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entretien exclusif avec henry laurens Le Moyen-Orient et la Méditerranée GÉOPOLITIQUE , GÉOÉCONOMIE , GÉOSTRATÉGIE ET SOCIÉTÉS DU MONDE ARABO - MUSULMAN Octobre-Novembre 2009 • 10,95 € Magazine bimestriel • Numéro 02 golfe persique Les ravages de la crise financière iran-usa Quelle stratégie pour l’Administration Obama ? mauritanie Le pays du coup d’État permanent abou dhabi Capitale mondiale de l’écologie ? L iban Israël Syrie clientélisme Palestiniens Hezbollah élections tournant ou impasse ? RéPUBLIQUE ARABE D’éGYPTE : UN COLOSSE AUX PIEDS D’ARGILE ? 3:HIKROB=^VU^Z[:?a@k@a@c@k; M 07419 - 2 - F: 10,95 E - RD 02 nouveau CANADA : 15,95 CAD • ÉTATS-UNIS : 18 USD • SUISSE : 20 CHF • ALLEMAGNE/BELGIQUE/GRÈCE/PORTUGAL : 12 EUR • AUTRICHE : 12,50 EUR CAMEROUN/CÔTE D’IVOIRE/GABON/SÉNÉGAL : 7500 CFA • MAROC : 130 MAD • DOM : 10,95 EUR • POLYNÉSIE FRANÇAISE/NOUVELLE-CALÉDONIE : 1500 CFP

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entretien exclusif avec henry laurensLe Moyen-Orient et la Méditerranée

g é o p o l i t i q u e , g é o é c o n o m i e , g é o s t r a t é g i e e t s o c i é t é s d u m o n d e a r a b o - m u s u l m a n

Octobre-Novembre 2009 • 10,95 €Magazine bimestriel • Numéro 02

golfe persiqueLes ravages dela crise financière

iran-usaQuelle stratégie pourl’Administration Obama ?

mauritanieLe pays du coupd’État permanent

abou dhabiCapitale mondialede l’écologie ?

LibanIsraël • SyrieclientélismePalestiniens

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tournant ou impasse ?

RéPubLIque aRabe d’égyPte : uN COLOSSe aux PIedS d’aRgILe ?

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6 Regard de Henry Laurens sur le Moyen-Orient 11 Agenda - Actualités

DOSSIER LIBAN 15 16 Élections législatives au Liban : du clientélisme traditionnel à la modernité politique ? Jean-Luc Vannier

24 Repères Liban : Cartographie

26 Repères Liban : L’évolution démographique Youssef Courbage et Rafik Boustani

28 Le Hezbollah et la communauté chiite au Liban : une adéquation imparfaite Catherine Le Thomas

33 L’avenir des réfugiés palestiniens du Liban : entre exclusion et intégration Daniel Meier

39 Repères Liban : Économie René Yerly

42 Syrie-Liban : des relations complexes Fabrice Balanche

48 Le Liban signera-t-il un accord de paix israélo-arabe ? Nadim Hasbani

GÉOPOLITIQUE 54 54 La Mauritanie ou le coup d’État « démocratique » permanent Armelle Choplin

60 Égypte : la stabilité en question ? Jean-Noël Ferrié

66 Changement de régime en Iran, controverse de la politique étrangère américaine Patrick Clawson

EN BREF 72

GÉOÉCONOMIE 76 76 La crise financière n’épargne pas le Golfe Guillaume Fourmont

SOCIÉTÉ 82 82 Quand Abou Dhabi se met au vert Frank Tétart

HIER 88 88 Les relations franco-libanaises et les compétitions occidentales à l’époque du mandat français (1918-1946) Anne-Lucie Chaigne-Oudin

LIVRES • WEB • EXPO 94

SommaireMoyen-Orient no 2 • Octobre - Novembre 2009

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Moyen-Orient 02 • Octobre - Novembre 2009 7

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Moyen-Orient 02 • Octobre - Novembre 2009 15

D O S S I E R

© AFP Photo/Joseph Barrak

LIBANTournant ou impasse ?

