Grands Courants2008

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Anda Rdulescu

Bref aperu des grands courants en traduction : thories europennes et amricaines

Editura Universitaria Craiova, 2008

Rfrents Nicole RIVIRE, Universit Paris VII Sndor ALBERT, Universit de Szeged

Avant-propos

Le prsent ouvrage sadresse particulirement aux tudiants de niveau 1 et 2 (licence et master) de la section des Langues Modernes Appliques, mais peut galement savrer utile tous ceux intresss par les avatars dune discipline qui na acquis son propre statut que depuis peu de temps. La traduction est lune des plus anciennes activits, vritablement ncessaire dans le processus de communication et des changes dinformations entre des individus ou des communauts linguistiques parlant des langues diffrentes. Au dbut, les tudes concernant la thorie proprement dite de la traduction nont t que sporadiques et se sont limites des observations faites par des traducteurs, plus ou moins dous pour ce mtier, sur les difficults rencontres dans le transfert du sens dun mot ou dune phrase dune langue lautre. partir du XIX-me sicle, ces tudes deviennent plus systmatiques et la rflexion sur la traduction comme acte et comme produit marque un tournant dans la constitution dune discipline qui studie luniversit et qui forme des spcialistes dans le domaine.

Notre ouvrage vient complter celui de Georgiana Lungu-Badea (Scurt istorie a traducerii. Repere traductologice, 2007) qui traite de la traduction lpoque de lantiquit grco-latine, au Moyen-ge et la Renaissance. Nous navons queffleur ces priodes, juste pour souligner les caractristiques des thories prescriptives (classiques) o la traduction tait asservie au got du public contemporain, au traducteur et la fidlit par rapport au texte-source (religieux ou profane) imposait une imitation des langues nobles : hbreux, grec et latin. Avec les thories descriptives rflexives, le centre dintrt change, la traduction comme acte devient la cl de vote pour tout praticien du mtier, le but du traducteur tant maintenant dinstruire et de fournir des modles suivre. Notre attention sest focalise sur les thories prospectives, qui ont fait fortune partir de la fin du XIX-me sicle, lorsque le traducteur avait dj une solide formation universitaire et un statut bien dfini dans la socit. Ces thories souvrent sur la pragmatique, lanalyse du discours et sapproprient des mthodes de recherche propres non seulement la linguistique, mais aussi la philosophie, la sociologie et la communication. Nous avons conu notre ouvrage en deux volets : le premier passe en revue les diffrentes acceptions de la "traduction" comme acte et comme rsultat de cet acte ainsi que les diffrentes possibilits de classifier la traduction selon des critres plus ou moins objectifs. Le deuxime volet se rapporte strictement aux thories traductives, en essayant de faire une synthse des thories europennes et amricaines.

Vu le caractre vaste du sujet, nous navons pas la prtention davoir puis le sujet, nous avons juste voulu offrir nos tudiants quelques points de repre sur une activit multimillnaire qui ne pourrait daucune faon tre condense en quelque dizaines de pages. Par le passage en revue dapproches, tendances et notions-cls diffrentes, qui donnent lieu une rflexion thorique sur les problmes pratiques que pose l'acte de traduire, nous esprons veiller lintrt de nos lecteurs et ouvrir des pistes de recherches vers une discipline qui, n'ayant pas de thorie unifie et cohrente, reste notamment une activit pratique, ouverte sur toutes les sciences humaines, dont les exigences varient en fonction du type et du genre de texte. Lauteur

1. LA TRADUCTION : QUELLE DEFINITION ?1.1. La reprsentation traditionnelle, rductrice, de la traduction en fait un processus dont la fonction est de remplacer une langue par une autre (par exemple, de mettre en franais un roman, une pice de thtre ou une posie dun crivain anglophone, un mode demploi, un diplme, un guide, etc.). Mais la traduction ne peut pas se rduire au passage ou a la conversion dun texte dune langue-base ou source (LB/LS) une langue-cible (LC), parce cette opration ncessite une adaptation complte du document dorigine de faon ce quil puisse tre utilis par un public ayant une langue, un univers culturel et un comportement social diffrent de celui pour lequel le document a t crit initialement. Le document en question doit tre si bien traduit, que le public auquel la traduction est destine doit le recevoir comme sil avait t crit par quelquun appartenant la mme culture. Voil pourquoi, pour dfinir la traduction de faon exacte et efficace[] il faut se dire quun document traduit en franais [] est un document dont le type, la forme linguistique, le format, la structure, les caractristiques physiques, les contenus, les finalits et les fonctions ont t franciss. La traduction importe ou exporte des contenus en les naturalisant aussi compltement que possible. (Gouadec, 1989 :3)

1.2. tymologie et acceptions du mot Ltymologie mme du mot traduction est hsitante. On ne pourrait pas affirmer avec certitude quil vient du

latin traducere (de trans-ducere faire passer travers) ou de litalien tradurre, tant donn que la pratique de la traduction des classiques tait trs rpandue en Italie. Avant ce mot, en ancien franais on employait le verbe translater (conserv en anglais : to translate), issu du latin translatio (de transfero, ferre, tuli, latum), utilis dj par Quintilien dans le sens de "traduction". Comme les peuples ont eu besoin de communiquer entre eux depuis les temps les plus reculs, il est clair quils se sont servis de "traducteurs" ou de "translateurs" pour pouvoir communiquer entre eux. Mais, de nos jours, la traduction mrite dtre enfin considre plus quune simple voie de communication, quun simple moyen de faire passer une information dune langue dans une autre langue. Elle est en mme temps science et art : art, quand elle touche au sublime, science quand elle est prcise, technique et cohrente. En soi, le terme de traduction est polysmique et il renferme deux acceptions possibles : 1.2.1. une acception dynamique Considre de ce point de vue, la traduction reprsente lactivit concrte du traducteur, autrement dit cest une pratique traduisante. En tant que processus, la traduction a pour objet de supprimer, au moins temporairement, les barrires linguistiques et culturelles qui existent entre le texte de dpart et sa variante traduite. Le but suivi par le traducteur pourrait tre considr comme noble, parce quil vise la diffusion dune doctrine, dun concept, dune faon de vivre, dun produit qui tend luniversalit. Les moyens utiliss par le traducteur doivent alors sadapter si bien au but envisag, que le texte produit ne puisse en

aucun cas paratre artificiel, mal rdig, ou tranger au public pour lequel il a t traduit et auquel il sadresse.De manire idale, le traducteur ne devrait se diffrencier de la rdaction directe que par le fait que le rdacteur rdige sans support pralable (directement), alors que le traducteur rdige en sappuyant sur les contenus dun document existant, quil naturalise de manire lintgrer totalement la langue et la culture dun autre public. (Gouadec, 1989 : 4)

Dun ct, le processus de traduction met en jeu une substitution visible de formes linguistiques, et de lautre, il procde une substitution plus subtile, moins vidente, de modalits danalyse, de reprsentation des objets, de schmas de pense, de faons diffrentes dorganisation des documents, de systmes de valeurs similaires ou non. 1.2.2. une acception statique Dans cette acception, la traduction est le rsultat de lactivit traduisante, cest--dire le texte obtenu par le processus de traduction. Comme les lecteurs dun texte nont pas accs au long processus de prise de dcisions, de dilemmes et de difficults surmonter par le traducteur dans son activit traduisante, on a tendance considrer la traduction plutt comme produit, ce qui diminue de manire fcheuse leffort et la comptence du traducteur. Le document produit par lactivit traduisante, texte ou autre chose, doit tre adapt, dans toutes ses caractristiques (contenu, forme, style, etc.) aux normes, aux usages et aux conventions du public vis et des objectifs spcifiques, pralablement tablis. Le document veut informer, persuader, faire vendre ou faire acheter un certain produit (mode

demploi dun produit, guide de dpannage) ou bien il doit mouvoir pour valoriser le produit en question (pome, roman, etc.). 1.2.3. part ces deux acceptions, il y en a une troisime : la traduction comme acte de communication. Cette nouvelle perspective offerte par la seconde acception du terme, celle de acte de communication drive du statut du traducteur. Celui-ci a la tche de ngocier la relation de signifiance entre le texte de la langue-source (TS) et sa variante propose dans la langue-cible (TC). Autrement dit, la traduction sinscrit dans le schma gnral de la communication, en ce sens quil y a un message (M) qui circule entre deux ples lmetteur (E) et le rcepteur (R) possdant en commun un certain code ncessaire la production et la comprhension du message transmis. Si E et R ne disposent pas dun code commun (lmetteur dispose dun code A et le rcepteur dun code B), alors cest le traducteur (T) qui sinterpose entre les deux pour jouer un double rle : de rcepteur dcodeur du message dans le code A; dmetteur encodeur du message dans le code B. E code A T code B R

En traduisant dune langue lautre, on ne substitue pas des messages dans lune des langues des units spares, mais des messages entiers de lautre langue. Cette traduction est une forme de discours indirect ; le traducteur recode et retransmet un message reu dune autre source. Ainsi la traduction implique deux messages quivalents dans deux codes diffrents.

Le traducteur a, du mme coup, une double allgeance (Arcaini, 2003 : 24), dans le sens historique d obligation de fidlit : allgeance envers lauteur ou lcrivain, allgeance envers le lecteur. Si la fidlit du premier type est assez vidente aujourdhui (et elle la toujours t, parce quelle a eu une position privilgie dans toutes les poques !) le traducteur tant suppos ne pas trahir le TD, la fidlit envers le lecteur nest pas trop respecte, mme lheure actuelle. Or, la traduction est destine au lecteur, qui partage la mme langue et la mme culture avec le traducteur, qui nest pas celle du producteur du TD. Alors, cest au lecteur que le traducteur doit rendre service. Si le traducteur est un tratre sa trahison est double, comme est double son allgeance, dune part envers lauteur, dautre part, envers le lecteur quil trompe littralement sur la marchandise, si sa traduction nest pas fidle. Le schma prsent ci-dessus a le don dinscrire la traduction dans un contexte social, et de lui confrer une fonction sociale. Voil pourquoi Ladmiral considrait que :

(Derrida, 1985 : 80)

La traduction est une activit humaine universelle, rendue ncessaire toutes les poques et dans toutes les parties du globe par les contacts entre communauts parlant des langues diffrentes, que ces contacts soient individuels ou collectifs, accidentels ou permanents, quils soient lis des courants dchanges conomiques ou apparaissant loccasion de voyages ou quils fassent lobjet de codifications institutionnalises (traits bilingues entre tats par exemple). (Ladmiral, 1994 : 11)

Cest dailleurs Ladmiral qui a employ, parmi les premiers, le terme de traductologie (1979) pour

dsigner le nouveau domaine qui revendiquait son autonomie par rapport aux tudes linguistiques et littraires ainsi que les termes source (pour le texte original, ou texte de dpart) et cible (pour le texte darrive). Il s'agissait de fonder la discipline ellemme, qui allait spcifiquement prendre pour objet les phnomnes de traduction. Cette nouvelle science est beaucoup redevable la linguistique, qui lui a fourni une mthodologie et une terminologie lui permettant d'tiqueter les ralits videmment langagires avec lesquelles la traduction avait affaire et de les conceptualiser. Ladmiral tait persuad que la thorie de la traduction et la connaissance des phnomnes connexes exigent une ouverture interdisciplinaire qui va bien au-del de la linguistique et met contribution la quasi-totalit des lettres et sciences humaines. Une place part est rserve par Ladmiral la psychologie du traducteur, aux processus mentaux qui sont l'uvre lors du transfert des informations d'une langue l'autre. Comme Nida et Taber, Ladmiral souligne que[] la pratique traduisante s'inscrit dans le contexte d'une socit (et d'une poque) et qu'en somme il y a une dimension ethno-sociologique de la traduction qui fait que la traductologie est aussi dans le prolongement des sciences sociales. (Ladmiral, 1979/1994 : viii)

Mais, la traductologie ne s'appuie pas seulement sur les sciences humaines, elle s'attache aussi aux tudes littraires, et l'exemple difiant en ce sens est que la littrature compare se fait partir des traductions ; la traduction reprsente une modalit spcifique d'criture (et pas seulement la traduction littraire!), le

traducteur est, selon Ladmiral, un rcrivain ou un co-auteur.

