10
  GOÛT ET DÉGOÛT DE L'ÉCOLE  Clémentine Rappaport ERES | La lettre de l'enfance et de l'adolescence 2010/2 - n°80-81 pages 31 à 38  ISSN 1146-061X Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-lett re-de-l-enfance-et-de-l-ado lescence-2010-2-page-31.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Rappaport Clémentine, « Goût et dégoût de l'école », La lettre de l'enfance et de l'adolescence , 2010/2 n°80-81, p. 31-38. DOI : 10.3917/lett.080.0031 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ERES.  © ERES. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.    D   o   c   u   m   e   n    t    t    é    l    é   c    h   a   r   g    é    d   e   p   u    i   s   w   w   w  .   c   a    i   r   n  .    i   n    f   o      U   n    i   v   e   r   s    i    t    é    P   a   r    i   s    8        9    3  .    1    5  .    5    6  .    1    2    0      2    0    /    1    1    /    2    0    1    3    0    9    h    1    0  .    ©    E    R    E    S D m e é g d s w c r n n o U v s é P s 8 9 1 5 1 2 1 2 0 © E

Goût Et Dégoût de l'École

  • Upload
    euagg

  • View
    223

  • Download
    0

Embed Size (px)

DESCRIPTION

école, pédagogie

Citation preview

  • GOT ET DGOT DE L'COLE

    Clmentine Rappaport

    ERES | La lettre de l'enfance et de l'adolescence

    2010/2 - n 80-81pages 31 38

    ISSN 1146-061X

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-lettre-de-l-enfance-et-de-l-adolescence-2010-2-page-31.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Rappaport Clmentine, Got et dgot de l'cole , La lettre de l'enfance et de l'adolescence, 2010/2 n 80-81, p. 31-38. DOI : 10.3917/lett.080.0031--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Distribution lectronique Cairn.info pour ERES. ERES. Tous droits rservs pour tous pays.

    La reproduction ou reprsentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorise que dans les limites desconditions gnrales d'utilisation du site ou, le cas chant, des conditions gnrales de la licence souscrite par votretablissement. Toute autre reproduction ou reprsentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manire quece soit, est interdite sauf accord pralable et crit de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislation en vigueur enFrance. Il est prcis que son stockage dans une base de donnes est galement interdit.

    1 / 1

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    Par

    is 8

    - -

    93.1

    5.56

    .120

    - 20

    /11/

    2013

    09h

    10.

    ERE

    S D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit Paris 8 - - 93.15.56.120 - 20/11/2013 09h10. ERES

  • Problmatiques

    Got et dgot de lcole

    Clmentine Rappaport 8

    Langle de lexprience clinique ouvre un regard sur lintimit de la relation que les adolescents entretiennent avec leur cole. Pdopsychiatre lhpital gn-ral Robert-Ballanger dAulnay-sous-Bois, je suis confronte avec les adolescents de Seine-Saint-Denis, leur got ou dgot de lcole , lequel permet dclairer leurs difficults particulires mais aussi celles de lensemble des adolescents.

    De nombreux adolescents sont hospitaliss en pdiatrie en raison de tentati-ves de suicide. Si les relations conflictuelles avec les parents sont souvent au premier plan, les gestes suicidaires sont particulirement nombreux en mai et juin, mois des orientations scolaires. Les tentatives de suicide cette priode de lanne posent donc des questions sur la chose scolaire. Pour les 14-15 ans, cest la fin de la troisime, et ils parlent souvent des dceptions quant aux orientations en lyces professionnels, et ce surtout lorsque les places manquent dans les spcialits choisies. Dans dautres tranches dge, les dcisions de redoublement saccompa-gnent parfois dun sentiment dchec insupportable.

    Beaucoup de filles font tat de leurs difficults relationnelles avec leurs pairs. Elles parlent de la douleur quelles prouvent trouver leur place dans le groupe, surtout durant les annes collge qui sont particulirement cruelles pour le narcis-sisme des jeunes filles. Cest aussi parfois le cas des jeunes garons. Lorsque nous rencontrons les adolescents suicidants nous essayons dtre vigilants la relation quils entretiennent avec leur cole, et aussi avec le groupe. Leurs relations lcole sont complexes.

