Hassan Alwazzan Dit Leon l'Africain

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Biographie

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Hassan Alwazzan dit "Lon l'Africain" (1495 1548)Une personnalit marocaine hors du commun ignore du milieu marocainLa revue "Almaghrib" - 21 dcembre 1934Son poqueLes bouleversements politiquesL'auteur du livre "Al Qirtas" a dcrit l'poque du soulvement des Mrinides contre les Almohades en ces termes:"A cette poque, la dynastie des Almohades s'est considrablement affaiblie et a commenc prsenter des signes d'impuissance; ses souverains n'avaient plus d'autorit sur les campagnes; leur pouvoir et leurs ordres taient limits aux centres urbains; les luttes entre tribus augmentaient de frquence et d'intensit; la peur rgnait sur les routes et les localits loignes; les gens ne respectaient plus le devoir d'obissance; chacun agissait sa guise; plus rien ne diffrenciait le roturier du noble; le faible tait dsormais la merci du fort; chacun faonnait ce dont il tait capable, et celui qui voulait faire du tort aux autres avait toute latitude pour le faire; aucun pouvoir n'tait alors en mesure de l'arrter, ni aucun prince ne pouvait l'en empcher. Les tribus de "Zenata", les tribus arabes et berbres organisaient des vols main arme sur les grands chemins et faisaient de temps en temps des descentes dans les bourgs et les villages. Lorsque le prince "Abou Sad ben Abdelhaq" a vu que les souverains almohades essayaient de gouverner tant bien que mal une dynastie affaiblie, qu'ils perdaient le bnfice de l'estime et de la considration qu'on leur portait, qu'ils ngligeaient leurs sujets et s'enfermaient dans l'enceinte de leurs palais pour chapper aux obligations du pouvoir dont ils taient investis et s'adonner aux beuveries, la musique et aux plaisirs des sens, lorsqu'il a vu que le pays tait livr un souverain qui a choisi de vivre dans la dbauche et qu'il n'tait plus en mesure de faire face aux obligations de son rgne, il runit les dignitaires mrinides et les exhorta d'agir dans le sens des prescriptions de l'Islam qui recommandaient de veiller sur les intrts de la communaut musulmane, et obtint aussitt leur adhsion. Il se mit alors parcourir le pays la tte d'une trs forte arme de volontaires, traversant monts et valles, en passant par les tribus de toutes les contres, proches ou lointaines, assurant tous ceux qui lui prtaient le serment d'allgeance qu'il les prenait sous sa protection moyennant le paiement d'un impt, "le Kharaj", et perscutant les rfractaires en leur faisant subir des traitements cruels et tyranniques, allant du pillage de leurs biens l'assassinat pur et simple".C'est ainsi qu'"Ibn Zaraa" a prsent les derniers jours de la dynastie des Almohades et le message adress par les "Bni Mrine" la nation marocaine. Cette prsentation des faits est vridique et ne souffre aucune exagration. Si "Ibn Zaraa" vivait au dbut de l're sadienne et voulait dcrire la fin du rgne des Mrinides, il n'aurait pas pu en faire une description diffrente de celle qu'il a faite de la priode de dcadence des Almohades. En effet, lorsque les Mrinides ont pris le pouvoir et se sont installs sur le trne marocain pendant deux sicles et demi au cours desquels ils ont gouvern le pays en dominant tous ses secteurs vitaux, et men une politique de grandeur lie la ferme volont d'encourager les sciences, les lettres et les arts, ils ont d eux-mmes faire face une priode de bouleversements politiques qui ont fini par avoir raison de leur existence en tant que dynastie rgnante. Un changement de rgime s'imposait pour doter la nation d'un nouvel Etat avec un gouvernement rajeuni et prsentant les dispositions ncessaires pour affronter la situation de crise avec fermet et dtermination.En jetant un coup d'il rapide sur les vnements de cette poque pendant laquelle la personnalit dont il va tre question dans la suite de cet entretien a vcu, nous nous rendons compte des troubles dont le Maroc