Groupe Inconscient

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Le groupe et l'inconscient

Le Groupe et lInconscientLimaginaire groupalTable des matiresPrface la seconde dition4Introduction: Imaginaire groupal, structure topique et organisation fantasmatique des groupes51. De la mthode psychanalytique et de ses rgles dans les situations de groupe (1)12Psychanalyse gnrale et psychanalyse applique12La dmarche psychanalytique lgard des groupes14La situation psychanalytique de groupe19Le travail psychanalytique dans les groupes23Groupe thrapeutique, groupe formatif, groupe naturel282. L'imaginaire dans les groupes29A. La ralit imaginaire des groupes29Le groupe, mise en commun de quoi? Critique de Lewin29Le groupe, lieu de fomentation des images33Lapport de Bion36Le groupe perscut ou dprim face au psychosociologue40Le groupe, menace primaire pour lindividu45Les mtaphores du groupe481. Le groupe comme organisme vivant482. Le groupe comme machine50B. Rsum: pour introduire limaginaire dans les groupes (0)553. Analogie du groupe et du rve: le groupe, accomplissement imaginaire de dsirs et de menaces (')614. Lillusion groupale: un Moi idal commun (')77Explication psychanalytique975. Le groupe est une bouche une fantasmatique orale en groupe 0)1026. Les fantasmes de casse116Prsentation de lobservation n 8116Texte de lobservation n 8118La premire journe118La seconde journe118La troisime journe121La quatrime journe129La cinquime journe130La sixime journe134Commentaires1387. Le fantasme du groupe machine, ou le groupe sducteur-perscuteur 0)1438. La rsistance paradoxale: une auto-destruction du groupe (*)155Une nouvelle forme de rsistance: le travail psychanalytique pig155Observation n 9: Le cas du taureau ratiocineur158Une logique pathogne de la communication daprs lcole de Palo-Alto161Linjonction paradoxale dans la scne du taureau ratiocineur164Les paradoxes logiques sont des figures de la pulsion de mort1669. Le groupe, limago paternelle et le Surmoi169A. Perturbations dans un groupe organis par limago paternelle (')169Observation n 2: le problme dun comit de direction169B. Un cas de caractre obsessionnel dans un groupe: Observation n 10179Le travail dinterprtation indirecte182Le groupe, projection du Surmoi18410. Thorie gnrale de la circulation fantasmatique en groupe186A. Panorama de la vie groupale inconsciente (0186Critique des thories psychosociologiqnes187Lillusion groupale et les fantasmes de casse188Le groupe, accomplissement imaginaire du dsir et de la menace189Lespace imaginaire du groupe191Le clivage du transfert192Les manifestations des angoisses archaques194Le Moi, le groupe et la rorganisation des identifications196Quelques autres phnomnes198B. Cinq organisateurs psychiques inconscients du groupe200La circulation fantasmatique200Un premier organisateur psychique inconscient du groupe: le fantasme individuel202Un second organisateur: limago207Un troisime organisateur: les fantasmes originaires209Le complexe ddipe, organisateur spcifique du groupe familial ou mta-organisateur groupai?212Organisateur, pseudo-organisateur et dsorganisateur219Un cinquime organisateur: limage du corps propre et lenveloppe psychique de lappareil groupal220Principes du fonctionnement psychique de lappareil groupal225C. Reprsentations collectives et rsonance fantasmatique groupale227Bibliographie237Table des observations251Index253Prface la seconde ditionLa premire dition de ce livre parut en 1975 sous le titre le Groupe et linconscient. Elle comportait trois parties: Problmes de mthode; La vie fantasmatique des groupes; Le groupe, dfense contre linconscient. Cette seconde dition na pas conserv cette subdivision. Elle vise en effet allger louvrage et le concentrer autour de son thme principal, lImaginaire groupai (qui a eu depuis tant dinfluence en dynamique des groupes, en sociologie, en histoire, en philosophie politique et qui fournit dsormais au livre son sous-titre): elle peut faire ainsi plus de place aux dveloppements thoriques. Allgements: les chapitres anciens sur le Systme des rgles du groupe de diagnostic, le Psychodrame analytique collectif, le Travail psychanalytique dans les groupes larges et le Groupe, projection de linconscient social, ont disparu. Concentration: lordre de succession de certains chapitres a t modifi pour aboutir une meilleure cohrence conceptuelle; deux observations de groupe diffrentes ont t regroupes sous la rubrique le Groupe, limago paternelle et le Surmoi. Dveloppements, enfin. Louvrage souvre sur une Introduction nouvelle qui propose darticuler imaginaire groupai, structure topique et organisation fantasmatique des groupes. Le chapitre, devenu terminal, sur la circulation fantasmatique en groupe, conserve (en le condensant) le Panorama de la vie groupale inconsciente; il porte de trois cinq le nombre des organisateurs psychiques inconscients du groupe et consacre une section la rsonance fantasmatique groupale exerce par les reprsentations collectives.Fvrier 1981. Didier ANZIEUIntroduction: Imaginaire groupal, structure topique et organisation fantasmatique des groupesUn groupe est une enveloppe qui fait tenir ensemble des individus. Tant que cette enveloppe nest pas constitue, il peut se trouver un agrgat humain, il ny a pas de groupe. Quelle est la nature de cette enveloppe? Les sociologues qui ont tudi des groupes, les administrateurs qui en ont grs, les fondateurs qui en ont crs mettent laccent sur le rseau de rglements implicites ou explicites, de coutumes tablies, de rites, dactes et de faits ayant valeur de jurisprudence, sur les assignations de places lintrieur du groupe, sur les particularits du langage parl entre les, membres et connues deux seuls. Ce rseau, qui enserre les penses, les paroles, les actions, permet au groupe de se constituer un espace interne (qui procure un sentiment de libert dans lefficacit et qui garantit le maintien des changes intra-groupe) et une temporalit propre (comprenant un pass do il tire son origine, et un avenir o il projette daccomplir des buts). Rduite sa trame, lenveloppe groupale est un systme de rgles, celui qui opre par exemple en tout sminaire, religieux ou psychosociologique. De ce point de vue toute vie de groupe est prise dans une trame symbolique: cest elle qui le fait durer. Cest l toutefois une condition ncessaire, mais non suffisante. Un groupe o la vie psychique est morte peut ainsi se survivre. De son enveloppe, la chair vivante a disparu, il ne reste plus que la trame.Une enveloppe vivante, comme la peau qui se rgnre autour du corps, comme le Moi qui sefforce denglober le psychisme, est une membrane double face. Lune est tourne vers la ralit extrieure, physique et sociale, notamment vers dautres groupes, semblables, diffrents ou antithtiques quant au systme de leurs rgles et que le groupe va considrer comme des allis, des concurrents ou des neutres. Par cette face, lenveloppe groupale difie une barrire protectrice contre lextrieur. Sil y a lieu, elle fonctionne aussi comme filtre des nergies accueillir et des informations recevoir. Lautre face est tourne vers la ralit intrieure des membres du groupe. Il ny a de ralit intrieure inconsciente quindividuelle, mais lenveloppe groupale se constitue dans le mouvement mme de la projection que les individus font sur elle de leurs fantasmes, de leurs imagos, de leur topique subjective (cest--dire de la faon dont sarticule, dans les appareils psychiques individuels, le fonctionnement des sous-systmes de celui-ci: a, Moi, Moi idal, Surmoi, Idal du Moi). Par sa face interne, lenveloppe groupale permet ltablissement dun tat psychique transindividuel que je propose dappeler un Soi de groupe: le groupe a un Soi propre. Mieux encore il est Soi. Ce Soi est imaginaire. Il fonde la ralit imaginaire des groupes. Il est le contenant lintrieur duquel une circulation fantasmatique et identificatoire va sactiver entre les personnes. Cest lui qui rend le group vivant. Jvoquais tout lheure une trame sans chair (les groupes purement formels, institutionaliss, ou commmoratifs); il convient desquisser ici le tableau dune chair sans trame: les groupes purement fusion-nels, intemporels, consommateurs dillusion.Ds 1964, dans des circonstances que jvoque plus loin (cf. le prambule du chapitre 2 et les observations n 3 et n 4), jai parl de la ralit imaginaire des groupes. Cette notion, qui ntait encore quune intuition approximative, sest avre fconde. Elle a t la matrice de plusieurs dcouvertes, lenveloppe intellectuelle dynamique qui a stimul et coordonn, tout dabord au sein de lquipe du CEFFRAP, puis plus largement, des avances thoriques et des progrs cliniques et techniques en matire de psychanalyse groupale. Je rappelerai le constat de Bjarano selon lequel les angoisses perscutive et dpressive et le clivage du transfert sont dautant plus mobiliss que le groupe est large et non directif; les apports de Pontalis sur les rves nocturnes des participants dun groupe de formation; ceux de Missenard sur la prvention des dcompensations et sur la valeur structurante pour les participants du phantasme du moniteur dans ces mmes groupes; ma propre dcouverte de lillusion groupale. Cest surtout Ren Kas qui a dvelopp et systmatis dans ses implications et ses consquences lintuition primitive. En 1966, il rdige un projet de livre sur limaginaire et le groupe et il commence dtudier, dans la peinture, le roman, la publicit, les reprsentations collectives du groupe. Dans un document crit dont jai discut avec lui en 1970, il introduit, simultanment avec A. Missenard, la notion dorganisateur, en se rfrant dune part Spitz qui lavait transpose de lembryologie la psychologie gntique et applique aux crises du dveloppement dans la premire enfance, dautre part Lacan dans son travail sur les complexes familiaux et sur la rivalit dipienne comme organisateur d la famille, et enfin la thorie des systmes et des organisations. Kas prcise que ces organisateurs sont de deux sortes, psychologiques et sociaux, et quils organisent non seulement des reprsentations de groupe, mais aussi le processus groupai.Dans sa contribution au livre collectif que jai dirig en 1972 (Le travail psychanalytique dans les groupes, tome \), Kas articule organisateur et protogroupe. Simultanment, il tudie lidologie (1971 b) comme une production, sur le mode des formations de compromis, de limaginaire dans les groupes; il esquisse le concept d'Appareil psychique groupai (qui donnera son titre au livre quil fera paratre en 1976, avec un sous-titre significatif: Constructions du groupe), et il travaille sur larticle de Laplanche et Pontalis qui propose une approche structurale des fantasmes originaires. En 1972-73, il rdige ses Quatre tudes sur la fantasmatique de la formation et le dsir de former (Kas, 1973 b), suivie dune cinquime tude sur Dsir de toute-puissance, culpabilit et preuves dans la formation (1976 a), des travaux sur la rsonance fantasmatique du mot Sminaire (1974 a), sur le corps imaginaire comme organisateur du groupe large (1974 b), sur le fantasme du groupe embroch (1974 c), lArchigroupe (1974 d), la Geste du groupe hroque (1974 e), et On (d)forme un enfant (1975). Dans un texte sur le groupe large, lespace et le corps, Ren Kas montre la rversibilit