    Si russite nest pas synonyme de got, ni chec synonyme de dgot, ces posi-tions ne sont nanmoins pas sans liens. Outre le lieu des apprentissages, lcole est un lieu de rencontre et de confrontations, dchanges ou de soumission, douver-ture ou de blessures.

    Les relations lcole comme au groupe de pairs ont des spcificits et des difficults particulires en Seine-Saint-Denis. Cependant, tous les jeunes sont

    Clmentine Rappaport, pdopsychiatre, service adolescents, hpital gnral Robert-Ballanger, 93600 Aulnay-sous-Bois.

    Grape 80/81 MG.indd Sec3:31Grape 80/81 MG.indd Sec3:31 8/09/10 9:11:278/09/10 9:11:27

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    Par

    is 8

    - -

    93.1

    5.56

    .120

    - 20

    /11/

    2013

    09h

    10.

    ERE

    S D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit Paris 8 - - 93.15.56.120 - 20/11/2013 09h10. ERES

  • 32 Lcole autrement la lettre de lenfance et de ladolescence n 80/81

    fragiliss durant les annes collge du fait des multiples remaniements psychiques et physiques luvre cette priode de la vie. Pubert, entre dans ladolescence, nouveaux enjeux du processus de sparation, bouleversement des relations fami-liales, dcouverte du groupe, recherche de repres identificatoires en dehors de la famille, branlement narcissique : tout cela concide avec lentre au collge.

    Or, si les adultes imaginent les jeunes inscrits dans de nouvelles relations amicales plaisantes, la dpendance lautre et les enjeux narcissiques sont souvent suprieurs dans lconomie psychique de ces adolescents la mise en place dune vritable relation objectale.

    Et, comme de tout temps, les adolescents nous alertent sur notre organisation sociale et ses dysfonctionnements, ceux qui font une tentative de suicide nous adressent des signaux qui nous parlent de leur got ou de leur dgot de lcole, mais aussi du got ou du dgot de lcole leur gard.

    lhpital Robert-Ballanger, nous disposons dune unit dhospitalisation pdopsychiatrique pour des adolescents qui souffrent de pathologies svres, ou qui ont besoin de sjours dhospitalisation plus longs que ce que nous pouvons offrir en pdiatrie. Quelle que soit la nature de leur difficult, la quasi-totalit de ces adolescents est dscolarise, et souvent depuis plusieurs semaines voire plusieurs mois avant leur hospitalisation. Cest dire que, ds que a ne va pas, ladolescent ne se rend plus lcole. Mais aussi que ds quun adolescent ne va plus lcole, a ne peut qualler mal pour lui. Une part importante de nos soins est oriente sur le retour vers lcole, en essayant, pour chaque adolescent, de trou-ver le fil qui pourra le ramener vers elle. Cest souvent difficile.

    Alors que chez les adultes, il est possible davoir une priode de crise, de ralentir ou de suspendre son activit professionnelle puis de reprendre le cours de sa vie, cela est extrmement difficile pour un jeune ayant interrompu sa scolarit. La pression scolaire est trs forte et la norme est la rgle chez les adolescents. Quelle que soit la difficult mme passagre, il est trs difficile de raccrocher. Deux mois dabsence, et lanne de retard est venue. Par ailleurs, labsence remarque de ladolescent le dsigne, le dcalage en ge est trs sensible, et tout cela renforce sa crainte de non-intgration au groupe.

    Got et dgot de lcole : une mtaphore alimentaire

    Lorsque je pose la question un adolescent est-ce que tu aimes lcole , il nest pas rare quil me regarde avec des yeux ronds. La question lui parat ton-nante : normal , a peut aller , bof . On sent une certaine retenue. Comment aimer une chose obligatoire, dont on nest dailleurs pas en droit de ne pas manger. Mais aussi, peut-on aimer une chose obligatoire ? Cette question pose, apparemment anodine, relve en ralit du plus intime. Elle engage lado-lescent dans son rapport au monde, aux autres, adolescents comme adultes, et engage aussi son histoire infantile ainsi que le rapport au monde de ses parents. Prise en bloc, formule dans une question aussi gnrale que est-ce que tu aimes lcole , la rponse juste est impossible, car elle est complexe et ambivalente.