souffrait et du chaos dans lequel il tait plong la suite de l'affaiblissement de l'Administration des Mrinides et de l'arrive en masse des derniers musulmans en provenance d'Espagne aprs la "reconquista" de la terre andalouse. Les Espagnols ont exploit l'tat de faiblesse du pouvoir au Maroc pour nourrir des vises sur cette rive du dtroit. Ils ont entran dans le sillage de leurs ambitions le Portugal qui, profitant des remous politiques qui dchiraient le pays et de l'absence d'une autorit centrale forte pour grer ses affaires, s'est engag dans des oprations de conqute avec l'occupation d'Anfa en 894 de l'hgire (1489 de l're chrtienne), d'Asilah en 907 (1502). Ils ont ensuite difi la ville d'El Jadida et poursuivi leur avance le long des villes ctires du Sous. Aprs avoir difi le fort de Founty prs d'Agadir, ils ont conquis le port de Safi et occup Azemmour et la Mamora. Pendant ce temps, la guerre faisait rage entre les derniers Wattasides et les Mrinides d'une part, et "Abou Abbas Ahmed Saadi" d'autre part.Tels taient les vnements qui ont marqu cette poque. Le pays tait la proie de rvoltes internes, tandis que les trangers poursuivaient leurs attaques contre l'Etat pour en saper les fondements. Pendant cette priode difficile, la guerre civile opposait une dynastie vieillissante, celle des Wattasides Mrinides et une nouvelle dynastie dont les vnements allaient prcipiter l'apparition et la consolidation, la dynastie des Sadiens, qui allait prendre en mains les destines du Maroc en chassant l'occupant tranger des sites qu'il y avait conquis, rendant ainsi l'Etat la souverainet pleine et entire sur l'ensemble du territoire marocain.La vie intellectuelleIl est probable que la vie intellectuelle soit la dernire se laisser influencer par les bouleversements politiques et les rvoltes internes. Ses racines se forment et prennent vigueur dans la stabilit et l'essor civilisationnel, mais ses fruits ne mrissent que tardivement, pendant la priode des mouvements de sdition, en raison du fait que la vie intellectuelle, de par l'intrt port par les chercheurs aux diffrentes branches du savoir et leur attachement la culture d'une manire gnrale, ne tient pas compte des premires manifestations de remous politiques. Le got des lves pour les tudes et les efforts d'incitation la recherche entrepris par le corps enseignant sont autant de barrires contre les effets ngatifs de ces remous, au moins jusqu' un certain point.La personnalit dont je voudrais brosser ici un tableau rapide a vcu dans une poque marque par les remous politiques; mais malgr cel, elle a russi se frayer le chemin du savoir au point de devenir un esprit exceptionnel qui a suscit l'admiration de l'occident. Elle a vcu vers la fin de l're des Mrinides, s'est cultive dans ses coles et a pu tre considre comme le fruit de cette poque de stabilit et d'essor de la civilisation musulmane, mme si nous ne le connaissons qu' travers ce qui en a t crit en occident; il reprsente un ge d'or de notre pass, l're des Mrinides, que l'on s'accorde considrer comme l'poque la plus florissante du monde musulman, avec la ville de Fs qui tait l'avant-garde de la science et de la civilisation et le point de rencontre des civilisations orientales et occidentales ainsi que la source spirituelle dans laquelle l'Europe, alors domine par l'glise catholique qui contrlait tout ce qui tait de nature rduire la force de son pouvoir et de son rayonnement, a puis l'essentiel des enseignements qui y taient dispenss.A Fs, capitale des Mrinides, ainsi que dans d'autres villes du Maroc, les instituts jouaient un rle trs important dans le domaine de l'ducation et de la divulgation du savoir. Des cours d'un haut niveau y taient dispenss dans diffrentes branches de la connaissance humaine au stade le plus rcent de leur volution; on pouvait y suivre des cours de droit et des institutions, de sciences naturelles, de mathmatiques, de gographie et bien d'autres disciplines. L'universit