2. CRITRES DE CLASSIFICATION DE LA TRADUCTION2.0. La complexit de lactivit traduisante justifie pleinement que plusieurs critres, de natures diffrentes (objective ou subjective), doivent tre pris en compte ds lors quon essaie de classifier les traductions. Les critres objectifs sont dhabitude de nature quantitative ou structurale (de substance), tandis que les critres subjectifs visent la possibilit du traducteur dintervenir dans le texte traduire : son degr dobjectivit ou de subjectivit, de mme que sa qualit. 2.1. code employ Selon ce critre on distingue entre les traductions intralinguales et interlinguales1. Dhabitude cest la traduction interlinguale quon fait rfrence, parce que normalement on a besoin de convertir un TS produit dans une langue naturelle donne en un TC dont la langue est diffrente (ex : la traduction des posies de Beaudelaire en roumain, en italien, en espagnol, en anglais, etc.) La traduction intralinguale (ou reformulation) est moins commune, elle vise interprter des signes linguistiques au moyen dautres ces deux types Roman Jakobson (1959/2000 : 114) ajoute un troisime type de traduction, celle intersmiotique ou transmutation, qui interprte des signes linguistiques au moyen de signes non linguistiques. Elle est dfinie par Jakobson comme "an interpretation of cerebral signes by means of signs of non-verbal sign system". La traduction intersmiotique serait la transposition dun texte crit avec les moyens propres la musique, au film ou la peinture.1

signes de la mme langue ; autrement dit, cette traduction ou rewording est fonde sur le mtalangage (ex : les oprations de paraphrase dune structure ou mme d'un texte entier, afin dexpliquer et de rendre plus clair quelque chose de dit ou dcrit). 2.2. type de texte Le champ de la traduction est pratiquement illimit, on peut traduire nimporte quoi, depuis les notices techniques, messages publicitaires, contrats de travail, diplmes dtudes, certificats de naissance, listes de termes / nomenclatures, etc., jusquaux articles scientifiques, brochures, lettres, films / sous-titrage / doublage, romans, etc. En fait, tout transfert linguistique qui a comme point de dpart un texte crit et comme point darrive la variante de ce texte, donne dans une autre langue trangre, entre dans le champ de la traduction. Selon le critre susmentionn, on classifie les textes en objectifs, obissant aux normes dun mtier (textes techniques, conomiques, juridiques etc.) o le traducteur ne doit simpliquer motionnellement daucune faon, o il na pas le droit de formuler des opinions personnelles ou de modifier le contenu du texte et les textes subjectifs ou dexpression artistique (romans, pices de thtre, posies, publicit) qui ont une forte valeur affective et qui se prtent lintrusion et limplication subjective de la part du traducteur. 2.3. forme du texte Cest un critre qui dcoule, en quelque sorte, du prcdent. Les textes traduire ont des formes, des structures ou des longueurs diffrentes. Ils peuvent se constituer de simples listes de mots (listes terminologiques, concordanciers, glossaires, rpertoires, catalogues), ou bien ils peuvent avoir de la

cohrence et de la cohsion et se prsenter comme de vraies uvres littraires. De plus, un texte peut se prsenter comme message crit ou prononc et on fait alors la distinction entre traduction et interprtariat. En effet linterprtariat est une activit orale dans laquelle linterprte2 donne oralement et dans une langue un quivalent du contenu dun message oral prononc dans une autre langue. En gnral, il le fait simultanment, donnant limpression de traduire mot mot, ce qui est quasi impossible. En ralit, linterprte, appel aussi interprte simultan, suit de prs la parole-source, et[] ponctue ses phrases [] et termine son discours en mme temps que le premier interlocuteur, quand ce nest pas avant. (Oseki-Dpr, 1999 : 13)

Sont galement rattachs au domaine de la langue orale le doublage des films et la traduction du thtre. Danica Sleskovitch a montr que la langue orale peut aussi enregistrer des variantes : oral spontan, oral recr, crit lu, etc., et que le rapport que l'interprte ou le traducteur entretient avec la langue orale dpend beaucoup de la nature de la source. Par exemple, une confrence aura plus d'effet sur l'auditoire si l'metteur la prsente oralement et ne la lit pas, mais le plus grand impact serait obtenu si l'metteur se mettait la jouer (en faisant des gestes comme les acteurs, en se servant aussi dune intonation renforce). Le mme effet serait obtenu si le traducteur / interprte faisait, lui aussi, les mmes mouvements, en imitant le jeu de lmetteur. Le cinma et le thtre posent lePersonne qui donne oralement, dans une langue, lquivalent de ce qui a t dit dans une autre, servant dintermdiaire entre personnes parlant des langues diffrentes. (Petit Robert)2

problme de l'oral en situation de communication, de la synchronisation dans le doublage des voix des personnages. Par ailleurs, le sous-titrage entrane des modifications des paroles des personnages, modifications qui, pour des raisons techniques, tendent vers la rduction du texte.Cinma, thtre et bande dessine ont en commun d'imposer au traducteur la situation d'nonciation des dialogues (et de manire particulirement fige dans le premier et dans le troisime cas) ; cette prsence, combine au souci de l'impact du texte sur un public diffrent, commande parfois ce que certains appellent des adaptations et que d'autres considrent comme de l'authentique traduction, de la traduction russie. (Ballard, 1987 : 10)

Quant la traduction, elle part toujours dun texte crit, et sa difficult provient de ce que le traducteur doit dun ct, trouver lquivalent exact, et de lautre, re-crer le texte, dans la mesure o il est cens le reverbaliser (cest surtout le cas de la posie, o la fonction potique lemporte sur les autres fonctions du langage). 2.4. fidlit de la traduction Ce critre nourrit le dbat ancien autour du choix entre traduction fidle et traduction libre. Il est apparent aux prcdents, dans la mesure o la fidlit du traducteur doit tre maximale dans les textes objectifs et tout fait dconseille dans les textes littraires, o la traduction mot mot ou littrale est un chec. Or, cette fidlit apparat comme impossible tant donn que chaque langue dispose dune structure phrastique et dun agencement de mots dans la phrase qui lui est

propre et dcoupe la ralit environnante de faon diffrente. Et la liste des diffrences entre les langues pourrait continuer et se concentrer sur la topique des mots, la longueur de la phrase, la faon privilgie de donner une information (phrase active /vs/ passive, structure personnelle /vs/ impersonnelle etc.). La dichotomie fidlit / libert en traduction a engendr la controverse tradutore-tradittore, qui, loin de montrer une controverse, claircit la double position du traducteur dans le texte : le traducteur-tradutore est celui qui traduit le texte (trans-ducere), qui fait passer linformation dune langue a lautre, tandis que le traducteur-tradittore est celui qui trahit le texte dans la mesure o, pour le rendre vivant et comprhensible aux lecteurs, il ravive la tradizione, livre quelque chose de nouveau. Comme trahir vient de tradere < transdare (donner qqch. qqn., transmettre), on peut dire que le traducteur nest jamais "tratre", quelque infidle quil puisse tre au TS. 2.5. qualit de la traduction Cest peut-tre le critre le plus subjectif de tous, parce que le critique se contente de lire la traduction et de dire quelle est exacte, fluide et quelle ne sent pas la traduction, mais il est rare quil procde une comparaison, le livre la main, entre loriginal et le texte traduit. Dans son livre, K. Reiss disait que :Si lon veut aller un peu au-del des formules passepartout telles que traduction fluide, se lit comme un texte original, traduction rocailleuse, etc., on se doit de se livrer aussi une critique consciencieuse tenant compte du texte de dpart. (Reiss, 2002 : 30)

Il est pourtant vrai que parfois on na mme pas besoin de comparer le TS et le TC pour se rendre compte des maladresses du traducteur, des imperfections du style, des lacunes langagires et des syncopes dans la traduction. 2.6. champ dapplication Selon le but et le public auquel lobjet traduit sadresse, on oppose la traduction littraire la traduction scientifique et la traduction pdagogique, pratique sous la forme de thme et de version. La traduction littraire apparat dans les livres de spcialit sous l'appellation de traduction interprtative, tandis que la traduction pdagogique est appele aussi traduction didactique. Dans le cadre de celle-ci on distingue alors deux activits : le thme, qui est une traduction pratique de la LS vers la LC (traduction centrifuge), et la version, qui est faite de la LC vers la LS (traduction centripte); voil pourquoi on estime que le thme est plus difficile que la version. Les deux types renvoient un cas particulier de traduction, savoir la traduction comme exercice pdagogique.On devra mme opposer cette opration pdagogique ce quon pourrait appeler la traduction proprement dite ou, si lon veut, la traduction traditionnelle. la diffrence du thme et de la version, la traduction (stricto sensu) est elle-mme sa propre fin et le texte traduit est la raison de lopration traduisante ; on a l un cas de finalit interne, comme disaient nagure les philosophes : la traduction nobit pas alors la finalit externe dune stratgie pdagogique densemble dont elle ne serait que lun des moyens. (Ladmiral, 1994 : 41)