    Un jour, alors que je djeunais au self de mon hpital, mest venue une mta-phore alimentaire que je livre ici. Finissant mon djeuner (javais termin toute mon assiette), mes yeux tombent sur lassiette de mon voisin de table, un collgue

    Grape 80/81 MG.indd Sec4:32Grape 80/81 MG.indd Sec4:32 8/09/10 9:11:278/09/10 9:11:27

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    Par

    is 8

    - -

    93.1

    5.56

    .120

    - 20

    /11/

    2013

    09h

    10.

    ERE

    S D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit Paris 8 - - 93.15.56.120 - 20/11/2013 09h10. ERES

  • Problmatiques : Got et dgot de lcole 33

    de nature plutt svre. Dans son assiette : une immense portion de jardinire de lgumes, laisse intacte sauf une minuscule part qui creusait un petit trou dans cette montagne, et la fourchette laisse plante droite dans la plate. Cette jardi-nire de lgumes : carottes, haricots, brocolis, choses blanchtres restes myst-rieuses, et un jus plutt sirupeux accumul dans le trou laiss par la petite portion mange.

    Cette situation incongrue a provoqu chez moi un sentiment ml de surprise et deffet humoristique. Dans un jeu psychodramatique, jessaie une injonction : Mange ! , cest bon pour toi, il faut manger. Le collgue qui ntait pas prpar au jeu me regarde avec des yeux ronds.

    Puis jessaie les reproches : Pourquoi tu nas rien mang ? Il ne sait pas rpondre. Je naime pas a, cest pas bon , me dit-il. Pourquoi en as-tu pris alors ?

    Jinsiste : Mange au moins les carottes. Non, mme les carottes sont mauvaises, elles ont pris le got du brocoli.

    Je renonce au bout dun moment. Pas moyen de ngocier sur le moindre accs cette jardinire de lgumes. Il faut bien reconnatre que je navais pas t jusqu en manger avec lui.

    Il sagissait l dun collgue, dun adulte, mais cela ma fait minterroger sur la difficult faire manger une jardinire de lgumes un enfant, et toutes les stratgies utilises par les parents pour parvenir cette fin. En ralit, cest chose complique : comment faire ?

    Le got et le dgot de lcole : faire avec cette jardinire cest un peu comme faire avec lcole. Cest un vritable pari que de savoir si lenfant va la prendre un peu, la folie ou pas du tout, va en prendre avec got ou avec dgot, en prendre tout ou partie, va arriver au bout ou sarrter en chemin.

    Tout parent a cette angoisse, et chaque parent va dvelopper une stratgie, sachant que de toute faon il faudra y aller. Alors quelle stratgie ? En en mangeant avec lenfant : Elle est dlicieuse, cette jardinire ? En ne remplissant pas trop son assiette ? En lui proposant de ne goter que les lgumes qui le tentent ? En noyant le got dans du ketchup ? En le prenant par les sentiments : Une cuillre pour papa, une cuillre pour maman ? En menaant : De toute faon, tu la mangeras, tu resteras devant ton assiette jusqu ce que tu aies fini. En raisonnant : Tous les enfants doivent manger de la jardinire de lgumes pour grandir, cest bon pour toi. En se rfrant soi-mme : Moi, jai mang beaucoup de jardinires de lgu-mes quand jtais petite, et regarde maintenant je suis comme il faut (et l, beaucoup de parents mentent !). En le culpabilisant : Moi, je navais pas de jardinire de lgumes quand jtais petite, jaurais rv den avoir. Toi tu as la chance davoir de la jardinire de lgu-mes alors, mange. En lencourageant : Tu es un bon garon, tu manges trs bien ta jardinire de lgumes. En le narcissisant : Tu es beau quand tu manges ta jardinire de lgumes.

    Grape 80/81 MG.indd Sec4:33Grape 80/81 MG.indd Sec4:33 8/09/10 9:11:278/09/10 9:11:27

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    Par

    is 8

    - -

    93.1

    5.56

    .120

    - 20

    /11/

    2013

    09h

    10.

    ERE

    S D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit Paris 8 - - 93.15.56.120 - 20/11/2013 09h10. ERES

  • 34 Lcole autrement la lettre de lenfance et de ladolescence n 80/81

    Ou dernire ide (vous en aurez peut-tre dautres) : en promettant une rcom-pense : Si tu manges ta jardinire de lgumes, tu auras un bonbon ? Cette ide a dailleurs t voque rcemment par certains pour lutter contre labsentisme scolaire.

