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~ENTRE DE RECHERCHES SUR L'ANTIQUITE TARDIVE ET LE HAUT l\IOYEN ACE UNIVERSITE DE PARIS X HAGIOGRAPHIE CULTURES ET SOCIETES Actes du Colloque organise it Nanterre et it Paris (2-5 mai 1979) £TUDES AUGUSTINIENNES 3, rue de I'Abbaye i5006 PARIS 1981 Pub lie avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique et de I'Universite de Paris X Nanterre

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~ENTRE DE RECHERCHES

SUR L'ANTIQUITE TARDIVE ET LE HAUT l\IOYEN ACE

UNIVERSITE DE PARIS X

HAGIOGRAPHIECULTURES ET SOCIETES

Actes du Colloque organise it Nanterre et it Paris(2-5 mai 1979)

£TUDES AUGUSTINIENNES3, rue de I'Abbaye

i5006 PARIS1981

Pub lie avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifiqueet de I'Universite de Paris X Nanterre

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La controverse biblique et patristiqueautour du miracle, et ses repercussions

sur l'hagiographie dans l'Antiquite tardiveet le haut Moyen Age latin

Un des cliches les plus communement recus pour caracteriser la mentalitedu haut Moyen Age est 1'. invasion du miraculeux » vehiculee, au niveau dela litterature, par les nombreux recits et recueits hagiographiques qui, ens'assurant le quasi-monopole de la production litteraire, temoigneraient de laregression mentale de cette epoque, le « flechissement de l'intelligence »intervenu depuis la fin de l'Antiquite etant alors venu ä son terme'. Certes,des nuances importantes n'ont pas manque d'etre apportees ä cette visiond'ensemble. Outre la rehabilitation des pretend us Dark Ages et lareconnaissance que l'irrationnalite n'est pas une innovation du hautMoyen Age, mais qu'elle plonge ses racines tres loin dans l'Antiquitetardive et merne dans l'Antiquite classique-, les medievistes ont depuis uncertain temps sensiblement corrige l'idee meme de la • credulite » du MoyenAge et du haut Moyen Age en particulier', Et ce sont, precisernent, lestemoignages directs et indirects des hagiographes qui ont necessite cettecorrection: nous songeons, d'une part, ä I'insistance avec laquelle itsmettent en relief la veracite (c'est-ä-dire le caractere non-fictif) de leursrecits", et d'autre part, aux doutes, ä I'incroyance et ä la detractio que rencon-trent, parmi leurs contempo rains, beaucoup de saints thaumaturges du hautMoyen Age'.

Qu'on nous comprenne bien. Ces nuances ne sont pas destinees ä mini-miser la fonction primordiale du miracle dans la « civilisation de l'insecu-rite. que constitue le haut Moyen Age et qui « postule • pour ainsi dire lemiraculeux et le merveilleux pour permettre ä l'individu et ä la collectivite de

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« survivre» psychologiquement. Il ne s'agit pas non plus de contester laplace de choix qu'occupe le miracle dans la physionomie du christianismetel qu'il etait propage et vecu par l'Eglise elle-rneme : la comparaison avecles pays protestants au XVIe siecle - pourtant lui aussi un siecle d'incertitudeexistentielle - dementre a suffisance que I'absence d'une doctrine officielleintegrant le miracle est un element non negligeable, encore que cette absencerut cornpensee, au xvr siecle, par d'autres echappatoires, par exemple lasorcellerie .

. . En realite, le but de la presente communication est de montrer que lemiracle en tant que « signe it (de saintete notamment) n'a jamais cesse d'etreproblematique depuis. la Bible elle-merne et que cette controverse tantscripturaire que patristique n'a pas manque d'influencer l'hagiographie deI'Antiquite chretienne et du haut Moyen Age. Nous limitons notre enquete al'hagiographie latine, sans depasser par ailleurs le seuil de l'epoquecarolingienne. Nous la cornmencons par le Sitz im Leben scripturaire dumiracle, pas uniquement comme point de depart evident d'un apercudiachronique, mais aussi et surtout parce que le problerne des rapportssynchroniques entre l'Ecriture sainte et I'hagiographie (la tautologie queconstituent ces deux termes est plus qu'un hasard etymologique) se poseforcement pour chaque periode et chaque Vita en particulier".

En matiere de miraculeux et de thaumaturgie, la Bible elle-rnerne presentedeja une stratification complexe de traditions et de situations heteroclites et,ce qui plus est, des echos de divergences de vue et de controverses. Pour cequi est de I'Ancien Testament, I'on pourrait affirmer generalement que lemiracle au sens technique du terme n'existe pas, l'idee d'une natureautonome et ant etrangere it la pensee hebraique, L'Israelite reconnaissaitune causalite divine immediate derriere tous les phenornenes de la nature ettous les faits historiques, meme les plus banals. A ses yeux, Dieu peut agir, ason gre, de rnaniere ordinaire ou extraordinaire. Ses mirabilia extra-ordinaires faisaient specialement l'objet de I'admiration et de la stupefactiondu peuple, pour lequel ils avaient une fonction « signifiante » (signes de latoute-puissance et de la gloire de Dieu, de sa bienveillance et de sa miseri-corde envers les hommes, mais aussi de son indignation et de sa colere)".Bien que dans l'Ancien Testament la thaumaturgie soit aussi liee a despersonnes humaines (des « serviteurs de Dieu » comme par exemple Moyse,Elie, Elisee) et qu'il y ait egalernent des traces de miracles magiques etfolkloriques", ces recits sont toujours sous-tendus par une vision globaletheocentrique qui les fait depend re de la volonte divine", La magie pure etsimple est condamnee par la loi mosaique [Exod 22: 18], mais la Bible nenie pas la realite des prodiges operes par des sorciers et des faux prophetes,et qui «concurrencent» ceux de Yahve et de ses serviteurs [Exod 7 : 12,22 ;8: 7,18; Deut 13: 1-3]. Toujours est-il que dans la predication des grandsprophetes, apres Elie et Elisee, les miracles exterieurs (mis ä part les visionset les revelations par lesquelles ces prophetes decouvrent leur vocation et qui

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leur annoncent le destin du peuple) font defaut, la seule merveille etant cellede la justice et de la bonte de Dieu'",

Dans le Nouveau Testament, la differenciation des attitudes est nettementplus marquee!' et des contradictions se font jour deja. D'une part, lesvirtutes et les mirabilia jouent un role important, en ce qu'its authentifient dela part de Dieu la mission messianique du Christ et, plus tard, la predicationdes apötres, Jesus lui-rneme attribue a son Pere les eeuvres qu'il accomplit[Joh 14: 10-11], mais il est egalernent conscient «qu'une force sort de lui,qui guerit tous I [Me 5 : 30 ; Le 6 : 19]. 11 transmet le pouvoir thaumatur-gique it ses disciples [Mt 10: 1, 7-8], voire it tous ceux qui croiront en lui[Mc 9: 37-40; 16: 17-18; Le 9: 49-50], n'hesitant pas a rencherir : «Quicredit in me, opera, quae ego facio, et ipse faciet, et maiora horum faciet,quia ego ad Patrem vado» [Joh 14: 12]. Une fois, en demandant a unexorcise d'aller raconter sa guerison pour que I'on sache ce que le Seigneurlui avait fait [Mc 5 : 19], il se sert du miracle pour susciter la foi en lui, donedans un but missionnaire'P. Sa reponse aux envoyes du Baptiste dans lapericope de Mt 11: 4-6 (inspiree des oracles d'Isale)'? et I'affirmationremarquablement explicite, dans Joh 10: 41, que «Iohannes quidem signumfecit nullum lI, font apparaitre, entre Jesus et Jean et leurs disciplesrespectifs, des tensions au sujet des miracles, dont le groupe de Jean niaitle caractere messianique". Par ailleurs, Ies ennemis de Jesus n'hesitaientpas it attribuer son pouvoir thaumaturgique a des forces dernoniaques[Mt 12: 24; Mc 3: 22; Le 11 : 15].

Mais, d'autre part, le Christ etait lui-meme conscient de l'aspectcontroverse de la thaumaturgie, la sienne y comprise. Il reconnait parexemple que les adeptes des Pharisiens expulsent eux aussi des demons [Mt12 :27], et que des faux Christs et des faux prophetes seront a leur tourcapables de produire des signes et des prodiges [Mt 24: 24; Mc 13 : 21-22].A plusieurs reprises, et contrairement au cas de Mc 5 : 19, il interdisait itceux qu'il avait gueris d'en pari er ä qui que ce so it [Mt 8 : 4 ; 9 : 30 ; Mc1 : 44 ; 7 : 36 ; 8 : 26 ; 9 : 8], visiblement afin d'eviter un « skandalon »15. Deplus, it faisait tout pour situ er ses miracles dans un contexte purement reli-gieux, celui de l'avenernent du royaume de Dieu, qui fut la phase finale del'histoire du salut. Refusant le miracle gratuit ou spectaculaire [Mt 12 : 39 ;16 : 4 ; Mc 8 : 11-12; Le 11 : 29], merne pour legitimer son titre de «Fils deDieu » [cf. le recit de la tentation dans Mt 4 : I-lI], it se plaint arnerementde la curiosite du miracle chez ses contemporains qui ne croient pas sansavoir vu des signes et prodiges [Joh 4: 48].

Pour lui, au: contraire, la foi est elle-merne un prealable au miracle qui,ainsi, n'est pas quelque chose de mecanique (encore qu'il y ait des traitsmagiques dans certains recits neotestamentaires)'", mais qui est indissoluble-ment lie a la predisposition subjective du miracule (a comparer au röle de lacon fiance du patient dans la rnedecine moderne)!". Dans sa propre ville deNazareth, en effet, Jesus ne put faire aucun signe « propter incredulitatem

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eorum 11 [Me 6: 5-6]. Ce serait d'ailleurs inutile pour des incredulesendurcis : « Si Moysen et prophetas non audiunt, neque si quis ex mortuisresurrexerit, credent 11 [Le 16: 31 ; voir aussi Mt 11 : 21-23]. Pareillement,la « foi qui souleve des montagnes 11 est une condition sine qua non pourceux qui feront des miracles au nom de Jesus [Mt 21 : 21-22 ; Mc 11 : 23 ;voir aussi Mt 17 : 18-19 ; Mc 9 : 17-18, 22]. Mais ce dernier s'empresse derelativiser la valeur religieuse et morale du miracle pour ceux qui recevrontle don de la thaumaturgie. Si leur vie n'a pas ete conforme it ses enseigne-ments, illeur dira : « Quia numquam novi vos : discedite a me qui operaminiiniquitatem» [Mt 7 : 23]. En d'autres mots, la virtus au sens de vertu estbeaucoup plus importante qu'au sens de miracle. Personne ne pourra jamaisse prevaloir d'avoir accompli des miracles, bien au contraire. Merne lesdisciples qui ont fait leur devoir ne doivent pas se rejouir par exemple de ceque les esprits leur sont soumis, mais de ce que leurs noms sont inscrits dansles cieux [Le 10 : 20]18.

L'Eglise apostolique, teile qu'elle nous est connue it travers les Actes desapötres et les epitres neotestamentaires, fait apparaitre la meme dichotomieit propos du miracle. D'un cote, I'enthousiasme du debut et l'atmosphereeschatologique creaient un climat propice au miraculeux et au merveilleux(cf. aussi les visions et les apparitions). Les virtutes accomplies, au nom duSeigneur, par les apötres, sont autant de gages divins de la nouvelle foi etjouent un role decisif dans son expansion rapide", Mais certains episodesdes Actes montrent en meme temps que I'activite thaumaturgique desapötres risquait d'etre confondue avee eelle d'autres « hommes divins 11, demagiciens et de charlatans", Le « kerygrna 11 chretien avait done tout interetit ne pas se lier trop etroitement it la thaumaturgie. C'est surtout saint Paulqui ne cache pas ses reticences ä ce propos. Certes, il mentionne I'operatiovirtu turn et la gratia sanitatum parmi les charismes que I'Esprit repand surles fideles, mais les thaumaturges n'occupent, dansl'Eglise, que la quatriemeplace apres les apötres, les prophetes et les docteurs [1 Cor 12 : 7-11, 28]. 11allegue, mais seulement en passant et sans plus de precisions, que son propreapostolat a ete legitime par des signa, prodigia et virtutes [2 Cor 12: 12],mais ailleurs ils s'oppose fermement aux Juifs qui demandent des signes etaux Grecs qui sont en quere de sagesse. Car lui, il preche le miracle parexcellence que constitue le Christ crucifie et ressuscite [1 Cor 1 : 22-25].Qualifiant la glossolalie de : « signum non fidelibus, sed infidelibus » [1 Cor14 : 22] et mettant, par ailleurs, les chretiens en garde contre les signestrompeurs, mais reels, de l'Antechrist [2 Thess 2 : 8-10], Paul proclame lasuperiorite absolue de la charite par rapport aux autres charismes [1 Cor12: 31 - 13: 13] et confirrne de la sorte l'avertissement de Jesus sur lavanite d'une thaumaturgie dissociee de la vertu.