de la Karaouiyine n'enfermait pas, comme c'est le cas aujourd'hui, la science dans son acception la plus troite et les lettres dans des images figes. Au contraire, les tudiants titulaires du diplme de cette universit pouvaient tre considrs comme ayant atteint un haut degr de maturit grce une formation d'esprit qui leur permettait de surmonter les difficults des disciplines scientifiques et de matriser les textes littraires les plus ardus.Un simple coup d'oeil sur la liste des penseurs cits par Hassan Alwazzan dans un de ses ouvrages nous claire sur le niveau de culture de cette poque. Il a cit plus de soixante penseurs parmi les penseurs musulmans les plus minents tels que: Averroes, Al Farabi, Avicenne, Ibn Tofayl, Al Tobrany, Ibn Khaldoun, Ibn Omran, Moussa ben Mamoun parmi les philosophes, Al Ghazali, Al Hassan Al Basri, Abou Al Hassan Al Sari, Al Chadli, Abou Hafs Omar ben Farid parmi les soufis, Abdallah Al Baytar, Ibn Zohr, Ishaq ben Amran, Al Razi parmi les mdecins, Ibn Abdallah Al Bakri, Alcherif Al Idrisi, Ibn Fadl Allah Al Amri, Al Masudi parmi les gographes, Al Chahrastani, Ibn Al Jawzi, Ibn Alhassan Almutalmidi, Ibn Bachkwal parmi les historiens.Il a cit ces grandes sommits et en a rajout d'autres dans un livre conserv dans la bibliothque europenne, un livre sur la gographie d'Afrique en gnral et du Maroc en particulier. J'ignore combien de noms il a cits dans les ouvrages qu'il a consacrs d'autres branches du savoir, qui se sont gars sans que la bibliothque marocaine en ait conserv une copie. Ces ouvrages sont trs probablement en train de vgter dans les rayons d'une bibliothque prive jusqu' ce que, par la volont divine, ils puissent un jour voir la lumire avec d'autres manuscrits marocains qui subissent le mme sort qu'eux, pour jeter un clairage nouveau sur l're des Mrinides ainsi que sur les autres poques de l'histoire du Maroc, et mettre en valeur leur vritable apport culturel et civilisationnel. La vie intellectuelle de cette poque est, contrairement celle pourrie d'aujourd'hui, dbordante de rflexions sur la thmatique de la science et les mthodes d'approche des autres disciplines et ce, malgr les remous politiques et les violentes secousses qui venaient de temps autre branler l'difice social en y freinant l'lan du mouvement culturel.Sa vieNous ne savons pas grand'chose de la vie de cette personnalit marocaine. Elle est entoure de mystre de tous les cts. On ne peut faire un pas dans la direction de son parcours biographique pour essayer de trouver une explication aux images qu'elle nous projette sans que nous nous posions des questions sur diffrents aspects de l'homme que nous ne pourrons connatre que si nous poursuivons l'itinraire de sa vie en sa compagnie. Il n'tait pas de ceux qui vivent pendant des annes, puis se font enterrer sans saisir de la vie autre chose qu'une image superficielle. Ceux-l traversent la vie tel un nuage qui se dplace dans le ciel pour se perdre l'horizon. Au contraire, c'tait un homme qui retenait tout ce qu'il voyait et entendait, qui faisait des observations minutieuses et pertinentes. Il avait peine dvelopp des dispositions naturelles qui lui permettaient d'atteindre la maturit intellectuelle qu'il fut enlev et emmen de force dans un monde bien diffrent du milieu qui lui a prodigu les instruments de formation l'ayant destin tre un homme de culture au vrai sens du terme.Tout ce que nous savons de sa vie est qu'il est n Grenade un moment o les Espagnols attaquaient les Arabes en Andalousie. C'tait la priode de la "reconquista" du pays qui avait t conquis par Tariq Ibn Ziyad pour y planter l'tendard de l'Islam. C'tait aussi la priode pendant laquelle les musulmans connurent une situation mouvemente, vcurent dans un climat de terreur et de dsespoir, et furent poursuivis pour leur adhsion la foi musulmane. Il tait peine sorti de l'enfance que le dernier groupe de musulmans quittait l'Espagne et que les membres de sa famille s'enfuyaient leur