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Gestion des Transformations Sociales MOST Document de travail - No.33 Gestion urbaine et participa- tion des habitants : quels enjeux, quels résultats ? Le cas de Yeumbeul, Sénégal Sylvaine Bulle ORGANISATION DESNATIONSUNIESPOURL'EDUCATION,LASCIENCEETLACULTURE SHS-99fwSl5

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Gestion des Transformations Sociales MOST

Document de travail - No.33

Gestion urbaine et participa- tion des habitants : quels enjeux, quels résultats ?

Le cas de Yeumbeul, Sénégal

Sylvaine Bulle

ORGANISATION DESNATIONSUNIESPOURL'EDUCATION,LASCIENCEETLACULTURE

SHS-99fwSl5

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Les opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs et n’engagent pas la responsabilité de l’UNESCO.

Les frontières qui figurent sur les cartes n’impliquent pas reconnais- sance officielle par l’UNESCO ou les Nations Unies.

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Publié par le Programme MOST Organisation des Nations Unies pour I’Education, la Science et la Culture

1 rue Miollis, 75732 Paris CEDEX 15, France htpp://www.unesco.org/most

0 UNESCO 1999

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l Le Programme MOST

Le Programme « Gestion des transformations sociales » - MOST - a été conçu par l’UNESCO pour favoriser la recherche comparative internationale en sciences sociales. Son objet premier est d’appuyer les recherches autonomes de grande envergure et de longue durée et d’en communiquer les conclusions et les données aux décideurs. MOST organise et soutient des recherches dans trois domaines hautement prioritaires:

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La gestion du changement dans les sociétés multiculturelles et mul- ti-ethniques Les villes, lieux de transformation sociale accélérée La gestion locale et régionale des transformations économiques, technologiques et environnementales.

l L’auteur

Sylvaine Bulle, sociologue et urbaniste, travaille depuis plusieurs années sur les questions urbaines et a participé à de nombreux projets urbains, travaux inter- disciplinaires sur les villes, notamment en banlieue parisienne. Elle s’intéresse également aux modes de production de la ville dans les pays du Sud (Maghreb, Afrique et Proche-Orient). En tant que consultante, elle collabore avec des ONG à des analyses sur les initiatives citadines et les politiques d’environnement urbain. En tant que chercheur et auteur, elle conduit des travaux de recherche sur les territoires et espaces illégitimes et en crise au Proche Orient (Israël, Palestine, Jordanie) en collaboration avec les universités israélienne et palestinienne.

l Les documents de travail MOST

La collection des documents de travail du Programme MOST présente des contributions émanant de chercheurs spécialisés dans les domaines de recherche de MOST. Ces écrits sont préparés afin de contribuer au débat scientifique inter- national dans ces domaines.

Titres disponibles (janvier 1999)

Les sociétés pluriculturelles et @uriethniques. Henri Giordan. 1994. VVE

Vi//es et gestion des transformations sociales. Céline Sachs-Jeantet. 1994. F/A/E

Différenciation des régimes de croissance et des gestions de la re- production sociale. Pascal Byé. 1994. F/A/E

La recherche urbaine en Amérique latine. Vers un programme de recherche. Licia Valladares et Magda Prates Coelho. 1995. F/A/E

La gestion du multi-culturalisme et du multi-ethnisme en Amérique latine. Diego A. Iturralde. 1995. F/A/E

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Lo global, lo local, lo hibrîdo. Heînz R. Sonntag et Nelly Arenas. 1995. (en espagnol seulement)

Reflectîons on the Challenges Confrontîng Post-Apartheid South Afrîca. B.M. Magubane. 1995. (en anglais seulement)

La gestion locale et régionale des transformations économiques, technologiques et environnementales. S. Jentoft, N. Aarsaether et A. Hallenstvedt. 1995. F/A/E/R

Des partenarîats dans nos Vi//es pour l’innovation urbaine. Francis Godard. 1995. F/A

Diversité: bonne et mauvaise gestion. Le cas des conflits ethnî- ques et de l’édification de /‘Etat dans /e monde arabe. Saad Eddin Ibrahim. 1996. F/A

Urbanisation et recherche urbaine dans le monde arabe. Mostafa Kharoufi. 1996. F/A

Public Polîcy and Ethnie Conflict. Ralph R. Premdas. 1997. (en anglais seulement)

Some Thematîc and Strategîc Prîorîtîes for Developîng Research on Multî-Ethnîc and Multî-cultural Socîetîes. Juan Diez Medrano. 1996. (en anglais seulement)

La technologie de l’information au service de /‘Organisation: Une véritable mutation sociale aux Etats-Unis. Thomas R. Gulledge & Ruth A. Haszko. 1997. F/A/E

Global transformations and copîng strategîes: a research agenda for the MOST Programme. Carlos R.S. Milani and Ali M.K. Dehlavi. 1996. (en anglais seulement)

The new social morphology of cities. Guido Martinotti. 1996. (en an- glais seulement)

Socîetîes at rîsk? The Carîbbean and Global Change. Norman Gir- van. 1997. (en anglais seulement)

Replîcatîng Social Programmes: Approaches, strategîes and con- ceptual issues. Nice van Oudenhoven & Rekha Wazie. 1997. F/A/E

VIH/SIDA et entreprise en Afrique: une réponse socîo-médicale à l’impact économique? L’exemple de la Côte d’Ivoîre. Laurent Aventin et Pierre Huard. 1997. F/A/E

Le développement humain: problématiques et fondements dlune politique économique. Siméon Fongang. 1997. F/A/E

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Condition salariale et intervention de I’Eat à l’heure de la globalî- satîon: /‘Argentine dans le MERCOSUR. Susana Peiïalva. 1998. F/A/E

Les mouvements d’argent et le trafic de drogue dans le Bassin Amazonien. Lia Osorio Machado. 1998. F/A/E

Cîtîes unbound : the întercity network in the Asia-Pacific Regîon. John Friedmann. 1998. (Fr. : 1999)

Género y /Vacîcjn en e/ Mercosur. Elizabeth Jelin, Teresa Valdés, Line Bareiro. 1998. (en espagnol seulement)

Chi/e y Mercosur : Hasta donde queremos întegrarnos ? Carolina Stefoni E., Claudio Fuentes S. 1998. (en espagnol seulement)

La produccî6n medîatîca de nacîonalîdad en la frontera. Un estudîo de caso en Posadas (Argentina) - Encarnacîbn (Paraguay). Alejan- dro Grimson. 1998. (en espagnol seulement)

G/oba/îzacî6n, regîones y fronteras. Robert Abinzano. 1998. (en espa- gnol seulement)

Una navegacî6n încîerta : Mercosur en Internet. Anibal Ford. 1998. (en espagnol seulement)

Los hîstorîados y la production de fronteras : e/ caso de la provîn- cîa de Mîsîones (Argentina). Héctor Eduardo Jaquet. 1998. (en espa- gnol seulement)

Democratîc governance in multîcultural socîetîes. Matthias Koenig. 1999. (en anglais seulement)

Aspectos culturales de /as mîgracîones en e/ MERCOSUR. Fernando Calderon et Alicia Szmukler. 1999. (en espagnol seulement)

The participatory City: innova tîons in the European Union. Voula Mega. 1998. (en anglais seulement)

Gestion urbaine et participation des habitants : quels enjeux, quels résultats ? Le cas de Yeumbeul, SénégaL Sylvaine Bulle. 1999.

F = Français; A = Anglais; E = Espagnol; R = Russe

Les publications MOST sont également disponibles en format eléctronique au Site Web du « Clearing House » de MOST: www.unesco.org/most

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AVERTISSEMENT

Ce document a été rédigé par une sociologue-urbaniste, Sylvaine Bulle, familière du terrain, Yeumbeul, des ONG et notamment de ENDA, et enfin des expériences de développement urbain participatif. Son travail a été préparé à partir de documents fournis par la coordinatrice du projet « Villes » du pro- gramme MOST de l’UNESCO et de nombreuses réunions de travail. L’analyse menée dans ce document constitue une lecture personnelle conduite par l’auteur, en termes de première évaluation d’étape en cours d’action (1995-1998)/Phase 1.

Il s’agit donc d’un travail original visant à problématiser une action de ter- rain, à en débusquer le sens en termes de transformations sociales. Ce travail d’un chercheur en sciences sociales à partir d’une expérimentation de terrain est riche d’enseignements pour le programme MOST dont l’une des ambitions est justement de lier recherche et action. Les résultats de ce travail guident déjà la Phase II du projet actuellement en cours (1998-1999). II sera suivi d’autres évaluations tout au long du projet jusqu’en 2001 et nourrira l’évaluation finale.

Ainsi est expérimentée la conduite simultanée d’un projet d’intervention d’une durée de 6 ans (1996-2001) visant à l’amélioration des conditions de vie des habitants dans le cadre de la lutte contre la pauvreté urbaine et d’une re- cherche en sciences sociales visant à en tirer une conceptualisation dans le cadre du Programme MOST.

Dernière précision: le site de Yeumbeul constitue un des trois sites pilotes du projet « Villes: Gestion des transformations sociales et de l’environnement ». De 1996 à 1998 les autres sites étaient : le quartier de Jalousie, à Port au Prince (Haïti), et la ville de Sao Roque dans la périphérie de Sao Paulo (Brésil). Une ex- tension du projet est actuellement en cours à Santo Domingo (Saint Domingue) et à Djenné (Mali).

Ce programme d’expérimentation a été créé pour entrainer un effet de démonstration et donc de réplicabilité dans d’autres sites.

Dans une démarche de “faire faire”, le projet s’appuie sur des dynamiques engagées par les habitants eux-mêmes, notamment les femmes et les jeunes, réunis en ONG et organisations de base, pour améliorer concrètement leurs con- ditions de vie et leurs capacités de formation. De ce fait, l’objectif ultime du pro- jet est la réduction de la pauvreté et de l’exclusion urbaines dans une logique de développement endogène.

L’action de l’UNESCO menée à Yeumbeul se déroule en étroite coopération entre d’une part, le siège de l’UNESCO et le Bureau de l’UNESCO à Dakar, et d’autre part, en inter-sectorialité entre le Secteur des Sciences sociales et hu- maines, qui en assure l’impulsion et la coordination, et le programme CSI (Envi- ronnement et développement dans les régions côtières et les petites Îles) du Secteur des sciences.

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L’action est conduite en pattenariat avec I’ONG ENDA-Tiers-Monde, des associations locales, les municipalités, les services de l’Etat et l’Université de Da- kar.

La stratégie poursuivie est:

Reconnaître la population comme première ressource du développe- ment urbain et permettre aux populations les plus pauvres, notamment les publics cibles que sont les femmes et les jeunes, d’accroître leur autonomie dans la prise en charge du développement de leur quartier Appuyer la mise en œuvre d’actions et d’initiatives locales visant à l’amélioration du cadre de vie; promouvoir et appuyer le développement d’activités sociales éduca- tives et économiques; Assurer une diffusion des résultats des actions et démontrer les pos- sibilités de réplicabilité dans d’autres contextes à partir d’une évalua- tion menée par des chercheurs en sciences sociales des actions enga- gées dans une conduite simultanée recherche et action; Dégager une méthodologie pour l’action de lutte contre la pauvreté urbaine à travers une démarche participative venant “d’en bas” s’inté- grant dans une stratégie de développement endogène; Nourrir la recherche en sciences sociales sur les effets des actions de développement touchant à l’environnement urbain sur les transfor- mations politiques et sociales, la production de la ville et la lutte contre la pauvreté urbaine.

