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Acta Bot. Gallica, 2004, 151 (2), 181-196. Gradient altitudinal de Ia richesse specifique et de l'endemicite de Ia flore ligneuse indigene a l'ile de La Reunion (archipel des Mascareignes) par Jacques Tassine), Geraldine Derroiree) et Jean-Noel Rivieree) (1) Centre de Cooperation internationale en recherche agronomique pour le developpement, Departement Forets, BP 10001, 98805 Noumea cedex, Nouvelle-Caledonie (2) Ecole nationale du genie rural, des eaux et desforets, 14 rue Girardet, CS 4216, F-54042 Nancy cedex (3) Centre de cooperation internationale en recherche agronomique pour le developpement, Departement Forets, 7 chemin de /'/rat, Ligne Paradis, F-97410 Saint-Pierre arrive le 22 avril 2003, accepte le 15 decembre 2003 Resume.- L'effet de I' altitude sur Ia composition de Ia flore ligneuse indigene est etudie le long d'un gradient altitudinal au sud-est de l'ile de La Reunion (archi- pel des Mascareignes, ocean lndien). L'analyse de releves floristiques etages entre 30 m a 2 400 m montre que Ia variation altitudinale de Ia richesse speci- fique suit une courbe en cloche en partie expliquee par une frequence elevee d'especes a forte amplitude altitudinale en milieu de gradient, avec cependant une inflexion due a un effet de crete, observee entre 700 et 1 000 m d'altitude. Quatre bandes altitudinales critiques (500-650 m, 1 000-1 100m, 1 550-1 600 m, 1 700-1 900 m) font apparaitre un turnover important des especes ligneuses indigenes le long du gradient considere. L'endemicite de Ia flore indigene ligneu- se, envisagee au niveau de l'ile, croit de maniere lineaire avec I' altitude. Mots cles : biodiversite - gradient altitudinal - foret dense tropicale - endemici- te - insularite. Abstract.- The effect of altitude on composition of native woody plants is stu- died along an altitudinal gradient, in south-east of Reunion island (Mascarene Archipelago, Indian Ocean). The analysis of floristic data spaced between 30 m and 2400 m above sea level shows that the variation of specific richness with elevation is hump-shaped. This is partially explained by an important frequency of large niche-breadth species in mid-elevational zones. An inflexion is observed, due to a ridge effect between 700 m and 1000 m. Four critical altitudinal bands (500-650 m, 1000-1100 m, 1550-1600 m, 1700-1900 m) are characterized by a strong turnover of species. At the island level, endemicity of native woody plants grows with altitude, according to a linear model. Key words : biodiversity - elevation gradient - tropical rainforest - native spe- cies - insularity.

Gradient altitudinal de la richesse spécifique et de l'endémicité de la flore ligneuse indigène à l'île de La Réunion (archipel des Mascareignes)

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Page 1: Gradient altitudinal de la richesse spécifique et de l'endémicité de la flore ligneuse indigène à l'île de La Réunion (archipel des Mascareignes)

Acta Bot. Gallica, 2004, 151 (2), 181-196.

Gradient altitudinal de Ia richesse specifique et de l'endemicite de Ia flore ligneuse indigene a l'ile de La Reunion (archipel des Mascareignes)

par Jacques Tassine), Geraldine Derroiree) et Jean-Noel Rivieree)

(1) Centre de Cooperation internationale en recherche agronomique pour le developpement,

Departement Forets, BP 10001, 98805 Noumea cedex, Nouvelle-Caledonie

(2) Ecole nationale du genie rural, des eaux et desforets, 14 rue Girardet, CS 4216, F-54042 Nancy

cedex

(3) Centre de cooperation internationale en recherche agronomique pour le developpement,

Departement Forets, 7 chemin de /'/rat, Ligne Paradis, F-97410 Saint-Pierre

arrive le 22 avril 2003, accepte le 15 decembre 2003

Resume.- L'effet de I' altitude sur Ia composition de Ia flore ligneuse indigene est etudie le long d'un gradient altitudinal au sud-est de l'ile de La Reunion (archi­pel des Mascareignes, ocean lndien). L'analyse de releves floristiques etages entre 30 m a 2 400 m montre que Ia variation altitudinale de Ia richesse speci­fique suit une courbe en cloche en partie expliquee par une frequence elevee d'especes a forte amplitude altitudinale en milieu de gradient, avec cependant une inflexion due a un effet de crete, observee entre 700 et 1 000 m d'altitude. Quatre bandes altitudinales critiques (500-650 m, 1 000-1 100m, 1 550-1 600 m, 1 700-1 900 m) font apparaitre un turnover important des especes ligneuses indigenes le long du gradient considere. L'endemicite de Ia flore indigene ligneu­se, envisagee au niveau de l'ile, croit de maniere lineaire avec I' altitude.

Mots cles : biodiversite - gradient altitudinal - foret dense tropicale - endemici­te - insularite.

Abstract.- The effect of altitude on composition of native woody plants is stu­died along an altitudinal gradient, in south-east of Reunion island (Mascarene Archipelago, Indian Ocean). The analysis of floristic data spaced between 30 m and 2400 m above sea level shows that the variation of specific richness with elevation is hump-shaped. This is partially explained by an important frequency of large niche-breadth species in mid-elevational zones. An inflexion is observed, due to a ridge effect between 700 m and 1 000 m. Four critical altitudinal bands (500-650 m, 1000-1100 m, 1550-1600 m, 1700-1900 m) are characterized by a strong turnover of species. At the island level, endemicity of native woody plants grows with altitude, according to a linear model.

Key words : biodiversity - elevation gradient - tropical rainforest - native spe­cies - insularity.

