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Séance 3 Mais revenons à 1725 et à la musique, pour voir l’émergence d’une autre esthétique que celle de la belle harmonie… Bach, le sublime et la raison 1725. Jean-Philippe Rameau compose le thème Les Sauvages. Cette année est aussi celle du deuxième livret, le Notenbüchlein, d’Anna-Magdalena Bach. Le livret, parmi plusieurs pièces, contient une sarabande que Jean-Sébastien Bach reprendra en 1742 ; sous le nom d’une Aria, dans sa partition qui ressemble à un manuel d’exercices : Pratique du clavier consistant en une Aria avec trente variations pour le clavecin avec deux claviers, préparée pour le plaisir des amateurs de musique par Jean-Sébastien Bach. L’œuvre est construite sous la forme d’une variation à partir de l’aria

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Séance 3

Mais revenons à 1725 et à la musique, pour voir l’émergence d’une autre esthétique que celle de la belle harmonie…

Bach, le sublime et la raison

            1725. Jean-Philippe Rameau compose le thème Les Sauvages. Cette année est aussi celle du deuxième livret, le Notenbüchlein, d’Anna-Magdalena Bach. Le livret, parmi plusieurs pièces, contient une sarabande que Jean-Sébastien Bach reprendra en 1742 ; sous le nom d’une Aria, dans sa partition qui ressemble à un manuel d’exercices :

Pratique du clavier consistant en une Aria avec trente variations pour le clavecin avec deux claviers, préparée pour le plaisir des amateurs de musique par Jean-Sébastien Bach.

L’œuvre est construite sous la forme d’une variation à partir de l’aria

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Cette Aria a 32 mesures qui vont servir de trame aux variations, alors effectuées au niveau de la structure de basse et non de la mélodie. Ainsi l’Aria est-elle jouée au début et à la fin de l’œuvre, avec 30 variations intermédiaires qui sont progressivement complexifiées selon une virtuosité mathématique qui pousse les limites combinatoires à l’extrême.

L’œuvre est plus connue selon les titres de l’Aria avec trente variations, ou des Variations Goldberg. J.-S. Bach aurait en effet composé ces variations pour son élève Johann Gottlieb Goldberg. Il est dit que l’employeur de ce dernier, le comte Hermann de Kayserling, voulait agrémenter ses nuits d’insomnie l’audition d’une suite de pièces qu’il demanda ainsi à J. -S. Bach de lui écrire. Pourtant il y a fort à parier que non seulement l’anecdote du comte de Kayserling cherchant à vaincre ses insomnies, mais aussi l’intitulé « d’exercices pratiques du clavier », ont libéré le compositeur de ses obligations « officielles », lui laissant ainsi une pleine latitude de créativité. De fait, il est possible de reconnaître dans les Variations Goldberg une œuvre où se traduisent au plus haut point les orientations que J.-S. Bach donne alors à son esthétique musicale.

La sarabande du livret d’A-M. Bach, puis l’Aria des Variations Goldberg, dans le jeu de l’ornementation, inscrit une sorte de découplage où la mélodie donne parfois l’impression de chanceler, de tendre à s’extraire du cadre des barres de mesure, à s’orienter vers une altérité hors du système de la partition.

Audio : écoutons l’Aria wl

Aussi cette impression de tendre au-delà du système de la partition est-elle renforcée par la complexité croissante de chaque variation, tendant vers une impossibilité.

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Pour n’en citer ici qu’un exemple, toutes les trois variations un canon est proposé, dont l’écart des voix s’élargit de façon croissante : la troisième variation présente un canon à l’unisson, la sixième à la seconde, la neuvième à la tierce, la douzième à la quarte, et ainsi de suite.

Audio : canon unisson, canon 2 voix

La vingt-et-unième variation correspond à un canon à la septième : cet intervalle serait, selon Jacques Chailley, « progressivement entré dans les mœurs 1 » à partir du XVIIe siècle, tout en restant alors assimilé à une « dissonance 2 », même dans le Traité de J.-Ph. Rameau.

Bien que l’intervalle de septième pourrait apparaître comme un point critique, voire indépassable, de la résonance harmonique à l’époque de J.-S. Bach, celui-ci poursuit sa progression dans ses Goldberg : la vingt-quatrième variation retourne à un canon à l’octave, non problématique, mais la vingt-septième présente un intervalle de neuvième.