Pour saisir les enjeux des dernières élections pour le Liban, ce dossier revient sur le scrutin lui-même (p. 16), avant d’appréhender le poids du Hezbollah parmi les chiites (p. 28), l’avenir des réfugiés palestiniens (p. 33), l’économie et les jeux de pouvoir (p. 39), les relations avec la Syrie (p. 42) et le Liban face au conflit israélo-palestinien (p. 48). Un premier repère en cartes rappelle les fondamentaux historiques du Liban (p. 24), un second souligne l’importance de la démographie dans ce pays multiconfessionnel (p. 26).

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28 Moyen-Orient 02 • Octobre - Novembre 2009

Catherine Le ThomasDocteur en sciences politiques, chercheur associé à l’IFPO à Beyrouth

D O S S I E R L I B A N

Moyen-Orient 02 • Octobre - Novembre 2009 29

I l est difficile de déterminer le poids démographique des chiites dans les années 1990-2000, en l’absence de données fiables depuis le dernier recensement officiel de 1932. Des estimations circulent, qui varient sensi-

blement, mais s’accordent ces dernières années pour évaluer le poids des chiites à plus de 30 % de la population (1) et souligner leur dynamisme démographique, qui se traduit notamment par une proportion importante des moins de 20 ans. Les listes élec-torales, pour leur part, donnent lieu à un comptage officiel tous les quatre ans, et la base communautaire du vote permet de se

faire une idée du poids de chaque communauté parmi les élec-teurs : elles mentionnent 26,9 % de chiites en 2009 (2), presque à égalité avec la population sunnite.La démographie vigoureuse – quoiqu’en ralentissement très net – et le dynamisme sociopolitique des chiites au Liban font du Hezbollah, leur principal représentant actuel, le parti pivot de la scène politique. Le poids de ce dernier est d’autant plus marqué qu’il monopolise l’action de « résistance » contre l’en-nemi israélien (3) au Sud, fort de son arsenal militaire et de l’appui matériel et moral de son parrain iranien.

• Du rejeton de l’Iran au représentant majeur de la communauté chiite

Né en 1982 par coalescence de divers groupes chiites menés par de jeunes clercs urbains, le Hezbollah (ou « Parti de Dieu ») s’est développé sous l’égide du mentor qu’a représenté pour lui le régime mis en place en Iran en 1979 et dans le cadre d’une alliance stratégique – non dénuée de tensions – avec la Syrie. Après avoir pris le dessus au sein de sa propre communauté par les armes et grâce au prestige que lui confère son action de ré-sistance armée contre Israël, le Hezbollah monte en puissance tout au long des années 1990 et 2000. Il participe régulièrement aux élections législatives libanaises à partir de 1992, avant d’en-trer pour la première fois au gouvernement en juillet 2005. Le parti obtient le portefeuille de l’Énergie, attribué à Mohammed Fneich. Il y compte également deux sympathisants, dans les per-sonnes de Trad Hamadé (Affaires sociales) et Fawzi Salloukh (Affaires étrangères) (4). Le discours politique du parti, axé sur le refus de tout compromis dans le conflit israélo-arabe sur le plan régional, s’appuie au niveau interne sur une critique du libé-ralisme économique qui prévaut dans le pays et de la corruption largement répandue au sein des administrations. Ce faisant, le Hezbollah joue depuis ses débuts une fonction tribunicienne dans le jeu politique, et s’est forgé progressivement une réputa-tion de parti intègre, aux préoccupations sociales.