tour de la terre andalouse pour le Maroc, en direction de la capitale des Mrinides o Hassan ben Mohammed Alwazan a poursuivi ses tudes, apprenant la perfection la langue arabe et les disciplines auxquelles elle a donn naissance. Nous manquons d'informations prcises concernant les matires d'enseignement qu'il a suivies. Nous pouvons tout au plus procder par extrapolation partir de quelques indications fragmentaires issues de son ouvrage dont il sera question plus loin, et en dduire qu'il n'tait pas un homme d'une ducation moyenne, peine au dessus du niveau de celle du peuple. Il runissait la minutie de l'observation et des dispositions innes une vaste culture touchant diffrentes branches de la science dont il nous a entretenu dans son ouvrage prcit. Il avait en outre une vue panoramique des multiples facettes des cultures islamiques.Fs tait l'poque l'apoge de son prestige; elle devanait les autres capitales sur le plan culturel et ducatif ainsi que sur celui du rayonnement de la civilisation arabo-islamique dont elle tait le porte-flambeau. L'universit de la Karaouiyine tait la tte des tablissements ducationnels instaurs par l'Etat, et en particulier par la dynastie des Mrinides; elle dispensait un enseignement srieux qui attirait les tudiants de toutes les rgions du Maroc et d'ailleurs. Son administration accordait une assistance morale et matrielle ceux qui taient dans le besoin. Et c'est dans ce milieu universitaire de Fs que la personnalit de Hassan Alwazzan s'est forme et a nourri en elle le got et l'esprit des tudes et de la recherche.Il nous apprend qu'il s'est adonn la profession judiciaire et qu'il a exerc le mtier de notaire, tenant les cahiers de l'tat-civil et les registres du commerce pendant deux longues annes, mais il semble que cette profession n'tait pas du got de notre homme qui avait d'autres ambitions dans la vie que de rester assis longueur de journe au fond d'une boutique troite en train de rdiger sur ses genoux des actes et des documents. Son souhait tait de voyager de par le monde pour tudier les conditions de vie des diffrentes communauts et confronter ses conceptions thoriques la ralit du terrain et ce, dans le but de permettre ses talents de s'exercer au contact des expriences qu'il aura faites et des difficults qu'il aura rencontres au cours de ses priples.En l'espace de dix ans, il a parcouru le Maroc de long en large et est arriv jusqu' Tombouctou. Il a visit les diffrentes rgions d'Afrique du Nord, et s'est ensuite rendu la Mecque, puis Istanboul, avant de parcourir d'autres contres asiatiques. Au cours de ces priples, il tait souvent charg de missions caractre politique. En 921 (1515 pc), il s'est trouv Tadla et a pu assister la bataille de la Mamora au Sebou infrieur, puis il a regagn Fs avant de partir de nouveau pour la Mecque via Tlmcen, l'Algrie et la Tunisie. L'anne d'aprs, il a entrepris un long voyage qui l'a conduit d'abord en Asie puis en Afrique du Nord.En 926 (1520 pc), son embarcation a t arraisonne par des pirates italiens au large de Naples; il a t conduit devant le Pape Lon X, et s'est trouv dans un milieu europen qui lui tait totalement tranger. Il s'est tout de suite rappel qu'il tait le produit d'une civilisation raffine et qu'il avait toutes les raisons d'tre fier de son prestigieux pass. La vie intellectuelle qu'il avait mene jusque-l s'est empare de nouveau de son esprit lorsqu'il s'est rendu compte qu'il avait affaire l'institution papale, qui tait alors omnipotente en Europe. Le Pape tait un homme exceptionnel dans son milieu; il encourageait les sciences, les lettres et les arts. Aussi, lorsqu'on lui a prsent Hassan Alwazzan, tait-il naturel qu'il lui demandt de l'entretenir de son pays, le Maroc. Le Pape a beaucoup apprci la qualit du discours que Hassan Alwazzan tint devant lui, et tait trs impressionn par sa hauteur de vues et la prcision de ses connaissances.L'histoire nous rapporte que le Pape l'a approch de lui, qu'il