des reprsentations du corps et du groupe et lie explicitement 1 organisation de lespace imaginaire du groupe des mtaphores ou des mtonymies du corps propre. Lespace-support ncessaire la runion du groupe crit-il , son sige, nest pas un espace suffisant pour sa localisation. Il lui faut aussi sans doute dabord buter contre ses limites et ses contraintes, donner une me, animer cet espace qui est espace du dsir. Peut-tre est-ce l, dans ce fait que le dsir est espace espace imaginaire qui tend devenir rel (...) , que rside la cause de ce que lespace reste la dimension cache. (...) Le drame de lespace, pour le groupe comme pour lindividu, est dans cette possibilit fragile dtablir un lien entre lespace imaginaire et lespace rel, entre lespace vcu qui est le corps de lhomme et son image dans lespace rel. Ce lien est la construction de lespace symbolique.Tout groupe ne sorganise que comme mtaphore ou/et mtonymie du corps, ou de parties du corps. Le destin dun groupe et de ses sujets constituants se dfinit dans le rapport qui stablit entre lespace vcu (le corps) et la reprsentation de cet espace, entre cette reprsentation et lespace rel qui est son support dans la scne de lhistoire. Ltude des reprsentations du groupe (...) assure de cette rfrence centrale lespace vcu du corps; mais aussi, certaines reprsentations du corps sont des reprsentations de groupe (tableaux de N. de St Phalle, de J. Van den Bussche; cf. R. Kas, 1974 a), comme si une correspondance fondamentale liait, peut-tre en leur origine mme, lespace du corps et celui du groupe, comme le terme mme d'organisation le suggre (R. Kas, 1974 b).Revenons au prsent ouvrage. Jy confirme et renforce lide directrice qui tait esquisse en 1975 dans sa premire dition: tout groupe humain rsulte dune topique subjective, projete sur lui par les personnes qui le composent. Cette dcouverte spcifique rsulte de lapproche psychanalytique et complte cette autre ide psychanalytique antrieure, mise parJ.P. Pontalis (1963), selon laquelle un groupe est un objet dinvestissement pulsionnel. Mais cette ide antrieure tait reste insuffisamment utilisable en thorie comme en pratique jusqu es quelle trouve, dans lnonc nouveau que je propose, le complment indispensable son oprativit. Lappareil psychique individuel se protge et se sert des stimulations externes et des pulsions internes en sorganisant un espace mental diffrenci en zones. Celles-ci sont respectivement le sige des diverses instances que Freud a inventories, le a, le Moi idal, le Surmoi, lIdal du Moi, le Moi, lui-mme divis en systme perception-conscience et en mcanismes de dfense inconscients. Chacune ou presque de ces instances tend tre, non pas tant, comme voudrait le faire croire une vue anthropomorphique, le centre qui commanderait au fonctionnement de tout lappareil, que lenveloppe qui lui assure son unit, son intgrit et ses changes avec le monde extrieur, avec le corps et avec les autres instances. Ainsi le a inconscient se fait-il lenveloppe du corps biologique, le Moi se fait-il lenveloppe de lappareil psychique domin par les processus inconscients, le systme perception-conscience se fait-il lenveloppe du Moi, tout ceci constituant une srie limite dembotements de noyaux et dcorces termes que jemprunte Nicolas Abraham (1978). Certains noyaux peuvent se localiser, par rapport telle ou telle de ces corces, lintrieur, ou encore lextrieur (tels sont les cas des instances idales ou rpressives) ou la priphrie (tel est le cas du vrai Soi cach).Un groupe ne peut se protger et se servir des stimulations dorigine externe et des pulsions investies sur lui par ses membres que sil se construit ce que Kas a appel un appareil psychique groupai, construction qui sopre par un double tayage, dune part sur les appareils psychiques individuels composants, dautre part sur la culture environnante et les reprsentations collectives du groupe que celle-ci fournit. R. Kas a surtout tudi les relations disomorphie et dhomomorphie entre appareil groupai et appareil individuel et il a mis en vidence un conflit intrasystmique propre lappareil psychique groupai, conflit entre une tendance raliser lidentit du groupai et de lindividuel (isomorphie) et une tendance du psychisme groupai se diffrencier du psychisme individuel tout en tablissant avec lui certaines analogies (homomorphie). Quant moi, jajoute que lappareil psychique groupai a besoin, pour tre, de se constituer une enveloppe et quafin dy parvenir, il fait appel une instance qui soit commune aux appareils individuels composants. Selon linstance qui servira denveloppe au psychisme groupai, le fonctionnement psychique inconscient et conscient du groupe sera diffrent, avec des incidences sur la conduite du groupe par rapport ses objectifs et par rapport la ralit externe.S. Freud, le fondateur de la psychanalyse, a eu le premier lide quune de ces instances, lIdal du Moi, pourrait assurer lunit et la cohsion dune collectivit. Il a galement montr le rle organisateur (ou dsorga-nisateur) de limago dans les foules et dans la socit globale. K. Lewin, linventeur de la dynamique des groupes qui ntait pas psychanalyste a, par ses exprimentations et ses conceptualisations, mis en vidence la ncessit pour les membres du groupe, surtout sils veulent assurer entre eux un fonctionnement dmocratique, de substituer aux Moi individuels ce quon pourrait appeler un Moi de groupe conscient, sige de processus psychiques secondaires communs. Jai moi-mme ensuite montr quun groupe pouvait trouver son enveloppe psychique dans un Moi idal commun: cest le phnomne de lillusion groupale. A partir de l, jai t amen systmatiser. Un Moi dfensif inconscient commun, au service dun Surmoi de groupe, peut videmment sorganiser autour du groupe ou le groupe sorganiser contre un tel Surmoi. Le groupe peut galement se chercher, au travers de mcanismes de dfense partags, un a commun comme enveloppe: selon la nature de la pulsion dominante ou selon son stade dvolution, des phnomnes collectifs varis peuvent prendre place. Je donnerai pour exemples, dans les pages qui suivent, la fantasmatique du groupe comme sein-bouche, ou comme sein-toilettes, les fantasmes de casse, le fantasme du groupe-machine, la rsistance paradoxale; ces fantasmes sont des expressions de pulsions respectivement libidinales, agressives ou auto-destructrices, plus ou moins rgressives et plus ou moins unies entre elles ou clives. Cest en effet essentiellement sous forme dune circulation fantasmatique entre les membres du groupe que se manifeste lagencement topique venu structurer de faon plus ou moins stable lappareil groupai. Le fantasme est un produit, et un produit pour une bonne part dfensif; il rsulte dune double structuration conomique et topique, quil reprsente, dforme et masque. Par ailleurs, il est, son tour, producteur deffets particuliers sur les penses, les affects, les conduites des membres du groupe.Je me suis centr sur la vie fantasmatique des groupes en raison de ce statut mtapsychologique intermdiaire. Ltude de la fantasmatisation groupale est une excellente voie daccs la structuration conomico-topique de lappareil psychique groupai. En mme temps cette tude apporte des repres utiles pour comprendre un niveau empirique ce qui se passe (ou ce qui ne se passe pas) dans un groupe, et ventuellement pour agir en groupe. Cela me conduit la distinction de deux niveaux, celui de la structure, celui de lorganisation: une instance psychique commune aux appareils individuels structure un appareil groupai; cette structure rend possible son tour plusieurs organisations fantasmatiques. Dans le chapitre thorique terminal, je tenterai de montrer quil y a cinq grandes formes dorganisation fantasmatique inconsciente dans les groupes, selon que celle-ci se fait autour dun fantasme individuel, autour dun fantasme originaire, autour dune imago parentale, autour de limage du corps propre, et enfin, question controverse, autour du complexe ddipe.Deux problmes inhrents aux diverses tudes que je dvelopperai partir de l seront ceux de larticulation et de linteraction de la vie fantasmatique dans les petits groupes humains avec linconscient individuel dune part, avec linconscient social dautre part. Ceux qui ont lexprience de groupes multiples comme psychothrapeutes, comme animateurs, comme observateurs, comme dirigeants ou comme participants savent combien sont varis, et pour une bonne part imprvisibles, les destins des groupes, en raison du rle, souvent dcisif, des personnalits individuelles. Cest l un constat empirique, dont la thorie que je propose donne une explication: ces personnalits qui se trouvent composer un groupe et qui ont le construire peuvent-elles trouver entre elles, tant donn ce quelles sont, dabord une instance psychique commune, et ensuite un organisateur fantasmatique ou imagoque inconscient? Cette instance et cet organisateur seront-ils appropris pour leur permettre (ou pour les empcher) de raliser les buts qui leur sont assigns ou quils se sont choisis? La rponse sera variable selon la composition du groupe, selon la culture quil a hrite, selon le niveau auquel ses membres entrent en contact. Mais le destin dun groupe dpend galement des attitudes des autres groupes, du contexte social global, et dvnements historiques locaux ou gnraux venant fonctionner aprs coup comme marques et comme repres; toutefois, la mthodologie expose au dbut de louvrage ne convient plus cet aspect du problme, puisquelle le met prcisment entre parenthse. Javancerai toutefois, dans la dernire section du chapitre terminal, quelques hypothses concernant, dune part, linfluence des reprsentations collectives sur le fonctionnement des groupes, dautre part, la multiplication de groupes spontans dans les situations de crise affectant la mentalit collective. Ces dernires considrations amorcent la notion danalyse transitionnelle que R. Kas a nonce vers 1976, comme dmarche approprie llaboration des crises individuelles et groupales (l).