Toujours selon J. Chailley 3, cet intervalle est utilisé au XVIIIe siècle et dans la première moitié du XIXe siècle au titre d’une transition ou d’un passage entre deux autres accords, et il faudra attendre Richard Wagner pour qu’il soit adopté. C’est d’ailleurs ainsi que J. Chailley peut noter que J.-S. Bach « est parfois en avance de près d’un siècle sur la façon de traiter cet accord 4 ». Or, la neuvième peut être considérée comme une limite du système tonal. Toujours pour suivre les analyses de J. Chailley, la progression des harmoniques, après la neuvième, débouche sur l’intervalle de onzième qui met en cause la notion même de gamme, telle que celle-ci était référée à une conception pythagoricienne. Certes, avec Bach, nous sommes dans

1 CHAILLEY, J., Traité historique d’analyse harmonique, Paris, Leduc, 1977, p. 45.2 Ibid.3 Ibid., p. 59.4 Ibid., p. 60.

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une logique contrapuntique et non harmonique. Mais l’usage de la neuvième, clairement mentionné sur la partition, est plus que problématique. Il suppose, si on le dépasse, une révision de la totalité du système musical, à commencer par la gamme elle-même. Toute la grammaire musicale est alors radicalement remise en cause. D’ailleurs, c’est ce que feront au début du XXèe siècle debussy (avec une gamme par tons entiers à 6 notes : do, ré mi fa# sol# la# d) ou schoenberg avec les séries à 12 sons.

Mais, pour revenir aux Variations Goldberg, un dernier canon reste encore à venir, à savoir celui de la trentième variation. On peut deviner l’effroi qui devait alors saisir l’auditeur, même souffrant d’insomnies : dans la logique la progression des intervalles de ses canons, J.-S. Bach ne peut que conduire, après la neuvième, au-delà du système même de son écriture, où la forme tonale s’effondre. Il n’y aura plus de musique ! Mais, la frayeur est dissipée par une surprise que donne alors à entendre le compositeur. La dernière variation, Quodlibet, est une plaisanterie musicale où J.-S. Bach contrepointe au thème deux airs populaires : « Les choux et les navets m’ont fait fuir », « Il y a bien longtemps que je n’ai été près de toi ».

Cette plaisanterie musicale rassurante qui conclut les variations, avant un retour final à l’Aria, se prête en fait à souligner que l’intention du compositeur était de conduire vers dépassement du système de son œuvre, d’en faire éprouver le vertige du « hors-soi », comme il le fera par exemple avec les ricerari de L’offrande musicale où une technique de récursivité pousse la construction contrapuntique à son point le plus extrême 5.

Ceci ne signifie pas que J.S. Bach ne soit pas un attentif aux systèmes. Loin de là, puisqu’il est le compositeur du système musical par excellence, à savoir le clavier bien tempéré où il fait méthodiquement un ensemble de pièces adaptées au nouveau système d’accordage du clavier. En même temps ;, cet enracinement au système se traduit très souvent par la présence potentielle d’un au-delà du système, d’une transcendance de celui-ci ou d’un faille possible.

Cet emportement au-delà, dans une sorte de chaos cosmique, on le retrouve bien dans la fantaisie chromatique (bwv 903), même si celle-ci est ensuite résolue par un retour sur une fugue

Audio fantaisie chromatique dont le début sont des éclairs

En fait, ici, le système joue toujours désigne toujours son au-delà non formalisé vers lequel il tend et qu’il laisse alors pressentir. On pourrait alors dire, dans cette tension vers un au-delà du cadre formel, que « l’intuition de l’objet est presque trop grande pour notre faculté d’appréhension 6 », ce qui, selon E. Kant caractérise le sublime. Après la solution de l’harmonie monadique, c’est désormais celle du sublime, telle qu’elle va être reprise par le criticisme kantien, qui répond à la problématique de la conciliation du particulier et de l’universel.

Kant

5 Nous renvoyons à ce sujet au phénomène de « boucle étrange » que présente Douglas Hofstadter, in : HOFSTADTER, D., Gödel, Escher et Bach. Les Brins d’une Guirlande Eternelle, trad. J. Henry, R. French, Paris, Interéditions, 1985.6 KANT, E., Critique de la faculté de juger, trad. A. Philonenko, Paris, Vrin, 2000, p. 131.

