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Stéphanie GOIRAND
CERTOP (UMR CNRS 5044)
Octobre 2013
Les processus de conversion (relative ?) à la Nouvelle Gestion Publique.
Projet de post-doctorat 2014 – Labex SMS
Résumé
Ce projet a pour ambition d’analyser le processus de conversion de l’action publique aux
nouveaux préceptes et cadres d’action issus de la Nouvelle Gestion Publique qui
transparaissent dans les réformes actuelles de l’Etat et des politiques publiques. Cette
recherche participerait à la compréhension des transformations des modes de régulation
sociales et institutionnelles qui se jouent aujourd'hui dans l’action publique. Il s’agira
notamment de s’interroger sur le processus de réception par les acteurs de terrain des
principes sous-tendus par la Nouvelle Gestion Publique. Pour cela nous nous intéresserons,
d’une part, à l’autonomisation croissante qui semble laissée aux acteurs locaux dans
l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques, favorisant un processus de
régulation par le bas ; et, d’autre part, à la modification des relations à l’usager des services
publics adossée à une implication croissante de ce dernier et au développement de mesures
qui se veulent individualisées, personnalisées et contractualisées. L’extension de ces principes
s’est notamment opérée dans les administrations publiques en charge des politiques sociales,
en lien avec la remise en cause de l’efficacité de ces dernières, engendrant souvent des
réticences et des résistances de la part des acteurs de terrain à voir ces logiques gestionnaires
entrer dans le champ du social. A partir de l’étude d’une politique « socioéducative », le
dispositif de Réussite Educative, et celle de l’emploi, l’objectif est de saisir par quels
processus ces nouveaux cadres d’action parviennent (ou non) à trouver écho au sein des
organisations, à participer de la conversion des pratiques professionnelles, et plus globalement
de l’action publique ici sociale. En effet, cette recherche s’inscrit dans une perspective plus
large d’analyse de la transformation des politiques publiques, en considérant que si les
institutions sont génératrices de stabilité, elles ont également un rôle transformateur en
constituant un cadre dans lequel vont pouvoir s’opérer des processus de changement.
2
Les processus de conversion (relative ?) à la Nouvelle Gestion Publique.
Projet de post-doctorat 2014 – Labex SMS
Stéphanie GOIRAND1
L’action publique a été marquée durant ces dernières décennies par la diffusion de principes
et de logiques d’action issus de la Nouvelle Gestion Publique. Cette dernière, appelée
également nouveau management public, apparaît en effet comme un cadre d’action, un mode
de gestion, qui semble s’étendre aujourd'hui dans une diversité de politiques publiques.
La Nouvelle Gestion Publique, qui tend à diffuser des modes de gestion et de management
issus du secteur privé dans une grande part du secteur public, est souvent analysée au regard
de ce qu’elle implique en matière d’évaluation dans les administrations et les bureaucraties
publiques. Mais elle induit également des effets sur le poids du centre sur la périphérie, sur les
modes de régulation sociopolitique. Bien évidemment, ces deux questionnements sont liés
dans le sens où les procédés de contrôle qui ont fleuri ces dernières décennies pour évaluer,
mais aussi surveiller la « bonne gestion » des services publics ont renouvelé les relations entre
le centre et la périphérie, entre l’État central et les collectivités, les institutions locales.
L’extension de ce cadre d’action, de cette modalité de gestion s’est notamment opérée dans
les administrations publiques en charge des politiques sociales, en lien avec la remise en cause
de l’efficacité de ces dernières. Dans cette perspective, la mise en œuvre actuelle des
politiques sociales reposant sur des logiques d’activation, d’implication et de
contractualisation, cherchant à favoriser le flexibilité, l’adaptabilité et l’individualisation des
prises en charges, traduit la diffusion de ce cadre d’action, censé optimiser l’efficience des
services publics.
Mais comment les acteurs de terrain appréhendent-ils la diffusion de ces principes issus de la
sphère privée au sein de leurs institutions ? De quelle manière parviennent-ils à composer
avec ces nouveaux cadres d’intervention souvent considérés comme allant à l’encontre du
travail social « traditionnel » ? En quoi ces nouvelles injonctions managériales peuvent
générer une réception critique et des résistances chez les professionnels du social ? Et surtout
par quels processus ces dernières finissent-elles par laisser (ou non) la place à des formes
d’acceptation progressive, voire à une transformation, une conversion des pratiques
professionnelles, et plus largement de l’action publique, intégrant les exigences de la
Nouvelle Gestion Publique ? Ces à ces questionnements que le projet de recherche ici
présenté entend répondre à partir de l’étude de deux champs des politiques sociales, celui de
l’éducation d’un côté et celui de l’emploi de l’autre.
Ce projet postdoctoral s’inscrit dans la continuité d’une recherche doctorale qui nous avait
conduits, à partir de l’étude de la mise en œuvre d’un dispositif socioéducatif, à défendre la
thèse d’une adhésion « relative » des professionnels de terrain aux nouveaux modes
d’intervention sociale alors déployés. Cette thèse, soutenue en novembre 2012 et intitulée
« La production d’une adhésion "relative" à une nouvelle politique sociale. Le cas du
dispositif de Réussite Éducative à Toulouse de 2006 à 2009 »2, avait pour ambition, sous
l’angle de l’analyse du processus de réception d’une politique publique, d’observer
l’intégration d’un nouveau dispositif public au sein du système d’action local, son adhésion et
sa structuration « par le bas ». L’enjeu était d’identifier comment une nouvelle politique
1 Docteur en sociologie, Chercheuse associée au laboratoire du CERTOP (UMR 5044). 2 Goirand S. (2012), La production d’une adhésion "relative" à une nouvelle politique sociale. Le cas du dispositif de
Réussite éducative à Toulouse de 2006 à 2009, Thèse de doctorat, Université Toulouse le Mirail.