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I. INTRODUCTION

Les assemblages d'especes resultent de Ia combinaison complexe de nombreux facteurs de nature ecologique, historique ou evolutive. Aussi, il demeure particulierement informatif d'isoler l'un de ces facteurs lorsqu'il se manifeste sous Ia forme d'un gradient continu. La variation de Ia structure des communautes d'especes le long de gradients ecologiques constitue des lors un domaine d'etudes privilegie de l'ecologie puisqu'il permet d'explo­rer une progression continue de situations au sein d'une zone souvent peu etendue (Whittaker & Niering, 1975 ; Patterson et a/., 1998). Les gradients altitudinaux offrent ainsi l'opportunite de couvrir de fortes amplitudes de situations ecologiques sur de faibles distances (Baruch, 1984; Kitayama, 1992; Auerbach & Shmida, 1993 ; Davis eta/., 1999).

En outre, !'hypothese selon laquelle Ia diversite decroi't de maniere similaire avec !'alti­tude ou Ia latitude, largement basee sur un article de Stevens (1992) selon lequel les gra­dients altitudinaux et latitudinaux de richesse specifiques se refletent l'un !'autre, est aujourd'hui remise en cause (Rahbek, 1997). Ces deux types de gradients conservent bien chacun leur interet propre (Rahbek, 1997 ; Ohlemiiller & Wilson, 2000). De plus, a Ia dif­ference des gradients latitudinaux, les gradients altitudinaux offrent l'avantage de ne pas confondre les effets de Ia temperature et ceux des saisons (Korner, 2000). Enfin, si les gra­dients latitudinaux sont aujourd'hui a peu pres bien compris (Rosenzweig, 1995), ce n'est pas le cas des gradients altitudinaux pour lesquels on explique mal Ia variabilite geogra­phique des patrons de variation altitudinale de Ia richesse specifique selon les massifs montagneux consideres (Rahbek, 1997). Des travaux complementaires dans ce sens restent done necessaires.

Les etudes relatives a Ia variation altitudinale de Ia diversite de communautes portent le plus souvent sur !'analyse de Ia richesse specifique (Auerbach & Shmida, 1993 ; Davis et a/., 1999 ; Odland & Birks, 1999 ; Ohlemiiller & Wilson, 2000 ; Kessler, 2000). Divers indices de mesure du turnover altitudinal des especes sont a ce titre utilises (Vasquez & Givnish, 1998; Davis eta/., 1999; Odland & Birks, 1999; Tassin & Riviere, 2003). Le turnover d'especes a une altitude donnee est, dans cet article, defini comme Je nombre total d'especes qui apparaissent ou qui disparaissent a cette meme altitude. Le concept de tur­nover d'especes le long d'un gradient ecologique est utilise pour tester !'hypothese de dis­continuite selon laquelle des groupes d'especes disparaissent et sont remplaces par d'autres groupes d'especes au fur eta mesure que l'on progresse le long de ce gradient (Whittaker & Niering, 1975 ; Odland & Birks, 1999). Dans les zones montagneuses, Ia vegetation est de fait souvent presentee sous forme de zones ecologiques discontinues se succedant lorsque !'on progresse le long d'un gradient altitudinal (Ozenda, 1964).

Au-dela des patrons de variation altitudinale d'indices de diversite, il est egalement pre­cieux de connaltre Ia variation avec !'altitude de 1'endemicite, definie comme Ia frequen­ce relative des taxons endemiques a un niveau geographique donne (Thomasson, 1999). I.:indice qui a ete utilise dans cette etude est le taux d'especes endemiques presentes dans chaque releve, aux echelles respectives de La Reunion (endemicite stricte) et de l'archipel des Mascareignes (endemicite regionale). I.:endemicite est souvent envisagee a des echelles geographiques beaucoup plus larges, par exemple pour definir des zones de forte endemicite (Myers, 1988) ou pour identifier les territoires pour lesquels les efforts de pro­tection sont Ies plus justifies (Thomasson, 1999). A I' echelle d 'un ensemble geographique restreint (ex,: lie particuliere au sein d'un archipel), les patrons de variation locale de l'en­demicite restent cependant beaucoup moins bien connus (Kessler, 2000).

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Cet article presente la variation altitudinale de la richesse specifique et de l'endemicite de la flore indigene ligneuse de La Reunion, lle oceanique vraie qui dispose d'un puissant gradient altitudinal et constitue de ce fait un site modele privilegie pour ce type d'etude (Raunet, 1991 ; Tassin & Riviere, 2003). En procedant selon un transect altitudinal (30-2 400 m) situe sur la far;ade au vent de l'lle, nous avons effectue une serie de releves de vegetation forestiere visant a foumir des elements de reponses aux questions suivantes : (1) Comment varie la richesse specifique de la flore ligneuse indigene avec !'altitude? (2) Des discontinuites apparaissent-elles dans la composition des communautes d'especes ligneuses indigenes le long du gradient altitudinal ? (3) Comment varie l'endemicite de cette flore avec !'altitude?

II. MATERIEL ET METHODES

A. Site d'etude Avec Maurice et Rodrigues, La Reunion (21 o 05' S; 55° 30' E) est rattachee a l'archi­

pel volcanique des Mascareignes (ocean Indien occidental). Emergee il y a trois millions d'annees (Cadet, 1980), cette ile resulte de la juxtaposition de deux edifices volcaniques (Piton des Neiges, 3 069 m; la Foumaise, 2 631 m). De forme ovolde (40 km x 60 km), elle couvre une superficie de 2 510 km2. La dissection du relief est tres active, aussi bien sur les flancs extemes que dans le ca:ur du massif eventre en cirques coalescents. Son eli­mat tropical oceanique est rythme par deux saisons bien marquees : une saison fraiche et seche de mai a octobre, et une saison chaude et pluvieuse allant de novembre a avril. Ce climat est caracterise par de tres forts gradients de pluviosite conditionnes par !'exposition aux alizes, !'altitude et la topographie, par des periodes cycloniques violentes et souvent destructrices, et par un fort gradient de temperature etroitement lie a l' altitude. I.: amplitude moyenne annuelle est de 5,5 °C quelle que soit !'altitude (Raunet, 1991).