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En suivant déjà ici les trente premiers paragraphes de l’Analytique du sublime, présentée dans la critique du jugement, E. Kant distingue le beau du sublime 7. En effet, si ce premier concerne « la forme de l’objet, qui consiste dans la limitation 8 », le second répond quant à lui à un « illimité 9 » qui sous-tend le caractère même de l’informe. Est sublime, écrit E. Kant, « ce qui est absolument grand 10 », « ce qui est grand au-delà de toute comparaison 11 ».

Cette distinction du beau et du sublime peut être envisagée au regard des trois facultés kantiennes que sont l’imagination, la « composition du divers de l’intuition 12 » liée aux perceptions sensibles, l’entendement « le pouvoir de ramener les phénomènes à l’unité au moyen de règles 13 », et la Raison qui est « supra-sensible » et distincte de toute connaissance empirique. Le beau se donne « dans le libre jeu de l’imagination et de l’entendement 14 », dans l’accord contingent de la première avec le second.

En revanche, le sublime ne peut que rompre avec l’harmonie de l’imagination et de l’entendement. La présentation sensible de l’imagination se trouve alors confrontée à un inimaginable, l’entendement à un inconcevable. La pensée a ainsi affaire à ce qui excède son pouvoir même de représentation. Ne pouvant s’actualiser ni dans l’imagination, ni dans l’entendement, le sublime devient performatif d’une mise en œuvre de la faculté de la Raison. Il « ne concerne que les Idées de la Raison qui, bien qu’aucune présentation adéquate n’en soit possible, sont néanmoins rappelées en l’esprit et ravivées de par cette inadéquation même, dont une présentation sensible est possible 15 ». Ici, pour reprendre la formule de Jean.-François Lyotard, la « pensée entre en célibat 16 ». Elle s’est découplée de la sensation imaginante, tout comme des inductions opérées par l’entendement. Ne lui reste plus que la Raison.

La voie ouverte devient celle d’une esthétique appliquée à dépasser le sensible pour trouver comme finalité la Raison supra-sensible. Mais encore faut-il préciser comment le sentiment de sublime parvient à la Raison. Il fait par « l’inadéquation 17 » entre le perçu et le conçu. Ainsi a-t-il quelque chose d’effrayant. « L’esprit n’est pas seulement attiré par l’objet, mais que tour à tour il se trouve repoussé, la satisfaction qui procède du sublime ne comprend pas tellement un plaisir positif [...] et elle mérite ainsi d’être dite un plaisir négatif 18 ». C’est la fascination pour l’informe, le démesuré, l’infini…..une peur qui attire….

Dia

7 Ibid. Voir plus particulièrement : L’Analytique du sublime, première partie, section I, livre II, pp. 117-242. Il faut noter, bien avant E. Kant, l’ouvrage de Longin, ou encore les travaux de Burke. Dans L’Analytique du sublime, le sentiment de sublime est exclusivement référé aux phénomènes de la nature : l’océan déchaîné…8 Ibid., p.118.9 Ibid. 10 Ibid., p. 123, souligné par l’auteur.11 Ibid., souligné par l’auteur.12 Ibid., p. 81.13 Ibid.14 Ibid. 15 Ibid., p. 120.16 LYOTARD, J.-F., Leçons sur l’analytique du sublime,, Paris, Galilée, 1991, p. 71.17 KANT, E., op. cit., p. 120.18 Ibid., p. 119.

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Caspar David Friedrich, 1818. Voyageur contemplant une mer de nuages

Dès lors, à l’inverse du beau, le sublime « ne semble pas être un jeu, mais une chose sérieuse 19 ».

Ce « plaisir négatif » peut être envisagé au regard des deux analyses dites « mathématique » et « dynamique ». Pour la première, le sublime, toujours en excès, n’est pas mesurable. Si « est sublime ce en comparaison de quoi tout le reste est petit 20 », on voit aussitôt que cette grandeur, alors privée de référence dans les mesures objectives, ne peut qu’être cherchée dans nos Idées, et non dans la nature (comme l’idée d’infini). Aussi est-ce parce que le sublime s’accompagne de l’impossibilité de mesurer la grandeur d’une chose sublime – sinon elle ne serait pas sublime – qu’il nous contraint à « un effort au progrès à l’infini [en] notre Raison 21 ».