(') Voir l'ouvrage collectif de Kas, Missenard, Kaspi, Anzieu, Guillaumin, Bleger: Crise, rupture et dpassement: Analyse transitionnelle en psychanalyse individuelle et groupale, Paris, Dunod, 1979.1. De la mthode psychanalytique et de ses rgles dans les situations de groupe (1)Psychanalyse gnrale et psychanalyse appliqueLinconscient produit partout et toujours des effets contre lesquels les hommes ne cessent de se dfendre, ou quils interprtent faussement, ou encore quils cherchent manipuler par des voies obscures pour un profit suppos. La condition pour que ces effets deviennent scientifiquement traitables rside dans linstauration dune situation, rgie par des rgles prcises, o leur production soit transfre et leur interprtation exacte assure. Dans cette situation, deux tres homologues par leur appareil psychique, le psychanalyste et le sujet, occupent des positions dissemblables. Certaines rgles leur sont communes: la rgle dabstinence, en leur interdisant tout rapport personnel rel dans la situation ou au dehors, les voue navoir ensemble que des rapports fantasmatiques et symboliques ainsi que les rapports sociaux courants. Dautres rgles sont spcifiques de chacune des deux positions. La tche du sujet est dexprimer tout ce quil pense, imagine, ressent dans la situation, cest--dire de symboliser les effets que celle-ci exerce sur lui. La tche de lanalyste est de comprendre comme transfert, ou comme rsistance au transfert, tout ce que le sujet cherche signifier dans cette situation et de nintervenir, notamment par des interprtations, que pour lui en faire entendre le sens. De l proviennent les effets que le psychanalyste exerce, de lintrieur de celle-ci, sur la situation.Des rgles complmentaires prcisent les positions respectives du corps dans lespace au cours des sances, la frquence et la dure de celles-ci, la nature de la tche symbolique requise du sujet (parler, dessiner, jouer avec un certain matriel, se relaxer, effectuer gestes, mimiques, postures ou y ragir, entrer en contacts corporels, improviser un rle, produire ou interprter un certain type de document), enfin leffort financier fournir. Mais, nous entrons dj dans le domaine de la psychanalyse applique.En effet, la mthode dfinie plus haut, longtemps confondue avec la cure individuelle des nvross qui a constitu le champ originaire de sa dcouverte et sa premire application, relve dune discipline qui mrite lappellation de psychanalyse gnrale. Par opposition, la psychanalyse applique se dfinit comme lensemble ouvert et toujours en devenir des pratiques concrtes de cette mthode gnrale. La tche, dj trs avance, de la psychanalyse gnrale est dlaborer la thorie de lappareil psychique (sa gense, son fonctionnement, ses changements) partir des observations que les psychanalystes, Freud le premier, ont t et sont encore amens faire avec cette mthode. La tche de la psychanalyse applique est de dcouvrir les effets spcifiques de linconscient dans un champ donn et les transpositions de la mthode gnrale spcifiquement requises dans ce champ, en fonction par exemple de la nature des sujets analysants (< normaux >, nvross, narcissiques, psychotiques ou cas psychosomatiques; adultes, adolescents ou enfants; individus, groupes ou institutions) ou de la nature du but vis par le travail analytique (diagnostic, thrapie, formation, intervention en milieu naturel).Il nexiste pour le moment aucune autre mthode gnrale que la psychanalytique qui soit utilisable pour la production et le traitement des effets de linconscient dans des conditions scientifiques. ). toute hypothse enfin a confirmer sa vrit par sa fcondit dans un autre domaine que celui sur lequel elle a t tablie; par exemple lhypothse que la situation de groupe large non directif (30 60 personnes) suscite le clivage du transfert et intensifie le transfert ngatif aide comprendre, dun point de vue conomique, le recours frquent des expressions archaques violentes de lagressivit (par exemple la guerre) dans les grands groupes sociaux rels, composs de plusieurs milliers de personnes.La dmarche psychanalytique applique aux phnomnes de groupe obit galement des critres plus spcifiquement psychanalytiques. Le premier dentre eux concerne le vocabulaire. Le psychanalyste effectuant un travail de recherche sur les groupes ne peut recourir dans ses noncs thoriques quau seul vocabulaire psychanalytique (par contre, dans la pratique de linterprtation, il sexprime le plus possible en langage courant). En effet, si toute description des faits est foisonnante, diversifie, polyphasi-que, lexplication scientifique est monophasique. Par vocabulaire psychanalytique, il convient dentendre non seulement les concepts ds Freud mais tous les apports notionnels de ses successeurs dont la validit sest impose dans un secteur quelconque de la psychanalyse.Lanalogie du groupe et du rve que nous-mme avons soutenue dans un article de 1966 reproduit au chapitre 3 (le groupe, comme le rve, est accomplissement imaginaire dun dsir refoul) se rfrait la thorie freudienne commenante, cest--dire la premire topique. Depuis, la thorie psychanalytique des groupes a progress par le recours systmatique la seconde topique. Cest l dailleurs un juste retour des choses car cette dernire a t dcouverte par Freud partir dun double rapprochement entre lhypnose et la foule et entre lambivalence envers limago paternelle et la psychologie collective des organisations. La seconde topique conoit les conflits, intrt intrasystmatiques, par analogie avec les tensions interindividuelles au sein dun groupe, lappareil psychique individuel sexpliquant alors par lintriorisation dun modle groupai. Mais lanalogie est rversible: il existe un appareil psychique groupai (R. Kas, 1976 d) dot des mmes instances que lindividuel, mais non des mmes principes de fonctionnement: appareils homologues et non isomorphes. A. Missenard (1971, 1972, 1976) a montr que le principal effet de formation des mthodes de groupe rside dans la destruction de certaines identifications imaginaires chez les participants et dans la mise en place progressive dabord didentifications narcissiques stabilisatrices, puis didentifications symboliques novatricesLapport des continuateurs de Freud sest avr tout aussi riche. Lcole kleinienne anglaise a depuis 1950 identifi le niveau dangoisse dans les groupes comme psychotique et constat que les angoisses perscutive et dpressive sy trouvent accentues par la non directivit. Plus prs de nousAnglo Bjarano, sinspirant galement de M. Klein, a dcouvert ds 1968 que la situation de sminaire, o les participants travaillent alternativement en petits groupes et en runions plnires, dclenche le clivage du transfert: le transfert positif se concentre gnralement sur le petit groupe et le transfert ngatif sur le groupe large (A. Bjarano, 1971, 1982).Les psychanalystes qui sintressent aux mthodes de formation en groupe nont jusquici ni procd suffisamment la critique du vocabulaire psychosociologique de Lewin, de Rogers et de leurs disciples, ni nonc avec assez de clart et de fermet le fait que le recours ce vocabulaire par les moniteurs des groupes de formation survient essentiellement pour des raisons contre-transfrentielles. Les concepts psychosociologiques en matire de dynamique des groupes relvent en effet dune attitude dfensive envers les processus groupaux inconscients. La psychosociologie a par exemple privilgi le leadership au point den faire un processus clef dans le fonctionnement et la progression dun groupe. La comprhension psychanalytique des groupes conduit une conclusion bien diffrente, que Bjarano (1972) a nonce: les phnomnes de leadership constituent, avec ceux du clivage en sous-groupes, la forme spcifique de la rsistance dans les situations de groupes de formation non directifs; le leader spontan est le porte-parole de la rsistance inconsciente du groupe un moment donn et si linterprtation pertinente nest pas donne au groupe (ou si celui-ci ne la trouve pas lui-mme), sa fantasmatique sous-jacente reste refoule et son volution bloque.Nous-mmes, en nous appuyant sur le concept winnicottien dillusion, nous avons, en 1971, donn un sens plus prcis lhypothse, pressentie antrieurement, de lillusion groupale (cf. le chapitre 4). La notion schil-derienne dimage du corps a permis mes collgues et moi-mme de nous apercevoir, au cours de discussions dquipe, que la situation de groupe large induit un dsir dexploration fantasmatique de lintrieur du corps de la mre, et les angoisses corrlatives.Un second critre dordre plus spcifiquement psychanalytique concerne non plus le vocabulaire mais la conception du - dterminisme. Lexplication psychanalytique est en effet pluridimensionnelle. Tout processus inconscient mis en vidence dans un champ donn a tre expliqu dans plusieurs perspectives: dynamique, conomique, topique, gntique, fantasmatique. Prenons pour exemple un des phnomnes que nous venons de citer, celui de lillusion groupale, qui dsigne certains moments deuphorie fusionnelle o tous les membres du groupe se sentent bien ensemble et se rjouissent de faire un bon groupe. Du point de vue dynamique, lillusion groupale apporte une tentative de solution au conflit entre un dsir de scurit et dunit dune part, une angoisse de morcellement du corps et de menace de perte de lidentit personnelle dans la situation de groupe dautre part. Du point de vue conomique, elle reprsente un cas particulier du clivage du transfert: le transfert positif est concentr sur le groupe comme objet libidinal. Du point de vue topique, elle montre lexistence dun Moi idal groupai. Du point de vue fantasmatique, elle requiert lintrojection du bon sein comme objet partiel et lidentification narcissique celui-ci, afin de rparer les dommages causs par un fantasme destructeur spcifiquement mobilis par la situation de petit groupe, celui denfants qui sentre-dchirent dans le sein de la mauvaise mre. Du point de vue gntique, lillusion est, on le sait depuis Winnicott (1953), une tape ncessaire dans la constitution, par lenfant, du monde extrieur, tape o celui-ci est reprsent comme extension de la toute-puissance maternelle; lillusion groupale permet la constitution de ltre du groupe comme objet transitionnel.Une troisime rgle de nature psychanalytique concerne linteraction de linconscient des sujets et de linconscient du ou des interprtants (dans la mesure o la situation de sminaire requiert une pluralit de psychanalystes constitus en quipe interprtante). Un des aspects sous lequel se particularise cette rgle est le suivant: tout effet inconscient tendant se manifester dans un champ quelconque correspond une rsistance sopposant cette manifestation. Il ne saurait y avoir une explication psychanalytique dun phnomne groupai sans que cette'explication ne rende en mme temps compte de la rsistance pistmologique inconsciente ce phnomne.Ainsi, lquipe de psychanalystes avec laquelle nous-mme avons travaill pendant quinze ans la ralisation de sminaires de formation a mis longtemps avant dadmettre que les rgles du petit groupe (groupe de diagnostic, T-Group) taient intgralement transposables la runion pl-nire. Nous navons ensemble cess au fil des annes dessayer d organiser >ces runions, en leur assignant davance un thme, en employant des mthodes danimation directives ou semi-directives (expos suivi de dbat, apologue initial et terminal, exercice pratique collectif, table ronde, panel, Phillips 66), en instaurant une journe de rappel, en distribuant des comptes rendus des sances aux participants, jusqu ce quun processus interne de perlaboration collective nous amne reconnatre le caractre dfensif de ces tentatives dorganisation. Mcanisme de dfense contre quel danger pulsionnel? Contre le danger de se trouver expos lintensit particulire que prend la pulsion de mort dans le groupe large, intensit rsultant du clivage du transfert. La leve de la dfense (T organisation des runions) et la reconnaissance de la forme et de la force de la pulsion rprime (le transfert ngatif cliv) ont t corrlatifs. Toute connaissance dune interaction spcifique entre une dfense et une pulsion ouvre la possibilit dapplications pratiques scientifiquement fondes. Par exemple, si lon veut permettre un groupe de contrler en son sein la pulsion destructrice, il faut laider sorganiser; si lon veut librer cette pulsion, par exemple en vue dun processus thrapeutique ou formatif, il est ncessaire de placer le groupe dans une situation rgie par les rgles de non-omission et dabstinence et suspensive de toute autre organisation.Un autre type dinteraction, galement important au triple point de vue pistmologique, technique et pratique, est celle de lactivit fantasmatique des sujets en situation de groupe et de lactivit fantasmatique des interprtants constitus en quipe. La premire, celle des sujets, ne peut tre connue que dans la mesure o elle dclenche la seconde, celle des psychanalystes, et o ceux-ci en prennent conscience entre eux. Dans le cas, rapport par M. Biffe et J.