Lopposition entre les deux types met en cause la qualit de la traduction, en ce sens que pour un texte

littraire les exigences ne sont pas de nature pdagogique, mais de nature artistique, laccent tant mis sur le style, la prosodie, limplicite, le non dit, la connotation. En revanche, pour la traduction pdagogique de type thme /vs/ version, lactivit se prsente simplement comme un test de comptence langagire dun lve / tudiant apprenant une langue trangre, ou, selon Ladmiral comme[] un test de performance cens fonctionner comme test de comptence (comptence-cible et comptence source) qui sintgre un ensemble pdagogique plus vaste. (Ladmiral, 1994 : 41)

2.7. chronologie Selon ce critre on distingue entre la traduction synchronique et la traduction diachronique. On sait que les grandes uvres littraires ont t traduites, diffrentes poques par plusieurs traducteurs, les uns plus dous que les autres (voir, par exemple, les six variantes de traduction du Paradis perdu de Milton en franais, dont les plus russies sont celles de Louis Racine et de Chateaubriand au XIX-me sicle ; ou les traductions en franais de la posie d'Eminesco, effectues par Miclu, Courriol, Drgnescu-Vericeanu et Isanos). En ce qui concerne le pote roumain, on peut parler d'une traduction synchronique de ses vers parce que les diverses variantes de traduction ne sont spares que par une quinzaine d'annes. Les traductions diachroniques se caractrisent par le fait qu'un grand intervalle de temps spare la cration du TS de sa variante traduite. Par ailleurs il est possible que plusieurs variantes de traduction aient t effectues des poques diffrentes. Dans ce cas, le traducteur est confront une langue qui prsente de grands carts par rapport l'original et,

ventuellement, la variante traduite antrieurement, carts explicables par l'volution de la langue. Alors, le traducteur se heurte un problme difficile trancher : employer une langue archasante, pour ne pas trahir l'esprit et la langue du texte-source, ou bien adapter aux exigences d'une langue moderne, facile comprendre par le lecteur contemporain ? Le dbat a t tranch par Steiner (1978 : 311-312) qui discute des traductions de La Divine Comdie de Dante en franais dans la version de Rivarol (XVIII-me sicle), et dans celle de Littr (au XIX-me)3. Il s'en prend surtout la version d'Emile Littr (L'Enfer mis en vieux langage franois, paru en 1879), qui il reproche justement l'anachronisme, le fait de ne pas avoir adapt le vers de Dante aux exigences langagires et au got de son poque :C'est un texte pour ainsi dire mort-n [...] Il n'y a gure que les philologues et les mdivistes qui puissent juger jusqu' quel point Littr russit laborer une rplique synchronique. [...] On dirait que c'est Dante qui traduit Littr dont l'Enfer est antrieur l'Inferno et se rattache la chanson de geste plutt qu' l'pope virgilienne. (Steiner, 1978 : 312)

Rappelons aussi qu'au XX-me sicle (1985-1992) il y a encore une version toute neuve de Jacqueline Risset qui, dans la ligne de Meschonnic, renforce l'ide de la quasi impossibilit de la traduction, surtout du texte potique. Elle se rend compte que le maintien de la terza rima de Dante n'est plus possible la fin du XX-me sicle et que le traducteur doit opter pour un choix moderne, menant la libration des symtries obligatoires imposes par le vers italien.3

3. LES GRANDS COURANTS DE LA TRADUCTION3.0. Si quelquun connat assez bien une langue trangre ne pourrait-il pas traduire des textes littraires et tre tout bonnement traducteur ? En quoi consiste donc la spcificit de ce mtier ? Autrement dit, pourquoi est-il ncessaire de connatre de la thorie pour faire des traductions (littraires ou non, thmes ou versions) ? Est-ce quon peut parler, de nos jours, dune science de la traduction ? La rponse ne semble pas du tout facile donner, parce que, dun ct, la traduction ne dsigne pas une opration simple et unique, dont les diverses modalits et ralisations seraient homognes, et de lautre, parce que chaque procd ou chaque pratique traduisante prsente des avantages et des dsavantages quon doit prendre en considration quand on se trouve devant un texte traduire. Cest ce que les exgtes de la traduction ont remarqu, en postulant que :Il nest pas tonnant quune thorie de la traduction se dissolve en une rhapsodie de problmes : il ny a pas la traduction, mais de nombreux aspects ou modes de traduire, des traductions. (Ladmiral, 1994 : 4)

Quant la question de savoir sil y a ou non une science de la traduction, on est plutt tent de rpondre affirmativement. En effet, la traduction dispose dun champ de recherche et sest forg des outils thoriques spcifiques qui permettent aux praticiens et aux critiques de la traduction dapprcier le rsultat en fonction de critres prcis et de formuler

des jugements de valeur. On peut mme parler, au XXme sicle, de la traductologie, comme critique des thories et pratiques du traduire. 3.1. Au dbut, la traduction a t pratique sans souci de formuler une thorie en soi, regroupant des normes et des contraintes respecter par les traducteurs, qui taient, pour la plupart, dexcellents pratiquants sans en tre des thoriciens. Ainsi, on considre de faon unanime quaux sources historiques de la traduction on trouve dabord les textes sacrs (la traduction grecque de lAncien Testament, la traduction de la Bible) et ensuite les grands textes littraires de lAntiquit (surtout les variantes successives de lIliade et de lOdysse). Munday (2001 : 7) rvle le fait que la traduction comme thorie a t dabord le champ privilgi de la recherche acadmique et quavant 1950 la traduction na t quune mthode dapprentissage des langues modernes (la fameuse opposition thme et version). Nous allons passer en revue quelques-unes des thories qui ont t pratiques avec plus ou moins de succs au cours des annes, en nous arrtant notamment sur celles qui ont influenc la pratique de la traduction. Nous nous sommes arrte surtout sur les classifications d'Ins Oseki-Dpr et de Jeremy Munday, en essayant d'en faire une synthse et de rapprocher, dans la mesure du possible, les thories europennes des amricaines. 3.2. En reprenant la classification d'Oseki-Dpr (1999 :17) nous allons distinguer trois types de thories qui concernent la traduction : prescriptives ou classiques

descriptives ou modernes prospectives ou artistiques Les deux premiers types de thories traitent de la traduction en tant que processus dimitation du texte original, alors que le troisime envisage la traduction comme recration du texte. On peut, en quelque sorte, retrouver la distinction opre par Ladmiral entre les sourciers et les ciblistes :[] il y a deux faons fondamentales de traduire : ceux que jappelle les sourciers sattachent au signifiant de la langue, et ils privilgient la langue-source ; alors que ceux que jappelle les ciblistes mettent laccent non pas sur le signifiant, ni mme sur le signifi, mais sur le sens, non pas de la langue, mais de la parole ou du discours, quil sagira de traduire en mettant en uvre les moyens propres la langue-cible. (Ladmiral, 1994 : XV)

Mais, quelle que soit la mthode de classification employe, elle a pour rle de mettre en vidence les phnomnes linguistiques et culturels, ainsi que ltat des socits aux moments diffrents de leur volution qui peuvent faire obstacle ou, au contraire, favoriser la pntration dlments nouveaux dans la langue darrive. Parfois il s'avre difficile de classer un thoricienpraticien de la traduction dans l'un des trois types de thories. En effet le dveloppement de la traductologie au XX-me sicle amne un changement de vision dans la pratique de la traduction, qui envisage plutt le ct artistique d'une uvre que la fidlit par rapport au texte et son crateur. De mme, on pourrait considrer que les deux premiers types se distinguent aussi par les plans de l'analyse pratique : les thories prescriptives favorisent la diachronie, tandis que les descriptives se rattachent plutt la synchronie, et

sefforcent de donner une mthodologie (ou : un point de vue mthodologique) de la traduction, comme rsultat d'une srie de procds linguistiques, esthtiques et idologiques. On peut constater que les thories prescriptives et descriptives sont, en gnral, plus homognes, tandis que les thories prospectives sont plus htroclites, regroupant toutes sortes de thories modernes dveloppes notamment dans les domaines de la critique littraire et des sciences humaines.

3.2.1. Les thories prescriptivesLa thorie prescriptive, tout en s'appuyant sur les confessions personnelles des traducteurs, prnait llgance et ladaptation aux habitudes de la languecible au dtriment de lexactitude considre comme une contrainte ngative. Le but final tait de satisfaire le got du public de l'poque du traducteur et de respecter les exigences linguistiques et artistiques de la langue d'arrive, en essayant de garder une parfaite fidlit par rapport au texte-source, qu'il ft religieux ou profane. Ces thories se caractrisent par le dplacement du point d'intrt port au dbut sur la potique du mtier (voir du Bellay) et ensuite sur la possibilit d' adapter le texte-cible aux conventions de l'poque. 3.2.1.1. Le premier thoricien de ce courant semble avoir t Cicron, qui, dans la prface sa traduction des Discours de Dmosthne et dEschine, veut instaurer lloquence attique comme modle rhtorique suprme.Il est important de souligner la distinction qutablit Cicron, crivain de lapoge de la langue latine entre, dune part, le simple traducteur et lorateur, qui ne traduit pas mot mot, et, dautre part, le fait que celui qui se soucie du lecteur utilise les termes adapts aux usages latins. On voit dj apparatre ici le lien qui unit le sens la proccupation de la rception (Oseki-Dpr, 1999 : 19)

3.2.1.2. Cinq sicles plus tard, pour saint Jrme, traducteur de la Bible (la Vulgate latine), le problme de la traduction pose la dichotomie entre la traduction du texte religieux par rapport au texte profane. Parce que, dun ct, il faut tre fidle au texte sacr, o la topique mme des mots saints a une importance particulire (lordre des mots est aussi un mystre), et la libert dans la traduction des textes profanes, o ce qui compte cest le sens global et non pas les mots. Par rapport Cicron, qui nest quun imitateur, saint Jrme prfre le statut de traducteur et, dans De optimo genere interpretandi il dvoile son dsarroi entre les deux voies suivre en traduction: libert ou fidlit?Il est malais quand on suit les lignes traces par un autre, de ne pas sen carter en quelque endroit ; il est difficile que ce qui a t bien dit dans une langue garde le mme clat dans une traduction. [] Si je traduis mot mot, cela rend un son absurde; si, par ncessit, je modifie si peu que ce soit la construction ou le style, j'aurai lair de dserter le devoir de traducteur. (Saint Jrme, apud M. Ballard, 1991 : 61)

3.2.1.3. Le premier thoricien de la traduction en date est tienne Dolet, grand traducteur humaniste du XVI-me sicle, auteur de prceptes pour bien traduire, trs apprci par du Bellay. C'est mme lui que lon doit le terme de traduction (1540), et dj quelques principes de traduction, qui reprennent certaines ides de Cicron, principes valables jusqu' nos jours: bien comprendre le sens du texte quon doit traduire, de mme que son propos / argument; avoir une bonne comptence linguistique de la langue originale du texte et de celle dans laquelle on doit traduire;

viter, dans la mesure du possible, la traduction mot mot, parce que chaque langue a ses proprits, translations en dictons, locutions subtiles elle particulires; viter les nologismes, les latinismes et employer notamment la bonne langue franaise dusage commun; cultiver le beau style souple et lgant, pratiqu par les orateurs. 3.2.1.4. La thorie de la traduction sest enrichie pendant la Renaissance avec les remarques de Du Bellay, insparables de son art potique. Parmi les ides de la Dfense et Illustration de la Langue Franaise un rle part est accord limitation, conue non pas comme un procd destin copier le rel, mais comme une faon de le transcender, de rivaliser avec lui et de le surpasser en franais. Cette imitation des modles de lantiquit grecque et latine, de mme que la littrature italienne du XV-me et du XVI-me sicles nest pas aveugle, car, tout en tablissant une forte liaison avec la tradition qui valorise la beaut du style, les potes de la Pliade la dpassent ; ils ne se sont pas contents de traduire les textes anciens, ils ont russi les ranimer en les insrant dans une posie vivante, crite dans une langue nouvelle car les mots ne sont que des instruments interchangeables et perfectibles (OsekiDpr, 1999 :27).