Cette variabilite climatique confere a La Reunion un paysage vegetal tres heterogene depuis la foret tropicale jusqu'a la prairie de type « alpin » (Cadet, 1974 ; Cadet, 1980 ; Dupouey & Cadet, 1986). La vegetation indigene est zonee grossierement en ceintures sub-circulaires s'etageant en fonction de !'altitude et de !'exposition. On distingue dans la partie au vent trois series dynamiques de vegetation, essentiellement liees aux tempera­tures et precipitations : une serie megatherme hygrophile regroupant des forets complexes de basse altitude et une partie des forets complexes de moyenne altitude ; une serie meso­therme hygrophile correspondant aux forets tres hygrophiles de haute altitude, a !'autre partie des forets complexes de moyenne altitude et incluant egalement la foret a Acacia heterophylla ; une serie microtherme hygrophile regroupant des especes caracteristiques des regions les plus elevees de 1 'ile et se presentant sous la forme de fourres ericoides (Cadet, 1974, 1980). Dans la zone d'etude consideree (sud-est de l'lle), les limites de pas­sage d'une serie a !'autre correspondent aux altitudes 800 et l 900 m (Cadet, 1980). Au sein d'un meme etage altitudinal, deux series peuvent coexister seton l'heterogeneite des sols, Ia topographie et les conditions climatiques locales. Dans la partie sous le vent de l'lle, a basse altitude, se presente egalement une serie megatherme semi-xerophile, aujour­d'hui reduite a moins de 2% de l'aire qu'elle recouvrait avant l'arrivee de !'Homme (Strasberg, 1995) et qui n'est pas couverte par cette etude.

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B. Methodes Les releves ont ete realises enjuillet 2001, au sein d'un reseau de soixante placettes de

20 m x 20 m ( 400 m2) positionnees dans Ia partie au vent de l 'lie, au sud du volcan de Ia Foumaise (Fig. 1). La taille des placettes, legerement inferieure a l'aire minimale qui est plutot de 500m2, correspond a l'aire de reference utilisee a La Reunion (Cadet, 1980). Ces placettes ont ete reparties de maniere equilibree selon une stratification altitudinale entre 30 m et 2 400 m d'altitude, limite superieure au-dela de laquelle Ia vegetation ligneuse demeure tres clairsemee (Cadet, 1974). {;ensemble de ce gradient altitudinal a ete tout d'abord stratifie en bandes de 200m d'amplitude au sein de chacune desquelles cinq rele­ves ont ete positionnes. Chaque releve a ete note en presence-absence et l'altitude a ete mesuree a l'aide d'un altimetre electronique de precision. Seules les especes ligneuses indigenes ont ete notees dans chaque releve. Pour deux d'entre elles (Doratoxylon apeta­lum et Siderqxylon borbonicum ), on a distingue les varietes dans Ia mesure ou celles-ci sont tres aisement identifiables sur le terrain. Par extension, on a egalement considere comme

Fig. 1.- Carte de La Reunion presentant le positionnement des releves de vegetation. Fig. 1.- Map of Reunion island showing the position of each vegetation plot.

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ligneuses les especes rencontrees relevant du genre Cyathea (C. excelsa, C. borbonica). Dans chaque releve, Ia hauteur dominante a egalement ete notee.

Ont alors ete quantifies Ia richesse specifique, puis le turnover total d'especes, c'est-a­dire la somme des especes atteignant leur limite superieure ou inferieure a !'altitude consi­deree. I.: altitude moyenne et !'amplitude altitudinale ont ete calculees pour chaque espece rencontree au moins cinq fois dans I' ensemble des rei eves. Enfin, Ia consultation de la flore des Mascareignes (Bosser eta/., 1976), de l'herbier de l'Universite de La Reunion et des travaux de Cadet (Cadet, 1980) a permis, pour chaque espece indigene rencontree dans !'ensemble des releves, de preciser son niveau d'endemisme (La Reunion ou archipel des Mascareignes, ou zone plus elargie). Pour chaque releve ont ainsi ete respectivement cal­cules les pourcentages d'especes endemiques de La Reunion ou des Mascareignes au sein de !'assemblage d'especes ligneuses indigenes en presence.

Pour mettre en evidence les tendances de variation de Ia richesse specifique le long du gradient altitudinal, un lissage des donnees de type DWLS (distance-weighted least­squares smoothing) a ete effectue. Les correlations ont ete traduites par le coefficient de Pearson, Ia validite de !'hypothese nulle etant eprouvee par Ia probabilite de Bonferroni. I.:ensemble des analyses et des graphes a ete realise en utilisant le logiciel SYSTAT (Wilkinson et a/., 1990).

III. RESULTATS

Les releves ont porte sur un nombre total de 90 especes ligneuses indigenes. La richesse specifique moyenne est de 19,3 ± 7,6 especes par releve. Elle varie avec !'altitude selon une courbe en cloche d'allure legerement comprimee vers 750 m (Fig. 2). Au-deJa de 1 000 m, Ia richesse specifique decroit de maniere lineaire (r = 0,907; p < 0,001): elle perd en moyenne 5,5% de sa valeur tous les I 00 m. Au-dessous de 700 m, Ia ric hesse specifique croit egalement de maniere lineaire (r = 0,786; p < 0,001). Le nombre maximum d'especes observees au sein d'un meme rei eve est de 34 especes a I 050 m, pour une richesse moyen­ne de 19,3 especes. Inversement, sept especes seulement ont ete rencontrees aux altitudes 1 980 m, 2 010 m, 2 280m et 2 315m. A l'extremite inferieure du gradient altitudinal (30 m), treize especes sont enregistrees. A l'extremite superieure (2 400 m), on releve huit especes. Dans Ia zone de compression intermediaire, situee vers 750 m d'altitude, Ia richesse specifique s'abaisse a seize especes (points d'altitude 720 m, 755 met 820 m). Les especes indigenes rencontrees considerees comme communes (presentes au moins cinq fois) sont au nombre de 67.

