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AVRIL/MAI 2017 • VOLUME 11 • N O 96 • 13 e DPC Développement Professionnel Continu www.ophtalmologies.fr Revue didactique médico-chirurgicale Ophtalmologie Pratiques en 86,4 des ophtalmologistes lisent Pratiques en Ophtalmologie (étude CESSIM-IPSOS) GREFFES DE CORNÉE Les évolutions Sémiologie de la dystrophie endothéliale de Fuchs et microscopes spéculaires Dr Arthur Ferrero Gestion du déficit en cellules souches limbiques Dr Naïma Saib DMEK : technique, points forts et points faibles Dr Chadi Mehanna Cornea guttata , cataracte et kératoplastie Pr Jean-Louis Bourges Du prélèvement de cornées à la greffe : 20 ans d’évolution vus par la Banque française des yeux Isabelle Sourati, Sophie Gleize Kératoplasties lamellaires endothéliales ultra-fines Dr Aurélien Hay

GREFFES DE CORNÉE · 2017. 5. 31. · CORNEA GUTTATA Le premier stade est celui dit de “cornea guttata” : des gouttes sont identifiées entre la 3e et la 5e décennie, sans œdème

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AVRIL/MAI 2017 • VOLUME 11 • NO 96 • 13 eDPC

DéveloppementProfessionnelContinu

www.ophtalmologies.fr

Revue d idactique médico -ch irurg icale

OphtalmologiePratiques en

86,4des ophtalmologisteslisent Pratiques en Ophtalmologie(étude CESSIM-IPSOS)

GREFFES DE CORNÉELes évolutions

Sémiologie de la dystrophie endothéliale de Fuchs

et microscopes spéculairesDr Arthur Ferrero

Gestion du déficit en cellules souches limbiques

Dr Naïma Saib

DMEK : technique, points forts et points faibles

Dr Chadi Mehanna

Cornea guttata, cataracte et kératoplastie

Pr Jean-Louis Bourges

Du prélèvement de cornées à la greffe : 20 ans d’évolution vus par

la Banque française des yeuxIsabelle Sourati, Sophie Gleize

Kératoplasties lamellaires endothéliales ultra-fines

Dr Aurélien Hay

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e RÉDACTEUR EN CHEF

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SOMMAIRE

Assemblés à cette publication : 2 bulletins d’abonnement (2 pages chacun). Cette publication comporte une sourcouverture Novartis (2 pages).Photo de couverture : © DR

Avril/mai 2017 Vol. 11N° 96

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BULLETIN D’ABONNEMENT ............................... P. 69

Revue d idact ique méd ico - ch irurg icale

OphtalmologiePratiques en

GREFFES DE CORNÉE Les évolutions

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 49Pr Jean-Louis Bourges (Paris)

1/ Sémiologie de la dystrophie endothéliale de Fuchs et microscopes spéculaires . . . . . . . . . p. 50Dr Arthur Ferrero (Paris)

2/ Cornea guttata, cataracte et kératoplastie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 56Pr Jean-Louis Bourges (Paris)

3/ DMEK : technique, points forts et points faibles . . . . . . p. 59Dr Chadi Mehanna (Paris)

4/ Kératoplasties lamellaires endothéliales ultra-fines . . . . . . . . . . . p. 62Dr Aurélien Hay (Nancy, Paris)

5/ Gestion du déficit en cellules souches limbiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 65Dr Naïma Saib (Paris)

6/ Du prélèvement de cornées à la greffe : 20 ans d’évolution des pratiques vus par la Banque française des yeux . . . . . p. 70Isabelle Sourati, Sophie Gleize (Paris)

DOSSIER

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Pratiques en Ophtalmologie • Avril/mai 2017 • vol. 11 • numéro 96 491

DOSSIER

greffes de cornée Les évolutions

Si un sondage réalisé auprès de 100 de nos confrères en 2010 révélait que l’avancée la plus marquante de la première décennie du siècle

leur semblait être en matière de cornée l’utilisation du laser femtoseconde, il est fort probable que l’avancée marquante de la décennie suivante aura été la démocratisation et le raffinement des nouvelles techniques de greffe de cornée. Elles deviennent de plus en plus ciblées, de moins en moins invasives. Elles ne sont pas nouvelles, loin s’en faut. Elles ont cependant connu un regain d’intérêt après leurs perfectionnements successifs qui ont permis de gommer leurs principales limites. Elles ont aussi été mieux standardisées. Grâce à elles, de plus en plus de patients peuvent avoir accès à ces chirurgies élaborées. Des patients autrefois contre-indiqués, d’autres qui auraient été jugés insuffisamment handicapés bien que gênés, peuvent désormais être candidats à l’une ou l’autre de ces kératoplasties. Pour autant, le risque de ces greffes et, maintenant, de les

indiquer en excès, ne sont pas nuls. Il ne faudrait pas croire qu’une greffe est un “repas gratuit”, selon l’expression de nos voisins anglo-saxons. À mal poser une indication de greffe, ou à mal prendre en charge un patient, il est possible de compromettre son capital visuel préopératoire et de l’aggraver plus encore. Ce dossier espère contribuer à tenir à jour le lecteur dans un domaine en pleine évolution. Il présente la conduite à tenir face aux affections endothéliales candidates à la kératoplastie. Il passe en revue les avantages et inconvénients des techniques de kératoplasties lamellaires endothéliales. Il discute l’insuffisance limbique, qui est une limite souvent forte à la kératoplastie. Enfin, il informe sur la face cachée de la kératoplastie : le parcours des cornées depuis le don jusqu’à la greffe.En vous souhaitant une bonne lecture à tous,

Pr Jean-Louis Bourges, Ophtalmologie Paris Centre, Université Paris Descartes

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DOSSIER

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*Hôpitaux universitaires Paris Centre, Service d’ophtalmologie Hôtel-Dieu Cochin, Paris

DYSTROPHIE DE FUCHS : DÉFINITIONLe plus souvent asymptomatique et d’évolution lente, la dystrophie de Fuchs est une dystrophie cor-néenne postérieure. Elle est carac-térisée par la présence de “gouttes” (excroissances de la membrane de Descemet) au centre de la cor-née. La présence de ces gouttes est associée à une diminution du nombre de cellules endothéliales. Le principal rôle de ces cellules est de maintenir la cornée dans un état d’hydratation lui permettant d’être transparente (élimination d’eau du stroma via des pompes Na/K) (1, 2). Lorsque leur nombre diminue, un œdème de cornée se forme. La sémiologie de cette dystrophie est ainsi riche, puisqu’elle va de l’at-teinte postérieure asymptomatique à la décompensation cornéenne douloureuse (3).

identifiées. Elle a une prédomi-nance féminine. Devant un œdème cornéen, il est essentiel de caractériser le flou visuel et l’évolution des symp-tômes. Le plus souvent, l’évolution est lente (sur 10 ou 20 ans), bilaté-rale et asymétrique.

■■ CORNEA GUTTATALe premier stade est celui dit de “cornea guttata”  : des gouttes sont identifiées entre la 3e et la 5e décennie, sans œdème cor-néen associé. Il n’existe pas de symptômes à ce stade.L’examen biomicroscopique à la lampe à fente retrouve en rétro-illumination et en réflexion spé-culaire des excroissances arron-dies en arrière de la membrane de Descemet : aspect de gaufrage postérieur (Fig. 1). Les gouttes qui sont d’abord espacées auront ten-dance à devenir confluentes pro-gressivement. On y retrouve aussi une dispersion pigmentaire qui traduit la phagocytose des grains de pigment mélanique par les cel-lules endothéliales.

1/ Sémiologie de la dystrophie endothéliale de Fuchs et microscopes spéculaires

Dans sa pratique clinique courante, il n’est pas ex-ceptionnel qu’un praticien ophtalmologiste diagnos-tique ou prenne en charge une dystrophie endothé-liale de Fuchs, qu’il reconnaît généralement par son signe caractéristique : la cornea guttata. En plus des

signes fonctionnels et des signes physiques, il peut être utile de recourir à l’observation des cellules endothéliales, à la lampe à fente systématiquement, mais aussi grâce aux explorations d’imagerie que sont les microscopes spéculaire et confocal.

Dr Arthur Ferrero*

■■ HISTORIQUELa dystrophie de Fuchs a été dé-crite pour la première fois en 1910 par Ernst Fuchs comme un œdème cornéen bilatéral associé à la pré-sence de bulles épithéliales (4). Plus tard, grâce à l’examen biomi-croscopique à la lampe à fente et à une meilleure compréhension de la physiopathologie, les patients atteints de cette dystrophie ont pu être classés en différents stades cliniques (5). L’apport des exa-mens complémentaires, tels que la microscopie spéculaire, permet une analyse encore plus fine.

UNE PATHOLOGIE UBIQUITAIRE À ÉVOLUTION LENTELa dystrophie de Fuchs est une pathologie ubiquitaire. En effet, la découverte de gouttes en mi-croscopie spéculaire dans une population normale varie entre 5 et 70 % selon les études et aug-mente avec l’âge (6-8). Elle est le plus souvent sporadique, mais des formes héréditaires existent avec des anomalies génétiques

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greffes de cornée

Pratiques en Ophtalmologie • avril/mai 2017 • vol. 10 • numéro 96 511

FIGURE 1 – Stade 1, l’examen à la lampe à fente en rétro-illumination re-trouve un aspect de gaufrage postérieur. Il n’y a pas d’œdème stromal.

■■ ŒDÈME CORNÉENLe stade 2 est caractérisé par l’ap-parition d’un œdème de cornée qui se traduit par un flou visuel, un éblouissement et des halos lumi-neux. Ces symptômes sont pré-sents dès le réveil et disparaissent au cours de la journée (on parle de “dérouillage visuel matinal”). Il est intéressant de quantifier ce dérouil-lage dans le cadre du suivi de nos patients. Avec la progression de la maladie, l’œdème persiste de plus en plus longtemps jusqu’à être per-manent. La gêne visuelle augmente parallèlement à l’opacification stro-male, de façon progressive. L’examen biomicroscopique à la lampe à fente retrouve au départ un œdème stromal central pré-descemétique et un œdème stro-mal antérieur. La membrane de Descemet s’épaissit et prend un aspect grisâtre et irrégulier dit “en argent battu” (Fig. 2). Dès ce stade, la réalisation d’une topographie avec analyse de la face postérieure de la cornée peut retrouver un épaissis-sement cornéen central (Fig. 3) (9).