3.2.1.5. Ltape suivante est constitue par le passage de la traduction proprement dite ladaptation des textes, selon les conventions classiques (got du public, exigences grammaticales, stylistiques, rhtoriques, travesti du contenu des textes traduits de lAntiquit grco-romaine). Cest lpoque o Mme Dacier, devenue clbre par ses traductions de lIliade et de lOdysse, expose les deux types de difficults rencontres dans sa traduction: la premire, dordre potique, et la seconde portant sur les valeurs thicoesthtiques de lpoque (morale et rceptive). Dun ct, il lui est difficile, voire impossible de conserver la force, la grce, la beaut et lharmonie du vers homrique, de lautre, le purisme du franais bannissait lemploi de certains mots et expressions crues: Homre les utilisait dans son texte, mais sa traductrice nosait plus employer dans une langue considre comme lgante et raffine, qui tenait viter, par une priphrase, les expressions trop directes ou trop naturalistes.Homre parle souvent de chaudrons, de marmites, de sang, de graisse, dintestins, etc. [] On y voit des princes dpouiller eux-mmes les btes et les faire rtir. Les gens du monde trouvent cela choquant. [] Que doit-on attendre dune traduction en une langue comme la ntre, toujours sage, ou plutt timide, et dans laquelle il ny a presque point dheureuse hardiesse parce que toujours prisonnire dans ses usages, elle na pas la moindre libert? (apud Mounin, 1955/1994 : 21)

3.2.2. Les thories descriptivesPar rapport aux thories prescriptives, les thories descriptives sont moins intresses par les avatars du traducteur et par les jugements de valeur ports sur un texte, et plus centres sur lopration de traduction en soi. Elles soccupent davantage de fournir un modle suivre par le traducteur et de linstruire dans ce mtier si difficile et risqu. Voil pourquoi, surtout dans le paratexte (avant-propos, prfaces ou postfaces) les traducteurs proposent une sorte de projet de traduction du texte en question et tentent de saisir ses difficults, les tapes suivre dans le processus de comprhension, les transformations et les changements oprer sur le texte de dpart pour faciliter sa conversion dans la LC. Mais, cette faon d expliquer la traduction ne pourrait pas tre considre une vritable thorie de la traduction. 3.2.2.1. Les thories descriptives rflexives Les thories descriptives sont issues, d'un ct, de la ncessit de rflchir sur les problmes soulevs par la traduction d'un texte littraire, et, de l'autre ct, de la ncessit un peu didactique et universitaire, de les systmatiser dans des traits l'usage des jeunes traducteurs.

3.2.2.1.1. Le point de dpart des rflexions sur les difficults souleves par la traduction dun texte est la faon dont Aristote envisage le signe linguistique, comme entit compose dune signification (construction de lesprit, drive de la perception du rel) et dune substance sonore (suite de sons associs aux concepts), dont le rapport est arbitraire. On voit que cest du Saussure avant la lettre. Ce qui intresse la traduction cest surtout la consquence du caractre arbitraire du signe, savoir le fait que plusieurs sons peuvent avoir une seule signification (le cas de la synonymie) ou que plusieurs significations peuvent tre exprimes par un seul son (la polysmie). Par exemple, le nom vol en franais peut signifier: a) l'ensemble de mouvements coordonns, faits pour se maintenir dans l'air ; b) l'action de s'emparer du bien d'autrui. Une autre consquence qui en dcoule est quon peut deviner le sens dun mot sans avoir une exprience directe ou indirecte pralable. Il faut quand mme admettre qu'il est difficile de dterminer le sens dun mot quon ne connat pas, surtout quand le contexte n'est pas suffisamment transparent pour le laisser deviner. Ainsi, une phrase comme Les hritiers de Paul se disputent encore parce quil est mort intestat n'est pas facile comprendre par un non-spcialiste, qui ignore le sens du mot intestat dcd sans testament. 3.2.2.1.2. Le premier traducteur qui semble avoir adopt la mthode descriptive dans ses traductions est Saint Augustin. En traduisant la Bible en latin, Saint Augustin a constat que certains mots hbreux ou grecs navaient pas dquivalent en latin ou que la connotation de certains en tait diffrente. C'est pourquoi, explique Roger Zuber, Augustin choisit des

tours parfois obscurs ou des structures double sens: pour lui, sil y a polysmie, cest lillumination divine qui doit clairer le traducteur dans la recherche du sens. En tant que traducteur, Saint Augustin a t intress plutt par ses propres rflexions sur la traduction que par linstitution ou le respect des prceptes observer dans lacte traduisant. Donc, on pourrait dire que jusquau XVI-me sicle la traduction a t une pratique (parce quelle a servi de relais et de moyen de communication entre diffrentes communauts linguistiques) et non pas une thorie, parce quon na pas essay dinventorier les procds et les moyens par lesquels on arrivait au produit, cest--dire la traduction comme rsultat. Le point de vue dOseki-Dpr sur la situation de la traduction au Moyen-ge nous semble intressant: celui-ci continue le modle latin de imitatio mais les auteurs, tout en sinspirant du texte original, russissent en donner des interprtations personnelles et offrir aux lecteurs des crations assez originales. La plupart des crits sur la traduction cette poque insistent sur la ncessit de rester fidle au contenu du TS et sur la ncessit de rendre la beaut stylistique de loriginal.

3.2.2.1.3. Ballard (1991 :81) remarque que ds la fin du Moyen ge se dessine en France une faon de traduire prdominante qui vite le mot mot pour des raisons de clart et dlgance, mais on ne pourrait parler dune vraie thorie descriptive de traduction jusquau XVII-me sicle. Cest Mzirac qui, dans Discours sur la traduction, tout en critiquant la faon dont Amyot a traduit Plutarque, dresse une liste de fautes de traduction et commente les carts et les infidlits du traducteur. Il sen prend surtout aux additions superflues (toffements indus), aux suppressions, aux modifications abusives du TS, aux gloses errones, aux omissions impertinentes, aux erreurs de sens, aux interprtations des signes de ponctuation et aux mots de liaison. Non sans pdanterie, il reproche Amyot son ignorance de la posie, de la chronologie, de la zoologie et des mathmatiques. Mzirac prtend quAmyot navait pas un fond de doctrine suffisant, et quil[] prend une fourmi pour une cigale Car il met un pommier pour un poirier, un cormier pour un cornouiller. On ne simaginera jamais non plus quil ait pntr les secrets de lArithmtique. (apud Zuber, 1968 : 452)

Autrement dit, il exige de la part du traducteur de possder un savoir encyclopdique, condition essentielle pour raliser une bonne traduction. Ballard accorde aussi une importance particulire Mzirac, en tant quauteur de louvrage De la traduction, tude adresse Vaugelas, o il rappelle que la qualit essentielle dun traducteur est la rigueur et la fidlit et quil doit

[] najouter rien ce que dit son Auteur, quil nen retranche rien, et quil ny rapporte aucun changement qui puisse altrer le sens. (Ballard, 1991 : 165)

3.2.2.1.4. La deuxime personnalit en date qui a eu une grande contribution au dveloppement de la thorie descriptive est Chateaubriand qui, mme sil na pas rdig de traits sur la traduction, a laiss une srie de remarques personnelles importantes pour la pratique de la traduction. Comme traducteur, il a eu son tour des difficults surmonter dans la traduction du Paradis Perdu de Milton, pour lesquelles il a d trouver des solutions: il les a soigneusement dcrites dans la prface sa traduction. Par exemple, il remarque quau moment o Milton parle de dmons, il rappelle ironiquement dans son langage les crmonies de lglise romaine, et quand il a lair de parler srieusement il utilise la langue des thologiens protestants. Le fait que Milton y a dvelopp une argumentation thologale diffrente de celle du catholicisme, dans laquelle Dieu tait unique, a eu des rpercussions sur le style de luvre, et Chateaubriand a d sy plier et adapter les procds traductionnels parfois au dtriment des rgles du bon usage du franais (le calque de la syntaxe anglaise). Il a constat que le traducteur avait tendance ne pas suivre exactement le texte original, remplacer le pluriel dun mot par le singulier ou vice-versa, et transformer les adjectifs en substantifs, les pronoms en articles mme si le systme de la LC nimposait pas de contraintes en ce sens. Dans sa traduction, Chateaubriand a vit, dans la mesure du possible, les termes trop juridiques ou institutionnels prsents dans luvre de Milton. De mme, il a cr des nologismes, il a d respecter

parfois les mots horribles et les mots communs quand la langue de Milton jouait sur des registres diffrents; il a procd lexplicitation, l'toffement du texte, quand la diffrence entre les deux cultures empchait la comprhension dun mot en franais. la place des mots vagues (tels qu'assemble, emblmes, conseils, rappels) il a prfr des termes sens plein (comme synodes, mmoriaux, conciles). Selon lui, la plus grande difficult a t de se plier aux exigences du pentamtre anglais parsem de fragments de prose (qui avait laiss des traces dans luvre des romantiques anglais comme Scott, Coleridge, Shelley, Byron, Keats). Chateaubriand explique lui-mme sa dmarche, tout en dcrivant leffort de son entreprise:Ce quil ma fallu de travail pour arriver ce rsultat, pour drouler une longue phrase dune manire lucide sans hacher le style, pour arrter les priodes sur la mme chute, la mme mesure, la mme harmonie; ce quil ma fallu de travail pour tout cela ne peut se dire. (apud Oseki-Dpr, 1999 : 49)