Mais loin, d’une toute-puissance, cet effort suppose que nous nous résignions déjà à l’impuissance et à la limitation de nos facultés représentatives. En d’autres termes, on pourrait dire que s’opère alors un travail de deuil, lié à notre impuissance représentative face au sublime, qui oblige à se tourner vers les Idées supra-sensibles. Deuil et compensation, ou peine et joie : tels sont les deux moments du sublime. La joie du sublime  « n’est possible que par la médiation d’une peine 22 ».

« Le sentiment du sublime, précise E. Kant, est ainsi un sentiment de peine, suscité par l’insuffisance de l’imagination dans l’évaluation esthétique de la grandeur [...] ; et en même temps il se trouve en ceci une joie, éveillée justement par l’accord entre les Ideés rationnelles

19 Ibid. 20 Ibid., p. 127, souligné par l’auteur.21 Ibid., p. 127.22 Ibid., p. 140.

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et ce jugement sur l’insuffisance de la plus puissante faculté sensible, dans la mesure où c’est pour nous une loi que l’effort de tendre vers ces Idées 23 ».

Tendre, par le sublime, vers les Idées de la Raison ; tel est le plus haut objectif de la pensée, ce qui relève de la dignité de l’homme : la raison. Il est « le respect pour notre destination 24 », qui renvoie « au respect pour l’Idée de l’humanité qui est en nous 25 ». Le sublime, précise le philosophe, inscrit la « vigoureuse règle du devoir 26 » et « le respect pour la dignité de l’humanité en notre personne, pour le droit des hommes (qui est tout autre chose que leur bonheur) 27 ».

Si l’expérience de l’insuffisance conduit à s’inféoder respectueusement à la Raison, instance suprême de la connaissance, elle est aussi un désir auquel pousse le manque. C’est ici que se situe l’analyse dynamique. L’objet sublime a une force qui dépasse la résistance que nous pouvons lui opposer, et génère ainsi un effet de peur. Mais dans un second temps, cette peur pousse le sujet à la surmonter, à puiser en lui une capacité de résistance, à trouver alors «  la force qui est en nous (mais qui n’est pas nature), force qui nous permet de regarder ce dont nous nous soucions (les biens, la santé et la vie) comme de petites choses 28 ». Cette force c’est la raison. Une telle force « nous fait connaître en tant qu’êtres de la nature notre faiblesse physique, mais en même temps elle dévoile une faculté, qui nous permet de nous considérer comme indépendants par rapport à elle, et une supériorité sur la nature, sur laquelle se fonde une conservation de soi-même toute différente de celle qui est attaquée par la nature 29 ». Ainsi, « le sublime n’est contenu en aucune chose de la nature, mais seulement en notre esprit, dans la mesure où nous pouvons devenir conscients d’être supérieurs à la nature » (146) et « dominer ainsi aussi bien en nous qu’en dehors de nous la nature 30 ».

On mesure ici toute la différence avec l’harmonie naturelle préétablie dont l’art rappellerait le sens et l’unité, au-delà de la diversité monadique. Le sublime inverse en quelque sorte le schéma. Il inscrit le dépassement de toute immanence propre à un système donné pour déjà réaliser une « inadéquation » selon le terme kantien, une disjonction entre le perçu et le conçu. C’est ainsi qu’il annonce une polarité diérétique (une dissociation : l’inverse de la synthèse) où l’art pourra s’installer. Le vertige du sublime, effroi et exaltation, fait que la pensée, comme l’écrit J.-F. Lyotard, « s’éprouve dans la vérité de son clivage 31 ». C’est alors par cette « vérité » dissociée que se met en marche la faculté de la Raison qui est par excellence celle de la synthèse.

En quelque sorte, G. W. Leibniz part de la complexité du monde monadique qu’il s’applique à décomposer, à dissocier, tout en donnant à l’art le rôle d’une synthèse par l’harmonie universelle que celui-ci fait ressentir. En revanche, E. Kant confère au sublime une fonction de dissociation qui, par contraste, définit les possibilités de synthèse de la Raison. A l’harmonie naturelle préétablie, E. Kant substitue l’a priori de la Raison pure. Au bonheur de l’harmonie infinie, le criticisme oppose la mélancolie de la finitude et de l’impuissance, où la pensée est contrainte de donner le meilleur d’elle-même : la Raison.

23 Ibid., p. 137.24 Ibid. 25 Ibid. 26 Ibid., p. 158.27 Ibid. 28 Ibid., p.143.29 Ibid. 30 Ibid., p. 153.31 LYOTARD, J.-F., op. cit., p. 184.