■■ LES STADES SUIVANTSLorsque l’œdème finit par atteindre toute l’épaisseur du stroma et la pé-riphérie cornéenne, on retrouve des

FIGURE 2 – Stade 2, en fente fine à 45 degrés. Un aspect en argent battu est retrouvé associé à un œdème stromal anté-rieur minime.

plis descemétiques et une atteinte épithéliale (bulle intra- et sous-épithéliales). Cette irrégularité est facilement mise en évidence à l’aide de fluorescéine (Fig. 4). À ce stade avancé, la cornée prend un aspect en “verre dépoli”. L’apparition de fibrose sous-épithé-liale au stade suivant fait diminuer l’œdème épithélial. À ce stade, la vision est réduite à une perception des mouvements et une néovascu-larisation cornéenne périphérique

n’est pas rare (Fig. 5). L’OCT de cor-née permet dans les cas avancés de localiser la fibrose et d’apprécier l’œdème stromal (Fig. 6).Les différentes atteintes cliniques de la dystrophie de Fuchs sont ré-sumées dans le tableau 1.

■■ EXAMENS COMPLÉMENTAIRESLes examens complémentaires utiles lors du suivi d’une dystro-phie de Fuchs sont :

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DOSSIER

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- la microscopie spéculaire et la microscopie confocale in vivo, per-mettant de confirmer le diagnostic et de réaliser une étude quantita-tive et qualitative de l’endothé-lium,- l’OCT de cornée, pour mesurer et suivre la pachymétrie, localiser l’œdème et la fibrose,- la topographie (Pentacam©, Orbscan©), afin de mesurer et suivre la pachymétrie,- la pachymétrie ultrasonique centrale.

LES MICROSCOPES SPÉCULAIRESLes microscopes spéculaires per-mettent d’étudier la réflexion de la lumière au niveau d’une inter-face optique. Ils permettent l’ana-lyse qualitative et quantitative de l’endothélium cornéen. En fonc-

FIGURE 3 – L’OCT de cornée permet à ce stade précoce d’identifier l’œdème stromal central et un début d’épaississement descemétique.

FIGURE 4 – Les clichés au Pentacam© retrouvent un œdème central associé à une dépression centrale de la face posté-rieure (en bas à droite).

tion du modèle utilisé, la lumière peut être une fente statique ou mobile. Le design optique peut être confocal ou non et contact ou non-contact. C’est Vogt qui, en 1918, fut le premier à décrire

la mosaïque endothéliale à l’aide d’une lampe à fente (10).

■■ BREFS RAPPELS Afin d’interpréter correctement une microscopie spéculaire, il est

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greffes de cornée

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intéressant d’en comprendre les principes optiques. Lorsque la lu-mière rencontre une surface, elle peut être reflétée, transmise ou absorbée. En général, une com-binaison des 3 phénomènes sur-vient. En microscopie spéculaire, c’est la partie réfléchie (où l’angle de réflexion est égal à l’angle d’incidence) qui nous intéresse et qui va former l’image d’intérêt. La lumière traversant la cornée ren-contre de nombreuses interfaces. Plus la différence des indices de réfraction entre deux milieux est grande, plus l’intensité de la lumière réfléchie est importante. Ainsi, en projetant un faisceau lu-mineux sur la cornée avec un angle connu, il est possible d’étudier l’interface souhaitée, dans notre cas  : la région endothéliale (11). ■■ ANALYSE DE

L’ENDOTHÉLIUM La microscopie spéculaire per-met de recueillir des informations qualitatives (morphologie cel-lulaire) et quantitatives (densité cellulaire) de l’image endothéliale (12). L’endothélium cornéen nor-

FIGURE 5 – Décompensation cornéenne totale avec un début de néovasculari-sation cornéenne. L’œdème chronique est responsable de la fibrose stromale.

FIGURE 6 – L’OCT de cornée Optovue© met en évidence la présence de fibrose sous-épithéliale. Noter aussi la mesure précise de la pachymétrie et la pré-sence d’un épaississement de la membrane de Descemet associé à des plis.

TABLEAU 1 – RÉSUMÉ DES ATTEINTES CLINIQUES DE LA DYSTROPHIE DE FUCHSStade Symptômes Examen biomicroscopique

Cornea guttataPas de symptomatologie fonctionnelle

1. Dispersion pigmentaire minime 2. Gouttes, aspect de gaufrage postérieur 3. Pas d’œdème stromal

Œdème cornéen

Flou visuel Éblouissement Halos Dérouillage visuel matinal

1. Œdème stromal central postérieur et antérieur 2. Épaississement de la membrane de Descemet :

aspect en « argent battu »3. Plis de Descemet

Kératopathie bulleuse

Douleur Acuité visuelle limitée à la perception des mouvements

1. Bulles intra- et sous épithéliales 2. Aspect en verre dépoli

Néovascularisation et opacification cornéenne

1. Fibrose sous épithéliale 2. Néovascularisation possible

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mal vu en microscopie spéculaire retrouve une mosaïque de cel-lules hexagonales régulières et de même taille. Un endothélium cornéen normal est formé, tou-jours selon l’âge, de cellules hexa-gonales d’environ 200 à 400 mi-crons carrés de surface moyenne (Fig. 7). Avec le temps, dans les traumatismes, inflammations ou maladies cornéennes, cette régu-larité est perdue et sa densité di-minue. On estime qu’elle se situe en moyenne entre 3 500 et 4 000 cellules/mm2 entre l’enfance et l’adolescence et qu’elle diminue progressivement pour atteindre 2 000 à 2 300 cellules/mm2 vers l’âge de 80 ans (13). En général, plus l’endothélium diffère d’un aspect normal, plus il lui est dif-ficile de maintenir la transparence cornéenne. L’analyse de l’image endothé-liale permet de déterminer des paramètres morphométriques qui rendent mieux compte de la fonc-tion endothéliale que la simple mesure de la densité cellulaire. Il s’agit du périmètre cellulaire, des coefficients de variation de surface cellulaire (polymégathisme) et de forme (pléiomorphisme). La valeur

de ces paramètres augmente nor-malement avec l’âge et de façon symétrique entre les deux yeux. Une nette disparité doit être consi-dérée comme pathologique.

ANALYSE AU MICROSCOPE SPÉCULAIRE DE LA DYSTOPHIE DE FUCHSL’analyse des cornées des pa-tients atteints de dystrophie de Fuchs au microscope spéculaire met en évidence des gouttes apparaissant comme des taches noires avec un centre clair, mas-quant totalement les cellules qui

les recouvrent. Il existe un pléio-morphisme, un polymégathisme et une diminution de la densité cellulaire endothéliale. Laing et al. ont décrit 5 stades progressifs de la dystrophie en microscopie spéculaire (14).

■■ LES STADES DE LA DYSTROPHIE DE FUCHS EN MICROSCOPIE SPÉCULAIRELe stade 1 comprend des gouttes isolées. Elles ont une taille infé-rieure à celle d’une cellule endo-théliale et leur spot clair central est bien défini. La morphologie des cellules endothéliales voi-sines est normale (Fig. 8).

FIGURE 8 – Microscopie confocale retrouvant une dystrophie de Fuchs stade 1, présence de gouttes de petite taille avec une morphologie endothé-liale plutôt respectée.

FIGURE 9 – Stade 2 A) en microcopie confocale et B) en microscopie spécu-laire (Topcon 2000 SP). Les gouttes sont de la taille d’une cellule. Les cel-lules à distance ont une morphologie normale. (Densité cellulaire évaluée à 1500 cellulues/mm2)

FIGURE 7 – Aspect endothélial d’un patient de 60 ans sain en microscopie confocale. La densité endothéliale est de 2 000 cellules/mm2. La régularité cellulaire est correcte.

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greffes de cornée

Pratiques en Ophtalmologie • avril/mai 2017 • vol. 10 • numéro 96 551

Le deuxième stade voit grossir les gouttes avec une taille proche de celle d’une cellule endothéliale. Elles sont toujours isolées. La mor-phologie des cellules endothéliales voisines est anormale  : celles-ci sont allongées et forment une “rosette”, leur contour est flou au contact de la goutte. La morpholo-gie cellulaire autour de la “rosette” est normale (Fig. 9).Lorsque les gouttes commencent à confluer, le stade 3 est atteint. Elles ont alors la taille de 5 à 10 cellules endothéliales. La morphologie des cellules endothéliales voisines est anormale alors que les cellules à distance restent normales. On re-trouve à ce stade des gouttes plus ou moins régulières et arrondies.Au stade 4, la plupart des gouttes sont confluentes et polylobées. La morphologie des cellules endo-

théliales est anormale, avec une augmentation importante de la surface cellulaire (Fig. 10). Le stade 5 correspond à une absence de visualisation des cellules ou de leur contour. L’aspect du reflet en-dothélio-descemétique est inversé, avec des contours clairs entourant des zones noires (dépôts de colla-gène). Il n’est plus possible de quan-tifier la densité cellulaire (Fig. 11).

CONCLUSIONLe seuil de décompensation endo-théliale se situerait autour d’une densité de 500 cellules/mm2 et au-dessous de 1 000 cellules/mm2. Une action chirurgicale sur le seg-ment antérieur pourrait conduire à un œdème cornéen chronique (surtout en cas de complications peropératoires).Les résultats de l’analyse endo-

théliale devraient toujours être confrontés à la valeur de la pachy-métrie cornéenne, dont l’élévation est souvent le reflet de la décom-pensation fonctionnelle. Avec l’avènement des greffes la-mellaires, le pronostic de la dys-trophie de Fuchs a été bouleversé (15). L’analyse et la quantification endothéliale sont importantes pour documenter le suivi de cette pathologie, mais aussi dans le sui-vi de nos patients greffés. ■

Remerciements aux Drs Pallot et DeLazzer (CHU Dijon) pour les cli-chés spéculaires Topcon SP 2000.

✖ L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.

Mots-clés Dystrophie de Fuchs, Microscopes spéculaires

FIGURE 10 – Stade 4 A) en microcopie confocale et B) en microscopie spé-culaire (Topcon 2000 SP). Les gouttes sont confluentes et polylobées. La régularité morphologique endothéliale est perdue.