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publique socioéducative s’insère dans le paysage local et se transforme à l’aune de
l’utilisation développée par les acteurs, aussi bien les usagers que ceux qui la mettent en
œuvre. Nous plaçant résolument dans une sociologie de l’action publique, nous avions
cherché à comprendre par quels processus celle-ci est appropriée, acceptée, produite et
transformée avec et à partir des acteurs de terrain, ainsi que dans l’interaction avec les
usagers.
Partant du constat que les réformes des politiques sociales sont traversées par de nouveaux
référentiels d’action largement empruntés à la pensée néolibérale, nous avons pu montrer
comment l’imposition de ses idées était vécue comme l’effondrement du paradigme
solidariste. En effet, c’est cet affaiblissement du référentiel de l’État social qui est
particulièrement dénoncé par les acteurs historiques du monde social, nous conduisant à
relativiser le consentement observé face à la mise en place d’un nouveau dispositif public. Les
réticences et les résistances exprimées au départ par les acteurs ne disparaissent pas à l’aune
de leur utilisation même du dispositif, mais finissent par être mises de côté compte tenu des
besoins existants et de l’urgence des situations en présence. En d’autres termes, les acteurs ne
sont pas dupes quant au mode d’intervention sociale qui se déploie à travers ce dispositif, qui
remet en cause, ou du moins bouleverse les logiques d’action du système d’action sociale
« classique », mais sont tout de même amenés à le mobiliser. L’enjeu est alors d’articuler
leurs pratiques et leurs référentiels professionnels à cette nouvelle forme de politique sociale,
afin de faire coexister ces deux modèles d’intervention. Les acteurs tentent ainsi d’influer sur
le cours et le contenu mêmes de ce nouveau dispositif, lui concédant une adhésion partielle,
relative, ce qui participe de la transformation même de cette politique publique. Ainsi, ce qui
était au départ présenté et considéré comme la destruction d’un système participe en réalité à
la construction d’une nouvelle forme d’action publique locale, ou du moins à son
renouvellement, sa recomposition, à l’aune des principes initiés par la Nouvelle Gestion
Publique.
En d’autres termes, à travers l’émergence successive de dispositifs épousant les nouvelles
formes d’intervention sociale, la transformation du modèle d’action sociale ne s’opère-t-elle
pas de manière progressive, à l’insu des résistances des acteurs ? Ces derniers ne finissent-ils
pas par intégrer ces nouvelles pratiques, à intérioriser les nouveaux référentiels d’action
promus ? Les investigations menées dans le cadre de cette thèse ont été conduites sur un
dispositif, un territoire et une temporalité bien délimités, ne nous permettant pas d’observer un
changement radical au sein du système institutionnel étudié. Cependant, nous pouvons
supposer que l’adhésion relative des acteurs à cette nouvelle politique publique participe à un
mouvement de mutation de l’action publique socioéducative, et plus largement sociale, de
façon diffuse et progressive. C’est alors le processus général de transformation de l’action
publique qu’il convient de considérer et d’interroger. Le présent projet postdoctoral vise à
s’inscrire dans ce prolongement, considérant que l’analyse des processus de conversion des
acteurs, et plus largement de transformation de l’action publique, nécessite d’être approfondie
en mettant notamment en perspective une diversité de terrains et de champs.
Ce projet de recherche s’inscrit clairement dans une sociologie de l’action publique
questionnant la transformation des modes de régulations sociales et institutionnelles qui se
joue à travers la diffusion de nouveaux modèles gestionnaires, à la fois au niveau des agents
de terrain et des usagers des services publics. En effet, les mutations promues par la Nouvelle
Gestion Publique ne concernent pas seulement l’autonomisation, la flexibilisation et
l’évaluation des acteurs, mais aussi les relations avec les « bénéficiaires » des politiques
sociales à l’aune de l’individualisation et de l’activation des prises en charge.
Nous nous appuierons sur deux terrains d’investigations. D’un côté, dans la continuité de
notre recherche doctorale, nous souhaitons pouvoir poursuivre l’étude du dispositif de
4
Réussite Educative sur un autre territoire, un autre contexte, que celui analysé dans le cadre de
la thèse (le site de Montpellier devrait être privilégié et nous permettre de le mettre en
perspective avec le terrain toulousain). De l’autre, il s’agira de s’intéresser aux politiques
locales d’emploi qui présentent des caractéristiques et des évolutions relativement proches de
ce que nous avons pu observer dans le cas de la Réussite éducative, à savoir notamment une
personnalisation et une activation croissantes des prises en charge des publics dans un souci
d’adaptabilité, de flexibilité et d’efficacité de l’action menée. Nous détaillerons dans une
seconde partie les terrains de recherche choisis, mais avant cela, il nous paraît essentiel
d’esquisser la problématique générale qui sous-tend ce projet de recherche.