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Car ici, par la raison que l’homme prend la place de Dieu, qu’il sort du moulin par le sublime, et peut se placer au-dessus pour s’autodéterminer, trouver sa liberté, son libre arbitre.

La renaissance avait instauré un triangle entre L’homme et Dieu (songeons à L’Ecole d’Athènes de Raphaël)

Dieu

Mais les lumières vont introduire autre chose : le sujet humain par le raison critique, va sortir du moulin-système, et se mettre au-dessus, en position de synthèse, à la place de Dieu (celui-ci est bien plus haut)

A suivre Monique David-Menard 32, la critique kantienne a pu construire son étude des possibilités de connaissances en se démarquant du mysticisme onirique d’Emmanuel Swedenborg, auquel le jeune E. Kant avait consacré en 1766 un ouvrage : les Rêves d’un voyeur d’esprits expliqués par des rêves de la métaphysique.

Il s’agit, au contraire, de chercher les conditions de la synthèse dans la pensée, point culminant de l’édifice kantien. Cette recherche est celle de la Critique de la raison pure, pour

32 DAVID-MENARD, M., La folie dans la raison pure, Kant lecteur de Swedenborg, Paris, Vrin, 1990.

Systè-me de signes

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laquelle E. Kant formule d’ailleurs la problématique : comment des propositions synthétiques a priori sont-elles possibles ? 33 ».

Cette raison peut se définir par les points suivants :Elle est l’instance de la synthèse par excellence, se situe au sommet de mon triangle. On pourrait dire, pour détourner la terminologie des psychologues, que c’est la métacongnition, le métalangage.

Elle est critique, à savoir que placée en position de surplomb, elle permet de réfléchir sur mes propres actes et pensées, de délimiter leur possibilités pour en juger de la cohérence –tel est le propre de la critique. Lieu de contrôle de mon libre arbitre, je ne m’en remets plus à Dieu, mais à moi-même, à ma raison dont m’a nanti Dieu. Ainsi la Raison, n’est autre que le « caractère insondable de l’Idée de liberté 34 », et s’émancipe. La Raison apparaît comme l’instance même où l’humain peut se détacher de sa « sauvagerie » des impulsions, où il peut gouverner ses actes en la liberté que permet, pour ainsi dire dans le règne du Logos, la possibilité de synthèse la plus élevée, apte à pouvoir englober toutes les possibilités de pensée, y compris le jugement d’expérience et l’appréhension sensible.

Elle est dynamique. Parce qu’elle est hors du moulin, qu’elle a pris la place de Dieu ou de l’architecte du moulin, elle permet, en plus de sa synthèse, se regarder toujourts au-delà, de tendre vers un inconditionné, vers une cause finale. En d’autres termes, il ne s’agit pas de rester dans l’efficience de l’immanence d’une série donnée par l’expérience, mais de s’orienter là où aucune empirie ne peut venir en aide, de « penser au-delà du ‘‘là’’ 35 » comme le dit J.-F. Lyotard, de tendre vers cet « inconditionné » qui, lui seul, peut synthétiser en son ordre supérieur le conditionné. La raison cherche «  à conduire l’unité synthétique pensée dans la catégorie jusqu'à l’absolument inconditionné 36 ». C’est à ce titre qu’elle est transcendantale.

Un « concept pur de la Raison peut être défini en général par le concept de l’inconditionné, en tant qu’il contient un fondement pour la synthèse du conditionné 37 », précise E. Kant.

Elle est universelle Pour kant, la raison est prédéterminée dans chaque être humain. Elle est posée dans chaque psychisme, de façon a priori, et d’ailleurs l’éducation revient, par la discipline, à actualiser cette raison qui serait dans chaque être. Du même coup, puisque chacun a la raison en lui, chacun peut débattre avec cette même raison. C’est le thème de l’arène démocratique, du grand débat qui doit réunir les hommes, dans une sorte d’arène où les propositions se confronteraient pour trouver la bonne solution, puisque celle-ci est partagée, qu’elle est une donnée a priori propre à chaque humain.

Et se réaffirme toute la mission de l’éducation : former des êtres de raison (l’otium et non le nec-otium de l’efficience)

33 KANT, E., op. cit., p. 141, souligné par l’auteur.34 Ibid., p. 161.35 LYOTARD, J.-F., op. cit., p.185.36 Ibid., p. 349.37 KANT, E., op. cit., p. 347.