FIGURE 11 – Stade 5, absence de visua-lisation des cellules.

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Bibliographie

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DOSSIER

56 Pratiques en Ophtalmologie • avril/mai 2017 • vol. 10 • numéro 963

*Université Paris Descartes, APHP Ophtalmologie Paris Centre, Paris

INTRODUCTION

■■ DÉFINITIONVoici quelques définitions adap-tées au sujet. Ces définitions orientées n’ont pas pour objet d’être parfaitement académiques, mais ont ici un intérêt pratique pour servir le propos qui suit.

Cornea guttata : condition patho-logique de l’endothélium cornéen qui entraîne une fragilité exces-sive puis une mort progressive des cellules endothéliales cor-néennes. Cette condition peut être héréditaire (dystrophie de Fuchs, Fig. 1) ou acquise. L’âge l’aggrave. On ne lui connaît pas aujourd’hui de traitement médical efficace.

Cataracte : opacité du cristallin suffisante à elle seule pour gêner le patient dans sa vision.

Kératoplastie lamellaire endo-théliale (KLE) : remplacement de l’endothélio-Descemet incompé-tente du patient par, au minimum, une couche de même nature pro-venant d’un donneur humain. Le greffon peut être endothélio-des-cemétique pur (DMEK) ou com-

> Perte cellulaire endothéliale lors de PKEUne perte standard de densité CEC lors d’une phakoémulsifica-tion (PKE) non compliquée sous produit viscoélastique peut être estimée entre -1 % et -10 % envi-ron dans les 6 premiers mois (4). Cette perte endothéliale est large-ment majorée sur un terrain pa-thologique endothélial. Elle peut atteindre -20 % (5, 6) voire au-delà, alors même que le capital initial est déjà affecté. Un antécé-dent de traumatisme local, de dia-bète, d’inflammation intraoculaire ou de port de lentilles de contact serait péjoratif (5).

> Facteurs de risque de perte cellulaire endothéliale lors de PKEAu cours d’une procédure nor-male, la perte des CEC augmente proportionnellement avec l’âge, l’énergie utilisée, le temps d’inter-vention et la dureté nucléaire (1). Évidemment, nombre d’autres facteurs influent sur cette perte. Toute complication chirurgicale augmente indirectement le temps opératoire, comme les éventuels contacts endothéliaux délétères. L’expérience du chirurgien, le type torsionnel de machine à ultrason, la technique chirurgicale de chop, l’utilisation de produit viscodisper-sif ou une densité CEC importante initiale sont à l’inverse autant de

2/ Cornea guttata, cataracte et kératoplastie

Pr Jean-Louis Bourges*

porter du stroma cornéen don-neur (PDEK, DSAEK).

■■ GUTTATA ET CATARACTE : LES INTERACTIONSLa cataracte en soi n’occasionne pas de perte cellulaire endothé-liale cornéenne (CEC). En re-vanche, seul traitement actuel de la cataracte, la phakoexérèse interfère avec la densité des CEC (1). L’impact sur la densité CEC est d’autant plus considérable que les cellules elles-mêmes sont en densité diminuée au départ (2), ou spécifiquement pathologiques comme dans la cornea guttata.

> Perte cellulaire endothéliale et guttataLa densité des CEC diminue natu-rellement avec l’âge. Elle diminue d’autant plus rapidement que les CEC sont pathologiques. Il faut avoir à l’esprit qu’un patient sur cinq ayant été examiné avec une dystrophie de Fuchs reçoit une kératoplastie dans les 10 ans, qu’il soit opéré de la cataracte ou pas (3). Quelques facteurs de risque se détachent, en particulier la mau-vaise acuité initiale, l’augmenta-tion de pachymétrie centrale ou celle de l’âge. La rapidité de baisse visuelle est de mauvais pronostic (3). Ceci entre évidemment dans la discussion d’information au patient et dans l’estimation de la balance bénéfice/risque préopératoire.

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greffes de cornée

Pratiques en Ophtalmologie • avril/mai 2017 • vol. 10 • numéro 96 571

FIGURE 1 – Cornea guttata de dystrophie de Fuchs examinée pupille dilatée en rétroillumination de lampe à fente. On note le reflet de la cataracte corti-conucléaire derrière.

facteurs limitant le risque de dé-compensation (5).

> Perte cellulaire endothéliale après PKESi la perte CEC liée au geste de phacoémulsification semble sta-bilisée à 6 mois, le risque d’insuf-fisance endothéliale se prolonge au-delà. En effet, la perte exa-gérée des CEC malades lors de l’intervention diminue le capital CEC restant. La progression vers l’œdème cornéen en est d’autant raccourcie.

POSER L’INDICATION D’UNE PHAKO-EXÉRÈSE SUR ENDOTHÉLIUM CORNÉEN PATHOLOGIQUE

■■ LES FACTEURS DE CHOIXLes facteurs qui déterminent l’in-dication opératoire et qui figurent absolument au dossier médical sont :- l’impact de la cataracte sur la fonction visuelle globale : le pa-tient est-il globalement gêné par sa fonction visuelle au point d’ac-cepter l’intervention de cataracte avec tous ses risques, exposés lors d’une information loyale et complète ? Le patient a-t-il bien compris les risques de kérato-plastie encourus et accepte-t-il une kératoplastie éventuellement précipitée par une phakoémulsifi-cation ?- la progression du handicap vi-suel : une fonction visuelle qui s’aggrave rapidement et conti-nuellement fait plus volontiers poser une indication chirurgicale.- l’œdème cornéen : les valeurs pachymétriques centrales et maximales, qui sont souvent proches dans les pathologies CEC,

progressent lentement (7). Plutôt que leur valeur en soi, leur pro-gression est l’indicateur privilégié de l’œdème stromal.- le déverrouillage visuel matinal (DVM) : une vision moins bonne au sortir du décubitus est un indica-teur de mauvaise fonction endo-théliale. Plus ce DVM s’étend, moins bonne est la fonction des CEC, quelles que soient les va-leurs des autres déterminants.- l’impact différentiel de la cata-racte et de l’œdème de cornée dans la gêne visuelle : la gêne du patient est-elle attribuable au cristallin ou à la cornée ?- le capital cellulaire endothélial : on estime le seuil de décompen-sation de la fonction endothéliale vers l’œdème stromal aux alen-tours de 800 à 500 cellules/mm² au centre de la cornée. Une den-sité plus importante en périphérie n’empêche pas une décompensa-tion centrale très gênante.

■■ LA STRATÉGIEOn pourra choisir d’intervenir sur le cristallin précocement au stade de la dystrophie endothé-liale, alors que l’endothélium est encore pleinement fonctionnel (pas de signe de sévérité, Fig. 2). Le geste de PKE+ICP doit être rapide, avec un minimum de flux circulant en chambre antérieure, et à distance maximum de l’endo-thélium protégé par un viscoélas-tique dispersif. Il prévoit qu’une kératoplastie soit possible un jour, vraisemblablement précipitée par le geste intraoculaire (information du patient).Alors, la biométrie se veut pré-voyante en :- évitant la multifocalité ou les implants exotiques,- privilégiant une myopisation dans l’hypothèse d’une future greffe endothéliale qui hypermé-tropisera.On pourra aussi choisir d’intervenir

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DOSSIER

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tardivement dans l’évolution de la dystrophie, mais avant la défaillance endothéliale. Le but est de faire bé-néficier le patient d’un geste de pha-koémulsification et d’une implan-tation pseudo-cristallinienne, tant que la transparence de sa cornée le permet encore. La décompensa-tion est prévisible, mais incertaine à ce stade. Au pire, cela permet de retarder la kératoplastie, le temps d’obtenir des conditions de greffe endothéliale optimales. Le moment de la KLE venu, le geste technique délicat de PKE+ICP derrière une cor-née œdémateuse n’est plus à faire. Cela épargne aussi de devoir inter-venir derrière un greffon de KLE fra-gile, avec les inconvénients que cela implique (risque de rejet, consom-mation allo-endothéliale). Lorsque la greffe est nécessaire, l’intervention combinée peut être utile. Elle est simple en procédure à ciel ouvert lors d’une KT. Der-rière une cornée d’endothélium défaillant, le geste de PKE+ICP doit être terminé avant l’appari-tion d’un œdème stromal obtu-

rant. Il doit donc être aussi sûr que rapide. Le bon sens oblige à placer l’implant avant de réaliser le geste de kératoplastie (facilitation du geste, épargne tissulaire du don-neur, plan obstacle entre segment antérieur et postérieur…).Que le geste soit combiné ou secon-daire, la procédure de KLE modifie peu la réfraction (+0,50 D à +0,75 D). Le choix biométrique est donc moins aléatoire qu’avant ou après une kératoplastie transfixiante.

CONCLUSIONLorsque la cataracte gêne la fonc-tion visuelle du patient dont la cornée endothéliale est fragile, il faut intervenir. Il n’est plus conce-vable aujourd’hui d’observer un handicap visuel lié à une cataracte ou une insuffisance endothéliale sans proposer une stratégie active. Selon les cas, on pourra proposer une phacoexérèse simple chez un patient ayant accepté le risque et les inconvénients de kératoplastie expliqués, une intervention combi-

nant la précédente et une kérato-plastie, ou une intervention en deux temps programmée à l’avance. Le praticien s’oriente au mieux en écoutant et en discutant avec son patient qu’il a bien informé préa-lablement. ■

✖ L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.

Mots-clés Cornea guttata, Cataracte, Kératoplastie

Centrale

Centrale> 630 µm

> 30 min

Diffus, périphérique> 450 µm2

1 000-1 200500-800

SCE, picotements

EER

Plis intraépithéliaux

Bulles sous épithéliales

Plicatures stromales postérieures

Dérouillage visuel matinal (DVM)

Densité(cellule/mm2)

Altérationmorphologique

Pachymétrie

Flou visuel

Symptomatique

Altérationsépithéliales

Critères qualitatifs

Œdè

me

Com

ptag

e en

doth

élia

l

Critères quantitatifs

Stromal

Périphérique

Polymégéthisme

Pléiomorphisme

FIGURE 2 – Critères quantitatifs et qualitatifs de dysfonction cellulaire endothéliale.