La variation du turnover d'especes le long du gradient altitudinal fait apparaitre des zones d'altitude critique (Fig. 3). Si !'on excepte les points extremes du gradient pour les­quels le turnover d'especes correspond a Ia richesse specifique, on observe principalement quatre bandes altitudinales critiques. La premiere se situe entre 500 m et 650 m. A 500 m et 645 m, on observe les turnovers respectifs de neuf et sept especes lorsque I' on progres­se en altitude. Une seconde bande altitudinale critique se situe entre 1 000 et I 100m, avec les turnovers respectifs de six especes a I 050 m et cinq especes a I I 00 m. Une troisieme bande critique s'etend entre I 550 et 1 600 m d'altitude. A 1 565 met 1 600 m, on obser­ve les turnovers respectifs de sept et neuf especes, cette derniere valeur etant Ia plus ele­vee au sein du turnover altitudinal d'especes a !'exception de Ia valeur correspondant au releve positionne a !'altitude Ia plus basse. Enfin, une derniere bande se manifeste entre 1 700 et 1 900 m d'altitude. A 1 900 m, huit especes disparaissent.

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2500,--------,-----

2250

2000-

1750

E' 15oo .........

~ 1250 ~

~

I- -----~--

c

0

L__ __ ___~_'--'f~ ___ L_ ____ L

10 20 Richesse

30 40

Fig. 2.- Variation altitudinale de Ia richesse des communautes d'especes ligneuses indi­genes de La Reunion (courbe etablie a partir des 90 especes rencontrees).

Fig. 2.- Variation of richness with elevation in woody native species of Reunion Island (graph realized using the 90 species observed in the study).

2500,--------~---~---~

2250

2000

1750

E' 15oo .........

5 10 15 Turnover

Fig. 3.- Variation altitudinale du turnover des especes ligneuses indigenes de La Reunion (courbe etablie a partir des 90 especes rencontrees).

Fig. 3.- Altitudinal variation of turnover of woody native species of Reunion Island (graph realized using the 90 species observed in the study).

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{;amplitude altitudinale varie avec !'altitude moyenne selon une courbe en cloche pour !'ensemble des 67 especes communes considen!es (Fig. 4). Au-dessous de 900 m, la varia­tion est pratiquement lineaire (r = 0,869; p < 0,0001). Les especes situees tout en bas du gradient apparaissent done particulierement infeodees aux milieux ou elles sont rencon­trees. La meme linearite est observee au-dessus de 2 000 m (r = 0,822 ; p < 0.05). Les especes situees tout en haut du gradient se presentent done egalement comme specifiques de leur milieu. Entre ces deux extremites lineaires de la courbe, !'amplitude d'habitat varie fortement d'une espece a !'autre. C'est dans Ia partie moyenne du gradient que !'on ren­contre les especes communes disposant de la plus grande amplitude altitudinale (Fig. 4). {;amplitude d'habitat la plus elevee (1 870 m, soit 78,9% de !'ensemble du gradient) est atteinte par Aphloia theiformis, dont !'altitude moyenne est de 1 065 m (Tableau I), mais 29 especes sur les 67 especes considerees (soit 42,0%) disposent d'une amplitude altitudi­nale superieure a 1 000 m. A !'inverse, Erythroxlon laurifolium se presente comme l'espe­ce commune affichant la plus faible amplitude altitudinale (270 m, soit 11,4% de !'ensemble du gradient), pour une altitude moyenne de 332m. Si l'on se refere aux ecarts­types des altitudes pour lesquelles 1es especes ont ete rencontrees, Ocotea obtusata appa­ralt comme l'espece la plus etalee le long du gradient (ecart-type : 726 m) tandis que fVeinmannia mauritiana se presente comme 1' espece dont la dispersion altitudinale est au contraire Ia plus reduite (ecart-type: 50 m).

La variation altitudinale de I' endemicite des communautes floristiques observees revet une allure radicalement differente par rapport aux indices precedemment analyses (Fig. 5). Ainsi, l'endemicite envisagee au niveau de La Reunion (endemisme strict) croit avec l'al-

Fig. 4.- Relation entre !'amplitude altitudinale des especes ligneuses indigenes de La Reunion et leur altitude moyenne (courbes etablies a partir des 67 especes rencontrees au moins cinq fois).

Fig. 4.- Relationship between altitudinal breadth and mean altitude of woody native species of Reunion Island (graph realized using the 67 species observed in more than five plots).

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Tableau 1.- Positionnement des 90 especes ligneuses indigenes de La Reunion observees le long du gradient altitudinal (M : altitude moyenne ; cr : ecart type ; Max : altitude maxi-male ; An : La Reunion ; Mr : Maurice ; Ro : Rodrigues ; Md : Madagascar ; Co : Comores ; Sc : Seychelles ; Af : Afrique)

Table 1.- Position of woody native species of the 90 native species of Reunion Island obser-ved along the elevational gradient (M: Mean altitude; cr: standard deviation; Max: maxi-mum altitude; An: Reunion island; Mr: Mauritius; Ro: Rodriguez; Md: Madagascar; Co: Comoro islands; Sc: Seychelles; Af: Africa).

Espece ligneuse Endemisme M(m) cr(m) Min(m) Max(m)