-Y. Martin (1971), dun groupe psychotique, lactivit fantasmatique fomente chez les participants par une situation la fois psychanalytique et de groupe na vraisemblablement pas rsonn chez les deux interprtants, proccups de rgler leurs diffrends thoriques et techniques, cest--dire leur propre dsaccord fantasmatique, loccasion de ce groupe. Un autre cas est celui o des moniteurs de groupe, ayant gnralement une formation psychosociologique, mais non psychanalytique, se laissent capter par lactivit fantasmatique des sujets et fusionnent affectivement avec leur groupe, par exemple en partageant lillusion groupale au lieu de linterprter. Un troisime cas a t dcrit mais non expliqu par lcole lewinienne sous lexpression de rsistance au changement: lexprience du travail psychanalytique dans les groupes nous a montr que dans un sminaire o les participants viennent pour changer, la rsistance au changement est une rponse de leur part un fantasme non dit qui circule au niveau inconscient dans lquipe dinterprtants, le fantasme de casse (cf. lobservation rapporte sous ce titre au chapitre 6).La situation psychanalytique de groupeToute situation psychanalytique, individuelle ou groupale, thrapeutique ou formative, se fonde sur les deux rgles fondamentales de non-omission et dabstinence. Ces rgles demandent videmment tre amnages en fonction des particularits du champ dapplication.La rgle de non-omission ne saurait inviter, sous peine de cacophonie, chaque membre dun groupe dire en permanence tout ce qui se prsente son esprit. Dans un groupe, elle se prsente sous trois volets. Elle est dabord une rgle de libre parole: les participants parlent entre eux de ce quils veulent. Cette invitation une libert illimite ravive dans linconscient de chacun la fois les dsirs refouls et langoisse de transgresser linterdit en les formulant; do les quivalents collectifs du rve nocturne que forgent les membres dun groupe; do, au dbut surtout, les inhibitions, la paralysie, le silence. La rgle de libert de parole est aussi une rgle dobligation de parler: participants et moniteurs ont parler ensemble de ce quils ont dire dans la situation et ils nont pas autre chose faire qu le dire (ce qui est dj la rgle dabstinence). Enfin cette rgle comporte lopportunit pour les membres du groupe de faire part, en sance, des changes quils ont pu avoir entre eux (et quils ne manquent pas davoir) en dehors des sances, lorsque ces changes concernent le groupe dans son ensemble (rgle implicite de restitution ne pas formuler lavance).Les trois volets conviennent surtout au petit groupe de discussion non directive. Les groupes de psychodrame, de relaxation, dexpression corporelle, le groupe large non directif appellent des consignes en partie diffrentes, en raison de la nature de la tche ou de la dimension numrique des participants.Par exemple, dans le groupe large, les consignes invitent : exprimer ce qui est ressenti ici et maintenant; parler lensemble des participants de ce qui concerne le sminairedans son ensemble; par contre ce qui concerne les petits groupes de diagnostic ou de psychodrame a tre trait dans ces groupes respectifs.En effet, la situation de sminaire requiert la diffrenciation de trois ordres de ralits, chaque problme ayant tre rapport son niveau correspondant: celui du petit groupe de participants (groupe de diagnostic, de psychodrame, dexercices corporels, de relaxation, etc.); celui du groupe large (runion plnire des participants et des moniteurs); celui du groupe des moniteurs.Dans chaque situation, la rgle est au dpart nonce avec ses modalits particulires par celui qui y assure linterprtation. Le moniteur interprtant fait connatre de tous son statut en mme temps quil formule les consignes. Il sabstient jusqu la fin de toute autre conduite que de garantir les rgles, de permettre au transfert de se dvelopper sur lui et sur le groupe et de communiquer tous ce quil a compris. Mais nous sommes dj l dans la rgle dabstinence.La rgle dabstinence est souvent omise, voire transgresse, par des moniteurs sans formation psychanalytique. Cest la raison pour laquelle il arrive de tels moniteurs de se laisser gagner par lillusion groupale et mme dassigner lexprience de formation le but de constituer un groupe fusion-nel chaleureux ou dy faire des rencontres nouvelles. Ils trouvent alors leur bonheur partager avec les participants non pas tant la comprhension de linconscient groupai que leuphorie de repas ou de distractions communes, voire de relations amoureuses ou sexuelles imprvues. Pour le psychanalyste, tous ces comportements sont des acting out contre-transfrentiels. Labsence de rapports personnels rels entre le moniteur et les participants au cours et en dehors des sances pendant toute la dure de la session est une condition sine qua non dinstauration dun transfert interprtable. La rgle dabstinence comporte plusieurs volets: le moniteur ne participe pas aux changes verbaux qui ont lieu dans le groupe quand ceux-ci se rapportent autre chose qu lexprience vcue actuellement ensemble; il sabstient de parler de cette exprience avec des participants pris part en dehors des sances (sauf dans le cas o il est ncessaire quil ait un entretien personnel but psychothrapique avec lun deux). A plus forte raison, il sabstient de tous actes sexuels ou agressifs avec les participants pendant la dure de la session; mais labstinence nimplique pas la rigidit et nexclut ni les rapports sociaux courants et spontans ni les contacts corporels requis par certains types dactivits de groupe. De leur ct, les participants sont invits observer la discrtion en ce qui concerne le contenu des sances auprs des personnes trangres lexprience.Les rgles dun travail psychanalytique dans un champ plus complexe que celui du groupe, par exemple lintrieur dun organisme mdicosocial, voire dune entreprise conomique, ne sont pas encore dgages avec certitude. Mais il est clair que certaines formes de pdagogie ou de psychothrapie institutionnelles qui instaurent des expriences de groupe, en y supprimant tout ce qui quivaudrait une rgle fondamentale et en refusant dy dfinir lavance un rle dinterprtant, mnent au mieux des versions collectives de la psychanalyse sauvage et au pire des manipulations perverses des processus inconscients.La situation de groupe de formation requiert par ailleurs des dispositifs complmentaires, dont les plus importants ont t runis sous le vocable, emprunt aux thoriciens de la tragdie classique, de rgle des trois units: Unit de temps: les sances commencent et finissent lheure fixe; elles sont dune dure rgulire; elles requirent lassiduit; leur nombre est arrt lavance. Unit de lieu: les sances se droulent dans la salle qui leur est affecte: chaque type de sance (groupe de diagnostic, psychodrame et exercices corporels, runion plnire, etc.) dispose dun lieu propre et dtermine une relation particulire du corps lespace du lieu; personne nest propritaire daucune place et le moniteur donne lui-mme lexemple en changeant occasionnellement de place dune sance lautre. Unit daction: une tche prcise est assigne aux participants pour chaque type de groupe: changes verbaux, improvisation dramatique, relaxation, etc.; cette tche est leur unique activit pendant les sances.Ces trois rgles valent pour les moniteurs aussi bien que pour les stagiaires. Ceux-ci ne font aucune difficult majeure pour sy conformer sil leur apparat que ceux-l donnent ces rgles valeur de loi pour eux-mmes dans leur conduite. Les consignes et le programme (les horaires, les locaux, le nombre moyen de participants possibles par groupe et par sminaire, les ventuels cartons portant les prnoms de chacun) constituent un systme opratoire, dot dune cohrence interne et apte susciter des effets formateurs de changement chez les participants. Ce systme opre en tant quinstitution symbolique. Cest lui qui exerce dans les groupes de formation la fonction instituante, et cest en se rfrant explicitement ou implicitement lui que le moniteur assume sa part de cette fonction.Trois remarques sont faire concernant loprativit de ce systme. Premirement, les participants peuvent se laisser aller linquitante exprience du processus psychique primaire parce quils sentent que lexprience est garantie par le systme symbolique qui la fonde. Lactivit symbolique ne peut dailleurs tre oprante au cours de la formation sous la forme dia-chronique de linterprtation que parce quelle est prsente ds le dpart sous la forme synchronique dune organisation instituante.Deuximement, la prvention des dcompensations psycho-pathologiques chez les participants tire galement de ce systme son fondement thorique et pratique, comme A. Missenard (1971, 1972) la dvelopp en dtail. Si, faute de percevoir clairement cette organisation symbolique ou faute de la respecter lui-mme, le moniteur encourage le dclenchement deffets inconscients en dehors des conditions permettant de les comprendre et de les traiter, alors les participants saffolent, au sens strict du terme qui voque la possibilit de la folie. Le dlire, la tentative de suicide, laccident, le dlit finissent en effet par constituer les seules issues pratiques quand, les mcanismes habituels de dfense ayant t levs, un sens pressant se met circuler sans tre reconnu et verbalis. Lobservation clinique confirme que ces ventualits se produisent quand des moniteurs travaillant ensemble sont spars par des divergences profondes ou quand un moniteur travaillant seul attend dun groupe la satisfaction relle dune demande pulsionnelle personnelle, alors que ces ventualits ne se produisent pas, ou dune faon trs vite rcuprable, dans le cas dune paire ou dun groupe de moniteurs travaillant en cohrence au niveau symbolique.En troisime lieu, la rfrence de la part du moniteur un garant symbolique est double. Cest la rfrence une quipe laquelle il appartient et qui lui fournit loccasion dactivits pratiques et de discussions scientifiques; cest aussi la rfrence une exprience clinique fonde sur une mthode ici en loccurrence la psychanalyse dont il a prouv sur lui-mme et sur dautres, individuellement et en groupe, la validit, rfrence qui lui permet, par analogie avec cette confiance dans le processus psychanalytique que Freud, ds les Etudes sur lHystrie (1895), assigne au psychothrapeute, davoir la certitude de lintelligibilit des processus inconscients lorsquils se droulent dans une situation du type psychanalytique.Le systme symbolique requiert-il dautres rgles que celles nonces ci-dessus? Nous avons abandonn la rgle du tutoiement aprs nous tre rendu compte quelle facilitait lillusion groupale. La rgle invitant sappeler par son prnom semble fonde, car elle apporte une aide instrumentale aux communications entre une pluralit de personnes et respecte lanonymat des noms de famille, mais elle na pas tre