De ces textes, on peut degager quelques reflexions fondamentales. Lemiracle et le merveilleux sont inherents ä la Weltanschauung de I'Antiquitebiblique comme de l'Antiquite paienne, Dans les Ecritures judeo-chretiennes, ils sont integres dans l'histoire du salut qui est elle-meme

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theocentrique et providentialiste. Mais en meme temps, les prodiges qui sefont en dehors de ce contexte, et notamment ceux de « faux prophetes », sontreconnus comme reels. Toutes les precautions doivent cependant etre prisespour eviter la confusion avec les vrais miracles cautionnes par Dieu : cesderniers ne sont pas des « prouesses », mais relevent du « pertransiitbenefaciendo» [Act 10: 38], ils ne sauraient servir le prestige personnel duthaumaturge, qui n'est qu'un instrument entre les mains de Dieu", et ils nepeuvent etre envisages uniquement comme des faits objectifs, independam-ment de la foi et de l'etat d'ärne religieux du thaumaturge et du miraculelui-merne. Le fait que ces conditions n'etaient pas toujours remplies a jete uncertain discredit sur la thaumaturgie des l'epoque neotestamentaire, ou deuxtendances coexistent et s'affrontent (meme dans la vie et la pensee de Jesus) : .l'une qui reconnait pleinement au miracle visible son role messianique,I'autre qui le devalorise par rapport aux comportements religieux et morauxet it la gräce spirituelle", Le miracle füt, des le debut, un « signe decontradiction )I: en effet, les evangelistes font etat du doute et del'incroyance des contemporains (les miracles du Christ ne suffisaient donepas pour le faire reconnaitre par tous comme le Messie)", les autres ecrits(epistolaires) du Nouveau Testament en parlent peu ou prou, et dans lequatrierne evangile certains miracles semblent deja etre concus comme desallegories, illustrant les paroles du Seigneur".

Il n'est d'ailleurs pas impossible que des passages du Nouveau Testament,et notamment certaines paroles du Christ concernant le miracle, aient eteajoutes tardivement et refletent les discussions au sein de l'Eglise ancienne",La controverse autour du miracle s'est, en effet, intensifiee au fil des annees,La mentalite de l'epoque imperiale etait particulierement receptive it toutessortes de Wundergeschichten que les evangiles et actes apocryphes proje-taient retroactivement sur le Christ et sur les apötres, qui, au lie siecle, yapparaissent avant tout comme des thaumaturges spectaculaires", L'Eglisea reagi en fixant rapidement un canon du Nouveau Testament. Mais ladifficulte, voire l'impossibilite de sauvegarder le caractere specifique etfonctionnel de la thaumaturgie chretienne a fini par la compromettre. LesJuifs et les paiens (par exemple Celse, Porphyre) voyaient dans les miraclesde Jesus et de ses disciples I'eeuvre de magiciens et de demons. A cesaccusations, les apologistes chretiens ont replique en substance que lesmiracles du Christ avaient toujours eu un effet durable, qu'ils avaient eteaccomplis sans expedient ni artifice quelconque, et surtout qu'ils avaient etepredits par les prophetes de I'Ancien Testament. En merne temps, ils souli-gnaient le desinteressement parfait et l'eminente personnalite morale deJesus, en presentant ses miracles et ceux de ses apötres comme de puresmanifestations de la bonte de Dieu. Toutefois, ces arguments s'averaient peuconvaincants et certains auteurs chretiens, Justin et Tertullien notamment,finirent par se demander pourquoi les paiens s'en prenaient aux miracles duChrist alors que leurs propres dieux en avaient fait de semblables avant luP'.Un tel raisonnement ne put evidemment que deboucher sur un cercle vicieux.

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Au ne et au me siecles, I'on constate, en effet, chez les penseurs chretiens,un reel malaise concernant le miracle, plus particulierement le miraclecontemporain. Certes, on reaffirrne, contre la gnose et contre le docetisme, larealite et l'historicite des miracles du Christ et des apötres. Au debut duIVe siecle, Arnobe exploitera merne it fond I'argument des miracles pourprouver la divinite de Jesus, ce que, un siecle plus tot, Tertullien avaitrefuse". Selon Origene, le succes du christianisme aurait ete inconcevablesans miracles demonstratifs, necessaires pour que les gens renoncent it leurscroyances paiennes", Avant lui, dans la seconde moitie du ne siecle, Ireneede Lyon etait merne convaincu que, de son vivant, des miracles continuaientit se produire au nom du Seigneur et, partant, prouvaient la verite desmiracles bibliques ". Mais peu a peu, une reflexion plus approfondie allaitplutöt dans le sens d'une «spiritualisation» du miracle contemporain,notamment chez Origene lui-meme qui, tout en admettant encore la conti-nuation de la thaumaturgie dans l'Eglise de son temps", mettait desormaisl'accent sur le miracle spirituel et moral que constitue chaque conversion aune vie nouvelle dans le Christ (la «vue interieure » d'un chretien rachete,par exemple, est beaucoup plus importante que la guerison d'un aveugle).Les miracles spirituels, ce sont precisernent, it ses yeux, les opera maiora quele Christ avait promis [Joh 14 : 12)32.Cette idee, qui sera reprise plus tardpar d'autres Peres de l'Eglise, n'est pas sans rappeler la hierarchie etabliepar l'evangile entre le pardon des peches et la guerison physique (moinsimportante pour le Christ) du paralytique [Mt 9 : 1-8].

Dans la seconde moitie du me siecle, I'opinion gagne du terrain que lesmiracles avaient bel et bien cesse. On la trouve chez Victorin de Pettau( t 304) qui voit succeder it la thaumaturgie l'interpretation des ecritsprophetiques et apocalyptiques. Celle-ci est donnee it I'Eglise comme« consolation », en attendant de nouveaux miracles « visibles 11 prevus pour lemoment oü la parousie sera imminente", A la lumiere de cette theorie, oncornprend mieux l'etonnement d'Eusebe de Cesaree (vers 263-340) quand illisait chez Irenee qu'au temps de cet auteur il se produisait encore desmiracles dans l'Eglise". La merne conviction, suivant laquelle l'epoque del'enthousiasme charismatique et pneumatique etant revolue, la vie religieuseetait dorenavant reglee par les institutions ecclesiastiques, le culte et lamorale, on la retrouve encore vers la fin du IVe siecle, dans le livre VIII des«Constitutions Apostoliques » ou est denoncee egalement la presomptiondes charismatiques et des thaumaturges",

Le ton polemique de ces «Constitutions» indique toutefois que dans lavie quotidienne la thaumaturgie et la croyance au miracle n'avaient pasdisparu", Au contra ire, l'Antiquite tardive, et plus precisement le me et leIVe siecles, passe pour avoir ete un «äge d'anxiete »37,caracterise par une« maree spirituelle» de phenomenes miraculeux et merveilleux, par un etatd'esprit qu'on definit volontiers par le mot anglais otherworldliness etcommun aussi bien aux paiens qu'aux chretiens38• Le triomphe final duchristianisme laissait cependant un vide dans la conscience des masses

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populaires. devo~ees ~ leurs dieux, ä leurs uWTijpEr; et (him äV~pEr;. LacompensatIOn necessaire est venue du culte des martyrs et des saints qui, endepit de ses origines specifiquernent chretiennes, a recu une impulsion tresforte, des le IVe siede, it la faveur de cette fonction compensatoire",Debarrassee, du moins theoriquement, de la concurrence et de la confusionavec des pratiques paiennes, la thaumaturgie chretienne fait sa reapparitionsur les tombeaux des martyrs et se cristallise plus tard it nouveau autour depersonnes vivantes, plus particulierement les anachoretes et les cenobites ",Mais les polemiques reprennent egalement. Parmi les defenseurs et lespropagateurs du culte des martyrs et de leurs miracles il faut eiter, dans laseconde moitie du IVe et la premiere rnoitie du ve siecle, saint Ambroise, lepape Damase, Gaudence de Brescia, saint Jeröme, Paulin de Nole, Prudencede Calagurris. Dans ces milieux, l'on eherehe par exemple des supportsbibliques pour le culte des reliques et leurs pouvoirs miraculeux", Mais unadversaire farouche comme le pretre gaulois Vigilance (vers 4(0) s'indignaitdu caractere paien de beaucoup de manifestations du culte des saints et deleurs reliques". En outre, le succes du 7rVEVpaTlICOr; 7raT~p monastique sus-cita la mefiance du clerge seculier (transparente notamment it travers les« Constitutions Apostoliques » dejä citees) qui veut subordonner lescharismes eventuels aux ordinations et aux fonctions ecclesiastiques", et cecontrairement au Nouveau Testament [1 Cor 12: 1-11, spec. 12: 7 :«Unicuique autem datur manifestatio Spiritus ad utilitatem »],

Dans tout ce contexte, il est interessant de rappeier l'evolution de lapensee de saint Augustin relative au miracle. Dans De vera religione (datantdes annees 387-391) et De utilitate credendi (391-392), il se dit convaincuque les miracles du temps des apötres, indispensables it cette epoque pouramener les hommes it la connaissance des miracles invisibles, ant mainte-nant cesse, car leur repetition incessante les auraient rendus banals etinutiles. Il ignore d'ailleurs expressernent les miracles qui se seraientproduits quelques annees auparavant, en juin 386, lors de la translation desmartyrs Gervais et Protais par saint Ambroise, it laquelle Augustin avaitpourtant assiste. Environ trente-cinq ans plus tard (notamment dans lesSermons 320-324, le livre XXII du De civitate Dei, et les Retractationes) il

. a, au terme d'un cheminement hesitant et graduel, revise sa position enaccept ant finalement les miracles contemporains ", dont il recueillemaintenant les recits dans des libelli destines a etre Ius devant les fidelesd'Afrique (qui, si on l'en croit, furent plutöt indifferents)",

Si saint Augustin, tres longtemps reserve, a fini par se laisser convaincrepar la multiplicati?n eton~ant~ des epis?des presumes mirac~le~x. auto~r .dessanctuaires cathohques d Occident, !1 n en a pas moms contmue a relativiseret ä. spiritualiser le concept de miracle. Les miracula quotidiana de la naturequi n'etonnent plus personne it cause de leur reiteration permanente, sont äses yeux plus grands que ceux de la Bible". D'ailleurs, le miracle au senscourant du terme, c'est-ä-dire «quicquid arduum aut insolitum supra spemvel facultatem mirantis adparet » n'a qu'une apparence miraculeuse, parce

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que nous ne connaissons pas les occulta semina rerum et les absconditaecausae dont Dieu se sert. En effet : « Portentum non fit contra naturam, sedcontra quam est nota natura" I. Estimant que Dieu a fait les miraclesracontes dans les Ecritures uniquement a cause de leur signification spiri-tuelle pour l'homme", il defend, lui aussi, la suprernatie des miraclesinterieurs (la conversion de l'homme pecheur par la predication, la priere, lessacrements) sur les miracles physiques".

Meme dans certains milieux monastiques, le miracle faisait l'objet deserieuses reserves. Jean Cassien (vers 360-435) ne nie pas les miraclespostbibliques (il en raconte lui-rneme quelques-uns pulses dans ses « souve-nirs egyptiens »), mais il craint la supervacua admiratio qu'ils suscitent, et ilprefere y substituer les instituta et studia sanctorum, et notamment lesexempla et gesta ascetiques". Car les vrais mirabilia et prodigia sont d'ordrespirituel et moral: « Quantum praecellat vitae probitas opera signorum" » :D'apres lui, les charismata disparaitront, seule la charite a une valeurperpetuelle". Pareillement, le monachisme rhodanien (Urins, Marseille,Aries, Lyon, etc.) fait preuve d'un etat d'esprit « eclaire i vis-a-vis dumiracle, s'opposant de la sorte au monachisme martinien ", quoique, des lafin du IVe siecle, d'aucuns parmi les moines de Marmoutier n'aient pas cacheleur scepticisme it propos des visions de saint Martin de Tours".

Toutes ces prises de position n'empechent pourtant que, au milieu de lacrise politique et spirituelle de l'Empire finissant, le courant favorable aumiracle l'a emporte. Cependant, le contre-courant est demeure relativementfort, meme au haut Moyen Age. Ainsi le pape Gregoire le Grand, pourtantl'auteur des Dialogues (sur lesquels nous reviendrons), s'inscrit encore dansla tradition origeniste et surtout augustinienne. Les miracula visibilia furentindispensables au temps des apötres", mais maintenant que la religionchretienne est partout implantee, ils se sont rarefies. A present, Dieudemande plutöt des merita operum que des signa virtutum, bien que ceux-ciadviennent encore cum opportunitas exigit": Comme saint Augustin,Gregoire evoque les quotidiana Dei miracula (ceux de la nature, notammentla naissance d'enfants) et la superiorite des vertus, specialement la charite,dans une optique paulinienne", Il reconnait explicitement les miracles faitspar les reprobi, estimant par ailleurs que les prodigia de I'Antechrist serontplus spectaculaires que ceux de l'Eglise58• Enfin, il cite Mt 7 : 22-23 pourdenoneer l'abus de la thaumaturgie a des fins personnelles, pouvant debou-eher sur la damnation etemelle", Selon Bede le Venerable, il aurait, enrappelant Le 10: 20, mis en garde le moine Augustin qu'il avait envoyecomme missionnaire en Angleterre, contre l'inanis gloria et la praesumptioque pourraient lui insuffier des succes thaumaturgiquess'',

Le recours abusif it des exploits miraculeux, plus precisement dans ce quele Pere Delehaye a appele les « Passions epiques »61, avait deja ete condamne,dans la premiere partie du Vie siecle, par le Decretum de Iibris recipiendis etnon recipiendis, faussement mis sous le nom du pape Gelase. mais originairede la Gaule meridionale'", D'ailleurs, dans I'Eglise romaine, les Passiones

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n'ont pas ete admises dans la liturgie avant le IXe siecle it cause de leurauthenticite douteuse et de leurs fictions merveilleuses'", Plus tard, au debutdu VIle siecle, Isidore de Seville reprend l'idee que les miracles de l'Ecrituresainte furent destines aux incroyants, ce qui explique, ajoute-t-il : « quodnunc Ecclesia non ea miracula faciat quae sub apostolis faciebat », it telpoint que: «nunc in Ecclesia plus est bene vivere quam signa facere'" ».Que, du reste, les miracles scripturaires eux-mernes continuent, au VIle siecle,it soulever des questions et des difficultes, un ouvrage trop peu etudie jus-qu'ici nous l'apprend. 11s'agit du traite De mirabilibus sacrae Scripturae,ecrit vers 655 en Irlande par un auteur anonyme qui veut expliquer toutesles « merveiIIes » de la Bible d'une maniere naturelle et rationneIIe, ce qu'i1ne reussit pas it faire sans embarras", C'est dire que dans les Dark Ages,I'on pouvait encore se preoccuper de la credibilite du sensus historicus desmiracles bibliques.