Geneviève Domenach-Chich Chef de l’Unité des villes et des habitats humains Coordonnatrice pour le Programme MOST du projet « Villes » Secteur des sciences sociales et humains UNESCO

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INTRODUCTION

Villes en crise

Dans les villes africaines, le développement croissant de poches de pauvreté le plus souvent en franges et périphéries urbaines a été suffisamment analysé pour être considéré comme le résultat d’un processus de désorganisation et de pau- périsation généralisés des pays, appelé aussi « Crise urbaine ». Ainsi, de plus en plus de quartiers, voire de villes entières, se font par les habitants eux-mêmes à coté, voire contre les pouvoirs publics locaux ; ceux-ci étant le plus souvent ab- sents de leur rôle de gestionnaires territoriaux. Dans les métropoles africaines, émergent de nouveaux comportements collectifs des habitants les plus défavori- sés pour répondre à des situations d’urgence :

- rattraper au minimum les insuffisances en services ou en équipements dans les quartiers - s’auto organiser pour la gestion urbaine de proximité, ou s’auto déterminer pour le droit à la ville ou tout au moins pour de meilleures conditions de vie.

Comme en témoigna le Sommet Mondial des Villes « Habitat II » en 1996, cette mobilisation des citoyens pour l’accès à la ville, appelée aussi participation, in- terpelle toute la communauté internationale, chercheurs, bailleurs de fonds, pra- ticiens, ou gouvernements. La « participation » croissante de la société civile à la production de la ville remet en effet en cause les modes de développement ou d’action urbains : comment intégrer et s’appuyer sur les communautés locales qui s’organisent pour leur cadre de vie, tout en rendant la gestion des villes plus performantes ?

Ainsi, l’aide internationale, qui relaye les efforts locaux faits au Sud pour une démocratisation et une décentralisation institutionnelles, se tourne de plus en plus vers des systèmes d’appui au développement urbain décentralisés : appui aux collectivités territoriales, aux Organisations non gouvernementales (ONG), aux comités d’usagers de services urbains, aux associations de quartiers..

L’UNESCO n’est pas en reste sur la question, qui par le biais de son programme intersectoriel de recherche-action « Villes : Gestion des transformations sociales et de l’environnement » (1996-2001) associant sciences sociales, sciences natu- relles et éducation, soutient plusieurs initiatives menées dans les quartiers.

Expérimenter, contribuer à la réduction de la pauvreté urbaine

Des actions pilotes autour de l’environnement et du cadre de vie, menées direc- tement par les citoyens en collaboration avec des ONG locales sont soutenues par le projet « Villes » à Port au Prince (Haïti), en banlieue de Dakar (Sénégal), et à Rio de Janeiro (Brésil).

Toutes doivent déboucher sur une mobilisation des énergies sociales et économi- ques, la création de services, des initiatives économiques ou équipements de proximité (santé, eau, assainissement, lutte contre la pollution, la délinquance),

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mais aussi sur des partenariats locaux entre acteurs de base et pouvoirs locaux pour la gestion et l’amélioration des quartiers.

L’expérience de Yeumbeul en banlieue de Dakar présentée ci-après est l’une de ces actions pilotes. Elle témoigne de la contribution (possible) d’une Organisation internationale à la mise en place de politiques urbaines et sociales au plus près des habitants. Elle témoigne aussi des espaces de coopération (possibles) au sein même des services et des programmes de l’UNESCO.

Yeumbeul : une action de coopération interne et externe

Yeumbeul et ses quartiers d’extrême pauvreté, choisis pour faire partie du pro- gramme « Villes », apparaît comme symbolique à la fois des phénomènes de prolétarisation et de paupérisation d’une grande métropole, et en retour des for- mes d’organisation et de réaction possibles des communautés de base, dans un contexte institutionnel de décentralisation et de démocratisation.

Au terme de la première phase du programme (1995-1998), l’expérience apporte des enseignements sur les mécanismes de participation des acteurs du bas ou sur les conditions de mise en œuvre d’une expérience de gestion urbaine popu- laire.

Parce qu’elle est menée en temps réel et s’appuie sur des partenaires de terrain (une ONG de développement et des associations d’habitants) elle permet de dé- limiter un champ d’intervention et d’expérimentation nouveau pour une Organi- sation internationale telle l’UNESCO, entre connaissance empirique et action.

Participer à la construction de politiques urbaines et sociales, aux cotés de parte- naires locaux, et en même temps faire l’expérience concrète des dynamiques et des pratiques d’acteurs intéressent au plus haut point les sciences sociales.

Action de coopération interne au sein de l’UNESCO, car l’expérience conduite à Yeumbeul appelle différents métiers, domaines de réflexion (environnement, santé, hydrologie, appui au développement urbain) et donc un rapprochement disciplinaire entre sciences sociales et sciences naturelles. La première phase du programme a ainsi permis une collaboration entre différentes unités de l’UNESCO pour la connaissance du milieu (étude sur l’aménagement de la zone côtière, études sur la nappe phréatique). Des études de terrain ont ainsi été réalisées par le CSF.

Cette expérimentation collective devrait être propice à l’élaboration d’outils ou de méthodologies pour la coopération locale, pour l’amélioration des quartiers mais aussi pour l’ouverture de champs d’investigation dans les sciences sociales (outils d’évaluation, mise à jour des dynamiques culturelles liées à la pluri-ethnicité).

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Dans une large mesure, la première phase de l’expérience menée à Yeumbeul, fut-elle récente, autorise un temps de distanciation, mais aussi de communica- tion préalable à la poursuite de la seconde phase (1998-1999).

1 « Qualité de l’eau , la nappe phréatique à Yeumbeul, étude de terrain », CSI, juillet 1997.

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Elle permet d’ouvrir des questions centrales qui ne seront ici qu’effleurées : - quels sont les comportements collectifs, les mécanismes de participation

des habitants à la gestion urbaine de proximité ? - quel est l’impact possible, mais aussi quelles sont les conditions de mise en

œuvre d’une politique d’appui aux quartiers défavorises ?

Illustrer, démontrer

Sans avoir valeur d’exemplarité, compte tenu de la diversité des situations et des contextes d’un quartier à un autre, d’une ville à une autre, d’un habitant à un autre, l’expérience de Yeumbeul et ses enseignements a donc valeur.de témoi- gnage. Elle démontre qu’il est possible de mettre en place des dispositifs à une micro échelle, intéressant tout autant l’habitant, ses représentants, que les par- tenaires internationaux.

Le présent document présente deux niveaux de lecture :

la description du programme mené à Yeumbeul, son contexte, sa genèse et ses résultats (Partie 1) un cadrage plus général sur les initiatives populaires urbaines : les différents visages de la participation, l’impact d’un programme d’appui aux quartiers défavorisés, la manière de mieux appuyer les initiatives locales (Partie II).

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PARTIE1

LEPROGRAMMED'APPUIAUXINITIATIVESDEQUARTIERA YEUMBEUL(l995-1998)

1. CONTEXTE

2. GENESE ET RESULTATS

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1. LE CONTEXTE : YEUMBEUL DANS SON PAYSAGE POLITIOUE UR- BAIN ET ECONOMIOUE

Il serait vain de vouloir faire la chronologie d’une expérience comme celle menée à Yeumbeul en dehors de son contexte institutionnel et urbain.

Des réformes institutionnelles et sociales majeures sont intervenues au Sénégal dans la dernière décennie, qu’il s’agisse de l’ouverture politique vers une démo- cratie pluraliste, de la réforme sur la régionalisation et de l’émergence d’initiati- ves populaires, abondamment relayées par les pouvoirs publics aujourd’hui.

La décentralisation au Sénéaal : état actuel

Appelée de ses vœux par la classe politique et amorcée depuis cinq ans sous l’égide de l’Association des Maires et des Bailleurs de Fonds, la régionalisation est en marche. Une série de lois est en cours d’application portant sur la réforme de l’Etat et des Collectivités Territoriales. Les Collectivités (régions, communautés rurales, communes urbaines) se voient dorénavant dotées de compétences en matière de santé, de gestion des territoires et de leurs ressources (eau, forêts sols).

Si l’application de la décentralisation se heurte à des carences juridiques et sur- tout financières, impossibles à détailler ici, de nombreuses initiatives sont néan- moins à l’œuvre, dans la gestion des services publics (collecte des déchets ur- bains, entretien des espaces publics, création de services) pour l’essentiel dans les communes urbaines de la région de Dakar. Elles associent mairies, ONG, en- treprises privées et Groupements d’intérêt Economique (GIE) des quartiers.

A la décentralisation institutionnelle fait écho la décentralisation des politiques urbaines et de l’aide publique internationale. Des chantiers importants ont été ouverts récemment dans la gestion urbaine : le quatrième projet urbain de la Banque Mondiale, démarré en 1995 et intitulé « Programme d’appui aux collecti- vités locales », le Programme de Développement Municipal (PDM), piloté par les différents bailleurs de fonds (GTZ/Banque Mondiale/Coopération française), les divers appuis de la Coopération française (Fonds d’Aide et de Coopération, Pro- gramme post-dévaluation) auxquels il faut ajouter le Programme de Développe- ment Social et Urbain cofinancé par l’Union Européenne.

La plupart des infrastructures et projets urbains financés par les bailleurs de fonds sont aujourd’hui confiés à I’AGETIP (agence d’exécution des travaux pu- blics) à qui il incombe de réaliser des investissements de proximité (assainisse- ment, voirie, dispensaires, réhabilitation d’équipements publics) appelés aussi travaux à haute intensité de main-d’œuvre confiés à une main-d’œuvre locale. Les investissements doivent générer des revenus et des emplois aux populations les plus fragilisées par les effets négatifs de la dévaluation.

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L’émeraence de « la aouvernance urbaine » à Dakar

« C’est par la base qu’il faut impulser le développement », déclarait le Maire de Dakar, Mamadou Diop, lors du transfert des compétences aux communes, en janvier 1997 et reprenant alors les propos du Président de la République. Et c’est cette base que représentait le Mouvement « Set Setal », mouvement spontané (et contestataire) de nettoyage des rues créé par des jeunes dakarois en 1980, qui demeure l’image allégorique et vivante de l’expérience populaire. Aujourd’hui, succédant aux associations « riveraines » et pionnières, des associations urbai- nes ou des groupements d’intérêt économique (GIE) très structurés se préoccu- pent de la gestion de l’environnement et de l’économie sociale.

Issus de l’initiative populaire et capturés ou instrumentalisés par les pouvoirs pu- blics, ils sont aujourd’hui des prestataires de service reconnus. Pour exemple, 20 GIE collaborent actuellement avec la seule Municipalité de Dakar, pour l’entretien des espaces publics. Les associations et GIE sont aujourd’hui regroupés au sein d’une coordination des associations et mouvements de jeunes (CAMCUD) repré- sentant leurs intérêts.

Cette mobilisation pour le « droit à la ville » a évidemment conforté la position et le rôle des ONG, au sein desquelles ENDA-Tiers Monde fait incontestablement figure de chef de file au Sénégal.

Yeumbeul : fiaure de la oauvreté urbaine

L’héritage de l’urbanisation de Dakar

Yeumbeul (120.000 habitants) est situé à 25 km au nord de Dakar et comprend deux mairies d’arrondissement qui font partie de la Commune de Pikine. Elle s’est constituée autour d’un noyau central traditionnel agricole détenu par les paysans éleveurs Iébou. Les quartiers irréguliers en pleine extension depuis les années 60 sont construits en auréole, dans l’improvisation la plus totale. Ils sont ceux d’un nouveau prolétariat urbain d’origine rurale, victime des sécheresses successives, et issu de diverses communautés (wolof et toucouleurs pour la plupart).