Par là, il se démarque, au sein de la communauté, de Harakat Amal (5), structure principale de représentation des chiites jusqu’au milieu des années 1980, et héritier direct du Mouve-ment des déshérités, fondé en 1974 par l’imam Moussa al-Sadr. Figure majeure de la communauté chiite dans les années 1960-1970, Sadr s’était appuyé sur une mobilisation chiite à caractère social mais aussi confessionnel pour créer finalement en 1975, dans un contexte de fortes tensions, le parti armé Amal, avant de disparaître en 1978 lors d’un voyage en Libye, dans des circonstances non élucidées. Dirigé à partir de 1980 par l’avo-cat Nabih Berri, le Mouvement Amal se sécularise, tandis que ses positions pragmatiques face à Israël, puis son opposition armée aux Palestiniens du Liban accélèrent l’émergence d’un Hezbollah hostile à ces options. Des combats violents oppo-sent leurs deux milices entre 1987 et 1990. Les deux partis demeurent rivaux durant les années 1990, mais Harakat Amal perd du terrain en banlieue sud de Beyrouth, dans la Bekaa, puis même dans son bastion du Sud-Liban. Impliqué dans les réseaux clientélistes jusqu’au sommet de l’État, jugé corrompu et dépourvu de programme clair, Harakat Amal reste géré dans les années 2000 par Nabih Berri, dirigeant nettement moins charismatique que son homologue du Hezbollah, Hassan Nasrallah (6), mais qui garde un rôle clé en tant que prési-dent du Parlement et interlocuteur obligé de toute négocia-tion à l’échelle nationale. Les deux « frères ennemis » chiites, déjà poussés à la coopération par Damas lors des élections

Le Hezbollah et la communauté chiite au Liban :

une adéquation imparfaite

L’hégémonie actuelle du Hezbollah sur la communauté chiite ne doit pas masquer une véritable diversité historique de sensibilités religieuses et de tendances politiques dans ce groupe, sans doute le plus important numériquement à l’heure actuelle parmi les dix-sept communautés libanaises.

Manifestation de solidarité avec les Palestiniens à l’occasion de la « Journée de Jérusalem » (Al-Qods), organisée par le Hezbollah à Beyrouth. Le parti monopolise l’action de « résistance » contre l’ennemi israélien.

© AFP Photo/Ramzi Haidar

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30 Moyen-Orient 02 • Octobre - Novembre 2009

Le Hezbollah et la communauté chiite au Liban : une adéquation imparfaiteD O S S I E R • L I B A N

Moyen-Orient 02 • Octobre - Novembre 2009 31

législatives des années 1990, deviennent des partenaires prag-matiques à l’issue de la promulgation de la résolution 1559 et du retrait syrien du Liban d’avril 2005, qui représentent poten-tiellement une menace pour les deux formations. Ce tandem politique est toutefois nettement dominé par le Parti de Dieu dans les années 2000.

• Le Hezbollah sur le terrain : assister, encadrer, mobiliser

Au niveau sociologique, le Hezbollah se veut le représentant des démunis, mais également des couches moyennes chiites qui se sentent menacées dans leur statut, voire d’une bourgeoi-sie chiite en voie d’ascension sociale ; en ce sens, il n’est pas à proprement parler un « parti de classe ». Sa base sociologique l’enracine très majoritairement, sinon quasi exclusivement, dans la communauté chiite. En tant que mouvement islamiste, le Hezbollah s’articule autour d’une vision religieuse de l’action en société, sans pour autant que ses cadres en fassent le déterminant unique, ni même essentiel, de leur insertion dans le jeu politique national ; l’alliance stratégique avec le Courant patriotique libre du géné-ral Michel Aoun, effective depuis février 2006, est as-sez éclairante à cet égard. Divers sur le plan social, les militants et sympathisants du Hezbollah articulent également de manière très variable les dimensions militaire, religieuse, politique et sociale du mouve-ment, qu’ils hiérarchisent selon leurs propres sensibi-lités et trajectoires (7). Pour beaucoup de militants, et même de sympathisants, toutefois, la dimension globale ou « totalisante » de la milice chiite et sa prétention à encadrer sur les plans social, culturel et symbolique les populations qu’il représente « font sens », et constituent une alternative crédible à des pouvoirs en place défaillants sur plus d’un point. Le Hezbollah apparaît profondément enraciné dans le tissu social des régions à majorité chiite du pays – Sud, Bekaa du Nord, banlieue sud de Beyrouth : il a su s’y rendre légitime et peu à peu indispensable auprès d’une population très mal desservie par l’État en matière d’équipements et de services sociaux. Adossé à un dispositif social ramifié, le mouvement possède ses écoles, ses hôpitaux, son système de prêts, ses scouts et fait régner l’ordre dans les terri-toires qu’il contrôle. Ce mode de fonctionnement, qui s’apparente peu ou prou à celui d’une contre-société, fait ainsi écho à des dispositifs sociocultu-rels implantés antérieurement en Europe, comme celui du parti communiste en France, ou même celui de l’Église catholique en Europe, et particu-lièrement en France au tournant du XXe siècle (8). Bien que des nuances soient à apporter à de tels rapprochements, ces derniers suggèrent néan-moins que l’action sociale du Hezbollah n’est pas