    Tout a pour dire : comment enrober dun discours un plat comme lcole que de toute faon, tout le monde le sait, il va falloir manger ? Eh bien chaque parent dabord, puis chaque enseignant utilisera selon son histoire, selon les moments et selon le positionnement de chaque enfant, tel ou tel registre. Cela dterminera en grande partie le got ou le dgot de lcole quen aura lenfant.

    Et lorsque nous proposons un adolescent de retrouver un chemin de lcole, une cole autrement peut-tre, nous utilisons de telles stratgies.

    Dans la jardinire-cole cohabitent les cours, les professeurs, lorganisation, les autres adolescents :

    les cours : avec chacune des matires pour lesquelles on aura plus ou moins de got, chacune imprgnant lautre ( jaime les maths mais pas lhistoire-go , jaime pas le lundi parce que jai histoire-go ) ;

    les professeurs : ( je dteste Mme Trucmuche, elle est mchante ou elle explique mal , ou jadore Mme Bidule, elle tient bien sa classe et elle est marrante ). Parfois cest lamour dun seul professeur qui fait venir un adolescent au collge ;

    lorganisation : ( je dteste les lundis, jai cours de 8 heures 18 heures , jadore le vendredi, je finis 3 heures et jai musique ) ;

    les autres adolescents ( je vais au collge pour voir mes copines ou au contraire je dois retrouver chaque jour la relation aux autres qui me rabaissent, je ne peux plus le supporter ).

    Lcole : une affaire de famille

    Quels rapports les parents entretiennent-ils avec lcole ? Quelle est leur histoire avec lcole ? Face lcole comme face notre jardinire de lgumes, les parents et les enfants entrent dans une dialectique complexe, o se mlent angoisse de sparation, angoisse de ltranger, rapport la loi, rapport au savoir, autorit, dsirs et affects.

    Dans lhistoire de lenfant (donc de ladolescent et des parents) lcole sintro-duit dabord dans sa vie comme lieu sparateur. Quand lenfant est petit, il doit sassurer quil peut se sentir heureux loin de sa mre. Or, il y a une contradiction pour lenfant qui se dsire au centre de la vie de sa mre. Soit il se croit mchant de la laisser, soit il se sent abandonn. Lenfant peut-il vraiment vivre des moments agrables en labsence de ses parents sans risquer de les blesser ? Dune part, la mre doit supporter dtre blesse, dautre part, elle ne se sent souvent pas rassure de confier son enfant lcole. Enfin, elle est souvent ambivalente de le voir dj grandir. Les autres enfants sont vcus, selon les parents, et selon les moments, comme de potentiels agresseurs ou comme des relations agrables.

    Comment investir un lieu dont les parents parlent avec un discours teint dangoisse, souvent leur insu ? Ces premires relations avec lcole, la nature des liens que lenfant petit et ses parents auront pu ou non tisser avec les enseignants

    Grape 80/81 MG.indd Sec4:34Grape 80/81 MG.indd Sec4:34 8/09/10 9:11:278/09/10 9:11:27

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    Par

    is 8

    - -

    93.1

    5.56

    .120

    - 20

    /11/

    2013

    09h

    10.

    ERE

    S D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit Paris 8 - - 93.15.56.120 - 20/11/2013 09h10. ERES

  • Problmatiques : Got et dgot de lcole 35

    et les autres enfants, vont trouver une rsonance particulire ladolescence selon que lenfant (et les parents) seront scure ou non.

    Au moment de lentre au collge, ces positions ambivalentes des parents lgard des autres enfants prennent une acuit particulire du fait de ladolescence qui simpose eux : ambivalence quant la prise dautonomie, quant laccs une certaine sexualit des relations, inquitudes quant aux rencontres, quant la capacit dindpendance de leur adolescent. Linquitude exprime qui porte sur les mauvaises frquentations en est un prolongement.