L’urbanisme populaire des quartiers spontanés de Yeumbeul et de toute la péri- phérie du grand Dakar est l’héritage direct d’une politique intense de déplace- ments du centre dakarois vers le Nord. Les quartiers spontanés, représentant aujourd’hui près de 50% de la population du Grand Dakar2, sont nés de ce mou- vement d’urbanisation centrifuge repoussant les limites de la ville, insérant des migrants d’origine rurale, tout en les éloignant. Ils s’étendent sur plus de 20 km et ne jouissent la plupart du temps d’aucun statut foncier et sont généralement exclus de toute planification, notamment en matière d’équipement public.

Yeumbeul apparaît ainsi comme une figure sociologique, celle du choc de deux matrices, l’une moderne, l’autre autochtone, liées aux comportements séculaires

’ La Communauté Urbaine de Dakar compte environ 2 millions d’habitants. D’après la Banque Mondiale, 30% vivraient en dessous du seuil de pauvreté.

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des habitants, d’origine Iébou, détenteurs du pouvoir foncier, conscients d’avoir formé leur quartier, et d’avoir le droit de le contrôler.

De ces comportements séculaires subsistent des pratiques traditionnelles : le chef de quartier (qui est souvent délégué politique) est détenteur d’un pouvoir fort dans le quartier. Il reste le passe droit pour l’attribution des branchements en eau ou des bornes fontaines. Comme dans tous les quartiers irréguliers d’origine villageoise, les solidarités ethniques, lignagères, sont très marquées.

Etat des lieux . . .

Les quartiers irréguliers de Yeumbeul couverts par le programme d’appui aux initiatives ne disposent quasiment d’aucune infrastructure: assainissement, voi- ries primaires, réseaux d’adduction d’eau, électricité. Les équipements scolaires sont très insuffisants et il n’existe aucune infrastructure de santé. Les transports urbains pour Dakar sont organisés en microlignes informelles.

Dans la commune de Pikine, moins de 10% des concessions sont reliées à l’égout3. Les ordures ménagères sont jetées à même la rue, polluant la nappe phréatique.

La distribution en eau potable est très mal assurée : les bornes fontaines publi- ques payantes dans la commune de Pikine couvrent environ 50% des besoins de la population et sont très insuffisantes (une borne desservirait environ 2800 ha- bitants). Les branchements individuels étant par ailleurs peu nombreux, I’ali- mentation en eau se fait quelquefois par revente « sauvage » ou, le plus sou- vent, aux puits.

Selon la SONEES, concessionnaire public pour l’exploitation et la distribution de l’eau, 80% des puits de la Communauté Urbaine de Dakar seraient pollués, d’autant que la nappe phréatique y est peu profonde, l’environnement urbain dé- gradé et les densités de population importantes. L’état sanitaire de la région de Dakar-Pikine (maladies infantiles et choléra) est considéré comme le plus déplo- rable au Sénégal.

Sur sa partie côtière, Yeumbeul est ceinturée de dunes mouvantes, aujourd’hui en voie de stabilisation par des initiatives de reboisement.

La population de Yeumbeul compte environ 50% de moins de 25 ans. Le taux d’alphabétisation est environ de lO%, le taux d’inactivité de 50%. Ceci est source de nombreux problèmes urbains tels que la délinquance et la drogue.

C’est dans ce contexte que des initiatives sont impulsées par les habitants, re- layées par des ONG pour rattraper au minimum les nombreux manquements. Le tissu associatif de Yeumbeul, tout comme dans les communes proches, est riche. Les actions les plus nombreuses concernent le cadre de vie, l’environnement ou

3 D’après ENDA-Ecopop, in « Initiatives locales, développement communautaire : I’exem- ple de Yeumbeul », Novembre 1997.

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les loisirs parmi lesquelles des écoles de rue créées par des jeunes alphabétisés, des actions de reboisement et de collecte d’ordures.

2. GENESE ET RESULTATS DU « PROGRAMME D’APPUI AUX DY- NAMIOUES DE OUARTIER »

Entre 1995 et 1998, le programme d’appui aux dynamiques de quartiers, soute- nu par l’UNESCO et relayé par une ONG (ENDA-Ecopop) en relation avec les as- sociations des quartiers, a permis de réaliser des ouvrages d’assainissement indi- viduel et collectif, de renforcer l’organisation des groupements de femmes et de jeunes et d’appuyer des activités économiques.

Au démarraae. les associations

Lancé en 1995, le programme mené à Yeumbeul en relation avec ENDA-Ecopop doit pour beaucoup au tissu associatif des quartiers, et plus précisément aux trois associations d’habitants. Quoique de profil très hétérogène, toutes sont solide- ment implantées dans leurs zones pour avoir mené diverses actions de proximité et sont les bases fondatrices du programme.

Deux sont à caractère plutôt identitaire en ce qu’elles sont fondées sur I’apparte- nance ethnique : communauté wolof d’une part (AJYPROS4 sur le secteur ouest), Iébou d’autre part (WY5 implantée depuis 1961 au centre traditionnel de Yeum- beul).

La troisième a une vocation plus communautaire (ANBEP)6. Très implantée de- puis 1990 sur quatre sous-quartiers Nord de Yeumbeul, porteuse d’un projet mo- bilisateur, elle avait réalisé des micro actions d’assainissement et d’adduction d’eau, en partenariat avec une ONG locale.

Un relais (ENDAl et un cadre d’intervention (le PDSU)

Les initiatives associatives ont pu trouver en 1995 un cadre d’inscription formel : le PDSU (Programme de Développement Social et Urbain), programme de coo- pération Nord/Sud et d’échange entre quatre villes du Nord et quatre communes de la région de Dakar, dont Pikine.

Financé par l’Union européenne et la Coopération française, ainsi que par les vil- les partenaires, le PDSU réunit régulièrement municipalités, ONG et chercheurs. Quoique peu doté de moyens opérationnels et financiers, il appuie toutes les ini- tiatives municipales et communautaires concourant à la lutte contre l’exclusion dans les quartiers défavorisés et fournit un appui méthodologique, logistique et matériel au partenaires locaux.

4 Association des Jeunes de Yeumbeul pour la Promotion Sociale 5 Union des Frères de Yeumbeul 6 Association pour le Bien Etre de la Population

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,

Pour les communes de la région de Dakar (Pikine, Rufisque, Guedawaye), c’est Ecopop, antenne de I’ONG ENDA Tiers Monde, qui est maître-d’œuvre du PDSU. L’Antenne Ecopop était présente depuis 1991 sur les quartiers de Pikine, Thio- raye, Guedawaye, dans le cadre du « Programme Spécial dévaluation » et a ap- puyé de nombreuses initiatives dans l’économie populaire en quartiers sponta- nés.

On ne peut pas ne pas évoquer ici la spécificité et l’originalité de I’ONG ENDA-Tiers Monde sur le continent africain et en Afrique de l’Ouest. ENDA-Tiers Monde, ONG du Sud dont le siège est à Dakar dispose de moyens auxquels peu d’autres ONG locales peuvent prétendre. Elle est implantée depuis 20 ans dans les quartiers, elle a des relais internatio- naux importants (10 à 20 pays bailleurs) ; elle comprend 200 salariés de plus de 50 nationalités.

L’ancrage solide d’ENDA dans la région de Dakar et son assise institu- tionnelle, sa reconnaissance externe et populaire tiennent au mar- quage constant de l’objectif de lutte contre la pauvreté urbaine au plus près des citadins. Dotée d’un projet politique et social fort, EN- DA investit des terrains négligés par l’action publique, là ou existe une volonté collective des populations, là ou elle accompagne plutôt qu’elle n’impulse.

ENDA-Tiers Monde compte pour la seule région de Dakar environ une dizaine d’antennes de terrain, celles-ci pouvant intervenir sur le même quartier, dans tous les domaines d’action (hygiène, eau, santé, éner- gie, assainissement, économie populaire, jeunesse). L’intervention conjuguée des différentes antennes permet bien souvent d’accélérer le processus de réalisation et la lisibilité des actions.

Une démarche « DarticiDative »

Au démarrage du programme, et pour l’identification des priorités, un diagnostic participatif sous forme de séminaires, de causeries et d’enquêtes a été préétabli par ENDA-Ecopop avec les habitants de chaque zone, les trois associations de base (WY, AJYPROS et ANBEP), une ONG locale (I’AJED)’ mais aussi avec les instances traditionnelles (chef de quartier, sages).

Des ateliers et des débats publics autour des problèmes et des potentialités des quartiers, étaient constitués par îlots d’habitation, par cibles (femmes, aînés) te- nant compte des hiérarchies traditionnelles. Les services municipaux, le service d’hygiène ont été également associés pour aider à la mise en cohérence des de- mandes ou leur formalisation.

’ Association des Jeunes pour I’Education et le Développement

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A l’issue du diagnostic étaient définis des objectifs centraux du programme à court terme (97) qui paraissent acceptables, réalisables et mobilisateurs pour la population de 18 sous-quartiers (environ 20000 habitants) :

- la réalisation d’ouvrages individuels et collectifs d’assainissement (latrines, puisards, ramassage des ordures sur les voies publiques) et d’adduction en eau définis comme besoins prioritaires par les habitants ;

- l’appui aux groupements de jeunes et de femmes et à leurs projets d’acti- vités économiques (maraîchage, commerce) ;

- le renforcement des capacités et des moyens des organisations de base (associations de développement) dans une dynamique collective.

Au terme de la Dremière Dhase, les réalisations effectuées

Des réalisations importantes ont été effectuées pour l’environnement de proxi- mité dans les trois zones et au delà des objectifs initiaux :

- 5 bornes fontaines gérées par les comités d’habitants et l’extension du ré- seau primaire d’adduction,

- 75 ouvrages d’assainissement individuels (au lieu de 45 prévus), -la collecte des ordures ménagères à l’intérieur de certaines zones par des charretiers.

Les actions périphériques concernent la formation de maçons pour la confection des ouvrages et la formation de 36 animateurs en éducation sanitaire.

Une dizaine de groupements féminins (choisis selon des critères d’expérience ou de présence sur le terrain, selon la nature du projet) ont bénéficié de crédits ro- tatifs, remboursables sur 3 mois, pour le démarrage de micro-projets. Certaines des membres (50) ont bénéficié d’un appui pour le renforcement de leurs capa- cités dans plusieurs domaines: comptabilité, gestion, management, pédagogie.

Un double appui est ainsi apporté à la dynamique émergente des quartiers :

- l’un par la création des équipements et l’amélioration concrète et im- médiate des conditions physiques d’habitabilité, et qui sont dans le même temps générateurs de revenus (emplois de charretiers et revenus issus des chantiers) ;

- autre par l’appui matériel logistique et technique à des groupes cibles et à leurs projets qui entrent dans une dynamique de quartier et pour faci- liter le passage de l’initiative individuelle à la participation collective.

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g

Dynamiques autour de la mise en œuvre

Dès lors que le programme a affiché une volonté de partenariat local, une colla- boration s’est instaurée à diverses échelles. Le programme SC/CSI (UNESCO) a été sollicité avec l’Université de Dakar pour des études préalables sur la nappe phréatique. Le CREPA (Centre régional pour l’eau potable et l’assainissement à faible coût) et le Service National d’Hygiène ont été sollicités pour la conception des ouvrages d’assainissement, mais aussi pour la conception de modules d’édu- cation sanitaire et la formation de relais communautaires, inaugurant ici un par- tenariat original.

L’animation et la sensibilisation autour des ouvrages d’assainissement ont été confiées aux trois associations de base en relation avec des structures d’appui (CCTAS)’ et les comités de salubrité de zones. Des séances de théâtre, de dé- monstration et de causeries ont été organisées dans certaines zones-test pour la sensibilisation à l’hygiène mais aussi sur la participation des femmes ou la mobili- sation financière des habitants pour les ouvrages.

Les modalités de réalisation des ouvrages et les critères de sélection des familles bénéficiaires ont été définis collectivement selon leur niveau de solvabilité, les contraintes d’accessibilité et les conditions de salubrité (distance au puits pour éviter la contamination, choix d’emplacements qui évitent de polluer la nappe...).