Problématique et objectifs de recherche
Derrière l’idée de Nouvelle Gestion Publique se joue plus globalement la « réforme de
l’Etat »3 qui se poursuit aujourd'hui avec l’instauration de la politique de Modernisation de
l’Action Publique (MAP), laquelle succède à la Loi Organique relative aux Lois de Finances
(LOLF) de 2001qui a modifié en profondeur les règles de gouvernement et de fonctionnement
de l’administration, mais également la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) de
2007. Tout ceci vient consacrer les processus de managérialisation et de gestionnarisation de
l’administration publique, de la diffusion de la Nouvelle Gestion Publique dans le secteur
public en France.
Au travers de cette volonté de rationnaliser la gestion de l’administration publique, c’est la
recherche d’une meilleure efficacité, ou plutôt efficience, des politiques publiques qui est
visée. Il s’agit aussi de dénoncer la lourdeur et la complexité des fonctionnements des
bureaucraties, justifiant la nécessité de renforcer l’autonomie et la liberté des gestionnaires, de
valoriser un impératif de « redevalibité » envers les usagers, les « clients », mais également la
participation des agents de services publics à la réforme de l’État4. En conséquence, les
citoyens, les usagers et les personnels sont au cœur de ces réformes issues de la Nouvelle
Gestion Publique. Cela résulte en partie d’une remise en cause, d’une critique du
fonctionnement bureaucratique traditionnel de l’administration publique considéré comme
inefficient et nécessitant l’introduction d’instruments de gestion, d’évaluation et de contrôle.
L’expansion des principes du New Public Management, pour reprendre le terme anglo-saxon,
s’observe dans toutes les sphères de l’ancien appareil administratif et institutionnel, qu’il
s’agisse de la justice, de l’université, du secteur hospitalier ou encore du social. Dans tous ces
champs de l’action publique, la contractualisation, l’évaluation permanente des résultats, la
mise en concurrence des institutions et des personnels, la managérialisation des postes de
direction et d’encadrement, sont de mise5, traduisant ce processus. Dans le champ sanitaire, et
plus globalement social, depuis plus d’une quinzaine d’années, nous avons assisté à une
exigence croissante en termes à la fois de logiques gestionnaires et de qualité de service. Au
regard du coût de notre système de solidarité, de protection sociale, les administrations
« sociales » sont particulièrement visées par l’essor de la Nouvelle Gestion Publique.
L’objectif est donc d’introduire des pratiques de management au sein des administrations
publiques, ce qui nécessite de donner aux « managers », aux acteurs qui mettent en œuvre les
3 Idée notamment développée par Philippe Bezès dans : Philippe Bezès, 2002, « Aux origines des politiques de réforme
administrative sous la Vème République : la construction du « souci de soi de l’État » », Revue française d’administration
publique, vol. 2 / 102, p. 307-325. ; Philippe Bezès, 2009, Réinventer l’État: les réformes de l’administration française
(1962-2008), Paris, PUF, 519 p., (« Le Lien social »). 4 Sur cette question voir notamment : Peter Aucoin, « Administrative Reform in Public Management: Paradigms, Principles,
Paradoxes and Pendulums », Governance, vol. 3 / 2, 1990, p. 115-137. 5 Philippe Chanial, « Le New Public Management est-il bon pour la santé ? », Rhizome, Bulletin national de santé mentale et
de précarité, n°36, octobre 2009, p. 2-3.
5
politiques publiques, une certaine autonomie, favorisant également par-là une flexibilisation
des actions censée favoriser l’adéquation des réponses construites avec les problématiques
posées par les usagers, ces derniers gagnant également en capacité d’action. Dans cette
perspective, ce qui est bien recherché c’est l’efficience des politiques publiques,
l’optimisation de leur rapport « qualité-prix ».
Prenant acte de ces évolutions, cette recherche vise à comprendre en quoi les réformes
actuelles des institutions et des politiques publiques parviennent ou non à initier une
conversion des pratiques et des référentiels professionnels ? Nous partons ici de l’hypothèse
que cette transformation de l’action publique promue sous l’influence de la Nouvelle Gestion
Publique se heurte à des résistances et des critiques de la part des agents de terrain. Dans cette
perspective, ces résistances ne sont-elles que temporaires, laissant peu à peu place à une
forme d’adhésion, une conversion, ou bien est-ce le processus en soi qu’il faut interroger et
relativiser, dans le sens où les résistances tendraient à dominer et ce serait alors l’expansion
d’une nouvelle forme d’action publique, et plus globalement la Nouvelle Gestion Publique,
que l’on surestimerait ? Les individus se transforment-ils sous l’influence du développement
de nouvelles logiques d’action, de nouvelles injonctions, ou sont-ils capables de les aménager
au regard de leurs intérêts propres ?
Pour répondre à ces questionnements, nos investigations porteront sur deux éléments majeurs
sous-tendus par les réformes en cours : d’une part, l’autonomisation croissante qui semble
laissée aux acteurs locaux dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques ; et,
d’autre part, la modification des relations à l’usager des services publics adossée à une
implication croissante de ce dernier et au développement de mesures qui se veulent
individualisées, personnalisées. Bien évidemment, ces deux évolutions sont étroitement
imbriquées, puisque sont préconisées l’implication, l’activation, à la fois des usagers et des
professionnels, afin de gagner en efficacité dans l’action publique déployée.
Un enjeu en termes de flexibilisation de l’action et d’autonomisation des acteurs :
l’instauration d’un nouveau mode de régulation politico-institutionnelle ?
