturelle et linguistique. Ce mémoire tentera

de montrer que des activités mettant en place une approche plurilingue peuvent favoriser l'appren-

tissage du français des élèves, en prenant en compte leurs histoires langagières dans l'enseignement

et leur apprentissage du français. L'utilisation des langues en présence fera pourtant apparaître des

difficultés, des obstacles, pouvant nier à la réussite des élèves. Résoudre ces problèmes en définis-

sant et appliquant une gestion particulière de l'utilisation des langues était alors la clé de la réussite

et de l'acquisition du français, et l'objectif central de la recherche.

The pedagogical unites for Arriving Allophone pupils (UPE2A) are special facilities, introduced in

the French school environment in order to welcome new arriving Allophone pupils and offer them

a better learning of the French language and a better integration in the country. By definition, the

« UPE2A » are structures with a wide linguistic and cultural diversity. This essay will try to show

that the activities with a multi-lingual approach can encourage the learning of French for these

pupils, taking into account their language abilities in education and their learning of the French

language. However, the actual use of languages will reveal some difficulties, challenges that can

badly influence the success of the pupils. Resolve these problems by defining and applying a

particular management of the use of languages was the key of success and of the acquisition of

French, and the main objective of this research.

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