Modalités de financement et recours à la cotisation des usagers

En 1996 et 1997 le programme a été cofinancé par l’UNESCO ($74.000 US) et par l’Union Européenne ($35000 US au titre du 7ème FED). Les bénéficiaires d’ouvrages d’assainissement ont participé à l’investissement à environ 8 à 1‘0 % de leur coût soit environ 20000 CFA par famille ($40 à $50 US), sans que n’ait été défini un montant fixe de la cotisation; les ménages pouvaient apporter une participation en main-d’oeuvre pour réduire le montant de leur cotisation.

Dispositifs opérationnels et organisationnels

Le programme s’appuie sur :

- des comités de gestion locaux dans chacune des trois zones, installés par ENDA et composés d’habitants membres d’organisations de base, des per- sonnes « ressources » du quartier. Ils sont chargés de la sélection des béné- ficiaires d’ouvrages d’assainissement, de l’animation autour des chantiers, et du suivi des recouvrements des participations financières des ménages. Pour certains, ils gèrent également les bornes fontaines installées dans le pro- gramme (rémunération du fontainier, paiement des factures d’eau) ;

* Centre Communautaire des Technologies Appropriées pour la Santé

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- une équipe technique pour le suivi et la réalisation des travaux composé d’un technicien de chantier, de I’ONG, des associations (pour les relations avec les habitants).

Enfin, le programme prévoyait un comité de suivi du programme. En passe d’être créé, il sera composé de différentes instances : I’ONG (ENDA-Ecopop), une asso- ciation de développement (CCTAS), les services techniques municipaux et admi- nistrations de l’Etat (Service départemental d’hygiène, district médical, conces- sionnaires publics d’assainissement), les instances traditionnelles (notables, chefs de quartier), les municipalités de Yeumbeul Nord et Sud, Pikine et l’UNESCO.

Ce comité définira les orientations du programme à venir (validation des objectifs sociaux et urbains du programme, modalités financières, viabilité opérationnelle, etc.) et veillera à la continuité et au suivi des réalisations.

Comité de suivi UNESCO, Municipalités, Services eau, assainis- sement

ENDA

I 1 équipe technique

animateur, technicien etc

Structures d’appui Service Hvaiène. ONG

réaiis tion

4

équipements assainissement

bornes fontaines

A

gestion animation

comités de gestion représentant d’associations,

groupements

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Des résultats

Les acquis sont incontestables : amélioration de l’environnement immédiat pour les familles, expérimentation de savoir faire en matière de gestion des quartiers par les acteurs clefs, associations de base et groupements.

Le programme d’assainissement et ses réalisations périphériques (acti- vités économiques) s’est organisé autour d’axes clefs :

la volonté d’un projet commun fondé sur l’hygiène et l’amélioration du cadre de vie qui apparaissent comme moti- vations fédératrices du programme clairement signifié par les habitants, l’appui sur des structures légitimées dans les quartiers (associations de base) mais aussi sur les instances tradi- tionnelles (sages, aînés, chefs de quartier) légitimant à leur tour le dispositif, des modalités d’animation inscrites et ancrées dans la vie des quartiers, qui tiennent compte de ses rythmes traditionnels et sociaux, réunions, débats, permettant d’enclencher une ré- flexion élargie mais aussi de recenser et de hiérarchiser les de- mandes émises à l’échelle sociologique essentielle (le voisinage).

La bonne réception du programme par les habitants et par les partenaires techniques et institutionnels dont témoigne la rapidité des délais de réalisation (moins d’un an) peut sans aucun doute être attribuée aux dispositifs de mobilisa- tion autour de l’hygiène et de l’assainissement à l’amont et à l’aval des réalisa- tions :

- formation de comités de base (pour la collecte des ordures et les ou- vrages individuels d’assainissement) prenant appui sur les associations des quartiers et formation de relais chargés de l’information, l’animation à l’échelle du voisinage ;

- modes d’animation, de sensibilisation et de réalisation effectuées en collaboration avec des partenaires reconnus dans les quartiers ou dotés de compétences : CCTAS et Service National d’Hygiène ;

- cadre opérationnel (financement, participation financière, choix des priorités et suivi) mis en place par une ONG, accepté par des partenaires institutionnels (la Commune en premier lieu), relayé par des Bailleurs de fonds.

La légitimation par les partenaires, en particulier par l’UNESCO et autres bailleurs de fonds, apparaît ici’ évidement comme un levier pour la traduction ef-

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fective, rapide d’un projet ou pour aider à sa formalisation, au delà des seules revendications des habitants.

Néanmoins, cette dynamique communautaire enclenchée autour de I’environne- ment ne doit pas masquer les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre (ex- périmentale) de cette première phase, telles que les acteurs du programme l’ont évalué eux-mêmes au cours d’un atelier « de capitalisation » en février 1997’ :

- les difficultés au quotidien de collaboration, de dialogue entre associations de base. Conflits ou comportements hégémoniques des uns ou des autres, qui réactivent souvent des rivalités identitaires sinon ethniques, avec en arrière plan un enjeu partagé : la volonté d’encadrer les citadins, sinon de contrôler ou de « marquer » des territoires communautaires (les quar- tiers).

- les difficultés rencontrées pour le recouvrement des cotisations financières des habitants (compte tenu de leur faibles revenus) pour les ouvrages d’assainissement (retard de paiement), pour le paiement du service de collecte des ordures , ce qui soulève la question de son appropriation et de sa rentabilité,

- les quelques difficultés techniques rencontrées au stade de la réalisation (conflits d’usage d’équipements, mauvaise localisation de certains ouvra- ges).

A l’issue de cette première phase, une limite est soulignée quand à l’impact du programme. En raison de l’échelle et des moyens modestes du programme, mais aussi des difficultés d’information dans les sous-quartiers, les ouvrages réalisés concernent d’abord les bénéficiaires les plus solvables ou les moins pauvres, qui peuvent potentiellement apporter une contribution financière, fût-elle faible (200 CFA). L’exigence d’une meilleure prise en compte des populations les plus pauvres devient dès lors pour les partenaires un des enjeux de la deuxième phase.

Vers un chanaement d’échelle aualitatif et auantitatif : les enieux Dour la Doursuite du Droaramme (199%19991

Si on connaît les déficits actuels des quartiers, on connaît également l’ampleur des efforts nécessaires pour les résorber. Les actions com- munautaires dans les quartiers créent un effet d’appel : les besoins engendrent plus de demandes qui appellent plus de moyens.

Forts des acquis et des enseignements de cette phase pilote , mais aussi de la demande sociale exprimée par les riverains et générée par les réalisations, des axes ont été fixés pour la poursuite du pro- gramme:

’ Le compte rendu est consigné dans « Développement social et développement local dans les quartiers de Yeumbeul, Guinaw-Rail », Salimata WADE, février 1997.

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- équiper, structurer, animer, pour plus d’habitants,

- dans des dispositifs plus solidaires, dans des cadres de partenariat lo- caux.

L’ancrage géographique du programme : vers plus de réalisations et plus d’effets économiques

C’est un véritable saut d’échelle quantitatif qui devrait ainsi s’opérer en deuxième phase, avec une accélération des réalisations. Le nombre d’ouvrages prévus (300 latrines, 100 puisards) suite aux enquêtes faites par ENDA-Ecopop auprès des familles devrait être multiplié par huit (environ 520 bénéficiaires). Sont également prévus :

- 20 bornes fontaines réalisées en partenariat avec le concessionnaire pu- blic pour l’exploitation de l’eau (SONEES). Le programme participera éga- lement à l’installation de branchement sociaux individuels ;

- la collecte d’ordures avec une dizaine de charretiers. Le circuit de col- lecte et la tarification seront étudiés en concertation avec la coordination des Groupements de jeunes intervenant dans la Communauté urbaine de Dakar (CAMCUD), qui ont acquis une forte expérience dans la gestion des déchets urbains ;

- la réfection ou la construction d’équipements publics (école, centre de soins communautaire, salle de réunions pour les associations), avec la contribution financière des habitants dans le cadre d’un fonds d’investis- sement local qui sera créé.

Le soutien aux initiatives et aux projets d’activités économiques des groupes les plus vulnérables (femmes, jeunes sans emploi) - qu’ils soient générateurs de revenus ou d’emplois - sera poursuivi (octroi de petits crédits, formation).

Le coût de cette seconde phase est estimé à $0,6 Million US, cofinancés par l’UNESCO (20%), la Coopération française (30%), l’Union Européenne (30%) et la participation du concessionnaire d’assainissement, inaugurant ici un nouveau mode de partenariat.

Vers un changement d’échelle qualitatif

C’est bien l’ancrage institutionnel et social du programme qui est en jeu à travers son extension. Un fonds d’assainissement issu de la cotisation populaire sera créé. II permettra d’aider les ménages qui ne peuvent financer de façon auto- nome les travaux d’assainissement par l’octroi d’un prêt remboursable. Il pourra être alimenté par les recettes et les bénéfices générés par les services urbains lucratifs (vente d’eau, collecte ordures) et par les bailleurs de fonds pour financer des travaux sur les quartiers. Ce type d’outil social devrait instaurer un principe de solidarité, d’équité, de mutualité dans l’accès aux services de base, notam-

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ment pour les plus défavorisés. Il devrait renforcer ou impulser les responsabili- tés collectives et individuelles et donc dynamiser la gestion des quartiers.

D’autre part, le programme affiche fortement des objectifs prioritaires de conso- lidation des pattenariats locaux et institutionnels à diverses échelles :

- renforcement du partenariat avec la Commune et les concession- naires publics. Ces derniers peuvent être amenés à participer financiè- rement aux investissements (dans le cadre du Fonds d”Assainissement), mais surtout être associés à la conception ou à la gestion des ouvrages (bornes fontaines, collecte ordures) ;

- consolidation du partenariat - voire contractualisation - avec les associations locales, les structures d’appui (Service d’hygiène, CCTAS) pour des missions bien délimitées autour de la sensibilisation sa- nitaire, et à l’environnement ;

- consolidation de la maîtrise d’oeuvre sociale par l’appui aux associations de base qui sont les interlocuteurs directs des habitants (appui logistique, matériel, formations) en vue de leur autonomisation ;

- aide au rapprochement encore faible entre pouvoirs locaux (et leurs services) et les habitants (ou leurs représentants), qui aille dans le sens d’un dialogue élargi sur les quartiers.

La perspective d’un projet de plus en plus décentralisé ou partagé que l’on voit s’esquisser à une micro-échelle, représente un changement d’échelle important, pour le quartier, pour la lisibilité de l’expérience et pour le programme « Villes » de l’UNESCO.

Dans ce chantier, la place d’une organisation internationale telle l’UNESCO est importante, parce qu’elle légitime l’action collective autant qu’elle est en retour légitimée par elle.

L’appui du programme « Villes : Gestion des transformations sociales et de I’en- vironnement » qui continuera d’accompagner l’expérience communautaire de Yeumbeul consiste à faciliter cette mise en convergence d’acteurs du « haut » et du « bas », locaux et internationaux.

Les enjeux sociaux de ce programme et de ses objectifs augmentent de façon substantielle (rappelons-le, les objectifs quantitatifs sont multipliés par huit). Ceci exige une lisibilité des priorités, des modalités de mise en œuvre et des résultats.

Identifier les noeuds de l’action permet de mieux assurer ces « passages d’échelle ».

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PARTIEII:MIEUXCONNAITRE POURMIEUXAPPUYER...