Acacia heterophylla Rn 2 059 284 I 565 2 400 Acalypha integrijolia Rn, Mr Acantaphoenix rubra Rn, Mr 690 439 60 I 500 Agauria buxifolia Rn, Md I 895 517 755 2 400 Agauria sa/icifolia Rn, Mr. Ro, Md, Af 637 391 30 I 565 Allophylus borbonicus Rn, Mr 511 148 343 620 Antidesma madagascariense Rn, Mr, Md Antirhea borbonica Rn, Mr 794 475 30 I 600 Aph/oia theiformis Rn, Mr, Ro, Md, Co, Sc, Af I 065 518 30 I 900 Badula barthesia Rn Badula gramistica Rn I 069 197 645 I 300 Begonia sa/aziensis Rn, Mr Bertiera borbonica Rn 344 190 30 570 Bertiera rufa Rn I 275 149 I 100 I 565 Calophyllum tacamahaca Rn, Mr 311 215 30 645 Cassine orienta/is Rn, Mr, Ro Chassa/ia corallioides Rn 729 423 60 I 355 Chassa/ia gaertneroides Rn Chionanthus broomeana Rn Claoxylon glandulosum Rn I 530 241 I 050 I 900 C/aoxylon parvijlorum Rn I 548 259 I 000 I 900 Coffea mauritiana Rn 624 320 200 I !50 Cordemoya integrifolia Rn, Mr Cordyline mauritiana Rn, Mr I 198 433 370 I 800 Cyathea borbonica Rn, Mr. Md 798 397 60 I 565 Cyathea exce/sa Rn, Mr I 240 431 460 I 940 Diospyros borbonica Rn Dombeya cilia/a Rn I 393 195 I 100 I 600 Dombeya elegans Rn I 299 454 785 I 670 Dombeya .ficulnea Rn I 307 355 755 I 900 Dombeya pilosa Rn I 234 292 860 I 635 Doratoxylon apetalum var. apetalum Rn, Mr. Md 441 441 30 I 500 Doratoxvlon apetalum var. d(filium Rn, Mr, Md I 289 183 I 010 I 550 Draecena re.flexa Rn, Mr, Ro, Md I 220 173 I 010 I 550 Erythroxylon laurifolium Rn, Mr 332 114 200 470 Eugenia buxifolia Rn I 464 263 I 000 I 850 Euodia borbonica Rn 926 272 500 I 265 Euodia obtusifolia Rn.Mr Faujasia pinifolia Rn Faujasia salic!folia Rn I 735 237 I 450 2 225 Ficus densifolia Rn, Mr Ficus laterifo/ia Rn, Mr 622 376 95 I !50 Ficus mauritiana Rn, Mr 295 227 30 645 Ficus re.flexa Rn, Mr. Ro, Md, Sc 246 146 140 500 Forgesia borbonica Rn I 476 272 I 000 I 900 Gaetneria vagina/a Rn 954 501 140 I 725 Geniostonra horhonicum Rn, Mr 974 309 620 I 400 Helichrysum heliotropijolium Rn Homalium paniculatum Rn 666 356 140 I 100 Hubertia ambavil/a Rn I 128 294 600 I 618 Hubertia tomentosa Rn 2 045 258 I 565 2 400

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Hyophorbe indica Rn Hypericum /anceo/atum Rn,Co I 517 443 720 2 280 Labourdonnaisia ca/ophylloides Rn,Mr 360 198 60 645 Mail/ardia borbonica Rn Memecylon confusum Rn 567 315 200 I 050

Mimusops maxima Rn,Mr 312 205 30 645 Molinea altemifo/ia Rn, Mr 638 346 30 I 200

Monimia rotundifolia Rn I 341 401 570 I 900 Myonima obovata Rn,Mr Nastus borbonicus Rn Nuxia verticil/ala Rn,Mr I 027 449 230 I 725 Ochrosia borbonica Rn, Mr Ocotea obtusata Rn, Mr 855 726 30 I 725 Olea lancea Rn, Mr, Ro, Md 947 123 755 I 100 Pandanus montanus Rn I 165 285 645 I 550 Pandanus purpurea Rn 421 194 60 645 Philippia arborescens Rn I 402 333 600 I 800 Philippia gae/oides Rn 2 200 152 I 940 2 400 Philippia montana Rn I 854 416 I 050 2 400 Phylica nitida Rn,Mr 2 139 227 I 565 2 400 Phyllantus phillyreifolius Rn I 233 323 720 I 800 Pittosporum senecia Rn,Mr 870 534 30 I 707 Po/yscias rependa Rn 740 423 160 I 550 Poupartia borbonica Rn, Mr Psiadia anchusifolia Rn I 650 244 I 200 I 980 Psiadia argentea Rn 2 247 123 2 60 2 400 Psiadia laurifo/ia Rn I 155 499 500 I 670 Rubus apetalus Rn, Md,Af Sideroxylon borbonicum var. borbonicum Rn I 556 206 I 200 I 900 Sideroxylon borbonicum var. capuronii Rn 243 151 30 500 Sophora denudata Rn 2 007 212 I 550 2 280 Stoebe passerinoides Rn 2 083 225 I 600 2 400 Syzygium borbonicum Rn 233 106 95 370 Syzygium cymosum Rn, Mr 592 276 200 I 050 Tambourissa el/iptica Rn Tristema mauricianum Rn, Md,Af Viscum triflorum Rn, Mr, Co Weinmannia mauritiana Rn I 659 50 I 600 I 725 Weinmannia tinctoria Rn,Mr I 182 388 570 I 725

titude pour atteindre au-dela de 2 000 m une valeur comprise entre 66,7 et 85,7%. La valeur Ia plus faible est de 14,3% a 140m d'altitude. La variation de l'endemicite stricte avec l'altitude est globalement lineaire (r = 0,90; p < 0,001). Au niveau de l'archipel des Mascareignes (endemisme regional), l'endemicite varie peu avec I' altitude, en restant dans une plage de valeurs comprises entre 64,3% (a 140m) et 100% (a 2 315 m), pour une valeur moyenne de 83,5%.

En fin, Ia hauteur dominante de Ia vegetation diminue globalement avec I' altitude, d'abord rapidementjusqu'a environ 800 m, puis en se stabilisantjusqu'a I 900 m environ, avant de decroltre brutalement pour se stabiliser au-dessus de 2 100m, domaine des four­res ericoides d'altitude (Fig. 6). Les valeurs maximales, superieures a 15m et atteignant 20m dans un releve (altitude: 290m), se rencontrent dans les zones de basse altitude, au­dessous de 500 m. Les valeurs les plus faibles, pouvant s'abaisser a 0,40 m, correspondent aux fourres ericoides d'altitude.