radicalement neuve ou spécifique. Elle s’insère, de surcroît, dans une société libanaise où chaque communauté développe ses partis, réseaux sociaux et structures socioculturelles, et assoit ainsi un complexe institutionnel communautaire qui tend à l’autarcie. Quand un parti en vient à monopoliser à lui seul ou presque la représentation de sa communauté, ou ne trouve plus de contrepoids suffisant au sein de son propre groupe, son veto peut potentiellement défier le système entier (9). Tel semble être le cas depuis la montée en puissance du Hezbollah après le retrait israélien unilatéral du Sud du pays en mai 2000, qui lui a assuré une audience et un prestige transcommunautaire, et plus encore après la « victoire divine » obtenue contre les mêmes Israéliens à l’issue de la guerre de juillet-août 2006. Au faîte de sa puissance, le Parti de Dieu démissionne en novembre 2006 avec ses alliés chiites du gouvernement présidé par Fouad Siniora, afin de réclamer la formation d’un gouvernement d’union na-tionale ; avec ses alliés et le mouvement aouniste, il commence au centre-ville de Beyrouth un sit-in qui se prolongera un an et demi durant, jusqu’aux accords de Doha en mai 2008.

gouvernement mis en place le 11 juillet 2008, à l’issue des accords de Doha, en tant que ministre d’État chargé de la ré-forme administrative, sans étiquette partisane, mais parmi les seize ministres nommés par la majorité – donc face à Amal et au Hezbollah (11). Le mufti de Tyr, Ali al-Amine, très criti-que envers la politique du Hezbollah au sujet de la guerre de 2006, du sit-in du centre-ville et des événements sanglants du 7 mai 2008 à Beyrouth en riposte à la décision du gouverne-ment de démanteler le réseau téléphonique du Hezbollah dans le pays (12), est finalement « démis » de ses fonctions sous la pression du Hezbollah lui-même. Autre opposant, Ahmad al-Assad, candidat malheureux aux législatives de 2009, représentant d’une famille traditionnelle du Sud, président de l’Option libanaise pour le rassemblement, ne bénéficie que d’un faible écho au sein de la population locale. Quant au mufti de Saïda, Mohammed Hassan al-Amine, il fonde une éphémère « rencontre chiite libanaise » en avril 2005 afin de « libérer » la communauté chiite de l’influence des deux grands mouvements qui la représentent, et propose une troisième voie, antisyrienne, qui fait long feu.L’étroitesse des possibilités d’entrée dans un champ politi-que chiite libanais contrôlé par le Hezbollah et ses alliés rend pour l’heure les alternatives politiques peu crédibles. Dans le champ religieux, les clercs hostiles à la doctrine du wilayat al-faqih (13), suivie par le parti et d’inspiration khomeyniste, existent, à l’instar de Mohammed Hussein Fadlallah, le plus éminent clerc chiite libanais. Toutefois, ils ne font pas contre-poids au Hezbollah sur le plan politique, où les figures de la communauté resserrent au contraire les rangs en période de tensions. Le champ intellectuel chiite reste quant à lui diversifié, du fait notamment de la persistance d’une frange laïque historiquement importante en son sein ; quelques voix très critiques vis-à-vis du Parti de Dieu s’y sont fait entendre ces dernières années.