1. Mahdy MA, Eid MZ, Mohammed MA et al. Relationship between endothelial cell loss and microcoaxial phacoemulsification parameters in noncomplica-ted cataract surgery. Clin Ophthalmol 2012 ; 6 : 503-10.2. Yamazoe K, Yamaguchi T, Hotta K et al. Outcomes of cataract surgery in eyes with a low corneal endothelial cell density. J Cataract Refract Surg 2011 ; 37 : 2130-6.3. Goldberg RA, Raza S, Walford E et al. Fuchs endothelial corneal dystrophy: clinical characteristics of surgical and nonsurgical patients. Clin Ophthalmol 2014 ; 8 : 1761-6.4. Ho JW, Afshari NA. Advances in cataract surgery: preserving the corneal endothelium. Curr Opin Ophthalmol 2015 ; 26 : 22-7.5. Seitzman GD. Cataract surgery in Fuchs’ dystrophy. Curr Opin Ophthalmol 2005 ; 16 : 241-5.6. Seitzman GD, Gottsch JD, Stark WJ. Cataract surgery in patients with Fuchs’ corneal dystrophy: expanding recommendations for cataract surgery without simultaneous keratoplasty. Ophthalmology 2005 ; 112 : 441-6.7. Brunette I, Sherknies D, Terry MA et al. 3-D characterization of the corneal shape in Fuchs dystrophy and pseudophakic keratopathy. Invest Ophthalmol Vis Sci 2011 ; 52 : 206-14.

Bibliographie

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DOSSIER

Pratiques en Ophtalmologie • avril/mai 2017 • vol. 10 • numéro 96 591

*Hôpitaux universitaires Paris Centre, Service d’ophtalmologie Hôtel-Dieu Cochin, Paris

LA TECHNIQUE DE PRÉPARATION DU GREFFONLa greffe endothéliale la plus ré-pandue de nos jours est la DMEK. Elle consiste à transplanter uni-quement la couche endothélo-descemétique. Pour obtenir le greffon, une technique a été dé-crite pour la première fois par le Dr Gerrit Melles. Elle est connue sous le nom de SCUBA (Submerged Cornea Using Backgrounds Away), en référence à l’immersion totale du greffon dans le BSS (Balanced Salt Solution) durant le processus

Schwalbe (Fig. 1A et B). Le décolle-ment de la Descemet se fait im-mergé sous du BSS et de proche en proche sur 360 ° pour limiter l’extension d’un éventuel trait de refend. Après libération de toutes les adhérences, la couche endo-thélo-descemétique est pelée de manière centripète sous immer-sion totale dans le BSS, limitant ainsi les adhérences au maximum (Fig. 1C). À cette étape, certains chirurgiens préfèrent marquer la face stromale du greffon afin de faciliter son orientation dans la chambre antérieure (2). Le gref-fon est ensuite coloré au bleu de trypan pour assurer une meil-leure visibilité à travers l’œdème cornéen une fois qu’il est injecté. Après sa trépanation, le greffon

3/ DMEK : technique, points forts et points faibles

La kératoplastie a connu une évolution importante au cours des dernières années. Après la greffe transfixiante, les kératoplasties lamellaires ont pris une part considérable dans la prise en charge de la pathologie cornéenne afin de remplacer uni-quement la partie altérée de la cornée. Pour les pa-thologies endothéliales décompensées (dystrophie de Fuchs, décompensation endothéliale du pseudo-phaque…), différentes techniques de greffe endo-théliale ont vu le jour (DSAEK, DMEK, PDEK)** afin de préserver la surface oculaire, comme le stroma du patient, et d’accélérer la réhabilitation visuelle.Les différentes techniques de greffe lamellaire

présentent un défi conséquent, aussi bien pour le chirurgien que pour le patient. La courbe d’ap-prentissage et la durée opératoire sont plus lon-gues. De même, elles nécessitent la compliance du patient au traitement et au positionnement de la tête, ainsi que l’acceptation d’éventuels ajuste-ments postopératoires, parfois chirurgicaux. En contrepartie, l’aspect conservateur de ces tech-niques lamellaires permet de préserver les parties saines de la cornée avec de nombreux avantages. Nous évoquons ici la technique de greffe endothé-liale pure (DMEK) pour en développer ses points forts et ses points faibles.

Dr Chadi Mehanna*

de préparation (1). En raison des aléas techniques possibles, une période d’apprentissage est né-cessaire et les résultats cliniques s’améliorent avec l’expérience du chirurgien.

■■ LES ÉTAPES DE PRÉPARATIONLes principales étapes de prépa-ration du greffon sont présentées dans la figure 1. Après aspiration du greffon dans le puits du trépan, le marquage au bleu de trypan permettrait de voir la couche en-dothélo-descemétique en image négative par rapport au stroma coloré. Le trabéculum est éliminé en premier afin d’avoir accès à la membrane de Descemet et de la décoller au niveau de la ligne de

** DSAEK : Descemet Stripping Automated Endothelial Keratoplasty, DMEK : Descemet Membrane Endothelial Keratoplasty, PDEK : Pre-Descemet’s Endothelial Keratoplasty

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DOSSIER

60 Pratiques en Ophtalmologie • avril/mai 2017 • vol. 10 • numéro 963

FIGURE 1 – Principales étapes de préparation du greffon selon la technique SCUBA. A) Pelage du canal de Schlemm et libération de la couche de Descemet au niveau de la ligne de Schwalbe. B) Décollement progressif du greffon sur 360 °. C) Stripping de l’endothélio-descemet sous BSS. D) Trépanation du greffon.

FIGURE 2 – Principales étapes de préparation du greffon selon la reverse-DMEK. A) Trépanation partielle du greffon et montage sur chambre artificielle avec l’endothélium vers l’extérieur. B) Ablation de l’endothélium périphé-rique. C) Hydrodissection ou traction de l’endothélio-descemet. D) Pliage du greffon avec l’endothélium vers l’intérieur et mise en place dans l’injecteur.

est mis en suspension dans le BSS pour déclencher son enroulement face endothéliale vers l’extérieur, puis il est aspiré dans un injecteur en verre.

LA TECHNIQUE DU DR MURAINEUltérieurement, Muraine avait décrit la reverse-DMEK, une tech-nique différente de préparation du greffon de DMEK consistant d’abord à trépaner partiellement la face endothéliale puis à déta-cher la membrane de Descemet par hydrodissection douce ou par une simple traction de l’endothélo- Descemet sous BSS (3).Après trépanation partielle du greffon, laissant libres deux vo-lets descemétiques, le greffon est monté sur chambre artificielle avec exposition de l’endothélium vers l’extérieur (Fig. 2A). La partie périphérique de l’endothélium est éliminée pour améliorer la visibi-lité du centre du greffon (Fig. 2B). La couche endothélo-descemé-tique est par la suite détachée par hydrodissection ou par traction sur les deux volets précédemment créés (Fig. 2C). Après marquage de la face stromale et coloration au bleu de trypan, le greffon est plié avec la face endothéliale vers l’intérieur pour éviter tout contact avec l’injecteur, puis il est mis en place dans la cartouche de l’injec-teur (Fig. 2D).

MISE EN PLACE DU GREFFONUne fois la préparation du gref-fon terminée, le patient est ins-tallé pour être opéré. La première étape consiste à effectuer un des-cemetorhexis à l’aide d’un crochet inversé (Fig. 3A) et à enlever l’en-

dothélium pathologique sur les 8 mm centraux. Ensuite, le gref-fon est injecté en faisant atten-tion de ne pas le déchirer durant

ce processus (Fig. 3B) et diverses manœuvres sont effectuées pour l’étaler entièrement, l’orienter face stromale vers le haut et bien

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greffes de cornée

Pratiques en Ophtalmologie • avril/mai 2017 • vol. 10 • numéro 96 611

le centrer par rapport au desce-metorhexis (Fig. 3C). Le marquage de la face stromale ou le recours à l’OCT peropératoire permettent de faciliter l’orientation du greffon dans la chambre antérieure et de diminuer les manœuvres inutiles ainsi que le stress endothélial. Finalement, l’injection d’une bulle d’air permet d’appliquer le greffon sur la face stromale de la cornée réceptrice (Fig. 3D).

POINTS FORTS ET POINTS FAIBLESLes kératoplasties lamellaires ont pour objet de remplacer la couche atteinte de la cornée tout en pré-servant les couches saines et, dans ce cadre, la DMEK peut être considérée parmi les techniques les plus conservatrices. Ainsi per-met-elle une récupération visuelle plus rapide et souvent plus impor-tante que la kératoplastie trans-fixiante. Elle solutionne l’incompé-tence endothéliale sans modifier les propriétés natives bioméca-niques et optiques de la cornée du receveur. Elle préserve l’intégrité des couches cornéennes anté-rieures (stroma, plexus nerveux et épithélium), réduit l’astigmatisme secondaire et autorise la récupé-ration rapide des fonctions du film lacrymal. Par ailleurs, le risque de rejet semble moins important en raison de l’absence de fils cor-néens et d’appel inflammatoire, en particulier dans les pathologies de surface oculaire avec néovais-seaux limbiques.Cependant, la DMEK présente un important défi technique pour le chirurgien, en raison de sa longue courbe d’apprentissage pour les trois étapes : la préparation du greffon, son injection et son application. Le temps opératoire

se trouve également prolongé et moins prévisible, avec un risque non négligeable de perte de gref-fon et ses conséquences éthiques et financières. Par ailleurs, cette technique nécessite la contribu-tion du patient, qui doit respecter le positionnement de la tête et accepter le risque d’éventuelles reprises chirurgicales.Finalement, la DMEK néces-site une relative intégrité du plan irien afin de maintenir la bulle d’air de tamponnement en chambre antérieure, pen-dant un temps suffisant pour appliquer le greffon endothélio- descemétique.

CONCLUSIONLa DMEK est l’évolution ultime des kératoplasties lamellaires. C’est la technique la plus logique de remplacement endothélial lorsque seule cette couche cor-néenne est affectée. En dépit de ses difficultés techniques, de sa longue courbe d’apprentissage

et des contraintes imposées aux patients, elle s’impose aujourd’hui comme technique de référence dans le traitement chirurgical de la dystrophie de Fuchs. Les princi-pales raisons sont sa rapidité, son potentiel de récupération visuelle et son moindre risque de rejet du greffon. ■

✖ L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.