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Fig. 5.- Variation altitudinale de l'endemicite des communautes d'especes ligneuses indi­genes a l'echelle de La Reunion (traits pleins) et de l'archipel des Mascareignes (traits pointilles), en prenant en compte !'ensemble des 90 especes rencontrees.

Fig. 5.- Altitudinal variation of endemicity of woody native plant communities at the level of Reunion island (continuous line) or Mascarene archipelago (dotted line), using the 67 species observed in more than five plots.

Fig. 6.- Variation altitudinale de Ia hauteur dominante de Ia vegetation. Fig. 6.- Altitudinal variation of dominant height of vegetation.

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IV. DISCUSSION

L'etude montre tout d'abord que, malgre !'interet de concepts plus recents comme les especes cles, les groupes fonctionnels ou les guildes (Gitay & Noble, 1997), les approches empiriques gardent toute leur importance et I' echantillonnage des communautes conserve le role central de foumir des informations de base sur leur variabilite ecologique (Prodon & Lebreton, 1994).

Les analyses devoilent en premier lieu que le patron general de variation altitudinale de la flore ligneuse indigene de La Reunion presente une forme en cloche legerement resser­ree vers 750 m. Cette inflexion associee aux releves realises entre 700 met 1 000 m pour­rait etre en partie due a un « effet de crete ». Ces releves ont en effet ete realises en bord de falaise, ou la concomitance de sols pauvres et de vents humides contribue a fournir aux groupements vegetaux en place une physionomie et une pauvrete semblables a celles observees pour Ia vegetation sommitale (Schnell, 1971). Au-dela de I 000 m, la richesse specifique decroit fortement avec !'altitude. Inversement, cette meme richesse crolt assez rapidement jusqu'a 700 m environ. De maniere non independante, les especes situees en bout de gradient ont plutot une amplitude altitudinale faible, tandis qu'en milieu de gra­dient, les especes presentes ont souvent une amplitude altitudinale elevee. En milieu de gradient, la probabilite d'interpolation du recouvrement altitudinal de plusieurs especes est done plus elevee qu'en extremite de gradient. La richesse en especes de forte amplitude altitudinale en milieu de gradient ne fait ainsi qu'accroitre la richesse specifique observee en chaque releve de cette meme partie du gradient. A !'inverse, la pauvrete en especes de forte amplitude altitudinale en extremite de gradient contribue a minimiser la richesse spe­cifique observee sur cette autre partie.

On observe a La Reunion une difference majeure dans la variation altitudinale des richesses en especes vegetales indigenes et exotiques. En effet, les especes exotiques observees aux altitudes les plus elevees sont parmi celles qui presentent !'amplitude alti­tudinale Ia plus forte (Tassin & Riviere, 2003). Les zones de haute altitude sont done peu­plees d'especes vegetales indigenes specialistes de ce type de milieu, tandis qu'elles sont colonisees par des especes exotiques pouvant se reveler particulierement ubiquistes. Ces milieux apparaissent de ce fait particulierement fragiles a l'egard des invasions de plantes exotiques.

Trois hypotheses complementaires paraissent conjointement envisageables pour expli­quer Ia forme globale en cloche de Ia courbe de variation altitudinale de Ia richesse speci­fique. La premiere hypothese consiste a considerer que cette courbe est principalement controlee par Ia temperature, qui decroit d'environ 0,7 °C tousles 100m d'altitude a l'ile de La Reunion (Chopart, comm. pers.). La temperature peut en effet gouvemer Ia physio­logic des plantes de maniere directe (Johnson & Thomley, 1985) ou indirecte par le biais de I' accessibilite des nutriments du sol (Chapin, 1983 ; Hobbie & Chapin, 1998). Cette hypothese, non refutable, ne suffit toutefois pas a expliquer a elle seule Ia presence d'un pic de richesse a mi-altitude.

La seconde hypothese repose sur Ia mise en jeu d'un effet de nature geometrique. Comme precise plus haut, la forme enflee de la variation altitudinale de Ia diversite speci­fique pourrait etre en partie induite par Ia plus grande probabilite de trouver un grand nombre d'especes dans les etages altitudinaux ou les especes presentes ont une amplitude d'habitat elevee (Rahbek, 1997 ; Tassin & Riviere, 2003). L'effet conjoint de ces deux mecanismes principaux, l'un biologique, !'autre purement geometrique, conduirait a Ia forme globale de Ia richesse specifique etudiee.

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Toutefois, !'inflexion forte observee en chaque bout de gradient invoque l'implication possible d'un troisieme facteur, dont on peut presumer qu'il est de nature historique et lie aux cycles de glaciation, dont les variations tendraient a eroder Ia diversite aux deux extre­mites du gradient altitudinal. Cette meme hypothese est proposee pour expliquer Ia relati­ve pauvrete de l'avifaune de Ia Corse au sein des habitats naturels de basse altitude (Prodon eta/., 2002). En periode de glaciation et en l'absence de migration compensatrice d'origi­ne continentale, les especes insulaires de basse altitude seraient ainsi amenees a disparaitre eta etre remplacees par des especes d'altitude plus elevee. En periode de rechauffement, ces memes especes reoccuperaient des milieux plus frais d'altitude plus elevee et laisse­raient done un vide aux altitudes les plus faibles. I.:alternance des cycles de glaciation et de rechauffement contribuerait alors a accentuer ce vide. Le meme raisonnement peut s'ap­pliquer de maniere reciproque pour expliquer Ia pauvrete specifique des milieux de haute altitude.

II faut en outre observer que Ia presence d'especes gregaires au sein des fourres eri­coi'des d'altitude conduit probablement a limiter localement Ia richesse specifique en especes ligneuses. Or, Ia reduction brutale de Ia richesse en altitude, au-dela du pic de diversite, fait apparaitre ce dernier de maniere d'autant plus marquee que les fourres eri­coi'des presentent peu d'especes ligneuses au sein de chaque placette.