Mme si Chateaubriand a pratiqu une traduction littrale, respectant le TS et nessayant pas de rendre lobscur intelligible ni les descriptions apocalyptiques ou la langue des prophtes, son mrite est davoir traduit Milton selon deux dimensions lune religieuse et lautre latinisante car langlais de Milton tait un anglais latinis, plein dablatifs absolus ou dexpressions la Snque ou Virgile. Modeste, il a considr ncessaire de sexcuser devant ses lecteurs pour les ventuelles erreurs de traduction:Un traducteur na droit a aucune gloire; il faut seulement quil montre quil a t patient, docile et laborieux. Si jai eu le bonheur de faire connatre Milton la France, je ne

me plaindrai pas des fatigues que ma causes lexcs de ces tudes. (apud Oseki-Dpr, 1999 : 53)

Ses mrites de traducteur ont t beaucoup apprcis par Antoine Berman conscient du fait que Chateaubriand a rompu avec la traduction ethnocentrique et hypertextuelle, trs la mode pendant le classicisme franais :Sa traduction est pour nous (indpendamment de ses limites) exemplaire, d'abord parce qu'elle a t accomplie partir d'une matrise absolue de la langue maternelle (cultive). Elle nous a fourni, nous, Franais, un exemple de "volte" hlderlinienne sur notre propre sol. Il ne s'agit pas ici de "recration" gniale ou dsinvolte comme chez Nerval ou Beaudelaire. Mais d'un difficile et ingrat travail sur la terre, pratiquement inexistant, en France, son poque. (Berman, 1985 : 109)

3.2.2.2. Thories descriptives linguistiques, stylistiques et contrastivesAu XX-me sicle, lintrt pour la linguistique et pour les sciences humaines a donn un nouvel essor ltude et la comparaison des traductions. partir de 1950 on enregistre toute une varit d'approches linguistiques dans l'analyse de la traduction, dont le rsultat est le dveloppement des taxonomies, qui sefforcent de cerner le domaine de la traduction et de ses procds spcifiques. Les modles les plus reprsentatifs sont ceux qui sont proposs par Vinay et Darbelnet dans leur Stylistique compare du franais et de l'anglais (1958), par Catford dans A Linguistic Theory of Translation (1965) et par van Leuven-Zwart dans Translation and original: similarities and dissimilarities I and II (1989, 1990).

cela s'ajoutent les tudes contrastives sur le systme franco-anglais de Guillemin-Flescher (Syntaxe compare du franais et de l'anglais. Problmes de traduction, 1981), de Ballard (La traduction de l'anglais au franais, 1987) et de Chuquet & Paillard (Approche linguistique des problmes de traduction anglais franais, 1989). En effet, la traduction comme processus, qui permet de passer d'une langue une autre, offre l'occasion de mettre en prsence les deux codes en question et comparer les systmes linguistiques concerns. On prend ainsi conscience des ressemblances et des dissemblances qui existent dans la faon dont les langues apprhendent la ralit et l'expriment par des mots, et pourquoi le passage d'un code linguistique un autre est un phnomne complexe, qui implique plusieurs paramtres, non seulement linguistiques, mais aussi bien pragmatiques et culturels. Donc, ces thories amnent approfondir lanalyse comparative (contrastive) de deux ou plusieurs langues, tant du point de vue linguistique, que du point de vue de la socit reflte par lacte de traduction. La plupart de ces livres sont conus sous forme de manuels, qui intgrent des observations sur la stylistique compare et sur les concepts linguistiques les plus susceptibles d'clairer la pratique intuitive de la traduction. Ils prennent en compte les diffrences de stratgies employes lors du passage d'une langue l'autre et s'appuient, dans une large mesure, sur des textes authentiques, fait qui facilite la comparaison et mme le jugement de valeur sur l'emploi plus normal d'une structure plutt que d'une autre. Ils peuvent galement servir de support de cours dans le cadre d'un tablissement d'enseignement (suprieur) ou l'usage individuel, tous les intresss pouvant,

aprs les avoir consults, parfaire leurs connaissances en langues trangres. 3.2.2.2.1. Darbelnet L'analyse comparative : Vinay et

Lanalyse effectue par les deux auteurs canadiens Vinay et Darbelnet est fonde sur la division du texte en units de traduction, dfinies comme les plus petits segments de l'nonc dont la cohsion de signes est telle qu'ils ne doivent pas tre traduits sparment. Le fondement de la thorie de Vinay et de Darbelnet repose sur la distinction entre les procds directs (emprunt, calque et traduction mot mot) et les procds indirects ou obliques de traduction (transposition, modulation, quivalence et adaptation). Nous n'insisterons pas ici sur ces points, qui ont dj fait l'objet d'une analyse plus pousse dans notre ouvrage Thorie et pratique de la traduction de 2005. En fait, le trait de stylistique compare envisage surtout un but pdagogique, voulant mettre en place un systme de procds de traduction viables, qui s'adresse aux enseigns, mais qui s'avre tre trs profitable aussi pour les traducteurs professionnels. Malgr le fait que l'analyse est base seulement sur la comparaison du franais et de l'anglais, leur tude a eu un impact considrable sur d'autres paires de langues, telles que le franais et l'allemand ou l'espagnol (par exemple, La stylistique compare du franais et de l'espagnol de Malblanc et les thories sur la traduction de Vsquez-Ayora Introduccin a la traductologa, 1977 et de Garca Yebra Teora y prctica de la traduccin, 1982).

3.2.2.2.2. Dans son livre Les problmes thoriques de la traduction, paru en 1963, Georges Mounin essaie de donner une rponse la question que les traducteurs se posaient depuis des sicles: la traduction est-elle possible? Si la rponse est ngative, alors on se retrouve dans une espce de paradoxe la fois difficile dmontrer, mais aussi rfuter, puisque l'on a traduit depuis les temps les plus reculs ( noter que, lui non plus, il n'a chapp ce dbat et que parfois, il a considr aussi les traductions comme de belles infidles). Par contre, si la rponse est positive, elle ne doit pourtant pas tre trop optimiste: la traduction, par elle mme, soulve toute une srie de problmes et impose une attitude scientifique de la part du traducteur. Mounin prend position contre la conviction nave que la communication linguistique et, par consquent, la communication inter-linguistique reprsente une facult inne, une proprit ou une caractristique de tous les hommes, comme la vue ou l'oue. Il est nanmoins vrai que la traduction est possible grce aux universaux de langage et un systme de rgles d'agencement des mots dans les propositions et dans les phrases. Ces rgles peuvent tre assez rapproches (par exemple dans le cas des langues qui ont une origine commune: les langues romanes ou les langues germaniques). Aprs avoir pass en revue les thories qui ont marqu un tournant dans le dveloppement de la linguistique du XIX-me et du dbut du XX-me - le signifiant et le signifi de Saussure, le concept de valeur du signe linguistique, la notion de sens dans le descriptivisme amricain reli la situation de communication, les deux notions de substance et de forme (de l'expression et du contenu) de la thorie du signe linguistique de Hjelmslev, la thorie des

champs smantiques de Trier, celle de la diversit des visions du monde (l'hypothse de Sapir-Whorf, qui reprend et continue celle de Humboldt), des civilisations multiples et tanches les unes aux autres (Whorf, Nida) - il conclut que:Chaque langue contient, prfabrique, impose ses locuteurs une certaine manire de regarder le monde, d'analyser l'exprience que nous avons du monde. Par consquent, les phnomnes publiquement observables, la situation commune, apparemment semblables en deux langues, que dsignent deux noncs linguistiques, ne peuvent pas servir de commune mesure immdiate ces deux noncs : le locuteur mongol et le locuteur japonais qui parlent d'un puits, d'une table, de l'action de poser, ne regardent pas dans les situations correspondantes les mmes traits distinctifs, ne caractrisent pas ces situations par les mmes traits pertinents. (Mounin, 1963 : 272)

Il considre que la volont de justifier la pratique de la traduction a conduit les dfenseurs de la possibilit de traduire soit ignorer, soit minimiser l'extrme les faits expliqus et dmontrs par la linguistique moderne. Il estime qu'une thorie correcte de la possibilit de traduire implique une reconnaissance des conqutes de la linguistique moderne. Il s'avre tre optimiste dans l'ide qu'une thorie de la traduction est possible dans la mesure o l'on russit analyser, comprendre et intgrer tous les phnomnes qui visent la transmission d'un message d'une langue l'autre. Si nous voulons comprendre pourquoi et comment la traduction reste possible, il nous faut donc d'abord accepter dans son entiret ce fait, qu'une langue nous oblige voir le monde d'une certaine manire, et nous empche par consquent de le voir d'autres manires.

Il nous faut admettre pleinement le fait que la langue change moins vite que l'exprience du monde (ce qui explique la rsistance du lexique la structuration); que les changements de l'exprience humaine ne se rpercutent pas automatiquement dans la langue (ce qui explique pourquoi nous continuons dire que le soleil se lve). La diachronie de l'exprience que les hommes acquirent du monde ne se reflte pas dans la diachronie linguistique: le lexique des couleurs en maintes langues reflte autant et plus que l'exprience des locuteurs actuels, celle de locuteurs lointains dans le pass, dont les classements de couleurs refltaient l'explication qu'ils donnaient physiquement, mtaphysiquement, religieusement, du phnomne de la couleur. (Mounin, 1963 : 273) Grce aux thories linguistiques contemporaines lui, qu'il a tudies et dont il s'est beaucoup inspir, il conclut que la traduction est possible et que son succs dpend des niveaux de la communication qu'elle atteint. 3.2.2.2.3. Avec Ladmiral (Thormes pour la traduction, 1979, rdit en 1994) les aspects linguistique et pdagogique de la traduction deviennent les composantes les plus importantes dans lacte de traduire. Dans le monde moderne la traduction est partout, mais dans notre univers en voie de bablisation on oublie souvent que la traduction n'est pas l'original, qu'elle est l'uvre d'un traducteur. Dans son livre, Ladmiral rflchit non seulement sur la production et sur la rception de la traduction, mais aussi sur le statut de cette discipline et sur les concepts qu'elle vhicule. son avis, la nouvelle science qui s'occupe de l'tude des traductions et qu'il appelle traductologie peut tre enseigne et dcrite par la

comparaison de plusieurs variantes du mme texte; on peut mme en mettre des jugements de valeur. Il se pose aussi le problme de la traductibilit, qui, pour lui, est li dabord aux barrires dordre linguistique et ensuite celles dordre culturel (psychosocio-ethnologiques); cest surtout les dernires qui font problme au traducteur, parce que la faon de traduire la culture dun autre peuple et les ralits extralinguistiques soulve aussi le problme de la rception dans la LC. En ce sens, Ladmiral mentionne des noms de plantes, danimaux, de saisons et de phnomnes mtorologiques (la neige pour les Esquimaux /vs./ pour les nomades du dsert). Les diffrences qui existent entre les langues, la faon diverse de dcouper la ralit environnante, le manque de correspondant direct pour exprimer une ralit dans une langue par rapport une autre, mnent une conclusion plutt pessimiste: limpossibilit (au moins thorique) de traduire. Nanmoins, le fait quil y a des universaux linguistiques et des dnominateurs communs rend possible le passage dune ralit linguistique une autre (et, le cas chant, dune culture une autre); et cela apporte des arguments solides aux tenants de la possibilit de tout traduire, parce que tout peut tre expliqu ou paraphras. Mais, sous quelque aspect que l'on envisage la traduction, elle reste un procd de passage par le sens, de transfert de sens d'une langue l'autre. Pour Ladmiral la traductologie reste avant tout une discipline rflexive, puisquelle met la disposition du praticien et du thoricien de la discipline en cause un discours mta-thorique, d'une pistmologie de la traduction.