Mots-clés DMEK, Kératoplastie lamellaire, Greffe endothéliale pure

FIGURE 3 – Mise en place du greffon. A) Descemetorhexis au crochet inversé. B) Injection du greffon. C) Étalement, orientation et centrage du greffon. D) Application par injection d’une bulle d’air.

1. Melles GR, Ong TS, Ververs B, van der Wees J. Descemet membrane endo-thelial keratoplasty (DMEK). Cornea 2006 ; 25 : 987-90.2. Veldman PB, Dye PK, Holiman JD et al. The S-stamp in Descemet Mem-brane Endothelial Keratoplasty Safely Eliminates Upside-down Graft Implan-tation. Ophthalmology 2016 ; 123 : 161-4.3. Muraine M, Gueudry J, He Z et al. Novel technique for the preparation of corneal grafts for descemet membrane endothelial keratoplasty. Am J Ophthalmol 2013 ; 156 : 851-9.

Bibliographie

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DOSSIER

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*Ophtalmologiste libéral à Nancy ; praticien attaché, service d’ophtalmologie des hôpitaux Paris Centre , Hôtel-Dieu, Paris

INTRODUCTIONLa technique de DSAEK ultra-fine (Descemet Stripping Automated Endothelial Keratoplasty) est une procédure récente de greffe endo-théliale. Elle combine les avan-tages des techniques de la DMEK (Descemet Membrane Endothelial Keratoplasty) et de la DSAEK clas-sique. Elle consiste en l’obtention de greffon dont l’épaisseur cen-trale est proche de 100 μm et dont l’intérêt réside en la présence d’un stroma postérieur résiduel mini-mal en comparaison d’une DSAEK classique.

■■ DES GREFFONS PLUS FINSLa finesse du greffon permet une récupération visuelle plus rapide et meilleure qu’au décours d’une DSAEK classique, comme cela fut retrouvé par l’équipe de Dickman (1). Cette procédure chirurgicale permet d’obtenir des greffons avec une sécurité de préparation comparable à celle des DSAEK classiques qui, elle-même, pré-sente moins de difficultés tech-niques et de complications que lors de la préparation des greffons endothélio-descemétiques purs.

Pour la découpe en simple pas-sage, on utilise une lame permet-tant une découpe allant de 300 à 500 μm afin d’obtenir un greffon d’épaisseur voulue.Actuellement, les micro-kéra-tomes translationnels permettent des découpes stromales pro-fondes de qualité afin d’obtenir des greffons de 100 μm d’épais-seur, quelle que soit l’épaisseur initiale du greffon (avant découpe), en un seul passage de découpe (3) (Fig. 2). Pour rappel, les micro-kératomes rotatifs ne permettent pas ce type de découpes pro-fondes, car ils sont limités à une profondeur de découpe de 350 μm.

■■ COMPARAISON DE MICRO-KÉRATOMESDans une étude personnelle (9), les greffons endothéliaux préparés à l’aide de deux micro-kératomes translationnels ont été compa-rés en termes d’épaisseur et de qualité de découpe. Nous avions retrouvé que les greffons préparés avec le micro-kératome Moria® étaient significativement plus fins que ceux préparés avec l’appareil Gebauer®, mais que la dispersion d’épaisseur était plus grande avec ce premier dispositif comparé au Gebauer®. Nous n’avions pas re-trouvé de différence entre la qua-lité de découpe des deux disposi-tifs. Une étude récente comparant

4/ Kératoplasties lamellaires endothéliales ultra-fines

Dr Aurélien Hay*

Les manipulations du greffon sont donc moins importantes que pour la préparation d’un greffon de DMEK et exposent moins au risque de perte du greffon (déchi-rure de celui-ci, perforation, perte cellulaire, etc.).En 2011, l’équipe de Neff (2) a été l’une des premières à montrer une corrélation entre l’épaisseur cen-trale du greffon endothélial d’une DSAEK et les résultats visuels. Ils estimaient ainsi qu’une épaisseur centrale de greffon inférieure à 131 μm permettait d’obtenir de meilleurs résultats d’acuité vi-suelle postopératoire (Fig. 1).

TECHNIQUES DE DÉCOUPECe type de greffon est préparé à l’aide d’un micro-kératome à translation ou rotatif par découpe en simple passage (3) ou en double passage (4, 5).Dans les découpes à double pas-sage, un micro-kératome rotatif est utilisé. Une première découpe stro-male superficielle est réalisée sur une profondeur de 200 à 350  μm, déterminée selon la pachymétrie préopératoire. Une fois ce capot libre superficiel retiré, une deu-xième découpe est réalisée sur une profondeur de 100 à 130  μm afin d’obtenir un greffon se rapprochant d’une pachymétrie de 100 μm.

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greffes de cornée

Pratiques en Ophtalmologie • avril/mai 2017 • vol. 10 • numéro 96 631

FIGURE 1 – A) DSAEK ultra-fine en fente fine, B) en image de face, C) en coupe OCT avec mesures de l’épaisseur du greffon sur différents diamètres.

FIGURE 2 – Analyse OCT d’un greffon ultra-fin découpé au micro-kératome translationnel.

les mêmes dispositifs de découpe (8) ne retrouve quant à elle pas de différence significative entre les deux groupes concernant l’épais-seur des greffons endothéliaux, la régularité de la surface stromale en microscopie électronique et la perte cellulaire endothéliale post-découpe. Dans tous les cas, la prédictibilité d’épaisseur est relativement fiable et la surface stromale postérieure est régulière (8, 9) (Fig. 3).

QUELS AVANTAGES ?L’intérêt de cette technique chirur-gicale est l’obtention de meilleurs résultats visuels corrigés et non corrigés par rapport à ceux obte-nus en DSAEK classiques (1).Un autre intérêt résiderait dans le fait que le shift hypermétro-pique est en théorie moindre qu’en DSAEK classiques, pour lesquelles les bords périphériques plus épais que le centre du greffon engendrent une hypermétropisation postopé-

ratoire. Ce shift hypermétropique a également été retrouvé en posto-pératoire de DMEK. Ceci est proba-blement lié au fait que la périphé-rie cornéenne, pathologique et non transplantée, est œdémateuse, ce qui modifie la courbure postérieure de la cornée. Par ailleurs, le taux de rebul-lage dans les jours postopéra-toires après ces DSAEK ultra-fines semble moindre qu’au décours des DMEK (6).

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DOSSIER

64 Pratiques en Ophtalmologie • avril/mai 2017 • vol. 10 • numéro 963

En ce qui concerne la perte cellu-laire endothéliale postopératoire sur le greffon, celle-ci est compa-rable entre la technique ultra-fine et la DSAEK classique (1), avec une perte d’environ 40 % du capital de départ constatée à 3 mois, puis une stabilisation de cette densité cel-lulaire dans l’année suivante. Ces données semblent retrouver une supériorité par rapport à la DMEK. Il en résulterait un taux de regreffe moindre en DSAEK ultra-fines par rapport aux DMEK, ce qui a une incidence non négligeable sur le risque de rejet immunologique pos-topératoire à moyen et long termes.

ESTIMATION PRÉOPÉRATOIREUn élément à prendre en compte dans la perte cellulaire endothé-liale postopératoire des greffons cornéens est l’estimation pré-

FIGURE 3 - Analyse histologique en microscopie optique en grossissement X 16 qui montre la régularité de sur-face de découpe stromale au micro- kératome translationnel (image de M. Savoldelli).

opératoire de cette densité. En effet, comme cela a été souligné dans l’article de l’équipe de Gau-thier (7), une surévaluation pré-opératoire en banque de tissus est fréquente, ceci étant lié au comptage microscopique de l’en-semble des cellules visualisées sur les greffons cornéens qui ne prend pas en compte les seules cellules viables.

CONCLUSION Avec les méthodes de découpes ultra-fines de greffons maintenant fiablilisées, il est possible de réa-liser des greffes endothéliales au résultat visuel excellent. Cette mé-thode évite d’exposer la procédure aux aléas de préparation et de ma-nipulation d’un greffon totalement endothélio-descemétique (DMEK).

✖ L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.

1. Dickman MM et al. A Randomized Multicenter Clinical Trial of Ultrathin Descemet Stripping Automated Endothelial Keratoplasty (DSAEK) Versus DSAEK. Ophthalmol 2016 ; 123 : 2276-84.2. Neff KD et al. Comparison of central corneal graft thickness to visual acuity outcomes in endothelial keratoplasty. Cornea 2011 ; 30 : 388-91.3. Nahum Y et al. Postoperative graft thickness obtained with single-pass microkeratome-assisted ultrathin descemet stripping automated endothelial keratoplasty. Cornea 2015 ; 34 : 1362-4.4. Busin M et al. Ultrathin descemet’s stripping automated endothelial keratoplasty with the microkeratome double-pass technique: two-year outcomes. Ophthalmology 2013 ; 120 : 1186-94.

5. Sikder S et al. Ultra-thin donor tissue preparation for endothelial keratoplasty with a double-pass microkeratome. Am J Ophthalmol 2011 ; 152 : 202-8.6. Dapena I et al. Graft detachment rate. Ophthalmol 2010 ; 117 : 847.7. Gauthier AS et al. Very early endothelial cell loss after penetrating keratoplasty with organ-cultured corneas. Br J Ophthlalmol 2016 ; 13 : Epub.8. Fuest M et al. Gebauer SLc Original and Moria One-Use Plus Automated Microkeratomes for Ultrathin Descemet’s Stripping Automated Endothelial Keratoplasty Preparation. Acta Ophthalmol 2016 ; 94 : e731-7.9. Hay A et al. SFO 2016 ; communication orale.