1. LESDIFFERENTS VISAGESDELAPARTICIPATION DESHABITANTS

2. IMPACTS ET RESULTATS D’UN PROGRAMME D’APPUI AUX QUARTIERS DEFAVORISES

3. GESTIONPOPULAIRE OU GESTIONS PARTAGEES:COMMENT MIEUX APPUYER LES INITIATIVES LOCALES ?

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1. LES DIFFERENTS VISAGES DE LA PARTICIPATION DES HABI- TANTS

L’expérience conduite à Yeumbeul, même si elle ne peut être lue en dehors de son contexte et de ses spécificités, apporte un éclairage sur des questions cen- trales qui sont celles du « milieu » du « développement » :

- Qui sont les acteurs de la gestion populaire urbaine, et quels sont les comportements collectifs issus du système de participation des habitants?

- En quoi un simple dispositif de gestion populaire autour de I’environne- ment est-il porteur d’enjeux plus globaux ?

- Quel est le véritable impact des politiques d’appui aux quartiers, comment le mesurer, et, au delà, comment mieux les organiser aux différentes échelles?

Au oréalable, au’entend-on Dar oarticioation ?

Une initiative de gestion populaire urbaine comme celle de Yeumbeul recouvre étroitement la notion de participation. Si l’usage de la Participation (appelée aussi «développement participatif», «mobilisation», «développement à la base») est de plus en plus fréquent par les pouvoirs publics, les ONG, les chercheurs, les bailleurs de fonds et les habitants, force est de constater que ni ses contours, ni ses mécanismes ne sont toujours bien délimités.

S’agit-il d’une participation technique des usagers habitants à un dispositif ? S’agit-il d’un investissement social dans une action ? S’agit-il d’une participation financière? Force est d’admettre que ce qui relève pour les uns d’une modeste information des habitants, pour les autres d’un processus de management col- lectif d’un quartier, ou encore d’un acte politique, n’appartient ni au mêmes en- jeux, ni aux mêmes pratiques, ni aux mêmes intérêts. Car qu’y a-t-il de commun entre une contribution financière de l’habitant à l’équipement des quartiers (comme c’est souvent le cas en Afrique de l’Ouest) et les profondes transforma- tions sanitaires issues d’un système de participation (en Inde par exemple) ?

Les difficultés de définition de la participation tiennent à I’instrumentalisation très forte qui en est faite par les pouvoirs locaux, les ONG, les citoyens, les bailleurs de fonds”. L’usage du discours sur la participation recouvre des perceptions, des interprétations et surtout des enjeux de développement radicalement divergents selon les acteurs.

Devant la disparité des situations, des pratiques, et des difficultés de définition conceptuelles il est préférable de délimiter des degrés ou des seuils de participa- tion qui s’effectuent aux différentes séquences d’une action collective, de la mo-

l” Voir à ce sujet, par exemple « Décentralisations en questions », sous la direction de Sylvie Jaglin, Editions Khartala, 1993.

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bilisation du citoyen, à la décision collective, à la gestion, voire à la « gouvernante », de quartiers.

Sur le terrain, ce qu’est ou n’est pas la participation

- Elle n’est pas une norme, mais un engagement responsable collectif et in- dividuel.

- Elle n’implique pas forcément que les citadins soient associés à toutes les étapes d’un processus communautaire.

- A l’inverse, la gestion, le management d’équipements et de services de proximité, ne sont que des formes possibles de la participation qui peu- vent être partagés avec les services publics.

Elle comprend différents degrés :

l La responsabilisation individuelle, en tant que citoyen usager: - actes domestiques et quotidiens pour améliorer l’environnement

immédiat (santé, environnement, services), - sensibilisation du voisinage sur la nécessité de coopération au sein

d’un projet, - actions de quartier (entretien des espaces, solidarité)

l la contribution matérielle ou financière directe aux actions de quar- tier :

- cotisations, prêt de matériel ou contribution en main-d’oeuvre, - paiement de service qui concourent à l’environnement, cadre de vie

l la oarticioation active à l’élaboration d’un oroiet : - participation aux réunions (mobilisation, concertation, assemblées

générales) et aux orientations prises, - participation aux élections de représentants de quartier et au suivi

des projets

l la prise de resoonsabilité dans le manaqement communautaire. Il correspond au degré le plus élevé de participation de l’usager :

- il devient membre de comités, engage sa responsabilité morale voire financière

- il s’implique dans le contrôle du projet - il rend compte au voisinage des décisions - il coopère avec les pouvoirs publics.

Oui sont les citadins imoliaués dans les initiatives ?

La terminologie « acteurs communautaires » ou « acteurs de base » pour dési- gner les citadins impliqués dans des initiatives, recouvre là encore des catégo- ries, des stratégies, des pratiques de regroupement hétérogènes. Les acteurs

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individuels, qui passent la plupart du temps par I’associativité, sont les femmes et les jeunes, comme en témoigne le cas de Yeumbeul.

l Les femmes sont les premières à s’impliquer dans l’espace public pour un meilleur environnement. Au Sud plus qu’ailleurs, elles sont souvent considé- rées comme les acteurs essentiels dans les transformations sociales et politi- ques. C’est souvent à partir de leur cadre de vie immédiat qu’elles ouvrent des revendications. Elles sont en effet les premières concernées par les pro- blèmes d’environnement à l’échelle domestique et de proximité, pour en subir au quotidien les difficultés (maladies, absence d’eau, insalubrité).

De nombreux exemples montreraient que ces femmes sont dotées d’un sens civique et d’une volonté d’action pour .améliorer l’habitat, la santé et I’éduca- tion. Comme à Yeumbeul, elles sont très actives dans les comités locaux d’hygiène et sont des relais importants d’information, sensibilisation à l’échelle du voisinage. Malgré les barrières religieuses et sociales elles investissent la sphère publique et associative pour s’exprimer. Comme le montre le cas de Yeumbeul qui ne comporte pas moins de 80 groupements féminins, la visibi- lité féminine est très forte dans les associations.

l Les jeunes sont également des acteurs importants dans la mobilisation au- tour de l’environnement et du développement et constituent la base des asso- ciations de développement, GIE... Etant scolarisés, ils peuvent mesurer les enjeux économiques et sanitaires autour du développement de leurs quar- tiers, ainsi que les enjeux de la démocratisation politico-administrative. Sou- vent sans emploi, ils sont disponibles et motivés pour des actions de quartier de proximité par lesquelles ils peuvent prétendre éventuellement à une acti- vité productive (charretier, animateur, éducateur, par exemple).

l L’associativité apparaît bel et bien à Yeumbeul et dans les quartiers popu- laires comme étant ce qui permet d’amortir la crise. L’habitant est avant tout un faiseur de réseaux, notamment en Afrique de l’Ouest où les systèmes de regroupements sont multidirectionnels. Quelles que soient sa nature et son origine, le regroupement permet d’activer une série de réseaux - symboli- ques, parentaux, économiques, relationnels - qui relient le voisinage à la rue, aux instances politiques et au « milieu » du développement”.

L’associativité qui permet de formaliser des actions urbaines structurées, est façonnée par ce tissage de réseaux internes ou externes qui se fortifient au contact des uns et des autres. Ainsi qu’on peut le constater à Yeumbeul, dif- férentes catégories de regroupements existent qui fonctionnent comme des filières d’acteurs:

l Les regroupements à caractère traditionnel fondés sur l’appartenance ethnique ou sur la parentalité. Très marqués à Yeumbeul, où coexistent plu- sieurs communautés Iébou, wolof, toucouleur, ils donnent lieu à un occupation forte, sinon un marquage de l’espace public. Originellement constitués sur des objectifs informels limités (échanges, solidarité, maintien d’un système de re-

l1 Voir notamment à ce sujet «Familles dakaroises face à la crise», ANTOINE, FALL, BOCQUER, Editions de I’ORSTOM, 1995.

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présentation clanique), ils sont loin d’être imperméables aux enjeux de quar- tier et représentent un capital social mobilisable. Le cas de deux des organi- sations de base de Yeumbeul (UN et AJYPROS) montre qu’elles savent inté- grer ou évoluer vers des préoccupations urbaines et sociales.

l Les tantines, caisses de crédit ou d’épargne féminines. Ce sont des groupements informels, très nombreux dans la banlieue de Dakar, qui repré- sentent un capital social et économique considérable. Elles opèrent le passage entre projet économique (individuel ou collectif) de proximité et projet com- munautaire de quartier.

Toutes ces associations informelles, d’autant qu’elles savent bien capter les en- jeux et les projets de développement, évoluent le plus souvent vers un statut de groupement formel.

l On le voit à Yeumbeul, les organisations formelles (associations, groupe- ments féminins) disposant d’un statut juridique, voire commercial, sont les bases les plus importantes pour les actions de quartier (activités économi- ques, alphabétisation, santé...). Bien que dotées de faibles ressources finan- cières, elles fournissent un potentiel humain (bénévolat, voIo,ntariat) de plus en plus présent dans la sphère économique et publique. Ces groupements et organisations de base savent se situer dans un jeu d’acteurs locaux. Les groupements sont en effet bien souvent à la fois acteurs et clients du déve- loppement communautaire. L’associativité peut être un tremplin pour évoluer vers I’entreprenariat économique ou politique, pour accéder à un statut social et contribuer en même temps à des actes citoyens (la gestion et I’améliora- tion de son quartier).

De la oarticiDation à la reorésentation de l’habitant

L’initiative communautaire pour formaliser un projet commun autour du quartier ou simplement pour créer des structures de gestion ou de réalisation - par exemple, la collecte des ordures et la gestion des eaux usées - met en jeu la participation directe ou indirecte de l’habitant.

Quand il n’existe pas de comité de quartier (comme c’est le cas à Yeumbeul) la représentation de l’habitant repose sur les associations de secteur qui condition- nent pour beaucoup la conduite des « projets ». Or, celles-ci, tout en étant le reflet des dynamiques locales, ne sont pas indépendantes des pouvoirs, réseaux et rapports de force qui traversent la société civile.

La première phase du projet de Yeumbeul a révélé, par exemple, des difficultés, certes loin d’être singulières, et qui n’affaiblissent pas le bien fondé collectif du programme.

D’une part, les organisations de base « porteuses » du projet de quartier et « représentant » les habitants (choix des objectifs et des modalités d’exécution) fonctionne pour beaucoup sur un axe clanique ou ethnique, que l’on a rappelé comme prédominant dans les quartier irréguliers.

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L’arrière plan ethnique et les revendications identitaires qui s’ensuivent, ne sont donc pas étrangers aux conflits entre associations et masquent (mal) le souhait de contrôle social compréhensible du quartier, par les uns (les plus anciens, les autochtones) sur les autres (les allogènes, les derniers arrivés). Il s’agit pour les uns au minimum de « tirer » le projet et ses ressources vers son secteur, ou pour les autres de s’imposer comme instance de pouvoir et de décision, dans un jeu d’acteurs difficile à réguler.

D’autre part, les organisations de base, porteuses d’un projet d’intérêt collectif pour le quartier, ne sont pas imperméables aux comportements d’entrisme, voire aux stratégies individuelles pour la défense d’intérêts particuliers. Dans un cas il s’agira de ne pas trop élargir la base sociale pour garder le contrôle de I’associa- tion. Dans un autre, il s’agira d’accéder aux commandes de l’association pour asseoir un projet individuel.

En outre, ce sont bien souvent les membres les plus dynamiques des quartiers, compétents et scolarisés, voire militants politiques, que l’on retrouve à la tête des associations et plus tard aux commandes des comités de quartier. Le lea- dership que l’on distingue quelquefois mal de stratégies personnelles, avouées ou non, permet de mobiliser la population, et même les politiques, en usant de ressources relationnelles. En revanche, la conduite d’un projet d’intérêt général, laissé entre les mains de quelques membres, empêche bien souvent le passage à une responsabilisation plus collective de l’association, et donc de sa base so- ciale c’est-à-dire, l’habitant, l’usager.