Les deux « frères ennemis » chiites, Hassan Nasrallah (à gauche), leader du Hezbollah, et Nabih Berri (à droite), du Mouvement Amal, sont des partenaires pragmatiques des élections libanaises, comme l’indique cette affiche « Ensemble, nous partageons la patrie » (région de Tyr, 2007). Ce tandem politique est nettement dominé par le Parti de Dieu.

© Catherine Le Thomas

© REUTERS/Steve Crisp

Le droit de vote est octroyé à 21 ans au Liban. On vote tous les quatre ans sur le lieu d’origine de sa famille et non sur son lieu de résidence. Le corps électoral libanais compte, en 2009, quelque 3 146 600 électeurs : 26,83 % sont sunnites, 26,92 % chiites et 21,94 % maronites, pour ne citer que les trois plus grandes communautés confessionnelles du pays. Le taux d’électeurs chiites est donc légèrement moins élevé que celui des membres de sa communauté (31,5 %), du fait notamment de sa composition démographique, la proportion des jeunes étant plus importante que chez les autres communautés. À partir de 2013, les émigrés libanais pourront participer au scrutin depuis l’étranger.

Source : L’Orient-Le Jour, 2 juin 2009

• Les autres voix du chiisme libanais

Au-delà de l’hégémonie du Parti de Dieu sur les chiites liba-nais, des formes d’opposition ou d’alternative se font entendre par intermittence au sein d’une communauté dont les sensibi-lités religieuses et politiques restent diverses. Elles n’accèdent guère à la scène politique nationale, sauf à s’agréger au camp opposé à celui des deux partis chiites, celui de la Coalition dite du « 14 mars », soutenue notamment par la majorité des sunnites. Ibrahim Chams al-Din, fils de l’ancien vice-président du Conseil supérieur islamique chiite (10) et directeur d’une association caritative fondée par son père, entre ainsi au

Élections, mode d’emploi

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32 Moyen-Orient 02 • Octobre - Novembre 2009

Le Hezbollah et la communauté chiite au Liban : une adéquation imparfaiteD O S S I E R • L I B A N

• Le Hezbollah, éternel opposant ou parti de gouvernement ?

Dans ce contexte, l’échec du camp dit du « 8 mars » mené par le Hezbollah, Amal et le Courant patriotique libre du gé-néral Michel Aoun aux législatives de juin 2009 soulève plu-sieurs questions, à commencer par celle de l’image du parti au-delà de la communauté. Il semble clair à cet égard que le Hezbollah inquiète une partie des Libanais, tant par des alliances avec la Syrie et l’Iran, souvent stigmatisées par ses adversaires comme « antipatriotiques », que par une gestion des armes de la résistance sur laquelle il entend garder l’entier contrôle. Les événements sanglants de mai 2008 dans les rues de l’Ouest de la capitale libanaise l’ont suffisamment rappelé, le parti chiite ne saurait accepter toute remise en cause de la légitimité de ses armes et de son combat de libération et de « défense nationale » (14).

Reste que la popularité du parti demeure très forte au sein de la communauté chiite et parmi ses alliés (15) : si la Coalition du 8 mars n’a pas remporté les élections législatives de 2009 à l’échelle nationale, cela est dû à la diversité communautaire, au vote « anti-Hezbollah » d’une majorité de sunnites et d’une partie des chrétiens, mais non à celui des chiites eux- mêmes qui restent très majoritairement favorables au « Hezb » (parti), comme ils l’appellent familièrement. À cet égard, on peut se demander si une victoire électorale nette aurait réelle-ment servi le Hezbollah à long terme, en le plaçant face à des responsabilités nouvelles, et en rendant quelque peu caduque sa fonction contestataire, ainsi que son prestige symbolique de parti d’opposition au sein de sa communauté et parmi ses alliés. Au-delà des spécificités évidentes du jeu politique libanais, qui se caractérise par une représentation de toutes les communautés plus que par une véritable logique majoritaire, certaines difficultés idéologiques et politiques rencontrées par les partis islamiques qui se confrontent à l’exercice direct du pouvoir en plusieurs pays du Moyen-Orient semblent suggé-rer que rien n’est moins sûr. n