On peut resumer en disant que la controverse patristique autour dumiracle perpetue celle qui avait commence deja dans le Nouveau Testament.Les arguments invoques sont d'ailleurs tres souvent tires de la Bible";Malgre une evolution de la mentalite plutöt favorable au miracle, I'EgIisereste divisee sur la question de savoir si les miracles scripturaires continuentoui ou non it se reproduire", Jusque dans le haut Moyen Age, des reponsesnegatives sont donnees it cette question. Si, au fil des siecles, la pIupart sontpourtant devenues positives, elles sont souvent assorties de nuances et deconsiderations preventives, On estime que des prodigia sont possibles endehors d'un contexte chretien, ce qui pose toujours un problerne delicat dedistinction. Les miracles spirituels et interieurs sont plus importants que lesmiracles materiels. Ces demiers risquent, en outre, de rendre le thaumaturgepresomptueux. Pourtant, la thaumaturgie n'a aucune valeur si elle nes'accompagne pas d'une vie vertueuse, elle serait meme, dans ce cas, unmotif supplernentaire de damnation. Quant au caractere extraordinaire desmiracles scripturaires et autres, celui-ci est quelquefois minimise par desreferences aux miracula quotidiana de la nature qui, en fait, rneriteraient lamerne admiratio de la part de l'homme. Ajoutons que, sans nier pour autantle caractere historique des miracles de la Bible, les Peres de l'Eglise passentvolontiers it une exegese allegorique et tropologique de ces miracles, quipourrait theoriquement s'appIiquer aussi it l'hagiographie'" .

•••Precisement, la question qui nous occupera maintenant est de savoir si

cette controverse biblique et patristique relative au miracle a eu des reper-cussions sur l'hagiographie. Qu'elles soient directes ou indirectes, explicitesou impIicites, ces incidences ont ete reelles. Car chaque hagiographe - etchaque saint, car la stylisation hagiographique commence souvent deja chez

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lui - se trouve pris entre deux courants de pensee, Le premier veut queDieu, en se servant des nouveaux viri Dei que sont les saints de l'Eglise,continue it accomplir les mirabilia et magnalia qu'il a accomplis jadis parles patriarches et les prophetes, par son fils Jesus-Christ et ses apötres'", Il sefonde sur la conception veterotestamentaire de I'histoire du salut?", ainsi quesur les promesses du Christ lul-meme'". Dans la pratique, ce courant setrouve etre renforce par le Weltbild prescientifique commun it la Bible, itI'Antiquite (tardive) et au haut Moyen Age, par les aspirations du Publikum.les exigences du culte it promouvoir et, it la longue, par la « loi du genre»hagiographique. Le second est celui de la devalorisation et de la remise enquestion du miracle depuis le Nouveau Testament. A ce courant contraire,et notamment it la these que les miracles ont cesse et qu'il faut y substituerdes valeurs spirituelles plus importantes, se joignent, au niveau de lamentalite populaire, de reguliers sursauts de scepticisme et de resistance aumiracle. ,

L'hagiographie reflete des le debut la dialectique permanente entre cesdeux courants. L'auteur de la Passio Felicitatis et Perpetuae (vers 200)preconise d'emblee une certaine continuite entre les vetera fidei exempla desEcritures et les nova documenta de la periode postbiblique, visant pourtantmoins le miracle proprement dit que les visions et les propheties'". Lespremiers Actes des martyrs se contentent d'ailleurs, en general, d'unerelation sobre et depouillee du proces et de l'execution, sans trop dedeveloppernents miraculeux et merveilleux 73. Le texte qui forme le traitd'union entre la Passio et la biographie, la Passio Cypriani de Pontius(vers 259), tout en revetant un caractere nettement apologetique, s'inscrittoujours dans ce meme « realisrne » de l'Eglise ancienne peu portee vers lemiracle". Le gout des merveilles spectaculaires s'epanouira, plus tard, dansles soi-disant « Passions epiques » ou « romanesques ", oü le martyr apparaitcomme une espece d'Uebermensch. Se rattachant it la tradition des evangileset actes apocryphes, ce genre-la s'ecarte sensiblement de la conceptionbiblique et « orthodoxe» du miracle et jettera pour longtemps le discredit surtoute la litterature des Passions.

Les premieres Vitae proprement dites appartiennent au milieu monas-tique, oü l'ascese, le pneumatisme et la thaumaturgie etaient etroitementassociees, La Vita Antonii d'Athanase (deux fois traduite en latin, au plustard en 375), les Vitae Pauli (vers 374-379), Hilarionis (vers 386-390) etMalchi (en 390) de saint Jerörne, la Vita Martini (peu avant la mort du sainten 397) et puis les Epistulae et les Dialog; de Sulpice Severe, illustrentpleinement cette tendance fondamentale. Pourtant, deja des nuances et descorrectifs s'imposent. Les miracles d'Antoine relevent principalement de lalutte contre le diable et depassent de loin, numeriquement, les « prototypes»du Nouveau Testament dans ce domaine. Or, Athanase a senti le besoin deconsacrer un chapitre entier it l'interpretation correcte et it la relativisationde ces exorcismes et guerisons. C'est, justement, aux paroles evangeliques deLe 10 : 20 et de Mt 22 : 23 qu'il recourt pour s'en prendre a ceux qui « non

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in virtute deifica gloriabantur, sed in signis» et oublient que: cc signaenim facere non nostrum est, Salvatoris autem opus est" I). Il semble bienque par cette mise au point il ait voulu prevenir tant les interpretationsabusives de son texte que les critiques anti-thaumaturgiques.

·Bien que sur le plan de la theorie, saint Jeröme s'en tienne lui aussi a uneconception theocentrique du miracle", ses trois short-stories, et plusparticulierement la Vita Htlarionis, surprennent par l'absence de touteretenue ou reserve de sa part dans l'enchainement prolixe et le quasi-automatisme de toutes sortes de faits miraculeux". Mais ce qui surprendegalement, c'est que dans sa meilleure (et peut-etre sa seule veritable)biographie spirituelle, l'Epitaphium sanetae Paulae"; it ne parle pas demiracles. Est-ce a dire que, pour lui, la thaumaturgie n'est pas inherente a lasaintete monastique, mais qu'elle a sa place dans une ce litterature d'edifica-tion » populaire a caractere romance et legendaire ? Il y a la, de toutemaniere, un problerne d'interpretation qui n'est pas sans affinites avec celuique nous rencontrerons a propos des Dialogues de Gregoire le Grand. Ilconvient cependant de rappeIer que saint Jeröme a toujours defendu avecvigueur les miracles post mortem des martyrs.

Sulpice Severe, de son cote, est on ne peut plus clair: saint Martin deTours est l'aemulator gestarum a Salvatore virtutum"; ses miracles engagentla foi au meme titre que ceux de l'Ecriture sainte, car: « cum Dominus ipsetestatus sit istius modi opera quae Martinus implevit ab omnibus fidelibusesse facienda, qui Martinum non credit ista fecisse, non credit Christum istadixisse'" ». Le ton quelque peu agressif sur lequel Sulpice invoque les parolesdu Christ dans Joh 14: 12, laisse entrevoir les difficultes que devait affronterle propagandiste de la thaumaturgie martinienne et qui l'enervaient manifes-tement'". Ce courant anti-thaumaturgique combattu par Sulpice a pourtanttrouve, quelques annees plus tard, un porte-parole hagiographique dans lapersonne de l'eveque Hilaire d' ArIes qui ecrivit, en 430 ou 431, la biogra-phie de son predecesseur, le Sermo de vita Honorati. Cette Vita traduit, eneffet, les reserves tres nettes du monachisme rhodanien vis-a-vis de lathaumaturgie. Ici egalement, le ton est polernique. Honorat n'avait pointbesoin de miracles pour etre un vrai saint : « 0 magna et incluta, Honörate,tua gloria! Non indiguit meritum tuum signis probari : ipsa enim conversa-tio tua plena virtutibus et admirationis novitate praecelsa, perpetuumquoddam signum ministravit. MuIta quidem tibi divinitus signorum specieindulta novimus, quicumque propius adsistebamus ; sed in his tu minimamtui partem reputabas maiusque tibi gaudium erat quod merita et virtutestuas Christus scriberet quam quod signa homines notarent ». Cette exalta-tion des « vertus sans miracles» de saint Honorat, reprenant un theme dejäevoque de la controverse biblico-patristique, debouche sur un paradoxeconcis : « Et tarnen quod maius signum virtutis esse potest quam signafugere et occultare virtutesv ? It. Hilaire va merne jusqu'a suggerer que leChrist a exauce les prieres d'Honorat lui-rneme « en ne permettant pas quesa vertu soit proclarnee par des miracles »83.

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Martin de Tours et Honorat d'ArIes furent tous les deux des evöques-moines. Cependant, entre leurs Vitae respectives, c'est-a-dire en 411 ou bienen 422, la premiere biographie episcopale proprement dite avait ete redigeepar Paulin de Milan: la Vita A mbrosii, Oll environ un cinquieme du texteest consacre a des recits de miracles contre la rnoitie dans la Vita Martinipar exemple. L'eveque de Milan guerit, en effet, quelques malades et voit sesadversaires punis par des interventions divines, mais, sans prendre explicite-ment position au sujet de la thaumaturgie, son biographe semble vouloireffacer cet aspect de la vie du saint devant l'image dominante de lapersonnalite d'Ambroise, celle de l'antique magistrat investi d'une chargeepiscopale et devenu .brillant Kirchenpolitiker": Le miracle est davantageencore reduit it la portion congrue dans la Vita Augustini de Possidius (vers432). Ce n'est que sur son chevet que l'eveque d'Hippone obtient, par sapriere, la guerison de quelques demoniaques et, par une imposition de la main,ceIle d'un malade physique, mais apres avoir hesite, car, etant lui-rnemegravement souffrant: «si aliquid in his posset, sibi hoc utique primituspraestitisset" ». Il semble certain que la quasi-absence du miracle dans laVie de saint Augustin n'est pas sans rapports avec ses prop res reticences itcet egard", Possidius a-toil fait, a la fin de son recit, une modeste« concession» a ses lecteurs et ses auditeurs? A propos de ce qui pourraitalors, apparemment, etre sur le poirit de devenir une « loi du genre », il estinteressant de signaler la reaction de l'eveque Verus d'Orange qui, dans saVita Eutropii (peu apres 475) parait presque vouloir e s'excuser » d'avoirraconte les miracles de sont saint predecesseur : « Sed quid nos illiusmirabilibus inplicamus? IlIa magis narranda sunt, quae exemplis suisexcitent, instruant et aedificent audientes'" It.

Le VIe siecle, que d'aucuns rattachent toujours it la Spiitantike, mais qued'autres considerent deja comme medieval, apporte a premiere vue letriomphe definitif, dans I'hagiographie, du courant favorable au miracle.Dans la premiere moitie du siecle, I'on note cependant encore des voiesdiscordantes. A la Vita Severini, d'Eugippius (datant de 511), Oll laconception de la saintete se fonde explicitement sur des miracles it fortestylisation scripturaire'", s'opposent notamment la Vita Fulgentii de Ferrandde Carthage (apres 532) et la Vita Epiphanii d'Ennode de Pavie (r 521). Lapremiere, qui releve en grande partie de « I'histoire ecclesiastique », rejetteles miracles comme dangereux it cause de la iactantia qu'ils peuventengendrer chez le thaumaturge: «Sic sollicite semper beatus Fulgentiusiactantiam fugit, nec in donis spiritalibus humanam gloriam quaesivit ...Unde etiam mirabilia facere nunquam delectatus, hane gratiam dari sibinuIlatenus desideravit'" ». La seconde contient, certes, quelques virtutes,mais l'hagiographe les tient pour accessoires et stigmatise les Vies de saintsqui pechent, en ce domaine, par des exagerations et des mensonges : « ... illatarnen iusto liberior laudatio tantum decerpit gloriae, quantum falsitatisadiecerit. Fit vero plerumque, ut fide carens cumulus minuat probe factamultorum et sit vana narratio quae crescit ex mendaciis, intempestiva etmendiea nimium quae non pertransiit ad terminum 90 ».