Bibliographie

Mots-clés Kératoplasties lamellaires, Greffon, DSAEK ultra-fine

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DOSSIER

Pratiques en Ophtalmologie • avril/mai 2017 • vol. 10 • numéro 96 651

*Chef de clinique assistante, groupe Hôtel-Dieu Cochin, Paris

THÉORIE DES CELLULES SOUCHES LIMBIQUESLa surface oculaire est un système autoprotecteur multifactoriel qui inclut les paupières, la conjonctive et son tissu lymphoïde, la glande lacrymale et ses glandes acces-soires, le limbe, la cornée et le film lacrymal (1). Elle permet le main-tien de la transparence cornéenne. Le limbe est le point de contact entre l’épithélium conjonctival, qui possède des cellules à mucus participant à l’élaboration du film lacrymal, et l’épithélium cornéen transparent, dont les jonctions intercellulaires assurent l’étan-chéité et la qualité réfractive de la cornée. En 1966, Hanna décrivit initialement la ré-épithélialisation centripète limbique de l’épithé-lium cornéen (2). Vingt ans plus tard, Schermer (3), Cotsarelis et Ebato (4) reconnurent l’existence d’un type spécifique de cellules provenant du limbe, qui avaient

CONSÉQUENCES CLINIQUES DES DÉFICITS EN CELLULES SOUCHES LIMBIQUESLe déficit en cellules souches lim-biques entraîne une incapacité de l’épithélium cornéen à se régéné-rer et un envahissement progres-sif de la surface cornéenne par un épithélium de type conjonctival, caractérisé par la présence de cel-lules caliciformes au sein de l’épi-thélium limbique et cornéen. La symptomatologie fonctionnelle est aspécifique  : larmoiement, photo-phobie, douleurs, baisse de vision. À l’examen à la lampe à fente, on constate des troubles de la cicatri-sation épithéliale (défauts épithé-liaux chroniques ou récurrents) et des ulcérations épithéliales éten-dues. Plus graves, l’induction d’une néovascularisation par l’épithélium conjonctival et l’apparition de cica-trices cornéennes réduisent l’acuité visuelle et peuvent conduire jusqu’à la cécité. Le diagnostic est établi sur la base de l’examen clinique (Fig. 1). Une confirmation histologique peut être obtenue par présence de cel-lules caliciformes conjonctivales sur l’épithélium cornéen.

5/ Gestion du déficit en cellules souches limbiques

Le déficit en cellules souches épithéliales lim-biques, dont l’étiologie principale est la présence de brûlures caustiques, est à l’origine d’une des-truction de la surface oculaire. Ce déficit va en-

gendrer des défauts épithéliaux chroniques et un envahissement de la surface cornéenne par un épithélium vascularisé et opaque d’origine conjonctivale.

Dr Naïma Saib*

un cycle cellulaire plus long et un potentiel de régénération élevé. Le limbe est fonctionnellement important, puisqu’il contient au niveau de sa couche basale les cellules souches qui vont donner naissance à l’épithélium cornéen (5). Les cellules souches, exclu-sivement localisées au niveau de la couche basale de la région limbique, ont un cycle cellulaire très lent, mais une durée de vie quasiment illimitée. Sous l’in-fluence de stimuli biochimiques ou mécaniques, elles se transfor-ment en cellules amplificatrices transitoires. Ces cellules, douées d’une forte activité mitotique, mais n’ayant plus qu’un potentiel de vie limité, ont un mouvement de migration centripète le long de la couche basale et sont d’autant plus différenciées qu’elles se rap-prochent du centre de la cornée. En quittant la couche basale et en se déplaçant vers la surface, elles perdent leur pouvoir mitotique avant de mourir et de desquamer. L’épithélium cornéen est un tissu à renouvellement rapide  : il a la capacité de se régénérer entière-ment tous les 7 jours.

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DOSSIER

66 Pratiques en Ophtalmologie • avril/mai 2017 • vol. 10 • numéro 963

FIGURE 1 – A) Déficit en cellules souches limbiques inférieures suite à une brûlure par NaOH (image empruntée au Pr Bourges). B) Déficit en cellules souches limbiques inférieures sur rosacée (image empruntée au Pr Bourges).

ÉTIOLOGIES DES DÉFICITS EN CELLULES SOUCHES LIMBIQUESLes causes de déficit en cellules souches limbiques peuvent être divisées en quatre principales caté-gories (résumées dans le tableau 1 ) :1) Congénitales  : les trois formes sont l’aniridie, la kératite à trans-mission dominante et la dysplasie ectodermique, dont l’aniridie est la plus courante.2) Traumatiques : les causes trau-matiques incluent les lésions à l’acide ou par base, les lésions thermiques et les facteurs iatro-gènes (chirurgies oculaires mul-tiples ou cryothérapie intéressant la région limbique, port de lentilles de contact). Les brûlures caustiques de la surface oculaire sont l’étiolo-gie la plus fréquente en déficit de cellules limbiques (Fig. 2).3) Maladies auto-immunes  : les maladies auto-immunes associées à un déficit en cellules souches lim-biques incluent le syndrome de Ste-vens-Johnson et la pemphigoïde ci-catricielle oculaire. La phase aiguë

du syndrome de Stevens-Johnson survient 1 à 3 semaines après l’ex-position l’ayant déclenché et dure environ 2 à 4 semaines. Il consiste en une conjonctivite membraneuse souvent aggravée par une infection bactérienne secondaire et la forma-tion de symblépharon. Les mani-festations cornéennes incluent des anomalies au niveau de l’épithélium et la formation d’un pannus. Après la phase aiguë, le syndrome de Stevens-Johnson progresse en une affection chronique, avec des degrés variables de changements cicatriciels au niveau de la conjonc-tive, incluant la réduction du fornix et la formation d’un symblépharon. Les paupières peuvent également être atteintes, causant un environ-nement hostile aggravant davan-tage le déficit en cellules souches dont souffre le patient.

4) Idiopathiques  : en l’absence de cause décelable.

TECHNIQUE CHIRURGICALE ET INDICATIONS DE GREFFES DE LIMBE ET DE LA MEMBRANE AMNIOTIQUEL’objectif de la chirurgie est d’ap-porter un contingent de cellules souches suffisant pour assurer le maintien et le renouvellement de l’épithélium cornéen. Si l’opacifica-tion cornéenne n’est que superfi-cielle, la chirurgie peut permettre d’améliorer l’acuité visuelle, sinon elle permet de préparer le lit d’une kératoplastie. Plusieurs techniques de greffes sont possibles. Ainsi, les cellules souches limbiques peuvent provenir d’une greffe tissulaire de l’œil controlatéral, d’un donneur

FIGURE 2 – Déficit en cellules souches limbiques inférieures et supérieures suite à une brûlure par NaOH.

TABLEAU 1 – CAUSES DU DÉFICIT EN CELLULES SOUCHES LIMBIQUES.Congénitale• Aniridie• Kératite à transmission

dominante• Dysplasie ectodermiqueTraumatique• Brûlures par bases ou acide• Lésion thermique• Lésion iatrogèneMaladies auto-immunes• Syndrome de Stevens-Johnson• Pemphigoïde cicatricielle

oculaireIdiopathique

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greffes de cornée

Pratiques en Ophtalmologie • avril/mai 2017 • vol. 10 • numéro 96 671

décédé, vivant apparenté et vivant non-apparenté ou d’un feuillet épi-thélial cultivé ex vivo.

■■ AUTOGREFFE DE LIMBE

> ContexteL’autogreffe de limbe permet de traiter les atteintes limbiques uni-latérales avec un œil donneur sain controlatéral. Au cours des patho-logies bilatérales, même asymé-triques, cette technique ne per-met pas d’améliorer l’œil atteint et risque de compromettre l’œil donneur, car la taille minimale du prélèvement doit correspondre au tiers du quadrant du limbe pour permettre une régénération de l’épithélium et il n’est pas pos-sible de prélever plus du tiers de la circonférence sur l’œil sain sans risque d’insuffisance limbique iatrogène. L’autogreffe de limbe reste la technique de référence du traitement des déficits en cellules souches limbiques unilatéraux, car elle permet de s’affranchir de toute immunosuppression systémique (6, 7). Elle sera contre-indiquée à l’ensemble des déficits en cellules souches d’origine auto-immune. La date de l’intervention par rapport au traumatisme initial est encore dis-cutée. Pour la plupart des chirur-giens, il est préférable d’attendre un délai de plusieurs mois, voire 1 an pour attendre une diminution de la réaction inflammatoire. D’autres auteurs préfèrent réaliser la greffe rapidement après la brûlure de la surface oculaire avant l’apparition des complications induites par le déficit en cellules souches lim-biques (8, 9). L’autogreffe de limbe est également proposée pour trai-ter les ptérygions sévères ou réci-divants. Le greffon est dans ce cas prélevé sur l’œil greffé. L’interven-tion peut se faire sous anesthésie

générale ou une anesthésie locale bilatérale peut suffire.

> RéalisationLa chirurgie comporte trois temps opératoires. Le premier temps opératoire consiste à préparer l’œil receveur. Il faut enlever le pannus fibreux recouvrant la cornée en pro-longeant la résection au-delà du limbe sur son versant conjonctival de 3 à 4 mm afin de mettre la sclère à nu autour de la zone du limbe. Le risque de perforation n’est pas né-gligeable. L’hémostase par électro-coagulation doit être douce. Le deu-xième temps opératoire est celui du prélèvement du greffon sur l’œil sain. La dissection est faite au cou-teau 45 ° et à la lame de crescent. Selon les chirurgiens, un seul gref-fon conjonctivo-limbique de 90 ° à 120 ° sur le méridien supérieur ou deux greffons de 60 ° à 90 ° sur les méridiens supérieurs et inférieurs sont prélevés (10). L’abord du gref-fon se fait sur le versant conjoncti-val avec une largeur de 2 mm puis la dissection est poursuivie vers le limbe avec une largeur de 1  mm. Le prélèvement doit emporter au moins un tiers de l’épaisseur stro-male limbique et la longueur du greffon ne doit pas dépasser 180 ° d’angle pour ne pas induire une insuffisance limbique sur l’œil don-neur. La conjonctive est reposition-née au bord du limbe et suturée par des points de Vicryl® 8-0. Dans un troisième temps, le greffon prélevé est suturé sur l’œil receveur par des points d’Éthilon® 10-0 sur le versant cornéen et Vicryl® 8-0 pour le versant conjonctival. Certains chirurgiens associent une greffe de membrane amniotique pour aug-menter la prolifération des cellules souches (11-13). Le traitement pos-topératoire comporte des collyres antibiotiques associés à des anti-

inflammatoires et des larmes arti-ficielles. La réépithélialisation est surveillée attentivement, la cicatri-sation est généralement obtenue après 2 semaines. Sinon une lentille pansement ou du sérum autologue permet d’accélérer la cicatrisation (14, 15).