Le renflement interne observe sur Ia courbe de richesse specifique entre 700 et l 000 m peut etre partiellement explique, au-dela de l'effet de crete plus haut evoque, par Ia quasi­absence de turnover d'especes pour cette bande altitudinale. De maniere semblable ace qui a ete evoque precedemment, on peut en effet considerer qu'en une zone altitudinale don­nee, un turnover d'especes eleve concourt a accroitre Ia probabilite de rencontrer un grand nombre d'especes. La confrontation des figures 2 et 3 montre ainsi que les zones altitudi­nales pour lesquelles Ia richesse specifique est Ia plus elevee correspondent egalement a des zones pour lesquelles le turnover d'especes est particulierement fort. A l'inverse, !'ab­sence d'un turnover d'especes diminue Ia probabilite d'observer une richesse specifique elevee.

Une reserve doit etre emise quant a l 'utilisation de Ia flore ligneuse indigene comme indicateur de Ia diversite de !'ensemble de Ia flore indigene. En effet, une assez grande richesse en especes sous-ligneuses peut etre observee en haute altitude au sein de Ia vege­tation ericoi'de (Cadet, 1974). Inversement, les forets de basse altitude abritent un grand nombre de Bryophytes et Pteridophytes (Cadet, 1980). Les extremites du gradient altitudi­nal ne peuvent done pas etre considerees comme pauvres en especes vegetates dans Ia seule mesure ou leur richesse en especes ligneuses reste peu elevee. Les resultats de cette etude ne valent que pour Ia flore indigene ligneuse.

Le second resultat principal est Ia mise en evidence de cinq bandes altitudinales cri­tiques associees pour chacune d'entre elles a un renouvellement d'especes eleve. Ces bandes altitudinales ne correspondent pas necessairement aux altitudes de transition entre deux series dynamiques successives, definies selon d'autres criteres, relatifs aux affinites sociologiques des communautes d'especes vegetates (Rivals, 1952 ; Cadet, 1980 ; Dupouey & Cadet, 1986). En altitude, on observe en effet des renouvellements importants d'especes dans les bandes 1 000-1 100m, 1 550-1 600, puis 1 700-1 900 m, que les tra­vaux de Cadet (1980) ne font pas apparaitre, a !'exception toutefois de Ia derniere d'entre e11es. On observe en effet que cette derniere band~ correspond au passage de Ia serie mega­therme hygrophi1e a 1a serie microtherme hygrophile (Cadet, 1980). En outre, dans 1es par­ties plus basses, on releve egalement un changement d'especes vers 500 m qui correspondrait a une discontinuite mise en avant par Rivals (1952), puis par Dupouey et

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Cadet (198p), qui distinguent des forets de basse altitude et des forets de moyenne altitu­de au sein de Ia serie megatherme hygrophile.

I.: analyse du renouvellement d'especes le long d'un gradient altitudinal positionne dans Ia region orientale de l'lle, excluant de fait Ia serie semi-xerophile (Cadet, 1980), conduit a distinguer cinq groupes d'especes presents chacun en de((a d'une altitude critique et detailles comme suit, les especes etant dassees par altitude moyenne croissante. On dis­tingue, sur Ia base des 60 releves effectues :

- un premier groupe G 1 indus dans Ia serie megatherme hygrophile identifiee par Cadet (1980), dont l'altitude superieure ne depasse pas Ia bande 500-650 m, recouvrant les especes Syzygium borbonicum, Sideroxylon borbonicum var. capuronii, Ficus reflexa, F. mauritiana, Ca/ophyllum tacamahaca, Mimusops maxima, Erythroxylon /aurifolium, Bertiera borbonica, Labourdonnaisia calophylloides, Pandanus purpurea, Allophylus borbonicus ; - un deuxieme groupe G2, qui disparait au-dela I 000-l I 00 m, chevauchant les series megatherme hygrophile et mesotherme hygrophile de Cadet (1980), caracterise par les especes Memecylon confosum, Syzygium cymosum, Ficus laterifolia, Coffea mauritiana, Homalium paniculatum, Olea lancea ; - un troisieme groupe G3 dont Ia limite superieure correspond a Ia bande I 550-1 600 m (limite inferieure d'apparition du gel), indus dans Ia serie mesotherme hygrophile de Cadet (1980), dont les especes les plus representatives sont Doratoxylon apetalum v~r. apetalum, Agauria sa/icifolia, Molinea alternifolia, Acantophoenix rubra, Chassalia corallioides, Polyscias rependa, Antirhea borbonica, Cyathea borbonica, Euodia borbo­nica, Geniostoma borbonicum, Badu/a gramistica, Pandanus montanus, Draecena reflexa, Bertiera rufa, Doratoxylon apetalum var. difilium, Dombeya ciliata ; - un quatrieme groupe G4 d'especes disparaissant au-dela de Ia bande 1 700-1 900 m, indus dans Ia serie mesotherme hygrophile de Cadet (1980), et recouvrant en particulier Ocotea obtusata, Pittosporum senacia, Gaetneria vaginata, Nuxia vertici/lata, Aphloia theiformis, Hubertia ambavilla, Psiadia laurifolia, Weinmannia tinctoria, Cordyline mauritiana, Phyllantus phillyreifo/ius, Dombeya pi/osa, Cyathea exce/sa, D. e/egans, D. ficulnea, Monimia rotundifolia, Philippia arborescens, Eugenia buxifolia, Forgesia bor­bonica, Claoxylon glandulosum, C. parviflorum, Sideroxylon borbonicum var. borboni­cum, Weinmannia mauritiana ; - un cinquieme groupe G5 constitue d'especes presentes au-dela de Ia bande altitudina­le precedente, correspondant a Ia vegetation ericoide d'altitude (serie microtherme hygrophile ), dont les representants principaux sont Hypericum /anceolatum, Psiadia anchusifolia, Faujasia salicifo/ia, Philippia montana, Agauria buxifolia, Sophora denu­data, Hubertia tomentosa, Acacia heterophylla, Stoebe passerinoides, Phylica nitida, Phi/ippia gaeloides, Psiadia argentea.