Les pratiques des regroupements communautaires pour promouvoir une solida- rité de quartier ouvrent sans cesse sur des enjeux majeurs : la représentation réelle de l’habitant et la responsabilité collective dans une dynamique de projet.

Les habitants ne sont pas égaux devant l’initiative. Selon qu’ils sont hommes, femmes, scolarisés, analphabètes, aisés ou pauvres, ils ne disposent pas des mêmes opportunités ni des mêmes espaces pour s’exprimer. D’autre part, ils n’ont pas les mêmes intérêts et besoins.

Du fait que l’habitant n’est pas toujours membre d’une association de base ou d’un comité de quartier et qu’il élit ou désigne des représentants de comités, sa représentation est d’abord une construction formelle et symbolique. Dès lors qu’il n’est pas toujours associé directement à un projet collectif, comment s’assurer qu’il est bien représenté par les dispositifs qui se réclament de sa légitimité, d’autant que ceux-ci sont plus ou moins ouverts, personnalisés, dynamiques ? Et d’abord qui parle au nom de qui ? Qui décide au nom de qui ?

Représentation formelle ou légitimité réelle des associations

A Yeumbeul les organisations qui décident d’orientations pour le quartier ou sont impliquées dans des actions citoyennes montrent qu’elles savent s’adapter et modifier si besoin leur cadre de représentation : se rapprocher pour mettre en place un cadre unique de concertation, intégrer de nouveaux acteurs, anticiper des enjeux.

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C’est le rôle de I’ONG que de les appuyer et de veiller à l’équilibre social et à une représentation élargie des forces du quartier : équilibre entre sous quartiers, équilibre entre associations, intégration de personnes médiateurs comme les instances traditionnelles (sages, chefs de quartier, chefs religieux).

Même si - et c’est le cas à Yeumbeul - les dispositifs de concertation et d’infor- mation permettent de bien couvrir les besoins (diagnostic participatif, ateliers, débats par sous secteurs, enquêtes), même si les associations sont très ancrées dans les quartiers, la représentation et l’expression des habitants a ses propres limites.

Le voisinage, pour être l’espace naturel d’expression de la demande, n’en cons- titue pas pour autant une communauté d’intérêts. Les riverains voisins ne sont pas égaux devant l’accès à l’information « à la base ». Ce sont les populations les plus pauvres et les plus fragilisées et donc les moins alphabétisées (les vieux, les femmes), qui sont les plus éloignées des sources d’information et des associa- tions.

Les femmes alors qu’elles sont très impliquées dans les enjeux de changement, restent encore sous-représentées dans les organes de décision collective (comi- tés de quartier, de gestion) en raison des barrières religieuses et du poids des hiérarchies traditionnelles.

Certains quartiers ne disposent pas toujours de personnes-relais ou d’espaces de réunion, d’informations. Les associations, voire les ONG, peuvent donc se trouver éloignées géographiquement des préoccupations des habitants et de la demande sociale exprimée à l’échelle domestique et de voisinage.

D’autre part, la demande exprimée, formalisée ou centralisée par les organisa- tions populaires n’est pas toujours la demande réelle. Les besoins des habitants ne sont pas nécessairement réductibles à la seule légitimité de structures qui prétendent les représenter, d’autant que ceux-ci ne connaissent pas toujours bien les cibles de populations ou qu’ils peuvent filtrer ou orienter les demandes « de base ».

Dès lors, il appartient aux structures d’appui (les ONG et les bailleurs de fonds) de veiller à l’accès des populations les plus démunies à l’information et à leur in- tégration dans une démarche de quartier, de faire en sorte que les associations tirent une légitimité réelle, sociale, issue de leur représentation.

Participation et énonciation d’objectifs

La participation ne peut être dissociée de la notion d’intérêt des habitants à s’organiser, négocier, pour bénéficier des opportunités d’un projet, obtenir des équipements et des marchés.

La transaction, la négociation, le contournement/détournement des objectifs sont structurellement inhérents aux initiatives communautaires dans des contextes où les stratégies sont fortes pour organiser sa survie.

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La participation renvoie à des intérêts et à des stratégies différents d’un habitant à un autre, d’une organisation de base à une autre. Aussi revient-il en premier lieu aux associations et à leurs structures d’appui de formuler clairement les at- tendus de la mobilisation et de la gestion populaire. Quels enjeux, pour quels objectifs, avec quelles populations, pour quels résultats ?

2. IMPACTS ET RESULTATS D’UN PROGRAMME D’APPUI AUX OUARTIERS DEFAVORISES

A la lumière de l’expérience de Yeumbeul, quels sont globalement les effets structurants d’un programme autour de l’environnement et avec la participation des habitants ?

Les asoects financiers de la oarticioation

Dans la plupart des expériences communautaires la participation de l’habitant à la gestion urbaine et son environnement recouvre celle de contribution finan- cière. Il est appelé à cotiser dans des modalités assez variables pour la réalisa- tion des ouvrages d’assainissement ainsi que pour la construction d’écoles, de locaux associatifs ou de bornes fontaines.

Des outils de financement peuvent être créés : rappelons qu’à Yeumbeul un fonds d’investissement local, issu des cotisations des habitants et permettant d’avancer le montant des cotisations aux plus démunis, sera créé.

La cotisation financière est perçue comme un acte symbolique, civique, impor- tant, par le citadin des quartiers irréguliers d’autant qu’il est tenu habituellement à l’écart des décisions et des pouvoirs publics. De ce fait, il devient producteur ou co-producteur et gestionnaire de services urbains de proximité. Cette participa- tion renvoie à une notion forte de propriété symbolique (des ouvrages, sinon du quartier) et a fortiori à la responsabilité qu’instaure ce droit de propriété ou d’usage.

Certes, elle est une solution réparatrice, pragmatique aux besoins et aux diffi- cultés immédiates, liés à l’absence d’équipements et de gestion publique. Elle permet de réunir rapidement des fonds et de réaliser efficacement des ouvrages qui satisferont les habitants tout en légitimant un processus d’action et de mobili- sation collective.

Cependant, dans les quartiers les plus délaissés où les besoins et les demandes sont nombreux et où les initiatives locales créent un effet d’appel, les citadins sont amenés à cotiser de plus en plus souvent et même pour plusieurs réalisa- tions à la fois (école, santé, espaces publics, etc.), au risque de saturation et de démobilisation.

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Ce mode de financement populaire pour des équipements relevant la plupart du temps des pouvoirs publics peut à terme être perçu comme un prélèvement fiscal parallèle ou déguisé, rarement exigé des quartiers riches. Au demeurant, de nombreuses questions restent en suspens tenant aux objectifs de solidarité:

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- Comment s’assurer que les projets d’amélioration des quartiers - et a for- tiori ceux qui ont la participation financière populaire - profitent bien aux plus pauvres ?

- Quelles sont les garanties ou les modalités d’accès aux équipements pour ceux qui seraient exclus du mécanisme de participation, faute de moyens financiers, faute d’information, ou parce qu’ils sont étrangers au quartier?

- Doit-on instaurer un contrôle sur les utilisateurs (« péage ») et établir ainsi un lien arbitraire entre participation financière, légitimité et droit d’usage ?

Comment évaluer un svstème de oarticioation : un défi oour les ONG, les associations et les bailleurs de fonds.

Une démarche communautaire perd sa finalité si son impact réel n’est pas connu.

Si l’on ne veut se contenter de constater que les équipements réalisés (assainis- sement, santé, équipements de base) satisfont la population - ce qui est incon- testablement le cas pour toutes les initiatives populaires,- il faut pouvoir appré- cier les retours économiques et sociaux pour l’habitant et pour le quartier.

Or,. on le voit à Yeumbeul, certaines réalisations sont difficiles à évaluer, qualita- tivement ou quantitativement. Comment évaluer, par exemple, l’augmentation du pouvoir d’achat au niveau du quartier ? Comment mesurer l’impact sanitaire et épidémiologique réel du programme d’assainissement et de potabilisation ? Les activités commerciales privées induites (une boulangerie créée par des jeu- nes, par exemple) doivent-elles être comptabilisées dans les résultats et impu- tées aux effets structurants du programme ?

L’évaluation de l’impact économique du programme et de la participation appelle des instruments de mesure, des outils et des méthodologies dont disposent ra- rement les organisations de base, voire les ONG, et encore moins les populations « cibles » (groupements, artisans, entreprises). Il est difficile pour un artisan tra- vaillant sur les investissements d’un «programme», ou pour un comité de gestion gérant des services lucratifs (eau, collecte ordure...) de juger de la rentabilité des bénéfices dégagés.

De même, l’évaluation de l’impact sanitaire d’un programme d’assainissement (comme celui de Yeumbeul) suppose que l’on dispose d’éléments d’enquêtes épi- démiologiques, et surtout qu’on puisse mettre en place des outils d’observation anthropologique sur les comportements des citadins (consommation d’eau, hy- giène, nutrition...).

On s’épuiserait à inventorier ici les critères possibles d’évaluation sociologique de la participation et de la gestion populaire. Ils sont d’autant plus hétérogènes que les interprétations sur la notion de participation sont variées.

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L’évaluation suppose que soient mises en place des grilles de lecture et d’analyse dynamique des actions : impact en emplois mais aussi créativité économique et juridi- que des montages, des procédures de gestion ; résultats financiers mais aussi capacités d’autonomie des asso- ciations et des comités ; pérennité des dispositifs mais aussi inscription dans la décen- tralisation; satisfaction de la population mais aussi appropriation, respon- sabilisation; collaboration des pouvoirs publics mais aussi dispositifs de co- qestion.

A Yeumbeul. auels effets socioloaiaues et économiaues du oroaramme d’aDDUi aux auartiers?

L’impact économique

A Yeumbeul, les effets économiques directs du programme (emplois créés, béné- fices et revenus) sont encore peu visibles et mesurables vu sa taille modeste en première phase.

Mais d’autres indicateurs entrent en compte pour mesurer l’impact économique :

- la masse de crédits individuels accordés aux micro-entrepreneurs, qui devraient se traduire rapidement par des revenus et des activités dura- bles (commerce, transformation de produits) ;

- les formations effectuées par les artisans sur les chantiers d’assainisse- ment qui consolident des savoir-faire dans différents corps de métiers ;,

- les formations accordées aux organisations de base en matière de gestion en vue de leur autonomie économique et logistique.

C’est l’expérimentation collective d’un dispositif qui permet aux uns et aux autres d’acquérir des compétences dans la gestion collective qui doit être mesu- rée et appréciée. Cette créativité collective doit à la fois permettre aux acteurs de s’émanciper économiquement mais aussi de générer des ressources en deuxième phase du programme :

- recettes provenant des bornes fontaines, de la collecte des ordures (la rentabilité de cette dernière activité reste à démontrer), gérés et contrô- lés au niveau des quartiers ;

- mise en place du fonds d’assainissement local qui devrait s’autonomiser par le jeu de la redistribution ;

- fonds de solidarité pour les plus démunis.

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Cet apprentissage d’une gestion urbaine et populaire créative, redis- tributive est un enjeu pour la pérennité des équipements et des dis- positifs de quartier : - pour que ceux-ci soient moins dépendants à terme de l’aide exté-

rieure (ONG et bailleurs de fonds) mais aussi de la contribution fi- nancière de l’habitant ;

- dans la perspective de la décentralisation mais aussi de la promotion de la solidarité.