La Nouvelle Gestion Publique reposant sur la dénonciation des dysfonctionnements de
l’organisation administrative traditionnelle dans les secteurs de services, les réformes doivent
permettre aux gestionnaires des services publics de répondre de manière plus efficace, plus
rapide et plus flexible aux demandes de leurs usagers, de leurs clients. Pour cela : « Les
pouvoirs politiques doivent se limiter à fixer les grands objectifs à atteindre. Ils laissent une
plus grande marge de manœuvre au niveau des institutions »6. Il est alors préconisé de
remplacer les procédures verticales, hiérarchiques, par des procédures contractuelles ou semi-
contractuelles favorisant l’horizontalité des fonctionnements. Si ce processus a largement
favorisé l’autonomisation des pouvoirs locaux, il faut aussi souligner qu’il a permis aux élus
politiques « de redistribuer les responsabilités d’échecs éventuels de politiques, en en
transférant une partie vers les fonctionnaires directement en charge de la gestion
opérationnelle des politiques publiques »7. Le « laisser-faire institué »
8, l’autonomie et la
liberté laissées aux acteurs locaux dans la mise en œuvre des politiques publiques locales,
correspondent à certains principes diffusés par la Nouvelle Gestion Publique.
6 François-Xavier Merrien, 1999, « La Nouvelle Gestion publique : un concept mythique », Lien social et Politiques, n°41,
p. 99. 7 Philippe Bezès, 2005, « Le renouveau du contrôle des bureaucraties », Informations sociales, n°126, p. 34. 8 Ingrid Voléry, Administrer les « bien-être »: la gouvernance dans le secteur socio-éducatif, Nancy, Presses universitaires de
Nancy, 2008, (« Théories et pratiques sociales »), p. 9.
6
Que ce soit dans le champ des politiques socioéducatives ou d’emploi, que nous avons choisi
d’étudier dans le cadre de ce projet de recherche, apparaissent non seulement une
intensification des relations de services, mais également une volonté de modernisation des
services publics à partir des agents et des usagers eux-mêmes. D’une certaine manière, la mise
en œuvre des politiques sociales aujourd'hui repose sur le postulat selon lequel l’efficacité de
l’action entreprise auprès des publics dépend de l’adéquation entre les demandes et les
besoins exprimés par l’usager lui-même et les réponses construites, inventées par le
professionnel de terrain, l’agent, pour y pallier. D’autre part, dans le cas de la Réussite
Educative que nous avons étudié dans notre recherche doctorale, nous avons pu mettre en
avant comment l’injonction à la coopération horizontale, interinstitutionnelle tente de
favoriser une forme d’auto-régulation du système institutionnel local qui devrait idéalement
aboutir à une plus grande efficacité. La mutualisation des ressources, le travail en réseau, la
co-construction de réponses personnalisées, la coordination des interventions, sont autant de
principes d’action que l’État cherche à développer à travers la création de dispositifs
territoriaux, transversaux et partenariaux, afin de rendre son action plus efficiente.
Cela passe donc par une flexibilisation de l’action, une autonomisation des acteurs, même si
se mettent en place des instruments de contrôle à distance de la part de l’État, mais également
un nouveau mode de régulation politico-institutionnel, dans le sens où les institutions, les
administrations et collectivités locales sont d’une certaine façon mises en concurrence. En
effet, en incitant les collectivités et institutions locales à coopérer, à partager un même champ
d’intervention, l’État encourage ces dernières à trouver des arrangements dans lesquels elles
cherchent à tirer leur épingle du jeu, à défendre leurs intérêts, leur place, leur légitimité dans
le système, et par-là, à entrer dans un jeu concurrentiel et de lutte des places.
Cette recherche d’une meilleure efficacité de l’action publique, d’une optimisation des
dépenses publiques et d’une rationalisation de l’administration, traduit également le
développement de ce que Philippe Bezès appelle le « souci de soi de l’État ». Il souligne par-
là que les réformes de l’État issues de la Nouvelle Gestion Publique témoignent de la capacité
réflexive croissante de l’État, dans le sens où il s’interroge sur sa propre efficacité et met en
œuvre des instruments d’auto-évaluation. Dans le cadre des États-providence « l’exercice du
pouvoir ne renvoie plus seulement au souci de gouverner la société – le gouvernement des
hommes et des choses – mais également au souci de se gouverner soi-même en développant et
en affichant des savoirs, des pratiques et des programmes destinés à gouverner
l’administration »9. La « connaissance de soi » de l’État devient alors une question essentielle.
L’instauration d’instruments de contrôle, d’évaluation, de gestion rationnelle, des
administrations vise à répondre à cette nécessité de connaître la portée et l’efficacité de
l’action même de l’État, et à favoriser la mise en œuvre d’une « régulation du
gouvernement »10
. Face au problème de « gouvernement de soi » auquel est confronté l’État,
se met en place cette « technologie de gouvernement » pour reprendre l’expression de Michel
Foucault.
Ce qu’il est intéressant de voir c’est comment la norme du « gouvernement de soi » s’est peu
à peu diffusée dans l’appareil administratif de l’État, mais également dans l’action sociale
d’une manière plus générale. Les modes d’intervention sociale aujourd'hui déployés, sur fond
d’individualisation et d’activation des prises en charge, s’appuient non seulement sur une
logique du « travail sur soi », mais également du « souci de soi », mettant les individus et les
subjectivités individuelles au cœur des accompagnements. D’une certaine manière, l’impératif
à « se gouverner soi-même », à développer des capacités réflexives, se diffuse de l’État aux
9 Philippe Bezès, 2002, op.cit., p. 309.
10 Philippe Bezès reprend ici le titre d’un ouvrage: Christopher Hood, Oliver James, George Jones [et al.], Regulation inside
government: waste watchers, quality police, and sleaze-busters, New York, Oxford University Press, 1999, 267 p.