> RésultatsL’amélioration de la surface ocu-laire est obtenue dans 78 à 100 % des cas, le gain de deux lignes ou plus est obtenu dans 69 à 81 % des cas selon les séries (6, 16-18). Les complications au niveau de l’œil donneur sont exceptionnelles. Un cas de kératite filamenteuse a été décrit sur l’œil donneur (7).

■■ ALLOGREFFE DE LIMBE DE DONNEUR APPARENTÉLe greffon provient d’un donneur apparenté au receveur par typage HLA de classes I et II (19). Cette greffe s’adresse à des lésions éten-dues bilatérales ou unilatérales sur œil unique. La procédure chirurgi-cale est la même que l’autogreffe de limbe. Cette technique impose une immunosuppression systémique prolongée et un traitement anti- inflammatoire local. L’amélioration de la surface oculaire à 2 ans varie de 73 à 64  % selon les séries (20, 21). La principale complication est le rejet de greffe.

■■ ALLOGREFFE DE LIMBECette greffe s’adresse aux atteintes limbiques bilatérales ou unilaté-rales sur œil unique, le greffon pro-venant d’un donneur décédé non apparenté. L’intervention est sou-vent faite sous anesthésie générale. Elle comporte trois temps opéra-toires. Le premier temps consiste à prélever un greffon lamellaire sur un greffon cornéen avec une large collerette. On réalise une trépa-

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DOSSIER

68 Pratiques en Ophtalmologie • avril/mai 2017 • vol. 10 • numéro 963

nation non transfixiante circulaire superficielle en avant du limbe et une dissection en arrière du limbe à la lame de crescent pour obtenir un greffon circulaire lamellaire d’une largeur de 1 mm en avant du limbe et de 2 mm en sclère avec une col-lerette conjonctivale. Le deuxième temps consiste à préparer l’œil receveur. Une trépanation circulaire superficielle périlimbique associée à une dissection lamellaire posté-rieure permet de reséquer le pan-nus fibreux recouvrant la cornée et de mettre la sclère à nu autour du limbe. Dans un troisième temps, le greffon lamellaire est suturé sur l’œil receveur par des points d’Éthi-lon® 10-0 sur la cornée et de Vicryl® 8-0 sur la conjonctive. La taille du greffon dépend de l’étendue du déficit limbique. Cette technique impose une immunosuppression systémique prolongée et un trai-tement anti-inflammatoire local. L’amélioration de la surface ocu-laire est obtenue dans 51 à 83 % des cas selon les séries (15, 17, 18, 22, 23). Les principales complications sont le rejet et l’absence d’amélio-ration de la surface cornéenne.

■■ ALLOGREFFE COMBINÉE CONJONCTIVO-KÉRATOLIMBIQUE : TECHNIQUE DE CINCINNATICette technique combine une allo-greffe kératolimbique et une allo-greffe conjonctivo-limbique de don-neur apparenté, afin de maximiser les avantages des deux interven-tions. Cette technique est réservée au traitement des déficits en cellules souches limbiques sévères avec un état conjonctival délabré (syndrome de Stevens-Johnson, pemphigoïde oculo-cicatricielle, brûlures ocu-laires sévères). Le tissu limbique, avec son support conjonctival, est prélevé sur le méridien de 3 heures

de l’œil d’un donneur vivant appa-renté et est ensuite greffé dans les quadrants supérieur et inférieur de l’œil receveur. On remplace ensuite le reste du limbe affecté par du tissu de donneur décédé. Cette technique nécessite également d’administrer un traitement immunosuppresseur à long terme (24). La surface ocu-laire est améliorée dans 33  % des cas et 71  % des patients ont une amélioration de l’acuité visuelle égale ou supérieure à 4 ans (24, 25).

■■ GREFFE DE MEMBRANE AMNIOTIQUELa membrane amniotique est un tissu situé à l’interface entre le placenta et le liquide amniotique et est constituée d’un épithélium unistratifié, d’une lame basale et d’un mésenchyme avasculaire. La membrane amniotique facilite la réépithélialisation, en réduisant les phénomènes inflammatoires et cicatriciels, et prépare le lit d’une greffe de limbe ultérieur. Dans l’étude de Tseng, dix yeux ayant une forme modérée d’insuffisance limbique ont été traités par greffe de membrane amniotique seule et l’acuité visuelle a été améliorée dans tous les cas (26).

■■ GREFFE DE CELLULES SOUCHES LIMBIQUES CULTIVÉES EX VIVOLes cellules souches limbiques cultivées ex vivo, ou CLET (Cultiva-ted Limbal Epithelial Transplanta-tion), sont issues d’une biopsie du limbe réalisée soit sur l’œil sain (auto-CLET) soit sur un donneur vivant apparenté (allo-CLET). Un prélèvement de 2  mm2 de limbe est prélevé sous anesthésie locale et mis en culture. Les milieux et supports de culture sont variés. La technique la plus répandue est la culture sur membrane amnio-

tique désépithélialisée (27, 28). Le prélèvement de limbe est posé sur la membrane amniotique dans un milieu de culture. Les cellules vont proliférer et recouvrir la membrane amniotique qui sera ensuite posi-tionnée sur l’œil receveur. D’autres techniques sont réalisables, dans lesquelles le prélèvement est traité enzymatiquement puis chaque cel-lule isolée est cultivée sur un sup-port (support de fibrine, lentille de contact recouverte de fibroblastes 3T3 désactivés). Une fois la culture terminée, le prélèvement cultivé peut être greffé. Le premier temps chirurgical consiste à préparer l’œil receveur par débridement du pan-nus fibrovasculaire et réalisation d’une péritomie circonférentielle. Le prélèvement est ensuite positionné sur le stroma cornéen et dépasse le limbe de 2 mm. Il est suturé par de l’Éthilon® 10-0. À la fin de l’inter-vention, soit une lentille pansement est mise en place soit une occlusion palpébrale est réalisée pendant 3 jours pour protéger la greffe de tous traumatismes. Le traitement postopératoire comporte une cor-ticothérapie et une antibiothérapie locale. Pour les auto-CLET, une corticothérapie orale est introduite. Pour les allo-CLET, une immuno-suppression systémique est débu-tée. Selon les études, les taux de succès de l’auto-CLET varient de 56 à 100  % (29, 30) et le gain de plus de deux lignes est variable de 33 à 100 % (29, 31-35). Le taux de succès des allo-CLET varie de 38 à 100 % et le gain d’acuité visuelle de plus de deux lignes varie de 33 à 76  %, selon les études également (36-39). Les complications des au-to-CLET sont rares  : hémorragie, kératite, et le risque de rejet est très faible. Pour les allo-CLET, le risque de rejet est important, d’où l’impor-tance des immunosuppresseurs.

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greffes de cornée

Pratiques en Ophtalmologie • avril/mai 2017 • vol. 10 • numéro 96 691

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Bibliographie

■■ GREFFE DE CELLULES SOUCHES NON LIMBIQUES CULTIVÉES EX VIVOL’épithélium buccal est un épi-thélium qui peut être utilisé en autogreffe. Il s’agit d’un épithélium transparent qui a un faible degré de différenciation et un fort potentiel prolifératif. Cette technique, ou CO-MET (Cultivated Oral Mucosal Epithe-lial sheet Transplantation), consiste à réaliser sous anesthésie locale un prélèvement de muqueuse buc-cale qui va être traité enzymati-quement pendant quelques heures puis ensemencé sur un support de culture (membrane amniotique, fi-brine) avec des fibroblastes murins 3T3 inactivés par mitomycine C.

Le feuillet obtenu est ensuite suturé par de l’Éthilon® 10-0, après que le pannus fibrovasculaire ait été reséqué. Le traitement postopéra-toire comporte des corticoïdes et une antibiothérapie locale. Le taux de succès de cette technique varie selon les auteurs de 57 à 63 % et le gain de deux lignes ou plus varie de 48 à 79 % (40-44). Les complications sont rares, le risque le plus rappor-té est une kératite infectieuse.

CONCLUSIONLe traitement du déficit en cellules souches limbiques est long et diffi-cile. L’ensemble de la surface doit être surveillé et traité. L’allogreffe

s’accompagne d’un risque de rejet du greffon et nécessite le recours à un traitement immunosuppresseur. La possibilité de greffer un épithé-lium sain synthétisé in vitro à par-tir de cellules souches autologues représente une alternative théra-peutique particulièrement intéres-sante. ■

✖ L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.

Mots-clés Déficit de cellules souches limbiques, Greffe de limbe

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DOSSIER

70 Pratiques en Ophtalmologie • avril/mai 2017 • vol. 10 • numéro 963

*Banque française des yeux, Paris

LES ÉTABLISSEMENTS PRÉLEVEURS ET LES BANQUES DE CORNÉESOn compte aujourd’hui 220 éta-blissements de santé autorisés à prélever des tissus en France (rapport médical et scientifique 2015 de l’Agence de la Bioméde-cine) et 28 banques de tissus, dont 16 banques de cornées.

■■ COORDINATION DES PRÉLÈVEMENTS D’ORGANES ET DE TISSUSUne équipe spécialisée appelée « coordination des prélèvements d’organes et de tissus » est en charge des prélèvements. Cette équipe est le moteur de cette activi-té. Elle est composée d’infirmier(e)s de coordination et d’un médecin coordonnateur, dont le rôle est primordial pour qu’un greffon de cornée puisse être prélevé. Ils or-ganisent et coordonnent le prélè-vement. Tout d’abord, leur premier rôle est de recenser les patients en état d’être donneur (mort encé-phalique ou mort à cœur arrêté) ou

Les banques de cornées sont l’inter-médiaire entre le binôme donneur-équipe de prélèvement et le patient greffé. Leur rôle est de vérifier que les cornées prélevées répondent aux critères stricts de validation qui relèvent à la fois de la sécurité sanitaire avec le respect des règles de sélection des donneurs et des contrôles tissulaires (Fig. 1 et 2).

■■ LA BANQUE FRANÇAISE DES YEUXSept des 16 banques de cornées dépendent de l’Établissement français du sang, 8 de CHU et 1 banque a un statut associatif  : il s’agit de la Banque française des yeux (BFY), fondée le 16 octobre 1948 par le Dr Bernard Lafay avec l’aide de l’association des muti-lés des yeux de guerre. La BFY a été reconnue d’utilité publique en 1961. Elle est basée à Paris.