[] j'ai souvent dfini la traductologie comme une praxologie c'est--dire comme une science de la pratique, pour la pratique, d'o mon titre Traduire: thormes pour la traduction ; et quand j'insiste maintenant sur l'ide que c'est une discipline rflexive, ce n'est pas une contradiction. Paradoxalement, la pratique de la traduction a le singulier pouvoir de nous aveugler sur elle-mme, et sur tout ce que par ailleurs nous savons pertinemment. Une part importante, essentielle, du travail traductologique ira dsambiguser les concepts. (Ladmiral, 1979/1994 : xviii)

Cette rflexivit vise d'abord dsambiguser les concepts employs, leur trouver des dfinitions qui ne soient pas des tautologies. Il part du concept mme de traduction dfinie comme[] produit du texte cible smantiquement, stylistiquement, potiquement, rythmiquement, culturellement, pragmatiquement... quivalent au texte source. En effet, le concept d'quivalence n'est finalement ici qu'un synonyme de celui de traduction; [...] il nous apprend seulement que la traduction est une traduction! Si l'on se tourne maintenant vers les controverses qui touchent les traductions, on verra qu'en rgle gnrale ceux qui critiquent une traduction le font en reprochant au traducteur de s'tre cart du texte original: comme si la traduction se trouvait inconsciemment dfinie en termes d'identit. (Ladmiral, 1979/1994 : xix)

Voil pourquoi, aprs avoir examin plusieurs aspects et paramtres qu'on doit prendre en considration dans la dfinition de la traduction, il s'arrte la suivante, plus complte:La traduction est une mta-communication qui prend pour objet la langue-source (mais aussi, dans un second temps, la langue-cible), en la restituant dans un cadre plus large o elle n'est qu'un lment parmi d'autres et o

interviennent aussi l'autre langue prcisment, les conditions spcifiques de la double nonciation qui prsident l'laboration d'une traduction, ses conditions de production, les prsuppositions culturelles (de la culture-source et de la culture-cible), etc. (Ladmiral, 1979/1994 : 148)

Mais Ladmiral ne nglige pas non plus le rle productif de la traductologie, dans ce sens qu'elle sert de remde aux difficults de la traduction. Elle vise en effet dbloquer psychologiquement le traducteur, oblig de tenir compte de contraintes multiples (langagires, stylistiques, pragmatiques, culturelles, etc.), parfois contradictoires qui apparaissent entre les langues dans le processus traductif. Il s'efforce de mettre sur pied une culture traductologique, qui, dit-il, sert mieux celui qui fait ce travail rflexif qu'est la traduction. Le mrite de Ladmiral est d'avoir russi crer une thorie partir de sa propre pratique de traducteur. Avec le ralisme d'un praticien qui ne cde pas au prestige de la construction spculative, il accepte de s'en tenir une thorie en miettes ou plurielle, des thormes pour la traduction qui conceptualisent, pour traduire effectivement.

3.2.2.2.4. Thories sur l'quivalenceComme on a dj vu dans les tudes comparatistes, le concept d'quivalence a un rle trs important dans la traduction. Le fait d'avoir t employ par divers linguistes et thoriciens appartenant diffrents courants entrane parfois des ambiguts dues aux acceptions avec lesquelles il a t vhicul. Nous ne nous proposons pas de passer en revue toutes les dfinitions donnes ce terme. Aprs l'avoir mentionn

dans le cadre strict du trait de stylistique compare de Vinay et de Darbelnet, nous le discuterons uniquement dans l'acception de Jakobson, de Catford, de Nida, de Newmark, de Koller et de Reiss. 3.2.2.2.4.1. Jakobson quivalences dnotatives et oppose ainsi la dnotation dnotation est l'lment analysable hors du discours, unit lexicale, tandis que constitue par des lments selon les contextes. distingue entre les celles connotatives. Il la connotation. La stable, non subjectif, de la signification d'une la connotation est subjectifs ou variables,

Par exemple, nuit, dfinissable de faon stable comme oppos de jour, comme intervalle entre le coucher et le lever du soleil, etc. (dnotation), comporte aussi, pour certains locuteurs ou dans certains contextes, la connotation tristesse, deuil, etc. Rouge dnotant une couleur, et en particulier une certaine gamme de vibrations lumineuses parmi d'autres, connote, dans certains contextes, le danger. (Dubois, 1994 : 135)

Les quivalences qui apparaissent dans une traduction d'une LS vers une LC, sont dues, de lavis de Jakobson, la distinction qui s'tablit entre sens linguistique (linguistic meaning) et quivalence (equivalence). Le point de dpart de sa thorie sur l'quivalence est constitu par la dichotomie saussurienne entre le signifiant (Sa) et le signifi (S). Le caractre arbitraire et immotiv de la relation Sa + S qui forme le signe linguistique est facilement observable dans toutes les langues. Malgr le fait qu'une notion / un concept est nomm par un mot diffrent, elle / il signifie la mme chose:

Fr. cheval; It. cavallo; Esp. caballo; R. cal; A. horse; All. Pferd.

Il arrive qu'un certain mot n'voque pas la mme ralit extralinguistique. L'exemple que Jakobson prend est le mot anglais cheese qui n'est pas un vritable quivalent du mot russe syr, puisque there is ordinarily no full equivalence between code-units (Jakobson, 1959/2000 : 114). Pour rendre l'ide de produit laitier obtenu par la fermentation du caill, qui a t press on a, en anglais aussi, une unit lexicale quivalente, cottage cheese.4 Pour cheese, le russe dispose d'un autre terme, tvarok. Jakobson conclut que le champ smantique d'un concept soulve des difficults de transcodage dans une autre langue, parce qu'il y a des diffrences entre les termes qui forment le champ en question. Dterminer un champ en linguistique, c'est chercher dgager la structure d'un domaine donn ou en proposer une structuration. Les premires tentatives de dlimitation de champs (Trier, Ipsen, Porzig) portent en fait sur des champs conceptuels (par ex., le champ des4

Le correspondant de cottage cheese serait en roumain brnz de vaci. On pourrait essayer dtablir le champ smantique du mot roumain brnz, form des termes suivants : brnz de vaci, brnz de oaie, brnz de capr, brnz de burduf, brnz topit, urd, cacaval, etc., dont les quivalents franais seraient : fromage blanc (au lait de vache, de chvre ou de brebis), fromage la crme, fromage ferment patte molle/dure/presse et persille/presse et chauffe/presse et cuite, fromage de brebis, fromage de chvre, fromage fondu, etc. En anglais (Dictionnaire Webster de synonymes) on aura: cheese, American appetitoast, mild, (aged) cheddar, creamed cottage, cream cheese, hand, jack, smearcase, etc). Normalement, dans une traduction, pour la notion de brnz de capr le traducteur utilisera la marque d'un certain type de ce fromage procd mtonymique: R: n fiecare sear mncau brnz de capr cu pine neagr. F: Chaque soir, ils prenaient au dner du chabichou / du cabcou / de la tome de chvre / du Loiret avec du pain bis.

noms dsignant la connaissance). Le terme reste ambigu, puisqu'on pourra envisager le champ smantique d'un mot, le champ lexical d'une famille de mots ou le champ lexical d'une ralit extrieure la langue. Par exemple, on pourra tenter d'tablir le champ smantique du mot pre, le champ lexical des mots pre, mre, frre, soeur, le champ lexical de la parent (voir Dubois, 1994: 81). Pour Jakobson le rle du traducteur est de recoder et de transmettre le message reu d'une autre source; ainsi, la traduction implique l'existence de deux messages quivalents qui se trouvent dans deux codes diffrents. Pour que le message de la LS soit quivalent celui de la LC, les units linguistiques (code-units) des deux langues seront diffrentes, puisqu'elles appartiennent deux systmes de signes distincts, qui dcoupent la ralit environnante de faon diffrente. Selon Jakobson Equivalence in difference is the cardinal problem of language and the pivotal concern of linguistics. Les diffrences entre les langues se situent selon lui, entre ce qu'elles doivent et non pas entre ce qu'elles peuvent exprimer. Ainsi, ce qui peut tre considr comme un trait distinctif, pertinent, peut ne pas l'tre dans une autre langue5. En particulier Jakobson remarque qu'entre les langues il y a des diffrences situes des niveaux diffrents: au niveau grammatical (les genres des noms sont diffrents: maison est fminin dans les langues5

Par exemple, l'expression du sujet pronominal qui est facultative en roumain, parce que d'habitude c'est le verbe qui se charge de spcifier, au niveau de la dsinence verbale, le nombre et la personne de l'Agent; en franais et en anglais, sauf quelques rares cas, son expression est obligatoire : R: Plecm mine diminea la ora 9. Fr: Nous partons demain matin 9 heures. A: We are leaving at 9 o'clock tomorrow morning.

romanes, neutre en anglais et en allemand; miel est masculin en franais, italien et allemand, fminin en espagnol et neutre en anglais. De mme, il observe que l'aspect reprsente une catgorie grammaticale lexicalise en russe, qui dispose soit daffixes spcifiques, soit de lexmes diffrents pour marquer l'accomplissement ou l'inaccomplissement d'une action); au niveau smantique, dans le cadre du champ d'une notion, les langues peuvent se comporter diffremment. Il prend pour exemple le mot allemand Geschwister, qui n'a pas de correspondant en anglais ou en franais, langues qui se servent d'un quivalent brothers and sisters et frres et soeurs. Le verbe tre, dont les correspondants anglais et allemand sont respectivement be et sein, prsente deux formes en espagnol (ser et estar) mais n'a aucune forme explicite en russe, pour le prsent. Nous pourrions ajouter aussi que le mot roumain cuscri, dsignant la relation de parent entre les parents du mari et de la femme n'a pas, non plus, de correspondant en franais ou en anglais; langlais se servira d'un gnrique tel qu'inlaws. En dpit des carts qui existent entre les langues dans la faon d'exprimer une certaine notion, toute langue dispose d'un moyen propre pour le dire d'une manire ou d'une autre. Donc, la communication entre les langues est toujours possible, mme si pour cela il faut faire appel des dtours et des priphrases. Seule la posie est intraduisible de l'avis de Jakobson, car, pour rendre les similarits phontiques et les relations smantiques entre le texte de dpart et celui d'arrive, elle demande une transposition crative.