a ordonn de lui rtribuer une rmunration substantielle et lui a mnag un rang social des plus levs parmi les dignitaires du Vatican. Contrairement aux autres dtenus dont regorgeait l'Italie, il a trouv en lui le disciple d'un ge d'or du savoir et un digne reprsentant de la cohabitation des cultures. Ses rapports avec Hassan Alwazzan se sont affermis, et leur amiti est alle au-del de la simple courtoisie. Certains ouvrages de rfrence nous informent que le Pape lui a propos de se convertir au christianisme, et qu'il s'est effectivement converti sous le pseudonyme de Lon.Depuis lors et jusqu' aujourd'hui, les milieux scientifiques europens le connaissaient sous ce nom d'emprunt. Nous ne savons pas s'il s'est effectivement converti au catholicisme, lui qui a vcu toute sa vie dans un milieu musulman et reu une formation strictement islamique, ou si cette conversion est le fruit d'une simple dduction que certains historiens ont tire des rapports tablis entre le Pape et Hassan Alwazzan et de la conviction unanimement partage par les fidles que le Pape ne saurait porter une telle considration pour une personne de son entourage qui ne se serait pas convertie au christianisme. Un grand orientaliste qui a tudi la vie et l'uvre de Lon l'Africain a rapport qu' son retour Tunis, il s'tait aussitt reconverti l'Islam. Par consquent, sa conversion au christianisme, supposer mme qu'elle ait eu lieu, ne s'est jamais manifeste d'une manire apparente. Pour ma part, je doute fort que Lon l'Africain se soit converti de son plein gr, sinon comment expliquer qu'il ait quitt Rome pour Tunis o il s'est reconverti l'Islam, aussitt aprs la mort du Pape Lon X? Pourquoi a -t- il tenu partir pour Tunis, sinon pour rpondre un appel profond de sa conscience qui lui dictait de redevenir musulman pour pouvoir tre inhum en cette qualit aprs sa mort en terre d'Islam? De plus, son imposant ouvrage, qui se trouve entre nos mains, trate des pays musulmans dans plusieurs domaines avec tous les gards qui leur sont dus. Il n'y est nullement question qu'il aurait pris ses distances par rapport l'Islam et aux musulmans, ou qu'il les aurait condamns comme n'tant pas sur le droit chemin.Voil tout ce que nous savons sur la vie de Lon l'Africain. Nous ne pensons pas que ces quelques repres puissent constituer une biographie mme de nous permettre de soumettre sa personnalit une analyse systmatique pour en tirer les conclusions qu'impose une mise en valeur approprie de son gnie crateur et de ses comptences scientifiques. De plus, ces mmes repres ncessitent d'tre dpouills des zones d'ombre susceptibles de discrditer le personnage aux yeux des musulmans, d'autant plus que les ouvrages de rfrence en langue arabe semblent l'ignorer en ne lui consacrant mme pas quelques lignes ou quelques mots. Mais son ouvrage monumental, "la description de l'Afrique" nous renseigne sur l'tendue de ses connaissances et les vastes horizons de ses recherches ainsi que sur son esprit alerte et sa rapidit de comprhension, et nous explique comment l'homme en tait venu acqurir une telle notorit auprs des chercheurs et des milieux scientifiques occidentaux qui se sont intresss son uvre et sa conduite.Son uvre"La description de l'Afrique"Hassan Alwazzan a rdig de nombreux ouvrages, mais malheureusement un ou deux seulement de ces ouvrages sont parvenus jusqu' nous. Quant aux autres publications, nous n'en connaissons que les titres. Il a trs certainement dit des livres avant et aprs sa dtention, mais nous n'en savons strictement rien, pas mme les titres. Malgr cela, l'ouvrage qui se trouve maintenant entre nos mains suffit largement pour nous donner une ide exacte de l'homme, de sa mentalit et de ses talents. Il s'agit de sa "description de l'Afrique" qui n'a pas t conue pour retracer les tapes de son itinraire de voyages d'une manire descriptive, mais qui est un livre pratique, labor selon une dmarche mthodologique avec toute la prcision de la logique scientifique. C'est