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Force est de constater cependant que l'hagiographie du Vie siecle, surtouten Gaule, est largement dorninee par les grands recueils de miracles dontI'ampleur depasse de loin les libelli precedents. Deja Venance Fortunat (vers535 - 601) precede, dans ses Vitae, it une accumulation monotone demiracles a propos de laquelle il voit lui-merne le risque que «non erit modusin pagina'" ». Toutefois, le protageniste le plus enthousiaste de la croyanceau miracle, dans la seconde moitie du Vie siecle, est incontestablementGregoire de Tours (538/539-594), dont I'reuvre hagiographique remplit plusde 300 pages dans les Monumenta Germaniae Historica. On a dit qu'aveclui, la foi chretienne se reduit au langage demonstratif du miraculeux et dumerveilleux'" ou, autrement dit, it la « foi du charbonnier »93.La plupart deshistoriens modemes mettent en exergue la « naivete» de Gregoire, mais ilsacceptent en rneme temps sa parfaite honnetete. Gregoire raconte d'innom-brables miracles de saint Julien de Brioude, de saint Martin de Tours etd'autres saints et iI specifie s'il a ete oui ou non temoin oculaire et s'il peuten garantir la veracite, II sait que d'autres expliquent d'une maniere naturellecertains phenomenes que lui tient pour miraculeux, mais cela est it ses yeuxtemeraire, II a lui-rnerne la conviction inebranlable que Dieu et ses saintsinterviennent constamment dans la realite de taus les jours. Sa croyance aumiracle est pour ainsi dire objective, «empirique », elle ne requiert aucun«sacrificium intellectus" ». Des miracles peuvent etre «constates » chaquejour, et ceux qui doutent « n'ont qu'ä aller voir »95. Mais en meme temps, ona I'impression d'assister, avec Gregoire, a une reelle « primitivisation » de lanature meme du miracle qui se fait frequemment it la faveur d'un contactphysique avec des reliques (surtout des reliques secondaires) par lesquellespasse, quasi automatiquement, la virtus du saint", Ce que nous appelonsprimitivisation ne pose cependant pour lui aucun problerne, car: « plus valetparumper de pulvere basilicae quam illi [harioli] cum medicamentis[nsaniae" ». Elle se manifeste d'ailleurs pareillement dans les nombreux casde «jugements de Dieu » et d'ordalies, sous I'invocation de la « Dominipietas quae insontes perire non patitur'" ».

Certes, on peut relever ~a et lä quelques nuances, mais elles ne sontqu'occasionnelles et changent peu it I'attitude fondamentale de l'eveque deTours vis-it-vis du miracle. Une seule fois, mais dans les Libri historiarum, ilmet en garde contre le « prodigiis atque virtutibus gloriari'" » et, en un autreendroit, iI invoque Mt 7 : 22-23, mais seulement pour defendre un certainIIlidius dont I'unique miracle ne suffisait pas selon d'aucuns pour legitimerson titre de saint lOO. En ce qui conceme le veritable auctor du miracle,Gregoire reste, en principe, fidele it la conception theocentrique qui veut queles saints ne sont que des mediateurs, et il applique « une theologie del'incarnation du Christ se perpetuant ici-bas dans les reliques, pour rendrepresent le saint qui habite deja le ciel »101.Meme les «miracula quaequamlibet parva censeantur in dictis », sont « ad eum tarnen referenda quihaec operatur in singulisl'" ». La thaumaturgie des saints est selon lui fondeesur les promesses du Christ dans Mt 21 : 21 et Me 11 : 24103.Toutefois, il y.a dans l'reuvre de Gregoire d'autres passages ou il semble admettre l'exis-

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tence d'une virtus propre au saint lui-meme ou incluse dans ses reliques entant qu'objets materiels. L'ambivalence et merne l'ambiguite dans cedomaine est bien illustree, par exemple, par la juxtaposition, dans une rnemeinvocation, du nom du Seigneur et de la virtus magna beati Martini'v", Detoute maniere, il est incontestable que Gregoire de Tours surestime le role etla valeur du miracle pour la saintete chretienne et qu'il s'ecarte serieusemenrde la tradition biblique et patristique, ne füt-ce que par le nombre enorme demiracles qu'il relate. Par sa description realiste de tout ce qui se passe dansles lieux de pelerinage, notamment a Tours, il est egalement un ternoinprecieux des mentalites religieuses populaires de son temps et plus precise-ment de la croyance au miracle. Mais ses propres attaques contre ceux quidoutent, qui invoquent le hasard pour expliquer les miracles, contre lesmiseri qui avaient accuse Sulpice severe de mensonges, contre l'eveque deTroyes qui tenait la Passio Patrocli pour une fiction de clerc, contre la crudarusticitas qui murmure toujours contre Dieu et ses amis celestes 103, enfin, lescritiques et l'incroyance auxquelles il s'attend lui-merne en tant qu'hagio-graphel'", confirment ce que nous avons deja remarque, c'est-ä-dire que,pour beaucoup, la realite du miracle fut toujours problematiquel'".

Tres souvent, lorsqu'on veut illustrer la Wundersucht de la fin del'Antiquite et du debut du Moyen Age, on vise, it cote de Gregoire de Tours,son homonyme italien le pape Gregoire le Grand et plus particulierement sesDialogorum libri quattuor, ecrits en 593/594. Pourtant, la conception dumiracle chez I'un et I'autre est nettement differente, Les modemes ontd'ailleurs difficilement pardonne a Gregoire, ce grand pape, cet excellentorganisateur, ancien praefectus urbis et legat de Pelage 11a Constantinople,d'avoir compose ces «historiettes» plus pittoresques que les miracles deGregoire de Tours, si eloignees du realisme de son «epistolaire It, de la finessespirituelle et intellectuelle de ses commentaires scripturaires et de lapsychologie sure et concrete de la «Regie Pastorale »108.Les Dialoguessont-ils une « epique » chretienne qui n'engage point les croyances person-nelles de Gregoire ? Faut-il les interpreter selon une exegese « supra-historique »109. Ou bien Gregoire a-t-il simplement coditie et arrange destraditions orales populaires? Comment concilier les Dialogues avec latendance a la devalorisation du miracle qui s'exprime dans le reste del'oeuvre gregorienne ? D'autant plus que cette tendance biblico-patristiquen'est pas absente dans les Dialogues eux-memes, comme en temoignent cesreflexions que Gregoire adresse a son interlocuteur fictif, le diacre Pierre«Ego enim virtute m patientiae signis et miraculis maiorem credo ...Vitae namque vera aestimatio in virtute est operum, non in ostensionesignorum'!" )t. Il defend l'egalite de merites entre les apötres Pierre et Paul,bien que ce dernier n'ait pas fait de miracles: « Aperte igitur constat quiacum utriusque virtus fuerit dispar in miraculo, utriusque tarnen meritumdispar non est in caelo!" ». A la fin du premier livre, le diacre Pierre acompris: «quia vita et non signa quaerenda sunt », mais il demandeimmediatement d'enteridre encore plus de recits miraculeux'P, Et malgre ses.propres reticences theoriques, Gregoire continue a raconter.

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Les travaux recents du Pere Boglioni et de Claude Dagens ont permis demieux interpreter ces apparentes contradictions lIJ. 11semble bien, en effet,que le problerne de 1'« historicite » du miracle ne se pose pas dans les mernestermes chez Gregoire le Grand que chez Gregoire de Tours. Certes, il y adans les Dialogues des miracles « traditionnels I. (des guerisons par exemple)que I'auteur envisage comme des faits purs et simples, et it distinguelui-rneme, en se referent it des prototypes bibliques, des miracles que lessaints obtiennent par la virtus orationis et ceux qui sontla consequence deleur propre voluntatis nutusi": Mais ce qui, dans la piupart des cas,['interesse au premier chef, ce n'est pas la realite intrinseque du miracle,mais sa fonction et sa finalite qui sont avant tout d'ordre moral et pedago-gique. Gregoire eherehe dans la nature et dans la vie de tous les jours dessigna qu'il croit « investis d'une extraordinaire charge d'intentionalitedivine )IllS, ce qui explique la frequence de formules teiles que quo daturintellegi apres le recit d'un signum exterius'": Les Dialogues se caracte-risent, en effet, par une convergence entre les faits « exterieurs )I et ce qu'ilssignifient intus pour l'homrne!". Les questions et les remarques de Pierrepermettent a Gregoire de passer rapidement du premier stade au second, quiest le plus important. Que le premier soit un fait presume reel ou unexemplum, it n'est le plus souvent qu'un point de depart sur la voie a1'«interiorisation ». C'est sur le chemin de cette irrteriorite que les lecteurs etauditeurs doivent progresser, en meditant les exempla et les signa des saintset en dechiffrant le «discours » que Dieu leur adresse it travers ces«messages »118. C'est la que reside la grande difference entre Gregoire leGrand et Gregoire de Tours. Chez ce dernier, la narratio du miracle estbeaucoup plus descriptive, objective, I'accent etant mis sur 1'«evenement )I etses effets imrnediats. Chez le pontife romain, la question evenementielle est

. accessoire, c'est le but moral et spirituel qui compte. En d'autres mots, lacroyance a la realite est bonne, mais la comprehension et l'interiorisation du« signifie » sont plus importantes. En ce sens, it y a moins de contradictionqu'on ne le croirait it premiere vue entre les reflexions theoriques deGregoire sur le miracle et ses Dialogues tant decries. Ceux-ci ne sont pasnon plus un simple recueil de contes populaires preexistants, Le prologuenous apprend que le Diacre Pierre ne sait rien du tout sur d'eventuelsthaumaturges en Italie!", et, au fur et it mesure que le recit avance, it necesse de s'etonner du caractere recent de ces miracles 120. Ce qui n'est passans rappeIer l'idee de la rarere des miracles contemporains que nous avonsrencontree dans la tradition patristique. Pierre est un personnage fictif, maisit travers lui Gregoire lui-meme est conscient de la delicatesse du problernede la thaumaturgie contemporaine.

Aux deux siecles suivants, le VIle et le vnr' (plus particulierement lapremiere moitie de ce dernier), I'hagiographie dominera encore davantageque precedemment la production litteraire, surtout en Gaule, et l'on pretendgeneralement que durant ces siecles merovingiens les Vies de saints sont plusque jamais la forme d'expression de ce qui a ete appele l'invasione delmiracolistico'P: L'analyse des Vies merovingiennes invite pourtant a des

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conclusions moins radicales. Un important prealable s'impose toutefois : ilfaut se baser sur des Vitae dont la datation merovingienne est assuree (doneanterieures a. 750), ce qui reste un problerne epineux et ce qui, en pratique,requiert pour chaque texte le consensus des historiens et des philologues. Or,ces hagiographes n'adoptent pas une attitude uniforme envers le miracle. 11est vrai que des prises de position explicites sont rares. D'apres la VitaIohannis de Jonas de Bobbio (composee en 659), l'abbe de Reorne repondita un de ses moines qui croyait avoir eu une vision celeste: « Nequaquamtalia te vel corde tumido vidisse praesumas narrare ! Quid enim fas est, uthomo sub fragilitate positus et contagione peccatorum maculatus mereaturcelestia contemplare'I"? ». Cette mise en garde rappelle la traditionpatristique du risque de praesumptio inherent au miracle.

Mais on a surtout des indices implicites, et merne plusieurs. Le plaidoyerde certains hagiographes pour qu'on ne neglige pas les nova miraculorumgesta par rapport aux anciens-P, laisse deja entendre que la question de lacontinuite entre miracles scripturaires et miracles contemporains se posaittoujours, et que ces derniers soulevaient toujours plus de difficultes que ceuxd'un passe lointain. Il y a ensuite, et avant tout, le nombre de miraclesinseres dans chaque Vita. Dans certaines Vies merovingiennes, ce nombreest considerable (par exemple les Vitae Arnulfi, Boniti, Praeiecti, Rusticulaeet la Vita Radegundis de Baudonivie), encore que .les proportionsneotestamentaires soient rarement depassees, mais il est inexact que, commeon l'a affirme, des Vies sans miracles (au pluriel) etaient alors impen-sables 124. Il y a, en effet, des textes - nous songeons notamment auxbiographies de Balthilde, Germain de Grandval, Gertrude de Nivelles (cetteVita a bien ete completee dans la suite par des Virtutes), Wandrille deFontenelle - ou figurent a peine un ou deux miracles concrets, tandis que lesautres se caracterisent general ement, eux aussi, par leur moderation nume-rique!".