7
administrations et aux administrés eux-mêmes, aux usagers des services publics. Ce n’est
alors pas seulement le mode de régulation politico-institutionnelle qui se transforme, mais
aussi le mode de régulation sociale à l’œuvre dans notre société, à l’aune de la diffusion de la
pensée néolibérale à la fois dans le fonctionnement des administrations publiques et dans la
conception même de l’individu, du citoyen.
Vers une modernisation des relations de services publics adossée à l’implication croissante
des usagers : le passage de la figure du « bénéficiaire » à celle du « client » ?
Les travaux relatifs à la Nouvelle Gestion Publique mettent également en exergue ce qu’elle a
induit comme changements en matière de relation de services publics. Nous avons en effet
souligné combien la diffusion des pratiques de la Nouvelle Gestion Publique au sein des
administrations s’était accompagnée d’une exigence de participation accrue, à la fois des
acteurs des politiques publiques et des usagers. Cela impliquerait une mutation de la figure
traditionnelle de l’usager-bénéficiaire vers celle du « client » d’un service.
La Nouvelle Gestion Publique viendrait légitimer une attitude consumériste applicable aux
services publics, privilégiant ainsi la posture du client à celle de l’usager. L’extension des
logiques de marché dans le domaine public favoriserait l’instauration d’une relation de service
semblable à celle du secteur privé, et, par-là, le développement d’une posture consommatrice
des services « publics » par les usagers, devenus des « clients ». La prestation de service
public devient alors un produit. Les usagers des services publics peuvent alors légitimement
exiger une prestation de qualité, demander des comptes, donner leur avis en terme de
satisfaction, mettre en concurrence les services publics avec ceux du privé, etc., comme dans
le cadre d’un service marchand. Pour Michel Chauvière cela illustre l’opposition, la
distinction entre « service public » et « service aux publics ». « Dans la première formule, le
service public participe à ce qui nous fait corps, communauté, République (définition
organique). Dans la seconde, qui ne s’oppose pas à la première, il est réduit aux utilités qu’il
produit pour répondre aux besoins exprimés par des publics, rebaptisés usagers (définition
clientéliste) »11
. Or il semble que cette seconde conception gagne du terrain à travers le
développement d’un consumérisme public qui vient questionner la place de « l’usager-
client », ce dernier étant par ce processus de plus en plus impliqué dans les processus de
contrôle et d’évaluation des politiques publiques.
L’implication des usagers à la fois dans la construction et l’évaluation même des politiques
publiques fait partie du processus de modernisation des relations de services, et plus
globalement des services publics. Dans la recherche d’une meilleure efficacité des politiques
publiques, l’usager, et plus globalement le citoyen, occupe une place de choix, faisant l’objet
de nombreuses attentions et il peut par conséquent exiger davantage de considération12
. La
qualité de service et la satisfaction de la population deviennent centrales dans les objectifs
visés par les réformes de l’administration. Par conséquent, les services publics sont amenés à
prendre davantage en compte l’avis des usagers, promus au rang de clients. Les réflexions sur
la modernisation des services publics ont fait peu à peu entrer le terme de « client » dans le
vocabulaire de la sphère publique. Comme le souligne Jean-Marc Weller, « c’est précisément
ce qui a changé (…), le management a construit un usager au statut différent, obligeant
l’administration à devoir inventer des ajustements différents, des manières nouvelles
11 Michel Chauvière, « Le service public face au service aux publics », Rhizome, Bulletin national santé mentale et précarité,
n°36, octobre 2009, p. 5. 12 Olivier Lisein, « Modernisation de l’interface citoyen - fonction publique : vers une intégration réfléchie des TIC »,
Pyramides, n°7, 2003, p. 135-148.
8
d’apprécier son activité et d’organiser le travail »13
. L’exigence de qualité de service
transparaît dans l’organisation et la gestion même des services et administrations publiques à
l’aune de la diffusion des logiques du secteur privé dans la sphère publique, de l’essor de la
Nouvelle Gestion Publique.
La question de la modernisation des services publics et du développement de la figure du
« client » plutôt que de l’usager, interroge également, plus largement, la conception de
l’égalité. En effet, l’égalité des droits des individus à une diversité de services publics, au
système de protection sociale, tend à s’affaiblir au profit d’une conception plus souple et plus
utilitariste, qui s’exprime en termes d’« équité » (au sens anglo-saxon). En effet, aux critères
objectifs ouvrant des droits à bénéficier de telle ou telle prestation ou aide sociale, s’ajoutent
un certain nombre de critères plus subjectifs. Ainsi, au regard, d’une part, des capacités (voire
des capabilités14
) individuelles repérées à s’engager et s’autonomiser dans le cadre d’un
projet, d’un parcours (d’insertion professionnelle, éducatif, ou encore de santé), et, d’autre
part, du niveau d’investissement de l’individu, de son degré d’« activation », les prestations et
les accompagnements pourront varier d’un individu à l’autre. C’est alors l’idéologie de
l’individualisation qui semble aujourd'hui dominante, à la fois dans la lecture des problèmes
sociaux et dans la prise en charge des individus. L’aspect collectif du service public est alors
inhibé, pouvant favoriser la consommation de services. S’agissant de la prise en charge et du
suivi des personnes les plus en difficulté, les plus vulnérables et dépendantes, pour lesquelles
il apparaît difficile de s’intégrer et de s’autonomiser, que ce soit dans le secteur de la santé, du
travail social ou encore de l’éducatif, toutes ces évolutions en matière de service public et de
conception de la relation de service interrogent sur le sens et les modes d’intervention
aujourd'hui développés. Favorisent-ils réellement la transformation de la figure de l’usager
vers celle du client ? Et quelle place est-elle laissée à la figure du citoyen, à la prise en compte
de l’individu comme sujet politique, par rapport à celle de l’individu comme objet de
l’intervention sociale ? Comment les individus bénéficiaires des services publics
appréhendent-ils, conçoivent-ils et adhèrent-ils à cette approche gestionnaire dans laquelle ils
occupent une place de plus en plus centrale ? Nous tenterons au cours de cette recherche
d’apporter des éléments de réponse à ces différents questionnements.