un livre qui a abord plusieurs thmes et approfondi de nombreux domaines de recherche et d'analyse. Il est devenu un ouvrage de base en histoire et en gographie et a mme t considr pendant une longue priode comme l'unique ouvrage de rfrence sur les pays musulmans en Europe avant que nous tablissions nos relations avec l'occident.Le mystre qui entoure la vie de notre homme couvre aussi son uvre et s'tend son ouvrage sur "la description de l'Afrique" qui a t traduit dans les principales langues occidentales, et qui occupe une place privilgie dans les bibliothques europennes. En ralit, nous ne savons pas avec certitude dans quelle langue Lon l'Africain a rdig l'original de ses ouvrages, ni quelles taient les rfrences sur lesquelles il s'tait appuy pour justifier le bien-fond de ses affirmations. Nous ne savons pas non plus les mobiles qui l'ont pouss diter ses livres, ni le temps qu'il a consacr leur rdaction. Autant de questions dont les rponses auraient contribu clairer notre lanterne, en faisant disparatre la nbulosit des ides qui planent dans nos esprits. Mais, tout ce que nous savons, dans l'tat actuel de nos connaissances, est que l'ouvrage en question a t publi en italien en 1530 dans le cadre d'une encyclopdie de l'italien Romisio consacre aux voyages par voies terrestre et maritime. Il a t ensuite traduit en latin puis, en 1556, en franais, avant de faire l'objet d'une traduction systmatique dans la plupart des autres langues europennes.Quant son origine arabe - si tant est qu'il ft d'origine arabe - nous n'en savons strictement rien, et nous ne pouvons que reprendre la thse du professeur Massignon, selon laquelle Hassan Alwazzan aurait rassembl, au courant de ses nombreux voyages, ses carnets de route et les aurait enrichis par tout ce que sa prodigieuse mmoire aurait retenu comme informations obtenues de premire main car, pendant son sjour en Italie, il ne disposait d'aucun ouvrage de rfrence en arabe sur lequel il pouvait s'appuyer pour tayer son argumentation. Il ne pouvait compter que sur ses observations et les expriences de ses voyages; et c'est prcisment l tout le mrite de ses ouvrages qui ne doivent leur valeur intrinsque qu' l'effort de rflexion personnel de leur auteur, indpendamment de toute influence livresque extrieure. Quant au mobile qui l'a pouss rdiger cet ouvrage, on ne serait pas trop loin de la vrit en pensant que c'est probablement le Pape Lon X lui-mme qui lui aurait suggr, au nom de l'amiti qui s'tait cre entre les deux hommes, d'entreprendre ce travail auquel il accordait une importance capitale.Il ne fait aucun doute que l'intrt port par le Pape au domaine du savoir l'ait amen demander l'illustre savant marocain de l'entretenir de la situation de son pays, et de lui faire part des observations qu'il a faites pendant ses nombreux priples. On pourrait s'imaginer Lon l'Africain en train de se remmorer les tapes de son pass avant de se lancer dans une causerie qui aurait tellement passionn son hte que celui-ci lui aurait propos de consigner noir sur blanc les informations qu'il venait d'voquer pour qu'il puisse les conserver dans la bibliothque du Vatican. Son interlocuteur aurait alors accept de bon coeur et se serait mis rdiger l'ouvrage qui lui aurait t demand. Mais tout ceci reste fond sur de simples conjectures, Lon l'Africain n'ayant nulle part fait allusion cet entretien qui, faute d'indices srieux pouvant en confirmer la vracit, pourrait tre considr comme un simple produit de l'imagination ni plus ni moins.Lorsque Louis Massignon, le clbre orientaliste, a tudi le contenu de cet ouvrage, il en a dduit qu'il ne pouvait tre rdig que pour les Europens, en juger par sa prsentation thmatique et la mthode de classification et d'analyse qui y est utilise. "Lon le Marocain" a divis son livre en neuf parties:Il a consacr la premire partie aux considrations gographiques d'une manire gnrale, en y abordant en sous-titres les thmes suivants: l'origine du