A la quantite raisonnable s'ajoute egalement la discretion frappante de laplupart des episodes miraculeux. Les hagiographes merovingiens, en effet,attribuent a. leurs saints tres peu de miracles spectaculaires ou «apo-cryphes ». Quand, par exemple, l'auteur des Virtutes sanetae Geretrudis(vers 700) evoque la resurrection, par l'intercession de sainte Gertrude,d'un enfant noye, il prend toutes ses precautions pour «dedramatiser»l'evenement. Il le raconte merne sur un ton quelque peu «badinant D, faisantnotamment allusion a une dispute quasi per ioeo, entre une moniale deNivelles et une matrona nobilis qui doutait «utrum Dominus tanta signaadque virtutes per meritum beatae Geretrude dignatus esset ostendere, annon 126 D. Parallelernent, l'hagiographie merovingienne evite des miracles trop« folkloriques D. Est-ce de l'incomprehension de l'Eglise vis-a-vis de cesmiraeula iucunda ou des res minimae pourtant importants pour lepeuple127? Peut-etre, mais c'est probablement aussi la crainte de trops'ecarter des modeles canoniques, ce qu'avaient fait, justement, les auteursdes Passions legendaires. Tout en n'etant pas rigoureuse et forcee, la stylisa-

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tion scripturaire confere aux miracles hagiographiques une garantied'orthodoxie. Mais, d'autre part, les hagiographes du VIle et de la premieremoitie du vnr' siecle Iimitent sensiblement, dans leurs recits de miracles, lestypologies bibliques explicites, sans doute pour ne pas suggerer une « equa-tion » pure et simple entre les miracles bibliques et les miracles conternpo-rains. Enfin, en multipliant les precisions « theocentriques » (sou vent plusnombreuses que dans la Bible)128,its eliminent d'avance tout malentendu surle röle • secondaire » des saints!".

Notre impression globale est que, quand on les compare it Gregoire deTours par exemple, quelques-uns au moins des auteurs du VIle et duvm" siede apparaissent comme plus «prudents» en matiere de miracles.Tout en s'abstenant de prises de position formelles (en ce sens it s'agit moinsqu'aux siecles anterieurs d'incidences immediates de l'ancienne controverse),ces quelques hagiographes font implicitement connaitre que dans leurconception de la saintete c'est la vertu qui fait le poids plutöt que lathaumaturgie. A l'epoque carolingienne, Ies reserves explicites reapparai-tront, notamment chez Alcuin et Agobard'P'. A partir de 850 environ, lecourant favorable au miracle l'emportera it nouveau, mais l'hagiographieissue de la reforme monastique et gregorienne concentrera toute son atten-tion sur les • miracles spirituels »131.

Avant de conclure, it nous faut repeter ce que nous avons dit au debut.Personne ne peut douter de la fonction tres importante du miracle dans lasociete de l'Antiquite tardive et du haut Moyen Äge, et ce sur le planreligieux, psychologique, social et Cl pedagogique ». C'est pourquoi nousadmettons difficilement que les miracles hagiographiques (abstraction faited'une partie des Dialogues de Gregoire le Grand) aient ete destines it unelecture purement allegorique!", meme si l'on reserve celle-ci aux « cultives »(le sensus historicus s'adressant alors it un public « populaire »), car lecontraste entre croyance au miracle et scepticisme ne coincide pas du toutavec les c1ivages socio-culturels (comme c'est d'ailleurs le cas it toutes lesepoques, la nötre y comprise)!", Mais nous avons voulu demontrer qu'ilconvient de porter en ce domaine comme en beaucoup d'autres, un jugementmoins univoque et plus nuance sur la basse Antiquite et le haut MoyenÄge134, le miracle ayant alors ete plus problematique qu'on ne l'a .longtempspense, egalement pour certains hagiographes eux-memes, Les grands themesde la controverse biblique et patristique ont trouve des echos, explicites ouimplicites, dans l'hagiographie. Ce qui fut en cause, ce n'est pas,rappelons-le, la possibilite merne du miracle (qui fait partie de I'. universmental» de cette epoque), mais la veraoite de certains signes et prodiges(qu'on pense aussi a la notion de pia fraus), leur frequence, et surtout leurvaleur religieuse (sont-ils necessaires et meme sont-ils souhaitables 7) et plusparticulierement leur place et leur röle dans le concept chretien de saintete,

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NOTES

1. Cf. A. CHORUS,Hagiografie als levensbeschouwing, dans: Forum der Letteren 4(1963), pp. 115-127, spec. p. 124; J. LE GoFF, Le christianisme medieval en Occident, ducandle de Nicee (325) a la Reforme (debut du XVI' siecle), dans H.-C. PUECH,Histoire desreligions, 11, Paris 1972, pp. 749-868, ici p.787.

2. Cf. J.N. HILLGARTH,The Conversion of Western Europe, 350-370, Englewood ClilTs1969, pp. 4-5; Voir aussi E.R. DoDOS, The Greek and the Irrational, Berkeley-Los Angeles1951, spec. pp. V11-IX;M. MESLIN,Realites psychiques et valeurs religieuses dans les cultesorientaux (I...·IV·siecles), dans Revue historique 512 (1974), pp. 289-314, spec. p.289.

3. Cf. K. SCHREINER,Discrimen veri ac falsi. Ansätze und Formen der Kritik in derHeiligen- und Reliquienverehrung des Mittelalters, dans Archiv für Kulturgeschichte 48(1966), pp. 1-53.

4. Nous relevons, parmi les tres nombreux exemples : SULPICIUSSEVERUS,Vita Martini,24, 8, ed, J. Fontaine, Paris 1967 (Sources Chretiennes 133), p, 308 : Hoc itaque gestum, utsupra reuuli, ex ipsius Martini ore cognovi, ne quis forte existimet fabulosum ; GREGORIUSTuRONENSIS,De virtutibus sancti Martini, Ill, 42, MGH, SRM I, p, 643 : Sed ne cuiincredibile videatur, codix ipse nobiscum hodie retenetur ; Vita Praeiecti (VII·S.), 17,MGH, SRM V, p. 236 : «Et ne cui incredibile videatur, sancti Preiecti fuisse virtutern ..•intantum veritas patet. .. ; Vita Boniti (debut VIII' s.), proi., MGH, SRM VI, p. 119 : c Meidoneum hoc in opere a mendacio ideo ubique defendere puto, si quod ego scribendoassumpsi, vestro examine adprobetis. Nam mal1em sub silentio reticere torporis, quamfal1aciae subire discrimen -.

5. Cf. le riche dossier rassemble par F. GRAUS, Volk, Herrscher und Heiliger im Reich derMerowinger, Praha 1965, pp. 451-455 (c Zweifel an Heiligen und Wunderberichten »); Voiraussi I'affirmation de l'auteur de la Vita Genovefae (VI' ou IX·siecle ?), 11, MGH, SRM Ill,p. 219: c Vulgus ..• paratior est ad derogandum bonis, potius quam ad imitandum s,

6. Nous renvoyons, ä ce propos, ä notre these de doctorat, soutenue le 23 mars 1979 äl'Universite de Gand et intitulee Bijbe! en hagiografie in het Merovlngische Frankenrijk[600-750]. Een onderzoek naar denkvormen en taalexpressie in de zogeheten « Dark Ages ",et ä une communication prelirninaire, presentee lors d'un col1oque precedent du Centre deRecherehes sur l'Antiquite tardive et le haut Moyen Äge en mai 1974 [cf. La Bible dans lesVies de saints merovingiennes. Quelques pistes de recherche, dans Revue d'Histoire del'Egllse de France 62 (1976), pp. 103-111, spec. p. 104].

7. Cf. I.P. Ross, Some Notes on Miracle in the Old Testament, dans C.F.D. MOULE,Miracles. Cambridge Studies in their Philosophy and History, London 19662, pp. 43-60.

8. Cf. P. SAINTYVES,Essais defolklore biblique. Magie, mythes et miracles dans l'AncienTestament, Paris 1922.

9. Une des rares exceptions: 4 Reg 13 : 20-21.

10. F. HEILER, Vom Naturwunder zum Gelsteswunder, Der Wandel des primitivenWunderglaubens in der hohen Religion, dans Fes/schrift W. BAETKE, Weimar 1966,pp. 151-166, ici p. 158, parle d'une Vergeistigung der Wunderauffassung dans la religion deces prophetes,

11. Sur le contexte juif it l'epoque du Nouveau Testament: cf. P. FIEBIG, Jüdische.Wundergeschichten des neutestamentlichen Zeitalters, Tübingen 1911 ; I.HEINEMANN,DieKontroverse über das Wunder im Judentum der hellenistischen Zeit, dans Jubilee Volume inHonor of Prof. B. Helier, Budapest 1941, pp. 170-191.

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BIBLE ET MIRACLES 223

12. Mc 5: 19-20: «Et non admisit eurn, sed ait illi : Vade in domum tu am ad tuos, etannuntia illis quanta tibi Dominus fecerit, et misertus sit tui, Et abiit et coepit praedicare inDecapoli quanta sibi fecisset lesus, et omnes mirabantur ».

13. Mt 11 : 4-6 : « Et respondens lesus ait iIli : Euntes renuntiate loanni quae audistis etvidistis : caeci vident, c1audi ambulant, leprosi mundantur, surdi audiunt, mortui resurgunt,pauperes evangelizantur, et beatus est qui non fuerit scandalizatus in me It.

14. Cf. A. FRIDRlCHSEN, Le probleme du miracle dans le christianisme primitif;Strasbourg 1925, pp. 66-67; E. BAMMEL,John did no miracle, dans C.F.D. MOULE, O.C.,pp. 179-202.

15. Cf. FRIDRICHSEN,O.C., pp. 76-82.

16. Exemples: Mt 9 : 20-21 ; Act 5 : 15 ; 19 : 12. Voir aussi les paroles ou gestes rituelsqui precedent certains miracles cornme p. ex. dans Mc 7 : 33-34 ou Joh 9 : 6-7.

17. Cf. Mc IO: 52: « Vade, fides tua te salvum fecit », et Mt 8: 13; 9: 22, 28-29;14: 31-32; 15: 28; 20: 32-34; Mc 2: 5; 5: 34; 9 : 22; Lc 8: 48; 17: 19; 18: 42;Act 14: 8. Pour un rapprochement des miracles bibliques et hagiographiques avec lamedecine contemporaine (notamment psychosomatique): cf. F. LoITER, Severinus vonNoricum. Legende und historische Wirklichkeit. Untersuchungen zur Phase des Ueber-gangs von spätantiken zu mittelalterlichen Denk- und Lebensformen, Stuttgart1976, p.94.

18. Sur les miracles de Jesus et leur Sitz im Leben, on lira avec fruit le chapitre qu'yconsacre le theologien Hans Küng dans son livre Christ sein, München-Zürich 1974. Nous.avons consulte la version neerlandaise : H. KUENG, Christen ZÜn [trad. P. Heldens],Hilversum 19783, pp. 202-214 (avec, a la p. 586, note 1, une bibliographie fouillee),

19. Cf. p. ex. Mc 16: 20 : « IIIi autem profecti praedicaverunt ubi que, Domino cooperanteet sermonem confirm ante sequentibus signis lt ; Act 9 : 42 : « Notum autem factum est peruniversam loppen, et crediderunt multi in Domino It; Voir aussi Act 13 : 12; 21 : 19-20.

20. Cf. Act 8: 9-24 (Sirnon le magicien): 19: 13-17 (les exorcistes juifs ambulants aEphese) ; Voir aussi Act 14: 10: «Turbae autem, cum vidissent quod fecerat Paulus,levaverunt vocem suam Iycaonice dicentes: Dii similes facti hominibus descenderunt adnos It.

21. Cf. Act 14: 13-14: «Quod ubi audierunt apostoli Barnabas et Paulus, conscissistunicis suis, exilierunt in turbas clamantes et dicentes: Viri, quid haec facitis? Et nosmortales sumus, similes vobis, homines annuntiantes vobis ab his vanis converti ad Deumvivum, qui fecit caelum et terrarn, et mare et omnia quae in eis sunt •.

22. Cf. FRIDRlCHSEN,O.C., pp. 94-97.

23. Cf. Joh 9 (la guerison d'un aveugle-ne) et spec. 9 : 16 : « Et schisma erat inter eos • ;Voir aussi Mt 11 : 21 : « Vae tibi Corozain, vae tibi Bethsaida, quia si in Tyro et Sidonefaetae essent virtutes quae faetae sunt in vobis, olim in cilieio et cinere paenitentiamegissent •.

24. Cf. HEILER, o.c.; p, 159 ; KUENG, O.C., p.213 .

. 25. P. ex. le recit de la tentation [Mt 4: 1-11; Le 4: 1-12] (cf. FRIDRICHSEN,o.c.;pp. 84-90) ou Joh 20 : 29 : « Quia vidisti me, Thoma, credidisti ; beati qui non viderunt, etcrediderunt It.

26. Cf. K.-S. FRANK, Vita apostolica.Ansätze zur apostolischenLebensform in der altenKirche, dans Zeitschrift für Kirchengeschichte 82 (1971), pp. 145-166, ici p. 154;K. ZELZER,Zu den lateinischenFassungen der Thomasakten, dans Wiener Studien. NeueFolge 5 (1971), pp. 161-179, ici p. 166; Voir aussi R. SOEDER, Die apokryphenApostelgeschichten und die romanhafte Literatur der Antike, Stuttgart 1932.

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27. Pour un apercu des polerniques autour des miracles du Christ et des apötres : cf.FRIDRICHSEN,o.c., pp. 57-64 ; J. SPEIGL,Die Rolle der Wunder im vorkonstantinischenChristentum, dans Zeitschrift für katholische Theologie 92 (1970), pp.287-312, spec.pp.302-307.