> Conservation à température ambianteLa BFY a développé une expertise particulière dans la conservation des tissus cornéens en organo-culture à température ambiante.

6/ Du prélèvement de cornées à la greffe 20 ans d’évolution des pratiques vus par la Banque française des yeux

Tout commence par le geste généreux d’un don-neur après sa mort. Le don de cornées est par-faitement encadré au niveau réglementaire. Les textes qui ont défini et encadré le don, le prélève-ment et la distribution des greffons ont vu le jour

il y a 20 ans  : lois de Bioéthique de 1994, décret définissant les conditions d’autorisation des éta-blissements de santé à réaliser les prélèvements de 1997 et décret définissant les conditions d’auto-risation des banques de tissus de 1998.

Isabelle Sourati*, Sophie Gleize*

les personnes pour lesquelles une décision d’arrêt de soins thérapeu-tique ou de limitation thérapeutique est prise en raison du pronostic des pathologies. Ensuite, ils ren-contrent les familles, consultent les registres, effectuent les forma-lités administratives, contactent les acteurs du prélèvement et de la chaîne de conservation, planifient les opérations de prélèvements, qu’ils soient multi-organes au bloc opératoire ou tissulaires à cœur arrêté en chambre mortuaire. En-fin, ils éduquent les soignants et la population sur ce type d’activité et sur son fonctionnement.

■■ CHAÎNE HUMAINE ET BANQUES DE CORNÉESLe prélèvement, c’est aussi une chaîne humaine impliquant les équipes médicales et paramédi-cales des services de soins, les brancardiers, les agents de l’état civil et les agents de la chambre mortuaire, qui permet d’aboutir à un tissu prélevé, en l’occurrence une cornée, dans des conditions exploitables par la suite pour être amené à une transplantation.

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greffes de cornée

Pratiques en Ophtalmologie • avril/mai 2017 • vol. 10 • numéro 96 711

FIGURE 1 – A) Inspection au microscope B) d’un greffon de cornée en salle blanche.

FIGURE 2 – A) Évaluation de la qualité et de la densité endothéliale des greffons de cornée. B) Endothélium dilaté par choc osmotique, vu au microscope optique.

L’avantage de ce procédé est qu’il augmente le temps possible de conservation à quelques se-maines. Ainsi, il permet de prendre le temps d’analyser la qualité des cornées, d’organiser la trans-plantation dans de meilleures conditions pour les équipes soi-gnantes et les patients, ainsi que d’expédier les greffons dans tous les territoires français dans de bonnes conditions. En revanche, il œdématie les cornées, qu’il faut déturger 24 à 48 heures en amont d’une kératoplastie transfixiante ou lamellaire antérieure. A contra-rio, la gestion des prélèvements “frais”, conservés à 4 °C, est plus tendue. S’ils ne nécessitent pas de déturgescence et sont moins manipulés, leur péremption est très rapide.

LA HAUSSE DES PRÉLÈVEMENTS Il y a 20 ans, le nombre de cornées prélevées ne permettait pas à la BFY de répondre aux besoins des chirurgiens. Les délais de greffe étaient souvent de plusieurs an-nées. Les importations mises en place en provenance d’Italie et des États-Unis ne suffisaient pas à combler le manque de cornées pour les patients. À partir des an-nées 2000 et sous l’impulsion du Service de régulation et d’appui de l’Agence de la Biomédecine, les prélèvements ont augmenté sur l’ensemble du territoire français.

■■ ASPECT LÉGISLATIFLa nouvelle loi de Bioéthique, remplaçant la loi Huriet, a permis de faciliter ce processus. La loi (n°2016-41) du 26 janvier 2016 a réaffirmé quant à elle le principe de consentement présumé au don d’organes, précisé les modalités de refus de prélèvement et clarifié

le rôle des proches, pour une mise en œuvre au 1er janvier 2017. De-puis la loi de 1976, chaque citoyen français est un donneur d’organes présumé s’il ne s’est pas opposé au prélèvement par un écrit confié à un proche ou s’il s’est inscrit sur le registre national des refus. Chacun peut aussi faire savoir son opposition de vive voix à ses proches, à qui il sera demandé de retranscrire par écrit les circons-tances précises de l’expression de ce refus et de signer le document. Un entretien des professionnels de santé avec les proches vise, bien sûr, à recueillir l’expression d’un éventuel refus du défunt.

L’objectif des tutelles était l’auto-suffisance sur le territoire natio-nal et l’arrêt des importations. L’objectif a été atteint en 2006, avec l’arrêt du besoin d’importa-tion des cornées.Au sein de la BFY, la hausse des prélèvements a été spectaculaire :

+360  % en 20 ans pour atteindre 1 693 cornées prélevées en 2016 (Fig. 3).Selon le rapport médical et scien-tifique 2015 de l’Agence de la Bio-médecine, 11 392 cornées ont été prélevées en France en 2015.

UNE ÉVOLUTION DES PRATIQUES ET DES BESOINSEn 20 ans, les pratiques ont tota-lement changé  : dans les années 1995, quand une cornée était vali-dée, la BFY prévenait les chirur-giens qui programmaient alors une greffe. À partir des années 2000, suite à l’arrêté du 30 août 1999 portant sur l’homologation des règles de répartition et d’attri-bution des greffons tissulaires, les chirurgiens ont commencé à en-voyer des prescriptions médicales nominatives en programmant une date de greffe. Cette modification des pratiques peut paraître anec-

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DOSSIER

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dotique, mais elle a permis à la BFY de documenter au quotidien la hausse des demandes. Entre 2010 et 2015, le nombre de nouveaux patients inscrits sur GLAC (gestion de la liste d’attente de greffe de cornée) a progressé de 30  %, avec en parallèle une hausse du nombre de greffes de cornées de 21 % (rapport médical et scientifique 2015 de l’Agence de la Biomédecine).

■■ UNE DEMANDE DE GREFFONS EN HAUSSEAvec plus de 700 000 interventions de cataracte annuelles, le nombre d’insuffisances endothéliales du pseudophake ne faiblit pas, mal-gré des techniques opératoires et des implants plus sûrs qu’au-paravant. À la BFY, nous avons également constaté une progres-sion constante de la demande de greffons. Elle est passée de 60 à 80 puis à 110 demandes par mois. En parallèle, l’analyse des pra-tiques montre un fort dévelop-pement des greffes lamellaires postérieures. Analysés au regard du nombre de patients greffés, ces chiffres laissent deviner un nombre de greffes itératives légè-rement augmenté aussi.

L’option de conservation en organoculture des greffons af-firme son intérêt à l’heure où les pratiques de kératoplastie évo-luent. Très utilisée auparavant outre-Atlantique, la conservation à 4 °C de cornées fraîches perd maintenant un peu de son intérêt (transparence du stroma du gref-fon, récupération visuelle accé-lérée) avec l’augmentation des indications de greffes lamellaires endothéliales. Depuis 2014, la BFY met à la disposition des chirur-giens des cornées prédécoupées

DSAEK (Fig. 4). Elle espère bientôt faire de même avec des greffons prédécoupés pour la DMEK en 2018 (Fig. 5).

PÉNURIE OU AUTOSUFFISANCE ?Si nous comparons la situation ac-tuelle aux décennies précédentes, nous pouvons affirmer que nous ne sommes plus en pénurie, mais dans une relative auto-suffisance en France.La situation est en fait contrastée et varie selon les régions : les be-soins sont plus importants en Île-de-France et dans le Sud. La carte du taux des nouveaux inscrits sur

GLAC traduit la progression dif-férente de la demande selon les régions (Fig. 6).

■■ FLUCTUATION DES PRÉLÈVEMENTSIl faut également tenir compte de la fluctuation importante des prélève-ments d’un mois à l’autre. La coopé-ration entre banques pour échanger les cornées ne suffit malheureuse-ment pas toujours à lisser les baisses de prélèvements qui, associées à des pics de demandes, génèrent des reports de greffes. En effet, les baisses de prélèvements peuvent être ponctuelles et régionales, mais sont souvent nationales quand elles durent. À titre d’exemple, en 2016, la

FIGURE 3 – Vingt ans d’évolution des prélèvements de tissu cornéen par la BFY.

FIGURE 4 – Préparation d’un greffon prédécoupé destiné à la réalisation d’une kératoplastie lamellaire endothéliale DSAEK.

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greffes de cornée

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BFY a réussi à répondre globalement aux demandes des chirurgiens sauf sur la période de septembre à dé-cembre, qui a été particulièrement critique  : 101 greffes ont dû être reportées et seulement 15 greffons ont pu être distribués en provenance d’autres banques françaises sur la même période.A contrario, à certaines périodes de l’année, on peut constater des excé-dents de cornées, par éloignement des patients, diminution du pool de chirurgiens en fonction ou manque de blocs disponibles pour accueillir les procédures. L’intérêt du proces-sus de conservation des cornées à température ambiante en milieu de culture (organoculture) est alors au premier plan, car le délai de conser-vation est dans ce cas de quelques semaines.

CONCLUSIONLe prélèvement de cornée, sa conservation et son achemine-ment à la kératoplastie sont des étapes peu connues, mais de haute valeur ajoutée pour les pa-tients. De nombreux profession-nels de santé s’y impliquent, afin de répondre à une demande tou-jours croissante et exigeante. Les efforts de ces 20 dernières années ont été couronnés de succès. Ils ont permis une hausse constante du nombre de patients greffés depuis 20 ans en France. Le déve-loppement des greffes lamellaires postérieures a vu l’émergence de la demande des greffons prédé-coupés en banque, avec le déve-loppement de nouvelles compé-tences au sein des organismes de banques tissulaires. L’adéquation entre les prélèvements

et les besoins reste un objectif d’ac-tualité pour les années à venir. ■

✖ Les auteurs déclarent être salariées de la Banque française des yeux.

FIGURE 5 – Préparation d’un greffon prédécoupé destiné à la réalisation d’une kératoplastie lamellaire endothéliale DMEK.

FIGURE 6 – Carte du nombre de patients inscrits pour une kératoplastie en France en 2015.

Mots-clés Prélèvement de cornées, Greffe, Banque française des yeux