impose.Toute autre rgle, consigne ou recommandation que la rgle fondamentale et ses variantes dcoulant des variables spcifiques de la situation sont des instruments de dfense contre le transfert, instruments mis au service aussi bien des participants que des moniteurs.Le travail psychanalytique dans les groupesDans une situation institue selon un modle psychanalytique par des moniteurs familiers avec la dmarche de pense psychanalytique peut seffectuer chez les participants comme chez les moniteurs un travail de nature psychanalytique.Dun ct, les participants engags dans un processus inconscient de transfert, arrivent llaborer par un travail de symbolisation. De lautre ct, les moniteurs se dgagent de leur contre-transfert inconscient par un travail dinter-analyse, et ils saisissent et communiquent le sens du transfert par un travail dinterprtation.La diffrence entre le travail psychanalytique dans les groupes et dans les cures individuelles dcoule des deux particularits essentielles du transfert en situation groupale. La premire, la tendance au clivage, a t dcrite plus haut. La seconde a t pressentie, ds 1963,- par Pontalis dans son article des Temps Modernes sur Le petit groupe comme objet: en plus du transfert central des participants sur linterprtant et de leurs transferts latraux les uns sur les autres, la situation psychanalytique groupale suscite un transfert sur le groupe pris inconsciemment par eux comme objet dinvestissement pulsionnel et fantasmatique. La formation psychanalytique individuelle est une condition ncessaire mais non suffisante pour lucider ces deux aspects du transfert. La vie agite des Socits de psychanalyse a montr depuis longtemps la propension des psychanalystes, quand ils se runissent, cliver le bon et le mauvais objet et dplacer, sur la relation au groupe et aux autres, la part inconsciente de leurs propres relations objectales quils sabstiennent de dployer dans leur conduite des cures. Cette propension na dgale que leur rsistance analyser entre eux ces mcanismes: aussi un psychanalyste chevronn comme Martin Grotjahn (1974) en est-il venu penser que lexprience dun groupe psychanalytiquement men serait ncessaire tout psychanalyste en formation. Cest l o lexprience du groupe large >(cest--dire de la runion plnire mene comme un groupe non directif) savre indispensable aux participants aussi bien quaux interprtants. En effet, les petits groupes, parce quils sont conduits par un ou deux interprtants et plus exposs lillusion groupale, parviennent mal lucider ces formes de transfert, tandis que lquipe des interprtants, prsente en entier dans le groupe large, offre la surface projective approprie au dploiement et au dchiffrement du transfert ngatif cliv et des reprsentations fantasmatique-ment investies sur lobjet-groupe. Ainsi les moniteurs deviennent lobjet du transfert parce quils sont supposs non seulement tre analystes mais former un groupe. Nous avons nous-mme apport la contribution complmentaire suivante au dchiffrement du transfert groupai: la rivalit qui sobserve toujours un moment donn dans la runion plnire entre les membres des diffrents petits groupes se joue par rapport lquipe organisatrice et interprtante et demande tre interprte comme rivalit des frres pour obtenir lamour et la prfrence des parents.Si les deux formes propres au transfert groupai sont acceptes et entendues des moniteurs, les participants sengagent dans un travail collectif de symbolisation. R. Kas (1971 b) a vu le premier que les deux modes spcifiques, dans une situation de groupe, dlaboration secondaire dun matriel fantasmatique latent sont le mythe et lidologie. Nous-mme, nous avons remarqu que dans un groupe lmergence du processus de symbolisation se reconnat ce que le discours collectif commence contenir des figurations symboliques de la situation hic et nunc (cf. les thmes de lauberge espagnole, de Huis Clos, de la Cne, du tribunal rvolutionnaire, etc.). Nous avons galement constat que linterprtation ne devient recevable par les participants que si leurs changes verbaux ont accd cette symbolisation.Le progrs de la symbolisation seffectue en deux tapes chez lenfant. En transposant sur le plan dun change symbolique la relation primitive, fusionnelle et charnelle avec la mre, la premire tape conditionne lacquisition de la parole. La seconde tape, marque par laffrontement la problmatique dipienne, permet laccs un autre type dorganisation symbolique, celui qui fonde les lois naturelles et sociales. Les participants retirent une formation dune exprience de groupe si le travail collectif de symbolisation a port sur ces deux niveaux: le premier correspond la sublimation rparatrice des positions perscutive et dpressive envers limago maternelle, cest--dire au dpassement de langoisse, que tout groupe traverse ncessairement, de la perte de la mre ou de la destruction de soi. Lautre niveau, dipien, sexprime dans les groupes par la thmatique du meurtre collectif du pre et par les thmatiques annexes de la chasse aux usurpateurs et du tabou de linceste.La conduite psychanalytique des groupes de formation permet dclairer sur bien des points la faon dont les processus psychiques inconscients interviennent dans les groupes rels, et denvisager la possibilit dinterventions vritablement psychanalytiques (et non pas seulement psychosociologiques ou psychothrapiques) dans les groupes rels et les institutions. Bion (1961), qui a t le premier sengager dans cette voie, a vite constat quun ensemble dindividus narrive se comporter en groupe de travail que si les prsupposs de base inconscients qui captent lnergie psychique de ses membres ont t levs. Cest l o, selon nous, le travail de la symbolisation ses deux niveaux est capital. Si ce travail seffectue de lui-mme, sil est renclench spontanment par une crise intrieure ou induit par une intervention de type psychanalytique, un groupe naturel peut faire plus qulaborer en mythes et en idologies ou que dcharger dans des agirs les scnarios fantasmatiques qui circulent entre ses membres. Il peut parvenir des perceptions plus exactes non seulement du secteur de la ralit extrieure, physique et sociale, qui le concerne, mais aussi de sa propre ralit interne; il peut faire reconnatre de ses membres les rgles auxquelles leurs actions et leurs penses ont se soumettre pour accomplir luvre quils veulent raliser en commun; il peut diffrencier les rles, les statuts et les fonctions parmi eux; il peut, stant dgag du temps circulaire de la rptition inconsciente, sengager dans la dure irrversible du temps postdipien, qui est aussi celui de lhistoire; il peut se donner des buts qui ne se rduisent pas la satisfaction des dsirs et la ralisation des possibilits de ses membres, mais qui, en plus, visent certaine utilit sociale ou contribuent la protection de ltre ou au mieux-tre dautres individus.Examinons, pour terminer, le travail psychanalytique des moniteurs. La perlaboration du contre-transfert est une tche capitale, car le moniteur interprtant risque de dvelopper, dans la situation groupale, tout comme les participants, une relation dobjet inconsciente au groupe. Pour amener verbalisation cette relation dobjet inconsciente, la perlaboration requiert des discussions avec un tiers sur la faon dont le moniteur vit lexprience quil a instaure, sur ses ractions manifestes ou rprimes, sur ses attentes et ses craintes lgard du groupe quil conduit. H est prfrable que ce tiers soit lui-mme psychanalyste, form aux mthodes de groupe et quil assiste la session. Une telle discussion ne ressemble pas une supervision psychanalytique, o un dbutant vient rendre compte de la conduite dune cure un confrre chevronn. Elle sapparente plutt un contrle rciproque entre des interprtants engags dans la mme exprience (le moniteur et lobservateur non participant dans un groupe de diagnostic, le couple de psychodramatistes, lquipe organisatrice dun sminaire). La prsence dun interlocuteur pendant toute la dure dune session de groupe est une ncessit rgulatrice pour linterprtant. De plus, pour la formation dun futur moniteur, la faon dont il assume ce rle dinterlocuteur reprsente une tape dcisive.Dans un sminaire, cest le groupe entier des moniteurs qui a effectuer sur lui-mme ce travail, que, ds 1970, Ren Kas (1982) a appel dans ce cas 1 analyse intertransfrentielle. Il sagit dune lucidation en commun de la rsonance fantasmatique autrement dit des contrecoups que le transfert collectif portant sur les moniteurs en tant que constitus en groupe exerce sur leur groupe mme. Dans un sminaire, lquipe des moniteurs est l pour raliser, en les intriorisant dans son propre vcu groupai, les fantasmes mobiliss chez les stagiaires par la situation de formation en groupe. Cette ralisation symbolique, au sens o le rve nocturne ralise les dsirs latents du rveur, fournit le moyen terme indispensable, la mdiation pistmologique ncessaire pour amener lobjet prsent (les processus groupaux inconscients) devenir lobjet dun savoir concret.La prise de conscience de la rsonance transfrentielle requiert que les moniteurs la diffrencient de deux autres phnomnes avec lesquels elle se trouve confondue dans leur vcu groupai et qui sont: les rsistances individuelles et la rsistance groupale des moniteurs au transfert collectif des participants; les dsirs inconscients que les moniteurs cherchent raliser dans les activits de formation et dans leurs relations dobjet lgard de leur propre groupe.Tant que persiste la confusion des trois lments, un travail srieux dinterprtation reste impossible. Leur diffrenciation ne va pas pas sans rsistance ni crise entre les interprtants. Lhomognit de leurs formations personnelles, leurs complmentarits fantasmatiques, leur exprience de1 auto-analyse collective, les rfrences une histoire commune, lamiti silencieuse ou explicite quils se portent, sont autant dadjuvants pour surmonter les difficults de la perlaboration du contre-transfert en situation de groupe.Cette tche prliminaire tant remplie, le travail dinterprtation proprement dit peut saccomplir. Comme en psychanalyse individuelle, il arrive que linterprtation correcte et opportune soit trouve et communique par le moniteur dans le mouvement mme dune sance: cest linterprtation-surprise. Le reste du temps, elle est prpare, voire mise jour, par lanalyse inter-transfrentielle: cest linterprtation-construction. Dans le cas du couple de psychodramatistes ou de lquipe organisatrice dun sminaire, le maniement de linterprtation-construction (qui la formulera en sance? quel moment? sous quelle forme?) fait lobjet dune dlibration et dune entente pralables.Ezriel (1950, 1966) a formul deux rgles qui commanderaient le travail dinterprtation en situation de groupe thrapeutique ou formatif: la diffrence de linterprtation mutative propre la cure individuelle et qui fait toucher du doigt dans un conflit actuel la rptition dune situation infantile, linterprtation groupale est anhistorique: elle nonce les angoisses, les dfenses et les dsirs inconscients actuels, cest--dire quelle porte exclusivement sur 1 ici et le maintenant du groupe; linterprtation nest pas donne individuellement un participant; elle est adresse collectivement lensemble (mais il convient selon nous dajouter que le dmontage