Catherine Le Thomas

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•(1) Voir l’article de Youssef Courbage et Rafik Boustani dans ce même dossier.

(2) Pour la répartition régionale et com-munautaire des inscrits sur les listes élec-torales, voir É. Verdeil, « Les territoires du vote au Liban », Mappemonde, n° 78, février 2005. http://mappemonde.mgm.fr/num6/articles/art05209.html

(3) Le Liban et Israël ont signé un armistice en 1949, mais aucun traité de paix officiel à ce jour (si l’on excepte le traité du 17 mai 1983, jamais ratifié par l’Assemblée).

(4) Dans le gouvernement formé en juillet 2008 à l’issue des accords de Doha, M. Fneich obtient le portefeuille du Travail et F. Salloukh de nouveau celui des Affaires étrangères.

(5) Son nom exact est Harakat Amal al-Mahrumin, Mouvement Amal des déshérités. Amal, acronyme de Afuâj al-Muqâwama al-Lubnâniya (« brigade de la résistance libanaise ») signifie « espoir » en arabe.

(6) H. Nasrallah a succédé, à la tête du Hezbollah, à A. Moussaoui, tué par un hélicoptère israélien en février 1992.

(7) Voir C. Le Thomas, Mobiliser la com-munauté ; l’émergence d’un secteur éducatif chiite depuis les années 1960 au Liban, thèse de doctorat, IEP Paris, janvier 2005, p. 596-605.

(8) Merci à Dominique Avon pour les indications fournies à ce sujet.

(9) A. Beydoun, « Al-Tâifiyya ; malâmih

li Islâh mu’allan », in N. Salâm, Kayarât li Lubnân, Éd. Dar an Nahar, 2004, p. 24.

(10) Instance officielle de représentation de la communauté chiite auprès de l’État libanais, entrée en fonction en 1969.

(11) Ibrahim Chams al-Din, candidat indépendant aux élections de mai 2005 à Beyrouth (2e circonscription), face au candidat du Hezbollah, A. Cherry (liste Hariri), avait échoué malgré un score ho-norable. L’Orient-Le Jour, 25 mai 2005.

(12) Le conflit qui fit 80 morts débou-cha sur les accords de Doha.

(13) Doctrine développée en Iran par l’imam Khomeiny, selon laquelle Al-Wali al-Faqih (le jurisconsulte religieux qui guide la communauté chiite, en l’absence de l’imam qui a été « occulté » en l’an 941) a autorité sur elle pour tou-tes les matières du spirituel mais aussi du temporel ; le faqih peut notamment statuer, selon cette interprétation, sur les affaires politiques. Voir S. Mervin, « La guidance du théologien-juriste (wilayat al-faqih) : de la théorie à la pratique », in Le Hezbollah, état des lieux, Actes Sud, 2008, p. 207-212.

(14) Voir A. Beydoun, La dégénéres-cence du Liban ou la Réforme orpheline, Actes Sud, 2009, p. 88-89.

(15) Le taux de participation aux législa-tives dans les régions à majorité chiite a été élevé, alors même que le Hezbollah et ses alliés étaient assurés de la victoire dans ces zones. Ce que souligna, dès le lendemain des élections, H. Nasrallah lors d’une allocution télévisée.

Parade militaire à Nabatieh (Sud-Liban) lors de la fête chiite de l’Achoura, le 10 janvier 2009. La question du désarmement du Hezbollah a été l’un des enjeux des dernières

élections législatives.

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