mot "Afrique" les frontires de l'Afrique les contres africaines les habitants de l'Afrique leur origine les arabes rsidant dans les villes africainesIl a poursuivi son tude avec autant de prcision que de profondeur d'analyse.Dans les sept parties suivantes, il a procd la description de l'Afrique dans diffrents domaines, ne ngligeant aucun dtail, et illustrant ses thses avec les explications qui s'imposent, passant des villes de chaque rgion aux montagnes qui les entourent.Dans la neuvime partie, il a abord les ressources du sol, les cours d'eau et les mers.Il est intressant de souligner qu'il a t le premier avoir prsent le Maroc en quatre grandes divisions:1. le pays berbre situ au nord de la chane montagneuse de l'Atlas et comprenant le Maroc, l'Algrie et la Tunisie2. le pays des palmiers situ au sud de l'Atlas3. le pays de Libye, qui correspond au Sahara4. le pays du Soudan, ou pays des GnaouasCette rpartition gographique est encore utilise de nos jours dans les manuels de gographie du Maghreb. Ainsi, le fait d'avoir t le premier faire une telle rpartition dnote d'un esprit d'observation dou d'une aptitude conduire une dmarche analytique d'une manire concrte et pratique. En feuilletant cet ouvrage, on a l'impression qu'il a t crit notre poque, car il contient de trs amples informations sur certains aspects de la vie qu'il ne viendrait pas l'esprit de penser que le monde ancien leur aurait accord le moindre intrt et en aurait encore moins tir les conclusions que l'auteur a mises en lumire. Lorsque Lon l'Africain cite un ouvrage d'art difi par Yacoub Elmansour, il ne manque pas de fournir une numration exhaustive des arcs qui le composent. Dans ses descriptions des rgions, il nous renseigne sur les richesses minires et les ressources naturelles de chaque contre. Nous savons, grce aux indications qu'il a consignes dans son ouvrage, que l'esprance de vie du Marocain se situait entre 65 et 70 ans et pouvait varier entre 80 et 100 ans dans les rgions de l'Atlas o les conditions climatiques permettent de mener une vie saine, et ceci est corrobor par les tudes statistiques les plus rcentes.De fil en aiguille, il est arriv dresser un inventaire des maladies qui ravageaient le pays, cherchant en diagnostiquer les causes et les origines. Puis, il a abord la vie sociale et l'influence du climat sur les moeurs qu'il a qualifies de franches et spontanes. Il a dcrit les berbres comme un peuple rompu aux activits commerciales, toujours en mouvement, trs attach la religion et discutailleur. Il a consacr plusieurs pages aux habits de l'poque et leur varit en fonction des saisons et des circonstances, et s'est ensuite intress aux traditions alimentaires des Marocains, faisant preuve d'un esprit de prcision qui dnote d'une grande matrise des comportements sociaux. Il a analys aussi l'organisation administrative, numr pour chaque rgion les tribunaux qui s'y trouvaient et mis l'accent sur les dcoupages politiques tout en dlimitant les rgions places sous l'autorit des Wattasides et les villes qui jouissaient d'une administration autonome. Il nous apprend aussi que les tribus ne reconnaissaient ni l'appareil administratif ni le rgne des Wattasides en raison de l'affaiblissement de leur pouvoir et de la situation de dclin entrane par la dcadence politique de leur dynastie. Il a dcrit l'tat des routes avec une infinie prcision et numr les agglomrations urbaines et le rseau routier de chacune d'elles.En conclusion, Lon le Marocain a abord toutes sortes de sujets et les a traits la fois avec une ampleur de vues et une concision de style, qui sont autant de preuves de l'tendue de son savoir et de la pntration de son intelligence. Il est certain que si nous continuons d'numrer et d'exposer tout ce que l'ouvrage recle d'informations et d'enseignements, nous dpasserions le cadre de cette prsentation qui se propose de ne pas tomber dans l'excs du dtail. L'aperu que nous venons de donner sur la vie et l'oeuvre