des rles jous par des individus dans un processus densemble est tout aussi ncessaire, notamment quand il sagit dun cas de leadership).Lexprience nous a enseign depuis quelques rgles annexes que nous avons dveloppes dans le chapitre Le moniteur et sa fonction interprtante (1972 ), du recueil collectif, Le travail psychanalytique dans les groupes (tome 1), et dont nous rsumons ici les plus importantes: Interprtation du transfert: dans les premires sances dune session, le transfert est chercher du ct de ce qui nest pas dit dans le discours collectif des participants: dans les dernires sances, il sexprime dune faons littrale dans les toutes premires phrases prononces, souvent sur un ton d'apart, au moment o commence la sance, ou mme dites comme si la sance ntait pas encore commence. Interprtation du silence: des silences collectifs, durables ou rpts, expriment gnralement une angoisse perscutive devant la situation de groupe vcue comme mauvaise mre; linterprtation porte alors sur la prsence inavoue dans lesprit des participants dune crainte de la casse que de telles mthodes de formation sont censes risquer de provoquer chez eux (cf. le chapitre 6 consacr aux fantasmes de casse). Interprtation des acting-out: tout acting-out pendant une sance ne doit tre ni rprouv ni pass sous silence; il a tre compris dans le transfert et interprt le plus tt possible. Par exemple, la dernire sance dune session, un participant boit ostensiblement une bouteille en suotant le goulot; les commentaires quil sucite dans le groupe montrent quil a exprim l un dsir collectif, que les autres participants nont pas encore pu dire dans leurs discours, et que le moniteur a verbaliser: le dsir de sincorporer la bonne parole ou le bon lait du moniteur avant la proche sparation finale. Autre exemple: une dclaration damour pendant une sance entre un participant et une participante signifie dans leur rapport entre eux un dsir de transgression de linterdit de linceste et dans leur rapport au groupe une fuite de la situation de groupe dans le couplage; il convient donc de faire de ces deux processus lobjet de linterprtation.Groupe thrapeutique, groupe formatif, groupe naturelNous venons de traiter de la mthode psychanalytique applique certains types de groupes de formation, isols ou intgrs dans un sminaire rsidentiel. Il conviendrait, partir des principes gnraux que nous avons exposs, de dgager dune faon analogue les rgles spcifiques qui prsident la conduite, dans une perspective psychanalytique, dautres groupes de formation ou de ces mmes groupes orients vers un but thrapeutique.Le mme problme de transposition et de gnralisation se pose lgard de lintervention de type psychanalytique dans les groupes sociaux rels: quelles sont ses conditions de possibilit? Quelles sont ses rgles doprati-vit? Nous avons d nous contenter de faire pour le moment allusion quelques lments de rponse. Nous voulons exprimer ici, pour conclure, une certitude et une confiance. La certitude que les processus inconscients spcifiques des situations groupales sont les mmes dans les groupes de formation, dans les groupes thrapeutiques et dans les groupes sociaux rels. La confiance quau prix des amnagements adquats qui restent trouver, le modle ci-dessus prsent sera opratoire pour la comprhension psychanalytique des groupes sociaux rels et pour des interventions fondes sur une telle comprhension.2. L'imaginaire dans les groupesNous rassemblons dans ce chapitre des documents affrents deux exposs prononcs respectivement le 21 octobre 1964 une runion scientifique du CEFFRAP et le 19 fvrier 1965 la facult des lettres et sciences humaines dAix-en-Provence. Nos notes en vue de ce premier expos taient restes indites, encore quelles aient servi certaines de nos publications ultrieures.C. Pichevin, que nous remercions pour la justesse avec laquelle il sest acquitt de sa tche, avait tabli, du second expos, un compte rendu que nous avions revu et qui fut publi dans les Cahiers de Psychologie, en 1966 (t. IX, n 1, pp. 7-10). Ce sont ces notes et ce compte rendu que nous reproduisons quelques rares modifications de style prs. Nous avions intitul le premier expos: La ralit imaginaire des groupes, et le second: Limaginaire dans les groupes. * Ctait la premire fois o la notion bien vague mais stimulante d'imaginaire se trouvait applique.au groupe, ouvrant la voie une orientation de pense nouvelle, du moins en France, et que nous-mmes navons depuis, et plusieurs autres avec nous, cess de dvelopper.A. La ralit imaginaire des groupesLe groupe, mise en commun de quoi? Critique de LewinTout groupe est une mise en commun: ceci est une remarque de bon sens, que les groupologues nont pas manqu de rpter sous diverses formes et formules; cest presque une dfinition tautologique. Les difficults commencent avec la question: mise en commun de quoi?Limagerie populaire propose une rponse idalise: le groupe, cest la mise en commun des nergies, des enthousiasmes, des capacits, par le moyen dune discipline librement consentie. La sociologie naissante, avec Durkheim et son cole, conserve lessentiel de cette rponse en forgeant lhypothse dune conscience collective et en larticulant aux trois domaines mentaux dcrits par la psychologie classique: le groupe, cest la mise en commun des reprsentations, des sentiments et des votions; et dans les groupes comme chez les individus, les reprsentations, cest--dire les perceptions et les ides, doivent contrler les sentiments et commander aux _f> votions. Au xrxe sicle, en France, dautres sons de cloche essaient sans grand succs de se faire entendre. Pour Fourier, tout groupe est une mise en commun des passions; si cette mise en commun est dsordonne, anarchique, tumultueuse, le groupe ne peut se maintenir et travailler que par une contrainte extrieure, coteuse et pnible; le phalanstre, cest la mise en commun harmonieuse des passions, dans leur totale diversit et dans leur complmentarit naturelle. Pour Tarde, le groupe cest limitation, par une sorte de suggestion quasi hypnotique, de ceux qui, en petit nombre, inventent. Freud approfondit par la suite cette ide: le groupe, cest lidentification des membres au chef et entre eux.A partir de 1930, se constitue une science des groupes, distincte de la psychologie individuelle et de la sociologie. Pour Moreno, le groupe, cest la mise en commun des sympathies et des antipathies, et leur distribution selon les schmas de la sociomtrie. Pour Mayo, le groupe, cest une mentalit commune, avec ses normes propres, sa logique propre; le groupe autonome, caractris par un fort sentiment dappartenance au groupe chez ses membres, libre les possibilits individuelles et en facilite l ralisation, . lavantage des intresss aussi bien que des organisations qui les emploient. Pour Lewin, le groupe, cest linterdpendance, non seulement entre des individus, mais aussi entre les variables qui interviennent dans le fonctionnement du groupe; le groupe dmocratique permet une participation plus active des. membres dans la dtermination et la poursuite des buts, une meilleure mise en commun des ressources psychologiques de chacun, une rsolution continue des tensions. Pour Baies, le groupe, ce sont des sries de communications entre les membres; le groupe, du moins celui dont les membres se runissent en face face pour discuter, ne progresse que par une mise en commun des perceptions que chacun a de lui et des autres.Toutes ces conceptions reposent sur des faits de groupe observables, chaque conception privilgiant certains faits. Les faits en question sont constats quand on se place au niveau global, molaire, du groupe. Ces faits sont eux-mmes des rsultantes de processus psychiques qui se droulent dans les individus membres du groupe et entre eux, cest--dire au niveau molculaire. La sociomtrie de Moreno, la dynamique des groupes de Lewin, linteractionnisme de Baies reproduisent lattitude behavioriste que Watson avait au dbut du sicle assigne la psychologie individuelle: ici lorganisme vivant tait tudi dans son comportement ractionnel certains stimuli; ce qui se passe dans lorganisme, entre lexcitation et la rponse nintressait pas le behavioriste, qui laissait cette question au physiologiste; le domaine de la psychologie, cest le lien entre le stimulus et la rponse.Semblablement, le psychologue groupai dcrit le lien entre les affinits interindividuelles et le moral dun groupe; si les antipathies dpassent un certain seuil, et sadressent notamment aux responsables du groupe, le moral sera bas; si les sympathies sont nombreuses, largement rparties, si les responsables en ont leur part, le moral sera lev. Mais pourquoi tel individu prouve pour tel autre de la sympathie, de lantipathie, de lindiffrence? Comment ces impressions affectives se renforcent-elles, se modifient-elles? La sociomtrie est silencieuse l-dessus. Lewin constate quune dcision de groupe, quand le groupe se sent libre et solidaire, peut tre plus forte que les prfrences individuelles qui pousseraient les membres agir en sens inverse; autrement dit, le stimulus, cest le sentiment dappartenance au groupe; la rponse, cest la modification des habitudes individuelles: ainsi les mnagres amricaines, pendant la dernire guerre mondiale, rpugnaient acheter certains morceaux de viande (rognons, coeurs, ris de veau); runies en petits groupes, elles dcouvrent les raisons conomiques et dittiques de consommer ces morceaux, les recettes qui permettent den faire des plats agrables et un bon nombre dentre elles mettent excution la dcision collective den acheter. Mais pourquoi ce dgot pour ces morceaux? Les discussions font apparatre que cest cause de leur odeur et de leur consistance. Mais quest-ce que cette odeur et cette consistance ont de particulier, quest-ce quelles voquent aux mnagres de si redoutable, quel nud affectif touchent-elles, quel moi dclenchent-elles pour que ce refus dachat soit si puissant et si rpandu? Et comment la discussion a-t-elle permis, sans aborder explicitement cette question, de surmonter la rpugnance?On devine la rponse. Larticle de Lewin y fait une allusion pudique et aussitt perdue de vue: le rognon voque lodeur de lurine; le ris de veau, la consistance des testicules; le cur, enfin, voque le sang qui bat, qui coule, la crainte des blessures, des oprations, des mutilations; sa consistance caoutchouteuse veille des souvenirs inconscients du biberon et du sein. De tous ces bas morceaux se dgage pour la mnagre une impression vague, diffuse que lanalyse psychologique dcomposerait en reprsentations visuelles et tactiles des morceaux de sein et de sexe, empoigns, dcoups, sucs et dvors sur lesquels flottent le fumet cre, attirant et dfendu des scrtions urinaires et sexuelles et la menace dun bain de sang en guise de chtiment. Les noeuds psychologiques touchs par ces bas morceaux, dont le nom mme fait penser au bas du corps la zone du plaisir, du mystre et du sale , sont ceux du sevrage et de la castration et du danger des dsirs bas, lis aux parties rognes du corps. A mots couverts, cest tout cela qui a t discut dans ces petits groupes de mnagres; ces questions quon naborde jamais, quon garde pour soi seule, elles les ont mises en commun, se dcouvrant semblables sur ce point. Leur groupe na pu tre