    De la mme faon, lambivalence quant aux enseignants est dmultiplie du fait du nombre que leur adolescent va devoir rencontrer. Sentiment dabandon parental et rivalit avec ces autres adultes sont souvent prsents. Les adolescents, avec dans leur sac ces inquitudes parentales, vont rencontrer de nombreux professeurs sur qui vont se diffracter des relations transfrentielles, et exprimen-ter des relations autonomes avec le groupe des pairs.

    Pour finir, lcole est souvent vcue douloureusement comme une scne publique, qui vient violemment porter lintimit familiale en dehors du cadre de la maison. Demble, des enjeux narcissiques forts sont luvre : Que va-t-on penser de mon enfant ? Sera-t-il la hauteur des autres ? Mais aussi : Que va-t-on penser de moi ? Que va dire mon enfant de moi lcole ? Que va-t-on penser de lducation que je lui ai donne ?

    Cela est particulirement prgnant pour les parents migrants. Plus que dautres, ils sont en difficult pour prendre leur place dans la scolarisation de leur enfant. Ces parents, parfois non francophones (mais pas toujours), parfois illettrs (mais pas toujours), nosent pas rencontrer les enseignants, peuvent se sentir honteux, comme si lenfant devait exister hors de lhistoire familiale. Ladoles-cent peut se trouver dans un conflit de loyaut entre sa famille et lcole. Dans certaines familles migrantes, ladolescent est amen faire un cart particulire-ment grand entre deux milieux culturels trs loigns. Il peut ne pas se sentir autoris faire communiquer le milieu familial et le milieu scolaire. Mais cela nest que laccentuation dun mouvement psychique partag par la majorit des adolescents.

    Le problme de lillettrisme des parents est important aussi. Mais il ne concerne pas que les migrants puisque presque 10 % de la population gnrale en souffre. Cet illettrisme est souvent masqu et vcu avec un sentiment de honte notamment lgard de leurs propres enfants. Cela saccompagne dun vitement de la communication entre enfant et parents sur tout ce qui concerne la scolarit.

    En Seine-Saint-Denis, les collges rapportent combien il est rare de rencon-trer les parents dlves. Alors que dans les quartiers favoriss les parents sont dcrits comme trop prsents parfois sur un mode de rivalit avec les professeurs, dans ce dpartement les parents ont beaucoup de mal pntrer dans le collge, et ne viennent que trs rarement aux runions parents-professeurs. Cela renforce lcart que ladolescent a faire entre les deux mondes, familial et scolaire.

    Grape 80/81 MG.indd Sec4:35Grape 80/81 MG.indd Sec4:35 8/09/10 9:11:278/09/10 9:11:27

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    Par

    is 8

    - -

    93.1

    5.56

    .120

    - 20

    /11/

    2013

    09h

    10.

    ERE

    S D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit Paris 8 - - 93.15.56.120 - 20/11/2013 09h10. ERES

  • 36 Lcole autrement la lettre de lenfance et de ladolescence n 80/81

    Le got du savoir

    Dans beaucoup de familles, la place du savoir nest pas actuellement une place valorise, mais bien plutt celle de lagir et de largent.

    De fait, les enseignants, comme dtenteurs du savoir, ne sont souvent pas reconnus par les parents, soit que les parents ne tiennent pas le savoir comme une valeur essentielle, soit quils ne tiennent pas les enseignants dans une place socia-lement reconnue. Les enseignants, avec leur salaire modeste, ne sont pas du ct des puissants , et pour beaucoup de parents, cela ferme laccs toute place dautorit de lenseignant auprs de lenfant. Si le savoir nest pas valoris, et que lenseignant est disqualifi quant son rang social et son autorit, comment len-fant va-t-il pouvoir donner sens et valeur sa propre prsence lcole ?

    Pour reprendre notre mtaphore, comment avoir du got manger de cet aliment dont les parents se dtournent, prpar par un cuisinier dconsidr ?

    Cest une question politique dont les adolescents ne sont que le rvlateur.

    Le got et le dgot du groupe

    Lcole cest aussi la rencontre avec les autres. Selon les armes identitaires, et surtout narcissiques de chaque adolescent, cette rencontre va tre fondamentale, et influer trs fortement sur les apprentissages.

    Le groupe se cherche ailleurs que dans le groupe classe, rfrence des ensei-gnants. Sa cohrence se trouve au travers de codes adolescents et dans une certaine tyrannie. La hirarchie, intraitable et cruelle, sopre par des valeurs vhicules en partie par le politique.