L’impact sociologique du programme

Il est de plusieurs ordres : changements de comportements individuels et collec- tifs, coopération à l’intérieur et à l’extérieur du quartier, redistribution de rôles au niveau local.

l L’amélioration de l’environnement de proximité est incontestable pour les bénéficiaires d’ouvrages d’assainissement et du service de collecte des dé- chets urbains par la baisse des nuisances liées au rejet des déchets et des eaux usées. De même, les cinq bornes fontaines allègent considérablement les corvées des femmes (transport de l’eau) et modifieront inéluctablement les comportements en matière de consommation d’eau (baisse de I’approvi- sionnement aux puits non potables).

l La démultiplication des initiatives individuelles et des demandes pour la poursuite du programme - et pour son accélération - est l’un des signes de changement ouvert par le jeu de la participation et de la mobilisation. On en- registre ainsi :

- de nombreuses demandes d’équipements (collecte des déchets, assainis- sement, eau) des riverains prouvant par là même que le programme a répondu, au moins partiellement, aux attentes et a créé de nouveaux be- soins ;

- une augmentation des demandes d’aide par les groupements (crédits, aide logistique, aide à la formalisation de projets personnels). Là aussi, le pro- gramme qui offre un cadre de discussion, de dialogue et d’appui permet à l’habitant d’être reconnu et valorisé comme citoyen/citadin.

C’est très nettement le cas des initiatives féminines qui, si elles existaient préala- blement, ont pu ou peuvent être plus facilement énoncées dans un espace d’ex- pression collectif et avec un appui extérieur.

Les changements de comportements sanitaires et l’auto-responsabilisation

Il s’agit ici d’un des effets majeurs ouverts par la participation à la gestion ur- baine. L’habitant, quand il est un acteur reconnu dans un espace de responsabi- lités partagées, développe des participations et des pratiques citoyennes pour gérer, surveiller, entretenir et animer. En tant que contributeur financier, il est le

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meilleur relais pour la valorisation et la promotion d’un programme d’environne- ment dans les quartiers.

A Yeumbeul, où il a été étroitement associé à l’élaboration du programme d’as- sainissement dans des formes très adaptées - formation de relais, éducateurs sanitaires, ateliers de démonstration - il est à même de le promouvoir efficace- ment et aussi de gérer et d’entretenir les équipements (latrines, puisards, bornes fontaines).

La responsabilisation individuelle et collective à l’échelle .du voisinage est un acquis pour la poursuite du programme. Elle va accélérer la mobilisation des futurs usagers, autour de futurs ouvrages, mais surtout elle permet I’apprentis- sage de comportements collectifs sanitaires, l’acquisition de connaissances empi- riques (nutrition, santé, hygiène) qui peuvent être transmises.

L’ancrage territorial et la coopération de quartier

Le programme, en légitimant les quatre quartiers et les 18 sous-quartiers comme « échelle d’intervention », permet de renforcer les liens sociaux et communau- taires à l’échelle de proximité.

Bien qu’il faille relativiser ici toute identité de quartier, comme tendraient à le démontrer les conflits entre associations, il est clair qu’une action collective, portée de l’intérieur, permet aux citadins de coopérer, d’échanger, de s’identifier, par le jeu des collectes, des réunions, des réseaux de quartier. De surcroît, la légitimité acquise par le citadin au titre de la participation financière renforce son sentiment d’appartenance au quartier (voire que le quartier lui appartient).

Les effets les plus lisibles de coopération à l’intérieur du quartier résident dans le rapprochement d’acteurs:

- discussion entre associations devant aboutir à un cadre de concertation, vivement souhaité; rapprochement autour de thèmes partagés (environ- nement, insertion économique) ;

- mise en place d’outils communs entre groupements comme le projet de caisse d’épargne porté par les groupements féminins ;

- renforcement de l’assise sociale des comités locaux de gestion (assainisse- ment).

Coopération à l’extérieur : le dialogue avec les pouvoirs publics

Les actions réalisées, les savoir-faire acquis, la crédibilité renforcée des associa- tions permet d’ouvrir un dialogue avec les partenaires publics, assez faible au démarrage et aujourd’hui vivement souhaité par les associations elles-mêmes, relayée par I’ONG et les bailleurs de Fonds.

Différents espaces de concertation se mettent en place: autour du Comité de sui- vi du programme (Commune, Service d’hygiène, concessionnaire pour I’assainis-

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sement et l’eau) en deuxième phase, ou encore par la création du fonds d’assai- nissement qui devrait être cogéré avec la commune.

Vers une gouvernante de quartier

3.

Cette perspective d’outils communs et de rapprochement entre pou- voirs locaux et citadins inaugure un changement des modes de gestion urbaine à une échelle de plus en plus territorialisée.

Ce qui permettra d’apprécier la pérennité des actions mise en place sera sans doute la capacité des organisations de base et des quartiers d’élargir leur champ d’intervention, non plus à partir de la ‘seule gestion de proximité mais étendue à tous les secteurs de la gestion urbaine, et en même temps, au plus près des habitants.

Cette double perpective - élargir la gestion et le dialogue, tout en les décentralisant - donne tout son sens à la gouvernante de quar- tiers définie par de nouveaux rapports entre gouvernant et gouverné dans des responsabilités délimitées aux différentes échelles (de l’îlot au quartier).

Elle suppose une qualité de relations entre participants (ou leurs repré- sentants) et les institutions qui doit être encouragée par les partenai- res clefs.

GESTION POPULAIRE OU GESTIONS PARTAGEES : COMMENT MIEUX APPUYER LES INITIATIVES LOCALES ?

L’apprentissage en temps réel de la gestion urbaine populaire est complexe. On demande au citadin à la fois de faire la preuve de ses compétences sociales et de ses capacités à créer et gérer un service en y garantissant l’accès aux plus dé- munis, et bien souvent de créer des ressources financières pour le quartier.

Peu d’initiatives sont durables si, à un moment ou à un autre, elles ne sont pas légitimées ou reconnues par l’institution, par le politique. La mobilisation et la participation des acteurs « du bas » s’épuisent bien souvent, s’ils ne sont pas relayés par des partenaires institutionnels. La construction d’un cadre permanent et d’un partenariat est d’autant plus nécessaire, que I’ONG ne peut être toujours le seul soutien ou le seul interlocuteur communautaire, et surtout que la décen- tralisation ouvre de nouveaux espaces de coopération.

Au Sénégal et en Afrique de l’Ouest, la décentralisation des services et des pou- voirs publics telle qu’elle est amorcée devrait permettre de mieux délimiter le rôle des collectivités dans la gestion des territoires et de ses ressources. Elle devrait aussi pouvoir corriger les inégalités locales au profit des moins bien administrés. Mais le risque est grand qu’elle demeure un mode de gestion de la crise plutôt qu’un mode de gestion de la ville, tant la tentation est forte de réduire la crise de la ville à celle de sa gestion.

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Les initiatives de « base » ne doivent pas être abordées sous leur seul aspect conjoncturel, c’est-à-dire réparer ou se substituer aux charges et manquements des pouvoirs publics. Elles peuvent permettre de créer des services urbains qui soient aussi producteurs de rapports sociaux et « d’urbanité sociale »: cor- rection des inégalités, redistribution des acteurs.

Les montages négociés entre associations de base, ou ONG, et pouvoirs locaux, empruntant tout à la fois aux logiques institutionnelles et aux pratiques sponta- nées des quartiers, préfigurent bien les contours d’une gestion plus partagée. C’est ce que l’on voit se dessiner à Yeumbeul.

Comment s’effectue le Dartenariat sur le terrain ?

La gestion populaire urbaine tire profit d’un agencement plus ou moins favorable d’acteurs externes (Commune, Etat, bailleurs de fonds) dont le mode d’appui varie, selon les cas, d’un soutien symbolique à la mise en place effective d’outils et de partenariats décentralisés.

L’exemple de Yeumbeul démontre qu’existent des volontés, des convergences entre organisations de base, ONG et pouvoirs publics pour mettre en place des politiques et des outils communs dans les quartiers périurbains. Mais des diffi- cultés existent : des conflits de légitimité autour de « l’intérêt local », mais surtout l’insuffisance de politiques nationales et communales et de moyens pour penser la continuité des actions.

Les communes

Les communes ont en charge la continuité du fonctionnement de la Ville. Elles sont des acteurs institutionnels incontournables en raison de leurs prérogatives de gestionnaire territorial. Mais elles sont la plupart du temps dépourvues de moyens humains et matériels et de ressources financières. Elles ont en outre à amortir et absorber les transferts de charges issus de la décentralisation. Peu de communes ont par exemple des politiques d’environnement urbain qui embras- sent des dimensions plurielles (santé, assainissement, eau, économie). Avant d’être perçus comme des outils de développement urbain, l’assainissement, l’eau et les dispensaires demeurent surtout des services locaux à gérer.

Force est de reconnaître qu’elles se montrent encore insuffisamment actives dans l’appui aux initiatives communautaires. Soit elles se contentent d’être attentistes et d’encourager « symboliquement » à distance, (les acteurs communautaires étant des clientèles politiques); soit elles capturent les opérations, quand celles-ci sont reconnues ; soit elles se dédouanent de leurs responsabilités, là où le com- munautaire permet le rattrapage des insuffisances des pouvoirs publics.

Les communes parviennent rarement à penser des articulations, des stratégies, entre quartiers et territoire municipal. Là ou existe une offre institutionnelle (ser- vices préfectoraux, centre de santé, service d’hygiène), le rapprochement est peu encouragé avec les organisations de base (comités de salubrité, de quartier, comités d’eau...) pour mener des actions communes autour de l’environnement. Ou alors, des difficultés existent pour définir avec les comités de quartier ou les

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micro-entrepreneurs des responsabilités exactes pour articuler services munici- paux et services communautaires.

A l’inverse, les exemples tels que Yeumbeul, avec la Commune de Pikine et les deux mairies d’arrondissement, montrent qu’une coopération est possible. Celle- ci permet de :

- renforcer la légitimité institutionnelle de la commune dans les quartiers périurbains quand celle-ci fait la preuve de son soutien aux initiatives ;

- renforcer ses compétences, au contact de partenaires extérieurs, et de mieux maîtriser les mécanismes de participation ;

- crédibiliser en retour les acteurs communautaires qui ont besoin, à un moment où à un autre, d’être légitimés ;

- faire l’apprentissage de I’intercommunalité.

Avec les concessionnaires et les services publics

Qu’il s’agisse de la distribution en eau, de l’assainissement de la collecte des dé- chets urbains etc., les concessionnaires sont aussi très dépendants structurelle- ment des moyens et des politiques publiques, en premier lieu ceux de l’Etat. Ils interviennent rarement dans les quartiers périurbains ou irréguliers, et en con- naissent donc mal les acteurs de base et les ONG. Pourtant, l’émergence du communautaire et de cadres de gestion de plus en plus territorialisés offre des opportunités pour étendre leurs interventions et diversifier leurs savoir-faire.

A Yeumbeul, les bonnes relations entre les ONG (et a fortiori entre associations) et les concessionnaires des services publics laissent entrevoir de nouveaux mo- des de gestion qui sont aussi de nouvelles formes de rapports entre citadins et pouvoirs publics. La coopération avec les exploitants d’eau et d’assainissement (SDE/SONEES) devrait permettre des arrangements ou des négociations (coût des ouvrages, critères d’implantation, actions sanitaires). Elle va dans le sens d’une meilleure accessibilité des quartiers périurbains aux services de base. L’acte de coopération est aussi symbolique. En légitimant le quartier comme ter- ritoire pertinent de gestion, le concessionnaire et la Commune légitiment aussi le citadin qui acquiert des droits et des devoirs.