28. Cf. ARNOBIUS,Adversus Nationes, 1,42, ed, A. Reifferscheid, CSEL 4, p. 28:« Nullamaior est comprobatio, quam gestarum ab eo [Christo) fides rerum, quam virtutum novitas,quam omnia victa decreta dissolutaque fatalia, quae populi gentesque suo geri sub luminenullo dissentiente viderunt, quae nec ipsi audent falsitatis arguere, quorum antiquas et patriasleges vanitatis esse plenissimas atque inanissimae superstitionis ostendit » ; TERTULLIANUS,Adversus Marcionem, Ill, 2, I, ed. E. Kroymann, Corpus Christianorum I, p. 510: « 'Nonfuit " inquis, 'ordo eiusmodi necessarius, quia statim se et filium et missum et dei Christumrebus ipsis esset probaturus per documenta virtutum '. At ego negabo solam hanc illi speciemad testimonium competisse, quam et ipse postmodum exauctoravit. Siquidem edicens multosventuros et signa facturos et virtutes magnas edituros ad aversionem etiam electorum, necideo tamen admittendos, temerariam signorum et virtutum fidem ostendit, ut etiam apudpseudochristos facillimarum •.

29. ORIGENES, Contra Celsum, I, 46, ed. et trad. M. Barret, Paris 1967 (SourcesChretiennes 132), p. 197 : « ••• Car sans miracles et sans prodiges, ils n'auraient pas pousseceux qui entendaient de nouvelles doctrines et des enseignements nouveaux ä laisser leurscroyances ancestrales et accepter, au peril de leur vie, les enseignements qu'ils donnaient s ;Ibidem, VIII, 47, ed, et trad. M. Borret, Paris 1968 (Sources Chretiennes 150), pp. 277-278:• Mais elle [la sagesse] a miraculeusement rassemble les chretiens, amenes des le debut, pluspar les prodiges que par la force persuasive des discours, a delaisser les croyances tradition-neUes pour choisir celles qui leur etaient etrangeres. En effet, s'il faut une explicationvraisemblable du rassemblement initial des chretiens, on dira qu'il n'est pas plausible que lesapötres de Jesus, hommes illettres et ignorants, aient fonde leur assurance pour annoncer lechristianisme aux hommes sur autre chose que la puissance qui leur avait ete donnee et sur lagräce unie a la parole pour montrer la verite des faits; ni non plus que leurs auditeurs aientrenonce ä leurs habitudes ancestrales inveterees sans qu'une puissance notable et des actesmiraculeux les aient amenes a des doctrines si nouvelles, etrangeres a celles dans lesquelles ilsavaient ete eleves •.

30. IRENAEus, Adversus haereses, 11, 32, 4, cite d'apres Eusebe de Cesaree, Histoireecclesiastique, V, 7, 4, ed. et trad. G. Bardy, Paris 1955 (Sources Chretiennes 41), p. 34 :• Les uns en effet chassent les demons avec fermete et en verite, de teile sorte que souventceux-lä memes qui ont ete purifies des esprits mauvais, croient et demeurent dans I'Eglise.D'autres ont la prescience de I'avenir, des visions, des paroles prophetiques ; d'autresguerissent les malades par I'imposition des mains et les rendent bien port ants ; maintenantmerne, comme nous I'avons dit, des morts ont ete ressuscites et sont demeures avec nous unbon nombre d'annees s ; Ibidem, V, 6, 1, ed, A. Rousseau & L.Doutreleau & Ch. Mercier,Paris 1969 (Sources Chreüennes 153), p. 74 (texte du traducteur latin): ••.. quemadmodumet multos audimus fratres in Ecclesia prophetica habentes charismata, et per Spirit urnuniversis linguis loquentes, et absconsa hominum in manifestum producentes ad utilitatem, etmysteria Dei enarrantes, quos et spiritales Apostolus vocat. ..•.

31. Mais, comme Mme M. Harl nous le faisait remarquer lors du colloque : en constatanten meme temps l'indifference et I'incroyance de beaucoup de ses contemporains vis-it-vis deces miracles • modernes •.

32. ORIGENES, Contra Celsum, 11, 48, ed. et trad. M. Borret, Paris 1967 (SourcesChretiennes 132), pp. 393-394 :« J'ajouterai que, selon la promesse de Jesus.Ies disciples ontaccompli des eeuvres plus grandes que les miracles sensibles qu'accomplit Jesus. Car c'estcontinuellement que s'ouvrent les yeux des aveugles spirituels, et les oreilles des gens sourdsaux discours sur la vertu ecoutent avec empressement les enseignements sur Dieu et la viebienheureuse pres de lui. De plus, beaucoup, qui etant boiteux en ce que l'Ecriture appelle'I'homme interieur ', maintenant gueris par la doctrine, bondissent, non pas au sens propre,

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BIBLE ET MIRA CLES 225

mais 'a l'instar du cerf' animal ennemi des serpents et immunise contre tout venin desviperes •.

33. VICTORINUS PETAVlONENSIS, Commentarius in Apocalypsin, X, 2, ed, J. Hxuss-LEITER, CSEL 49, p. 90: «Apostoli enim virtutibus signis portentis magnalibus factisvicerunt incredulitatem. Post illos iam fide confirmatis ecclesiis datum solatium prophetica-rum scripturarum interpretandarum, quos interpretes prophetas dixit. .•• ; Cf. deja ORlGENE,Commentaire sur saint Jean, 11, 34, 204, M. et trad. C. Blanc, Paris 1966 (SourcesChretiennes 120), p. 347: « ..• les miracles ont pu attirer a la foi ceux qui vivaient it l'epoquedu Seigneur mais, apres un temps prolonge, ils n'ont pas garde leur force de demonstration etils sont pris pour des mythes. En effet, plus que les prodiges qui eurent lieu alors, laprophetic, consideree maintenant en me me temps que ces prodiges, a force de persuasion, carelle empeche ceux qui la scrutent de douter d'eux •.

34. EUSEBIUS, Histoire ecclesiastique, V, 7, 00. et trad. G. Bardy, Paris 1955 (SourcesChretiennes 41), pp.33 et 34: «Que, jusqu'ä ces temps-la, des prodiges etonnants etaientencore accomplis par les fideles ... Voila encore ce qui regarde la permanence des differentscharismes chez ceux qui en etaient dignes jusqu'ä l'epoque dont il s'agit •.

35. Cf. F.X. FUNK, Die apostolischen Konstitutionen. Eine litterar-historische Unter-suchung, Rottenburg 1891, reimpression Frankfurt/Main 1970, pp. 133-142; FRIDRl-CHSEN, O.C., pp. 111-113; Sur la datation: cf. B. ALTANER & A. STUIBER, Patrologie,Freiburg-Basel-Wien 19667, pp. 255-256.

36. 11 faut d'ailleurs y ajouter l'interpretation spontanernent providentialiste (et non sansstylisation veterotestamentalre) des evenements de l'epoque de Diocletien et de Constant in(chätiments miraculeux des persecuteurs de l'Eglise, recompense de ceux qui la favorisent etla font triompher), notamment chez Lactance: cf. SPEIGL, O.C., p.312.

37. Cf. le livre de E.R. DODOS, Pagan and Christian in an Age of Anxiety. Some Aspectsof Religious Experience from Marcus Aurelius to Constantine, Cambridge 1965.

38. Cf. C. MOHRMANN, Vita di Antonio, Milano 19741, p. xxv; H.-I. MARROU, Deca-dence romaine ou antiquite tardive? (I11"-VI" siecle), Paris 1977, pp. 42-51, 92-98.

39. Cf. B. KOETTING, Peregrinatio religiosa. Wallfahrten in der Antike und dasPilgerwesen in der alten Kirche, Regensburg-Münster 1950, p. 431 ; J. FONTAINE, Societe etculture ehretiennes sur l'aire circumpyreneenne au siecle de Theodose, dans Bulletin deLitterature eeclesiastique 75 (1974), pp. 241-282, ici p.266.

40. Cf. H. DELEHAYE, Les origines du culte des martyrs, Bruxelles 19331, pp. 119-123 ;P. BROWN, The Rise and Function of the Holy Man in the Late Antiquity, dans The Journalof Roman Studies 61 (1971), pp. 80-111 ; N.HERMANN-MASCARD, Les reliques des saints.Formation coutumiere d'un droit, Paris 1975, pp. 28-30. .

41. Cf. B. KOETTING, Reliquienverehrung, ihre Entstehung und ihre Formen, dans TriererTheologische Zeitschrift 67 (1958), pp. 321-334, spec. pp. 323, 327-328.

42. Cf. FONTAINE, Societe, o.c., pp. 268-269, 278-279. Voir le Contra Vigilantium de saintJerörne, PL 23, col. 339-352.

43. Sur ces tensions entre clerge seculier et moines : cf. C.W. MOENNICH, Onderbreking encontinuiteit. Twee geestelijke aspecten van te tijd der Volksverhuizing, speciaal in de vüfde enzesde eeuw, dans Nederlands Theologisch Tijdschrift 6 (1951-52), pp. 329-366, icipp. 335-337; GRAUS, o.c., pp. 109-11t.

44. Pour un apercu complet et detaille : cf. D.P.de VOOGHT, Les miracles dans la vie desaint Augustin, dans Recherehes de Theologie ancienne et medievale 11 (1939), pp. 5-16;P. COURCELLE, Recherches sur les Confessions de saint Augustin, Paris 1968, pp. 141-153.

45. Cf. H. DELEHAYE, Les premiers w Libelli miraculorum», dans Analeeta Bollandiana

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29 (1910), pp. 427-434; Les recueils antiques des miracles des saints, dans AnaleetaBollandiana 43 (1925), pp.5-85, 305-325, spec. pp. 72-85.

46. AUGUSTINUS,Sermones, 126, 3, 4, PL 38, col. 699-700: «Quotidiana mira-cula Dei non facilitate, sed assiduitate viluerant. Quid enim difficilius cognitioni, quamut nascatur homo, moriendo discedat in secreta qui erat, nascendo procedat in publica quinon erat 1Quid tarn mirabile, quid tarn difficile cognitu 1Deo autem facile factu. Mirare ista,expergiscere : insolita nosti mirari, maiora sunt quam quae videre consuevisti 1 Mirati sunthomines Dominum nostrum lesum Christum de quinque panibus saginasse tot millia ; et nonmirantur per pauca grana impleri segetibus terras. Quae aqua erat vinum factum, viderunthomines et obstupuerunt : quid aliud fit de pluvia per radicem vitis ? ; Voir aussi Tractatus inlohannis evangelium 8, 1, ed, A. Mayer, Corpus Christianorum 36, pp. 81-82.

47. IDEM,De utilitate credendi, 1, 16,34, ed, J. Zycha, CSEL 25, p. 43; De civitate Dei,21, 8, ed, B. Dombart & A. Kalb, Corpus Christianorum 48, p. 771 ; Sur les rationessiminales: cf. aussi P. SAINTYVES,Le miracle et la critique scientifique, Paris 1907, p. 83.

48. IDEM,Sermones, 98, 3, PL 38, col. 592 : « Dominus enim noster Iesus Christus ea quaefaciebat corporaliter, etiam spiritualiter volebat intelligi. Neque enim tantum miraculapropter miracula faciebat : sed ut ilia quae faciebat, mira essent videntibus, vera essentintelligentibus •.

49. IDEM,Sermones, 88, 2, 2-3, PL 38, col. 539-541, spec. 540: «Haec ergo [miracula]fecit Dominus, ut invitaret ad fidem. Haec fides nunc fervet in Ecclesia, toto orbe difTusa.Et nunc maiores sanitates operatur, propter quas non est dedignatus tunc exhibere iIIasminores. Sicut enim animus melior est corpore, sic et melior salus animi quam saluscorporis. Modo caro caeca non aperit oculos miraculo Domini; et cor caecum aperit oculosmiraculo Domini. Modo non resurgit mortale cadaver; resurgit anima, quae mortua iacebatin vivo cadavere. Modo aures corporis surdae non aperiuntur : sed quam multi habent auresclausas cordis, quae tarnen verbo Dei penetrante patescunt, ut credant qui non credebant, etbene vivant qui male vivebant, et obediant qui non obediebant 1...•. Voir aussi Liber dedivinis quaestionibus, 83, 97, 3, PL 40, col. 92 ; De peccatorum meritis et remissione, 2, 32,52, ed. C.F. Urba & J. Zycha, CSEL 60, pp. 122-123.

50. CASSIANUS,Collationes, 18, 1, ed. M. Petschenig, CSEL 13, p. 507 ; De institutiscaenobiorum, praef" 7-8, 00. M. Petschenig, CSEL 17, p.6; Voir aussi J. FONTAINE,L 'ascetlsme chretien dans la litterature gal/o-romaine d'Hilaire a Cassien, dans La GalliaRomana. Atti del Colloquio (l0-11 maggio 1971), Roma 1973, pp. 87-115, ici p. lit.

SI. IDEM,Col/ationes, 12, 12 et 15, 8, o.c., pp.355 et 425.

52. Ibidem, 1, 11, p. 18. D'autres passages ou Cassien minimise la signification et lavaleur des miracles: Ibidem, 15, 7, 2, p. 433: « Opera autem signorum atque virtutum neesemper necessaria nec omnibus commoda sunt nee omnibus conceduntur s ; 15, 6, p.425 :« ... quod meritum uniuscuiusque non ex signis debeat aestimari •.

53. Cf. F, PRINZ, Frühes Mönchtum im Frankenreich. Kultur und Gesellschaft in Gallien,den Rheinlanden und Bayern am Beispiel der monastischen Entwicklung (4. bis 8. Jahrhun-dert), München-Wien 1965, pp. 88-94, 460-461.