*
* *
Depuis une vingtaine d’années, l’État-providence français a donc connu d’importantes
transformations, à la fois en matière de gestion du secteur social et de prise en compte des
bénéficiaires. Dans le cadre de ce projet de recherche, nous nous plaçons dans le cadre d’une
13 Jean-Marc Weller, « La modernisation des services publics par l’usager : une revue de la littérature », Sociologie du
Travail, vol. 3 / 40, 1998, p. 376. 14 Cette notion de « capabilité » introduit notamment par les théories du care développées par des chercheuses anglo-
saxonnes (en premier lieu Martha Nussbaum) permet, d’une part, de sortir d’une vision de l’autonomie construite autour de la
fiction de l’indépendance pour insister sur des formes d’interdépendance compatibles avec une pensée sur la continuité
existante entre dépendance et autonomie, et, d’autre part, de questionner la manière dont l’Etat viserait, à partir des nouvelles
formes d’intervention sociale déployée, une « mise en capacité » des citoyens : tous les citoyens devraient avoir l'opportunité
de développer le plus large éventail possible de capacités et d'accéder au maximum d'indépendance. Cette approche en terme
de capabilité nous semble intéressant pour analyser les démarches de capacitation et d’empowerment, que nous avions déjà
observées et étudiées dans le cadre de notre recherche doctorale, et qui nous semble-t-il transparaissent dans les nouvelles
formes d’intervention sociale qui apparaisse aujourd'hui comme fortement adossées à une approche de l’individu-usager en
termes de reconnaissance, de souci de soi et de travail sur soi. Sur cette notion de capabilité, voir notamment les travaux de
Martha Nussbaum : ,Frontiers of justice: disability, nationality, species membership, Cambridge, Belknap Press of Harvard
University Press, 2006, 487 p. ; « The future of feminist liberalism », in Eva Feder Kittay, Agnès Szántó (dir.), The subject of
care: feminist perspectives on dependency, Lanham, Rowman & Littlefield Publishers, 2003, p. 186-214. ; Women and
human development: the capabilities approach, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 84-85.
9
approche « bottom up », car il nous semble plus pertinent d’observer le déploiement de cette
logique gestionnaire « par le bas », d’analyser les effets de ces politiques managériales sur les
acteurs chargés de les mener et sur leurs relations aux usagers, aux gouvernés. Il s’agira donc
de voir, d’une part, comment les acteurs réagissent à l’introduction de ces principes issus de la
Nouvelle Gestion Publique, appréhendent ce nouveau mode de gestion qui transparaît à
travers l’individualisation, l’activation, la contractualisation des prises en charge. D’autre
part, il s’agira de s’interroger sur les effets de l’introduction de la Nouvelle Gestion Publique
dans une diversité de politiques sociales, à la fois sur les rapports des gouvernés à
l’institution, à l’administration, ici dans le champ socioéducatif, et sur l’accès aux droits et
aux services. Comment les nouvelles techniques mobilisées dans les politiques publiques
sociales, notamment en matière de ciblage de certaines populations, sont-elles reçues, perçues,
par les usagers ? Plus globalement, quelle figure du bénéficiaire, quelle conception de
l’individu, le mode de gestion et d’administration des problèmes sociaux que traduit la
Nouvelle Gestion Publique, donne-t-il à lire ?
Après avoir explicité nos axes de questionnements, notre problématique, il nous faut à présent
évoquer les terrains d’investigations sur lesquels nous souhaitons nous concentrer dans le
cadre de cette recherche, ainsi que la méthodologie envisagée.
Les programmes de Réussite Educative et les politiques d’emploi : la mise en
perspective de deux terrains d’investigation
Ce projet de recherche s’inscrit dans la continuité du travail doctoral mené précédemment au
cours duquel nous avons pu étudier de manière très approfondie la mise en œuvre et le
processus de réception du programme de Réussite Educative15
sur la ville de Toulouse. Dans
cette perspective, l’enjeu de ce projet postdoctoral est de pouvoir prolonger et mettre à
l’épreuve les résultats issus du travail de thèse et de nous permettre d’affiner nos analyses à
partir de l’étude d’autres terrains d’investigations.