Au niveau des ONG

Bien souvent, des relations entre commune et ONG naissent des conflits de lé- gitimité, la commune reprochant généralement à I’ONG de ne pas l’associer, I’ONG se réclamant, elle, de la représentation populaire. La position d’intermé- diaire de I’ONG, entre « haut » et « bas », public et communautaire, local et gé- néral n’est certes pas toujours clarifiée. En outre, ses stratégies d’encadrement (que l’on ne peut détailler ici) conditionnent pour beaucoup la conduite et la ré- ception d’une démarche. S’agit-il d’aider des structures ou des acteurs individuels 7 S’agit-il d’encadrer fortement, ou au contraire de relayer une démarche dite d’auto-suffisance ? Faut-il s’appuyer sur les leaders, les plus réceptifs ou les plus reconnus ?

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A Yeumbeul, ENDA-Ecopop intervient avant tout comme relais au dialogue social, dans un contexte où existe une culture récente mais forte de la participation. Il s’agit moins d’impulser que de relayer l’émergence de mouvements populaires et répondre aux très nombreuses demandes d’appui. Il n’en demeure pas moins que les tâches de I’ONG sont nombreuses : aide matérielle aux groupements porteurs de projets, appui logistique pédagogique aux associations de quartiers, mise en relations d’acteurs, appui à la maîtrise d’ouvrage ou à la maîtrise d’oeuvre (bornes, assainissement).

L’ONG est garante de la cohérence des démarches de quartier et doit veiller à ce que soient respectés les objectifs initiaux, à ce que n’existe pas de discrimination ou filtrage de la demande « de base » au profit de groupes mieux organisés re- présentant des intérêts catégoriels.

Dans tous les cas, c’est l’autonomie progressive des populations qui est en jeu. Il est souvent plus facile de renforcer des réflexes assistanciels que des comportements véritablement émancipés. Toute politique d’appui aux quartiers et de « réduction » de la pauvreté doit dès lors s’appuyer sur une connaissance fine des quartiers, ses nœuds de pou- voirs et d’intérêts pour définir des objectifs clairs : quels types de po- oulations ? Pour quoi faire avec eux ?

Des Distes Dour l’action

La mise en place de politiques ou d’outils par une meilleure accessibilité aux ser- vices urbains dans les quartiers suppose tout à la fois de renforcer le juridique, l’économique, le social et l’autorité institutionnelle autour des initiatives.

Il ne saurait être question de définir un idéal type de la participation ou de la « gouvernante ». On peut toutefois évoquer quelques « leviers » pour des parti- cipations plus citoyennes et mieux administrées.

Renforcer les conditions d’une meilleure participation

La participation est avant tout un courant pragmatique qui « traverse » la ville et dont chacun s’accorde à reconnaître la créativité. Valoriser et mieux encadrer les énergies sociales, revient à identifier les acteurs clefs, individuels (femmes en premier lieu) et leaders traditionnels (aînés, chefs religieux, sages, chefs de quartier), qui contribuent pour beaucoup à la mobilisation, à l’information et à la médiation dans les quartiers.

La mobilisation des habitants repose aussi sur une ingénierie démocratique pour :

*

- identifier les difficultés, conflits, logiques d’intérêt qui pénalisent en pre- mier lieu les plus démunis, et s’appuyer sur des acteurs de régulation notamment les instances traditionnelles (sages chefs de quartier) ;

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- créer d’avantage de lieux d’information, de réunions au plus près de I’ha- bitant ;

- consolider les bases sociales des groupements pour qu’ils identifient mieux les population par niveau social et aient des bases d’adhésion élar- gies ;

- s’appuyer sur des organisations qui aient un ancrage territorial et soient porteuses d’un projet d’intérêt général ;

- se donner d’avantage de moyens de connaissance des quartiers, des pra- tiques citadines, de la demande sociale et de ses lieux d’expression.

De même l’habitant doit être mieux associé au processus de décision et de gestion, pour que les résultats soient plus performants sur les plans économique et social :

- les responsabilités doivent être mieux partagées au sein des organisations de quartier qui gèrent des services, qui décident des choix stratégiques ou d’investissements, pour que les décisions engageant le quartier ne soient pas celles de quelques individus ;

- les structures doivent être encadrées, en vue d’une plus grande transpa- rence et d’un meilleur respect de l’intérêt général, leurs capacités en ma- nagement gagneraient à être renforcées. Leur légitimation par l’interne (parrainage par les instances traditionnelles) et par l’externe (techniciens, élus, bailleurs de fonds) est une étape importante.

Mais surtout, les performances sociales économiques des dispositifs de gestion urbaine populaire passent par une responsabilisation et une association ef- fective du citadin (qui est aussi usager) autour des aspects sanitaires, d’hy- giène, d’environnement, d’entretien des ouvrages :

- consultation de l’habitant à toutes les séquences, modes d’animation adaptés et ciblés par catégories de populations selon ses rythmes so- ciaux, intégrant ses habitudes culturelles ;

- budgets et moyens systématisés pour l’animation sanitaire et la sensibili- sation à l’environnement ;

- rapprochement pour la responsabilisation avec les structures commu- nautaires déjà présentes à l’échelle de proximité (tontines, comités de santé, comités d’eau...) et collaboration avec les structures publiques.

Instaurer une présence de la Commune et de l’Etat dans les quartiers périurbains aux cotés des citadins

Si l’on admet que le communautaire ne peut pas tout régler, beaucoup reste à faire pour asseoir des modes de gestion partagée entre gouvernants/gouvernés,

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notamment parce qu’il existe une méfiance forte des habitants périurbains en- vers la représentation politique, celle-ci étant souvent accusée de clientélisme.

Pour avoir une légitimité institutionnelle et un rôle d’arbitrage fort, les communes doivent être fortement encouragées à intervenir dans les quartiers les moins bien administrés, donc les plus pauvres.

La restauration (ou instauration) de la présence de la commune doit permettre de créer un effet d’appel pour les associations, les ONG, les citadins, et donc dynamiser des processus d’action. Ceux-ci passeront de plus en plus par le partage de territoires de gestion entre organisations de base et services municipaux. Les interfaces entre territoires communautaires et municipaux ga- gneraient donc à être mieux définis par des liens officiels et contractuels en- tre l’UNESCO et les autres financiers, les ONG, associations et communes aux différentes séquences et responsabilités : animation, gestion, réalisation d’ouvrages.

Les communes ont également à mettre en place des cadres juridiques: règle- ment d’assainissement, appui des activités économiques dans les quartiers, lé- gislation et politiques d’environnement.

Ce qui est vrai pour la commune l’est aussi pour les services publics (santé, em- ploi, éducation...) et parapublics (les concessionnaires d’eau, assainissement) voire les opérateurs privés auxquels les communes délèguent la gestion urbaine. Ils ont à se rapprocher des acteurs communautaires, mettre en commun des compétences professionnelles et techniques, définir des actions (notamment dans la santé, l’hygiène, l’alphabétisation).

La démocratisation-décentralisation n’est pas le prétexte qui permettrait aux appareils d’état de se dégager de leur fonction de régulation sociale et ins- titutionnelle. Il revient à l’Etat avec l’aide des bailleurs de fonds de suivre au plan local le transfert des charges aux collectivités, d’organiser la gouvernante. En outre, l’Etat dépositaire de l’intérêt collectif a évidemment un rôle important dans l’impulsion de politiques intégrées, mieux cordonnées, en faveur de I’envi- ronnement et de la réduction de la pauvreté.

De même, il appartient aux ONG et aux bailleurs de fonds de renforcer des moyens d’action et de connaissance qui aillent dans le sens d’une meilleure qualité de relations entre gouvernants et gouvernés et d’une accessibilité des plus pauvres aux services urbains. Cela passe notamment par des procédu- res de légitimation des acteurs, et de leurs dispositifs. Ceci est déjà le cas à Yeumbeul où le représentant du Bureau Régional de l’UNESCO est membre du comité de suivi du programme mené sur les quartiers.

Ces nouvelles échelles de gestion appellent dans bien des cas une nouvelle cul- ture professionnelle et technique : métiers et compétences plus tournés vers les quartiers, permettant la mise en place de politiques intégrées et décentralisées, que les bailleurs de fonds doivent pouvoir appuyer. C’est dores et déjà le cas du programme MOST qui appuie des formations aux nouveaux métiers de la Ville en Afrique de l’Ouest.

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Enfin, l’exigence d’une meilleure prise en compte du « droit à la ville » passe par une approche fine et contextuelle des quartiers pour pouvoir apprécier la diver- sité des situations citadines : analyses sociologiques, anthropologiques, notam- ment autour des comportements sanitaires, mis en place d’outils d’évaluation dynamiques et moins uniformisants, qui enrichissent la connaissance des bailleurs de fonds et des ONG. Ceux-ci ont aussi à intégrer la temporalité de projets. L’espace temps de l’habitant n’est pas celui de l’institution. Les cycles institutionnels définis au Nord selon des contraintes programmatiques (un à trois ans) ne correspondent pas toujours au cycle sociologique des projets au Sud. Là où n’existe pas de culture de la participation et de la démocratie, I’ap- prentissage de la gestion urbaine populaire passe, par un temps de maturation et d’expérimentation.

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CONCLUSION

LES ENJEUX POUR LE PROGRAMME « VILLES >B DE L’UNESCO

On le voit, l’appui qu’apporte le programme aux dynamiques de quartiers dé- passe la seule logique de résultat : équiper les quartiers ou contribuer fut-ce mo- destement, à réduire la pauvreté urbaine.

Si l’expérience de Yeumbeul apparaît comme porteuse et productrice de sens pour la recherche en sciences sociales et pour l’action, c’est parce que I,es prati- ques des citadins autour de l’environnement sont des espaces privilégiés d’ob- servation des transformations sociales.

Les enjeux de citoyenneté sociale urbaine autour de l’environnement

L’accès aux services de base (eau, assainissement, pour l’essentiel) est en effet une clef d’entrée à la participation urbaine, parce que ces services re- présentent des enjeux concrets importants pour les citadins : l La mobilisation urbaine dans les quartiers part presque toujours de de-

mandes d’infrastructures (eau, assainissement). L’eau notamment est un besoin incontournable, vital, qui accélère la mobilisation des citadins et amène à coup sûr une adhésion générale, car elle débouche sur des ré- sultats immédiatement visibles.

l De façon moins visible, l’eau et l’entretien de l’espace domestique ren- voient aux représentations symboliques religieuses et anthropo-logiques (autour de la pureté, notamment).

l La mobilisation autour des infrastructures primaires qui débouche sur des réalisations communautaires est une forme d’expression et de re- vendication populaires ou politiques, sinon une tactique pour signifier aux pouvoirs publics leurs manquements les plus graves. Elle sanctionne donc les relations ou les non-relations entre citoyens et pouvoirs locaux dans les quartiers.

l Mais surtout la construction ou l’amélioration des infrastructures de base permet d’accéder directement à une reconnaissance ou à une citoyen- neté urbaine, foncière, minimale.

L’équipement en assainissement, réseaux primaires et eau permet aux quartiers, non ou mal administrés, d’acquérir un statut spatial minimal (par la régularisation foncière notamment). II leur permet de sortir de leur statut informel et d’être reconnus de fait comme territoire urbain économique et productif. La sécu- risation des habitants mieux desservis, mieux équipés, débouche sur la formula- tion d’enjeux de quartier, donc l’apprentissage d’un processus collectif de gestion urbaine, que l’on a suffisamment évoqué.

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Quelle production de sens pour le programme « Villes » ?

Les initiatives en matière d’environnement urbain, pour des conditions minimales d’habitabilité apparaissent bien comme le moyen d’activer à l’échelle de proximité un processus de transformations politiques et sociales. Si ces pratiques citadines sont généralement mise en oeuvre à une échelle micrologique et interstitielle (celle des quartiers périurbains), la portée n’en n’est pas moins importante pour la compréhension des mécanismes de production de la ville au Sud, et pour le programme MOST. Il s’agit dans tous les cas de saisir en creux le passage d’une modernisation à une modernité de la gestion urbaine et donc de la ville.

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