54. SULPICIUSSEVERUS,Dialogi, 2, 13, 7, 00. C. Halm, CSEL I, p, 196: « ... haecplerisque etiam in eodem monasterio constitutis incredibilia videbantur; 3, 15,4, p. 214: ...Martinum ... nunc per inanes superstitiones et fantasmata vision urn ridicula prorsus interdeliramenta senuisse •.

SS. GREGORJUSMAGNUS,Homiliae in evange/ia, 1, 4, 3, PL 76, col. 1090: • Unde etadiuncta sunt praedicatoribus sanctis miracula, ut fidem verbis daret virtus ostensa, et novafacerent qui nova praedicarent ... tot visibilibus miraculis exactis, quis non crederet quod deinvisibilibus audiret ? •.

56. IDEM,Moralia in lob, 27, 18, 36, PL 76, col. 420.

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BIBLE ET MIRACLES 227

57. IDEM,Homiliae in evangelia, 2, 26, 12, PL 76, col. 1203-1204 : «Mirabilius namqueest caelum et terram ex nullis existentibus condidisse, quam ipsum hominem ex terrareparare. Sed cinis attenditur, et in carnem redire desperatur, et divinae operation is virtuscomprehendi quasi ex ratione quaeritur. Qui scilicet haec idcirco in suis cogitationibusdicunt, quia eis quotidiana Dei miracula ex assiduitate viluerunt. Nam ecce in uno granoparvissimi seminis latet tota quae nascitura est arboris moles» ; Moralia in lob, 20, 7, 17,ibidem, col. 147 : « Probatio quippe sanctitatis non est signa facere, sed unumquemque ut sediligere, de Deo autem vera, de proximo vero meliora quam de semetipso sentire '. Pour unecomparaison avec saint Augustin: cf. P. BOGLIONI,Miracle et nature chez Gregoire leGrand, dans Cahiers d'etudes medievales I, tpopees, legendes et miracles, Montreal-Paris 1974, pp. 11-102, spec. p.74.

58. IDEM,Moralia in lob, 34, 3, 7, PL 76, col. 721 : « Quamvis etiam fidelibus in eiuscertamine signa non deerunt, sed tanta erunt iIIius [Antichristi), ut nostrorum aut pauca, autnulla videantur '.

59. IDEM,Homiliae in evangilia, 2, 29, 4, ibidem, col. 1216.60. BEDA, Historia ecclestastica gentis Anglorum, I, 31, ed, B. Colgrave &

R.A.B. Mynors, Oxford 1969, pp. 108-110: « ••• pertimescas vero, ne inter signa, quae fiunt,infirmus animus in sui praesumtione se elevet, et unde foras in honorem tollitur, inde perinanem gloriam intus cadat. Meminisse etiam debemus, quia discipuli cum gaudio apraedicatione redeuntes, dum caelesti magistro dicerent: •Domine, in nomine tuo etiamdaemonia nobis subiecta sunt " protinus audierunt: Nolite gaudere super hoc, sed potiusgaudete quia nomina vestra scripta sunt in caelo '•.

61. Cf. H. DELEHAYE,Les Passions des martyrs et les genres litteraires, Bruxelles 19661,pp. 236-315.

62. Cf. B. de GAIFFIER, Un prologue hagiographique hostile au Decret de Gelose, dansAnaleeta Bollandiana 82 (1964), pp. 341-353, spec. p.347.

63. Cf. IDEM,La lecture des Passions des martyrs ä Rome avant le IX' siecle, ibidem 87(1969), pp. 63-78.

64. ISIDORUSHISPALENSIS,Sententiae, I, 24, 1-4, PL 83, col. 591-592 ; Dans la secondemoitie du VIesiecle, Cesaire d'Arles avait, lui aussi, aborde le theme des miracles spirituels :cf. Sermones, 168, 5, ed, G. Morin, Corpus Christianorum 104, p. 690: « Ecce vera, eccepraedicanda miracula quae in nobis operatur, quando de pessimis bonos facit, de superbishumiles, de inhonestis castos, de sectatoribus saeculi amicos Dei. Quae potest maioraexercere miracula, quam quando hominem vermem et putredinem dignatur in statum ange-Iicum promovere, de terrenis in caelestibus conlocare, et in gratiam suae adoption is adsu-mere? •65. PL 35, col. 2149-2200; Cf. prol., col. 2151: «Cuncti vero laboris hoc magnopere

intentio procurat, ut in omnibus rebus, in qui bus extra quotidian am administrationem aliquidfactum videtur, non nova m ibi Deum facere naturam, sed ipsam quam in principio condidit,gubernare ostendat. Praeterea etiam in hoc opere curavimus, ut sepositis adhuc figurarumintellectibus, rerum tantummodo gestarum rationem et ordinem exponeremus s ; I'auteurprevoit regulierement des objections critiques, comme p. ex. dans 11, 6, col. 2177 (DeSamsonis!ortitudine in capillis) : « Sed fortasse aliquis dicet : Quare ergo cum capillis iterumfortitudo iIIius succrevit, si non in capillis etiam prius robur habuit? •

66. P. ex. chez Jean CASSIEN, Collationes, 15, 6, ed. M. Petschenig, CSEL 13,pp. 431-432: Act 3: 12; Le 9: 49-50; Mt 7: 22-23; Le 10: 20; Ibidem, IS, 7,pp. 432-434 : Mt 11 : 28-29 ; Prov 25: 14.

67. C'est d'ailleurs une constante dans l'histoire de I'Eglise que les miracles du present onttoujours suscite plus de difficultes que ceux du passe: cf. KUENG, o.c., p. 203.

68. Cf. infra.

69. Cf. J. LECLERCQ,L'Ecriture sainte dans /'hagiographie monastique du haut Moyen

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228 MARC VAN UYTFANGHE

Age, dans La Bibbia nell'alto medioevo, Spoleto 1963 [SeUimane di studio sull'altomedioevo 10 (1962)], pp.103-128, spec. p. 112; B. de GAIFFIER,Miracles bibliques et Viesde saints, dans Nouvelle Revue theologique 88 (1966), pp. 376-385, spec. p.381 [Etudescritiques d'hagiographie et d'iconologie, Bruxelles 1967, pp. 50-61, spec. p.58).

70. Selon laquelle les faits salutaires du passe constituent une garantie pour le present etl'avenir : cf. p. ex. EUGIPPIUS, Vita Severini, I, 4, ed, R. Noli, Berlin 19632, p. 58 :« ... proponens antiqua salutis exempla, quibus divina protectio populum suum contra opinio-nem omnium mirabiliter liberasset s ; lä-dessus, voir M. VANUYTFANGHE, La Bibledans la w Vie de saint Severin " d'Eugippius. Quelques typologies bibliques dans un documenthistorique, dans Latomus 33 (1974), pp. 324-352, spec. pp. 325-327.

71. Cf. supra p. 153.

72. Passio SS. Perpetuae et Felicltatis, proi., ed, C. VANBEEK,Nijmegen 1936, pp. 6-7.

73. Si ce n'est le fait que le Christ souffre ä travers ses martyrs et, le cas echeant, lesassiste miraculeusement.

74. Pontius se contente d'une vision prernonitoire annoncant ä Cyprien son martyre. Cetelement est classique dans les Passions depuis le martyrium Polycarpi : cf. C. MOHRMANN,Vita di Cipriano, Vita di Ambrogio, Vita di Agostino, Milano 1975, p.XXII.

75. Vita Antonii, 38, Cd. C. Mohrmann, Milano 19742, pp.80-82.

76. En ce sens que le saint reste toujours le mediateur, le vrai auctor du miracle etantDieu.

77. De I'aveu de saint Jerörne lui-meme, ces resits hagiographiques faisaient I'objet decritiques acerbes : cf. Vita Hi/arionis, I, 6, ed. C. Mohrmann, Milano 1975, p,74 : « Unde etnos favore magis iIlius quam iniuria coeptum ab eo opus aggredientes maledicorum vocescontemnimus, qui olim detrahentes Paulo meo nunc forte detrahent et Hilarioni .....

78. Cf. E. HENDRlKX,SaintJerome en tant qu'hagiographe, dans La Ciudad de Dios 181(1968), pp. 661-667, spec. pp. 665-667.

79. SULPICIUSSEVERUS,Dialogi, 3, 5, 10, ed. C. Halm, CSEL I, p.208.

80. Ibidem 1, 26, 5, pp. 178-179.

81. Cf. sa longue apologie du thaumaturge dans Epistulae, 1, ed, J. Fontaine, Paris 1967(Sources Chretiennes 133), pp. 316-324, contre quelqu'un qui s'etait malicieusement demandec cur Martinus, qui mortuos suscitasset, flammas domibus depulisset, ipse nuper adustusincendio periculosae fuisset obnoxius passionni (p. 316) •.

82. HILARluS ARELATENSIS,Vita Honorati, 37, 1-2, ed, M.-D. Valentin, Paris 1977(Sources Chretiennes 235), pp. 169-170.

83. Ibidem, p. 170 : « Et vera tarn familiaris quodammodo oratio tua Christi auribus eratut efficacissimis precibus impetratum putern, ne virtutem tuam signa c1amarent.

84. Cf. C. MOHRMANN,Zwei frühchristliche Bischofsviten : Vita Ambrosii, Vita Augus-tint, dans Anzeiger der phi/.-hist. Klasse der Oesterreichischen Akademie der Wissenschqf-ten 112 (1975), pp. 307-331, spec. pp. 314-320.

85. POSSIDIUS,Vita Augustini, 29, 5, ed, C. Mohrmann, Milano 1975, p.212.

86. Cf. C. MOHRMANN,Zwei frühchristliche, O.C., p.320.

87. M.P. VARJN,Vie de saint Eutrope, eveque d'Orange, par Verus, son successeur, dansBulletin du Comid historique des monuments ecrits de l'hlstoire de France - Histoire,sciences, lettres, I, Paris 1849, pp. 51-64, ici p.61.

88. EuGlPPIUS,Eplstula ad Paschasium, 5, cd. R. Noli, Berlin 19632, p. 42 : c Habet plane

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BIBLE ET MIRA CLES 229certum fund amen tum solius fidei, quo sanctum virum mirandis constat c1aruisse virtu-tibus ..••.

89. FERRANDUS,Vita Fulgentii, 25, 49, PL 65, col. 142.

90. ENNODlUS,Vita Epiphanii, 3, MGH, Auct. Ant. VII, p.85.

91. VENANTJUSFORTUNATUS,Vita Germani episcopi Parisiaei, 70, MGH, Auct. Ant. IV,2, p.25. ,

92. E.H. WALTER, Hagiografisches in Gregors Frankengeschichte. dans Archiv fürKulturgeschichte 48 (1966), pp. 291-310, ici p.303.

93. Cf. G. KURTH,Etudes franques, 11, Paris-Bruxelles 1919, p. 122.

94. Cf. WALTER,O.C., pp.301-306.

95. Cf. Liber in gloria cotifessorum, 6, MGH, SRM I, p. 756: «Sed nos, qui cotidie,indigni quidem, eius [Martini] miracula cernimus ad sepulchrum ... Quod si quis est adhucinfidelis et aemulus, ut haec non credat, accedat ad basilicam, et videbit cotidie et nova agi etquae facta dudum fuerant iterari s,

96. Cf. E. DELARUELLE,La sptritualtte des pelertnages d Saint-Martin de Tours du Y" auX' siecle, dans Pellegrinaggi e culto dei santi in Europa fino alla la crociata; Todi 1963,pp. 199-243, ici p.227.

97. De virtutibus sancti Martini, I, 27, MGH, SRM I, p. 601.98. Liber in gloria martyrum, 69, MGH, SRM I, p.534.

99. Historiarum libri, IV, 34, ed, R. Buchner, Berlin 1955, t. I, p. 242: « ••• [abbas)praecepit [monacho], dicens: Oportet enim te, fili, in timore et servitio Dei humilitercrescere, non prodigiis atque virtutibus gloriari •.

100. Liber vitae patrum, 2, 2, MGH, SRM I, p. 669 : « Et forsitan, ut plerumque rnurmu-rare homines soliti sunt, quispiam garrulatur, dicens: •Non potest hic habere inter sanctospro uniss tantum operatione miraculi ' • Nam, si perpenditur illud quod Dominus ait in evan-gelio: •Multi ... dicunt mihi in illa die : Domine, Domine, nonne in nomine tuo daemonia eie-cimus virtutesque multas decimus ? Et respondebo eis, dicens, quia non novi vos' •.

101. DELARUELLE,O.C., p.218.

102. Liber in gloria confessorum, 52, MGH, SRM I, p.525.

103. Cf. Liber vitae patrum, 3, prol.; MGH, SRM I, p. 672 : « ••• Ergo non erit dubium,quod sancti obtenere possint a Domino quod petierunt, quia in eo fides fundamine posito[var. : posita) nullis haesitationum fluctibus vacillantur [var. : vacillal) •.

104. Historiarum libri, V, 25, ed. R. Buchner, Berlin 1955, t. I, p. 332 : «Guntchramnusvero cum super se mortem cernerit inminere, invocato nomen Domini et virtutem magnambeati Martini elevatoque contu, Dracolenum artat in faucibus ... »; Cf. J. VANDER Lop, Desan Augustic. a san Gregorio de .Tours. Sobre la intervencion de los martires, dansA ugustinus 19 (1974), pp. 35-43, spec. p.41.