3.2.2.2.4.2. Catford fait la premire synthse des faits observs linguistiquement dans la traduction et remarque le fait que l'quivalence textuelle ne se ralise jamais par une traduction littrale, par des correspondances (mot mot), mais par un dcoupage diffrent de la ralit, effectu sur le plan lexical, syntaxique et parfois pragmatique. Il prend pour modle Firth et Halliday et analyse la langue comme moyen de communication, oprant diffrents niveaux (phonologique, graphique, grammatical et lexical) et sur des units de longueurs diffrentes (phrase, proposition, syntagme, mot, morphme). La distinction qu'il fait entre quivalences (comme correspondances indites qui s'tablissent au niveau du texte) et correspondances (tablies par rapport aux mots ou aux syntagmes d'une phrase) sera reprise ultrieurement et dveloppe par Koller, qui distingue entre plusieurs types d'quivalences: quivalences dnotatives, connotatives, normatives, pragmatiques ou formelles. Catford rejoint Katharina Reiss pour la dfinition de l'quivalence optimale et Nida pour celle de l'quivalence dynamique.A formal correspondent is any TL6 category (unit, class, element of structure, etc.) which can be said to occupy, as nearly as possible, the same place in the economy of the TL as the given SL category occupies in the SL [...] and a textual equivalent is any TL text or portion of text which is observed on a particular occasion... to be the equivalent of a given SL text or portion of text. (Catford, 1965 : 27)

Autrement dit, l'quivalence textuelle est lie une paire particulire forme d'un TS et d'un TC, tandis que l'quivalence formelle apparat comme un conceptT[arget] L[anguage] = L[angue] C[ible] ; S[ource] L[anguage] = L[angue] S[ource].6

plus gnral, tabli entre le systme linguistique de deux langues. Quand le systme des deux langues est divergent, on doit faire appel une transformation (appele shift dans la thorie de Catford et dfinie comme a departure from formal correspondence in the process of going from the changement SL to the TL (Catford, 2000 : 141). Dans le processus de traduction Catford considre qu'il y a deux types de transformations: the level shifts visent la possibilit de rendre des valeurs temporelles ou aspectuelles grammaticalises dans la langue-source par des items lexicaux dans la langue-cible; en ce sens, il se sert d'un exemple du russe o l'aspect est marqu au niveau du verbe par un affixe (igrat /vs./ sigrat)7, rendu en anglais par un couple de verbes, dont le second a une valeur aspectuelle marquant la fin de l'action verbale (to play /vs./ to finish playing). De mme, le conditionnel franais est rendu parfois en anglais par un item lexical spcifique : trois touristes auraient t tus = "three tourists have been reported killed". the category shifts visent les autres diffrences qui existent entre les langues, que nous illustrons par des exemples des langues que nous connaissons : par exemple une diffrence d'actancialisation dans le passage de la langue-source la langue-cible. En anglais, tout comme en franais, les verbes to like = "aimer" choisissent en position de sujet un Exprienceur8: I like jazz / J'aime le jazz, tandis queLe russe dispose de couples de verbes, donc on peut dire que le systme de l'aspect est en mme temps grammaticalis et lexicalis: igrat s'oppose sigrat et doigrat. 8 Dans la grammaire des cas (variante Fillmore), l'Exprienceur / Experiencer est l'entit qui reoit, accepte, exprimente ou subit l'effet d'une action ou d'un tat. C'est le cas caractristique des verbes d'exprience subjective, dont le sujet est ncessairement affect du trait7

l'Exprienceur est un objet indirect en italien, espagnol ou en roumain: Mi piace el jazz / Me gusta el jazz. / mi place jazzul; des modifications dans la catgorie du nombre des noms: en franais, en anglais et en allemand l'argent, (the) money et das Geld sont du singulier, tandis qu'en roumain le nom banii prend la marque du pluriel; l'article: en franais on dit Il a la jambe casse, en anglais He has a broken leg; la relation dtermin-dterminant qui impose parfois le changement de la classe grammaticale: (A adjectif: a medical student; Fr. nom: un tudiant en mdecine) etc. D'une importance particulire est l'affirmation de Catford qui estime que l'quivalence dpend des traits du texte, dont les plus importants seraient le type et la fonction du texte, sa pertinence, la culture dont il est le produit, traits qui compteraient plus que les critres formels, linguistiques. En dpit de ses qualits, le livre de Catford a suscit des critiques justifies: ses exemples sont dcontextualiss et, tout en prnant son importance pour tablir correctement les quivalences entre le texte original et sa variante traduite, il nglige l'approche globale du texte et le co-texte9.Despite the steps taken by Catford to consider the communicative function of the SL item and despite the basis of his terminology being founded on a functional approach to language, the main criticism of Catford's book is that his examples are almost all idealized (i.e. invented and not taken from actual translation) and decontextualized. He never looks at whole texts, nor even above the level of the sentence. (Munday, 2001 : 62)[+anim]. 9 Le co-texte est l'environnement linguistique interne du texte.

3.2.2.2.4.3. Nida tire profit de son activit de traducteur de la Bible et s'efforce de trouver les principes de base de la traduction comme science. Il publie en 1960 Toward a Science of Translation, et en 1969, avec Taber, The Theory and Practice of Translation. La thorie qu'il dveloppe porte l'empreinte de l'influence de la Grammaire Gnrative et Transformationnelle (modle Chomsky 1957 et 1965). Tout comme Chomsky, il considre que les phrases d'une langue peuvent s'analyser en fonction de certains niveaux qui sont gouverns par certains types de rgles. Toute phrase est forme d'une structure profonde (deep structure) sur laquelle agissent des rgles transformationnelles, qui sont de nature syntaxique, dont le rsultat est l'obtention d'une structure superficielle (surface structure), qui, son tour, subit l'action des rgles phonologiques et morphmiques. Chomsky considrait que ces rgles avaient un caractre universel et qu' partir d'un nombre rduit de mots on pouvait gnrer une infinit de phrases. C'est sur le noyau de ces phrases simples, actives, dclaratives qu'on applique les transformations, dans un ordre bien tabli, pour les convertir en phrases interrogatives, passives, impersonnelles, relatives, etc. Comme Nida veut faire de la traduction une science, il s'efforce de mettre la disposition du traducteur une technique pour dcoder le TS et une procdure suivre pour l'encoder ensuite, afin d'obtenir le TC. La diffrence entre Chomsky et Nida est que celui-ci inverse le modle d'analyse chomskyen (Nida, 1964a: 60). Ainsi, la structure superficielle du TS est-elle analyse en terme d'lments de base de la structure profonde, qui sont ensuite transfrs dans le

processus de traduction et ensuite restructurs smantiquement et stylistiquement pour obtenir la structure superficielle du TC. L'avantage voulu de cette technique est d'offrir une mthode de travail capable de fournir une liste complte d'quivalences entre des paires spcifiques du systme linguistique de la LS et de la LC. Pour Nida, comme pour Chomsky d'ailleurs,[] kernels are the basic structural elements out of which language builds its elaborate surface structures. (Nida & Taber, 1969 : 39)

Ces noyaux (kernels) reprsentent les niveaux auxquels le message est transfr dans la LC avant d'tre transform en structure superficielle. Cette transformation vise trois tapes de transferts: littral, minimal et littraire. Le transfert littral vise la recherche des correspondances des mots du texte original (niveau langue). Le transfert minimal vise une mise en correspondance au niveau de la parole (comme s'il s'agissait d'une traduction linguistique, des fins didactiques). Finalement, le transfert littraire vise une mise en quivalence des deux phrases au niveau du texte (traduction interprtative). titre d'exemple, nous illustrerons les trois tapes de la thorie de Nida sur la phrase suivante: That very day he discovered his wife's betrayal. I. le transfert littral: celui-l, mme, jour, il, a dcouvert, sa, de la femme, trahison. II. le transfert minimal: Ce mme jour il a dcouvert la trahison de sa femme.

III. le transfert littraire: Ce jour-l il dcouvrit la trahison de sa femme. Son but est de donner une dfinition fonctionnelle de la signification (meaning), dans le cas o le mot acquerrait une certaine signification par rapport au contexte o il est employ; la consquence en est que le mot correspondant peut avoir des significations diffrentes, sensibles l'influence culturelle de chaque peuple / langue. Nous illustrerons ses affirmations par l'exemple du mot anglais goat (chvre), qui peut tre pris dans son sens propre pour dsigner l'animal de sexe masculin ou fminin:A: There was a shepherd with three goats and ten sheep. Fr: C'tait un berger avec trois chvres et dix moutons. A: Is this a he or a she-goat? Fr: Est-ce un mle ou une femelle?

Dans d'autres contextes, il s'emploie dans le sens figur et alors il ne dsigne plus le monde animal, mais, par mtaphore, lhumain (libidineux):A: Oh, you've seen my dear, this Mike is a real he-goat !... Fr: T'as vu, ma chrie, un vrai bouc, ce Michel !...

Remarquons que le sens de bouc est diffrent en franais, qui nassocie pas lanimal avec le satyre, mais avec la mauvaise odeur ou avec lagressivit. Dans les deux langues compares, le mot respectif peut avoir aussi d'autres significations. Par exemple, en anglais, crit avec une majuscule the Goat signifie le signe zodiacal du Capricorne, tandis qu'en franais le bouc dsigne aussi une forme spciale de barbe (la barbiche, l'impriale). En anglais, lquivalent de barbiche est un driv de goat, savoir, a goatee.