Considérant que le terrain toulousain étudié présentait des spécificités liées au contexte local,
il nous apparaît dés lors nécessaire de pouvoir établir une comparaison de cette même
politique publique sur un autre terrain, un autre contexte territorial. C’est pourquoi nous
envisageons d’analyser la mise en place de ce même dispositif sur le site de Montpellier. Ce
choix est d’une part justifié par le fait que la comparaison doit se faire entre deux territoires
urbains dans lesquels sont présents un certain nombre de quartiers prioritaires, le dispositif de
Réussite Educative visant spécifiquement ces territoires, et qui présente un montage
relativement similaire en terme de pilotage du dispositif (les services de la ville dans les deux
cas). D’autre part, nous avons déjà établi des contacts avec le service de la ville de
Montpellier en charge de la mise en œuvre de la Réussite Educative qui devraient faciliter
notre accès au terrain.
Concrètement, il s’agira d’enquêter, comme nous l’avons fait sur le terrain toulousain, les
opérateurs municipaux du dispositif, ainsi que ses principaux partenaires (à savoir l’Education
Nationale et les services sociaux du Conseil Général). La méthodologie mobilisée reposera
principalement sur la réalisation d’entretiens qualitatifs semi-directifs auprès des
professionnels de terrain des différentes institutions impliquées dans le dispositif, ainsi que
15 Ce dispositif est issu de la loi 2005-32 du 18 janvier 2005 du Volet Égalité des Chances du Plan de Cohésion Sociale
(programme 15 et 16). Il vise « à donner leur chance aux enfants et aux adolescents de 2 à 16 ans ne bénéficiant pas d’un
environnement social, familial et culturel favorable à leur réussite » et « présentant des signes de fragilité » (Extraits de la
note de cadrage pour la mise en œuvre du programme de Réussite Éducative d’avril 2005) à travers la mise en œuvre de
parcours individualisés de Réussite Educative.
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sur l’étude et l’analyse de documents institutionnels (projet, bilans d’activités,…). En matière
de questionnement, les axes privilégiés concerneront : le contexte de mise en œuvre du
dispositif, les modes de réception et d’appropriation du dispositif par les acteurs locaux, leurs
conceptions du dispositif et de sa place dans le système d’action socioéducative locale, les
modes d’utilisation (ou de non utilisation) développés, les caractéristiques du public visé et
les types de réponses déployées, les modes de relations et d’accompagnement des publics,
mais également les arrangements locaux, les modes de régulation élaborés pour favoriser la
coopération interinstitutionnelle. En d’autres termes, conformément à notre problématique,
nos investigations porteront, d’un côté, sur la manière dont les acteurs locaux, qui bénéficient
de marges de manœuvre importantes, ont mis en œuvre ce programme national au niveau
local et répondu aux injonctions partenariales sous-tendues, et de l’autre, aux conséquences de
l’individualisation et de l’activation des prises en charge du public promus dans le cadre de ce
dispositif.
Si la comparaison d’une même politique publique sur deux territoires distincts nous permettra
de neutraliser les effets de contexte existants et d’approfondir les analyses élaborées dans le
cadre de la thèse, une mise en perspective avec une autre politique publique nous paraît
essentielle pour asseoir nos résultats au regard de notre problématique générale. En effet, ce
projet de recherche vise à interroger d’une manière générale les effets et les processus de
réception des transformations issus de la Nouvelle Gestion Publique sur les politiques
publiques et leurs acteurs. Dans cette perspective, l’enjeu est de pouvoir étendre cette
recherche à différents secteurs. Restant dans le champ des politiques sociales, nos
investigations porteront donc également sur les politiques dites d’« emploi ». Comme nous
l’avons évoqué dans la présentation de notre problématique de recherche, un certain nombre
d’évolutions semblent traverser l’ensemble de l’action sociale, et nous retrouvons des
similitudes en termes de logiques d’intervention publique aujourd'hui promues que ce soit
dans le secteur socioéducatif ou de l’emploi. Nous avons donc choisi de nous intéresser,
parallèlement au dispositif de Réussite Educative, aux politiques visant l’insertion
professionnelle, et plus précisément aux accompagnements menés par les conseillers de Pôle
Emploi.
En effet, le domaine des politiques de l’emploi, au même titre que de nombreuses sphères de
l’action publique, connaît depuis plusieurs années des mutations organisationnelles
significatives largement inspirées par les principes de la Nouvelle Gestion Publique. Dans
cette perspective, nombre d’auteurs16
s’accordent sur le fait que ces différents principes se
traduisent, notamment dans les politiques d’emploi, par une importance croissante des
résultats par rapport aux règles et aux procédures, des changements organisationnels visant à
rendre les administrations publiques moins hiérarchiques et plus autonomes et responsables,
ainsi que la promotion d’une culture de l’efficacité et de l’individualisme au détriment de
notions telles que l’équité, la sécurité ou encore l’universalisme. Et c’est le niveau local qui
est considéré comme permettant une évaluation au plus près des besoins des individus et des
potentialités de développement économique local, et, par-là, comme le garant d’une
intervention plus efficace. C’est pourquoi nous observons une territorialisation des politiques
de l’emploi, et plus largement, du social17
, qui s’inscrit dans un mouvement plus général de
transformation des politiques publiques lequel se caractérise également par un recours plus
grand à la contractualisation et à l'individualisation. La « localisation » des politiques de
16 Pour exemple : Christopher Pollit, 2001, « Comment parvenons-nous à évaluer la qualité des services publics? », in B. Guy
Peters et Donald J. Savoie (dir.), La Gouvernance au XXIème Siècle: Revitaliser la Fonction Publique, PUL, Québec. ; Yves
Emery et David Giauque, 2003, « Emergence of contradictory injunctions in Swiss NPM projects », The International
Journal of Public Sector Management, Vol. 16 No. 6: 468-481. 17 Mejed Hamzaoui, 2003, « La politique sociale différenciée et territorialisée : activation ou ébranlement du social ? » in
Travail-Emploi-Formation, n°4, pp. 11-25.