105. Cf. les references chez GRAUS,O.C., pp. 45 1-455.

106. Cf. Liber vitae patrum, 17, prol., MGH, SRM I, p. 727: « Sed sunt, quod peius est,qui perverso sensu, ut scripta non credunt, ita testificata reprehendunt, visa vero tamquamconficta fastidiunt I.

107. Dans la seconde moitie du Vie siecle, l'eveque Nizier de Treves devait, ä son tour,defendre les miracles des saints contre l'accusation de fiction et de mise en scene: cf. Epistu-lae Austrasiacae. 8, 15-17, ed, W. Gundlach, Corpus Christianorum 117, p.422.

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230 MARC VAN UYTFANGHE

108. Comme le dit BOGUONI,O.C., p. 11.

109. Cf. W.F. BOLTON,The Supra-Historical Sense in the Dialogues of Gregory I, dansAevum 33 (1959), pp.206-213.

110. GREGORIUSMAGNUS,Dialogi, I, 2 et 12, ed. U. Moricca, Roma 1924. pp. 23 et 69.

111. Ibidem, I. 12, p. 70.

112. Ibidem: • Placit. fateor, omjino quod dicis: ecce aperte cognovi quia vita et nonsigna quaerenda sunt. Sed quoniam Ipsa signa. quae fiunt, bonae vitae testimonium feruntquaeso adhuc, si quae sunt, referas, ut esurientem me per exempla bonorum pascas ». '

113. BOGLlONI. o.C.; C. DAGENS. Saint Gregoire le Grand. Culture et experiencechretienne, Paris 1977, spec. pp. 228-233.

114. Dialogi, 11. 30, ed, Moricca, o.c.• pp. 121-122. avec references a Act 9 : 40 et Act 5 :1-10.

lIS. BOOLlONI,o.c., p.55.

116. Exemples: Dialogi, I, 8, ed, Moricca, o.c .• p. 48 : •... quid aliud datur intellegi nisiquod ... » ; IV, 35, p. 281 : •... qua in re aperte datur intellegi» ; IV. 53. p. 312 : « ... ex qua reaperte datur intellegi ... ».

117. Cf. DAGENS,O.C., pp. 230-232.

118. Cf. BOGLlONI,O.C., pp. 35-37, 51-62; P.M. ARCARI,Idee e sentimenti politici dell'altomedioevo, Milano 1968, p. 307 (C'est gräce a une note en bas de page du P. Boglioni quenous avons connu le livre de Mme Arcari, qui s'est avere fondamental a to us les egards pourl'etude du haut Moyen Age).

119. Dialogi, I, proi., ed, Morieea, o.c., p. 15 : «Non valde in Italia aliquorum vitamvirtutibus fuisse cognovi ; ex quorum igitur comparatione accenderis ignoro. Et quidembonos viros in hac terra fuisse non dubito ; signa tarnen atque virtutes aut ab eis nequaquamfaetas exaestimo, aut ita sunt actenus silentio suppressa ut utrumne sint facta nesciamus ».

120. Ibidem, III, 16, p.180: • Facta haec placent, quia mira, et multum, quia rece~tia»'III, 31, p. 207 : c Res mira et nostris stupenda temporibus ... ». '

121. Cf. P. BREZZI,L'urto delle civilti: nell'alto medioevo. Dagli stanziamenti barbariciall'unificazione carolingia, Roma 1971, p.217: Forse il fatto ehe -a primo aspetto-colpisce di piü.; e I'invasione del miracolistico, e la credulita dilagante, e la perditadell'autonomia dell'umano in ogni sectore ; Voir aussi E. DEMM,Zur Rolle des Wunders inder Helligkeitskonzeption des Mittelalters, dans Archiv for Kulturgeschichte 57 (1975)pp.300-344, spec. p, 316 (sur l'epoque merovingienne), '

122. IONAS,Vita Iohannis abbatis Reomaensis, 16, MGH, SRM Ill, p.514.

123. Cf. IDEM, Vitae Columbanl abbatis discipulorumque eius, 11, 23, MGH, SRM IV,pp. 143-144 : c .•. Quae ergo nune nostris noscuntur patrata temporibus, nequaquam silendoneglegentiae somno torpentes pretermittere debemus»; Vita Pardu(fi (premiere ouseconde moitie du VIII' siecle ?), prol., MGH, SRM VII, p. 24 : c Plerumque, dum, antiquapatrum priscorum laudantes gesta miraculorum, nova quae nuper gesta sunt omittunt ... ».

124. Cf. J.-C. POUUN. L'ldeal de saintete dans l'Aquitaine carolingienne d'apres lessources hagiographiques (750-950), Quebec, Univ. Laval 1975, p. 109.

125. Dans la discussion qui a suivi notre communication, notre collegue et ami MartinHeinzelmann se demanda si les Vies peu miraculeuses ne sont pas, justement, celles qui ontete redigees peu de temps apres la mort du saint. 11 est vrai que sou vent le nombre de miraclesaugmente avec l'ecart chronologique, d'autant plus que les miracula post mortem onttoujours ete moins vires par la critique anti-thaumaturgique que les miracula ante mortem (cf.le risque de la praesumptio). Toutefois, le fait que d'autres auteurs contemporains du saint

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BIBLE ET MIRA CLES 231

ont bel et bien tenu ä inserer des recits miraculeux dans leur texte (p. ex. les Vitae A rnulfi,Bonitl, Praeiectit, et que d'autre part i1 y a des versions posterieures sans complementsmiraculeux (p. ex. la deuxierne Vita Balthildis), prouve que la position personnelle deshagiographes constitue un element non negligeable et qu'elle differe d'un ecrivain ä I'autre.

126. De Virtutibus sanctae Geretrudis, 11, MGH, SRM 11, pp. 469-470.

127. Cf. J. LE GoFF, Culture clertcate et traditions folkloriques dans la civilisationmerovingienne, dans Annales 22 (1967), pp. 780-791, ici p. 788, note 1 (avec un renvoi ä laVita Germani episcopi Autissiodorensis de Constance de Lyon); Voir aussi Graus, o.c.,p.51, note 170.

128. Exemples: Vita Rusticulae, 4, MGH, SRM IV, p. 341 : «Qualem vero virtu-tern per earn Dominus ... fecerit, intimabo ... Sed Dominus ipse per famulam suam tribuit ...Domini vero gratia praestitit virtutem famulae suae ; Vita Wandregiseli, 5, MGH,SRM V, p. 15 : cAd illut redeamus tempus, qua Dominus per famulum suum ostenderedignatus est fortitudinem suam ... nisi pietas Domini et merita ipsius hominis Dei subve-nisset ... Qui Dominus, qui servis suis pius obauditur est, succurrens ei... lidigantis Deus adconcordiam per servum suum mirum in modum convertit •.

129. Pour une analyse plus approfondie des Vitae merovingiennes, nous renvoyons ä notrethese, qui sera publiee en langue francaise.

130. Cf. L. ZOEPF,Das Heiligen-leben im IO.Jahrhundert, Leipzig & Berlin 1908, p. 182;H.L. MIKOLETZKY,Sinn und Art der Heiligung im frühem Mittelalter, dans Mitteilungen desInstituts flir Oestetreichische Geschichtsforschung 57 (1949), pp. 83-122, spec. pp. 86, 122 ;Delaruelle, o.c., p. 232; E. Bosnor, Erzbischof Agobard von Lyon. Leben und Werk,Köln-Wien 1969, pp. 170-185 (sur la lettre De quorundam inlusione signorum adressee ärarcbeveque Barthelemy de Narbonne). .

131. Cf. DEMM,O.C., pp. 313-314.

132. W.F. BOLTON,A Note on Hagiographical Healing, dans Medievalia et Humanistica13 (1960), pp. 17-20, applique cette hypothese ä la Vita Vedasti de Jonas de Bobbio.

133. Cf. la remarque importante de A. MOMIGLlANO,citee par N. BROX,Der einfacheGlaube und die Theologie. Zur altkirchlichen Geschichte eines Dauerproblems, dansKairos 14 (1972), pp. 161-187, ici p. 184: «The christian abolition of the internal frontiersbetween the learned and the vulgar had clear implications. For cultured persons it meant thereception and acceptance of many uncritical, unsophisticated beliefs in miracles, relics andapparitions. For the vulgar and uncultivated it meant appreciation, to the point of fanatism,of the importance of theological controversies and consequent participation in thesestruggles •.

134. Cf. les reflexions fondamentales et pertinentes de K.F. WERNER, Le role del'aristocratie dans la christianisation du nord-est de la Gaule, dans Revue d'Histoire del'Eglise de France 62 (1976), pp. 45-73, ici pp. 51-55.

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232 MARC VAN UYTFANGHE

DISCUSSION

M. HARL: Vous avez tres bien oppose ce qu'a dit Irenee qui, de son vivant,voyait encore des miracles, a ce que dit Eusebe qui s'en etonne, Mais entre les deux,vous avez cite Origene, pour dire seulement qu'Origene avait spiritualiss lesmiracles. Je voudrais retablir ce point. 11y a un texte d'Origene qui dit : « De monvivant, moi aussi, j'ai vu des miracles, l'Esprit agit encore pour des guerisonsmiraculeuses mais je n'en parlerai pas parce qu'on se moquerait de moi ou qu'on nele comprendrait pas It. Done iI est un temoin de votre etude historique sur lacontroverse autour du miracle, mais il ne faut pas faire de lui celui qui a spiritualisele miracle et I'a evacue ; iI a d'autres raisons de ne pas en parIer ; mais iI est encoretemoin, iI croit encore au Saint-Esprit realisant des miracles.

M. HEINZELMANN: Je voudrais ajouter a propos de I'hagiographie rnerovin.gienne que c'est moins en fonction de la position de l'hagiographe eclaire vis-a-visdu miracle qu'en fonction de l'ecart entre la mort du saint et la publication de saVie que les miracles sont plus ou moins nombreux. La plupart de ces Vies ecrites aumoment de la translation correspondent au commencement d'un culte qui depend dela fonction politique de I'eveque. Beaucoup de recueils de miracles sont attestes etnon conserves. Tu as parle de la Vie de Gertrude, meme chose pour sainte-Radegonde, la seconde Vie de saint-Leger, etc ... Dans ces vies, les miracles n'y figu-raient pas, c'est pourquoi on a fait des supplements. Ces recueils sont perdus, sansdoute parce qu'i1s etaient dans une langue vernaculaire (loculus simplex).

C. HEITZ: Ce que vous venez de dire s'applique aussi a saint-Arnoul de Metz.En ce qui conceme I'iconographie, iI y a un elan a l'epoque carolingienne : je pensepar exemple au Sacramentaire de Drogon oü les miracles sont illustres. Puis un videque je m'explique par le role. immense de la thaumaturgie christique, qui eclipse enquelque sorte la thaumaturgie des saints.

M. WERNER: Je felicite les organisateurs d'avoir evite dans leur intitule leterme de Moyen Age, il est plus approprie de parler d'un monde chretien, qui n'estplus romain. Dans ce cadre, il faut examiner le problerne du miracle.M. Van Uytfanghe a parfaitement souligne une certaine rationalite relative desauteurs des VII· et VIII· siecles plus eclaires meme, a-t-il dit, que ceux des IV· etv· siecles, 11y a a mes yeux une evolution du miracle, avec la aussi des modelesantiques. A partir du IX· siecle surtout, la collection des miracles devient plusimportante que la vie du saint, dont souvent on ne parle meme plus. La collectiondes miracles est I'expression de la puissance du saint au service du rnonastere oude l'eglise qui porte son nom. Le problerne a ete de distinguer les vrais miracles desfaux, comme la vraie foi de la superstition. Est-ce que nous avons la possibilite detrouver des criteres dans les sources pour distinguer ces deux genres de miracles?

M. VANUYTFANGHE: Je remercie Mme Harl pour sa precision concern ant Ori-gene. Je ne pretends pas, par aiIIeurs, qu'Origene n'ait pas cru a la possibilite de mi-racles reels, mais je constate qu'il a aussi fait tres c1airement appel ä I'explication spi-ritualiste. Quant a la remarque de Martin Heinzelmann, iI est evident que l'ecarthronologique entre la mort du saint et la redaction de la Vita peut jouer un role.

o' • ais comment expliquerque dans les deux groupes (Vies ecrites tres peu de temps apres la mort du saint, et

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BIBLE· ET MIRA CLES 233

Vies plus tardives) i1 y a des recits contenant une serie de miracles et d'autres qui encontiennent tres peu ? Je veux surtout insister sur la discretion globale de I'hagiogra-phie du VII" et du VIII" siecles en rnatiere de thaumaturgie. Du reste, je ne crois pas aI'existence, a cette epoque, de recueils de miracles en langue vernaculaire (du moinspour ce qui est de la Romania) : la romanistique actuelle date tardivement I'appari-tion (au demeurant tres graduelle) de langues romanes distinctes du latin. A M. Wer-ner, je dirais qu'i1 y a peut-etre moyen de distinguer les miracles qui peuvent etremoyen de distinguer les miracles qui peuvent etre expliques de maniere naturelle (dumoins pour nous) et d'autres Oll cela est impossible.