la mise en commun des raisons patriotiques, budgtaires, caloriques et gastronomiques de consommer ces morceaux que parce quau pralable, il avait t la mise en commun des fantasmes, des angoisses, des mois associs chez chacune ces morceaux, et ceci pour des raisons qui peuvent tre variables dans lhistoire individuelle de chacune mais qui entrent en consonance avec les motifs des autres.Le sentiment dappartenance au groupe, dont la force a, selon Lewin, dclench la dtermination dachat chez les mnagres en rendant cette dtermination plus puissante que les prjugs lis leur dgot, ce sentiment dappartenance ne provient pas, comme le laisse entendre Lewin, du fait que chaque mnagre a pu participer activement la runion habilement dirige par un psychologue et y dcouvrir o tait son intrt vritable et quelle avait cet intrt en commun avec dautres. Ainsi la participation entranerait une plus grande adhsion aux conclusions et la solidarit entre les intresses. La situation de groupe aurait permis aux mnagres lexamen objectif dun problme ( lachat et la prparation de la viande) que chacune sparment tait incapable de discuter avec la mme objectivit dans son for intrieur, si mme il lui tait jamais venu lesprit den discuter. Or cest l une vue rationalise des choses. Combien de runions o la participation de tous est trs active, o toutes les raisons srieuses sont envisages, o lintrt commun est vident, narrivent pas une conclusion ferme, unanime, valorise et suivie deffet?Les mnagres ont pu parler dans ces runions de quelque chose qui leur tenait cur: elles ont pu en parler car la runion tait non directive et quelles ntaient pas trop nombreuses: ceci est une condition, mais non une cause, car il y a beaucoup de runions non directives o les gens narrivent pas parler de ce qui leur tient cur, surtout sils savent que cest ce que lon attend deux. Il y a des gens qui jettent la figure des autres ce qui leur tient cur: cest une faon de sen dbarrasser, ou de qumander ou daccuser; et si cela est ressenti comme tel, la discussion est tue. Dautres pour rien au monde ne confieraient ce qui leur tient cur, sinon de rares intimes et des moments exceptionnels, donc surtout point dans un groupe. Sils sont trop nombreux ou trop ferms, la discussion sera vide et vaine. Une runion ne marche que si quelques-uns parlent de choses qui leur tiennent cur et que si cela rencontre un cho chez tous ou presque tous les autres. Jentends une runion qui vise modifier certaines habitudes, attitudes, ou ides des participants. Dans ces runions de mnagres, lcho se produisait, car le thme sy prtait, la personnalit de ces femmes, volontaires de la Croix-Rouge, sy prtait et la personnalit de lanimateur sy prtait.Que veut dire faire cho?Le groupe est une mise en commun des images intrieures et des angoisses des participants.Le groupe, lieu de fomentation des imagesLe groupe est un lieu de fomentation des images. Ds que des tres humains sont runis pour travailler, pour se distraire, pour se dfendre, pour voler et pour tuer, pour croire, pour changer le monde, pour tre instruits ou soigns, des sentiments les traversent, les agitent, des dsirs, des peurs, des angoisses les excitent ou les paralysent, une motion commune parfois sempare deux et leur donne une impression dunit, parfois plusieurs motions sentrebattent et dchirent le groupe, parfois plusieurs membres se ferment et se dfendent contre lmotion commune quils ressentent comme menaante, alors que les autres sy abandonnent avec rsignation, avec joie, avec frnsie; parfois aussi tous se replient devant lmoi envahissant et le groupe est morne, apathique, verbeux.Une runion administrative bute sur une question de procdure, sternise sur un point secondaire, coupe des cheveux en quatre, grossit des difficults l o il ny en a pas, est aveugle l o il y en a, livre la place aux rglements de compte entre les personnes, tourne le dos son ordre du jour et part la drive, se complat dans les problmes qui ne sont pas de son ressort, lude ses responsabilits, monte en pingle des bruits, des suppositions, des intentions machiavliques attribues aux suprieurs, aux subordonns, aux services voisins, aux concurrents, nglige des renseignements essentiels quelle possde, omet de sinformer l o manquent les renseignements, confie une tche celui qui est le moins fait pour russir, critique et dtruit tout ce qui lui est propos et arrte nimporte quelle conclusion quen sortant les membres oublieront aussitt.Une quipe dans un atelier, un laboratoire, sur un terrain de sport, se trane, tire au flanc, triche; ou elle rivalise avec dautres, sexalte, cherche se dpasser, rve dun exploit; ou encore elle sisole, sa satisfait delle-mme, se dsintresse des autres, cultive les diffrences avec eux; ou bien elle devient hermtique, inaccessible, poursuit des buts cachs sous des activits de couverture, sentiche dides et de pratiques peu orthodoxes; ou elle se fragmente en coteries et en individualits, spuise en luttes de personne et de clans, accentue les sympathies et les haines; ou elle se soude autour dun hros, dun matre, dune grande figure, aimant qui attire la limaille des indcis, des sans-caractres, des peu dous, des inquiets, des rleurs, miroir aux alouettes pour ceux qui cherchent une vrit, une foi, un orgueil, une revendication et qui attendent la lune dun autre; ou enfin elle use les meilleurs dentre ses membres, honnit ceux quelle a dabord lus, consomme les ides, les nergies, les dvouements; ses adeptes sont des prisonniers sur lesquels elle distille son venin, des agrumes quelle presse et quelle rejette, peaux vides.Si cette runion, cette quipe se comportent ainsi, cest que certains mois dterminent ces comportements et qu leur tour ces mois sont dclenchs par le surgissement, dans le groupe, dimages prcises, puissantes et inaperues. Les frres dun mme monastre, les militants de la mme cellule, les volontaires dun hivernage polaire, lquipage dun sous-marin ou dun bombardier atomiques, les internes dune grande cole, les naufrags de quelque Mduse, les ptroliers dun forage au dsert, rpondent aux dfinitions lmentaires du groupe: ils ont le mme intrt, les mmes besoins, ils affrontent ensemble la mme situation, soit quils la subissent, soit quils aient dlibrment choisi de sy mesurer, et ils ne peuvent russir quen restant troitement solidaires. Tout les incline donc se montrer coopratifs, bienveillants, disciplins, unis. La ralit est trs loigne de cette logique; on prend dailleurs l pour une donne logique la plus banale imagerie dEpinal qui soit. Les intellectuels aussi bien que les gens les plus simples ne cultivent-ils pas la rverie nostalgique dune vie groupale o les gens sentendraient, se comprendraient, saimeraient, se dvoueraient l'objectif commun, sarticuleraient les uns aux autres en un tout solide et souple? Ne sindignent-ils pas bon compte des tensions, des malentendus, des drames, des ostracismes, des antagonismes dont tout groupe vivant et efficace ne manque pas dtre le lot? La ralit est si loigne de cette image idale que les groupes se ferment toute investigation objective qui tabliraient les faits tels quils sont pour le groupe et qui en chercheraient les causes.Quel psychologue a pu pntrer dans un couvent, dans une communaut religieuse de quelque confession que ce soit, dans un parti politique, pour en tudier le fonctionnement rel, pour observer la naissance et lvolution des conflits, pour essayer de relier ce fonctionnement et cette volution des variables morphologiques, structurales ou psychodynamiques des individus ou du groupe? Craint-on que ce psychologue ne constate que, des croyants, des militants, professant la charit ou la justice et runis pour sentraider leur pratique sont dchirs par des haines inexpiables et injustes? Cest pourtant l un lieu commun du roman et de la posie, et ce serait un pas important, pour la science des relations humaines, sil tait dmontr que le confinement, cest--dire la privation des changes avec le reste de la socit et lobligation de vivre en tte tte avec le mme petit nombre de personnes pendant un temps prolong, exacerbait les pulsions hostiles entre ces personnes, et si lon pouvait dterminer partir de quel degr de privation, de quelle dure, de quelles dimensions du groupe, etc., cette raction se produit ou disparat. Quand la socit refuse la science les moyens pratiques de travailler et quand les savants nont pas le courage de soutenir des hypothses qui dplaisent alors mme que lhistoire des sciences enseigne que cela sest toujours pass ainsi , cest le littrateur qui, sous le voile de la transposition artistique, prend en charge les vrits mconnues. Ainsi Sartre dramaturge, dans Huis Clos, montre comment trois personnes condamnes vivre ensemble sans pouvoir teindre la lumire, ni sisoler, se dtestent: Lenfer, cest les autres. Ainsi J. Cau, dans la Piti de Dieu, dcrit la vie des condamns en dtention perptuelle partageant la mme cellule et finissant par tuer lun deux. De Gide Mauriac, toute une gnration de romanciers a pris pour thme le nud damertume et de ressentiment quest souvent la famille moderne, dont les membres, rduits en nombre, vivent dans une troite proximit affective. Les Scandinaves ont t si surpris et honteux que deux de leurs compatriotes les premiers explorateurs avoir russi la traverse du Groenland pied se soient ha au bout de huit jours, couchant dans le mme sac, vous la mort sils se sparaient, ne sadressant plus la parole que dans les dangers les plus graves de la route, refusant de se revoir aprs leur retour triomphal au pays, quils ont prfr attribuer cette raction au climat polaire plutt qu la nature humaine.La violence des motions, la puissance des images qui dclenchent ou entretiennent ces motions sont les phnomnes de groupe la fois les plus patents et les plus masqus: les plus patents pour lobservateur ou mme pour le participant naf, les plus masqus pour les intresss eux-mmes, spcialement par leurs dirigeants. De mme que la psychanalyse a dcouvert linvestissement narcissique intense, qui, en cas de maladie, de blessure physique, dinfriorit corporelle ou mentale, de point vulnrable dans lconomie motionnelle de lindividu, se fixe sur la zone malade et la protge jusqu lidoltrie, de mme il conviendrait dlaborer la notion de blessure narcissique pour un groupe. Les groupes se sentent narcissiquement menacs lorsquon risque de mettre en vidence chez eux les points faibles quils prfrent se dissimuler eux-mmes et de ternir leur propre image idale quils entretiennent grand frais. Ces deux mcanismes de groupe, investissement narcissique de certains secteurs de leur fonctionnement et dfense contre la blessure narcissique, fondent une des rsistances majeures la recherche scientifique sur les groupes. Ce ne sont dailleurs pas les seules et nous aurons loccasion, au fil de cette tude, dallonger la liste de ces rsistances.Les exemples de dfense contre la blessure narcissique sont innombrables. Elle reprsente la premire difficult souvent insurmontable pour le psychologue consult par un groupe malade qui se mconnat obstinment et qui voudrait recouvrer sa sant sans en payer le prix pnible et cependant le seul efficace qui est de reconnatre sa propre vrit. La gamme de telles situations de dpart varie du cocasse lirritant et le psychologue a autant de chances de les faire voluer en en riant ou en sen fchant devant le groupe ou ses mandataires quen leur en communiquant lanalyse savante et l'explication dtaille.Prenons lexemple pour lequel jai t pressenti des communauts juives fermes en Europe Occidentale. Elles sont en voie de disparition: avant quil ne soit trop tard, les juifs aimeraient les tudier pour mieux les connatre et pour mieux en garder la mmoire. Si elles sadressent un psychologue non juif, il est davance suspect non seulement de ne rien pouvoir comprendre mais mme de contribuer, volontairement ou non, alimenter la propagande antismite par ce quil trouvera et dira. Si elles dcident de donner un juif de la communaut une formation psychosociologique, afin de lui confier lenqute, on craint que ces tudes ne lui fassent perdre la foi et ne le dracinent du groupe. Si enfin il existe dans cette communaut un juif, psychologue de mtier ou de vocation, et si on le sollicite, les rsultats auxquels il aboutit sont rejets avec indignation: il a t aveugl scrie-t-on par son amour-propre, ou par sa mchancet naturelle, ou par les thories psychologiques la mode et qui ne tiennent pas debout. 