de Lon l'Africain suffit largement faire revivre l'homme dans la mmoire collective et intresser la jeunesse actuelle et les gnrations montantes aux travaux de cet anctre prestigieux demeur longtemps ignor du milieu marocain dont il est issu.J'ai mentionn prcdemment que ce livre de Hassan Alwazzan tait l'unique ouvrage de rfrence qui trate de nous en occident. Puis, l'orientaliste Massignon l'a cit parmi les auteurs clbres pour lesquels Lon l'Africain tait lui-mme une rfrence dans leurs travaux de recherche sur l'Afrique en gnral et le Maroc en particulier. Leur nombre a dpass la trentaine; le premier d'entre eux remonte au 16me sicle et le dernier au milieu du 19me. Pour saisir l'importance accorde l'homme en occident, il suffit d'ouvrir n'importe quel livre sur le Maroc publi en Europe pour y trouver le nom de Lon l'Africain en tte des ouvrages de rfrence sur lesquels l'auteur du livre s'est appuy pour mener bien son travail de recherche.Autres publicationsLa culture et la science ont malheureusement t desservies par la malchance avec la perte des autres ouvrages de Lon l'Africain, dont il ne nous est rest que les titres de certains d'entre eux. S'il nous tait donn de redcouvrir ces publications pour les soumettre une tude approprie, nous aurions t en mesure de rtablir le contact avec l'poque scientifique et culturelle des Mrinides. Peut-tre existe-t-il dans certaines bibliothques prives au Maroc des manuscrits susceptibles, grce aux possibilits d'ditions qui existent actuellement, de crer une vritable rvolution dans la conception que nous avons des vnements historiques et de provoquer un changement radical des ides que nous nous sommes faites jusqu'ici de notre pass.Parmi les publications de Lon l'Africain dont nous ne connaissons que les titres, il y a lieu de citer un dictionnaire arabo-hbreux-latin dont une copie est conserve l'Escorial Madrid, un livre de grammaire, un autre de linguistique et un autre en latin consacr la biographie d'une trentaine d'hommes clbres en Islam. Il reste nous demander s'il a procd la publication d'autres ouvrages avant sa dtention et aprs son retour Tunis. Tout donne cependant penser que les ouvrages cits plus haut ont t rdigs pendant son sjour en Italie, et il est pour le moins impensable qu'un homme de sciences de la trempe de Hassan Alwazzan passe une tranche importante de sa vie au milieu des siens et dans un environnement linguistique et culturel hrit de ses anctres, sans qu'il consacre un certain nombre de publications ses rflexions sur les matires scientifiques et littraires. Tout ce que nous connaissons actuellement de notre homme nous le devons aux crits d'auteurs occidentaux, dont les publications constituent en mme temps les seuls ouvrages de rfrence disponibles.ConclusionLa personnalit de Hassan Alwazzan, dit Lon l'Africain, jouit d'une grande notorit dans les milieux intellectuels occidentaux. De nombreux articles lui ont t consacrs, le prsentant comme un homme qui s'est mis au service de la culture et de la recherche une poque o les connaissances de l'homme taient limites et superficielles. Nous aurons mauvaise conscience de laisser disparatre cette minente personnalit de la mmoire collective du monde arabe o il a vcu et reu l'essentiel de sa formation intellectuelle, alors que l'occident le vnre et l'aurole d'un prestige immense pour ses connaissances et ses mthodes de recherche. Le moins que nous puissions faire l'gard de cet homme exceptionnel est de traduire son ouvrage sur "la description de l'Afrique" en langue arabe, qui est aprs tout sa langue maternelle, afin de rendre la bibliothque marocaine un chef d'uvre parmi les innombrables publications dont on a perdu la trace, et permettre ainsi au lecteur marocain d'avoir accs un ouvrage qui reflte plusieurs sicles d'histoire de son pays, avec leurs zones d'ombre et de lumire. Y aurait-il parmi nos jeunes intellectuels d'aujourd'hui quelqu'un pour s'attaquer cette tche passionnante ?