Ces groupes se presentent de maniere interpolee puisqu'ils sont circonscrits par leur alti­tude superieure seulement mais ne presentent pas de limite altitudinale inferieure ; plu­sieurs d'entre eux peuvent done se presenter au sein d'un etage altitudinal donne. lis font neanmoins apparaitre une relative discontinuite des assemblages d'especes le long du gra­dient altitudinal de La Reunion, marquee par des bandes altitudales critiques. Hormis Ia bande altitudinale critique associee au groupe G3 (1 550-1 600 m), qui correspond au seuil d'apparition du gel (Raunet, 1991), nous de disposons pas d'elements permettant d'expli­quer Ia signification ecologique des autres altitudes critiques. A l'inverse, il est important d'envisager que Ia proportion elevee d'especes a forte amplitude altitudinale (> 1 000 m pour 42% des 67 especes communes retenues) amene a considerer qu'au-dela de Ia pre-

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sence manifeste de bandes altitudinales critiques et du bien-fonde des regroupements effectues par Cadet (1980), le gradient altitudinal de la composition floristique de Ia flore ligneuse indigene de La Reunion fait apparai'tre peu de discontinuites majeures, a l'excep­tion du passage de Ia serie mesotherme hygrophile a la serie microtherme hygrophile au­dela de 1 900 m, marque au demeurant par un affaissement brutal de la hauteur dominante de Ia vegetation (Fig. 6).

Le troisieme resultat important porte sur la croissance generale de l'endemicite de la flore ligneuse indigene avec !'altitude, envisagee au niveau de La Reunion (endemisme strict). La meme observation a ete realisee sur la plupart des groupes d'especes vegetales etudies le long du gradient altitudinal andin (Kessler, 2000). Des resultats similaires ont egalement ete obtenus sur I' avifaune, montrant l' effet positif de 1 'altitude des lles sur I' en­demicite des communautes d'oiseaux rencontres (Adler, 1994). Cet effet apparait en outre plus significatifdans les lles de l'ocean Indien que dans celles du Pacifique (Adler, 1994).

On peut emettre l'hypothese que !'immigration d'especes vegetales est plus importante en basse altitude, oil convergent les courants marins ainsi que l'avifaune marine et ripico­le, vecteurs de propagules (Cadet, 1980). La speciation se manifesterait alors plus forte­ment au fur eta mesure que les descendants de l'espece souche progressent en altitude. Un exemple corroborant cette hypothese est fourni par le genre Agauria : !'immigration de Agauria salicifolia (altitude moyenne : 637 m ± 391 m), espece egalement presente en Afrique orientale eta Madagascar, a donne naissance a Agauria buxifolia (altitude 1 895 m ± 517 m) (Cadet, 1980). Ces deux especes congeneriques se succedent done dans le gra­dient altitudinal, conformement a des observations semblables realisees sur l'avifaune (Terborgh, 1971 ; Thiollay, 1980).

Neanmoins, notre jeu de donnees ne foumit pas d'autres exemples de ce type et ne per­met done pas de soutenir veritablement cette hypothese. Un element d'explication plus convaincant est de considerer que 1' accroissement altitudinal est correle a une diminution de la taille des habitats, marques par des conditions d'environnement de plus en plus rigou­reuses, et conduisant a l'isolement des populations, et done a des processus de speciation de plus en plus frequents (Graves, 1985). On retrouve ici, sous une autre forme que l'eloi­gnement aux sources de propagules, l'effet de l'isolement sur l'endemicite des commu­nautes d'especes insulaires (Whittaker, 1998).

V. CONCLUSION

Cette etude confirme le particularisme geographique des patrons de variation altitudinale de la richesse specifique. La forme en cloche de la courbe illustrant cette variation ne cor­respond pas au modele auquelles auteurs recourent parfois, faisant etat d'une decroissan­ce reguliere de Ia richesse specifique avec 1 'altitude (Terborgh, 1971 ; Thiollay, 1980). Ce modele general de reference est base sur l'idee que la production primaire etant supposee decroi'tre avec !'altitude, la richesse suit necessairement le meme mode de variation (Rahbek, 1997). Or, les patrons de variation de la diversite le long de gradients ecologiques n'ont de sens que si on les rapproche de processus ecologiques (Rosenzweig, 1992). On doit done notamment considerer que les modeles generaux relatifs a la distribution de l'avifaune, expliques par la variation altitudinale de la disponibilite des ressources alimen­taires (Thiollay, 1980), ne peuvent etre transposes a la flore. II est en outre possible que l'effet d'echelle, lie ala valeur de !'altitude maximale du territoire considere, intervienne dans la forme du modele altitudinal etudie. Les effets geometriques signales plus haut sont

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en effet probablement moins patents pour des gradients plus eleves, tels ceux qui ont ete etudies dans !'Himalaya (Terborgh, 1971; Thiollay, 1980). Une etude generale des patrons de variation altitudinale de Ia richesse tenant compte de !'altitude maximale du territoire considere permettrait de tester cette demiere hypothese. De maniere similaire, il semble judicieux de collecter davantage d'informations sur Ia variation altitudinale de l'endemici­te avec !'altitude, qui pourraient intervenir dans Ia comprehension des patrons de specia­tion le long de gradients ecologiques.

Enfin, il reste indispensable de completer cette etude par Ia prise en compte d'autres groupes vegetaux (ex. : vegetation herbacee) et d'autres zones comme les zones seches, dont !'interet biogeographique, au regard de Ia forte speciation que !'on y observe (Cadet, 1980), est considerable. Le fort etat de degradation et de fragmentation de Ia serie mega­therme semi-xerophile conduira cependant a devoir mettre au point une methodologie de releves adaptee a cette situation particuliere.

Remerciements - Cette etude a beneficia d'un appui financier de Ia Region Reunion. Les auteurs remercient Pierre Couteron, Gerard Balent et un lecteur anonyme pour leurs commentaires constructifs.

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