    Les groupes sont peu mixtes au collge, sauf durant la dernire anne de troisime, o filles et garons commencent se mler. Lorganisation, verticale et hirarchique, sorganise donc essentiellement entre filles et entre garons.

    Les filles sont classes en populaires , normales , boloss-intellos . Ce sont les enjeux narcissiques qui priment, plus que les relations objectales. Il est trs difficile de passer dune catgorie lautre, on ne se parle pas entre deux castes diffrentes, au risque de perdre sa dignit. Cela saccompagne de souffrances importantes pour une grande partie des jeunes filles. De plus, la place dintello (celle qui donne accs au savoir) est particulirement difficile supporter au sein du groupe. Il est impossible de sintresser aux cours et dtre intgre dans un groupe de filles populaires .

    Les garons, eux, sont de plus en plus dans une grande pauvret relationnelle au collge. Les no-life ou les geeks consacrent le plus clair de leur temps des jeux vido et en rseau. Ils ne sortent jamais, trs peu dentre eux gardent des activits extrascolaires sportives ou artistiques. Les parents, bien que souvent inquiets de ce quils ressentent juste titre comme un repli sur soi, sont nan-moins rassurs de savoir leur fils la maison.

    Ces codes et ces pratiques, consommatrices de temps et dnergie, en concur-rence directe avec les apprentissages, participent du non-investissement scolaire et du renforcement des ingalits entre les jeunes.

    Grape 80/81 MG.indd Sec4:36Grape 80/81 MG.indd Sec4:36 8/09/10 9:11:278/09/10 9:11:27

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    Par

    is 8

    - -

    93.1

    5.56

    .120

    - 20

    /11/

    2013

    09h

    10.

    ERE

    S D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit Paris 8 - - 93.15.56.120 - 20/11/2013 09h10. ERES

  • Problmatiques : Got et dgot de lcole 37

    Heureusement, lentre au lyce saccompagne dun profond remaniement de ces relations pour parvenir des investissements plus objectaux, et ouvre des changes plus mixtes et moins tyranniques.

    Le got des enseignants

    Pour les enseignants, les difficults sont aussi importantes : les classes ressem-blent tout autant une jardinire de lgumes, ce quils ne manquent pas de faire remarquer.

    Les enseignants parlent souvent des classes comme des groupes htrognes, ingrables (indigrables). Par exemple, il nest pas rare dentendre propos dune classe de cinquime : une petite est brillante et travailleuse, mais narrte pas de poser des questions curieuses et puisantes qui mettent parfois le savoir du profes-seur en chec. Six enfants ne sintressent rien. Deux ne savent pas lire du tout. Deux sont dyslexiques. Cinq sont sympathiques. Un a deux ans de plus que les autres, est insolent et empche le cours de se drouler. Il leur est demand dint-grer une enfant handicape, qui partage son temps entre la classe dUPI et la cinquime. Les autres adolescents ne lacceptent pas car elle nest pas l tout le temps, et les professeurs doivent passer un temps infini faire du lien. Pas le temps de faire de lenseignement !

    Comment donner aux enseignants le got de cette jardinire de lgumes quest la classe ? Le groupe-classe nexiste pas en groupe homogne, auquel le professeur peut adresser un discours enseignant. La classe sest accentue en tant que somme dindividus, et chaque individu semble attendre un discours qui lui soit adress en propre. Ce qui nest pas non plus sans rappeler le politique. La hirarchie selon les connaissances nopre pas car elles ne sont pas reconnues comme une valeur par les adolescents, eux-mmes rvlateurs du discours social.

    En consultation, beaucoup dadolescents expriment le sentiment de ntre pas aims de lcole. Aurait-elle aussi un dgot pour les lves ? Cette question est particulirement sensible en Seine-Saint-Denis.