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l’emploi coïncide donc avec une responsabilisation des acteurs locaux (bénéficiaires et
agents) en lien avec un changement de paradigme de l’intervention publique favorisant «
l’employabilité » individuelle. En conséquence, « il ne s’agit plus de garantir des conditions
macroéconomiques favorables à l’insertion professionnelle, mais d’agir sur l’offre de travail,
d’évaluer les individus demandeurs d’emploi et de leur fournir les mesures considérées
comme les plus appropriées à leur réintégration rapide sur le marché du travail »18
.
Les structures Pôle Emploi ont ainsi été marquées par d’importantes transformations qui ont
modifié, à la fois leurs modes d’organisation et de régulation, mais également leurs relations
aux publics de demandeurs d’emploi au regard des nouvelles logiques d’accompagnement
« social ». Dans le cadre de ce projet de recherche, il s’agira donc de mener également une
enquête au sein de différents Pôles Emploi à fois auprès des conseillers techniques et des
directions. L’objectif, comme pour les acteurs de la Réussite Educative, sera de s’interroger
sur la manière dont les diverses transformations issues de la Nouvelle Gestion Publique ont
été perçues, reçues, appropriées et mises en œuvre localement. Les axes de questionnements
seront donc similaires à ceux présentés précédemment, appliquées aux politiques d’emploi.
De même, la méthodologie mobilisée reposera sur une approche qualitative par entretiens
semi-directifs. En termes de sites, nous proposons de mener conjointement nos investigations
également sur les territoires toulousain et montpelliérain, afin d’identifier les effets de
contextes qui peuvent influer sur la mise en œuvre des récentes directives et des réformes qui
ont encore cours aujourd'hui, et par-là saisir les processus communs qui ouvrent (ou non) la
voie à une transformation de l’action publique locale et des pratiques de ses acteurs.
Ce projet de recherche s’appuie donc sur la mise en perspective de deux secteurs distincts
d’action publique, le socioéducatif d’un côté et l’emploi de l’autre, sur deux territoires
différents, ici Toulouse et Montpellier. A partir d’une méthodologie de nature qualitative,
l’enjeu sera de mettre en évidence les processus par lesquels les principes d’action diffusés
par le développement de cette nouvelle politique publique, qui s’inscrivent plus largement
dans la démarche de Modernisation de l’Action Publique (MAP), finissent par s’imposer à
travers une forme d’adhésion et de conversion des pratiques professionnelles, et plus
largement de l’action publique locale.
Conclusion
Partant des évolutions de l’action publique qui se jouent actuellement dans la diffusion des
principes de la Nouvelle Gestion Publique à travers les réformes actuelles des politiques
publiques en France, ce projet de recherche vise à interroger les processus par lesquels ces
dernières se transforment, se convertissent.
Au regard des résistances collectives et individuelles que peuvent générer ces évolutions, ce
travail postdoctoral permettrait d’analyser la manière dont les acteurs composent avec ces
nouveaux cadres d’action et les formes de régulations sociales qui se développent au sein
d’institutions marquées par de profondes mutations. D’autre part, l’individualisation de
l’action publique et l’autonomie croissante laissée aux acteurs, aux individus, tant dans
l’action que dans la décision, interroge les formes d’auto-régulation qui peuvent se jouer au
sein des institutions, mais également dans l’interaction entre l’usager et le bénéficiaire. Ainsi,
à côté des nouvelles formes de régulation organisationnelle qui s’agencent au regard des
nouveaux cadres d’action et d’évaluation des politiques publiques, les acteurs institutionnels
18 Jean-Michel Bonvin et Bernard Conter, « Les politiques locales de l’emploi, reflet des nouvelles logiques d’interventions
publiques », Colloque Etat et régulation sociale, CES-Matisse, 11-13 septembre 2006, Paris. Texte en ligne :
http://matisse.univ-paris1.fr/colloque-es/pdf/articles/bonvin_conter.pdf
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sont aussi appelés à opérer une forme de régulation « par le bas » où se manifestent
l’autonomisation et la responsabilisation que nous souhaitons interroger et analyser dans le
cadre de cette recherche. En ce sens, le présent projet postdoctoral s’inscrit dans les
questionnements scientifiques du Labex Structurations des Mondes Sociaux s’agissant des
transformations de l’action publique territoriale liées aux normes impulsées par l’Union
Européenne et à l’analyse des modes de régulation de l’action collective organisée.
Plus largement, cette recherche tend à s’inscrire dans une réflexion sur les moments propices
au changement, les « fenêtres politiques »19
, c'est-à-dire les temps, les configurations qui
rendent possible les mutations de l’action publique, en s’interrogeant sur la manière dont le
changement se met en œuvre concrètement. Si l’on admet qu’il y a des « fenêtres politiques »
et que la politique publique se transforme, comment les acteurs concernés s’adaptent-ils,
défendent-ils leurs intérêts et participent, à un processus de changement qui n’est pas
forcément voulu. L’enjeu du présent projet est d’apporter des éléments à ces questionnements
et de contribuer à l’analyse des processus de transformation de l’action publique, et plus
largement de l’Etat.
19 Idée notamment développée par John Keller dans son ouvrage "Réformer. Les conditions du changement politique",
Presses Universitaires de France, 1994.