Par voie de consquence, Nida distingue entre trois types de significations : la signification linguistique (base sur le modle de Chomsky) ; la signification rfrentielle (le sens dnotatif du mot, celui du dictionnaire) ; la signification motive (le sens connotatif). Pour Nida il est important de faire la distinction entre les trois types de significations, car la diffrence qu'on tablit oriente vers lun des deux types de traduction : traduction base sur des quivalences formelles ou traduction base sur des quivalences dynamiques. Si les premires visent le message en soi, sous l'aspect de la forme et de son contenu, les secondes mettent au premier plan la relation entre le message et son/ses rcepteur(s), relation qui doit tre identique dans la LS que dans la LC (Nida, 1964 : 159). L'quivalence formelle se concentre sur la structure du TS: il sagit de bien comprendre le message et doffrir un accs la fois la langue et aux coutumes de la culture source. C'est une traduction-exgse, avec beaucoup d'explications et de notes en bas de page, pratique surtout dans les milieux acadmiques, pour former et instruire les tudiants et les habituer aux exigences de la vraie traduction. Dans le cas de l'quivalence dynamique, le message doit tre faonn selon les ncessits linguistiques du rcepteur et des ses attentes culturelles, son but tant d'atteindre the closest natural equivalent to the source-language message (Nida, 1964 : 166, Nida & Taber, 1969 : 12). Pour obtenir ce caractre naturel, l'approche oriente vers le rcepteur prend en considration toutes les possibilits d'adaptation de la grammaire, du lexique et de rfrences culturelles du TS. Le texte traduit ne doit pas sentir la traduction, il ne doit subir aucune

influence des structures pratiques dans le TS. Pour Nida, une traduction russie doit rpondre quatre exigences: elle doit avoir du sens; elle doit respecter l'esprit et le style de l'original; elle doit disposer d'une forme aise et naturelle d'expression; elle doit produire un effet similaire dans la LC, que dans la LS. Mme si la traduction scientifique de Nida a eu parfois des exigences trop grandes pour tre respectes par les traducteurs et si elle a suscit beaucoup de critiques l'poque (de la part de Lefevere, Larose, Gentzler, etc.), elle a influenc les thoriciens de la traduction, comme Newmark en Angleterre et Koller en Allemagne. 3.2.2.2.4.4. Newmark pose les bases de la traduction smantique et communicative. Dans ses deux ouvrages Approaches on Translation (1981) et A Textbook of Translation (1988), qui constituent une sorte de guide l'usage des jeunes traducteurs, pleins d'exemples pratiques et de solutions toutes faites de traduction surtout dans le domaine de la signification, il dfinit et applique les deux formes de traductions.Communicative translation attempts to produce on its reader an effect as close as possible to that obtained on the readers of the original. Semantic translation attempts to render, as closely as semantic and syntactic structures of the second language allow, the exact contextual meaning of the original. (Newmark, 1981 : 39)

On peut se rendre compte que pour Newmark, la traduction communicative est ce que Nida appelle l'quivalence dynamique. Dans les deux cas le but est d'obtenir sur le lecteur du TC, un effet identique celui qui est produit sur le lecteur du TS. Mais Newmark nidentifie pas la traduction smantique et la traduction littrale, mme si les deux peuvent respecter et suivre de prs le TS; il accorde une place importante la traduction littrale, qui interprte et explique certaines figures de style, et en particulier la mtaphore. son avis, c'est par la traduction littraire qu'on accde la traduction communicative et la traduction smantique. En effet, comme Levy ou Toury, il considre que le traducteur doit se concentrer surtout sur les parties du texte qui renferment des problmes rels de traduction et ne pas trop se soucier des fragments o la traduction littrale (mot mot) est tout fait normale et admise.In communicative as in semantic translation, provided that equivalent effect is secured, the literal word-for-word translation is not only the best, it is the only valid method of translation. (Newmark, 1981 : 39)

Quand l'effet produit n'est pas le mme, alors il conseille au traducteur d'opter pour la traduction communicative, qui doit l'emporter sur la traduction smantique. L'exemple qu'il donne en ce sens est le syntagme allemand bissiger (vient de beissen mordre) Hund (chien mchant) qui doit tre traduit par le procd communicatif en anglais beware the dog! pour faire passer le message, et non pas par le procd smantique, comme bad dog or dog that bites.

La thorie de Newmark se distingue de celle de Nida, surtout parce que Newmark se rend compte du succs illusoire des effets de l'quivalence et du fait que[] the conflict of loyalties, the gap between emphasis on source and target language will always remain as the overriding problem of translation theory and practice. (Newmark, 1981 : 38)

Cet effet devient inoprant lorsqu'une longue priode spare, dans le temps et dans l'espace, le TS et le TC. Il illustre son affirmation par la traduction contemporaine du texte de Homre, dans une langue moderne quelconque: quelle que soit la mthode employe par le traducteur des temps modernes, il n'arrivera jamais obtenir un effet quivalent celui obtenu par le texte homrien sur l'auditoire de la Grce ancienne. Mme si la thorie de Newmark offre parfois un instrument possible d'analyse d'une traduction, elle est trop prescriptive, et l'valuation qu'il fait porte l'empreinte de ce qu'il appelle prelinguistic era dans les tudes de traductologie: les traductions peuvent tre compltes et dun style coulant, ou gauches, maladroites, tandis que la traduction en elle-mme est un art, si elle est smantique, et un mtier si elle est communicative. Sur le terrain allemand, la thorie de Nida a eu un grand cho, le terme gnrique employ pour les tudes sur la traduction tant bersetzungwissenschaft. Parmi ses disciples on peut citer Wolfram Wills (de l'Universit de Saarlanders), Otto Kade et Albert Neuber (de Leipzig) ; mais le plus connu est Werner Koller (qui a enseign Heidelberg et Bergen).

3.2.2.2.4.5. Dans son uvre capitale Einfhrung in die bersetzungwissenschaft (1979) / Research into the science of translation, Koller reprend la distinction entre l'quivalence et la correspondance. Selon lui, la correspondance relve plutt de la linguistique contrastive, parce qu'elle apparat au moment o l'on compare deux systmes lexicaux, grammaticaux ou smantiques appartenant des langues diffrentes, entre lesquels il y a des convergences et des divergences. La comparaison se fait au niveau langue (dans le sens donn par Saussure). Cette comparaison permet d'identifier les faux amis et les interfrences. Ceux-ci peuvent apparatre diffrents niveaux: lexical, morphologique, syntaxique ou smantique. L'quivalence a pour rle de relier, dans des langues diffrentes, des paires d'items quivalents, apparaissant dans un contexte comparable. C'est le paramtre de la parole saussurienne. Pour Koller, les correspondances relvent de la comptence linguistique, alors que les quivalences sont un indice de la comptence en traduction. Cette comptence de traduction semble difficile acqurir puisque Koller relve cinq types d'quivalences dans l'acte de traduction: l'quivalence dnotative qui vise les quivalences extralingusitiques qui existent dans un texte (appeles aussi invariants de contenus); l'quivalence connotative, relie au choix opr dans le plan lexical, surtout quand il s'agit de slectionner une unit dans une srie synonymique. Koller emploie aussi le terme d'quivalence stylistique pour rfrer cette situation;

l'quivalence normative, qui relve du type de texte, car chacun a ses particularits (il rejoint, dans cette formulation, la thorie de la typologie des textes de Katharina Reiss); l'quivalence pragmatique ou communicative est celle oriente vers le destinataire du texte ou du message. Cette notion recouvre exactement celle d'quivalence dynamique de Nida; l'quivalence formelle, qui est intimement lie l'esthtique du texte et qui inclut la topique de la phrase et certaines idiosyncrasies10 ou particularits combinatoires des mots dans le TS. Parfois il l'appelle aussi quivalence expressive, mais elle ne se confond pas avec la terminologie de Nida. Il estime que les cinq types d'quivalences peuvent faciliter le choix du traducteur et que le rle de la thorie de la traduction est de fournir au traducteur un instrument de travail. En mme temps il considre que les quivalences doivent tre hirarchises en fonction de la situation de communication.With every text as a whole, and also with every segment of text, the translator who consciously makes such a choice must set up a hierarchy of values to be preserved in translation; from this he can derive a hierarchy of equivalence requirements for the text or segment in question. This in turn must be preceded by a translationally relevant text analysis. It is an urgent task of translation theory and one on which no more than some preliminary work has so far been done to develop a methodology andL'idiosyncrasie reprsente un comportement particulier d'une unit linguistique morpho-lexicale, qui a des latitudes combinatoires individuelles, fait qui constitue une source de divergences notables entre les langues qui ne sont, en dernire instance, qu'une manifestation des rapports spcifiques entre le signe linguistique et son rfrent. (T. Cristea, 1982 : 97)10

conceptual apparatus for this kind of text analysis, and to bring together and systematize such analyzes in terms of translationally relevant typologies of textual features. (Koller, 1979 : 104)

Koller essaie mme de proposer une srie d'lments prendre en considration au moment d'tablir ce qui est pertinent ou non dans un texte traduire. Les cinq paramtres quil isole sont ceux dont le traducteur doit absolument tenir compte, puisquils sont fondamentaux: les fonctions de la langue, les caractristiques du contenu du texte et les particularits stylistiques, esthtiques et pragmatique du TS. 3.2.2.2.4.6. Le principal ouvrage de Katharina Reiss, paru en 1971 Munich et rdit en 1978 et en 1984, traduit en franais sous le titre La critique des traductions, ses possibilits et ses limites est un livre classique dans le domaine des thories de la traduction. L'originalit rside dans l'effort de sortir d'une vision binaire de la typologie des traductions, selon laquelle les textes traduire taient classs en textes littraires et textes scientifiques ou techniques. Son livre a eu une importance capitale pour les rflexions ultrieures sur la fonction des textes et de leurs traductions, en particulier pour ce qui est devenu la thorie du skopos de Hans J. Vermeer (avec qui Reiss a publi Grundlegung einer allegemeinen Translationstheorie en 1984). Reiss a propos une division tripartite des textes traduire pour rpondre aux besoins spcifiques de l'activit traduisante et de la critique des traductions. Ayant comme point de dpart les travaux de Karl Bhler qui distingue trois fonctions fondamentales du signe linguistique (l'information, l'expression et

l'incitation), Reiss met en vidence que les textes ont, eux aussi, trois fonctions fondamentales, qui imposent au traducteur d'adopter une stratgie de traduction spcifique. Si le texte a une dominante informative (inhaltsbetont), centre sur l'objet trait par le texte en question, le traducteur doit, avant tout, faire passer le contenu. Si le texte a une dominante expressive (formbetont), centre sur l'metteur, il doit se conformer aux proccupations esthtiques de l'auteur du TS afin de transmettre aussi, dans la LC, la forme du texte original. Si le texte a une dominante incitative (appellbetont), centre sur le rcepteur, le traducteur doit obtenir la mme raction de la part du rcepteur du TC que celle vise par l'metteur du TS. La traductrice du livre de Reiss en franais, Catherine Bocquet, remarque le fait que cette diversit de types de textes entrane une diversit de stratgies traductives:[] ainsi, un