    Lors des meutes de 2005, les cibles des adolescents avaient t pour beau-coup des coles. tait-ce lexpression dune dception et dun sentiment de dsa-mour ? Est-ce que ces jeunes dgotent lcole ? Je crois quon peut dire oui. Dailleurs, dans ce dpartement, ce sont les enseignants qui dbutent qui sont dans les collges, et par obligation. Leur turn-over est trs important, et ils partent ds quils le peuvent, au bout dun ou deux ans. Ainsi, ce sont les lves qui restent le plus longtemps dans leur collge durant leurs quatre annes, et les professeurs passent. Pas le temps dinstaller de la relation dans le groupe des lves comme dans le groupe des enseignants. Cette instabilit cre de linscurit, une blessure narcissique pour tous, et au total un dgot profond.

    Le got des parents

    Souhaitons-nous toujours pour nos enfants quils aient du got pour lcole, ou serions-nous prts radicalement changer notre organisation sociale pour aller vers des apprentissages hors les murs de lcole ? Par exemple sur Internet, par le biais dautres mdias ? Pourquoi pas ? Que sommes-nous prts soutenir de

    Grape 80/81 MG.indd Sec4:37Grape 80/81 MG.indd Sec4:37 8/09/10 9:11:278/09/10 9:11:27

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    Par

    is 8

    - -

    93.1

    5.56

    .120

    - 20

    /11/

    2013

    09h

    10.

    ERE

    S D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit Paris 8 - - 93.15.56.120 - 20/11/2013 09h10. ERES

  • 38 Lcole autrement la lettre de lenfance et de ladolescence n 80/81

    notre cole ? Que dsirons-nous pour nos enfants ? Got ou russite ? Nous avons connu lautorit excessive exerce sur les enfants, puis les annes post-soixante-huit o lon a pens lever les enfants sans contrainte. Ne sommes-nous pas en train de construire un discours autoritariste alors mme que les enfants sont baigns dans une socit qui prne le plaisir immdiat et lagir, plus que leffort, le savoir et la culture ? Lcole reprsente pour nombre dentre eux le seul lieu o leffort, la contrainte et la discipline sont de mise, dans une certaine dliaison et dans une perte de cohrence. Enfin, lcole porte-t-elle toujours pour la plupart des familles le gage de la russite quand la plupart des lves dune gnration sont parvenus jusquaux tudes suprieures sans pour autant trouver une reconnais-sance sociale ? Les liens troits entretenus entre effort, russite scolaire et reconnais-sance sociale se sont distendus ; les adolescents sont en qute de sens par rapport leur cole, et questionnent travers elle les adultes en gnral.

    En conclusion, dirons-nous que ne se soutient que le dsir de savoir, le got du savoir ? Mais alors, comment produire ce dsir ?

    Si lapptit de savoir peut tre partag, got entre les parents et les enfants, il nest pas ncessaire que les parents soient eux-mmes porteurs de ce savoir. Cest linvestissement libidinal du savoir par eux qui peut tre transfr sur un autre adulte, en premier lieu lenseignant. Dans la rencontre, lenfant peut y avoir accs. Le savoir doit tre charg de libido, dune charge pulsionnelle conduisant au-del du principe de plaisir. Leffort, la contrainte et lautorit soutenant le projet dap-prentissage, incarns par transfert sur lenseignant, portent les processus de subli-mation. Ces mouvements sont inclus dans une constellation personnelle et familiale, mais aussi politique. La crise dans les reprsentations portes par le discours politique actuel nous est bien souvent renvoye sous forme de question violente par nos adolescents, de Seine-Saint-Denis ou dailleurs. Tentatives de suicide, agressions entre adolescents ou contre des professeurs nous interrogent profondment sur nos valeurs. Ils nous interrogent sur la place de lcole, de len-seignant, et surtout sur la place du savoir, plus quils nous renseignent sur leur got ou leur dgot de lcole. Plutt que de les installer devant une assiette trop pleine dune nourriture sans nom, peut-tre sagit-il davantage de nommer, de symboli-ser et de donner du sens lcole qui semble sen tre vide. Et puis peut-tre aussi produire du manque : Si tu nes pas sage tu seras priv dcole !

    Grape 80/81 MG.indd Sec4:38Grape 80/81 MG.indd Sec4:38 8/09/10 9:11:278/09/10 9:11:27

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    Par

    is 8

    - -

    93.1

    5.56

    .120

    - 20

    /11/

    2013

    09h

    10.

    ERE

    S D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit Paris 8 - - 93.15.56.120 - 20/11/2013 09h10. ERES