11 a grossi des ralits dailleurs bien connues et auxquelles on devrait se garder dattribuer la moindre importance; il fait le jeu dune fraction avide de prendre le pouvoir ou de tout rformer.Lapport de BionLa mthode psychanalytique, applique aussi bien aux groupes rels quaux groupes psychothrapiques, a permis de mettre en vidence et dexplorer la dimension de limaginaire dans les groupes. Lapport de lcole psychanalytique anglaise, essentiellement constitue par des disciples de M. Klein, travaillant au Tavistock Institute et la Tavistock Clinic de Londres, a t dcisif.Lexprience pilote semble avoir t celle de Bion (1961), psychiatre militaire anglais pendant la deuxime guerre mondiale. Bion avait la charge dun hpital dt 400 hommes quil tait impossible de traiter individuellement et chez qui rgnaient lindiscipline et lanarchie. Il a ide de voir l une situation psychanalytique, o le patient est une communaut, de considrer lattitude des soldats comme une rsistance collective, dadopter lattitude de non-intervention de lanalyste dans cette ralit et de se limiter aux seuls rapports verbaux. Son but est de contraindre la collectivit prendre conscience de ses difficults, se constituer proprement en groupe et devenir capable de sorganiser elle-mme. Bion promulgue un rglement devant tous: les hommes se runiront par groupes ayant cha un pour objet une activit diffrente; chaque groupe est libre, tout i..oment, de cesser son activit et de regagner la chambre, condition den faire la dclaration la surveillante-chef; la situation densemble sera examine tous les jours midi. Aprs une priode dhsitation, due aux habitudes rgnantes, et au doute sur la bonne foi du mdecin, des essais rels se multiplient au point quun groupe peut se spcialiser dans ltablissement du diagramme des activits en cours dans les autres groupes. Bion dnonce au dbut, dans leurs propres actes, linefficacit dont ils accusaient larme; il refuse dintervenir dans les affaires de vol et de tire-au-flanc, renvoyant les problmes eux-mmes. Un esprit de corps se dveloppe par tapes: protestations collectives contre les tire-au-flanc, recherches dactivits relevant le sentiment de la dignit personnelle, dpart rapide des radapts. A son tour, cet esprit simpose aux nouveaux venus et agit sur leur volution personnelle.Aprs la guerre, Bion soccupe de la radaptation des vtrans et des anciens prisonniers de guerre la vie civile, par une mthode de psychothrapie de groupe trs voisine du T-group alors mis au point aux Etats-Unis. Il cherche comprendre les tensions qui se manifestent au cours des sances et il aboutit deux noncs fondamentaux: PREMIER NONC: le comportement dun groupe seffectue deux niveaux, celui de la tche commune et celui des motions communes. Le premier niveau est rationnel et conscient: tout groupe a une tche, quil reoit de lorganisation dans laquelle il sinsre ou quil se donne lui-mme. La russite de cette tche dpend de lanalyse correcte de la ralit extrieure correspondante, de la distribution et de la coordination judicieuses des rles lintrieur du groupe, de la rgulation des actions par la recherche des causes des checs et des succs, de larticulation des moyens possibles aux buts viss de faon relativement homogne par les divers membres. Il sagit l uniquement de ce que Freud a appel les processus psychiques secondaires: perception, mmoire, jugement, raisonnement. Ils constituent des conditions ncessaires mais non suffisantes. Il suffit de mettre en groupe des gens qui se comportent habituellement de faon rationnelle lorsquils sont seuls devant un problme pour quils deviennent difficilement capables dune conduite rationnelle collective. Cest quin-tervient le second niveau, caractris par la prdominance des processus psychiques primaires. Autrement dit, la coopration consciente des membres du groupe, ncessaire la russite de leurs entreprises, requiert entre eux une circulation motionnelle et fantasmatique inconsciente. Celle-l est tantt paralyse tantt stimule par celle-ci. DEUXIME NONC: les individus runis dans un groupe se combinent de faon instantane et involontaire pour agir selon des tats affectifs que Bion dnomme prsupposs de base (l). Ces tats affectifs sont archaques, prgnitaux; ils remontent la premire enfance; on les retrouve ltat pur dans les psychoses.Bion dcrit trois prsupposs de base auxquelles un groupe se soumet alternativement sans les reconnatre: Dpendance. Quand le groupe fonctionne sur ce prsuppos, il demande tre protg par le leader dont il dpend pour sa nourriture intellectuelle ou spirituelle. Le groupe ne peut subsister sans conflit que si le meneur accepte le rle quon lui attribue et les pouvoirs ainsi que les devoirs que cela implique. Le rsultat peut alors ntre pas mauvais en apparence, mais le groupe ne progresse pas foncirement. Il se complat dans leuphorie et la rverie et nglige la dure ralit. Si le meneur refuse, le groupe se sent frustr et abandonn. Un sentiment dinscurit sempare des participants. Cette dpendance lgard du leader se manifeste souvent dans un groupe de diagnostic par un long silence initial et par la difficult trouver un sujet de discussion, le groupe attendant les suggestions du moniteur. La dpendance est une rgression cette situation de la petite enfance, o le nourrisson est la charge de ses parents et o laction sur la ralit est leur affaire, non la sienne. La dpendance rpond un rve ternel des groupes, le rve dun chef intelligent, bon et fort qui assume leur place les responsabilits. Combat-fuite (jight-flight). Le refus du prsuppos de dpendance par le moniteur constitue un danger pour le groupe qui croit alors ne pas pouvoir survivre. En face de ce danger, les participants, en gnral, se runissent soit pour lutter soit pour fuir. En ce sens, lattitude combat-fuite est un signe de solidarit du groupe. Le danger commun rapproche les membres. Prenons un exemple. Un groupe de discussion libre prend comme sujet de discussion: les enfants abandonns. La sance est ennuyeuse; lattitude de fuite domine; peu de gens participent la discussion. Puis le groupe value son travail. Les critiques pleuvent; on na rien fait, ctait futile , on ny connat rien. Le moniteur constate alors quil sagissait dune fuite: le groupe a voulu prouver quil tait incapable de se dbrouiller seul. Les participants rient. Une discussion suit, anime, o les critiques abondent: la fuite succde les attaques contre la situation et contre le moniteur. La conduite de combat-fuite peut prendre de nombreuses formes, plus ou moins camoufles. Couplage. Parfois, lattitude combat-fuite aboutit la formation de sous-groupes ou de couples. L. Herbert a cit lexemple suivant. Dans un() Cette traduction de basic asstimptions nous semble plus correcte que celle, couramment employe, d hypothses de base.groupe de diagnostic, on discute des flammes amoureuses dans les coles de filles. Les femmes seules discutent. Les hommes se taisent, disant que le phnomne nexiste pas chez les garons. A la sance suivante, les hommes seuls parlent: il y a donc eu clivage des hommes et des femmes. Enfin, la runion daprs, un homme et une femme se taquinent au sujet des discussions antrieures: on assiste une vritable sance de flirt agressif (personne dautre ne parle). Il stait ainsi form un couple. Celui-ci peut essayer de rformer le groupe entier (Bion parle dune esprance messianique suscite alors chez celui-ci), mais le couple reprsente un danger pour le groupe, car il tend former un sous-groupe indpendant.Les trois prsupposs de base napparaissent pas en mme temps. Lun prdomine et masque les autres qui restent en puissance. Ils constituent le systme protomental.Bion ne donne que des interprtations concernant le groupe tout entier et les prsupposs de base sous-jacents lexprience collective. Une interprtation est la traduction en termes prcis de ce que le moniteur considre comme lattitude du groupe vis--vis du groupe. Le moniteur dun groupe de diagnostic, le prsident dune runion, le professeur dans sa classe partagent les motions communes aux participants. Sils parviennent sanalyser eux-mmes, ils pourront daprs leurs sentiments juger quelle est exactement la situation imaginaire vcue par le groupe. Ils ressentent plus que les membres du groupe les frustrations, car ils sont chargs de faire travailler ce groupe et sen sentent responsables; le groupe ne saperoit pas, par exemple, quil sabote le travail, mais lanimateur, plus sensible ces sortes de fuites de la tche, reconnat la vritable nature dun climat qui peut tre consciemment amical. Les interprtations doivent tomber au bon moment, propos. Le moniteur a lutter contre la tendance naturelle de faire part de ses dcouvertes ds quelles se prsentent lui. Des rvlations prmatures, donnes tort et travers, peuvent entraver ou dtourner le travail du groupe. Il y a analogie entre les interprtations donnes par un animateur au groupe et les interprtations que donne le psychanalyste son malade. Il convient de les slectionner, non de les communiquer sauvagement. Le malade ou les membres du groupe doivent pouvoir accepter rellement la rvlation non pas de faon superficielle et intellectuelle, mais activement et volontairement. Si les interprtations sont, soit acceptes passivement, soit refuses, il faut attendre: ou linterprtation est fausse, ou bien les sujets ne sont pas encore prpars la recevoir.Lanimateur. Pour Bion, le vritable animateur de groupe fait partie du groupe et en partage les croyances. Il na pas convaincre le groupe de ses croyances personnelles. Si le groupe est conduit par un individu tellement pris par les motions du prsuppos de base quil sassimile au leader dun groupe de travail, il devient facile dexpliquer les dsastres du groupe car la qualification de son meneur ntait quapparente. Lauimateur a prendre du recul, tre la fois dans le groupe et hors du groupe.Le groupe perscut ou dprim face au psychosociologueLe mrite dElliott Jaques, un autre reprsentant de lcole anglaise, est davoir tendu la comprhension des groupes rels les vues kleiniennes Selon lui, les difficults p